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La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring

( Télécharger le fichier original )
par Daniel KIMBMBA KAHYA
Université catholique du Congo - Licence 2012
  

Disponible en mode multipage

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    DEDICACE

    A Eric KONGO, pilier de cette promotion, mort avant,

    A Emmanuel PEMBELE, mon ainé,

    retourné auprès du Père il y a quelques mois...

    Je dédie ce travail !

    AVANT-PROPOS

    Nous voici au terme de ce deuxième cycle universitaire à la Faculté de Théologie. Ce présent travail vient couronner tous les efforts consentis au cours de ces cinq longues années de licence passées à l'Université Catholique du Congo. Pour y parvenir, nous avons eu l'assistance de plusieurs personnes qui nous ont aidé à réaliser ce travail scientifique. Ainsi, nous faisons notre, le devoir de nous acquitter de la dette de reconnaissance envers toutes ces personnes.

    Nous tenons de ce fait à remercier sincèrement le Professeur Monseigneur Sébastien MUYENGO, évêque auxiliaire de Kinshasa qui, malgré le temps qu'il devait consacrer à sa nouvelle et lourde tâche épiscopale, a bien voulu diriger ce travail. Nous le remercions de tout coeur. A travers lui, nous pensons également à tout le corps professoral de la Faculté de Théologie qui nous a donné une solide formation scientifique. Aux amis et combattants de lutte de notre promotion, nous réitérons les mêmes sentiments.

    Nos remerciements s'adressent aussi à la Société Saint Paul qui a eu confiance en nous, en nous envoyant étudier dans une bonne institution académique. Nous pensons ainsi à tous les confrères de notre circonscription et plus encore aux membres de notre communauté du Juniorat. Que le Père Roberto PONTI, recteur de la Communauté du Juniorat et en même temps l'actuel Supérieur Régional, trouve à travers ces lignes, l'expression de notre sentiment de reconnaissance à cause de ses encouragements.

    A tous ceux qui nous ont aidé de près ou de loin, afin d'arriver à ce stade où nous nous retrouvons actuellement, qu'ils retrouvent à travers ces pages notre sentiment de reconnaissance.

    Daniel KAHYA, ssp

    SIGLES ET ABREVIATIONS

    - AAS : Actae Apostolicae Sedes

    - AM : Africae Munus

    - CEC : Catéchisme de l'Eglise Catholique

    - CENCO : Conférence Episcopale Nationale du Congo

    - DC : Documentation Catholique

    - ES : Ecclesia Suam

    - G.S : Gaudium et Spes

    - H.V : HumanaeVitae

    - O.T : Optatam Totius

    - R.P : Reconciatio et Poenitentia

    - SCEAM : Symposium des Conférences Episcopales d'Afrique et de Madagascar

    - V.S : Veritatis Spendor

    0. INTRODUCTION GENERALE

    0.1 Problématique

    L'appréciation de la bonté ou de la malice morale d'un acte n'est pas chose simple. Les éléments dont il faut tenir compte sont si nombreux qu'on ne sait pas toujours par où commencer. Si l'on cherche conseil auprès des gens plus avisés que soi, les uns diront qu'il faut accorder un poids prépondérant à l'intention de celui qui agit. D'autres insisteront sur l'objectivité de l'acte et sur son rapport de conformité à la loi ou à ce qui est socialement reconnu et accepté. Suivant une autre sensibilité, la priorité ira aux circonstances concrètes dans lesquelles se déroule l'action. Certains refuseront encore qu'on puisse apprécier un acte à sa juste valeur tant qu'on n'a pas pris en compte ses multiples conséquences. Les plus pointilleux voudraient enfin que la marche à suivre et les critères d'appréciation dépendent de l'acte en question. Ils feront valoir que ce n'est pas de la même manière qu'on analyse et apprécie une action ou une omission, ni un acte dont on est soi-même l'instigateur et que l'on commet seul, ou un acte que l'on commet sous le conseil ou avec le concours d'un autre. Ils voudront aussi que l'on tienne compte des facteurs qui ont pu diminuer, voire supprimer la liberté de l'agent, puisque la responsabilité n'est pas la même lorsqu'on agit avec plein consentement et en parfaite lucidité, ou sous l'influence de la pression sociale, de la contrainte, de la colère, de l'ignorance ou de la peur. Sans oublier bien sûr qu'un jugement éthique sérieux suppose la prise en considération de la complexité même du contexte dans lequel l'acte se déroule et de la ou des multiples significations qu'il revêt alors.

    Au-delà de ce débat, le Catéchisme de l'Eglise Catholique, affirme : « Il y a des comportements concrets qu'il est toujours erroné de choisir parce que leur choix comporte un désordre de la volonté, c'est-à-dire un mal moral. Il n'est pas permis de faire le mal pour qu'il en résulte un bien. »1(*) Il s'agit en particulier des actes qui ne peuvent pas être orientés à Dieu, parce qu'ils sont en contradiction radicale avec le bien de la personne, créée à l'image de Dieu. Ce sont des actes qui, dans la tradition morale de l'Église, ont été appelés intrinsèquement mauvais (intrinsece malum) puisqu'ils le sont toujours en eux-mêmes, c'est-à-dire indépendamment de leur objet.2(*)

    En effet, le problème des actes intrinsèquement mauvais est l'une des questions de discussion du renouveau provoqué en théologie morale par le Concile Vatican II et les débats soulevés par les encycliques Humanae vitae3(*) (1968) et Veritatis Spelendor (1993).4(*) En fait depuis quelques décennies déjà la théologie morale était entrée dans une phase nouvelle de son histoire : après une période d'exploitation relativement paisible des doctrines et des solutions élaborées au cours des siècles derniers, elle a connu un regain d'activité et d'actualité comme le dit B. Häring : « Au cours de ce siècle, il n'est pas sans doute de discipline théologique qui ait connu des mutations aussi profondes que la théologie morale. Ces mutations vont de pair avec la conception que l'Eglise a d'elle-même, avec la relation Eglise-monde, avec le renouveau biblique, le dialogue avec les sciences humaines, l'ouverture oecuménique, le pluralisme culturel... Il s'agit donc d'une profonde crise d'identité concernant l'enseignement de la théologie morale dans l'Eglise catholique et de l'identité même du théologien moraliste »5(*).

    Partant de ce qui précède, nous pouvons affirmer que cette crise de la théologie morale était due à la confrontation avec les problèmes et les mouvements d'idées que provoque un monde en effervescence obligeant ainsi les chrétiens et les théologiens moralistes catholiques à une révision des exposés anciens de la morale.

    Plusieurs auteurs ont corroboré cette idée de renouveau de la théologie morale comme S. Pinckaers qui affirme à ce propos: « On parle beaucoup aujourd'hui d'une révision de la morale. Certains s'en réjouissent, d'autres s'en effraient. Le problème est posé et le théologien ne peut se dispenser de l'aborder, car il lui revient de rendre compte du dépôt révélé de la foi, de la défendre au besoin, d'en rechercher et d'en manifester les richesses (...) sous l'inspiration de la foi et la direction de l'Eglise »6(*). Et comme nous l'avons souligné ci-haut, durant cette crise, la question des actes intrinsèquement mauvais était aussi au centre de préoccupations et de discussions de moralistes catholiques et des autre chercheurs et penseurs.

    A la suite du Concile et de la publication de l'encyclique Humanae vitae, la question des actes intrinsèquement mauvais a suscité beaucoup d'interrogations et a dicté différentes prises de position, d'abord sur des problèmes concrets et toujours d'actualité dans le grand public comme la contraception, l'avortement, la torture... Des problèmes concrets, la question est remontée aux raisons et aux principes qui fondent les solutions, jusqu'à la conception de l'agir moral sur laquelle on s'appuie et où on trouve la doctrine classique des actes intrinsèquement mauvais.

    Ainsi le problème s'est généralisé et s'est étendu jusqu'à mettre en cause la systématisation traditionnelle de la morale, fondée sur la loi naturelle avec ses préceptes considérés comme universelles et immuables. Puisque, pour certains auteurs, s'il n'y a pas d'actes intrinsèquement mauvais, aucune loi ne peut être véritablement, parfaitement universelle et immuable, soit s'appliquer toujours sans exception aucune dans l'espace et dans le temps, quelle que soit l'époque ou la culture.7(*)

    Partant d'une telle affirmation, nous pouvons nous demander : dans quelle mesure, un acte défini comme intrinsèquement mauvais peut-il l'être pour tous sans exception, chrétien, bouddhiste, musulman, athée, juif, païen, africain, asiatique, ... Par ailleurs, quelle est l'actualité des actes intrinsèquement mauvais aujourd'hui ? En d'autres termes, face aux changements continuels et au progrès multiformes que l'humanité ne cesse de réaliser, comment est perçu aujourd'hui la question des actes intrinsèquement mauvais ?

    0.2. Choix et intérêt du sujet

    La morale chrétienne a pour matière l'action humaine dans sa conjonction avec l'action divine, et son but est d'orienter l'activité de l'homme vers Dieu. Partant, la théologie morale peut se définir comme la théorie de la quête active de Dieu par l'homme.8(*) Or cette recherche dans l'action recommence pour chaque homme, pour chaque génération, et prend une forme nouvelle selon les problèmes propres à chacun. A propos B. Häring déclare : « L'histoire se déroule aujourd'hui selon une dynamique et avec une rapidité que les siècles passés ne pouvaient imaginer. L'Eglise vit dans l'histoire humaine et se trouve appelée à en être le sel et la lumière ; elle rencontre donc toujours de nouveaux signes des temps, de nouveaux problèmes, de nouveaux défis. Par conséquent une théologie répétitive trahirait la mission de l'Eglise »9(*).

    Nous ne pouvons plus donc nous contenter aujourd'hui d'appliquer paresseusement et de répéter des formules vieillies : suite à l'évolution de la techno-science, de l'humanité en général et à l'agrandissement du savoir et vu les conséquences de cette évolution, nous avons estimé opportun de revenir dans cette investigation à la question des actes intrinsèquement mauvais, de l'analyser à l'orée du renouveau actuel de la théologie morale, de la confronter au contexte actuel de la société, et tenter ainsi de proposer aux chrétiens et à la société une nouvelle manière de percevoir les actes intrinsèquement mauvais en nous sur la foi et l'enseignement de l'Eglise.

    En d'autre termes, au terme de notre deuxième cycle de théologie, nous avons choisi de traiter un thème susceptible de nous faire comprendre la situation difficile de la théologie morale dans la période postconciliaire, car il est grand le risque de désorientation et il n'est pas loin, non plus, le danger de céder aux idéologies de l'heure. Aussi avons-nous voulu travailler sur le renouveau de la théologie morale exigé et instruit par le Magistère de l'Église en analysant la question spécifique de l'acte moral et des actes intrinsèquement mauvais. Certes, beaucoup de moralistes ont répondu favorablement à l'invitation du Concile. Parmi ceux-ci, notre préférence est allée à l'un des auteurs qui rappelle la vraie nature du renouveau attendu: le révérend Père Bernard Häring. Auteur d'une centaine d'ouvrages, de milliers d'articles, il est connu pour sa rigueur doctrinale. Le choix de Bernard Häring est motivé par le fait que, comme moraliste, il a voué toute sa vie à l'effort de renouvellement de sa discipline. Il se rattache aux mouvements de renouveau qui ont préparé le deuxième Concile du Vatican. Après le Concile, il est resté constant dans ses recherches. La méthode qu'il suit, à savoir la perspective historique associée à une réflexion spéculative nous a également séduite. Son attachement à l'Écriture Sainte, à la Tradition et au Magistère de l'Église font de lui un maître sûr. C'est ainsi qu'à juste titre que nous avons intitulé notre travail : De la réception de la théorie des actes intrinsèquement mauvais chez Bernard Häring.10(*)

    0.3 Méthodologie du travail

    En partant de notre problématique, nous nous sommes fixés l'objectif d'analyser la question des actes intrinsèquement mauvais afin d'en proposer une nouvelle reformulation. Ce faisant, nous allons procéder par trois méthodes complémentaires : d'abord exposer les données historiques et contemporaines sur la question puis les analyser. Ceci nous permettra de critiquer ces différentes théories en nous inspirant de l'option fondamentale de B. Häring. De cette analyse critique nous ferons une herméneutique prospective de la question qui sera en même temps notre contribution. Donc notre méthode sera une herméneutique analytico-herméneutique.

    0.4 Division du travail

    Notre travail comportera quatre chapitres, encadré d'une introduction générale et d'une conclusion générale.

    Le premier chapitre sera essentiellement consacré à la compréhension et aux débats et discussions sur la question des actes intrinsèquement mauvais dans la tradition de l'Eglise à travers les différentes périodes: la période patristique, la scolastique classique, la scolastique moderne. A chacune de ses périodes, nous essayerons de montrer la tendance générale de l'époque puis les points de vue et positions de quelques auteurs ou écoles connus.

    Au deuxième chapitre, de notre travail, nous allons ressortir la doctrine de l'église sur la question des actes intrinsèquement mauvais, en analysant certaines documents magistériels qui nous servirons de sources sur la question.

    Sur la question des actes intrinsèquement mauvais, certains auteurs soutiennent une position parallèle à celle que prône le magistère de l'Eglise. Notre troisième chapitre sera consacré à ces auteurs et plus particulièrement à Bernard Häring qui en ferait partie : quelle est sa doctrine morale ? Que dit-il à propos des actes intrinsèquement mauvais ? Quels sont les points de divergences entre lui et le Magistère de L'Eglise sur la question de l'agir moral...

    Après ce débat, nous allons proposer au quatrième chapitre, une réactualisation de la question des actes intrinsèquement mauvais dans le contexte actuel de l'Eglise, de l'Afrique et de notre pays : quelle est l'importance de la question des actes intrinsèquement mauvais aujourd'hui dans l'Eglise ? Comment aborder cette question dans le contexte actuel de notre pays ?...

    CHAPITRE PREMIER :

    LA THEORIE DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS

    I.0. Introduction

    La question des actes intrinsèquement mauvais n'est pas un thème isolé, mais elle se situe dans la longue histoire de la morale chrétienne. Dans la préface de l'ouvrage, Le renouveau de la théologie morale, de S Pinckaers, M-D. Chenu fait l'éloge de la méthode historique : « Aujourd'hui devant les résultats acquis, on ne conteste plus l'efficacité ni la vérité de la méthode historique »11(*). A ce propos, S Pinckaers affirme lui-même que : « Le recours à l'histoire de la morale peut être beaucoup plus éclairant qu'on ne pense souvent pour le traitement de nos problèmes moraux. Il y'a plusieurs raisons à cela, entre autres celle-ci : l'étude historique un peu approfondie nous révèle l'existence de différentes modèles, de différentes conceptions et systématisation de la morale dans la longue tradition chrétien, entraînant différentes façons de traiter les problèmes moraux. Cette confrontation avec notre passé culturel nous fait ainsi apercevoir des horizons nouveaux et nous aide à élargir nos perspectives, à sortir des étroitesses de ce que nous appellerions volontiers notre petit présent »12(*).

    A notre tour, nous ne pouvons pas nous empêcher de recourir à une science qui fait ses preuves et donne de bons résultats. Ainsi, nous allons parcourir la question de la moralité des actes à travers l'histoire de l'Eglise, depuis les pères de l'Eglise jusqu'à la période après le Concile Vatican II. En passant par la scolastique13(*),

    Avant d'aborder le vif du sujet, il sied de souligner que l'expression actes intrinsèquement mauvais n'existe pas avant le 16ème siècle. Selon S Pinckaers, les grands théologiens de l'époque médiévale considéraient ce thème comme un corollaire de leur traité sur la moralité14(*). Partant, on ne peut pas prétendre suivre la problématique des actes intrinsèquement mauvais selon une filière continue de textes depuis les pères de l'Eglise jusqu'aux moralistes actuels comme, par exemple, pour une autre question (vérité, mensonge, salut...).

    Mais, malgré cette discontinuité de la question des actes intrinsèquement mauvais dans l'histoire de la théologie morale, nous trouvons déjà son ébauche dans les discussions et les querelles des penseurs et philosophes antique. L'un des problèmes qui les préoccupent est celui de l'origine du mal et du péché. On a ainsi le plus souvent considéré que la question est intimement liée à celle de l'existence et de la nature de Dieu ; et par suite, toutes les métaphysiques ou les religions, sous forme expresse ou implicite, symbolique ou directe, en enveloppent plus ou moins une solution.15(*)

    Les pères de l'Eglise, en cherchant la solution à plusieurs problèmes d'ordre moral qui se posaient à leur époque, ont pu traiter indirectement de la question des actes intrinsèquement mauvais.

    I.1. Morale et spiritualité chez les pères de l'Eglise.

    En effet, la Théologie morale commence déjà avec les pères de l'Eglise. La source première et constante de leur doctrine est l'Écriture, centrée sur l'oeuvre et la personne du Christ conformément aux évangiles, et portant ses fruits dans le cadre de l'Église : par la prédication de l'évêque qui la commente, par la célébration liturgique qui la tourne en prière, par la mise en pratique enfin qui la rend efficace.16(*) A propos, S. Pinckaers note : « L'enseignement des Pères consistait principalement en des commentaires de l'Écriture, sous leurs diverses formes: explications suivies, sermons de circonstance, homélies, catéchèse ou oeuvres écrites, des oeuvres de construction personnelle, comme la Didachè, le Pédagogue de Clément d'Alexandrie, le Péri Archon d'Origène, le De Officiis de saint Ambroise, etc. Les Pères avaient un regard large sur l'Écriture car, selon eux, toute l'Écriture possède une dimension et une signification morale.17(*) »

    On trouvera donc la doctrine morale des Pères, en premier lieu, dans des homélies expliquant l'Ecriture au peuple, comme chez saint Jean Chrysostome et saint Augustin. Les Pères écriront aussi des oeuvres de facture personnelle pour exposer la morale chrétienne devant les païens, tels Le Pédagogue de Clément d'Alexandrie, le traité sur Les Moeurs de l'Église catholique de saint Augustin... On rencontrera enfin des ouvrages traitant de problèmes moraux particuliers : le mariage et la virginité, le mensonge et le péché, la patience, le jeûne, etc.18(*)

    A ce propos, B. Haring écrit : « l'extension du christianisme dans un monde païen décadent pose, du point de vue moral, mille problèmes : quelle conduite adopter en face de l'idolâtrie officielle, de ses statues de faux-dieux, de jeux du cirque, de la mode païenne, du service militaire dans une armée païenne... A quoi s'efforcent de répondre un Clément de Rome, un Tertullien, un Clément d'Alexandrie, un Cyprien et d'autres. De semblable questions se posent encore à l'intérieur de la jeune Eglise : l'obéissance à la hiérarchie ecclésiastique (Clément de Rome, Ignace d'Antioche), la fuite éventuelle devant la persécution (Origène), la réconciliation des pécheurs publics, particulièrement des lapsi qui sous les menaces ont trahi leur foi (Cyprien). Toute une casuistique et en tout cas maintes déterminations apparaissent déjà.19(*) »

    Un autre trait de la doctrine des Pères est l'utilisation judicieuse des apports de la culture et de la philosophie gréco-romaine. Ayant assuré la primauté de la foi et du mystère du Christ exposé dans l'Écriture, les Pères n'hésitent pas à reprendre ce qu'ils trouvent de vrai et de bon dans la pensée de leur temps, chez les stoïciens, comme Sénèque et Cicéron ; dans le courant platonicien, tel Plotin pour saint Augustin ; ou aristotélicien, comme par exemple saint Jean Damascène, afin de les mettre au service de l'Évangile. De cette collaboration entre la foi et la raison naîtra la théologie.20(*)

    Concernant la question des actes intrinsèquement mauvais, les pères l'abordent indirectement à travers celle de la sexualité21(*)et du mariage. En effet, certains Pères de l'Église ont interprété les épîtres de saint Paul comme l'affirmation implicite de la supériorité du monachisme sur le mariage (cf. 1 Co 7,8-9). Ainsi, pour eux, les péchés sexuels (fornication, homosexualité, pédophilie...) sont : la grande avenue de l'idolâtrie, une des sources de la haine des hommes contre Dieu et son Eglise.22(*) « Le culte du dieu infâme, dit Tertullien, ne consiste pas seulement dans l'offrande de vulgaires parfums, mais dans celle de la personne elle-même. Ce n'est plus l'immolation d'une brebis, mais bien celle de l'âme. O homme, tu sacrifies sur son autel ton intelligence ! Tu verses pour lui tes sueurs, tu épuises tes connaissances, tu deviens plus que le prêtre de la volupté ; par ton ardeur, tu en es, à ton tour, la divinité. »23(*)

    Les païens et, sous l'influence de leurs doctrines, certains gnostiques, les nicolaïtes, prétendaient que les unions libres n'étaient prohibées par aucune loi.24(*) La simple fornication passait pour une chose indifférente et les moralistes se contentaient de blâmer les excès. Et quelques autres penseurs de l'époque se sont efforcés de démontrer que le péché de luxure n'était point intrinsèquement mauvais : il était condamnable parce que le droit positif l'interdisait, en vue des désordres qu'il pouvait introduire dans la société.25(*)

    Contre cette dérive morale, tous les pères de l'Eglise (latins et grecs) établissent comme vérité révélée et de foi catholique que la simple fornication est intrinsèquement mauvaise et constitue une faute grave.26(*) Ils s'appuient sur son opposition foncière à la loi divine et naturelle. Aussi concluent-ils qu'en aucun cas, il n'est permis de s'y livrer, parce qu'elle n'est pas mauvaise seulement en raison d'une prohibition positive, mais qu'elle est prohibée à cause de sa malice essentielle.27(*) De telle sorte que, même dans les cas de mutuel consentement, chaque acte renouvelé entraîne l'obligation de l'aveu sacramentel réitéré.28(*)

    Pour Saint Augustin, qui a eu une influence capitale sur la doctrine catholique en matière de sexualité, l'acte de génération est essentiellement impur ; ainsi, il appelle, chez tous les hommes indistinctement concupiscence l'attraction qu'il amène et il fait de la concupiscence le mode d'infection de l'humanité tout entière, le principe fatal de la propagation du péché originel, qu'elle transmet à toute la postérité d'Adam.29(*)

    I.1.1. Saint Augustin et le problème du mal

    1) Présentation

    Augustin d'Hippone ou Saint Augustin (354-430), est un philosophe et théologien chrétien de l'Antiquité tardive, évêque d'Hippone, et un écrivain latino-berbère romano-africain. Il est l'un des quatre Pères de l'Église latine (avec saint Ambroise, saint Jérôme et Grégoire Ier) et l'un des 33 docteurs de l'Église. En tant que philosophe, on le considère comme un platonicien chrétien, souvent proche de Plotin. Mais il rejette les notions de transmigration des âmes et de réminiscence. Surtout, chez Plotin Dieu créait le monde involontairement, ce qui n'est pas compatible avec la conception juive et chrétienne de la création.30(*)

    2) Analyse

    Dans son assaut contre la dissidence spirituelle cathare31(*), la chrétienté latine du treizième siècle occidental a rejoué à distance, avec des armes théoriques nouvelles, le grand combat anti-manichéen32(*) qui n'aura cessé de mobiliser, sa vie durant, les ressources intellectuelles d'Augustin et aura permis à ce dernier d'accéder à sa propre pensée. Il en va ici d'un événement qui engage bien davantage qu'un seul acteur : la guerre doctrinale acharnée que l'Évêque d'Hippone a livrée contre les écrits de Mani et de ses disciples constitue l'un des gestes de rupture fondateurs par lesquels la pensée occidentale a accouché d'elle-même et s'est distinctement définie.33(*)

    Sur le plan théorique - dans des écrits comme le De natura boni, l'Enchiridion et le De civitate Dei, la victoire du Père de l'Église latine a été acquise en deux temps. Premier moment : par le biais du concept de création ex nihilo, Augustin établit que le mal n'est rien d'autre que ce néant vers lequel peut incliner toute créature du fait qu'elle a été tirée de lui.34(*) Pour cette raison que l'existence lui est donnée par le Souverain Bien, tout étant créé, en tant qu'il existe, est bon, mais parce que l'oeuvre créatrice le pose dans l'existence à partir de rien, il est inexorablement travaillé de l'intérieur par une mutabilité qui le rend corruptible.35(*)

    Tel est le statut ontologique du mal selon l'Évêque d'Hippone : non pas quelque chose qui existe de soi, mais une dynamique de corruption qui abîme la création et qui est la marque intrinsèque de sa finitude.36(*)

    Second moment : Augustin répond à l'interrogation sur l'origine du mal moral en mettant en oeuvre une métaphysique du vouloir qui lui permet d'éviter ce qui représente, à ses yeux, l'écueil théorique sur lequel vient échouer le manichéisme, à savoir faire procéder les maux qui déparent l'univers d'un principe éternel radicalement opposé au Dieu bon, limitant du coup la puissance de ce dernier.37(*) « Le mal, réplique l'Évêque d'Hippone, n'est ni éternel, ni principiel, ni même efficient ; il provient plutôt d'une libre et insondable décision de la créature spirituelle (l'angélique d'abord, l'humaine ensuite) qui, par orgueil (superbia), choisit de se substituer à son Créateur en position de point focal de tout désir, causant ainsi sa propre déchéance en l'espèce d'une rétrogradation ontologique aux multiples conséquences funestes. »38(*) Le péché originel, selon lui, n'a donc pas seulement altéré la nature humaine dans son essence, il l'a défigurée. À présent l'homme reçoit à sa naissance une nature mauvaise ; la prévarication, de par son étendue, sa profondeur et sa force, procède dès lors de manière constitutive de la nature que possèdent actuellement les hommes, nature incontestablement marquée par le mal. Néanmoins, l'homme ne choisit pas le mal en tant que tel, mais ce qu'il prend, à tort, pour un bien, par exemple le plaisir.39(*)

    Ainsi, pour préciser, sa théorie démontrant l'étendue actuelle du mal en ce monde et dans les créatures, Saint Augustin réunira de façon indissociable le péché originel à la concupiscence de la chair : « ce mouvement honteux qui sollicite les organes... et qui, par de secrètes attaques s'empare de tout le corps... Envahit tout l'homme, soulevant à la fois les passions de son âme et les instincts de sa chair  le désir au caractère instinctif et passionné de l'attraction des sexes. »40(*) On comprendra alors que pour Saint augustin, seul l'acte sexuel motivé par la procréation est pleinement licite. Partant, Saint Augustin va élaborer la doctrine des biens du mariage qui, en explicitant de manière plus adéquate la place de la procréation dans le mariage, donnera plus tard une plus grande consistance à la condamnation de la contraception.41(*)

    En effet, C'est en réaction à l'enseignement des manichéens sur le mariage et la procréation que Saint Augustin a été amené à défendre la bonté du mariage dans son traité du De bono conjugali.42(*)

    Avant toute réflexion théologique, Saint Augustin affirme la bonté intrinsèque du mariage sur les bases fermes de l'Ecriture Sainte. Le mariage, affirme-t-il, constitue un bien pour l'homme et la femme, et ceci est montré par la doctrine révélée. Mais pourquoi, se demande Saint Augustin, le mariage est-il un bien?43(*)

    Sa réponse, dans les chapitres suivants, est qu'il y a un bien unique du mariage qui est, dans son essence naturelle, l'union conjugale, et dont les différentes facettes constituent les biens du mariage, tous intégrés dans ce bien unique dont ils découlent. Ces biens, Saint Augustin les ramasse au chapitre XXIV de son livre en une brève formule: « Voilà donc les biens du mariage: les enfants, le pacte de fidélité, le sacrement ».44(*) Ces trois biens sont analysés comme constituant le bien du mariage. Le singulier est important; il veut dire qu'il ne s'agit pas de trois biens différents, autonomes, ou même complémentaires, mais qu'ils sont indissociable dans la réalisation du bien du mariage. Ils sont les raisons intrinsèques, ontiques de la bonté de ce mariage.45(*)

    Partant, pour Augustin, « Même avec la femme légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès lors que la conception de l'enfant y est évitée. C'est ce que faisait Onan, fils de Judah, ce pourquoi Dieu l'a mis à mort. »46(*)

    En considérant la procréation non plus comme la fin du mariage, mais comme un bien constitutif de la bonté de celui-ci, Saint Augustin, du même coup, était amené à présenter la contraception comme un acte allant contre la bonté du mariage, donc de l'ordre de l'adultère.47(*)

    Dans les moeurs des manichéens Augustin attaque ainsi la contraception manichéenne au nom de la fin procréatrice du mariage: « Mais les noces, comme le proclament les lois nuptiales, unissent mari et femme pour procréer des enfants. Donc quiconque déclare que c'est un péché plus grave de procréer des enfants que de se livrer au concubinage, prohibe par là même les noces; il fait de la femme non plus une épouse mais une prostituée, qui, moyennant certaines compensations, s'unit à un homme pour lui permettre de satisfaire ses passions. »48(*) 

    Pour Augustin, en refusant la procréation, les manichéens font de la chambre conjugale un bordel: «  vous faites de vos auditeurs des adultères à l'égard de leurs propres femmes, puisqu'ils prennent des précautions pour que celles avec lesquelles ils ont des rapports ne conçoivent pas..; vous retranchez du mariage ce qui fait le mariage. En effet, ôtez cela, et les maris ne sont plus que des amants impudiques, les épouses des filles de joie, la couche nuptiale un mauvais lieu, et les beaux-pères des proxénètes. »49(*) 

    L'apport de Saint Augustin à la doctrine sur la procréation a été considérable, encore que mal compris par la suite. Il distingue en effet deux versants dans l'argument:

    - le premier versant est celui de la nécessité de la proles comme bien constitutif du mariage: refuser la proles, c'est dénaturer le mariage, et donc avoir des relations sexuelles adultères parce que niant le mariage: c'est ce que nous venons de voir

    - le second versant est celui de la priorité de la fides: alors que la fides, l'union, est obligatoire pour qu'il y ait mariage, ce n'est pas le cas pour la proles. Il est donc très possible que, dans le mariage, on accomplisse l'acte matrimonial pour le bien de l'union, sans intention procréatrice particulière. Cela pourra même être licite dans le cadre du devoir conjugal, pour éviter l'incontinence.

    Bref, la réflexion de Saint Augustin sur le bien du mariage ne s'est pas faite en rupture avec la tradition du magistère, mais comme un développement, un approfondissement. Elle a été capitale, puisque c'est elle qui a permis à l'Eglise de déclarer licites les unions matrimoniales sans intention procréatrice, mais virtuellement ou actuellement ouvertes sur la procréation, ne posant pas d'obstacle à cette procréation - telles qu'elles occurrent en usufruitant des périodes agénésiques.

    La notion plus récente, conciliaire, de procréation responsable, était implicitement présente dans la pensée augustinienne. Mais elle représente un grand pas en avant car elle précise la place de la conscience et de la liberté, et aussi la nécessité de respecter les critères objectifs de cette procréation. Cette notion aide à mieux comprendre encore la licéité du recours aux périodes d'infertilité.

    I.2. La question des actes intrinsèquement mauvais chez les scolastique

    Au Moyen Age, plus particulièrement pendant la Scolastique, la question du mal qui préoccupe les philosophes et les théologiens depuis l'antiquité, prend une forme toute théologique : c'est l'existence du mal moral, c'est-à-dire du péché, qu'on vent concilier avec la prescience divine d'une part, d'autre part avec le dogme du concours divin, de la grâce et de la prédestination; elle se trouve ainsi intimement liée au problème de la liberté, humaine et divine, et chez tous les grands penseurs de la scolastique, de saint augustin à Duns Scot et à saint Thomas, elle tient une place éminente, ainsi que dans la plupart des grandes querelles religieuses : pélagianisme et manichéisme, socinianisme et protestantisme , molinisme et jansénisme...50(*)

    I.2.1. Le primat de l'intention chez Pierre Abélard

    1) Présentation

    Pierre Abélard ou Pierre Abailard ou encore Pierre Abeilard (1079-1142) est un théologien, philosophe et compositeur français. Il a été un des principaux acteurs du renouveau des arts du langage au début du XIIe siècle. Après son entrée en religion, ses travaux de théologien ont suscité la condamnation pour hérésie par les autorités ecclésiastiques (concile de Soissons, 1121 ; concile de Sens, 1140).51(*)

    2) Analyse

    La pensée d'Abélard demeure l'un des principaux points de repère dans l'histoire de l'introduction de la méthode dialectique dans la théologie qui allait culminer avec la scolastique un siècle plus tard. Avec lui commence une période nouvelle dans l'histoire de la théologie, celle de la scolastique, caractérisée, entre autres, par l'usage de la dialectique.52(*)

    Pour lui, toute classification des êtres doit, impérativement, être fondée sur le réel. C'est la conséquence d'une définition de l'universalité qui exclue toute possibilité d'existence réelle de l'universel, aussi bien dans les êtres que dans l'extériorité d'une accumulation pure et simple, matérielle, des individus.

    L'Ethica d'Abélard, par sa morale fondée sur les intentions et non sur les actions, est une oeuvre fondamentale : En effet, pour Augustin, le péché consiste dans la volonté de retenir ou de poursuivre ce que la justice interdit et que la personne a la liberté de s'abstenir. Cette notion s'appuie sur un certain degré de consentement53(*). L'argument abélardien va au-delà, en différenciant la volonté chez Augustin de ce qu'il appelle l'intention, qui confère plus d'importance à la décision dans la connaissance de fait du péché, et dans ses limites, à la conscience en elle-même. Mais, pour Abélard, ni tout péché est un acte volontaire, comme l'est l'acte sexuel.54(*)

    Pour certains théologiens comme saint Bernard, Pierre Lombard, Hugunce, Albert le Grand et Anselme de Laon, l'acte sexuel conduit au péché car il contient nécessairement le plaisir et le désir. Suivant la perspective d'Abélard, le plaisir sexuel se transforme en naturel et inévitable par la propre nature créée par Dieu. Ce sont les vices et les vertus des objets de réflexion morale, mais parmi eux existent ceux qui se rapportent au corps et d'autres qui se rapportent à l'esprit. Seuls certains parmi ces derniers concernent la morale, puisque les vices du corps sont exclus par un critère de nature et de création divine. Les vices mentaux diffèrent du péché car ils peuvent être présents sans l'action ou la propre intention, car ils font partie de l'âme humaine.55(*)

    C'est donc ce consentement fondé sur une double connaissance - des vices humains qui tendent vers le péché et des interdictions qui définissent leur nature - qui se constitue le vrai péché : une forme de mépris pour Dieu, un manque d'âme. Il existe, chez Abélard, une antériorité naturelle qui convient à ce qui est compris comme étant nécessaire, à partir de laquelle aucune qualité morale ne peut s'inférer. Il existe aussi un stage postérieur que nous sommes menés à connaître collectivement, mais qui fait en sorte que le jugement manque de certitude dans ses bases.56(*) L'intention, comme point intermédiaire qui peut équilibrer les tendances naturelles de la créature imparfaite, nécessite un mécanisme d'évaluation impossible au niveau de la société. Reste simplement la propre évaluation personnelle.57(*) Cette intention, cependant, porte son propre lot de conditionnements et il n'est pas facile de les articuler.58(*)

    Ainsi, pour Abélard, « le mal ne consiste pas dans l'oeuvre extérieure, ni même dans le désir, mais essentiellement et uniquement dans le consentement volontaire. »59(*) En effet, pour lui, le péché ne réside pas dans le désir de la femme d'autrui, ni dans le fait de s'unir à elle, mais proprement dans le consentement au désir ou à l'action puisque, pour lui, en prenant l'exemple du précepte, tu ne convoiteras pas (Dt 5, 21), il estime que souvent on peut poser des actes qui tombent sous cet interdit sans commettre le péché, comme lorsqu'on agit par ignorance ou par contrainte. Abélard établit ainsi un principe général selon lequel, « partout où des oeuvres sont soumises à un précepte ou à une prohibition de la loi morale, il faut rapporter ceux-ci plus au consentement qu'aux oeuvres elles-mêmes. »60(*) Pour Abélard, si la qualité morale se concentre ainsi dans l'intention, un même acte pourra être bon ou mauvais par la seule différence des intentions de ceux qui l'accomplissent. Bref, chez lui, le péché consiste dans le seul consentement volontaire, l'exécution de l'oeuvre n'y ajoute rien.61(*)

    Ainsi, comme on peut le constater, la position d'Abélard est assez unique : en privilégiant entièrement l'intention ou le consentement volontaire par rapport à l'objet et même au désir, il soutient que les actes sont de soi indifférents et reçoivent leur qualification morale uniquement de l'intention. Partant, il n'y a pas d'actes qui soient intrinsèquement mauvais. Avec cette position, Abélard se situe aux antipodes de la morale des manuels modernes qui donnent la priorité à l'objet de l'acte et considère l'intention comme un facteur circonstanciel dans le jugement de moralité.62(*)

    I.2.2. La stabilité des préceptes moraux chez Saint Bernard

    1) Présentation

    Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux (1090 -1153), est un moine français, réformateur de la vie religieuse. Directeur de conscience de l'ordre cistercien, il recherche par amour du Christ la mortification la plus dure. Bernard fait preuve, toute sa vie durant, d'une activité inlassable pour instruire ses moines de Clairvaux, pour émouvoir et entraîner les foules, pour allier son ordre avec la papauté et pour élaborer une idéologie militante que son ordre et toute l'église catholique mettront en oeuvre.63(*)

    Il est aussi un conservateur, qui se positionne en réaction contre les mutations de son époque (la renaissance du XIIe siècle), marquée par une profonde transformation de l'économie, de la société et du pouvoir politique. Il joue un rôle déterminant dans la transposition de la croisade en guerre sainte contre les cathares. Il est canonisé en 1174 et devient ainsi saint Bernard de Clairvaux. Il fut déclaré docteur de l'Église en 1830 par Pie VIII.64(*)

    2) Analyse

    Il combat les positions d'Abélard, approximatives d'un point de vue théologique, et le fait condamner au concile de Sens en 1140. Abélard incarne tout ce que Bernard déteste : l'intelligence triomphante, l'arrogance dominatrice, les prouesses dialectiques, une célébrité immense, fondée sur la foi passée au crible de la raison au détriment de la vie intérieure, l'obstination à tenir des positions. Bernard refuse que les secrets de Dieu soient examinés et questionnés par la raison. Il veut que la raison reconnaisse ce qu'il y a d'infiniment profond et d'incompréhensible dans les choses divines.65(*)

    Quant à la question de la moralité, Bernard distingue trois espèces de préceptes ou lois d'après la possibilité d'en dispenser : d'abord les préceptes stables, dont les prélats peuvent dispenser comme le jeûne, les règles des religieux... Ensuite, les préceptes inviolables, promulguées par Dieu et dont lui seul peut dispenser, tel le précepte, tu ne tueras pas... Enfin, les préceptes incommuables dont Dieu même ne peut jamais dispenser : ce sont les préceptes du sermon sur la montagne concernant l'essence des vertus comme la dilection, l'humilité, la douceur...66(*)

    Toutefois, Saint Bernard situe la moralité essentielle la plus ferme au niveau des vertus et de l'intériorité. Les préceptes inviolables portent, pour lui, des actes qui ne sont pas de soi mauvais puisque Dieu peut en dispenser de sorte qu'ils seraient donc indifférents par eux-mêmes et ne deviendraient mauvais que par la promulgation divine.67(*) Dans ce sens, des actes comme tuer, voler, sont de soi mauvais, sauf si Dieu dans sa toute-puissance en élimine exceptionnellement la malice comme dans certains exemples de l'Ecriture.68(*)

    I.2.3. Equilibrage scolastique entre l'intention et l'acte chez Pierre Lombard

    1) Présentation

    Pierre Lombard (1100 - 1160), fut un théologien scolastique et un archevêque de Paris du XIIe siècle.69(*)

    2) Analyse

    Dans la cadre de son enseignement, il élabora, suite à une originale méthode basée sur les Questions / Discussions, une méthode scolastique aux fins de l'enseignement des Maîtres de l'Université, le Livre des Sentences (1152), où pour la première fois, dans l'enseignement universitaire, on faisait la distinction entre l'Écriture et la théologie ; ce livre, cette Somme, servit entre autres de modèle à Thomas d'Aquin.70(*)

    Son oeuvre la plus connue était Libri quatuor sententiarum, le Livre des Sentences. Il servit de manuel théologique de base dans les universités médiévales, des années 1220 au XVIe siècle et était encore commenté un siècle plus tard. Il n'y a aucune oeuvre dans la littérature chrétienne, à part la Bible elle-même, que l'on ait commenté aussi souvent. Tous les grands penseurs médiévaux, d'Albert le Grand et Thomas d'Aquin à Guillaume d'Ockham et Gabriel Biel, étaient sous son influence. Même le jeune Martin Luther écrivit encore des commentaires sur les Sentences.71(*)

    Les Quatre Livres de Sentences sont une compilation de textes bibliques, joints aux passages correspondants des Pères de l'Église et de beaucoup de penseurs médiévaux, dans le domaine entier de la théologie chrétienne. Le génie de Pierre Lombard s'est appliqué à la sélection des passages, qu'il essayait de concilier quand ils semblaient défendre des points de vue différents, et à l'arrangement de la matière dans un ordre systématique. 72(*)

    C'est dans son 2ème livre des Sentences où P. Lombard aborde la question de la moralité des actes d'après l'intention ou d'après l'oeuvre. Là, il met en exergue la position d'Abélard qu'il confronte à celle de ses adversaires et tente enfin de fournir une réponse équilibrée au problème discuté en s'appuyant sur Saint Augustin.73(*)

    P. Lombard commence par donner la position d'Abélard qui est parti d'une réflexion sur le péché jusqu'à devenir une théorie générale sur la moralité : tous les actes sont indifférents de sorte que par eux-mêmes ils ne sont ni bons, ni mauvais, mais chaque acte devient bon ou mauvais par l'intention bonne et mauvaise par l'intention mauvaise.74(*) Quant aux adversaires d'Abélard, ils soutiennent que certaines oeuvres sont bonnes de telle sorte qu'elles ne peuvent être mauvaises, quelle que soit la manière dont on les fait ; au contraire, certaines oeuvres sont mauvaises de sorte qu'elles ne puissent être bonnes, quelle que soit la raison de les faire ; d'autres oeuvres enfin sont bonnes ou mauvaise selon leur fin ou leur raison.75(*)

    En s'appuyant sur Saint Augustin, P. Lombard tente une réponse adéquate à la question qu'il formule ainsi : « l'intention volontaire est certes la cause de la moralité des actes. »76(*) Il rejoint ainsi Abélard. Mais il affirme par contre que ce principe ne s'applique pas dans le cas d'une action mauvaise en soi.77(*)

    I.2.4 L'analyse classique de l'agir moral chez Thomas d'Aquin

    1) Présentation

    La pensée de Thomas d'Aquin (1224-1251) a longtemps été considérée comme la philosophia perennis au sein de l'Église.78(*) En effet, comme tout penseur, Thomas d'Aquin est pris dans les problématiques de son époque, toutes d'ordre théologico-philosophique. Ainsi il est impossible d'étudier la pensée de Thomas sans considérer qu'il travaillait dans un contexte entièrement chrétien, avec sa propre foi dans le Dieu chrétien, et avec les méthodes et les limites de son temps.

    2) Analyse

    L'exposé moral de saint Thomas se trouve principalement dans la Seconde Partie de sa Somme Théologique; cependant, il faut reconnaître que cette synthèse jouit d'une unité profonde à cause de la source du savoir théologique, de la connaissance divine qui se communique à notre intelligence par la foi et les dons de sagesse et de science.79(*)

    La Prima Pars étudie le Dieu-Trinité qui constitue la vraie béatitude de l'homme et la seule réponse adéquate à la question du bonheur qui ouvre et domine la morale de saint Thomas. Le bonheur de l'homme est une participation au bonheur même de Dieu. La Prima Pars fait aussi l'étude de la créature humaine avec ses facultés, notamment sa raison et sa volonté libre, sans oublier la sensibilité, qui sont principes et sources des actions morales.80(*)

    En outre, certains thèmes parcourent la Somme Théologique entière et se retrouvent dans chacune de ses parties, comme l'étude du bien, de la béatitude, de l'amour, au niveau de Dieu, de l'ange, de l'homme, du Christ. La Tertia Pars traite de la voie nécessaire de fait pour parvenir à la vraie béatitude: ce sera le Christ et le secours de sa grâce dispensée dans les sacrements. On ne peut donc absolument pas séparer la partie morale de la Somme Théologique de l'étude de Dieu dans la Prima Pars qui lui donne sa dimension trinitaire, ni de la Tertia Pars qui lui procure une dimension christologique et sacramentelle.81(*)

    L'exposé de la morale se divise en deux parties, l'une générale, l'autre particulière. Ces deux parties correspondent respectivement à la Prima Secundae et à la Secunda Secundae. Dans la Prima Secundae, la première question est celle du bonheur qui domine l'ensemble de la morale en déterminant la fin ultime de la vie et de l'agir humain. Le bonheur plénier ne peut résider ni dans la richesse, ni dans la gloire, ni dans la science, ni dans aucune réalité créée, mais dans la vision aimante du Dieu de la Révélation, devenu accessible aux hommes par la grâce de Jésus-Christ.82(*)

    Le but de la vie étant fixé, toute la vie est un cheminement vers le bonheur, et nos actions sont comme les pas qui doivent nous porter vers lui. Saint Thomas fait l'étude des facultés humaines qui collaborent ensemble à former nos actes. Il s'intéresse particulièrement à la volonté libre. Pour saint Thomas, le libre-arbitre s'enracine dans les deux facultés spirituelles, l'intelligence et la volonté, qui font de l'homme l'image de Dieu et lui procurent la maîtrise de ses actes, soit précisément dans l'inclination naturelle au bonheur et à l'amour et dans l'inclination à la vérité, qui ouvrent ces facultés à la mesure de l'infini divin, au-delà de tout objet et de tout amour créé. L'homme est donc maître de ses actes non point malgré, mais à cause de son inclination naturelle au bonheur et à la vérité. La question morale première inscrite dans les facultés spirituelles de l'homme, est donc bien: quel est le vrai bonheur? Toute sa morale sera une réponse à cette question. 83(*)

    On a là une conception de la liberté qui repose sur la collaboration harmonieuse de l'intelligence et de la volonté et que Pinckaers appellera liberté de qualité ou encore de perfection, parce qu'elle tend spontanément vers ce qui est bon et vrai, vers ce qui est de qualité selon la perfection de l'homme.84(*)

    Les passions contribuent aussi à nos actions. Saint Thomas en fait également une étude remarquable. Il analyse différentes passions et montre comment elles peuvent contribuer positivement à l'agir moral sous l'égide des vertus.85(*)

    Vient ensuite l'étude des principes des actes humains qui sont de deux sortes: principes intérieurs et principes extérieurs.86(*) Parmi les principes intérieurs, nous trouvons d'abord les facultés: intelligence, volonté, liberté, sensibilité, etc. déjà étudiées dans la Prima Pars. Ce sont ensuite les vertus qui sont des capacités dynamiques pour accomplir des actions de qualité. Elles sont de deux sortes: celles qui sont infuses par Dieu et celles qui sont acquises par l'exercice. Elles seront complétées par les dons et les fruits du Saint Esprit. À la suite des vertus seront étudiés leurs contraires: les vices et les péchés.87(*)

    Parmi les principes extérieurs, c'est-à-dire ayant leur origine à l'extérieur de nous bien que pouvant agir sur notre intériorité nous trouvons:

    - la loi issue de la sagesse de Dieu: loi éternelle et loi naturelle qui culmine dans la Loi évangélique, définie par l'action du Saint Esprit agissant par la foi au Christ.

    - La grâce qui nous provient de la Passion et de la Résurrection par les sacrements; elle nous unit au Christ et nous engage dans l'unique voie conduisant efficacement à Dieu, qui est le Christ lui-même.88(*)

    On peut résumer le travail constructif de Thomas d'Aquin en deux points : premièrement Thomas fait sortir la fin de l'acte et la matière du lot des éléments de l'action : pour lui, la fin est le principal élément de l'action, celui qui meut à agir et que vise directement la volonté. Le second élément est ce que l'on fait, la matière de l'action qui en forme la substance. C'est autour de ces deux éléments essentiels que s'ordonnent et gravitent les autres. Deuxièmement, Thomas d'Aquin va donner une nouvelle signification au terme circonstance en s'appuyant sur son étymologie, circum-stare (ce qui est autour d'une chose).89(*)

    Il va ainsi distinguer les circonstances de l'essence de l'acte formée par sa fin et sa matière. Partant, les circonstances désignent désormais des éléments de l'action qui s'ajoutent comme des accidents à sa substance ; c'est en ce sens qu'ils contribuent à accroître ou à diminuer la qualité morale de l'action déjà établie pour l'essentiel par sa fin et sa matière, mais ne peuvent pas d'eux-mêmes rendre un acte bon ou mauvais.90(*)

    Ainsi donc, pour Thomas, la qualité morale d'une action dépend de deux composantes essentielles : l'ordonnance à la fin pour l'acte intérieur, vouloir ou intention, et l'ordonnance de l'acte extérieur à sa matière propre. On peut rencontrer alors des actes intrinsèquement mauvais, de soi, par leur nature, à ces deux niveaux. Mais dans une même action, il suffit que la fin voulue ou que la matière de l'acte soit mauvaise par nature, pour que l'acte tout entier doive être considéré comme tel, selon le principe bonum ex integra causa malum ex quocumque defectu, la déficience étant ici essentielle.91(*)Ainsi, il admet, à la suite de saint Augustin, que certaines actions, mêmes prises extérieurement, soient mauvaises de soi et ne puissent jamais être légitimées par une fin bonne.

