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Kant et la problématique de la promotion de la paix. Le conflit entre l'utopie, la nécessité et la réalité de la paix durable

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par Fatié OUATTARA
Université de Ouagadougou - Maitrise 2006
  

Disponible en mode multipage

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BURKINA FASO

Unité- Progrès- Justice

Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur,

et de la Recherche Scientifique

Université de Ouagadougou

Unité de Formation et de Recherche en Sciences Humaines (UFR/SH)

Département de Philosophie / Psychologie

Section: Philosophie

Option: Morale et Politique

Thème :

KANT ET LA PROBLÉMATIQUE DE LA PROMOTION DE LA PAIX

Le conflit entre l'utopie, la nécessité et la réalité de la paix durable

Présenté par, Sous la direction de,

Fatié OUATTARA Mahamadé SAVADOGO

Professeur titulaire

Année académique : 2005/2006

« La paix n'est possible entre les hommes que dans la mesure où, il y a des hommes de paix, des artisans de paix. La paix n'est pas donnée comme par enchantement. Elle se construit, non pas en se contentant de dire "faisons la paix", mais en vivant ensemble des actions communes qui permettent aux personnes de trouver une harmonie.» 

Père Joseph Wresinski, 1982.

TABLE DES MATIERES

TABLE DES MATIERES III

REMERCIEMENTS V

DÉDICACE VI

PREMIERE PARTIE: LES CONCEPTS DE GUERRE ET DE PAIX CHEZ KANT 10

CHAPITRE I : KANT OU LA GUERRE EN PROCÈS. 11

1. La guerre : phénomène naturel et /ou culturel ? 12

2. Des théories de guerre à la théorie de l'"insociable 16

sociabilité" de Kant. 16

3. La guerre est irrationnelle, déraisonnable et immorale. 22

CHAPITRE II : DE L'IDÉE DE PAIX ET DE SA VALORISATION CHEZ 27

1. L'histoire de l'idée de paix. 28

2. De la nécessité de la paix à la désillusion des coeurs. 32

3. Les fondements politico-juridiques de la paix chez Kant 35

DEUXIÈME PARTIE : DES OBSTACLES À LA PAIX À LA PROGRESSION DE L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT. 40

CHAPITRE I : DES OBSTACLES À LA PAIX CHEZ KANT. 41

1. De l'anti-démocratisme à la crise sociale. 41

2. L'hégémonisme politique et économique. 50

3. Du droit de révolte des peuples dans l'histoire. 56

CHAPITRE II : DE LA PROGRESSION DE L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT. 61

1. Les conceptions kantiennes du progrès vers la paix. 62

2. Le sens kantien du progrès vers la paix. 65

3. De l'éthicité de l'action politique en faveur de la paix. 68

TROISIÈME PARTIE : DES CONDITIONS DE LA PAIX À L'INTÉRÊT DU PACIFISME KANTIEN À L'AUBE DU XXIÈ SIÈCLE. 73

CHAPITRE I : LES CONDITIONS DE LA PAIX CHEZ KANT. 74

1. Les conditions négatives de la paix. 75

2. Les conditions positives de la paix. 79

3. La négociation de la paix. 84

CHAPITRE II: L'INTÉRÊT DU PACIFISME KANTIEN À L'AUBE DU XXIÈS. 92

1. L'ONU ou la médiation kantienne de l'universel. 93

2.Vers la promotion des valeurs économiques, sociales et 97

culturelles mondiales. 97

3. De la nécessité d'une éducation à la paix. 100

CONCLUSION GÉNÉRALE : LES EXIGENCES DE LA LEÇON KANTIENNE, POUR LA PAIX DURABLE. 106

Remerciements

Au terme de notre analyse qui se veut une modeste contribution à la réflexion sur l'avenir de paix, ou encore sur l'avenir de l'humanité, nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à l'endroit de tous ceux qui nous ont soutenus tout au long de notre parcours académique jusqu `aujourd'hui.

Nos remerciements vont particulièrement, et en premier lieu, à l'endroit de Mr Mahamadé Savadogo qui, en dépit de ses multiples occupations, a bien voulu assurer la direction de nos travaux. Sa constante disponibilité, sa clairvoyance, son esprit critique , ainsi que sa franchise et sa rigueur au travail, nous ont été aussi précieux que nous lui en savons gré, et voudrions que cette réflexion lui suffisse " Intelligenti pauca ", c'est-à-dire aux intelligents peu de mots suffisent : il a su cultiver en nous le goût pour la philosophie.

Notre reconnaissance va également à l'endroit des parents, frères, soeurs, amis et connaissances qui, à un moment où à un autre, ont contribué, d'une manière ou d'une autre, à la réalisation dudit mémoire. Nous pensons à :

- Chishugi Appolinaire, Missionnaire d'Afrique à la maison Lavigerie,

- Coulibaly Ber-Zan Etienne, Professeur à l'ENAM,

- Coulibaly N'gra-Zan Christophe, Consultant,

- Coulibaly Séguena Robert, Gendarme à la retraite.

Nous ne saurons, non plus, oublier de remercier le corps enseignant qui nous a transmis les connaissances nécessaires pour que nous soyons là où nous sommes aujourd'hui.

À tous ceux dont les noms n'ont pu être cités, qu'ils retrouvent ici l'expression de notre profonde gratitude.

Dédicace

A

Mon père, Ouattara NioWaZié Fougniguein dit Zoumana,

Ma mère, Ouattara Sétiengnon,

Ma grande soeur, Ouattara Fiêrêlaga Saly,

Tous ceux qui sont au service de la paix et de l'humanité ;

Affectueusement ! 

Introduction Générale : Justification du thème et re-position du problème kantien de la paix.

À en juger au premier coup d'oeil, notre thème "Kant et la problématique de la promotion de la paix. Le conflit entre l'utopie, la nécessité, et la réalité de la paix durable ", nous inviterait à analyser d'une manière particulière l'attitude ou les réactions de l'auteur du Projet de paix perpétuelle face au phénomène de la guerre, face aux difficultés de promouvoir la paix ; c'est-à-dire que notre sujet nous amènerait ainsi à dégager spécifiquement les thèses ou positions, voire les propositions de Kant, dans le contexte de la promotion de la paix dans le monde.

Une telle approche du problème est loin d'être vaine et illégitime, elle se justifie, elle est acceptable. Mais, nous avons pour notre part, jugé bon, également, de nous reconduire principalement au projet kantien de la paix perpétuelle, à ses écrits, afin de pouvoir dégager son intérêt pour la question et, en faisant aussi appel à bien d'autres auteurs, organiser un débat en partant de points de vue divers, peut-être contradictoires, pour mieux fonder la problématique. Vous comprendrez que la préoccupation qui nous motive ici est loin d'être celle d'un spécialiste en la matière, ni celle d'un diplomate appréhendant la problématique de la paix ; elle n'est pas non plus celle d'un philosophe confirmé, mais plutôt celle d'un étudiant en quête de marque philosophique, en suivant Emmanuel Kant.

S'il est vrai que les vrais hommes de l'histoire sont ceux qui ont une connaissance, plus ou moins, parfaite du passé, un intérêt réel pour le présent, des projets ou des soucis majeurs pour l'avenir, il faut dire qu'une relecture de Kant, qu'une connaissance de sa position quant au défi et à l'enjeu de la paix, ne peut que nous guider vers l'acceptation, le refus, de thèses ou théories formulées au sujet de la problématique de la paix, et qui auraient le mérite ou pas d'être rationnelles, morales, juridiques.

En effet, dans un monde embarrassé par la guerre et par son cortège de malheurs, dans un monde hésitant encore à la croisée des chemins de la passion et de la raison, du profit et de l'humanité, la vocation du philosophe en général et du kantien en particulier, est d'expliquer au monde, ce qui lui arrive, d'éclairer et de guider le citoyen de ce monde vers la réalisation de l'idéal de vie conforme aux prescriptions morales, à la raison et à la loi juridique : l'idéal de la paix perpétuelle, durable, réaliste ou effective. C'est ici que se pose le vrai problème du conflit qui existerait entre le mythe et la réalité de la paix durable, c'est-à-dire entre l'utopie, la nécessité et la réalité de la paix durable. Autrement dit, une vision chimérique ou utopique du problème de la paix doit-elle et peut-elle nous décourager à poursuivre le combat pour la paix ? Si " la fin justifie les moyens ", la paix n'est-elle pas la fin de toutes les autres fins ? N'a-t-elle pas besoin de plus de gros moyens, à la fois humains, spirituels, moraux et intellectuels, que ceux que nous avons vus jusqu'à présent ? Tenter de trouver des esquisses de réponses satisfaisantes à ces interrogations suscitées, revient, comme le veut Kant, à prophétiser sur la possibilité d'établir une paix perpétuelle sur la terre.

Au seuil du troisième millénaire, le projet entrepris par le philosophe prussien du XVIII è siècle est à faire comprendre davantage aux hommes : les menaces de guerre que nous rencontrons un peu partout dans le monde, font qu'en ce millénaire, la paix demeure un défi et un enjeu qui doit s'imposer à tous les peuples de la planète, particulièrement à ceux des pays en voie de développement. C'est pourquoi, après que les Nations Unies aient institué l'an 2000,"Année internationale de la culture de la paix", il devient encore plus nécessaire et impérieux de réfléchir aux causes des conflits, internes pour la plupart, aux conditions de maintien, de préservation ou de restauration de la paix dans le monde.

Pour ce faire, n'oublions pas de rappeler que, de toute l'histoire de l'humanité, le XX è siècle aura été, malheureusement, le témoin de plus de destructions massives et d'horreurs inimaginables que les autres siècles. Il restera gravé dans les mémoires comme le siècle par excellence des idéologies haineuses, de techniques nouvelles, sophistiquées, pour perpétrer la terreur, la violence meurtrière.

Compte ténu du fait que la violence est omniprésente dans la vie des hommes, et qu'elle nous engage tous à des degrés divers, il devient presque certain que, si nous ne prenons pas garde, les générations futures risquent d'être plus violentes que les précédentes, et les victimes plus que leurs bourreaux : « Une génération éduque l'autre, écrit Kant. Il est loisible à ce propos de chercher l'origine première dans un état de barbarie ou, tout aussi bien, dans un état de perfection et d'accomplissement 1(*)».

Alors, après avoir pris connaissance des écrits kantiens sur tout ce qui rend possible la paix, il nous appartient donc de transformer l'appel kantien en un appel pressant de paix, de reconsidérer l'histoire des peuples, d'y proposer une voie réaliste et objective, c'est-à-dire en incitant, de la plus belle façon, les peuples à la réalisation de ce qu'ils ont longtemps cru impossible. Notre objectif est que nous devons et voulons faire savoir, à l'humanité, que l'homme actuel est capable, du point de vue de sa liberté d'invention, de découverte et de créativité, de se frayer la voie sûre qui mène à la paix.

La présente réflexion se propose de montrer comment en nous inspirant de la leçon kantienne, la paix durable peut-elle venir à être possible par delà la ténacité et la permanence des guerres, des conflits de toutes sortes. En d'autres termes, dans quelle mesure, la démarche kantienne peut-elle nous instruire de la pertinence de la problématique de la paix mondiale ? Dans quelle mesure, l'utopie ou l'illusion d'une paix durable peut-elle faire place à une véritable nécessité, espérance, voire à une réalité de la paix pour tous. Trois moments nous serviront d'axes de réflexion sur le problème collectif de la paix en ce millénaire.

Dès l'abord, l'examen des concepts de "guerre" et de "paix" va nous conduire à la condamnation de l'état de guerre au profit de la nécessité et de la valorisation de la paix, comme exigence et besoin de la raison. Ensuite, après avoir recensé quelques obstacles à la paix ou sources de conflits, nous montrerons que l'humanité progresse, lentement et sûrement, vers la paix. Enfin, en partant des conditions de possibilité de la coexistence pacifique des citoyens et des peuples, ou encore des conditions suivant lesquelles nous pouvons empêcher ou arrêter les guerres afin de constituer, de construire un temple de paix, nous verrons si les écrits kantiens en faveur de la paix sont et seront d'un intérêt inégalable, pour nous, à l'aube du XXI è siècle. L'homme moderne est-il ou sera-t-il plus disposé à faire la paix avec ses frères, ou est-il plus pacifique que l'ont été ses prédécesseurs ? La quantité de bien en l'homme a-t-elle augmenté au XXI è siècle, promet-elle de l'être dans le temps et l'espace ? C'est ce que le verdict du procès de la guerre essayera de nous confirmer.

PREMIÈRE PARTIE :
LES CONCEPTS DE GUERRE ET DE PAIX CHEZ KANT

CHAPITRE I : KANT OU LA GUERRE EN PROCÈS.

La paix et la guerre, voilà le problème essentiel des relations humaines qui fait et qui fera toujours l'objet de réflexions et de débats tant philosophiques, moraux que politiques. Car, «  malgré toutes les tentatives de mise en place d'organismes juridico-institutionnels, malgré les conférences de paix, les efforts de conciliation multipliés par les Nations Unies, les résolutions du Conseil de Sécurité, les conventions, les promesses, voire les ultimatums et les menaces..., la paix n'a jamais été, et risque fort de n'être jamais une paix durable2(*)».

C'est à partir de cette juste remarque de Simone Goyard-Fabre que nous allons examiner les concepts de "guerre" et de "paix" dans la philosophie morale et politique de Kant, c'est-à-dire déterminer ce qui fait qu'il est toujours difficile de promouvoir la paix, de réaliser une paix durable. En tout état de cause, l'on sait que l'espèce humaine aspire toujours à la paix, elle la désire comme allant de soi et pour soi : des expressions du genre" nous voulons la paix", "  faisons la paix", "que la paix et l'amour de Dieu soient avec vous", sont autant de convictions qui prouveraient que tout homme, toute société, et donc toute l'humanité aspire à la paix. Apparemment, personne ne veut accepter qu'on le qualifie de belliqueux ou de belliciste, ce qui serait pour lui une atteinte à son intégrité, à sa dignité. Cependant, au cours de l'histoire, des théories ont été formulées et proclamées pour justifier la guerre dans la Cité, entre les Etats, comme si elle était légitimable, c'est-à-dire acceptable ou bien "normalisable" dans les relations citoyennes et interétatiques. La guerre peut-elle être nécessaire ?

Pour les théoriciens de la guerre, celle-ci jouerait un rôle sans précédent dans la vie communautaire comme un facteur d'organisation, de progrès ou d'épanouissement de ceux-là mêmes qu'elle incrimine. Comment comprendre une telle position généralisable au moment où l'on crie à la paix mondiale ? L'homme a-t-il en lui un penchant naturel qui l'empêche de faire la paix avec les siens, de coexister pacifiquement avec eux ? De la même manière, certains Etats sont-ils de nature telle qu'il leur est impossible de coopérer en paix, de tisser des relations harmonieuses et enviables avec d'autres Etats ? En un mot, la violence extrême, la guerre, est-elle un phénomène naturel, culturel, ou bien est-elle les deux à la fois ?

1. La guerre : phénomène naturel et /ou culturel ?

Tenter de répondre à cette embarrassante question revient à nous demander si nous sommes, oui ou non, condamnés naturellement et /ou culturellement à la violence, à l'agressivité sous toutes ses formes, même aux formes les plus aigues comme la guerre.

En effet, nous pouvons tirer de l'histoire des pensées une idée qui stipulent que l'homme est naturellement violent et agressif, qu'il possède en lui des instincts d'agressivité plus que latents qui le poussent, consciemment ou inconsciemment, à la violence. Ce qui ne va pas sans dire que l'homme naît avec une prédisposition naturelle à la violence et au meurtre, un ensemble de germes inscrits génétiquement dans sa nature.

C'est ainsi que, pour les partisans d'une certaine vision de l'évolution historique, l'homme est le descendant d'animaux sauvages qui vivent et qui manifestent, à en abuser, leur liberté. De ceux-ci, nous aurions hérité de leur nature agressive et violente incontrôlable de toujours. En adhérant à ces théories, nous sommes et nous serions tous condamnés à être des prisonniers d'un engrenage sans fin de la violence. C'est ce que l'on pourrait lire chez Hobbes qui, dans le Léviathan, soutient que l'état de nature, de non civilisation, est un état de haute compétition, c'est-à-dire de guerre, en atteste l'expression " bellum omnes bello" ou encore "la guerre de tous contre tous." C'est donc un état où l'homme serait un laissé pour compte. L'homme, dans cette état, vivrait dans l'ignorance de toute idée de loi et de paix pour être exclusivement un être dangereux, "un loup pour l'homme". Petit à petit, la socialisation va l'instruire afin qu'il intègre dans sa nature une part de bonté, de bien, puisqu'il semble difficile que le bien l'emporte sur le mal.

À cet effet, les termes de" homo pacificus" et de" homo maleficus" d'un auteur comme Léonard W. Doob3(*) désignent la personnalité dualiste de l'homme qui, tantôt préfère le bien, la paix à la guerre, tantôt privilégie le mal, la guerre au bien, à la paix. Ce qui signifie que l'homme est en mesure de faire à la fois la paix et la guerre. C'est cela le paradoxe de ses aspirations à la paix, le comble de son caractère ambigu. Cette vision dualiste de l'homme se retrouve également peinte chez Freud pour qui, " éros" la pulsion de vie cherche à préserver la vie (par la promotion de la paix, sa sauvegarde), alors que "thanatos "qui est la pulsion de mort perpétue l'agressivité, la violence ou la guerre. C'est ce qui, nous semble-t-il, est ainsi mis en évidence par Freud : « notre inconscient tue même pour des détails ; comme l'ancienne législation athénienne de Dracon, il ne connaît pas d'autres châtiments pour les crimes que la mort (...). C'est ainsi qu'à en juger par nos désirs et nos souhaits inconscients, nous ne sommes nous-mêmes qu'une bande d'assassins 4(*) ».

Cette pensée désigne bien le fait que la mort est pour les hommes (la peine capitale, la loi du talion par exemple) un recours pour châtier et punir , un moyen de répression et de correction qui consacre l'inclination de l'homme à la violence, suivant les situations en rapport avec la gravité de la faute commise. Toutes choses qui montrent en quoi l'homme est naturellement mauvais ; comme nous pouvons le constater chez Kant dans La Religion dans les limites de la simple raison où il détecte en l'homme l'existence du penchant au mal : « la proposition : l'homme est mauvais, ne peut vouloir dire autre chose, d'après ce qui précède que : il a conscience de la loi morale et il a cependant admis, dans sa maxime, de s'en écarter (à l'occasion). Il est mauvais par nature signifie que cela s'applique à lui considéré dans son espèce5(*)».

Il y a en l'homme une sorte de mauvaise foi qui fait qu'il voit le bien et choisit de faire le mal pour satisfaire son égoïsme. Du fait que la nature humaine est ainsi corrompue par le mal, la guerre ne peut que persister dans le temps et l'espace de sorte qu'on ne peut facilement l'éviter ou la contraindre par quelque moyen que ce soit. Ce qui fait qu'il semble même utopique de parler d'une possibilité de paix durable. Par ailleurs, l'image actuelle de la guerre au quotidien nous amène à nous demander si toutefois, il n'y a pas d'autres mobiles ou motifs qui expliquent la situation. Dit autrement, la violence ne va-t-elle pas au-delà de l'innéisme naturel ? Ou bien, l'homme n'apprend-t-il pas à mieux être violent, à mieux perfectionner ses moyens de destruction massive ? La guerre n'est-elle pas un fait culturel ?

En effet, le Manifeste de Séville sur la violence, qui est issu du Comité de scientifiques mandatés par l'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la science et la culture (UNESCO), fait savoir dans son rapport qu' « il est scientifiquement incorrect que nous ayons hérité de nos ancêtres les animaux une propension à faire la guerre6(*) ». Le fait que la guerre ait rapidement changé de manière au cours de l'histoire, en répondant à des calculs stratégiques froids, prouve bien qu'elle est un produit de la culture, c'est-à-dire un produit de l'intelligence humaine. Elle n'est pas un phénomène purement instinctif ou une nécessité biologique, mais une invention de l'homme qui ne répond pas à un seul mobile. L'on s'aperçoit que la violence peut ne pas avoir un fondement purement génétique ; elle peut ne pas qu'être innée, puisque la culture y joue un grand rôle : l'éducation, le cadre socio-culturel et politique, le milieu professionnel, les groupes racistes et les sectes, la presse et les médias, la drogue et l'accès facile aux armes destructives, sont autant de mobiles qui expliquent la récurrence de la violence. À ceux-ci s'ajoutent l'intérêt, la protection des biens privés, le désir de tuer que justifient les meurtres insensés alors même que le criminel ne serait pas dépourvu d'esprit critique.

Chez Kant, la propension de l'homme à faire, à la fois, la guerre et la paix s'explique par le fait que l'homme a en lui un "penchant au mal " et une  " disposition originelle au bien"  qui fait qu'il peut réveiller parfois sa conscience, sa raison, longtemps restée en veilleuse. Ce qui fait qu'il n'est pas forcement utopique de la part de l'homme qu'il veuille acquérir le bien par delà le mal. Le mal naîtra du conflit de la sensibilité et de la raison au moment où la loi morale et la raison sont subordonnées aux seuls motifs de la sensibilité que l'on ne pourrait surmonter sans une force de caractère, une maîtrise de soi, et de la volonté. La question de savoir si l'homme est naturellement, moralement, bon ou mauvais, trouve ici une réponse satisfaisante. L'on pourrait même ajouter avec Rousseau que  l'homme naît bon et humble, juste et libre, et que c'est la culture ou la société qui le rend mauvais ou bien le corrompt à faire plus de mal que de bien. Le "penchant au mal", l'instinct guerrier, qui définit le bellicisme, est ainsi opposé au pacifisme ou "penchant au bien ", à la paix. C'est la raison pour laquelle, naturellement, l'on a tendance à rapprocher le bellicisme de la culture, puis à rapprocher la paix ou le pacifisme à la nature, aux instincts, aux passions. C'est pourquoi, des psychologues et des psychanalystes à l'image d'Adler, considèrent que la violence ou l'agressivité est un acquis de la société, c'est-à-dire un phénomène de compensation du complexe d'infériorité lié aux circonstances de la vie des citoyens. Chez les théoriciens modernes de l'agressivité, la guerre est plutôt liée au sentiment de frustration qui rend évidente l'agressivité à travers la révolte des populations.

