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La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring

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par Daniel KIMBMBA KAHYA
Université catholique du Congo - Licence 2012
  

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III.2.4. L'application des préceptes universels, immuables et négatifs

La compréhension des actes intrinsèques proposée par B. Häring soulève une question : peut-t-on être dispensé parfois d'observer les préceptes universels, immuables et négatifs comme ceux édictés par le décalogue? En effet, Thomas d'Aquin prend position à ce sujet et soutient qu'on peut être dispensé d'observer un précepte du décalogue, quand un cas particulier se présente où l'on irait à l'encontre de l'intention du législateur si l'on observait le précepte à la lettre (I-II, q. 100, a. 8). La première objection à laquelle il répond porte sur un précepte négatif : Le décalogue défend l'homicide, Tu ne tueras pas. Or, les hommes dispensent de ce précepte puisque les lois humaines permettent de mettre à mort, entre autres, les malfaiteurs et les ennemis de la patrie.289(*)

En répondant à l'objection, Thomas d'Aquin ajoute un mot: Tu ne tueras pas injustement. Dans certains cas, il est conforme à la justice de tuer un être humain. L'homicide que le commandement défend, c'est l'homicide injuste, qu'on appelle communément le meurtre, et que le Petit Robert définit ainsi : « Action de tuer volontairement (sic) un être humain. » Volontairement ne convient pas : il faut dire injustement, car, à la guerre, on tue volontairement mais pas toujours injustement »290(*).

Après avoir répondu à l'objection portant sur l'homicide, Thomas d'Aquin applique son principe à d'autres cas. Il est dit: Tu ne voleras pas. C'est un autre précepte négatif, comme dit l'encyclique de Jean-Paul II, Veritatis Splendor.291(*) Selon Thomas d'Aquin, il existe des circonstances où il est conforme à la raison, donc moral, d'enlever à une personne quelque chose qui lui appartient. En l'occurrence, on ne commet pas le vol défendu par le commandement. L'encyclique a beau dire que le commandement négatif « interdit toujours et dans tous les cas »292(*), il faut savoir reconnaître les cas auxquels s'applique l'interdiction et les cas auxquels elle ne s'applique pas. Or, il existe des cas où le commandement: Tu ne voleras pas ne s'applique pas. Par exemple, dans le cas d'extrême nécessité non seulement une personne peut prendre sur le bien d'autrui ce qui lui est nécessaire pour subsister, mais une tierce personne ne peut le prélever pour elle (II-II, q. 66, a. 7). Autre exemple : dérober les armes des terroristes, ce n'est pas voler.293(*)

L'examen des diverses circonstances de l'action concrète va conduire à des principes propres, tirés de l'expérience, et ce sont ces principes propres et non les principes universels qui règlent immédiatement l'action singulière, concrète. Thomas d'Aquin est catégorique à ce sujet : « Dans les actions humaines particulières [ce mariage et non le mariage, cet avortement et non l'avortement], l'homme ne peut s'appuyer sur des principes absolus ; il doit s'appuyer sur des règles vraies dans la plupart des cas seulement. Ces règles que l'expérience lui enseigne, ce sont les principes propres de l'action concrète » (II-II, q. 49, a. 1). L'encyclique Veritatis Splendor parle de la connaissance universelle (VS 55) que la conscience applique à l'action concrète, mais elle ne mentionne pas que cette application se fait par le truchement du principe propre, fruit de l'expérience, dont parle Thomas d'Aquin. Pourtant, c'est le principe propre, fruit de l'expérience et valable dans la plupart des cas seulement, qui règle l'action singulière. Ce principe comporte donc des exceptions puisqu'il n'est valable que dans la plupart des cas.295(*)

Partant de ce qui précède on peut donc affirmer que les préceptes du décalogue sont, en soi, immuables, comme le dit Thomas d'Aquin, immutabilia sunt (I-II, q. 100, a. 8, sol. 3) et qu'il sera toujours interdit de tuer injustement un être humain, de prendre injustement le bien d'autrui ou de commettre sciemment l'adultère ; on ne peut pas être dispensé d'honorer son père et sa mère. Comme le dit Jean Paul II dans l'encyclique Veritatis Splendor, ces préceptes sont, en soi, universels et immuables ; mais, dans l'application aux cas particuliers des préceptes universels et immuables, même négatifs, le problème se pose toujours de savoir si tel acte honore son père et sa mère, si tel acte est un homicide défendu par le commandement, si tel acte est un vol défendu par le commandement, etc296(*). Hoc est mutabile, cela est changeant, variable, dit Thomas d'Aquin (I-II, q. 100, a. 8, sol. 3). Ce n'est pas la dictature du relativisme, mais le royaume du relatif : il n'y a pas d'absolu à ce niveau, affirme Thomas d'Aquin. Les principes moraux universels et immuables dont parle La splendeur de la vérité restent donc inviolables et intouchés. Donc, pour la bonne conduite de la vie, les préceptes généraux, universels, immuables ne suffisent pas.

Actuellement, dans notre société, la considération des éléments subjectifs s'est considérablement enrichie par les découvertes de la psychologie, notamment des profondeurs, permettant ainsi de mieux cerner la réalité individuelle du péché, il apparaît qu'une insistance trop unilatérale sur cet aspect risque de faire perdre l'aspect objectif premier de la faute et de la peine vindicative qui lui est attaché. En d'autres termes, un personnalisme déséquilibré qui ne concevrait plus que des actes singuliers n'ayant sens et valeur que pour celui qui les pose, ne risque-t-il pas de miner de l'intérieur la vie commune sociale. Celle-ci ne serait plus alors un tout qui subsiste grâce aux relations droites de chacun des membres avec ses semblables, son bien commun ne sera saisi que comme la somme des biens particuliers ; et par conséquent, les valeurs qui doivent fonder le consensus social s'effritent et disparaissent. Alors, comment concilier de façon harmonieuse les avancées de la réflexion théologique, qui préconise surtout l'aspect subjectif des actes, avec les données d'une sagesse séculaire (L'Eglise) qui privilégie plutôt l'aspect objectif. L'explication de la place et du rôle de la conscience morale que donne Häring tente une conciliation entre les deux tendances opposées sur l'objectivité et la subjectivité de l'acte moral et par conséquent du jugement sur la moralité des actes humains.

* 289 J. G. BELMANS, « Le paradoxe de la morale erronée d'Abélard à Karl Rahner », dans Revue Thomiste(1990), 90, p. 571.

* 290 Saint Augustin, Du Libre Arbitre, I, chap. 4

* 291 L. MELINA, La morale entre crise et renouveau. Les absolus moraux, l'option fondamentale, la formation de la conscience. Bruxelles, Culture et Vérité, 1995, p. 201.

* 292 Ibidem.

* 293294 Cfr. Ibidem.

* 295 Cfr. Ibidem.

* 296 Cfr Ibidem.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault