DEDICACE
A Eric KONGO, pilier de cette
promotion, mort avant,
A Emmanuel PEMBELE, mon ainé,
retourné auprès du Père il y a
quelques mois...
Je dédie ce travail !
AVANT-PROPOS
Nous voici au terme de ce deuxième cycle universitaire
à la Faculté de Théologie. Ce présent travail vient
couronner tous les efforts consentis au cours de ces cinq longues années
de licence passées à l'Université Catholique du Congo.
Pour y parvenir, nous avons eu l'assistance de plusieurs personnes qui nous ont
aidé à réaliser ce travail scientifique. Ainsi, nous
faisons notre, le devoir de nous acquitter de la dette de reconnaissance envers
toutes ces personnes.
Nous tenons de ce fait à remercier sincèrement
le Professeur Monseigneur Sébastien MUYENGO, évêque
auxiliaire de Kinshasa qui, malgré le temps qu'il devait consacrer
à sa nouvelle et lourde tâche épiscopale, a bien voulu
diriger ce travail. Nous le remercions de tout coeur. A travers lui, nous
pensons également à tout le corps professoral de la
Faculté de Théologie qui nous a donné une solide formation
scientifique. Aux amis et combattants de lutte de notre promotion, nous
réitérons les mêmes sentiments.
Nos remerciements s'adressent aussi à la
Société Saint Paul qui a eu confiance en nous, en nous envoyant
étudier dans une bonne institution académique. Nous pensons ainsi
à tous les confrères de notre circonscription et plus encore aux
membres de notre communauté du Juniorat. Que le Père Roberto
PONTI, recteur de la Communauté du Juniorat et en même temps
l'actuel Supérieur Régional, trouve à travers ces lignes,
l'expression de notre sentiment de reconnaissance à cause de ses
encouragements.
A tous ceux qui nous ont aidé de près ou de
loin, afin d'arriver à ce stade où nous nous retrouvons
actuellement, qu'ils retrouvent à travers ces pages notre sentiment de
reconnaissance.
Daniel KAHYA, ssp
SIGLES ET ABREVIATIONS
- AAS : Actae Apostolicae Sedes
- AM : Africae Munus
- CEC : Catéchisme de l'Eglise Catholique
- CENCO : Conférence Episcopale Nationale du Congo
- DC : Documentation Catholique
- ES : Ecclesia Suam
- G.S : Gaudium et Spes
- H.V : HumanaeVitae
- O.T : Optatam Totius
- R.P : Reconciatio et Poenitentia
- SCEAM : Symposium des Conférences Episcopales
d'Afrique et de Madagascar
- V.S : Veritatis Spendor
0. INTRODUCTION GENERALE
0.1 Problématique
L'appréciation de la bonté ou de la malice
morale d'un acte n'est pas chose simple. Les éléments dont il
faut tenir compte sont si nombreux qu'on ne sait pas toujours par où
commencer. Si l'on cherche conseil auprès des gens plus avisés
que soi, les uns diront qu'il faut accorder un poids prépondérant
à l'intention de celui qui agit. D'autres insisteront sur
l'objectivité de l'acte et sur son rapport de conformité à
la loi ou à ce qui est socialement reconnu et accepté. Suivant
une autre sensibilité, la priorité ira aux circonstances
concrètes dans lesquelles se déroule l'action. Certains
refuseront encore qu'on puisse apprécier un acte à sa juste
valeur tant qu'on n'a pas pris en compte ses multiples conséquences. Les
plus pointilleux voudraient enfin que la marche à suivre et les
critères d'appréciation dépendent de l'acte en question.
Ils feront valoir que ce n'est pas de la même manière qu'on
analyse et apprécie une action ou une omission, ni un acte dont on est
soi-même l'instigateur et que l'on commet seul, ou un acte que l'on
commet sous le conseil ou avec le concours d'un autre. Ils voudront aussi que
l'on tienne compte des facteurs qui ont pu diminuer, voire supprimer la
liberté de l'agent, puisque la responsabilité n'est pas la
même lorsqu'on agit avec plein consentement et en parfaite
lucidité, ou sous l'influence de la pression sociale, de la contrainte,
de la colère, de l'ignorance ou de la peur. Sans oublier bien sûr
qu'un jugement éthique sérieux suppose la prise en
considération de la complexité même du contexte dans lequel
l'acte se déroule et de la ou des multiples significations qu'il
revêt alors.
Au-delà de ce débat, le Catéchisme
de l'Eglise Catholique, affirme : « Il y a des
comportements concrets qu'il est toujours erroné de choisir parce que
leur choix comporte un désordre de la volonté,
c'est-à-dire un mal moral. Il n'est pas permis de faire le mal pour
qu'il en résulte un bien. »1(*) Il s'agit en particulier des actes qui ne peuvent pas
être orientés à Dieu, parce qu'ils sont en contradiction
radicale avec le bien de la personne, créée à l'image de
Dieu. Ce sont des actes qui, dans la tradition morale de l'Église, ont
été appelés intrinsèquement mauvais
(intrinsece malum) puisqu'ils le sont toujours en eux-mêmes,
c'est-à-dire indépendamment de leur objet.2(*)
En effet, le problème des actes intrinsèquement
mauvais est l'une des questions de discussion du renouveau provoqué en
théologie morale par le Concile Vatican II et les débats
soulevés par les encycliques Humanae vitae3(*) (1968) et Veritatis
Spelendor (1993).4(*)
En fait depuis quelques décennies déjà la théologie
morale était entrée dans une phase nouvelle de son
histoire : après une période d'exploitation relativement
paisible des doctrines et des solutions élaborées au cours des
siècles derniers, elle a connu un regain d'activité et
d'actualité comme le dit B. Häring : « Au cours
de ce siècle, il n'est pas sans doute de discipline théologique
qui ait connu des mutations aussi profondes que la théologie morale. Ces
mutations vont de pair avec la conception que l'Eglise a d'elle-même,
avec la relation Eglise-monde, avec le renouveau biblique, le dialogue avec les
sciences humaines, l'ouverture oecuménique, le pluralisme culturel... Il
s'agit donc d'une profonde crise d'identité concernant l'enseignement de
la théologie morale dans l'Eglise catholique et de l'identité
même du théologien moraliste »5(*).
Partant de ce qui précède, nous pouvons affirmer
que cette crise de la théologie morale était due à la
confrontation avec les problèmes et les mouvements d'idées que
provoque un monde en effervescence obligeant ainsi les chrétiens et les
théologiens moralistes catholiques à une révision des
exposés anciens de la morale.
Plusieurs auteurs ont corroboré cette idée de
renouveau de la théologie morale comme S. Pinckaers qui
affirme à ce propos: « On parle beaucoup aujourd'hui
d'une révision de la morale. Certains s'en réjouissent, d'autres
s'en effraient. Le problème est posé et le théologien ne
peut se dispenser de l'aborder, car il lui revient de rendre compte du
dépôt révélé de la foi, de la défendre
au besoin, d'en rechercher et d'en manifester les richesses (...) sous
l'inspiration de la foi et la direction de l'Eglise »6(*). Et comme nous l'avons
souligné ci-haut, durant cette crise, la question des actes
intrinsèquement mauvais était aussi au centre de
préoccupations et de discussions de moralistes catholiques et des autre
chercheurs et penseurs.
A la suite du Concile et de la publication de l'encyclique
Humanae vitae, la question des actes intrinsèquement mauvais a
suscité beaucoup d'interrogations et a dicté différentes
prises de position, d'abord sur des problèmes concrets et toujours
d'actualité dans le grand public comme la contraception, l'avortement,
la torture... Des problèmes concrets, la question est remontée
aux raisons et aux principes qui fondent les solutions, jusqu'à la
conception de l'agir moral sur laquelle on s'appuie et où on trouve la
doctrine classique des actes intrinsèquement mauvais.
Ainsi le problème s'est généralisé
et s'est étendu jusqu'à mettre en cause la systématisation
traditionnelle de la morale, fondée sur la loi naturelle avec ses
préceptes considérés comme universelles et immuables.
Puisque, pour certains auteurs, s'il n'y a pas d'actes intrinsèquement
mauvais, aucune loi ne peut être véritablement, parfaitement
universelle et immuable, soit s'appliquer toujours sans exception aucune dans
l'espace et dans le temps, quelle que soit l'époque ou la
culture.7(*)
Partant d'une telle affirmation, nous pouvons nous
demander : dans quelle mesure, un acte défini comme
intrinsèquement mauvais peut-il l'être pour tous sans exception,
chrétien, bouddhiste, musulman, athée, juif, païen,
africain, asiatique, ... Par ailleurs, quelle est l'actualité des actes
intrinsèquement mauvais aujourd'hui ? En d'autres termes, face aux
changements continuels et au progrès multiformes que l'humanité
ne cesse de réaliser, comment est perçu aujourd'hui la question
des actes intrinsèquement mauvais ?
0.2. Choix et
intérêt du sujet
La morale chrétienne a pour matière l'action
humaine dans sa conjonction avec l'action divine, et son but est d'orienter
l'activité de l'homme vers Dieu. Partant, la théologie morale
peut se définir comme la théorie de la quête active de Dieu
par l'homme.8(*) Or cette
recherche dans l'action recommence pour chaque homme, pour chaque
génération, et prend une forme nouvelle selon les
problèmes propres à chacun. A propos B. Häring
déclare : « L'histoire se déroule aujourd'hui
selon une dynamique et avec une rapidité que les siècles
passés ne pouvaient imaginer. L'Eglise vit dans l'histoire humaine et se
trouve appelée à en être le sel et la lumière ;
elle rencontre donc toujours de nouveaux signes des temps, de nouveaux
problèmes, de nouveaux défis. Par conséquent une
théologie répétitive trahirait la mission de
l'Eglise »9(*).
Nous ne pouvons plus donc nous contenter aujourd'hui
d'appliquer paresseusement et de répéter des formules
vieillies : suite à l'évolution de la techno-science, de
l'humanité en général et à l'agrandissement du
savoir et vu les conséquences de cette évolution, nous avons
estimé opportun de revenir dans cette investigation à la question
des actes intrinsèquement mauvais, de l'analyser à l'orée
du renouveau actuel de la théologie morale, de la confronter au contexte
actuel de la société, et tenter ainsi de proposer aux
chrétiens et à la société une nouvelle
manière de percevoir les actes intrinsèquement mauvais en nous
sur la foi et l'enseignement de l'Eglise.
En d'autre termes, au terme de notre deuxième cycle de
théologie, nous avons choisi de traiter un thème susceptible de
nous faire comprendre la situation difficile de la théologie morale dans
la période postconciliaire, car il est grand le risque de
désorientation et il n'est pas loin, non plus, le danger de céder
aux idéologies de l'heure. Aussi avons-nous voulu travailler sur le
renouveau de la théologie morale exigé et instruit par le
Magistère de l'Église en analysant la question spécifique
de l'acte moral et des actes intrinsèquement mauvais. Certes, beaucoup
de moralistes ont répondu favorablement à l'invitation du
Concile. Parmi ceux-ci, notre préférence est allée
à l'un des auteurs qui rappelle la vraie nature du renouveau attendu:
le révérend Père Bernard Häring. Auteur d'une
centaine d'ouvrages, de milliers d'articles, il est connu pour sa rigueur
doctrinale. Le choix de Bernard Häring est motivé par le fait que,
comme moraliste, il a voué toute sa vie à l'effort de
renouvellement de sa discipline. Il se rattache aux mouvements de renouveau qui
ont préparé le deuxième Concile du Vatican. Après
le Concile, il est resté constant dans ses recherches. La méthode
qu'il suit, à savoir la perspective historique associée à
une réflexion spéculative nous a également séduite.
Son attachement à l'Écriture Sainte, à la Tradition et au
Magistère de l'Église font de lui un maître sûr.
C'est ainsi qu'à juste titre que nous avons intitulé notre
travail : De la réception de la théorie des actes
intrinsèquement mauvais chez Bernard Häring.10(*)
0.3 Méthodologie du
travail
En partant de notre problématique, nous nous sommes
fixés l'objectif d'analyser la question des actes intrinsèquement
mauvais afin d'en proposer une nouvelle reformulation. Ce faisant, nous allons
procéder par trois méthodes complémentaires : d'abord
exposer les données historiques et contemporaines sur la question puis
les analyser. Ceci nous permettra de critiquer ces différentes
théories en nous inspirant de l'option fondamentale de B. Häring.
De cette analyse critique nous ferons une herméneutique prospective de
la question qui sera en même temps notre contribution. Donc notre
méthode sera une herméneutique analytico-herméneutique.
0.4 Division du travail
Notre travail comportera quatre chapitres, encadré
d'une introduction générale et d'une conclusion
générale.
Le premier chapitre sera essentiellement consacré
à la compréhension et aux débats et discussions sur la
question des actes intrinsèquement mauvais dans la tradition de l'Eglise
à travers les différentes périodes: la période
patristique, la scolastique classique, la scolastique moderne. A chacune de ses
périodes, nous essayerons de montrer la tendance générale
de l'époque puis les points de vue et positions de quelques auteurs ou
écoles connus.
Au deuxième chapitre, de notre travail, nous allons
ressortir la doctrine de l'église sur la question des actes
intrinsèquement mauvais, en analysant certaines documents
magistériels qui nous servirons de sources sur la question.
Sur la question des actes intrinsèquement mauvais,
certains auteurs soutiennent une position parallèle à celle que
prône le magistère de l'Eglise. Notre troisième chapitre
sera consacré à ces auteurs et plus particulièrement
à Bernard Häring qui en ferait partie : quelle est sa doctrine
morale ? Que dit-il à propos des actes intrinsèquement
mauvais ? Quels sont les points de divergences entre lui et le
Magistère de L'Eglise sur la question de l'agir moral...
Après ce débat, nous allons proposer au
quatrième chapitre, une réactualisation de la question des actes
intrinsèquement mauvais dans le contexte actuel de l'Eglise, de
l'Afrique et de notre pays : quelle est l'importance de la question des
actes intrinsèquement mauvais aujourd'hui dans l'Eglise ? Comment
aborder cette question dans le contexte actuel de notre pays ?...
CHAPITRE PREMIER :
LA THEORIE DES ACTES
INTRINSEQUEMENT MAUVAIS
I.0. Introduction
La question des actes intrinsèquement mauvais n'est pas
un thème isolé, mais elle se situe dans la longue histoire de la
morale chrétienne. Dans la préface de l'ouvrage, Le renouveau
de la théologie morale, de S Pinckaers, M-D. Chenu fait
l'éloge de la méthode historique :
« Aujourd'hui devant les résultats acquis, on ne conteste
plus l'efficacité ni la vérité de la méthode
historique »11(*). A ce propos, S Pinckaers affirme lui-même
que : « Le recours à l'histoire de la morale peut
être beaucoup plus éclairant qu'on ne pense souvent pour le
traitement de nos problèmes moraux. Il y'a plusieurs raisons à
cela, entre autres celle-ci : l'étude historique un peu approfondie
nous révèle l'existence de différentes modèles, de
différentes conceptions et systématisation de la morale dans la
longue tradition chrétien, entraînant différentes
façons de traiter les problèmes moraux. Cette confrontation avec
notre passé culturel nous fait ainsi apercevoir des horizons nouveaux et
nous aide à élargir nos perspectives, à sortir des
étroitesses de ce que nous appellerions volontiers notre petit
présent »12(*).
A notre tour, nous ne pouvons pas nous empêcher de
recourir à une science qui fait ses preuves et donne de bons
résultats. Ainsi, nous allons parcourir la question de la
moralité des actes à travers l'histoire de l'Eglise, depuis
les pères de l'Eglise jusqu'à la période après le
Concile Vatican II. En passant par la scolastique13(*),
Avant d'aborder le vif du sujet, il sied de souligner que
l'expression actes intrinsèquement mauvais n'existe pas avant
le 16ème siècle. Selon S Pinckaers, les grands
théologiens de l'époque médiévale
considéraient ce thème comme un corollaire de leur traité
sur la moralité14(*). Partant, on ne peut pas prétendre suivre la
problématique des actes intrinsèquement mauvais selon une
filière continue de textes depuis les pères de l'Eglise jusqu'aux
moralistes actuels comme, par exemple, pour une autre question
(vérité, mensonge, salut...).
Mais, malgré cette discontinuité de la question
des actes intrinsèquement mauvais dans l'histoire de la théologie
morale, nous trouvons déjà son ébauche dans les
discussions et les querelles des penseurs et philosophes antique. L'un des
problèmes qui les préoccupent est celui de l'origine du mal et
du péché. On a ainsi le plus souvent considéré que
la question est intimement liée à celle de l'existence et de la
nature de Dieu ; et par suite, toutes les métaphysiques ou les
religions, sous forme expresse ou implicite, symbolique ou directe, en
enveloppent plus ou moins une solution.15(*)
Les pères de l'Eglise, en cherchant la solution
à plusieurs problèmes d'ordre moral qui se posaient à leur
époque, ont pu traiter indirectement de la question des actes
intrinsèquement mauvais.
I.1. Morale et
spiritualité chez les pères de l'Eglise.
En effet, la Théologie morale commence
déjà avec les pères de l'Eglise. La source première
et constante de leur doctrine est l'Écriture, centrée sur
l'oeuvre et la personne du Christ conformément aux évangiles, et
portant ses fruits dans le cadre de l'Église : par la prédication
de l'évêque qui la commente, par la célébration
liturgique qui la tourne en prière, par la mise en pratique enfin qui la
rend efficace.16(*) A
propos, S. Pinckaers note : « L'enseignement des
Pères consistait principalement en des commentaires de
l'Écriture, sous leurs diverses formes: explications suivies, sermons de
circonstance, homélies, catéchèse ou oeuvres
écrites, des oeuvres de construction personnelle, comme la
Didachè, le Pédagogue de Clément d'Alexandrie, le
Péri Archon d'Origène, le De Officiis de saint Ambroise, etc. Les
Pères avaient un regard large sur l'Écriture car, selon eux,
toute l'Écriture possède une dimension et une signification
morale.17(*) »
On trouvera donc la doctrine morale des Pères, en
premier lieu, dans des homélies expliquant l'Ecriture au peuple, comme
chez saint Jean Chrysostome et saint Augustin. Les Pères écriront
aussi des oeuvres de facture personnelle pour exposer la morale
chrétienne devant les païens, tels Le Pédagogue de
Clément d'Alexandrie, le traité sur Les Moeurs de
l'Église catholique de saint Augustin... On rencontrera enfin des
ouvrages traitant de problèmes moraux particuliers : le mariage et la
virginité, le mensonge et le péché, la patience, le
jeûne, etc.18(*)
A ce propos, B. Haring écrit :
« l'extension du christianisme dans un monde païen
décadent pose, du point de vue moral, mille problèmes :
quelle conduite adopter en face de l'idolâtrie officielle, de ses statues
de faux-dieux, de jeux du cirque, de la mode païenne, du service militaire
dans une armée païenne... A quoi s'efforcent de répondre un
Clément de Rome, un Tertullien, un Clément d'Alexandrie, un
Cyprien et d'autres. De semblable questions se posent encore à
l'intérieur de la jeune Eglise : l'obéissance à la
hiérarchie ecclésiastique (Clément de Rome, Ignace
d'Antioche), la fuite éventuelle devant la persécution
(Origène), la réconciliation des pécheurs publics,
particulièrement des lapsi qui sous les menaces ont trahi leur foi
(Cyprien). Toute une casuistique et en tout cas maintes déterminations
apparaissent déjà.19(*) »
Un autre trait de la doctrine des Pères est
l'utilisation judicieuse des apports de la culture et de la philosophie
gréco-romaine. Ayant assuré la primauté de la foi et du
mystère du Christ exposé dans l'Écriture, les Pères
n'hésitent pas à reprendre ce qu'ils trouvent de vrai et de bon
dans la pensée de leur temps, chez les stoïciens, comme
Sénèque et Cicéron ; dans le courant platonicien, tel
Plotin pour saint Augustin ; ou aristotélicien, comme par exemple saint
Jean Damascène, afin de les mettre au service de l'Évangile. De
cette collaboration entre la foi et la raison naîtra la
théologie.20(*)
Concernant la question des actes intrinsèquement
mauvais, les pères l'abordent indirectement à travers celle de la
sexualité21(*)et du
mariage. En effet, certains Pères de l'Église ont
interprété les épîtres de saint Paul comme
l'affirmation implicite de la supériorité du monachisme sur le
mariage (cf. 1 Co 7,8-9). Ainsi, pour eux, les péchés sexuels
(fornication, homosexualité, pédophilie...) sont : la grande
avenue de l'idolâtrie, une des sources de la haine des hommes contre Dieu
et son Eglise.22(*)
« Le culte du dieu infâme, dit Tertullien, ne consiste pas
seulement dans l'offrande de vulgaires parfums, mais dans celle de la personne
elle-même. Ce n'est plus l'immolation d'une brebis, mais bien celle de
l'âme. O homme, tu sacrifies sur son autel ton intelligence ! Tu verses
pour lui tes sueurs, tu épuises tes connaissances, tu deviens plus que
le prêtre de la volupté ; par ton ardeur, tu en es, à ton
tour, la divinité. »23(*)
Les païens et, sous l'influence de leurs doctrines,
certains gnostiques, les nicolaïtes, prétendaient que les unions
libres n'étaient prohibées par aucune loi.24(*) La simple fornication passait
pour une chose indifférente et les moralistes se contentaient de
blâmer les excès. Et quelques autres penseurs de l'époque
se sont efforcés de démontrer que le péché de
luxure n'était point intrinsèquement mauvais : il était
condamnable parce que le droit positif l'interdisait, en vue des
désordres qu'il pouvait introduire dans la
société.25(*)
Contre cette dérive morale, tous les pères de
l'Eglise (latins et grecs) établissent comme vérité
révélée et de foi catholique que la simple fornication est
intrinsèquement mauvaise et constitue une faute grave.26(*) Ils s'appuient sur son
opposition foncière à la loi divine et naturelle. Aussi
concluent-ils qu'en aucun cas, il n'est permis de s'y livrer, parce qu'elle
n'est pas mauvaise seulement en raison d'une prohibition positive, mais qu'elle
est prohibée à cause de sa malice essentielle.27(*) De telle sorte que, même
dans les cas de mutuel consentement, chaque acte renouvelé
entraîne l'obligation de l'aveu sacramentel
réitéré.28(*)
Pour Saint Augustin, qui a eu une influence capitale sur la
doctrine catholique en matière de sexualité, l'acte de
génération est essentiellement impur ; ainsi, il appelle, chez
tous les hommes indistinctement concupiscence l'attraction qu'il
amène et il fait de la concupiscence le mode d'infection de
l'humanité tout entière, le principe fatal de la propagation du
péché originel, qu'elle transmet à toute la
postérité d'Adam.29(*)
I.1.1. Saint Augustin et le
problème du mal
1) Présentation
Augustin d'Hippone ou Saint Augustin (354-430), est un
philosophe et théologien chrétien de l'Antiquité tardive,
évêque d'Hippone, et un écrivain latino-berbère
romano-africain. Il est l'un des quatre Pères de l'Église latine
(avec saint Ambroise, saint Jérôme et Grégoire Ier) et l'un
des 33 docteurs de l'Église. En tant que philosophe, on le
considère comme un platonicien chrétien, souvent proche de
Plotin. Mais il rejette les notions de transmigration des âmes et de
réminiscence. Surtout, chez Plotin Dieu créait le monde
involontairement, ce qui n'est pas compatible avec la conception juive et
chrétienne de la création.30(*)
2) Analyse
Dans son assaut contre la dissidence spirituelle
cathare31(*), la
chrétienté latine du treizième siècle occidental a
rejoué à distance, avec des armes théoriques nouvelles, le
grand combat anti-manichéen32(*) qui n'aura cessé de mobiliser, sa vie durant,
les ressources intellectuelles d'Augustin et aura permis à ce dernier
d'accéder à sa propre pensée. Il en va ici d'un
événement qui engage bien davantage qu'un seul acteur : la guerre
doctrinale acharnée que l'Évêque d'Hippone a livrée
contre les écrits de Mani et de ses disciples constitue l'un des gestes
de rupture fondateurs par lesquels la pensée occidentale a
accouché d'elle-même et s'est distinctement
définie.33(*)
Sur le plan théorique - dans des écrits comme le
De natura boni, l'Enchiridion et le De civitate Dei,
la victoire du Père de l'Église latine a été
acquise en deux temps. Premier moment : par le biais du concept de
création ex nihilo, Augustin établit que le mal n'est
rien d'autre que ce néant vers lequel peut incliner toute
créature du fait qu'elle a été tirée de
lui.34(*) Pour cette
raison que l'existence lui est donnée par le Souverain Bien, tout
étant créé, en tant qu'il existe, est bon, mais parce que
l'oeuvre créatrice le pose dans l'existence à partir de rien, il
est inexorablement travaillé de l'intérieur par une
mutabilité qui le rend corruptible.35(*)
Tel est le statut ontologique du mal selon
l'Évêque d'Hippone : non pas quelque chose qui existe de soi, mais
une dynamique de corruption qui abîme la création et qui est la
marque intrinsèque de sa finitude.36(*)
Second moment : Augustin répond à
l'interrogation sur l'origine du mal moral en mettant en oeuvre une
métaphysique du vouloir qui lui permet d'éviter ce qui
représente, à ses yeux, l'écueil théorique sur
lequel vient échouer le manichéisme, à savoir faire
procéder les maux qui déparent l'univers d'un principe
éternel radicalement opposé au Dieu bon, limitant du coup la
puissance de ce dernier.37(*) « Le mal, réplique
l'Évêque d'Hippone, n'est ni éternel, ni principiel, ni
même efficient ; il provient plutôt d'une libre et insondable
décision de la créature spirituelle (l'angélique d'abord,
l'humaine ensuite) qui, par orgueil (superbia), choisit de se substituer
à son Créateur en position de point focal de tout désir,
causant ainsi sa propre déchéance en l'espèce d'une
rétrogradation ontologique aux multiples conséquences
funestes. »38(*) Le péché originel, selon lui, n'a donc
pas seulement altéré la nature humaine dans son essence,
il l'a défigurée. À présent l'homme reçoit
à sa naissance une nature mauvaise ; la prévarication, de par son
étendue, sa profondeur et sa force, procède dès lors de
manière constitutive de la nature que possèdent actuellement les
hommes, nature incontestablement marquée par le mal. Néanmoins,
l'homme ne choisit pas le mal en tant que tel, mais ce qu'il prend, à
tort, pour un bien, par exemple le plaisir.39(*)
Ainsi, pour préciser, sa théorie
démontrant l'étendue actuelle du mal en ce monde et dans les
créatures, Saint Augustin réunira de façon indissociable
le péché originel à la concupiscence de la chair :
« ce mouvement honteux qui sollicite les organes... et qui, par
de secrètes attaques s'empare de tout le corps... Envahit tout l'homme,
soulevant à la fois les passions de son âme et les instincts de sa
chair le désir au caractère instinctif et passionné
de l'attraction des sexes. »40(*) On comprendra alors que pour Saint augustin, seul
l'acte sexuel motivé par la procréation est pleinement licite.
Partant, Saint Augustin va élaborer la doctrine des biens du mariage
qui, en explicitant de manière plus adéquate la place de la
procréation dans le mariage, donnera plus tard une plus grande
consistance à la condamnation de la contraception.41(*)
En effet, C'est en réaction à l'enseignement des
manichéens sur le mariage et la procréation que Saint Augustin a
été amené à défendre la bonté du
mariage dans son traité du De bono conjugali.42(*)
Avant toute réflexion théologique, Saint
Augustin affirme la bonté intrinsèque du mariage sur les bases
fermes de l'Ecriture Sainte. Le mariage, affirme-t-il, constitue un bien pour
l'homme et la femme, et ceci est montré par la doctrine
révélée. Mais pourquoi, se demande Saint Augustin, le
mariage est-il un bien?43(*)
Sa réponse, dans les chapitres suivants, est qu'il y a
un bien unique du mariage qui est, dans son essence naturelle, l'union
conjugale, et dont les différentes facettes constituent les biens du
mariage, tous intégrés dans ce bien unique dont ils
découlent. Ces biens, Saint Augustin les ramasse au chapitre XXIV de son
livre en une brève formule: « Voilà donc les biens
du mariage: les enfants, le pacte de fidélité, le
sacrement ».44(*) Ces trois biens sont analysés comme
constituant le bien du mariage. Le singulier est important; il veut dire qu'il
ne s'agit pas de trois biens différents, autonomes, ou même
complémentaires, mais qu'ils sont indissociable dans la
réalisation du bien du mariage. Ils sont les raisons
intrinsèques, ontiques de la bonté de ce mariage.45(*)
Partant, pour Augustin, « Même avec la femme
légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès lors
que la conception de l'enfant y est évitée. C'est ce que faisait
Onan, fils de Judah, ce pourquoi Dieu l'a mis à
mort. »46(*)
En considérant la procréation non plus comme la
fin du mariage, mais comme un bien constitutif de la bonté de celui-ci,
Saint Augustin, du même coup, était amené à
présenter la contraception comme un acte allant contre la bonté
du mariage, donc de l'ordre de l'adultère.47(*)
Dans les moeurs des manichéens Augustin
attaque ainsi la contraception manichéenne au nom de la fin
procréatrice du mariage: « Mais les noces, comme le proclament
les lois nuptiales, unissent mari et femme pour procréer des enfants.
Donc quiconque déclare que c'est un péché plus grave de
procréer des enfants que de se livrer au concubinage, prohibe par
là même les noces; il fait de la femme non plus une épouse
mais une prostituée, qui, moyennant certaines compensations, s'unit
à un homme pour lui permettre de satisfaire ses passions.
»48(*)
Pour Augustin, en refusant la procréation, les
manichéens font de la chambre conjugale un bordel: « vous
faites de vos auditeurs des adultères à l'égard de leurs
propres femmes, puisqu'ils prennent des précautions pour que celles avec
lesquelles ils ont des rapports ne conçoivent pas..; vous retranchez du
mariage ce qui fait le mariage. En effet, ôtez cela, et les maris ne sont
plus que des amants impudiques, les épouses des filles de joie, la
couche nuptiale un mauvais lieu, et les beaux-pères des
proxénètes. »49(*)
L'apport de Saint Augustin à la doctrine sur la
procréation a été considérable, encore que mal
compris par la suite. Il distingue en effet deux versants dans l'argument:
- le premier versant est celui de la nécessité
de la proles comme bien constitutif du mariage: refuser la
proles, c'est dénaturer le mariage, et donc avoir des relations
sexuelles adultères parce que niant le mariage: c'est ce que nous venons
de voir
- le second versant est celui de la priorité de la
fides: alors que la fides, l'union, est obligatoire pour
qu'il y ait mariage, ce n'est pas le cas pour la proles. Il est donc
très possible que, dans le mariage, on accomplisse l'acte matrimonial
pour le bien de l'union, sans intention procréatrice
particulière. Cela pourra même être licite dans le cadre du
devoir conjugal, pour éviter l'incontinence.
Bref, la réflexion de Saint Augustin sur le bien du
mariage ne s'est pas faite en rupture avec la tradition du magistère,
mais comme un développement, un approfondissement. Elle a
été capitale, puisque c'est elle qui a permis à l'Eglise
de déclarer licites les unions matrimoniales sans intention
procréatrice, mais virtuellement ou actuellement ouvertes sur la
procréation, ne posant pas d'obstacle à cette procréation
- telles qu'elles occurrent en usufruitant des périodes
agénésiques.
La notion plus récente, conciliaire, de
procréation responsable, était implicitement présente dans
la pensée augustinienne. Mais elle représente un grand pas en
avant car elle précise la place de la conscience et de la
liberté, et aussi la nécessité de respecter les
critères objectifs de cette procréation. Cette notion aide
à mieux comprendre encore la licéité du recours aux
périodes d'infertilité.
I.2. La question des actes
intrinsèquement mauvais chez les scolastique
Au Moyen Age, plus particulièrement pendant la
Scolastique, la question du mal qui préoccupe les philosophes et les
théologiens depuis l'antiquité, prend une forme toute
théologique : c'est l'existence du mal moral, c'est-à-dire
du péché, qu'on vent concilier avec la prescience divine d'une
part, d'autre part avec le dogme du concours divin, de la grâce et de la
prédestination; elle se trouve ainsi intimement liée au
problème de la liberté, humaine et divine, et chez tous les
grands penseurs de la scolastique, de saint augustin à Duns Scot et
à saint Thomas, elle tient une place éminente, ainsi que dans la
plupart des grandes querelles religieuses : pélagianisme et
manichéisme, socinianisme et protestantisme , molinisme et
jansénisme...50(*)
I.2.1. Le primat de l'intention
chez Pierre Abélard
1) Présentation
Pierre Abélard ou Pierre Abailard ou encore Pierre
Abeilard (1079-1142) est un théologien, philosophe et compositeur
français. Il a été un des principaux acteurs du renouveau
des arts du langage au début du XIIe siècle. Après son
entrée en religion, ses travaux de théologien ont suscité
la condamnation pour hérésie par les autorités
ecclésiastiques (concile de Soissons, 1121 ; concile de Sens,
1140).51(*)
2) Analyse
La pensée d'Abélard demeure l'un des principaux
points de repère dans l'histoire de l'introduction de la méthode
dialectique dans la théologie qui allait culminer avec la scolastique un
siècle plus tard. Avec lui commence une période nouvelle dans
l'histoire de la théologie, celle de la scolastique,
caractérisée, entre autres, par l'usage de la
dialectique.52(*)
Pour lui, toute classification des êtres doit,
impérativement, être fondée sur le réel. C'est la
conséquence d'une définition de l'universalité qui exclue
toute possibilité d'existence réelle de l'universel, aussi bien
dans les êtres que dans l'extériorité d'une accumulation
pure et simple, matérielle, des individus.
L'Ethica d'Abélard, par sa morale
fondée sur les intentions et non sur les actions, est une oeuvre
fondamentale : En effet, pour Augustin, le péché consiste
dans la volonté de retenir ou de poursuivre ce que la justice interdit
et que la personne a la liberté de s'abstenir. Cette notion s'appuie sur
un certain degré de consentement53(*). L'argument abélardien va au-delà, en
différenciant la volonté chez Augustin de ce qu'il appelle
l'intention, qui confère plus d'importance à la décision
dans la connaissance de fait du péché, et dans ses limites,
à la conscience en elle-même. Mais, pour Abélard, ni tout
péché est un acte volontaire, comme l'est l'acte sexuel.54(*)
Pour certains théologiens comme saint Bernard, Pierre
Lombard, Hugunce, Albert le Grand et Anselme de Laon, l'acte sexuel conduit au
péché car il contient nécessairement le plaisir et le
désir. Suivant la perspective d'Abélard, le plaisir sexuel se
transforme en naturel et inévitable par la propre nature
créée par Dieu. Ce sont les vices et les vertus des objets de
réflexion morale, mais parmi eux existent ceux qui se rapportent au
corps et d'autres qui se rapportent à l'esprit. Seuls certains parmi ces
derniers concernent la morale, puisque les vices du corps sont exclus par un
critère de nature et de création divine. Les vices mentaux
diffèrent du péché car ils peuvent être
présents sans l'action ou la propre intention, car ils font partie de
l'âme humaine.55(*)
C'est donc ce consentement fondé sur une double
connaissance - des vices humains qui tendent vers le péché et des
interdictions qui définissent leur nature - qui se constitue le vrai
péché : une forme de mépris pour Dieu, un manque
d'âme. Il existe, chez Abélard, une antériorité
naturelle qui convient à ce qui est compris comme étant
nécessaire, à partir de laquelle aucune qualité morale ne
peut s'inférer. Il existe aussi un stage postérieur que nous
sommes menés à connaître collectivement, mais qui fait en
sorte que le jugement manque de certitude dans ses bases.56(*) L'intention, comme point
intermédiaire qui peut équilibrer les tendances naturelles de la
créature imparfaite, nécessite un mécanisme
d'évaluation impossible au niveau de la société. Reste
simplement la propre évaluation personnelle.57(*) Cette intention, cependant,
porte son propre lot de conditionnements et il n'est pas facile de les
articuler.58(*)
Ainsi, pour Abélard, « le mal ne consiste
pas dans l'oeuvre extérieure, ni même dans le désir, mais
essentiellement et uniquement dans le consentement
volontaire. »59(*) En effet, pour lui, le péché ne
réside pas dans le désir de la femme d'autrui, ni dans le fait de
s'unir à elle, mais proprement dans le consentement au désir ou
à l'action puisque, pour lui, en prenant l'exemple du précepte,
tu ne convoiteras pas (Dt 5, 21), il estime que souvent on peut poser
des actes qui tombent sous cet interdit sans commettre le péché,
comme lorsqu'on agit par ignorance ou par contrainte. Abélard
établit ainsi un principe général selon lequel,
« partout où des oeuvres sont soumises à un
précepte ou à une prohibition de la loi morale, il faut rapporter
ceux-ci plus au consentement qu'aux oeuvres
elles-mêmes. »60(*) Pour Abélard, si la qualité morale se
concentre ainsi dans l'intention, un même acte pourra être bon ou
mauvais par la seule différence des intentions de ceux qui
l'accomplissent. Bref, chez lui, le péché consiste dans le seul
consentement volontaire, l'exécution de l'oeuvre n'y ajoute
rien.61(*)
Ainsi, comme on peut le constater, la position
d'Abélard est assez unique : en privilégiant
entièrement l'intention ou le consentement volontaire par rapport
à l'objet et même au désir, il soutient que les actes sont
de soi indifférents et reçoivent leur qualification morale
uniquement de l'intention. Partant, il n'y a pas d'actes qui soient
intrinsèquement mauvais. Avec cette position, Abélard se situe
aux antipodes de la morale des manuels modernes qui donnent la priorité
à l'objet de l'acte et considère l'intention comme un facteur
circonstanciel dans le jugement de moralité.62(*)
I.2.2. La stabilité des
préceptes moraux chez Saint Bernard
1) Présentation
Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux (1090 -1153),
est un moine français, réformateur de la vie religieuse.
Directeur de conscience de l'ordre cistercien, il recherche par amour du Christ
la mortification la plus dure. Bernard fait preuve, toute sa vie durant, d'une
activité inlassable pour instruire ses moines de Clairvaux, pour
émouvoir et entraîner les foules, pour allier son ordre avec la
papauté et pour élaborer une idéologie militante que son
ordre et toute l'église catholique mettront en oeuvre.63(*)
Il est aussi un conservateur, qui se positionne en
réaction contre les mutations de son époque (la renaissance du
XIIe siècle), marquée par une profonde transformation de
l'économie, de la société et du pouvoir politique. Il joue
un rôle déterminant dans la transposition de la croisade en guerre
sainte contre les cathares. Il est canonisé en 1174 et devient ainsi
saint Bernard de Clairvaux. Il fut déclaré docteur de
l'Église en 1830 par Pie VIII.64(*)
2) Analyse
Il combat les positions d'Abélard, approximatives d'un
point de vue théologique, et le fait condamner au concile de Sens en
1140. Abélard incarne tout ce que Bernard déteste :
l'intelligence triomphante, l'arrogance dominatrice, les prouesses
dialectiques, une célébrité immense, fondée sur la
foi passée au crible de la raison au détriment de la vie
intérieure, l'obstination à tenir des positions. Bernard refuse
que les secrets de Dieu soient examinés et questionnés par la
raison. Il veut que la raison reconnaisse ce qu'il y a d'infiniment profond et
d'incompréhensible dans les choses divines.65(*)
Quant à la question de la moralité, Bernard
distingue trois espèces de préceptes ou lois d'après la
possibilité d'en dispenser : d'abord les
préceptes stables, dont les prélats
peuvent dispenser comme le jeûne, les règles des religieux...
Ensuite, les préceptes inviolables,
promulguées par Dieu et dont lui seul peut dispenser, tel le
précepte, tu ne tueras pas... Enfin, les préceptes
incommuables dont Dieu même ne peut jamais
dispenser : ce sont les préceptes du sermon sur la montagne
concernant l'essence des vertus comme la dilection, l'humilité, la
douceur...66(*)
Toutefois, Saint Bernard situe la moralité essentielle
la plus ferme au niveau des vertus et de l'intériorité. Les
préceptes inviolables portent, pour lui, des actes qui ne sont pas de
soi mauvais puisque Dieu peut en dispenser de sorte qu'ils seraient donc
indifférents par eux-mêmes et ne deviendraient mauvais que par la
promulgation divine.67(*)
Dans ce sens, des actes comme tuer, voler, sont de soi mauvais, sauf si Dieu
dans sa toute-puissance en élimine exceptionnellement la malice comme
dans certains exemples de l'Ecriture.68(*)
I.2.3. Equilibrage scolastique
entre l'intention et l'acte chez Pierre Lombard
1) Présentation
Pierre Lombard (1100 - 1160), fut un théologien
scolastique et un archevêque de Paris du XIIe siècle.69(*)
2) Analyse
Dans la cadre de son enseignement, il élabora, suite
à une originale méthode basée sur les Questions /
Discussions, une méthode scolastique aux fins de l'enseignement des
Maîtres de l'Université, le Livre des Sentences (1152),
où pour la première fois, dans l'enseignement universitaire, on
faisait la distinction entre l'Écriture et la théologie ; ce
livre, cette Somme, servit entre autres de modèle à Thomas
d'Aquin.70(*)
Son oeuvre la plus connue était Libri quatuor
sententiarum, le Livre des Sentences. Il servit de manuel
théologique de base dans les universités
médiévales, des années 1220 au XVIe siècle et
était encore commenté un siècle plus tard. Il n'y a aucune
oeuvre dans la littérature chrétienne, à part la Bible
elle-même, que l'on ait commenté aussi souvent. Tous les grands
penseurs médiévaux, d'Albert le Grand et Thomas d'Aquin à
Guillaume d'Ockham et Gabriel Biel, étaient sous son influence.
Même le jeune Martin Luther écrivit encore des commentaires sur
les Sentences.71(*)
Les Quatre Livres de Sentences sont une compilation
de textes bibliques, joints aux passages correspondants des Pères de
l'Église et de beaucoup de penseurs médiévaux, dans le
domaine entier de la théologie chrétienne. Le génie de
Pierre Lombard s'est appliqué à la sélection des passages,
qu'il essayait de concilier quand ils semblaient défendre des points de
vue différents, et à l'arrangement de la matière dans un
ordre systématique. 72(*)
C'est dans son 2ème livre des
Sentences où P. Lombard aborde la question de la moralité
des actes d'après l'intention ou d'après l'oeuvre. Là, il
met en exergue la position d'Abélard qu'il confronte à celle de
ses adversaires et tente enfin de fournir une réponse
équilibrée au problème discuté en s'appuyant sur
Saint Augustin.73(*)
P. Lombard commence par donner la position d'Abélard
qui est parti d'une réflexion sur le péché jusqu'à
devenir une théorie générale sur la moralité :
tous les actes sont indifférents de sorte que par eux-mêmes ils ne
sont ni bons, ni mauvais, mais chaque acte devient bon ou mauvais par
l'intention bonne et mauvaise par l'intention mauvaise.74(*) Quant aux adversaires
d'Abélard, ils soutiennent que certaines oeuvres sont bonnes de telle
sorte qu'elles ne peuvent être mauvaises, quelle que soit la
manière dont on les fait ; au contraire, certaines oeuvres sont
mauvaises de sorte qu'elles ne puissent être bonnes, quelle que soit la
raison de les faire ; d'autres oeuvres enfin sont bonnes ou mauvaise selon
leur fin ou leur raison.75(*)
En s'appuyant sur Saint Augustin, P. Lombard tente une
réponse adéquate à la question qu'il formule ainsi :
« l'intention volontaire est certes la cause de la
moralité des actes. »76(*) Il rejoint ainsi Abélard. Mais il affirme par
contre que ce principe ne s'applique pas dans le cas d'une action mauvaise en
soi.77(*)
I.2.4 L'analyse classique de
l'agir moral chez Thomas d'Aquin
1) Présentation
La pensée de Thomas d'Aquin (1224-1251) a longtemps
été considérée comme la philosophia
perennis au sein de l'Église.78(*) En effet, comme tout penseur, Thomas d'Aquin est pris
dans les problématiques de son époque, toutes d'ordre
théologico-philosophique. Ainsi il est impossible d'étudier la
pensée de Thomas sans considérer qu'il travaillait dans un
contexte entièrement chrétien, avec sa propre foi dans le Dieu
chrétien, et avec les méthodes et les limites de son temps.
2) Analyse
L'exposé moral de saint Thomas se trouve principalement
dans la Seconde Partie de sa Somme Théologique; cependant, il
faut reconnaître que cette synthèse jouit d'une unité
profonde à cause de la source du savoir théologique, de la
connaissance divine qui se communique à notre intelligence par la foi et
les dons de sagesse et de science.79(*)
La Prima Pars étudie le Dieu-Trinité
qui constitue la vraie béatitude de l'homme et la seule réponse
adéquate à la question du bonheur qui ouvre et domine la morale
de saint Thomas. Le bonheur de l'homme est une participation au bonheur
même de Dieu. La Prima Pars fait aussi l'étude de la
créature humaine avec ses facultés, notamment sa raison et sa
volonté libre, sans oublier la sensibilité, qui sont principes et
sources des actions morales.80(*)
En outre, certains thèmes parcourent la Somme
Théologique entière et se retrouvent dans chacune de ses parties,
comme l'étude du bien, de la béatitude, de l'amour, au niveau de
Dieu, de l'ange, de l'homme, du Christ. La Tertia Pars traite de la
voie nécessaire de fait pour parvenir à la vraie
béatitude: ce sera le Christ et le secours de sa grâce
dispensée dans les sacrements. On ne peut donc absolument pas
séparer la partie morale de la Somme Théologique de
l'étude de Dieu dans la Prima Pars qui lui donne sa dimension
trinitaire, ni de la Tertia Pars qui lui procure une dimension
christologique et sacramentelle.81(*)
L'exposé de la morale se divise en deux parties, l'une
générale, l'autre particulière. Ces deux parties
correspondent respectivement à la Prima Secundae et à la
Secunda Secundae. Dans la Prima Secundae, la première
question est celle du bonheur qui domine l'ensemble de la morale en
déterminant la fin ultime de la vie et de l'agir humain. Le bonheur
plénier ne peut résider ni dans la richesse, ni dans la gloire,
ni dans la science, ni dans aucune réalité créée,
mais dans la vision aimante du Dieu de la Révélation, devenu
accessible aux hommes par la grâce de Jésus-Christ.82(*)
Le but de la vie étant fixé, toute la vie est un
cheminement vers le bonheur, et nos actions sont comme les pas qui doivent nous
porter vers lui. Saint Thomas fait l'étude des facultés humaines
qui collaborent ensemble à former nos actes. Il s'intéresse
particulièrement à la volonté libre. Pour saint Thomas, le
libre-arbitre s'enracine dans les deux facultés spirituelles,
l'intelligence et la volonté, qui font de l'homme l'image de Dieu et lui
procurent la maîtrise de ses actes, soit précisément dans
l'inclination naturelle au bonheur et à l'amour et dans l'inclination
à la vérité, qui ouvrent ces facultés à la
mesure de l'infini divin, au-delà de tout objet et de tout amour
créé. L'homme est donc maître de ses actes non point
malgré, mais à cause de son inclination naturelle au bonheur et
à la vérité. La question morale première inscrite
dans les facultés spirituelles de l'homme, est donc bien: quel est le
vrai bonheur? Toute sa morale sera une réponse à cette
question. 83(*)
On a là une conception de la liberté qui repose
sur la collaboration harmonieuse de l'intelligence et de la volonté et
que Pinckaers appellera liberté de qualité ou encore de
perfection, parce qu'elle tend spontanément vers ce qui est bon et vrai,
vers ce qui est de qualité selon la perfection de l'homme.84(*)
Les passions contribuent aussi à nos actions. Saint
Thomas en fait également une étude remarquable. Il analyse
différentes passions et montre comment elles peuvent contribuer
positivement à l'agir moral sous l'égide des vertus.85(*)
Vient ensuite l'étude des principes des actes humains
qui sont de deux sortes: principes intérieurs et principes
extérieurs.86(*)
Parmi les principes intérieurs, nous trouvons d'abord les
facultés: intelligence, volonté, liberté,
sensibilité, etc. déjà étudiées dans la
Prima Pars. Ce sont ensuite les vertus qui sont des capacités dynamiques
pour accomplir des actions de qualité. Elles sont de deux sortes: celles
qui sont infuses par Dieu et celles qui sont acquises par l'exercice. Elles
seront complétées par les dons et les fruits du Saint Esprit.
À la suite des vertus seront étudiés leurs contraires: les
vices et les péchés.87(*)
Parmi les principes extérieurs, c'est-à-dire
ayant leur origine à l'extérieur de nous bien que pouvant agir
sur notre intériorité nous trouvons:
- la loi issue de la sagesse de Dieu: loi éternelle et
loi naturelle qui culmine dans la Loi évangélique, définie
par l'action du Saint Esprit agissant par la foi au Christ.
- La grâce qui nous provient de la Passion et de la
Résurrection par les sacrements; elle nous unit au Christ et nous engage
dans l'unique voie conduisant efficacement à Dieu, qui est le Christ
lui-même.88(*)
On peut résumer le travail constructif de Thomas
d'Aquin en deux points : premièrement Thomas fait sortir la fin de
l'acte et la matière du lot des éléments de
l'action : pour lui, la fin est le principal élément de
l'action, celui qui meut à agir et que vise directement la
volonté. Le second élément est ce que l'on fait, la
matière de l'action qui en forme la substance. C'est autour de ces deux
éléments essentiels que s'ordonnent et gravitent les autres.
