Université de
Mohammédia
Faculté des Sciences
Juridiques, Economiques et Sociale
Les fondements et la doctrine de la politique
étrangère américaine
Mémoire de fin d'étude pour
l'obtention de la Licence des études fondamentales
Droit
Public : Section française
Préparé par : Abdessalam Saad
JALDI
Encadré par : Abderrazek
ELASSER
Année universitaire : 2007 -
2008
Grand remerciement
Je dédie Mon Mémoire de fin
d'étude à :
- Mes parents, mes grands-parents, Tante Zoubida, mon
petite frère Anas et ma petite soeur Sara.
- Mes professeurs, qui ont su me transmettre le
nécessaire pour ma formation académique et intellectuelle avec
des méthodes originales et ingénieuses.
- C'est à Monsieur Abderrazek ELASSER, mon
Encadrant et Professeur des Relations internationales et Sociologie politique,
que mon Mémoire de fin d'étude a vu le jour. Durant des mois, il
m'a apporté son soutien et son savoir faire, qui m'ont redonné
à chaque fois l'inspiration nécessaire d'achever ce travail.
C'est la raison pour laquelle je lui exprime ma gratitude pour toutes ses
contributions.
Je remercie finalement tous ceux dont j'ai du
malheureusement taire les noms, mais qui m'ont été d'une grande
utilité, je suis conscient que ces simples lignes ne suffiront pas pour
exprimer ma totale gratitude, mais en lisant le travail, sachez qu'il est aussi
de votre oeuvre.
« L'avenir c'est pas celui qu'on
attend, mais c'est celui qu'on construit »
Plan du Mémoire de fin
d'étude
Introduction
Chapitre I : Les héritages
fondamentaux de la politique étrangère américaine
Section A : la Destinée manifeste et la
mission des Etats Unis
Section B : Le Réalisme politique et
l'Idéalisme politique
Chapitre II : Pratique et évolution de
la politique étrangère américaine depuis la fin de la
première guerre mondiale à la fin de la guerre
froide
Section A : Pratique et évolution de la
politique étrangère américaine de 1919 à
1948
Section B : Pratique et évolution de la
politique étrangère américaine durant la Guerre
Froide
Chapitre III: La politique étrangère
américaine contemporaine
Section A : Un nouvel ordre
mondial ?
Section B : La politique étrangère
de l'administration George W. Bush : rupture ou continuité da ns
l'histoire américaine ?
La fondation des Etats-Unis s'est
réalisée sur une base religieuse et idéaliste : les
immigrants européens arrivant dans le « nouveau monde »
voulaient y construire un état idéal, qui s'opposerait aux
états belligérants et décadents de la vieille Europe. De
là découlent deux caractéristiques essentielles et en
partie contradictoires, nées aux XVIIè, XVIIIè et
XIXè siècles qui guident encore aujourd'hui en grande partie les
différents concepts de la politique étrangère
américaine : - d'une part, les Etats-Unis ont
développé une croyance en leur degré de perfection, ce qui
les a amenés à concevoir l'idée d'une «
destinée manifeste », c'est à dire d'une mission
civilisatrice qui leur était dévolue pour propager leur
modèle sur leur continent et au-delà (expansionnisme
messianique). - d'autre part, les dirigeants américains ont
développé au fil des décennies une tendance d'isolement
(isolationnisme) afin de protéger / préserver leur modèle
des interférences et "pollutions" de la politique internationale.
Alors que l'année 2000 avait vu l'arrivée au
fauteuil de Président d'un homme élu majoritairement sur un
programme de politique intérieure, quatre ans plus tard la nouvelle
campagne présidentielle de George W. Bush insiste beaucoup plus sur le
bilan de sa politique étrangère.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont en effet été
le déclencheur d'une politique étrangère « hyper
interventionniste » de la part des Etats-Unis. Ce comportement s'est
caractérisé par des interventions armées à
l'étranger afin de renverser des régimes ne respectant pas les
standards démocratiques et libéraux occidentaux. Ces actions ont
été justifiées par un discours hautement moral et
religieux, développant une vision du monde manichéenne et
simpliste (« L'axe du mal », « vous serez avec nous ou contre
nous ») dans lequel l'Amérique se pose comme le phare de la
liberté et le défenseur de la démocratie. Cet aspect du
discours des officiels américains et l'unilatéralisme dont a fait
preuve l'administration Bush (elle n'a pas tenu compte de l'avis de la
communauté internationale pour agir) ont provoqué des critiques
très fortes de cette politique, autant sur le sol américain
qu'à l'étranger.
Ainsi, John Kerry, le candidat démocrate aux
présidentielles de 2004 déclarait-il en décembre 2003 :
« tout simplement, l'administration Bush a poursuivi la politique
étrangère la plus inepte, la plus arrogante, et la plus
idéologique dans l'histoire moderne » (Discours au Council on
Foreign Relations, 3 décembre 2003). Peut-on dire, comme le laisse
supposer cette affirmation, que la politique étrangère de
l'équipe Bush constitue réellement une rupture avec les
idées et la pratique de ses prédécesseurs ? L'opinion
publique mondiale et le public arabe a été choqué par les
formules de l'administration Bush, largement relayées par les
médias. Pourtant les notions auxquelles elles font appel (messianisme,
destinée manifeste des Etats-Unis, thème de la croisade, lutte
pour la démocratie et pour un monde meilleur) ne sont pas des
créations de l'équipe des « néoconservateurs »
et des intégristes chrétiens qui entourent le Président.