Otto Klineberg, répondant à la question de Zorgbibe: « peut-on adhérer à une théorie dualiste de l'agressivité, un même potentiel de pulsions pouvant conduire à la guerre mais aussi simplement au combat, à une compétition soumise à des règles physiques ou spirituelles ?7(*) », soutient que la guerre ne trouve pas ses origines dans la nature humaine mais dans la société, qu'elle est par conséquent un phénomène culturel inévitable. Ainsi, ces racines psychologiques et sociologiques de la guerre nous renseignent que ni l'agressivité ni la violence n'est inscrite dans le caractère d'un homme dès sa naissance ; elles s'acquièrent avec le temps, c'est-à-dire au fil des évènements qui conditionnent la vie sur Terre.

Dans cette optique, nous avons recensés et regroupés les formes de violence en trois types pour mieux appréhender l'impact de la culture violente sur la vie de l'homme. Nous avons dégager, la violence physique (viol, meurtre, guerre, guérilla, terrorisme), la violence mentale (autoritarisme, intolérance, terreur intellectuelle) et la violence sociale et économique (la lutte des classes, l'exploitation et l'oppression). La violence apparaît être un fait culturel en cela qu'elle est utilisée par certaines personnes comme la seule force capable de régler les problèmes sociaux. L'idéologie, l'intégrisme religieux, le supra-nationalisme, le racisme et le terrorisme sont des facteurs idéologiques et culturels des guerres, tous se démontrant plus ou moins par l'impuissance, la peur, le mépris, la haine, le complexe et bien d'autres éléments.

En clair, la violence, l'agressivité ou la guerre, n'est inscrite ni dans la nature des choses ni dans la nature humaine. Pis, la guerre n'existe pas dans la vie entre des espèces animales, dit Konrad Lorenz: « Le profane se laisse facilement tromper par la presse et le film, tous d'eux avides de sensation. Il s'imagine la vie des bêtes féroces dans "l'enfer vert" de la jungle comme une lutte sanglante de chacun contre tous...je peux affirmer à bon escient que pareille chose n'arrive jamais dans des conditions naturelles. Quel intérêt aurait l'un de ces animaux à détruire l'autre ?8(*)»

Pour l'auteur, la loi de la jungle, ou ce qu'on pourrait appeler "guerre entre les animaux", n'est autre que le combat individuel pour la défense de son territoire et de la possession des femelles, et rarement la mort intervient ; il suffit que le faible crie défaite, ou batte en retraite pour que le vainqueur l'épargne ; ce qui n'existe apparemment pas chez les hommes. On peut donc conclure en disant que la guerre n'est pas une loi de la nature qui ne veut jamais qu'on porte atteinte à ses lois, mais une loi de la culture. La guerre ne se justifie pas du point de vue de la destination naturelle de l'homme. Même si la guerre est, le plus souvent, issue de la mauvaise organisation des sociétés, cela voudrait-il signifier que cette erreur fatale doit toujours se justifier par des théories conçues expressément pour la cause? De telles théories sont-elles de nature à pouvoir désacraliser l'indissociabilité de l'homme par essence ?

2. Des théories de guerre à la théorie de l'"insociable

sociabilité" de Kant.

Légitimer la guerre, la justifier à travers des théories, apparaît aujourd'hui aux yeux du moraliste comme une entreprise fortuite, insensée et donc, pas d'un apport fructueux pour le développement du genre humain. Par contre, de telles théories n'ont cessé de se multiplier dans le temps et l'espace. La question, pour les théoriciens, n'est plus de savoir si la guerre est à rejeter, si elle est utile ou indispensable, nécessaire ou pas. En tout cas, elle l'est en fait dans les théories. Les esprits avisés, les plus modérés préfèrent soutenir avec réserve l'idée que la guerre est un "mal nécessaire". Mais pourquoi et pour qui ?

C'est dans l'Antiquité romaine que les premières distinctions des guerres, et la première justification de celles-ci, ont été trouvées. Il y a d'un côté, les guerres justes et les guerres défensives, et de l'autre, les guerres injustes et les guerres agressives. Ainsi donc, « la guerre qui est nécessaire est juste et bénis soient les armes là où il n'est plus de recours que par elles9(*) ». L'idée d'honneur, servant souvent à justifier l'utilité de la guerre, est évoquée par Hannah Arendt pour qui, «la guerre sociale, en faisant appel à l'honneur si naturellement dans toute armée organisée, peut éliminer les mauvais sentiments contre lesquels la morale serait demeurée impuissante. Quand il n'y aura que cette raison...cette raison me paraîtrait bien décisive en faveur des apologistes de la violence10(*)».

Par là, l'on comprend le comportement des grands hommes de l'histoire tels Alexandre le Grand et César qui endurcissaient leur corps contre les fatigues, qui fortifiaient leur âme contre les dangers, qui combattaient aux premiers rangs et qui ne quittaient leur empire qu'avec la vie, car ils préféraient "vivre et mourir avec honneur"11(*).

Cette autorisation et cette justification de la guerre a été à l'origine de la "guerre des idées" qui opposa les théoriciens du droit naturel et les positivistes au lendemain de la formation des Etats modernes et souverains, en posant déjà le problème des limites de l'Etat par rapport au droit naturel. Les premiers, à l'image du Hollandais Grotius, professent l'idée du "Droit de la guerre et de la paix" tout en distinguant le droit naturel du droit volontaire des gens qui, s'exprimant dans les accords et les traités, ne s'oppose aucunement au premier droit. Les seconds affirment que les Etats sont souverains et égaux, et que seuls, ils doivent apprécier ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire dans les relations internationales, par exemple, décider de faire la guerre ou pas. Avec eux, la guerre devient ainsi permise dans les rapports entre les Etats. Une différence apparaît avec les Athéniens chez qui la guerre n'était ni dans l'agenda de la politique étrangère ni dans la gestion de la Cité-Etat. Chez eux, le mode de vie était fondé sur la force de la parole dialoguée, la force poético-mythique du langage, c'est-à-dire sur la persuasion que sur la violence. Mais aujourd'hui, des affirmations du genre "la patrie ou la mort nous vaincrons !","la liberté ou la mort !","plutôt mort que rouge !" et "plutôt rouge que mort !", introduisent la liberté dans le débat concernant la guerre. Au nom de la liberté, il est dorénavant permis de faire la guerre pour réaliser un idéal ou bien atteindre un but noble.

Ce faisant, la guerre n'est plus une fatalité puisque la paix semble possible après d'impitoyables actes, d'effroyables images véhiculées par la presse et les médias. Tout se passe comme si la paix et la sécurité étaient possibles comme nécessité de par la force brute. Que dire alors de la violence telle qu'elle est utilisée par les appareils répressifs de l'Etat ?

Cette violence est utilisée pour protéger les acquis, les personnes, les biens et les services de la nation contre tout contrevenant ; pour empêcher que les psychopathes et les sociopathes ne mettent en péril l'unité, la liberté et la vie des citoyens. C'est en ce sens qu'on a bien pu dire que l'Etat a le monopole de la violence légitime. Chaque Etat est cependant appelé à prendre le "bon exemple" chez les autres dans le fonctionnement des institutions étatiques et dans la régulation des comportements du citoyen. C'est pourquoi, on dit que le rôle de l'Etat est de faire en sorte que la loi soit respectée au même titre que la paix civile et l'ordre social, c'est-à-dire en assurant la vie des institutions qui est aussi la sûreté de l'Etat. Pour ce faire, l'existence d'une armée de protection de biens et des personnes est salutaire : une façon de se mettre à l'abri des menaces des voisins animés d'une volonté d'occupation ou de colonisation. Dans des situations pareilles, on parle de "paix juste" qu'on se serait faite pour avoir libéré tel peuple d'un joug quelconque : les guerres de décolonisation par exemple. C'est à ce propos que Léopold Sédar Senghor disait que "la colonisation est un mal nécessaire"12(*), qu'elle a apporté la civilisation, la lumière aux "sauvages", l'école et la religion, alors qu'elle ne s'est pas faite sans verser du sang humain. Pour parler le langage de la théodicée, la colonisation serait une heureuse faute qui nous a valu pareil rédempteur13(*). Ce qui voudrait dire que la guerre est nécessaire quand elle permet d'accéder à des conditions beaucoup plus parfaites et plus enviables.

Hegel pour sa part affirmait que la guerre permet la régénérescence des peuples dans l'histoire, la sélection des meilleurs, la préservation de la santé éthique des peuples. Elle est la manifestation du courage devant la mort. En effet, selon la dialectique hégélienne, la négativité est le passage obligé de la positivité. C'est ainsi que, pour atteindre la positivité de la race arienne, Hitler procède par la négation ou l'anéantissement des races impies à l'exemple des Juifs : la nuit des longs couteaux ou la chasse aux sorcières s'inscrit dans cette logique désastreuse. Selon lui, la guerre est par endroit utile « pour ne pas laisser les systèmes particuliers s'enraciner et se durcir dans cet isolement, donc pour ne pas laisser se désagréger le tout et s'évaporer l'esprit, le gouvernement doit de temps en temps les ébranler dans leur intimité par la guerre ; par la guerre, il doit déranger leur ordre qui se fait habituel, violer leur droit à l'indépendance (...)14(*) ».

Sans avoir le mauvais relent d'un despotisme ou d'une dictature, l'idée de Hegel concourt à dire que la guerre permet de redynamiser les systèmes sociaux, de revivifier l'esprit humain, de réveiller les consciences dormantes et, en un mot, de donner une nouvelle impulsion au fonctionnement des institutions étatiques, de sorte à les orienter vers la paix civile durable et prolongée : la guerre préserve la santé morale des peuples comme les vents protègent la mer contre la paresse, contre la tranquillité ; de la même façon que la paix durable plongerait les peuples dans la paresse, poursuit l'auteur de La Raison dans l'histoire.

Par ailleurs, la réalité de existence nous interpelle à porter le discrédit sur le langage capitaliste mensonger véhiculé dans des politiques économiques et qui situe l'intérêt de la guerre dans l'économie comme facteur de lutte contre le chômage et la pauvreté, la diminution des charges étatiques, ou la réduction des difficultés démographiques des Etats. Ce qui reviendrait à dire que la guerre a été et risque d'être toujours le moyen par excellence pour les capitalistes de se défaire de leurs difficultés internes, pour s'offrir beaucoup de fois un débouché économique sans précédent. Elle permettrait à l'économie libérale de vivre, de se maintenir et de se développer.

La fabrication et la vente des armes sont génératrices de capitaux énormes qui, injectés dans l'économie des pays arriérés, des pays en voie de développement, souvent détruits par la guerre, favoriseraient leur développement, puisque se sont les mêmes qui les achètent pour s'entre-tuer. Disons alors que la guerre est devenue une nécessité économique. Comme l'a souligné l'économiste américain John Kenneth Galbraith, « ce système (économique) fondée sur la guerre, en dépit de toute répugnance subjective qu'il inspire à une part importante de "l'opinion publique", a démontré son efficacité depuis les débuts de l'histoire connue ; il a fourni les bases nécessaires au développement de nombreuses civilisations remarquables, y compris de celle qui est aujourd'hui dominante 15(*)».

Plus qu'un pamphlet provocateur, cette pensée traduit fortement l'image de l'économie mondiale qui a tendance à perpétrer les guerres ou à les soutenir, à financer les crises et à encourager le surarmement par la vente des armes. Tout se passe comme si, aucun traité de paix portant sur l'interdiction et la fabrication des armes, la limitation de la production, les essais nucléaires, n'avait de force à intimider et à contraindre. La mauvaise foi ou la sourde oreille vainc la raison qui est ainsi vouée à la résignation. Cela remet en cause la sociabilité de l'homme, car le profit, l'intérêt, divise les familles, les groupes et les peuples en introduisant l'individualisme et la discorde qui signifient en un sens "insociabilité". Mais, est-ce à dire qu'il n'y a pas une réconciliation possible de la sociabilité et de l'insociabilité ? L'insociabilité serait-elle toute mauvaise ? C'est ce que nous verrons à travers la théorie de l'"insociable sociabilité" de Kant à la suite d'une illustration de la tradition africaine.

La sagesse africaine suggère que "le margouillat qui n'a jamais perdu une partie de sa queue, ne sait pas encore là où il doit se réfugier en cas de danger". Cet adage explique mieux l'idée kantienne de la discorde, du danger et de la guerre d'après laquelle, « il faut un danger comme il faut à l'homme particulier des rêves qui excitent son imagination qui réveille les forces vitales dans le sommeil16(*)». Ce qui sous-entend que la discorde est bienfaisante de par son principe dialectique ; un danger qui indique l'existence de tensions visibles ou pas, mais qui marque du sceau du progrès le passage du rien au Tout, du courbe au droit, du clos à ce qui est ouvert : le passage de la guerre à la paix, de l'état de conflit ouvert à celui de la constitution civile, ou de l'état de nature à celui de la civilisation. C'est l'existence d'un tel état de péril ou de danger qui réveille les peuples et les nations qui, se croyant équilibrés, s'endorment profondément. Or, ils seront surpris de voir cet équilibre glisser dans l'inertie totale de même que l'espèce humaine s'anéantirait. Le péril nous interpelle à triompher à la fois des événements angoissants du monde et à militer pour notre cause dans la solidarité.

Il est certain que l'homme n'est pas un être tout a fait solitaire, tout à fait bienveillant et bienfaisant. La nature également ne peut accomplir ses fins ni dans la solitude ni dans la concorde totale sans qu'elle ne se serve des rivalités des hommes qu'elle crée pour les réunir en société. Ainsi, écrit Kant, c'est à travers l'irrationalité et l'"insociable sociabilité" que se réalisent les fins de la Raison qui sont la paix et la concorde. La fonction du dessein de la nature est de nous expliquer comment va le monde, l'histoire du monde, et c'est à nous de déterminer le sens que nous voulons lui donner. Mais, comme le sens est d'emblée tragique, désolant, la nature nous aide à agir en nous offrant une perspective consolante pour l'avenir. La nature nous parle le langage de la raison pure et pratique à la fois puis répond à la question "Que suis-je en droit d'espérer ?" du monde. Il appartiendra à Kant de nous enseigner que nous pouvons alors espérer la paix perpétuelle, que l'"insociable sociabilité" n'est pas seulement à l'origine de la culture, du droit, mais qu'il nous indique aussi les conditions dans lesquelles le sensible peut parvenir à être mu par des motifs pratiques.

Selon Kant, la nature est le premier garant de la paix. Elle sait semer, contre l'intention des hommes, les discordes au sein même de leur harmonie. Puis, elle opérera ensuite l'anéantissement , même partielle, des penchants humains les plus virils grâce à des lois qui seraient inconnues ou supposées. De cette manière, la nature nous fait une assurance qui, ne suffisant pas à prophétiser théoriquement la paix17(*), nous empêche du moins à la regarder comme une chimère métaphysique, et nous fait un devoir d'y concourir. La nature, en réussissant despotiquement à organiser le monde et ses événements historiques, incarne « la sagesse profonde d'une cause supérieure, qui prédétermine la marche des destinées et les fait tendre au but objectif du genre humain18(*) »; ce but qui équivaut chez nous à la réalisation du projet de paix durable.

En somme, la nature n'a pas voulu que nous connaissions une concorde, une solidarité, une satisfaction et un amour mutuels trop parfaits, ou que nous soyons trop libres, puisqu'elle n'élimine qu'une partie de nos instincts grégaires, les plus agressifs, pour qu'il puisse exister encore des rivalités entre nous19(*). Une fois les rivalités dépassées, la nature veut que nous soyons pour nous-mêmes une fin et non pas seulement un moyen. L'humeur peu conciliante de la nature, la vanité rivalisant dans l'envie, l'appétit insatiable de possession ou de domination sont, pour Kant, ce qui empêche l'étouffement dans un sommeil éternel des dispositions naturelles excellemment pacifiques de l'humanité.

Cet état des faits ne doit pas nous faire croire que la guerre est en elle-même bonne, et qu'elle doit être de tout temps conseillée pour cette raison ou pour une autre, même en cas de raison d'Etat. Il est vrai que l'Etat fait souvent la guerre, soumet les citoyens par la force de ses appareils répressifs parce que sa conservation est juste comme toute autre conservation, mais la défense de l'intégrité territoriale et des intérêts en cas d'annexion ou d'agression est une aussi importante chose qu'est le fait de pouvoir contenir, limiter, et contrôler la violence; le fait de ne pas se livrer une guerre à outrance qui rendra difficile, voire impossible l'issue d'une paix future. En revanche, il y a lieu de souligner que le citoyen ne doit pas être toujours victime d'une violence dite légitime qui remettrait perpétuellement en cause la paix civile. La violence doit être, de ce fait, limitable et contrôlable pour ne pas se dérober des limites de la réprobation morale ; sans quoi, elle est condamnable du point de vue de la raison morale.

3. La guerre est irrationnelle, déraisonnable et immorale.

En définissant l'homme comme étant un être raisonnable, Kant ne manque pas de dire qu'il est un être double par essence. Ce qui fait sa complexité, c'est qu'il est naturellement corps et âme. Existentiellement, il abrite en lui le bon et le mauvais principe, le bien et le mal ; il fait la guerre en même temps qu'il veut la paix. En tout état de cause, Kant va lui-même condamner20(*) la guerre par la loi de la raison en s'indignant de cette injustice qu'elle est en ces termes : « Quand, aujourd'hui, je vois les nations se mettre en guerre les unes contre les autres, c'est comme si je voyais deux individus ivres se frappant avec des gourdins dans un magasin de porcelaine. Car il ne leur suffit pas d'avoir à guérir lentement les bosses qu'ils s'infligent réciproquement, mais en outre ils devront encore payer tous les dégâts qu'ils ont provoqués21(*)». Sinon, y a-t-il un Intérêt à s'entre-tuer ?

L'on ne s'étonne pas de savoir qu'un amour de la guerre a existé ou existe encore, que la guerre dans sa réalité attentatoire peut procurer du plaisir, c'est-à-dire un plaisir spécifiquement relatif à la condition de vie du belliciste, à son milieu évolutif et à sa nature. Nous pensons surtout à l'esprit de vengeance de l'homme qui, une fois le but atteint, ressent une satisfaction plus ou moins grande. Convainquons-nous que les hommes ne sont pas tous prêts à adhérer à une telle thèse qui traduirait la beauté de la guerre comme la beauté du diable . Donc, c'est l'idée de la dépréciation de la paix ou de la positivité de la guerre qui est ainsi émise pour dissuader les peuples à consolider la paix et à la parfaire durablement. C'est dans cette droite ligne de lancée que René Descartes faisait dire à des invalides de guerres que celui qui voit comme nous sommes faits et pense que la guerre est belle, ou qu'elle vaut mieux que la paix, est estropié de cervelle. Descartes a voulu, à travers le libre arbitre, faire connaître aux victimes des guerres la différence indiscutable qui existe entre la soit disant beauté de la guerre et la beauté de la paix. Ainsi, est-il allé jusqu'à diagnostiquer le mal de guerre qui s'origine dans l'esprit des écervelés, comme pour insinuer qu'un homme conscient, dont la cervelle est en bonne et due forme, ne peut se permettre une pareille horreur.

La même idée chère à Descartes, mentionnée dans La Naissance de la paix (1649), est reprise et vivifiée par l'UNESCO dans son acte constitutif de Novembre 1945 qui stipule que "la guerre prend naissance dans l'esprit des hommes". Elle est l'activité préférée des esprits maléfiques, maladifs, corrompus, et incapables de discernement. La guerre est donc à bannir en ce sens qu'elle est irrationnelle, déraisonnable et immorale.

Einstein ne s'éloignera pas de Kant quand il écrit qu' « aujourd'hui, la guerre s'appelle l'anéantissement de l'humanité». Mais, il n'est pas kantien : l'on se rappelle encore de la réunion des scientifiques pour la fabrication de la bombe atomique dénommée "Projet Manhattan" dans lequel l'esprit avisé d'Einstein a été édifiant. Une destruction massive des populations, un monde de la faim, des maladies...voilà comment Einstein voyait déjà, quand même, le monde. À cela, il faut ajouter les invalides, les mutilés, les déplacés et les réfugiés. La guerre ainsi définie résulte largement du nuisible vu la rudesse de la violence. Elle entraîne la rupture du contrat entre les peuples, les Etats et les institutions bancaires. Elle est l'impitoyable réalité des rapports interpersonnels, le signe meurtrier et fracassant de l'impuissance de l'homme à parvenir à de bonnes fins, ou encore l'aberrante expression de la misère des peuples. À ce titre, entretenir les armées, occasionner les dévastations, obliger les citoyens à se battre pour enfin penser aux réparations et à la reconstruction des nations victimes de la guerre, tout cela ne doit pas relever du calcul froid d'un être raisonnable. Ce qui ne favorise pas le développement, l'épanouissement, l'amélioration de l'espèce humaine, voire le progrès des peuples, mais plutôt les voue à la déroute, à la perdition, à la perversion qu'à la rationalité, à la moralité et à l'humanisme.

Erasme, humaniste chrétien de la Renaissance, disait à ce propos : « Aujourd'hui, il arrive qu'essayant d'ébranler ce qui est à autrui, nous faisons s'écrouler de fond en comble ce qui est à nous ; et en admettant que l'entreprise réussisse, avec tout ce sang de nos concitoyens, avec toutes ces dépenses, tant de périls, tant de sueurs, tant de deuils, tant de maux enfin qu'on ne pourrait tous énumérer, nous achetons je ne sais quel titre vain et la fumée d'un grand nom22(*)». Nous créons par notre intelligence un enfer humain sur la terre, de sorte qu'il est difficile de vouloir faire entendre raison. Notre intelligence s'amenuise, s'ankylose et prend petit à petit la forme de la bêtise, de la folie, de la vanité infantile, de la méchanceté, de la soif de destruction puérile et de l'ignorance. Les hommes se livrent à des fureurs au sujet de banalités que les quelques manifestations de sagesse dont ils font preuve ne peuvent empêcher : « On ne peut se défendre d'une certaine humeur lorsqu'on voit exposés leurs faits et gestes sur la grande scène du monde et que, à côté de quelques manifestations de sagesse ici ou là pour certains cas particuliers, on ne trouve pourtant dans l'ensemble, en dernière analyse, qu'un tissu de folie, de vanité infantile, souvent même de méchanceté et de soif de destruction puérile 23(*)».

Nous pouvons affirmer que si la raison gouvernait les hommes, les peuples, si elle avait certainement sur eux et sur leurs chefs le pouvoir qui lui est dû, aucun citoyen, aucun chef d'Etat, aucun rebelle, ne se livrerait considérément aux fureurs de la guerre ; ils ne marqueraient point cet acharnement qui n'est même plus la caractéristique des bêtes de somme. La guerre est donc la conséquence de la déraison puisque le veto de la raison conseille qu'il ne doit pas y avoir de guerres entre les citoyens et entre les Etats ; c'est la seule façon de défendre le droit. Tous les problèmes qui accablent les sociétés leur sont causés par la guerre, par ces incessants préparatifs, les gaspillages de forces et de biens. En cela, la devise des impérialistes "si vis pacem para bellum" est un sophisme dangereux ; elle est le prototype même de l'irrationalité de la guerre. Il est insensé du point de vue de la raison de vouloir échapper aux mésententes entre les citoyens en les broyant dans des guerres.