    I.2.5. La mise en cause de la moralité intrinsèque par Ockham et le nominalisme

    1) Présentation

    Guillaume d'Ockham ou Guillaume d'Occam92(*) (v.1285 - 1347), dit le Docteur invincible et le Vénérable initiateur (Venerabilis inceptor), était un philosophe, logicien et théologien anglais, membre de l'ordre franciscain, considéré comme le plus éminent représentant de l'école scolastique nominaliste (ou terministe, selon la terminologie ockhamienne), principale concurrente des écoles thomiste et scotiste.93(*)

    Le terme nominalisme94(*) n'est apparu qu'à la fin du XVe siècle. Ockham, philosophe et logicien, quant à lui, se considère comme un terministe, c'est-à-dire pratiquant la logique qui analyse le sens des termes. Cependant on peut le considérer comme initiateur du nominalisme en ce qu'il a refusé toute objectivité ou réalité aux Universaux, c'est-à-dire aux idées générales qui regroupent sous un nom collectif, des entités individuelles ayant quelque ressemblance entre elles, comme par exemple, humanité, animal, beauté blancheur etc...

    Pour lui, c'est l'esprit humain qui par commodité génère des noms, un langage qui est utile pour l'organisation du savoir, mais ne correspond pas à des êtres existants, individus, êtres particuliers, et qui n'apporte aucune nouvelle connaissance. Les nominalistes n'accordent aucune universalité à ces êtres virtuels, en dehors de leur utilité pour l'esprit qui les observe. En bref, seul l'être singulier est réel, tandis que l'universel n'a d'existence que dans l'esprit du locuteur. Bien entendu, les théologiens vont s'émouvoir d'une philosophie qui n'accorderait aucune existence réelle aux concepts de Bien, d'Ame, d'Immortalité, qui pourtant leur semblent indispensables pour parler de Dieu ou de l'homme-créature spirituelle. Cependant Ockham ne va pas jusqu'à considérer les universaux comme de simples mots, puisqu'ils correspondent à des idées. C'est pourquoi on le considère plutôt comme un conceptualiste.

    On voit ainsi dans la philosophie d'Ockham les prémices de la science moderne, de l'empirisme anglais ainsi que de la philosophie analytique contemporaine, car elle insiste surtout sur les faits et sur le type de raisonnement utilisé dans le discours rationnel, au détriment d'une spéculation métaphysique sur les essences.95(*)

    2) Analyse

    La crise nominaliste avec Ockham va apporter une révolution dans la théologie morale en général et à la question de la moralité en particulier. Cette période a creusé un fossé profond entre l'âge des pères ou des grands scolastiques et les moralistes modernes.96(*)

    Ockham va inaugurer une nouvelle conception de la morale qui donne aux mots et aux éléments de l'acte morale une signification et un rôle nouveau dans une structure et une organisation nouvelles.97(*)

    Ainsi, le problème de la moralité va recevoir de nouvelles bases qui s'imposent au point de devenir classiques et indiscutables comme des évidences. Cependant, les idées d'Ockham sur la morale sont en opposition directe à Thomas d'Aquin : nous trouvons chez les deux penseurs, deux conceptions de la liberté qui affecte leur doctrine morale.

    Pour Ockham, la volonté divine est absolument libre ; elle domine la loi morale elle-même et toutes les lois de la création. Ce que Dieu veut est nécessairement juste et bon, précisément parce qu'il le veut. De cette volonté procède la loi et toute valeur ou qualification morale. N'étant déterminée dans la fixation du bien et du mal par rien d'autre qu'elle-même, la volonté divine peut modifier à chaque instant ce que nous considérons actuellement comme permis et comme défendu selon les commandements du Décalogue notamment. Dieu peut changer même le premier commandement et, par exemple, en poussant les choses à l'extrême, ordonner à un homme de le haïr, de sorte que cet acte devienne bon. 98(*) La conséquence d'une telle théologie est la suivante : « La liberté est essentiellement pour Ockham le pouvoir de choisir entre des contraires, indépendamment de toute cause autre que la liberté ou la volonté même. La liberté se tient toute dans une indétermination foncière entre les contraires, entre le oui et le non, dans une indifférence originelle de la volonté qui lui permet de ne se déterminer dans le choix qu'à partir d'elle-même. D'où ce nom de liberté d'indifférence. »99(*)

    C'est là une approche bien différente de celle de Thomas d'Aquin. Ici, on quitte le fait que la liberté se réfère à celui qui l'a donnée pour se rapprocher du Créateur au profit d'une liberté en soi, liée à une source indifférente. Or se tenir à égale distance du bien et du mal, c'est par définition se tenir hors du bien.100(*)

    En effet, plusieurs divergences existent entre les deux auteurs, mais nous ne retenons ici que trois : primo, concernant la question morale première et principale, pour Thomas d'Aquin, c'est la béatitude véritable comprise comme une fin ultime ordonnant à elle tous les actes moraux et unifiant par cette visée l'agir dans son ensemble. Pour Ockham, la notion première et fondamentale de la morale devient l'idée de l'obligation imposée par la loi, laquelle exprime la volonté toute puissante de Dieu qui vient limiter la liberté de l'homme.101(*)

    Secundo, la morale de Thomas d'Aquin est une morale de l'attrait intérieur développé par les vertus ; mais avec Ockham apparait la première morale de l'obligation proprement dite. Cela ne veut pas dire que le rôle de l'obligation en morale était méconnu et négligé avant Ockham, mais jamais encore l'obligation n'avait été placée au centre de l'univers moral.102(*)

    Tertio, la conception de la notion de liberté est très différente chez les deux penseurs : pour Thomas d'Aquin, la raison et la volonté engendrent le libre-arbitre et son acte, le choix. La source de la liberté réside dans les inclinations naturelles à la vérité et au bien ou au bonheur, qui constituent la nature spirituelle et lui confèrent une ouverture à l'infini sur la vérité et le bien, le rendant libre à l'égard de tout bien limité. 103(*)

    Pour Ockham, tout au contraire, le libre-arbitre précède la raison et la volonté, car il peut commander leurs actes, choisir de les faire ou de ne pas les faire. La liberté se définit, en effet, comme « le pouvoir radical et absolu que possède un homme de choisir entre des contraires uniquement à partir de sa volonté. »104(*) La liberté se caractérisera alors par son indifférence à l'égard des contraires soumis au choix. Le seul fondement de la morale, pour Ockham sera donc la loi, comme expression de la volonté divine s'imposant à l'homme avec la force de l'obligation, issue de la toute-puissance divine à l'égard de sa créature.105(*)

    Quant à la question des actes intrinsèquement mauvais, Thomas soutenait que certains actes peuvent être bons ou mauvais par eux-mêmes, et il fondait cette qualité sur la loi naturelle, issue des inclinations naturelles et base de l'édifice de la théologie morale que viendra parfaire la loi évangélique. La qualité des actions morales provient donc premièrement de leur nature, et c'est ensuite que peut advenir une qualité supplémentaire par l'intervention positive d'une loi.106(*)

    Ockham va changer complètement les choses en donnant une position nouvelle à la question des actes intrinsèquement mauvais : pour lui, « tous les actes sont de soi indifférent, comme la liberté dont ils sont issus. Cette indifférence affecte non seulement les actes extérieurs, mais elle s'étend en fait jusqu'aux actes intérieurs, à l'amour et au désir du bonheur. »107(*) Les actes sortent de leur indifférence et deviennent bons ou mauvais uniquement par l'intervention de la loi.

    Ainsi, Ockham soutient que les actes humains n'ont de moralité que par la loi qui les commande ou les défend, et il radicalise cette position en faisant de la loi naturelle elle-même une loi positive, une pure position de la volonté toute-puissante de Dieu. Par conséquent donc, pour Ockham, il n y a et il ne peut y avoir d'actions mauvaises de soi ou par nature, car c'est la position seule de la loi, toujours dépendante de la liberté divine qui peut rendre une action moralement telle.108(*)

    Par ailleurs, il faut souligner que c'est à partir du nominalisme que la question du caractère intrinsèque de la moralité va prendre de l'ampleur et engager de fait toute la conception de la moralité.

    En fait, à partir du XIVème siècle, le nominalisme va connaître un succès extraordinaire en Occident. Sur la question de la moralité des actes, le nominalisme soutient plusieurs thèses controversées notamment, l'atomisation de l'agir qui fait de chaque acte humain l'oeuvre d'une liberté qui peut à chaque instant choisir le contraire ; ensuite, la moralité devient l'acte libre avec la loi qui fixe l'obligation. Beaucoup de moralistes réagiront contre le nominalisme et le combattront même surtout en ce qui est de la question d'actions mauvaises par elles-mêmes. Cependant, les théologiens n'arriveront pas à éviter l'influence nominaliste sur les points essentiels comme la conception de la liberté d'indifférence.

    I.2.6. L'école de Salamanque

    1) Présentation

    Le nom école de Salamanque (Escuela de Salamanca) a été donné au XXe siècle à un groupe de théologiens et de juristes espagnols du XVIe siècle, liés à l'ancienne université de cette ville, dont la doctrine a été redécouverte par des économistes, en particulier Joseph Schumpeter et reprise par les fondateurs de la doctrine des libertariens qui en font les précurseurs de l'école autrichienne.109(*) Il désigne, de manière générique, l'ensemble des réflexions que menèrent des théologiens espagnols à la suite des travaux intellectuels et pédagogiques entamés par Francisco de Vitoria, en réinterprétant la pensée de Thomas d'Aquin à partir du postulat que la source de la justice, du droit et de la morale ne doivent plus être recherchées dans les textes sacrés ou les traditions, mais dans l'examen de la nature à la lumière de la Raison.110(*)

    Lorsque la Renaissance se fut propagée dans toute l'Europe, au début du XVIe siècle, les conceptions traditionnelles de l'homme, de sa relation avec Dieu et avec le monde avaient été ébranlées par l'apparition de l'humanisme, par la Réforme, par les grandes découvertes et leurs conséquences sur les connaissances (géographiques en particulier). Ces nouvelles questions furent abordées par l'École de Salamanque. À une époque où la religion (catholicisme, calvinisme, islam...) imprégnait tout, analyser la moralité des actes était l'étude la plus pratique et utile qui pouvait être faite pour servir la société. C'est ainsi que les contributions nouvelles qui ont été poussées jusqu'au droit et à l'économie par l'École de Salamanque ne sont pas dans leurs origines mais analyses concrètes des défis et des problèmes moraux imposés à la société par les situations nouvelles.111(*)

    L'école de Salamanque va développer une idée révolutionnaire de l'autonome de la morale selon laquelle on peut faire le mal même si on est croyant, et on peut faire le bien même si on ne l'est pas. C'est-à-dire que la morale ne dépend pas de Dieu. Ceci s'avérait particulièrement important pour les relations avec les païens, puisque le fait qu'ils ne soient pas chrétiens n'impliquait pas qu'ils ne soient pas bons.112(*)

    Au fil des ans on a obtenu une casuistique de réponses devant des dilemmes moraux. Mais comme une casuistique ne pouvait jamais être complète, on a aussi cherché une règle ou un principe plus général. À partir d'ici a commencé à être déjà développé le probabilisme, où le dernier critère n'était pas la vérité, mais la sécurité de ne pas mal choisir. Développé principalement par Bartolomé de Medina et poursuivi par Gabriel Vázquez et Francisco Suárez, le probabilisme s'est transformé en école morale la plus importante des siècles suivants.113(*)

    2) Analyse

    Le cursus théologique des Salmanticenses va être un représentant classique de la théologie du XVIIème siècle d'obédience thomiste. Dans leur réponse à la question de la moralité intrinsèque, ils usent d'une distinction caractéristique entre la moralité formelle et la moralité objective : la moralité formelle dépend de la liberté dans son rapport avec la loi et ne peut précéder l'acte de la volonté. La moralité qui provient de la matière et des circonstances, soit de l'objet de l'acte, et qui précédé celui-ci, est la cause et la racine de la bonté de l'acte intérieur, ou de son fondement, c'est la moralité objective. Elle consiste dans l'ordonnance de l'acte à l'objet comme à son terme, qui devient proprement morale par l'intervention de la liberté en relation avec la règle des moeurs.114(*)

    Bref, les salmanticenses ont une conception mixte de la moralité en ce sens qu'ils associent la conception nominaliste qui établit formellement la moralité par la relation extrinsèque de la liberté à la loi, et la conception classique de la moralité objective et fondamentale qui se prend par le rapport de l'acte à l'objet, ce qui permet de maintenir une morale intrinsèque.115(*)

    Notons pour terminer que les salmanticenses analysent l'acte moral à partir de son entité physique déterminée par l'objet, à un niveau antérieur à la morale formelle. Cette perspective est contraire à celle de Thomas d'Aquin qui regarde l'action morale à partir de l'acte intérieur, dont la finalité est la dimension essentielle.116(*)

    I.2.7. François Suarez

    1) Présentation

    Francisco Suárez (né le 5 janvier 1548 à Grenade, Espagne - mort le 25 septembre 1617) était un philosophe et théologien jésuite espagnol, généralement considéré comme l'un des plus grands scolastiques après Thomas d'Aquin. Il fit partie de la célèbre École de Salamanque.117(*) Jésuite par obligation si l'on ose dire, juriste par passion, Suarez, qui a longuement enseigné à Salamanque et à Rome avant de se retirer à Lisbonne, part de l'observation, courante à l'époque, que l'homme est un animal social. Par conséquent, il est naturel qu'il vive en compagnie d'autres de ses semblables.118(*)

    2) Analyse

    Pour F. Suarez, étant suffisamment éclairés par la raison en ce qui concerne la moralité, les hommes ne s'assemblent pas pour des motifs moraux. Et c'est ici que Suarez se démarque de Thomas d'Aquin, qu'il donne pourtant l'impression de se contenter de commenter, à trois siècles de distance. Le droit positif ne peut être entièrement déterminé par la morale. « Les lois civiles, écrit Suarez, n'interdisent pas tous les vices. Et le pouvoir de contrainte de l'Etat ne s'étend pas à l'ensemble des vices, parce que cela excéderait la condition humaine ».119(*) De même, alors que pour Thomas la raison commande l'action, chez Suarez, c'est la volonté qui est au commencement de l'action. Dès lors, la loi n'acquiert de force obligatoire que comme expression de la volonté d'un supérieur, et non comme acte de raison.120(*)

    Les théologiens scolastiques de l'époque moderne étaient souvent pris au dépourvu entre, d'une part la conception de la morale issue du nominalisme et devenue générale, mais conduit logiquement au refus de la moralité intrinsèque, et d'autre part, leur souci de fidélité à Thomas d'Aquin et à la tradition de l'Eglise qui maintient l'existence d'actions intrinsèquement mauvaises. C'est seulement par des distinctions semblables à celle proposée par Suarez entre la relation de l'acte à la raison et à la loi obligatoire qu'ils pourront se tirer d'affaire.121(*)

    Dans son traité sur la bonté et la malice des actes humains, F. Suarez aborde explicitement le problème des actes intrinsèquement mauvais. Il emploie l'expression actus intrinsece mali qui ne figure pas encore dans le libellé de la question jusque-là. Ceci montre que la formulation qui deviendra classique est en train de se mettre en place.

    Pour lui, aucun acte volontaire ne peut être mauvais par son entité positive, mais seulement par son défaut à l'égard de la règle de la volonté qui est la loi, soit à l'égard de l'obligation qu'elle impose. Ainsi, il semble qu'on peut expliquer la malice de l'acte si ce n'est par sa relation à la loi extérieure qui ordonne ou interdit.122(*)

    La réponse de Suarez à la question des actes intrinsèquement mauvais et de la moralité intrinsèque ou objective est en grande partie inspirée par la position nominaliste du problème moral. Il réplique à l'opinion nominaliste en prenant position en faveur de la moralité intrinsèque, mais il accepte la manière dont le nominalisme a reconstruit l'univers moral avec, en son centre, l'obligation issue de la loi comme volonté extérieure de Dieu, comme aussi la réduction de l'acte, pris dans sa singularité, à sa tendance à l'objet avec le rejet de la fin parmi les circonstances.123(*)

    Il est un fait que la doctrine nominaliste a amené comme une vague et une remise en question progressives dans le domaine de la morale où se rencontrent la théorie et la pratique, la pensée et la vie de l'Eglise. Par rapport à la question de la moralité des actes plusieurs systèmes vont voir jour notamment le proportionnalisme et l'utilitarisme.

    I.2.8. La systématisation éthique du proportionnalisme

    Le système de la raison proportionnée ou proportionnalisme remet en question la doctrine traditionnelle de l'existence d'actes intrinsèquement mauvais.124(*)

    Ce système naît à l'intérieur de la morale casuistique et, comme elle, dans le sillage du nominalisme, mais lui apporte une transformation profonde: on passe d'une morale axée sur la relation de l'acte à son objet, lui conférant une qualité morale en soi, à une morale axée sur la finalité du sujet qui devient constructive de l'objet lui-même. La théorie de la cause à double effet devient une catégorie universelle et est interprétée, non plus à partir du principe qu'on ne peut faire ce qui est mal en soi pour atteindre un bien, mais à partir de la raison proportionnée, qui sert ainsi à déterminer en fonction des conséquences ce qui est bien ou mal.125(*)

    Normand Lamoureux expose les principes essentiels du système: la priorité accordée à la finalité, la distinction entre le plan ontique et le plan moral, celle entre normes formelles et normes matérielles. Sa critique porte sur trois points essentiels: la spécificité de l'ordre moral par rapport à l'utile, l'objectivité de la moralité intrinsèque, le rapport à la Révolution chrétienne. Il y a opposition entre cette morale de la loi, des normes et de la conscience, centrée sur l'obligation et la morale de S. Thomas, morale de la béatitude, des vertus et des dons, de la loi et de la grâce, centrée sur l'attrait de la vérité et de la vie.126(*)

    La doctrine proportionnaliste ne cherche pas à comprendre comment un acte peut être ordonné à la vraie fin de l'homme, mais elle part du constat que tout acte porte en lui-même une part de mal ontique ou pré-moral.127(*) Ainsi, celui qui coupe du bois pour construire sa maison tue un être vivant, il se fatigue, il use sa hache, il doit renoncer à en faire du bois de chauffage, etc. On mesurera la moralité de l'acte à la proportion de mal ontique que la volonté fait entrer dans l'acte comparativement à tout le bien qui s'y trouve aussi. « De telle sorte que ce sera la prépondérance des biens sur les maux naturels qui fera l'action moralement bonne, ou la prépondérance des maux sur les biens naturels qui la fera moralement mauvaise. »128(*) Si l'acte est proportionné à la valeur qu'il poursuit, le mal commis restera au niveau du mal pré-moral ou physique.

    Nous avions déjà relevé que l'attachement de la volonté au mal rend mauvais même un acte a priori bon (cf. l'aumône par vaine gloire). Les proportionnalistes pensent aussi que le processus vaut en sens contraire : « l'attachement exclusif de la volonté au bien rend l'acte bon, et ses effets mauvais, accidentels. »129(*)Ici, l'agir moral ne va pas être jugé par rapport au bien ultime, mais par rapport aux biens acquis par la vie. On va juger des conséquences et des effets des biens, de la proportion des effets bons et des effets mauvais.

    Entrer dans cette logique de juger de la moralité de l'acte par ses effets et ses conséquences, par la proportion entre les effets bons et les effets mauvais (ne faut-il pas tuer un homme si cela en sauve dix ?), fait perdre de vue qu'il puisse y avoir des actes qui ne soient pas moralement neutres, qui aient une valeur en eux-mêmes, qui soient intrinsèquement bons, ou intrinsèquement mauvais.130(*)

    A l'opposé, on appelle moralité ex objecto la moralité qui juge en fonction de ce qu'objectivement les actes valent, en fonction de l'«objet» d'un vouloir : ce qui est concrètement choisi, est-ce bon ou non ? Contrairement au proportionnalisme, la morale qui réfléchit à partir de l'objet considère qu'il y a des actes qui ne sont pas moralement neutres mais qui mettent par eux-mêmes la dignité humaine en question. Vouloir, à leur sujet, pondérer simplement les circonstances et les conséquences, les effets bons et mauvais, ne peut qu'entraîner à des formes d'utilitarisme.

    I.2.9. L'utilitarisme

    1) Présentation

    L'utilitarisme est une doctrine éthique qui prescrit d'agir (ou ne pas agir) de manière à maximiser le bien-être global de l'ensemble des êtres sensibles. L'utilitarisme est donc une forme de conséquent alisme131(*) : il évalue une action (ou une règle) uniquement en fonction de ses conséquences, ce qui le distingue des morales déontologistes, notamment la morale kantienne. 132(*)

    Et  par principe d'utilité, on entend le principe selon lequel « toute action, quelle qu'elle soit, doit être approuvée ou désavouée en fonction de sa tendance à augmenter ou à réduire le bonheur des parties affectées par l'action. [...] On désigne par utilité la tendance de quelque chose à engendrer bien-être, avantages, joie, biens ou bonheur. »133(*)

    On parle aussi parfois d'utilitarisme des préférences pour désigner une variante qui prescrit de maximiser la quantité de préférences satisfaites. On peut encore appeler utilitaristes d'autres doctrines cherchant la maximisation d'autres conséquences, tant que celles-ci restent étroitement liées au bien-être général des êtres sensibles (l'humanité pour certains, l'humanité et les animaux (ou certains animaux) pour d'autres).134(*)

    2) Analyse

    On peut résumer le coeur de la doctrine utilitariste par la phrase : Agis toujours de manière à ce qu'il en résulte la plus grande quantité de bonheur (principe du bonheur maximum). Il s'agit donc d'une morale eudémoniste, mais qui, à l'opposé de l'égoïsme, insiste sur le fait qu'il faut considérer le bien-être de tous et non le bien-être du seul agent acteur. L'utilitarisme est donc un conséquentialisme eudémoniste. Cependant cette définition minimale du principe d'utilité ne doit pas masquer les nombreuses différences existantes entre les systèmes utilitaristes: utilitarisme hédoniste, utilitarisme indirect, utilitarisme de l'acte contre utilitarisme des préférences, etc.

    Il convient donc de ne pas réduire le concept d'utilité à son sens courant de moyen en vue d'une fin immédiate donnée. L'utilitarisme se conçoit comme un critère général de moralité pouvant et devant être appliqué tant aux actions individuelles qu'aux décisions politiques, tant dans le domaine économique que dans les domaines sociaux ou judiciaires.

    Cinq principes fondamentaux sont communs à toutes les versions de l'utilitarisme :

    a) Le principe de bien-être (the Greatest Happiness Principle en anglais) :

    Le bien est défini comme étant le bien-être. C'est-à-dire que le but recherché dans toute action morale est constitué par le welfare, le bien-être (physique, moral, intellectuel).

    b) Le conséquentialisme.

    Les conséquences d'une action sont la seule base permettant de juger de la moralité de l'action. L'utilitarisme ne s'intéresse pas à des agents moraux mais à des actions : les qualités morales de l'agent n'interviennent pas dans le calcul de la moralité d'une action. Il est donc indifférent que l'agent soit généreux, intéressé, ou sadique, ce sont les conséquences de l'acte qui sont morales. Il y a une dissociation de la cause (l'agent) et des conséquences de l'acte. L'utilitarisme ne s'intéresse pas non plus au type d'acte : dans des circonstances différentes, un même acte peut être moral ou immoral selon que ses conséquences sont bonnes ou mauvaises.

    c) Le principe d'agrégation.

    Ce qui est pris en compte dans le calcul est le solde net (de bien-être, en l'occurrence) de tous les individus affectés par l'action, indépendamment de la distribution de ce solde. Ce qui compte c'est la quantité globale de bien-être produit, quelle que soit la répartition de cette quantité. Il est dès lors envisageable de sacrifier une minorité, dont le bien-être sera diminué, afin d'augmenter le bien-être général. Cette possibilité de sacrifice est fondée sur l'idée de compensation : le malheur des uns est compensé par le bien-être des autres. S'il est surcompensé, l'action est jugée moralement bonne. L'aspect dit sacrificiel est l'un des plus critiqués par les adversaires de l'utilitarisme.

    d) Le principe de maximisation.

    L'utilitarisme demande de maximiser le bien-être général. Maximiser le bien-être n'est pas facultatif, il s'agit d'un devoir.

    e) L'impartialité et l'universalisme.

    Les plaisirs et souffrances ont la même importance, quel que soit l'individu qu'ils affectent. Le bien-être de chacun a le même poids dans le calcul du bien-être général. Ce principe est compatible avec la possibilité de sacrifice : ce principe affirme seulement que tous les individus valent autant dans le calcul. Il n'y a ni privilégié ni lésé a priori : le bonheur d'un roi ou d'un simple citoyen sont pris en compte de la même manière.135(*)

    L'aspect universaliste consiste en ce que l'évaluation du bien-être vaut indépendamment des cultures et des particularismes régionaux. Comme l'universalisme de Kant, l'utilitarisme prétend définir une morale valant universellement.

    Mais cependant, l'utilitarisme fait tenir la moralité dans les conséquences, ce qui pose plusieurs problèmes aux yeux de certains de ses adversaires : d'abord l'incertitude. C'est-à-dire que les conséquences d'un acte ne sont pas déterminables avant qu'il ait lieu. On n'est jamais certain que les conséquences supposées de l'acte seront bien ses conséquences réelles. Un acte apparemment innocent peut alors s'avérer immoral au vu de ses conséquences, comme un acte supposé mauvais se révéler moral. Ensuite, l'infinité qui fait que les conséquences forment une chaine : si l'acte A est cause de B, et que B cause C, l'acte À cause C indirectement. Évaluer les conséquences de l'acte pose dès lors un problème d'identification de ces conséquences : quand dire qu'un acte n'est plus cause? Où arrêter la chaîne des conséquences?

    Et enfin, le relativisme moral : si l'utilitarisme pose le bonheur ressenti comme critère de l'évaluation morale, n'importe quelle sensation de plaisir qui résulterait de telle ou telle action pourrait justifier cette action. C'est pourquoi certains utilitaristes conscients du problème, notamment les représentants du réalisme de Cornell136(*) ont tenté d'élaborer une version objective de l'utilitarisme où la définition du bonheur ne dépend pas des sensations de l'agent.137(*)

    Conclusion du chapitre

    Que pouvons-nous retenir de ce qui se joua en théologie morale depuis les pères de l'Eglise jusqu'à la Renaissance? L'intérêt n'est pas historiographique, mais proprement théologique, à savoir mieux comprendre les débats de théologie morale qui nous ont précédés et dont les débats actuels sont tributaires.

    En effet, après une longue période médiévale où le thomisme et le Livre des sentences de Pierre Lombard régnèrent, le bouillonnement culturel de la Renaissance va contribuer à donner une importance nouvelle à la théologie morale. Plusieurs évolutions vont rendre les situations plus complexes et donc le discernement moral plus difficile notamment :

    - En opposition avec l'idéal médiéval d'unité du corps de la société au Moyen-âge, l'humanisme de la Renaissance exalte l'individu. D'où un déplacement de l'importance de la conformité à la loi objective au profit de la dimension subjective de la morale, la conscience.

    - Les grandes découvertes des Indes et de l'Amérique et de leurs populations mettent à l'épreuve des normes morales qui semblaient universelles.

    - L'évolution de la théologie morale vers la casuistique ne peut pas se comprendre sans la place de plus en plus importante donnée au sacrement de la pénitence. Le mouvement de la Contre-Réforme catholique au XVIe siècle a voulu oeuvrer pour la réforme morale du clergé et de l'ensemble des fidèles. Pour les Pères du Concile de Trente, cette réforme passait par une insistance sur la pastorale du sacrement de pénitence. La formation des futurs prêtres s'est axée sur leur fonction de confesseur. D'où de nombreux manuels des confesseurs voulant aider le prêtre à résoudre les cas de conscience.138(*)

    Ces différents facteurs vont contribuer à une évolution de la réflexion morale. Face aux questions morales décisives : quelle action dois-je faire ? Quelle action dois-je éviter ?, le jugement moral peut s'avérer difficile quand les situations se complexifient. On parle alors de conscience douteuse. C'est à partir de cette problématique que va s'élaborer la morale casuistique.139(*)

    Les théologiens du Moyen-âge avaient déjà réfléchi à la décision à prendre dans ces situations de doute sur. Pour eux, il s'agissait de choisir la voie la plus sûre, c'est-à-dire l'obéissance à la loi morale. Pour ces théologiens et en particulier pour Thomas d'Aquin, la loi est une expression du travail de la raison humaine et elle montre à l'homme le chemin à suivre pour viser son accomplissement, dans une conception de la vie morale chrétienne qui consiste à ordonner les actes humains à la fin ultime de l'homme qui est la Béatitude.140(*)

    Comme nous l'avons vu, au XIVe siècle, le nominalisme développé par Guillaume d'Ockham 141(*)va contribuer à donner une nouvelle structuration à la morale et consacre le discrédit de la raison au profit de la volonté : alors que pour le Moyen-âge la loi permet l'accomplissement de la liberté humaine, le nominalisme et, sous l'influence de ce courant, la casuistique à partir du XVIe siècle, vont opposer la loi et la liberté et le rôle de la conscience sera de trancher entre la loi et la liberté, comprises dans un rapport antithétique. 142(*) Pour le nominalisme, ce qui fait la moralité d'un acte est la soumission de la volonté à l'obligation, mais il n'y a pas de justification rationnelle des lois morales : la loi est une convention arbitraire. La vie morale n'est plus alors une morale du sujet qui s'oriente de plus en plus vers le bien, mais une morale d'actes indépendants entre eux, sans prise en considération de la personne avec son histoire.143(*)

    Dans un tel contexte intellectuel, on devine alors quelle va être la problématique morale centrale : quand, dans une situation concrète, j'ai un doute sur le caractère obligatoire de la loi, ne sachant pas si la loi s'applique vraiment, ai-je l'obligation d'obéir à la loi ou puis-je m'écarter de la règle qui oblige ? Ces questions donneront naissance aux différents systèmes moraux144(*)de la casuistique et influenceront plusieurs auteurs et écoles théologiques. Des positions les plus rigoristes aux positions les plus laxistes, l'éventail des réponses des casuistes sera d'une profusion impressionnante et explique l'image négative attachée aux subtilités de la casuistique145(*).

    CHAPITRE DEUXIEME :

    LA DOCTRINE DE L'EGLISE SUR LA QUESTION DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS

    II.0. Introduction

    Notre société est confrontée à des nouveaux problèmes éthiques, associés principalement aux développements technoscientifiques qui propulsent nos rêves du côté de l'immortalité, du contrôle de la vie naissante, de l'expression des opinions et des intérêts individuels, des communications instantanées où chaque internaute devient une vedette. Le progrès de nos civilisations est remarquable à bien des points de vue : notre vie quotidienne est plus facile, nous nous sommes affranchis de bien des conditionnements de l'espace et du temps. Tout va vite, tout change vite, et le besoin de s'en remettre à une tradition ou à un stock de certitudes déjà bien acceptées n'est plus là. Chacun a son opinion personnelle, tout le monde a raison, personne n'est vraiment responsable.

    Ainsi, le développement de la morale postconciliaire s'est effectué dans un contexte polémique difficile, avec une remise en cause des fondements même de la théologie morale, accompagné d'un doute sur les compétences - et donc la légitimité - du magistère à se prononcer dans ce domaine. Tout le travail de l'Église s'accorde à retrouver les fondements scripturaires et ontologiques en morale, ces fondements étant seuls capables de faire face à un relativisme ambiant dont les racines remontent jusqu'au nominalisme.

    Nous sommes en effet, dans la culture de l'invention, de la créativité, des défis posés à la nature, à la morale. Jean-Paul II aimait rappeler que nos progrès contemporains sont quelque peu en déficit de progrès éthique.

    Alors, s'il est difficile d'imprégner notre progrès d'une éthique forte et durable, qu'en est-il de l'éthique chrétienne issue de la foi au Fils de Dieu fait homme? Qu'en est-il, également, de l'enseignement de l'Église catholique sur des questions chaudes comme l'avortement, le sida et le condom, les mères porteuses, la recherche sur l'embryon, le clonage, l'euthanasie ? , Bref, tous ces actes que l'Eglise qualifie d'intrinsèquement mauvais mais qui sont devenus pratiques courantes et même légalisé par certains états?

    N'est-il pas trop tard ? L'Église de ce temps est-elle seulement en mesure de se réapproprier elle-même ces fondements avant même de chercher à faire passer ses idées au dehors ? En d'autre termes, quelles sont les sources de l'Eglise en morale en général et sur les actes intrinsèquement mauvais en particulier ?

    Notons par ailleurs que nous allons étudier les sources de la théorie des actes intrinsèquement mauvais à partir de la période du Concile Vatican II.

    II.1. Le Concile Vatican II et la théologie morale

    Le concile Vatican II a eu comme principale ambition de travailler à un aggiornamento de l'Eglise. Celle-ci prend conscience de ses racines, du sens de sa mission, des exigences d'une présence adaptée et signifiante au coeur d'un monde changeant. Mais pourtant, aucun document officiel de Vatican II ne traite de l'éthique chrétienne de façon systématique. Il y a cependant une morale conciliaire, tracée en totale cohérence avec l'ensemble de son enseignement, qui est présenté un peu partout, intégrée à d'autres thèmes, mais surtout dans la Constitution Gaudium et Spes.146(*) « La question morale, écrit à propos Pinckaers, n'était pas au centre de la préoccupation des Pères du Concile, dont le souci majeur était la compréhension et l'identité de l'Église. Il n'en reste pas moins vrai que leur réflexion a inauguré une nouvelle ère de la théologie morale. La nouveauté essentielle, dont on peut voir la marque dans la déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae), ainsi que dans la constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes), consiste à prendre pour point de référence des décisions morales non pas une vérité abstraite, mais la nécessité pour les personnes d'agir selon les préceptes de leur propre conscience. »147(*) 

    En effet, Vatican II a voulu une théologie morale plus existentielle, plus historique, plus théologique, plus attentive à l'histoire des hommes dans la perspective de l'histoire du Salut. Ce qui explique l'échec du schéma De re morali comme l'explique le père Pinckaers : « Soumis à la relecture de la Commission centrale puis présenté au concile, le schéma De re morali sera vivement critiqué par le cardinal Döpfner et par un dominicain, le P. Le Guillou, qui reprocheront au texte son manque de fondations scripturaires et sa tendance à réduire la loi nouvelle du N.T. à la loi naturelle. Le texte De re morali rejeté, il ne sera pas proposé d'alternative de remplacement. Les Pères du concile n'estimèrent pas la réflexion théologique suffisamment mûre en matière de morale, et surtout, leurs préoccupations s'orientaient de plus en plus sur les rapports entre l'Église et le monde. »148(*) 

    En effet, à la lecture des textes conciliaires, lorsque l'ensemble du corpus fut publié (1965), le croyant avait de quoi se réjouir d'une joie sans partage de l'extraordinaire remise en perspective, selon la nécessité des temps, de l'Église, du monde, et de leur relation réciproque. Mais pour ce qui touche à son propre domaine, le moraliste ne semblait ne rien trouver qui puisse directement rejoindre en profondeur sa discipline. Tout le concernait, spécialement la place redonnée à l'Écriture, mais aucun texte spécifique ne venait opérer une démonstration d'une place nouvelle pour l'éthique théologique.

    La morale traditionnelle issue du concile de Trente avait d'ailleurs été déjà livrée à la critique bien avant Vatican II par des théologiens tels Bernard Häring, Joseph Fuchs, Philippe Delhaye, et bien d'autres. Ils avaient perçu que cette morale, faussement nommée théologique tant elle s'était dénaturée en un code du bien et du mal, ne tenait plus. Ils avaient compris également qu'il était nécessaire de retrouver le lien perdu avec l'Évangile, la foi, la personne du Christ et les interrogations des hommes.

    Dans les textes conciliaires, les moralistes crurent tout d'abord que l'agir humain, l'existence chrétienne comme savoir et expérience, n'avaient pas été une priorité. Témoin à l'époque, le Père Yves Congar, lors d'un congrès tenu à Rome en 1967, affirmait : « Parmi les limites de Vatican II, on doit à coup sûr noter celle-ci : il n'a pas abordé les questions de l'éthique et donc, ne les a pas renouvelées... Or il y a là un domaine qui exige de nouvelles élaborations. »149(*)

    Mais il nous faut modérer ce jugement : en effet, une lecture attentive avec le recul nécessaire, amène à comprendre que le concile s'est soucié avec une grande acuité de l'éthique en lui donnant une orientation nouvelle.150(*) Il exige d'elle de ne pas se contenter des raisonnements abstraits, mais de retrouver les sources du christianisme à travers l'Écriture et la Tradition inspirée par la longue manducation des Pères de l'Église.

    Dans le décret sur la formation des prêtres (Optatam totius) on lit : « Il faudra s'appliquer avec un soin spécial, à perfectionner la théologie morale dont la présentation scientifique plus nourrie de la doctrine de la Sainte Écriture, mettra en lumière la vocation des fidèles dans le Christ, et leur vocation de porter du fruit dans la charité pour le salut du monde. »151(*)  On aura noté le bouleversement opéré en quelques mots : la morale n'est plus obéissance passive à une loi, mais un « appel » (vocatio) à suivre le Christ et comme lui à répondre à l'amour du Père.

    Quant à la Tradition, comme source de renouvellement, les pères conciliaires souhaitent que l'on montre aussi « l'apport des Pères d'Orient et d'Occident pour une transmission et un approfondissement fidèles de chacune des vérités de la Révélation» (O.T 17). Le concile de ce fait, avec une audace incontestable, établit un lien entre l'agir humain et toutes les autres disciplines théologiques devant en inspirer le déploiement. La Parole de Dieu et la Sagesse de l'Église primitive redeviendront la sève de l'art de vivre en Christ. L'éthique méritera de nouveau son titre de théologie puisqu'y entreront La Trinité et les vertus théologales.

    C'est donc seulement plus tardivement que la force de Vatican II s'exerça en théologie morale. Si les textes avaient au départ déçu en minimisant cette discipline, la lecture approfondie de tout l'ensemble, sa connaissance donc, mit à jour cette orientation nouvelle offerte à l'Église. Ainsi en valorisant le monde et les réalités terrestres, l'intuition conciliaire va changer la manière de considérer l'éthique et de faire de la théologie morale.

    Le document sur la liberté de conscience (Dignitatis humanae) apparaîtra comme le sommet dans l'ordre de l'éthique conciliaire. Mais le traitement des thèmes abordés dans les diverses constitutions et spécialement Gaudium et spes, permet aux théologiens de relever des éléments fondateurs pour ce vaste chantier de rénovation dont la nécessité s'imposait à toutes les consciences.

    En intériorisant les textes de façon globale, les théologiens moralistes vont se réapproprier les documents et y distinguent une façon neuve de vivre l'existence chrétienne, et d'étayer le jugement moral, axe central du texte conciliaire. A ce propos Delhaye affirme : « Les textes conciliaires peuvent être la source d'un véritable traité des valeurs. »152(*) 

    L'inquiétude, en raison de la complexité des problèmes contemporains, exige, non un retour à des réponses toutes faites et faussement sûres mais une capacité d'élaboration du jugement éthique. « L'Église dans le monde de ce temps » (Gaudium et spes) propose un regard inédit sur Dieu et sur l'homme, une invitation à une conversation -- dira Paul VI -- entre Église et monde. Elle apportera un changement considérable dans la manière d'accueillir le monde, d'en partager les inquiétudes et les espoirs, de proposer un art de la réflexion éthique partageable par tout homme de bonne volonté et impérieux pour les chrétiens. Afin de faire la vérité, dans un monde en mouvement permanent, une unique communauté de destin.

    Après avoir souligné la dignité de l'intelligence, la réflexion du concile insiste fortement sur la présence au coeur de tout homme d'une loi morale appartenant à l'initiative du Créateur. Cette loi intérieure inscrite dès la création, oblige la conscience à discerner le bien du mal, et à choisir le bien pour répondre à la vocation qui nous convoque tous et chacun: aimer sans cesse et davantage. Cette loi est constitutive de l'humain, et c'est elle - trace et présence du Christ au plus intime de l'intime, qui fonde la dignité, son caractère inaliénable, toujours respectable, de tout individu, de par sa seule appartenance à l'humanité. Cette loi intérieure est voix de Dieu, dira le Concile, « inscrite par Dieu au coeur de l'homme »153(*).

    La conscience sera donc l'espace où en totale liberté, chacun décidera ce qu'il veut être et désire devenir, à l'écoute d'un appel que même, écrit Saint Paul, les païens entendent s'ils sont attentifs à leur intériorité (cf. Rom 2,15).

    Ainsi Vatican II va-t-il donner un poids inédit à la dignité humaine pensée comme créationnelle et au respect de la conscience personnelle. Il va souligner comme jamais le lien indéfectible de cette conscience avec la liberté, puisqu'elle désigne « le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »(GS 16)

    Par, ailleurs, plusieurs documents du magistères sur la morale et particulièrement sur la question des actes intrinsèquement mauvais, procèdent de Vatican II, en mettant l'accent sur la loi, sur les commandements et sur la soumission à un ordre moral objectif, en argumentant surtout en fonction du caractère universel des interdits, des actes intrinsèquement mauvais à ne pas faire, jusqu'au martyre. Il s'agit, entre autres, en plus des textes conciliaires, comme Gaudium et Spes, des encycliques Humanae vitae et Veritatis Splendor, et du Catéchisme de l'Eglise Catholique.

    II.2. La conscience morale et les actes intrinsèquement mauvais selon Gaudium et Spes

    1) Présentation

    La constitution pastorale Gaudium et Spes « sur l'Église dans le monde de ce temps » est l'un des principaux documents de l'Église catholique romaine issus du IIème concile oecuménique du Vatican. La constitution pastorale Gaudium et Spes a tenu une place centrale dans l'enseignement de Jean-Paul II. Jeune évêque, comme en témoignent Yves Congar et le Père De Lubac, tous les deux experts au Concile ; il a participé de très près à l'élaboration de ce texte majeur. Si certaines problématiques ont vieilli, les fondements anthropologiques et théologiques restent dignes d'intérêt pour affronter les nouveaux problèmes qui se présentent aujourd'hui.

    2) Contenu

    Gaudium et Spes marque une véritable rupture avec un certain passé d'où vient qu'elle peut être considérée comme un texte prophétique, mais d'où vient aussi qu'elle a pu être mal reçue à l'époque dans plusieurs cercles de l'Église.

    En effet, dans l'ensemble de la Constitution pastorale, le Concile cherche à opérer un discernement des signes des temps (GS 4, 1), c'est-à-dire à la fois un discernement des événements historiques significatifs pour l'histoire humaine, sociale, économique et politique, et une lecture de la présence de Dieu à cette histoire.154(*) Il propose une méthode de discernement : « Il revient à tout le Peuple de Dieu, notamment aux pasteurs et aux théologiens, avec l'aide de l'Esprit Saint, de scruter, de discerner et d'interpréter les multiples langages de notre temps et de les juger à la lumière de la parole divine, pour que la vérité révélée puisse être sans cesse mieux perçue, mieux comprise et présentée sous une forme plus adaptée » (GS 44, 2). Il donne également des repères pour l'action, qui sont à la fois des critères de jugement (visée du bien commun, solidarité, justice sociale, charité, prise en compte prioritaire des plus pauvres...) et des directives d'action, qui peuvent être dépendantes des contextes historiques et culturels. Cette démarche caractérise depuis l'enseignement social de l'Église.

    Par ailleurs, par rapport à la question des actes intrinsèquement mauvais, nous pouvons retenir trois points essentiels caractéristiques qui résument la doctrine contenu dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes:

    a) La dignité humaine

    Le chapitre premier du texte (GS 12-22) décrit longuement cette « juste conception de la personne humaine, de sa valeur unique ». Il rappelle que le respect de la personne humaine dans son unicité et son caractère sacré est une valeur aujourd'hui communément partagée (GS 12), puis précise que pour l'Église, cette reconnaissance s'appuie sur plusieurs raisons théologiques : l'homme est créé à l'image de Dieu ; le Fils de Dieu est devenu vrai homme et a honoré notre condition humaine ; chaque homme a été racheté par la passion, la mort et la résurrection du Christ, ce qui ouvre le chemin de la « divinisation ». Pour l'Église, la personne humaine « créée à l'image de Dieu » a donc une dignité inaliénable, qui lui est donnée d'un Autre, et ne dépend pas des réussites ou des capacités de la personne mais de l'amour personnalisant de Dieu. D'où également l'égalité fondamentale de tous les êtres humains. Les implications éthiques qui en découlent sont importantes dans les débats actuels

    b) Le corps

    Le premier interdit énoncé par le texte conciliaire concerne le mépris du corps (GS14). Le passage vient après la mention de la tentation contemporaine du désespoir (GS12) et de la misère humaine (GS 13). Il rappelle que ce qui concerne le corps concerne la personne entière, car c'est à travers le corps que l'être humain entre en relation avec les autres et avec Dieu. Avec toutes les conséquences que cela entraîne dans les domaines de la bioéthique, de la vie sexuelle et familiale, mais aussi pour la dénonciation de la torture, des mutilations, de la prostitution et de toutes les conditions de vie ou de travail dégradantes (GS 27), sans parler de l'ambivalence qui consiste à penser que la personne est digne tant que le corps est beau et respire la santé. Le respect du corps implique aussi de prendre au sérieux ses limites, et la responsabilité qui incombe à chacun de faire du monde un lieu habitable.

    c) La conscience morale

    Il s'agit de l'un des passages les plus célèbres de la constitution pastorale qui a été parfois lu comme une affirmation générale, isolé de la logique du texte. Gaudium et spes ne fait pas de la foi chrétienne la condition d'une vie authentiquement morale. Mais il fait jouer la différence chrétienne. Si le texte affirme la dignité de la conscience humaine, c'est pour aider tout homme à découvrir la loi qui le dépasse et qui habite sa conscience, et pour souligner la part jouée par la parole de Dieu. Ainsi par exemple, la condamnation solennelle des atteintes à l'intégrité de la personne humaine, au plan physique, psychique et spirituel (GS 27) n'est pas un simple rappel des interdits et des obligations contenues dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, mais résulte du travail coordonné de la conscience morale et de la parole de Dieu : « Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40).

    3) Analyse

    Vingt ans après la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Concile Vatican II affirmait avec force à son tour la dignité de la personne humaine, en utilisant cette expression. Le concile, comme les textes internationaux, fait du droit au respect de sa dignité le premier et le plus fondamental des droits de l'homme. Mais là encore il faut prendre garde à la définition des notions en jeu. L'Eglise reconnaît les droits de l'homme et encourage à les défendre, à condition qu'ils ne bafouent pas la dignité de la personne humaine, elle précise les devoirs qui leurs sont assujettis, et elle les élargit à la mesure de la vocation de l'homme fils de Dieu. Ainsi, on doit respecter les droits de son prochain, mais surtout le considérer et l'aimer comme lui-même.