Elles font au contraire référence aux fondements les plus
lointains de la politique étrangère des Etats-Unis. Fondements
qui ont été repris, adaptés, remodelés par les
différentes administrations au fil du temps et du contexte
international. C'est à ce voyage à travers les fondements de
la politique étrangère américaine que nous vous convions,
afin de mieux comprendre les débats et les enjeux d'aujourd'hui, ainsi
que leur évolution dans une ligne du temps qui ne se limite pas aux
coups d'éclats de l'actualité des médias.
Ainsi, deux questions importantes s'imposent : Quelles sont
les fondements de la politique étrangère américaine ?
Et dans quelle mesure les héritages fondamentaux ont-ils
contribué dans l'évolution de la politique
étrangère américaine et par conséquent, dans
l'édification de la puissance américaine ?
Chapitre I : Les héritages fondamentaux de
la politique étrangère américaine
Section A : la Destinée manifeste et la
mission des Etats Unis
Aux fondements de la politique étrangère
américaine se trouve le concept de « destinée
manifeste», qui contient un fort héritage religieux. Il faut
se souvenir que la fondation des Etats-Unis est remonte à un groupe de
« pères pèlerins » protestants qui
quittèrent la « vieille Europe » pour mettre en place un
mode de gouvernement « idéal, pur et parfait » sur
les territoires du nouveau monde, considéré comme « la Terre
promise » (vers 1620). Dès le départ, le souci de
créer un état nouveau poussa les fondateurs des États-Unis
à limiter les contacts avec les états européens
considérés comme décadents. Ainsi, George Washington
l'exprima dans son "Testament" (discours d'adieu) en 1796 : c'est la doctrine
du « non-entanglement » (non-engagement), qui fut reprise
par Jefferson (Président de 1801 à 1809) puis par Monroe, qui
s'inspira de ce discours pour sa fameuse doctrine. La doctrine du
« non-entanglement » demeure une référence
pour les tenants de l'isolationnisme américain :
« Notre Grande règle de conduite envers
les nations étrangères est d'étendre nos relations
commerciales afin de n'avoir avec elles qu'aussi peu de liens politiques qu'il
est possible. Autant que nous avons déjà formé des
engagements remplissons-les, avec une parfaite bonne foi. Et tenons-nous en
là.
L'Europe a un ensemble d'intérêts
primordiaux, qui avec nous n'ont aucun rapport, ou alors très lointain.
Par conséquent elle est engagée dans de fréquentes
polémiques, dont les causes sont essentiellement
étrangères à nos soucis. Par conséquent donc il est
imprudent pour nous de s'impliquer, à cause de liens artificiels, dans
les vicissitudes ordinaires de sa politique, ou les combinaisons et les
conflits ordinaires de ses amitiés ou de ses inimitiés. [...]
Pourquoi renoncer aux avantages d'une situation si particulière ?
Pourquoi quitter notre propre sol pour se tenir sur une terre
étrangère ? Pourquoi, en entrelaçant notre destin avec
celui d'une quelconque part de l'Europe, empêtrer notre paix et notre
prospérité dans les labeurs des ambitions, rivalités,
intérêts, humeurs ou caprices européens ? C'est notre
politique véritable d'avancer exempt d'Alliances permanentes avec
n'importe quelle partie du Monde étranger - Aussi loin, veux-je dire,
que nous sommes maintenant capables de le faire - ne me croyez pas capable de
recommander d'être infidèle aux engagements existants, (je
soutiens la maxime non moins applicable aux affaires publiques que
privées, que l'honnêteté est toujours la meilleur
politique) - Je le répète donc, continuez à appliquer ces
engagements dans leur sens véritable. Mais à mon avis, il est
inutile et serait imprudent de les étendre.
» (Extrait du "Testament", ou discours d'adieu de George Washington, le
19 septembre 1796)
« J'ai toujours considéré comme
fondamental pour les Etats-Unis de ne jamais prendre part aux querelles
européennes. Leurs intérêts politiques sont
entièrement différents des nôtres. Leurs jalousies
mutuelles, leur équilibre des puissances (forces), leurs alliances
compliquées, leurs principes et formes de gouvernement, ils nous sont
tous étrangers. Ce sont des nations condamnées à la guerre
éternelle. Toutes leurs énergies sont dévolues à la
destruction du travail, de la propriété et des vies de leurs
peuples. » (Thomas Jefferson à James Monroe,
1823)
« Rien n'est plus important que
l'Amérique reste séparée des systèmes
européens, et en établisse un original. Notre situation, nos
objectifs, nos intérêts sont différents. Il doit en
être de même pour les principes de notre politique. Tout engagement
avec ce région du monde doit être évitée si nous
voulons que la paix et la justice soient les (objectifs,
caractéristiques) de la société américaine.
» (Thomas Jefferson à J. Correa de Serra,
1820)
Dans la même lignée, en 1823, le Président
Monroe (1817-1825) formula sa doctrine de « l'Amérique aux
Américains » : Les Etats-Unis promettaient de ne pas s'engager dans
les affaires européennes, alors qu'ils regardaient toute intervention
des Etats européens sur le continent américain comme une
agression. (cette clause était prévue pour protéger les
états indépendants d'Amérique Latine des visées
coloniales des états européens). Jefferson comme Monroe se
firent ainsi les fondateurs et défenseurs de l'isolationnisme
américain, véritable courant de pensée défendu
jusqu'à aujourd'hui en matière de politique
étrangère américaine
Cette conception « d'exceptionnalisme »
américain, qui représenterait le gouvernement le plus abouti et
le plus parfait, justifiait l'idée d'une « destinée
manifeste » des Etats-Unis, consistant à diffuser son
système de valeurs et de gouvernement à travers le monde, afin de
le faire progresser à son image.