C'est pourquoi, il sera toujours immoral et inacceptable, toutes choses étant égales par ailleurs, et toute proportion gardée, de faire la guerre pour quelque motif autre que la protection des personnes et des biens de la Cité. Ce motif ne devra pas d'ailleurs servir d'alibi pour annexer. Car, il est inadmissible d'utiliser des citoyens dans les guerres comme une propriété privée, un patrimoine personnel. Autrement dit, tuer et faire tuer, c'est agir contre la loi morale qui voudrait, avec Kant, que la maxime de l'impératif catégorique s'affirme de la sorte : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen24(*)».

Dès lors que cet impératif ne pourra pas s'affirmer, convenons, c'est de la transmutation des valeurs sociales, morales, et de la dépravation des moeurs, rendue favorable par la perversité de la guerre, qu'il s'agira toujours et en tout lieu. Il s'agit aussi de la dévalorisation, de la désacralisation ou de la profanation du sacré. L'histoire a donc besoin d'un Homme Nouveau pour réaliser le progrès du genre humain, celui qui ne s'écartera pas de l'humanisme authentique, mais le rendra beaucoup plus accessible, même aux esprits impies qui font constamment la guerre. Nous avons donc besoin d'un Nouvel Humanisme fondé sur des bases nouvelles. C'est ce constat amer d'un monde pourri des guerres qui a conduit le Père de l'Eglise catholique à s'écrier : « (La guerre) détruit, elle ne construit pas ; elle affaiblit les fondements moraux de la société et elle crée de nouvelles divisions et des tensions durables (...). La guerre est la faillite de tout humanisme authentique25(*)».

Au fond, les bombardiers supersoniques, les avions chasseurs, les mines antipersonnelles et les missiles que la technologie a mis à la disposition de l'homme pour répondre à ses besoins de destruction massive, sont autant de matériels, d'engins de guerre, qui consacrent la déshumanisation de l'homme par l'homme au nom d'un vulgaire droit de guerre par humanité. L'invasion et le bombardement d'un pays sont-ils légitimes pour des forces armées étrangères qui invoquent l'alibi de la protection des droits humains pour faire la guerre ? Les interventions militaires ont-elles toujours réussi à faire respecter les droits de l'homme par ce moyen?

Comme réponse à ces questions, disons que le recours à la force militaire est souvent, plus qu'un impératif, une exigence de la raison pratique pour faire respecter la loi aussi bien dans les Etats que pour les personnes qui ont choisi la lutte armée pour atteindre certains de leurs objectifs quelques fois moins nobles. Cependant, nous restons sur notre soif quant à l'issue des décisions de la communauté internationale tendant à faire triompher la justice et la paix. Puisque "rien ne mérite d'être acheté au prix du sang humain" (Rousseau) alors, il faut faire triompher la sagesse, la raison, écouter ce que la raison peut bien nous dire sans que nous lui contions d'aussi tristes expériences.

L'intervention militaire des forces armées étrangères est, en quelque sens, perçue comme le recours à la force pour protéger les civils et leurs droits spécifiques. Celle-ci n'est ni mauvaise ni bonne en soi ; c'est une question de bonne volonté à oeuvrer en faveur de la paix pour éviter la violation des droits civils. Car, il est souvent nécessaire de faire recours à l'étranger pour éviter que les situations conflictuelles deviennent incontrôlables. Seules les violations massives des droits de l'homme qui, aperçues par la communauté internationale, peuvent nécessiter le recours à pareilles forces de protection des civiles. Et, la dignité, la valeur de la personne humaine, inexprimable en calculs mathématiques, recommandent que celles-ci soient animées de bonne moralité. Dans ces conditions, l'intervention des forces d'interposition dans les zones tampons peut permettre la conclusion d'accords par les parties en conflit. Ce déploiement de forces peut être un bon outil de concrétisation de l'idée de paix ou de valorisation de celle-ci à travers les années.

CHAPITRE II : DE L'IDÉE DE PAIX ET DE SA VALORISATION CHEZ KANT

Le pacifisme moderne est d'une inspiration kantienne ; la paix s'inscrivant chez Kant dans le sillage de la quête de la destination ultime des sociétés modernes en faisant de l'idée de paix, une réflexion sur les conditions de l'existence commune, en rapport avec sa fin dernière qui donne un sens à la vie de groupe. Il s'agit pour lui de rechercher la meilleure façon de vivre ensemble, mais aussi de saisir la finalité de la condamnation des citoyens à s'unir pour former un Etat qui va alors coopérer avec les autres Etats, dans le sens de la communauté politique englobant toutes les autres communautés également constituées en vue du bien le plus haut de tous les autres biens : la paix durable.

Comme on peut le lire, l'Etat en tant qu'entité politique de la communauté politique mondiale, n'est pas une somme d'individus qui ne visent que la satisfaction de leurs besoins égoïstes, mais il est une communauté d'hommes visant la réalisation d'un idéal de vie, une unité pacifique. L'Etat de paix désigne alors le mode de vie ou d'existence conforme à la destinée du citoyen. C'est ce que traduit chez Kant la nécessité pour le philosophe de s'intéresser aux questions étatiques, c'est-à-dire aux difficultés socio-politiques fondamentales en vue d'établir une paix durable entre les peuples, ou de faire la promotion de la paix conformément au Projet de paix perpétuelle, véritable outil de perfection de l'homme. Mais, Kant n'est pas le platonicien pour qui, il n'y aura jamais de perfection possible, aussi bien pour un citoyen, pour un Etat, que pour un régime politique, que si les philosophes deviennent, coûte que coûte, des rois ou les rois des philosophes, que si ces derniers se trouvent, en vertu d'une heureuse fortune, pris par la nécessité de s'occuper des intérêts de l'Etat, et celui-ci par la nécessité de leur être docile26(*). Annonciateur des Lumières, le philosophe doit être la tête pensante de celui qui dirige les affaires de la Cité, sans être à son tour corrompu par le pouvoir : Nous devons en être fier car, « la classe des philosophes, incapables, par sa nature, de trahir la vérité, pour se prêter aux vues intéressées des clubistes et des mesures, ne risque pas de se voir soupçonnée de propagandisme 27(*) », note Kant.

En vérité, l'idée platonicienne de la nécessité et de la docilité du philosophe à s'occuper humblement des affaires de la Cité, évoque bien l'idée et le souci de paix chez Kant. Car, certaines séditions (Cités grecques par exemple), crises internes, sont dues, en grande partie, à la mauvaise direction des hommes et des choses. Nous le verrons plus tard ; mais avant, il nous importe de savoir si, Kant a été le seul ou le premier à émettre et à mentionner, pour la première fois, l'idée de promotion de la paix dans sa forme connue de projet à réaliser. Autrement dit, quelle est l'histoire de l'idée de paix ?

1. L'histoire de l'idée de paix.

L'idée de paix a connu une évolution historique remarquable dans la littérature universelle. En effet, l'idée ne naquit pas avec l'enfant de Königsberg, mais elle a grandit avec lui, et a aussi connu certaines de ses lettres de noblesse avec d'autres penseurs qu'il a lui-même précédés.

Depuis 1784, l'on a perçu dans la philosophie morale et politique de Kant que l'idée de paix, qui lui sera plus chère à partir de 1795 avec la publication de son Projet, était et restera une "idée nécessaire" que nous devons réaliser, encore plus intérieurement qu'extérieurement, dans les conditions de paix favorables que nous évoquerons plus tard. Á travers elle, il s'agit pour nous, après Kant, de rechercher le lieu où se manifestera la plus grande liberté humaine selon des lois qui feront que la liberté de chaque citoyen puisse coexister avec celle de son prochain, et de façon pacifique, avec celle des autres. Ceci est pour Kant le modèle nécessaire pour rapprocher davantage les hommes en quête de perfection possible puis, de rapprocher et de regrouper les Etats dans un cadre de coopération et de partage dans l'intérêt supérieur de leurs nations. Pour Kant, il s'agit, suivant une logique dialectique, de combler le fossé qui demeure, nécessairement et naturellement, entre l'idée et sa réalisation, de telle sorte que, ce qui est possible en théorie le devienne en pratique ; donc plus de distance infranchissable entre la théorie du philosophe et la technique du praticien ou de l'homme d'Etat.

En plus, l'histoire de l'idée de paix28(*) est universelle, depuis les premières religions qui prêchaient la paix comme idéal en passant par l'apparition du droit international dans le domaine de la paix jusqu'aux pacifistes modernes et contemporains. L'idée de paix a connu ses débuts dans l'Antiquité gréco-latine avec l'avènement du cosmopolitisme à travers l'idée de "citoyen du monde" dont Epictète est l'annonciateur dans ses Entretiens.

Au Moyen-Âge où l'on parlait déjà de la "trêve de Dieu ", de "guerres justes" avec Saint Thomas d'Aquin, des croisades et de l'inquisition, parler de promotion de la paix à cette époque revenait à soulager les peuples qui souffraient déjà des guerres et dont la liberté d'opinion et d'expression n'étaient pas encore admises. Il reviendra aux lumières de la Renaissance de permettre à Thomas More d'affirmer dans l'Utopie (1516) que "la guerre est abominable", qu'elle fait plus de méchants qu'elle en emporte, qu'elle est un crime contre l'humanité. Ce qui ne l'empêche pourtant pas de la justifier dans le cas des guerres coloniales. Ce qui fait également que des alibis pourraient mettre le doute sur le pacifisme d'un Erasme qui, dans Querella Pacis (1517), donne à l'idée de paix une valeur jamais connue auparavant en prolongeant l'évangélisme du Moyen-Âge à l'aide de l'humanisme universel.

À l'époque classique (XVIIè et XVIIIè s), l'oeuvre de Grotius intitulée De Jure Belli ac Pacis (1625), marque un moment clé de l'histoire de la paix notamment avec l'introduction du droit international dans la vie des citoyens: le droit des gens et le droit naturel se confrontent chez lui.

Après lui, Hobbes, à travers le De Cive et le Léviathan, va se servir des exigences de la raison qui fondent le droit international pour vouloir remplacer l'ordre divin par un ordre public à la hauteur de l'homme. Avec lui, le droit international a longtemps reposé sur le binôme "droit du temps de guerre" et "droit du temps de paix". Une dichotomie que le monde contemporain va rejeter compte tenu du fait que les menaces sur la paix sont de moins en moins dues aux conflits interétatiques mais de plus en plus aux conflits internes aux Etats, de telle manière qu'il devient difficile d'uniformiser le droit qui s'imposera aux deux moments de la vie de l'homme. En d'autres termes, les guerres entre les Etats souverains sont rares depuis que les cinq puissances du monde se sont opposés directement à l'occasion de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), et pendant la seconde (1939-1945), puis indirectement, en tiers interposés, pendant la Guerre Froide. Depuis lors, « l'Etat et la guerre ont cessé d'être synonymes29(*) », c'est-à-dire que la guerre oppose très rarement des Etats en ce sens qu'elle se fait maintenant de façon interne aux Etats.

Il a fallu attendre la publication du Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713) de l'Abbé de Saint Pierre pour penser l'institutionnalisation du concept de paix en Europe. Il inspirera Kant au moment où il écrivait son livre Vers la paix perpétuelle (1795). Chez lui se réconcilient rationalité et conscientisation pour constituer un moment décisif de l'aspiration de l'homme à la paix. La paix devient l'oeuvre institutionnelle de la raison à travers le droit. Cette influence doublée par celle de Montesquieu et de Rousseau, qui ont inspiré également la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, va conduire Kant à soutenir l'idée que la paix universelle est l'aboutissement du droit, c'est-à-dire le passage progressif de l'état de nature à l'état de haute législation.

L'époque de la modernité voit la naissance du pacifisme contemporain avec Proudhon qui publie La Guerre et la Paix en 1861, dont les linéaments remontent à la secte protestante des Quakers qui prônaient le désarmement unilatéral comme seule ouverture sur l'établissement d'une communauté pacifique mondiale. Proudhon va essayer de réconcilier la force et le droit pour tenter de donner une signification positive au concept de la paix. C'est sans aucun doute cet effort proudhonien qui nourrira L'Armée nouvelle de Jaurès pour qui, il n'y a aucune contradiction entre l'internationalisme et le patriotisme. Jaurès tente la synthèse de l'esprit de défense et de l'action en faveur du désarmement, de l'indépendance nationale et de l'arbitrage international des conflits, de l'amour de la patrie et de l'amour de l'humanité. Voici une dialectique socialiste réussie qui connaîtra de beaux jours dans la résolution raisonnable du problème de la guerre.

De surcroît, une place de choix est à accorder aux écrivains de la Première Guerre Mondiale : Henri Barbusse (Le feu), Roland Dorgelès (Les croix de bois), Alain (Propos) et Romain Rolland (Au-dessus de la mêlée). Tous ont propagé l'idée du pacifisme souvent qualifié d'"antimilitarisme". Particulièrement le "neutralisme" de Romain Rolland a donné au pacifisme une connotation communiste et défaitiste qu'il renforcera plus tard avec Par la révolution, la paix (1935) : il y développe une théorie de l'action révolutionnaire inspirée de l'exemple soviétique de la non-violence du prolétariat armé et de l'"indépendance de l'esprit" à l'engagement social.

À sa suite, Gandhi va propager plus loin le pacifisme contemporain par la théorie et la pratique de la non-violence absolue. Une méthode qui s'est montrée efficace après avoir favorisé l'obtention de l'indépendance de l'Inde en 1947. Gandhi aura apporté une nouvelle dimension à la politique pacifique mondiale, celle d'avoir inventé une technique d'action, le "Satyâgraha" dans la lutte libératrice :« La politique devient avec lui une foi, une manière de vivre dans chaque acte de la vie et non dans une sphère spéciale qui serait "la" politique. Cette manière de vivre, pour l'individu, s'ouvre toujours sur l'autre, sur les autres. Elle montre dans une pratique quotidienne, qu'il y a plus de joie dans le don que dans le profit, dans la création que dans le commandement, qu'il faut plus de courage pour mourir que pour tuer30(*)».

Cette technique de recherche de la vérité fait que la vérité elle-même devient un impératif de la non-violence et du compromis : si personne ne détient absolument la vérité, personne n'a de pouvoir de dire le droit absolument, même celui de l'amour ou de la paix. Ce qui fait que tout citoyen doit toujours être disponible à la négociation, et il doit rester ouvert à la vérité de l'autre. Il faut être, selon Gandhi, non-violent ; mais ce n'est pas être lâche, passif et inoffensif ; c'est accepter de souffrir, personnellement et consciemment, pour pouvoir défendre la cause juste ou la bonne cause. Cela justifie bien l'influence de l'homme sur les pacifistes contemporains à tendance chrétienne ou spiritualiste. Ainsi dit, la vérité est dans l'action : la pensée et l'action se marient, de même que le discours prophétique et le concret, la ténacité et l'intransigeance correspondantes. Telle une réconciliation qui a permis la reconnaissance des droits nègres ou la manifestation des valeurs nègres dans le monde, et particulièrement aux Etats-Unis : le combat de Martin Luther King contre le racisme, le surarmement nucléaire, tant dans les liens sociaux que dans la diplomatie internationale, s'origine dans le "Satyâgraha". M. L. King va à son tour inspirer les ténors des tendances chrétienne, marxiste et indépendantiste du pacifisme contemporain.

Les premiers s'inspirent de la morale évangélique ("Tu ne tueras point") défendue par les encycliques papales et l'institution Pax Christi, qui propose la non-violence comme solution ultime au problème moral du désarmement. Les seconds proposent le désarmement comme solution politique pour rétablir la paix. L'oeuvre des Mouvements et Corps de la paix dans le monde s'enracine dans dette logique. La vision des autres se rapproche du socialisme démocratique dans sa lutte pour la paix, en se basant sur la Déclaration des droits de l'homme. Que retenir?

Ce qu'il y a lieu de retenir de l'histoire de la paix, c'est qu'elle a connu deux mutations historiques essentielles.

La première s'est opérée au XVIIIè siècle avec la naissance de la conscience morale universelle. Elle fraie le passage de la paix intérieure, personnelle, sociale à la paix extérieure ou mondiale. Désormais, il faut bien aller au-delà de la tranquillité du sage, qui sait tisser de bons liens avec les autres, pour promouvoir la paix mondiale par-dessus la vie individuelle des citoyens et des Etats.

La deuxième mutation intervenue dans l'évolution de l'idée de paix, est une mutation psychologique qui s'opère aux lendemains des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki les 06 et 09/08/1945 ; atomisation qui mit fin à la Deuxième Guerre Mondiale. Depuis ces jours, la paix a changé de nature : de "facultative" qu'elle était, elle est devenue une paix "obligatoire", puisque la planète entière est menacée de disparaître du fait de l'usage incertain de la bombe atomique. Le suicide collectif n'est pas du tout écarté car, presque tous les Etats prétendent posséder la bombe atomique et menacent de l'utiliser dès qu'ils seront attaqués. Nous vivons malheureusement aujourd'hui sous le coup de cette intimidation réciproque des Etats. Pouvons-nous, malgré cette menace, espérer des lendemains meilleurs de paix ? Cellle-ci ne donne-t-elle pas raison à ceux qui assimilent le projet de paix à un voeu pieux? Où se logerait, en ce moment, la nécessité et la réalité de la paix durable ?

2. De la nécessité de la paix à la désillusion des coeurs.

La métaphysique est considérée par le praticien comme "la cause des révolutions politiques". Le métaphysicien est pour cela victime des railleries et de la haine de l'homme politique, parce qu'il éprouve une "espérance sanguine d'améliorer le monde" en se dévouant pour la réalisation de projets jugés d'emblée impossibles par l'homme d'Etat : " le philosophe dérange trop", "il demande plus qu'on ne peut le satisfaire", " c'est est un rêveur". Tous ceux qui, à l'image de Kant, prônent la paix sont vite rangés du côté des obscurs, des naïfs, des fous, que du côté de ceux qui s'occupent des questions pratiques telles la politique, l'économie et les finances, la solidarité, la pauvreté et le développement. Tout se passe comme si la théorie et la pratique, en tant que domaines bien distincts, ne peuvent se réconcilier en matière de promotion de paix. Si la promotion de la paix ne rencontre que des obstacles, si personne ne s'en occupe véritablement, si le projet n'est pas réellement exécutable pour toujours, « ce n'est pas qu'il soit chimérique ; c'est que les hommes sont insensés, et que c'est une sorte de folie d'être sage au milieu des fous31(*)».

C'est donc en vue de crédibiliser la sagesse du philosophe parmi les siens que Kant proposait que, les maximes des philosophes sur les conditions de possibilité de la paix perpétuelle, soient consultées par les Etats armés pour la guerre. Le courroux des philosophes vis-à-vis des actes ignobles tels la guerre, est identifiable au tempérament colérique, à la colère des dieux grecs qui veulent que l'idéal, le sacré et la paix soient restaurés là où ils ont toujours été observés. Donc, la paix ne doit pas être un vain mot. La colère des philosophes donne lieu à l'espérance. La philosophie, sans jamais être une prétention subtile à réaliser la paix universelle, est une prise en considération de la problématique guerrière et conflictuelle du monde. Il n'y a plus lieu de s'en prendre au philosophe ou de vouloir le renvoyer à son école. Car, il n'est pas vrai chez Kant que la théorie au contact avec le monde pratique se révèle être un ensemble d'idéaux vides et de rêves philosophiques quand il s'agit, par exemple, de parler de paix : « la paix perpétuelle qui succédera aux trêves jusqu'ici nommées traités de paix n'est donc pas une chimère, mais un problème dont le temps, vraisemblablement abrégé par l'uniformité des progrès de l'esprit humain, nous promet la solution32(*) ».

Le philosophe veut bien l'amélioration de l'homme, mais il refuse que l'homme soit transformé négativement dans la guerre. Sa vision pacifique du monde est à la fois idéaliste, noble et pragmatique, en ce sens qu'il veut qu'on aille au-delà des simples discours politiques appelés ironiquement "pourparlers" ou "ballets diplomatiques", "traités de paix", "cessez-le-feu" ou encore "armistices", pour former un vrai cadre juridico-politique de paix. Le philosophe propose, pour ce faire, une transformation des mentalités suivant le genre de vie du philosophe qui se conforme à la raison.

La conscience qui a toujours aspiré à la paix , est la même qui a toujours fait la guerre en l'instrumentalisant grâce à son intelligence, qui soutient l'idée que des générations pourront tirer des enseignements intéressants de la cruauté de l'homme, de la recrudescence des guerres. Petit à petit, les lumières les éclaireront. Une répugnance s'observe de plus en plus au niveau même des soldats qui, parfois, vivent et laissent vivre. Ils s'indignent d'ôter la vie de leurs adversaires soit par crainte, par peur ou que l'habitude même des guerres les a aguerris. Ce qui nous fait dire que les hommes ne sont point naturellement ennemis, que les hostilités de la guerre leur sont souvent dégoûtantes. Toutes choses qui les amènent à faire la promotion des valeurs républicaines et les rendent du même coup apôtres de la paix. C'est alors un retournement de veste qui est rendu ainsi possible, d'où la nécessité de la paix qui est inscrite dans l'essence de la raison.

Déjà en juin 1911, Anatole France soulignait que : « La paix ! De tout temps le monde en eut soif. Ne rougissons pas de la souhaiter : les plus braves l'on souhaité avant nous. Fondre les épées pour en faire des socs de charrues, c'est le voeu des prophètes d'Israël comme des poètes d'Athènes à Rome; c'est le voeu des âmes les meilleures et les plus hautes des temps modernes. Disons mieux. On n'a jamais fait la guerre pour obtenir la paix. C'est donc la destinée de la guerre de périr dans son triomphe. Qu'elle périsse à jamais33(*) ».