Deuxièmement, Thomas d'Aquin va donner une nouvelle signification au
terme circonstance en s'appuyant sur son étymologie,
circum-stare (ce qui est autour d'une chose).89(*)
Il va ainsi distinguer les circonstances de l'essence de
l'acte formée par sa fin et sa matière. Partant, les
circonstances désignent désormais des éléments de
l'action qui s'ajoutent comme des accidents à sa substance ; c'est
en ce sens qu'ils contribuent à accroître ou à diminuer la
qualité morale de l'action déjà établie pour
l'essentiel par sa fin et sa matière, mais ne peuvent pas
d'eux-mêmes rendre un acte bon ou mauvais.90(*)
Ainsi donc, pour Thomas, la qualité morale d'une
action dépend de deux composantes essentielles : l'ordonnance
à la fin pour l'acte intérieur, vouloir ou intention, et
l'ordonnance de l'acte extérieur à sa matière propre. On
peut rencontrer alors des actes intrinsèquement mauvais, de soi, par
leur nature, à ces deux niveaux. Mais dans une même action, il
suffit que la fin voulue ou que la matière de l'acte soit mauvaise par
nature, pour que l'acte tout entier doive être considéré
comme tel, selon le principe bonum ex integra causa malum ex quocumque
defectu, la déficience étant ici essentielle.91(*)Ainsi, il admet, à la
suite de saint Augustin, que certaines actions, mêmes prises
extérieurement, soient mauvaises de soi et ne puissent jamais être
légitimées par une fin bonne.
I.2.5. La mise en cause de la
moralité intrinsèque par Ockham et le nominalisme
1) Présentation
Guillaume d'Ockham ou Guillaume d'Occam92(*) (v.1285 - 1347), dit le
Docteur invincible et le Vénérable initiateur (Venerabilis
inceptor), était un philosophe, logicien et théologien
anglais, membre de l'ordre franciscain, considéré comme le plus
éminent représentant de l'école scolastique nominaliste
(ou terministe, selon la terminologie ockhamienne), principale concurrente des
écoles thomiste et scotiste.93(*)
Le terme nominalisme94(*) n'est apparu qu'à la fin du XVe
siècle. Ockham, philosophe et logicien, quant à lui, se
considère comme un terministe, c'est-à-dire pratiquant la logique
qui analyse le sens des termes. Cependant on peut le considérer comme
initiateur du nominalisme en ce qu'il a refusé toute objectivité
ou réalité aux Universaux, c'est-à-dire aux idées
générales qui regroupent sous un nom collectif, des
entités individuelles ayant quelque ressemblance entre elles, comme par
exemple, humanité, animal, beauté blancheur etc...
Pour lui, c'est l'esprit humain qui par commodité
génère des noms, un langage qui est utile pour l'organisation du
savoir, mais ne correspond pas à des êtres existants, individus,
êtres particuliers, et qui n'apporte aucune nouvelle connaissance. Les
nominalistes n'accordent aucune universalité à ces êtres
virtuels, en dehors de leur utilité pour l'esprit qui les observe. En
bref, seul l'être singulier est réel, tandis que l'universel n'a
d'existence que dans l'esprit du locuteur. Bien entendu, les théologiens
vont s'émouvoir d'une philosophie qui n'accorderait aucune existence
réelle aux concepts de Bien, d'Ame, d'Immortalité, qui pourtant
leur semblent indispensables pour parler de Dieu ou de l'homme-créature
spirituelle. Cependant Ockham ne va pas jusqu'à considérer les
universaux comme de simples mots, puisqu'ils correspondent à des
idées. C'est pourquoi on le considère plutôt comme un
conceptualiste.
On voit ainsi dans la philosophie d'Ockham les prémices
de la science moderne, de l'empirisme anglais ainsi que de la philosophie
analytique contemporaine, car elle insiste surtout sur les faits et sur le type
de raisonnement utilisé dans le discours rationnel, au détriment
d'une spéculation métaphysique sur les essences.95(*)
2) Analyse
La crise nominaliste avec Ockham va apporter une
révolution dans la théologie morale en général et
à la question de la moralité en particulier. Cette période
a creusé un fossé profond entre l'âge des pères ou
des grands scolastiques et les moralistes modernes.96(*)
Ockham va inaugurer une nouvelle conception de la morale qui
donne aux mots et aux éléments de l'acte morale une signification
et un rôle nouveau dans une structure et une organisation
nouvelles.97(*)
Ainsi, le problème de la moralité va recevoir de
nouvelles bases qui s'imposent au point de devenir classiques et indiscutables
comme des évidences. Cependant, les idées d'Ockham sur la morale
sont en opposition directe à Thomas d'Aquin : nous trouvons chez
les deux penseurs, deux conceptions de la liberté qui affecte leur
doctrine morale.
Pour Ockham, la volonté divine est absolument libre ;
elle domine la loi morale elle-même et toutes les lois de la
création. Ce que Dieu veut est nécessairement juste et bon,
précisément parce qu'il le veut. De cette volonté
procède la loi et toute valeur ou qualification morale. N'étant
déterminée dans la fixation du bien et du mal par rien d'autre
qu'elle-même, la volonté divine peut modifier à chaque
instant ce que nous considérons actuellement comme permis et comme
défendu selon les commandements du Décalogue notamment. Dieu peut
changer même le premier commandement et, par exemple, en poussant les
choses à l'extrême, ordonner à un homme de le haïr, de
sorte que cet acte devienne bon. 98(*) La conséquence d'une telle théologie
est la suivante : « La liberté est essentiellement pour Ockham
le pouvoir de choisir entre des contraires, indépendamment de toute
cause autre que la liberté ou la volonté même. La
liberté se tient toute dans une indétermination foncière
entre les contraires, entre le oui et le non, dans une indifférence
originelle de la volonté qui lui permet de ne se déterminer dans
le choix qu'à partir d'elle-même. D'où ce nom de
liberté d'indifférence. »99(*)
C'est là une approche bien différente de celle
de Thomas d'Aquin. Ici, on quitte le fait que la liberté se
réfère à celui qui l'a donnée pour se rapprocher du
Créateur au profit d'une liberté en soi, liée à une
source indifférente. Or se tenir à égale distance du bien
et du mal, c'est par définition se tenir hors du bien.100(*)
En effet, plusieurs divergences existent entre les deux
auteurs, mais nous ne retenons ici que trois : primo, concernant la
question morale première et principale, pour Thomas d'Aquin, c'est la
béatitude véritable comprise comme une fin ultime ordonnant
à elle tous les actes moraux et unifiant par cette visée l'agir
dans son ensemble. Pour Ockham, la notion première et fondamentale de la
morale devient l'idée de l'obligation imposée par la loi,
laquelle exprime la volonté toute puissante de Dieu qui vient limiter la
liberté de l'homme.101(*)
Secundo, la morale de Thomas d'Aquin est une morale de
l'attrait intérieur développé par les vertus ; mais
avec Ockham apparait la première morale de l'obligation proprement dite.
Cela ne veut pas dire que le rôle de l'obligation en morale était
méconnu et négligé avant Ockham, mais jamais encore
l'obligation n'avait été placée au centre de l'univers
moral.102(*)
Tertio, la conception de la notion de liberté est
très différente chez les deux penseurs : pour Thomas
d'Aquin, la raison et la volonté engendrent le libre-arbitre et son
acte, le choix. La source de la liberté réside dans les
inclinations naturelles à la vérité et au bien ou au
bonheur, qui constituent la nature spirituelle et lui confèrent une
ouverture à l'infini sur la vérité et le bien, le rendant
libre à l'égard de tout bien limité. 103(*)
Pour Ockham, tout au contraire, le libre-arbitre
précède la raison et la volonté, car il peut commander
leurs actes, choisir de les faire ou de ne pas les faire. La liberté se
définit, en effet, comme « le pouvoir radical et absolu
que possède un homme de choisir entre des contraires uniquement à
partir de sa volonté. »104(*) La liberté se caractérisera alors par
son indifférence à l'égard des contraires soumis au choix.
Le seul fondement de la morale, pour Ockham sera donc la loi, comme expression
de la volonté divine s'imposant à l'homme avec la force de
l'obligation, issue de la toute-puissance divine à l'égard de sa
créature.105(*)
Quant à la question des actes intrinsèquement
mauvais, Thomas soutenait que certains actes peuvent être bons ou mauvais
par eux-mêmes, et il fondait cette qualité sur la loi naturelle,
issue des inclinations naturelles et base de l'édifice de la
théologie morale que viendra parfaire la loi évangélique.
La qualité des actions morales provient donc premièrement de leur
nature, et c'est ensuite que peut advenir une qualité
supplémentaire par l'intervention positive d'une loi.106(*)
Ockham va changer complètement les choses en donnant
une position nouvelle à la question des actes intrinsèquement
mauvais : pour lui, « tous les actes sont de soi
indifférent, comme la liberté dont ils sont issus. Cette
indifférence affecte non seulement les actes extérieurs, mais
elle s'étend en fait jusqu'aux actes intérieurs, à l'amour
et au désir du bonheur. »107(*) Les actes sortent de leur
indifférence et deviennent bons ou mauvais uniquement par l'intervention
de la loi.
Ainsi, Ockham soutient que les actes humains n'ont de
moralité que par la loi qui les commande ou les défend, et il
radicalise cette position en faisant de la loi naturelle elle-même une
loi positive, une pure position de la volonté toute-puissante de Dieu.
Par conséquent donc, pour Ockham, il n y a et il ne peut y avoir
d'actions mauvaises de soi ou par nature, car c'est la position seule de la
loi, toujours dépendante de la liberté divine qui peut rendre une
action moralement telle.108(*)
Par ailleurs, il faut souligner que c'est à partir du
nominalisme que la question du caractère intrinsèque de la
moralité va prendre de l'ampleur et engager de fait toute la conception
de la moralité.
En fait, à partir du XIVème
siècle, le nominalisme va connaître un succès
extraordinaire en Occident. Sur la question de la moralité des actes, le
nominalisme soutient plusieurs thèses
controversées notamment, l'atomisation de l'agir qui fait de chaque
acte humain l'oeuvre d'une liberté qui peut à chaque instant
choisir le contraire ; ensuite, la moralité devient l'acte libre
avec la loi qui fixe l'obligation. Beaucoup de moralistes réagiront
contre le nominalisme et le combattront même surtout en ce qui est de la
question d'actions mauvaises par elles-mêmes. Cependant, les
théologiens n'arriveront pas à éviter l'influence
nominaliste sur les points essentiels comme la conception de la liberté
d'indifférence.
I.2.6. L'école de
Salamanque
1) Présentation
Le nom école de Salamanque (Escuela de
Salamanca) a été donné au XXe siècle à
un groupe de théologiens et de juristes espagnols du XVIe siècle,
liés à l'ancienne université de cette ville, dont la
doctrine a été redécouverte par des économistes, en
particulier Joseph Schumpeter et reprise par les fondateurs de la doctrine des
libertariens qui en font les précurseurs de l'école
autrichienne.109(*) Il
désigne, de manière générique, l'ensemble des
réflexions que menèrent des théologiens espagnols à
la suite des travaux intellectuels et pédagogiques entamés par
Francisco de Vitoria, en réinterprétant la pensée de
Thomas d'Aquin à partir du postulat que la source de la justice, du
droit et de la morale ne doivent plus être recherchées dans les
textes sacrés ou les traditions, mais dans l'examen de la nature
à la lumière de la Raison.110(*)
Lorsque la Renaissance se fut propagée dans toute
l'Europe, au début du XVIe siècle, les conceptions
traditionnelles de l'homme, de sa relation avec Dieu et avec le monde avaient
été ébranlées par l'apparition de l'humanisme, par
la Réforme, par les grandes découvertes et leurs
conséquences sur les connaissances (géographiques en
particulier). Ces nouvelles questions furent abordées par l'École
de Salamanque. À une époque où la religion (catholicisme,
calvinisme, islam...) imprégnait tout, analyser la moralité des
actes était l'étude la plus pratique et utile qui pouvait
être faite pour servir la société. C'est ainsi que les
contributions nouvelles qui ont été poussées jusqu'au
droit et à l'économie par l'École de Salamanque ne sont
pas dans leurs origines mais analyses concrètes des défis et des
problèmes moraux imposés à la société par
les situations nouvelles.111(*)
L'école de Salamanque va développer une
idée révolutionnaire de l'autonome de la morale selon laquelle on
peut faire le mal même si on est croyant, et on peut faire le bien
même si on ne l'est pas. C'est-à-dire que la morale ne
dépend pas de Dieu. Ceci s'avérait particulièrement
important pour les relations avec les païens, puisque le fait qu'ils ne
soient pas chrétiens n'impliquait pas qu'ils ne soient pas
bons.112(*)
Au fil des ans on a obtenu une casuistique de réponses
devant des dilemmes moraux. Mais comme une casuistique ne pouvait jamais
être complète, on a aussi cherché une règle ou un
principe plus général. À partir d'ici a commencé
à être déjà développé le
probabilisme, où le dernier critère n'était pas
la vérité, mais la sécurité de ne pas mal choisir.
Développé principalement par Bartolomé de Medina et
poursuivi par Gabriel Vázquez et Francisco Suárez, le
probabilisme s'est transformé en école morale la plus importante
des siècles suivants.113(*)
2) Analyse
Le cursus théologique des Salmanticenses va être
un représentant classique de la théologie du XVIIème
siècle d'obédience thomiste. Dans leur réponse à la
question de la moralité intrinsèque, ils usent d'une distinction
caractéristique entre la moralité formelle et la moralité
objective : la moralité formelle dépend de la liberté
dans son rapport avec la loi et ne peut précéder l'acte de la
volonté. La moralité qui provient de la matière et des
circonstances, soit de l'objet de l'acte, et qui précédé
celui-ci, est la cause et la racine de la bonté de l'acte
intérieur, ou de son fondement, c'est la moralité objective. Elle
consiste dans l'ordonnance de l'acte à l'objet comme à son terme,
qui devient proprement morale par l'intervention de la liberté en
relation avec la règle des moeurs.114(*)
Bref, les salmanticenses ont une conception mixte de la
moralité en ce sens qu'ils associent la conception nominaliste qui
établit formellement la moralité par la relation
extrinsèque de la liberté à la loi, et la conception
classique de la moralité objective et fondamentale qui se prend par le
rapport de l'acte à l'objet, ce qui permet de maintenir une morale
intrinsèque.115(*)
Notons pour terminer que les salmanticenses analysent l'acte
moral à partir de son entité physique déterminée
par l'objet, à un niveau antérieur à la morale formelle.
Cette perspective est contraire à celle de Thomas d'Aquin qui regarde
l'action morale à partir de l'acte intérieur, dont la
finalité est la dimension essentielle.116(*)
I.2.7. François
Suarez
1) Présentation
Francisco Suárez (né le 5 janvier 1548
à Grenade, Espagne - mort le 25 septembre 1617) était un
philosophe et théologien jésuite espagnol,
généralement considéré comme l'un des plus grands
scolastiques après Thomas d'Aquin. Il fit partie de la
célèbre École de Salamanque.117(*) Jésuite par
obligation si l'on ose dire, juriste par passion, Suarez, qui a longuement
enseigné à Salamanque et à Rome avant de se retirer
à Lisbonne, part de l'observation, courante à l'époque,
que l'homme est un animal social. Par conséquent, il est naturel qu'il
vive en compagnie d'autres de ses semblables.118(*)
2) Analyse
Pour F. Suarez, étant suffisamment
éclairés par la raison en ce qui concerne la moralité, les
hommes ne s'assemblent pas pour des motifs moraux. Et c'est ici que Suarez se
démarque de Thomas d'Aquin, qu'il donne pourtant l'impression de se
contenter de commenter, à trois siècles de distance. Le droit
positif ne peut être entièrement déterminé par la
morale. « Les lois civiles, écrit Suarez, n'interdisent pas
tous les vices. Et le pouvoir de contrainte de l'Etat ne s'étend pas
à l'ensemble des vices, parce que cela excéderait la condition
humaine ».119(*) De même, alors que pour Thomas la raison
commande l'action, chez Suarez, c'est la volonté qui est au commencement
de l'action. Dès lors, la loi n'acquiert de force obligatoire que comme
expression de la volonté d'un supérieur, et non comme acte de
raison.120(*)
Les théologiens scolastiques de l'époque moderne
étaient souvent pris au dépourvu entre, d'une part la conception
de la morale issue du nominalisme et devenue générale, mais
conduit logiquement au refus de la moralité intrinsèque, et
d'autre part, leur souci de fidélité à Thomas d'Aquin et
à la tradition de l'Eglise qui maintient l'existence d'actions
intrinsèquement mauvaises. C'est seulement par des distinctions
semblables à celle proposée par Suarez entre la relation de
l'acte à la raison et à la loi obligatoire qu'ils pourront se
tirer d'affaire.121(*)
Dans son traité sur la bonté et la malice des
actes humains, F. Suarez aborde explicitement le problème des actes
intrinsèquement mauvais. Il emploie l'expression actus intrinsece
mali qui ne figure pas encore dans le libellé de la question
jusque-là. Ceci montre que la formulation qui deviendra classique est en
train de se mettre en place.
Pour lui, aucun acte volontaire ne peut être mauvais par
son entité positive, mais seulement par son défaut à
l'égard de la règle de la volonté qui est la loi, soit
à l'égard de l'obligation qu'elle impose. Ainsi, il semble qu'on
peut expliquer la malice de l'acte si ce n'est par sa relation à la loi
extérieure qui ordonne ou interdit.122(*)
La réponse de Suarez à la question des actes
intrinsèquement mauvais et de la moralité intrinsèque ou
objective est en grande partie inspirée par la position nominaliste du
problème moral. Il réplique à l'opinion nominaliste en
prenant position en faveur de la moralité intrinsèque, mais il
accepte la manière dont le nominalisme a reconstruit l'univers moral
avec, en son centre, l'obligation issue de la loi comme volonté
extérieure de Dieu, comme aussi la réduction de l'acte, pris dans
sa singularité, à sa tendance à l'objet avec le rejet de
la fin parmi les circonstances.123(*)
Il est un fait que la doctrine nominaliste a amené
comme une vague et une remise en question progressives dans le domaine de la
morale où se rencontrent la théorie et la pratique, la
pensée et la vie de l'Eglise. Par rapport à la question de la
moralité des actes plusieurs systèmes vont voir jour notamment le
proportionnalisme et l'utilitarisme.
I.2.8. La
systématisation éthique du proportionnalisme
Le système de la raison proportionnée
ou proportionnalisme remet en question la doctrine traditionnelle de
l'existence d'actes intrinsèquement mauvais.124(*)
Ce système naît à l'intérieur de
la morale casuistique et, comme elle, dans le sillage du nominalisme, mais lui
apporte une transformation profonde: on passe d'une morale axée sur la
relation de l'acte à son objet, lui conférant une qualité
morale en soi, à une morale axée sur la finalité du sujet
qui devient constructive de l'objet lui-même. La théorie de la
cause à double effet devient une catégorie universelle et est
interprétée, non plus à partir du principe qu'on ne peut
faire ce qui est mal en soi pour atteindre un bien, mais à partir de la
raison proportionnée, qui sert ainsi à déterminer en
fonction des conséquences ce qui est bien ou mal.125(*)
Normand Lamoureux expose les principes essentiels du
système: la priorité accordée à la finalité,
la distinction entre le plan ontique et le plan moral, celle entre normes
formelles et normes matérielles. Sa critique porte sur trois points
essentiels: la spécificité de l'ordre moral par rapport à
l'utile, l'objectivité de la moralité intrinsèque, le
rapport à la Révolution chrétienne. Il y a opposition
entre cette morale de la loi, des normes et de la conscience, centrée
sur l'obligation et la morale de S. Thomas, morale de la béatitude, des
vertus et des dons, de la loi et de la grâce, centrée sur
l'attrait de la vérité et de la vie.126(*)
La doctrine proportionnaliste ne cherche pas à
comprendre comment un acte peut être ordonné à la vraie fin
de l'homme, mais elle part du constat que tout acte porte en lui-même une
part de mal ontique ou pré-moral.127(*) Ainsi, celui qui coupe
du bois pour construire sa maison tue un être vivant, il se fatigue, il
use sa hache, il doit renoncer à en faire du bois de chauffage, etc. On
mesurera la moralité de l'acte à la proportion de mal ontique que
la volonté fait entrer dans l'acte comparativement à tout le bien
qui s'y trouve aussi. « De telle sorte que ce sera la
prépondérance des biens sur les maux naturels qui fera l'action
moralement bonne, ou la prépondérance des maux sur les biens
naturels qui la fera moralement mauvaise. »128(*) Si l'acte est
proportionné à la valeur qu'il poursuit, le mal commis restera au
niveau du mal pré-moral ou physique.
Nous avions déjà relevé que l'attachement
de la volonté au mal rend mauvais même un acte a priori bon (cf.
l'aumône par vaine gloire). Les proportionnalistes pensent aussi que le
processus vaut en sens contraire : « l'attachement exclusif de la
volonté au bien rend l'acte bon, et ses effets mauvais,
accidentels. »129(*)Ici, l'agir moral ne va pas être jugé
par rapport au bien ultime, mais par rapport aux biens acquis par la vie. On va
juger des conséquences et des effets des biens, de la proportion des
effets bons et des effets mauvais.
Entrer dans cette logique de juger de la moralité de
l'acte par ses effets et ses conséquences, par la proportion entre les
effets bons et les effets mauvais (ne faut-il pas tuer un homme si cela en
sauve dix ?), fait perdre de vue qu'il puisse y avoir des actes qui ne soient
pas moralement neutres, qui aient une valeur en eux-mêmes, qui soient
intrinsèquement bons, ou intrinsèquement mauvais.130(*)
A l'opposé, on appelle moralité ex
objecto la moralité qui juge en fonction de ce qu'objectivement les
actes valent, en fonction de l'«objet» d'un vouloir : ce qui est
concrètement choisi, est-ce bon ou non ? Contrairement au
proportionnalisme, la morale qui réfléchit à partir de
l'objet considère qu'il y a des actes qui ne sont pas moralement neutres
mais qui mettent par eux-mêmes la dignité humaine en question.
Vouloir, à leur sujet, pondérer simplement les circonstances et
les conséquences, les effets bons et mauvais, ne peut qu'entraîner
à des formes d'utilitarisme.
I.2.9. L'utilitarisme
1) Présentation
L'utilitarisme est une doctrine éthique qui prescrit
d'agir (ou ne pas agir) de manière à maximiser le bien-être
global de l'ensemble des êtres sensibles. L'utilitarisme est donc une
forme de conséquent alisme131(*) : il évalue une action (ou une règle)
uniquement en fonction de ses conséquences, ce qui le distingue des
morales déontologistes, notamment la morale kantienne. 132(*)
Et par principe d'utilité, on entend le principe
selon lequel « toute action, quelle qu'elle soit, doit être
approuvée ou désavouée en fonction de sa tendance à
augmenter ou à réduire le bonheur des parties affectées
par l'action. [...] On désigne par utilité la tendance de quelque
chose à engendrer bien-être, avantages, joie, biens ou
bonheur. »133(*)
On parle aussi parfois d'utilitarisme des
préférences pour désigner une variante qui prescrit de
maximiser la quantité de préférences satisfaites. On peut
encore appeler utilitaristes d'autres doctrines cherchant la maximisation
d'autres conséquences, tant que celles-ci restent étroitement
liées au bien-être général des êtres sensibles
(l'humanité pour certains, l'humanité et les animaux (ou certains
animaux) pour d'autres).134(*)
2) Analyse
On peut résumer le coeur de la doctrine utilitariste
par la phrase : Agis toujours de manière à ce qu'il en
résulte la plus grande quantité de bonheur (principe du bonheur
maximum). Il s'agit donc d'une morale eudémoniste, mais qui,
à l'opposé de l'égoïsme, insiste sur le fait qu'il
faut considérer le bien-être de tous et non le bien-être du
seul agent acteur. L'utilitarisme est donc un conséquentialisme
eudémoniste. Cependant cette définition minimale du principe
d'utilité ne doit pas masquer les nombreuses différences
existantes entre les systèmes utilitaristes: utilitarisme
hédoniste, utilitarisme indirect, utilitarisme de l'acte contre
utilitarisme des préférences, etc.
Il convient donc de ne pas réduire le concept
d'utilité à son sens courant de moyen en vue d'une fin
immédiate donnée. L'utilitarisme se conçoit comme un
critère général de moralité pouvant et devant
être appliqué tant aux actions individuelles qu'aux
décisions politiques, tant dans le domaine économique que dans
les domaines sociaux ou judiciaires.
Cinq principes fondamentaux sont communs à toutes les
versions de l'utilitarisme :
a) Le principe de bien-être (the Greatest Happiness
Principle en anglais) :
Le bien est défini comme étant le
bien-être. C'est-à-dire que le but recherché dans toute
action morale est constitué par le welfare, le bien-être
(physique, moral, intellectuel).
b) Le conséquentialisme.
Les conséquences d'une action sont la seule base
permettant de juger de la moralité de l'action. L'utilitarisme ne
s'intéresse pas à des agents moraux mais à des actions :
les qualités morales de l'agent n'interviennent pas dans le calcul de la
moralité d'une action. Il est donc indifférent que l'agent soit
généreux, intéressé, ou sadique, ce sont les
conséquences de l'acte qui sont morales. Il y a une dissociation de la
cause (l'agent) et des conséquences de l'acte. L'utilitarisme ne
s'intéresse pas non plus au type d'acte : dans des circonstances
différentes, un même acte peut être moral ou immoral selon
que ses conséquences sont bonnes ou mauvaises.
c) Le principe d'agrégation.
Ce qui est pris en compte dans le calcul est le solde net (de
bien-être, en l'occurrence) de tous les individus affectés par
l'action, indépendamment de la distribution de ce solde. Ce qui compte
c'est la quantité globale de bien-être produit, quelle que soit la
répartition de cette quantité. Il est dès lors
envisageable de sacrifier une minorité, dont le bien-être sera
diminué, afin d'augmenter le bien-être général.
Cette possibilité de sacrifice est fondée sur l'idée de
compensation : le malheur des uns est compensé par le bien-être
des autres. S'il est surcompensé, l'action est jugée moralement
bonne. L'aspect dit sacrificiel est l'un des plus critiqués par les
adversaires de l'utilitarisme.
d) Le principe de maximisation.
L'utilitarisme demande de maximiser le bien-être
général. Maximiser le bien-être n'est pas facultatif, il
s'agit d'un devoir.
e) L'impartialité et l'universalisme.
Les plaisirs et souffrances ont la même importance, quel
que soit l'individu qu'ils affectent. Le bien-être de chacun a le
même poids dans le calcul du bien-être général. Ce
principe est compatible avec la possibilité de sacrifice : ce principe
affirme seulement que tous les individus valent autant dans le calcul. Il n'y a
ni privilégié ni lésé a priori : le bonheur d'un
roi ou d'un simple citoyen sont pris en compte de la même
manière.135(*)
L'aspect universaliste consiste en ce que l'évaluation
du bien-être vaut indépendamment des cultures et des
particularismes régionaux. Comme l'universalisme de Kant, l'utilitarisme
prétend définir une morale valant universellement.
Mais cependant, l'utilitarisme fait tenir la moralité
dans les conséquences, ce qui pose plusieurs problèmes aux yeux
de certains de ses adversaires : d'abord l'incertitude.
C'est-à-dire que les conséquences d'un acte ne sont pas
déterminables avant qu'il ait lieu. On n'est jamais certain que les
conséquences supposées de l'acte seront bien ses
conséquences réelles. Un acte apparemment innocent peut alors
s'avérer immoral au vu de ses conséquences, comme un acte
supposé mauvais se révéler moral. Ensuite,
l'infinité qui fait que les conséquences forment une chaine : si
l'acte A est cause de B, et que B cause C, l'acte À cause C
indirectement. Évaluer les conséquences de l'acte pose dès
lors un problème d'identification de ces conséquences : quand
dire qu'un acte n'est plus cause? Où arrêter la chaîne des
conséquences?
Et enfin, le relativisme moral : si l'utilitarisme pose
le bonheur ressenti comme critère de l'évaluation morale,
n'importe quelle sensation de plaisir qui résulterait de telle ou telle
action pourrait justifier cette action. C'est pourquoi certains utilitaristes
conscients du problème, notamment les représentants du
réalisme de Cornell136(*) ont tenté d'élaborer une version
objective de l'utilitarisme où la définition du bonheur ne
dépend pas des sensations de l'agent.137(*)
Conclusion du chapitre
Que pouvons-nous retenir de ce qui se joua en théologie
morale depuis les pères de l'Eglise jusqu'à la Renaissance?
L'intérêt n'est pas historiographique, mais proprement
théologique, à savoir mieux comprendre les débats de
théologie morale qui nous ont précédés et dont les
débats actuels sont tributaires.
En effet, après une longue période
médiévale où le thomisme et le Livre des
sentences de Pierre Lombard régnèrent, le bouillonnement
culturel de la Renaissance va contribuer à donner une importance
nouvelle à la théologie morale. Plusieurs évolutions vont
rendre les situations plus complexes et donc le discernement moral plus
difficile notamment :
- En opposition avec l'idéal médiéval
d'unité du corps de la société au Moyen-âge,
l'humanisme de la Renaissance exalte l'individu. D'où un
déplacement de l'importance de la conformité à la loi
objective au profit de la dimension subjective de la morale, la conscience.
- Les grandes découvertes des Indes et de
l'Amérique et de leurs populations mettent à l'épreuve des
normes morales qui semblaient universelles.
- L'évolution de la théologie morale vers la
casuistique ne peut pas se comprendre sans la place de plus en plus importante
donnée au sacrement de la pénitence. Le mouvement de la
Contre-Réforme catholique au XVIe siècle a voulu oeuvrer pour la
réforme morale du clergé et de l'ensemble des fidèles.
Pour les Pères du Concile de Trente, cette réforme passait par
une insistance sur la pastorale du sacrement de pénitence. La formation
des futurs prêtres s'est axée sur leur fonction de confesseur.
D'où de nombreux manuels des confesseurs voulant aider le prêtre
à résoudre les cas de conscience.138(*)
Ces différents facteurs vont contribuer à une
évolution de la réflexion morale. Face aux questions morales
décisives : quelle action dois-je faire ? Quelle action dois-je
éviter ?, le jugement moral peut s'avérer difficile quand les
situations se complexifient. On parle alors de conscience douteuse. C'est
à partir de cette problématique que va s'élaborer la
morale casuistique.139(*)
Les théologiens du Moyen-âge avaient
déjà réfléchi à la décision à
prendre dans ces situations de doute sur. Pour eux, il s'agissait de choisir la
voie la plus sûre, c'est-à-dire l'obéissance à la
loi morale. Pour ces théologiens et en particulier pour Thomas d'Aquin,
la loi est une expression du travail de la raison humaine et elle montre
à l'homme le chemin à suivre pour viser son accomplissement, dans
une conception de la vie morale chrétienne qui consiste à
ordonner les actes humains à la fin ultime de l'homme qui est la
Béatitude.140(*)
Comme nous l'avons vu, au XIVe siècle, le nominalisme
développé par Guillaume d'Ockham 141(*)va contribuer à donner
une nouvelle structuration à la morale et consacre le discrédit
de la raison au profit de la volonté : alors que pour le
Moyen-âge la loi permet l'accomplissement de la liberté humaine,
le nominalisme et, sous l'influence de ce courant, la casuistique à
partir du XVIe siècle, vont opposer la loi et la liberté et le
rôle de la conscience sera de trancher entre la loi et la liberté,
comprises dans un rapport antithétique. 142(*) Pour le nominalisme, ce qui
fait la moralité d'un acte est la soumission de la volonté
à l'obligation, mais il n'y a pas de justification rationnelle des lois
morales : la loi est une convention arbitraire. La vie morale n'est plus alors
une morale du sujet qui s'oriente de plus en plus vers le bien, mais une morale
d'actes indépendants entre eux, sans prise en considération de la
personne avec son histoire.143(*)
Dans un tel contexte intellectuel, on devine alors quelle va
être la problématique morale centrale : quand, dans une situation
concrète, j'ai un doute sur le caractère obligatoire de la loi,
ne sachant pas si la loi s'applique vraiment, ai-je l'obligation d'obéir
à la loi ou puis-je m'écarter de la règle qui
oblige ? Ces questions donneront naissance aux différents
systèmes moraux144(*)de la casuistique et influenceront plusieurs auteurs
et écoles théologiques. Des positions les plus rigoristes aux
positions les plus laxistes, l'éventail des réponses des
casuistes sera d'une profusion impressionnante et explique l'image
négative attachée aux subtilités de la
casuistique145(*).
CHAPITRE DEUXIEME :
LA DOCTRINE DE L'EGLISE SUR
LA QUESTION DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS
II.0. Introduction
Notre société est confrontée à des
nouveaux problèmes éthiques, associés principalement aux
développements technoscientifiques qui propulsent nos rêves du
côté de l'immortalité, du contrôle de la vie
naissante, de l'expression des opinions et des intérêts
individuels, des communications instantanées où chaque internaute
devient une vedette. Le progrès de nos civilisations est remarquable
à bien des points de vue : notre vie quotidienne est plus facile, nous
nous sommes affranchis de bien des conditionnements de l'espace et du temps.
Tout va vite, tout change vite, et le besoin de s'en remettre à une
tradition ou à un stock de certitudes déjà bien
acceptées n'est plus là. Chacun a son opinion personnelle, tout
le monde a raison, personne n'est vraiment responsable.
Ainsi, le développement de la morale postconciliaire
s'est effectué dans un contexte polémique difficile, avec une
remise en cause des fondements même de la théologie morale,
accompagné d'un doute sur les compétences - et donc la
légitimité - du magistère à se prononcer dans ce
domaine. Tout le travail de l'Église s'accorde à retrouver les
fondements scripturaires et ontologiques en morale, ces fondements étant
seuls capables de faire face à un relativisme ambiant dont les racines
remontent jusqu'au nominalisme.
Nous sommes en effet, dans la culture de l'invention, de la
créativité, des défis posés à la nature,
à la morale. Jean-Paul II aimait rappeler que nos progrès
contemporains sont quelque peu en déficit de progrès
éthique.
Alors, s'il est difficile d'imprégner notre
progrès d'une éthique forte et durable, qu'en est-il de
l'éthique chrétienne issue de la foi au Fils de Dieu fait homme?
Qu'en est-il, également, de l'enseignement de l'Église catholique
sur des questions chaudes comme l'avortement, le sida et le condom, les
mères porteuses, la recherche sur l'embryon, le clonage, l'euthanasie ?
, Bref, tous ces actes que l'Eglise qualifie d'intrinsèquement mauvais
mais qui sont devenus pratiques courantes et même
légalisé par certains états?
N'est-il pas trop tard ? L'Église de ce temps est-elle
seulement en mesure de se réapproprier elle-même ces fondements
avant même de chercher à faire passer ses idées au dehors ?
En d'autre termes, quelles sont les sources de l'Eglise en morale en
général et sur les actes intrinsèquement mauvais en
particulier ?
Notons par ailleurs que nous allons étudier les sources
de la théorie des actes intrinsèquement mauvais à partir
de la période du Concile Vatican II.
II.1. Le Concile Vatican II
et la théologie morale
Le concile Vatican II a eu comme principale ambition de
travailler à un aggiornamento de l'Eglise. Celle-ci prend
conscience de ses racines, du sens de sa mission, des exigences d'une
présence adaptée et signifiante au coeur d'un monde changeant.
Mais pourtant, aucun document officiel de Vatican II ne traite de
l'éthique chrétienne de façon systématique. Il y a
cependant une morale conciliaire, tracée en totale cohérence avec
l'ensemble de son enseignement, qui est présenté un peu partout,
intégrée à d'autres thèmes, mais surtout dans la
Constitution Gaudium et Spes.146(*) « La question morale, écrit
à propos Pinckaers, n'était pas au centre de la
préoccupation des Pères du Concile, dont le souci majeur
était la compréhension et l'identité de l'Église.
Il n'en reste pas moins vrai que leur réflexion a inauguré une
nouvelle ère de la théologie morale. La nouveauté
essentielle, dont on peut voir la marque dans la déclaration sur la
liberté religieuse (Dignitatis Humanae), ainsi que dans la constitution
pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes),
consiste à prendre pour point de référence des
décisions morales non pas une vérité abstraite, mais la
nécessité pour les personnes d'agir selon les préceptes de
leur propre conscience. »147(*)
En effet, Vatican II a voulu une théologie morale
plus existentielle, plus historique, plus théologique, plus attentive
à l'histoire des hommes dans la perspective de l'histoire du Salut. Ce
qui explique l'échec du schéma De re morali comme
l'explique le père Pinckaers : « Soumis à la
relecture de la Commission centrale puis présenté au concile, le
schéma De re morali sera vivement critiqué par le cardinal
Döpfner et par un dominicain, le P. Le Guillou, qui reprocheront au texte
son manque de fondations scripturaires et sa tendance à réduire
la loi nouvelle du N.T. à la loi naturelle. Le texte De re morali
rejeté, il ne sera pas proposé d'alternative de remplacement. Les
Pères du concile n'estimèrent pas la réflexion
théologique suffisamment mûre en matière de morale, et
surtout, leurs préoccupations s'orientaient de plus en plus sur les
rapports entre l'Église et le monde. »148(*)
En effet, à la lecture des textes conciliaires, lorsque
l'ensemble du corpus fut publié (1965), le croyant avait de quoi se
réjouir d'une joie sans partage de l'extraordinaire remise en
perspective, selon la nécessité des temps, de l'Église, du
monde, et de leur relation réciproque. Mais pour ce qui touche à
son propre domaine, le moraliste ne semblait ne rien trouver qui puisse
directement rejoindre en profondeur sa discipline. Tout le concernait,
spécialement la place redonnée à l'Écriture, mais
aucun texte spécifique ne venait opérer une démonstration
d'une place nouvelle pour l'éthique théologique.
La morale traditionnelle issue du concile de Trente avait
d'ailleurs été déjà livrée à la
critique bien avant Vatican II par des théologiens tels Bernard
Häring, Joseph Fuchs, Philippe Delhaye, et bien d'autres. Ils avaient
perçu que cette morale, faussement nommée théologique tant
elle s'était dénaturée en un code du bien et du mal, ne
tenait plus. Ils avaient compris également qu'il était
nécessaire de retrouver le lien perdu avec l'Évangile, la foi, la
personne du Christ et les interrogations des hommes.
Dans les textes conciliaires, les moralistes crurent tout
d'abord que l'agir humain, l'existence chrétienne comme savoir et
expérience, n'avaient pas été une priorité.
Témoin à l'époque, le Père Yves Congar, lors d'un
congrès tenu à Rome en 1967, affirmait : « Parmi les
limites de Vatican II, on doit à coup sûr noter celle-ci : il n'a
pas abordé les questions de l'éthique et donc, ne les a pas
renouvelées... Or il y a là un domaine qui exige de nouvelles
élaborations. »149(*)
Mais il nous faut modérer ce jugement : en effet,
une lecture attentive avec le recul nécessaire, amène à
comprendre que le concile s'est soucié avec une grande acuité de
l'éthique en lui donnant une orientation nouvelle.150(*) Il exige d'elle de ne pas se
contenter des raisonnements abstraits, mais de retrouver les sources du
christianisme à travers l'Écriture et la Tradition
inspirée par la longue manducation des Pères de
l'Église.
Dans le décret sur la formation des prêtres
(Optatam totius) on lit : « Il faudra s'appliquer avec un
soin spécial, à perfectionner la théologie morale dont la
présentation scientifique plus nourrie de la doctrine de la Sainte
Écriture, mettra en lumière la vocation des fidèles dans
le Christ, et leur vocation de porter du fruit dans la charité pour le
salut du monde. »151(*) On aura noté le bouleversement
opéré en quelques mots : la morale n'est plus obéissance
passive à une loi, mais un « appel » (vocatio)
à suivre le Christ et comme lui à répondre à
l'amour du Père.
Quant à la Tradition, comme source de renouvellement,
les pères conciliaires souhaitent que l'on montre aussi «
l'apport des Pères d'Orient et d'Occident pour une transmission et
un approfondissement fidèles de chacune des vérités de la
Révélation» (O.T 17). Le concile de ce fait,
avec une audace incontestable, établit un lien entre l'agir humain et
toutes les autres disciplines théologiques devant en inspirer le
déploiement. La Parole de Dieu et la Sagesse de l'Église
primitive redeviendront la sève de l'art de vivre en Christ.
L'éthique méritera de nouveau son titre de
théologie puisqu'y entreront La Trinité et les vertus
théologales.
C'est donc seulement plus tardivement que la force de Vatican
II s'exerça en théologie morale. Si les textes avaient au
départ déçu en minimisant cette discipline, la lecture
approfondie de tout l'ensemble, sa connaissance donc, mit à jour cette
orientation nouvelle offerte à l'Église. Ainsi en valorisant le
monde et les réalités terrestres, l'intuition conciliaire va
changer la manière de considérer l'éthique et de faire de
la théologie morale.
Le document sur la liberté de conscience
(Dignitatis humanae) apparaîtra comme le sommet dans l'ordre de
l'éthique conciliaire. Mais le traitement des thèmes
abordés dans les diverses constitutions et spécialement
Gaudium et spes, permet aux théologiens de relever des
éléments fondateurs pour ce vaste chantier de rénovation
dont la nécessité s'imposait à toutes les consciences.
En intériorisant les textes de façon globale,
les théologiens moralistes vont se réapproprier les documents et
y distinguent une façon neuve de vivre l'existence chrétienne, et
d'étayer le jugement moral, axe central du texte conciliaire. A ce
propos Delhaye affirme : « Les textes conciliaires peuvent
être la source d'un véritable traité des valeurs.
»152(*)
L'inquiétude, en raison de la complexité des
problèmes contemporains, exige, non un retour à des
réponses toutes faites et faussement sûres mais une
capacité d'élaboration du jugement éthique. «
L'Église dans le monde de ce temps » (Gaudium et
spes) propose un regard inédit sur Dieu et sur l'homme, une
invitation à une conversation -- dira Paul VI -- entre Église et
monde. Elle apportera un changement considérable dans la manière
d'accueillir le monde, d'en partager les inquiétudes et les espoirs, de
proposer un art de la réflexion éthique partageable par tout
homme de bonne volonté et impérieux pour les chrétiens.
Afin de faire la vérité, dans un monde en mouvement permanent,
une unique communauté de destin.
Après avoir souligné la dignité de
l'intelligence, la réflexion du concile insiste fortement sur la
présence au coeur de tout homme d'une loi morale appartenant à
l'initiative du Créateur. Cette loi intérieure inscrite
dès la création, oblige la conscience à discerner le bien
du mal, et à choisir le bien pour répondre à la vocation
qui nous convoque tous et chacun: aimer sans cesse et davantage. Cette loi est
constitutive de l'humain, et c'est elle - trace et présence du Christ au
plus intime de l'intime, qui fonde la dignité, son caractère
inaliénable, toujours respectable, de tout individu, de par sa seule
appartenance à l'humanité. Cette loi intérieure est
voix de Dieu, dira le Concile, « inscrite par Dieu au coeur
de l'homme »153(*).
La conscience sera donc l'espace où en totale
liberté, chacun décidera ce qu'il veut être et
désire devenir, à l'écoute d'un appel que même,
écrit Saint Paul, les païens entendent s'ils sont attentifs
à leur intériorité (cf. Rom 2,15).
Ainsi Vatican II va-t-il donner un poids inédit
à la dignité humaine pensée comme
créationnelle et au respect de la conscience personnelle. Il va
souligner comme jamais le lien indéfectible de cette conscience avec la
liberté, puisqu'elle désigne « le centre le plus secret
de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix
se fait entendre. »(GS 16)
Par, ailleurs, plusieurs documents du magistères sur la
morale et particulièrement sur la question des actes
intrinsèquement mauvais, procèdent de Vatican II, en mettant
l'accent sur la loi, sur les commandements et sur la soumission à un
ordre moral objectif, en argumentant surtout en fonction du caractère
universel des interdits, des actes intrinsèquement mauvais à ne
pas faire, jusqu'au martyre. Il s'agit, entre autres, en plus des textes
conciliaires, comme Gaudium et Spes, des encycliques Humanae
vitae et Veritatis Splendor, et du Catéchisme de l'Eglise
Catholique.
II.2. La conscience morale
et les actes intrinsèquement mauvais selon Gaudium et Spes
1) Présentation
La constitution pastorale Gaudium et Spes « sur
l'Église dans le monde de ce temps » est l'un des principaux
documents de l'Église catholique romaine issus du
IIème concile oecuménique du Vatican. La constitution
pastorale Gaudium et Spes a tenu une place centrale dans
l'enseignement de Jean-Paul II. Jeune évêque, comme en
témoignent Yves Congar et le Père De Lubac, tous les deux experts
au Concile ; il a participé de très près à
l'élaboration de ce texte majeur. Si certaines problématiques ont
vieilli, les fondements anthropologiques et théologiques restent dignes
d'intérêt pour affronter les nouveaux problèmes qui se
présentent aujourd'hui.
2) Contenu
Gaudium et Spes marque une véritable rupture
avec un certain passé d'où vient qu'elle peut être
considérée comme un texte prophétique, mais d'où
vient aussi qu'elle a pu être mal reçue à l'époque
dans plusieurs cercles de l'Église.
En effet, dans l'ensemble de la Constitution pastorale, le
Concile cherche à opérer un discernement des signes des temps
(GS 4, 1), c'est-à-dire à la fois un discernement des
événements historiques significatifs pour l'histoire humaine,
sociale, économique et politique, et une lecture de la présence
de Dieu à cette histoire.154(*) Il propose une méthode de discernement :
« Il revient à tout le Peuple de Dieu, notamment aux pasteurs
et aux théologiens, avec l'aide de l'Esprit Saint, de scruter, de
discerner et d'interpréter les multiples langages de notre temps et de
les juger à la lumière de la parole divine, pour que la
vérité révélée puisse être sans cesse
mieux perçue, mieux comprise et présentée sous une forme
plus adaptée » (GS 44, 2). Il donne également
des repères pour l'action, qui sont à la fois des critères
de jugement (visée du bien commun, solidarité, justice sociale,
charité, prise en compte prioritaire des plus pauvres...) et des
directives d'action, qui peuvent être dépendantes des contextes
historiques et culturels. Cette démarche caractérise depuis
l'enseignement social de l'Église.
Par ailleurs, par rapport à la question des actes
intrinsèquement mauvais, nous pouvons retenir trois points essentiels
caractéristiques qui résument la doctrine contenu dans la
Constitution pastorale Gaudium et Spes:
a) La dignité humaine
Le chapitre premier du texte (GS 12-22) décrit
longuement cette « juste conception de la personne humaine, de sa
valeur unique ». Il rappelle que le respect de la personne humaine
dans son unicité et son caractère sacré est une valeur
aujourd'hui communément partagée (GS 12), puis
précise que pour l'Église, cette reconnaissance s'appuie sur
plusieurs raisons théologiques : l'homme est créé à
l'image de Dieu ; le Fils de Dieu est devenu vrai homme et a honoré
notre condition humaine ; chaque homme a été racheté par
la passion, la mort et la résurrection du Christ, ce qui ouvre le chemin
de la « divinisation ». Pour l'Église, la personne humaine
« créée à l'image de Dieu » a donc une
dignité inaliénable, qui lui est donnée d'un Autre, et ne
dépend pas des réussites ou des capacités de la personne
mais de l'amour personnalisant de Dieu. D'où également
l'égalité fondamentale de tous les êtres humains. Les
implications éthiques qui en découlent sont importantes dans les
débats actuels
b) Le corps
Le premier interdit énoncé par le texte
conciliaire concerne le mépris du corps (GS14). Le passage
vient après la mention de la tentation contemporaine du désespoir
(GS12) et de la misère humaine (GS 13). Il rappelle
que ce qui concerne le corps concerne la personne entière, car c'est
à travers le corps que l'être humain entre en relation avec les
autres et avec Dieu. Avec toutes les conséquences que cela
entraîne dans les domaines de la bioéthique, de la vie sexuelle et
familiale, mais aussi pour la dénonciation de la torture, des
mutilations, de la prostitution et de toutes les conditions de vie ou de
travail dégradantes (GS 27), sans parler de l'ambivalence qui
consiste à penser que la personne est digne tant que le corps est beau
et respire la santé. Le respect du corps implique aussi de prendre au
sérieux ses limites, et la responsabilité qui incombe à
chacun de faire du monde un lieu habitable.
c) La conscience morale
Il s'agit de l'un des passages les plus célèbres
de la constitution pastorale qui a été parfois lu comme une
affirmation générale, isolé de la logique du texte.
Gaudium et spes ne fait pas de la foi chrétienne la condition
d'une vie authentiquement morale. Mais il fait jouer la différence
chrétienne. Si le texte affirme la dignité de la conscience
humaine, c'est pour aider tout homme à découvrir la loi qui le
dépasse et qui habite sa conscience, et pour souligner la part
jouée par la parole de Dieu. Ainsi par exemple, la condamnation
solennelle des atteintes à l'intégrité de la personne
humaine, au plan physique, psychique et spirituel (GS 27) n'est pas un
simple rappel des interdits et des obligations contenues dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme, mais résulte du
travail coordonné de la conscience morale et de la parole de Dieu :
« Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de
mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,
40).
3) Analyse
Vingt ans après la Déclaration universelle
des droits de l'homme, le Concile Vatican II affirmait avec force à
son tour la dignité de la personne humaine, en utilisant cette
expression. Le concile, comme les textes internationaux, fait du droit au
respect de sa dignité le premier et le plus fondamental des droits de
l'homme. Mais là encore il faut prendre garde à la
définition des notions en jeu. L'Eglise reconnaît les droits de
l'homme et encourage à les défendre, à condition qu'ils ne
bafouent pas la dignité de la personne humaine, elle précise les
devoirs qui leurs sont assujettis, et elle les élargit à la
mesure de la vocation de l'homme fils de Dieu. Ainsi, on doit respecter les
droits de son prochain, mais surtout le considérer et l'aimer comme
lui-même.
L'Eglise va donc encore plus loin que ce que nécessite
une simple protection des droit de l'homme telle que l'entend le droit
international, parce qu'elle est guidée par l'amour du Christ, qui doit
conditionner tous nos actes. Et c'est ce qui lui permet de rester vigilante
quant aux nouveaux droits de l'homme qui fleurissent aujourd'hui.
Gaudium et Spes insiste beaucoup sur le respect dû à
l'homme, et sur le devoir de considérer son prochain comme un autre
soi-même et énumère ainsi des actes qui sont
considérés comme intrinsèquement mauvais : «
tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute
espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et
même le suicide délibéré: tout ce qui constitue une
violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les
mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques;
tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les
conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les
déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et
des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui
réduisent les travailleurs au rang de pur, instruments de rapport, sans
égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces
pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes.
Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui
s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement
à l'honneur du Créateur. » (GS 27)
Actuellement en effet on constate une certaine tendance
à redéfinir les droits de l'homme sur des bases
différentes de celles sous tendaient la Déclaration universelle
de 1948. Celle-ci s'inscrivait dans la tradition qui considérait que
l'homme est capable de découvrir, grâce à sa raison, qu'il
a des droits fondamentaux, qui s'imposent à tous par l'éclat de
leur vérité. On considère plutôt aujourd'hui
qu'aucune vérité ne s'impose à l'homme à propos de
lui-même et que l'origine des droits de l'homme doit être
plutôt recherchée dans le consensus. Les droits de l'homme dans ce
cas sont issus d'un processus au terme duquel la décision de la
majorité définit ce qui est juste.155(*)Mais les droits de l'homme ne
viennent pas de l'extérieur, ils ne sont pas donnés à
l'homme par un autre homme ou par une institution humaine telle que l'Etat. Ils
lui appartiennent antérieurement à toute institution humaine. Les
droits ne se créent pas, ils ne peuvent être nouveau au sens
strict du terme : ils se dévoilent, ils se déclarent pour ensuite
être protégés et promus
L'enseignement de Gaudium et Spes est l'enseignement
permanent de l'Église depuis son origine. Un dialogue doit être
établi entre tous les hommes et d'abord au sein même de
l'Église: Ce qui unit les fidèles est plus fort que ce qui les
divise. L'unité de tous les chrétiens est désirée
et attendue. Il faut poursuivre activement les efforts entrepris. Un dialogue
est aussi nécessaire avec tous ceux qui croient en l'existence de Dieu.
Enfin, pour réaliser le dessein de Dieu, les chrétiens doivent
savoir qu'ils sont tous appelés à rendre service aux hommes de
leur temps. (GS 91 à 93).
Cependant, certains auteurs reprochent à Gadium et
Spes un humanisme chrétien où l'homme est au centre de tout
(GS 12) et l'absence totale de Dieu. Ceci implique trois faits
majeurs :
· Le naturalisme : Le Royaume
de Dieu, Royaume des Cieux, n'est pas de ce monde, mais au-delà. Il faut
mourir avec le Christ et perdre sa vie pour la gagner en ressuscitant avec Lui
pour la Vie éternelle. La vocation, la libération et le salut de
l'homme ne sont pas d'ordre temporel, humain, politique, mais d'ordre
religieux, moral, transcendant.
· L'optimisme : Parce que ce
combat, cet effort pour conquérir le Royaume de Dieu ne sont pas de
l'homme mais de Dieu. Ils sont l'oeuvre de la grâce en nous, non de la
bonne volonté et des énergies naturelles de l'humanité,
encore moins d'un germe divin et d'un Esprit qui seraient communément
répandus en tous les hommes comme une énergie et une noblesse
natives.
· L'humanisme enfin, faussement
donné pour évangélique et chrétien, selon lequel la
foi et la religion catholiques auraient pour fonction providentielle de servir
de moteur spirituel à cette construction, d'être l'âme du
monde dans son progrès, distribuant conseils et exemples,
lumières et énergies pour assurer la réussite de cette
conquête du bonheur de tout l'homme par l'homme pour tous les hommes.
II.3. Réconciliation
et pénitence : réaffirmation de la doctrine catholique des
actes intrinsèquement mauvais
1) Présentation
Dix-huit années après la promulgation du rituel
romain de la pénitence156(*), Jean Paul II propose une exhortation apostolique
post-synodale Reconciliatio et Poenitentia, (RP)
adressée à l'épiscopat, au clergé et aux
fidèles sur la réconciliation et la pénitence dans la
mission de l'Eglise aujourd'hui, datée du 02/12/1984.
Commençant avec la prédominance du thème
de la réconciliation sur celui de la pénitence, il
s'achève à l'inverse. Ainsi le titre général
Réconciliation et Pénitence se transforme au chapitre
III en « la pastorale de la Pénitence et de la
Réconciliation ». Nous voyons là un premier indice de
l'argumentation générale d'un texte qui semble chercher à
contenir les évolutions marquées par le Rituel Romain de 1973 en
redonnant à l'ancien rituel toute sa place.
L'Exhortation s'ouvre sur la représentation de la
réconciliation dans un monde éclaté, nostalgique de son
unité passée (préambule). Cette représentation sert
de cadre aux représentations des objets théologiques: Christ
réconciliateur (RP7), Eglise réconciliatrice
(RP8), Eglise réconciliée (RP9). Cette
représentation, plutôt affective, issue de la
représentation du péché comme brisure d'amitié,
permet ainsi d'inclure des pratiques réconciliatrices non sacramentelles
telles que la prière, la prédication, l'action pastorale et le
témoignage (RP12).
Les actes de contrition, les oeuvres de charité, la
prière et les rites pénitentiels seront cités comme moyens
de pardon des péchés véniels, c'est-à-dire au sein
d'une représentation judiciaire où s'établissent une
échelle de gravité des fautes et une proportionnalité de
la pénitence rédemptrice.
Dans cette exhortation la régulation sociologique est
la seule qui soit explicite, avec la méthode du dialogue, reprise de
l'encyclique Ecclesiam Suam (ES) de Paul VI157(*). Cette notion offrait
une version adoucie de l'obéissance à la hiérarchie
ecclésiastique. L'autorité est sauve : elle se fait persuasive
par l'échange de paroles et non plus par des méthodes de
dissuasion, d'inquisition, etc. Il est requis du fidèle qu'il ne rejette
point cette autorité et qu'il accepte le dialogue, en échange de
quoi l'autorité ne rejettera pas le pécheur (public) et se
montrera tolérante en respectant la conscience de chacun. La
régulation par la hiérarchie est ainsi tempérée par
un jeu d'échanges.
2) Analyse
L'exhortation Réconciliation et pénitence part
d'un fait : notre société connait une perte du sens du
péché. Le pape définit le sens du péché
comme, « une sensibilité et une capacité de
perception qui permettent aussi de déceler ces ferments dans les mille
formes que revêt le péché, dans les mille visages sous
lesquels il se présente. » (RP 18) Ce sens du
péché a sa racine dans la conscience de l'homme et en est comme
l'instrument de mesure. Il est lié au sens de Dieu, puisqu'il
provient du rapport conscient de l'homme avec Dieu comme son Créateur,
son Seigneur et Père (RP 18).
Pour le pape, les raisons de cette altération du sens
du péché sont multiples et reliées pour la plupart d'entre
elles à l'évolution scientifique: « notre
société, diagnostique le pape, vit sous la menace d'une
éclipse de la conscience, d'une déformation de la conscience,
d'un engourdissement ou d'une anesthésie des consciences (...) On a eu
tendance à remplacer certaines attitudes excessives du passé par
d'autres excès: au lieu de voir le péché partout, on
ne le distingue plus nulle part ; au lieu de trop mettre l'accent sur la peur
des peines éternelles, on prêche un amour de Dieu qui exclurait
toute peine méritée par le péché ; au lieu de la
sévérité avec laquelle on s'efforce de corriger les
consciences erronées, on prône un tel respect de la conscience
qu'il supprime le devoir de dire la vérité (...).»
(RP 18)
Ainsi, il est donc inévitable dans cette situation que
le sens du péché soit lui aussi obnubilé, car il est
étroitement lié à la conscience morale, à la
recherche de la vérité, à la volonté de faire un
usage responsable de sa liberté. Ce sens du péché, affirme
le pape, disparaît également dans la société
contemporaine à cause des équivoques ou l'on tombe en accueillant
certains résultats des sciences humaines. (RP 19) Ainsi, en
partant de quelques-unes des affirmations de la psychologie, la
préoccupation de ne pas culpabiliser ou de ne pas mettre un frein
à la liberté porte à ne jamais reconnaître aucun
manquement. (RP 19) A cause d'une extrapolation indue des
critères de la science sociologique, on en vient à reporter sur
la société toutes les fautes dont l'individu est
déclaré innocent. Egalement, une certaine anthropologie
culturelle, à son tour, à force de grossir les conditionnements
indéniables et l'influence du milieu et des conditions historiques sur
l'homme, limite sa responsabilité au point de ne pas lui
reconnaître la capacité d'accomplir de véritables actes
humains et, par conséquent, la possibilité de pécher.
(RP 19)
En outre, le sens du péché disparaît
facilement aussi sous l'influence d'une éthique dérivée
d'un certain relativisme historique. « Il peut s'agir,
écrit Jean Paul II, de l'éthique qui relativise la norme morale,
niant sa valeur absolue et inconditionnelle, et niant par conséquent
qu'il puisse exister des actes intrinsèquement illicites,
indépendamment des circonstances où ils sont posés par le
sujet. Il s'agit d'un véritable ébranlement et d'une baisse des
valeurs morales, et le problème, ce n'est pas tellement l'ignorance de
l'éthique chrétienne, mais plutôt celui du sens, des
fondements et des critères de l'attitude morale. L'effet de cet
ébranlement éthique est toujours aussi d'étouffer à
ce point la notion du péché qu'on finit presque par affirmer que
le péché existe mais qu'on ne sait pas qui le
commet. » (RP 20)
Partant de ce qui précède, le pape appelle dans
l'exhortation à rétablir un juste sens du péché,
c'est la première façon d'affronter la grave crise spirituelle
qui pèse sur l'homme de notre temps. Mais le sens du péché
ne se rétablira que par un recours clair aux principes
inaliénables de la raison et de la foi que la doctrine morale de
l'Eglise a toujours soutenus. (RP 18)
Il s'agit notamment, parmi ses principes séculaires et
incessibles que l'Eglise conserve, des actes intrinsèquement mauvais que
Jean Paul II qualifie de noyau de l'enseignement traditionnel de
l'Eglise : « le synode a, en effet, non seulement
réaffirmé ce qui avait été proclamé par le
Concile de Trente sur l'existence et la nature des péchés mortels
et véniels, mais il a voulu rappeler qu'est péché mortel
tout péché qui a pour objet une matière grave et qui, de
plus, est commis en pleine conscience et de consentement
délibéré. On doit ajouter, comme cela a été
fait également au Synode, que certains péchés sont
intrinsèquement graves et mortels quant à leur matière.
C'est-à-dire qu'il y a des actes qui, par eux-mêmes et en
eux-mêmes, indépendamment des circonstances, sont toujours
gravement illicites, en raison de leur objet. Ces actes, s'ils sont accomplis
avec une conscience claire et une liberté suffisante, sont toujours des
fautes graves. » (RP 20)
Fidèle à la tradition, Jean Paul II
définit le péché mortel comme l'acte par lequel un homme,
librement et consciemment, refuse Dieu, sa loi, l'alliance d'amour que Dieu lui
propose, préférant se tourner vers lui-même, vers quelque
réalité créée et finie, vers quelque chose de
contraire à la volonté de Dieu (conversio ad creaturam).
Cela peut se produire d'une manière directe et formelle, comme dans les
péchés d'idolâtrie, d'apostasie, d'athéisme; ou
d'une manière qui revient au même comme dans toutes les
désobéissances aux commandements de Dieu en matière grave.
Aussi, le pape prévient contre toute réduction
du péché mortel à l'acte qui exprime une option
fondamentale contre Dieu. « Il y a, en fait, écrit le
pape, péché mortel également quand l'homme choisit,
consciemment et volontairement, pour quelque raison que ce soit, quelque chose
de gravement désordonné. En effet, un tel choix comprend par
lui-même un mépris de la loi divine, un refus de l'amour de Dieu
pour l'humanité et toute la création: l'homme s'éloigne de
Dieu et perd la charité. L'orientation fondamentale peut donc être
radicalement modifiée par des actes particuliers. Sans aucun doute il
peut y avoir des situations très complexes et obscures sur le plan
psychologique, qui ont une incidence sur la responsabilité subjective du
pécheur. Mais de considérations d'ordre psychologique, on ne peut
passer à la constitution d'une nouvelle catégorie
théologique, comme le serait précisément l'option
fondamentale, entendue de telle manière que, sur le plan objectif, elle
changerait ou mettrait en doute la conception traditionnelle du
péché mortel. » (RP 17)
Bref, l'exhortation Réconciliation et
Pénitence vient réaffirmer qu'un péché mortel
donne la mort à l'âme en lui ôtant la grâce
sanctifiante, et qu'il faut à cela trois conditions :
désobéissance à Dieu en matière grave ; plein
consentement de la volonté ; et pleine conscience de son acte. Et que
certains péchés sont, par leur objet, des actes
intrinsèquement mauvais.
II.4. Le catéchisme
de l'Eglise catholique
1) Présentation
Le Catéchisme de l'Église catholique est un
ouvrage d'instruction à la doctrine chrétienne catholique,
résumant la foi, l'enseignement et la morale de l'Église
catholique. Il a été promulgué le 11 octobre 1992 et
publié solennellement le 7 décembre 19923. Sa rédaction a
été suggérée par l'Assemblée
générale extraordinaire du Synode des Évêques de
19853,4, vingt ans après la fin du concile Vatican II et
approuvée par Jean-Paul II le 7 décembre 19853.
Ce catéchisme est un ouvrage de référence
pour tout fidèle catholique quant aux dogmes, sacrements, vie morale et
vie spirituelle, qui a pour objectif de faciliter la rédaction de
catéchismes locaux. C'est une somme importante, comprenant plus 650
pages, mais sa formulation est claire et didactique afin d'être comprise
par le plus grand nombre5. Il a été réédité,
dans sa version définitive6, en août 1997. Un compendium (version
abrégée) en a également été publié en
2005.
2) Le catéchisme et la morale
C'est dans la troisième partie, la vie dans le
Christ que le Catéchisme traite de la morale chrétienne. En
effet, la morale du catéchisme reprend l'enseignement traditionnel
inspiré de la synthèse thomiste.158(*)Il présente la fin
ultime de l'homme, crée à l'image de Dieu ; la
béatitude et les chemins pour y parvenir : par un agir droit et
libre, avec l'aide de la loi et de la grâce de Dieu, par un agir qui
réalise le double commandement de la charité,
déployé dans les dix commandements (CEC 16).
Les convictions fondamentales du catéchisme de l'Eglise
catholique vont se transcrire dans les affirmations suivantes : la
dignité de la personne humaine, le désir de bonheur, la
liberté, les actes humains, la conscience, les vertus, le
péché et la corruption, la vie communautaire, la loi, le
rôle du magistère dans l'annonce du précepte moral et enfin
les commandements.
Concernant l'agir moral et la question des actes
intrinsèquement mauvais, le Catéchisme affirme que la
qualité de l'objet choisi, de l'intention et des circonstances, rendent
compte de la dignité de la personne, de son désir de bonheur et
de sa vraie liberté. L'objet de l'acte doit être conforme au bien
véritable, selon les règles objectives de la moralité.
L'intention du sujet agissant volontairement vise à la fois la fin
ultime et les finalités assignées à des actions
singulières. Les circonstances peuvent modifier la bonté ou la
responsabilité d'un acte. Mais un acte qui est radicalement mauvais, en
raison de son objet, ne cesse pas de l'être en raison de l'intention et
des circonstances. La fin ne justifie pas les moyens, il n'est pas permis de
faire le mal pour qu'en résulte un bien (CEC 1756).
Il s'agit donc d'une moralité construite d'abord sur
l'objet de l'acte, un ordre moral objectif, c'est-à-dire, qui exprime
toujours et en toute circonstance un désordre de la volonté qui
ne se tourne pas vers le bien conforme à l'ordre rationnel, conforme au
bien de l'être humain (1749-1761). Nous avons ici les
éléments repris plus longuement par Veritatis Splendor
sur le mal objectif. Cela est évident dans l'ordre idéal, si l'on
parvient à établir une nette distinction entre le bien et le mal,
une frontière sans équivoque qui fait que le mal n'est que mal,
et le bien n'est que bien. Dans le discernement éthique qui met en
travail la raison de la quête du bien, cette évidence
n'éclate pas toujours, surtout en raison de l'influence des passions
(1762-1775) qui contribuent à l'incontournable ambiguïté
éthique.
En somme, le Catéchisme enseigne que la personne ou le
moraliste qui réfléchit en vue d'une action bonne doit peser
toutes les dimensions concrètes de l'action, évaluer à
quelles conditions elle respecte le mieux la dignité des personnes et
à quelles conditions elle demeure éthiquement valable, tout en
étant porteuse de mal. Voilà le terrain de travail de
l'éthique, terrain très souvent miné par des solutions
trop simplistes, utilitaristes et fonctionnelles, et peu cohérentes avec
ce que la raison identifie comme ayant du sens pour le bien de l'être
humain. C'est dans cet espace d'ambiguïtés que certains moralistes
ont proposé des options trop laxistes et risquant de compromettre la
conquête du vrai bien. C'est à eux que Veritatis Splendor
s'est adressé en premier lieu.
II.5. Veritatis
Splendor : nouveau dogme sur le mal intrinsèque
II.5.1. Le contexte de
publication de veritatis Splendor
Veritatis splendor offre en effet une ample
réponse aux questions discutées entre des
moralistes qui demeurent inconnus du grand public mais
dont l'incidence concrète est
considérable. La théologie morale est en crise
parce que les principes qui la fondent sont radicalement mis
en cause par une nouvelle école qui occupe les
chaires des plus grandes universités catholiques,
même à Rome. Ses deux grands noms : Joseph Fuchs
sj, professeur à la Grégorienne, et Bernard
Häring, rédemptoriste de l'Académie
Alphonsienne, l'Institut de théologie morale de
l'université du Latran. On citera aussi Johannes
Grundel, professeur à la Faculté de
théologie de Munich, et les jésuites Peter Knauer,
de Louvain, Bruno Schuller et Richard McCormick...
Malgré d'inévitables divergences, ces
différents auteurs se retrouvent autour de quelques
thèses fondamentales.159(*) Nous en exposons ici les trois
principaux :
- Existe-t-il une morale chrétienne
?
Tel est le titre d'un livre de J. Fuchs. Oui et non,
répond le jésuite, qui coupe la morale
catholique en deux parties. Oui quant à ses
orientations générales, fondées sur des
textes de l'Evangile: la foi, la charité ou l'imitation
du Christ. Non, si l'on descend au niveau des
comportements quotidiens, des actes concrets et des
cas de conscience qui touchent des domaines limités
tels que la chasteté, le mariage, la vie sociale ou la
justice. L'Ecriture apportant ici peu d'éclairages,
ceux-ci relèvent principalement de la raison et donc
d'une morale simplement humaine, à caractère
universel, même si elle s'inscrit dans un climat chrétien.
Conséquence logique de cette séparation : la
revendication d'autonomie de la morale vis-à-vis du
Magistère.160(*) Car si l'Eglise peut s'exprimer sur les
attitudes générales, les nouveaux moralistes
contestent son intervention dans les questions
éthiques réservées à la raison.
D'où le développement depuis Humanæ
vitæ d'une théologie du dissentiment,
réfutée par Rome notamment par l'Instruction sur
La vocation ecclésiale du théologien
(24 mai 1990).161(*)
- Subjectivisme et relativisme.
Fascinés par les sciences de l'homme (psychologie,
psychanalyse, sociologie) et de la nature (biologie) qui analysent les
comportements humains comme des faits extérieurs, la nouvelle
école ne se réfère plus à la loi naturelle,
fondement de toute morale objective. Seuls comptent les actes personnels
s'insérant dans les mouvements collectifs, l'évolution des
moeurs, le pluralisme culturel, bref le devenir des choses et non plus
l'être stable qui les sous-tend.
La conscience de chacun, influencée par son
milieu d'appartenance, applique à la
réalité humaine des normes qui ne sont ni
obligatoires, ni valables en tous temps et tous lieux, mais
sont simplement des aides dont la valeur pédagogique
est relative. Fuchs écrit : « Les faits,
qu'ils soient sociaux, culturels, techniques ou autres,
évoluent. Les expériences de l'homme et des
sociétés humaines se modifient du tout au tout, en
raison même de l'évolution des faits. Le jugement
porté sur les valeurs, la manière de comprendre
le sens de la réalité humaine et la conscience
de soi peuvent aussi se transformer»162(*). Dès lors, les
véritables normes ne sont pas les lois universelles
mais les interprétations personnelles. La morale
est existentialiste, subjective.
- Tout acte peut devenir bon.
S'il n'y a plus de lois morales universelles, il n'y a
plus d'actes intrinsèquement mauvais,
indépendamment des intentions et des circonstances,
tels que le mensonge, le blasphème ou l'adultère.
Ce problème arrive en tête des controverses
actuelles. En 1952, Pie XII avait condamné la morale de
situation. Nos théologiens, plus audacieux, ont
conçu un nouveau système appelé
conséquentialisme ou proportionnalisme qui juge les
actes par comparaison ou proportion entre les
conséquences bonnes ou mauvaises qu'ils produisent. Un
acte n'est jamais toujours bon ou mauvais en soi. Pour le
qualifier, il faut au préalable envisager l'ensemble
des circonstances et tous les effets proches et lointains qui
en découleront. Fuchs distingue ainsi
l'ordre prémoral ou non-moral de l'ordre moral.
Supposons une femme qui envisage de prendre la pilule. La
stérilité qui en résultera est un mal
prémoral mais l'équilibre du couple qui en dépend
est un bien prémoral. Jugeant en toute bonne foi que
l'équilibre de son couple est un plus grand bien, la
volonté de cette femme va assumer cet acte, passant
ainsi au domaine moral. Cette fin justifie ce moyen. Sa
bonne intention - réaliser le plus grand bien
prémoral - qualifie positivement son acte. Puisque
l'équilibre du couple prime sur la
stérilité, il y a une raison
proportionnée pour recourir à la contraception.
Comme il peut y avoir - autres cas - des raisons
proportionnées de mentir, d'avorter, de pratiquer
l'euthanasie, etc.
Tout type d'acte peut, en raison des
intentions, des circonstances et des conséquences,
devenir moral. Mais - objectera-t-on -
l'évaluation des biens et des maux prémoraux
suppose un travail d'analyse qui n'est pas à la
portée de n'importe qui. Ce système est fait
pour des intellectuels. Réponse des néo-moralistes :
la moralité d'un homme ne se mesure pas à
la connaissance qu'il peut avoir des circonstances et
des conséquences, qui seront toujours
incomplètes et limitées. Mais elle
dépendra de la qualité de son intention. Et nul
autre que lui n'est mieux placé pour déterminer
librement ce qu'il doit faire. On a rapproché cette
nouvelle théologie morale de l'utilitarisme, qui constitue le
substrat de la morale libérale anglo-saxonne. Et il est
vrai qu'elle s'accorde avec une conception technicienne de la
vie : ce qui est vrai et bon, c'est ce qui marche.
Face à ces thèses, Rome n'est pas
restée silencieuse. Veritatis splendor s'inscrit en
continuité avec les documents du Magistère
touchant les problèmes moraux actuels : l'encyclique
Familiaris consortio (1981) sur le mariage, les
nombreux discours de Jean-Paul II sur le respect de la vie et
les questions médicales et les textes de la
Congrégation pour la Doctrine de la foi sur
l'euthanasie (1980), l'homosexualité (1986) et la
bioéthique (1987). Le Catéchisme de l'Eglise
catholique publié en 1992 a intégré
toutes ces données et rappelé, contre les néo
moralistes, l'existence d'actes intrinsèquement
mauvais
II.5.2. Présentation de
Veritatis Splendor
L'encyclique Veritatis splendor (VS)
publiée le 6 août 1993 est un acte authentique du Magistère
doctrinal romain. Elle n'a cependant aucun des caractères de la moindre
infaillibilité, soit de fait comme l'est un acte du Magistère
ordinaire, soit de droit comme sont les définitions et anathèmes
du Magistère extraordinaire ou solennel. Elle est celle d'un
repositionnement d'inspiration largement néo-scolastique de la
théologie morale, face aux problématiques d'éthique
contemporaine. Elle concerne avant tout la définition et l'articulation
de différents concepts clés : Vérité,
liberté, conscience morale, loi... Le titre lui-même de
l'Encyclique traduit cette aspiration à une vigilance morale à ne
pas séparer la quête du Bien de celle du Vrai, et ce malgré
la floraison des éthiques contemporaines, plus ou moins autonomes ou
relativistes.
L'Encyclique du Pape est publiée après la chute
du Mur de Berlin en 1989 et la fin du communisme, dans une époque de
changement important au niveau politique mais aussi idéologique dans
lequel on voit poindre l'apogée du capitalisme individualiste. Jean
Desclos affirmera après la publication de Veritatis Splendor
qu'« après avoir porté les coups les plus terribles au
totalitarisme communiste, Jean-Paul II est devenu le seul adversaire
sérieux de l'esprit capitalo-individualiste de notre temps
»163(*).
L'encyclique du pape, critiquée par certains, tente
donc de repenser la morale à l'aube du XXe siècle. Le Cardinal
Ratzinger, à l'occasion de la présentation de l'encyclique
Veritatis Splendor le 5 octobre 1993, résume l'enjeu de cette
encyclique: « La question morale est manifestement plus que jamais une
question de vie ou de mort pour l'humanité. Dans la civilisation
uniformément techniciste qui s'est étendue désormais au
monde contemporain tout entier, les anciennes certitudes morales, que
soutenaient jusqu'ici les grandes cultures particulières, sont largement
détruites »164(*). Le Pape a ainsi voulu reformuler les notions de
Bien et de Mal.
Cette encyclique apparaît tardivement dans le pontificat
de Jean-Paul II, alors même que l'Encyclique était annoncée
depuis 1er août 1987, celui-ci le justifie dans l'introduction de
l'Encyclique: « Si cette encyclique, attendue depuis longtemps,
n'est publiée que maintenant, c'est notamment parce qu'il est apparu
opportun de la faire précéder du Catéchisme de
l'Église catholique, qui contient un exposé complet et
systématique de la doctrine morale chrétienne."(...)"
l'encyclique se limitera à développer quelques questions
fondamentales de l'enseignement moral de l'Église, en pratiquant un
nécessaire discernement sur des problèmes controversés
entre les spécialistes de l'éthique et de la théologie
morale. » (VS 5)
II.5.3. Analyse
Destinée en premier lieu à tous les
évêques, Veritatis splendor énonce clairement les
souhaits et les directives du pape : rétablir dans les esprits
trompés ou perdus le seul et vrai ordre moral compatible avec la
doctrine catholique, et susceptible par là même, d'aider les
âmes à se sauver. Il écrit à ce sujet, «
Dans le cadre des débats théologiques postconciliaires, se
sont toutefois répandues certaines interprétations de la morale
chrétienne qui ne sont pas compatibles avec la saine doctrine (2 Tm 4,
3). Il est évident que le Magistère de l'Eglise n'entend pas
imposer aux fidèles un système théologique particulier,
encore moins un système philosophique, mais, pour garder saintement et
exposer avec fidélité la Parole de Dieu, il a le devoir de
déclarer l'incompatibilité de certaines orientations de la
pensée théologique ou de telle ou telle affirmation philosophique
avec la vérité révélée. En vous adressant
cette encyclique, chers Frères dans l'épiscopat, je désire
énoncer les principes nécessaires pour le discernement de ce qui
est contraire à la saine doctrine, et rappeler les
éléments de l'enseignement moral de l'Eglise qui semblent
aujourd'hui particulièrement exposés à l'erreur, à
l'ambiguïté ou à l'oubli » (VS 29).
L'adresse aux évêques n'est certes pas innocente;
le pape n'hésite pas à rappeler à ces derniers leur haute
et lourde responsabilité : « C'est notre devoir commun, et plus
encore notre grâce commune, d'enseigner aux fidèles, en tant que
pasteurs et évêques de l'Eglise, ce qui les conduit vers Dieu,
comme le fit un jour le Seigneur Jésus avec le jeune homme de
l'Evangile » (VS 114).
En effet, c'est avec l'épisode du jeune homme riche que
le Saint-Père ouvre le chapitre Ier de l'encyclique (VS 6-27).
L'histoire biblique est connue : un jeune homme riche, doté d'une
conscience très respectueuse de la Loi, s'approche de Jésus et
Lui demande ce qu'il doit faire de bon pour obtenir la vie éternelle
(Mt 19,16). La réponse du Christ se fait en deux temps : tout d'abord,
observer les commandements. Puis, vendre tous ses biens et Le suivre. Ces deux
temps correspondent à deux étapes de la vie spirituelle : «
entrer dans la vie éternelle » (Mt 19, 17), puis se parfaire en
demeurant uni au Fils de Dieu : Le Saint-Père nous rappelle que la
première étape appartient déjà au domaine de la
Révélation. Les chrétiens ont une loi écrite qui
reprend celle du peuple juif : ce sont les Tables de la loi dictées
à Moïse sur le mont Sinaï. Mais, la notion de loi doit attirer
notre attention sur les notions de bien et de bonté. Le pape fait
remarquer que la question du jeune homme riche est à la fois d'ordre
moral et d'ordre religieux : « Dieu seul peut répondre à
la question sur le bien, parce qu'il est le Bien » (VS 9).
Par conséquent, si l'on considère que nous ne pouvons atteindre
Dieu que par la vertu de foi, l'on ne peut dissocier la foi de la morale. Avoir
la foi sans avoir un comportement moral, n'est pas une attitude
chrétienne. Dieu ayant déposé en lui la loi naturelle,
l'homme est fait pour la vie morale. La loi naturelle répond à la
loi de la Création; et le Saint-Père de citer saint Thomas :
« La loi naturelle n'est rien d'autre que la lumière de
l'intelligence, infusée en nous par Dieu » (VS 12).
Cette loi, qui fut en quelque sorte retranscrite dans les Dix Commandements,
vise à « sauvegarder le bien de la personne, image de Dieu
» (VS 13).
La seconde étape de la vie chrétienne consiste
à demeurer uni à Dieu, c'est-à-dire à participer
à la vie même de Dieu. C'est ce qu'on appelle la béatitude.
Or, s'il est vrai que cette étape-là ne peut être
pleinement réalisée qu'au Ciel, la venue de Jésus-Christ
sur terre nous permet de la commencer en Le suivant dès ici-bas.
Jean-Paul II conclut cette première partie par la notion de
liberté. La morale ne doit pas être perçue comme une
contrainte, mais comme une libération de l'être humain pour monter
plus haut vers Dieu. Or, c'est précisément cette liberté
qui est aujourd'hui en danger, non seulement parce que la notion de
vérité est mise en doute ou abolie, mais également parce
que la notion même de nature est niée.
L'encyclique Veritatis Splendor se caractérise
notamment par la dénonciation des grandes erreurs
théologiques modernes : En effet, pour parler de
vérité et de liberté l'emploi du vocabulaire et des
concepts philosophiques et théologiques s'avère
nécessaire. Ainsi, Le deuxième chapitre de l'encyclique est donc
plus technique; il n'en est pas moins le corps du texte, fort
intéressant. L'idée maîtresse consiste à dire qu'il
est urgent de relier vérité et liberté, sans lesquelles il
n'est pas de dignité humaine possible. Quatre thèmes majeurs sont
étudiés : la liberté et la loi (VS 35-53), la
conscience et la vérité (VS 54-64), le choix fondamental
et les comportements concrets (VS 65-70), et l'acte moral (VS
71-83). Les grandes questions préliminaires posées sont celles de
la condition humaine : « Qu'est-ce que l'homme ? Quel est le sens et le
but de sa vie ? Qu'est-ce que le bien et qu'est-ce que le péché ?
Quels sont l'origine et le but de la souffrance ? [...] » (VS
30). Et la principale erreur moderne, c'est de placer l'homme avant Dieu, c'est
de faire de la conscience individuelle un juge suprême, de remplacer la
vérité par la sincérité, l'objectivité par
le subjectivisme, de faire de la liberté un absolu sans
dépendance envers la vérité.165(*)
a) Comment comprendre la loi ? La situation
est claire : de nos jours, la notion d'autorité n'est plus comprise. Si
Dieu, qui est le Père de toute créature, a interdit à Adam
et Eve de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal,
c'est par bienveillance, et non par punition. La chute n'est qu'un effet
logique de l'ordre des choses voulues par Dieu. Et l'homme ne peut se passer de
la sagesse divine « qui meut toute chose à la fin requise
» (saint Thomas, cité par VS 43). Il existe donc la
loi éternelle de Dieu qui gouverne toute chose. Ce que l'on appelle loi
naturelle - inscrite dans la raison humaine, lui permettant de discerner le
bien du mal en structurant sa conscience - n'est qu'une participation de cette
loi éternelle. Deux erreurs modernes sont donc rejetées : le
physicisme et le naturalisme qui voudraient retirer la dimension
éternelle de la loi naturelle et proclamer l'autonomie de la raison
humaine en matière morale.
b) Conscience et vérité. Au
paragraphe 54 de l'encyclique, le Saint-Père explique que la conscience
morale est le coeur de l'homme, et que c'est là que réside le
lien entre la liberté de l'homme et la loi de Dieu. Or, il est une
tendance actuelle à condamner : celle qui conduit « à
une interprétation «créative» de la conscience morale
» (VS 54) comme si celle-ci pouvait, d'elle-même,
établir un code moral et par conséquent laisser de
côté les normes objectives de la loi. Une telle tendance conduit
droit au subjectivisme. En réalité, la conscience de l'homme, et
par là sa liberté, est faite pour se mettre dans le sillage de la
loi de Dieu. Un coeur droit est un coeur qui pense comme Dieu : « Le
jugement de la conscience ne définit pas la loi, mais il atteste
l'autorité de la loi naturelle et de la raison pratique en rapport avec
le bien suprême par lequel la personne humaine se laisse attirer et dont
elle reçoit les commandements » (VS 60).
c) Déviance fondamentaliste. Il s'agit
ici d'une théorie de la théologie morale parmi les plus subtiles
et les plus difficiles à saisir : elle opère une
dissociation entre ce que l'on appelle le choix fondamental, qui est, de
façon schématique, l'engagement à vivre
chrétiennement selon la vertu de foi, et entre les choix
délibérés de comportements concrets (VS 65). Les
notions de bien et de mal sont réservées au domaine de l'absolu,
du fondamental, et l'on ne parle que « de juste ou de fautif pour
qualifier les comportements particuliers [...] qui concernent les relations de
l'homme avec lui-même, avec les autres et avec le monde des choses
» (VS 65). Ce qui revient à dissocier la personne de
ses actes et rappelle une des thèses luthériennes selon laquelle
seule compte la foi, et non les oeuvres. Le résultat, c'est que le champ
de la morale est rétréci à l'option fondamentale : «
On en arrive au point qu'un comportement concret, même librement
choisi, est considéré comme un processus purement physique et non
selon les critères propres de l'acte humain » (VS
65). Cette position erronée est proprement anti-thomiste; le Docteur
angélique nous dit en effet que « la perfection est dans l'acte
» et que « l'agir suit l'être ». Puisque nous sommes
appelés à la perfection, il nous faut donc agir, mais, pour que
notre acte ait un sens bon, il lui faut être en accord avec notre
être; lequel être nous vient de Dieu. Et seule la morale peut
régler cet être sur l'Etre suprême (VS
66-67).
d) L'acte moral : Il s'ensuit de cela
que tout acte humain a une connotation morale, bonne ou mauvaise : «
Les actes humains sont des actes moraux parce qu'ils expriment et
déterminent la bonté ou la malice de l'homme qui les
accomplit » (VS 71).
Donc, nous agissons bien ou nous agissons mal. Faire la
différence entre les deux relève du discernement
éclairé par le Saint-Esprit. Mais, de toute façon, nous
devons être responsables de nos actes pour vivre. En sachant que «
seul l'acte conforme au bien peut être la voie qui conduit à
la [vraie] vie. Ordonner rationnellement l'acte humain vers le bien dans sa
vérité [qui est Dieu] et rechercher volontairement ce bien,
appréhendé par la raison, cela constitue la moralité. Par
conséquent, l'agir humain ne peut pas être estimé
moralement bon seulement parce qu'il convient pour atteindre tel ou tel but
recherché, ou simplement parce que l'intention du sujet est bonne
» (VS 72). La fin de ce chapitre est prodigieuse ! Nous sommes en
plein thomisme : « La moralité de l'acte dépend avant
tout et fondamentalement de l'objet raisonnablement choisi par la
volonté délibérée, comme le montre la
pénétrante analyse, toujours valable, de saint Thomas (cf.
S.th., I-II, q. 18, a. 6) » (VS 78). En conséquence, il
n'y a pas de liberté sans délibération de la raison
humaine, ni sans exercice de la volonté. Et il ne peut y avoir d'acte
moralement et humainement digne sans l'exercice de cette liberté.
J. Desclos commente à ce propos :
« Dans cette partie de l'encyclique, Jean-Paul II ressemble
à un plaideur acharné à convaincre l'accusé de ses
erreurs, reprenant inlassablement le même argument : aucune
intention, si généreuse soit-elle, aucun calcul des
conséquences bonnes et des effets positifs, si impressionnant soit-il,
ne peuvent modifier la dimension radicalement et objectivement négative
ou mauvaise d'un acte humain. Comprise à l'intérieur de ce
raisonnement, la conscience n'a donc aucun pouvoir pour décider en toute
liberté de ce qui est bien ou mal. De même, l'option positive mise
à la clé de toute l'existence éthique ne peut effacer le
caractère déshonnête d'un acte
particulier. »166(*)
Le troisième chapitre de l'encyclique explique combien
il est primordial de bien prendre conscience de cela pour établir des
rapports sains et normaux dans la vie politique, sociale, économique,
nationale et internationale. En effet, Jean-Paul II insiste sur « la
crise la plus dangereuse qui puisse affecter l'homme : la confusion du bien et
du mal qui rend impossible d'établir et de maintenir l'ordre moral des
individus et des communautés » (VS 93). Une fois de
plus, il appelle à la nouvelle évangélisation, car la
déchristianisation de l'Occident entraîne « le
déclin et l'obscurcissement du sens moral » (VS
106).
Enfin, le Saint-Père exhorte les évêques
à veiller sur l'orthodoxie de la foi et de l'enseignement dans leur
diocèse, en rappelant notamment que les théologiens ont
l'obligation de refléter le magistère authentique de l'Eglise, en
donnant, « dans l'exercice de leur ministère, l'exemple d'un
assentiment loyal, intérieur et extérieur, à
l'enseignement du Magistère dans le domaine du dogme et dans celui de la
morale » (VS 110), dont les préceptes ont un «
caractère obligatoire ». En effet, « la doctrine morale...
n'est nullement établie en appliquant les règles et les
formalités d'une délibération de type
démocratique » (VS 113).
II.5.4. Lecture critique de
Veritatis Splendor
Les textes pontificaux, dès lors qu'ils touchent au
dogme ou à la morale, sont presque inévitablement mal compris et
critiqués par les grands médias, les théologiens et
même par certains chrétiens. Veritatis splendor
n'échappe pas à la règle. L'étendue de la
véritable crise dont parle l'encyclique prend toute son ampleur, lorsque
l'on constate que le rejet du magistère moral de l'Eglise provient aussi
de quelques-uns de ses propres pasteurs.167(*) C'est la raison pour laquelle Veritatis
splendor contient dans son troisième chapitre des directives
très précises destinées aux évêques et aux
théologiens afin qu'ils veillent à la rectitude de l'enseignement
catholique délivré sous leur responsabilité - ce que les
autres encycliques n'avaient jamais fait aussi clairement.
Partant de ce qui précède, la lettre encyclique
de Jean-Paul II, Veritatis splendor, ne laisse pas indifférent
par les questions qu'elle pose sur les rapports entre la foi et
l'éthique, l'esprit et le corps, la conscience et la
vérité. Selon certains auteurs, la pertinence des questions se
trouve occultée, d'une part, par leur traitement autoritaire, et d'autre
part, par une argumentation fondée sur une théologie
obsolète. L'excès de schématisation causée par ces
approches déficientes risque d'écarter cette lettre du
débat éthique se déroulant dans notre
société.168(*)
D'autres auteurs par contre, d'inspiration
conséquentialiste ou proportionnaliste critiquent dans une
manualistique une conception physiciste de l'objet moral, à
laquelle ils proposent de substituer, par souci de cohérence, une
considération de l'acte humain comme totalité. Il ne s'agit pas
en fait de de refuser l'existence d'actes intrinsèquement mauvais -- ce
que tous ces auteurs admettent en principe --, mais de s'interroger sur ce que
R. McCormick nomme the key problem: « Quels objets peuvent
être caractérisés comme moralement mauvais et sur quel
critère? Bien sûr, cette question en cache une autre : qu'est-ce
qui doit être pris en compte comme appartenant à l'objet
? » 169(*)
Dans tous les cas, il y a une considération de
départ : les normes négatives, qui selon l'enseignement
traditionnel proscrivent semper et pro semper certaines actions comme
intrinsèquement mauvaises ex objecto, seraient en
réalité le fruit d'un processus inductif qui aurait
généralisé l'interdiction d'une action physique
déterminée -- par exemple le fait de tuer -- en raison du
résultat produit par ces actions (fondation téléologique
de la norme). Serait a priori exclue la possibilité d'une
exception légitime à ce commandement. Mais, bien
évidemment, une telle prétention se révélerait
rapidement un échec, pour deux raisons: primo, prévoir a
priori toutes les situations possibles est une gageure ; secundo, le
sens commun reconnaît la légitimité de l'action
tuer dans certains cas (légitime défense, guerre juste,
etc.).170(*)
D'où un raffinement progressif de la norme, incluant
toujours plus de circonstances, de façon à n'admettre aucune
exception.
Ainsi, seules sont valables semper et pro semper des
normes dites transcendantales (prescrivant des attitudes fondamentales à
l' égard des valeurs à respecter dans l'agir concret), tandis que
les « normes catégorielles » (prescrivant ou interdisant un
comportement concret) valent seulement ut in pluribus, à moins
qu'on ne les regarde, comme des tautologies171(*) -- mais elles ne servent
alors aucunement à déterminer un mode d'agir concret. C'est
dès lors à la raison pratique qu'il revient de déterminer
quel comportement convient dans la situation présente, et ce, à
chaque fois d'une manière nouvelle, sans qu'elle puisse espérer
des normes morales qu'elles lui offrent une solution toute faite.172(*)
Pour ces auteurs, bref, les normes morales jouent un
rôle que nous pourrions dire indicatif, en tant qu'elles transmettent
l'expérience d'un groupe humain ou de l'humanité, mais sans
pouvoir prétendre se substituer à l'individu dans la
décision de ce qui doit être fait hic et nunc. L'individu
devra prendre en compte ce patrimoine, mais il lui reviendra toujours, en
dernière instance, de décider pour telle ou telle option.
A ce propos J. Fuchs affirme : « L'action
basique en tant que telle, ses circonstances concrètes et la fin jointe
aux circonstances prévisibles, sont considérées ensemble
comme l'unique objet de la décision et sont ainsi recherchées
dans la décision morale personnelle. C'est en mettant en relation et en
évaluant les éléments singuliers (avec leur signification
morale respective) de l'unique objet de l'action que l'on parvient à
juger laquelle des deux alternatives possibles de comportement est juste ou
erronée pour le bien de l'humanité. [...] L'objet de la
décision morale qui a lieu en vue d'une action n'est donc pas l'acte
basique (par exemple physique) en tant que tel (dans sa signification morale,
en tant que fait de tuer , faux témoignage , appropriation, stimulation
sexuelle), mais plutôt l'ensemble de l'acte basique, des circonstances
particulières et des effets désirés (plus ou moins)
prévisibles, donc [la décision morale ne se fait pas] seulement
à partir des seules conséquences, comme on le prétend
assez souvent. C'est seulement la pondération de ces différents
éléments qui permet de juger si l'objet complexif de l'acte (et
ainsi l'acte basique en lui) ou son omission est un bien humain.
»173(*)
Partant, on comprend que le pape ait particulièrement
insisté sur les principales erreurs de notre temps. Cette analyse, qui
est le corps de l'encyclique et qui occupe tout le deuxième chapitre,
est d'une puissance et d'une qualité exceptionnelles. Largement
d'inspiration thomiste (saint Thomas est cité dix-neuf fois), elle est
d'un accès difficile, mais permet de comprendre l'impasse dans laquelle
est engagé le monde moderne. Trois points nous semblent
particulièrement importants à retenir.
Le premier est la démonstration du lien entre
liberté et vérité appuyée sur la parole du Christ :
« Vous connaîtrez la vérité et la vérité
vous libérera » (Jn 8, 32). Il n'y a pas de liberté sans
subordination à la vérité : « seule la
liberté qui se soumet à la Vérité conduit la
personne humaine à son vrai bien », écrit le pape
(VS 84). Faute de quoi, l'homme s'émancipe de Dieu et proclame
l'autonomie de la raison humaine qui n'a plus aucune norme supérieure
pour la guider. C'est l'erreur du rationalisme.
Le second est le subjectivisme qui affirme que la conscience,
dès lors qu'elle est sincère - et sans se soucier de savoir si
elle a cherché à se former correctement -, décide de
façon autonome du bien et du mal. Seule ici compte la bonne intention du
sujet. C'est contre cette morale intentionnaliste - et c'est notre
troisième point - que l'encyclique rappelle magistralement la doctrine
de l'objet en s'appuyant sur l'enseignement de saint Thomas d'Aquin : La
bonne intention ou la fin juste du sujet, pas plus que les circonstances
légitimes ou les conséquences bienfaisantes qui peuvent en
découler, ne suffisent à rendre bon un acte dont l'objet est
mauvais. C'est l'objet qui donne principalement la connotation morale objective
à tout acte humain. Les intentions et les circonstances -qui doivent
également être légitimes pour que l'acte ait sa
plénitude de bonté - peuvent atténuer ou augmenter la
bonté ou la malice d'un acte, non « transformer un acte
intrinsèquement malhonnête de par son objet en un acte
«subjectivement» honnête ou défendable comme choix
» (VS 81). Seule une doctrine de l'objet rend viable un ordre
moral objectif qui permet d'énoncer des normes universelles et
permanentes qui obligent sans exception, selon une «
détermination rationnelle de la moralité de l'agir humain
» (VS 82). Il n'est donc pas suffisant de suivre sa
conscience, encore faut-il la former.
II.6. Humanae Vitae :
paradigme de la théorie des actes intrinsèquement mauvais
II.6.1. Présentation
historique
Humanae Vitae (HV) est une lettre encyclique
sur le mariage et la régulation des naissances promulguée par le
pape Paul VI le 25 juillet 1968 et rendue publique quatre jours plus tard. Ce
titre correspond aux deux premiers mots de la version latine du texte, qui
commence ainsi : Humanae vitae tradendae munus gravissimum,
c'est-à-dire le très grave devoir de transmettre la vie
humaine.
À l'époque, l'encyclique causa la surprise, car
elle déclarait intrinsèquement déshonnête toute
méthode artificielle de régulation des naissances,
réaffirmant ainsi la position traditionnelle de l'Église à
l'encontre d'une opinion publique très largement favorable à un
assouplissement de la doctrine catholique. Cette prise de position
déclencha une profonde crise d'autorité dans
l'Église.174(*)
De nombreux épiscopats, parmi lesquels l'épiscopat
français, rédigèrent des notes pastorales après la
publication de cette encyclique soulignant pour la plupart l'enseignement
constant de la morale, quand on est dans une alternative de devoirs,
c'est-à-dire aux outils de discernement élaborés par la
casuistique dans les dilemmes.
A ce propos J. Desclos écrit : « la
malchance d'Humanae vitae s'explique en partie par ce défaut de totale
cohérence. Après avoir demandé que la théologie
morale soit comprise et enseignée en relation avec le mystère du
Christ (Optatam totius 16), après avoir dit que le
mystère de l'homme prend tout son sens dans le mystère du
Christ (Gaudium et spes 22), on ne s'y réfère
plus pour parler d'un problème moral fort complexe qui touche de si
près à la vie et au bonheur des hommes. » 175(*)
II.6.2. Analyse
Dans l'encyclique Humanae vitae, Paul VI prend soin de situer
son enseignement dans la continuité de Pie XII et du concile Vatican II
lorsqu'il déclare: « Ces actes, par lesquels les époux
s'unissent dans une chaste intimité, et par le moyen desquels se
transmet la vie humaine, sont, comme l'a rappelé le Concile,
«honnêtes et dignes» (GS 49), et ils ne
cessent pas d'être légitimes si, pour des causes
indépendantes de la volonté des conjoints, on prévoit
qu'ils seront inféconds : ils restent en effet ordonnés à
exprimer et à consolider leur union. De fait, comme l'expérience
l'atteste, chaque rencontre conjugale n'engendre pas une nouvelle vie. Dieu a
sagement fixé des lois et des rythmes naturels de
fécondité qui espacent déjà par eux-mêmes la
succession des naissances. Mais l'Église, rappelant les hommes à
l'observation de la loi naturelle, interprétée par sa constante
doctrine, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la
transmission de la vie. » (HV 11)
Paul VI donne ensuite la raison anthropologique : «
Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le Magistère, est
fondée sur le lien indissoluble que Dieu a voulu et que l'homme ne peut
rompre de son initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal :
union et procréation. En effet, par sa structure intime, l'acte
conjugal, en même temps qu'il unit profondément les époux,
les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon
des lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme.
C'est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et procréation,
que l'acte conjugal conserve intégralement le sens de mutuel et
véritable amour, et son ordination à la très haute
vocation de l'homme à la paternité. Nous pensons que les hommes
de notre temps sont particulièrement en mesure de comprendre le
caractère profondément raisonnable et humain de ce principe
fondamental. » (HV 12)
Enfin, après avoir réaffirmé la
condamnation de l'avortement, le Pape explicite l'immoralité
intrinsèque de l'intervention volontaire dans le processus naturel de la
procréation : « Est exclue également toute action qui,
soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement,
soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se
proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la
procréation. Et on peut invoquer comme raisons valables pour justifier
des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds, le moindre mal
ou le fait que ces actes constitueraient un tout avec les actes féconds
qui ont précédé ou qui suivront, et dont ils partageraient
l'unique et identique bonté morale. En vérité, s'il est
parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un
mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis,
même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en
résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte
positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre
et, par conséquent, une chose indigne de la personne humaine, même
avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels,
familiaux ou sociaux. C'est donc une erreur de penser qu'un acte conjugal rendu
volontairement infécond et, par conséquent,
intrinsèquement déshonnête, puisse être rendu
honnête par l'ensemble d'une vie conjugale féconde. »
(HV 14)
Ces trois citations tirées de l'encyclique Humanae
vitae résument, en effet, la position du magistère sur la
question des actes intrinsèquement mauvais. Le refus de la contraception
est donc fondé sur une conception très cohérente de la
sexualité humaine. Les deux significations de la relation conjugale,
union et procréation, sont inscrites dans la différence du corps
sexué masculin et du corps sexué féminin,
différence ordonnée à la communion des personnes. Ainsi le
don réciproque et libre des époux assume toute l'épaisseur
corporelle de leur personne amoureuse.