L'idée d'une mission civilisatrice des Etats-Unis,
justifiée par leur modèle de développement infaillible
basé sur la démocratie libérale et la foi
chrétienne, se forma autour des années 1845, avec la
création du concept de Destinées Manifeste : l'auteur de la
formule, le publiciste John O'Sullivan, directeur de la Democratic Review, en
formulait ainsi les implications : « Notre Destinée
Manifeste [consiste] à nous étendre sur tout le continent que
nous a alloué la Providence pour le libre développement de nos
millions d'habitants qui se multiplient chaque année
»
Pour le géopoliticien Yves Lacoste, la « manifest
destiny », c'est : « [le] destin, [le] rôle que
Dieu aurait manifestement confié à l'Amérique de
développer les valeurs de liberté, de justice et de
progrès, de les étendre le plus possible et de les
défendre contre toute tyrannie »
Vers 1890, les frontières étasuniennes étant
fixées, les Etats-Unis étendirent au-delà de celles-ci
leur « mission civilisatrice ». Pourtant, en tant
qu'ancienne colonie britannique qui avait combattu pour son
indépendance, les Etats-Unis ne pouvaient adopter la forme de
colonialisme des états européens. C'est pourquoi, à part
quelques cas (Philippines, 1898), le mode d'impérialisme
américain fut fondé sur l'exportation de valeurs, aussi bien
marchandes que culturelles, et ne provoqua pas une perte de souveraineté
des pays. Les Etats-Unis, contrairement aux états européens
pratiquèrent un expansionnisme économique, commercial et
culturel, qui ne reposa pas sur la fondation de colonies (c'est à dire
la confiscation de la souveraineté d'un Etat pour le contrôler).
La mission des Etats-Unis devait être de « civiliser » le
monde, le rendre à son image, pour faire littéralement le bonheur
des autres états malgré eux.
Ce principe de « destinée manifeste » se
conjugua de façon différente selon les deux grandes orientations
- réalistes ou idéalistes - qui allèrent former
le socle de la politique étrangère américaine.
Section B : Le Réalisme politique et
l'Idéalisme politique
Les grands spécialistes de la politique
étrangère des Etats-Unis s'accordent pour distinguer deux grands
héritages fondamentaux : le Réalisme politique
représenté par Théodore Roosevelt (Président de
1901 à 1909), et l'Idéalisme politique du
Président Woodrow Wilson (Président de 1913 à 1921).
Le Réalisme politique de Roosevelt
(1901-1909) Le 10ème président des Etats-Unis,
Théodore Roosevelt, avait une vision dite réaliste
(c'est-à-dire : voir les choses telles qu'elles sont) des relations
internationales : il considérait que les états étaient des
entités égoïstes défendant avant tout leurs
intérêts, par la force si besoin. Th. Roosevelt reprenait le
concept de « destinée manifeste » afin de justifier
l'expansionnisme et l'interventionnisme des Etats-Unis hors de ses
frontières. Ainsi, en 1904, par ce qu'on appelle le corollaire Roosevelt
à la doctrine Monroe, il affirmait le devoir des Etats-Unis à
intervenir dans la zone des Caraïbes et de l'Amérique Latine quand
leurs intérêts seraient menacés :
« L'injustice chronique ou l'impuissance qui
résulte d'un relâchement général des règles
de la société civilisée peut exiger, en fin de compte, en
Amérique ou ailleurs, l'intervention d'une nation civilisée et,
dans l'hémisphère occidental, l'adhésion des Etats-Unis
à la doctrine de Monroe peut forcer les Etats-Unis, même à
contrecoeur, dans des cas flagrants d'injustice et d'impuissance, à
exercer un pouvoir de police international » (Message au
Congrès du 6 décembre 1904).
Roosevelt tenait un discours reposant sur l'idée de
puissance, évoquant un « pouvoir de police
internationale » pour réprimer les déviances, mais non
pour propager le modèle américain. Jusqu'à nos jours, les
réalistes ont toujours réclamé le statu-quo international
(l'équilibre des forces), ne cherchant pas à changer l'ordre du
monde à leur profit.Théodore Roosevelt pratiqua une politique
d'investissements (la « diplomatie du dollar », surtout
utilisée par son successeur : William H. Taft) et de menaces (« Big
Stick ») pour faire triompher les intérêts américains
dans leur zone d'influence (Caraïbes et Amérique Latine).
L'Idéalisme politique de Wilson
(1913-1921)
« La présidence de Woodrow Wilson,
présidence qui, de toute l'histoire des Etats-Unis, constitue
probablement son moment le plus idéologisé ». Le
Président W. Wilson avait une vision idéaliste des relations
internationales (voir les choses telles qu'elles devraient être, telles
que l'on souhaiterait qu'elles soient). En effet, pour lui, les relations
internationales devraient être harmonieuses et pacifiques grâce
à l'obéissance des états à des règles de
droit international et à un ordre garanti par des organisations
supranationales : « Il doit y avoir, non pas un équilibre des
puissances, mais une communauté des puissances ; non pas des
rivalités organisées, mais une paix commune organisée
» (Discours du 22 janvier 1917 au Sénat, Wilson). Wilson remettait
en cause la diplomatie européenne traditionnelle, reposant notamment sur
le secret. Internationaliste convaincu, il croyait en la coopération des
états, au multilatéralisme : les prises de décision en
matière d'action extérieure devraient être prises en
consultation avec la communauté internationale et/ou reposer sur une
action commune. « C'est principalement l'idéalisme
wilsonien qui a imprimé son rythme à la politique
américaine depuis sa présidence historique, et qui l'inspire
aujourd'hui encore »
Faisant sien le concept de « Destinée
Manifeste » pour affirmer la mission quasi-divine des Etats-Unis de
démocratiser le monde, il affirmait notamment :
« Je crois que Dieu a présidé
à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer
la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la
liberté »
Contrairement aux réalistes, les idéalistes
tiennent un discours fondé sur la morale, revendiquant un changement du
monde à leur image, afin de le faire progresser. L'Amérique est
perçue comme le meilleur modèle démocratique du monde, la
démocratie libérale, qui s'appuie sur les libertés
publiques, mais aussi l'économie de marché. A la même
époque (années 1920-1930), l'Union Soviétique naissante se
construisait sur une idéologie à vocation universelle dont les
valeurs étaient fondamentalement différentes et opposées
à celles des Etats-Unis : athéisme, démocratie populaire,
communisme, et rejet de l'économie de marché. Cette opposition
idéologique sur la vision du monde de l'URSS et des USA est essentielle
à une bonne compréhension de la vision du monde des Etats-Unis
durant la Guerre Froide, de 1947 à 1991.