    L'Eglise va donc encore plus loin que ce que nécessite une simple protection des droit de l'homme telle que l'entend le droit international, parce qu'elle est guidée par l'amour du Christ, qui doit conditionner tous nos actes. Et c'est ce qui lui permet de rester vigilante quant aux nouveaux droits de l'homme qui fleurissent aujourd'hui. Gaudium et Spes insiste beaucoup sur le respect dû à l'homme, et sur le devoir de considérer son prochain comme un autre soi-même et énumère ainsi des actes qui sont considérés comme intrinsèquement mauvais : « tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré: tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de pur, instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur. » (GS 27)

    Actuellement en effet on constate une certaine tendance à redéfinir les droits de l'homme sur des bases différentes de celles sous tendaient la Déclaration universelle de 1948. Celle-ci s'inscrivait dans la tradition qui considérait que l'homme est capable de découvrir, grâce à sa raison, qu'il a des droits fondamentaux, qui s'imposent à tous par l'éclat de leur vérité. On considère plutôt aujourd'hui qu'aucune vérité ne s'impose à l'homme à propos de lui-même et que l'origine des droits de l'homme doit être plutôt recherchée dans le consensus. Les droits de l'homme dans ce cas sont issus d'un processus au terme duquel la décision de la majorité définit ce qui est juste.155(*)Mais les droits de l'homme ne viennent pas de l'extérieur, ils ne sont pas donnés à l'homme par un autre homme ou par une institution humaine telle que l'Etat. Ils lui appartiennent antérieurement à toute institution humaine. Les droits ne se créent pas, ils ne peuvent être nouveau au sens strict du terme : ils se dévoilent, ils se déclarent pour ensuite être protégés et promus

    L'enseignement de Gaudium et Spes est l'enseignement permanent de l'Église depuis son origine. Un dialogue doit être établi entre tous les hommes et d'abord au sein même de l'Église: Ce qui unit les fidèles est plus fort que ce qui les divise. L'unité de tous les chrétiens est désirée et attendue. Il faut poursuivre activement les efforts entrepris. Un dialogue est aussi nécessaire avec tous ceux qui croient en l'existence de Dieu. Enfin, pour réaliser le dessein de Dieu, les chrétiens doivent savoir qu'ils sont tous appelés à rendre service aux hommes de leur temps. (GS 91 à 93).

    Cependant, certains auteurs reprochent à Gadium et Spes un humanisme chrétien où l'homme est au centre de tout (GS 12) et l'absence totale de Dieu. Ceci implique trois faits majeurs :


    · Le naturalisme : Le Royaume de Dieu, Royaume des Cieux, n'est pas de ce monde, mais au-delà. Il faut mourir avec le Christ et perdre sa vie pour la gagner en ressuscitant avec Lui pour la Vie éternelle. La vocation, la libération et le salut de l'homme ne sont pas d'ordre temporel, humain, politique, mais d'ordre religieux, moral, transcendant.


    · L'optimisme : Parce que ce combat, cet effort pour conquérir le Royaume de Dieu ne sont pas de l'homme mais de Dieu. Ils sont l'oeuvre de la grâce en nous, non de la bonne volonté et des énergies naturelles de l'humanité, encore moins d'un germe divin et d'un Esprit qui seraient communément répandus en tous les hommes comme une énergie et une noblesse natives.


    · L'humanisme enfin, faussement donné pour évangélique et chrétien, selon lequel la foi et la religion catholiques auraient pour fonction providentielle de servir de moteur spirituel à cette construction, d'être l'âme du monde dans son progrès, distribuant conseils et exemples, lumières et énergies pour assurer la réussite de cette conquête du bonheur de tout l'homme par l'homme pour tous les hommes.

    II.3. Réconciliation et pénitence : réaffirmation de la doctrine catholique des actes intrinsèquement mauvais

    1) Présentation

    Dix-huit années après la promulgation du rituel romain de la pénitence156(*), Jean Paul II propose une exhortation apostolique post-synodale Reconciliatio et Poenitentia, (RP) adressée à l'épiscopat, au clergé et aux fidèles sur la réconciliation et la pénitence dans la mission de l'Eglise aujourd'hui, datée du 02/12/1984.

    Commençant avec la prédominance du thème de la réconciliation sur celui de la pénitence, il s'achève à l'inverse. Ainsi le titre général Réconciliation et Pénitence se transforme au chapitre III en « la pastorale de la Pénitence et de la Réconciliation ». Nous voyons là un premier indice de l'argumentation générale d'un texte qui semble chercher à contenir les évolutions marquées par le Rituel Romain de 1973 en redonnant à l'ancien rituel toute sa place.

    L'Exhortation s'ouvre sur la représentation de la réconciliation dans un monde éclaté, nostalgique de son unité passée (préambule). Cette représentation sert de cadre aux représentations des objets théologiques: Christ réconciliateur (RP7), Eglise réconciliatrice (RP8), Eglise réconciliée (RP9). Cette représentation, plutôt affective, issue de la représentation du péché comme brisure d'amitié, permet ainsi d'inclure des pratiques réconciliatrices non sacramentelles telles que la prière, la prédication, l'action pastorale et le témoignage (RP12).

    Les actes de contrition, les oeuvres de charité, la prière et les rites pénitentiels seront cités comme moyens de pardon des péchés véniels, c'est-à-dire au sein d'une représentation judiciaire où s'établissent une échelle de gravité des fautes et une proportionnalité de la pénitence rédemptrice.

    Dans cette exhortation la régulation sociologique est la seule qui soit explicite, avec la méthode du dialogue, reprise de l'encyclique Ecclesiam Suam (ES) de Paul VI157(*). Cette notion offrait une version adoucie de l'obéissance à la hiérarchie ecclésiastique. L'autorité est sauve : elle se fait persuasive par l'échange de paroles et non plus par des méthodes de dissuasion, d'inquisition, etc. Il est requis du fidèle qu'il ne rejette point cette autorité et qu'il accepte le dialogue, en échange de quoi l'autorité ne rejettera pas le pécheur (public) et se montrera tolérante en respectant la conscience de chacun. La régulation par la hiérarchie est ainsi tempérée par un jeu d'échanges.

    2) Analyse

    L'exhortation Réconciliation et pénitence part d'un fait : notre société connait une perte du sens du péché. Le pape définit le sens du péché comme, « une sensibilité et une capacité de perception qui permettent aussi de déceler ces ferments dans les mille formes que revêt le péché, dans les mille visages sous lesquels il se présente. » (RP 18) Ce sens du péché a sa racine dans la conscience de l'homme et en est comme l'instrument de mesure. Il est lié au sens de Dieu, puisqu'il provient du rapport conscient de l'homme avec Dieu comme son Créateur, son Seigneur et Père (RP 18).

    Pour le pape, les raisons de cette altération du sens du péché sont multiples et reliées pour la plupart d'entre elles à l'évolution scientifique: « notre société, diagnostique le pape, vit sous la menace d'une éclipse de la conscience, d'une déformation de la conscience, d'un engourdissement ou d'une anesthésie des consciences (...) On a eu tendance à remplacer certaines attitudes excessives du passé par d'autres excès:  au lieu de voir le péché partout, on ne le distingue plus nulle part ; au lieu de trop mettre l'accent sur la peur des peines éternelles, on prêche un amour de Dieu qui exclurait toute peine méritée par le péché ; au lieu de la sévérité avec laquelle on s'efforce de corriger les consciences erronées, on prône un tel respect de la conscience qu'il supprime le devoir de dire la vérité (...).» (RP 18)

    Ainsi, il est donc inévitable dans cette situation que le sens du péché soit lui aussi obnubilé, car il est étroitement lié à la conscience morale, à la recherche de la vérité, à la volonté de faire un usage responsable de sa liberté. Ce sens du péché, affirme le pape, disparaît également dans la société contemporaine à cause des équivoques ou l'on tombe en accueillant certains résultats des sciences humaines. (RP 19) Ainsi, en partant de quelques-unes des affirmations de la psychologie, la préoccupation de ne pas culpabiliser ou de ne pas mettre un frein à la liberté porte à ne jamais reconnaître aucun manquement. (RP 19) A cause d'une extrapolation indue des critères de la science sociologique, on en vient à reporter sur la société toutes les fautes dont l'individu est déclaré innocent. Egalement, une certaine anthropologie culturelle, à son tour, à force de grossir les conditionnements indéniables et l'influence du milieu et des conditions historiques sur l'homme, limite sa responsabilité au point de ne pas lui reconnaître la capacité d'accomplir de véritables actes humains et, par conséquent, la possibilité de pécher. (RP 19)

    En outre, le sens du péché disparaît facilement aussi sous l'influence d'une éthique dérivée d'un certain relativisme historique. « Il peut s'agir, écrit Jean Paul II, de l'éthique qui relativise la norme morale, niant sa valeur absolue et inconditionnelle, et niant par conséquent qu'il puisse exister des actes intrinsèquement illicites, indépendamment des circonstances où ils sont posés par le sujet. Il s'agit d'un véritable ébranlement et d'une baisse des valeurs morales, et le problème, ce n'est pas tellement l'ignorance de l'éthique chrétienne, mais plutôt celui du sens, des fondements et des critères de l'attitude morale. L'effet de cet ébranlement éthique est toujours aussi d'étouffer à ce point la notion du péché qu'on finit presque par affirmer que le péché existe mais qu'on ne sait pas qui le commet. » (RP 20)

    Partant de ce qui précède, le pape appelle dans l'exhortation à rétablir un juste sens du péché, c'est la première façon d'affronter la grave crise spirituelle qui pèse sur l'homme de notre temps. Mais le sens du péché ne se rétablira que par un recours clair aux principes inaliénables de la raison et de la foi que la doctrine morale de l'Eglise a toujours soutenus. (RP 18)

    Il s'agit notamment, parmi ses principes séculaires et incessibles que l'Eglise conserve, des actes intrinsèquement mauvais que Jean Paul II qualifie de noyau de l'enseignement traditionnel de l'Eglise : « le synode a, en effet, non seulement réaffirmé ce qui avait été proclamé par le Concile de Trente sur l'existence et la nature des péchés mortels et véniels, mais il a voulu rappeler qu'est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave et qui, de plus, est commis en pleine conscience et de consentement délibéré. On doit ajouter, comme cela a été fait également au Synode, que certains péchés sont intrinsèquement graves et mortels quant à leur matière. C'est-à-dire qu'il y a des actes qui, par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances, sont toujours gravement illicites, en raison de leur objet. Ces actes, s'ils sont accomplis avec une conscience claire et une liberté suffisante, sont toujours des fautes graves. » (RP 20)

    Fidèle à la tradition, Jean Paul II définit le péché mortel comme l'acte par lequel un homme, librement et consciemment, refuse Dieu, sa loi, l'alliance d'amour que Dieu lui propose, préférant se tourner vers lui-même, vers quelque réalité créée et finie, vers quelque chose de contraire à la volonté de Dieu (conversio ad creaturam). Cela peut se produire d'une manière directe et formelle, comme dans les péchés d'idolâtrie, d'apostasie, d'athéisme; ou d'une manière qui revient au même comme dans toutes les désobéissances aux commandements de Dieu en matière grave.

    Aussi, le pape prévient contre toute réduction du péché mortel à l'acte qui exprime une option fondamentale contre Dieu. « Il y a, en fait, écrit le pape, péché mortel également quand l'homme choisit, consciemment et volontairement, pour quelque raison que ce soit, quelque chose de gravement désordonné. En effet, un tel choix comprend par lui-même un mépris de la loi divine, un refus de l'amour de Dieu pour l'humanité et toute la création: l'homme s'éloigne de Dieu et perd la charité. L'orientation fondamentale peut donc être radicalement modifiée par des actes particuliers. Sans aucun doute il peut y avoir des situations très complexes et obscures sur le plan psychologique, qui ont une incidence sur la responsabilité subjective du pécheur. Mais de considérations d'ordre psychologique, on ne peut passer à la constitution d'une nouvelle catégorie théologique, comme le serait précisément l'option fondamentale, entendue de telle manière que, sur le plan objectif, elle changerait ou mettrait en doute la conception traditionnelle du péché mortel. » (RP 17)

    Bref, l'exhortation Réconciliation et Pénitence vient réaffirmer qu'un péché mortel donne la mort à l'âme en lui ôtant la grâce sanctifiante, et qu'il faut à cela trois conditions : désobéissance à Dieu en matière grave ; plein consentement de la volonté ; et pleine conscience de son acte. Et que certains péchés sont, par leur objet, des actes intrinsèquement mauvais.

    II.4. Le catéchisme de l'Eglise catholique

    1) Présentation

    Le Catéchisme de l'Église catholique est un ouvrage d'instruction à la doctrine chrétienne catholique, résumant la foi, l'enseignement et la morale de l'Église catholique. Il a été promulgué le 11 octobre 1992 et publié solennellement le 7 décembre 19923. Sa rédaction a été suggérée par l'Assemblée générale extraordinaire du Synode des Évêques de 19853,4, vingt ans après la fin du concile Vatican II et approuvée par Jean-Paul II le 7 décembre 19853.

    Ce catéchisme est un ouvrage de référence pour tout fidèle catholique quant aux dogmes, sacrements, vie morale et vie spirituelle, qui a pour objectif de faciliter la rédaction de catéchismes locaux. C'est une somme importante, comprenant plus 650 pages, mais sa formulation est claire et didactique afin d'être comprise par le plus grand nombre5. Il a été réédité, dans sa version définitive6, en août 1997. Un compendium (version abrégée) en a également été publié en 2005.

    2) Le catéchisme et la morale

    C'est dans la troisième partie, la vie dans le Christ que le Catéchisme traite de la morale chrétienne. En effet, la morale du catéchisme reprend l'enseignement traditionnel inspiré de la synthèse thomiste.158(*)Il présente la fin ultime de l'homme, crée à l'image de Dieu ; la béatitude et les chemins pour y parvenir : par un agir droit et libre, avec l'aide de la loi et de la grâce de Dieu, par un agir qui réalise le double commandement de la charité, déployé dans les dix commandements (CEC 16).

    Les convictions fondamentales du catéchisme de l'Eglise catholique vont se transcrire dans les affirmations suivantes : la dignité de la personne humaine, le désir de bonheur, la liberté, les actes humains, la conscience, les vertus, le péché et la corruption, la vie communautaire, la loi, le rôle du magistère dans l'annonce du précepte moral et enfin les commandements.

    Concernant l'agir moral et la question des actes intrinsèquement mauvais, le Catéchisme affirme que la qualité de l'objet choisi, de l'intention et des circonstances, rendent compte de la dignité de la personne, de son désir de bonheur et de sa vraie liberté. L'objet de l'acte doit être conforme au bien véritable, selon les règles objectives de la moralité. L'intention du sujet agissant volontairement vise à la fois la fin ultime et les finalités assignées à des actions singulières. Les circonstances peuvent modifier la bonté ou la responsabilité d'un acte. Mais un acte qui est radicalement mauvais, en raison de son objet, ne cesse pas de l'être en raison de l'intention et des circonstances. La fin ne justifie pas les moyens, il n'est pas permis de faire le mal pour qu'en résulte un bien (CEC 1756).

    Il s'agit donc d'une moralité construite d'abord sur l'objet de l'acte, un ordre moral objectif, c'est-à-dire, qui exprime toujours et en toute circonstance un désordre de la volonté qui ne se tourne pas vers le bien conforme à l'ordre rationnel, conforme au bien de l'être humain (1749-1761). Nous avons ici les éléments repris plus longuement par Veritatis Splendor sur le mal objectif. Cela est évident dans l'ordre idéal, si l'on parvient à établir une nette distinction entre le bien et le mal, une frontière sans équivoque qui fait que le mal n'est que mal, et le bien n'est que bien. Dans le discernement éthique qui met en travail la raison de la quête du bien, cette évidence n'éclate pas toujours, surtout en raison de l'influence des passions (1762-1775) qui contribuent à l'incontournable ambiguïté éthique.

    En somme, le Catéchisme enseigne que la personne ou le moraliste qui réfléchit en vue d'une action bonne doit peser toutes les dimensions concrètes de l'action, évaluer à quelles conditions elle respecte le mieux la dignité des personnes et à quelles conditions elle demeure éthiquement valable, tout en étant porteuse de mal. Voilà le terrain de travail de l'éthique, terrain très souvent miné par des solutions trop simplistes, utilitaristes et fonctionnelles, et peu cohérentes avec ce que la raison identifie comme ayant du sens pour le bien de l'être humain. C'est dans cet espace d'ambiguïtés que certains moralistes ont proposé des options trop laxistes et risquant de compromettre la conquête du vrai bien. C'est à eux que Veritatis Splendor s'est adressé en premier lieu.

    II.5. Veritatis Splendor : nouveau dogme sur le mal intrinsèque

    II.5.1. Le contexte de publication de veritatis Splendor

    Veritatis splendor offre en effet une ample réponse aux questions discutées entre des moralistes qui demeurent inconnus du grand public mais dont l'incidence concrète est considérable. La théologie morale est en crise parce que les principes qui la fondent sont radicalement mis en cause par une nouvelle école qui occupe les chaires des plus grandes universités catholiques, même à Rome. Ses deux grands noms : Joseph Fuchs sj, professeur à la Grégorienne, et Bernard Häring, rédemptoriste de l'Académie Alphonsienne, l'Institut de théologie morale de l'université du Latran. On citera aussi Johannes Grundel, professeur à la Faculté de théologie de Munich, et les jésuites Peter Knauer, de Louvain, Bruno Schuller et Richard McCormick...

    Malgré d'inévitables divergences, ces différents auteurs se retrouvent autour de quelques thèses fondamentales.159(*) Nous en exposons ici les trois principaux :

    - Existe-t-il une morale chrétienne ?

    Tel est le titre d'un livre de J. Fuchs. Oui et non, répond le jésuite, qui coupe la morale catholique en deux parties. Oui quant à ses orientations générales, fondées sur des textes de l'Evangile: la foi, la charité ou l'imitation du Christ. Non, si l'on descend au niveau des comportements quotidiens, des actes concrets et des cas de conscience qui touchent des domaines limités tels que la chasteté, le mariage, la vie sociale ou la justice. L'Ecriture apportant ici peu d'éclairages, ceux-ci relèvent principalement de la raison et donc d'une morale simplement humaine, à caractère universel, même si elle s'inscrit dans un climat chrétien. Conséquence logique de cette séparation : la revendication d'autonomie de la morale vis-à-vis du Magistère.160(*) Car si l'Eglise peut s'exprimer sur les attitudes générales, les nouveaux moralistes contestent son intervention dans les questions éthiques réservées à la raison. D'où le développement depuis Humanæ vitæ d'une théologie du dissentiment, réfutée par Rome notamment par l'Instruction sur La vocation ecclésiale du théologien (24 mai 1990).161(*)

    - Subjectivisme et relativisme.

    Fascinés par les sciences de l'homme (psychologie, psychanalyse, sociologie) et de la nature (biologie) qui analysent les comportements humains comme des faits extérieurs, la nouvelle école ne se réfère plus à la loi naturelle, fondement de toute morale objective. Seuls comptent les actes personnels s'insérant dans les mouvements collectifs, l'évolution des moeurs, le pluralisme culturel, bref le devenir des choses et non plus l'être stable qui les sous-tend.

    La conscience de chacun, influencée par son milieu d'appartenance, applique à la réalité humaine des normes qui ne sont ni obligatoires, ni valables en tous temps et tous lieux, mais sont simplement des aides dont la valeur pédagogique est relative. Fuchs écrit : « Les faits, qu'ils soient sociaux, culturels, techniques ou autres, évoluent. Les expériences de l'homme et des sociétés humaines se modifient du tout au tout, en raison même de l'évolution des faits. Le jugement porté sur les valeurs, la manière de comprendre le sens de la réalité humaine et la conscience de soi peuvent aussi se transformer»162(*). Dès lors, les véritables normes ne sont pas les lois universelles mais les interprétations personnelles. La morale est existentialiste, subjective.

    - Tout acte peut devenir bon.

    S'il n'y a plus de lois morales universelles, il n'y a plus d'actes intrinsèquement mauvais, indépendamment des intentions et des circonstances, tels que le mensonge, le blasphème ou l'adultère. Ce problème arrive en tête des controverses actuelles. En 1952, Pie XII avait condamné la morale de situation. Nos théologiens, plus audacieux, ont conçu un nouveau système appelé conséquentialisme ou proportionnalisme qui juge les actes par comparaison ou proportion entre les conséquences bonnes ou mauvaises qu'ils produisent. Un acte n'est jamais toujours bon ou mauvais en soi. Pour le qualifier, il faut au préalable envisager l'ensemble des circonstances et tous les effets proches et lointains qui en découleront. Fuchs distingue ainsi l'ordre prémoral ou non-moral de l'ordre moral. Supposons une femme qui envisage de prendre la pilule. La stérilité qui en résultera est un mal prémoral mais l'équilibre du couple qui en dépend est un bien prémoral. Jugeant en toute bonne foi que l'équilibre de son couple est un plus grand bien, la volonté de cette femme va assumer cet acte, passant ainsi au domaine moral. Cette fin justifie ce moyen. Sa bonne intention - réaliser le plus grand bien prémoral - qualifie positivement son acte. Puisque l'équilibre du couple prime sur la stérilité, il y a une raison proportionnée pour recourir à la contraception. Comme il peut y avoir - autres cas - des raisons proportionnées de mentir, d'avorter, de pratiquer l'euthanasie, etc.

    Tout type d'acte peut, en raison des intentions, des circonstances et des conséquences, devenir moral. Mais - objectera-t-on - l'évaluation des biens et des maux prémoraux suppose un travail d'analyse qui n'est pas à la portée de n'importe qui. Ce système est fait pour des intellectuels. Réponse des néo-moralistes : la moralité d'un homme ne se mesure pas à la connaissance qu'il peut avoir des circonstances et des conséquences, qui seront toujours incomplètes et limitées. Mais elle dépendra de la qualité de son intention. Et nul autre que lui n'est mieux placé pour déterminer librement ce qu'il doit faire. On a rapproché cette nouvelle théologie morale de l'utilitarisme, qui constitue le substrat de la morale libérale anglo-saxonne. Et il est vrai qu'elle s'accorde avec une conception technicienne de la vie : ce qui est vrai et bon, c'est ce qui marche.

    Face à ces thèses, Rome n'est pas restée silencieuse. Veritatis splendor s'inscrit en continuité avec les documents du Magistère touchant les problèmes moraux actuels : l'encyclique Familiaris consortio (1981) sur le mariage, les nombreux discours de Jean-Paul II sur le respect de la vie et les questions médicales et les textes de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur l'euthanasie (1980), l'homosexualité (1986) et la bioéthique (1987). Le Catéchisme de l'Eglise catholique publié en 1992 a intégré toutes ces données et rappelé, contre les néo moralistes, l'existence d'actes intrinsèquement mauvais

    II.5.2. Présentation de Veritatis Splendor

    L'encyclique Veritatis splendor (VS) publiée le 6 août 1993 est un acte authentique du Magistère doctrinal romain. Elle n'a cependant aucun des caractères de la moindre infaillibilité, soit de fait comme l'est un acte du Magistère ordinaire, soit de droit comme sont les définitions et anathèmes du Magistère extraordinaire ou solennel. Elle est celle d'un repositionnement d'inspiration largement néo-scolastique de la théologie morale, face aux problématiques d'éthique contemporaine. Elle concerne avant tout la définition et l'articulation de différents concepts clés : Vérité, liberté, conscience morale, loi... Le titre lui-même de l'Encyclique traduit cette aspiration à une vigilance morale à ne pas séparer la quête du Bien de celle du Vrai, et ce malgré la floraison des éthiques contemporaines, plus ou moins autonomes ou relativistes.

    L'Encyclique du Pape est publiée après la chute du Mur de Berlin en 1989 et la fin du communisme, dans une époque de changement important au niveau politique mais aussi idéologique dans lequel on voit poindre l'apogée du capitalisme individualiste. Jean Desclos affirmera après la publication de Veritatis Splendor qu'« après avoir porté les coups les plus terribles au totalitarisme communiste, Jean-Paul II est devenu le seul adversaire sérieux de l'esprit capitalo-individualiste de notre temps »163(*).

    L'encyclique du pape, critiquée par certains, tente donc de repenser la morale à l'aube du XXe siècle. Le Cardinal Ratzinger, à l'occasion de la présentation de l'encyclique Veritatis Splendor le 5 octobre 1993, résume l'enjeu de cette encyclique: « La question morale est manifestement plus que jamais une question de vie ou de mort pour l'humanité. Dans la civilisation uniformément techniciste qui s'est étendue désormais au monde contemporain tout entier, les anciennes certitudes morales, que soutenaient jusqu'ici les grandes cultures particulières, sont largement détruites »164(*). Le Pape a ainsi voulu reformuler les notions de Bien et de Mal.

    Cette encyclique apparaît tardivement dans le pontificat de Jean-Paul II, alors même que l'Encyclique était annoncée depuis 1er août 1987, celui-ci le justifie dans l'introduction de l'Encyclique: « Si cette encyclique, attendue depuis longtemps, n'est publiée que maintenant, c'est notamment parce qu'il est apparu opportun de la faire précéder du Catéchisme de l'Église catholique, qui contient un exposé complet et systématique de la doctrine morale chrétienne."(...)" l'encyclique se limitera à développer quelques questions fondamentales de l'enseignement moral de l'Église, en pratiquant un nécessaire discernement sur des problèmes controversés entre les spécialistes de l'éthique et de la théologie morale. » (VS 5)

    II.5.3. Analyse

    Destinée en premier lieu à tous les évêques, Veritatis splendor énonce clairement les souhaits et les directives du pape : rétablir dans les esprits trompés ou perdus le seul et vrai ordre moral compatible avec la doctrine catholique, et susceptible par là même, d'aider les âmes à se sauver. Il écrit à ce sujet, « Dans le cadre des débats théologiques postconciliaires, se sont toutefois répandues certaines interprétations de la morale chrétienne qui ne sont pas compatibles avec la saine doctrine (2 Tm 4, 3). Il est évident que le Magistère de l'Eglise n'entend pas imposer aux fidèles un système théologique particulier, encore moins un système philosophique, mais, pour garder saintement et exposer avec fidélité la Parole de Dieu, il a le devoir de déclarer l'incompatibilité de certaines orientations de la pensée théologique ou de telle ou telle affirmation philosophique avec la vérité révélée. En vous adressant cette encyclique, chers Frères dans l'épiscopat, je désire énoncer les principes nécessaires pour le discernement de ce qui est contraire à la saine doctrine, et rappeler les éléments de l'enseignement moral de l'Eglise qui semblent aujourd'hui particulièrement exposés à l'erreur, à l'ambiguïté ou à l'oubli » (VS 29).

    L'adresse aux évêques n'est certes pas innocente; le pape n'hésite pas à rappeler à ces derniers leur haute et lourde responsabilité : « C'est notre devoir commun, et plus encore notre grâce commune, d'enseigner aux fidèles, en tant que pasteurs et évêques de l'Eglise, ce qui les conduit vers Dieu, comme le fit un jour le Seigneur Jésus avec le jeune homme de l'Evangile » (VS 114).

    En effet, c'est avec l'épisode du jeune homme riche que le Saint-Père ouvre le chapitre Ier de l'encyclique (VS 6-27). L'histoire biblique est connue : un jeune homme riche, doté d'une conscience très respectueuse de la Loi, s'approche de Jésus et Lui demande ce qu'il doit faire de bon pour obtenir la vie éternelle (Mt 19,16). La réponse du Christ se fait en deux temps : tout d'abord, observer les commandements. Puis, vendre tous ses biens et Le suivre. Ces deux temps correspondent à deux étapes de la vie spirituelle : « entrer dans la vie éternelle » (Mt 19, 17), puis se parfaire en demeurant uni au Fils de Dieu : Le Saint-Père nous rappelle que la première étape appartient déjà au domaine de la Révélation. Les chrétiens ont une loi écrite qui reprend celle du peuple juif : ce sont les Tables de la loi dictées à Moïse sur le mont Sinaï. Mais, la notion de loi doit attirer notre attention sur les notions de bien et de bonté. Le pape fait remarquer que la question du jeune homme riche est à la fois d'ordre moral et d'ordre religieux : « Dieu seul peut répondre à la question sur le bien, parce qu'il est le Bien » (VS 9). Par conséquent, si l'on considère que nous ne pouvons atteindre Dieu que par la vertu de foi, l'on ne peut dissocier la foi de la morale. Avoir la foi sans avoir un comportement moral, n'est pas une attitude chrétienne. Dieu ayant déposé en lui la loi naturelle, l'homme est fait pour la vie morale. La loi naturelle répond à la loi de la Création; et le Saint-Père de citer saint Thomas : « La loi naturelle n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence, infusée en nous par Dieu » (VS 12). Cette loi, qui fut en quelque sorte retranscrite dans les Dix Commandements, vise à « sauvegarder le bien de la personne, image de Dieu » (VS 13).

    La seconde étape de la vie chrétienne consiste à demeurer uni à Dieu, c'est-à-dire à participer à la vie même de Dieu. C'est ce qu'on appelle la béatitude. Or, s'il est vrai que cette étape-là ne peut être pleinement réalisée qu'au Ciel, la venue de Jésus-Christ sur terre nous permet de la commencer en Le suivant dès ici-bas. Jean-Paul II conclut cette première partie par la notion de liberté. La morale ne doit pas être perçue comme une contrainte, mais comme une libération de l'être humain pour monter plus haut vers Dieu. Or, c'est précisément cette liberté qui est aujourd'hui en danger, non seulement parce que la notion de vérité est mise en doute ou abolie, mais également parce que la notion même de nature est niée.

    L'encyclique Veritatis Splendor se caractérise notamment par la dénonciation des grandes erreurs théologiques modernes : En effet, pour parler de vérité et de liberté l'emploi du vocabulaire et des concepts philosophiques et théologiques s'avère nécessaire. Ainsi, Le deuxième chapitre de l'encyclique est donc plus technique; il n'en est pas moins le corps du texte, fort intéressant. L'idée maîtresse consiste à dire qu'il est urgent de relier vérité et liberté, sans lesquelles il n'est pas de dignité humaine possible. Quatre thèmes majeurs sont étudiés : la liberté et la loi (VS 35-53), la conscience et la vérité (VS 54-64), le choix fondamental et les comportements concrets (VS 65-70), et l'acte moral (VS 71-83). Les grandes questions préliminaires posées sont celles de la condition humaine : « Qu'est-ce que l'homme ? Quel est le sens et le but de sa vie ? Qu'est-ce que le bien et qu'est-ce que le péché ? Quels sont l'origine et le but de la souffrance ? [...] » (VS 30). Et la principale erreur moderne, c'est de placer l'homme avant Dieu, c'est de faire de la conscience individuelle un juge suprême, de remplacer la vérité par la sincérité, l'objectivité par le subjectivisme, de faire de la liberté un absolu sans dépendance envers la vérité.165(*)

    a) Comment comprendre la loi ? La situation est claire : de nos jours, la notion d'autorité n'est plus comprise. Si Dieu, qui est le Père de toute créature, a interdit à Adam et Eve de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, c'est par bienveillance, et non par punition. La chute n'est qu'un effet logique de l'ordre des choses voulues par Dieu. Et l'homme ne peut se passer de la sagesse divine « qui meut toute chose à la fin requise » (saint Thomas, cité par VS 43). Il existe donc la loi éternelle de Dieu qui gouverne toute chose. Ce que l'on appelle loi naturelle - inscrite dans la raison humaine, lui permettant de discerner le bien du mal en structurant sa conscience - n'est qu'une participation de cette loi éternelle. Deux erreurs modernes sont donc rejetées : le physicisme et le naturalisme qui voudraient retirer la dimension éternelle de la loi naturelle et proclamer l'autonomie de la raison humaine en matière morale.

    b) Conscience et vérité. Au paragraphe 54 de l'encyclique, le Saint-Père explique que la conscience morale est le coeur de l'homme, et que c'est là que réside le lien entre la liberté de l'homme et la loi de Dieu. Or, il est une tendance actuelle à condamner : celle qui conduit « à une interprétation «créative» de la conscience morale » (VS 54) comme si celle-ci pouvait, d'elle-même, établir un code moral et par conséquent laisser de côté les normes objectives de la loi. Une telle tendance conduit droit au subjectivisme. En réalité, la conscience de l'homme, et par là sa liberté, est faite pour se mettre dans le sillage de la loi de Dieu. Un coeur droit est un coeur qui pense comme Dieu : « Le jugement de la conscience ne définit pas la loi, mais il atteste l'autorité de la loi naturelle et de la raison pratique en rapport avec le bien suprême par lequel la personne humaine se laisse attirer et dont elle reçoit les commandements » (VS 60).

    c) Déviance fondamentaliste. Il s'agit ici d'une théorie de la théologie morale parmi les plus subtiles et les plus difficiles à saisir : elle opère une dissociation entre ce que l'on appelle le choix fondamental, qui est, de façon schématique, l'engagement à vivre chrétiennement selon la vertu de foi, et entre les choix délibérés de comportements concrets (VS 65). Les notions de bien et de mal sont réservées au domaine de l'absolu, du fondamental, et l'on ne parle que « de juste ou de fautif pour qualifier les comportements particuliers [...] qui concernent les relations de l'homme avec lui-même, avec les autres et avec le monde des choses » (VS 65). Ce qui revient à dissocier la personne de ses actes et rappelle une des thèses luthériennes selon laquelle seule compte la foi, et non les oeuvres. Le résultat, c'est que le champ de la morale est rétréci à l'option fondamentale : « On en arrive au point qu'un comportement concret, même librement choisi, est considéré comme un processus purement physique et non selon les critères propres de l'acte humain » (VS 65). Cette position erronée est proprement anti-thomiste; le Docteur angélique nous dit en effet que « la perfection est dans l'acte » et que « l'agir suit l'être ». Puisque nous sommes appelés à la perfection, il nous faut donc agir, mais, pour que notre acte ait un sens bon, il lui faut être en accord avec notre être; lequel être nous vient de Dieu. Et seule la morale peut régler cet être sur l'Etre suprême (VS 66-67).

    d) L'acte moral : Il s'ensuit de cela que tout acte humain a une connotation morale, bonne ou mauvaise : « Les actes humains sont des actes moraux parce qu'ils expriment et déterminent la bonté ou la malice de l'homme qui les accomplit » (VS 71).

    Donc, nous agissons bien ou nous agissons mal. Faire la différence entre les deux relève du discernement éclairé par le Saint-Esprit. Mais, de toute façon, nous devons être responsables de nos actes pour vivre. En sachant que « seul l'acte conforme au bien peut être la voie qui conduit à la [vraie] vie. Ordonner rationnellement l'acte humain vers le bien dans sa vérité [qui est Dieu] et rechercher volontairement ce bien, appréhendé par la raison, cela constitue la moralité. Par conséquent, l'agir humain ne peut pas être estimé moralement bon seulement parce qu'il convient pour atteindre tel ou tel but recherché, ou simplement parce que l'intention du sujet est bonne » (VS 72). La fin de ce chapitre est prodigieuse ! Nous sommes en plein thomisme : « La moralité de l'acte dépend avant tout et fondamentalement de l'objet raisonnablement choisi par la volonté délibérée, comme le montre la pénétrante analyse, toujours valable, de saint Thomas (cf. S.th., I-II, q. 18, a. 6) » (VS 78). En conséquence, il n'y a pas de liberté sans délibération de la raison humaine, ni sans exercice de la volonté. Et il ne peut y avoir d'acte moralement et humainement digne sans l'exercice de cette liberté.

    J. Desclos commente à ce propos : « Dans cette partie de l'encyclique, Jean-Paul II ressemble à un plaideur acharné à convaincre l'accusé de ses erreurs, reprenant inlassablement le même argument : aucune intention, si généreuse soit-elle, aucun calcul des conséquences bonnes et des effets positifs, si impressionnant soit-il, ne peuvent modifier la dimension radicalement et objectivement négative ou mauvaise d'un acte humain. Comprise à l'intérieur de ce raisonnement, la conscience n'a donc aucun pouvoir pour décider en toute liberté de ce qui est bien ou mal. De même, l'option positive mise à la clé de toute l'existence éthique ne peut effacer le caractère déshonnête d'un acte particulier. »166(*)

    Le troisième chapitre de l'encyclique explique combien il est primordial de bien prendre conscience de cela pour établir des rapports sains et normaux dans la vie politique, sociale, économique, nationale et internationale. En effet, Jean-Paul II insiste sur « la crise la plus dangereuse qui puisse affecter l'homme : la confusion du bien et du mal qui rend impossible d'établir et de maintenir l'ordre moral des individus et des communautés » (VS 93). Une fois de plus, il appelle à la nouvelle évangélisation, car la déchristianisation de l'Occident entraîne « le déclin et l'obscurcissement du sens moral » (VS 106).

    Enfin, le Saint-Père exhorte les évêques à veiller sur l'orthodoxie de la foi et de l'enseignement dans leur diocèse, en rappelant notamment que les théologiens ont l'obligation de refléter le magistère authentique de l'Eglise, en donnant, « dans l'exercice de leur ministère, l'exemple d'un assentiment loyal, intérieur et extérieur, à l'enseignement du Magistère dans le domaine du dogme et dans celui de la morale » (VS 110), dont les préceptes ont un « caractère obligatoire ». En effet, « la doctrine morale... n'est nullement établie en appliquant les règles et les formalités d'une délibération de type démocratique » (VS 113).

    II.5.4. Lecture critique de Veritatis Splendor

    Les textes pontificaux, dès lors qu'ils touchent au dogme ou à la morale, sont presque inévitablement mal compris et critiqués par les grands médias, les théologiens et même par certains chrétiens. Veritatis splendor n'échappe pas à la règle. L'étendue de la véritable crise dont parle l'encyclique prend toute son ampleur, lorsque l'on constate que le rejet du magistère moral de l'Eglise provient aussi de quelques-uns de ses propres pasteurs.167(*) C'est la raison pour laquelle Veritatis splendor contient dans son troisième chapitre des directives très précises destinées aux évêques et aux théologiens afin qu'ils veillent à la rectitude de l'enseignement catholique délivré sous leur responsabilité - ce que les autres encycliques n'avaient jamais fait aussi clairement.

    Partant de ce qui précède, la lettre encyclique de Jean-Paul II, Veritatis splendor, ne laisse pas indifférent par les questions qu'elle pose sur les rapports entre la foi et l'éthique, l'esprit et le corps, la conscience et la vérité. Selon certains auteurs, la pertinence des questions se trouve occultée, d'une part, par leur traitement autoritaire, et d'autre part, par une argumentation fondée sur une théologie obsolète. L'excès de schématisation causée par ces approches déficientes risque d'écarter cette lettre du débat éthique se déroulant dans notre société.168(*)

    D'autres auteurs par contre, d'inspiration conséquentialiste ou proportionnaliste critiquent dans une manualistique une conception physiciste de l'objet moral, à laquelle ils proposent de substituer, par souci de cohérence, une considération de l'acte humain comme totalité. Il ne s'agit pas en fait de de refuser l'existence d'actes intrinsèquement mauvais -- ce que tous ces auteurs admettent en principe --, mais de s'interroger sur ce que R. McCormick nomme the key problem: « Quels objets peuvent être caractérisés comme moralement mauvais et sur quel critère? Bien sûr, cette question en cache une autre : qu'est-ce qui doit être pris en compte comme appartenant à l'objet ? » 169(*)

    Dans tous les cas, il y a une considération de départ : les normes négatives, qui selon l'enseignement traditionnel proscrivent semper et pro semper certaines actions comme intrinsèquement mauvaises ex objecto, seraient en réalité le fruit d'un processus inductif qui aurait généralisé l'interdiction d'une action physique déterminée -- par exemple le fait de tuer -- en raison du résultat produit par ces actions (fondation téléologique de la norme). Serait a priori exclue la possibilité d'une exception légitime à ce commandement. Mais, bien évidemment, une telle prétention se révélerait rapidement un échec, pour deux raisons: primo, prévoir a priori toutes les situations possibles est une gageure ; secundo, le sens commun reconnaît la légitimité de l'action tuer dans certains cas (légitime défense, guerre juste, etc.).170(*)

    D'où un raffinement progressif de la norme, incluant toujours plus de circonstances, de façon à n'admettre aucune exception.

    Ainsi, seules sont valables semper et pro semper des normes dites transcendantales (prescrivant des attitudes fondamentales à l' égard des valeurs à respecter dans l'agir concret), tandis que les « normes catégorielles » (prescrivant ou interdisant un comportement concret) valent seulement ut in pluribus, à moins qu'on ne les regarde, comme des tautologies171(*) -- mais elles ne servent alors aucunement à déterminer un mode d'agir concret. C'est dès lors à la raison pratique qu'il revient de déterminer quel comportement convient dans la situation présente, et ce, à chaque fois d'une manière nouvelle, sans qu'elle puisse espérer des normes morales qu'elles lui offrent une solution toute faite.172(*)

    Pour ces auteurs, bref, les normes morales jouent un rôle que nous pourrions dire indicatif, en tant qu'elles transmettent l'expérience d'un groupe humain ou de l'humanité, mais sans pouvoir prétendre se substituer à l'individu dans la décision de ce qui doit être fait hic et nunc. L'individu devra prendre en compte ce patrimoine, mais il lui reviendra toujours, en dernière instance, de décider pour telle ou telle option.

    A ce propos J. Fuchs affirme : « L'action basique en tant que telle, ses circonstances concrètes et la fin jointe aux circonstances prévisibles, sont considérées ensemble comme l'unique objet de la décision et sont ainsi recherchées dans la décision morale personnelle. C'est en mettant en relation et en évaluant les éléments singuliers (avec leur signification morale respective) de l'unique objet de l'action que l'on parvient à juger laquelle des deux alternatives possibles de comportement est juste ou erronée pour le bien de l'humanité. [...] L'objet de la décision morale qui a lieu en vue d'une action n'est donc pas l'acte basique (par exemple physique) en tant que tel (dans sa signification morale, en tant que fait de tuer , faux témoignage , appropriation, stimulation sexuelle), mais plutôt l'ensemble de l'acte basique, des circonstances particulières et des effets désirés (plus ou moins) prévisibles, donc [la décision morale ne se fait pas] seulement à partir des seules conséquences, comme on le prétend assez souvent. C'est seulement la pondération de ces différents éléments qui permet de juger si l'objet complexif de l'acte (et ainsi l'acte basique en lui) ou son omission est un bien humain. »173(*) 

    Partant, on comprend que le pape ait particulièrement insisté sur les principales erreurs de notre temps. Cette analyse, qui est le corps de l'encyclique et qui occupe tout le deuxième chapitre, est d'une puissance et d'une qualité exceptionnelles. Largement d'inspiration thomiste (saint Thomas est cité dix-neuf fois), elle est d'un accès difficile, mais permet de comprendre l'impasse dans laquelle est engagé le monde moderne. Trois points nous semblent particulièrement importants à retenir.

    Le premier est la démonstration du lien entre liberté et vérité appuyée sur la parole du Christ : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (Jn 8, 32). Il n'y a pas de liberté sans subordination à la vérité : « seule la liberté qui se soumet à la Vérité conduit la personne humaine à son vrai bien », écrit le pape (VS 84). Faute de quoi, l'homme s'émancipe de Dieu et proclame l'autonomie de la raison humaine qui n'a plus aucune norme supérieure pour la guider. C'est l'erreur du rationalisme.

    Le second est le subjectivisme qui affirme que la conscience, dès lors qu'elle est sincère - et sans se soucier de savoir si elle a cherché à se former correctement -, décide de façon autonome du bien et du mal. Seule ici compte la bonne intention du sujet. C'est contre cette morale intentionnaliste - et c'est notre troisième point - que l'encyclique rappelle magistralement la doctrine de l'objet en s'appuyant sur l'enseignement de saint Thomas d'Aquin : La bonne intention ou la fin juste du sujet, pas plus que les circonstances légitimes ou les conséquences bienfaisantes qui peuvent en découler, ne suffisent à rendre bon un acte dont l'objet est mauvais. C'est l'objet qui donne principalement la connotation morale objective à tout acte humain. Les intentions et les circonstances -qui doivent également être légitimes pour que l'acte ait sa plénitude de bonté - peuvent atténuer ou augmenter la bonté ou la malice d'un acte, non « transformer un acte intrinsèquement malhonnête de par son objet en un acte «subjectivement» honnête ou défendable comme choix » (VS 81). Seule une doctrine de l'objet rend viable un ordre moral objectif qui permet d'énoncer des normes universelles et permanentes qui obligent sans exception, selon une « détermination rationnelle de la moralité de l'agir humain » (VS 82). Il n'est donc pas suffisant de suivre sa conscience, encore faut-il la former.

    II.6. Humanae Vitae : paradigme de la théorie des actes intrinsèquement mauvais

    II.6.1. Présentation historique

    Humanae Vitae (HV) est une lettre encyclique sur le mariage et la régulation des naissances promulguée par le pape Paul VI le 25 juillet 1968 et rendue publique quatre jours plus tard. Ce titre correspond aux deux premiers mots de la version latine du texte, qui commence ainsi : Humanae vitae tradendae munus gravissimum, c'est-à-dire le très grave devoir de transmettre la vie humaine.

    À l'époque, l'encyclique causa la surprise, car elle déclarait intrinsèquement déshonnête toute méthode artificielle de régulation des naissances, réaffirmant ainsi la position traditionnelle de l'Église à l'encontre d'une opinion publique très largement favorable à un assouplissement de la doctrine catholique. Cette prise de position déclencha une profonde crise d'autorité dans l'Église.174(*) De nombreux épiscopats, parmi lesquels l'épiscopat français, rédigèrent des notes pastorales après la publication de cette encyclique soulignant pour la plupart l'enseignement constant de la morale, quand on est dans une alternative de devoirs, c'est-à-dire aux outils de discernement élaborés par la casuistique dans les dilemmes.

    A ce propos J. Desclos écrit : « la malchance d'Humanae vitae s'explique en partie par ce défaut de totale cohérence. Après avoir demandé que la théologie morale soit comprise et enseignée en relation avec le mystère du Christ (Optatam totius 16), après avoir dit que le mystère de l'homme prend tout son sens dans le mystère du Christ (Gaudium et spes 22), on ne s'y réfère plus pour parler d'un problème moral fort complexe qui touche de si près à la vie et au bonheur des hommes. » 175(*) 

    II.6.2. Analyse

    Dans l'encyclique Humanae vitae, Paul VI prend soin de situer son enseignement dans la continuité de Pie XII et du concile Vatican II lorsqu'il déclare: « Ces actes, par lesquels les époux s'unissent dans une chaste intimité, et par le moyen desquels se transmet la vie humaine, sont, comme l'a rappelé le Concile, «honnêtes et dignes» (GS 49), et ils ne cessent pas d'être légitimes si, pour des causes indépendantes de la volonté des conjoints, on prévoit qu'ils seront inféconds : ils restent en effet ordonnés à exprimer et à consolider leur union. De fait, comme l'expérience l'atteste, chaque rencontre conjugale n'engendre pas une nouvelle vie. Dieu a sagement fixé des lois et des rythmes naturels de fécondité qui espacent déjà par eux-mêmes la succession des naissances. Mais l'Église, rappelant les hommes à l'observation de la loi naturelle, interprétée par sa constante doctrine, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie. » (HV 11)

    Paul VI donne ensuite la raison anthropologique : « Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le Magistère, est fondée sur le lien indissoluble que Dieu a voulu et que l'homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal : union et procréation. En effet, par sa structure intime, l'acte conjugal, en même temps qu'il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon des lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme. C'est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et procréation, que l'acte conjugal conserve intégralement le sens de mutuel et véritable amour, et son ordination à la très haute vocation de l'homme à la paternité. Nous pensons que les hommes de notre temps sont particulièrement en mesure de comprendre le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental. » (HV 12)

    Enfin, après avoir réaffirmé la condamnation de l'avortement, le Pape explicite l'immoralité intrinsèque de l'intervention volontaire dans le processus naturel de la procréation : « Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation. Et on peut invoquer comme raisons valables pour justifier des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds, le moindre mal ou le fait que ces actes constitueraient un tout avec les actes féconds qui ont précédé ou qui suivront, et dont ils partageraient l'unique et identique bonté morale. En vérité, s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et, par conséquent, une chose indigne de la personne humaine, même avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux. C'est donc une erreur de penser qu'un acte conjugal rendu volontairement infécond et, par conséquent, intrinsèquement déshonnête, puisse être rendu honnête par l'ensemble d'une vie conjugale féconde. » (HV 14)

    Ces trois citations tirées de l'encyclique Humanae vitae résument, en effet, la position du magistère sur la question des actes intrinsèquement mauvais. Le refus de la contraception est donc fondé sur une conception très cohérente de la sexualité humaine. Les deux significations de la relation conjugale, union et procréation, sont inscrites dans la différence du corps sexué masculin et du corps sexué féminin, différence ordonnée à la communion des personnes. Ainsi le don réciproque et libre des époux assume toute l'épaisseur corporelle de leur personne amoureuse.

    En effet, la question de la contraception porte en germe avec elle la question de l'avortement, de la procréation médicalement assistée, des mères porteuses, des manipulations sur les embryons ou encore de la revendication homosexuelle. Bref, se joue ici tout le rapport de l'homme avec son corps sexué et sa capacité de donner la vie. Soit la vie est un don médiatisé par la nature, soit la vie est un matériau de la volonté de l'homme médiatisé par la technique. Au nom du progrès médical et de la recherche du bonheur, on a assisté depuis quelques décennies à la radicalisation de la maîtrise de la nature par l'homme, maîtrise qui détermine en grande partie le projet moderne depuis Descartes.