En effet, la question de la contraception porte en germe avec
elle la question de l'avortement, de la procréation médicalement
assistée, des mères porteuses, des manipulations sur les embryons
ou encore de la revendication homosexuelle. Bref, se joue ici tout le rapport
de l'homme avec son corps sexué et sa capacité de donner la vie.
Soit la vie est un don médiatisé par la nature, soit la vie est
un matériau de la volonté de l'homme médiatisé par
la technique. Au nom du progrès médical et de la recherche du
bonheur, on a assisté depuis quelques décennies à la
radicalisation de la maîtrise de la nature par l'homme, maîtrise
qui détermine en grande partie le projet moderne depuis Descartes.
L'Église, face à ce projet, a cherché
à discerner ce qui relevait du légitime développement de
la nature cultivée au service de l'homme et ce qui relevait d'une
exploitation de la nature aliénante pour l'homme lui-même. La
critique de la doctrine magistérielle est toujours faite au nom de
l'exception voire de la transgression, c'est-à-dire au prix de
contradictions internes. Ici la raison humaine est récusée au nom
d'une rationalité instrumentale déterminée par les
objectifs de la liberté ou du sentiment. Or, comme la liberté et
le sentiment sont inconstants et changeants, peu importe le respect des
principes. Quelle est alors la racine d'une telle critique de la raison par
l'irrationalité ? Autrement dit, d'où vient que le projet
moderne, pourtant explicitement formulé au nom de la raison humaine, ait
pour conséquence la chosification de l'être humain et la
domination technicienne sur les corps ?
L'Église, « experte en humanité », a
nommé dans Humanæ vitæ la source de cette errance :
si la raison humaine n'est plus mesurée par autre chose
qu'elle-même, elle finit immanquablement dans le délire nihiliste
et relativiste. Or sur tout ce qui touche la morale, c'est-à-dire la
conduite de la vie humaine et l'orientation de l'action, la raison tire
ultimement sa rectitude de son respect de la nature humaine, de ses
inclinations vers son vrai bien. Certes, le terme nature apparaît pour
beaucoup de nos contemporains comme incompréhensible. « Loi
naturelle » désigne pour eux la loi du plus fort, et non pas la
formulation par la raison des finalités inscrites dans la nature
même de l'humanité.
Mais derrière les malentendus qu'il faut chercher
à repérer et à lever, inlassablement, se situe une
alternative irréductible : soit la raison humaine reçoit son
contenu du réel qui l'éclaire et lui permet d'orienter l'agir
humain en vue du vrai bien de l'homme ; soit la raison construit non seulement
son objet mais aussi les normes de l'action, elle est alors sa propre mesure.
Dès lors, il est bien difficile pour elle de ne pas de proche en proche,
légitimer l'arbitraire. On a beau décider d'encadrer les
pratiques pour éviter les dérives, c'est finalement au prix de
contradictions et de transgressions au terme desquelles la raison se retrouve
exsangue et les êtres humains aussi.
Par ailleurs, l'Encyclique Humanæ Vitæ
contient la norme morale et sa motivation ou, tout au moins, un
approfondissement de ce qui constitue la motivation de la norme. Du reste,
comme la norme qui exprime la valeur morale a un caractère d'obligation,
il en résulte que les actes conformes à la norme sont moralement
droits, les actes contraires sont, à l'inverse, intrinsèquement
illicites. L'auteur de l'encyclique souligne qu'une telle norme appartient
à la loi naturelle, c'est-à-dire qu'elle est conforme à la
raison comme telle. L'Église enseigne cette norme bien qu'elle ne soit
pas exprimée formellement (c'est-à-dire littéralement)
dans les Saintes Écritures ; elle le fait dans la conviction que
l'interprétation de la loi naturelle est de la compétence du
magistère. Même si la norme morale, telle qu'elle est
formulée dans l'encyclique Humanæ Vitæ, ne se trouve pas
littéralement dans la Sainte Écriture, néanmoins, du fait
qu'elle est contenue dans la Tradition et - comme l'a écrit le Pape Paul
VI - qu'elle a été « maintes fois exposée aux
fidèles par le magistère » (HV 12), il
résulte que cette norme correspond à l'ensemble de la doctrine
révélée contenue dans les sources bibliques (HV
4).
Mais, comme on le sait, depuis sa parution en 1968, Humanae
vitae est devenu un terrain de controverses interminables entre le
Magistère et les théologiens.
II.6.3. Lecture critique d'Humanae vitae
Les débats animés soulevés par
Humanae Vitae vont peser sur le développement de la
théologie morale après Vatican II. Dans ces débats,
plusieurs problèmes moraux sont soulevés entre autres, la
méthodologie du discernement moral, en particulier comment discerner
dans les situations de conflits où plusieurs valeurs sont à
considérer ; l'existence de normes morales absolues c'est-à-dire
l'existence des actes intrinsèquement mauvais que nulle circonstance ne
peut légitimer ; la réponse adéquate à
l'enseignement magistériel authentique non infaillible.
C'est sur ces problèmes que vont s'affronter deux
courants de théologie morale : le courant proportionnaliste et le
courant déontologique.176(*)
Le débat va se focaliser sur la question de savoir : de
quel mal sommes-nous responsables ? Quand et dans quelle mesure sommes-nous
justifiés de causer ou de permettre un mal ontique ou pré-moral ?
Les proportionnalistes vont revisiter le principe du double effet de la
casuistique en insistant sur l'une des conditions de ce principe: l'exigence
d'une raison proportionnée. Dans une action, on peut admettre un mal
dérivant de l'action pour une raison proportionnée à
l'acte posé. Il y a raison proportionnée quand l'acte est
proportionné à la valeur qu'il poursuit. Pour le
proportionnalisme, la finalité de l'acte joue un rôle essentiel,
d'où l'importance de l'estimation des conséquences bonnes et
mauvaises de l'acte. Ce courant proportionnaliste ou réformateur va
susciter l'opposition d'un autre courant qui adopte une méthodologie
d'ordre déontologique.
Les déontologistes insistent sur les principes moraux
universels et les normes morales concrètes valables toujours et partout
indépendamment du contexte. Ils reconnaissent qu'un mal est permis s'il
découle indirectement du choix moral, s'il ne relève pas de
l'objet du choix et n'appartient pas à la décision. Chacun des
courants insiste sur une dimension importante de la morale : les
proportionnalistes sur la dimension subjective et les déontologistes sur
l'objectivité des normes morales. Mais la question reste posée de
savoir jusqu'où le sujet doit-il prendre en considération les
conséquences prévisibles à court terme et à long
terme, individuelles et sociales pour cerner l'acte sur lequel porte le choix
moral.
Toutefois, le cadre de pensée de ces théologiens
déontologistes et proportionnalistes est resté celui de la
casuistique. Le proportionnalisme attentif à élaborer une
théologie morale pour notre temps a voulu prendre en compte les
situations contemporaines de complexité et les requêtes
contemporaines de la subjectivité. Mais en centrant l'évaluation
morale sur l'exigence de proportionnalité entre les moyens et la
finalité du sujet, il a concentré le discernement sur l'acte
"extérieur" : le sujet réfléchit à son agir moral
à partir des normes morales, comme dans la casuistique, et cherche
à répondre à la question : "que dois-je faire ?". Or la
vie chrétienne n'est pas seulement une question de conformité
à des normes morales. Ce premier chantier de la théologie morale
sur la méthodologie du discernement moral ne prend pas en compte les
perspectives ouvertes par Vatican II en anthropologie théologique de la
morale.
Cependant la complexité des situations contemporaines,
en particulier telles qu'elles sont analysées dans des comités
d'éthiques, demande de faire place à la casuistique et en
particulier au concept de raison proportionnée remis en valeur par
McCormick. Un théologien moraliste spécialiste de
l'éthique biomédicale.177(*)
Au-delà de ce débat, la fidélité
à Humanae vitae est devenue aujourd'hui une sorte de
paramètre de l'orthodoxie de la soumission à l'autorité
romaine.
En 2008, pour les 40 ans de cette encyclique, le pape
Benoît XVI a réitéré la position officielle de
l'Église catholique en affirmant : « L'enseignement
exprimé par l'Encyclique Humanae vitae n'est pas facile. Toutefois, il
est conforme à la structure fondamentale avec laquelle la vie a toujours
été transmise dès la création du monde, dans le
respect de la nature et conformément à ses exigences. Le respect
pour la vie humaine et la sauvegarde de la dignité de la personne nous
imposent de tout tenter pour que tous puissent partager l'authentique
vérité de l'amour conjugal responsable, dans une pleine
adhésion à la loi inscrite dans le coeur de chaque personne.
»178(*)
Conclusion du chapitre
Nous venons là d'essayer une analyse sur base de la
méthode historico-critique, de la question de la moralité des
actes dans l'Eglise, c'est-à-dire nous venons d'analyser quelques
documents de l'église qui sont les sources de la morale plus
particulièrement les documents qui déterminent la position de
l'Eglise sur la question des actes intrinsèquement mauvais.
En partant du Concile jusqu'à l'encyclique Humanae
vitae que nous avons pris comme paradigme, en passant par le
catéchisme de l'Eglise catholique et l'encyclique Veritatis
Splendor, nous avons montré la constance et la fermeté de
l'Eglise concernant les actes intrinsèquement mauvais. Ils sont, des
péchés graves et mortels tels que l'entend jean Paul II dans
l'exhortation Réconciliation et Pénitence.
Cependant, l'un des effets du renouveau conciliaire fut
d'inviter la théologie morale à s'inspirer davantage de la sainte
Écriture, à se relier de manière plus ferme à
l'ensemble du mystère chrétien et à entrer en dialogue
avec les acquis des sciences humaines. Il s'agissait de sortir d'une
néo-scolastique qui avait figé le discours moral de
l'Église dans les catégories normatives d'une philosophie
métaphysique et dont la manifestation la plus probante était
l'impressionnante série de manuels de théologie morale, à
l'oeuvre depuis près de quatre siècles. Ce que Bernard
Häring a appelé la parenthèse catholique.179(*) Ainsi, la
nécessité de rénover la morale s'est manifestée
à travers un débat critique avec la tradition de la loi naturelle
et la théologie des manuels, en insistant sur la nécessité
d'une théologie morale davantage nourrie par l'étude des
Écritures saintes et l'invitation à concevoir la vie
chrétienne comme une réponse à l'appel du Christ et au
dessein salvifique de Dieu pour sa création. Plusieurs
théologiens de renom se sont attelés à cette
herméneutique notamment B. Häring.
CHAPITRE
TROISIEME :
RECEPTION ET CONTOURS DE LA
QUESTION DE LA MORALITE DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS CHEZ B.
HÄRING
III.0. Introduction
Si la théologie morale a vécu un renouveau
majeur dans les décennies antérieures et postérieures
à Vatican II, cela est dû principalement à l'effort de
réflexion morale et philosophique poursuivi dans les voies nouvelles par
certains théologiens, notamment le Père B. Häring.
En effet, le rédemptoriste Bernhard
Häring180(*) est
probablement le théologien moraliste le plus connu du XXe siècle.
Il est l'auteur d'une contribution majeure dans la rénovation de la
théologie morale, avant le concile déjà, avec son
célèbre Das Gesetz Christi181(*) (1954-1958), oeuvre
emblématique du changement qui s'amorçait pour la morale
catholique dans les années 1950.182(*)
Il apporte un remaniement profond, non par purisme
intellectuel, mais par souci pastoral, afin de construire une morale qui
réponde à la fois à l'esprit évangélique et
aux aspirations les plus valables de l'homme contemporain. Häring
était persuadé qu'une morale authentique doit tenir compte de la
réalité humaine telle qu'elle est concrètement. Selon lui,
la tâche la plus urgente de la théologie est l'examen approfondi
de toute la tradition morale chrétienne pour distinguer nettement ce qui
est variable de ce qui est immuable : « Là où
des communautés chrétiennes furent captives d'une tradition morte
et d'un système de formulations doctrinales immuables, dans un tel
christianisme les personnes les plus dynamiques furent tentées contre la
foi. Si la Parole de Dieu est liée à des coutumes
fossilisées, il peut arriver que la foi en Dieu et toutes les valeurs
traditionnelles s'écroulent en même temps. »183(*)
Häring a été éduqué
à un type d'obéissance aveugle à une Église qui
n'admettait pas la moindre objection de conscience. Pour lui, en
théologien de Tübingen, une chose est sûre: «
l'obéissance dans l'Église n'a de sens qu'à travers la
réciprocité des consciences et le commun engagement à la
vérité. »184(*) De même il est fidèle à son
maître, Alphonse de Liguori, qui déclarait que « la
liberté est antérieure à la loi, en soulignant le
nécessaire primat de la conscience. » 185(*) De là provient
l'exigence d'un concept fondateur d'un nouveau modèle de morale, celui
de La loi du Christ, titre de son livre dont la formule paradoxale
signale le début d'une véritable révolution, remettant en
question la morale catholique officielle promue par des manuels
théologiques traditionnels.
Nous voulons ainsi dans ce chapitre mettre en évidence
la contribution de Bernard Häring au renouveau de la théologie
morale, par une triple démarche, historique, analytique et
théologique des contextes et des contenus de cette contribution
spécifique. A cet effet, nous allons analyser les concepts clés
qui ont servi à l'élaboration du discours moral du
Magistère, notamment celui de la loi naturelle qui est au coeur des
débats entourant la morale conjugale, en particulier dans l'encyclique
Humanae vitae, puis nous allons tenter de cerner les notions
importantes de conscience, de fidélité et de liberté chez
Häring qui influencent surement sa compréhension de l'agir humain
et des actes intrinsèquement mauvais que nous analyserons en profondeur.
Enfin, nous analyseront quelques points de divergences entre Häring et le
Magistère plus particulièrement sur la question de la morale
conjugale qui a valu à Häring le titre de dissident.
En d'autres mots, nous entendons faire voir de manière
nouvelle comment sa contribution originale a été marquée
par un ensemble de contextes qui l'ont tour à tour amené à
être salué comme le leader d'un renouveau fortement
souhaité puis mis au rancart comme un acteur soupçonné de
ne plus contribuer à la consolidation de la vérité morale.
Notre propos veut montrer qu'au coeur de cette tourmente, Bernard Häring
sut demeurer un théologien libre et fidèle.
Ce faisant, la pensée d'un moraliste aussi important
que Bernard Häring sur l'agir moral ne peut se comprendre et s'analyser
qu'en faisant un parcours des écoles de pensée et des auteurs qui
ont été à la source de sa formation. Sa formation est
philosophique et théologique. Elle s'enracine dans la pensée
thomiste, subit l'influence d'Alphonse de Liguori, des théologiens de
Tübingen, et de la philosophie contemporaine de Husserl et Scheler. Avec
cet immense bagage intellectuel Häring est également riche d'une
expérience pastorale qui lui donne une vision nouvelle de la morale
chrétienne.
III.1. Bernard
Häring : formation et parcours
Bernard Häring a largement bénéficié
de l'étude de saint Thomas. Il a su unir une formation
théologique traditionnelle, appuyée sur la pensée de saint
Thomas, à la pensée phénoménologique de Max Scheler
qui a donné à la phénoménologie de la religion ses
titres de noblesse philosophique. Ce double héritage a
façonné la pensée d'un théologien en quelque sorte
classique, se situant au carrefour de la longue tradition allemande, toujours
ouverte à l'herméneutique philosophique du temps.
III.1.1. Cursus
académique
Parler de la dimension du renouveau dans la théologie
morale de Häring nous oblige à examiner des
antécédents qui paraissent essentiels pour comprendre le
cheminement de sa pensée. Sa vision d'une pastorale très humaine
a pris sa source dans l'expérience des souffrances de la guerre. Quant
à son désir de libérer la théologie morale
chrétienne du directivisme et du légalisme des manuels
théologiques, il s'en est imprégné dans
l'atmosphère de l'école de Tübingen, d'Alphonse de Liguori
et surtout en s'inspirant de la phénoménologie186(*)
a. L'École de
Tübingen
La fameuse université fut fondée en 1477 dans
l'ancienne capitale de Wurtenberg- Hohenzollern dans le sud-ouest de
l'Allemagne. La Réforme luthérienne de 1517 bouleversa la carte
du territoire allemand. En 1534, le prince Ulrich occupa la ville et transforma
cette université en un bastion d'orthodoxie luthérienne et
anti-romaine en s'établissant dans le monastère catholique. En
1817, 283 ans plus tard, les théologiens catholiques, s'y installent
à leur tour, grâce notamment, à l'invasion des troupes
napoléoniennes d'une grande partie de l'Europe. Cela eut pour effet
d'adoucir les tensions entre les catholiques et les protestants.
Les théologiens catholiques étaient
intéressés à saisir l'opportunité d'inscrire les
nouvelles tendances philosophiques dans leurs travaux et d'examiner la vision
et les origines de la pensée protestante. En Allemagne, la philosophie
de la religion, la théologie catholique et la théologie
protestante, surgissent de la même source culturelle, mais les contacts
entre les traditions de ces deux Eglises étaient plutôt
occasionnels, les deux facultés étant séparées.
Cette école favorisait l'éclosion de
pensées libératrices, dans une direction d'ouverture au monde et
à la pensée moderne de valorisation de la liberté de
conscience et de l'authenticité évangélique, et d'une
interprétation osée du corpus normatif de Magistère en
matière morale. Dans la préface de La théologie
morale, Idées maîtresses, Häring reconnaît que ses
études furent marquées par le rayonnement des écrits des
théologiens de Tübingen et par les courants philosophiques qui
imprégnèrent l'oeuvre de ces théologiens «qui
parlaient de l'éthique des valeurs [...] en vue d'une morale vivante et
communicable. »187(*) Son approche se voulait moins liée à
la dimension dogmatique de la foi chrétienne et davantage
développée en fonction des exigences du temps, pour apporter des
solutions pastorales concrètes et existentielles puisées dans
l'Évangile. Elle permit la diffusion d'écrits sur le thème
du dialogue entre Dieu et l'homme, source d'une morale conçue comme
réponse de l'homme à l'appel divin, à l'exemple du Christ,
soit une morale de la responsabilité dans le Christ.
Après ses années de service militaire et son
ministère auprès des pauvres polonais, Häring poursuivit
enfin ses études à Tübingen188(*). Il prépara sa
thèse de doctorat sous la direction de Théodore Steinbüchel
(1884-1949) qui veillait « à ce que la théologie morale
ne s'enferme pas dans un pur souci juridique et des interdits et des
préceptes de la casuistique d'une subtilité excessive, qui
tiennent plus du droit que de la morale ». 189(*) Ensuite Steinbüchel
précise les rapports de la théologie et de la philosophie morale.
Il expose et discute des grandes conceptions modernes de la morale :
l'idéalisme mystique inspiré de Herder et de Hegel, le
piétisme romantique, la philosophie de Dilthey et l'éthique de la
valeur de Scheler.
Dans les trois derniers chapitres de ses sept volumes,
Steinbùchel parvient au dernier fondement du problème moral. Pour
lui, l'attitude morale est finalement enracinée dans l'attitude
religieuse et le bien ne peut être fondé que sur le sacré;
de même la responsabilité personnelle a son fondement en Dieu. On
y reconnaît la fondation de la théologie morale de Häring.
Durant ce processus de maturation théologique,
Häring a pris contact aussi avec Fritz Tillmann (1874-1953) qui
écrivit en collaboration avec Steinbüchel Handbuch der
katholîschen Sittenlehre, un manuel de la doctrine morale catholique
en sept volumes. Le centre de l'oeuvre est axé sur l'imitation du
Christ, dans le volume trois intitulé Die Idee der Nachfolge
Christi, l'auteur part de la notion de modèle et l'oppose à
celle de la norme. Le modèle s'offre à l'imitation personnelle;
la norme trace des règles générales. Mais dans le cas du
Christ le modèle est unique et inégalable. L'imitation du Christ
conduit à l'achèvement de la personnalité et se
concrétise dans la vie d'enfants de Dieu.
L'impact de ces deux oeuvres sur Häring et l'ambiance de
Tübingen ont une valeur inestimable. À Tübingen,
l'enseignement de la morale prenait ainsi un virage qui faisait sortir d'un
légalisme étroit et s'ouvrait sur la conscience et la
liberté, comme il en témoigne : « La tradition de
l'école théologique fondée sur la dynamique du rapport
Dieu-homme, foi-histoire faisait de cette université un centre
d'études engagé et serein, un centre très
éloigné de la théologie romaine. »190(*)
b. L'influence de la
phénoménologie sur la théologie de Häring
Connaître l'héritage philosophique d'un
théologien revêt une grande importance pour bien le comprendre et
bien saisir son orientation intellectuelle. Jadis, la présentation d'une
question théologique, surtout dans le domaine moral, était
encadrée ou élaborée à partir de la philosophie
traditionnelle issue de l'héritage d'Aristote interprété
par saint Thomas d'Aquin, donnant ainsi pleine crédibilité
à tout progrès académique ainsi reçu comme
authentiquement catholique.
La phénoménologie est une philosophie
particulière de notre temps. A d'autres époques
l'intérêt de l'homme était tourné vers le monde ou
vers Dieu, mais notre temps est davantage intéressé par
l'être humain et sa conscience. La phénoménologie
révèle qu'elle pourrait apporter une aide méthodologique
dans le travail éthique en facilitant l'analyse des faits moraux.
La phénoménologie, au sens étymologique,
c'est l'étude ou science du phénomène, l'étude
descriptive d'un ensemble de phénomènes, par opposition à
l'explication théorique de ces phénomènes. Paradoxalement,
dans l'histoire de la philosophie, le terme ne réfère plus
guère à ce qu'on appelle traditionnellement les
phénomènes. Il vient de Friedrich Hegel (1770-1831), pour qui la
phénoménologie est la science de la conscience à partir de
ses manifestations immédiates et sensibles.191(*) C'est avec son oeuvre la
Phénoménologie de l'Esprit (1807) que le terme entre
définitivement dans la tradition philosophique pour devenir par la suite
d'un usage courant. L'idée de phénoménologie s'est sans
cesse transformée sans renoncer pourtant à l'inspiration
fondamentale venue de Hegel.
Cependant la phénoménologie comme
méthode, comme philosophie de la religion, se développe dans le
sillage de la phénoménologie husserlienne. En effet, c'est depuis
Edmund Husserl (1859-1938), que la phénoménologie est devenue un
courant philosophique « qu'on appelait à l'époque
science de l'esprit Geisteswissenschaft »192(*) qui se propose de surmonter
le relativisme des sciences humaines en revenant à une description
rigoureuse des activités de la conscience. La conscience pure devient
l'un des principaux problèmes de la phénoménologie de
Husserl; selon lui sa méthode rendait possible les véritables
sciences de l'esprit. De ce fait, la phénoménologie recouvre
toute expérience ou toute intuition intérieure qui apparaît
à l'esprit, mais en tant que présent immédiatement
à la conscience ou dans la conscience, autrement dit en tant que
phénomène. Ainsi entendu, le mot phénomène signifie
tout ce qui est perçu, apparaît aux sens et à la
conscience.193(*) Sous
cet angle, il faut voir si le système phénoménologique est
applicable à la vie concrète dans toute son extension comme un
fondement de l'éthique à l'intérieur de
l'expérience existentielle qu'est la moralité.
Pour Bernard Häring, la phénoménologie fut
une source d'inspiration dans son itinéraire philosophique et
théologique, une acquisition durable qui lui a fourni le moyen d'aborder
sa théologie morale avec une démarche nouvelle.
Sa thèse doctorale, Das Heilige und das Giite,
est née de la rencontre avec Max Scheler dans la
phénoménologie naissante, tentative d'une nouvelle
interprétation dans le domaine de la philosophie de la
religion.194(*)
Häring exprime l'orientation fondamentale de cette thèse par le
sous-titre: Religion et moralité dans leurs rapports mutuels.
Il s'agit de considérer la moralité, par une lecture
philosophique de la religion, dans la ligne tracée par la
phénoménologie de Scheler. Dans une large mesure, ce sont les
idées schélériennes qui ont donné une impulsion
déterminante à Häring pour développer la dimension
axiologique de la morale.
Häring démontrera un très vif
intérêt pour la fonction éthique de la
phénoménologie, en tentant d'éclaircir la valeur
impliquée dans le phénomène. À ses yeux, cette
possibilité montre l'importance que prend la pensée
schélérienne afin de dégager d'autant plus clairement le
vrai rapport du Sacré au bien moral et du bien moral au Sacré.
Häring s'inspire de la phénoménologie de la religion telle
que décrite par Max Scheler, principalement dans ses deux ouvrages:
Le formalisme en éthique et l'éthique
matériale des valeurs (Der Formalismus in der Ethik und die
matériale Wertethik) son oeuvre principale et, «De
l'éternel dans l'homme» (Von Ewigen in Menschen) qui
est au centre des préoccupations philosophiques de Scheler sur l'homme
comme être spirituel. En vérité, la
phénoménologie d'inspiration schélérienne
constitue, en quelque sorte, le levier épistémologique de la
philosophie hàringienne de la religion.
c. L'éthique
schélérienne et son impact sur Häring.
En terminant notre parcours historique de la
phénoménologie dans la perspective d'éthique
schélérienne, nous sommes en mesure de faire voir son
originalité et son impact sur Häring. Commençons d'abord par
une note négative : l'interpénétration des thèmes
les rend difficiles à cerner. En dépit de sa continuité,
la pensée de Scheler se trouve souvent occultée par la
complication du style, l'emphase et la structure des phrases du texte allemand
qui reflètent une extrême densité. Rien n'empêche de
penser que Häring lui-même avait eu de la difficulté à
saisir le génie religieux de Scheler. L'objet principal de
Formalisme n'est pas d'élucider l'essence de la religion;
l'oeuvre semble n'être qu'une critique de la morale kantienne, mais la
progression de sa pensée est inséparable de ses
préoccupations religieuses.
A l'exemple de Scheler, Häring retrouve dans sa
théologie une théonomie de la moralité. Car tout
acte moral, surtout tout acte moral parfait, implique un acte religieux qui ne
peut être accompli sans que Dieu soit pris en considération : car
la personne morale vit en union avec la volonté et l'amour divin. En
d'autres termes, le fondement des valeurs est dans la valeur du Divin
d'où sa qualité axiologique: c'est-à-dire, Dieu la source
profonde de l'action morale. Conséquemment, le déroulement d'une
éthique qui s'appuie sur une intuition phénoménologique
des essences des valeurs conduit Häring à représenter
l'être moral comme un être religieux qui veut et aime en Dieu.
La caractéristique principale de l'éthique
schélérienne, c'est l'accent qu'il met sur l'objectivisme des
valeurs, plus précisément dans une dimension éthique
axiologique. Ces points de vue sont, pour la phénoménologie de la
religion, d'une extrême importance pour Häring: « La
découverte du fait que la religion est quelque chose d'autre que la
philosophie, doit nous avertir constamment de ne pas construire la religion
avec des concepts, mais de regarder la vie religieuse elle-même, pour
savoir comment elle est et comment elle s'exprime. »195(*)
On trouve dans l'introduction de son livre Le Sacré
et le Bien les déclarations sur le rapport mutuel de la religion et
de la moralité. Ce sont, dans une large mesure, les idées
scheleriennes qui ont donné l'impulsion déterminante; mais jamais
il ne s'agit simplement d'interpréter Scheler.196(*) Ses contacts
fréquents avec Husserl à Gôttingen conduisent Scheler
à enraciner sa propre phénoménologie dans la vie, dans la
réalité sensible qui devient la semence de toute
réflexion. En effet, la phénoménologie husserlienne a
révélé à Scheler la fragilité et la
relativité de la structure de la condition humaine. Dans le
christianisme, il puise une foi en la réalité des valeurs
sûres: essentiellement en raison du concept d'amour que la religion
propose.
À partir de 1907, Scheler commence un cheminement
spirituel qui marqua profondément sa pensée philosophique.
L'influence du catholicisme, notamment grâce à la
fréquentation de l'abbaye bénédictine de Beuron,
spécialisée dans le renouveau liturgique, conduit sa
réflexion philosophique à l'interrogation religieuse. Cette
bipolarité donne à sa pensée une coloration originale,
elle prend en compte les grandes interrogations de l'homme contemporain dont on
ne saurait, par principe, exclure la question religieuse. Ainsi la double
référence religieuse et philosophique de sa réflexion lui
confère une vigueur particulière. La référence
religieuse et philosophique de sa réflexion lui confère une
vigueur particulière. La recherche intérieure mêle
indissociablement le questionnement philosophique et l'interrogation religieuse
qui recueille et garde en mémoire le texte de Vont Ewigen in
Menchen.
Scheler a vu dans la Première Guerre mondiale et dans
ses conséquences funestes pour l'Allemagne et pour l'Europe en
général, un effet tragique du désordre spirituel qu'il
dénonçait dès avant 1914 et un renversement des valeurs
qui caractérise l'ethos de son temps incarnant à ses
yeux le type d'homme qui depuis un siècle domine de plus en plus la vie
occidentale.
Cette même vision est partagée par Häring
qui a vécu la Deuxième Guerre mondiale et dont
l'expérience a influencé son approche sur le renouveau de la
théologie morale. On ne peut ignorer la portée religieuse de la
crise et le drame sanglant qui avait secoué l'Europe pour une
deuxième fois dans l'espace d'un quart de siècle. Ainsi,
Häring a repris l'analyse débutée par Scheler en mesurant
les conséquences morales pour le présent et l'avenir qui n'est
que la traduction extérieure d'une rupture plus profonde
s'opérant dans la conscience humaine. Häring diagnostique le
bouleversement culturel que nous connaissons et qui remet en cause les
manières d'être et de penser. On comprend facilement que la
signification religieuse de cet ethos passe pour Häring par un
véritable renouveau: ses premiers écrits et ses
conférences vont se rattacher à cette préoccupation
centrale et intensivement vécue.
Devant l'effort critique des sciences humaines, face à
la profusion de leurs discours, l'Église doit rendre audible son message
et ne peut simplement redire sa doctrine avec les mots et schèmes
mentaux du passé. Sa Parole doit s'adresser à tout homme et le
rejoindre dans le concret de son existence. En ce qui concerne la tradition de
la théologie morale, elle oblige à une conversion des esprits et
des coeurs, car selon Häring: « L'Église vit dans
l'histoire humaine et se trouve appelée à en être le sel et
la lumière; elle rencontre donc toujours de nouveaux "signes des temps",
de nouveaux problèmes, de nouveaux défis. Par conséquent,
une théologie purement répétitive trahirait la mission de
l'Église. Le théologien moraliste ne peut jamais se contenter de
ses synthèses et de ses réponses. »197(*)
Ce texte parle par lui-même, assurément, bien
avant l'ouverture au monde pratiqué par le Concile. Au lieu de la
confrontation, Häring propose dans ses écrits le dialogue de la
pensée chrétienne avec les courants modernes conduisant ainsi
à une réinterprétation des rapports entre l'Église
et le monde.
Ainsi, donc, les présupposés théoriques
de la théologie de Häring tels qu'ils apparaissent dans Libres
dans le Christ viennent en grande partie de cette influence thomiste et
phenomenologiste que nous venons de voir et va ainsi influer sur sa conception
de la théologie morale.
d. L'influence d'Alphonse
de Liguori
L'influence de Bernard Häring sur le renouveau de la
morale catholique tel qu'il s'est profilé au XXe siècle est,
d'une certaine manière, l'héritage durable de saint Alphonse
lui-même.
Le produit littéraire de la pensée morale
alphonsienne, la Theologia Moralis, est le fruit d'une
expérience de sa lente maturation pastorale réfléchie,
qu'il publia alors qu'il avait déjà 52 ans. Sa théologie
morale est au service de la pastorale qui est la clé pour comprendre
l'origine et la nouveauté de son entreprise. Une pareille orientation
apparaît dans tous les écrits de Häring, car lui-même
n'entendait pas tellement réaliser un travail de haute
spéculation théologique, comme par exemple son compatriote Karl
Rahner, mais il avait le souci de remettre en valeur le rôle de
conscience et le Christ comme la source originale de la moralité.
Saint Alphonse avait vraiment changé le cours de la
théologie morale par le patient travail de construction d'un
système équilibré de discernement de la conscience, pour
favoriser l'exercice de la liberté. Avant lui, le rôle de la
conscience était réduit, selon Brian V. Johnston, à la
simple reconnaissance objective de la loi : « Le rôle
de la conscience, dans cette façon de penser, a été
réduit à reconnaître simplement la loi objective et
à l'appliquer. La vérité morale signifie simplement la
conformité de la conscience à la loi. Certaines
interprétations de saint Alphonse ont ainsi souligné la
domination de la loi et sa fonction de contrôle ne laissant virtuellement
aucune place à la conscience. S. Alphonse Liguori a protesté
contre cette exagération, il a défendu le rôle de la
conscience individuelle en des mots en usage à son époque. Ce
modèle est l'arrière-fond immédiat permettant de
comprendre la théologie morale contemporaine et la place que Häring
y occupe. »198(*)
Certainement il lui fallut en effet une véritable
audace, dans le contexte de l'époque du rigorisme, pour déclarer
que la liberté est antérieure à la loi et pour souligner
le nécessaire primat de la conscience. Häring fidèle
à l'héritage alphonsien a remis en perspective le
caractère central de la moralité, le Christ lui-même,
agissant au coeur du croyant. La moralité se retrouve comme
redimensionnée dans la manière à la fois provocante et
évangélique avec laquelle Häring présente une
nouvelle synthèse de la morale aux hommes et aux femmes de son temps.
e. L'influence de Thomas
d'Aquin
Bernard Häring, comme l'ensemble des théologiens
moralistes des débuts du XXe siècle, est héritier du
patrimoine moral de l'Église catholique, patrimoine
façonné principalement à l'école de saint Thomas
d'Aquin connue comme scolasticisme. On peut historiquement signifier trois
périodes de scolasticisme : la période immédiatement
après Aquinas, une renaissance de thomisme au XVIe siècle,
très précisément dans l'oeuvre des théologiens
jésuites, ensuite la néo-scolasticisme à la fin de XIXe
siècle sous l'impulsion de Léon XIII (1878-1903).199(*)
Aujourd'hui certains auteurs soulèvent la question de
la pertinence du thomisme pour le discours théologique actuel
confronté à de nouvelles visions du monde.200(*) Pourtant un véritable
progrès théologique implique toujours un retour à toutes
les sources. Par sa puissance herméneutique, saint Thomas demeure encore
une source inépuisable fécondant les multiples entreprises
théologiques. Nous lui devons un approfondissement de l'étude
philosophique de l'homme, créé à l'image de Dieu et donc
maître de ses actes, l'homme en tant qu'agent moral. L'étude de la
personne humaine devient chez lui le lieu de rencontre de la théologie
et de la philosophie, de la métaphysique et de la morale.201(*) C'est donc une tâche
importante de discerner son influence sur la pensée de Bernard
Häring.
La philosophie de saint Thomas est autre chose qu'une nouvelle
édition de celle d'Aristote superficiellement conciliée avec la
foi chrétienne. C'est plutôt une entreprise pour
interpréter et revitaliser, dans une relecture chrétienne, la
valeur intemporelle de la réflexion éthique.202(*)
Quant à la réappropriation de la pensée
de saint Thomas par Häring, depuis des siècles, un grand nombre de
penseurs, qui jouissaient d'une compétence particulière dans les
questions doctrinales thomiste, n'ont pas réussi à saisir dans
toute sa profondeur sa pensée. Il n'est donc pas surprenant que
Häring n'ait pas pu lui aussi exposer toute sa richesse.
L'approfondissement d'un tel travail aurait nécessité à
lui seul, une thèse entière. Par contre Häring, est
convaincu que le malaise entourant les concepts éthiques comme celui de
la loi naturelle aurait été dissipé si la théologie
morale avait été vraiment disposée « à
passer d'une méthodologie classique à une méthodologie
historiquement consciente. »203(*)
Selon lui, « on aurait besoin au moins partiellement
d'une explication contextuelle car l'historicité est aussi une dimension
qui imprègne tout. Il faut accorder - ajoute-t-il- une grande
attention à l'historicité, en tant que dimension essentielle et
permanente de l'être humain. »204(*)
Situer les notions et les doctrines sur la morale dans leur
contexte par la croissance de la conscience historique implique de prendre en
considération le caractère évolutif de la nature humaine.
L'homme est conscient de lui-même et peut réfléchir
consciemment sur lui-même et ses actes. « Cependant, si nous
comparons les diverses cultures, nous remarquons que la rationalité elle
aussi se manifeste de manière différente selon les contextes
historiques. »205(*)
S'il n'y avait pas une essence universelle qui se retrouve
dans toutes les natures concrètes et en forme le noyau central, il n'y
aurait pas non plus de droit naturel en tant que système bâti sur
des principes universels ayant même valeur pour tous les hommes de tous
les temps, mais bien un droit individuel.206(*) Par contre, même si l'on a reconnu le
caractère historique de la nature humaine et son caractère
d'universalité et de stabilité lié à
l'immutabilité du noyau central, cela ne veut pas dire « que le
droit naturel était absolument immuable.»207(*) Pour Häring, «
accepter l'historicité et la possibilité de diverses
approches de la loi naturelle n'entraîne pas un relativisme
illimité. Nous insistons toujours sur le fait que l'homme doit
découvrir ce qui est bon et mauvais ; il ne peut le déterminer
arbitrairement. Il y a des vérités permanentes.
»208(*)
III.1.2. Bernard Häring et
le Concile Vatican II
Riche d'une immense formation philosophique et
théologique, déjà reconnu comme un moraliste très
important en raison de son manuel La loi du Christ Bernard Häring
apparaît comme un des personnages les mieux préparés
à contribuer au succès du renouveau conciliaire tel que
souhaité par Jean XXIII. Toutefois, son itinéraire sera
marqué par des tensions liées à ses options fondamentales
comme théologien et pasteur.
Au coeur des débats conciliaires et, au lendemain du
Concile, dans les controverses très médiatisées entourant
la parution de Humanae vitae, Häring maintient son engagement
à proposer une morale enracinée dans le trésor des
Écritures, centrée sur le message et la personne du Christ,
ouverte aux problèmes et aux souffrances de notre époque. Ainsi,
il se compromet de manière audacieuse dans le territoire de la
bioéthique, au risque de certaines prises de position qui ont pour
ambition de mettre la théologie morale catholique à contribution
dans la recherche de bons discernements liés à des questions
nouvelles.
Dans ce point, nous voulons analyser la période du
concile Vatican II, où la pensée morale de Bernard Häring a
eu une grande influence, en particulier par le plus grand enracinement biblique
et christologique de la réflexion morale, mais également pour une
ouverture plus marquée aux problèmes éthiques
contemporains. Cette influence s'est cependant butée à une sorte
d'échec, autour des questions d'éthique biomédicale, et
Häring fut soupçonné de trahir l'enseignement du
Magistère. Notre propos entend montrer qu'au coeur de son immense
travail et des controverses qui l'ont accompagné, Bernard Häring
demeura un moraliste catholique libre et fidèle, soucieux de
protéger la conscience éthique du croyant, et désireux de
maintenir une profonde solidarité avec son Église.
a. Häring au coeur des tensions du
renouveau conciliaire
B. Häring aura à vivre sa mission et sa
responsabilité de théologien en fonction de quatre principaux
enjeux : le sens même de la contribution du théologien, surtout du
moraliste, au travail magistériel du pape et des évêques (
1-La mission du théologien); la refondation du discours moral sur les
sources scripturaires et l'herméneutique qui y est associée (
2-La dimension biblique de la morale); la mise en rapport plus radicale de la
théologie et de la vie morale au mystère du Christ homme et Dieu
(3-Le christocentrisme de la morale); la conversion au monde réel pour
l'aider à poursuivre ses quêtes de sens en cohérence avec
des fondements anthropologiques ouverts aux changements et permettant de les
interpréter ( 4- Présence à un monde en changement). Ces
enjeux se retrouvent dans le cheminement concret du théologien
Häring au moment de l'événement conciliaire.
En effet, lorsque après trois mois de pontificat, Jean
XXIII prend la décision de convoquer deux grands rassemblements : un
Synode diocésain pour la Ville, et un Concile oecuménique pour
l'Église universelle, la question morale n'est pas absente des
préoccupations du Pape. Ayant vécu en France, il est bien au
courant du malaise de la théologie morale et de l'aspiration
générale et puissante pour un renouveau en ce domaine. Dans son
discours du 25 juin 1959209(*), il rappelle que le but principal du Concile
consiste à « promouvoir le développement de la foi
catholique, le renouveau moral de la vie chrétienne des fidèles,
l'adaptation de la discipline ecclésiastique aux besoins et
méthodes de notre temps. »210(*) L'intérêt du renouveau moral est donc
bien un but assigné au Concile par celui qui l'a convoqué.
L'annonce du Concile a surpris les moralistes, sans doute
davantage que les autres spécialistes de la théologie. A cette
époque, à cause de la suspicion de la part du Saint-Office, le
renouveau en morale était encore en chantier et ne paraissait pas une
urgence pour les théologiens de cet important dicastère. Cette
attitude inquiétait Häring, et il a vu dans le Concile un espoir de
rénovation du discours moral officiel.
Ainsi donc, après le mauvais accueil de sa
synthèse morale211(*), le jeune rédemptoriste était
revalorisé et sera même invité par Jean XXIII212(*) comme expert à la
Commission Théologique Préparatoire213(*) du Concile, qui comprendra
également des théologiens audacieux et comme Yves Congar,
Marie-Dominique Chenu, Henri de Lubac, Jean Daniélou, tous
représentatifs de la pensée théologique française
qui avait été contestée à Rome depuis la crise de
Humani generis.214(*) Ces nominations feront naître une
espérance dans le monde des théologiens en quête d'un
nouveau dialogue avec le Magistère.
Comme promoteur le plus assidu du renouvellement de la
théologie morale dans une perspective pastorale, Häring allait donc
être parmi les experts nommés par le Saint-Siège dans la
Commission Théologique Préparatoire. A sa renommée
internationale, en raison surtout de La loi du Christ - traduite en
quatorze langues- s'ajoute une compétence fort utile pour le travail
conciliaire : sa connaissance parfaite du latin, langue dominante des
travaux.
Dans le travail des sous-commissions, Häring exposera sa
pensée théologique avec insistance. De plus, il contribuera
à faire progresser le Concile par l'élaboration des textes
rédigés en latin dans diverses Commissions, et sera, comme
secrétaire, « un des principaux artisans de la rédaction
du texte de janvier à juin 1964 »215(*) de la Constitution Pastorale
Gaudium et spes. L'apport de Häring est considérable, car
une lecture assidue de Gaudium et spes nous fait voir que sa
pensée morale s'y dévoile peu à peu.
Le 27 octobre 1960, la Commission Théologique
Préparatoire, connue aussi comme Commission Centrale, s'est
réunie pour la première fois. Le projet d'une des cinq
sous-commissions avait pour objet la morale individuelle et conjugale. D'abord
présenté sous le titre De re morali individuali et
familiari, le texte devient, après plusieurs remaniements, le
De ordine morali christiano.
Dès la première session le cardinal Alfredo
Ottaviani soulignera l'importance et l'objectivité du travail de cette
quatrième sous-commission De re morali individuali et familiari
en présentant les questions auxquelles la sous-commission doit se
pencher pour la rédaction du schéma demandé : le fondement
de l'ordre moral, la conscience chrétienne, le subjectivisme et le
relativisme éthiques, le vrai sens du péché et les
relations entre les époux. 216(*)
Le travail de la sous-commission qui prépara le texte
reposa principalement sur trois théologiens Romains : le jésuite
Franz Xavier Hürth, le dominicain L. Gillon et le franciscain
Hermenegildus Lio. Häring ne fut pas invité à participer aux
travaux de cette équipe; il devait l'être, « mais
seulement après qu'il eut été exclu d'une participation
directe au travail parce que son approche était jugée
incompatible avec celle du groupe. »217(*)
Selon Alberigo, depuis le début de
l'élaboration du texte sur la morale jusqu'à sa conclusion,
l'exposé fut dominé par le besoin de défendre certains
aspects de la vie chrétienne contre les erreurs contemporaines, et non
par un effort pour présenter de manière positive et
cohérente le fondement et les caractères propres de la morale
chrétienne. Le P. Lio, qui présida à la rédaction,
« visait avant tout à rejeter tout ce qui tendait à
bâtir la théologie morale sur des fondements
évangéliques et spirituels, et à lui donner une
orientation plus positive et plus spécifiquement chrétienne.
»218(*) C'est bien
évident que Häring, comparé à leurs champs de vision,
représentait une tendance extrême.
Toutes les heureuses propositions formulées, dont celle
d'une apparence moins philosophique qui s'appuie davantage sur le
mystère, n'a pas été non plus discutée au Concile.
Pourtant les Pères ont eu durant de nombreux débats
théologiques « à leur disposition un ensemble
impressionnant de réflexions pour bâtir un édifice moral
qui répond aux interrogations contemporaines soulevées.
»219(*)
Une hypothèse semble s'imposer dès maintenant :
au Concile, malgré le souhait de Jean XXIII et l'engagement vigoureux
des cardinaux, le renouveau de la morale était dérouté par
l'étroitesse d'esprit de ceux en position de pouvoir.
Selon Jean Desclos, au terme de ces débats, le document
De ordine morali sera rejeté par la Commission Centrale, et
relégué aux oubliettes, parce qu'il était plus un texte de
condamnations et de mises en garde qu'une présentation positive de la
morale chrétienne. Les Pères conciliaires ont alors
procédé autrement. La morale fera corps avec l'ensemble de
l'enseignement dogmatique et pastoral qu'ils présentent à
l'Église et au monde.220(*)
En conséquence, aucun document conciliaire ne portera
spécifiquement sur la morale. Pourtant le Magistère partageait
avec les théologiens invités au concile le même souci et
tous souhaitaient, selon leur mission propre, un renouveau de l'enseignement
moral et des moeurs des catholiques. L'enseignement moral du Concile est
disséminé dans l'ensemble des textes et l'influence de
Häring sur les travaux conciliaires déborde le territoire d'un seul
document qui aurait porté sur la morale proprement dite.221(*)
L'évolution des travaux conciliaires allait prendre une
tournure particulière avec le décès de Jean XXIII le 3
juin 1963 et l'élection de Paul VI. Malgré cette transition,
l'influence de Häring demeure importante.
La troisième session commençant le 14 septembre
1964 inaugura une nouvelle période de travail avec un agenda
surchargé. Il fallait terminer les trois schémas
déjà largement discutés lors de la session
précédente, à savoir De ecclesia, De
oeucumenismo et De episcoporum munere. On a repris l'examen du
schéma sur l'Église dans le monde de ce temps, plus
généralement connu sous le nom de schéma XIII, né
à l'issue de la première session, et largement influencé
alors par les cardinaux Montini et Suenens, avec la collaboration de
Häring pour la rédaction, dans lequel il joue un rôle
original.222(*) En
rétrospective, le 3 décembre 1962, à la fin de la
première session, le cardinal Suenens proposa un plan
général de travail, conçu d'après une double
orientation axiale; l'Église et sa vie propre et l'Église en
dialogue avec le monde. Sur les bases de ce projet va naître la
constitution pastorale qui prendra le nom de Gaudium et spes sur la
valeur de l'homme et de son monde.
b. L'éthique
conjugale dans les débats conciliaires
Les problèmes du mariage trouvaient une modeste place
dans la seconde section. Mais la tâche allait être bien moins
simple que cela, car il fallut plusieurs projets successifs pour
dépasser le débat laborieux sur les fins du mariage. Le projet du
cardinal Suenens, avec son orientation double, est présenté
à une Commission mixte. Celle-ci délégua une
sous-commission de sept membres. « Mgr Guano, une des figures
marquantes de l'épiscopat italien, fut élu président, et
le P. Häring fut choisi comme secrétaire. »223(*)
En effet, comme on pouvait le prévoir, quand le rapport
final fut présenté, les réactions des Pères
conciliaires furent des plus divergentes : La majorité du Concile
était favorable à certaines innovations à propos de l'acte
conjugal et de la fécondité. Par contre un groupe habilement
représenté par des orateurs tels que les cardinaux Ottaviani,
Ruffini et Browne, ne concevait pas qu'il y ait la moindre modification
à apporter à la systématisation courante de
l'éthique du mariage.224(*) Le cardinal Ernesto Ruffini dénonce un texte
qui est, à ses yeux, l'expression de l'éthique de situation qui
ouvra la voie à tous les abus. Mgr Heenan, archevêque de
Westminster, critique avec une rare sévérité les
periti225(*) en
paraphrasant le célèbre vers de Virgile: « Timeo Danaos
et dona ferentes » : Je crains les Grecs, même quand ils
apportent des présents» (Enéide 2, 49).226(*) L'abbé Laurentin
affirme emphatiquement : «Ces propos visaient le P. Häring,
rédacteur du schéma 13.» 227(*) Notamment Mgr Heenan, dans une lettre ouverte, au
nom de tout l'épiscopat anglais, s'était fermement
prononcé contre les nouvelles pilules inhibitrices d'ovulation. Par
contre Häring, dans une interview téléphonique au Manchester
Guardian, avait donné un point de vue moins négatif. Si l'on veut
comprendre pleinement la parole de Häring, il faut référer
à son intervention survenue au moment du débat, quand un groupe
de la minorité épiscopale insista avec force pour que les
techniques anticonceptionnelles soient rangées parmi les
déformations infligées au mariage. Leur jugement visait surtout
les évêques du tiers monde sans vouloir comprendre la
diversité des cultures et les difficultés où se meut le
monde actuel. Contre leur condamnation Häring allait réagir :
« j'avais fait preuve de compréhension vis-à-vis de
l'archevêque anglais de Delhi, Robertson, ouvertement tolérant
à l'égard des époux qui utilisaient des contraceptifs non
abortifs. »228(*) Le Guardian, tira en première page : Le
P. Häring contre les évêques anglais. C'est dans ce
contexte que, Mgr Heenan vexé, prit violement position contre
Häring au Concile.
