Kant et la problématique de la promotion de la paix. Le conflit entre l'utopie, la nécessité et la réalité de la paix durable( Télécharger le fichier original )par Fatié OUATTARA Université de Ouagadougou - Maitrise 2006 |
Chapitre II: L'intérêt du pacifisme kantien à l'aube du XXIès.
Aujourd'hui, le monde entier est convaincu de la valeur estimée de l'oeuvre kantien de paix perpétuelle eu égard à l'ampleur que prennent les crises internes, les guerres, qui appellent à la désunion des peuples à l'échelle mondiale. En effet, l'idée kantienne de "force unie" est une invite, après la promotion de la valeur humane et des principes du droit naturel, après la reconnaissance de la souveraineté des Etats, de leur indépendance à s'auto-gerer, à la création d'une institution internationale qui réunira tous les Etats du monde dans, le respect strict du droit des peuples et des citoyens. Il y a lieu de rappeler que Kant est le père fondateur de la SDN dont le prolongement aboutit à la création de l'ONU. Ce qui ressort chez Otfried HÖffe en ces termes: « À l'issue de la Première Guerre Mondiale, l'idée (de paix) de Kant a parrainé la fondation de la Société des Nations ; à l'issue de la Seconde, celle des Nations Unies112(*) ». Cela est déjà l'un des apports actuels du kantisme qui se fructifie toujours et encore en ce XXIè siècle. Tout cela se justifie quand, en Janvier 1992, le nouvel "ordre international", composé de Chefs d'Etats et de gouvernements, se réunit sur invitation du Conseil de Sécurité pour rédiger "l'Agenda pour la paix." Cet agenda se propose alors de synthétiser les différents bouleversements et tendances des temps, afin de frayer les voies de la pacification des sociétés, des relations entre les Etats. Il est inscrit dans l'agenda les notions de la diplomatie préventive des conflits, de la consolidation de la paix, du maintien de la paix et de son rétablissement à l'échelle nationale et internationale. Ainsi, la Charte de l'ONU, en ses articles constitutifs, entend préserver les générations présentes et futures du fléau de la guerre qui inflige incessamment à l'humanité d'indécisibles peines et souffrances. Ce qui suscite de notre part des questions quant aux moyens que l'ONU se donne, aux moyens qu'elle possède déjà, aux voies qu'elles suit et aux perspectives qu'elle s'offre à l'avenir, pour atteindre ses fins. En quoi consistent véritablement la place et le rôle de l'ONU dans la médiation de l'universel dans les relations internationales à la lumière de Kant ? Arrive-t-elle vraiment à assumer, sans entraves, la responsabilité qu'elle s'est assignée depuis sa création ? Peut-elle encore bénéficier de la crédibilité des citoyens du monde entier ? 1. L'ONU ou la médiation kantienne de l'universel.Dans son Manuel, R. Foignet insiste sur le problème de la guerre qu'il considère comme étant un ensemble d'actions de violence qu'un Etat exerce à l'encontre d'un autre Etat dans le but de le forcer à se rallier à sa volonté. Plus loin, il lance un appel aux Nations Unies à se surpasser, à prendre des mesures collectives, efficaces allant dans le sens des prescriptions de "l'Agenda de la paix" ; c'est-à-dire prévenir et écarter les menaces faites à la paix, réprimer l'agression et la rupture de la paix par des moyens pacifiques. L'ONU est alors appelée à jouer un rôle capital au sein de relations encore entachées de conflits de toutes sortes. Les missions d'observation et d'enquête, la médiation diplomatique (la négociation) et l'envoi des casques bleus, l'embargo économique et les sanctions politiques, sont autant de moyens et de méthodes qu'elle se donne pour atteindre ses fins. En effet, vu la multiplicité des buts à atteindre, l'ONU, à la lumière de Kant, croit avoir mis « en place un droit public des peuples permettant de trancher les différends de manière civile, pour ainsi dire par un procès, et non pas de manière barbare (...), c'est-à-dire par la guerre113(*)». C'est ce que nous avons appelé la "médiation de l'universel" dans les relations interétatiques ; chaque Etat comme chaque citoyen étant invité à agir publiquement et ensemble suivant le droit ou la législation universelle. Les regroupements des Etats en Union régionale, en Union Européenne ou en Union Africaine, traduisent l'inclination des Etats à minimiser leurs dissemblances, leurs différends pour avancer ensemble dans la paix. Qui parle alors de médiation de l'universel, parle du commandement de la raison pratique commandant aussi bien au sujet moral qu'aux Etats. En fait, chez le sujet moral kantien, la raison pratique veut que l'action individuelle puisse toujours valoir comme principe d'une