    L'Église, face à ce projet, a cherché à discerner ce qui relevait du légitime développement de la nature cultivée au service de l'homme et ce qui relevait d'une exploitation de la nature aliénante pour l'homme lui-même. La critique de la doctrine magistérielle est toujours faite au nom de l'exception voire de la transgression, c'est-à-dire au prix de contradictions internes. Ici la raison humaine est récusée au nom d'une rationalité instrumentale déterminée par les objectifs de la liberté ou du sentiment. Or, comme la liberté et le sentiment sont inconstants et changeants, peu importe le respect des principes. Quelle est alors la racine d'une telle critique de la raison par l'irrationalité ? Autrement dit, d'où vient que le projet moderne, pourtant explicitement formulé au nom de la raison humaine, ait pour conséquence la chosification de l'être humain et la domination technicienne sur les corps ?

    L'Église, « experte en humanité », a nommé dans Humanæ vitæ la source de cette errance : si la raison humaine n'est plus mesurée par autre chose qu'elle-même, elle finit immanquablement dans le délire nihiliste et relativiste. Or sur tout ce qui touche la morale, c'est-à-dire la conduite de la vie humaine et l'orientation de l'action, la raison tire ultimement sa rectitude de son respect de la nature humaine, de ses inclinations vers son vrai bien. Certes, le terme nature apparaît pour beaucoup de nos contemporains comme incompréhensible. « Loi naturelle » désigne pour eux la loi du plus fort, et non pas la formulation par la raison des finalités inscrites dans la nature même de l'humanité.

    Mais derrière les malentendus qu'il faut chercher à repérer et à lever, inlassablement, se situe une alternative irréductible : soit la raison humaine reçoit son contenu du réel qui l'éclaire et lui permet d'orienter l'agir humain en vue du vrai bien de l'homme ; soit la raison construit non seulement son objet mais aussi les normes de l'action, elle est alors sa propre mesure. Dès lors, il est bien difficile pour elle de ne pas de proche en proche, légitimer l'arbitraire. On a beau décider d'encadrer les pratiques pour éviter les dérives, c'est finalement au prix de contradictions et de transgressions au terme desquelles la raison se retrouve exsangue et les êtres humains aussi.

    Par ailleurs, l'Encyclique Humanæ Vitæ contient la norme morale et sa motivation ou, tout au moins, un approfondissement de ce qui constitue la motivation de la norme. Du reste, comme la norme qui exprime la valeur morale a un caractère d'obligation, il en résulte que les actes conformes à la norme sont moralement droits, les actes contraires sont, à l'inverse, intrinsèquement illicites. L'auteur de l'encyclique souligne qu'une telle norme appartient à la loi naturelle, c'est-à-dire qu'elle est conforme à la raison comme telle. L'Église enseigne cette norme bien qu'elle ne soit pas exprimée formellement (c'est-à-dire littéralement) dans les Saintes Écritures ; elle le fait dans la conviction que l'interprétation de la loi naturelle est de la compétence du magistère. Même si la norme morale, telle qu'elle est formulée dans l'encyclique Humanæ Vitæ, ne se trouve pas littéralement dans la Sainte Écriture, néanmoins, du fait qu'elle est contenue dans la Tradition et - comme l'a écrit le Pape Paul VI - qu'elle a été « maintes fois exposée aux fidèles par le magistère » (HV 12), il résulte que cette norme correspond à l'ensemble de la doctrine révélée contenue dans les sources bibliques (HV 4).

    Mais, comme on le sait, depuis sa parution en 1968, Humanae vitae est devenu un terrain de controverses interminables entre le Magistère et les théologiens.

    II.6.3. Lecture critique d'Humanae vitae

    Les débats animés soulevés par Humanae Vitae vont peser sur le développement de la théologie morale après Vatican II. Dans ces débats, plusieurs problèmes moraux sont soulevés entre autres, la méthodologie du discernement moral, en particulier comment discerner dans les situations de conflits où plusieurs valeurs sont à considérer ; l'existence de normes morales absolues c'est-à-dire l'existence des actes intrinsèquement mauvais que nulle circonstance ne peut légitimer ; la réponse adéquate à l'enseignement magistériel authentique non infaillible.

    C'est sur ces problèmes que vont s'affronter deux courants de théologie morale : le courant proportionnaliste et le courant déontologique.176(*)

    Le débat va se focaliser sur la question de savoir : de quel mal sommes-nous responsables ? Quand et dans quelle mesure sommes-nous justifiés de causer ou de permettre un mal ontique ou pré-moral ? Les proportionnalistes vont revisiter le principe du double effet de la casuistique en insistant sur l'une des conditions de ce principe: l'exigence d'une raison proportionnée. Dans une action, on peut admettre un mal dérivant de l'action pour une raison proportionnée à l'acte posé. Il y a raison proportionnée quand l'acte est proportionné à la valeur qu'il poursuit. Pour le proportionnalisme, la finalité de l'acte joue un rôle essentiel, d'où l'importance de l'estimation des conséquences bonnes et mauvaises de l'acte. Ce courant proportionnaliste ou réformateur va susciter l'opposition d'un autre courant qui adopte une méthodologie d'ordre déontologique.

    Les déontologistes insistent sur les principes moraux universels et les normes morales concrètes valables toujours et partout indépendamment du contexte. Ils reconnaissent qu'un mal est permis s'il découle indirectement du choix moral, s'il ne relève pas de l'objet du choix et n'appartient pas à la décision. Chacun des courants insiste sur une dimension importante de la morale : les proportionnalistes sur la dimension subjective et les déontologistes sur l'objectivité des normes morales. Mais la question reste posée de savoir jusqu'où le sujet doit-il prendre en considération les conséquences prévisibles à court terme et à long terme, individuelles et sociales pour cerner l'acte sur lequel porte le choix moral.

    Toutefois, le cadre de pensée de ces théologiens déontologistes et proportionnalistes est resté celui de la casuistique. Le proportionnalisme attentif à élaborer une théologie morale pour notre temps a voulu prendre en compte les situations contemporaines de complexité et les requêtes contemporaines de la subjectivité. Mais en centrant l'évaluation morale sur l'exigence de proportionnalité entre les moyens et la finalité du sujet, il a concentré le discernement sur l'acte "extérieur" : le sujet réfléchit à son agir moral à partir des normes morales, comme dans la casuistique, et cherche à répondre à la question : "que dois-je faire ?". Or la vie chrétienne n'est pas seulement une question de conformité à des normes morales. Ce premier chantier de la théologie morale sur la méthodologie du discernement moral ne prend pas en compte les perspectives ouvertes par Vatican II en anthropologie théologique de la morale.

    Cependant la complexité des situations contemporaines, en particulier telles qu'elles sont analysées dans des comités d'éthiques, demande de faire place à la casuistique et en particulier au concept de raison proportionnée remis en valeur par McCormick. Un théologien moraliste spécialiste de l'éthique biomédicale.177(*)

    Au-delà de ce débat, la fidélité à Humanae vitae est devenue aujourd'hui une sorte de paramètre de l'orthodoxie de la soumission à l'autorité romaine.

    En 2008, pour les 40 ans de cette encyclique, le pape Benoît XVI a réitéré la position officielle de l'Église catholique en affirmant : « L'enseignement exprimé par l'Encyclique Humanae vitae n'est pas facile. Toutefois, il est conforme à la structure fondamentale avec laquelle la vie a toujours été transmise dès la création du monde, dans le respect de la nature et conformément à ses exigences. Le respect pour la vie humaine et la sauvegarde de la dignité de la personne nous imposent de tout tenter pour que tous puissent partager l'authentique vérité de l'amour conjugal responsable, dans une pleine adhésion à la loi inscrite dans le coeur de chaque personne. »178(*) 

    Conclusion du chapitre

    Nous venons là d'essayer une analyse sur base de la méthode historico-critique, de la question de la moralité des actes dans l'Eglise, c'est-à-dire nous venons d'analyser quelques documents de l'église qui sont les sources de la morale plus particulièrement les documents qui déterminent la position de l'Eglise sur la question des actes intrinsèquement mauvais.

    En partant du Concile jusqu'à l'encyclique Humanae vitae que nous avons pris comme paradigme, en passant par le catéchisme de l'Eglise catholique et l'encyclique Veritatis Splendor, nous avons montré la constance et la fermeté de l'Eglise concernant les actes intrinsèquement mauvais. Ils sont, des péchés graves et mortels tels que l'entend jean Paul II dans l'exhortation Réconciliation et Pénitence.

    Cependant, l'un des effets du renouveau conciliaire fut d'inviter la théologie morale à s'inspirer davantage de la sainte Écriture, à se relier de manière plus ferme à l'ensemble du mystère chrétien et à entrer en dialogue avec les acquis des sciences humaines. Il s'agissait de sortir d'une néo-scolastique qui avait figé le discours moral de l'Église dans les catégories normatives d'une philosophie métaphysique et dont la manifestation la plus probante était l'impressionnante série de manuels de théologie morale, à l'oeuvre depuis près de quatre siècles. Ce que Bernard Häring a appelé la parenthèse catholique.179(*) Ainsi, la nécessité de rénover la morale s'est manifestée à travers un débat critique avec la tradition de la loi naturelle et la théologie des manuels, en insistant sur la nécessité d'une théologie morale davantage nourrie par l'étude des Écritures saintes et l'invitation à concevoir la vie chrétienne comme une réponse à l'appel du Christ et au dessein salvifique de Dieu pour sa création. Plusieurs théologiens de renom se sont attelés à cette herméneutique notamment B. Häring.

    CHAPITRE TROISIEME :

    RECEPTION ET CONTOURS DE LA QUESTION DE LA MORALITE DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS CHEZ B. HÄRING

    III.0. Introduction

    Si la théologie morale a vécu un renouveau majeur dans les décennies antérieures et postérieures à Vatican II, cela est dû principalement à l'effort de réflexion morale et philosophique poursuivi dans les voies nouvelles par certains théologiens, notamment le Père B. Häring.

    En effet, le rédemptoriste Bernhard Häring180(*) est probablement le théologien moraliste le plus connu du XXe siècle. Il est l'auteur d'une contribution majeure dans la rénovation de la théologie morale, avant le concile déjà, avec son célèbre Das Gesetz Christi181(*) (1954-1958), oeuvre emblématique du changement qui s'amorçait pour la morale catholique dans les années 1950.182(*)

    Il apporte un remaniement profond, non par purisme intellectuel, mais par souci pastoral, afin de construire une morale qui réponde à la fois à l'esprit évangélique et aux aspirations les plus valables de l'homme contemporain. Häring était persuadé qu'une morale authentique doit tenir compte de la réalité humaine telle qu'elle est concrètement. Selon lui, la tâche la plus urgente de la théologie est l'examen approfondi de toute la tradition morale chrétienne pour distinguer nettement ce qui est variable de ce qui est immuable : « Là où des communautés chrétiennes furent captives d'une tradition morte et d'un système de formulations doctrinales immuables, dans un tel christianisme les personnes les plus dynamiques furent tentées contre la foi. Si la Parole de Dieu est liée à des coutumes fossilisées, il peut arriver que la foi en Dieu et toutes les valeurs traditionnelles s'écroulent en même temps. »183(*) 

    Häring a été éduqué à un type d'obéissance aveugle à une Église qui n'admettait pas la moindre objection de conscience. Pour lui, en théologien de Tübingen, une chose est sûre: « l'obéissance dans l'Église n'a de sens qu'à travers la réciprocité des consciences et le commun engagement à la vérité. »184(*) De même il est fidèle à son maître, Alphonse de Liguori, qui déclarait que « la liberté est antérieure à la loi, en soulignant le nécessaire primat de la conscience. » 185(*) De là provient l'exigence d'un concept fondateur d'un nouveau modèle de morale, celui de La loi du Christ, titre de son livre dont la formule paradoxale signale le début d'une véritable révolution, remettant en question la morale catholique officielle promue par des manuels théologiques traditionnels.

    Nous voulons ainsi dans ce chapitre mettre en évidence la contribution de Bernard Häring au renouveau de la théologie morale, par une triple démarche, historique, analytique et théologique des contextes et des contenus de cette contribution spécifique. A cet effet, nous allons analyser les concepts clés qui ont servi à l'élaboration du discours moral du Magistère, notamment celui de la loi naturelle qui est au coeur des débats entourant la morale conjugale, en particulier dans l'encyclique Humanae vitae, puis nous allons tenter de cerner les notions importantes de conscience, de fidélité et de liberté chez Häring qui influencent surement sa compréhension de l'agir humain et des actes intrinsèquement mauvais que nous analyserons en profondeur. Enfin, nous analyseront quelques points de divergences entre Häring et le Magistère plus particulièrement sur la question de la morale conjugale qui a valu à Häring le titre de dissident.

    En d'autres mots, nous entendons faire voir de manière nouvelle comment sa contribution originale a été marquée par un ensemble de contextes qui l'ont tour à tour amené à être salué comme le leader d'un renouveau fortement souhaité puis mis au rancart comme un acteur soupçonné de ne plus contribuer à la consolidation de la vérité morale. Notre propos veut montrer qu'au coeur de cette tourmente, Bernard Häring sut demeurer un théologien libre et fidèle.

    Ce faisant, la pensée d'un moraliste aussi important que Bernard Häring sur l'agir moral ne peut se comprendre et s'analyser qu'en faisant un parcours des écoles de pensée et des auteurs qui ont été à la source de sa formation. Sa formation est philosophique et théologique. Elle s'enracine dans la pensée thomiste, subit l'influence d'Alphonse de Liguori, des théologiens de Tübingen, et de la philosophie contemporaine de Husserl et Scheler. Avec cet immense bagage intellectuel Häring est également riche d'une expérience pastorale qui lui donne une vision nouvelle de la morale chrétienne.

    III.1. Bernard Häring : formation et parcours

    Bernard Häring a largement bénéficié de l'étude de saint Thomas. Il a su unir une formation théologique traditionnelle, appuyée sur la pensée de saint Thomas, à la pensée phénoménologique de Max Scheler qui a donné à la phénoménologie de la religion ses titres de noblesse philosophique. Ce double héritage a façonné la pensée d'un théologien en quelque sorte classique, se situant au carrefour de la longue tradition allemande, toujours ouverte à l'herméneutique philosophique du temps.

    III.1.1. Cursus académique

    Parler de la dimension du renouveau dans la théologie morale de Häring nous oblige à examiner des antécédents qui paraissent essentiels pour comprendre le cheminement de sa pensée. Sa vision d'une pastorale très humaine a pris sa source dans l'expérience des souffrances de la guerre. Quant à son désir de libérer la théologie morale chrétienne du directivisme et du légalisme des manuels théologiques, il s'en est imprégné dans l'atmosphère de l'école de Tübingen, d'Alphonse de Liguori et surtout en s'inspirant de la phénoménologie186(*)

    a. L'École de Tübingen

    La fameuse université fut fondée en 1477 dans l'ancienne capitale de Wurtenberg- Hohenzollern dans le sud-ouest de l'Allemagne. La Réforme luthérienne de 1517 bouleversa la carte du territoire allemand. En 1534, le prince Ulrich occupa la ville et transforma cette université en un bastion d'orthodoxie luthérienne et anti-romaine en s'établissant dans le monastère catholique. En 1817, 283 ans plus tard, les théologiens catholiques, s'y installent à leur tour, grâce notamment, à l'invasion des troupes napoléoniennes d'une grande partie de l'Europe. Cela eut pour effet d'adoucir les tensions entre les catholiques et les protestants.

    Les théologiens catholiques étaient intéressés à saisir l'opportunité d'inscrire les nouvelles tendances philosophiques dans leurs travaux et d'examiner la vision et les origines de la pensée protestante. En Allemagne, la philosophie de la religion, la théologie catholique et la théologie protestante, surgissent de la même source culturelle, mais les contacts entre les traditions de ces deux Eglises étaient plutôt occasionnels, les deux facultés étant séparées.

    Cette école favorisait l'éclosion de pensées libératrices, dans une direction d'ouverture au monde et à la pensée moderne de valorisation de la liberté de conscience et de l'authenticité évangélique, et d'une interprétation osée du corpus normatif de Magistère en matière morale. Dans la préface de La théologie morale, Idées maîtresses, Häring reconnaît que ses études furent marquées par le rayonnement des écrits des théologiens de Tübingen et par les courants philosophiques qui imprégnèrent l'oeuvre de ces théologiens «qui parlaient de l'éthique des valeurs [...] en vue d'une morale vivante et communicable. »187(*) Son approche se voulait moins liée à la dimension dogmatique de la foi chrétienne et davantage développée en fonction des exigences du temps, pour apporter des solutions pastorales concrètes et existentielles puisées dans l'Évangile. Elle permit la diffusion d'écrits sur le thème du dialogue entre Dieu et l'homme, source d'une morale conçue comme réponse de l'homme à l'appel divin, à l'exemple du Christ, soit une morale de la responsabilité dans le Christ.

    Après ses années de service militaire et son ministère auprès des pauvres polonais, Häring poursuivit enfin ses études à Tübingen188(*). Il prépara sa thèse de doctorat sous la direction de Théodore Steinbüchel (1884-1949) qui veillait « à ce que la théologie morale ne s'enferme pas dans un pur souci juridique et des interdits et des préceptes de la casuistique d'une subtilité excessive, qui tiennent plus du droit que de la morale ». 189(*) Ensuite Steinbüchel précise les rapports de la théologie et de la philosophie morale. Il expose et discute des grandes conceptions modernes de la morale : l'idéalisme mystique inspiré de Herder et de Hegel, le piétisme romantique, la philosophie de Dilthey et l'éthique de la valeur de Scheler.

    Dans les trois derniers chapitres de ses sept volumes, Steinbùchel parvient au dernier fondement du problème moral. Pour lui, l'attitude morale est finalement enracinée dans l'attitude religieuse et le bien ne peut être fondé que sur le sacré; de même la responsabilité personnelle a son fondement en Dieu. On y reconnaît la fondation de la théologie morale de Häring.

    Durant ce processus de maturation théologique, Häring a pris contact aussi avec Fritz Tillmann (1874-1953) qui écrivit en collaboration avec Steinbüchel Handbuch der katholîschen Sittenlehre, un manuel de la doctrine morale catholique en sept volumes. Le centre de l'oeuvre est axé sur l'imitation du Christ, dans le volume trois intitulé Die Idee der Nachfolge Christi, l'auteur part de la notion de modèle et l'oppose à celle de la norme. Le modèle s'offre à l'imitation personnelle; la norme trace des règles générales. Mais dans le cas du Christ le modèle est unique et inégalable. L'imitation du Christ conduit à l'achèvement de la personnalité et se concrétise dans la vie d'enfants de Dieu.

    L'impact de ces deux oeuvres sur Häring et l'ambiance de Tübingen ont une valeur inestimable. À Tübingen, l'enseignement de la morale prenait ainsi un virage qui faisait sortir d'un légalisme étroit et s'ouvrait sur la conscience et la liberté, comme il en témoigne : « La tradition de l'école théologique fondée sur la dynamique du rapport Dieu-homme, foi-histoire faisait de cette université un centre d'études engagé et serein, un centre très éloigné de la théologie romaine. »190(*)

    b. L'influence de la phénoménologie sur la théologie de Häring

    Connaître l'héritage philosophique d'un théologien revêt une grande importance pour bien le comprendre et bien saisir son orientation intellectuelle. Jadis, la présentation d'une question théologique, surtout dans le domaine moral, était encadrée ou élaborée à partir de la philosophie traditionnelle issue de l'héritage d'Aristote interprété par saint Thomas d'Aquin, donnant ainsi pleine crédibilité à tout progrès académique ainsi reçu comme authentiquement catholique.

    La phénoménologie est une philosophie particulière de notre temps. A d'autres époques l'intérêt de l'homme était tourné vers le monde ou vers Dieu, mais notre temps est davantage intéressé par l'être humain et sa conscience. La phénoménologie révèle qu'elle pourrait apporter une aide méthodologique dans le travail éthique en facilitant l'analyse des faits moraux.

    La phénoménologie, au sens étymologique, c'est l'étude ou science du phénomène, l'étude descriptive d'un ensemble de phénomènes, par opposition à l'explication théorique de ces phénomènes. Paradoxalement, dans l'histoire de la philosophie, le terme ne réfère plus guère à ce qu'on appelle traditionnellement les phénomènes. Il vient de Friedrich Hegel (1770-1831), pour qui la phénoménologie est la science de la conscience à partir de ses manifestations immédiates et sensibles.191(*) C'est avec son oeuvre la Phénoménologie de l'Esprit (1807) que le terme entre définitivement dans la tradition philosophique pour devenir par la suite d'un usage courant. L'idée de phénoménologie s'est sans cesse transformée sans renoncer pourtant à l'inspiration fondamentale venue de Hegel.

    Cependant la phénoménologie comme méthode, comme philosophie de la religion, se développe dans le sillage de la phénoménologie husserlienne. En effet, c'est depuis Edmund Husserl (1859-1938), que la phénoménologie est devenue un courant philosophique « qu'on appelait à l'époque science de l'esprit Geisteswissenschaft »192(*) qui se propose de surmonter le relativisme des sciences humaines en revenant à une description rigoureuse des activités de la conscience. La conscience pure devient l'un des principaux problèmes de la phénoménologie de Husserl; selon lui sa méthode rendait possible les véritables sciences de l'esprit. De ce fait, la phénoménologie recouvre toute expérience ou toute intuition intérieure qui apparaît à l'esprit, mais en tant que présent immédiatement à la conscience ou dans la conscience, autrement dit en tant que phénomène. Ainsi entendu, le mot phénomène signifie tout ce qui est perçu, apparaît aux sens et à la conscience.193(*) Sous cet angle, il faut voir si le système phénoménologique est applicable à la vie concrète dans toute son extension comme un fondement de l'éthique à l'intérieur de l'expérience existentielle qu'est la moralité.

    Pour Bernard Häring, la phénoménologie fut une source d'inspiration dans son itinéraire philosophique et théologique, une acquisition durable qui lui a fourni le moyen d'aborder sa théologie morale avec une démarche nouvelle.

    Sa thèse doctorale, Das Heilige und das Giite, est née de la rencontre avec Max Scheler dans la phénoménologie naissante, tentative d'une nouvelle interprétation dans le domaine de la philosophie de la religion.194(*) Häring exprime l'orientation fondamentale de cette thèse par le sous-titre: Religion et moralité dans leurs rapports mutuels. Il s'agit de considérer la moralité, par une lecture philosophique de la religion, dans la ligne tracée par la phénoménologie de Scheler. Dans une large mesure, ce sont les idées schélériennes qui ont donné une impulsion déterminante à Häring pour développer la dimension axiologique de la morale.

    Häring démontrera un très vif intérêt pour la fonction éthique de la phénoménologie, en tentant d'éclaircir la valeur impliquée dans le phénomène. À ses yeux, cette possibilité montre l'importance que prend la pensée schélérienne afin de dégager d'autant plus clairement le vrai rapport du Sacré au bien moral et du bien moral au Sacré. Häring s'inspire de la phénoménologie de la religion telle que décrite par Max Scheler, principalement dans ses deux ouvrages: Le formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs (Der Formalismus in der Ethik und die matériale Wertethik) son oeuvre principale et, «De l'éternel dans l'homme» (Von Ewigen in Menschen) qui est au centre des préoccupations philosophiques de Scheler sur l'homme comme être spirituel. En vérité, la phénoménologie d'inspiration schélérienne constitue, en quelque sorte, le levier épistémologique de la philosophie hàringienne de la religion.

    c. L'éthique schélérienne et son impact sur Häring.

    En terminant notre parcours historique de la phénoménologie dans la perspective d'éthique schélérienne, nous sommes en mesure de faire voir son originalité et son impact sur Häring. Commençons d'abord par une note négative : l'interpénétration des thèmes les rend difficiles à cerner. En dépit de sa continuité, la pensée de Scheler se trouve souvent occultée par la complication du style, l'emphase et la structure des phrases du texte allemand qui reflètent une extrême densité. Rien n'empêche de penser que Häring lui-même avait eu de la difficulté à saisir le génie religieux de Scheler. L'objet principal de Formalisme n'est pas d'élucider l'essence de la religion; l'oeuvre semble n'être qu'une critique de la morale kantienne, mais la progression de sa pensée est inséparable de ses préoccupations religieuses.

    A l'exemple de Scheler, Häring retrouve dans sa théologie une théonomie de la moralité. Car tout acte moral, surtout tout acte moral parfait, implique un acte religieux qui ne peut être accompli sans que Dieu soit pris en considération : car la personne morale vit en union avec la volonté et l'amour divin. En d'autres termes, le fondement des valeurs est dans la valeur du Divin d'où sa qualité axiologique: c'est-à-dire, Dieu la source profonde de l'action morale. Conséquemment, le déroulement d'une éthique qui s'appuie sur une intuition phénoménologique des essences des valeurs conduit Häring à représenter l'être moral comme un être religieux qui veut et aime en Dieu.

    La caractéristique principale de l'éthique schélérienne, c'est l'accent qu'il met sur l'objectivisme des valeurs, plus précisément dans une dimension éthique axiologique. Ces points de vue sont, pour la phénoménologie de la religion, d'une extrême importance pour Häring: « La découverte du fait que la religion est quelque chose d'autre que la philosophie, doit nous avertir constamment de ne pas construire la religion avec des concepts, mais de regarder la vie religieuse elle-même, pour savoir comment elle est et comment elle s'exprime. »195(*)

    On trouve dans l'introduction de son livre Le Sacré et le Bien les déclarations sur le rapport mutuel de la religion et de la moralité. Ce sont, dans une large mesure, les idées scheleriennes qui ont donné l'impulsion déterminante; mais jamais il ne s'agit simplement d'interpréter Scheler.196(*) Ses contacts fréquents avec Husserl à Gôttingen conduisent Scheler à enraciner sa propre phénoménologie dans la vie, dans la réalité sensible qui devient la semence de toute réflexion. En effet, la phénoménologie husserlienne a révélé à Scheler la fragilité et la relativité de la structure de la condition humaine. Dans le christianisme, il puise une foi en la réalité des valeurs sûres: essentiellement en raison du concept d'amour que la religion propose.

    À partir de 1907, Scheler commence un cheminement spirituel qui marqua profondément sa pensée philosophique. L'influence du catholicisme, notamment grâce à la fréquentation de l'abbaye bénédictine de Beuron, spécialisée dans le renouveau liturgique, conduit sa réflexion philosophique à l'interrogation religieuse. Cette bipolarité donne à sa pensée une coloration originale, elle prend en compte les grandes interrogations de l'homme contemporain dont on ne saurait, par principe, exclure la question religieuse. Ainsi la double référence religieuse et philosophique de sa réflexion lui confère une vigueur particulière. La référence religieuse et philosophique de sa réflexion lui confère une vigueur particulière. La recherche intérieure mêle indissociablement le questionnement philosophique et l'interrogation religieuse qui recueille et garde en mémoire le texte de Vont Ewigen in Menchen.

    Scheler a vu dans la Première Guerre mondiale et dans ses conséquences funestes pour l'Allemagne et pour l'Europe en général, un effet tragique du désordre spirituel qu'il dénonçait dès avant 1914 et un renversement des valeurs qui caractérise l'ethos de son temps incarnant à ses yeux le type d'homme qui depuis un siècle domine de plus en plus la vie occidentale.

    Cette même vision est partagée par Häring qui a vécu la Deuxième Guerre mondiale et dont l'expérience a influencé son approche sur le renouveau de la théologie morale. On ne peut ignorer la portée religieuse de la crise et le drame sanglant qui avait secoué l'Europe pour une deuxième fois dans l'espace d'un quart de siècle. Ainsi, Häring a repris l'analyse débutée par Scheler en mesurant les conséquences morales pour le présent et l'avenir qui n'est que la traduction extérieure d'une rupture plus profonde s'opérant dans la conscience humaine. Häring diagnostique le bouleversement culturel que nous connaissons et qui remet en cause les manières d'être et de penser. On comprend facilement que la signification religieuse de cet ethos passe pour Häring par un véritable renouveau: ses premiers écrits et ses conférences vont se rattacher à cette préoccupation centrale et intensivement vécue.

    Devant l'effort critique des sciences humaines, face à la profusion de leurs discours, l'Église doit rendre audible son message et ne peut simplement redire sa doctrine avec les mots et schèmes mentaux du passé. Sa Parole doit s'adresser à tout homme et le rejoindre dans le concret de son existence. En ce qui concerne la tradition de la théologie morale, elle oblige à une conversion des esprits et des coeurs, car selon Häring: « L'Église vit dans l'histoire humaine et se trouve appelée à en être le sel et la lumière; elle rencontre donc toujours de nouveaux "signes des temps", de nouveaux problèmes, de nouveaux défis. Par conséquent, une théologie purement répétitive trahirait la mission de l'Église. Le théologien moraliste ne peut jamais se contenter de ses synthèses et de ses réponses. »197(*)

    Ce texte parle par lui-même, assurément, bien avant l'ouverture au monde pratiqué par le Concile. Au lieu de la confrontation, Häring propose dans ses écrits le dialogue de la pensée chrétienne avec les courants modernes conduisant ainsi à une réinterprétation des rapports entre l'Église et le monde.

    Ainsi, donc, les présupposés théoriques de la théologie de Häring tels qu'ils apparaissent dans Libres dans le Christ viennent en grande partie de cette influence thomiste et phenomenologiste que nous venons de voir et va ainsi influer sur sa conception de la théologie morale.

    d. L'influence d'Alphonse de Liguori

    L'influence de Bernard Häring sur le renouveau de la morale catholique tel qu'il s'est profilé au XXe siècle est, d'une certaine manière, l'héritage durable de saint Alphonse lui-même.

    Le produit littéraire de la pensée morale alphonsienne, la Theologia Moralis, est le fruit d'une expérience de sa lente maturation pastorale réfléchie, qu'il publia alors qu'il avait déjà 52 ans. Sa théologie morale est au service de la pastorale qui est la clé pour comprendre l'origine et la nouveauté de son entreprise. Une pareille orientation apparaît dans tous les écrits de Häring, car lui-même n'entendait pas tellement réaliser un travail de haute spéculation théologique, comme par exemple son compatriote Karl Rahner, mais il avait le souci de remettre en valeur le rôle de conscience et le Christ comme la source originale de la moralité.

    Saint Alphonse avait vraiment changé le cours de la théologie morale par le patient travail de construction d'un système équilibré de discernement de la conscience, pour favoriser l'exercice de la liberté. Avant lui, le rôle de la conscience était réduit, selon Brian V. Johnston, à la simple reconnaissance objective de la loi : « Le rôle de la conscience, dans cette façon de penser, a été réduit à reconnaître simplement la loi objective et à l'appliquer. La vérité morale signifie simplement la conformité de la conscience à la loi. Certaines interprétations de saint Alphonse ont ainsi souligné la domination de la loi et sa fonction de contrôle ne laissant virtuellement aucune place à la conscience. S. Alphonse Liguori a protesté contre cette exagération, il a défendu le rôle de la conscience individuelle en des mots en usage à son époque. Ce modèle est l'arrière-fond immédiat permettant de comprendre la théologie morale contemporaine et la place que Häring y occupe. »198(*)

    Certainement il lui fallut en effet une véritable audace, dans le contexte de l'époque du rigorisme, pour déclarer que la liberté est antérieure à la loi et pour souligner le nécessaire primat de la conscience. Häring fidèle à l'héritage alphonsien a remis en perspective le caractère central de la moralité, le Christ lui-même, agissant au coeur du croyant. La moralité se retrouve comme redimensionnée dans la manière à la fois provocante et évangélique avec laquelle Häring présente une nouvelle synthèse de la morale aux hommes et aux femmes de son temps.

    e. L'influence de Thomas d'Aquin

    Bernard Häring, comme l'ensemble des théologiens moralistes des débuts du XXe siècle, est héritier du patrimoine moral de l'Église catholique, patrimoine façonné principalement à l'école de saint Thomas d'Aquin connue comme scolasticisme. On peut historiquement signifier trois périodes de scolasticisme : la période immédiatement après Aquinas, une renaissance de thomisme au XVIe siècle, très précisément dans l'oeuvre des théologiens jésuites, ensuite la néo-scolasticisme à la fin de XIXe siècle sous l'impulsion de Léon XIII (1878-1903).199(*)

    Aujourd'hui certains auteurs soulèvent la question de la pertinence du thomisme pour le discours théologique actuel confronté à de nouvelles visions du monde.200(*) Pourtant un véritable progrès théologique implique toujours un retour à toutes les sources. Par sa puissance herméneutique, saint Thomas demeure encore une source inépuisable fécondant les multiples entreprises théologiques. Nous lui devons un approfondissement de l'étude philosophique de l'homme, créé à l'image de Dieu et donc maître de ses actes, l'homme en tant qu'agent moral. L'étude de la personne humaine devient chez lui le lieu de rencontre de la théologie et de la philosophie, de la métaphysique et de la morale.201(*) C'est donc une tâche importante de discerner son influence sur la pensée de Bernard Häring.

    La philosophie de saint Thomas est autre chose qu'une nouvelle édition de celle d'Aristote superficiellement conciliée avec la foi chrétienne. C'est plutôt une entreprise pour interpréter et revitaliser, dans une relecture chrétienne, la valeur intemporelle de la réflexion éthique.202(*)

    Quant à la réappropriation de la pensée de saint Thomas par Häring, depuis des siècles, un grand nombre de penseurs, qui jouissaient d'une compétence particulière dans les questions doctrinales thomiste, n'ont pas réussi à saisir dans toute sa profondeur sa pensée. Il n'est donc pas surprenant que Häring n'ait pas pu lui aussi exposer toute sa richesse. L'approfondissement d'un tel travail aurait nécessité à lui seul, une thèse entière. Par contre Häring, est convaincu que le malaise entourant les concepts éthiques comme celui de la loi naturelle aurait été dissipé si la théologie morale avait été vraiment disposée « à passer d'une méthodologie classique à une méthodologie historiquement consciente. »203(*)

    Selon lui, « on aurait besoin au moins partiellement d'une explication contextuelle car l'historicité est aussi une dimension qui imprègne tout. Il faut accorder - ajoute-t-il- une grande attention à l'historicité, en tant que dimension essentielle et permanente de l'être humain. »204(*)

    Situer les notions et les doctrines sur la morale dans leur contexte par la croissance de la conscience historique implique de prendre en considération le caractère évolutif de la nature humaine. L'homme est conscient de lui-même et peut réfléchir consciemment sur lui-même et ses actes. « Cependant, si nous comparons les diverses cultures, nous remarquons que la rationalité elle aussi se manifeste de manière différente selon les contextes historiques. »205(*)

    S'il n'y avait pas une essence universelle qui se retrouve dans toutes les natures concrètes et en forme le noyau central, il n'y aurait pas non plus de droit naturel en tant que système bâti sur des principes universels ayant même valeur pour tous les hommes de tous les temps, mais bien un droit individuel.206(*) Par contre, même si l'on a reconnu le caractère historique de la nature humaine et son caractère d'universalité et de stabilité lié à l'immutabilité du noyau central, cela ne veut pas dire « que le droit naturel était absolument immuable.»207(*) Pour Häring, « accepter l'historicité et la possibilité de diverses approches de la loi naturelle n'entraîne pas un relativisme illimité. Nous insistons toujours sur le fait que l'homme doit découvrir ce qui est bon et mauvais ; il ne peut le déterminer arbitrairement. Il y a des vérités permanentes. »208(*)

    III.1.2. Bernard Häring et le Concile Vatican II

    Riche d'une immense formation philosophique et théologique, déjà reconnu comme un moraliste très important en raison de son manuel La loi du Christ Bernard Häring apparaît comme un des personnages les mieux préparés à contribuer au succès du renouveau conciliaire tel que souhaité par Jean XXIII. Toutefois, son itinéraire sera marqué par des tensions liées à ses options fondamentales comme théologien et pasteur.

    Au coeur des débats conciliaires et, au lendemain du Concile, dans les controverses très médiatisées entourant la parution de Humanae vitae, Häring maintient son engagement à proposer une morale enracinée dans le trésor des Écritures, centrée sur le message et la personne du Christ, ouverte aux problèmes et aux souffrances de notre époque. Ainsi, il se compromet de manière audacieuse dans le territoire de la bioéthique, au risque de certaines prises de position qui ont pour ambition de mettre la théologie morale catholique à contribution dans la recherche de bons discernements liés à des questions nouvelles.

    Dans ce point, nous voulons analyser la période du concile Vatican II, où la pensée morale de Bernard Häring a eu une grande influence, en particulier par le plus grand enracinement biblique et christologique de la réflexion morale, mais également pour une ouverture plus marquée aux problèmes éthiques contemporains. Cette influence s'est cependant butée à une sorte d'échec, autour des questions d'éthique biomédicale, et Häring fut soupçonné de trahir l'enseignement du Magistère. Notre propos entend montrer qu'au coeur de son immense travail et des controverses qui l'ont accompagné, Bernard Häring demeura un moraliste catholique libre et fidèle, soucieux de protéger la conscience éthique du croyant, et désireux de maintenir une profonde solidarité avec son Église.

    a. Häring au coeur des tensions du renouveau conciliaire

    B. Häring aura à vivre sa mission et sa responsabilité de théologien en fonction de quatre principaux enjeux : le sens même de la contribution du théologien, surtout du moraliste, au travail magistériel du pape et des évêques ( 1-La mission du théologien); la refondation du discours moral sur les sources scripturaires et l'herméneutique qui y est associée ( 2-La dimension biblique de la morale); la mise en rapport plus radicale de la théologie et de la vie morale au mystère du Christ homme et Dieu (3-Le christocentrisme de la morale); la conversion au monde réel pour l'aider à poursuivre ses quêtes de sens en cohérence avec des fondements anthropologiques ouverts aux changements et permettant de les interpréter ( 4- Présence à un monde en changement). Ces enjeux se retrouvent dans le cheminement concret du théologien Häring au moment de l'événement conciliaire.

    En effet, lorsque après trois mois de pontificat, Jean XXIII prend la décision de convoquer deux grands rassemblements : un Synode diocésain pour la Ville, et un Concile oecuménique pour l'Église universelle, la question morale n'est pas absente des préoccupations du Pape. Ayant vécu en France, il est bien au courant du malaise de la théologie morale et de l'aspiration générale et puissante pour un renouveau en ce domaine. Dans son discours du 25 juin 1959209(*), il rappelle que le but principal du Concile consiste à « promouvoir le développement de la foi catholique, le renouveau moral de la vie chrétienne des fidèles, l'adaptation de la discipline ecclésiastique aux besoins et méthodes de notre temps. »210(*) L'intérêt du renouveau moral est donc bien un but assigné au Concile par celui qui l'a convoqué.

    L'annonce du Concile a surpris les moralistes, sans doute davantage que les autres spécialistes de la théologie. A cette époque, à cause de la suspicion de la part du Saint-Office, le renouveau en morale était encore en chantier et ne paraissait pas une urgence pour les théologiens de cet important dicastère. Cette attitude inquiétait Häring, et il a vu dans le Concile un espoir de rénovation du discours moral officiel.

    Ainsi donc, après le mauvais accueil de sa synthèse morale211(*), le jeune rédemptoriste était revalorisé et sera même invité par Jean XXIII212(*) comme expert à la Commission Théologique Préparatoire213(*) du Concile, qui comprendra également des théologiens audacieux et comme Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Henri de Lubac, Jean Daniélou, tous représentatifs de la pensée théologique française qui avait été contestée à Rome depuis la crise de Humani generis.214(*) Ces nominations feront naître une espérance dans le monde des théologiens en quête d'un nouveau dialogue avec le Magistère.

    Comme promoteur le plus assidu du renouvellement de la théologie morale dans une perspective pastorale, Häring allait donc être parmi les experts nommés par le Saint-Siège dans la Commission Théologique Préparatoire. A sa renommée internationale, en raison surtout de La loi du Christ - traduite en quatorze langues- s'ajoute une compétence fort utile pour le travail conciliaire : sa connaissance parfaite du latin, langue dominante des travaux.

    Dans le travail des sous-commissions, Häring exposera sa pensée théologique avec insistance. De plus, il contribuera à faire progresser le Concile par l'élaboration des textes rédigés en latin dans diverses Commissions, et sera, comme secrétaire, « un des principaux artisans de la rédaction du texte de janvier à juin 1964 »215(*) de la Constitution Pastorale Gaudium et spes. L'apport de Häring est considérable, car une lecture assidue de Gaudium et spes nous fait voir que sa pensée morale s'y dévoile peu à peu.

    Le 27 octobre 1960, la Commission Théologique Préparatoire, connue aussi comme Commission Centrale, s'est réunie pour la première fois. Le projet d'une des cinq sous-commissions avait pour objet la morale individuelle et conjugale. D'abord présenté sous le titre De re morali individuali et familiari, le texte devient, après plusieurs remaniements, le De ordine morali christiano.

    Dès la première session le cardinal Alfredo Ottaviani soulignera l'importance et l'objectivité du travail de cette quatrième sous-commission De re morali individuali et familiari en présentant les questions auxquelles la sous-commission doit se pencher pour la rédaction du schéma demandé : le fondement de l'ordre moral, la conscience chrétienne, le subjectivisme et le relativisme éthiques, le vrai sens du péché et les relations entre les époux. 216(*)

    Le travail de la sous-commission qui prépara le texte reposa principalement sur trois théologiens Romains : le jésuite Franz Xavier Hürth, le dominicain L. Gillon et le franciscain Hermenegildus Lio. Häring ne fut pas invité à participer aux travaux de cette équipe; il devait l'être, « mais seulement après qu'il eut été exclu d'une participation directe au travail parce que son approche était jugée incompatible avec celle du groupe. »217(*)

    Selon Alberigo, depuis le début de l'élaboration du texte sur la morale jusqu'à sa conclusion, l'exposé fut dominé par le besoin de défendre certains aspects de la vie chrétienne contre les erreurs contemporaines, et non par un effort pour présenter de manière positive et cohérente le fondement et les caractères propres de la morale chrétienne. Le P. Lio, qui présida à la rédaction, « visait avant tout à rejeter tout ce qui tendait à bâtir la théologie morale sur des fondements évangéliques et spirituels, et à lui donner une orientation plus positive et plus spécifiquement chrétienne. »218(*) C'est bien évident que Häring, comparé à leurs champs de vision, représentait une tendance extrême.

    Toutes les heureuses propositions formulées, dont celle d'une apparence moins philosophique qui s'appuie davantage sur le mystère, n'a pas été non plus discutée au Concile. Pourtant les Pères ont eu durant de nombreux débats théologiques « à leur disposition un ensemble impressionnant de réflexions pour bâtir un édifice moral qui répond aux interrogations contemporaines soulevées. »219(*)

    Une hypothèse semble s'imposer dès maintenant : au Concile, malgré le souhait de Jean XXIII et l'engagement vigoureux des cardinaux, le renouveau de la morale était dérouté par l'étroitesse d'esprit de ceux en position de pouvoir.

    Selon Jean Desclos, au terme de ces débats, le document De ordine morali sera rejeté par la Commission Centrale, et relégué aux oubliettes, parce qu'il était plus un texte de condamnations et de mises en garde qu'une présentation positive de la morale chrétienne. Les Pères conciliaires ont alors procédé autrement. La morale fera corps avec l'ensemble de l'enseignement dogmatique et pastoral qu'ils présentent à l'Église et au monde.220(*)

    En conséquence, aucun document conciliaire ne portera spécifiquement sur la morale. Pourtant le Magistère partageait avec les théologiens invités au concile le même souci et tous souhaitaient, selon leur mission propre, un renouveau de l'enseignement moral et des moeurs des catholiques. L'enseignement moral du Concile est disséminé dans l'ensemble des textes et l'influence de Häring sur les travaux conciliaires déborde le territoire d'un seul document qui aurait porté sur la morale proprement dite.221(*)

    L'évolution des travaux conciliaires allait prendre une tournure particulière avec le décès de Jean XXIII le 3 juin 1963 et l'élection de Paul VI. Malgré cette transition, l'influence de Häring demeure importante.

    La troisième session commençant le 14 septembre 1964 inaugura une nouvelle période de travail avec un agenda surchargé. Il fallait terminer les trois schémas déjà largement discutés lors de la session précédente, à savoir De ecclesia, De oeucumenismo et De episcoporum munere. On a repris l'examen du schéma sur l'Église dans le monde de ce temps, plus généralement connu sous le nom de schéma XIII, né à l'issue de la première session, et largement influencé alors par les cardinaux Montini et Suenens, avec la collaboration de Häring pour la rédaction, dans lequel il joue un rôle original.222(*) En rétrospective, le 3 décembre 1962, à la fin de la première session, le cardinal Suenens proposa un plan général de travail, conçu d'après une double orientation axiale; l'Église et sa vie propre et l'Église en dialogue avec le monde. Sur les bases de ce projet va naître la constitution pastorale qui prendra le nom de Gaudium et spes sur la valeur de l'homme et de son monde.

    b. L'éthique conjugale dans les débats conciliaires

    Les problèmes du mariage trouvaient une modeste place dans la seconde section. Mais la tâche allait être bien moins simple que cela, car il fallut plusieurs projets successifs pour dépasser le débat laborieux sur les fins du mariage. Le projet du cardinal Suenens, avec son orientation double, est présenté à une Commission mixte. Celle-ci délégua une sous-commission de sept membres. « Mgr Guano, une des figures marquantes de l'épiscopat italien, fut élu président, et le P. Häring fut choisi comme secrétaire. »223(*)

    En effet, comme on pouvait le prévoir, quand le rapport final fut présenté, les réactions des Pères conciliaires furent des plus divergentes : La majorité du Concile était favorable à certaines innovations à propos de l'acte conjugal et de la fécondité. Par contre un groupe habilement représenté par des orateurs tels que les cardinaux Ottaviani, Ruffini et Browne, ne concevait pas qu'il y ait la moindre modification à apporter à la systématisation courante de l'éthique du mariage.224(*) Le cardinal Ernesto Ruffini dénonce un texte qui est, à ses yeux, l'expression de l'éthique de situation qui ouvra la voie à tous les abus. Mgr Heenan, archevêque de Westminster, critique avec une rare sévérité les periti225(*) en paraphrasant le célèbre vers de Virgile: « Timeo Danaos et dona ferentes » : Je crains les Grecs, même quand ils apportent des présents» (Enéide 2, 49).226(*) L'abbé Laurentin affirme emphatiquement : «Ces propos visaient le P. Häring, rédacteur du schéma 13.» 227(*) Notamment Mgr Heenan, dans une lettre ouverte, au nom de tout l'épiscopat anglais, s'était fermement prononcé contre les nouvelles pilules inhibitrices d'ovulation. Par contre Häring, dans une interview téléphonique au Manchester Guardian, avait donné un point de vue moins négatif. Si l'on veut comprendre pleinement la parole de Häring, il faut référer à son intervention survenue au moment du débat, quand un groupe de la minorité épiscopale insista avec force pour que les techniques anticonceptionnelles soient rangées parmi les déformations infligées au mariage. Leur jugement visait surtout les évêques du tiers monde sans vouloir comprendre la diversité des cultures et les difficultés où se meut le monde actuel. Contre leur condamnation Häring allait réagir : « j'avais fait preuve de compréhension vis-à-vis de l'archevêque anglais de Delhi, Robertson, ouvertement tolérant à l'égard des époux qui utilisaient des contraceptifs non abortifs. »228(*) Le Guardian, tira en première page : Le P. Häring contre les évêques anglais. C'est dans ce contexte que, Mgr Heenan vexé, prit violement position contre Häring au Concile.