L'idée du périssement de la guerre se retrouverait peinte dans les mémoires de l'Afrique ancienne d'où Il y est ressorti, peut-être malencontreusement, que l'Africain est de nature pacifique, qu'il aspire à la paix, qu'il appelle la paix et qu'elle lui est nécessaire. Cela se traduit dans la salutation matinale dans ces expressions34(*) : " Est-ce que tu as passé la nuit dans la paix ?", " Est-ce que la paix est dans la maison ?", " Est-ce qu'un tel est en paix ? ". Ce qui sous-entend que la salutation africaine est faite d'exorcismes et d'incantations : "Que Dieu nous donne la paix ", "Qu'il nous épargne du mal". La mentalité africaine serait de ce fait fondée sur la recherche de la paix de telle sorte que chez l'Africain, "on ne lave pas le sang avec le sang, mais avec l'eau ", que, "s'il y avait quelque chose de bon dans la guerre, dans l'agressivité, les chiens l'auraient trouvé". C'est ce qui justifierait le fait que nombre d'ethnies africaines qui fuyaient les razzias, les séditions dans les royaumes, se sont réfugiées dans les grottes, dans les collines, zones presque inhospitalières. En définitive, l'exigence ou la nécessité de la paix se traduit au niveau des Etats par une réelle élimination des causes de sédition, de crises et de violation massives des droits des citoyens, en vue d'une saine et paisible vie citoyenne. C'est dans ce souci de parfaire les conditions de vie des citoyens que les juristes et les philosophes fondent la catégorie politico-juridique de la paix qui est alors le lieu d'harmonisation des relations humaines et étatiques.

3. Les fondements politico-juridiques de la paix chez Kant

La politique et le droit se trouvent traditionnellement liés en ce sens que le lien et l'action politiques qui réunissent les "animaux politiques" que nous sommes, sont soumis au contrôle ou à la régulation de règles ou lois qui fondent et conditionnent la vie des citoyens, ainsi que la vie extérieure des Etats.

En effet, la fonction positive de la théorie kantienne de la guerre formulée dans la théorie de l'"insociable sociabilité" est de réaliser l'intérêt réciproque des peuples, de concevoir une pression sur les Etats à oeuvrer au noble ouvrage de la paix, à mettre la guerre hors la loi, et ainsi permettre la réorganisation interne des Etats ainsi que l'harmonisation de leurs rapports réciproques. À l'occasion, le modèle théorique (dessein de la nature) et le modèle pratique (par le droit) se réconcilient dans la mesure où le droit devient le moyen par excellence de réaliser la paix mondiale : la réconciliation est à la fois postulée et réfléchie. La réconciliation consiste, selon Kant, à partir de l'idée naturelle du contrat, qui est d'ailleurs une hypothèse de travail, "une simple idée de la raison " qui oblige « tout législateur à édicter ses lois comme pouvant avoir émanés de la volonté collective de tout un peuple, et à considérer tout sujet, en tant qu'il veut être citoyen, comme s'il avait concouru à former par son suffrage une volonté de ce genre34(*) ». C'est un système qui n'est pas clos mais qu est ouvert sur le monde pour répondre à la vocation du criticisme kantien, à l'appréciation de l'Etat historique et à la question de la définition du droit.

Ce qui fait que dans la Critique de la Raison Pure, Kant s'interroge sur la difficulté pour les juristes praticiens, les juristes empiriques de présenter une solution universelle au problème du droit, c'est-à-dire de le définir de manière satisfaisante. Il ne voulait plus qu'on se renvoie à ce que veulent les lois en un quelconque pays, à une quelconque époque, mais à partir de la simple raison pour fonder une "législation positive possible". Car, pour lui, « une doctrine du droit simplement empirique (comme la tête de bois dans la Fable de Phèdre) est une tête qui est peut-être belle, seulement il est dommage qu'elle n'ait pas de cervelle35(*)».

À travers le droit qui naît de la culture, les hommes vont satisfaire leurs besoins, surmonter les rapports sociaux de domination et de violence. Le droit naît de la détresse que les hommes s'infligent ; il devient un "droit de la nécessité" entendue dans le sens de la misère, de l'enchaînement des conditions conflictuelles afin d'éviter le chaos. Le droit né de l'impératif hypothétique ( si tu veux X, fais Y, ou produit Z), permet les conditions de la coexistence pacifique des citoyens en ceci qu'elle est le fruit de la réconciliation de l'intérieur et de l'extérieur, en ce sens que la loi est consentie et imposée volontairement. C'est dans cette optique qu'il est dit que le droit est un mécanisme de régulation des libertés des "démons intelligents" que sont les hommes. Par ailleurs, quelles sont les conditions de légitimation du droit et de son application sur la vie des citoyens ? Quelles sont les prérogatives de l'homme-citoyen, et ceux de celui qui applique le droit sur la vie du citoyen ?

D'après Kant, la direction des affaires de la Cité doit être accordée à un maître « qui batte en brèche la volonté particulière (de tous les citoyens) et la force à obéir à une volonté universelle valable36(*)». De la sorte, il devient difficile de résoudre le problème de l'injustice sociale, puisque l'homme est perçu comme un animal, un esclave qui a besoin d'un maître. Or le maître qui a besoin d'un esclave, est lui-même un animal. Par conséquent, il faut négocier une liaison du droit à la maîtrise de la violence ou de la force à la contrainte pour qu'au lieu d'un maître, il y ait un souverain qui use, et non pas qui abuse du droit, pour rendre égaux tous les citoyens soumis à la loi. En retour de leur confiance, du consensus ou de leur consentement, il pourra assurer leur sécurité, protéger leurs intérêts respectifs.

Principalement, la réduction tendancielle de la contrainte ainsi que la maîtrise de la violence s'imposent ; car elles sont conformes à l'idée même du droit des gens, aux principes de la coexistence pacifique des peuples. Il y a là une sorte de "recours formel à la contrainte" institutionnalisée sous forme d'approbation ou de désapprobation de la conduite des hommes dans la société. Cette loi de la contrainte réciproque s'accorde nécessairement avec la liberté de chacun selon le principe de la liberté universelle37(*). De là, le droit est une réalité sensible qui s'applique et qui s'adapte aux rapports socio-politiques de base entre les citoyens et des Etats.

À la lumière de tout ce qui précède, Kant pense que l'application du droit à la vie des hommes, dans leurs tentatives d'auto-réalisation de la coexistence pacifique, doit être confiée à ceux-là mêmes qu'il a nommé "moralistes politiques" et "politiques moraux"38(*). Si les premiers sont des techniciens de la contrainte, s'ils sont incapables de faire des aménagements, des réformes allant dans la droite ligne du droit naturel établi par la raison, ils doivent laisser la place aux seconds. Ces derniers ont pour tâche de reformer le droit, s'il s'adapte mal au quotidien, et de corriger les erreurs et les défauts de constitution : ils se donnent pour vocation d'apporter une réforme nécessitée par la quête de la meilleure constitution possible. La législation universelle est donc le passage obligé de toute la promotion de la paix comme moyen de réaliser universellement le droit. Or, atteindre une société qui administre universellement le droit constitue, selon Kant, le plus grand problème et le plus difficile à la fois pour l'espèce humaine, celui qu'il résoudra le dernier.

Il y a difficulté parce que les forts abusent de la liberté des faibles pour les dominer, parce que l'on dissuade davantage les pauvres en les réduisant en simples grévistes, en simples revendicateurs. La difficulté tient également au fait que l'on ne représente pas toujours les réalités citoyennes et étatiques avec douceur aux citoyens, ou que ceux qui ont le destin de l'humanité entre leurs mains ne rendent pas toujours de comptes à ceux qu'ils représentent ou qu'ils dirigent ; alors que le droit a besoin de s'adapter à la réalité conflictuelle des forces sociales et à leurs intérêts, de sorte à intégrer pacifiquement les droits et devoirs des citoyens dans une politique partisane et conciliante. Et, la législation juridico-politique39(*), en ce sens qu'elle n'intègre pas seulement le mobile à la loi, admet aussi un autre mobile que l'idée même du devoir, exige, selon Kant, des devoirs externes fondés sur des mobiles également externes. Kant introduit volontairement l'idée de liberté dans le droit à telle enseigne que la liberté juridique externe nous permet d'agir dans le monde extérieur sans être empêché par une égale liberté des autres. Dit autrement, la liberté juridique apparaît être une libération extérieure des empêchements qui nous proviennent des autres libertés ; elle vise la constitution d'une communauté ou d'une société à vouloirs séparés. Mais, il s'agit chez Kant d'une volonté juridique hétérocentrique déterminée par des intérêts motivés par la loi.

La législation juridique permettra ainsi de sauvegarder durablement le lien historique existant entre la morale et le droit pour éviter que cette relation ne favorise qu'un simple jeu, qu'une simple technicisation du droit en en faisant une seconde nature fondée exclusivement sur la capacité de l'homme propriétaire des choses et de la nature ; car sa capacité risque de se renverser en pouvoir de détruire et de construire les"res" selon l'idée de sa pure disponibilité40(*).

En substance, il faut dire de concert avec Kant que la forme juridique nécessaire pour la coexistence libre et pacifique des citoyens et des peuples, c'est la constitution politique faite pour le peuple, par le peuple, dans le commandement réel et absolu de la Raison pratique amoureuse du droit et de la paix. Par ailleurs, vu la condamnation kantienne de la guerre, vu la nécessité et la valorisation de la paix chez Kant, sommes-nous en droit d'affirmer qu'il est un pacifiste ? Avoir écrit sur la paix suffit-il à dire qu'un auteur est pacifiste ?

Certes, la paix n'est pas et ne sera jamais l'absence de guerres ; mais elle sera toujours nécessaire pour la survie de l'humanité. Aussi, des prix Nobel de la paix seront toujours décernés aux acteurs de la paix qu'on pourrait appeler les "pacifistes". À ce sujet et avant toute chose, quelle définition pouvons-nous donner aux concepts de "pacifisme", d'"acteur de la paix", de "partisan de la paix" et d'"artisan de la paix". Le pacifisme, à l'opposé du bellicisme, peut être défini41(*) comme étant la "doctrine politique des pacifiques". Une doctrine qui prône la paix par des moyens non-violents. Est pacifiste, "qui aime la paix","qui est attaché à la paix" ou "qui favorise la paix" de telle manière que, préparer la guerre pour parvenir à la paix, est un non-sens dans la vie des peuples. De là, les pacifistes, les partisans et les artisans de la paix sont tous des acteurs de la paix, des frères. Car le même ouvrage de la paix les met en face de l'homme, de sa politique, de son comportement, de ses moyens et de l'intérêt de l'humanité entière. Ainsi, pour des peuples épris de dignité, de progrès et de liberté, « être partisan de la paix, c'est chercher, dans ses actes et son comportement, à rester fidèle aux intérêts historiques de l'humanité ; être artisan de la paix, c'est participer avec conviction à la lutte, à toutes les luttes menées pour la liberté, le progrès et le bien-être des hommes», soulignait Ahmed Sékou Touré dans L'Afrique et la Révolution, T.3.

Le pacifisme qui se veut être l'affaire des esprits militants, des hommes du changement, des sages, s'étend de l'intérieur à l'extérieur des Etats quels que soient leur taille et le type de conflits auxquels ils font face. Or, Kant est d'un Etat et d'une époque ; il a connu les horreurs de la guerre. Avisé, il a prôné le changement des mentalités à travers nombre de ses écrits notamment le Projet de paix perpétuelle. Pour ce faire, la question de savoir si Kant est pacifiste ne doit plus se poser au sujet de celui-là même qui a condamné la guerre, prôné la paix comme seul moyen d'épanouissement des libertés individuelles et collectives, donc du progrès du monde. Il est non-violent en dépit de sa théorie de l'"insociable sociabilité" qui dit que la nature crée le désordre pour mettre l'ordre dans la Cité des hommes raisonnables. En un mot, Kant nous encourage à la paix, il nous invite à agir en vue de la fondation de l'état de paix et à oeuvrer en vue de la constitution républicaine qui nous semble à cette fin appropriée. Kant est loin d'être un faiseur de bombe, un terroriste ; il est un humaniste fin qui place l'Homme au coeur de sa pensée morale et politique qui, à son tour, fait une grande place à la question de la paix perpétuelle. C'est au nom de cet humanisme que nous disons que l'acheminement de l'homme vers sa destination morale et politique, vers le règne des fins ou le règne du droit, n'aboutira que grâce aux lumières de la philosophie kantienne du droit appelée ici "pacifisme juridique kantien", d'après l'idée que la raison possède une force du droit. Il nous revient, après que nous nous soyons éclairés, de rester attentifs à tout ce qui peut entraver la pacification des sociétés, ou empêcher la marche des peuples vers le mieux. Prévenir les conflits, énumérer et éliminer leurs causes, c'est redonner des chance à l'histoire de l'humanité de progresser sûrement vers la paix durable.

DEUXIÈME PARTIE :
DES OBSTACLES À LA PAIX À LA PROGRESSION DE L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT.

CHAPITRE I : DES OBSTACLES À LA PAIX CHEZ KANT.

Depuis le livre des Tusculanes, Pythagore définit le philosophe non pas en tant qu'homme de métier, comme le pensera Cicéron, mais en tant qu'un spectateur du monde et des choses. Il ne saurait être un observateur passif. Même s'il ne recherche ni la gloire ni la richesse, il vise une amélioration du monde qu'il critique. C'est pourquoi, le philosophe va rechercher dans le comportement de l'homme-citoyen, dans la gestion de la Cité et dans l'évolution des relations internationales, tout ce qui est susceptible de constituer un handicap sérieux à la paix mondiale. Donc, conscient du fait qu'aucune société ne peut se développer sans être gouvernée par un régime politique, nécessairement par des lois justes et des hommes de confiance, l'éclaireur de la communauté politique qu'est le philosophe va scruter dans ce régime les causes des conflits ou obstacles à la paix interne et externe.

Cependant, est-ce à dire que tous les régimes politiques n'assurent pas toujours une bonne gestion du patrimoine étatique ? Peut-on espérer un jour de bonne gouvernance dans nos Etats post-coloniaux ? La politique arrive-t-elle toujours à bien servir le citoyen, ou se sert-elle plutôt du citoyen? En un mot, y a-t-il une forme de modération de la politique, de la démocratie, qui permette un usage civilisé des principes de la politique et de l'économie en faveur de la paix mondiale ?

1. De l'anti-démocratisme à la crise sociale.

Les philosophes de la politique, en réfléchissant sur les formes de l'Etat, sont parvenus à dégager trois régimes fondamentaux que sont la monarchie, l'aristocratie et la démocratie qui nous intéresse prioritairement. En effet, après avoir défini et ficelé les termes du contrat civil qui doit obliger chaque citoyen envers autrui et envers l'Etat, la question décisive qui se pose est de savoir comment est assurée la direction de la collectivité, et en vue de quel objectif spécifique : les clauses du contrat sont-elles toujours respectées de la même façon par le citoyen et son gouvernant ou son représentant ?

Cette question prouve par elle-même qu'il y a un non-dit qui se révèlera dans le traitement des dérives, des insuffisances, des limites et des enjeux de l'exercice démocratique dans le temps et l'espace. Mais avant, pourquoi nous intéressons-nous à la démocratie plutôt qu'aux autres régimes ?

Des expressions telles que "la déesse de la paix aime par-dessus tout les Etats démocratiques"(G.Ch.Wedekind), "la démocratie est un luxe pour l'Afrique"(Jacques Chirac), "la démocratie est le moins laid de tous les monstres"(Rousseau), "l'Amérique est la vérité de la démocratie"(Tocqueville), sont autant arguments qui font allusion, plus ou moins directement, à l'usage démocratique au quotidien et à l'idéal démocratique dans les Etats modernes.

En effet, convoiter le pouvoir démocratique, l'acquérir, l'exercer, le perdre, indiquent que le pouvoir politique est susceptible d'accumulation et de dilapidation. Ce qui suscite de notre part des questions : comment faire en sorte que la lutte pour la conquête du pouvoir, sa conservation et son exercice, ne transforment pas davantage nos jeunes Etats démocratiques en de véritables fours crématoires ? Comment faire aussi en sorte que l'espace politique public permette la manifestation des libertés, garantisse la concorde, la sécurité, la paix civile, dans une prise en compte réelle des intérêts légitimes de tous les contractants ? La démocratie pluraliste a-t-elle de beaux jours devant elle ?

Répondre à ces questions revient à s'interroger sur les prérogatives du démocrate, sur les conditions de légitimation de son pouvoir et sur celles de l'exercice idéal de ce pouvoir. Ce qui n'est pas sans embûches.

La démocratie dans son idéal recherche les moyens à la fois théoriques et pratiques pour réaliser la vocation du politique en ce qui concerne la liberté, la justice, l'épanouissement des citoyens, le progrès vers la paix, sans distinction de langues, de races et de religions. Elle est de ce fait une doctrine politique synthétique dont la vocation est de résoudre et de dépasser les contradictions ou contrariétés entre le totalitarisme et l'anarchisme42(*). Doctrine-modèle, la démocratie naquit dans la Grèce antique et se développa davantage au XVIIè et XVIIIè siècle avec Spinoza, Locke, Montesquieu et Rousseau.

Comme nous pouvons le faire remarquer, le noyau essentiel de la pensée démocratique se dessine originairement et fondamentalement autour de l'approche optimiste et réaliste de l'homme, de l'Etat et de leurs rapports. C'est pourquoi, la démocratie dans son idéal tente une réconciliation de l'homme avec lui-même, avec ses semblables et avec l'Etat. Cependant, d'innombrables difficultés, contrastes, contradictions et dérives, nous font souvent désespérer de dette démocratie.

C'est le cas d'une Afrique qui force toujours le passage du monopartisme légal au multipartisme ou pluralisme démocratique. Un passage forcé, un retournement de veste qui s'opère difficilement à grands dangers, en versant du sang, donc qui s'accompagne d'actes déshonorant l'Afrique post-coloniale : c'est le signe du pessimisme démocratique africain à l'aube du XXIè siècle dont nous entretient, ici, l'auteur Du bon usage de la démocratie en Afrique.

D'après une lecture récente faite par Sémou Pathé Guèye de la démocratie en Afrique, le bilan du passage au pluralisme démocratique est mitigé, jalonné de paradoxes, de contradictions, de piétinements et de régressions. L'avènement de la démocratie pluraliste aurait « ouvert la boîte de Pandore et libéré ainsi les vieux démons de l'ethinicisme, du régionalisme, du confessionnalisme ou du tribalisme que les anciens régimes autoritaires avaient réussi jusque là, sinon à éliminer, du moins à tenir en respect sous le giron d'Etats-nations (...)43(*)». Il y a aussi le fait que les clivages sociaux et les partages identitaires se sont transformés à l'occasion en des sources potentielles ou réelles de tensions, de conflits internes aux conséquences dramatiques.

C'est dans cet ordre d'idée que son Excellence Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso, Président en exercice de l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A), disait de l'Afrique, à la séance plénière du Parlement européen, tenue le 09/03/1999, que « l'Afrique vit un paradoxe. Alors que la démocratisation se veut un moyen de prévention, de gestion et résolution des conflits internes, en Afrique, la démocratisation devient parfois une source de conflits ou de violence, notamment à la faveur des élections, en raison de la prégnance d'une culture monopolistique du pouvoir 44(*)».

La démocratie pluraliste refuse d'être l'annonce d'un véritable renouveau historique pour devenir, au contraire, un cauchemar macabre pour l'Africain, de telle sorte qu'on est tenté de confirmer que les Africains ne sont pas faits pour la démocratie ou que la démocratie n'est pas faite pour eux. Si de façon générale, l'espoir naissait après la chute du "mûr de la honte " des années 90 qui traduisait, à la fois, la dislocation du bloc soviétique et l'effondrement des régimes totalitaires, la démocratie libérale qui devient le modèle à suivre n'arrive pas encore à résoudre les problèmes liés à l'affirmation des principes d'égalité, de liberté et de justice en Afrique. C'est ainsi que l'usage abusif de la dichotomie démocratie réelle / démocratie formelle serait très peu instructif pour la majeure partie des Etats africains eu égard aux aspects socio-politiques désolants du processus de la démocratisation en Afrique : ce binôme a souvent permis à certains Chefs d'Etats et de gouvernement, et à certains civils, d'occulter les conquêtes que pouvaient représenter la reconnaissance des droits politiques, sociaux et culturels dans le modèle de la démocratie pluraliste ou libérale. 

En addition, soulignons que l'analyse des Formes modernes de la démocratie telle qu'elle est vécue en Afrique, prouve bien que la société civile est de plus en plus subordonnée aux appareils bureaucratiques ; que le tissu social est investi par des mécanismes de contrôle et d'encadrement décadents ou déphasés ; que l'Etat se désengage sélectivement des services socio- publics à travers leur privatisation ; et que les revendications populaires sont souvent récupérées incontestablement par une classe politique opportuniste dite majoritaire.

Ces critiques des formes de gestion institutionnelles de la démocratie pluraliste font qu'il devient de plus en plus difficile de se prononcer une fois pour toutes sur le sort à réserver à la démocratie pluraliste. Car, c'est d'une sorte de paralysie de l'Etat et de la montée de l'individualisme qu'il s'agit au détriment de la collectivité. C'est fort de ce constat décevant que Georges Burdeau écrit que l'Etat est «devenu lourd sans être fort, omniprésent et désarmé, pourvu d'une administration admirable et d'une politique étriquée45(*)», démagogique qui répond mal à la réalité et aux exigences des citoyens. L'on est même tenté de dire, en paraphrasant Mahamadé Savadogo, que le développement des institutions démocratiques actuelles « encourage l'apparition d'une couche de privilégiés, d'une nomenklatura, qui se détache de la population et s'enorgueillit de pouvoir la mépriser du haut de sa compétence46(*)».

En fait, face à la multiplication des mutations sociales, des changements sociologiques et des réactions individuelles ou individualistes, l'Etat est en perte de vitesse : il lui est alors difficile d'imposer des choix, des valeurs et des contraintes aux citoyens emportés par l'égocentrisme. De plus en plus, le citoyen vit dans un monde angoissant sans espoir réel d'un avenir glorieux, puisque le présent est aussi sanguinaire et catastrophique qu'il ne sait si des changements positifs se feront ressentir dans le sens de son épanouissement. Il s'agit d'un malaise glissé dû à la perversion des effets politiques d'un "âge démocratique dit suranné". Cet état des faits va justifier les tendances du citoyen à l'autonomisation et à l'émancipation. Le citoyen refusant aujourd'hui d'être le simple contribuable d'hier, c'est-à-dire un simple récipiendaire. Il refuse de cotiser pour des profiteurs aussi nombreux que les étoiles du ciel. Il semble avoir perdu le sens du sacrifice.