Enfin, pour affirmer ses positions, Wilson reprenait les
théories de Kant, selon lesquelles les démocraties ne se font pas
la guerre. Le modèle démocratique américain était
donc considéré comme le plus vertueux, garant de liberté,
prospérité et sécurité :
« L'Amérique est la seule nation idéale
dans le monde [...] L'Amérique a eu l'infini privilège de
respecter sa destinée et de sauver le monde [...] Nous sommes venus pour
racheter le monde en lui donnant liberté et
justice. »
Les fameux « 14 points » de Wilson, qui
servirent de base à la paix de 1918 et à la création de la
Société des Nations, ancêtre des Nations-Unies, constituent
une synthèse parfaite de la pensée du président
américain. Pourtant, celui-ci fut désavoué par le
Sénat en 1920, qui refusa de signer le Traité de Versailles que
Wilson avait pourtant négocié : les tendances isolationnistes
avaient repris le pouvoir ; elles restèrent prépondérantes
durant les années 1920-1930.
Chapitre II : Pratique et évolution de la
politique étrangère américaine depuis la fin de la
première guerre mondiale à la fin de la guerre froide
Section A : Pratique et évolution de la
politique étrangère américaine de 1919 à 1948
L'isolationnisme relatif des années
1920-1930
Après la Première guerre mondiale, l'opinion
publique américaine désire profiter de la paix retrouvée,
de la prospérité du pays, et se protéger de tout
engagement avec les européens qui pourraient à nouveau les
conduire à la guerre. Le républicain Warren G. Harding est
élu à la Présidence en 1921 avec comme slogan le «
retour à la normale ». Mais le retrait américain des
affaires européennes ne fut que relatif : les Etats-Unis
s'occupèrent en effet activement des questions des remboursements des
prêts que les états européens avaient contracté
pendant la guerre, ainsi que de la question des importantes réparations
que l'Allemagne tardait à payer.
Les Plans Dawes (1924) et Young (1929) permirent de
réduire les réparations et initièrent les prêts
américains à l'Allemagne. Les Etats-Unis s'engagèrent
également pour le désarmement naval (1924 : traité des
neuf puissances). Enfin, en 1928, le pacifisme américain s'exprima par
le Pacte Briand-Kellog (des noms des responsables de la politique
étrangère française et américaine) qui mettait la
guerre hors la loi mais restait d'une valeur symbolique.
Avec la crise économique de 1929 et la profonde
dépression qui frappa les Etats-Unis puis le monde, la politique
étrangère fut mise de côté. Franklin Delano
Roosevelt (président de 1933 à 1945) fut en effet élu sur
un programme de redressement économique, la Nouvelle Donne (New Deal).
Une vague d'isolationnisme déferla sur l'Amérique alors que les
crises internationales se multipliaient (invasion de la Mandchourie par le
Japon en 1931, arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne en 1933,
invasion de l'Ethiopie par l'Italie en 1935). Des lois de Neutralité
furent votées en 1935, 1936 et 1937, interdisant d'exporter des armes
vers des états belligérants, ou de leur accorder des prêts
et crédits). Cependant, ces lois furent progressivement
révisées lorsque les évènements conduisant à
la guerre s'accélèrent dès 1938 (Anschluss, puis
début du second conflit mondial en Europe).
Roosevelt, la seconde guerre mondiale et
l'après-guerre : l'application des principes wilsoniens dans un contexte
international favorable (1941-1948)
C'est au nom de la défense de la démocratie que
Roosevelt engagea progressivement son pays dans la guerre, en consentant un
prêt-bail d'armes aux Anglais : « Nous devons
être le grand arsenal de la
démocratie » (conférence de
presse, le 17 décembre 1940). Après l'attaque de Pearl Harbor le
7 décembre 1941, les Etats-Unis entraient en guerre contre les
fascismes.
Roosevelt s'inspira alors largement de Wilson lors de son
engagement dans la Seconde Guerre Mondiale : il désirait faire triompher
la civilisation dont l'Amérique se devait d'être le héraut
; la guerre était perçue comme la lutte entre les forces du Bien
(les démocraties alliées) et celles du Mal (les fascismes de
l'Axe). La victoire assurée, les Etats-Unis, seule puissance encore
prospère, présida à la reconstruction du monde nouveau.