    Après quelques jours, Mgr Heenan invita Häring à tenir une conférence à tout l'épiscopat anglais en signe de leur réconciliation et de leur amitié. Les réactions à cette conférence furent contraires : Dom B. Reetz, abbé de Beuron écrit : « Me voici tremblant et plein de crainte, après les paroles entendues hier. Inutile de demander conseil à ceux qui demeurent dans les maisons religieuses, les séminaires et les universités. Ils ne connaissent pas le monde...C'est mon cas à moi moine et abbé. Il me faut donc être simple comme la colombe (et non comme les serpents qui ont venin sous sa langue), tel saint Augustin de Cantorbéry, un moine envoyé en Angleterre par saint Grégoire le Grand, et qui fut le premier évêque des Anglais. Il continue : Quant aux experts qui ont peiné à préparer le schéma, ils ont été nommés par le pape. Il ne faut pas les craindre, mais les louer, surtout à cause des annexes, dont plusieurs mériteraient d'être intégrées au schéma lui-même. La sainte Eglise de Dieu, avons-nous entendu hier, a beaucoup souffert des paroles et des écrits de certains experts. Mais cela n'a rien d'étonnant, car pour beaucoup d'hommes l'examen de conscience est une souffrance et même une torture. »229(*)

    Partant de ces polémiques, le Pape Paul VI va réunir une commission extra-conciliaire instituée par lui, faite de théologiens, de laïcs et de médecins et qu'en conséquence le sujet n'aura pas à être repris par le Concile. L'histoire de cette commission est bien connue. Sa composition a été régulièrement augmentée. Son document final était plutôt en faveur de l'usage modéré de la contraception : « Nous voudrions demander à l'Eglise enseignante d'accorder moins de poids à certaines formulations, qui sont largement déterminées par leur contexte historique. Nous demandons en outre qu'une voie puisse être ouverte qui permette à la théologie et à la pensée vivante de l'Église de réaliser l'intégration des acquisitions scientifiques et philosophiques contemporaines. Nous sommes convaincus qu'il faut faire place à une conception de l'ordre naturel qui n'exclue pas une responsabilité efficace de l'homme envers la procréation. De même paraît-il indispensable de ne pas exclure une conception où la moralité objective de l'acte sexuel, vécu dans l'amour conjugal, ne dépende plus d'un certain caractère de fécondité directe de chaque acte particulier, mais de la générosité féconde de la vie conjugale entière. »230(*)

    En effet, le concile Vatican II, tout en élaborant une théologie très positive de la conjugalité et du sacrement du mariage n'a rien dit de la licéité de l'usage de la pilule contraceptive. C'est le fameux passage de Gaudium et spes qui révèle combien le débat n'était pas encore clair et finalement pourquoi le Pape s'est réservé cette question: « Par ordre du Souverain Pontife, certaines questions qui supposent d'autres recherches plus approfondies ont été confiées à une Commission pour les problèmes de la population, de la famille et de la natalité pour que, son rôle achevé, le Pape puisse se prononcer. L'enseignement du Magistère demeurant ainsi ce qu'il est, le Concile n'entend pas proposer immédiatement de solutions concrètes » (GS 51).231(*)

    c. La question de la morale conjugale après le Concile : Häring entre fidélité et liberté

    Au grand étonnement des laïcs de la commission extra conciliaire en particulier malgré toutes leurs propositions sur les questions de la morale conjugale, l'encyclique Humanae Vitae, a pris une position plus prudente, celle que l'on sait.232(*)Après la publication de l'encyclique, Häring écrit : « Ceux qui, en conscience, estiment pouvoir accepter la ligne de l'encyclique doivent être conséquents jusqu'au bout, et ne pas désespérer s'ils rencontrent des difficultés. Ceux qui, au contraire, après avoir prié et réfléchi, sentent en conscience qu'ils ne peuvent en suivre les postulats, peuvent en toute sérénité suivre leur conscience sans pour autant devoir quitter l'Église ou s'éloigner des sacrements. »233(*)

    Beaucoup d'interprètes de la théologie morale de Häring croient que le contenu de cette encyclique a forcé ce théologien de l'Alphonsianum à se ranger parmi les contestataires et a déclenché une vraie crise d'autorité parce qu'on a jugé que son enseignement était « en rupture avec l'enseignement conciliaire à cause des concepts juridiques employés et de la notion de nature fondant son argumentation. »234(*) Il faut bien admettre que, sur le point précis de la contraception, l'enseignement doctrinal du Magistère n'a pas changé d'un iota. Humanae vitae propose une norme morale sévère provenant en droite ligne de l'encyclique Casti connubii de Pie XI et des célèbres allocutions de Pie XII sur la morale conjugale.235(*)

    Malgré que la délibération collégiale fut négligée dans la préparation du document, dans sa lecture du dossier Delhaye, a montré que les évêques n'ont nullement trahi l'encyclique mais dans leurs déclarations et leurs commentaires ils ont tenté d'apporter des nuances à la condamnation de toute contraception. Face à pareils énoncés émis comme le dernier mot de la sagesse pratique, on se rend compte du besoin urgent d'une soigneuse mise au point de la notion de malice objective du péché quant à la malice intrinsèque de la contraception.

    De toute manière, là où l'encyclique condamne sans équivoque tout choix délibéré de ce genre, la Note de l'épiscopat français apporte une nuance. « La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un désordre, mais ce désordre n'est pas toujours coupable. Il arrive, en effet, que des époux se considèrent en face de véritables conflits de devoir. »236(*) Häring rappelle qu'à l'intérieur de la Commission pontificale, le texte de I Co 7, 1-5 a été souvent cité.237(*) Saint Paul y met énergiquement en garde contre une continence prolongée. Un rapport concret a été soumis au pape, montant que la majorité absolue des époux consultés a fait l'expérience que l'application à longue durée de la continence périodique a sensiblement troublé l'harmonie conjugale. Fort de cette connaissance psychologique et de l'orientation de 1 Co 7, Häring, enfin, fait la référence au Concile qui a prononcé cette mise en garde : « Là où l'intimité conjugale est interrompue, la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis; car en ce cas sont mis en péril et l'éducation des enfants et le courage nécessaire pour en accepter d'autres ultérieurement » (GS 51,1).

    À titre de professeur à l'Alphonsianum, Häring a contribué régulièrement dans la revue Famiglia Cristiana, à des articles pour le public ordinaire italien sur des quaestiones disputatae de la théologie morale et pastorale. Son influence fut énorme tout au cours des années sur la scène romaine, cependant peu appréciée par certains milieux académiques en le stigmatisant d'une dilatation de la morale par introduction dans l'espace théologique de la créativité de la conscience morale perçue comme la relativisation de l'autorité. On sait que la conception moderne de l'autonomie de la conscience est traditionnellement considérée par la théologie catholique comme un héritage de Luther et du protestantisme.238(*) Sans hésitation, dans cette conception du statut moral de la conscience, Häring va traiter la question du conflit de devoir en s'appuyant sur la Note pastorale de l'épiscopat français sur Humanae vitae.

    Ainsi, après avoir mûri longtemps ces convictions qu'il exprima, le 5 janvier 1989, dans l'article: Chiedere l'opinione di vescovi e teologhi, paru dans « Il regnoattualità », 34, n°615, p. 1-4, Häring suggère de rouvrir le débat et de procéder à une vaste consultation auprès des évêques, des théologiens et des laïcs. Car les évêques forment l'Église dite enseignante et leurs positions concordantes avec les experts en théologie morale peuvent être soumises à l'examen des simples fidèles et, ainsi humaniser le fonctionnement de l'Église.

    Contre cette initiative, Rome n'a pas pris beaucoup de temps d'intervenir par un texte de cinq pages dans l'Osservatore Romano le 16 février 1989 intitulé: Dichiarazione e documenti où l'article de Häring fut qualifié comme « un attacco publico alfinsegnamento del Magistero circa la morale sessuale e coniugale. »239(*) En voici la teneur d'accusation qui vise spécialement Häring : « De graves confusions et des équivoques bouleversent les fidèles lorsque, de la part de certains théologiens même, on parle des déclarations du Magistère en taisant ou en déformant leur nature spécifique et leur fonction particulière. Comme chaque fidèle devrait savoir, l'enseignement du magistère de l'Église ne peut pas être interprété correctement avec le recours aux mêmes critères qui sont employés pour les sciences humaines et en recourant au seul critère socio-culturel d'une plus au moins grande adhésion à ce message. »240(*)

    Nous sommes manifestement en face d'une incompatibilité entre la réception du message chrétien et la position de l'autorité ecclésiastique. La rencontre entre un discours de la tradition théologique et les sciences humaines n'était pas une affaire de mode au moment de la parution de Humanae vitae. Le rapport entre théologie et sciences humaines ainsi posé reste à construire de façon à préciser ce qu'on peut en attendre dans le champ de la théologie elle-même.

    Les discours autour de l'encyclique Humanae vitae montrent que la crise de la théologie morale qui a suivi le Concile est arrivée à mettre en question non seulement les normes morales singulières enseignées par l'Église mais jusqu'aux fondements mêmes de toute la doctrine morale catholique.

    En effet, les débats autour de cette encyclique ont remis en cause, encore une fois, la portée objective et universelle de la loi naturelle sur laquelle le Magistère s'appuyait pour résoudre les problèmes moraux. La moralité de la contraception n'est pas un article de foi. Elle n'est pas, en toute rigueur de termes, une déclaration irréformable non plus. Pourtant, on est même allé jusqu'à parler d'un tacite mais imposant «schisme moral» à l'intérieur de l'Église.241(*) On se trouve devant des consciences imperméables à l'enseignement moral du Magistère de l'Église, qui n'est plus reçu comme critère objectif du jugement. Bien qu'il y ait eu une consultation assez considérable dans la préparation de cette Encyclique, on reproche au Pape d'avoir pris le contrepied de l'opinion majoritaire qui s'était fait jour au sein de la Commission d'experts mandatés pour l'assister.

    En référence à son expérience dans la commission des experts, Häring résume ainsi sa perception du travail : « Il m'a paru évident que le Saint Office et les organismes similaires n'avaient pas accepté le tournant réalisé par la théologie morale, biblique et dogmatique. Bien au contraire, on pouvait remarquer qu'un effort concerté s'est déployé pour le discréditer et le condamner. »242(*)

    Devant cette question, les théologiens furent placés devant deux pôles souvent exagérés : soit la liberté, soit la loi centrée sur l'idée de l'obligation, le tout dans une rencontre avec le champ de la conscience et des actes humains. Seule l'intelligence de la foi inconditionnelle de Häring, laquelle est essentiellement une réponse de foi et d'amour au Christ, lui permettra de rester fidèle alors que quelques penseurs brillants quittent l'Église.243(*)

    L'encyclique Humanae vitae va ainsi soulever avec acuité la question morale des actes intrinsèquement mauvais : après avoir réaffirmé la condamnation de l'avortement, le Pape explicite l'immoralité intrinsèque de l'intervention volontaire dans le processus naturel de la procréation : « Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation. Et on peut invoquer comme raisons valables pour justifier des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds, le moindre mal ou le fait que ces actes constitueraient un tout avec les actes féconds qui ont précédé ou qui suivront, et dont ils partageraient l'unique et identique bonté morale. En vérité, s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et, par conséquent, une chose indigne de la personne humaine, même avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux. C'est donc une erreur de penser qu'un acte conjugal rendu volontairement infécond et, par conséquent, intrinsèquement déshonnête, puisse être rendu honnête par l'ensemble d'une vie conjugale féconde » (HV 14). 

    Cette affirmation va susciter un débat où plusieurs réactions vont se confronter : nous voulons profiler ainsi la question en mettant en exergue la conception häringienne de la question des actes intrinsèquement mauvais.

    III. 2.2. La question des actes intrinsèquement mauvais selon Bernard Häring

    La question de la moralité des actes humains a toujours été l'une des controverses entre le Magistère de l'Eglise et les théologiens. Comme l'enseigne le Catéchisme de l'Eglise Catholique, les actes humaines ont trois sources qui sont: l'objet qui n'est rien d'autre la matière de l'acte, l'intention c'est-à-dire la fin de l'acte, les circonstances. Partant de ces trois sources, un acte est moralement bon si son objet, l'intention et la circonstance sont bons. Dans cas contraire si l'intention est mauvaise l'acte est indiscutablement mauvais, parce qu'on ne peut faire du mal pour en retirer du bien (cfr. CEC 1750).

    A cette affirmation du Catéchisme, Jean Paul II se situant dans la ligne droite de ses prédécesseurs notamment Paul VI affirme que la moralité de l'acte humain dépend avant tout et fondamentalement de l'objet raisonnablement choisi par la volonté délibérée : « L'objet moral est la fin prochaine d'un choix délibéré qui détermine l'acte du vouloir de la personne qui agit. » (VS78) Pour savoir quel est l'objet qui spécifie moralement un acte, « il convient donc de se situer dans la perspective de la personne qui agit. En effet, l'objet de l'acte du vouloir est un comportement librement choisi. En tant que conforme à l'ordre de la raison, il est cause de la bonté de la volonté. Par objet d'un acte moral déterminé, on ne peut donc entendre un processus ou un événement d'ordre seulement physique, à évaluer selon qu'il provoque un état de choses déterminé dans le monde extérieur » (VS 78). Ainsi, l'acte humain ne peut être ordonné à la fin ultime que s'il est bon par son objet : « La raison pour laquelle la bonne intention ne suffit pas mais pour laquelle il convient de faire le choix juste des oeuvres réside dans le fait que l'acte humain dépend de son objet, c'est-à-dire de la possibilité ou non d'ordonner celui-ci à Dieu, à Celui qui seul est Bon, et ainsi réalise la perfection de la personne. » (VS 79).

    Dès lors on peut comprendre que l'un des passages les plus forts de l'encyclique Veritatis splendor est la réaffirmation que rien - ni l'intention, ni les circonstances, ni les conséquences - ne saurait jamais justifier un acte intrinsèquement mauvais. (VS 78) « Paul VI, affirme Jean Paul II, en qualifiant l'acte contraceptif d'intrinsèquement illicite, a voulu enseigner que la norme morale est telle qu'elle n'admet aucune exception : aucune circonstance personnelle ou sociale n'a jamais pu, ne peut et ne pourra justifier un tel acte désordonné en soi. Cette négation (c'est-à-dire le refus de l'enseignement d'Humanae vitae) implique encore, comme conséquence logique, qu'aucune vérité de l'homme n'est soustraite au courant du devenir historique. »244(*)

    Selon Jean Paul II, cette conception de la moralité des actes que l'Eglise défend serait mise en danger par de nouvelles orientations culturelles et par des théologiens.

    Chez B. Häring, cette question s'insère dans le débat qui a suivi la publication de l'encyclique Humanae Vitae : après la condamnation de toute contraception comme intrinsèquement illicite, la question centrale reste de savoir si la contraception est-elle gravement mauvaise? L'Eglise répond laconiquement: « Est toujours mauvaise ce qui ne peut jamais se justifier par nul mobile, en aucune circonstance, parce que c'est intrinsèquement mauvais non, donc, par précepte d'une loi positive, mais par la loi naturelle; ce n'est pas mauvais parce qu'interdit, mais interdit parce que mauvais. »245(*)

    Face à cette doctrine, Häring va proposer une façon de comprendre la moralité des actes en partant de la théorie d'une option fondamentale246(*) qu'il va développer.

    L'option fondamentale se comprend comme l'intention englobante de toute l'existence éthique, à la source des grands engagements autant que des décisions ponctuelles. Elle surgit du niveau le plus profond de la liberté, là où la personne se situe radicalement face au bien et au mal, et donc face à Dieu, de façon même non explicite.

    En effet, en réfléchissant sur la liberté humaine, B. Häring distingue un niveau de liberté où elle décide radicalement pour soi, pour le Bien, pour Dieu.247(*) Selon lui, cette liberté fondamentale, antérieure à la liberté de choix, se transcrit en option éthique fondamentale et c'est à ce niveau seulement qu'intervient la moralité, le jugement éthique sur le bien ou le mal.248(*) Les actes concrets sont à un autre niveau : ils sont justes ou fautifs mais non marqués de la même densité éthique que l'option fondamentale. Dans l'agir humain existerait donc deux niveaux de la moralité qui permettent à la limite de considérer un comportement concret comme un processus purement physique de dimension pré-morale.249(*)

    Mais on ne peut dissocier l'option fondamentale des comportements concrets. Sinon, on contredit l'intégrité substantielle ou l'unité personnelle de l'agent moral. La moralité d'un choix délibéré se mesure à sa conformité à la dignité et à la vocation intégrale de la personne humaine.250(*) Dans le cas des préceptes négatifs, il n'y a place pour aucune détermination contraire. L'homme peut-il être moralement bon tout en agissant mal ? En réalité, l'homme se perd non seulement par infidélité à son option fondamentale, mais par chaque péché mortel commis de façon délibérée.251(*)

    Selon cette hypothèse, le péché mortel ne serait que le fruit d'un acte qui engage la personne toute entière, par le refus de Dieu posé à un niveau transcendantal de la liberté. Sinon, comment comprendre que soient mortels des péchés accomplis si facilement et si souvent, et qu'ils le soient aussi en raison de leur seule matière, ou que puissent se vivre dans un même temps la rupture et la réconciliation avec Dieu.252(*) C'est donc seulement en regard de la densité de l'engagement de la liberté qu'il faut juger de la gravité du péché, et non par la matière de l'acte.

    Partant, B. Haring va critiquer et rejeter même une conception physiciste de l'objet moral, à laquelle il propose de substituer, par souci de cohérence, une considération de l'acte humain comme totalité.

    De quoi s'agit-il ? Non pas de refuser l'existence d'actes intrinsèquement mauvais mais de s'interroger sur ce que R. Mc Cormick nomme the key problem: « Quels objets peuvent être caractérisés comme moralement mauvais et sur quel critère ? Bien sûr, cette question en cache une autre : qu'est-ce qui doit être pris en compte comme appartenant à l'objet ? »253(*)

    III.2.1. L'objet dans l'appréciation morale d'un acte selon Häring

    Pour Häring, la moralité, c'est-à-dire en somme la bonne volonté, ne peut tenir qu'à une intention fixée sur une fin qui soit objectivement bonne, qui trouve son contenu dans ce qu'appelle l'essence véritable de l'homme, dans ce qui manque à l'achèvement qui lui est dû selon des critères tout à fait naturels.254(*) C'est le type de développement que l'on trouve dans le soin que met saint Thomas à articuler l'un sur l'autre, autant qu'à distinguer les uns des autres, les différents paliers de bonté : celui de l'être, convertible avec l'être même ; celui de l'être naturel, auquel ne peut s'opposer comme mal que la privation de la perfection que sa nature appelle ; celui de l'homme, finalement, qui ajoute la conformité consciente et volontaire à ce qu'appelle sa nature.255(*)

    Il y a lieu, pour appliquer ces considérations à un acte, de discerner la triple bonté que cet acte revêt éventuellement : d'abord celle, ontologique, qu'il tient du seul fait d'être posé et qui est coextensible à son existence même ; ensuite celle, naturelle ou ontique, qu'il tient d'être posé d'une manière physiquement correcte, de manière à produire ses effets naturels [tel une relation sexuelle complète] ; enfin celle, morale et humaine, qu'il tient d'être posé en conformité avec ce qui fait de l'homme un homme, c'est-à-dire sa raison, et qui est celle qui intéresse évidemment le moraliste [tel une relation sexuelle complète entre époux]. Et sous ce dernier plan, des actes sont intrinsèquement bons ou mauvais, selon que leur définition comporte quelque chose qui se conforme ou contrarie la raison droite. (Cf. Q. D. De malo, q. 2, art. 2 et I-II, q. 18, art. 4)

    Pour Häring, donc, sous peine de tomber dans un vide ou un arbitraire total, il faut que le premier fondement pour l'appréciation morale provienne de la nature même de l'acte envisagé.256(*) Celui-ci doit avoir de fait une essence déterminée et des résultats moraux que l'on se propose quand on décide de le poser, sans quoi on ne le choisirait jamais. Comme on le choisit pour ce qu'il est de nature à donner, c'est dans cette mesure qu'il faut chercher ce qui, d'abord, permet de l'apprécier.257(*)

    Saint Thomas répète à souhait que c'est de son objet que la volonté tire sa bonté ou malice258(*). Pour bien saisir le sens de ce principe, il faut rappeler que pour lui comme pour Aristote, toutes les puissances de l'âme ont un objet qui leur est propre259(*). Ainsi la vue, qui est une puissance de l'âme, a pour objet la couleur ; l'ouïe, qui en est une autre, a pour objet le son, les qualités olfactives des corps ; leurs saveurs ; et le toucher, leurs qualités tactiles, à savoir le dur, le mou, le chaud, le froid...

    Bien que partielle, cette énumération permet déjà de comprendre qu'à toute puissance correspond un objet spécifique, et inversement. Puis donc que la volonté est une puissance spécifique de l'âme, elle devra, elle aussi, avoir un objet qui lui corresponde et qui ne soit celui d'aucune autre puissance, c'est-à-dire un objet propre. Et quel sera donc cet objet ? Saint Thomas nous le dit, c'est le bien en général260(*). Plus précisément, puisque la volonté est une puissance aveugle, ou mieux, un appétit rationnel, son objet sera le bien appréhendé, c'est-à-dire le bien tel qu'il lui est présenté par la raison.

    Cette dernière précision n'est pas sans importance. Elle explique l'écart qu'on rencontre parfois entre le bien réel et le bien apparent. Il arrive en effet que la raison se trompe et présente à la volonté comme un bien ce qui est en réalité un mal : tel acte mensonger pour se tirer d'embarras, tel vol pour s'enrichir rapidement ou tel adultère pour assouvir ses passions, par exemple. Inversement, il lui arrive aussi de prendre pour un mal ce qui est en réalité un bien : l'opposition des Témoins de Jéhovah aux transfusions sanguines, pour prendre un exemple bien connu, ou encore le refus de la famille ou du personnel médical de cesser un traitement devenu disproportionné. Selon l'heureuse distinction qu'on retrouve quelque part chez Platon, il s'agit alors de biens et de maux apparents et non pas réels261(*).

    Étant donné qu'une puissance ne peut pas défaillir envers son objet propre, si l'on disait que l'objet propre de la volonté est le bien sans autre précision, nous parlerions comme s'il ne lui arrivait jamais de s'attacher au mal. Ce qui est évidemment faux. Dire que l'objet propre de la volonté n'est pas le bien tout court, mais le bien appréhendé explique l'attachement possible à un bien qui ne soit qu'apparent et rend donc mieux compte de la réalité.262(*)

    Du point de vue de son étymologie, objet signifie d'ailleurs chose placée devant. Ce qui nous amène à faire remarquer que l'objet d'un acte est toujours corrélatif de cet acte. Ainsi, l'objet de l'amour, ce sera toujours l'être aimé. Car de même qu'il n'y a pas d'amour sans un être aimant, de même il n'y en a pas non plus sans un être aimé. Et si l'acte de l'être aimant c'est l'amour, alors l'objet de cet acte, c'est son terme, à savoir l'être aimé. Et il en est de même pour les autres sortes d'acte du même genre : si l'acte de l'oeil c'est la vision, alors l'objet de la vue, ce sera le visible en tant que tel, c'est-à-dire la couleur ; si l'acte de l'oreille c'est l'audition, alors l'objet de l'ouïe, ce sera l'audible en tant que tel, à savoir le son ; et ainsi du reste.

    Pareillement, vouloir c'est vouloir quelque chose ; or, la chose qui est voulue, voilà l'objet de la volonté. Ainsi, dans cette logique l'objet du vol n'est pas la chose volée, ni celui de l'adultère la personne à laquelle on s'unit extra conjugalement. L'éthique étudie en effet l'agir humain. Or il n'y a pas d'agir sans un acte de la volonté délibérée. En morale, le terme ou l'objet de la volonté sera donc toujours un agir. Et si c'est un agir, ce ne peut être ni une personne, ni une chose. L'objet du vol ne sera donc pas la chose volée, mais l'acte par lequel on s'approprie furtivement cette chose. Celui de l'adultère ne sera pas la personne même à laquelle on s'unit extra conjugalement, mais l'acte délibéré par lequel on s'y unit.

    Cette référence à l'objet appelle d'emblée une précision capitale. En effet, l'objet d'un acte à portée morale est proprement constitué non par le contenu purement physique de l'acte sur le plan du genus naturae (l'ordre de la nature au sens étroit), comme disent les scolastiques, mais par le contenu intelligible visé par la raison sur le plan du genus moris (l'ordre des moeurs). Autrement dit, l'objet moral, c'est-à-dire l'objet sur lequel porte la raison pratique, n'est jamais simplement l'objet (physique, `naturel') de l'acte d'une quelconque de nos facultés, mais cet acte lui-même en tant qu'il est soumis à l'empire de la volonté et donc en tant qu'il est posé par la personne dans un contexte humain.

    En d'autres termes, l'objet proprement moral du meurtre n'est pas l'innocent que l'on tue, mais l'acte par lequel on le supprime ; celui du mensonge n'est pas la parole fausse que l'on prononce, mais l'acte par lequel on dit le contraire de sa pensée à l'insu d'autrui ; celui de la contraception n'est pas le moyen qu'on utilise, ni l'usage du mariage en période inféconde, mais l'acte par lequel on frustre délibérément de sa finalité procréatrice l'union sexuelle librement consentie, etc. Bref, en morale, l'objet, c'est toujours un agir délibéré. Et c'est pour l'avoir perdu de vue que certains moralistes sont allés jusqu'à prendre le conjoint d'un autre pour l'objet de l'adultère, l'objet volé pour l'objet du vol ou l'inhibition volontaire de l'ovulation en prévision d'un viol pour de la contraception.263(*)

    Que la volonté soit spécifiée par son objet signifie encore qu'elle tire de celui-ci sa bonté ou malice fondamentale. Saint Thomas dit en effet qu'il y a une proportion entre le rapport d'un être naturel à sa forme et celui d'un acte à son objet : « Les êtres naturels tirent leur espèce de leur forme, et l'action la reçoit de son objet, de même que le mouvement la reçoit de son terme. »264(*) Et c'est justement sur cette proportion qu'il s'appuie pour affirmer que la bonté première d'un acte moral - qu'on appelle aussi générique, fondamental ou foncière-lui vient de son objet : « C'est pourquoi, de même que la bonté première d'un être naturel provient de la forme qui le spécifie, de même la bonté première d'un acte moral résulte de l'objet qui lui convient ; aussi cette bonté est-elle appelée par certains auteurs bonté générique ; elle consiste, par exemple, à user de ce qu'on possède. »265(*)

    Et comme le mal s'entend de la privation du bien, la même analogie de proportionnalité servira à établir que le mal fondamental ou foncier d'un acte lui viendra aussi de son objet : Dans l'ordre de la nature, le premier mal consiste en ce que la chose engendrée n'atteint pas sa forme spécifique, lorsque, par exemple, ce n'est pas un homme qui est engendré, mais autre chose à sa place. De même le premier mal dans les actions morales vient-il de leur objet, par exemple prendre le bien d'autrui.266(*)

    Remarquez comment saint Thomas formule les deux exemples qu'il donne. Dans le premier où il s'agit d'illustrer un objet moral bon, il dit : « user de ce qu'on possède ». Et dans le second où il s'agit d'illustrer un objet moral mauvais, il dit : « prendre le bien d'autrui ». Dans un cas comme dans l'autre, la description donnée de l'objet commence par un verbe d'action. Nous y voyons une confirmation très nette de l'idée que soutien Häring en morale, l'objet est toujours un agir délibéré.267(*)

    III.2.2 La bonté ou la malice de l'intention, moralité de surcroît

    Pour Häring donc, la moralité de la volonté est essentiellement déterminée par son objet et que celui-ci n'est rien d'autre que l'agir même auquel elle se décide. Un autre facteur doit maintenant être pris en compte et c'est l'intention. Il arrive en effet que l'acte auquel on se décide soit voulu tel quel sans que rien ne s'y ajoute. Celui qui s'empare du légitime bien d'autrui pour s'en faire le nouvel acquéreur, par exemple, n'ajoute rien à l'objet du vol, puisque c'est précisément ce en quoi celui-ci consiste. Même chose pour celui qui fait l'aumône dans le but de soulager la misère d'autrui. Mais il arrive aussi qu'un acte soit voulu pour autre chose que ses effets naturels, comme c'est le cas du pochard qui dérobe une somme d'argent pour s'enivrer, ou encore du roi qui, comme David, fait tuer son serviteur pour en épouser la femme.268(*)

    L'élément nouveau qui s'ajoute, ici, c'est l'intention. Non pas une velléité -- sorte de désir volontaire inefficace --, mais la motivation personnelle du sujet agissant, le but ultérieur qu'il poursuit par-delà ce qu'il fait en premier, la raison qui a motivé son choix et en vue de laquelle il agit ; bref, ce en vue de quoi quelqu'un choisit et pose tel acte déterminé.

    Que l'intention de celui qui agit doive être prise en compte dans l'appréciation de la moralité d'un acte, cela ressort clairement du fait qu'il n'est jamais venu à l'idée de personne d'en faire l'économie, affirme Häring. C'est la plupart du temps le premier facteur de moralité à être considéré par les analystes et parfois même, hélas, le seul. La nécessité de l'intention bonne a toujours fait et fait encore l'unanimité : si l'intention est mauvaise en effet, tous concluent que l'acte est mauvais.

    En tenant compte de ce qui précède pour acquis, la question qui se pose est dès lors celle de savoir ce qui arrive lorsque les motivations personnelles de l'agent sont bonnes, mais que l'objet de son choix ne l'est pas ; lorsque le but ultérieur qu'il poursuit est moralement bon, mais que l'agir auquel il se décide ne l'est pas. Qu'une telle chose se produise se laisse voir dans le problème classique du mensonge en vue de sauver la vie d'un autre. Que se passe-t-il en pareil cas ? Comment l'objet et l'intention se comportent-ils ? Se neutralisent-ils mutuellement ? Rendent-ils l'acte à la fois bon et mauvais ? L'un jouit-il d'une prépondérance sur l'autre ? Et dans l'affirmative à cette dernière question, lequel a priorité sur l'autre et à quelle(s) condition(s) ?269(*)

    Poser ces questions, c'est tenter d'y voir plus clair dans les responsabilités respectives de l'objet et de l'intention en regard de la moralité d'un acte. A ce sujet, Häring s'appuie sur la doctrine de saint Thomas telle qu'elle s'exprime dans son traité sur les actes humains. En raison de son lien direct avec le propos de notre mémoire, la question dix-huit de la prima secundae où il est question de la bonté et de la malice des actes humains en général retiendra spécialement ici notre attention.

    À l'article cinq de cette question, saint Thomas se demande s'il y a une différence d'espèce entre les actes bons et mauvais et il répond en rappelant ce que nous savons déjà, à savoir que tout acte est spécifié par son objet. Là où les choses se compliquent, c'est qu'à l'article suivant il dit que les actes reçoivent également leur espèce de leur fin. On se demande alors comment s'articulent l'espèce qui vient de la fin et celle qui vient de l'objet. Saint Thomas pose également cette question à l'article sept où il se demande si le rapport entre l'espèce qui vient de la fin et celle qui vient de l'objet en est un de genre à espèce, ou s'il n'en serait pas plutôt un d'espèce à genre.270(*)

    Pour terminer ce point, disons que pour B. Häring l'acte humain est quelque chose de complexe qui ne se laisse pas aisément saisir du premier coup et pour dire, en conséquence, qu'il faut faire preuve de beaucoup de circonspection avant de prétendre à un jugement définitif sur sa valeur morale. Il y a en effet des actes qu'on a tendance à considérer trop tôt comme définitivement mauvais. Pour l'exprimer d'une manière synthétique, disons que pour Häring l'objet et la fin spécifient tous deux l'acte, mais ils le font par mode d'addition lorsque leur lien est accidentel et par mode de subordination lorsque leur lien est essentiel.271(*) Dans le premier cas, l'objet et la fin apportent tous deux leurs spécifications respectives et l'acte revêt en même temps deux espèces morales distinctes (tel le vol commis pour faire l'aumône) ; tandis que dans le deuxième, l'espèce qui provient de l'objet se subordonne à celle qui provient de la fin comme l'espèce au genre (tel le combat livré pour remporter la victoire).272(*)

    III.2.3. Les actes intrinsèques

    B. Häring expose une conception de la question des actes intrinsèquement mauvais qui tient compte de l'environnement et du contexte socio-culturel : En effet pour lui, si les conséquences principales et naturelles d'un acte sont mauvaises c'est dire que l'acte dont elles découlent est lui-même mauvais, attendu que si l'effet est mauvais, sa cause l'est a fortiori.273(*) Cet acte, quant à lui, n'est pas le fruit d'une génération spontanée, mais procède de la volonté délibérée comme de sa cause. En vertu du même principe, pour Häring, si l'acte issu de la volonté est mauvais, c'est que la volonté elle-même l'était. Mais la volonté ne peut communiquer une malice qu'elle n'a pas d'abord elle-même contractée. Or on sait que la volonté est spécifiée par son objet. Sa propre malice lui vient donc de l'objet, à savoir l'agir même auquel elle s'est décidée au moment du choix. Quant à cet agir, il ne peut constituer le terme d'un acte élicite mauvais s'il n'est pas déjà en lui-même désordonné, c'est-à-dire contraire à la raison droite.274(*)

    Bref, avant d'entraîner des conséquences mauvaises, un agir doit avoir été posé ; or il doit avoir été choisi avant d'être posé ; et avant d'être choisi il doit avoir été conçu par l'intelligence et présenté à la volonté comme objet. Conclusion : avant d'être contractée par la volonté élicite, la malice morale était déjà inscrite à l'intérieur de l'agir susceptible d'être choisi. Autrement dit, c'est parce que l'agir délibéré était déjà en lui-même désordonné ou contraire à la raison droite que la volonté élicite en contracte la malice au moment du choix.

    Il en est donc de la moralité comme de l'adjectif sain attribué simultanément à l'animal, à la nourriture et à l'urine : l'attribution se fait d'une manière analogique et non pas univoque. Si la bête, la nourriture et l'urine peuvent être qualifiées de saines, c'est en effet parce que toutes trois ont un rapport à la santé : la bête en tant qu'elle en est le sujet propre, la nourriture en tant qu'elle en est la cause, et l'urine en tant qu'elle en est le signe ou l'effet. Ce qu'on veut faire remarquer ici, c'est que le même type d'analogie joue dans le cas de la bonté et de la malice morale.275(*) Si la volonté, l'objet de son choix et l'agir effectif qui en découle peuvent tous trois être qualifiés de moralement bons ou mauvais, il reste que ne sera pas d'une manière univoque, mais analogique. La volonté sera qualifiée de bonne ou mauvaise en tant que sujet propre de la moralité (et c'est la raison pour laquelle on dit qu'il n'y a que la volonté qui soit formellement bonne ou mauvaise), l'agir délibéré sera qualifié de bon ou de mauvais en tant qu'il se rapporte à la volonté comme l'effet à sa cause, et l'agir que la raison présente à la volonté comme objet sera qualifié de bon ou de mauvais en tant qu'il est apte à spécifier la volonté qui le ferait sien en le choisissant. On sauve de cette manière le principe à l'effet que la moralité ne convienne proprement qu'à l'acte volontaire, tout en maintenant la théorie séculaire de la spécification de la volonté élicite par son objet. 276(*)

    Pour Häring, quand on parle d'un acte intrinsèquement bon ou mauvais, c'est d'un agir susceptible d'être choisi dont on parle : un acte conçu par la raison (un vol ou un meurtre, par exemple) et dont la bonté ou la malice vient de sa conformité ou de son opposition à ce que la nature humaine admet à son achèvement.277(*) Par-là, il faut comprendre que cet acte a déjà en lui-même une structure et une signification qui constituent déjà une raison de le vouloir et que la volonté ne peut pas ne pas faire siennes quand elle s'y décide : une structure qui lui vient de ce qu'il est en lui-même, dans son essence, et qui fait que c'est de tel acte dont il s'agit et non pas de tel autre (s'approprier furtivement le bien légitime d'autrui ou supprimer volontairement la vie d'un être humain innocent, par exemple), et une signification ou valeur morale qui lui vient de son rapport de conformité ou d'opposition à la raison droite en tant que, en choisissant de poser le geste, on irait automatiquement, dans le premier cas, à l'encontre du droit de propriété d'autrui, ou, dans le second, à l'encontre de l'inviolabilité de la vie de l'innocent.278(*) On comprend dès lors que cette bonté ou malice morale de l'acte ne se prend pas de ce qui s'ajouterait à ce qu'il est déjà en lui-même, mais de ce qui le constitue déjà en son essence ou espèce ; d'où le nom de moralité intrinsèque.279(*)

    Pour Häring, en saisissant comment un agir a une nature déterminée, on comprend que, déjà à ce niveau, en son essence même, avant que quiconque l'ait choisi, il se prête à un rapport de conformité ou de non-conformité avec la raison, c'est-à-dire avec ce que la nature humaine admet ou non à son achèvement. Certains actes présentent une essence susceptible de se conformer à la raison et de faire l'objet d'un choix moral (telle la remise d'une somme due et l'aumône faite au pauvre), tandis que l'essence d'autres exclut définitivement cette possibilité (tel le vol et le meurtre).280(*)

    Le bien moral exige donc, selon Häring, que tous ses éléments soient simultanément bons, tandis que le mal résulte de la malice d'un seul. C'est la raison pour laquelle un acte n'est définitivement bon et jugeable comme tel qu'une fois revêtu de son ultime circonstance morale : tant qu'il n'en est pas là, il est susceptible, tout intrinsèquement bon qu'il soit, de se gâter moralement par l'effet d'une autre circonstance.281(*)

    Sur cet aspect de la question, la conception proportionnaliste interdit tout jugement définitif sur la valeur morale d'un acte considéré in abstracto. Par contre, Häring considère qu'un acte est déjà mauvais et jugeable comme tel, dès que son objet ou qu'une de ses circonstances l'est, sans qu'il soit nécessaire de poursuivre l'inventaire des circonstances. Et c'est là précisément où qu'il se sépare des proportionnalistes qui, comme on le sait, refusent l'existence d'acte irrémédiablement mauvais, jugeant qu'une circonstance adventice peut, à elle seule, rendre bon un acte par ailleurs contraire à la raison droite.282(*)

    Pour Häring, toutes les déterminations morales d'un acte doivent simultanément concourir à sa bonté pour que l'acte soit déclaré bon, alors qu'un seul défaut suffit à le déclarer mauvais. C'est la raison pour laquelle il ne peut pas y avoir d'actes intrinsèquement bons in abstracto qui ne puissent être gâchés par une circonstance qui le rende mauvais in concreto. À l'inverse, un acte qui serait mauvais in abstracto (l'adultère, par exemple), ne pourra jamais revêtir de circonstances qui le rendraient bon in concreto, pour la simple et bonne raison qu'une nouvelle circonstance ne fait qu'ajouter une nouvelle relation à la raison droite, sans détruire ou éliminer ce qui, en cet acte, s'y oppose déjà. En clair, l'adultère étant déjà contraire à la raison droite du fait qu'il s'agisse d'un commerce extra-conjugal, rien de ce qui pourrait s'y ajouter ultérieurement dans l'ordre de la concrétion de l'acte ne pourra changer cet état de fait. Et c'est précisément cet aspect que les proportionnaliste négligent de considérer.283(*)

    Quelles sont les implications de cette conception häringienne des actes intrinsèquement mauvais ? En effet, il y a une considération de départ : les normes négatives, qui selon l'enseignement traditionnel de l'Eglise proscrivent semper et pro semper certaines actions comme intrinsèquement mauvaises ex objecto, sont selon Häring, le fruit d'un processus inductif qui aurait généralisé l'interdiction d'une action physique déterminée -- par exemple « le fait de tuer » -- en raison du résultat produit par ces actions (fondation téléologique de la norme).284(*) Serait a priori exclue la possibilité d'une exception légitime à ce commandement. Mais, bien évidemment, une telle prétention se révélerait rapidement un échec, pour deux raisons : primo, prévoir a priori toutes les situations possibles est une gageure ; secundo, le sens commun reconnaît la légitimité de l'action tuer dans certains cas (légitime défense, guerre juste, etc.). D' où un raffinement progressif de la norme, incluant toujours plus de circonstances.285(*)

    Un tel processus, fruit de l'expérience commune d'un groupe humain donné -- la tribu, le peuple d'Israël, l'Église, ou même l'humanité tout entière --, ne serait jamais achevé. C' est pourquoi les normes seraient toujours perfectibles, et conserveraient inévitablement un caractère abstrait. Ainsi, même lorsque cet affinement progressif de la norme conduit à des formulations extrêmement complexes, ces formulations demeurent en défaut par rapport à la richesse inépuisable -- et sans cesse mouvante -- du réel et de la nature humaine (le caractère évolutif de ces derniers étant lié à la croissance de nos connaissances scientifiques mais aussi à une conception ontologique non statique de la nature humaine). Certains en arrivent logiquement à parler de normes virtuellement sans exception286(*).

    Les formulations simplifiées telles que Tu ne tueras point -- auxquelles il faudrait bien se tenir par souci pédagogique et par impossibilité de parvenir à une norme exhaustive -- devraient être regardées en réalité comme des tautologies. Elles viseraient tout au plus à rappeler à la personne qu' elle doit toujours viser , dans le choix d'un comportement précis, à être juste, à être bienveillante envers toute personne, à ne pas sacrifier vainement (c ' est-à-dire « sans raison proportionnée) le bien de la vie humaine, etc. , mais sans qu' il soit possible d'en déduire un comportement concret.

    Ainsi, seules sont valables semper et pro semper des normes dites transcendantales prescrivant des attitudes fondamentales à l' égard des valeurs à respecter dans l'agir concret, tandis que les normes catégorielles prescrivant ou interdisant un comportement concret valent seulement ut in pluribu, à moins qu'on ne les regarde, ainsi que nous venons de le signaler, comme des tautologies -- mais elles ne servent alors aucunement à déterminer un mode d'agir concret287(*). C'est dès lors à la raison pratique qu'il revient de déterminer quel comportement convient dans la situation présente, et ce, à chaque fois d'une manière nouvelle, sans qu'elle puisse espérer des normes morales qu'elles lui offrent une solution toute faite.288(*)

    Cette conception entraîne des conséquences qui peuvent changer la façon d'appréhender les préceptes moraux.

    III.2.4. L'application des préceptes universels, immuables et négatifs

    La compréhension des actes intrinsèques proposée par B. Häring soulève une question : peut-t-on être dispensé parfois d'observer les préceptes universels, immuables et négatifs comme ceux édictés par le décalogue? En effet, Thomas d'Aquin prend position à ce sujet et soutient qu'on peut être dispensé d'observer un précepte du décalogue, quand un cas particulier se présente où l'on irait à l'encontre de l'intention du législateur si l'on observait le précepte à la lettre (I-II, q. 100, a. 8). La première objection à laquelle il répond porte sur un précepte négatif : Le décalogue défend l'homicide, Tu ne tueras pas. Or, les hommes dispensent de ce précepte puisque les lois humaines permettent de mettre à mort, entre autres, les malfaiteurs et les ennemis de la patrie.289(*)

    En répondant à l'objection, Thomas d'Aquin ajoute un mot: Tu ne tueras pas injustement. Dans certains cas, il est conforme à la justice de tuer un être humain. L'homicide que le commandement défend, c'est l'homicide injuste, qu'on appelle communément le meurtre, et que le Petit Robert définit ainsi : « Action de tuer volontairement (sic) un être humain. » Volontairement ne convient pas : il faut dire injustement, car, à la guerre, on tue volontairement mais pas toujours injustement »290(*).

    Après avoir répondu à l'objection portant sur l'homicide, Thomas d'Aquin applique son principe à d'autres cas. Il est dit: Tu ne voleras pas. C'est un autre précepte négatif, comme dit l'encyclique de Jean-Paul II, Veritatis Splendor.291(*) Selon Thomas d'Aquin, il existe des circonstances où il est conforme à la raison, donc moral, d'enlever à une personne quelque chose qui lui appartient. En l'occurrence, on ne commet pas le vol défendu par le commandement. L'encyclique a beau dire que le commandement négatif « interdit toujours et dans tous les cas »292(*), il faut savoir reconnaître les cas auxquels s'applique l'interdiction et les cas auxquels elle ne s'applique pas. Or, il existe des cas où le commandement: Tu ne voleras pas ne s'applique pas. Par exemple, dans le cas d'extrême nécessité non seulement une personne peut prendre sur le bien d'autrui ce qui lui est nécessaire pour subsister, mais une tierce personne ne peut le prélever pour elle (II-II, q. 66, a. 7). Autre exemple : dérober les armes des terroristes, ce n'est pas voler.293(*)

    L'examen des diverses circonstances de l'action concrète va conduire à des principes propres, tirés de l'expérience, et ce sont ces principes propres et non les principes universels qui règlent immédiatement l'action singulière, concrète. Thomas d'Aquin est catégorique à ce sujet : « Dans les actions humaines particulières [ce mariage et non le mariage, cet avortement et non l'avortement], l'homme ne peut s'appuyer sur des principes absolus ; il doit s'appuyer sur des règles vraies dans la plupart des cas seulement. Ces règles que l'expérience lui enseigne, ce sont les principes propres de l'action concrète » (II-II, q. 49, a. 1). L'encyclique Veritatis Splendor parle de la connaissance universelle (VS 55) que la conscience applique à l'action concrète, mais elle ne mentionne pas que cette application se fait par le truchement du principe propre, fruit de l'expérience, dont parle Thomas d'Aquin. Pourtant, c'est le principe propre, fruit de l'expérience et valable dans la plupart des cas seulement, qui règle l'action singulière. Ce principe comporte donc des exceptions puisqu'il n'est valable que dans la plupart des cas.295(*)

    Partant de ce qui précède on peut donc affirmer que les préceptes du décalogue sont, en soi, immuables, comme le dit Thomas d'Aquin, immutabilia sunt (I-II, q. 100, a. 8, sol. 3) et qu'il sera toujours interdit de tuer injustement un être humain, de prendre injustement le bien d'autrui ou de commettre sciemment l'adultère ; on ne peut pas être dispensé d'honorer son père et sa mère. Comme le dit Jean Paul II dans l'encyclique Veritatis Splendor, ces préceptes sont, en soi, universels et immuables ; mais, dans l'application aux cas particuliers des préceptes universels et immuables, même négatifs, le problème se pose toujours de savoir si tel acte honore son père et sa mère, si tel acte est un homicide défendu par le commandement, si tel acte est un vol défendu par le commandement, etc296(*). Hoc est mutabile, cela est changeant, variable, dit Thomas d'Aquin (I-II, q. 100, a. 8, sol. 3). Ce n'est pas la dictature du relativisme, mais le royaume du relatif : il n'y a pas d'absolu à ce niveau, affirme Thomas d'Aquin. Les principes moraux universels et immuables dont parle La splendeur de la vérité restent donc inviolables et intouchés. Donc, pour la bonne conduite de la vie, les préceptes généraux, universels, immuables ne suffisent pas.

    Actuellement, dans notre société, la considération des éléments subjectifs s'est considérablement enrichie par les découvertes de la psychologie, notamment des profondeurs, permettant ainsi de mieux cerner la réalité individuelle du péché, il apparaît qu'une insistance trop unilatérale sur cet aspect risque de faire perdre l'aspect objectif premier de la faute et de la peine vindicative qui lui est attaché. En d'autres termes, un personnalisme déséquilibré qui ne concevrait plus que des actes singuliers n'ayant sens et valeur que pour celui qui les pose, ne risque-t-il pas de miner de l'intérieur la vie commune sociale. Celle-ci ne serait plus alors un tout qui subsiste grâce aux relations droites de chacun des membres avec ses semblables, son bien commun ne sera saisi que comme la somme des biens particuliers ; et par conséquent, les valeurs qui doivent fonder le consensus social s'effritent et disparaissent. Alors, comment concilier de façon harmonieuse les avancées de la réflexion théologique, qui préconise surtout l'aspect subjectif des actes, avec les données d'une sagesse séculaire (L'Eglise) qui privilégie plutôt l'aspect objectif. L'explication de la place et du rôle de la conscience morale que donne Häring tente une conciliation entre les deux tendances opposées sur l'objectivité et la subjectivité de l'acte moral et par conséquent du jugement sur la moralité des actes humains.

    III.3. Conscience, fidélité et liberté chez B. Häring

    Le thème de la conscience morale a toujours été très cher à Häring. Il s'est d'ailleurs inscrit volontairement dans la tradition de saint Alphonse de Liguori, qu'il a surnommé l'avocat de la conscience.297(*) En fait, saint Alphonse a été le premier théologien catholique à composer un traité spécifique sur la conscience morale, qu'il a significativement placé au seuil de sa Theologia Moralis. Selon Liguori, dans le sens rigoureusement formel, la vie morale se développe dans et avec la conscience de la personne. En soutenant la doctrine du primat de la conscience, à qui revient toujours la promulgation des lois, c'est-à-dire la reconnaissance du caractère contraignant d'un précepte dans des situations concrètes, Alphonse instaure une morale très sensible à l'histoire et aux besoins personnels et, avec cette préoccupation, leur propose la praxis religieuse, la prière par exemple, comme lieu approprié du discernement de la conscience, de l'illumination de la vérité et donc de la rencontre avec Dieu, soit le chemin de salut.298(*)

    Le fait que Häring considère la conscience morale selon une perspective religieuse est sans doute redevable à cette influence intellectuelle et spirituelle. D'ailleurs, cette orientation du moraliste allemand s'était déjà manifestée dans La loi du Christ299(*) et a été entérinée par Vatican II qui, dans la constitution Gaudium et spes, a accordé une place centrale à l'aspect religieux dans les paragraphes 16 et 17, dédiés à la conscience morale : la conscience, affirme la Constitution pastorale, « est le centre le plus intime et le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (GS 16).