législation universelle. Elle ne doit pas être une action imposante ou imposée, mais une action qui appelle à l'adhésion, puisque les clauses sont claires et raisonnables. Kant est parti des exigences morales formulées à propos du sujet moral pour vouloir les adapter aux Etats comme mécanismes de résolution de leurs conflits : « il s'agit à ce niveau de déduire de l'universalité comme condition de la moralité et de la moralité universelle comme condition de la paix perpétuelle et mondiale114(*)», fait ressortir Sahirou Tchida Moussa. Ce qui signifie que l'Etat, à l'image du citoyen, doit s'interroger sur la portée universellement morale de ses actions et principes de fonctionnement pour atteindre le règne des fins eu égard à la moralité de nos actions dans son rapport avec la législation. La morale et la politique trouvent, ici, nécessairement un champ de réconciliation Ainsi donc, le Philosophe trahirait sa vocation s'il se garde de rappeler l'exigence de la moralité dans la vie citoyenne durant laquelle les gouvernés et les gouvernants ont besoin d'un minimum de sens moral, de sens opératoire des vertus sociales. Un pragmatisme qui est une sorte de supplément absolument indispensable aux forces de cohésion sociale que représentent le désir de la paix et la crainte de la mort dans la guerre. Le désir de la paix, la peur de la mort, voilà qui justifient le besoin de la moralité comme chemin qui mène vers la réalisation pratique de la médiation de l'universel dans les rapports interétatiques. Pour y parvenir, Kant nous trace un "chemin directeur" consistant à commencer par le principe formel qui nécessite absolument la paix en sa qualité de principe du droit universel, pour finir par le principe matériel qui concerne le but à atteindre. De la nécessité, on en arrive au but, de l'espoir de la paix, on aboutit à la paix ; « c'est là qu'on dit : chercher premièrement le règne de la pure raison pratique et sa justice ; et votre but vous sera donné par-dessus115(*) ». Soulignons qu'ici, l'impératif catégorique ne s'oppose pas forcement à celui hypothétique ou pragmatique au sujet de la paix, car pour réaliser impérativement le projet de paix mondiale, cela nécessite de notre part des moyens à la fois théoriques et pratiques: nous devons d'abord savoir ce que nous y gagnerons et à quels frais, pour pouvoir nous engager véritablement dans le combat qui ne sera plus aveugle comme par pur idéalisme kantien. Il ne sera plus uniquement question d'une paix pour la paix, mais de la paix pour atteindre des objectifs, pour réaliser quelque chose de supérieur: l'homme et le monde, l'Etat et la société. En outre, il s'avère indiscutable que la médiation de l'universel au niveau des Etats ne se fera pas typiquement par des décisions politiques qui, à elles seules, ne peuvent pas résoudre le problème de la sécurité des citoyens, de la stabilité ou de la sûreté des Etats. Il faut que cela se fasse intérieurement avec l'assentiment du peuple, et extérieurement avec l'accord de toute la communauté internationale. Comme le souligne le Pr Mahamadé Savadogo, « une décision politique est juste quand elle recueille l'assentiment de la majorité des citoyens. Pour être telle, il conviendrait non seulement qu'elle soit prise en concertation avec eux-mêmes mais surtout qu'elle s'interdisse de privilégier telle catégorie de citoyens par rapport à telle autre, qu'elle évite, en d'autres termes, de susciter une division du corps politique116(*) ». Ce qui signifie que la décision politique, surtout celle qui concerne la paix, ne doit en aucun cas léser une partie au profit d'une autre. Elle ne doit venir des forts pour s'imposer, bon gré mal gré, aux faibles. Elle doit être une décision socio-politique unanime, acceptable par la majorité. Mais, que dire donc d'une décision politique venant de l'ONU comme solution à une difficulté quelconque ? Quel est à cet effet le bilan actuel des actions menées par l'Organisation à l'échelle internationale en matière de promotion de la paix? L'ONU n'est-elle pas en perte de vitesse ? Serait-elle de ce fait appelée à disparaître ? En vérité, l'ONU reste incontestablement aujourd'hui la preuve d'une organisation qui lutte pour la paix, le respect et le rétablissement des droits humains. Son agenda est un combat pour la paix et la stabilité politique. Elle mérite cet éloge quand on sait qu'elle arrive souvent, malgré un esprit partisan, à établir une paix dite "d'hégémonie" au sortir d'une guerre qui aurait opposé un Etat faible à un Etat gendarme du monde, qui possède le droit de veto : « Les institutions internationales sont littéralement contrôlées par les grands Etats, qui