Ce que nous pouvons appeler de nos jours "démocratie du tube digestif" ressemble à une "démocratie de la consommation" d'après laquelle, le citoyen ne veut plus produire pour une masse d'hommes dans laquelle sa personne est confondue. Il veut que ses efforts soient plus récompensés qu'ils ne l'ont été auparavant. Il veut parer au fait que la grande masse productrice croupisse dans la misère et que la paresseuse minorité crève dans l'opulence, dans le luxe. De plus en plus, il est tenté par la propension à demander pour lui-même une part du gâteau. Le citoyen d'aujourd'hui demande souvent pour lui-même plus qu'il ne participe à l'effort national ; ce qui est lamentable par endroits et qui le conduit souvent à des actes déshonorants quand il n'est pas satisfait.

C'est cette crise citoyenne que symbolisent les revendications, les grèves qui justifient la tendance fâcheuse à "la surenchère qu'aux sacrifices réciproques". La crise citoyenne entraîne forcement la dégradation de la sensibilité démocratique, l'appauvrissement de l'empathie. La participation citoyenne a tendance à n'être qu'un simple slogan qui ne donne plus son sens au consensus, sinon à la démission qui gagne du terrain. La démocratie gouvernée cède ainsi la place à la démocratie gouvernante et non maîtrisée, en ce sens que l'Etat faiblit de plus en plus devant les exigences de son peuple et dans l'exercice du pouvoir politique. Nous nous indignons de voir que l'administration des sociétés court déjà un grand risque quand on sait que nos Etats perdent constamment la maîtrise fonctionnelle dans les liens Etat-société, dans les stratégies ou tactiques d'administration ou de gouvernement du moment. Or, ce sont ces tactiques qui permettent à chaque instant de définir ce qui doit relever de l'Etat et ce qui ne doit pas en relever, ce qui est public et ce qui est privé, ce qui est étatique et ce qui est non étatique. Il y a, plus qu'un amalgame, une confusion de rôles ou de tâches qui conduit, la plus part du temps, à l'irresponsabilité et à la culpabilité de tous devant tous en faisant de telle sorte qu'il devient difficile d'être l'ami de la démocratie.

En outre, la crise citoyenne signifie la crise de la politique, de la démocratie, dans les Etats modernes, et traduit le fait que les citoyens ont tendance à prendre, consciemment ou inconsciemment, de la distance, du recul vis-à-vis du pouvoir. Ils se méfient davantage de la politique en éprouvant du mépris pour les politiciens. La politique est donc perçue comme le métier de ceux qui ont les mains sales, en attestent les situations scandaleuses de crimes pour raison d'Etat et de transitions mal gérées. Aussi, les partis politiques, malgré leur multiplication, n'arrivent pas à étancher la soif des citoyens, celle de leur autonomie, de leur responsabilité et de leur participation effective aux tâches publiques. Au lieu d'assurer nécessairement la meilleure gestion des affaires de la Cité, les partis politiques se font des intérêts spécifiques obéissant à des règles que le citoyen ignore. Pire, le peuple, le grand nombre, n'accède pas toujours aux fonctions publiques et à la gestion de l'Etat.

En paraphrasant Platon, nous admettrons que la participation du peuple aux plus importantes fonctions publiques, n'est pas sans danger: le manque de probité des citoyens peut les entraîner à des actes injustes, et leur irréflexion à des erreurs. Leur refuser, d'autre part, tout accès et toute participation au pouvoir, c'est créer un risque redoutable; quand, dans un Etat, existent un grand nombre d'individus privés de droits civiques et vivant dans la pauvreté, cet Etat fourmille inévitablement d'ennemis et donc de conflits. Il ne reste dès lors qu'à les faire participer aux fonctions délibérative, exécutive et judiciaire. Toutes choses qui disent pourquoi la politique semble quelque peu inutile. Son exercice met souvent dangereusement en péril, la quiétude, la stabilité la sécurité des personnes et des biens, donc la paix dans la Cité.

C'est dans cet ordre idées que William Ury assertait que « les partis politiques sont devenus les nouveaux champs de bataille où régler les conflits politiques.... Dans les démocraties modernes... C'est au bulletin de vote de parler, non à la poudre47(*)». les Etats modernes sont devenus de véritables fours crématoires, des lits de conflits violents où se succèdent les charniers politiques ; cela tient à quatre choses.

D'abord, il y a le tripatouillage de la constitution par les présidents des partis majoritaires pour pouvoir se pérenniser au pouvoir ; tous les moyens y permettant. Ensuite, apparaît le manque de transparence dans l'organisation des élections qui sont de fait truquées. Alors que chez Kant, la démocratie en tant que système représentatif, doit permettre la « plus grande concordance, accord entre la constitution et les principes du droit, et auquel la raison par un impératif catégorique nous fait une obligation de tendre 48(*)»: l'affirmation des principes démocratiques tels la séparation des pouvoirs, la justice et l'égalité, les élections libres et transparentes, constituerait de la sorte la garantie de la paix. C'est ce que nous lisons chez Jean Laurain qui écrit que la dictature est un mal en soi parce que destructrice du droit fondamental de l'homme : la liberté. Et c'est parce qu'elle respecte le mieux la liberté du citoyen que la démocratie porte en elle la paix dans l'équilibre des forces et le respect du droit de l'homme. À partir du moment où chacun pourra s'exprimer à travers des élections libres et le parti de son choix, le risque de guerre ou de révolution s'éloignera. Le perfectionnement de la démocratie, de la constitution démocratique concerne l'avenir de la nation. Si la démocratie devient un luxe, alors souffrons-nous de voir les guerres se perpétrer sans qu'on ne puisse les éviter. Pour parfaire plus ou moins la démocratie, une place de choix doit être accordée à la réduction des inégalités sociales et des injustices entre les citoyens, mais aussi entre les Etats à systèmes socio-politiques différents.

Sous un autre angle, notons que la médiatisation actuelle des scrutins dans les pays pauvres très endettés laisse croire au culte moderne de la personnalité, dont une procédure propagandiste et démagogique fait élire des individus, même quand les quelques rares projets de société qui pourraient exister ne sont pas bien compris ; s'ils ne sont pas ignorés, ils sont mal adaptés aux réalités locales : c'est une procédure de trompe-l'oeil utilisant des mots sinistres. Aussitôt que le choix est mal fait, l'on compromet dangereusement l'avenir de la nation. La démocratie en se réduisant, petit à petit, au seul usage du bulletin de vote, renforce le sentiment d'impuissance à faire montre de ce à quoi le citoyen tient bon : la sauvegarde du lien civil et non sa dislocation par des actes qui traduisent la soif du pouvoir. C'est pourquoi, il faut que l'éligibilité descende jusqu'à la proximité des citoyens qui sauront dorénavant apprécier des projets de société parce qu'ayant été formés ou éduqués à la cause, à la démocratie. Une éducation qui permettra de briser le mythe qui sépare l'élu de ses voix : les discours, les interviews et les conversations politiciennes font croire au peuple que la démocratie est trop sérieuse et plus digne pour lui être confiée. « On lui permet juste d'aller crier très fort dans les stades de football le nom de sa ville (de son candidat qu'il connaît souvent même à peine). Activité dérisoire et dérivative mais véritable école de chauvinisme primaire49(*)», note Bernard Crozel.

Le fait le plus lamentable est que les élus du parti majoritaire arrivent toujours à embrouiller le peuple, à opposer violemment les oppositions nationales qu'ils affaiblissent, pour mieux régner. Ce qui nécessite une cure de la démocratie consistant en un contrôle vigilant dans la gestion de la chose publique, dans l'action politique et dans la tenue des élections qui se voudront pacifiques, claires et transparentes. La cure démocratique consiste, ensuite, en un renforcement de la conscience du citoyen qui pourra demander des comptes à son représentant élu. Elle consiste, enfin, en la redéfinition des rapports institutionnels entre le citoyen et l'Etat. C'est à cette seule mesure que la démocratie renforcera le sentiment nationaliste et la paix sociale au détriment du désintéressement civil joint à la frustration. Elle renforcera aussi la manifestation de la liberté de presse et d'opinion qui, assurée, permet d'éviter certaines frustrations et injustices.

Tout se passe comme si, en Afrique par exemple, il était impossible d'organiser des élections et de les perdre. L'Afrique doit se familiariser, se fidéliser, avec la formation de gouvernement de transition ou de large ouverture pour éviter de frustrer les partis politiques de l'opposition. Enfin, il s'est avéré que les campagnes électorales sont des occasions de promesses, flatteuses, faites aux populations par des bouches mielleuses qui ne sont pas obligées de les tenir au lendemain de la victoire. L'opération électorale, qui devrait donc être l'expression de la vox populi, est de ce fait corrompue en ce sens qu'elle ne permet pas aux populations d'énoncer librement leurs préférences.

Le malheur de l'Afrique s'origine dans cet antidémocratisme : la politique semble n'avoir plus pour finalité la pacification de la société. Ceci est une erreur monumentale. Car, avoir la destinée d'un peuple entre ses mains ne signifie pas le conduire par la contrainte, mais le faire suivre par son assentiment, c'est l'éclairer. Le peuple, souverain et législateur, doit toujours avoir le mérite et la responsabilité de s'exprimer au sujet de tout ce qui touche à sa vie ( la question de la guerre par exemple).

Selon Kant, il faut que chaque Etat soit intérieurement organisé de telle façon que ce ne soit pas le chef de l'Etat, à qui au fond la guerre ne coûte rien (car il la conduit aux frais d'un autre, à savoir le peuple), mais le peuple, à qui elle coûte personnellement, qui ait la voix décisive pour dire s'il doit oui ou non y avoir guerre.

Si nos valeurs sociales sont vilipendées, nos sociétés et notre mode de vie sont alors en passe d'être détruits par la guerre qu'il faut donc combattre : ce combat n'est pas seulement l'option d'une politique close, mais une option de la politique internationale ; c'est une nécessité pour la survie de la démocratie et des libertés. La valeur de la démocratie dépendra toujours de l'issue de ce combat ; elle ne doit pas faillir malgré ses faiblesses et ses dérives, malgré les critiques acerbes, mais souvent positives, formulées à son encontre depuis l'Antiquité grecque à nos jours : celles de Platon et de Nietzsche nous servent de point de mire.

Pour Platon, elle est le règne des incompétents et des démagogues. C'est ainsi que, partant de l'expérience de la décadence des Cités grecques, il note que le désarroi des Cités et des citoyens est dû au fait que la doxa personnelle, les sentiments individuels et divers, aussi bien des gouvernés que des gouvernants, constituent un relativisme et un pessimisme glissé qui sont d'énormes sources d'instabilité. Donc, l'Etat moderne est victime d'une philodoxie qui fait qu'il est comparé par Platon lui-même à un bateau ivre où il y a un capitaine qui est plus grand et plus fort que tous les autres, mais il est légèrement sourd et myope et sa connaissance de la navigation n'en n'est pas toujours la meilleure. L'équipage se mutine parfois, prend le bateau et buvant et festoyant, continue son voyage avec le résultat qu'on peut attendre de lui.

C'est cette direction incompétente de la Cité qui accroît les crises, les rebellions et les frustrations, et qui conduisent tôt ou tard à la décadence dont parle Nietzsche.

La démocratie dans son acceptation nietzschéenne n'est qu'une "idéologie de la décadence", c'est-à-dire qu'elle met en avant des incapables, des hommes du ressentiment, des hommes vaincus par la vie qui n'ont autre choix que de perpétrer la mort à travers les crises sociales, les rebellions, bref, les guerres. Au nombre sans cesse croissant, ces incompétents, ces médiocres, freinent l'avancée de la Cité vers la paix, vers le progrès. Ils freinent ainsi donc la capacité des Etats à tisser des relations solides, harmonieuses et pacifiques entre eux. C'est pour cette raison que nous voulons de concert avec Nietzsche que ce soit des hommes doués, excellents, des sur-hommes, qui gèrent les affaires de la Cité, car cela leur recommande que le sens politique soit imprégné des vérités morales et citoyennes de leur temps.

Aujourd'hui, au regard des pratiques politiques dans les Etats dits "démocratiques", on assiste de plus en plus à de graves dangers liés à la récupération de la politique par l'argent, les médias et l'armée. La corruption en submergeant de la sorte le domaine politique, fait de lui le domaine où le profit, l'intérêt égoïste et immédiat, celui d'une famille ou d'un groupe particulier est de mise. L'usage démocratique est de ce fait perverti et converti en une "plutocratie", en une "médiacratie", en une "démarchie" ou encore en un "pluralisme-corporatisme" conduisant à un affrontement débridé des pouvoirs et des intérêts des citoyens. C'est, nous semble-t-il, ce qui est poursuivi et développé aujourd'hui à travers les hégémonismes, politique et économique, qui gouvernent le monde, et que nous analysons, ici, à la lumière de la réflexion de Kant en ce qui concerne la domination politique et économique qui hante encore les peuples.

2. L'hégémonisme politique et économique. 

À l'heure de la mondialisation, les jeunes Etats démocratiques sont soumis aux divers programmes d'ajustement structurel (PAS) des bailleurs de fonds internationaux. C'est ainsi qu'ils perdent, en partie, leur indépendance dans l'asservissement économique. Or, la paix ne vaut rien pour un peuple asservi. Et, il suffit qu'un conflit éclate dans un Etat donné pour que des soi-disant forces de protection des civils soient déployées expressément pour protéger les intérêts de la puissance colonisatrice. En effet, le professeur Mahamadé Savadogo, parlant de la crise ou de la guerre civile qui secoue la Côte D'Ivoire depuis le 19/09/2002, écrit que « l'intervention des armées étrangères dans ce conflit prouve bien que ce qui est en jeu, c'est la défense d'ambitions hégémoniques. Cette crise trouve son origine dans la faillite de la domination française, des politiques de développement dictées par le FMI et la Banque Mondiale, et enfin, l'aveuglement d'une frange de l'élite politico-bureaucratique de la Côte D'Ivoire50(*) ».

Tant qu'un Etat demeurera la chasse gardée d'une domination quelconque, il faut dire que celle-ci ne recherche que le capital financier par l'exploitation des richesses dudit Etat :« Le capital financier veut non pas la liberté, mais la domination » écrit Hilferding51(*) au sujet de cette domination capitaliste qui use d'une certaine politique financière ou idéologie pour renforcer la tendance aux conquêtes coloniales, aux annexions, à l'hégémonie politique par suite de rivalités entre les puissances et leurs sujets.

Kant n'aurait que condamner cette puissance financière puisqu'il est le défenseur de la liberté, de l'indépendance, de l'autonomie ou de la souveraineté des Etats sans tenir compte de la taille, de la grandeur territoriale et de l'influence politique de chaque Etat. Selon Kant, est souverain tout Etat qui est susceptible de s'auto-déterminer, de s'auto-gérer librement tant du point de vue politique, économique que social qui sont les trois domaines de la vie intimement liés. Malheureusement, il est constaté que nos jeunes Etats titubent toujours en matière de gestion responsable des biens publics et acquis sociaux ; la dépendance ou l'ingérence politico-économique met en veilleuse la gestion souveraine des affaires de la Cité. C'est ce que nous avons nommé "hégémonisme politique et économique" entendu comme unique moyen de domination d'un Etat fort sur un Etat faible. Il y a comme un complexe politico-économique qui oblige les Etats faibles à se soumettre aux impératifs des plus forts. L'exemple historique est celui de la colonisation pendant laquelle le Blanc a gouverné les Etats soumis et continue de le faire sous une forme modernisée. Lénine lui-même l'avait reconnu quand il écrivait que quand un Blanc se gouverne, il y a self-government, mais quand il se gouverne lui-même et, en même temps, gouverne les autres, ce n'est plus du self-government, c'est du despotisme.

Pour Kant, l'Etat est une communauté politique, une société de sujets libres. De ce fait, aucun Etat, grand ou petit, puissant ou faible, ne peut s'acquérir par héritage, par échange, par achat ou par donation. C'est pourquoi, Kant condamnait la colonisation en tant que seule opportunité offerte à un Etat puissant de disposer d'un autre, d'une région entière par le biais d'un simple traité de protectorat ou d'amitié. C'est le cas de l'Afrique dominée par l'Occident et qui l'est toujours grâce au capitalisme qui poursuit le partage économique et territorial du monde en violation du droit cosmopolitique qui, selon Kant, doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle. Il n'y a que le droit de visite qui soit reconnu aux étrangers en excluant bien sûr le droit d'acquérir le sol. Cette limitation traduit le minimum juridique qui doit être reconnu au colon dans les pays qu'il visite, mais qu'il colonise en abusant du droit. C'est aussi l'unique droit à réserver à la liberté et à l'autonomie de toute la communauté politique (démocratique, puisque c'est elle que nous avons choisie de parfaire) afin de préserver les chances d'atteindre l'autonomie républicaine.

C'est d'ailleurs une façon pour Kant de rétablir la liberté et la dignité virtuelles des Etats colonisés que de limiter le droit aux conditions uniques d'hospitalité universelle pour mieux faire la promotion des droits des pays colonisés afin que ceux-ci décident d'eux-mêmes de l'opportunité et des conditions d'installation du colonisateur sur leur sol. Dès lors qu'il y aura incompatibilité, l'installation de l'étranger devra être refusée. Et, si la préservation des droits des citoyens se fonde sur une autre politique que sur la politique d'intégration ou d'inclusion nécessaire des étrangers, il est alors incompatible avec le droit républicain. Cette incompatibilité tient toujours l'Afrique par ses chaînes multiséculaires. Particulièrement, l'Afrique n'a pas encore fini de payer les frais de la domination coloniale puisque aujourd'hui encore, « les anciennes puissances coloniales disposent toujours de réseaux et de circuits à travers les pays qu'elles colonisaient, aussi bien en termes de cadres économiques que de dirigeants politiques et de leaders d'opinion dans la société civile. À travers tous ces réseaux, ces pays ex-colonisateurs peuvent agir très puissamment sur les rapports entre eux et les pays africains », note le Pr. Joseph Ki-Zerbo52(*).

En effet, l'hégémonisme des colons se traduisait et se traduit encore en Afrique par des liens étroits avec les dirigeants étrangers et les Chefs d'Etats africains qui sont révocables ou remplaçables dès qu'ils ne font plus l'affaire de la métropole, c'est-à-dire pérenniser l'influence française, anglaise, allemande, dans les Etats africains. Ces pouvoirs accommodants et compatibles sont financés stratégiquement par la métropole pour qu'ils préservent leurs intérêts. L'hégémonisme politique prend ici le nom de politique d'ingérence dans les affaires intérieures des Etats post-coloniaux. Ce qui est, selon Kant, une immixtion de force dans la constitution et dans le gouvernement d'un Etat jugé faible, qui se prostituerait volontairement pour bénéficier des largesses de l'occupant.

Sur le plan social, la domination politique coloniale a entraîné en Afrique la hiérarchisation des ethnies au même titre que les races ont été hiérarchisées. L'ethnogenèse ou la germination contemporaine de l'ethnicisme connue sous le nom de génocide au rwandais, par exemple, ne symbolise rien d'autre que la préférence d'une ethnie minoritaire à une autre ethnie majoritaire : les Tutsi préférés aux Hutu. Alors qu'au fond, ce sont deux ethnies frères qui ont vécu ensemble de glorieux moments, partageant la même culture, la même langue et les mêmes terres sans dommages, tellement que les processus nationalitaires étaient déterminants

À la période post-coloniale, les contradictions apparaissent au grand jour. Les deux ethnies rivalisent le pouvoir démocratique ; la guerre structurelle naquit sans qu'aucune Conférence nationale ne pu fonder très rapidement la nation. Le bouc émissaire belge du mal rwandais fuit le peuple, retourne chez lui pour mieux attiser le feu à une distance raisonnable. Ces exemples, rwandais et ivoirien, montrent bien comment la domination politique coloniale a mis en place, dans les Etats, des idéologies haineuses, néfastes et des pratiques de répression ethniques.

Sur le plan économique, on assiste à un certain repositionnement des investisseurs-exploitateurs qui exploitent les Etats déjà colonisés. « Aujourd'hui donc, comme le dit le Pr. Joseph Ki-Zerbo, il y a une sorte de nouveau partage de l'Afrique qui ne dit pas son nom, mais qui se fait à travers l'invasion capitaliste, financièrement surtout, dans les différentes zones du continent53(*) ».

Cette invasion capitaliste est l'oeuvre des firmes multinationales européennes qui contrôlent et exploitent les richesses minières ou énergétiques des ex-colonies. Mais, il faut ajouter que ces firmes industrielles semblent ne pas s'intéresser au mieux-être des populations qu'aux intérêts, quand il s'est avéré que l'exploitant incendie l'exploité, soutient les belligérances, les rebellions pour mieux le dépouiller. L'exploitant va-t-il souvent brouiller les relations de l'exploité avec ses voisins ou avec d'autres exploitants qui pourraient s'intéresser à son butin, même quand il l'a négligé pour un temps donné. Et pourtant, les réserves de minerais ou d'énergie d'Afrique intéressent toute l'Europe et aussi certains Chefs d'Etats africains qui ont des vues impérialistes, « d'où les conflits permanents, puisque chacun a ses intérêts : les transnationales entre elles, chacune des transnationales avec les puissances africaines, les puissances africaines entre elles, et chacun des Africains avec les transnationales. C'est pourquoi la guerre est à l'ordre du jour 54(*)».

Dit autrement, depuis l'époque coloniale, l'objectif du colon était de bénéficier de débouchés pour écouler ses produits finis et acheter les matières premières bon marché en Afrique. Chacun des colonisateurs a voulu se tailler de grands empires économiques synonymes de "part de lion". Petit à petit, les ethnies africaines deviennent commerçantes, les unes plus que les autres. De là naissent aussi certains conflits ethniques.

Aujourd'hui, c'est la vente du pétrole, le trafic de l'or, de l'uranium et de diamant qui ensanglantent l'Afrique. La responsabilité des Etats nantis est aussi grande en ce sens qu'ils se servent de l'alibi du commerce avec l'Afrique pour intensifier la vente des armes. C'est fort de ce constat que nous disons que le commerce avec l'Afrique a permis à l'Europe de s'impliquer directement en décideur économique ou financier dans la gestion des affaires économiques de la "Cité noire". Il lui a permis de semer l'anarchie et la division en Afrique avec la complicité de nombreux bureaux d'études, de confréries, de clubs, de congrégations missionnaires, qui y ont joué un rôle déterminant par l'éducation et la santé. C'est aussi grâce à ce commerce que l'Occident s'est même créé des "marchés captifs" constitués du patrimoine culturel et artistique africain qui nous oblige à nous y rendre pour y vivre notre africanité ou pour retrouver notre passé. Ce qui est une sorte de "lien de servitude" culturelle pour l'Africain.