L'influence des conceptions wilsoniennes fut patente lors de la
conception des grandes institutions internationales - ONU) qui projetaient au
niveau mondial les valeurs américaines : respect de la démocratie
et des droits de l'homme, libéralisme économique et de
marché, règlement pacifique des différends... Les
Etats-Unis expérimentaient même l'exportation de leur
modèle grandeur nature au Japon, qu'ils occupèrent durant sept
ans, et dont ils changèrent radicalement les structures. Pourtant
l'idéalisme wilsonien ne fut pas triomphant. Suite à la
faillite de la Société des Nations (1920-1946), Roosevelt est
aussi l'homme réaliste qui institue le Conseil de Sécurité
au sein des Nations Unies, qui regroupent les "cinq gendarmes" (Etats-Unis,
Grande Bretagne, France, Chine, URSS) responsables de l'ordre mondial.
Section B : Pratique et évolution de la
politique étrangère américaine durant la Guerre Froide
Un contexte international contraignant : la Guerre Froide
et ses doctrines
Le contexte international particulier que fut celui de la «
Guerre Froide » contraignit fortement la politique étrangère
américaine. En effet, l'URSS et l'idéologie communiste
représentaient le pendant du modèle américain. A la fin de
la Seconde Guerre Mondiale, l'URSS émergea comme seconde grande
puissance après les Etats-Unis. Elle profita des bouleversements de
l'après-guerre pour imposer son modèle en Europe orientale et en
Asie. L'animosité et l'affrontement étaient inévitables
entre les deux puissances qui jouèrent de leurs moyens militaires et
financiers pour faire avancer leurs pions.
La théorie de politique étrangère qui domina
et déclencha la Guerre Froide était la politique dite de
« l'endiguement », ou « Containment ».
Elle fut formulée ainsi par George Kennan en 1947, dans
un article publié dans Foreign Affairs : « Le
principal élément de toute politique des Etats-Unis
vis-à-vis de l'URSS doit être un endiguement des tendances
expansives de la Russie, à long terme, avec patience, mais
fermeté et vigilance ».
Cette politique fut appliquée par le président
Truman (1945-1953) qui devait assurer la transition d'une politique wilsonienne
à une politique réaliste. Le plan Marshall, prévoyant une
aide économique importante pour les pays exsangues d'Europe occidentale,
en fut l'outil le plus important : en effet, il permit de conserver dans le
giron des démocraties libérales ces pays sans ressources suite
à la guerre. Lorsque les moyens financiers ne suffisaient pas à
trancher, les deux puissances s'affrontèrent militairement, comme ce fut
le cas durant la guerre de Corée de 1950-1953. Dans ce contexte, les
réalistes furent prépondérants et
développèrent des théories solides sur lesquelles devait
reposer l'action politique, comme celle que formula Morgenthau en 1948 : une
vision réaliste doit impliquer que la stabilité internationale
repose sur l'équilibre des forces, toute tentation de recourir à
la violence devant être désamorcée par la menace
crédible d'une contre-violence. La diplomatie mise en oeuvre fut donc
celle de la dissuasion.
Les démocrates wilsoniens dans la guerre
froide
Rapidement, l'acquisition par l'URSS de l'arme atomique rendit
improbable un affrontement frontal, car un tel conflit aurait mené
à une destruction mutuelle des belligérants. C'est
l'équilibre de la terreur qui contraignit les présidents
américains à pratiquer une politique étrangère
pragmatique :
- John F. Kennedy (1961-1963), démocrate
wilsonien, créa les « Peace corps », corps de volontaires pour
le développement, la préservation de la paix et la diffusion des
valeurs américaines. Mais confronté à la crise des
fusées de Cuba en 1962, il appliqua une « realpolitik » face
à l'URSS. De plus, face à l'avancée du communisme au
Vietnam, il y envoya les premières troupes
américaines. - Son successeur, Lyndon Johnson
(1963-1969), mena une politique libérale au plan
intérieur (abolition de la ségrégation raciale en 1964),
mais s'enfonça maladroitement au Vietnam en engageant de plus en plus de
troupes.
La guerre de Vietnam initie une nouvelle ligne de partage des
politiques : les « faucons », partisans du prolongement de
l'engagement américain, et les « colombes » qui souhaitent la
paix.
La rupture néo-réaliste du tandem
Nixon-Kissinger (1969-1974)
« L'équilibre des puissances et non
la paix est l'objectif de tout homme d'Etat qui doit être pragmatique et
réaliste et prêt au compromis en évitant des objectifs
idéologiques ». Henry Kissinger.
Lors de son arrivée au pouvoir en 1969, le
républicain Nixon appela l'expert en politique étrangère
Henry Kissinger au poste d'assistant pour les affaires de
sécurité nationale. Ce duo mena la politique la plus
réaliste (et la moins idéologique) de l'histoire des Etats-Unis.
Kissinger renouait avec le réalisme traditionnel de Roosevelt en le
modernisant, Nixon partageant cette vision du monde : le duo poursuivit certes
la politique d'endiguement vis à vis de l'URSS, mais il porta un regard
froid sur cette lutte en refusant de prendre en compte le facteur
idéologique.
Nixon et Kissinger considérèrent la Guerre Froide
comme un affrontement entre deux grandes puissances dont les
intérêts étaient concurrents. La mise en sourdine de la
lutte idéologique permit à Nixon de se retirer du Vietnam en 1973
et de fonder une alliance stratégique avec l'autre grand pays communiste
qu'était la Chine. Ce revirement inattendu constitua un véritable
« coup de poker » du duo qui se révéla être un
grand succès diplomatique, menant à la « détente
» (accords avec l'URSS sur la limitation des armes stratégiques,
SALT I en 1972 et SALT II en 1974). Pourtant les Etats-Unis se fourvoyaient
dans des alliances avec des états autoritaires, participant au
renversement de Salvador Allende par le Général Pinochet au
Chili, en 1973. Après la démission de Nixon suite au scandale du
Watergate, Gerald Ford (1974-1977) reprit le flambeau présidentiel en
conservant Kissinger à la tête de la politique
étrangère du pays. La continuation de la politique
précédente aboutit à la signature des accords d'Helsinki
en 1975, fondant la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la
coopération en Europe, avec participation de l'URSS et des USA).