Après quelques jours, Mgr Heenan invita Häring
à tenir une conférence à tout l'épiscopat anglais
en signe de leur réconciliation et de leur amitié. Les
réactions à cette conférence furent
contraires : Dom B. Reetz, abbé de Beuron écrit :
« Me voici tremblant et plein de crainte, après les
paroles entendues hier. Inutile de demander conseil à ceux qui demeurent
dans les maisons religieuses, les séminaires et les universités.
Ils ne connaissent pas le monde...C'est mon cas à moi moine et
abbé. Il me faut donc être simple comme la colombe (et non comme
les serpents qui ont venin sous sa langue), tel saint Augustin de
Cantorbéry, un moine envoyé en Angleterre par saint
Grégoire le Grand, et qui fut le premier évêque des
Anglais. Il continue : Quant aux experts qui ont
peiné à préparer le schéma, ils ont
été nommés par le pape. Il ne faut pas les craindre, mais
les louer, surtout à cause des annexes, dont plusieurs
mériteraient d'être intégrées au schéma
lui-même. La sainte Eglise de Dieu, avons-nous entendu hier, a beaucoup
souffert des paroles et des écrits de certains experts. Mais cela n'a
rien d'étonnant, car pour beaucoup d'hommes l'examen de conscience est
une souffrance et même une torture. »229(*)
Partant de ces polémiques, le Pape Paul VI va
réunir une commission extra-conciliaire instituée par lui, faite
de théologiens, de laïcs et de médecins et qu'en
conséquence le sujet n'aura pas à être repris par le
Concile. L'histoire de cette commission est bien connue. Sa composition a
été régulièrement augmentée. Son document
final était plutôt en faveur de l'usage modéré de la
contraception : « Nous voudrions demander à l'Eglise
enseignante d'accorder moins de poids à certaines formulations, qui sont
largement déterminées par leur contexte historique. Nous
demandons en outre qu'une voie puisse être ouverte qui permette à
la théologie et à la pensée vivante de l'Église de
réaliser l'intégration des acquisitions scientifiques et
philosophiques contemporaines. Nous sommes convaincus qu'il faut faire place
à une conception de l'ordre naturel qui n'exclue pas une
responsabilité efficace de l'homme envers la procréation. De
même paraît-il indispensable de ne pas exclure une conception
où la moralité objective de l'acte sexuel, vécu dans
l'amour conjugal, ne dépende plus d'un certain caractère de
fécondité directe de chaque acte particulier, mais de la
générosité féconde de la vie conjugale
entière. »230(*)
En effet, le concile Vatican II, tout en élaborant une
théologie très positive de la conjugalité et du sacrement
du mariage n'a rien dit de la licéité de l'usage de la pilule
contraceptive. C'est le fameux passage de Gaudium et spes qui
révèle combien le débat n'était pas encore clair et
finalement pourquoi le Pape s'est réservé cette question: «
Par ordre du Souverain Pontife, certaines questions qui supposent d'autres
recherches plus approfondies ont été confiées à une
Commission pour les problèmes de la population, de la famille et de la
natalité pour que, son rôle achevé, le Pape puisse se
prononcer. L'enseignement du Magistère demeurant ainsi ce qu'il est, le
Concile n'entend pas proposer immédiatement de solutions
concrètes » (GS 51).231(*)
c. La question de la morale
conjugale après le Concile : Häring entre
fidélité et liberté
Au grand étonnement des laïcs de la commission
extra conciliaire en particulier malgré toutes leurs propositions sur
les questions de la morale conjugale, l'encyclique Humanae Vitae, a
pris une position plus prudente, celle que l'on sait.232(*)Après la publication
de l'encyclique, Häring écrit : « Ceux qui, en
conscience, estiment pouvoir accepter la ligne de l'encyclique doivent
être conséquents jusqu'au bout, et ne pas désespérer
s'ils rencontrent des difficultés. Ceux qui, au contraire, après
avoir prié et réfléchi, sentent en conscience qu'ils ne
peuvent en suivre les postulats, peuvent en toute sérénité
suivre leur conscience sans pour autant devoir quitter l'Église ou
s'éloigner des sacrements. »233(*)
Beaucoup d'interprètes de la théologie morale de
Häring croient que le contenu de cette encyclique a forcé ce
théologien de l'Alphonsianum à se ranger parmi les contestataires
et a déclenché une vraie crise d'autorité parce qu'on a
jugé que son enseignement était « en rupture avec
l'enseignement conciliaire à cause des concepts juridiques
employés et de la notion de nature fondant son argumentation.
»234(*) Il
faut bien admettre que, sur le point précis de la contraception,
l'enseignement doctrinal du Magistère n'a pas changé d'un iota.
Humanae vitae propose une norme morale sévère provenant
en droite ligne de l'encyclique Casti connubii de Pie XI et des
célèbres allocutions de Pie XII sur la morale
conjugale.235(*)
Malgré que la délibération
collégiale fut négligée dans la préparation du
document, dans sa lecture du dossier Delhaye, a montré que les
évêques n'ont nullement trahi l'encyclique mais dans leurs
déclarations et leurs commentaires ils ont tenté d'apporter des
nuances à la condamnation de toute contraception. Face à pareils
énoncés émis comme le dernier mot de la sagesse pratique,
on se rend compte du besoin urgent d'une soigneuse mise au point de la notion
de malice objective du péché quant à la malice
intrinsèque de la contraception.
De toute manière, là où l'encyclique
condamne sans équivoque tout choix délibéré de ce
genre, la Note de l'épiscopat français apporte une nuance. «
La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un
désordre, mais ce désordre n'est pas toujours coupable. Il
arrive, en effet, que des époux se considèrent en face de
véritables conflits de devoir. »236(*) Häring rappelle
qu'à l'intérieur de la Commission pontificale, le texte de I Co
7, 1-5 a été souvent cité.237(*) Saint Paul y met
énergiquement en garde contre une continence prolongée. Un
rapport concret a été soumis au pape, montant que la
majorité absolue des époux consultés a fait
l'expérience que l'application à longue durée de la
continence périodique a sensiblement troublé l'harmonie
conjugale. Fort de cette connaissance psychologique et de l'orientation de 1 Co
7, Häring, enfin, fait la référence au Concile qui a
prononcé cette mise en garde : « Là où
l'intimité conjugale est interrompue, la fidélité peut
courir des risques et le bien des enfants être compromis; car en ce cas
sont mis en péril et l'éducation des enfants et le courage
nécessaire pour en accepter d'autres
ultérieurement » (GS 51,1).
À titre de professeur à l'Alphonsianum,
Häring a contribué régulièrement dans la revue
Famiglia Cristiana, à des articles pour le public ordinaire
italien sur des quaestiones disputatae de la théologie morale
et pastorale. Son influence fut énorme tout au cours des années
sur la scène romaine, cependant peu appréciée par certains
milieux académiques en le stigmatisant d'une dilatation de la morale par
introduction dans l'espace théologique de la créativité de
la conscience morale perçue comme la relativisation de
l'autorité. On sait que la conception moderne de l'autonomie de la
conscience est traditionnellement considérée par la
théologie catholique comme un héritage de Luther et du
protestantisme.238(*)
Sans hésitation, dans cette conception du statut moral de la conscience,
Häring va traiter la question du conflit de devoir en s'appuyant sur la
Note pastorale de l'épiscopat français sur Humanae
vitae.
Ainsi, après avoir mûri longtemps ces convictions
qu'il exprima, le 5 janvier 1989, dans l'article: Chiedere l'opinione di
vescovi e teologhi, paru dans « Il regnoattualità », 34,
n°615, p. 1-4, Häring suggère de rouvrir le débat et de
procéder à une vaste consultation auprès des
évêques, des théologiens et des laïcs. Car les
évêques forment l'Église dite enseignante et leurs
positions concordantes avec les experts en théologie morale peuvent
être soumises à l'examen des simples fidèles et, ainsi
humaniser le fonctionnement de l'Église.
Contre cette initiative, Rome n'a pas pris beaucoup de temps
d'intervenir par un texte de cinq pages dans l'Osservatore Romano le
16 février 1989 intitulé: Dichiarazione e documenti
où l'article de Häring fut qualifié comme « un
attacco publico alfinsegnamento del Magistero circa la morale sessuale e
coniugale. »239(*) En voici la teneur d'accusation qui vise
spécialement Häring : « De graves confusions et des
équivoques bouleversent les fidèles lorsque, de la part de
certains théologiens même, on parle des déclarations du
Magistère en taisant ou en déformant leur nature
spécifique et leur fonction particulière. Comme chaque
fidèle devrait savoir, l'enseignement du magistère de
l'Église ne peut pas être interprété correctement
avec le recours aux mêmes critères qui sont employés pour
les sciences humaines et en recourant au seul critère socio-culturel
d'une plus au moins grande adhésion à ce
message. »240(*)
Nous sommes manifestement en face d'une incompatibilité
entre la réception du message chrétien et la position de
l'autorité ecclésiastique. La rencontre entre un discours de la
tradition théologique et les sciences humaines n'était pas une
affaire de mode au moment de la parution de Humanae vitae. Le rapport
entre théologie et sciences humaines ainsi posé reste à
construire de façon à préciser ce qu'on peut en attendre
dans le champ de la théologie elle-même.
Les discours autour de l'encyclique Humanae vitae
montrent que la crise de la théologie morale qui a suivi le Concile est
arrivée à mettre en question non seulement les normes morales
singulières enseignées par l'Église mais jusqu'aux
fondements mêmes de toute la doctrine morale catholique.
En effet, les débats autour de cette encyclique ont
remis en cause, encore une fois, la portée objective et universelle de
la loi naturelle sur laquelle le Magistère s'appuyait pour
résoudre les problèmes moraux. La moralité de la
contraception n'est pas un article de foi. Elle n'est pas, en toute rigueur de
termes, une déclaration irréformable non plus. Pourtant, on est
même allé jusqu'à parler d'un tacite mais imposant
«schisme moral» à l'intérieur de
l'Église.241(*)
On se trouve devant des consciences imperméables à l'enseignement
moral du Magistère de l'Église, qui n'est plus reçu comme
critère objectif du jugement. Bien qu'il y ait eu une consultation assez
considérable dans la préparation de cette Encyclique, on reproche
au Pape d'avoir pris le contrepied de l'opinion majoritaire qui s'était
fait jour au sein de la Commission d'experts mandatés pour
l'assister.
En référence à son expérience dans
la commission des experts, Häring résume ainsi sa perception du
travail : « Il m'a paru évident que le Saint Office et les
organismes similaires n'avaient pas accepté le tournant
réalisé par la théologie morale, biblique et dogmatique.
Bien au contraire, on pouvait remarquer qu'un effort concerté s'est
déployé pour le discréditer et le condamner.
»242(*)
Devant cette question, les théologiens furent
placés devant deux pôles souvent exagérés : soit la
liberté, soit la loi centrée sur l'idée de l'obligation,
le tout dans une rencontre avec le champ de la conscience et des actes humains.
Seule l'intelligence de la foi inconditionnelle de Häring, laquelle est
essentiellement une réponse de foi et d'amour au Christ, lui permettra
de rester fidèle alors que quelques penseurs brillants quittent
l'Église.243(*)
L'encyclique Humanae vitae va ainsi soulever avec
acuité la question morale des actes intrinsèquement
mauvais : après avoir réaffirmé la condamnation de
l'avortement, le Pape explicite l'immoralité intrinsèque de
l'intervention volontaire dans le processus naturel de la procréation :
« Est exclue également toute action qui, soit en
prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit
dans le développement de ses conséquences naturelles, se
proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la
procréation. Et on peut invoquer comme raisons valables pour justifier
des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds, le moindre mal
ou le fait que ces actes constitueraient un tout avec les actes féconds
qui ont précédé ou qui suivront, et dont ils partageraient
l'unique et identique bonté morale. En vérité, s'il est
parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un
mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis,
même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en
résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte
positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre
et, par conséquent, une chose indigne de la personne humaine, même
avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels,
familiaux ou sociaux. C'est donc une erreur de penser qu'un acte conjugal rendu
volontairement infécond et, par conséquent,
intrinsèquement déshonnête, puisse être rendu
honnête par l'ensemble d'une vie conjugale féconde »
(HV 14).
Cette affirmation va susciter un débat où
plusieurs réactions vont se confronter : nous voulons profiler
ainsi la question en mettant en exergue la conception häringienne de la
question des actes intrinsèquement mauvais.
III. 2.2. La question des actes intrinsèquement
mauvais selon Bernard Häring
La question de la moralité des actes humains a toujours
été l'une des controverses entre le Magistère de l'Eglise
et les théologiens. Comme l'enseigne le Catéchisme de l'Eglise
Catholique, les actes humaines ont trois sources qui sont: l'objet qui n'est
rien d'autre la matière de l'acte, l'intention c'est-à-dire la
fin de l'acte, les circonstances. Partant de ces trois sources, un acte est
moralement bon si son objet, l'intention et la circonstance sont bons. Dans cas
contraire si l'intention est mauvaise l'acte est indiscutablement mauvais,
parce qu'on ne peut faire du mal pour en retirer du bien (cfr. CEC
1750).
A cette affirmation du Catéchisme, Jean Paul II se
situant dans la ligne droite de ses prédécesseurs notamment Paul
VI affirme que la moralité de l'acte humain dépend avant tout et
fondamentalement de l'objet raisonnablement choisi par la volonté
délibérée : « L'objet moral est la fin
prochaine d'un choix délibéré qui détermine l'acte
du vouloir de la personne qui agit. » (VS78) Pour savoir
quel est l'objet qui spécifie moralement un acte, « il convient
donc de se situer dans la perspective de la personne qui agit. En effet,
l'objet de l'acte du vouloir est un comportement librement choisi. En tant que
conforme à l'ordre de la raison, il est cause de la bonté de la
volonté. Par objet d'un acte moral déterminé, on ne peut
donc entendre un processus ou un événement d'ordre seulement
physique, à évaluer selon qu'il provoque un état de choses
déterminé dans le monde extérieur » (VS
78). Ainsi, l'acte humain ne peut être ordonné à la
fin ultime que s'il est bon par son objet : « La raison pour
laquelle la bonne intention ne suffit pas mais pour laquelle il convient de
faire le choix juste des oeuvres réside dans le fait que l'acte humain
dépend de son objet, c'est-à-dire de la possibilité ou non
d'ordonner celui-ci à Dieu, à Celui qui seul est Bon, et ainsi
réalise la perfection de la personne. » (VS
79).
Dès lors on peut comprendre que l'un des passages les
plus forts de l'encyclique Veritatis splendor est la
réaffirmation que rien - ni l'intention, ni les circonstances, ni les
conséquences - ne saurait jamais justifier un acte
intrinsèquement mauvais. (VS 78) « Paul VI,
affirme Jean Paul II, en qualifiant l'acte contraceptif
d'intrinsèquement illicite, a voulu enseigner que la norme morale est
telle qu'elle n'admet aucune exception : aucune circonstance personnelle ou
sociale n'a jamais pu, ne peut et ne pourra justifier un tel acte
désordonné en soi. Cette négation (c'est-à-dire le
refus de l'enseignement d'Humanae vitae) implique encore, comme
conséquence logique, qu'aucune vérité de l'homme n'est
soustraite au courant du devenir historique. »244(*)
Selon Jean Paul II, cette conception de la moralité des
actes que l'Eglise défend serait mise en danger par de nouvelles
orientations culturelles et par des théologiens.
Chez B. Häring, cette question s'insère dans le
débat qui a suivi la publication de l'encyclique Humanae
Vitae : après la condamnation de toute contraception comme
intrinsèquement illicite, la question centrale reste de savoir si la
contraception est-elle gravement mauvaise? L'Eglise
répond laconiquement: « Est toujours mauvaise ce qui
ne peut jamais se justifier par nul mobile, en aucune circonstance, parce que
c'est intrinsèquement mauvais non, donc, par précepte d'une loi
positive, mais par la loi naturelle; ce n'est pas mauvais parce qu'interdit,
mais interdit parce que mauvais. »245(*)
Face à cette doctrine, Häring va proposer une
façon de comprendre la moralité des actes en partant de la
théorie d'une option fondamentale246(*) qu'il va développer.
L'option fondamentale se comprend comme l'intention englobante
de toute l'existence éthique, à la source des grands engagements
autant que des décisions ponctuelles. Elle surgit du niveau le plus
profond de la liberté, là où la personne se situe
radicalement face au bien et au mal, et donc face à Dieu, de
façon même non explicite.
En effet, en réfléchissant sur la liberté
humaine, B. Häring distingue un niveau de liberté où elle
décide radicalement pour soi, pour le Bien, pour Dieu.247(*) Selon lui, cette
liberté fondamentale, antérieure à la liberté de
choix, se transcrit en option éthique fondamentale et c'est à ce
niveau seulement qu'intervient la moralité, le jugement éthique
sur le bien ou le mal.248(*) Les actes concrets sont à un autre
niveau : ils sont justes ou fautifs mais non marqués de la
même densité éthique que l'option fondamentale. Dans l'agir
humain existerait donc deux niveaux de la moralité qui permettent
à la limite de considérer un comportement concret comme un
processus purement physique de dimension pré-morale.249(*)
Mais on ne peut dissocier l'option fondamentale des
comportements concrets. Sinon, on contredit l'intégrité
substantielle ou l'unité personnelle de l'agent moral. La
moralité d'un choix délibéré se mesure à sa
conformité à la dignité et à la vocation
intégrale de la personne humaine.250(*) Dans le cas des préceptes négatifs, il
n'y a place pour aucune détermination contraire. L'homme peut-il
être moralement bon tout en agissant mal ? En réalité,
l'homme se perd non seulement par infidélité à son option
fondamentale, mais par chaque péché mortel commis de façon
délibérée.251(*)
Selon cette hypothèse, le péché mortel ne
serait que le fruit d'un acte qui engage la personne toute entière, par
le refus de Dieu posé à un niveau transcendantal de la
liberté. Sinon, comment comprendre que soient mortels des
péchés accomplis si facilement et si souvent, et qu'ils le soient
aussi en raison de leur seule matière, ou que puissent se vivre dans un
même temps la rupture et la réconciliation avec Dieu.252(*) C'est donc seulement en
regard de la densité de l'engagement de la liberté qu'il faut
juger de la gravité du péché, et non par la matière
de l'acte.
Partant, B. Haring va critiquer et rejeter même une
conception physiciste de l'objet moral, à laquelle il propose de
substituer, par souci de cohérence, une considération de l'acte
humain comme totalité.
De quoi s'agit-il ? Non pas de refuser l'existence d'actes
intrinsèquement mauvais mais de s'interroger sur ce que R. Mc Cormick
nomme the key problem: « Quels objets peuvent être
caractérisés comme moralement mauvais et sur quel critère
? Bien sûr, cette question en cache une autre : qu'est-ce qui doit
être pris en compte comme appartenant à l'objet
? »253(*)
III.2.1. L'objet dans
l'appréciation morale d'un acte selon Häring
Pour Häring, la moralité, c'est-à-dire en
somme la bonne volonté, ne peut tenir qu'à une intention
fixée sur une fin qui soit objectivement bonne, qui trouve son contenu
dans ce qu'appelle l'essence véritable de l'homme, dans ce qui manque
à l'achèvement qui lui est dû selon des critères
tout à fait naturels.254(*) C'est le type de développement que l'on
trouve dans le soin que met saint Thomas à articuler l'un sur l'autre,
autant qu'à distinguer les uns des autres, les différents paliers
de bonté : celui de l'être, convertible avec l'être
même ; celui de l'être naturel, auquel ne peut s'opposer comme mal
que la privation de la perfection que sa nature appelle ; celui de l'homme,
finalement, qui ajoute la conformité consciente et volontaire à
ce qu'appelle sa nature.255(*)
Il y a lieu, pour appliquer ces considérations à
un acte, de discerner la triple bonté que cet acte revêt
éventuellement : d'abord celle, ontologique, qu'il tient du seul fait
d'être posé et qui est coextensible à son
existence même ; ensuite celle, naturelle ou ontique, qu'il tient
d'être posé d'une manière physiquement correcte, de
manière à produire ses effets naturels [tel une relation sexuelle
complète] ; enfin celle, morale et humaine, qu'il tient d'être
posé en conformité avec ce qui fait de l'homme un homme,
c'est-à-dire sa raison, et qui est celle qui intéresse
évidemment le moraliste [tel une relation sexuelle complète entre
époux]. Et sous ce dernier plan, des actes sont intrinsèquement
bons ou mauvais, selon que leur définition comporte quelque chose qui se
conforme ou contrarie la raison droite. (Cf. Q. D. De malo, q. 2, art. 2 et
I-II, q. 18, art. 4)
Pour Häring, donc, sous peine de tomber dans un vide ou
un arbitraire total, il faut que le premier fondement pour
l'appréciation morale provienne de la nature même de l'acte
envisagé.256(*)
Celui-ci doit avoir de fait une essence déterminée et des
résultats moraux que l'on se propose quand on décide de le poser,
sans quoi on ne le choisirait jamais. Comme on le choisit pour ce qu'il est de
nature à donner, c'est dans cette mesure qu'il faut chercher ce qui,
d'abord, permet de l'apprécier.257(*)
Saint Thomas répète à souhait que c'est
de son objet que la volonté tire sa bonté ou malice258(*). Pour bien saisir le sens de
ce principe, il faut rappeler que pour lui comme pour Aristote, toutes les
puissances de l'âme ont un objet qui leur est propre259(*). Ainsi la vue, qui est une
puissance de l'âme, a pour objet la couleur ; l'ouïe, qui en est une
autre, a pour objet le son, les qualités olfactives des corps ; leurs
saveurs ; et le toucher, leurs qualités tactiles, à savoir le
dur, le mou, le chaud, le froid...
Bien que partielle, cette énumération permet
déjà de comprendre qu'à toute puissance correspond un
objet spécifique, et inversement. Puis donc que la volonté est
une puissance spécifique de l'âme, elle devra, elle aussi, avoir
un objet qui lui corresponde et qui ne soit celui d'aucune autre puissance,
c'est-à-dire un objet propre. Et quel sera donc cet objet ? Saint Thomas
nous le dit, c'est le bien en général260(*). Plus
précisément, puisque la volonté est une puissance aveugle,
ou mieux, un appétit rationnel, son objet sera le bien
appréhendé, c'est-à-dire le bien tel qu'il lui est
présenté par la raison.
Cette dernière précision n'est pas sans
importance. Elle explique l'écart qu'on rencontre parfois entre le bien
réel et le bien apparent. Il arrive en effet que la raison se trompe et
présente à la volonté comme un bien ce qui est en
réalité un mal : tel acte mensonger pour se tirer d'embarras, tel
vol pour s'enrichir rapidement ou tel adultère pour assouvir ses
passions, par exemple. Inversement, il lui arrive aussi de prendre pour un mal
ce qui est en réalité un bien : l'opposition des Témoins
de Jéhovah aux transfusions sanguines, pour prendre un exemple bien
connu, ou encore le refus de la famille ou du personnel médical de
cesser un traitement devenu disproportionné. Selon l'heureuse
distinction qu'on retrouve quelque part chez Platon, il s'agit alors de biens
et de maux apparents et non pas réels261(*).
Étant donné qu'une puissance ne peut pas
défaillir envers son objet propre, si l'on disait que l'objet propre de
la volonté est le bien sans autre précision, nous parlerions
comme s'il ne lui arrivait jamais de s'attacher au mal. Ce qui est
évidemment faux. Dire que l'objet propre de la volonté n'est pas
le bien tout court, mais le bien appréhendé explique
l'attachement possible à un bien qui ne soit qu'apparent et rend donc
mieux compte de la réalité.262(*)
Du point de vue de son étymologie, objet signifie
d'ailleurs chose placée devant. Ce qui nous amène à faire
remarquer que l'objet d'un acte est toujours corrélatif de cet acte.
Ainsi, l'objet de l'amour, ce sera toujours l'être aimé. Car de
même qu'il n'y a pas d'amour sans un être aimant, de même il
n'y en a pas non plus sans un être aimé. Et si l'acte de
l'être aimant c'est l'amour, alors l'objet de cet acte, c'est son terme,
à savoir l'être aimé. Et il en est de même pour les
autres sortes d'acte du même genre : si l'acte de l'oeil c'est la vision,
alors l'objet de la vue, ce sera le visible en tant que tel,
c'est-à-dire la couleur ; si l'acte de l'oreille c'est l'audition, alors
l'objet de l'ouïe, ce sera l'audible en tant que tel, à savoir le
son ; et ainsi du reste.
Pareillement, vouloir c'est vouloir quelque chose ; or, la
chose qui est voulue, voilà l'objet de la volonté. Ainsi, dans
cette logique l'objet du vol n'est pas la chose volée, ni celui de
l'adultère la personne à laquelle on s'unit extra conjugalement.
L'éthique étudie en effet l'agir humain. Or il n'y a pas d'agir
sans un acte de la volonté délibérée. En morale, le
terme ou l'objet de la volonté sera donc toujours un agir. Et si c'est
un agir, ce ne peut être ni une personne, ni une chose. L'objet du vol ne
sera donc pas la chose volée, mais l'acte par lequel on s'approprie
furtivement cette chose. Celui de l'adultère ne sera pas la personne
même à laquelle on s'unit extra conjugalement, mais l'acte
délibéré par lequel on s'y unit.
Cette référence à l'objet appelle
d'emblée une précision capitale. En effet, l'objet d'un acte
à portée morale est proprement constitué non par le
contenu purement physique de l'acte sur le plan du genus naturae
(l'ordre de la nature au sens étroit), comme disent les scolastiques,
mais par le contenu intelligible visé par la raison sur le plan du
genus moris (l'ordre des moeurs). Autrement dit, l'objet moral,
c'est-à-dire l'objet sur lequel porte la raison pratique, n'est jamais
simplement l'objet (physique, `naturel') de l'acte d'une quelconque de nos
facultés, mais cet acte lui-même en tant qu'il est soumis à
l'empire de la volonté et donc en tant qu'il est posé par la
personne dans un contexte humain.
En d'autres termes, l'objet proprement moral du meurtre n'est
pas l'innocent que l'on tue, mais l'acte par lequel on le supprime ; celui du
mensonge n'est pas la parole fausse que l'on prononce, mais l'acte par lequel
on dit le contraire de sa pensée à l'insu d'autrui ; celui de la
contraception n'est pas le moyen qu'on utilise, ni l'usage du mariage en
période inféconde, mais l'acte par lequel on frustre
délibérément de sa finalité procréatrice
l'union sexuelle librement consentie, etc. Bref, en morale, l'objet, c'est
toujours un agir délibéré. Et c'est pour l'avoir perdu de
vue que certains moralistes sont allés jusqu'à prendre le
conjoint d'un autre pour l'objet de l'adultère, l'objet volé pour
l'objet du vol ou l'inhibition volontaire de l'ovulation en prévision
d'un viol pour de la contraception.263(*)
Que la volonté soit spécifiée par son
objet signifie encore qu'elle tire de celui-ci sa bonté ou malice
fondamentale. Saint Thomas dit en effet qu'il y a une proportion entre le
rapport d'un être naturel à sa forme et celui d'un acte à
son objet : « Les êtres naturels tirent leur espèce de
leur forme, et l'action la reçoit de son objet, de même que le
mouvement la reçoit de son terme. »264(*) Et c'est justement sur cette
proportion qu'il s'appuie pour affirmer que la bonté première
d'un acte moral - qu'on appelle aussi générique, fondamental ou
foncière-lui vient de son objet : « C'est pourquoi, de
même que la bonté première d'un être naturel provient
de la forme qui le spécifie, de même la bonté
première d'un acte moral résulte de l'objet qui lui convient ;
aussi cette bonté est-elle appelée par certains auteurs
bonté générique ; elle consiste, par exemple, à
user de ce qu'on possède. »265(*)
Et comme le mal s'entend de la privation du bien, la
même analogie de proportionnalité servira à établir
que le mal fondamental ou foncier d'un acte lui viendra aussi de son objet :
Dans l'ordre de la nature, le premier mal consiste en ce que la chose
engendrée n'atteint pas sa forme spécifique, lorsque, par
exemple, ce n'est pas un homme qui est engendré, mais autre chose
à sa place. De même le premier mal dans les actions morales
vient-il de leur objet, par exemple prendre le bien d'autrui.266(*)
Remarquez comment saint Thomas formule les deux exemples qu'il
donne. Dans le premier où il s'agit d'illustrer un objet moral bon, il
dit : « user de ce qu'on possède ». Et dans le second
où il s'agit d'illustrer un objet moral mauvais, il dit : « prendre
le bien d'autrui ». Dans un cas comme dans l'autre, la description
donnée de l'objet commence par un verbe d'action. Nous y voyons une
confirmation très nette de l'idée que soutien Häring en
morale, l'objet est toujours un agir délibéré.267(*)
III.2.2 La bonté ou la
malice de l'intention, moralité de surcroît
Pour Häring donc, la moralité de la volonté
est essentiellement déterminée par son objet et que celui-ci
n'est rien d'autre que l'agir même auquel elle se décide. Un autre
facteur doit maintenant être pris en compte et c'est l'intention. Il
arrive en effet que l'acte auquel on se décide soit voulu tel quel sans
que rien ne s'y ajoute. Celui qui s'empare du légitime bien d'autrui
pour s'en faire le nouvel acquéreur, par exemple, n'ajoute rien à
l'objet du vol, puisque c'est précisément ce en quoi celui-ci
consiste. Même chose pour celui qui fait l'aumône dans le but de
soulager la misère d'autrui. Mais il arrive aussi qu'un acte soit voulu
pour autre chose que ses effets naturels, comme c'est le cas du pochard qui
dérobe une somme d'argent pour s'enivrer, ou encore du roi qui, comme
David, fait tuer son serviteur pour en épouser la femme.268(*)
L'élément nouveau qui s'ajoute, ici, c'est
l'intention. Non pas une velléité -- sorte de désir
volontaire inefficace --, mais la motivation personnelle du sujet agissant, le
but ultérieur qu'il poursuit par-delà ce qu'il fait en premier,
la raison qui a motivé son choix et en vue de laquelle il agit ; bref,
ce en vue de quoi quelqu'un choisit et pose tel acte déterminé.
Que l'intention de celui qui agit doive être prise en
compte dans l'appréciation de la moralité d'un acte, cela ressort
clairement du fait qu'il n'est jamais venu à l'idée de personne
d'en faire l'économie, affirme Häring. C'est la plupart du temps le
premier facteur de moralité à être considéré
par les analystes et parfois même, hélas, le seul. La
nécessité de l'intention bonne a toujours fait et fait encore
l'unanimité : si l'intention est mauvaise en effet, tous concluent que
l'acte est mauvais.
En tenant compte de ce qui précède pour acquis,
la question qui se pose est dès lors celle de savoir ce qui arrive
lorsque les motivations personnelles de l'agent sont bonnes, mais que l'objet
de son choix ne l'est pas ; lorsque le but ultérieur qu'il poursuit est
moralement bon, mais que l'agir auquel il se décide ne l'est pas. Qu'une
telle chose se produise se laisse voir dans le problème classique du
mensonge en vue de sauver la vie d'un autre. Que se passe-t-il en pareil cas ?
Comment l'objet et l'intention se comportent-ils ? Se neutralisent-ils
mutuellement ? Rendent-ils l'acte à la fois bon et mauvais ? L'un
jouit-il d'une prépondérance sur l'autre ? Et dans l'affirmative
à cette dernière question, lequel a priorité sur l'autre
et à quelle(s) condition(s) ?269(*)
Poser ces questions, c'est tenter d'y voir plus clair dans les
responsabilités respectives de l'objet et de l'intention en regard de la
moralité d'un acte. A ce sujet, Häring s'appuie sur la doctrine de
saint Thomas telle qu'elle s'exprime dans son traité sur les actes
humains. En raison de son lien direct avec le propos de notre mémoire,
la question dix-huit de la prima secundae où il est question de
la bonté et de la malice des actes humains en général
retiendra spécialement ici notre attention.
À l'article cinq de cette question, saint Thomas se
demande s'il y a une différence d'espèce entre les actes bons et
mauvais et il répond en rappelant ce que nous savons déjà,
à savoir que tout acte est spécifié par son objet.
Là où les choses se compliquent, c'est qu'à l'article
suivant il dit que les actes reçoivent également leur
espèce de leur fin. On se demande alors comment s'articulent
l'espèce qui vient de la fin et celle qui vient de l'objet. Saint Thomas
pose également cette question à l'article sept où il se
demande si le rapport entre l'espèce qui vient de la fin et celle qui
vient de l'objet en est un de genre à espèce, ou s'il n'en serait
pas plutôt un d'espèce à genre.270(*)
Pour terminer ce point, disons que pour B. Häring l'acte
humain est quelque chose de complexe qui ne se laisse pas aisément
saisir du premier coup et pour dire, en conséquence, qu'il faut faire
preuve de beaucoup de circonspection avant de prétendre à un
jugement définitif sur sa valeur morale. Il y a en effet des actes qu'on
a tendance à considérer trop tôt comme
définitivement mauvais. Pour l'exprimer d'une manière
synthétique, disons que pour Häring l'objet et la fin
spécifient tous deux l'acte, mais ils le font par mode d'addition
lorsque leur lien est accidentel et par mode de subordination lorsque leur lien
est essentiel.271(*)
Dans le premier cas, l'objet et la fin apportent tous deux leurs
spécifications respectives et l'acte revêt en même temps
deux espèces morales distinctes (tel le vol commis pour faire
l'aumône) ; tandis que dans le deuxième, l'espèce qui
provient de l'objet se subordonne à celle qui provient de la fin comme
l'espèce au genre (tel le combat livré pour remporter la
victoire).272(*)
III.2.3. Les actes
intrinsèques
B. Häring expose une conception de la question des actes
intrinsèquement mauvais qui tient compte de l'environnement et du
contexte socio-culturel : En effet pour lui, si les conséquences
principales et naturelles d'un acte sont mauvaises c'est dire que l'acte dont
elles découlent est lui-même mauvais, attendu que si l'effet est
mauvais, sa cause l'est a fortiori.273(*) Cet acte, quant à lui, n'est pas le fruit
d'une génération spontanée, mais procède de la
volonté délibérée comme de sa cause. En vertu du
même principe, pour Häring, si l'acte issu de la volonté est
mauvais, c'est que la volonté elle-même l'était. Mais la
volonté ne peut communiquer une malice qu'elle n'a pas d'abord
elle-même contractée. Or on sait que la volonté est
spécifiée par son objet. Sa propre malice lui vient donc de
l'objet, à savoir l'agir même auquel elle s'est
décidée au moment du choix. Quant à cet agir, il ne peut
constituer le terme d'un acte élicite mauvais s'il n'est pas
déjà en lui-même désordonné,
c'est-à-dire contraire à la raison droite.274(*)
Bref, avant d'entraîner des conséquences
mauvaises, un agir doit avoir été posé ; or il doit avoir
été choisi avant d'être posé ; et avant d'être
choisi il doit avoir été conçu par l'intelligence et
présenté à la volonté comme objet. Conclusion :
avant d'être contractée par la volonté élicite, la
malice morale était déjà inscrite à
l'intérieur de l'agir susceptible d'être choisi. Autrement dit,
c'est parce que l'agir délibéré était
déjà en lui-même désordonné ou contraire
à la raison droite que la volonté élicite en contracte la
malice au moment du choix.
Il en est donc de la moralité comme de l'adjectif
sain attribué simultanément à l'animal, à
la nourriture et à l'urine : l'attribution se fait d'une manière
analogique et non pas univoque. Si la bête, la nourriture et l'urine
peuvent être qualifiées de saines, c'est en effet parce que toutes
trois ont un rapport à la santé : la bête en tant qu'elle
en est le sujet propre, la nourriture en tant qu'elle en est la cause, et
l'urine en tant qu'elle en est le signe ou l'effet. Ce qu'on veut faire
remarquer ici, c'est que le même type d'analogie joue dans le cas de la
bonté et de la malice morale.275(*) Si la volonté, l'objet de son choix et l'agir
effectif qui en découle peuvent tous trois être qualifiés
de moralement bons ou mauvais, il reste que ne sera pas d'une manière
univoque, mais analogique. La volonté sera qualifiée de bonne ou
mauvaise en tant que sujet propre de la moralité (et c'est la raison
pour laquelle on dit qu'il n'y a que la volonté qui soit formellement
bonne ou mauvaise), l'agir délibéré sera qualifié
de bon ou de mauvais en tant qu'il se rapporte à la volonté comme
l'effet à sa cause, et l'agir que la raison présente à la
volonté comme objet sera qualifié de bon ou de mauvais en tant
qu'il est apte à spécifier la volonté qui le ferait sien
en le choisissant. On sauve de cette manière le principe à
l'effet que la moralité ne convienne proprement qu'à l'acte
volontaire, tout en maintenant la théorie séculaire de la
spécification de la volonté élicite par son objet.
276(*)
Pour Häring, quand on parle d'un acte
intrinsèquement bon ou mauvais, c'est d'un agir susceptible d'être
choisi dont on parle : un acte conçu par la raison (un vol ou un
meurtre, par exemple) et dont la bonté ou la malice vient de sa
conformité ou de son opposition à ce que la nature humaine admet
à son achèvement.277(*) Par-là, il faut comprendre que cet acte a
déjà en lui-même une structure et une signification qui
constituent déjà une raison de le vouloir et que la
volonté ne peut pas ne pas faire siennes quand elle s'y décide :
une structure qui lui vient de ce qu'il est en lui-même, dans son
essence, et qui fait que c'est de tel acte dont il s'agit et non pas de tel
autre (s'approprier furtivement le bien légitime d'autrui ou supprimer
volontairement la vie d'un être humain innocent, par exemple), et une
signification ou valeur morale qui lui vient de son rapport de
conformité ou d'opposition à la raison droite en tant que, en
choisissant de poser le geste, on irait automatiquement, dans le premier cas,
à l'encontre du droit de propriété d'autrui, ou, dans le
second, à l'encontre de l'inviolabilité de la vie de
l'innocent.278(*) On
comprend dès lors que cette bonté ou malice morale de l'acte ne
se prend pas de ce qui s'ajouterait à ce qu'il est déjà en
lui-même, mais de ce qui le constitue déjà en son essence
ou espèce ; d'où le nom de moralité
intrinsèque.279(*)
Pour Häring, en saisissant comment un agir a une nature
déterminée, on comprend que, déjà à ce
niveau, en son essence même, avant que quiconque l'ait choisi, il se
prête à un rapport de conformité ou de
non-conformité avec la raison, c'est-à-dire avec ce que la nature
humaine admet ou non à son achèvement. Certains actes
présentent une essence susceptible de se conformer à la raison et
de faire l'objet d'un choix moral (telle la remise d'une somme due et
l'aumône faite au pauvre), tandis que l'essence d'autres exclut
définitivement cette possibilité (tel le vol et le
meurtre).280(*)
Le bien moral exige donc, selon Häring, que tous ses
éléments soient simultanément bons, tandis que le mal
résulte de la malice d'un seul. C'est la raison pour laquelle un acte
n'est définitivement bon et jugeable comme tel qu'une fois revêtu
de son ultime circonstance morale : tant qu'il n'en est pas là, il est
susceptible, tout intrinsèquement bon qu'il soit, de se gâter
moralement par l'effet d'une autre circonstance.281(*)
Sur cet aspect de la question, la conception proportionnaliste
interdit tout jugement définitif sur la valeur morale d'un acte
considéré in abstracto. Par contre, Häring
considère qu'un acte est déjà mauvais et jugeable comme
tel, dès que son objet ou qu'une de ses circonstances l'est, sans qu'il
soit nécessaire de poursuivre l'inventaire des circonstances. Et c'est
là précisément où qu'il se sépare des
proportionnalistes qui, comme on le sait, refusent l'existence d'acte
irrémédiablement mauvais, jugeant qu'une circonstance adventice
peut, à elle seule, rendre bon un acte par ailleurs contraire à
la raison droite.282(*)
Pour Häring, toutes les déterminations morales
d'un acte doivent simultanément concourir à sa bonté pour
que l'acte soit déclaré bon, alors qu'un seul défaut
suffit à le déclarer mauvais. C'est la raison pour laquelle il ne
peut pas y avoir d'actes intrinsèquement bons in abstracto qui
ne puissent être gâchés par une circonstance qui le rende
mauvais in concreto. À l'inverse, un acte qui serait mauvais
in abstracto (l'adultère, par exemple), ne pourra jamais
revêtir de circonstances qui le rendraient bon in concreto, pour
la simple et bonne raison qu'une nouvelle circonstance ne fait qu'ajouter une
nouvelle relation à la raison droite, sans détruire ou
éliminer ce qui, en cet acte, s'y oppose déjà. En clair,
l'adultère étant déjà contraire à la raison
droite du fait qu'il s'agisse d'un commerce extra-conjugal, rien de ce qui
pourrait s'y ajouter ultérieurement dans l'ordre de la concrétion
de l'acte ne pourra changer cet état de fait. Et c'est
précisément cet aspect que les proportionnaliste négligent
de considérer.283(*)
Quelles sont les implications de cette conception
häringienne des actes intrinsèquement mauvais ? En effet, il y a
une considération de départ : les normes négatives, qui
selon l'enseignement traditionnel de l'Eglise proscrivent semper et pro
semper certaines actions comme intrinsèquement mauvaises ex
objecto, sont selon Häring, le fruit d'un processus inductif qui
aurait généralisé l'interdiction d'une action physique
déterminée -- par exemple « le fait de tuer » -- en
raison du résultat produit par ces actions (fondation
téléologique de la norme).284(*) Serait a priori exclue la possibilité d'une
exception légitime à ce commandement. Mais, bien
évidemment, une telle prétention se révélerait
rapidement un échec, pour deux raisons : primo, prévoir a priori
toutes les situations possibles est une gageure ; secundo, le sens commun
reconnaît la légitimité de l'action tuer dans
certains cas (légitime défense, guerre juste, etc.). D' où
un raffinement progressif de la norme, incluant toujours plus de
circonstances.285(*)
Un tel processus, fruit de l'expérience commune d'un
groupe humain donné -- la tribu, le peuple d'Israël,
l'Église, ou même l'humanité tout entière --, ne
serait jamais achevé. C' est pourquoi les normes seraient toujours
perfectibles, et conserveraient inévitablement un caractère
abstrait. Ainsi, même lorsque cet affinement progressif de la norme
conduit à des formulations extrêmement complexes, ces formulations
demeurent en défaut par rapport à la richesse inépuisable
-- et sans cesse mouvante -- du réel et de la nature humaine (le
caractère évolutif de ces derniers étant lié
à la croissance de nos connaissances scientifiques mais aussi à
une conception ontologique non statique de la nature humaine). Certains en
arrivent logiquement à parler de normes virtuellement sans
exception286(*).
Les formulations simplifiées telles que Tu ne
tueras point -- auxquelles il faudrait bien se tenir par souci
pédagogique et par impossibilité de parvenir à une norme
exhaustive -- devraient être regardées en réalité
comme des tautologies. Elles viseraient tout au plus à rappeler à
la personne qu' elle doit toujours viser , dans le choix d'un comportement
précis, à être juste, à être bienveillante
envers toute personne, à ne pas sacrifier vainement (c '
est-à-dire « sans raison proportionnée) le bien de la vie
humaine, etc. , mais sans qu' il soit possible d'en déduire un
comportement concret.
Ainsi, seules sont valables semper et pro semper des
normes dites transcendantales prescrivant des attitudes fondamentales à
l' égard des valeurs à respecter dans l'agir concret, tandis que
les normes catégorielles prescrivant ou interdisant un
comportement concret valent seulement ut in pluribu, à moins
qu'on ne les regarde, ainsi que nous venons de le signaler, comme des
tautologies -- mais elles ne servent alors aucunement à
déterminer un mode d'agir concret287(*). C'est dès lors à la raison pratique
qu'il revient de déterminer quel comportement convient dans la situation
présente, et ce, à chaque fois d'une manière nouvelle,
sans qu'elle puisse espérer des normes morales qu'elles lui offrent une
solution toute faite.288(*)
Cette conception entraîne des conséquences qui
peuvent changer la façon d'appréhender les préceptes
moraux.
III.2.4. L'application des
préceptes universels, immuables et négatifs
La compréhension des actes intrinsèques
proposée par B. Häring soulève une question : peut-t-on
être dispensé parfois d'observer les préceptes universels,
immuables et négatifs comme ceux édictés par le
décalogue? En effet, Thomas d'Aquin prend position à ce sujet et
soutient qu'on peut être dispensé d'observer un précepte du
décalogue, quand un cas particulier se présente où l'on
irait à l'encontre de l'intention du législateur si l'on
observait le précepte à la lettre (I-II, q. 100, a. 8). La
première objection à laquelle il répond porte sur un
précepte négatif : Le décalogue défend l'homicide,
Tu ne tueras pas. Or, les hommes dispensent de ce précepte
puisque les lois humaines permettent de mettre à mort, entre autres, les
malfaiteurs et les ennemis de la patrie.289(*)
En répondant à l'objection, Thomas d'Aquin
ajoute un mot: Tu ne tueras pas injustement. Dans certains cas, il est
conforme à la justice de tuer un être humain. L'homicide que le
commandement défend, c'est l'homicide injuste, qu'on appelle
communément le meurtre, et que le Petit Robert définit ainsi :
« Action de tuer volontairement (sic) un être humain. »
Volontairement ne convient pas : il faut dire injustement, car, à la
guerre, on tue volontairement mais pas toujours
injustement »290(*).
Après avoir répondu à l'objection portant
sur l'homicide, Thomas d'Aquin applique son principe à d'autres cas. Il
est dit: Tu ne voleras pas. C'est un autre précepte
négatif, comme dit l'encyclique de Jean-Paul II, Veritatis
Splendor.291(*)
Selon Thomas d'Aquin, il existe des circonstances où il est conforme
à la raison, donc moral, d'enlever à une personne quelque chose
qui lui appartient. En l'occurrence, on ne commet pas le vol défendu par
le commandement. L'encyclique a beau dire que le commandement négatif
« interdit toujours et dans tous les cas »292(*), il faut savoir
reconnaître les cas auxquels s'applique l'interdiction et les cas
auxquels elle ne s'applique pas. Or, il existe des cas où le
commandement: Tu ne voleras pas ne s'applique pas. Par exemple, dans le cas
d'extrême nécessité non seulement une personne peut prendre
sur le bien d'autrui ce qui lui est nécessaire pour subsister, mais une
tierce personne ne peut le prélever pour elle (II-II, q. 66, a. 7).
Autre exemple : dérober les armes des terroristes, ce n'est pas
voler.293(*)
L'examen des diverses circonstances de l'action
concrète va conduire à des principes propres, tirés de
l'expérience, et ce sont ces principes propres et non les principes
universels qui règlent immédiatement l'action singulière,
concrète. Thomas d'Aquin est catégorique à ce sujet :
« Dans les actions humaines particulières [ce mariage et non le
mariage, cet avortement et non l'avortement], l'homme ne peut s'appuyer sur des
principes absolus ; il doit s'appuyer sur des règles vraies dans la
plupart des cas seulement. Ces règles que l'expérience lui
enseigne, ce sont les principes propres de l'action concrète »
(II-II, q. 49, a. 1). L'encyclique Veritatis Splendor parle de la
connaissance universelle (VS 55) que la conscience applique à
l'action concrète, mais elle ne mentionne pas que cette application se
fait par le truchement du principe propre, fruit de l'expérience, dont
parle Thomas d'Aquin. Pourtant, c'est le principe propre, fruit de
l'expérience et valable dans la plupart des cas seulement, qui
règle l'action singulière. Ce principe comporte donc des
exceptions puisqu'il n'est valable que dans la plupart des cas.295(*)
Partant de ce qui précède on peut donc affirmer
que les préceptes du décalogue sont, en soi, immuables, comme le
dit Thomas d'Aquin, immutabilia sunt (I-II, q. 100, a. 8, sol. 3) et
qu'il sera toujours interdit de tuer injustement un être humain,
de prendre injustement le bien d'autrui ou de commettre
sciemment l'adultère ; on ne peut pas être
dispensé d'honorer son père et sa mère. Comme le dit Jean
Paul II dans l'encyclique Veritatis Splendor, ces préceptes
sont, en soi, universels et immuables ; mais, dans l'application aux
cas particuliers des préceptes universels et immuables, même
négatifs, le problème se pose toujours de savoir si tel acte
honore son père et sa mère, si tel acte est un homicide
défendu par le commandement, si tel acte est un vol défendu par
le commandement, etc296(*). Hoc est mutabile, cela est changeant,
variable, dit Thomas d'Aquin (I-II, q. 100, a. 8, sol. 3). Ce n'est pas la
dictature du relativisme, mais le royaume du relatif : il n'y a pas d'absolu
à ce niveau, affirme Thomas d'Aquin. Les principes moraux universels
et immuables dont parle La splendeur de la vérité restent donc
inviolables et intouchés. Donc, pour la bonne conduite de la vie, les
préceptes généraux, universels, immuables ne suffisent
pas.
Actuellement, dans notre société, la
considération des éléments subjectifs s'est
considérablement enrichie par les découvertes de la psychologie,
notamment des profondeurs, permettant ainsi de mieux cerner la
réalité individuelle du péché, il
apparaît qu'une insistance trop unilatérale sur cet aspect risque
de faire perdre l'aspect objectif premier de la faute et de la peine
vindicative qui lui est attaché. En d'autres termes, un personnalisme
déséquilibré qui ne concevrait plus que des actes
singuliers n'ayant sens et valeur que pour celui qui les pose, ne risque-t-il
pas de miner de l'intérieur la vie commune sociale. Celle-ci ne serait
plus alors un tout qui subsiste grâce aux relations droites de chacun des
membres avec ses semblables, son bien commun ne sera saisi que comme la somme
des biens particuliers ; et par conséquent, les valeurs qui doivent
fonder le consensus social s'effritent et disparaissent. Alors, comment
concilier de façon harmonieuse les avancées de la
réflexion théologique, qui préconise surtout l'aspect
subjectif des actes, avec les données d'une sagesse séculaire
(L'Eglise) qui privilégie plutôt l'aspect objectif. L'explication
de la place et du rôle de la conscience morale que donne Häring
tente une conciliation entre les deux tendances opposées sur
l'objectivité et la subjectivité de l'acte moral et par
conséquent du jugement sur la moralité des actes humains.