De façon identique, le système de créance ou d'endettement, que les Africains ont accepté, bon gré mal gré, est né des échanges commerciaux avec l'Europe. Pire, l'endettement a fait l'objet de critiques négatives d'après lesquelles, les sommes colossales récoltées constituaient une fortune de guerre qui favorisait le recrutement, la formation et l'entretien des armées permanentes qui, selon Kant, doivent disparaître avec le temps pour permettre que les fonds de l'aide et les dettes relancent le développement socio-économique des Etats.

Cependant, il n'y est pas question ici de créer  chez Kant comme chez R. Garaudy « des différenciations si profondes et des affrontements si brutaux que les plus faibles y soient brisés ou mutilés ; (mais) en un mot une société garantissant à chacun la liberté, la responsabilité et les moyens de son développement personnel en harmonie avec le développement de tous 55(*) ».

L'intérêt est que le développement ne doit plus se définir uniquement en termes de Produit National Brut (PNB) ou de Produit Intérieur Brut (PIB), sans référence à un projet humain ou à une qualité de la vie.  Nous devons nous formuler davantage une conception humaniste du développement qui est donc contraire à la comparaison des Etats et à leur hiérarchisation suivant les seuls critères de production et de consommation. Ce qui revient à dire que le développement ne doit se définir aujourd'hui qu'en ayant à vue la finalité humaine, c'est-à-dire une mise en valeur des peuples, de leur patrimoine politique, économique et socio-culturel.

Le vrai développement humain, durable est celui qui assure nécessairement le passage négocié et pacifié, pour chacun et pour tous, de conditions les moins humaines aux conditions les plus humaines qui soient; c'est-à-dire le passage des carences matérielles et morales, de l'égoïsme et de l'injustice, à la possession de ce qui est nécessaire, à la maîtrise des calamités naturelles ou artificielles, à l'acquisition de connaissances, au vécu des hommes, à la volonté de faire la paix dans notre condamnation à vivre ensemble dans la paix. C'est cela l'humanisme kantien en faveur de la paix ; celui qui recherche l'auto-determination, l'auto-gestion des ressources et non le pillage de richesses ou le transfert de ressources des Etats pauvres vers les Etats nantis. Lénine n'avait pas du tout tort quand il faisait remarquer que « le capitalisme s'est transformé en un système universel d'oppression coloniale et d'asphyxie financière de l'immense majorité de la population du globe par une poignée de pays avancés56(*) ».

Le capitalisme est la mère des misères des pays ironiquement appelés "pays en voie de développement". Ne sommes-nous pas alors en droit de nous demander si, la multiplication des différences et injustices dans les conditions de vie des peuples ou nations du monde, développées et sous-développées, ne met pas plus en danger la paix mondiale que la prolifération des armes à destruction massive ? En tout cas, l'accentuation des différences entre les peuples du monde a permis à des sceptiques d'affirmer que la Troisième Guerre Mondiale sera une guerre économique qui sera due aux injustices sociales et économiques compte tenu du fait qu'une inégale répartition des revenus d'un Etat, jointe à une politique de développement sélective, sont toutes dangereuses pour la stabilité, pour la paix sociale qui est alors menacée de frustrations, d'injustices.

Dans la même optique, Fatsah Ouguergouz écrit que « tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de leur liberté, de leur identité, à la jouissance égale du patrimoine commun de l'humanité 57(*) ». C'est pour favoriser une telle jouissance que nous assistons de plus en plus à l'institutionnalisation du développement pensé dans le sens du droit, du devoir et de la solidarité universelle qui est d'emblée un devoir moral. Il s'agit d'un devoir qui se fonde sur la volonté des citoyens du monde à s'entre-aider, à venir en aide aux pauvres, aux nécessiteux; l'objectif étant de créer une atmosphère de paix sociale, de cohésion et d'harmonie.

Puisque la paix sociale ne se fait pas avec des gens de mauvaise volonté, de mauvaise foi, ni avec des gens cupides, égoïstes, le droit intervient, tout comme la morale, pour faire miroiter la nécessité de la solidarité tant en temps de paix qu'en temps de difficultés. Car, l'instauration d'une paix mondiale durable passe nécessairement par une action menée, à l'échelle de l'humanité, en vue de réduire la pauvreté, les injustices, les oppressions massives et discriminatoires, les inégalités qui, toutes, conduisent, tôt ou tard, à la revolte ou à la rébellion d'un peuple qu soif du changement. Cependant, ce souci de liberté des peuples partageant un même sort, doit-il se justifier toujours et forcement par le recours à la force ? Si non, sur quoi devrait se fonder un tel besoin ?

3. Du droit de révolte des peuples dans l'histoire.

La révolte des peuples, telle que nous l'entendons ici, traduit le mécontentement des citoyens dont les droits sont violés et qui les poursuivent par la violence, la révolte. La révolte est, en ce sens, une forme de contestation, de protestation, de revendication, ou d'opposition à des lois, à des projets, ou à des actions ou comportement d'hommes politiques, que le peuple jugerait déraisonnables, voire inadaptés ou mal adaptée à son vécu quotidien.

Cette définition de la révolte nous amène à nous questionner : l'aliénation des libertés individuelles, la violation des droits des citoyens par leur chef, qui piétinerait ainsi les principes républicaines d'égalité, de justice, de paix, socle de l'Etat de droit, doivent-elle se traduire, immanquablement, par des actes d'incivisme sur fond de révolte, de rébellion ? En d'autres mots, pouvons-nous et devons-nous admettre, en suivant Kant, un droit de révolte, à la limite armée ? Un quelconque droit de révolte serait-il admissible, à cet effet, dans la constitution d'un Etat qui a soif de paix ?

En effet, la formation de l'Etat de droit recherche, d'emblée, la stabilité des règles qui régissent la vie politique et sociale, la protection des uns contre la violence des autres. Cela présuppose qu'en dépit du changement de législateurs et de ceux-là qui exécutent les lois, les règles acquièrent une certaine stabilité qui puisse assurer leur survie. La règle en changeant doit s'adapter à une condition précise, à une situation orientée, et pendant une période donnée. Telle est la vocation de l'ordre juridique qui imprime, à la fois, le respect des droits humains, l'épanouissement des citoyens, l'égalité, la justice dans le partage et la distribution des revenus de l'Etat aux citoyens selon leurs efforts personnels. C'est ce qui nous a motivés à mettre à nu les dérives dans la gestion des hommes et des choses, les insuffisances, dont souffre la démocratie dans sa vocation de réaliser l'idéal républicain kantien.

C'est aussi ses fautes graves d'ethnicisme, de crime pour raison d'Etat, de corruption, de vol de deniers publics, ainsi que l'insouciance vis-à-vis de la misère du citoyen, qui nourrissent son goût pour la révolte, souvent incontrôlée et violente. Ce qui fait que la sécurité des citoyens laisse à désirer de la même façon que le chômage, la faim et la maladie le rongent ; alors que les fonds de la dette et de l'aide sont gaspillés, pour ne pas dire, alloués ou destinés à des projets de seconde, voire de dernière nécessité. C'est ainsi que le peuple se sentira frustré, et se réveillant, se révolte contre la classe dirigeante qui est au pouvoir, c'est-à-dire contre le chef de l'Etat, le premier responsable : la révolte, la rébellion ou le soulèvement populaire, s'originent dans cette misère grandissante au sortir de laquelle, le peuple recherche un « sauveur », à travers le changement violent et révolutionnaire. Le peuple refuse par là l'idée de bonheur du chef en voulant le détrôner. Cela se lit chez Kant (1990, 35) en ces termes : « le souverain veut rendre le peuple heureux selon l'idée qu'il s'en fait, et il devient despote ; le peuple veut ne pas laisser se frustrer de la prétention au bonheur commun à tous les hommes, et il devient rebelle ».

La rébellion, ou la révolte des peuples, peut s'expliquer par le fait que, le plus souvent, les leaders politiques orientent leurs actions plus vers certaines contrées que vers d'autres régions ; ils favorisent certains citoyens, certaines couches au détriment des autres. C'est la raison pour laquelle, à un moment de l'histoire d'un peuple donné, on assiste à des luttes sanglantes entre fractions, à des guerres civiles qui sont, en réalité, des dangers qui menacent presque tous les corps politiques composés de privilégiés, de bourgeois, et qui maintiennent la hiérarchie sélective entre les fractions de la société. Tout se passe, parfois, comme s'il n'y avait pas de règles stables, de normes juridiques et morales, des lois justes, susceptibles d'orienter la conduite des gouvernants envers leurs voix. Serait-on tenter de dire que les gouvernants aimeraient vivre dans l'ignorance de toute loi qui, quand elle existe déjà, est tronquée, tripatouillée, pour répondre et s'adapter aux désirs, aux exigences du tyran.

Dans ce cas, Kant reste ferme ; il reconnaît, bien sûr, la justesse de la révolte contre le chef dictateur, car il dit que « le peuple est en droit de secouer par la rébellion le joug d'un tyran (non titulo, sed exercitio talis) 58(*)». Il ajoute qu'il est admis, « hors de doute », que le peuple ne fait pas, ainsi, tort au tyran en le détrônant. Comme on le voit, Kant est révolutionnaire; mais dans quel sens ?

Chez Kant, la révolution signifie la quête du changement de la constitution (vicieuse), de ses hommes, et non pas le simple désir, la simple volonté de recommencer à nouveau. Selon lui, la révolution se réfère plus à sa réussite ; à  l'acte accompli , à l'évènement survenu  qu'à la seule tentative, même s'il faut bien commencer par quelque chose pour aboutir à une autre. Dans cette optique, la révolution doit favoriser la constitution d'une forme différente de gouvernement précédent, la formation d'un corps politique nouveau. Elle doit aussi permettre de libérer véritablement le peuple, et non le nuire moins que le ferait le tyran évincé ; tout en créant un climat de paix, de justice, de liberté et d'égalité. Cependant, l'auteur de la Doctrine du droit appelle à plus de discipline, d'obéissance et de soumission aux règles du nouvel ordre politico-social : « Quant une révolution a réussi et qu'une nouvelle constitution est fondée, l'illégalité du commencement et de son établissement ne saurait libérer les sujets de l'obligation de se soumettre comme de bons citoyens au nouvel ordre des choses, et ils ne peuvent refuser d'obéir loyalement à l'autorité qui possède maintenant le pouvoir 59(*) ».

Il faudra donc se garder de soutenir l'idée que la révolution, une fois réussie, désignera le brusque refus de la discipline, le relâchement de l'effort personnel, la désobéissance civile, le non respect des nouvelles lois, les multiples grèves, boycotts, le sabotage et l'insoumission gratuite, qui ne peuvent que porter un coup dur sur la moralité et l'exercice politique du moment. Ce serait incompréhensible pour des « animaux politiques doués de raison » de trahir l'histoire en agissant de la sorte. Dans ce cas, l'on n'aura pas tort de condamner la révolte60(*) des peuples, c'est-à-dire de ne pas admettre un droit à la révolte comme le voudra Kant lui-même qui devient, alors, légaliste. Pour lui, et dans le cadre de l'institution de l'Etat de paix ou de droit, «toute opposition au pouvoir législatif suprême, toute révolte destinée à traduire en actes le mécontentement des sujets, tout soulèvement qui éclate en rébellion est, dans une république, le crime le plus grave et le plus condamnable, car il ruine le fondement même61(*) ».

Selon Kant, la réserve tacite d'un droit à la révolte contre un chef, est quelque part, une injustice ; car la maxime qui permet la rébellion ne doit pas être rendue publique ; elle se garde secrètement puisse que sa publicité rend impraticable la rébellion. D'où, « si, en fondant une constitution, le peuple se réservait la condition de pouvoir un jour employer la force contre son chef, il s'arrogerait un pouvoir légitime sur lui. Mais, alors le chef cesserait de l'être ; ou si on voulait faire cette condition une clause de constitution, celle-ci deviendrait impossible et le peuple manquerait sont but 62(*) ».

En succombant dans la lutte, le peuple ne pourra plus se mettre à l'abri des « rudes châtiments de son chef » qui ne l'étonneront guerre. De ce fait, le peuple aura involontairement cédé le flanc au chef qui pourrait se venger de lui en le soumettant à sa volonté  de despote: la crainte de l'élimination physique, la violence intellectuelle ou terrorisme psychologique, ainsi que ma méfiance, introduisent l'instabilité et le désordre dans un peuple qui aurait mal conduit sa lutte, ou qui l'aurait conduite d'une manière ou d'une autre. Le peuple aura donc tort de poursuivre son droit de cette manière.

C'est la raison pour laquelle, au sein des fédérations, au sein des organisations interétatiques, telle l'organisation de l'Unité Africaine (OUA), les tentatives de rébellions armées, les coups d'Etats, sont condamnées. Ainsi, au 35è Sommet de l'OUA, qui s'est tenu à Alger le 07/07/1999, « les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé que les coups d'Etats, les rébellions armées ne seront plus tolérés. Les régimes qui en seront issus ne seront plus reconnus et ne siègeront plus à l'OUA. Ceux qui prennent le pouvoir par les armes n'auront plus leur place en Afrique 63(*)».

En définitive, l'imperfection des Etats et leur constitution ne doit pas légitimer au justifier le recours à la rébellion, à la révolte pour les parfaire : on ne doit pas vouloir réformer la constitution d'un Etat par la violence, la révolution ; c'est au chef, aidé par son peuple, de le faire par la seule voie du droit, de la raison et la morale.

Le réformisme kantien en faveur de la paix n'est possible que pour un peuple éprit de liberté, de justice, et d'égalité. Ce réformisme kantien permet, à n'en pas douter, la progression des peuples vers le mieux, vers la paix.

Chapitre II : De la progression de l'humanité vers la paix chez Kant.

Le but de la présente réflexion, loin d'être une pure lamentation de philosophe face aux situations conflictuelles multiples, est de s'interroger sur la façon dont se présente l'histoire de l'humanité, de montrer comment l'homme pense sa relation au monde des guerres, et, au besoin, de l'aider à reprendre de l'espoir si toutefois la recrudescence des guerres le plongeait dans un pessimisme fatal. Autrement, il s'agit d'amener le citoyen à tirer des leçons de son histoire, même défectueuse, en vue de la perfection64(*) future de la société, de l'amélioration future des conditions d'existence de l'homme. Car, en réalité, l'histoire dont il est question chez Kant, est une histoire non du passé, mais de l'avenir des hommes, une histoire prospective, oraculaire, et morale, puisqu'elle concerne « la totalité des hommes rassemblés sur terre en société et distribués en peuples (universorum),quand on se demande si l'espèce humaine progresse constamment vers le mieux65(*) ».

Elle ne se présente pas de façon envieuse  en ce sens que « L'histoire des hommes est, selon Janine Chanteur, l'histoire de leurs guerres beaucoup plus que l'histoire de la paix.66(*) » Cette idée traduit bien la fréquence des conflits, des guerres, des crises ou des déchaînements effrayants qui émaillent la vie des hommes; une histoire tragique qui évolue certainement vers des jours meilleurs. Nous pensons à la guerre qui opposa Sparte à Athènes, aux deux guerres médiques entre la Grèce et la Perse, à la chute de l'empire romain, aux guerres et invasions barbares en Europe.

À cela s'ajoutent les Deux Guerres Mondiales, la guerre du Biafra, le conflit israélo-palestinien, l'épuration ethnique en Yougoslavie, la guerre du Cachemire indien, la guerre afghane, la guerre soudanaise et le conflit irakien. Sans oublier les attaques terroristes des 11/09/2001 à New York, 11/03/2004 à Madrid et du 07/07/2005 à Londres.

Telle est la réalité tragique de l'histoire des hommes, aussi inquiétante qu'elle soit pour faciliter l'avancée de l'humanité vers la paix mondiale, la liste des guerres étant loin d'être exhaustive. Ce qui ne saurait nous empêcher de penser un avenir radieux.

1. Les conceptions kantiennes du progrès vers la paix.

Certes, la société des hommes n'est pas un tout homogène et immobile, mais un ensemble hétérogène traversé de crises qui, permettraient son évolution et sa conservation dans l'avenir. C'est cela donner un sens à sa vie, exister à la manière des sages, "rivaliser le bonheur avec les dieux", et voici le leitmotiv de toute la réflexion du philosophe sur le monde. C'est pourquoi, il nous sera toujours nécessaire de nous interroger sur le sens du monde, à savoir si le genre humain est constamment en progression, s'il lui arrive de régresser dans sa progression, ou s'il vit dans un statut quo, dans un état de stagnation qui le conduirait, inlassablement, vers la résignation face au désordre qu'il se crée : « l'espèce humaine est ou bien en continuelle régression vers le pire, ou bien en progrès constant vers le mieux quant à sa destination morale, ou bien en éternelle stagnation au degré pressant de sa valeur morale parmi les membres de la création (ce qui revient à tourner éternellement en rond autour du même point) » 67(*).

Ce sont là résumés, en une problématique, les trois postulats de la réflexion kantienne sur le progrès de l'humanité vers le mieux. En effet, quelle que soit la situation dans laquelle nous sommes, notre sens de la vie se justifie dans la conception que nous avons de l'histoire, le sens que nous donnons à la guerre et à la paix qui sont les cadres dans lesquels se passe notre existence.

Ainsi, la complexité de la guerre, la multiplication des crises, peuvent-elles constituer un vrai pan du progrès de l'humanité vers la paix, vers le Bien ? Au contraire, est-ce une régression fatale de l'humanité qui consiste à vouloir dire que le Mal l'emporte toujours sur le Bien ? Le progrès ne suppose-t-il pas une cohabitation négociée du belliciste avec le pacifiste, et vice versa ? Malgré l'imprévisibilité des événements historiques mondiaux, malgré l'imprédictibilité de l'avenir, Kant nous propose trois grandes conceptions du progrès qui constituent l'un des moments forts de notre réflexion sur l'avenir de l'humanité.

Dès l'abord, disons que la prétendue sortie de l'homme de l'état de nature ou état de guerre, pour se réfugier dans l'état civil, est le premier signe du progrès de l'humanité vers le mieux-être, vers la paix. Cependant, il est constaté que la guerre, dont les moyens sont de plus en plus sophistiqués, marque le retour terrible de l'état civil à l'état de non civilisation : c'est un empirement, « un amoncellement de grands forfaits et de maux à leur mesure 68(*) ». C'est en cela que se réduit la conception terroriste de l'histoire de l'humanité chez Kant; un terrorisme moral qui se traduit par le fait que toute l'humanité risque de périr dans le feu, de s'anéantir69(*) elle-même, quand on sait que les armes se créent de toutes pièces. Alors, le terrorisme sous sa forme actuelle ne saurait paraître surprenant, puisque Kant avait déjà pensé le mal et avait prévenu le monde de cette crise morale qui signifiera le grand mépris de l'homme envers son semblable.

Ensuite, à travers l'eudémonisme, Kant nous rappelle que l'homme possède par nature une quantité de Bien et de Mal, qu'il serait très difficile d'augmenter, de diminuer librement ou volontairement. L'homme ne peut rien contre le pouvoir de la cause agissante ; par conséquent, « la quantité de bien mêlée en l'homme avec le mal ne peut aller au-delà d'une certaine mesure de ce bien, au-delà de laquelle il pourrait s'élever à force d'efforts et ainsi progresser toujours plus vers le mieux70(*) ». De ce constat, il revient souvent de conclure au sujet de l'homme que de ses actions et réactions au monde, « il ne résulte dans l'ensemble jamais rien de sage, que tout restera comme il a toujours été et que, par suite, on ne peut prévoir si la discorde, qui est si naturelle, ne nous préparera pas un enfers de maux, si avancé que soit alors l'état des moeurs (...) 71(*)».

Si tel doit être toujours le cas, les Etats se formeront, se regrouperont pour travailler au noble projet de la paix, mais ils divorceront et se détruiront sans issue favorable de paix réelle sinon de paix factice. C'est la raison pour laquelle, il est et il sera toujours dans l'intérêt de l'homme que sa quantité de Bien augmente énormément pour favoriser l'avènement de la paix mondiale réelle et durable.

Par ailleurs, l'eudémonisme est critiqué négativement par certains penseurs pour lesquels, il est fait d'espérances débordantes, imaginaires, de façon à ce qu'il « parait insoutenable et semble laisser peu d'espoir en faveur d'une histoire prophétique de l'humanité, au point de vue d'un progrès incessant dans la voie du Bien 72(*)», la voie qui mène à la paix. Tel est le défi que nous devons tous relever afin de conduire l'humanité dans la voie du Bien, de la paix durable. Pour cela, devons-nous chercher l'espoir du côté de la "philosophie du clinamen", du côté de l'abdéritisme ?

Selon Kant, la caractéristique fondamentale de l'être humain est la niaiserie, la sottise affairée, qui consiste au fait qu'il « se hâte d'entrer dans la voie du Bien ; mais ce n'est pas pour s'y tenir, c'est de peur de s'attacher à une seule fin, ne serait-ce que pour varier les plaisirs ;...On renverse le plan du progrès, on bâtit pour démolir 73(*)». Tout se passe comme si du concours épicurien de causes à effets, les Etats qui sont comparés à des atomes, s'entrechoquaient au hasard en produisant des configurations multiples qui sont aussitôt détruites, à leur tour, par d'autres chocs jusqu'à ce qu'une des formes réussisse finalement. Il est alors ridicule de croire qu'un simple jeu de hasard permettra l'union sincère des Etats et des peuples, car de la même manière, chez Kant, la progression lente mais certaine de l'humanité vers le Bien ou la paix ne se fera jamais par un amalgame du Bien et du Mal, de la Paix et de la Guerre, qui se neutraliseraient sans cesse pour produire de l'inertie. Ce serait un jeu de marionnettes, d'avancée et de recul qui finit par nous faire accepter le statut quo: la stagnation, la résignation. Adhérer à l'abdéritisme revient à s'encourager dans la négativation même de la guerre, de tout ce qui n'accouche que d'une souris ; et en même temps épouser la thèse fatale d'après laquelle " celui qui veut la paix, prépare la guerre." Il serait de ce fait très difficile d'établir une paix durable sur la terre, puisqu'on construira le temple de la paix pour le démolir par la guerre future. La raison morale et pratique ne peut que condamner ce jeu.

Car, le jeu de guerres marque l'inconstance de la paix, c'est-à-dire la possibilité de la régression. Il y aura toujours des risques de régression, de recul vers la forte criminalité : l'homme étant libre, "mesure de toutes choses", il voit souvent le péril mais choisit le profit; on peut lui dire ce qu'il doit faire, mais on ne peut jamais s'assurer qu'il le fera réellement. C'est fort de ce constat que Kant nous rassure que « si l'on recule, et que dans une chute accélérée, on aille vers le pire, on ne doit pas désespérer de trouver le point de conversion (punctum flexus contrarii), à partir duquel grâce aux dispositions morales de notre espèce la marche de celle-ci se tourne de nouveau vers le mieux 74(*)».