    Préoccupé par l'appauvrissement du concept de conscience dans l'histoire de la théologie, Häring indique comment des courants de la théologie morale ont réduit la conscience morale à la notion de simple faculté, quelques-uns l'identifiant à une faculté de l'intelligence, d'autres à une faculté de la volonté. Fort présent dans le passé, ce réductionnisme se percevrait encore aujourd'hui.

    Pour l'auteur, Thomas d'Aquin avait déjà décrit correctement la complexité de cette réalité fondamentale de l'être humain qu'est la conscience, même si son point de départ pour la considérer était son aspect intellectuel et rationnel. Selon Thomas - nous apprend Häring - la conscience est une « conclusion effective de la syndérèse sur ce qui est l'expression correcte de l'amour du prochain, de la justice, etc. »300(*) La syndérèse301(*), quant à elle, « est la qualité innée de l'intelligence pratique comportant les principes moraux dans la mesure où ceux-ci sont immédiatement perçus comme me liant et liant tout être humain. »302(*) Mais cette intelligence ou connaissance du bien ne se réduit pas à son aspect rationnel. Il s'agit tout d'abord d'une connaissance « qui vient du fond du coeur, une connaissance de salut, de plénitude. »303(*) Elle comporte quelque chose d'intuitif qui la pousse vers le bien connu par la raison.

    Ce regard sur la conscience morale n'a pourtant pas été entériné par un thomisme postérieur très répandu. Certains théologiens ont tendu à considérer la connaissance du bien sous son seul aspect intellectuel ; on a fait de la conscience morale une instance ou un acte assujetti uniquement au domaine de la raison, une simplification de l'acte de la conscience comme application, sans plus, d'un principe ou d'une loi rationnelle aux circonstances particulières.

    Parallèlement à la doctrine thomiste, des penseurs comme Bonaventure, Alexander de Hales et Henri de Gand se sont attachés à démontrer que la conscience est plus liée à la volonté qu'à l'intelligence. Ils démontrent comment la syndérèse qui se concrétise dans les décisions de la conscience est « une disposition innée de la volonté à aimer et désirer ce qui est connu comme le bien », un « amour passionné qui embrase le plus intime de l'homme pour le bien ». La force dynamique de se décider pour ce bien trouve sa source dans la tendance profonde et innée de la volonté à aimer et à se réaliser.

    Häring propose une interaction entre les deux modèles moraux, celui de tendance rationnelle et celui de tendance volitive.

    III.3.1. Une conscience spécifiquement chrétienne

    A plusieurs reprises, Häring s'est refusé à prendre parti dans le débat théologique qui a opposé le projet d'une éthique spécifiquement chrétienne et une conception autonome de la morale.304(*) Selon lui, ce débat est le fruit d'un regard réductionniste de la théologie et de la vie morales; il a lieu d'abord parce que l'on parle de la pratique morale (théologique ou existentielle) généralement circonscrite aux aspects normatifs de l'éthique et ensuite parce qu'il y a un véritable fossé entre la morale et la spiritualité, dans la théologie autant que dans la vie chrétienne.305(*)

    L'auteur propose un dépassement de cette problématique à partir d'un élargissement du regard sur la conscience morale en tant que chrétienne. Quand on parle de conscience morale chrétienne, il ne s'agit d'aucune supériorité des chrétiens par rapport aux autres humains. Par-là, on veut indiquer plutôt une configuration propre de la vie de celui dont la conscience « est marquée par sa rencontre avec le Christ, par sa joie d'être une nouvelle créature dans le Christ, et par sa connaissance, à travers le Christ, du Père et de ses frères. »306(*)

    La conscience morale chrétienne rencontre son fondement et sa fermeté dans la foi qui est accueil du Christ en tant qu'envoyé du Père. Cette rencontre avec le Christ signifie avant tout l'établissement de nouvelles relations avec Dieu, implique aussi directement de nouvelles relations avec les autres humains et une nouvelle intelligence de soi de celui qui vit la foi. La foi a donc un caractère englobant ; elle influence la vie tout entière du croyant.

    Häring signale que saint Paul avait déjà développé cet aspect englobant de la foi surtout en ce qui concerne la vie morale. Pour l'apôtre, « la foi est toute attitude du chrétien, assimilant aussi ses jugements de valeur morale. Le chrétien n'est pas divisé à l'intérieur de lui-même entre une «économie» naturelle, et une autre surnaturelle ; il n'y a qu'un jugement de conscience et il est déterminé par sa foi. »307(*)

    Il est certain que la foi ne correspond nullement à un code de lois ou à un catalogue de formulations ni pour Paul ni pour Häring, bien au contraire, comme on le verra par la suite. Elle détermine le jugement de la conscience dans la mesure où celle-ci est une attitude existentielle due à l'adhésion au Christ, une sensibilité face à la vie et à ses composantes, une manière d'articuler celles-ci et de leur donner un sens.

    En ce sens, si quelqu'un met la loi et l'obligation en première place dans la vie morale, avant la foi comprise comme grâce librement accueillie, il met en péril l'authenticité de la conscience chrétienne. Alors que le légaliste s'arrête devant une loi abstraite, celui qui a la conscience de la foi, en tournant son attention vers l'amour de Dieu, se libère des lois pour «être libre pour son prochain et devenir fidèle dans le Christ. »308(*)

    En effet, la conscience morale connaît un changement de perspective substantiel dans sa manière de juger : les commandements positifs et les commandements de l'Évangile prennent la préséance par rapport aux interdits, la nouvelle Alliance remplace l'ancienne. Les Béatitudes, les commandements but et les fruits de l'Esprit s'imposent dans la morale ; simples parenesis pour une certaine morale, ils deviennent ici des éléments constitutifs d'une éthique normative chrétienne autrement comprise. « Aimer Dieu de tout notre coeur et nous aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimés n'est pas pur idéal, mais bien un idéal normatif qui exige que tous nos désirs, actes et efforts soient orientés dans cette direction. Ce haut idéal nous rapproche continuellement du Christ et se montre à la fois plus exigeant et plus gratifiant. »309(*)

    III.3.2. La prudence et le discernement : les vertus de la conscience morale chrétienne

    Comme les vierges de la parabole (Mt 25,1-13), la conscience est appelée à être toujours en état de veille. Comme la vérité de Dieu se manifeste toujours ici et maintenant, seule la vigilance rend le chrétien capable de la pénétrer. « Par la vigilance, une conscience spécifiquement chrétienne est saisie par la richesse et les tensions de l'histoire du salut. »310(*)

    La vigilance n'est autre que l'attitude existentielle correspondant à la vertu de la prudence. C'est l'attitude qui donne à la conscience morale une sensibilité accrue et qui l'aide à déchiffrer, au sein des situations les plus complexes, l'appel du Christ à une vie conforme à la grâce. Pour cette raison, la prudence pousse la conscience morale à la créativité et la fidélité dans chacun de ses jugements. En effet, ceux-ci sont, ni plus ni moins, le verdict de la prudence : après avoir apprécié les réalités objectives, elle va organiser les actions adaptées (créativité), prenant en compte les dons de Dieu et les besoins humains (fidélité).

    L'activation de la prudence prend cours pendant un processus critique qui est le discernement. Dans une société pluraliste et parfois très confuse, face à tant d'idéologies et aux doutes du quotidien, le chrétien se voit appelé à l'exercice critique d'une sensibilité qui éprouvera les esprits pour voir s'ils viennent de Dieu (1Jn 4,1). La condition pour le discernement de la conscience chrétienne est son ouverture à l'Esprit du Christ. À ce propos, Paul se manifestait ainsi aux Philippiens : Que votre charité croissant toujours de plus en plus s'épanche en cette vraie science et ce tact qui vous donneront de discerner le meilleur (Ph 1,9-10).

    Par ailleurs, comme conséquence de la réciprocité de consciences, le discernement ne se réalise pas seulement pour le profit personnel. Pour le chrétien, il concerne le bien commun de l'Église et le bien de chacun de ses frères, il concerne aussi le bien de toute la société humaine dans la mesure où l'Église s'y trouve insérée et trouve sa raison d'être dans son service. D'autre part, le discernement critique des autres peut aider à démontrer et à illuminer l'échec et les fautes de la personne et à les dépasser.

    Nous pouvons conclure que, pour Bernhard Häring, grâce à la prudence ou vigilance et au discernement, la conscience morale adulte se nourrit de la conscience critique pour bien exercer le discernement. Cette action critique de la conscience se réfère toujours à elle-même, à la communauté humaine en général et, pour les chrétiens, à l'Église en particulier. Pour que cette action ne s'exerce pas comme une « critique méchante », elle doit être vécue comme un ministère de continuel service au bien commun, en s'appuyant sur « un fond d'appréciation du bien » et dans la croyance profonde que l'étincelle divine se trouve à l'intérieur de la réalité ou des personnes qu'on critique311(*).

    Résumons avec l'auteur la caractéristique de la conscience chrétienne. « Nous pouvons dire que nous possédons une conscience spécifiquement chrétienne quand nous nous trouvons profondément enracinés dans le Christ, attentifs à sa présence et à ses dons, prêts à nous unir à lui dans son amour pour tout son peuple. Tout sera vérifié pour voir si tout peut être offert au Christ comme réponse correcte à son amour, à ses dons et aux besoins des frères. »312(*)

    III.3.3. La réciprocité de consciences : l'interpellation de l'autre

    Aux côtés de la créativité et de la fidélité, nous pouvons dire que la réciprocité est la marque distinctive de la théologie de la conscience morale de Bernhard Häring. « Il est certain, dit le théologien, que la conscience signifie aussi autoréflexion, conscience de soi, vivre en paix avec soi, faire l'expérience de sa plénitude croissante en totalité, ou de ce qui la menace. Mais une conscience de soi et une autoréflexion authentiques ne sont pas possibles existentiellement sans l'expérience de la rencontre avec l'autre. »313(*)

    Cette rencontre avec l'autre favorise l'accès de la personne à son identité et à son intégrité, ce qui a lieu quand deux perspectives différentes issues de deux histoires distinctes se rejoignent et entrent en dialogue. Le respect envers la singularité de chacune de ces histoires ou de ces personnes et la fidélité à l'être de l'autre qui se révèle renforce la confiance personnelle et permet à chacun de libérer sa vérité la plus profonde. Le respect de soi et le respect de l'autre se renforcent et le surmoi qui, comme les masques des tragédies, impose toujours la monotonie des rôles répétitifs et sans liberté, peut être dépassé en faisant place à la liberté et à la fidélité créative.

    Mais la réciprocité de consciences ne s'arrête pas à cette expérience d'auto connaissance et d'autorévélation qui s'impliquent mutuellement. Il semble que Bernhard Häring y voit le cadre privilégié pour la pédagogie d'une conscience morale mûre et saine.

    Dans la théologie de Häring, la réciprocité des consciences occupe la place de ce qu'une partie non négligeable de la théologie morale attribuait à la loi. Il est clair que pour lui la loi et les normes continuent à être une dimension très importante dans la vie morale. Cependant, la conscience « reçoit moins de lumière et moins d'encouragement de lois abstraites qu'elle n'en reçoit d'une personne exemplaire qui vit vraiment sous l'autorité de sa conscience et respecte totalement la conscience des autres314(*) Quand l'auteur parle de réciprocité et donc de formation de la conscience morale, il envisage un large horizon de relations et un processus continu. Il se réfère aux relations entre parents et enfants et entre éducateurs et disciples, entre ceux qui, dans l'Église, ont la charge de l'enseignement, les théologiens et la hiérarchie ainsi que tout le peuple de Dieu.315(*) Mais le cadre ne se restreint pas à cela. Toute relation authentiquement humaine, c'est-à-dire vécue dans la liberté, est potentiellement un moment privilégié pour que la conscience mûrisse progressivement et devienne capable de bien juger. La formation de la conscience est un projet pour toute la vie, elle ne s'arrête jamais.

    En ce qui concerne le processus de formation de la conscience spécifiquement chrétienne, Bernhard Häring ajoute que « toute éducation chrétienne devrait être, d'une certaine manière, une formation de la conscience post baptismale, [car] nous devrions voir ce que nous avons reçu dans le baptême et de quelle manière nous pouvons porter du fruit comme membres du corps du Christ. »316(*)

    Pour Häring, la conscience morale ne se résume pas à une des facultés de l'être humain. Elle ne fait pas partie de l'intelligence rationnelle seule. Elle n'est pas non plus simple expression de la volonté ou encore de l'affectivité de l'homme. Elle est plutôt notre dynamisme d'articulation le plus profond.

    La conscience est le garant de l'unité entre les diverses attitudes et moments de notre histoire ; elle les articule sur l'axe de toute la vie morale qu'est l'option fondamentale. Pour exercer cette fonction dynamique, la conscience morale ne peut vivre et émettre ses jugements de manière authentique si elle ne le fait pas de manière créative et fidèle.

    La conscience doit être créative dans la mesure où l'aspect inédit des circonstances de la vie exige toujours des réponses appropriées. Aucun code ne peut prévoir l'infinité de circonstances. Il revient à la conscience d'y trouver la meilleure réponse. La conscience doit être fidèle parce que, dans la poursuite de la vérité dans chacun de ses jugements, elle cherche une harmonie personnelle qui prenne en compte raison, volonté, affectivité dans le moment présent, mais avec le regard orienté vers l'histoire personnelle considérée comme un ensemble où se dessine l'option fondamentale comme diapason pour chaque choix particulier.

    Conclusion du chapitre

    L'idée maîtresse qui l'anime et qui fonde la théologie de Bernard Häring est que l'homme évolue, change avec le temps. Et puisque la loi est au service de l'homme, celle-ci doit obéir au même principe. Par conséquent la théologie doit être incertaine, flexible et renouvelable selon les époques, les cultures, les besoins et les situations. En effet, selon Häring, le monde actuel vit une situation nouvelle. Nous avons acquis, une nouvelle conscience, de nouveaux schèmes de pensée, un vocabulaire nouveau et nous vivons dans un contexte historique nouveau. A cette mentalité totalement neuve correspond un nouveau type de personne. L'esprit humain a une physionomie nouvelle, et ce changement se poursuivra, que nous le voulions ou non.

    Häring préconise donc un personnalisme qui se veut existentialiste, car la morale doit cesser d'être une pure abstraction, un système exsangue d'impératifs, amas de lois et de préceptes pour devenir une affaire d'amour en échange de l'amour, une réponse à l'appel individuel du Dieu vivant, entendu que cette réponse s'étend à la vie toute entière . La morale doit se rapporter au bien de la personne vivant dans une communauté et engagée dans des relations humaines. Seul l'existentialisme lui permet de répondre à ce besoin d'actualisation et de personnalisation de la norme morale.

    Et pour sortir la morale de cette perspective statique et embrasser la perspective dynamique qu'il propose, Häring, reprenant saint Alphonse de Liguori, propose d'appliquer la loi de l'épikie (équité) non seulement aux lois humaines positives, mais aussi aux formulations de la loi naturelle.

    Il va ainsi, dans son système éthique, accorder une place prépondérante à la conscience. Selon lui, c'est la reconnaissance du primat de la conscience créative du sujet, qui détermine un chemin de croissance. C'est la conscience qui, en fin des comptes, décide de l'attitude à adopter selon les capacités de chacun. Ensuite, selon nos capacités et les circonstances particulières, nous adaptons nos pensées à ce que Dieu a préparé pour nous, et nous agissons, nous avançons suivant cette ligne.

    Au-delà de cette problématique, de la moralité des actes, une question surgit : peut-on parler aujourd'hui des actes intrinsèquement mauvais ? Si oui, comment ?

    CHAPITRE QUATRIEME :

    LA MORALITE DES ACTES INTRINSEQUES : ACTUALITE DE LA QUESTION ET ESSAI DE CONTEXTUALISATION

    IV. 0. Introduction

    Sous l'effet de multiples facteurs : sécularisation, subjectivation, évolution rapide des moeurs, etc., la morale catholique se trouve aujourd'hui mise en question dans ses fondements. Au centre des débats se situe, entre autres, la question des actes intrinsèquement mauvais, c'est-à-dire des actes mauvais en soi et qu'on ne peut jamais poser quels que soient le temps, le lieu, les cultures et les circonstances. Selon cette théorie, de tels actes constitueraient un désordre objectivement indigne de la personne humaine parce qu'opposés au vrai bien de l'homme. On se demande alors, existe-t-il des actes intrinsèquement mauvais aujourd'hui? Dans certaines circonstances particulières, les lois morales ne peuvent-elles pas souffrir d'exception pour laisser à la conscience personnelle la liberté de juger ? Une loi morale peut-elle jouir d'une objectivité telle qu'elle s'impose absolument malgré les circonstances subjectives ? il sera question pour nous d'établir, dans ce troisième chapitre, un équilibre fructueux - au traitement des actes intrinsèquement mauvais - entre subjectivité et objectivité, particularité et universalité, relativité et absolu, liberté et loi, théonomie et autonomie, foi et raison, grâce et mal, immutabilité et mutabilité, écriture et éthique. Les corrélations ainsi établies nous permettrons de contribuer au débat sur notre sujet d'étude.

    Ce faisant nous allons nous allons replacer la question des actes intrinsèquement mauvais dans le contexte général de la théologie morale et l'examiner sur base de la situation actuelle comme l'un des éléments qui caractérise la perte du sens du péché typique de notre société contemporaine.

    IV.1. Actualité de la question : perte du sens du péché

    Dans les pages précédentes nous avons déjà évoqué ce fait en analysant l'exhortation Réconciliation et pénitence de Jean Paul II. Il ne s'agit pas d'une répétition, mais plutôt, nous voulons ici parler de ce phénomène tel qu'il se vit aujourd'hui.

    En effet, la perte du sens du péché est manifeste aujourd'hui: dans les rues, dans le journal, à la radio, à la télévision... partout, le péché multiforme, est présent, de mille et une manières. Et le Pape Paul VI dénonçait lui aussi avec vigueur ce mal: « On ne parle plus de péché. Lorsque manque le sens du péché, nous pouvons dire que, pratiquement, c'est tout l'édifice moral du Christianisme qui s'écroule » (ES 32). Ainsi, pour bien comprendre ce qu'est le péché, il faut le situer par rapport à la notion de faute. Les notions de péché et de faute ne sont pas sur le même plan. La faute est une notion morale. Elle désigne un acte répréhensible aux yeux de la conscience parce qu'il atteint l'homme. Elle appelle le regret ou le repentir. Le péché par contre, est une notion religieuse, biblique. C'est une offense à Dieu, un manque d'amour de Dieu qui atteint la relation entre l'homme et Dieu. On se reconnaît pécheur non pas en se regardant, mais en regardant l'amour de Dieu pour nous. Il y a un lien entre la faute et le péché. En effet en atteignant l'homme, la faute morale atteint aussi Dieu qui est présent dans l'homme.317(*)

    Comme nous pouvons le constater, le mot péché n'est pas très bien vu aujourd'hui, il évoque le moraliste qui donne des leçons. On hésite à appeler quelque chose péché. La notion de péché semble s'opposer au respect de la liberté humaine et à l'épanouissement de la personnalité. Le sentiment de culpabilité apparaît comme le résultat maladif de tabous inconscients. Pour les psychanalystes, il n'y a pas de pécheurs, seulement des malades. La notion juridique est prévalue,  le péché est ainsi défini d'une façon essentiellement juridique, comme infraction à une loi, à un commandement, c'est-à-dire, de façon plus ou moins extrinsèque à l'homme.318(*)

    Dans un tel contexte, où la vie morale apparait comme une série de comptes à régler, où tout se traite dans un climat de prescriptions, et d'infractions, on ne voit plus bien ce qui légitime fondamentalement l'abstention du péché, en dehors du fait qu'il est interdit.

    A ce propos J. M Aubert écrit : « Le monde moderne par sa structure même nous oblige à une reestimation de la notion de péché et à un dépassement de son ambigüité. D'un côté en effet, il révèle un grand souci moral, souci de promotion de de la valorisation humaine ; mais de l'autre, il affiche un refus de toute loi morale imposée du dehors, et cela parce que l'homme moderne veut désormais se faire exister lui-même. Car il a pris le gout de toutes les libertés enfin conquises. »319(*)

    Avec la perte du sens du péché, l'appréhension commune des actes humains, actuellement, s'attache surtout à l'aspect subjectif. Nos contemporains admettent de plus en plus difficilement l'idée qu'il puisse y avoir des actes objectivement mauvais quelques soient l'intention et les circonstances comme l'affirme le Magistère de l'Eglise. Les critères moraux des actes semblent se concentrer dans les idées d'utilité et d'efficacité. Mais la vérité et la justice, si elles sont réduites à de telles considérations, ne deviennent-elles pas aussi fluctuantes que le caprice des hommes ou aussi arbitraire que la loi du plus fort ?

    D'autre part, ces actes que l'on ne doit jamais commettre témoignent de ce que leur objet touche à un absolu. Ce qui est toujours intrinsèquement mauvais c'est de porter atteinte à des biens sur lesquels l'homme n'a aucun pouvoir, aucune maîtrise (par exemple le mystère de la naissance, la mort, la vie...).320(*) C'est là une vue de choses fort peu acceptée aujourd'hui. Ainsi se présente à la morale chrétienne la vie d'un innocent : elle ne peut jamais lui être ôtée. Mais notre époque répugne à l'idée comme à la réalité de l'absolu. Celui-ci est souvent perçu comme un totalitarisme, un despotisme opprimant une liberté.321(*)

    C'est surtout dans le domaine de la corporéité que l'homme a exprimé sa liberté avec la révolution sexuelle322(*) qui recouvre les changements substantiels du comportement et des moeurs sexuels intervenus en Occident à la fin des années 1960 et au début des années 1970.323(*) Ce mouvement a été essentiellement marqué par l'émancipation sexuelle des femmes, l'affirmation de l'égalité des sexes et la reconnaissance des sexualités non procréatrices et non conjugales.324(*) La libération sexuelle se définit comme la conquête des possibilités de vie sexuelle non reproductive et de la satisfaction qui est supposée y être associée à un niveau psychologique comme dépassement des processus psychologiques qui s'opposent à ces possibilités.325(*)

    Elle s'accompagne d'une révolution du droit par lesquels les femmes acquièrent progressivement une égalité législative, notamment l'obtention du droit de vote et donc la possibilité de pousser aux réformes qui les concernent, l'égalité au sein du couple, le droit à la contraception et le droit à l'avortement.326(*)

    Trois décennies après l'effervescence des années 1970, c'est un fait entendu: nous vivons à l'ère de la liberté sexuelle. A chacun son corps-à-corps, marié ou pas, homo ou hétéro, adultère ou monogame: ces choix-là relèvent désormais de la vie privée et fondent l'autonomie individuelle, dans un climat général de culte de la jouissance. Et de dilatation de l'ego: pour réussir sa vie, on se doit de trouver son plaisir et de consommer autrui. 327(*)

    Sous les jupons de cette liberté sexuelle se débusquent plusieurs atteintes à la morale fondamentale et l'influence religieuse corsètent moins qu'hier. Un certain nombre de comportements sexuels, comme l'adultère et l'homosexualité, sont désormais socialement tolérés. D'autres, comme l'inceste entre majeurs, la sodomie, etc., ne sont plus pénalement sanctionnés tant qu'il y a consentement entre les partenaires. Ainsi, des actes autrefois définis comme essentiellement illicites et pratiqués clandestinement sont devenus aujourd'hui non seulement pratique courant mais ils sont aussi légalisés dans certains pays. Nous pouvons citer entre autre, parmi les plus connus, l'avortement et la contraception.

    Face à cette situation, l'Eglise a réagi en ces termes : « De nos jours la législation civile de nombreux Etats confère aux yeux de beaucoup une légitimation indue à certaines pratiques; elle se montre incapable de garantir une moralité conforme aux exigences naturelles de la personne humaine et aux « lois non écrites » gravées par le Créateur dans le coeur de l'homme. Tous les hommes de bonne volonté doivent s'employer, spécialement dans leur milieu professionnel comme dans l'exercice de leurs droits civiques, à ce que soient réformées les lois civiles moralement inacceptables et modifiées les pratiques illicites. En outre, l'objection de conscience face à de telles lois doit être soulevée et reconnue. Bien plus, commence à se poser avec acuité à la conscience morale de beaucoup, notamment à celle de certains spécialistes des sciences biomédicales, l'exigence d'une résistance passive à la légitimation de pratiques contraires à la vie et à la dignité de l'homme. »328(*)

    Alors comment comprendre et interpréter ce débat de la théologie morale sur la question des actes intrinsèquement mauvais dans un contexte africain ?

    IV.2. Essai de contextualisation de la question des actes intrinsèquement mauvais en Afrique

    IV.2.1. La situation socio-éthique de l'Afrique

    Dans la recherche d'une intelligence de la bioéthique en Afrique, le professeur Muyengo estime que l'africain doit opérer un passage de la bioéthique à la socio-éthique. Selon lui, comme la bioéthique pose le problème de la vie au sens biologique du terme et que les problèmes de la vie tels qu'ils se posent en Afrique noire dépassent le simple cadre biologique, il faut alors opérer un déplacement a priori du cadre, et « un élargissement des perspectives en parlant plutôt de la socio-éthique que de la bioéthique. »329(*) La socio-éthique est définie comme « une étude des normes qui doivent régir les actions humaines dans le domaine de la vie sociale et qui viserait à créer des lieux de réflexion, se préoccupant de toutes les conditions qu'exige une gestion de la vie humaine, dans le cadre de la détérioration rapide et complexe de l'ordre social, particulièrement dans les pays en voie de développement. »330(*) Le débat socio-éthique tournerait autour de problèmes sociaux majeurs en Afrique et donc non spécifiquement autour de la bioéthique. Il cite entre autres, la faim, la malnutrition, et la sous sous-alimentation, la Justice distributive et l'allocation des ressources, la paupérisation et la misère, la santé et les services dans nos hôpitaux, l'encadrement des malades mentaux et la prise en charge des vieillards, l'intégration des enfants abandonnés et des jeunes désoeuvrés, le contrôle des naissances et l'exode rural, la scolarisation et l'analphabétisme, les conditions de vie dans nos prisons, l'habitat et la sécurité sociale des familles, le sous-emploi, le chômage et la question du salaire, la stabilité stabilité des familles et l'éducation...331(*)

    Dans son exhortation apostolique sur l'église en Afrique, le pape décrit l'Afrique comme un continent saturé de mauvaises nouvelles, de problèmes: « dans presque toutes nos nations, il y a une misère épouvantable, une mauvaise administration des rares ressources disponibles, une instabilité politique et une désorientation sociale. Le résultat est sous nos yeux: misère, guerres, désespoir. Dans un monde contrôlé par les nations riches et puissantes, l'Afrique est pratiquement devenue un appendice sans importance, souvent oublié et négligé par tous. »332(*) Dix-sept ans après Ecclesia in Africa, Benoit XVI, constate que la situation de l'Afrique malgré qu'elle est complexe selon les pays, elle reste la même en général : « La mémoire de l'Afrique garde le souvenir douloureux des cicatrices laissées par les luttes fratricides entre les ethnies, par l'esclavage et par la colonisation. Aujourd'hui encore, le continent est confronté à des rivalités, à des formes d'esclavage et de colonisation nouvelles. La première Assemblée Spéciale l'avait comparé à la victime des bandits, laissée moribonde au bord du chemin (cf. Lc 10, 25-37). C'est pourquoi on a pu parler de la marginalisation de l'Afrique. »333(*)

    L'Afrique, malgré ses grandes richesses naturelles, reste dans une situation économique de pauvreté. Elle est toutefois dotée d'une vaste gamme de valeurs culturelles et de qualités inestimables qu'elle peut offrir aux Églises et à toute l'humanité. Jean Paul II cite quelques-unes de ces valeurs : « Les Africains ont un profond sens religieux, le sens du sacré, le sens de l'existence de Dieu Créateur et d'un monde spirituel. La réalité du péché, sous ses formes individuelles et sociales, est très présente dans la conscience de ces peuples, comme le sont également les rites de purification et d'expiation. » (EA 42)

    IV.2.2. La réalité du péché en Afrique

    La tradition africaine, on le sait, regorge de beaucoup d'interdits. L'africain est tenu à l'observance de la loi coutumière par la soumission aux interdits. Leur strict respect est à la base de la paix et de la concorde au sein de la communauté humaine, de la famille, du clan. Leur violation, par contre, entraîne des sanctions au sein de la communauté même. Le professeur Muyengo parle de trois interdits qui ont caractérisé la vie en Afrique dans le temps passé, à savoir l'interdit de meurtre, de l'inceste et de l'idolâtrie : « Jadis, chez nous en Afrique, l'homme qui allait à la guerre s'interdisait tout acte répréhensible : vol, viol, rapine, meurtre des innocents, etc. Et, même sa conjointe restée à la maison devrait s'interdire toutes sortes de méconduite, de peur qu'en commettant des bêtises, son mari tombe sous le premier coup. Derrière ces moeurs, se cachait toute une idée de la transcendance. Aujourd'hui, il n'y a plus des tabous ( ) ; même au front, on vole, on viole, on rapine, on tue les innocents. Que peut-on attendre d'une armée constituée des violeurs, voleurs, pilleurs ? Que peut-on espérer d'une société où il n'y a plus des tabous fondés sur une certaine idée de la transcendance ? C'est-à-dire de la conviction qu'il y a quelque chose au-dessus de l'homme ; qu'il y a des actes, tels ceux liés au sexe, au sang, à la vie, etc. qui relèvent du symbolique. »334(*) .

    Cette notion de l'interdit n'est pas loin de celle du tabou, qui est l'interdit de l'ordre religieux, social et moral, lié à quelque chose de prohibé dans une société donnée. A propos, le professeur Muyengo note : « Dans la conception africaine, le tabou est sanctionné d'une manière automatique. Pour le comprendre, il faut saisir la nuance que les Africains font entre deux types de lois, celles à contenu juridique (souvent écrite) et celles à contenu non juridique (lois traditionnelles). La transgression de la loi juridique entraîne le coupable présumé devant les juges. En principe, cette loi n'oblige pas, car coupable ou pas, par l'intelligence ou avec des avocats capables, l'intéressé peut échapper à la peine sans éprouver aucun remord ni procéder à des cérémonies compensatoires. Relevant elle aussi de la loi naturelle, la loi traditionnelle, par contre n'a aucun rapport avec les juges et les tribunaux, elle est plutôt protégée par des tabous. La définition des tabous dépend de la culture dans laquelle il est inscrit. Il est un tabou par exemple de commettre l'inceste, de trahir le pacte de sang. Cette catégorie de loi oblige en conscience. Lorsque quelqu'un s'en est rendu coupable, il n'en dort pas des remords, redoutant la sanction automatique dont il s'est menacé (Exemple : le Cibau chez les Luba, Muzombo chez les Lega). La sanction immanente trouve du reste son application initiale, pour le cas notoire, dans l'opinion de ceux qui parviennent à savoir quelque chose sur le tabou brisé et son auteur. Pour les négro-Africains, la réalité est que la sanction est imposée par un juge invisible, Dieu, les ancêtres, etc. qui sont en fait les garants des lois ayant trait à la religion. Pourtant la personne qui transgresse le tabou n'offense pas Dieu. En milieu bantu, l'idée d'offenser Dieu n'est pas concevable. La personne qui transgresse le tabou, pèche contre elle-même, contre la communauté et contre les ancêtres. Faudra-t-il encore souligner que même la notion du péché est étrangère à la mentalité bantu. Transgresser, veut dire faire quelque chose de défendu ou d'interdit. Le défendu renvoie à la loi à contenu juridique. En ce sens, il expose à des ennuis si l'on est pris sur le fait ou identifié par la suite. L'interdit renvoie aux lois protégées par le tabou. Il est défendu de tuer, de voler, mais ces actes ne tombent pas sous l'interdit. Par contre, il est défendu de commettre l'inceste. Qui transgresse le défendu est puni par les juges ; qui transgresse l'interdit est justiciable de Dieu. 335(*)»

    Malgré la rigueur morale, il n'est pas étonnant de voir certains membres de la communauté dévier du droit chemin en transgressant la loi coutumière. Emery-Justin Kakule explique cette notion de la transgression et du tabou en l'illustrant chez les nande.336(*) Ceci peut s'appliquer à tous les africains malgré quelques points de divergences.

    En fait, toute déviation du droit chemin est traduite chez le nande par le concept erilolo, c'est-à-dire faute, manquement, transgression, péché. Emery-Justin écrit à ce sujet, « la culture nande considère comme faute, erilolo, tout manquement volontaire ou non, à n'importe quelle prescription ou défense coutumière et qui est sanctionné du moment qu'il est connu des autres. La transgression des pratiques de la coutume et le non-respect des valeurs communautaires constituent un motif suffisant de condamnation pour un nande».337(*) 

    Pour ce dernier, en effet, le pire des maux est ce qui tue la vie en communauté, celle-ci étant le plus grand trésor hérité des ancêtres. De ce fait, tout acte qui brise la communion clanique ou familiale et qui frise la promotion de la vie humaine est ce que le nande qualifie de faute morale. Emery-Justin est plus explicite quand il écrit : « La communauté, héritage ancestral, est le lieu normal de l'épanouissement de la vie humaine. La solidarité africaine est une fidélité à l'ensemble des valeurs de la société ancestrale, qui s'exprime par la justice fraternelle et la pratique de la coutume. Le péché contre la communauté est le nom des mauvaises attitudes contre la coutume et les relations altérées tant au niveau religieux, social, familial que juridique. Il est synonyme des comportements injustes et des transgressions du droit coutumier temporel (...). Les coutumes sont sacrées parce qu'elles révèlent une hiérophanie, c'est-à-dire une réalité ultime sacrée : la justice, le respect du bien d'autrui, et la révérence due au droit de Dieu et des Ancêtres. »338(*)

    On l'aura compris, la faute ou le péché, que les Nande traduisent par le mot Erilolo, lèse à la fois Dieu et la communauté. En effet, chez les Nande, la communauté et la personne sont fondées sur Dieu créateur de sorte que le profane et le sacré se compénètrent. Celui qui lèse la communauté est contre la Providence de Dieu. De la sorte, le rilolo est à la fois le péché considéré comme offense faite à Dieu et la faute morale contre l'homme par la transgression de la coutume.339(*)

    Dans la communauté nande, l'on s'accorde que le rilolo rend impur. Mais il faut noter que le degré d'impureté varie selon quatre genres de faute. Ainsi devient-on impur kalayi (impureté des hypocrites) pour les fautes cachées, impur nyakavule (impureté de ceux qui transgressent les interdits et tabous) pour les fautes juridiques, impur musingo pour les fautes très graves, entraînant la peine capitale (pour le meurtre par exemple), impur mukumbira (paria) pour les fautes très graves contre le pays, la contrée, entraînant ipso facto l'exil.340(*)

    La société nande admet que le rilolo revêt un caractère contagieux (ekihondo). En ce sens, lorsqu'on commet un forfait, ce n'est pas seulement la vie du coupable en tant qu'individu qui diminue, mais aussi ce mal affaiblit toute la communauté (hommes, nature ou cosmos) qui en pâtit. Le niveau horizontal, anthropocentrique et communautaire de la faute parait ainsi être privilégié au détriment de la dimension verticale, théique et transcendante. On comprend certes que, chez les Nande traditionnels, comme chez les africains en général, le critère de bien et du mal était uniquement en conformité à la solidarité communautaire et à la coutume, tant il est vrai qu'ils n'ont fait allusion à Dieu qu'en tant qu'Auteur éloigné de l'ordre social et naturel.341(*) Toujours est-il que cela s'explique en majeure partie par le fait que, chez eux, la Révélation explicite de Dieu était absente. Ils n'ont eu que des balbutiements à son sujet par le truchement de leur conscience (Rm 2, 14-15).

    Cette conception nande de la faute et du péché retient notre attention sur deux points essentiels : l'importance de la vie et de la communauté (famille).

    IV.2.3. Le sens de la vie en Afrique

    Pour dégager les perspectives africaines de la bioéthique, le professeur Muyengo part de la conception africaine de la vie : Selon lui, en Afrique, la vie est le bien le plus précieux sur la terre. Elle se poursuit au-delà de la mort.342(*) Ainsi, pour l'africain, la vie n'est pas détruite par la mort mais la mort lui donne la possibilité de changer de condition.343(*) Il tire de cette conception deux conséquences majeures à savoir: la procréation comme la fin ultime de tout homme et une éthique centrée sur l'homme.344(*)

    Abordant dans le même sens, le pape Jean Paul II affirme : « Dans la culture et la tradition africaines, le rôle de la famille est universellement considéré comme fondamental. Ouvert à ce sens de la famille, de l'amour et du respect de la vie, l'Africain aime les enfants, qui sont accueillis joyeusement comme un don de Dieu. « Les fils et les filles de l'Afrique aiment la vie. De cet amour de la vie découle leur grande vénération pour leurs ancêtres. Ils croient instinctivement que les morts ont une autre vie, et leur désir est de rester en communication avec eux. » (EA 43)

    Benoît XVI n'a pas hésité a souligné cette vision africaine de la vie : « Dans la vision africaine du monde, dit-il, la vie est perçue comme une réalité qui englobe et inclut les ancêtres, les vivants et les enfants à naître, toute la création et tous les êtres : ceux qui parlent et ceux qui sont muets, ceux qui pensent et ceux qui n'ont point de pensée. L'univers visible et invisible y est considéré comme un espace de vie des hommes, mais aussi comme un espace de communion où des générations passées côtoient invisiblement les générations présentes, elles-mêmes mères des générations à venir. » (AM 69)

    Ainsi, estime le professeur Muyengo, pour l'africain, « est bon ce qui contribue à l'éclosion de la vie, à sa conservation, sa protection, ce qui épanouit ou augmente le potentiel vital de l'individu et de la communauté. Par contre tout acte présumé préjudiciable à la vie des individus ou de la communauté passe pour être mauvais. »345(*) Dans le même ordre d'idées, Jean Paul II le dit en ces termes : « Les Africains respectent la vie qui est conçue et qui naît. Ils apprécient la vie et rejettent l'idée qu'elle puisse être supprimée, même quand de soi-disant civilisations progressistes veulent les conduire dans cette voie. Des pratiques contraires à la vie leur sont toutefois imposées par le biais de systèmes économiques qui ne servent que l'égoïsme des riches. » (EA 43)

    Benoît XVI revient, dans Africae munus, revient sur ces pratiques opposés à la vie, que Jean Paul II avaient déjà dénoncées : « Au nombre des dispositions visant à protéger la vie humaine sur le continent africain, les Pères synodaux ont tenu à souligner les aspects discutables de certains documents émanant d'organismes internationaux: en particulier ceux concernant la santé reproductive des femmes. L'Église sait que nombreux sont ceux - individus, associations, bureaux spécialisés ou États - qui rejettent une doctrine saine à ce sujet. Nous ne devons pas craindre l'hostilité ou l'impopularité mais refuser tout compromis et toute ambiguïté qui nous conformeraient à la mentalité de ce monde » (AM 70-71) Et à propos, le rappelle que la position de l'Église ne souffre aucune ambiguïté quant à l'avortement. L'enfant dans le sein maternel est une vie humaine à protéger. «  L'avortement, qui consiste à supprimer un innocent non né, est contraire à la volonté de Dieu, car la valeur et la dignité de la vie humaine doivent être protégées depuis la conception jusqu'à la mort naturelle. L'Église en Afrique et dans les îles voisines doit s'engager à aider et à accompagner les femmes et les couples tentés par l'avortement, et à être proche de ceux qui en ont fait la triste expérience afin de les éduquer au respect de la vie. » (AM 70)

    Dans le même registre des phénomènes qui propagent la culture de la mort en Afrique, Benoît XVI déclare : « Sur la vie humaine en Afrique pèsent de lourdes menaces. Il faut déplorer, comme ailleurs, les ravages de la drogue et les abus de l'alcool qui détruisent le potentiel humain du continent et affligent surtout les jeunes. Le paludisme, ainsi que la tuberculose et le sida, déciment les populations africaines et compromettent gravement leur vie socio-économique. Le problème du sida, en particulier, exige certes une réponse médicale et pharmaceutique. Celle-ci est cependant insuffisante car le problème est plus profond. Il est avant tout éthique. Le changement de comportement qu'il requiert - par exemple : l'abstinence sexuelle, le refus de la promiscuité sexuelle, la fidélité dans le mariage -, pose en dernière analyse la question du développement intégral qui demande une approche et une réponse globales de l'Église. Car pour être effective, la prévention du sida doit s'appuyer sur une éducation sexuelle elle-même fondée sur une anthropologie ancrée dans le droit naturel, et illuminée par la Parole de Dieu et l'enseignement de l'Église. » (AM 70)

    Comme on peut le constater, partant de ce qui précède, l'Afrique est confronté à plusieurs problèmes mais le pape a insisté sur deux problèmes particuliers : l'avortement et le sida. Dans le cadre de notre sujet nous voulons revenir sur ces deux problèmes, c'est-à-dire, comprendre comment le problème de l'avortement et du sida se pose particulièrement en Afrique, comment y remédier, quels sont les enjeux de différentes solutions...

    IV.2.3.1. Le problème de l'avortement en Afrique

    Dans la plupart des pays africains, l'avortement provoqué reste encore légalement interdit et n'est autorisé que pour des raisons médicales. Le code pénal de la plupart des pays africains prévoit des sanctions assez lourdes à l'encontre des personnes accusées d'actes d'avortement provoqué.346(*) En effet, dans la plupart des pays africains, l'accès à l'avortement est interdit ou très restrictif. Les législations sur l'avortement sont le plus souvent des réminiscences du passé colonial : dans les pays francophones, de la loi française de 1920 relative à la contraception et à l'avortement et dans les pays anglophones, elles sont inspirées de la loi anglaise de 1861 relative aux délits des personnes. Parmi 53 pays d'Afrique, 25 n'autorisent l'avortement que si la vie de la mère est en danger et le Soudan ajoute à cette condition la possibilité d'avorter en cas de viol ou d'inceste. Le Zimbabwe l'autorise pour sauver la santé physique ou mentale de la femme et en cas de viol, d'inceste ou de malformation du foetus. Dans 23 pays, l'avortement n'est possible que si la vie, la santé physique ou mentale sont menacées, le Cameroun en plus de ces conditions stipule que l'avortement est également possible en cas de viol ou d'inceste, et 6 autres pays ajoutent à ces possibilités le recours à l'avortement en cas de malformation du foetus. La Zambie a libéralisé l'avortement pour des raisons économiques ou sociales ainsi qu'en cas de malformation du foetus. Dans trois pays seulement l'avortement est pratiqué à la demande : le Cap Vert, la Tunisie et l'Afrique du Sud. Mais son accès est parfois subordonné à d'autres restrictions : à des autorisations parentales ou maritales, à des indications de santé, à l'accord de médecins, à l'accès à des structures sanitaires spécifiques et d'un délai légal de grossesse ... autant de facteurs de blocage. Ces conditions rendent difficile la pratique de l'avortement surtout en zone rurale où la couverture sanitaire est insuffisante. A cet effet, Benoît XVI salue le courage des gouvernements africains qui ont légiféré contre la culture de mort, dont l'avortement est une expression dramatique, au bénéfice de la culture de la vie. (Cfr. AM 71)

    Malgré cette interdiction, la pratique des avortements clandestins, surtout chez les adolescentes, est devenue une réalité préoccupante en Afrique, aussi bien pour les pouvoirs publics que pour les familles. Le contexte de pauvreté globale et de crise morale que connaît le Continent semble favoriser cette pratique.347(*)

    Il ressort des résultats d'enquêtes démographiques et de santé réalisée dans de nombreux pays africains, que les adolescents sont sexuellement très actifs. On note également que l'utilisation des méthodes contraceptives, notamment le condom, est relativement faible chez les adolescents, surtout chez les filles. Par ailleurs, le niveau de fécondité de ces dernières reste quasiment stationnaire, sinon en baisse. On peut donc supposer qu'il y a une très forte pratique des avortements provoqués chez les adolescentes, consécutive à la forte prévalence des grossesses non désirées, surtout en milieu scolaire.348(*)

    En plus de la répression de l'avortement par les pouvoirs publics, les pressions socioculturelles vis-à-vis des filles mères, le coût élevé du recours modernes et les charges liés à l'éducation des enfants dans une situation de manque d'emploi font que la plupart des avortements, surtout chez les pauvres, se déroulent dans la clandestinité et ce dans de très mauvaises conditions. 349(*)

    En plus des problèmes de mortalité et de santé, l'avortement pose aussi de graves problèmes sociaux, sachant que la procréation est valorisée dans les sociétés africaines. Il faut noter également que les avortements provoqués peuvent aussi avoir un impact sur la scolarisation des filles. En effet, pour certains parents, envoyer les enfants (surtout les filles) à l'école est synonyme de grossesses non désirées et d'avortements provoqués. Ils préfèrent donc les garder à côté d'eux pour mieux les surveiller plutôt que les savoir ailleurs où elles peuvent se livrer à la débauche. A ce propos note Zanou: « En milieu scolaire aussi, les jeunes adolescentes sont fréquemment victimes de violences sexuelles, de la part d'élèves plus âgés ou d'enseignants. Quand elles cèdent, au professeur ou aux garçons, et tombent enceinte, ce sont elles qui en subissent les conséquences : avortement provoqué clandestin avec tous les risques que cela comporte, abandon volontaire de l'école ou renvoi.350(*) »

    Face à cette situation, deux positions se dessinent : d'une part les organismes internationaux (OMS, Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, l'ONG pro-avortement Ipas, d'envergure mondiale, FEMNET, désormais actif sous le nom d'African Network for medical abortion, AMNA, un organisme panafricain luttant pour l'accès de toutes à l'avortement médicalisé et légal, la Fédération internationale du Planning familial (IPPF), Marie Stopes International, Human Life International etc.351(*) qui militent pour la légalisation de l'avortement, et d'autre part, l'Eglise catholique qui reste ferme sur sa position et condamne l'avortement en la qualifiant d'actes intrinsèquement mauvais.

    En effet, depuis un certain temps, La machinerie onusienne d'application de la santé reproductive et ses partenaires ONGs transnationaux augmentent la pression sur les institutions régionales africaines et tous les gouvernements africains afin qu'ils légalisent l'avortement et rendent cette pratique sans risques. Telle était déjà l'intention de la conférence onusienne du Caire sur la population de 1994, où un prétendu consensus mondial sur la santé et les droits reproductifs a été adopté.352(*) Mais il y a maintenant multiplication d'initiatives exerçant agressivement pression sur les gouvernements africains afin qu'ils accélèrent leur application du Caire, et une identification explicite de l'avortement sans risques comme priorité urgente de la plateforme politique africaine.353(*)

    C'est dans ce cadre que s'inscrit le fameux protocole de Maputo. Adopté le 11 juillet 2003, lors du second sommet de l'Union africaine à Maputo, au Mozambique. Ce Protocole exige des gouvernements africains l'élimination de toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes en Afrique et la mise en oeuvre d'une politique d'égalité entre hommes et femmes. En son article 14, le protocole déclare : « Les Etats assurent le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent :

    a) le droit d'exercer un contrôle sur leur fécondité;

    b) le droit de décider de leur maternité, du nombre d'enfants et de l'espacement des naissances;

    c) le libre choix des méthodes de contraception;

    d) le droit de se protéger et d'être protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA;

    e) le droit d'être informées de leur état de santé et de l'état de santé de leur partenaire, en particulier en cas d'infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA, conformément aux normes et aux pratiques internationalement reconnues;

    f) le droit à l'éducation sur la planification familiale.