décident même de leurs règles de fonctionnement. L'ambition des Etats s'installe ainsi comme le principal obstacle à la réconciliation de l'humanité avec elle-même, à l'abolition des divergences qui opposent les hommes entre eux », fait remarquer Mahamadé Savadogo (2001,155). En s'octroyant inégalement des droits et devoirs au détriment des Etats faibles, les grands Etats maintiennent ainsi le rapport de force, de domination ou d'annexion entre eux et les autres. L'ONU serait devenue aussi le lieu d'entrechoquement des droits de veto, le lieu où se prononcent des discours fleuves, des discours propagandistes, au sujet du désarmement et de l'armement. C'est le lieu de dénoncer la mauvaise politique "onusienne" instrumentalisée et sommant les faibles à se soumettre aux décisions des forts: le droit international ainsi que le système des Nations Unies sont largement instrumentalisés par les Etats-Unis. Ils seraient en léthargie, supplantés par d'autres modes de régulation des conflits non juridiques. Toutes choses qui nous indiquent que la légitimité de la soi disante "Communauté pacifique internationale où il fait bon vivre" est remise en question puisqu'elle est devenue le lieu où « l'imperium l'emporte sur le négocium, et la gabegie des procédures fait le reste. Faut-il y voir le "fameux machin" de De Gaulle, la bonne conscience du monde ou le tapis des bras de fer entre les grands ? Toujours est-il que l'ONU symbolise bien les vicissitudes et les limites de la négociation : les protagonistes font de la négociation ce qu'ils veulent en y projetant toutes les incantations perverses de leur conception du pouvoir 117(*) ». De son côté, le Journaliste burkinabé, Newton Ahmed Barry, faisant le bilan de l'an 2000, accorde une place de choix aux critiques de l'ONU en ces mots : « L'ONU, que l'on avait cru un instant rétablie dans ses droits, termine l'année de la plus lamentable des façons. Son dynamique Secrétaire Général, méritoirement distingué Nobel de la paix, a eu un haut le coeur en recevant son prix, puisqu'au même moment, les bombes américaines pleuvaient sur l'Afghanistan et Ariel Sharon, l'homme de Shabbra et Chatila, amplifiait son show-criminel sur les enfants palestiniens118(*) ». Par contre, ce paradoxe, cette ambiguïté, cette impuissance des acteurs de la paix de l'ONU vis-à-vis des seigneurs de guerre signifient-t-ils que l'ONU est inutile ? " Un tiers vaut mieux que deux tu l'auras", dit-on souvent pour s'encourager dans les choix. Il est clair que les Nations Unies n'arrivent pas toujours à atteindre leurs buts, que certaines décisions ou résolutions du Conseil de Sécurité sont de même restées lettres mortes, mais il serait impensable de vouloir la disparition totale de l'organisation. Car « la Charte des Nations Unies, avec toutes ses faiblesses et ses lacunes, a donné naissance à une organisation sans laquelle nous pourrions difficilement vivre dans un univers comme le nôtre119(*) ». En d'autres termes, l'ONU demeure aujourd'hui plus importante et plus visible en raison de la diversité et de la multiplicité de ses actions et missions en faveur de la paix. L'ONU aura permis, dans certaines conditions, de sauver l'humanité de l'anéantissement atomique. Les critiques dont elle est victime n'indiquent que le fait qu'il fallait, qu'il faut encore, reformer l'institution internationale afin qu'elle soit plus représentative, plus efficace, plus puissante, plus démocratique, voire mieux adaptée aux problèmes du temps. Si l'organisation n'avait pas existé, il aurait fallu nécessairement la créer en dépit du fait qu'elle soit encore imparfaite. Enfin, l'ONU a de beaux jours devant elle si toutefois elle s'implique réellement, également, à travers des reformes, dans la promotion des valeurs économiques, sociales et culturelles mondiales dont le respect et la consolidation constituent de réels facteurs de paix ou d'épanouissement des peuples. * 112 Kant, Projet de paix perpétuelle, trad. J.J. Barrère et C. Roche, Paris, Nathan, Les intégrales de Philo, 1991, p.86 * 113Kant, Métaphysique des moeurs, Doctrine du droit,, p.178 * 114 Mémoire de Maîtrise de Philosophie : "Morale et politique chez Kant : Le Républicanisme comme fondement de la responsabilité morale ou politique", Université de Ouagadougou, sep 1998, p.73 * 115 Kant, OEuvres Philosophiques, p.373 * 116 "Kant et la politique", Kant-Studien 90. Jahrg, pp.306-321. L'article peut être lu dans son oeuvre La Parole et la Cité, L'Harmattan 2003, pp.187-215 * 117 Lionel Bellenger, p.108 * 118 Newton Ahmed Barry, "L'Evénement", n°07-08, décembre 2001- janvier 2002, p.03 * 119 La Charte des Nations Unies, p.37 |
|