Il faut que, en dépit des maux de guerres déshonorantes que les peuples s'infligent, le développement des dispositions morales, religieuses, leur permettent de retourner vers l'action collective qui vise leur propre amélioration, celle de la situation merveilleuse d'hier qui s'est dégradée par les crises et les conflits de tout genre. Sans cela, le gouvernement des hommes cèdera la place à l'administration des choses, et l'humanité quittera la préhistoire pour entrer dans la véritable l'histoire75(*) de la violence. Notre raison d'être kantien se justifiera par la leçon que nous tirerons de ce voyage dans l'histoire, pour donner ou re-donner un sens à notre existence.

2. Le sens kantien du progrès vers la paix.

Le progrès, tel que nous le lisons chez Kant, est un progrès vers la paix, vers l'épanouissement et le bonheur des peuples. C'est aussi un progrès que la paix mondiale elle-même rendra possible. Il est question, ici, d'une évolution de l'humanité entière dans ses différentes tentatives, voire processus d'organisation ou de réorganisation des sociétés, dans le but de mieux vivre leur condamnation à vivre ensemble. Autrement dit, la marche des peuples vers la paix est aussi celle de leur développement, de leur perfection, donc de leur amélioration qui ne se distingue pas négativement de l'amélioration de leur constitution politique en vue d'atteindre la constitution républicaine.

Kant part de la théorie de l'"insociable sociabilité" pour faire dire à la nature qu'elle se sert des discordes des citoyens pour assurer leur progrès vers la paix, vers le mieux-être. Mais, il ne s'adressant pas à des peuples paresseux, en cela que chaque peuple doit bâtir son propre histoire, et se forger une personnalité parce que, « ce qui est fondamental et en même temps preuve de progrès, c'est le pouvoir d'un peuple d'émerger de son passé et d'ouvrir à nouveau l'avenir 76(*)».

En effet, reconnaissons qu'avant Kant, avec lui et après lui, l'évolution est historique. L'on est passé de l'homme toujours au coeur des préoccupations historiques au regroupement des hommes en tribu; de la tribu à la formation des sociétés, puis à la naissance de l'Etat dans son acceptation moderne. À partir du philosophe allemand, l'on passe de la nation à la fédération libre des Etats, mieux, à la Communauté internationale telle l'Organisation des Nations Unies (ONU) qui s'inspire des textes de Kant qui ont, d'abord, donné naissance à la Société Des Nations (SDN).

Du reste, il y a des chances énormes pour l'édification d'une communauté universelle, mais Kant récuse lui-même l'idée d'une république universelle que des auteurs comme Anachardis Cloots croiraient être la solution au problème de la guerre 77(*). Kant va alors condamner l'Etat universel dans sa Réflexion 1499  où il écrit que  « l'intention de la providence était que les peuples se forment, mais ne se fusionnent pas ». Il enfonce le clou dans les Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine en notant que "la fusion des peuples en une société" serait "un obstacle à toute culture plus élevée78(*)" : la culture de la paix.

En 1793, il souligne dans Théorie et Pratique que l'"état de paix universelle", consenti par des Etats trop grands, reste "encore plus dangereux pour la liberté" que l'état de guerre "puisqu'il conduit au terrible despotisme". Encore plus, en 1795, le Projet proclame l'idée que le droit des gens suppose la séparation de plusieurs Etats voisins et indépendants les uns les autres. Malgré le fait que Kant ne soit pas trop rassuré que cette situation ne conduira pas à la guerre, il soutient qu'elle est « préférable aux yeux de la raison à la fusion de tous les Etats entre les mains d'une puissance qui envahit toutes les autres et se transforme en une monarchie universelle 79(*) ».

Comme pour insister davantage sur l'idée que dans un Etat universel, les lois perdent toujours en vigueur ce que le gouvernement gagne en étendue, Kant montre dans sa Doctrine du droit (1971, 177) comment à la faveur de l'extension vraiment excessive d'un tel Etat des peuples jusqu'à de lointains territoires, son gouvernement finit par devenir impossible et par conséquent, la protection de chacun de ses membres. De toute évidence, tout Etat dépourvu d'une constitution possible tel l'Etat Mondial, comme l'écrit Kant, ne sera jamais une condition de la paix mondiale, puisqu'il ne pourra jamais apporter la paix par la mort des Etats respectifs dans leur fusion. Sans vouloir la création d'un Etat Mondial, nous pouvons vouloir que la création d'un espace politique à l'échelle sous-régionale, régionale, continentale, même internationale, reste dans les annales de l'histoire. Cette position a été formulée et défendue jusqu'à nos jours, en attestent la naissance et le développement d'organisations telles la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), la Communauté Economique Des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui jouent un rôle important dans la promotion de la paix dans la sous région. Mais, il faut dire que l'état de paix, quand il existe déjà, est une condition favorable à l'éclosion et la formation de telles organisations à vocation politique, économique et sociale.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'éloge que Diderot fait de la paix :

 « Il (le corps politique) n'est en santé, c'est-à-dire dans son état naturel, que lorsqu'il jouit de la paix ; c'est elle qui donne de la vigueur aux empires ; elle maintien l'ordre parmi les citoyens ; elle laisse aux lois la force qui leur ait nécessaire ; elle favorise la population, l'agriculture et le commerce ; en un mot elle procure aux peuples le bonheur qui est le but de toute société 80(*) ».

Ainsi donc, la paix rend possible le progrès politique, le développement social des peuples en leur permettant de libérer leur génie créateur qui s'affirme en temps de paix dans l'agriculture, le commerce et la valorisation des moeurs. Ce qui veut dire que nous devons convertir l'énergie et le courage qui nourrissent la guerre en des forces de production, de créativité en temps de paix, pour propulser l'humanité dans le progrès ; progrès qu'on pourrait caricaturer comme suit : le progrès est au centre des préoccupations de l'humanité ; l'homme va du progrès à la paix et vice versa. Le binôme "progrès / paix" demeure le champ de bataille de l'être humain où se décide son sort. Les écrits kantiens sur l'histoire de la paix ont, pour ce faire, pour but de nous ouvrir une perspective consolante dans l'avenir, de nous proposer une histoire conjecturale de la liberté, celle qui s'aliène involontairement dans la guerre et qui fonde du même coup une espérance morale à la paix.

Cependant, Kant nous avertit que du point de vue de la morale, le progrès n'apportera  pas « une quantité toujours croissante de la moralité quant à l'intention, mais une augmentation des effets de sa légalité dans des actions conformes au devoir, (...) c'est-à-dire que c'est dans les bonnes actions des hommes, qui deviendront toujours nombreuses et meilleures, (...) que le profit de sa propre transformation en vue du mieux pourra se manifester », puisqu'il se convainc que

« peu à peu, les puissants useront moins de violence, il y aura plus de docilité à l'égard des lois. Il y aura dans la société plus de bienfaisance, moins de chicanes dans les procès, plus de sûreté dans la parole donnée, etc. 81(*) ».

Kant, aussi bien que d'autres philosophes des Lumières comme Diderot, croyait alors à la perfectibilité du genre humain, à son amélioration : « la nature suit un cours régulier pour conduire peu à peu notre espèce du plus bas degré d'animalité jusqu'au degré supérieur d'humanité 82(*)». Cela est perceptible déjà sous nos cieux, même si certains professent l'idée d'une "animalisation contemporaine de l'homme" dans la guerre qui est son défaut majeur.

Des défauts, Kant en avait vus quand il écrivait dans l'Idée (6è proposition) que le bois dont l'homme est fait est si courbe qu'on ne peut se rassurer de pouvoir y tailler des chevrons bien droits; mais on peut y tailler quelque chose de droit quand même. C'est pourquoi, nous voyons que depuis son ancêtre Australopithèque, le genre humain est en progrès et continuera toujours de l'être à l'avenir. La conscience humaine étant un pont jeté entre le passé et l'avenir, et en tant qu'elle marque le présent de son sceau, il y a de quoi espérer que l'homme tire de bonnes leçons de la tragique histoire qui est la sienne, pour jeter les bases solides d'un avenir radieux, quelles qu'en soient les conceptions qu'on en fait.

Donc, le progrès vers la paix doit être toujours pensé en termes d'espoir, de volonté commune non égoïste, dans la mesure où, il est actuellement possible de l'atteindre par une remise en cause de l'agir humain, par une révision constante de la gestion des "res", par une plus grande responsabilité quant à la sauvegarde du tissu social en vue d'assurer la survie de l'humanité. C'est ce que nous avons nommé les "grands espoirs de la paix mondiale" qui sont, quelque peu, conditionnés par la valeur éthique à donner à la politique.

3. De l'éthicité de l'action politique en faveur de la paix.

Jusqu'ici, notre réflexion à consisté, en grande partie, à recenser les problèmes, à discuter des questions, au sujet desquelles il semblait difficile de promouvoir la paix à l'intérieur des Etats, au sein des organisations interétatiques, et à leur trouver des solutions idoines qui passeraient, par exemple, par la réconciliation possible de l'éthique, de la morale et de la politique. Toutes choses qui permettront de fonder notre espoir de paix sur des conduites et principes, claires et précis, favorables à la paix. Dit autrement, la philosophie politique, en tant que « condition de l'organisation de la vie collective à partir des fins dernières de l'humanité, à partir des idéaux que poursuit l'homme, en somme, à partir du sens qu'il voudrait trouver à son existence 83(*)», arrive-t-elle à taire l'opposition traditionnelle, quelque peu radicale, que l'homme d'Etat fait de l'éthique comme science de la morale et de la politique au sujet de la paix ?

En réalité, ce que nous appelons "grands espoirs de la paix mondiale" se résume aux conduites à tenir, aux différentes précautions à prendre par les gouvernés et les gouvernants, pour éviter le pire, ou encore les différentes solutions que nous préconisons pour éviter le déferlement horrible des hostilités, pour ainsi limiter les dégâts. Une optique qui nous fait porter une attention particulière, d'abord, sur la gestion des biens publics, ensuite, sur l'observation des comportements de citoyens et sur ceux de leur dirigeants, enfin, sur les différents accords ou traités de paix qui soudent les relations d'un Etat à un autre Etat.

En effet, comme nous l'avons précisé plus haut, la démocratie moderne s'éloigne de plus en plus, du fait des ses dérives, du républicanisme prôné par Kant ; alors qu'elle devait s'y rapprocher pour qu'on puisse parler davantage de "Démocratie républicaine" ou de "République démocratique". Et pour s'y rapprocher, nous avons jugé bon, à la suite de bien d'autres chercheurs, de mettre en relief les exigences éthiques qui doivent s'imposer à la démocratie, en actes et en comportements, afin de renforcer la stabilité politique des Etats modernes, permettre la cohésion sociale, c'est-à-dire restaurer un cadre de paix pour tous les fils de la terre. L'objectif recherché est de sortir les Etats et leurs citoyens des situations conflictuelles multiples qui font tâche d'huile sur les tentatives de bonne gouvernance, de développement économique, social et culturel, amorcées par nos jeunes Etats en quête de marque démocratique. Nous devons, vu l'urgence et la nécessité de la démocratisation, placer toute notre confiance, notre espoir sur la possibilité d'une refondation éthique de la démocratie en particulier, et de la politique en général. C'est alors vouloir donner à la politique un visage beaucoup plus humain et humanisant, une dimension citoyenne qui fera que le citoyen soit la finalité politique que le moyen à cour terme. Par ce moyen d'une refondation éthique, la démocratie devra devenir un facteur incontestable de paix ou de concorde, un véritable instrument de régulation des affaires intérieures et extérieures. Dans cette démarche, les remarques de M. Sémou P. Guèye nous ont émerveillés.

L'idée de la nécessité d'une refondation éthique de la politique se retrouve chez lui de l'inspiration qu'il s'est faite de l'"éthique de la communication" de Jürgen Habermas. C'est-à-dire que, par le biais de la "Théorie de l'agir communicationnel" de celui-ci, S. P. Guèye entend donner à la politique africaine une approche éthique qui justifie à la fois l'universalité des principes, des valeurs et normes politiques, en vue de réconcilier la politique et l'éthique dans le champ de la démocratie pluraliste. La politique étant actuellement en crise, elle nécessite une « refondation éthique (...) dont la nécessité nous semble s'imposer ainsi pour l'affirmation d'une pratique civilisée du pluralisme dans le cadre d'un espace public lui-même politiquement civilisé. 84(*)»

La demande d'une éthique de la politique est donc, exclusivement, un appel que les citoyens lancent à l'endroit de leurs dirigeants pour que la politique ait pour finalité de se mettre au service de la société entière. La leçon philosophique est de « susciter chez les hommes politiques le sursaut de lucidité nécessaire pour se remettre en cause eux-mêmes et remettre en même temps en perspective leur action en fonction des préoccupations concrètes des citoyens et de leurs aspirations les plus profondes, au lieu que de la confiner dans le cercle clos des luttes d'intérêts purement partisans et de caractère parfois strictement cryptopersonnel 85(*)».

Toutes choses qui crédibiliseront, qui honoreront la politique et qui impliqueront les citoyens dans la gestion de la Cité, si bien que personne ne décidera à leur place au sujet de quoi que ce sera (la guerre par exemple). À partir de ce moment, les revendications, les demandes du citoyen, ne seront plus ignorées ou négligées, puisqu'elles symbolisent l'utilité et la nécessité impérative de l'activité politique partisane. Le pouvoir politique démocratique connaîtra ses limites et sera contraint à devenir plus humble. Car, l'absence de tels éléments dans une communauté politique est un leurre qui empêche qu'on puisse parler de démocratie, pire de démocratie citoyenne.

Sans cette refondation éthique, continue S. P.Guèye, le citoyen sera pour toujours un "mouton de panurge", un client politiquement taillable, manipulable, corvéable à merci, une "chair à canon" des guerres civiles et interétatiques. Sans elle, personne ne pourra freiner les gaspillages, les détournements de biens publics, les dessous de table, la corruption qui déchirent nos sociétés et dont sont passés maîtres ceux-là mêmes qui tiennent le bouclier de la nation.

Il s'agit alors là d'une question de valeurs sociales et républicaines, d'autant de difficultés que les jeunes Etats rencontrent et dont la solution se trouve chez Habermas dans l'"éthique de la discussion", dans le consensus ou dans le discours consensuel qui suppose un accord rationnel des esprits qui, à son tour, traduit une "volonté rationnelle" de telle sorte que « l'idée d'une justification pratico-morale d'une action renvoie finalement à l'idée d'un accord unanime motivé par des raisons et seulement par des raisons. 86(*)»

Ce qui signifie que le consensus n'est possible, pour des belligérants par exemple, qu'à la seule condition que toutes les parties soient libres d'exprimer leurs points de vue et leurs besoins, qu'aucun des partenaires ne soit empêché, de près ou de loin, par une pression autoritaire qui s'exercerait soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la discussion. Il faut également que chaque partie soit animée de la bonne volonté de déboucher sur la paix à travers le consensus, en éliminant toute contradiction, toute confusion, tout amalgame, et que chaque partie n'affirme que ce qu'elle croit vrai, ce à quoi elle croit qu'on peut faire foi. La recherche d'un consensus obéit donc à des principes.

Voici quatre principes habermasiens, formulés au sujet des conditions de possibilité d'un véritable consensus, ou en vue de la pacification de la vie des sociétés, que nous pouvons retenir et faire valoir au moment de la négociation de la paix ou de la résolution des crises.

Dans le dessein d'atteindre cet objectif, il est capital de s'imprégner de la reformulation habermasienne de l'impératif catégorique de Kant qui s'applique aussi bien au sujet pensant qu'au mode de vie des institutions dans les Etats. Par cette reformulation, il envisage circonscrire les limites de l'agir humain, apprécier la validité d'une norme, l'universalité d'une valeur. Ainsi dit-on qu'avec Habermas « s'opère un glissement ; le centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun peut souhaiter faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle 87(*)». 

Avec lui, nous ne devons plus agir, surtout en matière de promotion de la paix, selon notre seule maxime que nous voudrions qu'elle devienne une loi universelle88(*) et applicable à tous, imposable à tous ; mais nous devons la leur soumettre afin qu'elle soit examinée dans la discussion. C'est par ce moyen que nous jugerons de son universalité. Il y va de même pour les dissidents, pour les Etats qui refuseraient de perdre une partie de leur souveraineté dans les négociations de paix. Cette reformulation de l'impératif catégorique de Kant dérive de la lecture savante du "principe d'universalité" et du "principe de discussion" déjà mis en évidence plus tôt.

Si le premier principe recommande que « les conséquences et les effets secondaires qui, de manière prévisible, résultent de son observation universelle dans l'intention de satisfaire les intérêts de tout un chacun, doivent être acceptées sans contrainte par toutes les autres personnes concernées 89(*) », le second principe dit qu'une norme « ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d'accord en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme 90(*)».

Une application certaine de ces deux principes sur la scène politique africaine devra permettre de pacifier les rapports réciproques entre les acteurs de la scène politique et les citoyens, et de redynamiser les relations entre des Etats voisins dans le souci de mieux protéger les intérêts des citoyens. Cela permettra sans doute de libérer la politique de toute forme de vassalisation, de l'ouvrir vers le citoyen et de réduire les facteurs de désintégration sociale et politique des peuples du monde entier.

À la lumière des différentes questions abordées, il faut souligner que les grands espoirs de la paix se fondent sur les conditions de la paix mondiale qui leur donnent tout leur sens. Ils encouragent en même temps dans la réunion des conditions de la paix qui rendent possible la coexistence pacifique sur la terre.

TROISIÈME PARTIE :
DES CONDITIONS DE LA PAIX À L'INTÉRÊT DU PACIFISME KANTIEN À L'AUBE DU XXIÈ SIÈCLE.

CHAPITRE I : LES CONDITIONS DE LA PAIX CHEZ KANT.

Nous sommes condamnés à vivre ensemble en groupes, en familles, en communautés, et de façon générale, dans les frontières entre Etats. Cette condamnation à vivre ensemble ne peut se réaliser que dans les conditions d'une paix réelle et non pas dans la barbarie dévastatrice. C'est-à-dire que cette destinée des peuples ne se réalisera pas dans des conditions où la paix est constamment menacée par le danger que constituent la guerre, les conflits internes de plus en plus violents. Car, la guerre est au fond un important facteur de démonétisation de l'éthique et de la morale. Malgré, les quelques faibles bénéfices que des individus, des Etats, prétendent tirer de la guerre, les coûts sont très élevés, et elle préfigure l'effondrement du tissu social.

En effet, le XXIè siècle que l'on croyait être le siècle de la maturité politique et intellectuelle, est de plus en plus violent en ce sens que l'actualité socio-politique au double plan nationale et internationale est marquée par des guerres, des crises ethniques et des déplacements massifs de populations victimes de ces conflits. Sans oublier bien sûr la montée en puissance du nationalisme par endroit, de l'extrême patriotisme synonyme de xénophobie, d'exclusion sociale ou d'expulsion des immigrés et des étrangers. À cela, s'ajoute l'entretien des rebellions, avec la complicité de certains Etats voisins et de gouvernements, dont le but est de déstabiliser les régimes en place en violation du droit international.

C'est en s'inspirant de ce tableau sombre qui persuade les citoyens que leur aspiration à la paix est utopique, qu'il est encore grand temps pour nous de rechercher des réponses, des solutions, aux problèmes essentiels des relations internationales relatifs à la guerre, pour le maintien de la paix mondiale. Autrement dit, faisons de la promotion de la paix notre cheval de bataille dans les conditions que sont : la prévention, la gestion constructive des guerres suivant la logique de la coopération, de la négociation, la valorisation des échanges culturels et commerciaux ainsi que de la protection de l'environnement91(*).

Traiter des conditions positives de la paix, de la négociation de la paix ou de la médiation des conflits, tel est l'objectif de notre préoccupation dans les lignes qui suivront; mais avant, qu'elles sont les conditions négatives de la paix chez Kant?

1. Les conditions négatives de la paix.

Les conditions négatives de la paix sont formulées par Kant dans son Projet de paix perpétuelle sous forme d'interdits. Ceux-ci ne sauraient anathématiser la paix dans leur prétention d'empêcher ou d'arrêter les guerres. Ils concernent les six (06) articles préliminaires de la paix qui s'articulent comme suit 92(*):

« On ne regardera pas comme valide tout traité de paix, où l'on se réserverait tacitement la matière d'une nouvelle guerre » (Article 1). De Kant à nous, il est constaté que les nombreux traités de paix, les « cessez-le-feu », qui ont toujours été signés entre les belligérants, n'arrivent guère à mettre fin à la guerre; ils ne sont que de simples armistices, de simples trêves ou suspensions des hostilités. L'idée même d'une guerre future n'est pas éliminée par la signature de ces traités de paix. Tout se passe comme si, des prétentions anciennes, obscures et mauvaises, des clauses secrètes existaient toujours et réveilleraient par la suite la belligérance et la vengeance. Au fond, il y a que la plupart de ces traités sont conclus sur la base de la rancune et du ressentiment ; ce qui ne peut permettre d'établir une paix durable, mais une paix provisoire, éphémère. C'est pourquoi, il faut plus de sérieux, de sincérité et de fermeté dans la signature des traités afin que les sujets renoncent à la vengeance une fois que la réconciliation parvient à être faite entre des groupes sociaux ou entre des Etats, forts ou faibles, grands ou petits.

C'est ainsi que « tout Etat, qu'il soit grand ou petit, ne pourra jamais passer au pouvoir d'un autre Etat, ni par échange, ni à titre d'achat ou de donation » (Article2). Selon Kant, l'Etat est une société de personnes morales qui ne peuvent être que sous la coupe d'un chef et non d'un maître de peur qu'il ne devienne sa propriété ou son patrimoine, celui d'une famille ou d'un clan. Puisque les citoyens ne sont pas des marchandises, des choses ou des bêtes abruties, ils ne doivent pas faire l'objet de transactions commerciales telles qu'ils l'ont été pendant le commerce triangulaire ou traite négrière ; pire, être associés à un autre Etat. Ils ne doivent plus se battre contre un quelconque ennemi, sous prétexte qu'il leur est commun, tout comme pour défendre la cause d'un autre Etat. Ici, c'est toute la politique d'annexion, de colonisation, d'impérialisme et d'esclavagisme, qui est ainsi contestée par Kant, mais qui est entretenue par les forces armées permanentes :

« Les troupes réglées doivent être abolies avec le temps » (Article 3). C'est la suppression complète des armées permanentes qui est ici demandée par Kant parce qu'elles constituent, par leur simple présence, une menace permanente de la paix, et parce qu'elles nourrissent la course effrénée à l'armement. Dans ce cas, l'objectif recherché est loin d'être celui de se prémunir contre les agressions d'un autre Etat, de dissuader le voisin, mais il s'agit de tuer et de faire tuer. Tant qu'il y aura des troupes réglées pour la guerre, la paix sera toujours plus onéreuse compte tenu de l'engagement des mercenaires, du recrutement et de la formation des soldats pour la guerre.