Nixon et Kissinger, en pratiquant un réalisme poussé qui
n'avait pas été repris depuis Théodore Roosevelt,
bouleversèrent les données de la politique
étrangère américaine pour une courte durée. En
effet, dès 1977, le démocrate Carter, renoua avec la tradition
américaine mêlant morale et politique.
Carter et le retour de la morale (1977-1981)
En 1977, après les présidences républicaines
de Nixon et Ford, le démocrate Carter ré-instaura la morale et le
droit dans la politique américaine, par la promotion et la
défense des droits de l'homme dans le monde. Ce nouveau cheval de
bataille lui permit de continuer à s'opposer à l'URSS sur ce
point tout en nouant des alliances plus morales et moins opportunistes. Cela
permit pour un temps de redonner une « virginité idéologique
» aux USA, qui s'étaient compromis avec des régimes
autoritaires durant les années 1970. Le meilleur exemple en est sans
aucun doute le travail que fit Jimmy Carter pour qu'israéliens et
égyptiens signent un accord de paix. La rencontre de Camp David entre
Anouar el-Sadate, président égyptien, et Menahem Begin, premier
ministre israélien en 1979, fut l'un des faits marquants de la
présidence de Carter. Cependant, l'idée de la
supériorité et de l'exception américaines étaient
toujours présents : « Nous avons notre forme de
gouvernement démocratique que nous pensons être la meilleure. Dans
tout ce que je fais concernant la politique intérieure ou
extérieure, j'essaie de faire en sorte que les gens réalisent que
notre système fonctionne [...] et que cela puisse servir d'exemple
à d'autres. » (Carter, Discours du 2
mai 1977). Souhaitant se rallier d'autres partenaires, les Etats-Unis
pratiquèrent une politique d'ouverture, de séduction et de «
coexistence pacifique » avec l'Union Soviétique notamment.
Pourtant, l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS en 1979 marqua la fin de cette
politique et le retour à la politique de Containment.
La synthèse reaganienne (1981-1989) : la fin
du multilatéralisme ?
Selon plusieurs auteurs, le président Ronald Reagan a
incarné une synthèse presque parfaite des courants
réalistes et idéalistes de la politique étrangère
américaine.
- D'un côté, il entraîna l'URSS dans
la « Guerre des étoiles », projet
titanesque qui contribua en grande partie à grever les finances
déjà vacillantes de l'Union Soviétique, il fit financer et
armer les opposants au communisme dans plusieurs pays (antisandinistes du
Nicaragua, combattants afghans et surtout islamistes en Afghanistan...), et
gagna l'opinion publique à sa politique en la présentant en des
termes manichéens, désignant l'URSS comme « l'Empire du mal
», et s'attaquant déjà à « la
confédération des Etats terroristes » , visant
essentiellement l'Iran et la Libye. (Discours sur l'état de l'Union de
1985). - D'autre part, Reagan se fit le fer de lance de la lutte
pour la diffusion de la démocratie dans le monde. S'appuyant
sur une théorie formulée par Jeanne Kirkpatrick selon laquelle
les dictatures de droite, contrairement à celle de gauche (communisme)
sont capables de s'auto-réformer au point de se transformer en
démocraties libérales, il élargit de façon
conséquente les territoire d'application de la démocratisation et
justifiait l'importance des moyens qu'il désirait consacrer à
cette cause : « Autour du monde aujourd'hui, la révolution
démocratique gagne en force [...]. Nous devons être fermes dans
notre conviction que la liberté n'est pas uniquement la
prérogative de quelques privilégiés mais un droit
inaliénable et universel pour tous les êtres humains
» (Discours du 8 juin 1982).
Mêlant dans ses discours des idées de puissance et
de morale, Reagan réussit ainsi à construire une véritable
« morale stratégique » américaine : combattre pour la
démocratie dans le monde devait permettre la préservation des
intérêts américains en tant que première
démocratie. Agissant selon des pratiques réalistes, il
désirait cependant renverser le statu-quo au profit des Etats-Unis, et
non plus maintenir l'équilibre, comme le fit Nixon. Il utilisait la
démocratie non seulement comme fin, mais également comme moyen
pour arriver à des fins plus pragmatiques : la chute de l'URSS.
Toutefois, il convient de préciser que contrairement aux
wilsoniens qui favorisaient le multilatéralisme, Reagan n'eut aucun
scrupule à agir seul, unilatéralement, dédaignant des
institutions internationales qui avaient intégré depuis les
années 1960-1970 de nombreux pays du Tiers-Monde, peu favorables aux
USA. Ce dédain à l'égard des institutions
internationales allait s'amplifier durant les années 1990 et
suivantes...
Chapitre III: La politique étrangère
américaine contemporaine
Section A : Un nouvel ordre mondial ?
George Bush (1989-1993) : créer l'après
Guerre Froide
George Bush eut la charge difficile d'être le premier
président américain depuis près de 50 ans à faire
passer le monde de l'ancien système international bipolaire de la Guerre
Froide à un nouveau contexte mondial dans lequel les Etats-Unis avaient
le statut d'unique grande puissance. Le président, qui appartenait
à la branche « réaliste » et gestionnaire des
reaganiens s'attacha, dans un contexte international très instable,
à créer de nouveaux liens avec l'ancien ennemi russe et ses
satellites qui proclamaient alors tour à tour leur indépendance.