    2. Les Etats prennent toutes les mesures appropriées pour :

    a) assurer l'accès des femmes aux services de santé adéquats, à des coûts abordables et à des distances raisonnables, y compris les programmes d'information, d'éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural;

    b) fournir aux femmes des services pré et post-natals et nutritionnels pendant la grossesse et la période d'allaitement et améliorer les services existants;

    c) protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l'avortement médicalisé, en cas d'agression sexuelle, de viol, d'inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du foetus. 354(*)»

    Cet article a suscité plusieurs réactions comme on peut bien l'imaginer dans tous les sphères de la vie sociale en Afrique et a provoqué plusieurs mouvements de protestation. L'Eglise n'est pas aussi restée indifférente. Le Pape Benoît XVI, dans un discours au Corps diplomatique accrédité auprès du Saint Siège le 8 janvier 2007, a déclaré : « Comment ne pas se préoccuper des continuelles atteintes à la vie, de la conception jusqu'à la mort naturelle ? De telles atteintes n'épargnent même pas des régions où la culture du respect de la vie est traditionnelle, comme en Afrique, où l'on tente de banaliser subrepticement l'avortement, par le Protocole de Maputo, ainsi que par le Plan d'action adopté par les Ministres de la santé de l'Union Africaine, qui sera d'ici peu soumis au Sommet des Chefs d'État et de Gouvernement. »355(*) Les évêques de notre pays aussi ont réagi face à cette menace. Dans leur déclaration du 09 février 2007, ils disent : « La CENCO se réjouit des efforts déployés par les gouvernements africains de concert avec la communauté internationale en vue de promouvoir la dignité de la femme et accroître ses chances de développement intégral. La CENCO recommande instamment que dans ces recherches soient sauvegardées les valeurs authentiques de la culture africaine. Dans cet ordre d'idées, tout en approuvant, dans l'ensemble, les bonnes initiatives préconisées par le "Protocole dit de Maputo "' ; la CENCO exprime les plus grandes réserves à ce sujet et stigmatise certaines clauses de l'article 14 qui, fort subtilement, ouvrent la voie à la légalisation de l'avortement. La femme est mère : la mère est source de vie et non de mort d'enfants innocents (cf. 1 R 3, 25-27). Nous attirons l'attention des institutions compétentes de notre pays sur la gravité morale des questions posées, afin qu'elles en tiennent compte avant toute ratification de ce Protocole. »356(*) 

    Les évêques africains ont aussi publié un communiqué le 19 avril 2007 dénonçant et rejetant le protocole de Maputo: « Nous voulons attirer l'attention des chefs politiques de l'Afrique sur nos fortes réserves concernant des aspects de l'article 14 du Protocole de Maputo... Nous observons que les droits des femmes de protéger et promouvoir leur santé sexuelle et reproductive dans cet article ont exclu les droits du couple, de la famille et de la société (civile, traditionnelle, culturelle et religieuse) de précisément prendre part à la promotion des droits de la femme aux soins de santé. Par exemple, l'autorisation d'avorter et le choix de toutes les méthodes de contraception pour les femmes (cf. article 14, # 1, c et # 2, c) sont particulièrement incompatibles avec les enseignements de l'Église catholique, sa tradition et ses pratiques... En outre, l'Église affirme sans interruption depuis le premier siècle que c'est une grave faute morale pour toute personne ou leur agent de procurer un avortement. Cet enseignement n'a pas changé et demeure inchangeable.... A la lumière de ceci, nous observons que l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables pour presque toutes nos cultures africaines, sociétés traditionnelles et religions. 357(*)»

    Neuf ans après le protocole de Maputo, une conférence réunissant des personnalités africaines politiques, juridiques, du monde de la santé s'est déroulée au Ghana pour s'attaquer à l'avortement dangereux (unsafe abortion) qui cause selon les organisateurs quelque 67.000 morts maternelles dans le monde chaque année, dont plus de la moitié en Afrique, et surtout chez les femmes de moins de 25 ans.

    Il s'agit certes d'un vrai problème qui est soulevé par ces organismes internationaux, mais au lieu d'envisager une solution incluant la dimension éthique, qui pourra, par exemple, mettre l'accent sur l'aide nécessaire aux femmes enceintes, l'éducation à l'abstinence sexuelles chez les femmes jeunes et avant le mariage, l'existence de soins adéquats aux futures mères pendant leur grossesse et leur accouchement, ils préfèrent plaider pour l'avortement légal, supposé sûr, sans danger et sans conséquences néfastes pour la mère.

    Ils n'hésitent pas ainsi à dénoncer l'emprise des leaders religieux sur les populations elles-mêmes, par la présentation de l'avortement comme un acte peccamineux, ou le poids de la pression de certaines Eglises sur ceux qui prennent les décisions politiques. L'Eglise catholique est toujours particulièrement visée comme responsable de cet état de fait, par son opposition d'un autre âge à l'avortement et à la contraception

    De son côté, l'Eglise catholique reste contre l'avortement car elle est toujours pour la vie et la protège inconditionnellement, surtout là où elle est la plus faible, fragile et vulnérable. C'est ce qu'elle fait tout au long de l'existence (malades, personnes handicapées, vieillards). En outre, l'Eglise est contre l'avortement car c'est un meurtre. Et plus la personne assassinée est faible, plus le meurtre et coupable. Or, nul n'est plus faible qu'un embryon.

    Partant, le Pape Benoît XVI reproche aux organisations internationales leur responsabilité dans la promotion de l'avortement et dans le développement des maladies sexuellement transmissibles en Afrique, qu'il impute à l'introduction d'une culture laïque mondialisée et à la propagation de notions faussées sur le mariage et la famille : « Trop souvent, les maux qui frappent certains secteurs de la société africaine, la promiscuité sexuelle, la polygamie, la diffusion des maladies sexuelles, peuvent être directement associés à des notions faussées du mariage et de la vie de famille », affirme le pape. (AM 43)

    C'est pourquoi, en Afrique, la famille a besoin d'être protégée et défendue en raison de son importance capitale et des menaces qui pèsent sur elle notamment, la distorsion de la notion de mariage et de famille elle-même, la dévaluation de la maternité et la banalisation de l'avortement, la facilitation du divorce et le relativisme d'une nouvelle éthique. (Cfr AM 43)

    Par ailleurs, L'Eglise catholique a toujours admis l'avortement indirect, quand des soins prodigués à la femme enceinte pour lui sauver la vie ont pour conséquence la mort du foetus. Les propos de Benoît XVI dans un discours qui portait principalement sur la situation politique et économique de l'Afrique, ont été mal interprété à ce sujet de l'avortement thérapeutique: « Je dois également mentionner un autre grave sujet de préoccupation : les politiques de ceux qui, dans l'illusion de faire progresser l'édifice social, en menacent les fondements mêmes. Combien est amère l'ironie de ceux qui promeuvent l'avortement au rang des soins de santé des mamans! Combien est déconcertante la thèse de ceux qui prétendent que la suppression de la vie serait une question de santé reproductive.358(*) »

    Le Vatican a fait une mise au point sur les propos controversés du pape Benoît XVI sur l'avortement, précisant qu'il ne parlait pas d'avortement thérapeutique mais déplorait une large utilisation de l'avortement comme moyen de contrôle des naissances. En fait, Si le pape a fermement condamné l'avortement durant son voyage en Afrique, il n'a pas remis en cause la possibilité d'avorter en cas de danger pour la vie de la mère. Mais on ne peut pas avancer le concept de santé maternelle pour justifier l'avortement comme moyen de régulation des naissances.

    IV.2.3.2. Le problème du sida et l'utilisation du préservatif en Afrique

    Le Magistère s'est toujours prononcé sur le caractère intrinsèquement mauvais du préservatif en tant que contraceptif.359(*) Peut-on tolérer son emploi pour éviter la contagion du Sida ? Le Magistère a été clair pour la loi générale : le préservatif ne peut pas être considéré comme moyen de prévention du Sida. Tous les moralistes devraient être d'accord pour dire que l'enseignement du Magistère est explicite pour dire que le préservatif ne peut pas être admis comme moyen de prévention du Sida.

    Le premier voyage africain du pape Benoit XVI a commencé par une polémique sur le préservatif. Dans l'avion qui le menait au Cameroun360(*), Benoît XVI avait affirmé que l'on ne pouvait « pas régler le problème du sida, pandémie aux effets dévastateurs en Afrique, avec la distribution de préservatifs » et que leur utilisation (aggravait) le problème, réitérant ainsi la position de l'Eglise catholique qui est opposé à toute forme de contraception autre que l'abstinence (totale ou temporaire) et réprouve l'usage du préservatif, même pour des motifs prophylactiques (prévention de maladies).

    Dans un livre d'entretiens361(*) sur de nombreux sujets d'actualité, Benoit XVI, dans une affirmation de deux petites lignes qui vont marquer un tournant dans la politique du Vatican II à l'égard de la lutte contre le sida, admet que l'utilisation du préservatif peut se justifier dans certains cas, quand il s'agit d'empêcher la transmission du VIH et pour réduire les risques de contamination avec le virus du sida. À la question: «l'Église catholique n'est pas fondamentalement contre l'utilisation de préservatifs ?», le souverain pontife répond, selon la version originale allemande : « dans certains cas, quand l'intention est de réduire le risque de contamination, cela peut quand même être un premier pas pour ouvrir la voie à une sexualité plus humaine, vécue autrement.362(*) »

    Pour illustrer son propos, le pape donne même un exemple, celui d'un homme prostitué, considérant que « cela peut être un premier pas vers une moralisation, un début de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que tout n'est pas permis et que l'on ne peut pas faire tout ce que l'on veut. »363(*)

    En préambule, le pape a certes rappelé que « se polariser seulement sur le préservatif signifie la banalisation de la sexualité et c'est exactement le danger que beaucoup de gens considèrent le sexe non plus comme une expression de leur amour, mais comme une sorte de drogue, qu'ils s'administrent eux-mêmes.364(*)» Néanmoins, Benoît XVI se démarque du discours de Jean-Paul II, qui affirmait notamment le 7 février 1993, à Kampala (Ouganda), devant des milliers de séropositifs, que « la chasteté est l'unique manière sûre et vertueuse pour mettre fin à cette plaie tragique qu'est le sida.365(*) »

    Ces propos de Benoît XVI sont d'autant plus inattendus qu'en mars 2009, ses prises de position sur le préservatif dans l'avion qui le menait en Afrique avaient suscité un tollé dans la presse et l'opinion internationales. Les réactions de colère et d'incompréhension que ces propos avaient soulevées, y compris au sein de l'Eglise catholique, ont-elles été entendues au Vatican ? Difficile de l'établir. Cependant, la question du préservatif nourrit un vif débat chez les catholiques depuis l'apparition de l'épidémie il y a trente ans. Et le problème se pose particulièrement avec acuité en Afrique.

    Comment alors comprendre cette affirmation du pape dans le contexte africain en rapport avec la position traditionnelle de l'église qui considère l'usage du préservatif comme un acte intrinsèquement mauvais ?

    Selon, Martin Rhonheimer dire, d'un côté, comme certains, qu'après les propos du pape rien n'a changé n'est pas vrai.366(*) Pour la première fois, il a été dit par le pape lui-même, bien que ce ne soit pas dans le cadre d'un enseignement formel du magistère de l'Église, que l'Église n'interdit pas de manière inconditionnelle l'utilisation prophylactique du préservatif. Au contraire, le Saint Père a dit que dans certains cas dans le cas du commerce du sexe, par exemple), son utilisation peut être un signe de ou un premier pas vers une attitude responsable (tout en précisant en même temps que ce n'est ni une solution pour vaincre l'épidémie de sida ni une solution morale ; la seule solution morale est d'abandonner un mode de vie immoral et de vivre sa sexualité d'une manière vraiment humanisée.367(*)

    D'un autre côté, affirmer que ce qu'a dit le pape est un changement radical est également inexact selon Martin Rhonheimer : Tout d'abord, la déclaration du pape ne change en rien la doctrine de l'Église en matière de contraception ; ce qu'a dit le pape confirme plutôt cette doctrine telle qu'elle est enseignée par Humanae Vitae.368(*)

    Deuxièmement, sa déclaration ne dit pas que l'utilisation du préservatif ne pose pas de problème moral ou qu'elle est permise d'une manière générale, même à des fins de prophylaxie. Le pape Benoît XVI parle de begründete Einzelfälle, ce qui, traduit littéralement, signifie certains cas justifiés - comme celui d'un(e) prostitué(e) - dans lesquels l'utilisation d'un préservatif peut être un premier pas vers une moralisation, une première prise de responsabilités. Ce qui est justifié, ce n'est pas l'utilisation du préservatif en tant que telle : pas, du moins, au sens d'une justification morale d'où découle une norme permissive du genre il est moralement permis et bon d'utiliser le préservatif dans tel et tel cas. Ce qui est justifié, plutôt, c'est le jugement selon lequel ce geste peut être considéré comme un premier pas et une première prise de responsabilités. Benoît XVI n'a certainement pas voulu établir une norme morale justifiant des exceptions.369(*)

    Troisièmement, ce que dit le pape ne se réfère pas aux gens mariés : il a seulement parlé de situations qui sont en elles-mêmes intrinsèquement désordonnées.370(*)

    Quatrièmement, comme il l'indique très clairement, le pape ne plaide pas en faveur de la distribution de préservatifs, qu'il considère comme conduisant à la banalisation de la sexualité qui est la cause majeure de la diffusion du sida. Il mentionne simplement la méthode ABC, en insistant sur l'importance de A et B (abstain [abstiens-toi] et be faithful [sois fidèle]) et en qualifiant le C (condoms [préservatifs]) de dernier recours (en allemand, Ausweichpunkt) au cas où certaines personnes refuseraient de se conformer à A ou B.371(*)

    Et, ce qui est très important, il déclare que ce dernier recours relève clairement de la sphère séculière, c'est-à-dire des programmes gouvernementaux de lutte contre le sida. Donc ce qu'a dit le pape ne concerne pas la manière dont les institutions sanitaires relevant de l'Église devraient gérer les préservatifs. Il a donné une indication sur ce qu'il faut penser d'un(e) prostitué(e) qui utilise habituellement des préservatifs, pas de ceux qui les distribuent systématiquement dans le but de contenir l'épidémie, ce qui est la responsabilité des autorités d'État. Pour sa part, l'Église continuera à dire la vérité à propos de la manière vraiment humaine de vivre la sexualité.

    Dans les pays africains les campagnes anti-sida fondées sur l'utilisation du préservatif sont généralement inefficaces. C'est la raison pour laquelle - et cela constitue une preuve notable en faveur de l'argument du pape - l'un des rares programmes efficaces en Afrique est celui de la RDC. Bien qu'il n'exclue pas le préservatif, ce programme encourage à un changement positif dans le comportement sexuel (fidélité et abstinence) qui le différencie des campagnes en faveur du préservatif, celles-ci contribuant à cacher ou même à détruire le sens de l'amour humain.372(*)

    Les campagnes qui promeuvent l'abstinence et la fidélité sont en définitive le seul moyen efficace à long terme de lutte contre le sida. L'Église n'a donc aucune raison de considérer les campagnes de promotion du préservatif comme utiles pour l'avenir de la société humaine. Mais l'Église ne peut pas non plus enseigner que ceux qui adoptent des modes de vie immoraux devraient s'abstenir d'utiliser le préservatif.

    Bref, Benoît XVI fut accusé de condamner à mort des dizaines de milliers d'Africains au nom d'une condamnation aveugle du préservatif. Alors qu'en réalité le pape voulait attirer l'attention sur le danger - prouvé par les faits en Afrique - qu'une plus large utilisation du préservatif s'accompagne non pas d'une diminution mais d'une augmentation des rapports sexuels occasionnels avec des partenaires multiples et d'une augmentation des taux d'infection.

    IV.3. Perspective d'avenir : La moralité intrinsèque des actes comme chantier de la théologie morale

    L'obéissance aux lois civiles, en certains cas au moins, doit faire place, pour le croyant, aux lois de l'Eglise. Que signifie ce décalage ? Un chrétien peut se trouver devant des situations où les lois de l'Eglise elles-mêmes sont impraticables et conduisent au malheur. On connaît des épouses maltraitées, menacées par des époux pervers et qui, contraintes à divorcer, vivent dans la culpabilité une seconde union plus humaine. Combien d'homosexuels courent au suicide parce qu'une certaine morale catholique les condamne ! En Afrique, des épouses de polygames voient leurs vies gâchées parce que leurs époux ne peuvent recevoir le baptême sans qu'elles soient répudiées. Un troisième cas de figure se présente : la conscience chrétienne, souvent, est acculée à prendre des décisions qui ne sont justifiées par aucune loi mais qui manifestent une autre forme de soumission.

    En effet, les débats entre subjectivité et objectivité, particularité et universalité, relativité et absolu, liberté et loi, théonomie et autonomie, foi et raison, révèlent un défi lancé à la théologie morale dans notre société moderne : « le défi d'échapper d'une part au sécularisme qui délie valeurs et normes pour ne laisser subsister en éthique publique qu'un sens du convenable à la place du bien et d'autre part au communautarisme incapable de jouer l'universel en morale. »373(*)

    La théologie morale contemporaine cherche à être une proposition au service de la vie bonne dans nos sociétés. Mais comment est-il possible de tenir compte à la fois du caractère laïc et pluraliste de la société et d'autre part de la foi comme source originale d'inspiration et d'éclairage pour la vie morale ?

    Sachant que la vocation morale est commune à tout homme et que le soupçon des Lumières sur le fait que le christianisme aurait fait son temps pèse à nouveau très fort en morale, comment situer la foi en Dieu par rapport à l'expérience éthique qui est commune à tout homme ? Comment comprendre la spécificité chrétienne de la morale ?374(*)

    Pour répondre à cette question, il y a lieu de revisiter de façon critique les trois modèles qui, dans les débats postconciliaires sur la spécificité chrétienne de la morale, ont essayé de rendre compte de la contribution de la foi à l'éthique dans une société post-moderne.375(*)

    Le premier modèle est celui de l'éthique autonome: la foi est considérée comme âme de l'engagement dans le monde. Ce modèle reconnaît, à la suite de Vatican II, la légitime autonomie des réalités terrestres. Il peut être décrit comme « une éthique rationnelle informée par la foi. »376(*) Pour l'éthique autonome, « le caractère chrétien de la morale n'était pas à découvrir dans un contenu normatif spécifique, mais plutôt dans le fait que la foi réinscrit les motivations éthiques dans sa propre logique. »377(*) C'est la vie théologale qui inspire l'agir éthique et lui confère une plénitude de sens.

    Ce modèle permet de penser l'expérience éthique commune en se référant à une éthique universelle que tout homme peut découvrir par la raison. Il n'y a pas d'exigences éthiques spécifiquement chrétiennes, mais la foi chrétienne motive les prises de parole et les engagements dans les débats de société.378(*)

    Les limites de cette éthique autonome sont le risque de compromettre la foi puisque l'éthique chrétienne et l'éthique séculière se rencontrent dans les mêmes exigences éthiques, même si cette rencontre se vérifie avant tout dans une culture encore chrétienne. Toutefois, dans une société post-moderne, où les valeurs et les normes sont détachées de tout fondement, l'apparente unanimité des valeurs recouvre des anthropologies différentes et des normes différentes379(*). Dans un tel contexte, on peut reprocher à ce modèle de faire l'impasse sur ce que la foi chrétienne peut apporter comme contributions dans le débat pluraliste des éthiques. Pour qu'il soit possible, pour la foi chrétienne, de témoigner de la vérité de l'humain, un dépassement de ce modèle est donc nécessaire.

    Le deuxième modèle est un modèle attestataire : l'éthique de la foi. Ce modèle se pense dans un contexte moderne et réagit contre le danger de l'auto-sécularisation de l'Eglise du modèle précédent.380(*) Les protagonistes de ce courant, notamment Philippe Delhaye et J. Ratzinger, insistent sur la contribution spécifique de la foi chrétienne capable d'instituer des repères éthiques pour des libertés qui s'engagent à la suite du Christ.381(*)

    Pour ce courant, il convient de revenir, contre une rationalisation de l'éthique, aux sources chrétiennes de l'éthique : la pratique liturgique, la méditation des Ecritures, la vie ecclésiale inspirent le sujet jusque dans ses actions. Ainsi, le christianisme ne peut pas disparaître de la scène publique. Il s'agit non seulement de maintenir une identité chrétienne, mais également d'assurer une vision de l'humain non sujette au relativisme. Pour l'éthique de la foi, les grands défis d'aujourd'hui ne sauraient être traités sans l'éclairage des convictions religieuses.382(*)

    La critique majeure contre ce modèle est de ne pas se poser la question de savoir s'il y a des sujets construits capables de responsabilité et de discernement. (Cette critique vaut aussi pour l'éthique autonome). Or, le contexte actuel met plutôt en évidence la fragilité des sujets qui doivent apprendre à se construire par eux-mêmes et à se repérer dans le pluralisme ambiant. D'où: si on veut penser la contribution de la foi à l'éthique, il faut prendre en compte les problèmes de la généalogie du sujet moral.383(*)

    D'où l'intérêt pour un troisième modèle des rapports entre foi et morale : l'éthique communautarienne de la vertu : la foi comme style de vie. Ce modèle est un modèle confessant et attestataire plus radical que le modèle de l'éthique de la foi.

    Comme l'éthique de la foi, ce modèle comprend la vie morale non pas seulement comme la résolution de questions éthiques concrètes, mais comme une question de configuration de l'ensemble de la vie à la suite du Christ.384(*)

    Ici, la vie morale est une manière de voir le monde et d'être au monde, ce qui renvoie au façonnement du sujet. Or le façonnement d'un sujet se fait toujours à l'intérieur d'une société, d'une communauté : d'où ce modèle communautarien de l'éthique dont on voit l'intérêt pour le soutien des libertés fragiles de la post-modernité.385(*) L'éthos communautaire chrétien est nécessaire pour former l'identité des chrétiens et pour se positionner face à une pluralité des références éthiques dans la société.

    Toutefois ce modèle a aussi des limites : l'oubli que le sujet post-moderne appartient de fait à une pluralité de sphères de vie et jamais à une seule communauté ; d'autre part, le risque de repli identitaire de l'Eglise, alors que l'enjeu de la réflexion sur les rapports foi et éthique est précisément la possibilité de prendre place dans le débat public.

    En conclusion, des chantiers sur la place de la théologie morale dans une société laïque et pluraliste sont à poursuivre :

    - Tenir à la fois que l'exigence éthique est rationnelle et universelle, mais que cet universel ne peut se vivre qu'au sein d'une particularité. Cela appelle d'une part, à souligner que dans la particularité chrétienne il y a un appel à l'universel et, d'autre part à poursuivre le débat sur le concept de loi naturelle qui est le soubassement des actes intrinsèques.

    - Dans une société post-moderne, la constitution d'un sujet moral chrétien et la possibilité d'un agir conforme à l'Evangile font appel à tous les éléments constitutifs d'un éthos chrétien : continuer à penser le rôle des communautés de foi dans la construction des sujets moraux est primordial dans le contexte contemporain.

    Conclusion du chapitre

    Nous vivons dans un temps ou les Chrétiens et païens pensent que ce qui est légal est légitimement chrétien. Pas étonnant que le monde ait légalisé l'homosexualité, la contraception et l'avortement et d'autres choses de ce genre. Pour nos contemporains, la légalité est la moralité. Si ce n'est pas illégal, c'est moral, ils supposent. Ainsi, le libéralisme qui caractérise notre société actuelle et qui suscite généralement la diarrhée législative et la tyrannie des régimes politiques. Et c'est un lieu commun de constater que les libéraux veulent toujours plus d'État et de bureaucratie pour réglementer, taxer et endoctriner la population. La foi en l'autorité ultime de l'homme aboutit à l'esclavage absolu sous une tyrannie humaine. Ce fait se caractérise par la perte du sens du péché et le refus de l'absolu.

    Dans ce contexte, faut-il régler notre action en fonction des principes, ou ne songer qu'aux conséquences de nos actes ?

    En fait, la moralité n'est pas la qualification extrinsèque d'un objet dont on pourrait dire qu'il est moral, mais la réalisation effective, dans le monde, de ce qui est moral. La moralité désigne donc la substantification de la morale dans le monde, c'est-à-dire son accomplissement par le moyen des actions, volontés ou institutions qui la mettent en oeuvre. On peut ainsi parler de la moralité d'une personne, d'un acte ou d'une volonté, dans la mesure où cette personne, cet acte ou cette volonté réalisent chacun à leur manière une idée de la morale. La moralité s'incarne alors dans le monde par l'ensemble de nos droits, devoirs ou lois, en tant qu'ils ont pour but de réaliser dans le monde un principe d'ordre moral tel que la dignité, la liberté, la justice. Se demander si la réalité est utile à la vie sociale peut paraître alors relativement superflu, dans la mesure où il paraît évident que nos rapports avec les autres sont soumis, dans la réalité, à des principes d'ordre moral révélés par nos droits et devoirs.

    Dans ce sens, on ne peut pas dire qu'il existe une liberté sans loi car il y a toujours la loi de la nature. En effet, l'homme ne peut pas échapper à sa condition de mortel qu'il soit seul sur une île déserte sans aucune contrainte ou qu'il soit citoyen d'une société régie par un système législatif. La mort, par exemple, est inévitable et constitue la fatalité de la vie et une limite à la liberté de chacun.

     

    CONCLUSION GENERALE

    Notre effort durant cet exercice épistémologique a consisté à élucider la question des actes intrinsèquement mauvais selon la conception morale de B. Häring. Nous avons abordé le sujet de façon quadripartite : d'abord nous avons replacé la question dans le cadre historique en parcourant les différentes périodes de l'histoire de l'église. Avant Vatican II, nous avons analysé la question morale de la moralité intrinsèque des actes chez les pères de l'Eglise où nous avons mis un accent particulier sur Saint Augustin ; puis nous avons concerté la question à la période scolastique en mettant en exergue la position de certains éminents théologiens comme Abélard, saint Bernard, Pierre Lombard, Thomas d'Aquin... Nous avons fini le parcours de cette période par les néoscolastique où nous avons vu les germes de l'éclosion de certaines doctrines morale comme le probabilisme, le conséquentialisme, le rigorisme...

    Au deuxième chapitre, nous avons focalisé notre attention sur certains documents essentiellement du magistère en essayant de faire ressortir la doctrine de l'Eglise sur cette question. Il s'agit entre autres des encycliques Humanae vitae et Veritatis splendor et de l'exhortation Réconciliation et Pénitence qui ont été précédé par la Constitution Gaudium et Spes et le Catéchisme de l'Eglise Catholique qui ont aussi abordé la question des actes intrinsèquement mauvais. Ce parcours historique nous a permis de comprendre le contexte socio-historique de la question des actes intrinsèquement mauvais.

    Au troisième chapitre, nous avons tenté de positionner B. Haring, d'abord dans le vaste mouvement du renouveau de la théologie en indiquant le rôle qu'il a joué au Concile, ensuite en faisant ressortir sa doctrine sur les questions essentielles de la théologie morale telle, la loi naturelle, la régulation des naissances, qui sont sous-jacentes à sa définition des actes intrinsèquement mauvais.

    Comment parler aujourd'hui des actes intrinsèquement mauvais dans un monde moderne sécularisé ou le péché n'existe plus ? Tel a été notre effort au quatrième chapitre. Ici, nous avons tenté de voir dans quelle mesure une conciliation est possible entre les différentes tendances morales qui soutiennent tantôt l'objectivisme, tantôt le subjectivisme ou le relativisme. Alors, que retenir au terme de ce travail ?

    Dans le territoire des questions morales, l'entreprise de rénovation de la pensée et du discours pose de nombreux défis qui font appel à une capacité critique parfois déstabilisante par rapport à la structure des raisonnements théologiques qui ont servi de références dans les derniers siècles. Pour Häring, homme de foi profondément attaché à la Parole de Dieu, le renouveau commande qu'on respecte des valeurs immuables tirées du trésor de l'Ecriture Sainte et de la Tradition de l'Église du Christ. Cependant, le renouveau n'est pas le simple retour aux formes antérieures rigidement interprétées et appliquées, mais il oblige à traduire ces références fondamentales en termes signifiants pouvant rendre compte de la réalité du monde déterminé par la culture et la vie sociale de notre époque. D'où la tension qui sera au coeur de sa contribution de théologien de la morale, et qui est celle de l'Eglise de Vatican II : comment être à la fois radicalement fidèle à la Pensée de Dieu exprimée dans les Ecritures et la Tradition, et être ouvert et sensible aux difficultés, aux angoisses, aux quêtes de sens de notre monde contemporain, dans un contexte de rapide progrès et de bouleversements des certitudes traditionnelles ? Comment éviter le piège des dogmatismes éthiques, avec liberté et esprit critique, et demeurer en même temps attaché aux acquis indiscutables de la révélation et de la vie chrétienne.

    Partant, la théologie morale se doit d'être aussi une herméneutique de l'expérience contemporaine de l'agir humain. Toute analyse de la situation d'une action, qu'il s'agisse de la délibération en vue de la décision ou de l'opération réflexive qui vise à en juger la moralité, se doit de prendre en compte différents aspects de l'action : linguistiques, sémantiques, symboliques et éthiques. C'est au coeur d'un éthos culturel donné, au sein d'un enchaînement narratif à reconstruire et dans une durée déterminée que l'action se laisse saisir dans sa singularité, et non dans l'acte isolé dont la définition objective et traditionnelle (l'homicide, le vol, l'adultère) n'est qu'un repère, certes nécessaire, mais insuffisant. Cette herméneutique de l'expérience n'est pas seulement indispensable au jugement concret de l'action, elle est également source de nouveaux enseignements et de nouvelles convictions morales. La vie et l'action humaines sont comme des textes qui s'offrent à l'interprétation et où se laissent percevoir des compréhensions, des valeurs et des visions du monde nouvelles, elles-mêmes surgies de situations jusqu'alors inédites. La Bible et la tradition ecclésiale ne disent rien directement sur la manière dont une équipe médicale doit affecter ses ressources et son temps entre les différents types de malades dont elle a la charge, ni sur la manière dont un responsable du personnel d'une entreprise en difficulté doit gérer la réduction des effectifs. Et cela n'est pas seulement vrai pour les cas où la technique nous place devant des choix nouveaux, et où l'expertise et la compétence scientifique donnent au jugement une autorité insubstituable.

    Pour terminer, il sied de souligner que la responsabilité subjective ne peut pas annuler la moralité objective de l'agir éthique; en fait, elle s'applique à concrétiser les principes d'action par un comportement librement assumé. Cette liberté ne s'affranchit pas du commandement ou de la norme, elle ne conteste pas la volonté de Dieu ; mais l'acte d'obéissance, accompli dans la foi et dans l'amour, doit lui-même être libre dans le Christ, intériorisé, issu d'une démarche spirituelle où l'Esprit vient au secours de l'esprit (cf. Rom 8, 16). En un sens, dans l'appréciation de la responsabilité subjective de l'homme face à l'action, il faut tenir compte de la fragilité de l'être et, en l'occurrence, de la possibilité négative de la liberté. L'homme est tenté de rompre cette harmonie avec la liberté quand il veut décider par lui-même de ce qui est bien et de ce qui est mal. Au plan éthique, il y un autre élément significatif qui devient partenaire sur le fondement complexe qui qualifient la liberté: la conscience.

    BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

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    - ID, La morale catholique, Paris, Cerf, 1991,122 p.

    - RATZINGER, Josef et DELHAYE, Philippe, Principes d'éthique chrétienne, Paris, Lethielleux, 1979.

    - REY-MERMET, Théodule, Le saint du siècle des lumières, Alfonso de Liguori (1696-1787), Paris, Nouvelle Cité, 1982, 668 p.

    - ID, La morale selon saint Alphonse de Liguori, Paris, Cerf 1987,152 p.

    - ID, Conscience et liberté, Paris, Nouvelle Cité, 1990,156 p.

    - SCHULLER, Bruno, «La théologie morale peut-elle se passer du droit naturel?», dans Nouvelle revue théologique, 88, 1966, pp. 449-475.

    - SIX, Jean-François, Le courage de l'espérance. Les dix ans qui ont suivi le Concile, Paris, Seuil, 1978, 331 p.

    - THOMAS, d'Aquin, Somme Théologique, Tome 2, Paris, Cerf, 827 p.

    - VIDAL, Marciano, B. Haring, Un renovador de la moral catolica, Madrid, Editorial Perpetuo Socorro, 1999,136 p.

    - WOJTYLA, Karol, Amour et responsabilité, Paris, Editions Dialogue, 1978, 285 p

    - ID, Personne et acte, Paris, Centurion, 1983, 344 p.

    3. ARTICLES

    - AUBERT, Jean Marie, « Pour une herméneutique du droit naturel », dans Recherches de sciences religieuses, n°59,1971, p. 449-492.

    - ID, « Le droit naturel; ses avatars historiques et son avenir », dans Le Supplément, n° 81, mai 1967, p. 297-306.

    - CHAPELLE Albert, « La formation théologique du Peuple de Dieu », dans Nouvelle Revue Théologique, 107/2, 1985, p. 187-197.

    - DELHAYE Philippe, «Conscience et autorité ecclésiale. Réflexions sur les remous causés par l'Encyclique», dans La Foi et le Temps n° 1, 1969.

    - ID, « L'Apport de Vatican II à la théologie morale», dans Studia Moralia, n°. 24, 1986, p. 5-40.

    - DORÉ Joseph, « De la responsabilité des théologiens dans l'Église », dans Nouvelle Revue Théologique, 125/ 1, 2003, p.3-20.

    - DUPUY Maurice, « La doctrine de la conscience de saint Thomas d'Aquin », dans Revue Thomiste, 1982, p. 533- 557.

    - LACOSTE, Jean-Yves, « Vérité et liberté sur la philosophie de la personne chez Karol Wojtyla », dans Revue Thomiste, 1981 pp. 586-614.

    - Mc CORMICK, A. Richard, « Morality and Magisterium », in Theological Studies, 29, 1968, p.707-718.

    - MÉDEVIELLE, Geneviève, « Arrivé après la bataille », dans Le Supplément, n° 200, 1997, p.107-123.

    TABLE DES MATIERES

    DEDICACE 1

    AVANT-PROPOS 2

    SIGLES ET ABREVIATIONS 3

    0. INTRODUCTION GENERALE 4

    0.1. Problématique 4

    0.2. Choix et intérêt du sujet 6

    0.3 Méthodologie du travail 8

    0.4 Division du travail 8

    CHAPITRE PREMIER : 10

    LA THEORIE DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS 10

    I.0. Introduction 10

    I.1. Morale et spiritualité chez les pères de l'Eglise. 11

    I.1.1. Saint Augustin et le problème du mal 14

    I.2. La question des actes intrinsèquement mauvais chez les scolastique 18

    I.2.1. Le primat de l'intention chez Pierre Abélard 19

    I.2.2. La stabilité des préceptes moraux chez Saint Bernard 21

    I.2.3. Equilibrage scolastique entre l'intention et l'acte chez Pierre Lombard 22

    I.2.4 L'analyse classique de l'agir moral chez Thomas d'Aquin 24

    I.2.5. La mise en cause de la moralité intrinsèque par Ockham et le nominalisme 27

    I.2.6. L'école de Salamanque 32

    I.2.7. François Suarez 34

    I.2.8. La systématisation éthique du proportionnalisme 35

    I.2.9. L'utilitarisme 37

    Conclusion du chapitre 41

    CHAPITRE DEUXIEME : 44

    LA DOCTRINE DE L'EGLISE SUR LA QUESTION DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS 44

    II.0. Introduction 44

    II.1. Le Concile Vatican II et la théologie morale 45

    II.2. La conscience morale et les actes intrinsèquement mauvais selon Gaudium et Spes 49

    II.3. Réconciliation et pénitence : réaffirmation de la doctrine catholique des actes intrinsèquement mauvais 53

    II.4. Le catéchisme de l'Eglise catholique 57

    II.5. Veritatis Splendor : nouveau dogme sur le mal intrinsèque 59

    II.5.1. Le contexte de publication de veritatis Splendor 59

    II.5.2. Présentation de Veritatis Splendor 61

    II.5.3. Analyse 63

    II.5.4. Lecture critique de Veritatis Splendor 67

    II.6. Humanae Vitae : paradigme de la théorie des actes intrinsèquement mauvais 71

    II.6.1. Présentation historique 71

    II.6.2. Analyse 72

    Conclusion du chapitre 78

    CHAPITRE TROISIEME : 79

    RECEPTION ET CONTOURS DE LA QUESTION DE LA MORALITE DES ACTES INTRINSEQUEMENT MAUVAIS CHEZ B. HÄRING 79

    III.0. Introduction 79

    III.1. Bernard Häring : formation et parcours 81

    III.1.1. Cursus académique 81

    a. L'École de Tübingen 81

    b. L'influence de la phénoménologie sur la théologie de Häring 83

    c. L'éthique schélérienne et son impact sur Häring. 85

    d. L'influence d'Alphonse de Liguori 88

    e. L'influence de Thomas d'Aquin 89

    III.1.2. Bernard Häring et le Concile Vatican II 91

    a. Häring au coeur des tensions du renouveau conciliaire 91

    b. L'éthique conjugale dans les débats conciliaires 95

    c. La question de la morale conjugale après le Concile : Häring entre fidélité et liberté 98

    III.2.1. L'objet dans l'appréciation morale d'un acte selon Häring 105

    III.2.2 La bonté ou la malice de l'intention, moralité de surcroît 110

    III.2.3. Les actes intrinsèques 112

    III.2.4. L'application des préceptes universels, immuables et négatifs 116

    III.3. Conscience, fidélité et liberté chez B. Häring 118

    III.3.1. Une conscience spécifiquement chrétienne 120

    III.3.2. La prudence et le discernement : les vertus de la conscience morale chrétienne 122

    III.3.3. La réciprocité de consciences : l'interpellation de l'autre 123

    Conclusion du chapitre 126

    CHAPITRE QUATRIEME : 127

    LA MORALITE DES ACTES INTRINSEQUES : ACTUALITE DE LA QUESTION ET ESSAI DE CONTEXTUALISATION 127

    IV. 0. Introduction 127

    IV.1. Actualité de la question : perte du sens du péché 128

    IV.2. Essai de contextualisation de la question des actes intrinsèquement mauvais en Afrique 131

    IV.2.1. La situation socio-éthique de l'Afrique 131

    IV.2.2. La réalité du péché en Afrique 132

    IV.2.3. Le sens de la vie en Afrique 136

    IV.3. Perspective d'avenir : La moralité intrinsèque des actes comme chantier de la théologie morale 148

    Conclusion du chapitre 152

    CONCLUSION GENERALE 153

    BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE 156

    1. DOCUMENTS DU MAGISTÈRE. 156

    2. ECRITS DE BERNARD HARING 156

    3. OUVRAGES 157

    4. ARTICLES 160

    TABLE DES MATIERES 162

    * 1 Catéchisme de L'Eglise Catholique. Paris, Racine/Fidélité, 1998, n°1761.

    * 2Cfr. S. PINCKAERS, « La structure de l'acte humain suivant Saint Thomas », 55 (1955), p. 393-412 et IDEM, « La question des actes intrinsèquement mauvais », dans Revue Théologique 84 (1984), p. 618-624.

    * 3 L'encyclique Humanae Vitae paraît marquer un recul par rapport aux perspectives ouvertes par le Concile Vatican II en morale. Sa référence à un concept ambigu de loi naturelle et l'interdiction de la contraception dite artificielle, acte intrinsèquement illicite ne semblent pas prendre en compte les personnes adéquatement considérées dans leur contexte historique et relationnel. Lire PAUL VI, Humanae vitae (Encyclique sur le mariage et la régulation des naissances), dans Actae Apostolicae Sedes, désormais AAS, 60, 1968.

    * 4 Jean Paul II, Veritatis Splendor (Encyclique sur quelques questions fondamentales de l'enseignement moral de l'Eglise), dans Documentation Catholique désormais DC, 85, 1993.

    * 5 B. HÄRING, La Théologie morale. Idées maîtresses. Paris, Cerf, 1992, p. 14.

    * 6 S. PINCKAERS, Le renouveau de la morale. Etudes pour une morale fidèle à ses sources et à sa mission présente. Paris, Téqui, 1979, p. 9.

    * 7 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. La question des actes intrinsèquement mauvais. Histoire et discussion. Fribourg-Paris, Editions universitaires, 1986, p. 20.

    * 8 Cfr. S. PINCKAERS, Le renouveau de la morale. Op. cit., p. 17.

    * 9 B.HARING, Op.cit, p. 20.

    * 10 Dans la préface du livre, La théologie morale. Idées maîtresses, François VIAL affirme : « B. Häring est sans doute l'un des mieux placés pour décrire ainsi, de manière claire et chaleureuse, l'architecture d'une morale chrétienne qui retrouve ses véritables appuis traditionnels et, donc, rénovateurs ». Lire B. HÄRING, Op. cit, p. 15.

    * 11 Cfr. S. PINCKAERS, Le renouveau de la morale. Op. cit., p. 3.

    * 12 S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 21.

    * 13 La scolastique est la philosophie développée et enseignée au Moyen Âge dans les universités : elle vise à concilier l'apport de la philosophie grecque (particulièrement l'enseignement d'Aristote et des péripatéticiens) avec la théologie chrétienne héritée des Pères de l'Église et d'Anselme. La définition précise de son contenu reste cependant problématique. Lors de la Réforme protestante au XVIe siècle, la scolastique sera accusée d'avoir ruiné la doctrine chrétienne en établissant la prépondérance de la philosophie antique. Cfr. A. BOUREAU, Pour un usage analytique de la scolastique médiévale. Paris, Verdier, 2011.

    * 14 Cfr. Ibid., p. 122.

    * 15 Cfr. Ibid., p. 125.

    * 16 Cfr. F. BLAISE, «L'enseignement moral chez les Pères de l'Eglise », dans S. PINCKAERS (dir) La morale catholique. Paris, Cerf, 1991, p. 23-29

    * 17 S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne, Fribourg. Fides, 2007, p. 204-209.

    * 18 Cfr. Ibidem.

    * 19 B. HARING, La loi du Christ. Théologie morale à l'intention des prêtres et des laïcs. Tome I. Théologie morale générale. Tournai, Desclée & Cie, 1957, p. 49.

    * 20 Cfr. Ibid. p. 50.

    * 21 Pendant les premiers siècles de son développement, la doctrine chrétienne sur la sexualité subira une triple influence. Celle des philosophies stoïcienne puis néoplatonicienne, qui se méfient de l'emprise du désir et du plaisir sur la volonté humaine, et qui entraineront pour part un raidissement moral au sein de l'Empire romain à partir du IIIe siècle. Celle d'un durcissement puritain et antiféministe du judaïsme rabbinique. Et enfin celle de la gnose orientale. Le christianisme des premiers siècles marque cependant une forte inflexion par rapport au stoïcisme et au judaïsme dans le sens d'un renoncement à la chair (assimilée au péché), tendance qui ne sera pas unanime et sera toujours débattu au sein même du mouvement chrétien. Un fort courant va prôner la continence, inspiré à la fois par le caractère apocalyptique (ou eschatologie) du message chrétien (l'arrivée du royaume de Dieu étant imminent) et le souci de marquer la différence avec les interdits sexuels codifiés du judaïsme. Cet ascétisme (ou encratisme), marquera également la secte juive puritaine des Esséniens, et le manichéisme. Dans le christianisme ce courant sera représenté par les Pères de l'église Tertullien, Tatien, Jérôme, Origène, Grégoire de Nysse, et culminera au IVe siècle avec les pères du désert précurseurs du monachisme. Ce mouvement conduira jusqu'à des castrations volontaires (le cas le plus célèbre étant Origène vers 206). Mais Clément d'Alexandrie qui inspiré par le stoïcisme, associe pourtant déjà la sexualité et le mal, condamne l'homosexualité et exalte la continence, promeut une sexualité monogame et procréatrice, mais sans dénigrement du corps et du plaisir. Ce sera également le cas de Jean Chrysostome défenseur du mariage, de l'amour conjugal et de la famille. D'une façon générale les évêques seront plus proches de cette position que les théologiens tenants de l'ascétisme. Cfr. P. BROWN, Le renoncement de la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif. Paris, Gallimard, 1995.

    * 22 B. LOYSE, L'homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible. Genève, Labor et Fides, 2005, p. 42.

    * 23 TERTULLIEN, De idolatria, cité par B. LOYSE, Op. cit., p. 45.

    * 24 Cfr. Uta RANKE-HEINEMANN, Des Eunuques pour le royaume des cieux. L'Église catholique et la sexualité. Paris, Robert Laffont, 1990, p. 108.

    * 25 Cfr. Ibidem.

    * 26 Cfr. JEAN-PAUL II, Homme et femme il les créa : Une spiritualité du corps. Paris, Cerf, 2004, p. 34.

    * 27 Cfr. Ibidem.

    * 28 Cfr. Ibidem.

    * 29 E. PRZYWARA, Augustin : Passions et destins de l'Occident, Paris, Cerf, 1987

    * 30 Cfr. Ibid.

    * 31 La doctrine cathare, considérait l'univers comme la création d'un dieu ambivalent, le monde matériel procédant d'un mauvais principe offrant tentations et corruption, tandis que le paradis procède d'un bon principe offrant rédemption et élévation spirituelle. Le corps humain est considéré comme la prison matérielle des âmes d'anges précipités sur terre lors d'une bataille entre les deux démiurges, bon et mauvais.

    * 32 La critique de S. Augustin affirme que les manichéens sont obligés de rendre un culte envers Baal, qui représente le Mal, c'est-à-dire Satan. L'argument contre les manichéens est le suivant: «  Les manichéens posent deux substances opposées, le Bien et le Mal, et les font se combattre. Or, si Dieu est incorruptible (au sens métaphysique du terme, pur de tout mélange, et incapable d'être mêlé à une autre substance), le Mal n'a aucun moyen de le combattre. Donc, soit les Manichéens conçoivent que Dieu est imparfait (ce qui va contre la définition de Dieu), soit Dieu est bien incorruptible pour les manichéens, mais il a alors engagé de lui-même un combat gagné d'avance contre le Mal. Que Dieu soit l'auteur d'une agression gratuite est aussi inacceptable que son imperfection. La conclusion est que le manichéisme est inapte à donner une bonne conception de Dieu. » Cfr. S. Augustin, Les Confessions. Livre VII, chapitre 3.

    * 33 Cfr. G. BOISSIER, La Fin du paganisme. Étude sur les dernières luttes religieuses en Occident au quatrième siècle. Vol II. Paris, Hachette, 1981, p. 48.

    * 34 Cfr. Ibid., p. 50.

    * 35 Cfr. Ibid, p. 51.

    * 36 Cfr. Ibidem.

    * 37 Cfr. H.-I. MARROU, Saint Augustin et la fin de la culture antique. Paris, De Boccard, 1983, p. 23.

    * 38 Ibid., p. 25.

    * 39 Cfr. Ibidem.

    * 40 AUGUSTIN, La Cité de Dieu, XIV, 15, 16, cité par G. BOISSIER, Op. cit., p. 65.

    * 41 Dans le De nuptiis et concupiscencia, (16, 5) il y a un passage qui se rapporte directement à la contraception, et c'est l'unique passage de St Augustin ayant trait aux contraceptifs artificiels: « Quelquefois même cette cruauté voluptueuse, ou cette cruelle volupté, va jusqu'à demander au poison les moyens de demeurer stérile (sterilitatis venena) et, s'ils ne peuvent y parvenir de la sorte, jusqu'à étouffer, comme ils le peuvent, dans le sein même de la mère, le fruit déjà conçu. Non, de tels parents ne sont pas des époux, et si dès le principe ils ont agi de la sorte, leur union n'a jamais été un mariage, mais plutôt un commerce d'infamie et de débauche ».

    * 42 La pensée de Mani sur la sexualité reposait sur sa théologie. L'enseignement de Mani aurait semblé assez proche de l'enseignement chrétien sur la virginité et la continence, n'eut été l'ambiguïté apportée par le mythe manichéen. Virginité et continence peuvent exprimer une recherche de pureté mais aussi exprimer l'hostilité envers toute procréation, en tant que perpétuation de l'emprisonnement de la lumière. En fait, le coeur de l'enseignement manichéen était son opposition à la procréation. Le système manichéen répétait le système gnostique: théorie dualiste de la création, ascétisme réel ou feint, haine de la procréation. Cfr. Michel Tardieu, Le Manichéisme, PUF, Que sais-je ?, 1981

    * 43 Cfr. AUGUSTIN, De Bono coniugali III, 3.

    * 44 Ibid., XXIV, 9.

    * 45 Cfr. Ibidem.

    * 46 AUGUSTIN, De adulterinis conjugiis, livre 2, n° 12 ; cf. Gen 38, 8-10.

    * 47 Cfr. Ibidem.

    * 48 AUGUSTIN, De nuptiis et concupiscencia, 18, 1.

    * 49 Ibidem.

    * 50 G. BOISSIER, Op. cit., p. 89.

    * 51 Cfr. Cfr. M. CLANCHY, Abélard. Grandes biographies. Paris, Flammarion, 2000, p. 12-19.

    * 52 Cfr. Ibidem.