III.3. Conscience,
fidélité et liberté chez B. Häring
Le thème de la conscience morale a toujours
été très cher à Häring. Il s'est d'ailleurs
inscrit volontairement dans la tradition de saint Alphonse de Liguori, qu'il a
surnommé l'avocat de la conscience.297(*) En fait, saint Alphonse a été le
premier théologien catholique à composer un traité
spécifique sur la conscience morale, qu'il a significativement
placé au seuil de sa Theologia Moralis. Selon Liguori, dans le
sens rigoureusement formel, la vie morale se développe dans et avec la
conscience de la personne. En soutenant la doctrine du primat de la conscience,
à qui revient toujours la promulgation des lois, c'est-à-dire la
reconnaissance du caractère contraignant d'un précepte dans des
situations concrètes, Alphonse instaure une morale très sensible
à l'histoire et aux besoins personnels et, avec cette
préoccupation, leur propose la praxis religieuse, la prière par
exemple, comme lieu approprié du discernement de la conscience, de
l'illumination de la vérité et donc de la rencontre avec Dieu,
soit le chemin de salut.298(*)
Le fait que Häring considère la conscience morale
selon une perspective religieuse est sans doute redevable à cette
influence intellectuelle et spirituelle. D'ailleurs, cette orientation du
moraliste allemand s'était déjà manifestée dans
La loi du Christ299(*) et a été entérinée par
Vatican II qui, dans la constitution Gaudium et spes, a accordé
une place centrale à l'aspect religieux dans les paragraphes 16 et 17,
dédiés à la conscience morale : la conscience, affirme la
Constitution pastorale, « est le centre le plus intime et le plus
secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où
sa voix se fait entendre » (GS 16).
Préoccupé par l'appauvrissement du concept de
conscience dans l'histoire de la théologie, Häring indique comment
des courants de la théologie morale ont réduit la conscience
morale à la notion de simple faculté, quelques-uns l'identifiant
à une faculté de l'intelligence, d'autres à une
faculté de la volonté. Fort présent dans le passé,
ce réductionnisme se percevrait encore aujourd'hui.
Pour l'auteur, Thomas d'Aquin avait déjà
décrit correctement la complexité de cette réalité
fondamentale de l'être humain qu'est la conscience, même si son
point de départ pour la considérer était son aspect
intellectuel et rationnel. Selon Thomas - nous apprend Häring - la
conscience est une « conclusion effective de la
syndérèse sur ce qui est l'expression correcte de l'amour du
prochain, de la justice, etc. »300(*) La syndérèse301(*), quant à elle, «
est la qualité innée de l'intelligence pratique comportant
les principes moraux dans la mesure où ceux-ci sont immédiatement
perçus comme me liant et liant tout être humain.
»302(*) Mais
cette intelligence ou connaissance du bien ne se réduit pas à son
aspect rationnel. Il s'agit tout d'abord d'une connaissance « qui
vient du fond du coeur, une connaissance de salut, de plénitude.
»303(*) Elle
comporte quelque chose d'intuitif qui la pousse vers le bien connu par la
raison.
Ce regard sur la conscience morale n'a pourtant pas
été entériné par un thomisme postérieur
très répandu. Certains théologiens ont tendu à
considérer la connaissance du bien sous son seul aspect intellectuel ;
on a fait de la conscience morale une instance ou un acte assujetti uniquement
au domaine de la raison, une simplification de l'acte de la conscience comme
application, sans plus, d'un principe ou d'une loi rationnelle aux
circonstances particulières.
Parallèlement à la doctrine thomiste, des
penseurs comme Bonaventure, Alexander de Hales et Henri de Gand se sont
attachés à démontrer que la conscience est plus
liée à la volonté qu'à l'intelligence. Ils
démontrent comment la syndérèse qui se concrétise
dans les décisions de la conscience est « une disposition
innée de la volonté à aimer et désirer ce qui est
connu comme le bien », un « amour passionné qui embrase le
plus intime de l'homme pour le bien ». La force dynamique de se
décider pour ce bien trouve sa source dans la tendance profonde et
innée de la volonté à aimer et à se
réaliser.
Häring propose une interaction entre les deux
modèles moraux, celui de tendance rationnelle et celui de tendance
volitive.
III.3.1. Une conscience
spécifiquement chrétienne
A plusieurs reprises, Häring s'est refusé à
prendre parti dans le débat théologique qui a opposé le
projet d'une éthique spécifiquement chrétienne et une
conception autonome de la morale.304(*) Selon lui, ce débat est le fruit d'un regard
réductionniste de la théologie et de la vie morales; il a lieu
d'abord parce que l'on parle de la pratique morale (théologique ou
existentielle) généralement circonscrite aux aspects normatifs de
l'éthique et ensuite parce qu'il y a un véritable fossé
entre la morale et la spiritualité, dans la théologie autant que
dans la vie chrétienne.305(*)
L'auteur propose un dépassement de cette
problématique à partir d'un élargissement du regard sur la
conscience morale en tant que chrétienne. Quand on parle de conscience
morale chrétienne, il ne s'agit d'aucune supériorité des
chrétiens par rapport aux autres humains. Par-là, on veut
indiquer plutôt une configuration propre de la vie de celui dont la
conscience « est marquée par sa rencontre avec le Christ, par
sa joie d'être une nouvelle créature dans le Christ, et par sa
connaissance, à travers le Christ, du Père et de ses
frères. »306(*)
La conscience morale chrétienne rencontre son fondement
et sa fermeté dans la foi qui est accueil du Christ en tant
qu'envoyé du Père. Cette rencontre avec le Christ signifie avant
tout l'établissement de nouvelles relations avec Dieu, implique aussi
directement de nouvelles relations avec les autres humains et une nouvelle
intelligence de soi de celui qui vit la foi. La foi a donc un caractère
englobant ; elle influence la vie tout entière du croyant.
Häring signale que saint Paul avait déjà
développé cet aspect englobant de la foi surtout en ce qui
concerne la vie morale. Pour l'apôtre, « la foi est toute
attitude du chrétien, assimilant aussi ses jugements de valeur morale.
Le chrétien n'est pas divisé à l'intérieur de
lui-même entre une «économie» naturelle, et une autre
surnaturelle ; il n'y a qu'un jugement de conscience et il est
déterminé par sa foi. »307(*)
Il est certain que la foi ne correspond nullement à un
code de lois ou à un catalogue de formulations ni pour Paul ni pour
Häring, bien au contraire, comme on le verra par la suite. Elle
détermine le jugement de la conscience dans la mesure où celle-ci
est une attitude existentielle due à l'adhésion au Christ, une
sensibilité face à la vie et à ses composantes, une
manière d'articuler celles-ci et de leur donner un sens.
En ce sens, si quelqu'un met la loi et l'obligation en
première place dans la vie morale, avant la foi comprise comme
grâce librement accueillie, il met en péril l'authenticité
de la conscience chrétienne. Alors que le légaliste
s'arrête devant une loi abstraite, celui qui a la conscience de la foi,
en tournant son attention vers l'amour de Dieu, se libère des lois pour
«être libre pour son prochain et devenir fidèle dans le
Christ. »308(*)
En effet, la conscience morale connaît un changement de
perspective substantiel dans sa manière de juger : les commandements
positifs et les commandements de l'Évangile prennent la
préséance par rapport aux interdits, la nouvelle Alliance
remplace l'ancienne. Les Béatitudes, les commandements but et les fruits
de l'Esprit s'imposent dans la morale ; simples parenesis pour une
certaine morale, ils deviennent ici des éléments constitutifs
d'une éthique normative chrétienne autrement comprise. «
Aimer Dieu de tout notre coeur et nous aimer les uns les autres comme le
Christ nous a aimés n'est pas pur idéal, mais bien un
idéal normatif qui exige que tous nos désirs, actes et efforts
soient orientés dans cette direction. Ce haut idéal nous
rapproche continuellement du Christ et se montre à la fois plus exigeant
et plus gratifiant. »309(*)
III.3.2. La prudence et le
discernement : les vertus de la conscience morale chrétienne
Comme les vierges de la parabole (Mt 25,1-13), la conscience
est appelée à être toujours en état de veille. Comme
la vérité de Dieu se manifeste toujours ici et maintenant, seule
la vigilance rend le chrétien capable de la pénétrer.
« Par la vigilance, une conscience spécifiquement
chrétienne est saisie par la richesse et les tensions de l'histoire du
salut. »310(*)
La vigilance n'est autre que l'attitude existentielle
correspondant à la vertu de la prudence. C'est l'attitude qui donne
à la conscience morale une sensibilité accrue et qui l'aide
à déchiffrer, au sein des situations les plus complexes, l'appel
du Christ à une vie conforme à la grâce. Pour cette raison,
la prudence pousse la conscience morale à la créativité et
la fidélité dans chacun de ses jugements. En effet, ceux-ci sont,
ni plus ni moins, le verdict de la prudence : après avoir
apprécié les réalités objectives, elle va organiser
les actions adaptées (créativité), prenant en compte les
dons de Dieu et les besoins humains (fidélité).
L'activation de la prudence prend cours pendant un processus
critique qui est le discernement. Dans une société pluraliste et
parfois très confuse, face à tant d'idéologies et aux
doutes du quotidien, le chrétien se voit appelé à
l'exercice critique d'une sensibilité qui éprouvera les
esprits pour voir s'ils viennent de Dieu (1Jn 4,1). La condition pour le
discernement de la conscience chrétienne est son ouverture à
l'Esprit du Christ. À ce propos, Paul se manifestait ainsi aux
Philippiens : Que votre charité croissant toujours de plus en plus
s'épanche en cette vraie science et ce tact qui vous donneront de
discerner le meilleur (Ph 1,9-10).
Par ailleurs, comme conséquence de la
réciprocité de consciences, le discernement ne se réalise
pas seulement pour le profit personnel. Pour le chrétien, il concerne le
bien commun de l'Église et le bien de chacun de ses frères, il
concerne aussi le bien de toute la société humaine dans la mesure
où l'Église s'y trouve insérée et trouve sa raison
d'être dans son service. D'autre part, le discernement critique des
autres peut aider à démontrer et à illuminer
l'échec et les fautes de la personne et à les dépasser.
Nous pouvons conclure que, pour Bernhard Häring,
grâce à la prudence ou vigilance et au discernement, la conscience
morale adulte se nourrit de la conscience critique pour bien exercer le
discernement. Cette action critique de la conscience se réfère
toujours à elle-même, à la communauté humaine en
général et, pour les chrétiens, à l'Église
en particulier. Pour que cette action ne s'exerce pas comme une « critique
méchante », elle doit être vécue comme un
ministère de continuel service au bien commun, en s'appuyant sur «
un fond d'appréciation du bien » et dans la croyance profonde que
l'étincelle divine se trouve à l'intérieur de la
réalité ou des personnes qu'on critique311(*).
Résumons avec l'auteur la caractéristique de la
conscience chrétienne. « Nous pouvons dire que nous
possédons une conscience spécifiquement chrétienne quand
nous nous trouvons profondément enracinés dans le Christ,
attentifs à sa présence et à ses dons, prêts
à nous unir à lui dans son amour pour tout son peuple. Tout sera
vérifié pour voir si tout peut être offert au Christ comme
réponse correcte à son amour, à ses dons et aux besoins
des frères. »312(*)
III.3.3. La
réciprocité de consciences : l'interpellation de l'autre
Aux côtés de la créativité et de la
fidélité, nous pouvons dire que la réciprocité est
la marque distinctive de la théologie de la conscience morale de
Bernhard Häring. « Il est certain, dit le théologien, que
la conscience signifie aussi autoréflexion, conscience de soi, vivre en
paix avec soi, faire l'expérience de sa plénitude croissante en
totalité, ou de ce qui la menace. Mais une conscience de soi et une
autoréflexion authentiques ne sont pas possibles existentiellement sans
l'expérience de la rencontre avec l'autre. »313(*)
Cette rencontre avec l'autre favorise l'accès de la
personne à son identité et à son intégrité,
ce qui a lieu quand deux perspectives différentes issues de deux
histoires distinctes se rejoignent et entrent en dialogue. Le respect envers la
singularité de chacune de ces histoires ou de ces personnes et la
fidélité à l'être de l'autre qui se
révèle renforce la confiance personnelle et permet à
chacun de libérer sa vérité la plus profonde. Le respect
de soi et le respect de l'autre se renforcent et le surmoi qui, comme les
masques des tragédies, impose toujours la monotonie des rôles
répétitifs et sans liberté, peut être
dépassé en faisant place à la liberté et à
la fidélité créative.
Mais la réciprocité de consciences ne
s'arrête pas à cette expérience d'auto connaissance et
d'autorévélation qui s'impliquent mutuellement. Il semble que
Bernhard Häring y voit le cadre privilégié pour la
pédagogie d'une conscience morale mûre et saine.
Dans la théologie de Häring, la
réciprocité des consciences occupe la place de ce qu'une partie
non négligeable de la théologie morale attribuait à la
loi. Il est clair que pour lui la loi et les normes continuent à
être une dimension très importante dans la vie morale. Cependant,
la conscience « reçoit moins de lumière et moins
d'encouragement de lois abstraites qu'elle n'en reçoit d'une personne
exemplaire qui vit vraiment sous l'autorité de sa conscience et respecte
totalement la conscience des autres.»314(*) Quand l'auteur parle de
réciprocité et donc de formation de la conscience morale, il
envisage un large horizon de relations et un processus continu. Il se
réfère aux relations entre parents et enfants et entre
éducateurs et disciples, entre ceux qui, dans l'Église, ont la
charge de l'enseignement, les théologiens et la hiérarchie ainsi
que tout le peuple de Dieu.315(*) Mais le cadre ne se restreint pas à cela.
Toute relation authentiquement humaine, c'est-à-dire vécue dans
la liberté, est potentiellement un moment privilégié pour
que la conscience mûrisse progressivement et devienne capable de bien
juger. La formation de la conscience est un projet pour toute la vie, elle ne
s'arrête jamais.
En ce qui concerne le processus de formation de la conscience
spécifiquement chrétienne, Bernhard Häring ajoute que «
toute éducation chrétienne devrait être, d'une certaine
manière, une formation de la conscience post baptismale, [car] nous
devrions voir ce que nous avons reçu dans le baptême et de quelle
manière nous pouvons porter du fruit comme membres du corps du Christ.
»316(*)
Pour Häring, la conscience morale ne se résume pas
à une des facultés de l'être humain. Elle ne fait pas
partie de l'intelligence rationnelle seule. Elle n'est pas non plus simple
expression de la volonté ou encore de l'affectivité de l'homme.
Elle est plutôt notre dynamisme d'articulation le plus profond.
La conscience est le garant de l'unité entre les
diverses attitudes et moments de notre histoire ; elle les articule sur l'axe
de toute la vie morale qu'est l'option fondamentale. Pour exercer cette
fonction dynamique, la conscience morale ne peut vivre et émettre ses
jugements de manière authentique si elle ne le fait pas de
manière créative et fidèle.
La conscience doit être créative dans la mesure
où l'aspect inédit des circonstances de la vie exige toujours des
réponses appropriées. Aucun code ne peut prévoir
l'infinité de circonstances. Il revient à la conscience d'y
trouver la meilleure réponse. La conscience doit être
fidèle parce que, dans la poursuite de la vérité dans
chacun de ses jugements, elle cherche une harmonie personnelle qui prenne en
compte raison, volonté, affectivité dans le moment
présent, mais avec le regard orienté vers l'histoire personnelle
considérée comme un ensemble où se dessine l'option
fondamentale comme diapason pour chaque choix particulier.
Conclusion du chapitre
L'idée maîtresse qui l'anime et qui fonde la
théologie de Bernard Häring est que l'homme évolue, change
avec le temps. Et puisque la loi est au service de l'homme, celle-ci doit
obéir au même principe. Par conséquent la théologie
doit être incertaine, flexible et renouvelable selon les époques,
les cultures, les besoins et les situations. En effet, selon Häring, le
monde actuel vit une situation nouvelle. Nous avons acquis, une nouvelle
conscience, de nouveaux schèmes de pensée, un vocabulaire nouveau
et nous vivons dans un contexte historique nouveau. A cette mentalité
totalement neuve correspond un nouveau type de personne. L'esprit humain a une
physionomie nouvelle, et ce changement se poursuivra, que nous le voulions ou
non.
Häring préconise donc un personnalisme qui se
veut existentialiste, car la morale doit cesser d'être une pure
abstraction, un système exsangue d'impératifs, amas de lois et de
préceptes pour devenir une affaire d'amour en échange de l'amour,
une réponse à l'appel individuel du Dieu vivant, entendu que
cette réponse s'étend à la vie toute entière . La
morale doit se rapporter au bien de la personne vivant dans une
communauté et engagée dans des relations humaines. Seul
l'existentialisme lui permet de répondre à ce besoin
d'actualisation et de personnalisation de la norme morale.
Et pour sortir la morale de cette perspective statique et
embrasser la perspective dynamique qu'il propose, Häring, reprenant saint
Alphonse de Liguori, propose d'appliquer la loi de l'épikie
(équité) non seulement aux lois humaines positives, mais aussi
aux formulations de la loi naturelle.
Il va ainsi, dans son système éthique, accorder
une place prépondérante à la conscience. Selon lui, c'est
la reconnaissance du primat de la conscience créative du sujet, qui
détermine un chemin de croissance. C'est la conscience qui, en fin des
comptes, décide de l'attitude à adopter selon les
capacités de chacun. Ensuite, selon nos capacités et les
circonstances particulières, nous adaptons nos pensées à
ce que Dieu a préparé pour nous, et nous agissons, nous
avançons suivant cette ligne.
Au-delà de cette problématique, de la
moralité des actes, une question surgit : peut-on parler
aujourd'hui des actes intrinsèquement mauvais ? Si oui,
comment ?
CHAPITRE
QUATRIEME :
LA MORALITE DES ACTES
INTRINSEQUES : ACTUALITE DE LA QUESTION ET ESSAI DE CONTEXTUALISATION
IV. 0. Introduction
Sous l'effet de multiples facteurs : sécularisation,
subjectivation, évolution rapide des moeurs, etc., la morale catholique
se trouve aujourd'hui mise en question dans ses fondements. Au centre des
débats se situe, entre autres, la question des actes
intrinsèquement mauvais, c'est-à-dire des actes mauvais en soi et
qu'on ne peut jamais poser quels que soient le temps, le lieu, les cultures et
les circonstances. Selon cette théorie, de tels actes constitueraient un
désordre objectivement indigne de la personne humaine parce
qu'opposés au vrai bien de l'homme. On se demande alors, existe-t-il des
actes intrinsèquement mauvais aujourd'hui? Dans certaines circonstances
particulières, les lois morales ne peuvent-elles pas souffrir
d'exception pour laisser à la conscience personnelle la liberté
de juger ? Une loi morale peut-elle jouir d'une objectivité telle
qu'elle s'impose absolument malgré les circonstances subjectives ? il
sera question pour nous d'établir, dans ce troisième chapitre,
un équilibre fructueux - au traitement des actes intrinsèquement
mauvais - entre subjectivité et objectivité, particularité
et universalité, relativité et absolu, liberté et loi,
théonomie et autonomie, foi et raison, grâce et mal,
immutabilité et mutabilité, écriture et éthique.
Les corrélations ainsi établies nous permettrons de contribuer au
débat sur notre sujet d'étude.
Ce faisant nous allons nous allons replacer la question des
actes intrinsèquement mauvais dans le contexte général de
la théologie morale et l'examiner sur base de la situation actuelle
comme l'un des éléments qui caractérise la perte du sens
du péché typique de notre société contemporaine.
IV.1. Actualité de
la question : perte du sens du péché
Dans les pages précédentes nous avons
déjà évoqué ce fait en analysant l'exhortation
Réconciliation et pénitence de Jean Paul II. Il ne
s'agit pas d'une répétition, mais plutôt, nous voulons ici
parler de ce phénomène tel qu'il se vit aujourd'hui.
En effet, la perte du sens du péché est
manifeste aujourd'hui: dans les rues, dans le journal, à la radio,
à la télévision... partout, le péché
multiforme, est présent, de mille et une manières. Et le Pape
Paul VI dénonçait lui aussi avec vigueur ce mal:
« On ne parle plus de péché. Lorsque manque le sens
du péché, nous pouvons dire que, pratiquement, c'est tout
l'édifice moral du Christianisme qui s'écroule »
(ES 32). Ainsi, pour bien comprendre ce qu'est le péché,
il faut le situer par rapport à la notion de faute. Les notions de
péché et de faute ne sont pas sur le même plan. La faute
est une notion morale. Elle désigne un acte répréhensible
aux yeux de la conscience parce qu'il atteint l'homme. Elle appelle le regret
ou le repentir. Le péché par contre, est une notion religieuse,
biblique. C'est une offense à Dieu, un manque d'amour de Dieu qui
atteint la relation entre l'homme et Dieu. On se reconnaît pécheur
non pas en se regardant, mais en regardant l'amour de Dieu pour nous. Il y a un
lien entre la faute et le péché. En effet en atteignant l'homme,
la faute morale atteint aussi Dieu qui est présent dans
l'homme.317(*)
Comme nous pouvons le constater, le mot péché
n'est pas très bien vu aujourd'hui, il évoque le moraliste qui
donne des leçons. On hésite à appeler quelque chose
péché. La notion de péché semble s'opposer au
respect de la liberté humaine et à l'épanouissement de la
personnalité. Le sentiment de culpabilité apparaît comme le
résultat maladif de tabous inconscients. Pour les psychanalystes, il n'y
a pas de pécheurs, seulement des malades. La notion juridique est
prévalue, le péché est ainsi défini d'une
façon essentiellement juridique, comme infraction à une loi,
à un commandement, c'est-à-dire, de façon plus ou moins
extrinsèque à l'homme.318(*)
Dans un tel contexte, où la vie morale apparait comme
une série de comptes à régler, où tout se traite
dans un climat de prescriptions, et d'infractions, on ne voit plus bien ce qui
légitime fondamentalement l'abstention du péché, en dehors
du fait qu'il est interdit.
A ce propos J. M Aubert écrit : « Le
monde moderne par sa structure même nous oblige à une reestimation
de la notion de péché et à un dépassement de son
ambigüité. D'un côté en effet, il révèle
un grand souci moral, souci de promotion de de la valorisation humaine ;
mais de l'autre, il affiche un refus de toute loi morale imposée du
dehors, et cela parce que l'homme moderne veut désormais se faire
exister lui-même. Car il a pris le gout de toutes les libertés
enfin conquises. »319(*)
Avec la perte du sens du péché,
l'appréhension commune des actes humains, actuellement, s'attache
surtout à l'aspect subjectif. Nos contemporains admettent de plus en
plus difficilement l'idée qu'il puisse y avoir des actes objectivement
mauvais quelques soient l'intention et les circonstances comme l'affirme le
Magistère de l'Eglise. Les critères moraux des actes semblent se
concentrer dans les idées d'utilité et
d'efficacité. Mais la vérité et la justice,
si elles sont réduites à de telles considérations, ne
deviennent-elles pas aussi fluctuantes que le caprice des hommes ou aussi
arbitraire que la loi du plus fort ?
D'autre part, ces actes que l'on ne doit jamais commettre
témoignent de ce que leur objet touche à un absolu. Ce qui est
toujours intrinsèquement mauvais c'est de porter atteinte à des
biens sur lesquels l'homme n'a aucun pouvoir, aucune maîtrise (par
exemple le mystère de la naissance, la mort, la vie...).320(*) C'est là une vue de
choses fort peu acceptée aujourd'hui. Ainsi se présente à
la morale chrétienne la vie d'un innocent : elle ne peut jamais lui
être ôtée. Mais notre époque répugne à
l'idée comme à la réalité de l'absolu. Celui-ci est
souvent perçu comme un totalitarisme, un despotisme opprimant une
liberté.321(*)
C'est surtout dans le domaine de la corporéité
que l'homme a exprimé sa liberté avec la révolution
sexuelle322(*) qui
recouvre les changements substantiels du comportement et des moeurs sexuels
intervenus en Occident à la fin des années 1960 et au
début des années 1970.323(*) Ce mouvement a été essentiellement
marqué par l'émancipation sexuelle des femmes, l'affirmation de
l'égalité des sexes et la reconnaissance des sexualités
non procréatrices et non conjugales.324(*) La libération sexuelle se définit
comme la conquête des possibilités de vie sexuelle non
reproductive et de la satisfaction qui est supposée y être
associée à un niveau psychologique comme dépassement des
processus psychologiques qui s'opposent à ces
possibilités.325(*)
Elle s'accompagne d'une révolution du droit par
lesquels les femmes acquièrent progressivement une égalité
législative, notamment l'obtention du droit de vote et donc la
possibilité de pousser aux réformes qui les concernent,
l'égalité au sein du couple, le droit à la contraception
et le droit à l'avortement.326(*)
Trois décennies après l'effervescence des
années 1970, c'est un fait entendu: nous vivons à l'ère de
la liberté sexuelle. A chacun son corps-à-corps, marié ou
pas, homo ou hétéro, adultère ou monogame: ces
choix-là relèvent désormais de la vie privée et
fondent l'autonomie individuelle, dans un climat général de culte
de la jouissance. Et de dilatation de l'ego: pour réussir sa vie, on se
doit de trouver son plaisir et de consommer autrui. 327(*)
Sous les jupons de cette liberté sexuelle se
débusquent plusieurs atteintes à la morale fondamentale et
l'influence religieuse corsètent moins qu'hier. Un certain nombre de
comportements sexuels, comme l'adultère et l'homosexualité, sont
désormais socialement tolérés. D'autres, comme l'inceste
entre majeurs, la sodomie, etc., ne sont plus pénalement
sanctionnés tant qu'il y a consentement entre les partenaires. Ainsi,
des actes autrefois définis comme essentiellement illicites et
pratiqués clandestinement sont devenus aujourd'hui non seulement
pratique courant mais ils sont aussi légalisés dans certains
pays. Nous pouvons citer entre autre, parmi les plus connus, l'avortement et la
contraception.
Face à cette situation, l'Eglise a réagi en ces
termes : « De nos jours la législation civile de
nombreux Etats confère aux yeux de beaucoup une légitimation
indue à certaines pratiques; elle se montre incapable de garantir une
moralité conforme aux exigences naturelles de la personne humaine et aux
« lois non écrites » gravées par le Créateur
dans le coeur de l'homme. Tous les hommes de bonne volonté doivent
s'employer, spécialement dans leur milieu professionnel comme dans
l'exercice de leurs droits civiques, à ce que soient
réformées les lois civiles moralement inacceptables et
modifiées les pratiques illicites. En outre, l'objection de conscience
face à de telles lois doit être soulevée et reconnue. Bien
plus, commence à se poser avec acuité à la conscience
morale de beaucoup, notamment à celle de certains spécialistes
des sciences biomédicales, l'exigence d'une résistance passive
à la légitimation de pratiques contraires à la vie et
à la dignité de l'homme. »328(*)
Alors comment comprendre et interpréter ce débat
de la théologie morale sur la question des actes intrinsèquement
mauvais dans un contexte africain ?
IV.2. Essai de
contextualisation de la question des actes intrinsèquement mauvais en
Afrique
IV.2.1. La situation
socio-éthique de l'Afrique
Dans la recherche d'une intelligence de la bioéthique
en Afrique, le professeur Muyengo estime que l'africain doit opérer un
passage de la bioéthique à la socio-éthique. Selon lui,
comme la bioéthique pose le problème de la vie au sens biologique
du terme et que les problèmes de la vie tels qu'ils se posent en Afrique
noire dépassent le simple cadre biologique, il faut alors opérer
un déplacement a priori du cadre, et « un élargissement
des perspectives en parlant plutôt de la socio-éthique que de la
bioéthique. »329(*) La socio-éthique est définie comme
« une étude des normes qui doivent régir les actions
humaines dans le domaine de la vie sociale et qui viserait à
créer des lieux de réflexion, se préoccupant de toutes les
conditions qu'exige une gestion de la vie humaine, dans le cadre de la
détérioration rapide et complexe de l'ordre social,
particulièrement dans les pays en voie de développement.
»330(*) Le
débat socio-éthique tournerait autour de problèmes sociaux
majeurs en Afrique et donc non spécifiquement autour de la
bioéthique. Il cite entre autres, la faim, la malnutrition, et la sous
sous-alimentation, la Justice distributive et l'allocation des ressources, la
paupérisation et la misère, la santé et les services dans
nos hôpitaux, l'encadrement des malades mentaux et la prise en charge des
vieillards, l'intégration des enfants abandonnés et des jeunes
désoeuvrés, le contrôle des naissances et l'exode rural, la
scolarisation et l'analphabétisme, les conditions de vie dans nos
prisons, l'habitat et la sécurité sociale des familles, le
sous-emploi, le chômage et la question du salaire, la stabilité
stabilité des familles et l'éducation...331(*)
Dans son exhortation apostolique sur l'église en
Afrique, le pape décrit l'Afrique comme un continent saturé de
mauvaises nouvelles, de problèmes: « dans presque toutes
nos nations, il y a une misère épouvantable, une mauvaise
administration des rares ressources disponibles, une instabilité
politique et une désorientation sociale. Le résultat est sous nos
yeux: misère, guerres, désespoir. Dans un monde
contrôlé par les nations riches et puissantes, l'Afrique est
pratiquement devenue un appendice sans importance, souvent oublié et
négligé par tous. »332(*) Dix-sept ans après Ecclesia in
Africa, Benoit XVI, constate que la situation de l'Afrique malgré
qu'elle est complexe selon les pays, elle reste la même en
général : « La mémoire de l'Afrique
garde le souvenir douloureux des cicatrices laissées par les luttes
fratricides entre les ethnies, par l'esclavage et par la colonisation.
Aujourd'hui encore, le continent est confronté à des
rivalités, à des formes d'esclavage et de colonisation nouvelles.
La première Assemblée Spéciale l'avait comparé
à la victime des bandits, laissée moribonde au bord du chemin
(cf. Lc 10, 25-37). C'est pourquoi on a pu parler de la marginalisation de
l'Afrique. »333(*)
L'Afrique, malgré ses grandes richesses naturelles,
reste dans une situation économique de pauvreté. Elle est
toutefois dotée d'une vaste gamme de valeurs culturelles et de
qualités inestimables qu'elle peut offrir aux Églises et à
toute l'humanité. Jean Paul II cite quelques-unes de ces valeurs :
« Les Africains ont un profond sens religieux, le sens du
sacré, le sens de l'existence de Dieu Créateur et d'un monde
spirituel. La réalité du péché, sous ses formes
individuelles et sociales, est très présente dans la conscience
de ces peuples, comme le sont également les rites de purification et
d'expiation. » (EA 42)
IV.2.2. La
réalité du péché en Afrique
La tradition africaine, on le sait, regorge de beaucoup
d'interdits. L'africain est tenu à l'observance de la loi
coutumière par la soumission aux interdits. Leur strict respect est
à la base de la paix et de la concorde au sein de la communauté
humaine, de la famille, du clan. Leur violation, par contre, entraîne des
sanctions au sein de la communauté même. Le professeur Muyengo
parle de trois interdits qui ont caractérisé la vie en Afrique
dans le temps passé, à savoir l'interdit de meurtre, de l'inceste
et de l'idolâtrie : « Jadis, chez nous en Afrique,
l'homme qui allait à la guerre s'interdisait tout acte
répréhensible : vol, viol, rapine, meurtre des innocents, etc.
Et, même sa conjointe restée à la maison devrait
s'interdire toutes sortes de méconduite, de peur qu'en commettant des
bêtises, son mari tombe sous le premier coup. Derrière ces moeurs,
se cachait toute une idée de la transcendance. Aujourd'hui, il n'y a
plus des tabous ( ) ; même au front, on vole, on viole, on rapine, on tue
les innocents. Que peut-on attendre d'une armée constituée des
violeurs, voleurs, pilleurs ? Que peut-on espérer d'une
société où il n'y a plus des tabous fondés sur une
certaine idée de la transcendance ? C'est-à-dire de la conviction
qu'il y a quelque chose au-dessus de l'homme ; qu'il y a des actes, tels ceux
liés au sexe, au sang, à la vie, etc. qui relèvent du
symbolique. »334(*) .
Cette notion de l'interdit n'est pas loin de celle du tabou,
qui est l'interdit de l'ordre religieux, social et moral, lié à
quelque chose de prohibé dans une société donnée. A
propos, le professeur Muyengo note : « Dans la conception
africaine, le tabou est sanctionné d'une manière automatique.
Pour le comprendre, il faut saisir la nuance que les Africains font entre deux
types de lois, celles à contenu juridique (souvent écrite) et
celles à contenu non juridique (lois traditionnelles). La transgression
de la loi juridique entraîne le coupable présumé devant les
juges. En principe, cette loi n'oblige pas, car coupable ou pas, par
l'intelligence ou avec des avocats capables, l'intéressé peut
échapper à la peine sans éprouver aucun remord ni
procéder à des cérémonies compensatoires. Relevant
elle aussi de la loi naturelle, la loi traditionnelle, par contre n'a aucun
rapport avec les juges et les tribunaux, elle est plutôt
protégée par des tabous. La définition des tabous
dépend de la culture dans laquelle il est inscrit. Il est un tabou par
exemple de commettre l'inceste, de trahir le pacte de sang. Cette
catégorie de loi oblige en conscience. Lorsque quelqu'un s'en est rendu
coupable, il n'en dort pas des remords, redoutant la sanction automatique dont
il s'est menacé (Exemple : le Cibau chez les Luba, Muzombo chez les
Lega). La sanction immanente trouve du reste son application initiale, pour le
cas notoire, dans l'opinion de ceux qui parviennent à savoir quelque
chose sur le tabou brisé et son auteur. Pour les négro-Africains,
la réalité est que la sanction est imposée par un juge
invisible, Dieu, les ancêtres, etc. qui sont en fait les garants des lois
ayant trait à la religion. Pourtant la personne qui transgresse le tabou
n'offense pas Dieu. En milieu bantu, l'idée d'offenser Dieu n'est pas
concevable. La personne qui transgresse le tabou, pèche contre
elle-même, contre la communauté et contre les ancêtres.
Faudra-t-il encore souligner que même la notion du péché
est étrangère à la mentalité bantu. Transgresser,
veut dire faire quelque chose de défendu ou d'interdit. Le
défendu renvoie à la loi à contenu juridique. En ce sens,
il expose à des ennuis si l'on est pris sur le fait ou identifié
par la suite. L'interdit renvoie aux lois protégées par le tabou.
Il est défendu de tuer, de voler, mais ces actes ne tombent pas sous
l'interdit. Par contre, il est défendu de commettre l'inceste. Qui
transgresse le défendu est puni par les juges ; qui transgresse
l'interdit est justiciable de Dieu. 335(*)»
Malgré la rigueur morale, il n'est pas étonnant
de voir certains membres de la communauté dévier du droit chemin
en transgressant la loi coutumière. Emery-Justin Kakule explique cette
notion de la transgression et du tabou en l'illustrant chez les
nande.336(*) Ceci peut
s'appliquer à tous les africains malgré quelques points de
divergences.
En fait, toute déviation du droit chemin est traduite
chez le nande par le concept erilolo, c'est-à-dire faute,
manquement, transgression, péché. Emery-Justin écrit
à ce sujet, « la culture nande considère comme
faute, erilolo, tout manquement volontaire ou non, à n'importe quelle
prescription ou défense coutumière et qui est sanctionné
du moment qu'il est connu des autres. La transgression des pratiques de la
coutume et le non-respect des valeurs communautaires constituent un motif
suffisant de condamnation pour un nande».337(*)
Pour ce dernier, en effet, le pire des maux est ce qui tue la
vie en communauté, celle-ci étant le plus grand trésor
hérité des ancêtres. De ce fait, tout acte qui brise la
communion clanique ou familiale et qui frise la promotion de la vie humaine est
ce que le nande qualifie de faute morale. Emery-Justin est plus explicite
quand il écrit : « La communauté, héritage
ancestral, est le lieu normal de l'épanouissement de la vie humaine. La
solidarité africaine est une fidélité à l'ensemble
des valeurs de la société ancestrale, qui s'exprime par la
justice fraternelle et la pratique de la coutume. Le péché contre
la communauté est le nom des mauvaises attitudes contre la coutume et
les relations altérées tant au niveau religieux, social, familial
que juridique. Il est synonyme des comportements injustes et des transgressions
du droit coutumier temporel (...). Les coutumes sont sacrées parce
qu'elles révèlent une hiérophanie, c'est-à-dire une
réalité ultime sacrée : la justice, le respect du bien
d'autrui, et la révérence due au droit de Dieu et des
Ancêtres. »338(*)
On l'aura compris, la faute ou le péché, que les
Nande traduisent par le mot Erilolo, lèse à la fois Dieu
et la communauté. En effet, chez les Nande, la communauté et la
personne sont fondées sur Dieu créateur de sorte que le profane
et le sacré se compénètrent. Celui qui lèse la
communauté est contre la Providence de Dieu. De la sorte, le
rilolo est à la fois le péché
considéré comme offense faite à Dieu et la faute morale
contre l'homme par la transgression de la coutume.339(*)
Dans la communauté nande, l'on s'accorde que le
rilolo rend impur. Mais il faut noter que le degré
d'impureté varie selon quatre genres de faute. Ainsi devient-on impur
kalayi (impureté des hypocrites) pour les fautes
cachées, impur nyakavule (impureté de ceux qui
transgressent les interdits et tabous) pour les fautes juridiques, impur
musingo pour les fautes très graves, entraînant la peine
capitale (pour le meurtre par exemple), impur mukumbira (paria) pour
les fautes très graves contre le pays, la contrée,
entraînant ipso facto l'exil.340(*)
La société nande admet que le rilolo
revêt un caractère contagieux (ekihondo). En ce sens,
lorsqu'on commet un forfait, ce n'est pas seulement la vie du coupable en tant
qu'individu qui diminue, mais aussi ce mal affaiblit toute la communauté
(hommes, nature ou cosmos) qui en pâtit. Le niveau horizontal,
anthropocentrique et communautaire de la faute parait ainsi être
privilégié au détriment de la dimension verticale,
théique et transcendante. On comprend certes que, chez les Nande
traditionnels, comme chez les africains en général, le
critère de bien et du mal était uniquement en conformité
à la solidarité communautaire et à la coutume, tant il est
vrai qu'ils n'ont fait allusion à Dieu qu'en tant qu'Auteur
éloigné de l'ordre social et naturel.341(*) Toujours est-il que cela
s'explique en majeure partie par le fait que, chez eux, la
Révélation explicite de Dieu était absente. Ils n'ont eu
que des balbutiements à son sujet par le truchement de leur conscience
(Rm 2, 14-15).
Cette conception nande de la faute et du péché
retient notre attention sur deux points essentiels : l'importance de la
vie et de la communauté (famille).
IV.2.3. Le sens de la vie en
Afrique
Pour dégager les perspectives africaines de la
bioéthique, le professeur Muyengo part de la conception africaine de la
vie : Selon lui, en Afrique, la vie est le bien le plus précieux
sur la terre. Elle se poursuit au-delà de la mort.342(*) Ainsi, pour l'africain, la
vie n'est pas détruite par la mort mais la mort lui donne la
possibilité de changer de condition.343(*) Il tire de cette conception deux conséquences
majeures à savoir: la procréation comme la fin ultime de tout
homme et une éthique centrée sur l'homme.344(*)
Abordant dans le même sens, le pape Jean Paul II
affirme : « Dans la culture et la tradition africaines, le
rôle de la famille est universellement considéré comme
fondamental. Ouvert à ce sens de la famille, de l'amour et du respect de
la vie, l'Africain aime les enfants, qui sont accueillis joyeusement comme un
don de Dieu. « Les fils et les filles de l'Afrique aiment la vie. De cet
amour de la vie découle leur grande vénération pour leurs
ancêtres. Ils croient instinctivement que les morts ont une autre vie, et
leur désir est de rester en communication avec eux. »
(EA 43)
Benoît XVI n'a pas hésité a
souligné cette vision africaine de la vie : « Dans la
vision africaine du monde, dit-il, la vie est perçue comme une
réalité qui englobe et inclut les ancêtres, les vivants et
les enfants à naître, toute la création et tous les
êtres : ceux qui parlent et ceux qui sont muets, ceux qui pensent et ceux
qui n'ont point de pensée. L'univers visible et invisible y est
considéré comme un espace de vie des hommes, mais aussi comme un
espace de communion où des générations passées
côtoient invisiblement les générations présentes,
elles-mêmes mères des générations à
venir. » (AM 69)
Ainsi, estime le professeur Muyengo, pour l'africain, «
est bon ce qui contribue à l'éclosion de la vie, à sa
conservation, sa protection, ce qui épanouit ou augmente le potentiel
vital de l'individu et de la communauté. Par contre tout acte
présumé préjudiciable à la vie des individus ou de
la communauté passe pour être mauvais. »345(*) Dans le même ordre
d'idées, Jean Paul II le dit en ces termes : « Les
Africains respectent la vie qui est conçue et qui naît. Ils
apprécient la vie et rejettent l'idée qu'elle puisse être
supprimée, même quand de soi-disant civilisations progressistes
veulent les conduire dans cette voie. Des pratiques contraires à la vie
leur sont toutefois imposées par le biais de systèmes
économiques qui ne servent que l'égoïsme des riches.
» (EA 43)
Benoît XVI revient, dans Africae munus, revient
sur ces pratiques opposés à la vie, que Jean Paul II avaient
déjà dénoncées : « Au nombre des
dispositions visant à protéger la vie humaine sur le continent
africain, les Pères synodaux ont tenu à souligner les aspects
discutables de certains documents émanant d'organismes internationaux:
en particulier ceux concernant la santé reproductive des
femmes. L'Église sait que nombreux sont ceux - individus,
associations, bureaux spécialisés ou États - qui rejettent
une doctrine saine à ce sujet. Nous ne devons pas craindre
l'hostilité ou l'impopularité mais refuser tout compromis et
toute ambiguïté qui nous conformeraient à la
mentalité de ce monde » (AM 70-71) Et à
propos, le rappelle que la position de l'Église ne souffre aucune
ambiguïté quant à l'avortement. L'enfant dans le sein
maternel est une vie humaine à protéger. «
L'avortement, qui consiste à supprimer un innocent non né,
est contraire à la volonté de Dieu, car la valeur et la
dignité de la vie humaine doivent être protégées
depuis la conception jusqu'à la mort naturelle. L'Église en
Afrique et dans les îles voisines doit s'engager à aider et
à accompagner les femmes et les couples tentés par l'avortement,
et à être proche de ceux qui en ont fait la triste
expérience afin de les éduquer au respect de la
vie. » (AM 70)
Dans le même registre des phénomènes qui
propagent la culture de la mort en Afrique, Benoît XVI
déclare : « Sur la vie humaine en Afrique
pèsent de lourdes menaces. Il faut déplorer, comme ailleurs, les
ravages de la drogue et les abus de l'alcool qui détruisent le potentiel
humain du continent et affligent surtout les jeunes. Le paludisme, ainsi que la
tuberculose et le sida, déciment les populations africaines et
compromettent gravement leur vie socio-économique. Le problème du
sida, en particulier, exige certes une réponse médicale et
pharmaceutique. Celle-ci est cependant insuffisante car le problème est
plus profond. Il est avant tout éthique. Le changement de comportement
qu'il requiert - par exemple : l'abstinence sexuelle, le refus de la
promiscuité sexuelle, la fidélité dans le mariage -, pose
en dernière analyse la question du développement intégral
qui demande une approche et une réponse globales de l'Église. Car
pour être effective, la prévention du sida doit s'appuyer sur une
éducation sexuelle elle-même fondée sur une anthropologie
ancrée dans le droit naturel, et illuminée par la Parole de Dieu
et l'enseignement de l'Église. » (AM 70)
Comme on peut le constater, partant de ce qui
précède, l'Afrique est confronté à plusieurs
problèmes mais le pape a insisté sur deux problèmes
particuliers : l'avortement et le sida. Dans le cadre de notre sujet nous
voulons revenir sur ces deux problèmes, c'est-à-dire, comprendre
comment le problème de l'avortement et du sida se pose
particulièrement en Afrique, comment y remédier, quels sont les
enjeux de différentes solutions...
IV.2.3.1. Le problème de l'avortement en
Afrique
Dans la plupart des pays africains, l'avortement
provoqué reste encore légalement interdit et n'est
autorisé que pour des raisons médicales. Le code pénal de
la plupart des pays africains prévoit des sanctions assez lourdes
à l'encontre des personnes accusées d'actes d'avortement
provoqué.346(*)
En effet, dans la plupart des pays africains, l'accès à
l'avortement est interdit ou très restrictif. Les législations
sur l'avortement sont le plus souvent des réminiscences du passé
colonial : dans les pays francophones, de la loi française de 1920
relative à la contraception et à l'avortement et dans les pays
anglophones, elles sont inspirées de la loi anglaise de 1861 relative
aux délits des personnes. Parmi 53 pays d'Afrique, 25 n'autorisent
l'avortement que si la vie de la mère est en danger et le Soudan ajoute
à cette condition la possibilité d'avorter en cas de viol ou
d'inceste. Le Zimbabwe l'autorise pour sauver la santé physique ou
mentale de la femme et en cas de viol, d'inceste ou de malformation du foetus.
Dans 23 pays, l'avortement n'est possible que si la vie, la santé
physique ou mentale sont menacées, le Cameroun en plus de ces conditions
stipule que l'avortement est également possible en cas de viol ou
d'inceste, et 6 autres pays ajoutent à ces possibilités le
recours à l'avortement en cas de malformation du foetus. La Zambie a
libéralisé l'avortement pour des raisons économiques ou
sociales ainsi qu'en cas de malformation du foetus. Dans trois pays seulement
l'avortement est pratiqué à la demande : le Cap Vert, la Tunisie
et l'Afrique du Sud. Mais son accès est parfois subordonné
à d'autres restrictions : à des autorisations parentales ou
maritales, à des indications de santé, à l'accord de
médecins, à l'accès à des structures sanitaires
spécifiques et d'un délai légal de grossesse ... autant de
facteurs de blocage. Ces conditions rendent difficile la pratique de
l'avortement surtout en zone rurale où la couverture sanitaire est
insuffisante. A cet effet, Benoît XVI salue le courage des gouvernements
africains qui ont légiféré contre la culture de mort, dont
l'avortement est une expression dramatique, au bénéfice de la
culture de la vie. (Cfr. AM 71)
Malgré cette interdiction, la pratique des avortements
clandestins, surtout chez les adolescentes, est devenue une
réalité préoccupante en Afrique, aussi bien pour les
pouvoirs publics que pour les familles. Le contexte de pauvreté globale
et de crise morale que connaît le Continent semble favoriser cette
pratique.347(*)
Il ressort des résultats d'enquêtes
démographiques et de santé réalisée dans de
nombreux pays africains, que les adolescents sont sexuellement très
actifs. On note également que l'utilisation des méthodes
contraceptives, notamment le condom, est relativement faible chez les
adolescents, surtout chez les filles. Par ailleurs, le niveau de
fécondité de ces dernières reste quasiment stationnaire,
sinon en baisse. On peut donc supposer qu'il y a une très forte pratique
des avortements provoqués chez les adolescentes, consécutive
à la forte prévalence des grossesses non désirées,
surtout en milieu scolaire.348(*)
En plus de la répression de l'avortement par les
pouvoirs publics, les pressions socioculturelles vis-à-vis des filles
mères, le coût élevé du recours modernes et les
charges liés à l'éducation des enfants dans une situation
de manque d'emploi font que la plupart des avortements, surtout chez les
pauvres, se déroulent dans la clandestinité et ce dans de
très mauvaises conditions. 349(*)
En plus des problèmes de mortalité et de
santé, l'avortement pose aussi de graves problèmes sociaux,
sachant que la procréation est valorisée dans les
sociétés africaines. Il faut noter également que les
avortements provoqués peuvent aussi avoir un impact sur la scolarisation
des filles. En effet, pour certains parents, envoyer les enfants (surtout les
filles) à l'école est synonyme de grossesses non
désirées et d'avortements provoqués. Ils
préfèrent donc les garder à côté d'eux pour
mieux les surveiller plutôt que les savoir ailleurs où elles
peuvent se livrer à la débauche. A ce propos note Zanou:
« En milieu scolaire aussi, les jeunes adolescentes sont
fréquemment victimes de violences sexuelles, de la part
d'élèves plus âgés ou d'enseignants. Quand elles
cèdent, au professeur ou aux garçons, et tombent enceinte, ce
sont elles qui en subissent les conséquences : avortement
provoqué clandestin avec tous les risques que cela comporte, abandon
volontaire de l'école ou renvoi.350(*) »
Face à cette situation, deux positions se
dessinent : d'une part les organismes internationaux (OMS, Commission
économique des Nations unies pour l'Afrique, l'ONG pro-avortement
Ipas, d'envergure mondiale, FEMNET, désormais actif sous le nom
d'African Network for medical abortion, AMNA, un organisme panafricain
luttant pour l'accès de toutes à l'avortement
médicalisé et légal, la Fédération
internationale du Planning familial (IPPF), Marie Stopes International, Human
Life International etc.351(*) qui militent pour la légalisation de
l'avortement, et d'autre part, l'Eglise catholique qui reste ferme sur sa
position et condamne l'avortement en la qualifiant d'actes
intrinsèquement mauvais.
En effet, depuis un certain temps, La machinerie onusienne
d'application de la santé reproductive et ses partenaires ONGs
transnationaux augmentent la pression sur les institutions régionales
africaines et tous les gouvernements africains afin qu'ils légalisent
l'avortement et rendent cette pratique sans risques. Telle
était déjà l'intention de la conférence onusienne
du Caire sur la population de 1994, où un prétendu consensus
mondial sur la santé et les droits reproductifs a été
adopté.352(*)
Mais il y a maintenant multiplication d'initiatives exerçant
agressivement pression sur les gouvernements africains afin qu'ils
accélèrent leur application du Caire, et une identification
explicite de l'avortement sans risques comme priorité urgente
de la plateforme politique africaine.353(*)
C'est dans ce cadre que s'inscrit le fameux protocole de
Maputo. Adopté le 11 juillet 2003, lors du second sommet de l'Union
africaine à Maputo, au Mozambique. Ce Protocole exige des gouvernements
africains l'élimination de toutes les formes de discrimination et de
violence à l'égard des femmes en Afrique et la mise en oeuvre
d'une politique d'égalité entre hommes et femmes. En son article
14, le protocole déclare : « Les Etats assurent le
respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y
compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent
:
a) le droit d'exercer un contrôle sur leur
fécondité;
b) le droit de décider de leur maternité, du
nombre d'enfants et de l'espacement des naissances;
c) le libre choix des méthodes de
contraception;
d) le droit de se protéger et d'être
protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y
compris le VIH/SIDA;
e) le droit d'être informées de leur
état de santé et de l'état de santé de leur
partenaire, en particulier en cas d'infections sexuellement transmissibles, y
compris le VIH/SIDA, conformément aux normes et aux pratiques
internationalement reconnues;
f) le droit à l'éducation sur la
planification familiale.