Décider des nouveaux objectifs de politique étrangère des
Etats-Unis dans le monde de l'après Guerre Froide, il lança, avec
ses conseillers, le concept de « Nouvel Ordre Mondial
», éminemment wilsonien, puisqu'il se basait sur le
respect du droit international et des grandes institutions de
coopération : « Nous nous devons aujourd'hui, en
tant que peuple, d'avoir une intention de rendre meilleure la face de la nation
et plus douce la face du monde »
C'est en partie au nom de ce nouvel ordre mondial que les
Etats-Unis s'opposèrent militairement à l'invasion du Koweït
par l'Irak en 1990-1991, et ce dans le cadre d'une politique
multilatéraliste, puisque la coalition dirigée par les Etats-Unis
s'était constituée dans le cadre officiel des Nations Unies.
Cependant, cette guerre, dite « Guerre du Golfe », allait
avoir des conséquences désastreuses dans les années 1990
et le début du XXIème siècle : la présence
américaine sur les lieux saints de l'islam et l'évidente
hégémonie économique et militaire des Etats-Unis
révélèrent au monde entier que l'on était bien
passé à une autre ère de l'histoire des relations
internationales... Les Etats-Unis allaient-ils devenir les « gendarmes du
monde », voire imposer au monde entier leur système de valeurs ?
Clinton : le retour des démocrates
(1992-2000)
L'originalité de Bill Clinton a été
d'étendre à la sphère économique le concept de
sécurité nationale américaine. « Wilsonien
pragmatique », il a lié le libéralisme économique au
modèle démocratique. Bill Clinton a ainsi conduit une politique
de soutien aux pays les plus prometteurs dans ces deux domaines, afin de rendre
le monde plus sûr pour les démocraties et les Etats-Unis.
« Notre stratégie de
sécurité nationale est donc fondée sur l'objectif
d'élargir la communauté des démocraties de marché
tout en dissuadant et en limitant la gamme des menaces qui pèsent sur
notre nation, nos alliés et nos intérêts. Plus la
démocratie et la libéralisation politique et économique
s'imposeront dans le monde, notamment dans les pays d'importance
stratégique pour nous, plus notre nation sera en sécurité
et plus notre peuple sera susceptible de
prospérer ».
Contrairement aux réalistes, Clinton a favorisé le
Soft power (Pouvoir attractif) aux dépens du Hard power (pouvoir
coercitif, notamment les moyens militaires). Ce concept de Soft power, qui est
« la capacité d'arriver à ses fin par un pouvoir de
séduction et d'attirance, plutôt que par la menace ou la
marchandage. », a été défini par Joseph S. Nye,
secrétaire adjoint à la Défense de 1994 à 1995. Il
s'appuyait notamment sur la coopération internationale et donc le
multilatéralisme. Cependant, la politique étrangère de
Clinton devint de plus en plus unilatéraliste sous l'influence du
Congrès très conservateur. Bill Clinton enregistra des
demi-succès : Accords Rabin-Arafat en 1993 et accords de Wye Plantation
en 1998, mais remise en cause de ces progrès en 2001 ; intervention et
victoire de l'OTAN en 1999 au Kosovo, mais persistance des conflits dans la
région, entre autres.
George W. Bush : les néoconservateurs et
l'hyper-terrorisme (2000- ...)
Comme plusieurs ouvrages (America is back, Washington et le
monde...) et documentaires (Fahrenheit 9/11, le monde selon Bush)
le notent, il convient d'abord de souligner a quel point le nouveau
président Bush est apparu en novembre 2000 comme peu
intéressé par les questions de politique étrangère,
laissant envisager un isolationnisme modéré (projet du bouclier
antimissile ). Mais le poids de l'entourage du président et
l'accélération des événements suite aux
attaques-attentats du 11 septembre 2001 ont provoqué un grand changement
de stratégie internationale des Etats-Unis. Dans l'équipe
présidentielle composée essentiellement de
néo-conservateurs (v.def) d'obédience reaganienne, les
modérés, des gestionnaires réalistes (Colin Powell,
Secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, secrétaire à la
Sécurité Nationale), s'effacent derrière le poids des
extrémistes (Donald Rumsfeld, Ministre de la Défense, Paul
Wolfowitz, son conseiller, et John Ashcroft, ministre de la justice), qui font
partie des wilsoniens réalistes.
Ces néo-conservateurs cherchent à façonner
le monde selon les valeurs américaines, comme désirait le faire
le président Wilson au début du XXème siècle, comme
le montrent nombre d'interventions du président Bush, dont celle du 12
septembre 2001 : « nous avons trouvé notre
mission ». Mais, comme Roosevelt, ils emploient des moyens «
musclés » (menaces et coercition militaire) pour arriver à
leur fins, et non l'instauration et le respect de règles
internationales. C'est pourquoi Pierre Hassner, spécialiste des
Etats-Unis, qualifie leur politique de « wilsonisme botté
».
Les attaques-attentats du 11 septembre, en provoquant un choc
psychologique important, ont ainsi constitué une véritable
opportunité à une partie de l'équipe présidentielle
de George W. Bush. En effet, les « faucons » de l'administration
Bush, formés dans le contexte de la Guerre froide, recherchaient un
moyen de conserver une marge de supériorité et la puissance
américaine, qui ne se justifiait plus dans le contexte des années
1990.
Le 11-septembre a été le déclencheur d'une
nouvelle forme de conflit, celle d'une gigantesque puissance contre ce que
George W. Bush a nommé « l'axe du Mal »... Mais quel est cet
« axe du Mal » ? Des Etats aussi différents et sans
relations comme la Corée du Nord et l'Iran ? Des Etats
autoritaires ? La civilisation et la religion musulmanes ? Le
terrorisme ? Mais peut-on faire la guerre contre le terrorisme, alors que
ce terme ne désigne qu'un moyen de faire la guerre, et non une
idéologie, un système économique, une religion, une
culture ou une civilisation, et encore moins un Etat ?