    * 53 C. GIASSON, « Les Confessions de saint Augustin et l'avènement de la subjectivité », dans La petite revue de philosophie, 10 (1988), p. 45-64.

    * 54 Cfr. C. VOGEL, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, 1969, p. 90.

    * 55 Cfr. M. GANDILLAC, OEuvres choisies d'Abélard. Paris, 1945, p. 127

    * 56 Cfr. Ibidem.

    * 57 Cfr. Ibidem.

    * 58 Cfr. Ibidem.

    * 59 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 28.

    * 60 Ibidem.

    * 61 Cfr. Ibidem.

    * 62 Cfr. Ibidem.

    * 63 P. AUBE, Saint Bernard de Clairvaux. Paris, Fayard, 2003, p. 87.

    * 64 Cfr. Ibidem.

    * 65 Cfr. Ibidem.

    * 66 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 33.

    * 67 Cfr. Ibidem.

    * 68 Cfr. Ibid., p. 33.

    * 69 Ph. DELHAYE, Pierre Lombard, sa vie, son oeuvre. Paris-Montréal, Seuil-Fides, 1961, p. 203.

    * 70 Cfr. Ibidem.

    * 71 Cfr. P. LOMBARD, Les Quatre livres des sentences. Traduit et commenté par Marc OZILOU. Paris, Cerf, Sagesses chrétiennes, 2012.

    * 72 Cfr. Ibidem.

    * 73 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 36.

    * 74 Cfr. Ibidem.

    * 75 Cfr. Ibidem.

    * 76 Ibid, p. 37.

    * 77 Cfr. Ibidem.

    * 78 M.-D. CHENU, Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, Introduction méthodologique et historique menée par le biais d'une étude des méthodes scolastiques du XIIIe siècle. Paris, Vrin, 2001, p. 54.

    * 79 Selon Pinckaers, l'unité de la Somme s'explique brièvement de cette façon: «Dieu ayant fait l'homme à son image par la maîtrise de ses actes dont il a doté grâce à sa liberté, la morale qui établit les règles de l'agir humain, prend place entre la Première Partie de la théologie qui étudie Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, ainsi que ses oeuvres dans la création et la Providence, parmi lesquelles émerge l'homme avec son désir naturel de voir Dieu et avec son péché, et la troisième partie de la Somme, qui traite du Christ comme Rédempteur de la faute et la voie du retour de l'homme vers Dieu, avec la grâce donnée par les sacrements». Lire S. PINCKAERS, La morale catholique, Op. cit., p. 33.

    * 80 Cfr. Lire S. PINCKAERS, La morale catholique, Op. cit., p. 36.

    * 81 Cfr. Ibid. p. 40.

    * 82 Cfr. Ibid. p. 42.

    * 83 Cfr. Ibidem.

    * 84 Cfr. S PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 86.

    * 85 Cfr. Ibidem.

    * 86 Cfr. S. PINCKAERS, « Le rôle de la fin dans l'action morale selon saint Thomas d'Aquin », dans Le Renouveau de la morale, Études pour une morale fidèle à ses sources et à sa mission présente, «Cahiers de l'actualité religieuse, 19 », Tournai, Casterman, 1964, p. 114-141.

    * 87 Cfr. Ibidem.

    * 88 Cfr. Ibidem.

    * 89 Cfr. Ibidem

    * 90 Cfr. Ibidem.

    * 91 Cfr. Ibidem.

    * 92 Ockham est le nom de sa ville d'origine au sud-ouest de Londres, parfois francisée Occam. Les deux écritures sont donc correctes, la forme Ockham étant toutefois préférée.

    * 93 B. JOËl, Guillaume d'Ockham et la théologie, Paris, Cerf, 1999, p. 120.

    * 94 Le nominalisme est une doctrine logique, philosophique et théologique qui a vu le jour au sein de la scolastique médiévale. Son fondateur est Roscelin. On utilise aussi le mot occamisme pour désigner le nominalisme de Guillaume d'Occam, principal représentant de cette école dans la scolastique tardive. Le nominalisme est une des réponses possibles au problème des universaux qui trouve sa source antique dans les Catégories d'Aristote. Le mot de nominalisme, d'abord réservé à la désignation des doctrines du Moyen âge qui résolvaient d'une manière négative le problème de l'existence séparée des idées générales, s'applique maintenant à des systèmes aussi différents que ceux d'Aristote, de Guillaume d'Occam, de Spinoza et de Stuart Mill, Quine. Lire, J. VERGER, « Nominalisme » in Dictionnaire encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997 p. 1081. Alain DE LIBERA, La querelle des universaux. Paris, Seuil, 1998. P. VIGNAUX, Nominalisme au XIVe siècle. Paris, Vrin, 2004.

    * 95 Cfr. Ibidem.

    * 96 Cfr. J. VERGER, « Nominalisme » in Dictionnaire encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997, p. 1081.

    * 97 Cfr. Ibidem.

    * 98 Cfr. S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 256.

    * 99 Ibidem.

    * 100 A propos de cette question de la liberté, le professeur Sébastien MUYENGO donne une approche intéressante où il fait intervenir la notion de responsabilité : « La véritable liberté implique la responsabilité, c'est-à-dire, la capacité de répondre de ses actes dans la mesure où ils sont volontaires. Il y a ainsi des facteurs qui diminuent l'imputabilité et la responsabilité d'une action : l'ignorance, l'inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et tant d'autres facteurs philosophiques et sociaux. Il convient de souligner fortement le rapport entre volonté et responsabilité : tout acte directement voulu est imputable à son auteur. Exemples : le meurtre d'Abel par son frère Caïn et d'Urie par David... Lire S. MUYENGO, Morale fondamentale. Inédit, p. 36-39.

    * 101 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 42.

    * 102 Cfr. Ibidem.

    * 103 Cfr. S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 257.

    * 104 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 45.

    * 105 Cfr. Ibidem.

    * 106 Cfr. Ibidem.

    * 107 Ibidem, p. 47.

    * 108 Cfr. Ibidem.

    * 109 P. DESROCHERS « Catholiques et apôtres du libre marché », dans le Québécois libre n°27, déc. 1998, p.23-27.

    * 110 Cfr. Ibidem.

    * 111 Cfr. Ibidem.

    * 112 Cfr. P. MADIGAN, commentaire du livre d'André Azevedo Alves et José Moreira, "The Salamanca School" (Major Conservative and Libertarian Thinkers), Heythrop Journal, 52 (1), 2011, p. 133.

    * 113Cfr. Ibidem.

    * 114 S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. Cit., p. 47.

    * 115 Cfr. Ibidem.

    * 116 Cfr. Ibidem.

    * 117 J.-P. COUJOU Suárez et la refondation de la métaphysique comme ontologie. Paris, Peeters, 1999, p. 101.

    * 118 Cfr. Ibidem.

    * 119 Commentaire sur la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Lire, S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 260.

    * 120 S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 49.

    * 121 Cfr. Ibidem.

    * 122 Cfr. Ibidem.

    * 123 Cfr. Ibidem.

    * 124 C. FRANCISCO et Fernandez SANCHEZ, « Principe et argument du moindre mal », in Conseil pontifical pour la famille, Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques. Paris, Téqui, 2005, p. 871.

    * 125 N. LAMOUREUX, Le proportionnalisme, systématisation heureuse de l'éthique ? Laval, Fides, 2001, p. 97.

    * 126 Cfr. Ibidem.

    * 127 Cfr. Ibid., p. 98.

    * 128 Ibid., p. 99.

    * 129 Ibidem.

    * 130 S. Pinckaers, Notes et appendices de S. Thomas d'Aquin, Les actes humains (Somme théologique, Ia-IIae, qq. 6-17), vol. I. Paris, Éditions de La Revue des jeunes-Cerf, 1971, p. 214.

    * 131 Le conséquentialisme fait partie des éthiques téléologiques et constitue l'ensemble des théories morales qui soutiennent que ce sont les conséquences d'une action donnée qui doivent constituer la base de tout jugement moral de ladite action. Ainsi, d'un point de vue conséquentialiste, une action moralement juste est une action dont les conséquences sont bonnes. Plus formellement, le conséquentialisme est le point de vue moral qui prend les conséquences pour seul critère normatif. On oppose généralement le conséquentialisme aux éthiques déontologiques, lesquelles mettent l'accent sur le type d'action plutôt que sur ses conséquences, et à l'éthique de la vertu, laquelle se concentre sur le caractère et les motivations de l'agent. Le terme "conséquentialisme" a été lancé par G.E.M. Anscombe dans son essai Modern Moral Philosophy en 1958, essai critique envers ce point de vue moral. Depuis lors, le terme a largement investi la théorie morale anglophone.

    * 132 Cfr. C. AUDARD, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme. Paris, PUF, 1999, p. 73.

    * 133 Ibidem

    * 134 Cfr. Ibidem.

    * 135 Cfr. Ibidem.

    * 136Cfr. D. OWEN BRINK, Moral Realism and the Foundation of Ethics. Cambridge (UK), Cambridge University press, 2001, p. 132.

    * 137 Cfr. Ibidem.

    * 138 L. VEREECKE, « L'histoire de la théologie morale », dans la Revue d'éthique et de théologie morale. Le Supplément, n° 203, décembre 1997, p. 117-138.

    * 139 Cfr. Ibidem.

    * 140 Cfr. THOMAS D'AQUIN, Somme Théologique, I-II, p. 106, a.4, c.

    * 141 Cfr. J. VERGER, « Nominalisme », dans Dictionnaire encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997, p. 1081.

    * 142 Cfr. Ibidem.

    * 143 Cfr. Ibidem.

    * 144 Les systèmes moraux de la casuistique sont les différentes théories constituées par un ensemble de règles qui établissent comment se référer ou non à la loi morale quand il existe un doute sur l'obligation de la loi en situation concrète. Dominicains et jésuites ont largement contribué à écrire l'histoire de la casuistique.

    * 145 L'initiateur du premier système moral de la casuistique, le probabilisme, est Barthélemy de MEDINA (1527-1580), dominicain de l'école de Salamanque. Le premier jésuite probabiliste est Gabriel VASQUEZ (1549-1604). Le probabilisme fut le "système moral" le plus répandu. Il soutient qu'on peut choisir une conduite non conforme à la loi s'il y a un certain degré de probabilité qu'elle soit moralement acceptable ; et cela même s'il existe des arguments avec une probabilité plus forte en faveur d'une autre conduite. La probabilité peut être "intrinsèque", liée à la force de l'argument ; ou "extrinsèque", liée au prestige de l'autorité qui l'a énoncée. L'évolution du probabilisme s'est faite vers l'extrinsécisme.

    * 146 CONCILE OEUCUMENIQUE VATICAN II, Constitution pastorale Gaudium et spes. Paris Seuil, 1967.

    * 147 S. PINCKAERS, « Le renouveau de la théologie morale », dans, Vie intellectuelle 27 (octobre 1956), p.11

    * 148 Ibidem.

    * 149 Y. CONGAR, «  l'appel de Dieu », dans Le peuple de Dieu dans l'itinéraire des hommes. Actes du 3e Congrès de l'Apostolat des laïcs (Rome 11-18 octobre 1967), vol 1, Rome 1968 p. 103.

    * 150 PH. BORDEYNE et L. VILLEMIN (Dir), Vatican II et la théologie. Perspectives pour le XXIe siècle. Paris, Cogitatio Fidei- Cerf, 2006, p. 43.

    * 151 Vatican II, Optatam Totius, n° 16

    * 152 P. DELHAYE, « L'apport de Vatican II à la théologie morale », dans Concilium, 75, 1972, p. 64.

    * 153 Vatican II, Constitution Gaudium et Spes sur l'Eglise dans le monde de ce temps, n° 16

    * 154 E. GAZIAUX, « Gaudium et Spes et la théologie morale fondamentale aujourd'hui : quelles suggestions ? » dans Vatican II et la théologie, Paris, Cerf, 2006, p. 211.

    * 155 Cfr. J. RAWLS, Théorie de la justice. Paris, Cerf, 1992.

    * 156 S. CONGREGATIO PRO DOCTRINA FIDEI, Normae pastorales circa absolutionem sacramentalem generali modo impertiendam, dans AAS 64 (1973) 510-514

    * 157 PAUL VI, Ecclesia suam, Encyclique sur l'ecclésiologie, dans Documentation catholique 1431 (6 Septembre 1964), col. 1058-1093.

    * 158Cfr J. HONORE, « Le catéchisme de l'Eglise catholique », dans Nouvelle Revue Théologique, 115, 1993, p. 14.

    * 159 Il convient de noter que pour ce point nous nous inspirons largement de l'ouvrage, La morale catholique (Cerf 1991), du Père Servais Th. Pinckaers, l'un des principaux adversaires des nouveaux moralistes.

    * 160 Selon ceux qui soutiennent l'idée de l'autonomie de la morale, la morale constitue un domaine de valeur irréductible. Il n'existe à l'extérieur de la morale aucun point de vue d'où la raison peut nous amener à une juste intelligence de la nature de la vie morale. Cette thèse est développée non seulement contre la perspective hobbésienne, mais aussi contre certains aspects centraux de la pensée kantienne. Au lieu d'une morale de l'autonomie, c'est en effet l'autonomie de la morale qu'il faut embrasser. Une telle conception exige pourtant que l'on abandonne une des plus grandes idéologies philosophiques de notre époque, à savoir l'image naturaliste du monde. Lire, J. FUCHS, Existe-t-il une morale chrétienne ? Paris, Duculot, 1973, p. 42.

    * 161 Cfr. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, La vocation ecclésiale du théologien (Donum veritatis), n° 29, La Documentation Catholique, 2010, 15 juillet 1990, p. 698.

    * 162 J. FUCHS, Op. cit., p. 210.

    * 163 J.DESCLOS, Op. cit., p. 122.

    * 164 J. RATZINGER, cité par J. DESCLOS, Op. cit., p. 139.

    * 165 A ce propos le professeur MUYENGO donne un éclaircissement important : « La véritable liberté est ordonnée à la vérité. La vraie liberté est une force de croissance et de maturation non seulement dans la bonté, mais aussi dans la vérité. Un homme libre accepte la vérité des choses, des faits, c'est-à-dire que la vraie liberté doit se soumettre à la vérité des choses, à la nature des faits comme on dit, sans toutefois limiter l'inventivité, la créativité de l'homme. Exemple : il est de la nature de l'homme de se marier à une femme. On ne prétendra pas à la liberté en dérogeant à cette loi. (cf. Ga 5, 13 : Que la liberté ne donne pas prétexte à satisfaire la chair). L'on comprend le rapport entre la loi naturelle et la raison. La loi naturelle reçoit ainsi tout son caractère moral lorsqu'elle est comprise comme la loi de la liberté en tant que loi de la raison. En effet, « ordonner rationnellement l'acte humain vers le bien dans sa vérité et rechercher volontairement ce bien, appréhendé par la raison, cela constitue la moralité ». S. MUYENGO, Cours de Morale fondamentale G1. Inédit, p. 37.

    * 166 J.DESCLOS, Op. cit., p. 129.

    * 167 Cfr. Ibid., p. 99.

    * 168 A ce propos, lire A. CHAPELLE, « Les enjeux de Veritatis splendor », NRT 115 (1993), p. 801-817;

    S. PINCKAERS, « Pour une lecture de Veritatis splendor », dans Cahiers de l ' École Cathédrale, 18, Paris, Mame, 1995; G. COTTIER, « L'encyclique Veritatis splendor», dans Nova et Vetera (1994/1), p.1-13 ; et Y. FLOUCAT, « Les fondements de la morale dans l'encyclique Veritatis splendor », dans RT 96 (1996), p. 269-301.

    * 169 R. McCormick « Some Early Reactions to Veritatis splendor », in Theological Studies 55 (1994), p. 481-506.

    * 170 Cfr. Ibidem.

    * 171 Pour les auteurs qui soutiennent cette thèse, ces normes sont appelées normes de comportement ou normes concrètes. À ce titre, elles ne peuvent valoir semper et pro semper, puisqu' elles n'interdisent qu'un comportement matériel, physique. Le seul moyen de les considérer valables semper et pro semper est de les regarder comme des tautologies, mais elles n'interdisent plus alors un comportement matériel précis : elles sont simplement parénétiques, c'est-à-dire exhortatives, rappelant simplement la nécessité de toujours se situer par rapport à certaines valeurs. Cfr. J. FUCHS, « Storicità e norma morale », dans Ricercando la verità morale... , p. 80-101.

    * 172 Cfr. Ibidem.

    * 173 Ibidem.

    * 174 Dans une atmosphère de remise en cause de l'autorité établie, en Amérique comme en Europe, l'encyclique apparut comme un refus pur et simple de la contraception. L'encyclique souleva une opposition sans précédent à l'intérieur même de l'Église catholique dès sa parution. Paul VI était allé à l'encontre même de l'avis de la commission pontificale d'experts qu'il avait lui-même nommée et qui avait préconisé l'inverse : en effet, sur les 72 membres de celle-ci, la plupart étaient d'accord sur l'autorisation du recours à des moyens artificiels de contraception à l'exception de six de ses membres. Le cardinal Joseph Ratzinger notait en 1995 : Rarement un texte de l'histoire récente du Magistère est devenu à ce point signe de contradiction comme cette encyclique, que Paul VI a écrit à partir d'une décision qui fut pour lui profondément douloureuse. Dans ses mémoires, le cardinal français Roger Etchegaray a parlé de schisme silencieux qui a fragilisé l'autorité [papale]. Lire, M. SEVEGRAND, L'affaire Humanae vitae, Paris, Karthala, 2008.

    * 175 J.DESCLOS, Resplendir de vraie liberté. Lectures de Veritatis Splendor. Paris, médiaspaul, 1994, p. 175.

    * 176 Les débats entre proportionnalistes et déontologistes ont été très bien résumés par: Olivier de DINECHIN, « Catholicisme contemporain : la réflexion morale dans le catholicisme contemporain », dans M. CANTO-SPERBER. (dir.), Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale.  Paris, PUF, 2004 (4e édition), p. 275 ; et par Geneviève MEDEVIELLE, Le bien et le mal. Paris, Editions de l'Atelier, 2004, p. 163-164.

    * 177 Parmi les représentants du courant proportionnaliste : aux Etats-Unis : Richard McCORMICK, "Ambiguity in Moral Choice", in Doing Evil to Achieve Good, R. Mc CORMICK and Paul RAMSEY (eds), Loyola University Press, Chicago, Illinois, 1978, pp 7-53. Le titre du recueil ainsi que le titre de l'article de Mc CORMICK indiquent bien les problématiques auxquelles se sont affrontés les proportionnalistes.

    * 178 « Contraception: le pape réitère sa condamnation », dans AFP, 3 octobre 2008, p. 11. « Benoît XVI rappelle le sens profond et l'actualité de Humanae Vitae », ZENIT, 3 octobre 2008.

    * 179 Ce que Bernard Häring a appelé la parenthèse catholique, c'est-à-dire la théologie des manuels, se manifestait entre autres choses par une considération essentiellement juridique des actes humains examinés sous l'angle des péchés et de la loi, et par une quasi-absence de références à l'Écriture (la seule citation qu'on y trouve est souvent celle des préceptes du Décalogue : Ex 20, 2-17 et Dt 5, 6-21).

    * 180 Bernhard Häring est né à Böttingen, en Allemagne, en 1912 et est mort à Gars-am-Inn, en 1998. Professeur de théologie morale pendant plusieurs années à l'Académie Alphonsienne, à Rome, il a aussi enseigné dans plusieurs institutions aux États-Unis, en Afrique et en Amérique latine. Häring est considéré comme un des architectes de la Constitution pastorale Gaudium et spes. Parmi les nombreux ouvrages que compte sa bibliographie, mentionnons : La morale après le Concile. Paris, Desclée, 1967 ; Etica cristiana in un'epoca di secolarizzazione. Rome, Éd. Paoline, 1972 ; La théologie morale : idées maîtresses, Paris, Cerf, 1992.

    * 181 B. HARING, La Loi du Christ. Théologie morale à l'intention des prêtres et des laïcs. Tome I. Théologie morale générale. Tournais, Desclée et Cie, 1955. Tome II Théologie morale spéciale. La vie en communion avec Dieu. 1957. Tome III. Théologie morale spéciale. La vie en communion fraternelle. Tournai, Desclée&cie, 1959.

    * 182 A. GESCHÉ, Le sens (coll. Dieu pour penser). Paris, Cerf, 2003, p. 16.

    * 183 B.HÄRING, Libres dans le Christ, Vol. I. Paris, Cerf, 1998, p. 357.

    * 184 Ibid., p. 334.

    * 185 J.DELUMEAU, Alphonse de Liguori, Pasteur et Docteur. Paris, Beauchesne, 1987, p. 6.

    * 186 L'influence de Scheler sur Häring ne peut être mise en rapport avec celle qu'il a eue sur Karol Wojtyla, influence notamment perceptible dans son oeuvre Personne et acte. A la différence de Häring qui en fait une réappropriation davantage éthico-pastorale, Wojtyla y puise une inspiration davantage eidético-cognitive. Lire J. DESCLOS, Op. cit., p. 79.

    * 187 B. HÄRING, La théologie morale. Idées maîtresses, p. 16.

    * 188 II est important de noter que Häring, déjà en 1939 avait fait la connaissance de son futur directeur de thèse. Ce fut « quasi » providentiel pour Häring, mais pas pour Steinbiichel car il fut expulsé par les nazis de sa cathedra de théologie morale de l'université de Munich et vécut en clandestinité au monastère Rédemptoriste à Gars am Inn. Ce fait regrettable a constitué une occasion propice pour le futur académique et intellectuel de Häring.

    * 189 B. HÄRING, La théologie morale. Idées maîtresses, Op. cit., p. 1.

    * 190 B. HARING, Quelle morale pour l'Église ? Op. cit., p. 9.

    * 191 «Son intérêt pour la religion remonte à ses études de théologie au Stift de Tübingen, où il avait pour condisciples Hôlderlin et Schelling. C'est là où il découvrait que « la religion est une affaire des plus importantes de notre vie». Lire, Jean GREISCH, La philosophie de la religion devant le fait chrétien, p. 216. Dans, Introduction à l'étude de la théologie, sous la direction de Joseph Doré, Tome 1. Paris, Desclée, 1991.

    * 192 G. KALINOWSKI, La phénoménologie de l'homme chez Husserl, Ingarden et Scheler. Brussels, Éditions Universitaires, 1991, p. 9.

    * 193 Cfr. Ibid., p. 126.

    * 194 La philosophie de la religion est une discipline philosophique pratiquement aussi ancienne que la philosophie elle-même. Elle n'est pas la critique philosophique de la religion mais plutôt une méthodologie épistémologique de la dimension religieuse des phénomènes religieux.

    * 195 B. HARING, Le Sacré et le Bien. Paris, Fleurus, 1963, p. 40.

    * 196 Cfr. Ibid., p. 10.

    * 197 Ibid., p. 20.

    * 198 Brian V. JOHNSTONE, « Bernard Häring. An appréciation», dans Studia Moralia, 36 (1998), p. 590.

    * 199 Un an après son élection, par l'encyclique Aeterni Patris (1879), il réintroduit la philosophie et la théologie de saint Thomas comme seule alternative contre l'apparente « faiblesse» de la philosophie des Lumières qui se fondait sur la conviction que la raison humaine est capable d'assurer un progrès illimité et le bonheur terrestre.

    * 200 Cfr. G. LAFONT, Structures et méthode dans la Somme Théologique de saint Thomas. Paris, Cerf, 1996, p. 10.

    * 201 Cfr. Ibidem.

    * 202 M-D.CHENU. La théologie comme source au XVIe siècle. Paris, Vrin, 1957, p. 13.

    * 203 B. HARING, Libres dans le Christ, Vol 1, Op. cit., p. 369.

    * 204 Ibid., p. 370.

    * 205 Ibid., p. 371.

    * 206 Cfr. J. DAVID, Loi naturelle et autorité de l'Église, Op. cit., p. 47.

    * 207 Ibid., p. 43.

    * 208 B. HARING, Libres dans le Christ, Vol 1, Op. cit., p. 373-374.

    * 209 C'est la date où le Pape a rendu publique sa décision d'organiser le Concile.

    * 210 Documentation Catholique, 56 (1959), col. 907.

    * 211 « La loi du Christ va procurer au père Häring en quelques années une réputation vraiment universelle. Elle devait lui valoir, à côté d'une grande considération, les premières suspicions ». Lire, G. MATHON, « un demi-siècle d'histoire de la théologie morale catholique. Le père Bernard Häring (1912-1998) », dans Esprit et Vie, n°6 18 mars 1999, p. 123.

    * 212 Après l'élection de Jean XXIII, la traduction espagnole de La loi du Christ put enfin paraître et le pape qui adressa au Général des Rédemptoristes une lettre dans laquelle il exprimait sa très haute estime pour La Loi du Christ, envoyait sa bénédiction et promettait de prier pour que beaucoup, grâce à cet ouvrage, puissent déceler avec joie les implications morales de la foi. Cfr. Ibid., p. 124.

    * 213 Pendant la période préconciliaire, le pouvoir réside dans la Commission Théologique Préparatoire chargée d'élaborer des textes de schémas, après une vaste consultation. Cette consultation s'adresse en premier lieu aux futurs Pères du concile, ensuite aux Dicastères ou Congrégations du Vatican et aux Universités catholiques.

    * 214 Vers les années 1950 et jusqu'à la veille du concile Vatican II un courant de pensée catholique apparu, la Nouvelle Théologie, parmi les théologiens allemands et français en particulier. Il prône un retour aux sources du christianisme, notamment à travers les Pères de l'Église, et prend ses distances avec l'hégémonie de la scolastique. La Nouvelle Théologie exerça une influence déterminante non seulement sur le déroulement de Vatican II mais aussi sur ses conséquences. La Nouvelle Théologie suscita les inquiétudes du Vatican. En France, un certain nombre de ces nouveaux théologiens, notamment les Jésuites de Fourvière et les Dominicains du Saulchoir, se virent interdits d'enseignement. Pie XII, qui craignait un retour de la crise moderniste, critiqua la Nouvelle Théologie dans son encyclique Humani Generis (1950).

    * 215 P. d'ORNELLAS, Liberté, que dis-tu de toi-même ? Vatican II 1959-1965, Op., cit., p. 404.

    * 216 Ibid., p. 106.

    * 217 Ibidem.

    * 218 G. ALBERIGO (éd.), Histoire du Concile Vatican II, Tome I. p, 276.

    * 219 P. d'ORNELLAS, Liberté, que dis-tu de toi-même ? Vatican II 1959-1965, Op., cit., p. 341.

    * 220 J. DESCLOS, Libérer la morale, p. 52.

    * 221 P. DELHAYE, «Les points forts de la théologie morale à Vatican II», dans Studia Moralia, XXIV/1, 1986, p. 13.

    * 222 J. SUENENS, «Aux origines du Concile Vatican II», dans Nouvelle Revue Théologique, 107 (1985), p. 3.

    * 223 Ibidem

    * 224 Cfr. V-L.HEYLEN, « La dignité du mariage et de la famille », dans Gaudium et spes. L'Église dans le monde de ce temps. Schéma XIII. Commentaires. p. 169.

    * 225 Le mot Periti est une désignation d'ensemble pour les théologiens, les spécialistes du droit canonique et d'autres experts. Cfr G. De ROSA. «I periti conciliari : umile e féconda collaborazione», In Osservatore Romano 104 (1964)21/22. XII, p. 18.

    * 226 «... Ce schéma est périlleux et nuisible », déclara-t-il. « Je crains les periti et les annexes dont ils nous gratifient. Déjà l'Église de Dieu a beaucoup souffert de certains d'entre eux, entre les deux sessions. Ils sont peu, mais le bruit de leurs paroles remplit toute la terre. On argue des encycliques. Ils répondent qu'elles ne sont pas infaillibles. Contre ces periti là il ne faut pas citer plus longtemps les documents pontificaux en matière de foi. Il faut défendre l'autorité de l'Église enseignante, car il est vain de parler du collège des évêques si les periti par leurs articles, leurs livres et leurs discours, contredisent notre doctrine, pour ne pas dire qu'ils la méprisent. L'infaillibilité des periti n'est pas dogme de foi, du moins jusqu'ici ...Inutile de demander conseil à ceux qui demeurent confinés avec la jeunesse dans les maisons religieuses, les séminaires, ou les universités d'études. Ces très illustres hommes ne connaissent pas le monde dans sa cruelle réalité, et parfois pourtant, ils sont cruels. Trop facilement, ils mettent leur confiance dans les jugements des sages de ce monde. Certes, ils sont simples comme des colombes, mais ils ne sont pas toujours prudents comme les serpents (Mt 10,16). Cfr ; R.LAURENTIN. Bilan de la troisième session, p. 177.

    * 227 Ibidem

    * 228 B. HÄRING, Quelle morale pour l'Église? Op. cit., p .39-40.

    * 229 R. LAURENTIN. Bilan de la troisième session, p. 179.

    * 230 Ibid., p. 194.

    * 231 V. HYLEN, « La note 14 dans la constitution pastorale Gaudium et spes n° 51 », dans Ephémérides de Louvain, 42/1966, p. 555-566.

    * 232 Voir l'histoire du contexte immédiat de l'encyclique Humanae vitae et de la commission dans Robert Mc CLORY, Rome et la contraception. Histoire secrète de l'encyclique Humanae Vitae. Ttrad. Jacques Mignon, Paris, Editions de l'Atelier, 1998.

    * 233 B. HÄRING, Quelle morale pour l'Église. p. 45.

    * 234 P. d'ORNELLAS, Liberté, que dis-tu de Toi-même ? Vatican II 1959-196. Paris, Éditions Parole et Silence, 1999, p. 604.

    * 235 Le texte de Casti connubii est un avertissement sévère et solennel, qui ne laisse place à aucun doute, aucune hésitation, aucune discussion. « En vertu de Notre suprême autorité et de la charge que Nous avons de toutes les âmes. Nous avertissons les confesseurs et tous ceux qui ont charge d'âmes, de ne point laisser leurs fidèles dans l'erreur sur cette très grave loi de Dieu. Bien plus, qu'ils se prémunissent eux-mêmes contre les fausses opinions de ce genre et ne pactisent en aucune façon avec elles. Si d'ailleurs un confesseur ou un pasteur induisait en ces erreurs- ce qu'à Dieu ne plaise ! - les fidèles qui lui sont confiés, ou si du moins, soit par approbation, soit par silence calculé, il les y confirmait, qu'il sache qu'il aura à rendre à Dieu, le Juge suprême, un compte sévère de sa prévarication; qu'il considère comme lui étant adressées ces paroles du Christ; « Ce sont des aveugles, et ils sont les chefs des aveugles; or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous les deux dans la fosse». Casti connubii, n° 85.

    * 236 ÉPISCOPAT FRANÇAIS. «Note de l'épiscopat français sur Humanae vitae», dans La Documentation catholique n° 1529, décembre 1968, col. 2060, n. 16.

    * 237 B. HÀRING, Crise autour d'Humanae vitae, p. 10.

    * 238 Cfr. Ibidem.

    * 239 L'article contre «osservationi entiche » de Häring est intitulé: La norma morale di Humanae vitae e il

    compito pastorale.

    * 240 «Chiedere l'opinione di vescovo e teologhi », in Il regno-attualità, anno XXXIV, n. 609, 15-1-1989,

    p. 1-4.

    * 241 L. MELINA, La morale entre crise et renouveau. Op. cit., p. 13.

    * 242 B. HÄRING, La théologie morale. Idées maîtresses. Op. cit., p. 18.

    * 243 Cfr. J. DESCLOS, Libérer la morale. Op. cit., p. 139.

    * 244 Documentation catholique, 1989, tome 86, n° 2, p, 62.

    * 245 J.M. PAUPERT, Contrôle des naissances et théologie. Le dossier de Rome. Paris, Seuil, 1967, p. 59.

    * 246 B. HARING, Libre et fidèle dans le Christ, Vol. I, New York, Seabury, 1978, p. 196-199.

    * 247 Cfr. Ibid., p. 200.

    * 248 Cfr. Ibidem.

    * 249Cfr. Ibidem.

    * 250 Cfr. Ibidem.

    * 251 Cfr. Ibidem.

    * 252 Cfr. Ibidem

    * 253 R. Mc CORMICK, « Killing the patient » in, The Tablet, 30 October 1993, p. 1410-1411.

    * 254 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 300.

    * 255 Cfr. Ibidem.

    * 256Cfr. Ibidem.

    * 257Cfr. Ibidem.

    * 258 « C'est à partir de la bonté et de la malice de la chose voulue que l'acte de la volonté est bon ou mauvais. » (Super III Sent., d. 39, q. 1, art. 2).

    * 259 L'universalité de ces propos en fait foi : « Tel est précisément le bien en général, vers quoi la volonté tend naturellement comme toute puissance vers son objet. » (I-II, q. 10, art. 1, rép.)

    * 260«Le bien en général qui a raison de fin, est l'objet de la volonté » (I-II, q. 9, art.1, rép.). -- « Tel est précisément le bien en général, vers quoi la volonté tend naturellement comme toute puissance vers son objet.» (I-II, q. 10, art. 1, rép.). -- « De même que l'être coloré en acte est l'objet de la vue, de même le bien est l'objet de la volonté. » (I-II, q. 10, art. 2, rép.).

    * 261 D'où cette importante remarque concernant le fonctionnement de la conscience morale : « La volonté qui refuse d'obéir à la raison ou à la conscience qui se trompe, devient mauvaise à cause de l'objet dont dépend sa bonté ou sa malice ; non à cause de l'objet pris en lui-même, mais tel qu'il est saisi accidentellement par la raison, comme un mal à faire ou à éviter. Or, comme l'objet de la volonté, nous l'avons vu, est ce que lui propose la raison, dès que celle-ci présente un objet comme mauvais, la volonté devient elle-même mauvaise si elle se porte vers lui. » (I-II, q. 19, art. 5, rép.). Car, explique-t-il : « Pour qu'on dise que l'objet vers lequel se porte la volonté est mauvais, il suffit qu'il soit tel de sa nature, ou que la raison le considère comme tel ; mais pour être bon, il est nécessaire qu'il soit bon sous ce double rapport. » (I-II, q. 19, art. 6, sol. 1).

    * 262 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 320.

    * 263 C'est le fameux cas des religieuses à l'Est de notre Pays. Craignant d'être victimes des viols systématiques opérés par les militaires ennemis, celles-ci se sont demandé si elles pouvaient prendre des anovulants afin de prévenir d'éventuelles grossesses. Certains moralistes ont trouvé le moyen de dire non parce qu'ils y ont vu, à tort, une forme de contraception. En effet, où est donc passée l'union sexuelle librement consentie dont on voudrait frustrer la finalité procréatrice en pareil cas ? À l'inverse, certains se sont demandé pourquoi ce qui a été déclaré licite pour la religieuse ne pouvait pas être étendu à la femme mariée, négligeant une fois de plus la différence radicale qu'il y a du point de vue moral entre un acte subi contre les conséquences duquel on veut se prémunir et un autre, librement consenti, dont on frustre sciemment la finalité naturelle.

    * 264 B. HÄRING. Quelle morale pour l'Église. Op. Cit., p. 107.

    * 265 Cfr. Ibidem.

    * 266 Cfr. A. Léonard, Le fondement de la morale. Paris, Cerf, 1991, p. 295.

    * 267 B. HÄRING. Quelle morale pour l'Église. Op. Cit., p. 78.

    * 268 Cfr. Ibidem

    * 269 G. BELMANS, « Le Sens objectif de l'agir humain. Pour relire la morale conjugale de saint Thomas », dans Etudes thomiste 8, (1980), p. 98-99.

    * 270 Cfr. Ibidem

    * 271 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 302.

    * 272 Cfr. Ibidem.

    * 273 Cfr. Ibid., p. 310.

    * 274 Cfr. Ibidem.

    * 275 Cfr. Ibid., p. 309.

    * 276 Cfr. Ibidem.

    * 277 Cfr. J. DESCLOS, Libérer la morale. Christocentrisme et dynamique filiale de la morale chrétienne à l'époque de Vatican II. Montréal, Paulines, 1991, p. 117.

    * 278 Cfr. Ibidem.

    * 279 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 329.

    * 280 Cfr. B. HARING, Une morale pour la personne. Paris, Marne, 1973, p. 136.

    * 281 Cfr. Ibidem.

    * 282 V. COUESNONGLE, « La fin ne justifie pas les moyens », dans Supplément de Vie Spirituelle, 16 (1983), p. 298.

    * 283 Cfr. Ibidem.

    * 284 Cfr. G. ANSCOMBE, L' Intention, Trad. de l'anglais par Mathieu Maurice et Cyrille Michon, (Bibliothèque de philosophie), Paris, Gallimard, 2002, p. 79.

    * 285 Cfr. Ibidem

    * 286 Cfr. Ibidem.

    * 287 Ces normes sont appelées « normes de comportement » ou « normes concrètes ». À ce titre, elles ne peuvent valoir semper et pro semper, puisqu' elles n'interdisent qu'un comportement matériel, physique. Le seul moyen de les considérer valables semper et pro semper est de les regarder comme des tautologies, mais elles n'interdisent plus alors un comportement matériel précis : elles sont simplement parénétiques, c'est-à-dire exhortatives, rappelant simplement la nécessité de toujours se situer par rapport à certaines valeurs.

    * 288 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 343.

    * 289 J. G. BELMANS, « Le paradoxe de la morale erronée d'Abélard à Karl Rahner », dans Revue Thomiste(1990), 90, p. 571.

    * 290 Saint Augustin, Du Libre Arbitre, I, chap. 4

    * 291 L. MELINA, La morale entre crise et renouveau. Les absolus moraux, l'option fondamentale, la formation de la conscience. Bruxelles, Culture et Vérité, 1995, p. 201.

    * 292 Ibidem.

    * 293294 Cfr. Ibidem.

    * 295 Cfr. Ibidem.

    * 296 Cfr Ibidem.

    * 297 B. HÄRING, « S. Alphonse, l'avocat de la conscience », dans Comunicationes C.Ss.R. 53 (1987).

    * 298 Pour Liguori, dont l'oeuvre morale s'organise autour de préoccupations éminemment pastorales, afin d'évaluer la moralité d'un acte, il faut se pencher sur l'ordre de l'intentionnalité et donc sur la conscience morale en action : « le péché formel est dans l'ordre de l'intentionnalité, le péché matériel, quant à lui, est improprement dit péché, car il appartient à l'ordre des faits». Lire T. CRISTINO, La conscience morale et l'encyclique Veritatis Splendor : Présentation et réflexions critiques, Louvain-la-Neuve, 2000, p. 97-101.

    * 299 B. HÄRING, La loi du Christ, t. 1. Op. cit., p. 199.

    * 300 Ibidem

    * 301 La syndérèse est une faculté en l'homme de reconnaître de manière infaillible le bien. Le terme est développé dans la théologie à partir de Jérôme de Stridon, il désigne alors le remords de la conscience présent dans l'homme, et ceci même après le péché originel. Utilisé pour la première fois dans le commentaire de Jérôme de Stridon sur Caïn, premier fils selon la Bible d'Adam et Eve, et auteur du premier crime de l'histoire de l'humanité, Jérôme de Stridon affirme que malgré son crime, Caïn se sait coupable. Cette faculté en lui de reconnaître le bien du mal est alors analysée comme une faculté de l'âme humaine de reconnaître le bien. Lire M. BLAIS, Conscience et syndérèse selon Thomas d'Aquin. Québec, Laval, 2006.

    * 302 Ibidem

    * 303 Ibidem

    * 304 Dans l'après-concile les moralistes ont beaucoup discuté de la question de la spécificité de l'éthique chrétienne. Un des enjeux de ce débat consiste dans la capacité pour l'Eglise de rencontrer les non-chrétiens et même les non-croyants sur un terrain commun, notamment dans un dialogue concernant des questions de société où les chrétiens ont à faire entendre, au nom de leur foi, des convictions à des personnes qui ne partagent pas leurs présupposés. Cfr. B. HÄRING, Le sacré et le bien. Op. Cit., p. 253-258.

    * 305 B. HÄRING, Libres dans le Christ. Vol I. Op. cit., p. 295.

    * 306 Ibid., p. 299.

    * 307 Ibid., p. 290.

    * 308 Ibid., p. 293

    * 309 Ibid., p. 296

    * 310 Ibid., p. 298.

    * 311 Cfr. Ibid., p. 302.

    * 312 Cfr. Ibid., p. 303.

    * 313 Cfr. Ibid., p. 307.

    * 314 Ibid., p. 330.

    * 315 Ibid., p. 333.

    * 316 Ibid., p. 294.

    * 317 P. VIGAN, Le malaise est dans l'homme. Paris, avatar-edition, 2011, p. 78.

    * 318 Ibid., p. 87.

    * 319 J. M. AUBERT, Vivre en chrétien au XXe siècle. Tome I. Le sel de la terre. Strasbourg, Salvator, 1976, p. 210.

    * 320 Cfr. J.M. AUBERT (Dir), Morale chrétienne et requêtes contemporaines. Tournai, Desclée, 1954, p. 8.

    * 321 Cfr. Ibidem.

    * 322 Cette révolution est consubstantielle d'une révolution scientifique marquée par un faisceau de découvertes et d'avancées : la diffusion du préservatif en latex après les années 1930, le traitement des maladies sexuellement transmissibles, au premier lieu desquelles la syphilis qui faisait des ravages depuis la Renaissance avec la découverte des antibiotiques à partir de 1941, et la diffusion de la contraception (le stérilet est inventé en 1928, et la pilule contraceptive découverte au début des années 1950)

    * 323 M. BRIX, L'amour libre. Brève histoire d'une utopie. Paris, Éditions Molinari, 2008, p. 24

    * 324 A. GIAMI, « Misère, répression et libération sexuelles », dans Mouvements n° 20 mars-avril 2002, p. 23-29

    * 325 M. BRIX, Op. cit., p. 28.

    * 326 Jadis, ces réalités ne concernaient que l'Occident, mais aujourd'hui avec la mondialisation l'Afrique n'est plus épargnée. Le cas du traité de Maputo qui veut légaliser l'avortement en est une illustration.

    * 327 A. GIAMI, «art. Cit»., p. 27.

    * 328 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae, dans AAS 80 (1988), 75 ; La Documentation catholique 84  (1987), p. 351.

    * 329 S. MUYENGO, Introduction à la bioéthique. Kinshasa, Médiaspaul, 2000, p. 102.

    * 330 S. MUYENGO, « La bioéthique. Quelques perspectives africaines », dans Revue Africaine de théologie, vol. 12, n° 23-24, avril - octobre, Kinshasa, 1988, p. 193.

    * 331 S. MUYENGO, Introduction à la bioéthique, Op. cit., p. 103.

    * 332 JEAN PAUL II, Ecclesia in Africa, dans D.C. 91, (1994), n° 40, p. 435.

    * 333 BENOIT XVI, Africae Munus, dans D.C. 2482, (15 janvier 2012), n°60.

    * 334 S. MUYENGO, La Vie en Esprit. Bible, Morale et Spiritualité. Kinshasa, Médiaspaul, 2012, p. 78.

    * 335 Cfr. Ibidem.

    * 336 E-J KAKULE MUVAWA, La symbolique du Mbanulo chez les Nande. Pour une inculturation du sacrement de réconciliation chez les Nande de la R. D. Congo. Mémoire de maîtrise. Universités des sciences humaines de Strasbourg, Faculté de Théologie, 2001.

    * 337 Cfr. Ibid., p. 3.

    * 338 Ibid., p. 7.

    * 339 Cfr. Ibidem.

    * 340 Cfr. Ibid., p. 8.

    * 341 Cfr. Ibidem.

    * 342 MUYENGO MULOMBE, La bioéthique. Quelques perspectives africaines, Op. cit., p. 184

    * 343 Cfr. Ibidem.

    * 344 Cfr. Ibidem.

    * 345 Ibid., p. 191.

    * 346 R. J. LEKE, « Les adolescents et l'avortement », dans Sexualité et santé reproductive durant l'adolescence en Afrique, édité par B. KUATE-DEFO, Montréal, Ediconseil, 1998, p. 297-306.

    * 347 Cfr. Ibidem.

    * 348 B. ZANOU et al, «Étude démographique et de santé maternelle en Afrique subsaharienne », dans Studies in Family Planning 29 (2), 1999, p. 210-232.

    * 349 R. J. LEKE, Op.cit., p. 300.

    * 350 B. ZANOU, Op.cit., p. 221.

    * 351 M. ESTOURNET, Interruption volontaire de grossesse, historique et état des lieux. Paris, Cerf, 2006, p. 98.

    * 352 Lors de la conférence du Caire en 1994 et de Bejin en 1995, la question de l'avortement a fait l'objet de débats très controversés pour des raisons éthiques, morales et religieuses relatives aux notions de droit de vie du foetus, de l'embryon et de la personne humaine, mais un consensus s'est établit autour du fait que l'avortement « ne doit pas être pratiqué comme un moyen de régulation de la fécondité » (Nations Unies 1994). À travers les notions de droit en matière de reproduction, l'accent a été mis sur le besoin d'une reconnaissance du droit fondamental des couples et des individus de décider librement et avec discernement du nombre de leurs enfants et de l'espacement de leurs naissances, de disposer des informations nécessaires pour ce faire et du droit de tous à accéder à une meilleure santé en matière de sexualité et de reproduction. Ces droits supposent de pouvoir mener une sexualité sans risque et d'avoir accès à des programmes de santé de la reproduction accessibles aux hommes comme aux femmes sans discrimination. Cfr. NATIONS-UNIES, Rapport de la Conférence Internationale sur la population et le développement. Le Caire, Nations Unies. 1994.

    * 353 Cfr. M. ESTOURNET, Op. cit., p. 100.

    * 354 www.aidh.org/Biblio/Txt_Afr/instr_prot_fem_03.htm

    * 355 La Documentation catholique, n° 2378, (2007), p. 549.

    * 356 CENCO, Déclaration des Evêques du Congo. Kinshasa, le 09 février 2007, n°11.

    * 357 XIIIème Assemblée plénière du SCEAM. Source: Website: www. rc. net/africa/catholicafrica

    * 358 La Documentation Catholique 98 (2008), p. 351.

    * 359 La continence périodique, les méthodes de régulation naturelle des naissances fondées sur l'auto observation et le recours aux périodes infécondes sont conformes aux critères objectifs de la moralité. Ces méthodes respectent le corps des époux, encouragent la tendresse entre eux et favorisent l'éducation d'une liberté authentique. En revanche, est intrinsèquement mauvaise « toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation ». (CEC 2370) Cette position est reprise par le point 498 du catéchisme abrégé de l'Église catholique paru en 2005.

    * 360 Le pape Benoît XVI a effectué sa première visite en Afrique le 17 mars 2009.

    * 361 BENOIT XVI, Lumière du monde. Le pape, l'Eglise et les signes des temps. Un entretien avec Peter Seewald. Paris, Bayard, 2010.

    * 362 Ibid., p. 103.

    * 363 Ibidem.

    * 364 Ibidem.

    * 365 La Documentation Catholique n° 2087, (6 février 1994), p. 101.

    * 366 Cfr. M. RHONHEIMER, « La vérité sur le préservatif », dans The Tablet 10 juillet 2004, p. 90.

    * 367 Cfr. Ibidem.

    * 368 Cfr. Ibid., p. 95.

    * 369 Cfr. Ibidem.

    * 370 Cfr. Ibidem.

    * 371 Cfr. Ibid., p. 102.

    * 372 Cfr. Ibidem.

    * 373 G. MEDEVIELLE, « Pluralisme éthique et laïcité en théologie morale », dans Revue de l'Institut catholique de Paris, 91, 2004, p.71-93.

    * 374 J. M. AUBERT, Vivre en chrétien au XXe siècle. Tome I Op. cit., p. 225.

    * 375 R. COSTE, Théologie de la liberté religieuse. Paris Seuil, 1969, p. 78.

    * 376 G. MEDEVIELLE, « art. cit », p. 79.

    * 377 Ibidem.

    * 378 Cfr. Ibidem.

    * 379 Ceci est particulièrement évident dans les questions d'éthique biomédicale de fin de vie : c'est au nom du respect de la dignité humaine que les uns demandent des soins palliatifs et que les autres réclament l'euthanasie.

    * 380 G. MEDEVIELLE, « art. cit. », p. 82.

    * 381 Cfr. Ibid. p. 84.

    * 382 Cfr. Ibidem.

    * 383 Cfr. Ibidem.

    * 384 . M. AUBERT, Vivre en chrétien au XXe siècle. Tome I Op. cit., p. 98.

    * 385 G. MEDEVIELLE, « art. cit. », p. 90.






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