2. Les Etats prennent toutes les mesures
appropriées pour :
a) assurer l'accès des femmes aux services de
santé adéquats, à des coûts abordables et à
des distances raisonnables, y compris les programmes d'information,
d'éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles
vivant en milieu rural;
b) fournir aux femmes des services pré et
post-natals et nutritionnels pendant la grossesse et la période
d'allaitement et améliorer les services existants;
c) protéger les droits reproductifs des femmes,
particulièrement en autorisant l'avortement médicalisé, en
cas d'agression sexuelle, de viol, d'inceste et lorsque la grossesse met en
danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la
mère ou du foetus. 354(*)»
Cet article a suscité plusieurs réactions comme
on peut bien l'imaginer dans tous les sphères de la vie sociale en
Afrique et a provoqué plusieurs mouvements de protestation. L'Eglise
n'est pas aussi restée indifférente. Le Pape Benoît XVI,
dans un discours au Corps diplomatique accrédité auprès du
Saint Siège le 8 janvier 2007, a déclaré : «
Comment ne pas se préoccuper des continuelles atteintes à la
vie, de la conception jusqu'à la mort naturelle ? De telles atteintes
n'épargnent même pas des régions où la culture du
respect de la vie est traditionnelle, comme en Afrique, où l'on tente de
banaliser subrepticement l'avortement, par le Protocole de Maputo, ainsi que
par le Plan d'action adopté par les Ministres de la santé de
l'Union Africaine, qui sera d'ici peu soumis au Sommet des Chefs d'État
et de Gouvernement. »355(*) Les évêques de notre pays aussi ont
réagi face à cette menace. Dans leur déclaration du 09
février 2007, ils disent : « La CENCO se
réjouit des efforts déployés par les gouvernements
africains de concert avec la communauté internationale en vue de
promouvoir la dignité de la femme et accroître ses chances de
développement intégral. La CENCO recommande instamment que dans
ces recherches soient sauvegardées les valeurs authentiques de la
culture africaine. Dans cet ordre d'idées, tout en approuvant, dans
l'ensemble, les bonnes initiatives préconisées par le "Protocole
dit de Maputo "' ; la CENCO exprime les plus grandes réserves à
ce sujet et stigmatise certaines clauses de l'article 14 qui, fort subtilement,
ouvrent la voie à la légalisation de l'avortement. La femme est
mère : la mère est source de vie et non de mort d'enfants
innocents (cf. 1 R 3, 25-27). Nous attirons l'attention des institutions
compétentes de notre pays sur la gravité morale des questions
posées, afin qu'elles en tiennent compte avant toute ratification de ce
Protocole. »356(*)
Les évêques africains ont aussi publié un
communiqué le 19 avril 2007 dénonçant et rejetant le
protocole de Maputo: « Nous voulons attirer l'attention des chefs
politiques de l'Afrique sur nos fortes réserves concernant des aspects
de l'article 14 du Protocole de Maputo... Nous observons que les droits des
femmes de protéger et promouvoir leur santé sexuelle et
reproductive dans cet article ont exclu les droits du couple, de la famille et
de la société (civile, traditionnelle, culturelle et religieuse)
de précisément prendre part à la promotion des droits de
la femme aux soins de santé. Par exemple, l'autorisation d'avorter et le
choix de toutes les méthodes de contraception pour les femmes (cf.
article 14, # 1, c et # 2, c) sont particulièrement incompatibles avec
les enseignements de l'Église catholique, sa tradition et ses
pratiques... En outre, l'Église affirme sans interruption depuis le
premier siècle que c'est une grave faute morale pour toute personne ou
leur agent de procurer un avortement. Cet enseignement n'a pas changé et
demeure inchangeable.... A la lumière de ceci, nous observons que
l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables pour presque toutes
nos cultures africaines, sociétés traditionnelles et religions.
357(*)»
Neuf ans après le protocole de Maputo, une
conférence réunissant des personnalités africaines
politiques, juridiques, du monde de la santé s'est
déroulée au Ghana pour s'attaquer à l'avortement
dangereux (unsafe abortion) qui cause selon les organisateurs
quelque 67.000 morts maternelles dans le monde chaque année, dont plus
de la moitié en Afrique, et surtout chez les femmes de moins de 25
ans.
Il s'agit certes d'un vrai problème qui est
soulevé par ces organismes internationaux, mais au lieu d'envisager une
solution incluant la dimension éthique, qui pourra, par exemple, mettre
l'accent sur l'aide nécessaire aux femmes enceintes, l'éducation
à l'abstinence sexuelles chez les femmes jeunes et avant le mariage,
l'existence de soins adéquats aux futures mères pendant leur
grossesse et leur accouchement, ils préfèrent plaider pour
l'avortement légal, supposé sûr, sans danger et sans
conséquences néfastes pour la mère.
Ils n'hésitent pas ainsi à dénoncer
l'emprise des leaders religieux sur les populations elles-mêmes, par la
présentation de l'avortement comme un acte peccamineux, ou le poids de
la pression de certaines Eglises sur ceux qui prennent les décisions
politiques. L'Eglise catholique est toujours particulièrement
visée comme responsable de cet état de fait, par son opposition
d'un autre âge à l'avortement et à la
contraception
De son côté, l'Eglise catholique reste contre
l'avortement car elle est toujours pour la vie et la protège
inconditionnellement, surtout là où elle est la plus faible,
fragile et vulnérable. C'est ce qu'elle fait tout au long de l'existence
(malades, personnes handicapées, vieillards). En outre, l'Eglise est
contre l'avortement car c'est un meurtre. Et plus la personne assassinée
est faible, plus le meurtre et coupable. Or, nul n'est plus faible qu'un
embryon.
Partant, le Pape Benoît XVI reproche aux organisations
internationales leur responsabilité dans la promotion de l'avortement et
dans le développement des maladies sexuellement transmissibles en
Afrique, qu'il impute à l'introduction d'une culture laïque
mondialisée et à la propagation de notions faussées sur
le mariage et la famille : « Trop souvent, les maux qui
frappent certains secteurs de la société africaine, la
promiscuité sexuelle, la polygamie, la diffusion des maladies sexuelles,
peuvent être directement associés à des notions
faussées du mariage et de la vie de famille », affirme le
pape. (AM 43)
C'est pourquoi, en Afrique, la famille a besoin d'être
protégée et défendue en raison de son importance capitale
et des menaces qui pèsent sur elle notamment, la distorsion de la notion
de mariage et de famille elle-même, la dévaluation de la
maternité et la banalisation de l'avortement, la facilitation du divorce
et le relativisme d'une nouvelle éthique. (Cfr AM 43)
Par ailleurs, L'Eglise catholique a toujours admis
l'avortement indirect, quand des soins prodigués à la femme
enceinte pour lui sauver la vie ont pour conséquence la mort du foetus.
Les propos de Benoît XVI dans un discours qui portait principalement sur
la situation politique et économique de l'Afrique, ont été
mal interprété à ce sujet de l'avortement
thérapeutique: « Je dois également mentionner un autre
grave sujet de préoccupation : les politiques de ceux qui, dans
l'illusion de faire progresser l'édifice social, en menacent les
fondements mêmes. Combien est amère l'ironie de ceux qui
promeuvent l'avortement au rang des soins de santé des mamans! Combien
est déconcertante la thèse de ceux qui prétendent que la
suppression de la vie serait une question de santé
reproductive.358(*)
»
Le Vatican a fait une mise au point sur les propos
controversés du pape Benoît XVI sur l'avortement, précisant
qu'il ne parlait pas d'avortement thérapeutique mais déplorait
une large utilisation de l'avortement comme moyen de contrôle des
naissances. En fait, Si le pape a fermement condamné l'avortement durant
son voyage en Afrique, il n'a pas remis en cause la possibilité
d'avorter en cas de danger pour la vie de la mère. Mais on ne peut pas
avancer le concept de santé maternelle pour justifier l'avortement comme
moyen de régulation des naissances.
IV.2.3.2. Le problème du sida et l'utilisation
du préservatif en Afrique
Le Magistère s'est toujours prononcé sur le
caractère intrinsèquement mauvais du préservatif en tant
que contraceptif.359(*)
Peut-on tolérer son emploi pour éviter la contagion du Sida ? Le
Magistère a été clair pour la loi générale :
le préservatif ne peut pas être considéré comme
moyen de prévention du Sida. Tous les moralistes devraient être
d'accord pour dire que l'enseignement du Magistère est explicite pour
dire que le préservatif ne peut pas être admis comme moyen de
prévention du Sida.
Le premier voyage africain du pape Benoit XVI a
commencé par une polémique sur le préservatif. Dans
l'avion qui le menait au Cameroun360(*), Benoît XVI avait affirmé que l'on ne
pouvait « pas régler le problème du sida, pandémie
aux effets dévastateurs en Afrique, avec la distribution de
préservatifs » et que leur utilisation (aggravait) le
problème, réitérant ainsi la position de l'Eglise
catholique qui est opposé à toute forme de contraception autre
que l'abstinence (totale ou temporaire) et réprouve l'usage du
préservatif, même pour des motifs prophylactiques
(prévention de maladies).
Dans un livre d'entretiens361(*) sur de nombreux sujets d'actualité, Benoit
XVI, dans une affirmation de deux petites lignes qui vont marquer un tournant
dans la politique du Vatican II à l'égard de la lutte contre le
sida, admet que l'utilisation du préservatif peut se justifier dans
certains cas, quand il s'agit d'empêcher la transmission du VIH et
pour réduire les risques de contamination avec le virus du sida.
À la question: «l'Église catholique n'est pas
fondamentalement contre l'utilisation de préservatifs ?», le
souverain pontife répond, selon la version originale allemande : «
dans certains cas, quand l'intention est de réduire le risque de
contamination, cela peut quand même être un premier pas pour ouvrir
la voie à une sexualité plus humaine, vécue
autrement.362(*)
»
Pour illustrer son propos, le pape donne même un
exemple, celui d'un homme prostitué, considérant que «
cela peut être un premier pas vers une moralisation, un début
de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que
tout n'est pas permis et que l'on ne peut pas faire tout ce que l'on veut.
»363(*)
En préambule, le pape a certes rappelé que
« se polariser seulement sur le préservatif signifie la
banalisation de la sexualité et c'est exactement le danger que beaucoup
de gens considèrent le sexe non plus comme une expression de leur amour,
mais comme une sorte de drogue, qu'ils s'administrent
eux-mêmes.364(*)» Néanmoins, Benoît XVI se
démarque du discours de Jean-Paul II, qui affirmait notamment le 7
février 1993, à Kampala (Ouganda), devant des milliers de
séropositifs, que « la chasteté est l'unique
manière sûre et vertueuse pour mettre fin à cette plaie
tragique qu'est le sida.365(*) »
Ces propos de Benoît XVI sont d'autant plus inattendus
qu'en mars 2009, ses prises de position sur le préservatif dans l'avion
qui le menait en Afrique avaient suscité un tollé dans la presse
et l'opinion internationales. Les réactions de colère et
d'incompréhension que ces propos avaient soulevées, y compris au
sein de l'Eglise catholique, ont-elles été entendues au Vatican ?
Difficile de l'établir. Cependant, la question du préservatif
nourrit un vif débat chez les catholiques depuis l'apparition de
l'épidémie il y a trente ans. Et le problème se pose
particulièrement avec acuité en Afrique.
Comment alors comprendre cette affirmation du pape dans le
contexte africain en rapport avec la position traditionnelle de l'église
qui considère l'usage du préservatif comme un acte
intrinsèquement mauvais ?
Selon, Martin Rhonheimer dire, d'un côté, comme
certains, qu'après les propos du pape rien n'a changé n'est pas
vrai.366(*) Pour la
première fois, il a été dit par le pape lui-même,
bien que ce ne soit pas dans le cadre d'un enseignement formel du
magistère de l'Église, que l'Église n'interdit pas de
manière inconditionnelle l'utilisation prophylactique du
préservatif. Au contraire, le Saint Père a dit que dans certains
cas dans le cas du commerce du sexe, par exemple), son utilisation peut
être un signe de ou un premier pas vers une attitude responsable (tout en
précisant en même temps que ce n'est ni une solution pour vaincre
l'épidémie de sida ni une solution morale ; la seule solution
morale est d'abandonner un mode de vie immoral et de vivre sa sexualité
d'une manière vraiment humanisée.367(*)
D'un autre côté, affirmer que ce qu'a dit le pape
est un changement radical est également inexact selon Martin
Rhonheimer : Tout d'abord, la déclaration du pape ne change en rien
la doctrine de l'Église en matière de contraception ; ce qu'a dit
le pape confirme plutôt cette doctrine telle qu'elle est enseignée
par Humanae Vitae.368(*)
Deuxièmement, sa déclaration ne dit pas que
l'utilisation du préservatif ne pose pas de problème moral ou
qu'elle est permise d'une manière générale, même
à des fins de prophylaxie. Le pape Benoît XVI parle de
begründete Einzelfälle, ce qui, traduit
littéralement, signifie certains cas justifiés - comme
celui d'un(e) prostitué(e) - dans lesquels l'utilisation d'un
préservatif peut être un premier pas vers une moralisation, une
première prise de responsabilités. Ce qui est justifié, ce
n'est pas l'utilisation du préservatif en tant que telle : pas, du
moins, au sens d'une justification morale d'où découle une norme
permissive du genre il est moralement permis et bon d'utiliser le
préservatif dans tel et tel cas. Ce qui est justifié,
plutôt, c'est le jugement selon lequel ce geste peut être
considéré comme un premier pas et une première prise de
responsabilités. Benoît XVI n'a certainement pas voulu
établir une norme morale justifiant des exceptions.369(*)
Troisièmement, ce que dit le pape ne se
réfère pas aux gens mariés : il a seulement parlé
de situations qui sont en elles-mêmes intrinsèquement
désordonnées.370(*)
Quatrièmement, comme il l'indique très
clairement, le pape ne plaide pas en faveur de la distribution de
préservatifs, qu'il considère comme conduisant à la
banalisation de la sexualité qui est la cause majeure de la diffusion du
sida. Il mentionne simplement la méthode ABC, en insistant sur
l'importance de A et B (abstain [abstiens-toi] et be faithful
[sois fidèle]) et en qualifiant le C (condoms
[préservatifs]) de dernier recours (en allemand, Ausweichpunkt)
au cas où certaines personnes refuseraient de se conformer à A ou
B.371(*)
Et, ce qui est très important, il déclare que ce
dernier recours relève clairement de la sphère
séculière, c'est-à-dire des programmes gouvernementaux de
lutte contre le sida. Donc ce qu'a dit le pape ne concerne pas la
manière dont les institutions sanitaires relevant de l'Église
devraient gérer les préservatifs. Il a donné une
indication sur ce qu'il faut penser d'un(e) prostitué(e) qui utilise
habituellement des préservatifs, pas de ceux qui les distribuent
systématiquement dans le but de contenir l'épidémie, ce
qui est la responsabilité des autorités d'État. Pour sa
part, l'Église continuera à dire la vérité à
propos de la manière vraiment humaine de vivre la sexualité.
Dans les pays africains les campagnes anti-sida fondées
sur l'utilisation du préservatif sont généralement
inefficaces. C'est la raison pour laquelle - et cela constitue une preuve
notable en faveur de l'argument du pape - l'un des rares programmes efficaces
en Afrique est celui de la RDC. Bien qu'il n'exclue pas le préservatif,
ce programme encourage à un changement positif dans le comportement
sexuel (fidélité et abstinence) qui le différencie des
campagnes en faveur du préservatif, celles-ci contribuant à
cacher ou même à détruire le sens de l'amour
humain.372(*)
Les campagnes qui promeuvent l'abstinence et la
fidélité sont en définitive le seul moyen efficace
à long terme de lutte contre le sida. L'Église n'a donc aucune
raison de considérer les campagnes de promotion du préservatif
comme utiles pour l'avenir de la société humaine. Mais
l'Église ne peut pas non plus enseigner que ceux qui adoptent des modes
de vie immoraux devraient s'abstenir d'utiliser le préservatif.
Bref, Benoît XVI fut accusé de condamner à
mort des dizaines de milliers d'Africains au nom d'une condamnation aveugle du
préservatif. Alors qu'en réalité le pape voulait attirer
l'attention sur le danger - prouvé par les faits en Afrique - qu'une
plus large utilisation du préservatif s'accompagne non pas d'une
diminution mais d'une augmentation des rapports sexuels occasionnels avec des
partenaires multiples et d'une augmentation des taux d'infection.
IV.3. Perspective
d'avenir : La moralité intrinsèque des actes comme chantier
de la théologie morale
L'obéissance aux lois civiles, en certains cas au
moins, doit faire place, pour le croyant, aux lois de l'Eglise. Que signifie ce
décalage ? Un chrétien peut se trouver devant des situations
où les lois de l'Eglise elles-mêmes sont impraticables et
conduisent au malheur. On connaît des épouses maltraitées,
menacées par des époux pervers et qui, contraintes à
divorcer, vivent dans la culpabilité une seconde union plus humaine.
Combien d'homosexuels courent au suicide parce qu'une certaine morale
catholique les condamne ! En Afrique, des épouses de polygames voient
leurs vies gâchées parce que leurs époux ne peuvent
recevoir le baptême sans qu'elles soient répudiées. Un
troisième cas de figure se présente : la conscience
chrétienne, souvent, est acculée à prendre des
décisions qui ne sont justifiées par aucune loi mais qui
manifestent une autre forme de soumission.
En effet, les débats entre subjectivité et
objectivité, particularité et universalité,
relativité et absolu, liberté et loi, théonomie et
autonomie, foi et raison, révèlent un défi lancé
à la théologie morale dans notre société moderne :
« le défi d'échapper d'une part au
sécularisme qui délie valeurs et normes pour ne laisser subsister
en éthique publique qu'un sens du convenable à la place du bien
et d'autre part au communautarisme incapable de jouer l'universel en
morale. »373(*)
La théologie morale contemporaine cherche à
être une proposition au service de la vie bonne dans nos
sociétés. Mais comment est-il possible de tenir compte à
la fois du caractère laïc et pluraliste de la société
et d'autre part de la foi comme source originale d'inspiration et
d'éclairage pour la vie morale ?
Sachant que la vocation morale est commune à tout homme
et que le soupçon des Lumières sur le fait que le christianisme
aurait fait son temps pèse à nouveau très fort en morale,
comment situer la foi en Dieu par rapport à l'expérience
éthique qui est commune à tout homme ? Comment comprendre la
spécificité chrétienne de la morale ?374(*)
Pour répondre à cette question, il y a lieu de
revisiter de façon critique les trois modèles qui, dans les
débats postconciliaires sur la spécificité
chrétienne de la morale, ont essayé de rendre compte de la
contribution de la foi à l'éthique dans une société
post-moderne.375(*)
Le premier modèle est celui de l'éthique
autonome: la foi est considérée comme âme de
l'engagement dans le monde. Ce modèle reconnaît, à la suite
de Vatican II, la légitime autonomie des réalités
terrestres. Il peut être décrit comme « une
éthique rationnelle informée par la
foi. »376(*) Pour l'éthique autonome, « le
caractère chrétien de la morale n'était pas à
découvrir dans un contenu normatif spécifique, mais plutôt
dans le fait que la foi réinscrit les motivations éthiques dans
sa propre logique. »377(*) C'est la vie théologale qui inspire l'agir
éthique et lui confère une plénitude de sens.
Ce modèle permet de penser l'expérience
éthique commune en se référant à une éthique
universelle que tout homme peut découvrir par la raison. Il n'y a pas
d'exigences éthiques spécifiquement chrétiennes, mais la
foi chrétienne motive les prises de parole et les engagements dans les
débats de société.378(*)
Les limites de cette éthique autonome sont le risque de
compromettre la foi puisque l'éthique chrétienne et
l'éthique séculière se rencontrent dans les mêmes
exigences éthiques, même si cette rencontre se vérifie
avant tout dans une culture encore chrétienne. Toutefois, dans une
société post-moderne, où les valeurs et les normes sont
détachées de tout fondement, l'apparente unanimité des
valeurs recouvre des anthropologies différentes et des normes
différentes379(*). Dans un tel contexte, on peut reprocher à ce
modèle de faire l'impasse sur ce que la foi chrétienne peut
apporter comme contributions dans le débat pluraliste des
éthiques. Pour qu'il soit possible, pour la foi chrétienne, de
témoigner de la vérité de l'humain, un dépassement
de ce modèle est donc nécessaire.
Le deuxième modèle est un modèle
attestataire : l'éthique de la foi. Ce modèle se pense
dans un contexte moderne et réagit contre le danger de
l'auto-sécularisation de l'Eglise du modèle
précédent.380(*) Les protagonistes de ce courant, notamment Philippe
Delhaye et J. Ratzinger, insistent sur la contribution spécifique de la
foi chrétienne capable d'instituer des repères éthiques
pour des libertés qui s'engagent à la suite du Christ.381(*)
Pour ce courant, il convient de revenir, contre une
rationalisation de l'éthique, aux sources chrétiennes de
l'éthique : la pratique liturgique, la méditation des Ecritures,
la vie ecclésiale inspirent le sujet jusque dans ses actions. Ainsi, le
christianisme ne peut pas disparaître de la scène publique. Il
s'agit non seulement de maintenir une identité chrétienne, mais
également d'assurer une vision de l'humain non sujette au relativisme.
Pour l'éthique de la foi, les grands défis d'aujourd'hui ne
sauraient être traités sans l'éclairage des convictions
religieuses.382(*)
La critique majeure contre ce modèle est de ne pas se
poser la question de savoir s'il y a des sujets construits capables de
responsabilité et de discernement. (Cette critique vaut aussi pour
l'éthique autonome). Or, le contexte actuel met plutôt en
évidence la fragilité des sujets qui doivent apprendre à
se construire par eux-mêmes et à se repérer dans le
pluralisme ambiant. D'où: si on veut penser la contribution de la foi
à l'éthique, il faut prendre en compte les problèmes de la
généalogie du sujet moral.383(*)
D'où l'intérêt pour un troisième
modèle des rapports entre foi et morale : l'éthique
communautarienne de la vertu : la foi comme style de vie. Ce modèle est
un modèle confessant et attestataire plus radical que le modèle
de l'éthique de la foi.
Comme l'éthique de la foi, ce modèle comprend la
vie morale non pas seulement comme la résolution de questions
éthiques concrètes, mais comme une question de configuration de
l'ensemble de la vie à la suite du Christ.384(*)
Ici, la vie morale est une manière de voir le monde et
d'être au monde, ce qui renvoie au façonnement du sujet. Or le
façonnement d'un sujet se fait toujours à l'intérieur
d'une société, d'une communauté : d'où ce
modèle communautarien de l'éthique dont on voit
l'intérêt pour le soutien des libertés fragiles de la
post-modernité.385(*) L'éthos communautaire
chrétien est nécessaire pour former l'identité des
chrétiens et pour se positionner face à une pluralité des
références éthiques dans la société.
Toutefois ce modèle a aussi des limites : l'oubli que
le sujet post-moderne appartient de fait à une pluralité de
sphères de vie et jamais à une seule communauté ; d'autre
part, le risque de repli identitaire de l'Eglise, alors que l'enjeu de la
réflexion sur les rapports foi et éthique est
précisément la possibilité de prendre place dans le
débat public.
En conclusion, des chantiers sur la place de la
théologie morale dans une société laïque et
pluraliste sont à poursuivre :
- Tenir à la fois que l'exigence éthique est
rationnelle et universelle, mais que cet universel ne peut se vivre qu'au sein
d'une particularité. Cela appelle d'une part, à souligner que
dans la particularité chrétienne il y a un appel à
l'universel et, d'autre part à poursuivre le débat sur le concept
de loi naturelle qui est le soubassement des actes intrinsèques.
- Dans une société post-moderne, la constitution
d'un sujet moral chrétien et la possibilité d'un agir conforme
à l'Evangile font appel à tous les éléments
constitutifs d'un éthos chrétien : continuer à penser le
rôle des communautés de foi dans la construction des sujets moraux
est primordial dans le contexte contemporain.
Conclusion du chapitre
Nous vivons dans un temps ou les Chrétiens et
païens pensent que ce qui est légal est légitimement
chrétien. Pas étonnant que le monde ait légalisé
l'homosexualité, la contraception et l'avortement et d'autres choses de
ce genre. Pour nos contemporains, la légalité est la
moralité. Si ce n'est pas illégal, c'est moral, ils supposent.
Ainsi, le libéralisme qui caractérise notre société
actuelle et qui suscite généralement la diarrhée
législative et la tyrannie des régimes politiques. Et c'est un
lieu commun de constater que les libéraux veulent toujours plus
d'État et de bureaucratie pour réglementer, taxer et endoctriner
la population. La foi en l'autorité ultime de l'homme aboutit à
l'esclavage absolu sous une tyrannie humaine. Ce fait se caractérise par
la perte du sens du péché et le refus de l'absolu.
Dans ce contexte, faut-il régler notre action en
fonction des principes, ou ne songer qu'aux conséquences de nos actes ?
En fait, la moralité n'est pas la qualification
extrinsèque d'un objet dont on pourrait dire qu'il est moral, mais la
réalisation effective, dans le monde, de ce qui est moral. La
moralité désigne donc la substantification de la morale
dans le monde, c'est-à-dire son accomplissement par le moyen des
actions, volontés ou institutions qui la mettent en oeuvre. On peut
ainsi parler de la moralité d'une personne, d'un acte ou d'une
volonté, dans la mesure où cette personne, cet acte ou cette
volonté réalisent chacun à leur manière une
idée de la morale. La moralité s'incarne alors dans le monde par
l'ensemble de nos droits, devoirs ou lois, en tant qu'ils ont pour but de
réaliser dans le monde un principe d'ordre moral tel que la
dignité, la liberté, la justice. Se demander si la
réalité est utile à la vie sociale peut paraître
alors relativement superflu, dans la mesure où il paraît
évident que nos rapports avec les autres sont soumis, dans la
réalité, à des principes d'ordre moral
révélés par nos droits et devoirs.
Dans ce sens, on ne peut pas dire qu'il existe une
liberté sans loi car il y a toujours la loi de la nature. En effet,
l'homme ne peut pas échapper à sa condition de mortel qu'il soit
seul sur une île déserte sans aucune contrainte ou qu'il soit
citoyen d'une société régie par un système
législatif. La mort, par exemple, est inévitable et constitue la
fatalité de la vie et une limite à la liberté de
chacun.
CONCLUSION GENERALE
Notre effort durant cet exercice épistémologique
a consisté à élucider la question des actes
intrinsèquement mauvais selon la conception morale de B. Häring.
Nous avons abordé le sujet de façon quadripartite : d'abord
nous avons replacé la question dans le cadre historique en parcourant
les différentes périodes de l'histoire de l'église. Avant
Vatican II, nous avons analysé la question morale de la moralité
intrinsèque des actes chez les pères de l'Eglise où nous
avons mis un accent particulier sur Saint Augustin ; puis nous avons
concerté la question à la période scolastique en mettant
en exergue la position de certains éminents théologiens comme
Abélard, saint Bernard, Pierre Lombard, Thomas d'Aquin... Nous avons
fini le parcours de cette période par les néoscolastique
où nous avons vu les germes de l'éclosion de certaines doctrines
morale comme le probabilisme, le conséquentialisme, le rigorisme...
Au deuxième chapitre, nous avons focalisé notre
attention sur certains documents essentiellement du magistère en
essayant de faire ressortir la doctrine de l'Eglise sur cette question. Il
s'agit entre autres des encycliques Humanae vitae et Veritatis
splendor et de l'exhortation Réconciliation et
Pénitence qui ont été précédé
par la Constitution Gaudium et Spes et le Catéchisme de
l'Eglise Catholique qui ont aussi abordé la question des actes
intrinsèquement mauvais. Ce parcours historique nous a permis de
comprendre le contexte socio-historique de la question des actes
intrinsèquement mauvais.
Au troisième chapitre, nous avons tenté de
positionner B. Haring, d'abord dans le vaste mouvement du renouveau de la
théologie en indiquant le rôle qu'il a joué au Concile,
ensuite en faisant ressortir sa doctrine sur les questions essentielles de la
théologie morale telle, la loi naturelle, la régulation des
naissances, qui sont sous-jacentes à sa définition des actes
intrinsèquement mauvais.
Comment parler aujourd'hui des actes intrinsèquement
mauvais dans un monde moderne sécularisé ou le
péché n'existe plus ? Tel a été notre effort
au quatrième chapitre. Ici, nous avons tenté de voir dans quelle
mesure une conciliation est possible entre les différentes tendances
morales qui soutiennent tantôt l'objectivisme, tantôt le
subjectivisme ou le relativisme. Alors, que retenir au terme de ce
travail ?
Dans le territoire des questions morales, l'entreprise de
rénovation de la pensée et du discours pose de nombreux
défis qui font appel à une capacité critique parfois
déstabilisante par rapport à la structure des raisonnements
théologiques qui ont servi de références dans les derniers
siècles. Pour Häring, homme de foi profondément
attaché à la Parole de Dieu, le renouveau commande qu'on respecte
des valeurs immuables tirées du trésor de l'Ecriture Sainte et de
la Tradition de l'Église du Christ. Cependant, le renouveau n'est pas le
simple retour aux formes antérieures rigidement
interprétées et appliquées, mais il oblige à
traduire ces références fondamentales en termes signifiants
pouvant rendre compte de la réalité du monde
déterminé par la culture et la vie sociale de notre
époque. D'où la tension qui sera au coeur de sa contribution de
théologien de la morale, et qui est celle de l'Eglise de Vatican II :
comment être à la fois radicalement fidèle à la
Pensée de Dieu exprimée dans les Ecritures et la Tradition, et
être ouvert et sensible aux difficultés, aux angoisses, aux
quêtes de sens de notre monde contemporain, dans un contexte de rapide
progrès et de bouleversements des certitudes traditionnelles ? Comment
éviter le piège des dogmatismes éthiques, avec
liberté et esprit critique, et demeurer en même temps
attaché aux acquis indiscutables de la révélation et de la
vie chrétienne.
Partant, la théologie morale se doit d'être aussi
une herméneutique de l'expérience contemporaine de l'agir humain.
Toute analyse de la situation d'une action, qu'il s'agisse de la
délibération en vue de la décision ou de
l'opération réflexive qui vise à en juger la
moralité, se doit de prendre en compte différents aspects de
l'action : linguistiques, sémantiques, symboliques et éthiques.
C'est au coeur d'un éthos culturel donné, au sein d'un
enchaînement narratif à reconstruire et dans une durée
déterminée que l'action se laisse saisir dans sa
singularité, et non dans l'acte isolé dont la définition
objective et traditionnelle (l'homicide, le vol, l'adultère) n'est qu'un
repère, certes nécessaire, mais insuffisant. Cette
herméneutique de l'expérience n'est pas seulement indispensable
au jugement concret de l'action, elle est également source de nouveaux
enseignements et de nouvelles convictions morales. La vie et l'action humaines
sont comme des textes qui s'offrent à l'interprétation et
où se laissent percevoir des compréhensions, des valeurs et des
visions du monde nouvelles, elles-mêmes surgies de situations jusqu'alors
inédites. La Bible et la tradition ecclésiale ne disent rien
directement sur la manière dont une équipe médicale doit
affecter ses ressources et son temps entre les différents types de
malades dont elle a la charge, ni sur la manière dont un responsable du
personnel d'une entreprise en difficulté doit gérer la
réduction des effectifs. Et cela n'est pas seulement vrai pour les cas
où la technique nous place devant des choix nouveaux, et où
l'expertise et la compétence scientifique donnent au jugement une
autorité insubstituable.
Pour terminer, il sied de souligner que la
responsabilité subjective ne peut pas annuler la moralité
objective de l'agir éthique; en fait, elle s'applique à
concrétiser les principes d'action par un comportement librement
assumé. Cette liberté ne s'affranchit pas du commandement ou de
la norme, elle ne conteste pas la volonté de Dieu ; mais l'acte
d'obéissance, accompli dans la foi et dans l'amour, doit lui-même
être libre dans le Christ, intériorisé, issu d'une
démarche spirituelle où l'Esprit vient au secours de l'esprit
(cf. Rom 8, 16). En un sens, dans l'appréciation de la
responsabilité subjective de l'homme face à l'action, il faut
tenir compte de la fragilité de l'être et, en l'occurrence, de la
possibilité négative de la liberté. L'homme est
tenté de rompre cette harmonie avec la liberté quand il veut
décider par lui-même de ce qui est bien et de ce qui est mal. Au
plan éthique, il y un autre élément significatif qui
devient partenaire sur le fondement complexe qui qualifient la liberté:
la conscience.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
0. DOCUMENTS DU MAGISTÈRE.
- Les Actes du Concile Tomes I-II-III, Paris, Les
Éditions du Cerf, 1966, 789 p.
- BENOIT XVI, Discours aux participants du Congrès
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Générale de l'Académie Pontificale pour la Vie :
« L'embryon humain dans la phase de la préimplantation » (27
février 2006), dans AAS 98 (2006), 264 ; L'Osservatore
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- Quelle morale pour l'Église ?, Paris, Cerf,
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2. OUVRAGES
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- ID, Personne et acte, Paris, Centurion, 1983, 344
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3. ARTICLES
- AUBERT, Jean Marie, « Pour une herméneutique du
droit naturel », dans Recherches de sciences religieuses,
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297-306.
- CHAPELLE Albert, « La formation théologique du
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- DELHAYE Philippe, «Conscience et autorité
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- DORÉ Joseph, « De la responsabilité des
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- DUPUY Maurice, « La doctrine de la conscience de saint
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- LACOSTE, Jean-Yves, « Vérité et
liberté sur la philosophie de la personne chez Karol Wojtyla »,
dans Revue Thomiste, 1981 pp. 586-614.
- Mc CORMICK, A. Richard, « Morality and Magisterium
», in Theological Studies, 29, 1968, p.707-718.
- MÉDEVIELLE, Geneviève, « Arrivé
après la bataille », dans Le Supplément, n°
200, 1997, p.107-123.
TABLE DES MATIERES
DEDICACE
1
AVANT-PROPOS
2
SIGLES ET ABREVIATIONS
3
0. INTRODUCTION GENERALE
4
0.1. Problématique
4
0.2. Choix et intérêt du
sujet
6
0.3 Méthodologie du travail
8
0.4 Division du travail
8
CHAPITRE PREMIER :
10
LA THEORIE DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS
10
I.0. Introduction
10
I.1. Morale et spiritualité chez les
pères de l'Eglise.
11
I.1.1. Saint Augustin et le problème du
mal
14
I.2. La question des actes intrinsèquement
mauvais chez les scolastique
18
I.2.1. Le primat de l'intention chez Pierre
Abélard
19
I.2.2. La stabilité des préceptes
moraux chez Saint Bernard
21
I.2.3. Equilibrage scolastique entre l'intention et
l'acte chez Pierre Lombard
22
I.2.4 L'analyse classique de l'agir moral chez
Thomas d'Aquin
24
I.2.5. La mise en cause de la moralité
intrinsèque par Ockham et le nominalisme
27
I.2.6. L'école de Salamanque
32
I.2.7. François Suarez
34
I.2.8. La systématisation éthique du
proportionnalisme
35
I.2.9. L'utilitarisme
37
Conclusion du chapitre
41
CHAPITRE DEUXIEME :
44
LA DOCTRINE DE L'EGLISE SUR LA QUESTION DES ACTES
INTRINSEQUEMENT MAUVAIS
44
II.0. Introduction
44
II.1. Le Concile Vatican II et la théologie
morale
45
II.2. La conscience morale et les actes
intrinsèquement mauvais selon Gaudium et Spes
49
II.3. Réconciliation et
pénitence : réaffirmation de la doctrine catholique des
actes intrinsèquement mauvais
53
II.4. Le catéchisme de l'Eglise
catholique
57
II.5. Veritatis Splendor :
nouveau dogme sur le mal intrinsèque
59
II.5.1. Le contexte de publication de veritatis
Splendor
59
II.5.2. Présentation de Veritatis
Splendor
61
II.5.3. Analyse
63
II.5.4. Lecture critique de Veritatis Splendor
67
II.6. Humanae Vitae : paradigme de la
théorie des actes intrinsèquement mauvais
71
II.6.1. Présentation historique
71
II.6.2. Analyse
72
Conclusion du chapitre
78
CHAPITRE TROISIEME :
79
RECEPTION ET CONTOURS DE LA QUESTION DE LA MORALITE
DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS CHEZ B. HÄRING
79
III.0. Introduction
79
III.1. Bernard Häring : formation et
parcours
81
III.1.1. Cursus académique
81
a. L'École de Tübingen
81
b. L'influence de la phénoménologie
sur la théologie de Häring
83
c. L'éthique schélérienne et
son impact sur Häring.
85
d. L'influence d'Alphonse de Liguori
88
e. L'influence de Thomas d'Aquin
89
III.1.2. Bernard Häring et le Concile Vatican
II
91
a. Häring au coeur des tensions du
renouveau conciliaire
91
b. L'éthique conjugale dans les
débats conciliaires
95
c. La question de la morale conjugale après
le Concile : Häring entre fidélité et
liberté
98
III.2.1. L'objet dans l'appréciation morale
d'un acte selon Häring
105
III.2.2 La bonté ou la malice de
l'intention, moralité de surcroît
110
III.2.3. Les actes intrinsèques
112
III.2.4. L'application des préceptes
universels, immuables et négatifs
116
III.3. Conscience, fidélité et
liberté chez B. Häring
118
III.3.1. Une conscience spécifiquement
chrétienne
120
III.3.2. La prudence et le discernement : les
vertus de la conscience morale chrétienne
122
III.3.3. La réciprocité de
consciences : l'interpellation de l'autre
123
Conclusion du chapitre
126
CHAPITRE QUATRIEME :
127
LA MORALITE DES ACTES INTRINSEQUES : ACTUALITE
DE LA QUESTION ET ESSAI DE CONTEXTUALISATION
127
IV. 0. Introduction
127
IV.1. Actualité de la question : perte
du sens du péché
128
IV.2. Essai de contextualisation de la question des
actes intrinsèquement mauvais en Afrique
131
IV.2.1. La situation socio-éthique de
l'Afrique
131
IV.2.2. La réalité du
péché en Afrique
132
IV.2.3. Le sens de la vie en Afrique
136
IV.3. Perspective d'avenir : La
moralité intrinsèque des actes comme chantier de la
théologie morale
148
Conclusion du chapitre
152
CONCLUSION GENERALE
153
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
156
1. DOCUMENTS DU MAGISTÈRE.
156
2. ECRITS DE BERNARD HARING
156
3. OUVRAGES
157
4. ARTICLES
160
TABLE DES MATIERES
162
* 1 Catéchisme de
L'Eglise Catholique. Paris, Racine/Fidélité, 1998,
n°1761.
* 2Cfr. S. PINCKAERS,
« La structure de l'acte humain suivant Saint
Thomas », 55 (1955), p. 393-412 et IDEM, « La question
des actes intrinsèquement mauvais », dans Revue
Théologique 84 (1984), p. 618-624.
* 3 L'encyclique Humanae
Vitae paraît marquer un recul par rapport aux perspectives ouvertes
par le Concile Vatican II en morale. Sa référence à un
concept ambigu de loi naturelle et l'interdiction de la contraception dite
artificielle, acte intrinsèquement illicite ne semblent pas
prendre en compte les personnes adéquatement considérées
dans leur contexte historique et relationnel. Lire PAUL VI, Humanae
vitae (Encyclique sur le mariage et la régulation des naissances),
dans Actae Apostolicae Sedes, désormais AAS, 60,
1968.
* 4 Jean Paul II,
Veritatis Splendor (Encyclique sur quelques questions fondamentales de
l'enseignement moral de l'Eglise), dans Documentation Catholique
désormais DC, 85, 1993.
* 5 B. HÄRING, La
Théologie morale. Idées maîtresses. Paris, Cerf, 1992,
p. 14.
* 6 S. PINCKAERS, Le
renouveau de la morale. Etudes pour une morale fidèle à ses
sources et à sa mission présente. Paris, Téqui, 1979,
p. 9.
* 7 Cfr. S. PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. La question des actes intrinsèquement
mauvais. Histoire et discussion. Fribourg-Paris, Editions universitaires,
1986, p. 20.
* 8 Cfr. S. PINCKAERS, Le
renouveau de la morale. Op. cit., p. 17.
* 9 B.HARING, Op.cit,
p. 20.
* 10 Dans la préface
du livre, La théologie morale. Idées maîtresses,
François VIAL affirme : « B. Häring est sans
doute l'un des mieux placés pour décrire ainsi, de manière
claire et chaleureuse, l'architecture d'une morale chrétienne qui
retrouve ses véritables appuis traditionnels et, donc,
rénovateurs ». Lire B. HÄRING, Op. cit, p.
15.
* 11 Cfr. S. PINCKAERS, Le
renouveau de la morale. Op. cit., p. 3.
* 12 S. PINCKAERS, Ce qu'on
ne peut jamais faire. Op. cit., p. 21.
* 13 La scolastique est la
philosophie développée et enseignée au Moyen Âge
dans les universités : elle vise à concilier l'apport de la
philosophie grecque (particulièrement l'enseignement d'Aristote et des
péripatéticiens) avec la théologie chrétienne
héritée des Pères de l'Église et d'Anselme. La
définition précise de son contenu reste cependant
problématique. Lors de la Réforme protestante au XVIe
siècle, la scolastique sera accusée d'avoir ruiné la
doctrine chrétienne en établissant la prépondérance
de la philosophie antique. Cfr. A. BOUREAU, Pour un usage analytique de la
scolastique médiévale. Paris, Verdier, 2011.
* 14 Cfr. Ibid., p.
122.
* 15 Cfr. Ibid., p. 125.
* 16 Cfr. F. BLAISE,
«L'enseignement moral chez les Pères de l'Eglise », dans
S. PINCKAERS (dir) La morale catholique. Paris, Cerf, 1991, p.
23-29
* 17 S. PINCKAERS, Les
sources de la morale chrétienne, Fribourg. Fides, 2007, p.
204-209.
* 18 Cfr. Ibidem.
* 19 B. HARING, La loi du
Christ. Théologie morale à l'intention des prêtres et des
laïcs. Tome I. Théologie morale générale.
Tournai, Desclée & Cie, 1957, p. 49.
* 20 Cfr. Ibid. p.
50.
* 21 Pendant les premiers
siècles de son développement, la doctrine chrétienne sur
la sexualité subira une triple influence. Celle des philosophies
stoïcienne puis néoplatonicienne, qui se méfient de
l'emprise du désir et du plaisir sur la volonté humaine, et qui
entraineront pour part un raidissement moral au sein de l'Empire romain
à partir du IIIe siècle. Celle d'un durcissement puritain et
antiféministe du judaïsme rabbinique. Et enfin celle de la gnose
orientale. Le christianisme des premiers siècles marque cependant une
forte inflexion par rapport au stoïcisme et au judaïsme dans le sens
d'un renoncement à la chair (assimilée au
péché), tendance qui ne sera pas unanime et sera toujours
débattu au sein même du mouvement chrétien. Un fort courant
va prôner la continence, inspiré à la fois par le
caractère apocalyptique (ou eschatologie) du message chrétien
(l'arrivée du royaume de Dieu étant imminent) et le souci de
marquer la différence avec les interdits sexuels codifiés du
judaïsme. Cet ascétisme (ou encratisme), marquera également
la secte juive puritaine des Esséniens, et le manichéisme. Dans
le christianisme ce courant sera représenté par les Pères
de l'église Tertullien, Tatien, Jérôme, Origène,
Grégoire de Nysse, et culminera au IVe siècle avec les
pères du désert précurseurs du monachisme. Ce mouvement
conduira jusqu'à des castrations volontaires (le cas le plus
célèbre étant Origène vers 206). Mais
Clément d'Alexandrie qui inspiré par le stoïcisme, associe
pourtant déjà la sexualité et le mal, condamne
l'homosexualité et exalte la continence, promeut une sexualité
monogame et procréatrice, mais sans dénigrement du corps et du
plaisir. Ce sera également le cas de Jean Chrysostome défenseur
du mariage, de l'amour conjugal et de la famille. D'une façon
générale les évêques seront plus proches de cette
position que les théologiens tenants de l'ascétisme. Cfr. P.
BROWN, Le renoncement de la chair. Virginité, célibat et
continence dans le christianisme primitif. Paris, Gallimard, 1995.
* 22 B. LOYSE,
L'homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible.
Genève, Labor et Fides, 2005, p. 42.
* 23 TERTULLIEN, De
idolatria, cité par B. LOYSE, Op. cit., p. 45.
* 24 Cfr. Uta RANKE-HEINEMANN,
Des Eunuques pour le royaume des cieux. L'Église catholique et la
sexualité. Paris, Robert Laffont, 1990, p. 108.
* 25 Cfr. Ibidem.
* 26 Cfr. JEAN-PAUL II,
Homme et femme il les créa : Une spiritualité du corps.
Paris, Cerf, 2004, p. 34.
* 27 Cfr. Ibidem.
* 28 Cfr. Ibidem.
* 29 E. PRZYWARA, Augustin
: Passions et destins de l'Occident, Paris, Cerf, 1987
* 30 Cfr. Ibid.
* 31 La doctrine cathare,
considérait l'univers comme la création d'un dieu ambivalent, le
monde matériel procédant d'un mauvais principe offrant tentations
et corruption, tandis que le paradis procède d'un bon principe offrant
rédemption et élévation spirituelle. Le corps humain est
considéré comme la prison matérielle des âmes
d'anges précipités sur terre lors d'une bataille entre les deux
démiurges, bon et mauvais.
* 32 La critique de S.
Augustin affirme que les manichéens sont obligés de rendre un
culte envers Baal, qui représente le Mal, c'est-à-dire Satan.
L'argument contre les manichéens est le suivant: « Les
manichéens posent deux substances opposées, le Bien et le Mal, et
les font se combattre. Or, si Dieu est incorruptible (au sens
métaphysique du terme, pur de tout mélange, et incapable
d'être mêlé à une autre substance), le Mal n'a aucun
moyen de le combattre. Donc, soit les Manichéens conçoivent que
Dieu est imparfait (ce qui va contre la définition de Dieu), soit Dieu
est bien incorruptible pour les manichéens, mais il a alors
engagé de lui-même un combat gagné d'avance contre le Mal.
Que Dieu soit l'auteur d'une agression gratuite est aussi inacceptable que son
imperfection. La conclusion est que le manichéisme est inapte à
donner une bonne conception de Dieu. » Cfr. S. Augustin, Les
Confessions. Livre VII, chapitre 3.
* 33 Cfr. G. BOISSIER, La
Fin du paganisme. Étude sur les dernières luttes religieuses en
Occident au quatrième siècle. Vol II. Paris,
Hachette, 1981, p. 48.
* 34 Cfr. Ibid., p.
50.
* 35 Cfr. Ibid, p.
51.
* 36 Cfr. Ibidem.
* 37 Cfr. H.-I. MARROU,
Saint Augustin et la fin de la culture antique. Paris, De Boccard,
1983, p. 23.
* 38 Ibid., p. 25.
* 39 Cfr. Ibidem.
* 40 AUGUSTIN, La
Cité de Dieu, XIV, 15, 16, cité par G. BOISSIER, Op. cit.,
p. 65.
* 41 Dans le De nuptiis
et concupiscencia, (16, 5) il y a un passage qui se rapporte directement
à la contraception, et c'est l'unique passage de St Augustin ayant trait
aux contraceptifs artificiels: « Quelquefois même cette
cruauté voluptueuse, ou cette cruelle volupté, va jusqu'à
demander au poison les moyens de demeurer stérile (sterilitatis venena)
et, s'ils ne peuvent y parvenir de la sorte, jusqu'à étouffer,
comme ils le peuvent, dans le sein même de la mère, le fruit
déjà conçu. Non, de tels parents ne sont pas des
époux, et si dès le principe ils ont agi de la sorte, leur union
n'a jamais été un mariage, mais plutôt un commerce
d'infamie et de débauche ».
* 42 La pensée de
Mani sur la sexualité reposait sur sa théologie. L'enseignement
de Mani aurait semblé assez proche de l'enseignement chrétien sur
la virginité et la continence, n'eut été
l'ambiguïté apportée par le mythe manichéen.
Virginité et continence peuvent exprimer une recherche de pureté
mais aussi exprimer l'hostilité envers toute procréation, en tant
que perpétuation de l'emprisonnement de la lumière. En fait, le
coeur de l'enseignement manichéen était son opposition à
la procréation. Le système manichéen
répétait le système gnostique: théorie dualiste de
la création, ascétisme réel ou feint, haine de la
procréation. Cfr. Michel Tardieu, Le Manichéisme, PUF,
Que sais-je ?, 1981
* 43 Cfr. AUGUSTIN, De Bono
coniugali III, 3.
* 44 Ibid., XXIV,
9.
* 45 Cfr. Ibidem.
* 46 AUGUSTIN, De
adulterinis conjugiis, livre 2, n° 12 ; cf. Gen 38, 8-10.
* 47 Cfr. Ibidem.
* 48 AUGUSTIN, De
nuptiis et concupiscencia, 18, 1.
* 49 Ibidem.
* 50 G. BOISSIER, Op.
cit., p. 89.
* 51 Cfr. Cfr. M. CLANCHY,
Abélard. Grandes biographies. Paris, Flammarion, 2000, p.
12-19.
* 52 Cfr. Ibidem.
* 53 C. GIASSON, « Les
Confessions de saint Augustin et l'avènement de la subjectivité
», dans La petite revue de philosophie, 10 (1988), p. 45-64.
* 54 Cfr. C. VOGEL, Le
pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, 1969, p.
90.