Section B : La politique étrangère
de l'administration George W. Bush : rupture ou continuité da ns
l'histoire américaine ?
Revenons à la réflexion de Kerry pour examiner la
politique de l'équipe Bush : « tout simplement,
l'administration Bush a poursuivi la politique étrangère la plus
inepte, la plus arrogante et la plus idéologique dans l'histoire
moderne ». (Discours au Council on Foreign
Relations le 3 décembre 2003).
La politique étrangère de l'équipe Bush est
certainement l'une des plus «idéologiques» de l'histoire des
Etats-Unis. Elles s'appuie sur un événement fondateur (le 11
septembre) constitutif d'une doctrine claire (la lutte contre toute forme de
terrorisme et de menaces), servie par des formules percutantes et simples telle
que « L'axe du mal ». Cette doctrine est mise en oeuvre à
travers une argumentation très wilsonienne, se référant
à la mission divine des Etats-Unis de rendre le monde meilleur. Elle a
en outre l'avantage d'être assez polymorphe pour légitimer toute
intervention, même injustifiée, sous la forme de « guerre
préemptive », que l'équipe Bush a élevée au
rang de stratégie (comme l'invasion de l'Irak et le renversement de
Saddam Hussein).
La référence à « l'arrogance » de
la politique étrangère de Bush constitue vraisemblablement une
critique de l'unilatéralisme dont fait preuve l'équipe
présidentielle. En effet, John Kerry, démocrate dans la
lignée de Bill Clinton, condamne l'attitude de l'équipe Bush qui,
après un recours opportuniste au multilatéralisme (formation
d'une coalition internationale contre le terrorisme), intervient en Irak contre
l'avis général de l' opinion internationale, appliquant la
formule : « multilatéraliste si possible, unilatéraliste
quand nécessaire ». L'équipe Bush a ainsi l' «
arrogance » de profiter pleinement du statut de grande puissance des
Etats-Unis, qui leur permet de refuser l'implication dans les accords
internationaux et de faire cavalier seul (refus de faire ratifier et appliquer
le Protocole de Kyoto de 1997, refus de reconnaître la Cour
Internationale de Justice, ...).
Ainsi, appliquant une idéologie forte, l'administration
Bush ne constitue pas réellement une rupture dans la pratique de
politique étrangère américaine. Au regard de l'Histoire,
les Etats-Unis ont toujours associé de manière traditionnelle la
moralité à la puissance. L'administration Bush marque seulement
l'application d'une nouvelle obédience idéologique, «
néo-conservatrice », qui allie la moralité wilsonienne, aux
moyens réalistes de Roosevelt. « [...] pour la
première fois, le wilsonisme serait réaliste puisqu'il ne
s'affirmerait plus par l'intermédiaire d'une organisation internationale
impuissante ou suspecte, mais par celui d'un empire irrésistible et
bienveillant » (Entretien avec Pierre Hassner et Justin
Vaisse, Questions Internationales, p. 55).
En revanche, la pratique très unilatéraliste de la
politique étrangère de l'administration Bush et son mépris
apparent des institutions et des règles internationales marque un
tournant dans l'attitude des Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, alors que c'est ce même pays qui avait présidé
à la naissance de ces institutions mondiales.
« Les Etats-Unis s'efforceront constamment
d'attirer le soutien de la communauté internationale, mais
n'hésiteront pas à agir seuls, si nécessaire, afin
d'exercer leur droit à la défense, en agissant de façon
préventive contre les terroristes, dans le but de les empêcher de
causer des dommages au peuple américain et au
pays ». (Stratégie de Sécurité
Nationale de l'administration Bush en 2002)
L'équipe Bush ne constitue donc pas une rupture dans les
fins, mais bien sur les moyens, l'unilatéralisme et la
généralisation du concept de guerre préventive s'opposant
au pragmatisme de la pratique américaine de la politique
étrangère.
Ainsi, même si les candidats démocrates s'opposent
farouchement à la politique étrangère menée par
George W. Bush, ils n'ont pas présenté, sur le fond, une
alternative si dissemblable. Il fonde sa différence en priorité
sur le retour au multilatéralisme (un multilatéralisme «
musclé »...) et propose une « nouvelle ère
d'alliances ».
Bibliographie :
Blin Arnaud, Le désarroi de la puissance : Les
Etats-Unis vers la guerre permanente ?,
Lignes de
Repères, oct. 2004
Chaliand Gérard et Blin Arnaud, America is Back : Les
nouveaux césars du pentagone,
Bayard, 2003
Chomsky Noam, De la guerre comme politique
étrangère des États-Unis,
Agone,
Collection Contre-Feux, 2002
Guisnel Jean, Bush contre Saddam. L'Irak, les faucons et
la guerre,
La
Découverte, Cahiers libres, 2003
Kaspi André, Les Américains,
Point Seuil Histoire, 2 vol.,
1990.
Martin Jean-Pierre, Royot Daniel, Histoire et Civilisation
des Etats-Unis,
Nathan Université,
collection fac. Histoire
Nguyen Eric, La politique étrangère des
Etats-Unis depuis 1945, de Yalta à Bagdad,
Studyrama,
coll. Principes, nov. 2004
Nouailhat Yves-Henry, Les Etats-Unis et le monde de 1898
à nos jours,
Armand Colin, Paris,
2003, 359 p.
Zinn Howard, Une histoire populaire des Etats-Unis
d'Amérique, de 1492 à nos jours,
Agone,
2002
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