* 55 Cfr. M. GANDILLAC,
OEuvres choisies d'Abélard. Paris, 1945, p. 127
* 56 Cfr. Ibidem.
* 57 Cfr. Ibidem.
* 58 Cfr. Ibidem.
* 59 Cfr. S. PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 28.
* 60 Ibidem.
* 61 Cfr. Ibidem.
* 62 Cfr. Ibidem.
* 63 P. AUBE, Saint
Bernard de Clairvaux. Paris, Fayard, 2003, p. 87.
* 64 Cfr. Ibidem.
* 65 Cfr. Ibidem.
* 66 Cfr. S. PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 33.
* 67 Cfr. Ibidem.
* 68 Cfr. Ibid., p.
33.
* 69 Ph. DELHAYE, Pierre
Lombard, sa vie, son oeuvre. Paris-Montréal, Seuil-Fides, 1961, p.
203.
* 70 Cfr. Ibidem.
* 71 Cfr. P. LOMBARD, Les
Quatre livres des sentences. Traduit et commenté par Marc OZILOU.
Paris, Cerf, Sagesses chrétiennes, 2012.
* 72 Cfr. Ibidem.
* 73 Cfr. S. PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 36.
* 74 Cfr. Ibidem.
* 75 Cfr. Ibidem.
* 76 Ibid, p. 37.
* 77 Cfr. Ibidem.
* 78 M.-D. CHENU,
Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin,
Introduction méthodologique et historique menée par le biais
d'une étude des méthodes scolastiques du XIIIe
siècle. Paris, Vrin, 2001, p. 54.
* 79 Selon Pinckaers,
l'unité de la Somme s'explique brièvement de cette façon:
«Dieu ayant fait l'homme à son image par la maîtrise de ses
actes dont il a doté grâce à sa liberté, la morale
qui établit les règles de l'agir humain, prend place entre la
Première Partie de la théologie qui étudie Dieu,
Père, Fils et Esprit Saint, ainsi que ses oeuvres dans la
création et la Providence, parmi lesquelles émerge l'homme avec
son désir naturel de voir Dieu et avec son péché, et la
troisième partie de la Somme, qui traite du Christ comme
Rédempteur de la faute et la voie du retour de l'homme vers Dieu, avec
la grâce donnée par les sacrements». Lire S. PINCKAERS, La
morale catholique, Op. cit., p. 33.
* 80 Cfr. Lire S. PINCKAERS, La
morale catholique, Op. cit., p. 36.
* 81 Cfr. Ibid. p.
40.
* 82 Cfr. Ibid. p.
42.
* 83 Cfr.
Ibidem.
* 84 Cfr. S PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 86.
* 85 Cfr. Ibidem.
* 86 Cfr. S. PINCKAERS,
« Le rôle de la fin dans l'action morale selon saint Thomas d'Aquin
», dans Le Renouveau de la morale, Études pour une
morale fidèle à ses sources et à sa mission
présente, «Cahiers de l'actualité religieuse,
19 », Tournai, Casterman, 1964, p. 114-141.
* 87 Cfr. Ibidem.
* 88 Cfr. Ibidem.
* 89 Cfr. Ibidem
* 90 Cfr. Ibidem.
* 91 Cfr. Ibidem.
* 92 Ockham est le nom de sa
ville d'origine au sud-ouest de Londres, parfois francisée Occam. Les
deux écritures sont donc correctes, la forme Ockham étant
toutefois préférée.
* 93 B. JOËl,
Guillaume d'Ockham et la théologie, Paris, Cerf, 1999, p.
120.
* 94 Le nominalisme est une
doctrine logique, philosophique et théologique qui a vu le jour au sein
de la scolastique médiévale. Son fondateur est Roscelin. On
utilise aussi le mot occamisme pour désigner le nominalisme de Guillaume
d'Occam, principal représentant de cette école dans la
scolastique tardive. Le nominalisme est une des réponses possibles au
problème des universaux qui trouve sa source antique dans les
Catégories d'Aristote. Le mot de nominalisme, d'abord
réservé à la désignation des doctrines du Moyen
âge qui résolvaient d'une manière négative le
problème de l'existence séparée des idées
générales, s'applique maintenant à des systèmes
aussi différents que ceux d'Aristote, de Guillaume d'Occam, de Spinoza
et de Stuart Mill, Quine. Lire, J. VERGER, « Nominalisme »
in Dictionnaire encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf,
1997 p. 1081. Alain DE LIBERA, La querelle des universaux. Paris,
Seuil, 1998. P. VIGNAUX, Nominalisme au XIVe siècle. Paris,
Vrin, 2004.
* 95 Cfr. Ibidem.
* 96 Cfr. J. VERGER,
« Nominalisme » in Dictionnaire encyclopédique
du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997, p. 1081.
* 97 Cfr. Ibidem.
* 98 Cfr. S. PINCKAERS, Les
sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 256.
* 99 Ibidem.
* 100 A propos de cette
question de la liberté, le professeur Sébastien MUYENGO donne une
approche intéressante où il fait intervenir la notion de
responsabilité : « La véritable liberté
implique la responsabilité, c'est-à-dire, la capacité de
répondre de ses actes dans la mesure où ils sont volontaires. Il
y a ainsi des facteurs qui diminuent l'imputabilité et la
responsabilité d'une action : l'ignorance, l'inadvertance, la violence,
la crainte, les habitudes, les affections immodérées et tant
d'autres facteurs philosophiques et sociaux. Il convient de souligner fortement
le rapport entre volonté et responsabilité : tout acte
directement voulu est imputable à son auteur. Exemples : le meurtre
d'Abel par son frère Caïn et d'Urie par David... Lire S. MUYENGO,
Morale fondamentale. Inédit, p. 36-39.
* 101 Cfr. S. PINCKAERS,
Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 42.
* 102 Cfr. Ibidem.
* 103 Cfr. S. PINCKAERS,
Les sources de la morale chrétienne. Op. cit., p.
257.
* 104 Cfr. S. PINCKAERS,
Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 45.
* 105 Cfr. Ibidem.
* 106 Cfr. Ibidem.
* 107 Ibidem, p.
47.
* 108 Cfr. Ibidem.
* 109 P. DESROCHERS
« Catholiques et apôtres du libre marché »,
dans le Québécois libre n°27, déc. 1998,
p.23-27.
* 110 Cfr. Ibidem.
* 111 Cfr.
Ibidem.
* 112 Cfr. P. MADIGAN,
commentaire du livre d'André Azevedo Alves et José Moreira, "The
Salamanca School" (Major Conservative and Libertarian Thinkers), Heythrop
Journal, 52 (1), 2011, p. 133.
* 113Cfr. Ibidem.
* 114 S. PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. Op. Cit., p. 47.
* 115 Cfr. Ibidem.
* 116 Cfr. Ibidem.
* 117 J.-P. COUJOU
Suárez et la refondation de la métaphysique comme
ontologie. Paris, Peeters, 1999, p. 101.
* 118 Cfr. Ibidem.
* 119 Commentaire sur la
Somme théologique de Thomas d'Aquin. Lire, S. PINCKAERS, Les
sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 260.
* 120 S. PINCKAERS, Ce
qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 49.
* 121 Cfr. Ibidem.
* 122 Cfr. Ibidem.
* 123 Cfr.
Ibidem.
* 124 C. FRANCISCO et
Fernandez SANCHEZ, « Principe et argument du moindre mal »,
in Conseil pontifical pour la famille, Lexique des termes ambigus et
controversés sur la famille, la vie et les questions
éthiques. Paris, Téqui, 2005, p. 871.
* 125 N. LAMOUREUX, Le
proportionnalisme, systématisation heureuse de l'éthique ?
Laval, Fides, 2001, p. 97.
* 126 Cfr. Ibidem.
* 127 Cfr. Ibid., p.
98.
* 128 Ibid., p.
99.
* 129 Ibidem.
* 130 S. Pinckaers, Notes
et appendices de S. Thomas d'Aquin, Les actes humains (Somme
théologique, Ia-IIae, qq. 6-17), vol. I. Paris, Éditions de La
Revue des jeunes-Cerf, 1971, p. 214.
* 131 Le
conséquentialisme fait partie des éthiques
téléologiques et constitue l'ensemble des théories morales
qui soutiennent que ce sont les conséquences d'une action donnée
qui doivent constituer la base de tout jugement moral de ladite action. Ainsi,
d'un point de vue conséquentialiste, une action moralement juste est une
action dont les conséquences sont bonnes. Plus formellement, le
conséquentialisme est le point de vue moral qui prend les
conséquences pour seul critère normatif. On oppose
généralement le conséquentialisme aux éthiques
déontologiques, lesquelles mettent l'accent sur le type d'action
plutôt que sur ses conséquences, et à l'éthique de
la vertu, laquelle se concentre sur le caractère et les motivations de
l'agent. Le terme "conséquentialisme" a été lancé
par G.E.M. Anscombe dans son essai Modern Moral Philosophy en 1958,
essai critique envers ce point de vue moral. Depuis lors, le terme a largement
investi la théorie morale anglophone.
* 132 Cfr. C. AUDARD,
Anthologie historique et critique de l'utilitarisme. Paris, PUF, 1999,
p. 73.
* 133 Ibidem
* 134 Cfr. Ibidem.
* 135 Cfr. Ibidem.
* 136Cfr. D. OWEN BRINK,
Moral Realism and the Foundation of Ethics. Cambridge (UK), Cambridge
University press, 2001, p. 132.
* 137 Cfr. Ibidem.
* 138 L. VEREECKE,
« L'histoire de la théologie morale », dans la
Revue d'éthique et de théologie morale. Le
Supplément, n° 203, décembre 1997, p. 117-138.
* 139 Cfr.
Ibidem.
* 140 Cfr. THOMAS D'AQUIN,
Somme Théologique, I-II, p. 106, a.4, c.
* 141 Cfr. J. VERGER,
« Nominalisme », dans Dictionnaire
encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997, p. 1081.
* 142 Cfr.
Ibidem.
* 143 Cfr. Ibidem.
* 144 Les systèmes
moraux de la casuistique sont les différentes théories
constituées par un ensemble de règles qui établissent
comment se référer ou non à la loi morale quand il existe
un doute sur l'obligation de la loi en situation concrète. Dominicains
et jésuites ont largement contribué à écrire
l'histoire de la casuistique.
* 145 L'initiateur du
premier système moral de la casuistique, le probabilisme, est
Barthélemy de MEDINA (1527-1580), dominicain de l'école de
Salamanque. Le premier jésuite probabiliste est Gabriel VASQUEZ
(1549-1604). Le probabilisme fut le "système moral" le plus
répandu. Il soutient qu'on peut choisir une conduite non conforme
à la loi s'il y a un certain degré de probabilité qu'elle
soit moralement acceptable ; et cela même s'il existe des arguments avec
une probabilité plus forte en faveur d'une autre conduite. La
probabilité peut être "intrinsèque", liée à
la force de l'argument ; ou "extrinsèque", liée au prestige de
l'autorité qui l'a énoncée. L'évolution du
probabilisme s'est faite vers l'extrinsécisme.
* 146 CONCILE OEUCUMENIQUE
VATICAN II, Constitution pastorale Gaudium et spes. Paris Seuil,
1967.
* 147 S. PINCKAERS,
« Le renouveau de la théologie morale », dans,
Vie intellectuelle 27 (octobre 1956), p.11
* 148 Ibidem.
* 149 Y.
CONGAR, « l'appel de Dieu », dans Le peuple de
Dieu dans l'itinéraire des hommes. Actes du 3e Congrès de
l'Apostolat des laïcs (Rome 11-18 octobre 1967), vol 1, Rome 1968 p.
103.
* 150 PH. BORDEYNE et L.
VILLEMIN (Dir), Vatican II et la théologie. Perspectives pour le
XXIe siècle. Paris, Cogitatio Fidei- Cerf, 2006, p. 43.
* 151 Vatican II,
Optatam Totius, n° 16
* 152 P. DELHAYE,
« L'apport de Vatican II à la théologie
morale », dans Concilium, 75, 1972, p. 64.
* 153 Vatican II,
Constitution Gaudium et Spes sur l'Eglise dans le monde
de ce temps, n° 16
* 154 E. GAZIAUX,
« Gaudium et Spes et la théologie morale fondamentale
aujourd'hui : quelles suggestions ? » dans Vatican II et la
théologie, Paris, Cerf, 2006, p. 211.
* 155 Cfr. J. RAWLS,
Théorie de la justice. Paris, Cerf, 1992.
* 156 S. CONGREGATIO PRO
DOCTRINA FIDEI, Normae pastorales circa absolutionem sacramentalem generali
modo impertiendam, dans AAS 64 (1973) 510-514
* 157 PAUL VI, Ecclesia
suam, Encyclique sur l'ecclésiologie, dans Documentation
catholique 1431 (6 Septembre 1964), col. 1058-1093.
* 158Cfr J. HONORE,
« Le catéchisme de l'Eglise catholique », dans
Nouvelle Revue Théologique, 115, 1993, p. 14.
* 159 Il convient de noter
que pour ce point nous nous inspirons largement de l'ouvrage, La morale
catholique (Cerf 1991), du Père Servais Th. Pinckaers, l'un des
principaux adversaires des nouveaux moralistes.
* 160 Selon ceux qui
soutiennent l'idée de l'autonomie de la morale, la morale constitue un
domaine de valeur irréductible. Il n'existe à l'extérieur
de la morale aucun point de vue d'où la raison peut nous amener à
une juste intelligence de la nature de la vie morale. Cette thèse est
développée non seulement contre la perspective
hobbésienne, mais aussi contre certains aspects centraux de la
pensée kantienne. Au lieu d'une morale de l'autonomie, c'est en effet
l'autonomie de la morale qu'il faut embrasser. Une telle conception exige
pourtant que l'on abandonne une des plus grandes idéologies
philosophiques de notre époque, à savoir l'image naturaliste du
monde. Lire, J. FUCHS, Existe-t-il une morale chrétienne ?
Paris, Duculot, 1973, p. 42.
* 161 Cfr. Congrégation
pour la Doctrine de la Foi, La vocation ecclésiale du
théologien (Donum veritatis), n° 29, La
Documentation Catholique, 2010, 15 juillet 1990, p. 698.
* 162 J. FUCHS, Op.
cit., p. 210.
* 163 J.DESCLOS, Op. cit.,
p. 122.
* 164 J. RATZINGER,
cité par J. DESCLOS, Op. cit., p. 139.
* 165 A ce propos le
professeur MUYENGO donne un éclaircissement important :
« La véritable liberté est ordonnée à la
vérité. La vraie liberté est une force de croissance et de
maturation non seulement dans la bonté, mais aussi dans la
vérité. Un homme libre accepte la vérité des
choses, des faits, c'est-à-dire que la vraie liberté doit se
soumettre à la vérité des choses, à la nature des
faits comme on dit, sans toutefois limiter l'inventivité, la
créativité de l'homme. Exemple : il est de la nature de l'homme
de se marier à une femme. On ne prétendra pas à la
liberté en dérogeant à cette loi. (cf. Ga 5, 13 : Que la
liberté ne donne pas prétexte à satisfaire la chair). L'on
comprend le rapport entre la loi naturelle et la raison. La loi naturelle
reçoit ainsi tout son caractère moral lorsqu'elle est comprise
comme la loi de la liberté en tant que loi de la raison. En effet,
« ordonner rationnellement l'acte humain vers le bien dans sa
vérité et rechercher volontairement ce bien,
appréhendé par la raison, cela constitue la moralité
». S. MUYENGO, Cours de Morale fondamentale G1. Inédit, p.
37.
* 166 J.DESCLOS, Op. cit.,
p. 129.
* 167 Cfr. Ibid., p.
99.
* 168 A ce propos, lire A.
CHAPELLE, « Les enjeux de Veritatis splendor », NRT 115
(1993), p. 801-817;
S. PINCKAERS, « Pour une lecture de Veritatis
splendor », dans Cahiers de l ' École
Cathédrale, 18, Paris, Mame, 1995; G. COTTIER, « L'encyclique
Veritatis splendor», dans Nova et Vetera (1994/1), p.1-13 ; et Y.
FLOUCAT, « Les fondements de la morale dans l'encyclique Veritatis
splendor », dans RT 96 (1996), p. 269-301.
* 169 R. McCormick «
Some Early Reactions to Veritatis splendor », in Theological
Studies 55 (1994), p. 481-506.
* 170 Cfr. Ibidem.
* 171 Pour les auteurs qui
soutiennent cette thèse, ces normes sont appelées normes de
comportement ou normes concrètes. À ce titre,
elles ne peuvent valoir semper et pro semper, puisqu' elles
n'interdisent qu'un comportement matériel, physique. Le seul moyen de
les considérer valables semper et pro semper est de les
regarder comme des tautologies, mais elles n'interdisent plus alors un
comportement matériel précis : elles sont simplement
parénétiques, c'est-à-dire exhortatives, rappelant
simplement la nécessité de toujours se situer par rapport
à certaines valeurs. Cfr. J. FUCHS, « Storicità e norma
morale », dans Ricercando la verità morale... , p. 80-101.
* 172 Cfr. Ibidem.
* 173 Ibidem.
* 174 Dans une
atmosphère de remise en cause de l'autorité établie, en
Amérique comme en Europe, l'encyclique apparut comme un refus pur et
simple de la contraception. L'encyclique souleva une opposition sans
précédent à l'intérieur même de
l'Église catholique dès sa parution. Paul VI était
allé à l'encontre même de l'avis de la commission
pontificale d'experts qu'il avait lui-même nommée et qui avait
préconisé l'inverse : en effet, sur les 72 membres de celle-ci,
la plupart étaient d'accord sur l'autorisation du recours à des
moyens artificiels de contraception à l'exception de six de ses membres.
Le cardinal Joseph Ratzinger notait en 1995 : Rarement un texte de
l'histoire récente du Magistère est devenu à ce point
signe de contradiction comme cette encyclique, que Paul VI a écrit
à partir d'une décision qui fut pour lui profondément
douloureuse. Dans ses mémoires, le cardinal français Roger
Etchegaray a parlé de schisme silencieux qui a fragilisé
l'autorité [papale]. Lire, M. SEVEGRAND, L'affaire Humanae
vitae, Paris, Karthala, 2008.
* 175 J.DESCLOS,
Resplendir de vraie liberté. Lectures de Veritatis Splendor.
Paris, médiaspaul, 1994, p. 175.
* 176 Les débats
entre proportionnalistes et déontologistes ont été
très bien résumés par: Olivier de DINECHIN,
« Catholicisme contemporain : la réflexion morale dans le
catholicisme contemporain », dans M. CANTO-SPERBER. (dir.),
Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale. Paris,
PUF, 2004 (4e édition), p. 275 ; et par Geneviève
MEDEVIELLE, Le bien et le mal. Paris, Editions de l'Atelier, 2004, p.
163-164.
* 177 Parmi les
représentants du courant proportionnaliste : aux Etats-Unis : Richard
McCORMICK, "Ambiguity in Moral Choice", in Doing Evil to Achieve Good, R. Mc
CORMICK and Paul RAMSEY (eds), Loyola University Press, Chicago, Illinois,
1978, pp 7-53. Le titre du recueil ainsi que le titre de l'article de Mc
CORMICK indiquent bien les problématiques auxquelles se sont
affrontés les proportionnalistes.
* 178 « Contraception:
le pape réitère sa condamnation », dans AFP, 3
octobre 2008, p. 11. « Benoît XVI rappelle le sens profond et
l'actualité de Humanae Vitae », ZENIT, 3 octobre
2008.
* 179 Ce que Bernard
Häring a appelé la parenthèse catholique,
c'est-à-dire la théologie des manuels, se manifestait entre
autres choses par une considération essentiellement juridique des actes
humains examinés sous l'angle des péchés et de la loi, et
par une quasi-absence de références à l'Écriture
(la seule citation qu'on y trouve est souvent celle des préceptes du
Décalogue : Ex 20, 2-17 et Dt 5, 6-21).
* 180 Bernhard Häring
est né à Böttingen, en Allemagne, en 1912 et est mort
à Gars-am-Inn, en 1998. Professeur de théologie morale pendant
plusieurs années à l'Académie Alphonsienne, à Rome,
il a aussi enseigné dans plusieurs institutions aux États-Unis,
en Afrique et en Amérique latine. Häring est
considéré comme un des architectes de la Constitution pastorale
Gaudium et spes. Parmi les nombreux ouvrages que compte sa
bibliographie, mentionnons : La morale après le Concile. Paris,
Desclée, 1967 ; Etica cristiana in un'epoca di
secolarizzazione. Rome, Éd. Paoline, 1972 ; La théologie
morale : idées maîtresses, Paris, Cerf, 1992.
* 181 B. HARING, La Loi
du Christ. Théologie morale à l'intention des
prêtres et des laïcs. Tome I. Théologie morale
générale. Tournais, Desclée et Cie, 1955. Tome II
Théologie morale spéciale. La vie en communion avec Dieu.
1957. Tome III. Théologie morale spéciale. La vie en
communion fraternelle. Tournai, Desclée&cie, 1959.
* 182 A. GESCHÉ,
Le sens (coll. Dieu pour penser). Paris, Cerf, 2003, p. 16.
* 183 B.HÄRING,
Libres dans le Christ, Vol. I. Paris, Cerf, 1998, p. 357.
* 184 Ibid., p.
334.
* 185 J.DELUMEAU,
Alphonse de Liguori, Pasteur et Docteur. Paris, Beauchesne, 1987, p.
6.
* 186 L'influence de
Scheler sur Häring ne peut être mise en rapport avec celle qu'il a
eue sur Karol Wojtyla, influence notamment perceptible dans son oeuvre
Personne et acte. A la différence de Häring qui en fait
une réappropriation davantage éthico-pastorale, Wojtyla y puise
une inspiration davantage eidético-cognitive. Lire J. DESCLOS, Op.
cit., p. 79.
* 187 B. HÄRING,
La théologie morale. Idées maîtresses, p. 16.
* 188 II est important de
noter que Häring, déjà en 1939 avait fait la connaissance de
son futur directeur de thèse. Ce fut « quasi » providentiel
pour Häring, mais pas pour Steinbiichel car il fut expulsé par les
nazis de sa cathedra de théologie morale de l'université de
Munich et vécut en clandestinité au monastère
Rédemptoriste à Gars am Inn. Ce fait regrettable a
constitué une occasion propice pour le futur académique et
intellectuel de Häring.
* 189 B. HÄRING, La
théologie morale. Idées maîtresses, Op. cit.,
p. 1.
* 190 B. HARING, Quelle
morale pour l'Église ? Op. cit., p. 9.
* 191 «Son
intérêt pour la religion remonte à ses études de
théologie au Stift de Tübingen, où il avait pour
condisciples Hôlderlin et Schelling. C'est là où il
découvrait que « la religion est une affaire des plus importantes
de notre vie». Lire, Jean GREISCH, La philosophie de la religion
devant le fait chrétien, p. 216. Dans, Introduction à
l'étude de la théologie, sous la direction de Joseph
Doré, Tome 1. Paris, Desclée, 1991.
* 192 G. KALINOWSKI, La
phénoménologie de l'homme chez Husserl, Ingarden et Scheler.
Brussels, Éditions Universitaires, 1991, p. 9.
* 193 Cfr. Ibid.,
p. 126.
* 194 La philosophie de la
religion est une discipline philosophique pratiquement aussi ancienne que la
philosophie elle-même. Elle n'est pas la critique philosophique de la
religion mais plutôt une méthodologie
épistémologique de la dimension religieuse des
phénomènes religieux.
* 195 B. HARING, Le
Sacré et le Bien. Paris, Fleurus, 1963, p. 40.
* 196 Cfr. Ibid., p.
10.
* 197 Ibid., p.
20.
* 198 Brian V. JOHNSTONE,
« Bernard Häring. An appréciation», dans Studia
Moralia, 36 (1998), p. 590.
* 199 Un an après
son élection, par l'encyclique Aeterni Patris (1879), il
réintroduit la philosophie et la théologie de saint Thomas comme
seule alternative contre l'apparente « faiblesse» de la philosophie
des Lumières qui se fondait sur la conviction que la raison humaine est
capable d'assurer un progrès illimité et le bonheur terrestre.
* 200 Cfr. G. LAFONT,
Structures et méthode dans la Somme Théologique de saint
Thomas. Paris, Cerf, 1996, p. 10.
* 201 Cfr. Ibidem.
* 202 M-D.CHENU. La
théologie comme source au XVIe siècle. Paris, Vrin, 1957, p.
13.
* 203 B. HARING, Libres
dans le Christ, Vol 1, Op. cit., p. 369.
* 204 Ibid., p.
370.
* 205 Ibid., p.
371.
* 206 Cfr. J. DAVID, Loi
naturelle et autorité de l'Église, Op. cit., p. 47.
* 207 Ibid., p. 43.
* 208 B. HARING, Libres
dans le Christ, Vol 1, Op. cit., p. 373-374.
* 209 C'est la date où
le Pape a rendu publique sa décision d'organiser le Concile.
* 210 Documentation
Catholique, 56 (1959), col. 907.
* 211 « La loi du
Christ va procurer au père Häring en quelques années une
réputation vraiment universelle. Elle devait lui valoir, à
côté d'une grande considération, les premières
suspicions ». Lire, G. MATHON, « un demi-siècle
d'histoire de la théologie morale catholique. Le père Bernard
Häring (1912-1998) », dans Esprit et Vie, n°6 18
mars 1999, p. 123.
* 212 Après
l'élection de Jean XXIII, la traduction espagnole de La loi du
Christ put enfin paraître et le pape qui adressa au
Général des Rédemptoristes une lettre dans laquelle il
exprimait sa très haute estime pour La Loi du Christ, envoyait
sa bénédiction et promettait de prier pour que beaucoup,
grâce à cet ouvrage, puissent déceler avec joie les
implications morales de la foi. Cfr. Ibid., p. 124.
* 213 Pendant la
période préconciliaire, le pouvoir réside dans la
Commission Théologique Préparatoire chargée
d'élaborer des textes de schémas, après une vaste
consultation. Cette consultation s'adresse en premier lieu aux futurs
Pères du concile, ensuite aux Dicastères ou Congrégations
du Vatican et aux Universités catholiques.
* 214 Vers les
années 1950 et jusqu'à la veille du concile Vatican II un courant
de pensée catholique apparu, la Nouvelle Théologie, parmi les
théologiens allemands et français en particulier. Il prône
un retour aux sources du christianisme, notamment à travers les
Pères de l'Église, et prend ses distances avec
l'hégémonie de la scolastique. La Nouvelle Théologie
exerça une influence déterminante non seulement sur le
déroulement de Vatican II mais aussi sur ses conséquences. La
Nouvelle Théologie suscita les inquiétudes du Vatican. En France,
un certain nombre de ces nouveaux théologiens, notamment les
Jésuites de Fourvière et les Dominicains du Saulchoir, se virent
interdits d'enseignement. Pie XII, qui craignait un retour de la crise
moderniste, critiqua la Nouvelle Théologie dans son encyclique
Humani Generis (1950).
* 215 P. d'ORNELLAS,
Liberté, que dis-tu de toi-même ? Vatican II 1959-1965, Op.,
cit., p. 404.
* 216 Ibid., p.
106.
* 217 Ibidem.
* 218 G. ALBERIGO
(éd.), Histoire du Concile Vatican II, Tome I. p, 276.
* 219 P. d'ORNELLAS,
Liberté, que dis-tu de toi-même ? Vatican II 1959-1965, Op.,
cit., p. 341.
* 220 J. DESCLOS,
Libérer la morale, p. 52.
* 221 P. DELHAYE, «Les
points forts de la théologie morale à Vatican II», dans
Studia Moralia, XXIV/1, 1986, p. 13.
* 222 J. SUENENS, «Aux
origines du Concile Vatican II», dans Nouvelle Revue
Théologique, 107 (1985), p. 3.
* 223 Ibidem
* 224 Cfr. V-L.HEYLEN,
« La dignité du mariage et de la famille », dans Gaudium
et spes. L'Église dans le monde de ce temps. Schéma XIII.
Commentaires. p. 169.
* 225 Le mot
Periti est une désignation d'ensemble pour les
théologiens, les spécialistes du droit canonique et d'autres
experts. Cfr G. De ROSA. «I periti conciliari : umile e féconda
collaborazione», In Osservatore Romano 104 (1964)21/22. XII, p.
18.
* 226 «... Ce
schéma est périlleux et nuisible », déclara-t-il.
« Je crains les periti et les annexes dont ils nous gratifient.
Déjà l'Église de Dieu a beaucoup souffert de certains
d'entre eux, entre les deux sessions. Ils sont peu, mais le bruit de leurs
paroles remplit toute la terre. On argue des encycliques. Ils répondent
qu'elles ne sont pas infaillibles. Contre ces periti là il ne
faut pas citer plus longtemps les documents pontificaux en matière de
foi. Il faut défendre l'autorité de l'Église enseignante,
car il est vain de parler du collège des évêques si les
periti par leurs articles, leurs livres et leurs discours, contredisent notre
doctrine, pour ne pas dire qu'ils la méprisent. L'infaillibilité
des periti n'est pas dogme de foi, du moins jusqu'ici ...Inutile de demander
conseil à ceux qui demeurent confinés avec la jeunesse dans les
maisons religieuses, les séminaires, ou les universités
d'études. Ces très illustres hommes ne connaissent pas le monde
dans sa cruelle réalité, et parfois pourtant, ils sont cruels.
Trop facilement, ils mettent leur confiance dans les jugements des sages de ce
monde. Certes, ils sont simples comme des colombes, mais ils ne sont pas
toujours prudents comme les serpents (Mt 10,16). Cfr ; R.LAURENTIN.
Bilan de la troisième session, p. 177.
* 227 Ibidem
* 228 B. HÄRING,
Quelle morale pour l'Église? Op. cit., p .39-40.
* 229 R. LAURENTIN. Bilan de
la troisième session, p. 179.
* 230 Ibid., p.
194.
* 231 V. HYLEN, « La
note 14 dans la constitution pastorale Gaudium et spes n° 51
», dans Ephémérides de Louvain, 42/1966, p.
555-566.
* 232 Voir l'histoire du
contexte immédiat de l'encyclique Humanae vitae et de la
commission dans Robert Mc CLORY, Rome et la contraception. Histoire
secrète de l'encyclique Humanae Vitae. Ttrad. Jacques Mignon,
Paris, Editions de l'Atelier, 1998.
* 233 B. HÄRING,
Quelle morale pour l'Église. p. 45.
* 234 P. d'ORNELLAS,
Liberté, que dis-tu de Toi-même ? Vatican II 1959-196.
Paris, Éditions Parole et Silence, 1999, p. 604.
* 235 Le texte de Casti
connubii est un avertissement sévère et solennel, qui ne
laisse place à aucun doute, aucune hésitation, aucune discussion.
« En vertu de Notre suprême autorité et de la charge que Nous
avons de toutes les âmes. Nous avertissons les confesseurs et tous ceux
qui ont charge d'âmes, de ne point laisser leurs fidèles dans
l'erreur sur cette très grave loi de Dieu. Bien plus, qu'ils se
prémunissent eux-mêmes contre les fausses opinions de ce genre et
ne pactisent en aucune façon avec elles. Si d'ailleurs un confesseur ou
un pasteur induisait en ces erreurs- ce qu'à Dieu ne plaise ! - les
fidèles qui lui sont confiés, ou si du moins, soit par
approbation, soit par silence calculé, il les y confirmait, qu'il sache
qu'il aura à rendre à Dieu, le Juge suprême, un compte
sévère de sa prévarication; qu'il considère comme
lui étant adressées ces paroles du Christ; « Ce sont des
aveugles, et ils sont les chefs des aveugles; or, si un aveugle conduit un
aveugle, ils tombent tous les deux dans la fosse». Casti
connubii, n° 85.
* 236 ÉPISCOPAT
FRANÇAIS. «Note de l'épiscopat français sur Humanae
vitae», dans La Documentation catholique n° 1529,
décembre 1968, col. 2060, n. 16.
* 237 B. HÀRING,
Crise autour d'Humanae vitae, p. 10.
* 238 Cfr. Ibidem.
* 239 L'article contre
«osservationi entiche » de Häring est intitulé: La
norma morale di Humanae vitae e il
compito pastorale.
* 240 «Chiedere
l'opinione di vescovo e teologhi », in Il
regno-attualità, anno XXXIV, n. 609, 15-1-1989,
p. 1-4.
* 241 L. MELINA, La
morale entre crise et renouveau. Op. cit., p. 13.
* 242 B. HÄRING, La
théologie morale. Idées maîtresses. Op. cit., p.
18.
* 243 Cfr. J. DESCLOS,
Libérer la morale. Op. cit., p. 139.
* 244 Documentation
catholique, 1989, tome 86, n° 2, p, 62.
* 245 J.M. PAUPERT,
Contrôle des naissances et théologie. Le dossier de Rome.
Paris, Seuil, 1967, p. 59.
* 246 B. HARING, Libre et
fidèle dans le Christ, Vol. I, New York, Seabury, 1978, p.
196-199.
* 247 Cfr. Ibid., p.
200.
* 248 Cfr. Ibidem.
* 249Cfr. Ibidem.
* 250 Cfr.
Ibidem.
* 251 Cfr.
Ibidem.
* 252 Cfr. Ibidem
* 253 R. Mc CORMICK, «
Killing the patient » in, The Tablet, 30 October 1993, p.
1410-1411.
* 254 Cfr. B. HÄRING,
Libres dans le Christ, Op. cit., p. 300.
* 255 Cfr. Ibidem.
* 256Cfr. Ibidem.
* 257Cfr. Ibidem.
* 258 « C'est
à partir de la bonté et de la malice de la chose voulue que
l'acte de la volonté est bon ou mauvais. » (Super III
Sent., d. 39, q. 1, art. 2).
* 259 L'universalité
de ces propos en fait foi : « Tel est précisément le bien en
général, vers quoi la volonté tend naturellement comme
toute puissance vers son objet. » (I-II, q. 10, art. 1, rép.)
* 260«Le bien en
général qui a raison de fin, est l'objet de la volonté
» (I-II, q. 9, art.1, rép.). -- « Tel est
précisément le bien en général, vers quoi la
volonté tend naturellement comme toute puissance vers son objet.»
(I-II, q. 10, art. 1, rép.). -- « De même que l'être
coloré en acte est l'objet de la vue, de même le bien est l'objet
de la volonté. » (I-II, q. 10, art. 2, rép.).
* 261 D'où cette
importante remarque concernant le fonctionnement de la conscience morale :
« La volonté qui refuse d'obéir à la raison ou
à la conscience qui se trompe, devient mauvaise à cause de
l'objet dont dépend sa bonté ou sa malice ; non à cause de
l'objet pris en lui-même, mais tel qu'il est saisi accidentellement par
la raison, comme un mal à faire ou à éviter. Or, comme
l'objet de la volonté, nous l'avons vu, est ce que lui propose la
raison, dès que celle-ci présente un objet comme mauvais, la
volonté devient elle-même mauvaise si elle se porte vers lui.
» (I-II, q. 19, art. 5, rép.). Car, explique-t-il : « Pour
qu'on dise que l'objet vers lequel se porte la volonté est mauvais, il
suffit qu'il soit tel de sa nature, ou que la raison le considère comme
tel ; mais pour être bon, il est nécessaire qu'il soit bon sous ce
double rapport. » (I-II, q. 19, art. 6, sol. 1).
* 262 Cfr. B. HÄRING,
Libres dans le Christ, Op. cit., p. 320.
* 263 C'est le fameux cas
des religieuses à l'Est de notre Pays. Craignant d'être victimes
des viols systématiques opérés par les militaires ennemis,
celles-ci se sont demandé si elles pouvaient prendre des anovulants afin
de prévenir d'éventuelles grossesses. Certains moralistes ont
trouvé le moyen de dire non parce qu'ils y ont vu, à tort, une
forme de contraception. En effet, où est donc passée l'union
sexuelle librement consentie dont on voudrait frustrer la finalité
procréatrice en pareil cas ? À l'inverse, certains se sont
demandé pourquoi ce qui a été déclaré licite
pour la religieuse ne pouvait pas être étendu à la femme
mariée, négligeant une fois de plus la différence radicale
qu'il y a du point de vue moral entre un acte subi contre les
conséquences duquel on veut se prémunir et un autre, librement
consenti, dont on frustre sciemment la finalité naturelle.
* 264 B. HÄRING.
Quelle morale pour l'Église. Op. Cit., p. 107.
* 265 Cfr. Ibidem.
* 266 Cfr. A.
Léonard, Le fondement de la morale. Paris, Cerf, 1991, p.
295.
* 267 B. HÄRING.
Quelle morale pour l'Église. Op. Cit., p. 78.
* 268 Cfr. Ibidem
* 269 G. BELMANS,
« Le Sens objectif de l'agir humain. Pour relire la morale conjugale
de saint Thomas », dans Etudes thomiste 8, (1980), p.
98-99.
* 270 Cfr. Ibidem
* 271 Cfr. B. HÄRING,
Libres dans le Christ, Op. cit., p. 302.
* 272 Cfr. Ibidem.
* 273 Cfr. Ibid., p.
310.
* 274 Cfr. Ibidem.
* 275 Cfr. Ibid., p.
309.
* 276 Cfr. Ibidem.
* 277 Cfr. J. DESCLOS,
Libérer la morale. Christocentrisme et dynamique filiale de la morale
chrétienne à l'époque de Vatican II. Montréal,
Paulines, 1991, p. 117.
* 278 Cfr. Ibidem.
* 279 Cfr. B. HÄRING,
Libres dans le Christ, Op. cit., p. 329.
* 280 Cfr. B. HARING, Une
morale pour la personne. Paris, Marne, 1973, p. 136.
* 281 Cfr. Ibidem.
* 282 V. COUESNONGLE, «
La fin ne justifie pas les moyens », dans Supplément de Vie
Spirituelle, 16 (1983), p. 298.
* 283 Cfr. Ibidem.
* 284 Cfr. G. ANSCOMBE,
L' Intention, Trad. de l'anglais par Mathieu Maurice et Cyrille Michon,
(Bibliothèque de philosophie), Paris, Gallimard, 2002, p. 79.
* 285 Cfr. Ibidem
* 286 Cfr.
Ibidem.
* 287 Ces normes sont
appelées « normes de comportement » ou « normes
concrètes ». À ce titre, elles ne peuvent valoir semper et
pro semper, puisqu' elles n'interdisent qu'un comportement matériel,
physique. Le seul moyen de les considérer valables semper et pro semper
est de les regarder comme des tautologies, mais elles n'interdisent plus alors
un comportement matériel précis : elles sont simplement
parénétiques, c'est-à-dire exhortatives, rappelant
simplement la nécessité de toujours se situer par rapport
à certaines valeurs.
* 288 Cfr. B. HÄRING,
Libres dans le Christ, Op. cit., p. 343.
* 289 J. G. BELMANS,
« Le paradoxe de la morale erronée d'Abélard à
Karl Rahner », dans Revue Thomiste(1990), 90, p. 571.
* 290 Saint Augustin, Du
Libre Arbitre, I, chap. 4
* 291 L. MELINA, La morale
entre crise et renouveau. Les absolus moraux, l'option fondamentale,
la formation de la conscience. Bruxelles, Culture et Vérité,
1995, p. 201.
* 292 Ibidem.
* 293294 Cfr.
Ibidem.
* 295 Cfr. Ibidem.
* 296 Cfr Ibidem.
* 297 B. HÄRING,
« S. Alphonse, l'avocat de la conscience », dans
Comunicationes C.Ss.R. 53 (1987).
* 298 Pour Liguori, dont
l'oeuvre morale s'organise autour de préoccupations éminemment
pastorales, afin d'évaluer la moralité d'un acte, il faut se
pencher sur l'ordre de l'intentionnalité et donc sur la conscience
morale en action : « le péché formel est dans l'ordre de
l'intentionnalité, le péché matériel, quant
à lui, est improprement dit péché, car il appartient
à l'ordre des faits». Lire T. CRISTINO, La conscience morale et
l'encyclique Veritatis Splendor : Présentation et réflexions
critiques, Louvain-la-Neuve, 2000, p. 97-101.
* 299 B. HÄRING, La
loi du Christ, t. 1. Op. cit., p. 199.
* 300 Ibidem
* 301 La
syndérèse est une faculté en l'homme de reconnaître
de manière infaillible le bien. Le terme est développé
dans la théologie à partir de Jérôme de Stridon, il
désigne alors le remords de la conscience présent dans l'homme,
et ceci même après le péché originel. Utilisé
pour la première fois dans le commentaire de Jérôme de
Stridon sur Caïn, premier fils selon la Bible d'Adam et Eve, et auteur du
premier crime de l'histoire de l'humanité, Jérôme de
Stridon affirme que malgré son crime, Caïn se sait coupable. Cette
faculté en lui de reconnaître le bien du mal est alors
analysée comme une faculté de l'âme humaine de
reconnaître le bien. Lire M. BLAIS, Conscience et
syndérèse selon Thomas d'Aquin. Québec, Laval,
2006.
* 302 Ibidem
* 303 Ibidem
* 304 Dans
l'après-concile les moralistes ont beaucoup discuté de la
question de la spécificité de l'éthique chrétienne.
Un des enjeux de ce débat consiste dans la capacité pour l'Eglise
de rencontrer les non-chrétiens et même les non-croyants sur un
terrain commun, notamment dans un dialogue concernant des questions de
société où les chrétiens ont à faire
entendre, au nom de leur foi, des convictions à des personnes qui ne
partagent pas leurs présupposés. Cfr. B. HÄRING, Le
sacré et le bien. Op. Cit., p. 253-258.
* 305 B. HÄRING,
Libres dans le Christ. Vol I. Op. cit., p. 295.
* 306 Ibid., p.
299.
* 307 Ibid., p.
290.
* 308 Ibid., p.
293
* 309 Ibid., p.
296
* 310 Ibid., p.
298.
* 311 Cfr. Ibid., p.
302.
* 312 Cfr. Ibid., p.
303.
* 313 Cfr. Ibid., p.
307.
* 314 Ibid., p.
330.
* 315 Ibid., p.
333.
* 316 Ibid., p.
294.
* 317 P. VIGAN, Le
malaise est dans l'homme. Paris, avatar-edition, 2011, p. 78.
* 318 Ibid., p.
87.
* 319 J. M. AUBERT,
Vivre en chrétien au XXe siècle. Tome I. Le sel de
la terre. Strasbourg, Salvator, 1976, p. 210.
* 320 Cfr. J.M. AUBERT
(Dir), Morale chrétienne et requêtes contemporaines.
Tournai, Desclée, 1954, p. 8.
* 321 Cfr. Ibidem.
* 322 Cette
révolution est consubstantielle d'une révolution scientifique
marquée par un faisceau de découvertes et d'avancées : la
diffusion du préservatif en latex après les années 1930,
le traitement des maladies sexuellement transmissibles, au premier lieu
desquelles la syphilis qui faisait des ravages depuis la Renaissance avec la
découverte des antibiotiques à partir de 1941, et la diffusion de
la contraception (le stérilet est inventé en 1928, et la pilule
contraceptive découverte au début des années 1950)
* 323 M. BRIX, L'amour
libre. Brève histoire d'une utopie. Paris, Éditions
Molinari, 2008, p. 24
* 324 A. GIAMI,
« Misère, répression et libération
sexuelles », dans Mouvements n° 20 mars-avril 2002, p.
23-29
* 325 M. BRIX, Op.
cit., p. 28.
* 326 Jadis, ces
réalités ne concernaient que l'Occident, mais aujourd'hui avec la
mondialisation l'Afrique n'est plus épargnée. Le cas du
traité de Maputo qui veut légaliser l'avortement en est une
illustration.
* 327 A. GIAMI, «art.
Cit»., p. 27.
* 328 Congrégation
pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae, dans
AAS 80 (1988), 75 ; La Documentation catholique 84
(1987), p. 351.
* 329 S. MUYENGO,
Introduction à la bioéthique. Kinshasa,
Médiaspaul, 2000, p. 102.
* 330 S.
MUYENGO, « La bioéthique. Quelques perspectives
africaines », dans Revue Africaine de théologie, vol. 12,
n° 23-24, avril - octobre, Kinshasa, 1988, p. 193.
* 331 S. MUYENGO,
Introduction à la bioéthique, Op. cit., p. 103.
* 332 JEAN PAUL II,
Ecclesia in Africa, dans D.C. 91, (1994), n° 40, p. 435.
* 333 BENOIT XVI, Africae
Munus, dans D.C. 2482, (15 janvier 2012), n°60.
* 334 S. MUYENGO, La Vie
en Esprit. Bible, Morale et Spiritualité. Kinshasa,
Médiaspaul, 2012, p. 78.
* 335 Cfr.
Ibidem.
* 336 E-J KAKULE
MUVAWA, La symbolique du Mbanulo chez les Nande. Pour une inculturation du
sacrement de réconciliation chez les Nande de la R. D. Congo.
Mémoire de maîtrise. Universités des sciences humaines
de Strasbourg, Faculté de Théologie, 2001.
* 337 Cfr. Ibid., p.
3.
* 338 Ibid., p. 7.
* 339 Cfr.
Ibidem.
* 340 Cfr. Ibid.,
p. 8.
* 341 Cfr.
Ibidem.
* 342 MUYENGO MULOMBE,
La bioéthique. Quelques perspectives africaines, Op.
cit., p. 184
* 343 Cfr.
Ibidem.
* 344 Cfr. Ibidem.
* 345 Ibid., p.
191.
* 346 R. J. LEKE, «
Les adolescents et l'avortement », dans Sexualité et
santé reproductive durant l'adolescence en Afrique,
édité par B. KUATE-DEFO, Montréal, Ediconseil, 1998, p.
297-306.
* 347 Cfr.
Ibidem.
* 348 B. ZANOU et al,
«Étude démographique et de santé maternelle en
Afrique subsaharienne », dans Studies in Family Planning 29
(2), 1999, p. 210-232.
* 349 R. J. LEKE,
Op.cit., p. 300.
* 350 B. ZANOU,
Op.cit., p. 221.
* 351 M. ESTOURNET,
Interruption volontaire de grossesse, historique et état des
lieux. Paris, Cerf, 2006, p. 98.
* 352 Lors de la
conférence du Caire en 1994 et de Bejin en 1995, la question de
l'avortement a fait l'objet de débats très controversés
pour des raisons éthiques, morales et religieuses relatives aux notions
de droit de vie du foetus, de l'embryon et de la personne humaine, mais un
consensus s'est établit autour du fait que l'avortement « ne doit
pas être pratiqué comme un moyen de régulation de la
fécondité » (Nations Unies 1994). À travers les
notions de droit en matière de reproduction, l'accent a
été mis sur le besoin d'une reconnaissance du droit fondamental
des couples et des individus de décider librement et avec discernement
du nombre de leurs enfants et de l'espacement de leurs naissances, de disposer
des informations nécessaires pour ce faire et du droit de tous à
accéder à une meilleure santé en matière de
sexualité et de reproduction. Ces droits supposent de pouvoir mener une
sexualité sans risque et d'avoir accès à des programmes de
santé de la reproduction accessibles aux hommes comme aux femmes sans
discrimination. Cfr. NATIONS-UNIES, Rapport de la Conférence
Internationale sur la population et le développement. Le Caire,
Nations Unies. 1994.
* 353 Cfr. M. ESTOURNET,
Op. cit., p. 100.
* 354
www.aidh.org/Biblio/Txt_Afr/instr_prot_fem_03.htm
* 355 La Documentation
catholique, n° 2378, (2007), p. 549.
* 356 CENCO,
Déclaration des Evêques du Congo. Kinshasa, le 09
février 2007, n°11.
* 357 XIIIème
Assemblée plénière du SCEAM. Source: Website: www. rc.
net/africa/catholicafrica
* 358 La Documentation
Catholique 98 (2008), p. 351.
* 359 La continence
périodique, les méthodes de régulation naturelle des
naissances fondées sur l'auto observation et le recours aux
périodes infécondes sont conformes aux critères objectifs
de la moralité. Ces méthodes respectent le corps des
époux, encouragent la tendresse entre eux et favorisent
l'éducation d'une liberté authentique. En revanche, est
intrinsèquement mauvaise « toute action qui, soit en
prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit
dans le développement de ses conséquences naturelles, se
proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation
». (CEC 2370) Cette position est reprise par le point 498 du
catéchisme abrégé de l'Église catholique paru en
2005.
* 360 Le pape Benoît XVI
a effectué sa première visite en Afrique le 17 mars 2009.
* 361 BENOIT XVI,
Lumière du monde. Le pape, l'Eglise et les signes des temps. Un
entretien avec Peter Seewald. Paris, Bayard, 2010.
* 362 Ibid., p.
103.
* 363 Ibidem.
* 364 Ibidem.
* 365 La Documentation
Catholique n° 2087, (6 février 1994), p. 101.
* 366 Cfr. M. RHONHEIMER,
« La vérité sur le préservatif », dans
The Tablet 10 juillet 2004, p. 90.
* 367 Cfr. Ibidem.
* 368 Cfr. Ibid., p.
95.
* 369 Cfr. Ibidem.
* 370 Cfr. Ibidem.
* 371 Cfr. Ibid., p.
102.
* 372 Cfr. Ibidem.
* 373 G. MEDEVIELLE,
« Pluralisme éthique et laïcité en
théologie morale », dans Revue de l'Institut catholique de
Paris, 91, 2004, p.71-93.
* 374 J. M. AUBERT,
Vivre en chrétien au XXe siècle. Tome I Op. cit.,
p. 225.
* 375 R. COSTE,
Théologie de la liberté religieuse. Paris Seuil, 1969,
p. 78.
* 376 G. MEDEVIELLE,
« art. cit », p. 79.
* 377 Ibidem.
* 378 Cfr.
Ibidem.
* 379 Ceci est
particulièrement évident dans les questions d'éthique
biomédicale de fin de vie : c'est au nom du respect de la dignité
humaine que les uns demandent des soins palliatifs et que les autres
réclament l'euthanasie.
* 380 G. MEDEVIELLE,
« art. cit. », p. 82.
* 381 Cfr. Ibid. p.
84.
* 382 Cfr. Ibidem.
* 383 Cfr. Ibidem.
* 384 . M. AUBERT, Vivre
en chrétien au XXe siècle. Tome I Op. cit., p.
98.
* 385 G. MEDEVIELLE,
« art. cit. », p. 90.