Cette question de la fortune de guerre trouve une réponse satisfaisante chez Kant pour qui, « On ne doit point contracter de dettes nationales, en vue des conflits extérieurs de l'Etat» (Article 4), même pas en vue des conflits internes. Cet article est une demande que Kant formule à l'endroit des Etats et de leurs citoyens afin qu'ils mettent davantage l'accent sur leurs propres capacités locales pour assurer leur développement endogène au lieu de s'endetter, d'une façon ou d'une autre, pour continuer de mettre en veilleuse leur souveraineté, de mettre sous perfusion leurs économies locales. Ce qui est frappant, c'est que les Etats s'endettent pour s'armer, pour soumettre les autres Etats dits « indépendants» et ainsi s'ingérer, directement ou indirectement, dans leurs affaires intérieures au grand refus de Kant qui souligne qu' « aucun Etat ne doit s'ingérer de force dans la constitution, ni dans le gouvernement d'un autre Etat...Ce serait là un scandale donné qui rendrait incertaine l'autonomie de tous les Etats ». (Article 5).

De plus en plus, s'affirme le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, puisque chaque Etat est supposé indépendant. Chaque Etat ainsi défini, a le droit de gérer ses propres affaires, de résoudre lui-même ses difficultés quitte à ce qu'un scandale survienne et qu'il nécessite l'aide extérieure; laquelle aide doit être reconnue par la communauté internationale. Cependant, il y a lieu de craindre la récupération politique du droit d'ingérence humanitaire qui prend en charge les victimes des conflits en leur octroyant des vivres, en leur donnant des soins médicaux et en les logeant dans le but de réduire les souffrances de ces populations. Pour éviter que l'homme, qui est la fin suprême de toutes les autres fins, soit toujours victime des stratèges honteux et infâmes, et pour limiter les souffrances et les dégâts, le "Philosophe de la paix" nous propose une sorte de « bonne conduite » à tenir : « On ne doit pas se permettre, dans une guerre, des hostilités qui seraient de nature à rendre impossible la confiance réciproque, quand il sera question de la paix. Tel serait l'usage qu'on ferait d'assassins ou d'empoisonneurs, la violation d'une capitulation, l'encouragement secret à la rébellion, etc ». (Article 6). La condamnation frappe alors la guerre punitive et la guerre d'extermination. Cette conduite fera que quelque chose d'humain reste encore en l'homme pendant et après la guerre.

En nous proposant cette conduite, Kant veut la possibilité de la paix, le sens de l'humanisme et du respect mutuel des droits humains jugés inaliénables. Contrairement, « une guerre à outrance pouvant entraîner la destruction des deux parties à la fois, avec anéantissement de tout droit, ne peut permettre la conclusion de la paix éternelle que dans le vaste cimetière de l'espèce humaine 93(*)».

Il faut qu'après tout, la paix soit possible entre les citoyens ou entre les peuples comme le veut l'application du principe de coopération : "vivre et laisser vivre ". Comme nous pouvons le constater dans l'histoire des guerres, ce système a fait école lors de la guerre des tranchées et il peut toujours l'être valablement à travers les accords et les  "cessez-le-feu " à respecter. Il consiste pour les soldats à faire preuve de retenu pendant qu'ailleurs les combats font rage ; ils iront même jusqu'à minimiser l'état de guerre "pour vivre et laisser vivre", alors même que la logique militaire voudrait qu'un soldat tue à souhait.

D'abord, il y a la crainte des représailles de l'ennemi qui font que la passivité, l'absence de provocation, signifient refus de mettre le feu aux poudres. Ensuite, l'élément éthique fait que les soldats éprouvent un regret moral, une désolation, quand ils viennent à violer des accords de paix. Enfin, il y a le rituel, cet usage inoffensif d'armes consistant à tirer de façon maladroite, et dont la portée est tellement précise que les obus ne peuvent tomber, ni devant, ni derrière. C'est une méthode d'intimidation et de rappel à l'ordre, au respect des clauses de la coopération. « Ces rituels de tir routinier et pour la forme envoyaient un double message. Pour le haut commandement, ils étaient synonymes d'agressivité, pour l'ennemi, de paix. Les hommes se contentaient de faire semblant d'appliquer une politique d'agressivité 94(*)».

Comme on le voit, le soldat n'a pas perdu tout son sens moral dans la caserne ; même si nous assistons, impuissant, à la militarisation de la guerre ; il y a encore de fortes chances que la guerre punitive ou d'extermination soit évitée par des actions morales allant dans la droite ligne de la paix mondiale : le droit international humanitaire intervenant également pour réglementer l'activité humaine la plus inhumaine en disant comment il faut désormais tuer, blesser, capturer et séquestrer.

Enfin, une autre condition négative de la paix que nous ne retrouvons également nulle part chez Kant, c'est le refus de la récupération politique du secteur de la santé ou politisation de la santé. Certes, dans la prévention des conflits, une place de choix est accordée à l'adoption des clauses, à l'application des accords et traités de paix internationaux ainsi qu'à la promotion des droits humains. Cependant, nous ne devons pas oublier le secteur de la santé, car « investir dans la santé revient aussi à contribuer à la prévention des conflits violents. Accorder de l'importance aux services sociaux peut aider à maintenir la cohésion sociale et la stabilité 95(*)».

Ce qui revient à dire que le personnel de la santé peut attirer l'attention du public sur les risques de conflits violents pouvant être dus aux inégalités en matière de santé et d'accès aux soins de santé primaire. C'est pourquoi, des mesures coercitives doivent être prises par tous les ministères et organisations de la santé afin de minimiser le fossé entre les groupes sociaux en ce qui concerne la santé des populations. C'est dans ce souci qu'en 1984 l'Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS) a lancé l'initiative stratégique « La santé : un pont vers la paix, la solidarité et la compréhension». Il s'agit là d'une stratégie qui a permis de négocier des jours de tranquillité malgré les violences politiques au Salvador. Elle a permis également la suspension des combats de 1985 à la fin du conflit en 1992 en favorisant la vaccination des enfants contre la rougeole, le tétanos et la poliomyélite. Aussi, des réseaux régionaux et infrarégionaux d'information sur la santé ont été installés. Ce qui a créé un dialogue régional et a marqué les lendemains du conflit d'accords de paix très concluants.

Les victimes des conflits, aussi bien les autochtones et les étrangers, ont été démobilisées, réadaptées et réintégrées socialement. Grâce à ce programme de nombreux personnels de la santé du monde entier sont mobilisés pour qu'ils contribuent efficacement à la paix, au retour à la stabilité, à la reconstruction, à la fin des combats et à la réconciliation, partout où des communautés se sont déchirées. C'est ainsi que des recommandations ont été faites par le personnel de la santé à l'endroit de la communauté internationale, au nombre desquelles s'inscrit l'adoption de mesures limitant la production et l'utilisation des mines anti-personnelles, la production et la disponibilité des armes biologiques, chimiques et nucléaires, sans oublier l'information et la compréhension des conflits.

Les objectifs visés à travers cette initiative stratégique sont de l'ordre trois : d'abord, permettre plus d'efficacité dans les opérations de maintien de la paix, puisque l'incertitude plane toujours sur les mandats d'intervention ; ensuite, parvenir à de bons protocoles de liaison entre les forces d'intervention et augmenter les ressources allouées pour la cause ; enfin, rendre beaucoup plus responsables et impartiales les personnes mandatées dans les opérations de maintien de la paix, dans sa consolidation, bref, dans la prévention des conflits.

En somme, toutes ces conditions négatives de la paix définissent les dispositions à prendre, les conduites à tenir, ou les comportements à adopter, pour éviter les conflits ou pour y mettre fin. Ce qui ne veut pourtant pas dire que la paix signifie l'absence totale de guerres, ou que l'absence de guerres équivaut à la paix. La paix se maintient, ne se construit, qu'à partir de la détermination des conditions positives de la paix.

2. Les conditions positives de la paix.

La progression lente, mais certaine, de l'humanité de l'état de nature vers la législation civile témoigne du souci des hommes de se garantir réciproquement leur sûreté, d'assurer leur sécurité dans le respect strict des normes ou lois communes et positives. Ce souci de sécurité est, selon Kant, réalisé dans l'état de paix qui, « n'est que l'état du mien et du tien garanti par des lois au milieu d'une masse d'hommes voisins les uns les autres, donc réunis au sein d'une constitution 96(*)». Ainsi, les conditions positives de la paix viennent répondre à la question : comment construire un état de paix durable où sera garantie la sécurité des citoyens? Ces conditions positives s'appréhendent doublement au plan national par le républicanisme, et au plan international par le fédéralisme d'Etats libres et le cosmopolitisme qui constituent les articles définitifs de la paix chez Kant .

En effet, la paix, entre des Etats ou à l'intérieur d'un Etat, n'est pas forcement garantie par la cessation des hostilités, mais nécessairement par la forme politique de la constitution de l'Etat et son mode de gouvernement. C'est au clair, soutenir l'idée que la constitution civile a pour but d'organiser la vie communautaire des citoyens, c'est-à-dire de régir par des lois justes les relations entre les particuliers de façon à les rendre pacifiques. Tout part de l'exercice de la liberté et de la contrainte : «C'est la détresse qui contraint l'homme, d'ordinaire si épris d'une liberté sans entrave, à entrer dans cet Etat de contrainte97(*)». La contrainte fait obstacle à ce qui handicape la manifestation libre de la liberté. Tous les citoyens doivent établir entre eux des relations de reconnaissance réciproque, de respect mutuel, tout en s'accommodant de la contrainte publique des lois. Kant nous rassure que « si un certain usage de la liberté est lui-même obstacle à la liberté exercée d'après des lois universelles, alors la contrainte qui va à l'encontre de cet obstacle, en tant qu'obstacle, en tant qu'obstacle à l'obstacle à la liberté, s'accorde avec la liberté 98(*)». Aussi bien que les hommes se sentent contraints de s'associer dans la société civile qui administre le droit universellement, aussi bien les Etats se voient contraints par les citoyens et les exigences du temps, de se donner une constitution civile. C'est pourquoi, Kant recommande que la constitution civile de chaque Etat soit républicaine. Les révolutions et certaines reformes constitutionnelles ne nous ont toujours pas permis d'atteindre la constitution républicaine. Nombreuses sont celles qui ont échouées; mais le problème de la constitution devra être toujours poursuivi jusqu'à atteindre la constitution républicaine.

Son importance, son intérêt pour l'humanité, et son influence dans la vie commune, font que le problème de la constitution doit être reposé, « remis en mémoire aux peuples à l'occasion de circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre. (...)99(*) ». Les principes républicains sont compatibles avec la liberté des citoyens qui restent soumis aux lois qu'ils respectent en tant que sujets ayant le droit à l'égalité. Toutes choses qui nous indiquent que la constitution républicaine marque l'élan vif qui consolide notre espérance à la paix mondiale. Selon Kant, la paix n'est possible juridiquement que dans la république qui est, non le gouvernement des hommes, mais celui de la loi. La constitution qui résulte de l'idée du contrat social, sur lequel doit se fonder toute bonne législation d'un peuple est la constitution républicaine ; c'elle qui ne dépend d'aucune liberté particulière.

Après avoir pris connaissance de la constitution républicaine et ayant su ce qu'elle attend de nous, à présent, interrogeons-nous sur la résolution du problème, vu les manipulations et les erreurs de fonctionnement dont toute constitution tendant à être républicaine est victime au départ dans son élan.

Selon Kant, le problème de la constitution d'un Etat doit pouvoir être résolu  même pour un "peuple de démons". Toutefois, il leur faut de l'entendement pour le faire à partir du moment où, ils éprouveront le désir de se protéger avec des lois générales des antagonismes qui naissent du conflit des intérêts. C `est cet espoir kantien qui consolide notre volonté de soutenir que la constitution démocratique, telle qu'elle est sous nos yeux, sera républicaine pour plus d'égards et de soins qu'on y met ; ce sera peut-être par des révolutions plus ou moins violentes, par une réelle séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif , ou bien par un système fiable de représentativité susceptible de reformes fructueuses. À défaut de pouvoir réaliser le républicanisme, il y aura assez de chances pour qu'elle se rapproche sûrement de celui-ci, aussi longtemps que cet événement durera. Le républicanisme est, par conséquent, la condition de réalisation du droit qui, lui-même, doit se fonder sur le principe de fédération des Etats libres.

Le second article définitif de la paix perpétuelle chez Kant prône le fédéralisme d'Etats libres comme condition transcendantale de la paix mondiale : « Il faut que le droit public soit fondé sur une fédération d'Etats libres ». Cette fédération, loin d'être à l'origine du malheur général de l'humanité, doit être fondée sur une appréciation juridique des intérêts de chaque Etat libre, allant dans la droite ligne du Bien commun, de la paix mondiale. La coexistence des Etats, tout comme la coexistence des individus, doit être dirigée par les règles du droit international qui est le signe de la compatibilité des libertés publiques. À cet égard, le but recherché est que la fédération des Etats permette une véritable manifestation des droits des citoyens ou des Etats, qu'elle règle de façon juridique les relations internationales en dotant chaque Etat d'une constitution républicaine. La fédération est perçue dans le sens de l'union qui devient le moyen par excellence pour maintenir les membres de la communauté politique nationale en état de paix avec les autres nations . Kant « suppose toutefois que la fédération des peuples n'aura pour objet que le maintien de la paix et non des conquêtes 100(*)».

Les Etats qui ont encore une constitution défectueuse, dont les citoyens n'ont pas toujours un certain égard aux lois, constituent d'une manière ou d'une autre, une forme de lésion par leur seul voisinage. Pour ces Etats, et selon les dires d'un Prince gaulois, la guerre est la prérogative que la nature leur aurait accordée, en tant qu'ils sont forts, pour se faire respecter par les faibles. Le fédéralisme vient à point nommé bannir le droit de guerre qui est un droit pédantesque que le voisinage ne saurait accepter.

En plaçant sa confiance dans le fédéralisme, Kant veut faire savoir aux Etats et à leurs leaders respectifs qu'étant donné l'inévitable rapport de voisinage, ils doivent avec les autres, sortir de cet état de non droit pour entrer dans un état juridique, c'est-à-dire un état de justice distributive en observant effectivement les principes du droit universel qui veut que chaque Etat, comme chaque citoyen, agisse pour faire coexister son libre arbitre avec la liberté des autres. La paix mondiale ne se fondera guère sur des aspirations sentimentales personnelles ou anthropologiques, mais sur la loi de la Raison Universelle valable pour tous.

Dès l'instant où, nous dit Kant, des citoyens voudront constituer ensemble un Etat fédéral, ils banniront la violence entre eux ; ils refuseront de se nuire. Ce même peuple refusera que la guerre puisse exister entre lui et d'autres peuples («es soll kein krieg sein »). En d'autres mots, disons que la fédération est, à l'horizon, la condition sine qua non de toute la vie nationale et internationale. C'est ce qu'a bien voulu faire ressortir la Reine d'Angleterre en ces termes : « Une entière et parfaite union sera le solide fondement d'une paix durable, elle garantirait votre religion, votre liberté et votre propriété, elle éteindrait les animosités entre vous, les jalousies et les différends entre les deux royaumes, elle augmentera votre puissance, vos richesses et votre commerce ; et par cette union l'île entière---sera en état de résister à tous ses ennemis101(*)».

Cet éloge fait au fédéralisme d'Etats libres nous indique qu'elle garantit la vie communautaire, qu'elle fait la force, la paix . Selon Kant, la paix durable « ne saurait s'effectuer ni être garantie sans un pacte entre les peuples ; il faut qu'ils forment une alliance particulière qu'on pourrait appeler alliance pacifique "fridensbund" (foedus pacificum) différente du traité de paix "friedenvertrag" (pactum pacis)...Cette alliance ne tendrait à aucune domination sur les Etats, mais uniquement au maintien assuré de la liberté de chaque Etat particulier, qui participe à cette association sans qu'ils aient besoin de s'assujettir, à cet effet,... à la contrainte d'un pouvoir public102(*) ».

Ce troisième article définitif de la paix, que Kant a lui-même nommé le "jus cosmopoliticum", s'entend comme droit à la citoyenneté du monde : das Weltburgerrecht. Pour lui, Le droit cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle. Kant n'est pas loin d'Epictète dont l'idée de "citoyen du monde" ne cesse d'inspirer le monde. En effet, le citoyen du monde peut et doit être d'un Etat, il doit appartenir à une nation. Mais, au nom de son droit à l'hospitalité, il doit pouvoir voyager, pouvoir entrer en relation directe avec les hommes d'autres Etats sans être rejeté du fait de la nationalité, de la couleur de la peau, de la race, de la culture et de la religion. Il ne doit pas être traité comme un ennemi, un « étranger » dans le pays d'accueil ; mais il « doit se garder de toute contestation ouverte ou directe des pouvoirs et des décisions, à l'intérieur de ces limites, s'il ne veut pas être accusé d'ingérence ou impliqué dans un processus qu'il ne pourra contrôler103(*) ».

On ne doit pas agir hostilement contre lui s'il n'a pas offensé ; il doit pouvoir être pardonné. Car le droit à l'hospitalité prône que nous nous supportions les uns les autres, que nous arrêtions les actes de barbarie, de pillage et de tuerie, contraires au droit de la nature. C'est sans doute le rapprochement des peuples, de leurs Etats respectifs par la coopération, les liens amicaux, qui doivent prévaloir comme condition d'acceptation de l'autre, de ses différences. De cette manière, « des régions éloignées les unes des autres peuvent contracter des relations amicales sanctionnées enfin par des lois publiques, et le genre humain se rapprocher insensiblement d'une constitution cosmopolitique 104(*)».

L'esprit de pardon, de tolérance, de reconnaissance de l'humanité en chaque homme est alors à sauvegarder : ce qui suppose que la xénophobie, le racisme et l'inhospitalité soient combattus. Car, la conscience cosmopolitique,  dernier degré de perfection nécessaire au code tacite du droit civil et public, est l'exigence de l'instauration, du maintien de la paix et du respect strict des libertés publiques. Elle est une réaction face à la violation des droits humains ; elle nous interpelle à ne pas rester neutre, à ne pas nier le conflit, c'est-à-dire à prendre le risque qu'il surgisse plus loin, plus tard et plus durement, sans chercher à l'éteindre par des médiations, par la négociation qui est l'un des moments clés de la construction positive de la paix. Celle-ci est une condition de la paix vivante.

3. La négociation de la paix.

Un monde de la faim, de la pauvreté, des maladies et des guerres, voici l'image désolante de notre siècle de haute compétition où, la quête du consensus, le dialogue, la compréhension et la solidarité, doivent être les maitres-mots.

En effet, le perfectionnement des moyens de destruction massive fait du XXIè siècle, un siècle de méfiance, d'intolérance et de complaisance vis-à-vis des problèmes de violence. On assiste, de plus en plus, à des oppositions conflictuelles dues aux besoins, aux intérêts, aux idéaux politiques ou religieux et au nationalisme exagéré, augmentant ainsi nos inquiétudes devant l'incertitude de l'avenir. La responsabilité du citoyen est de mise sans se réduire à une pratique quotidienne de la violence, ni à un repli sur soi qui serait fatal. Mais, le citoyen doit rester à l'écoute de la voix de la Raison en recherchant et en favorisant toute synergie qui crée, qui créera et qui construira de nouveau le tissu social à travers la promotion de la paix mondiale. Nous devons rechercher à instaurer le consensus, tant bien que mal, dans les relations individuelles qu'internationales.

Dans cette optique, la maîtrise de la violence sous toutes ses formes passera nécessairement par l'expérience de la guerre coûteuse et jamais profitante. Ce qui est condamné, ici, c'est l'adoption d'une solution violente comme réaction à la guerre qui traduit un désir de vengeance, de guerre, ou qui ramène la guerre à la rivalité mimétique des belligérants en maintenant le rapport à la mort : « La paix n'est pas, ne peut pas être et ne sera jamais l'absence de conflit, mais la maîtrise, la gestion et la résolution des conflits par d'autres moyens que ceux de la violence destructrice et meurtrière105(*) ».

La solution non-violente ou approche pacifique du conflit est encouragée en ce sens qu'elle nous engage tous dans la gestion et la résolution du conflit en vue de satisfaire tous les protagonistes réunis autour de la table des négociations. Il n'est pas question ici d'une démission face à l'état de guerre qui consiste à ne pas affronter l'obstacle à la paix, mais il s'agit de proposer des solutions fiables par la tenue des colloques. En termes clairs, qu'est-ce que la négociation de la paix pour qu'elle continue de jouer un rôle toujours actuel ? Quelles seraient les différentes phases de la négociation d'un conflit ? Quels sont les modes et les conditions d'une négociation de la paix ?

L'idée de négociation de la paix est inscrite chez Kant dans ses OEuvres Philosophiques (1986, 362) où il est écrit que les citoyens et les Etats se croient « obligés de travailler au noble ouvrage de la paix, quoique sans aucune morale, et quelque peu que la guerre éclate, de chercher à l'instant même à l'étouffer par des médiations ».

La négociation de la paix est donc le moyen infaillible de résolution des litiges, conflits ou divergences entre les citoyens d'une même communauté, entre les Etats ou entre des organisations nationales, régionales ou internationales. En réalité, la négociation se manifeste dans la prise de décisions, dans la signature des accords, dans la détermination de la valeur des biens et des services. Les conférences de Yalta, de Camp David, d'Oslo, sont des exemples parmi tant d'autres qui ont marqué de leur sceau l'histoire de la négociation de la paix mondiale.

La négociation apparaît être étroitement liée à l'exercice de la violence : elle est une confrontation pacifique qui doit précéder l'affrontement violent pour prévenir la guerre, soit elle intervient pendant la guerre (négociation secrète) pour ralentir les combats, soit à un moment moins violent du conflit pour rétablir la paix et la stabilité, et ainsi renouer les liens entre les belligérants. En fait, la négociation de la paix est la recherche d'un compromis qui dépendrait de la nature du conflit, de la disposition mentale et psychologique des protagonistes de la crise qui peuvent accepter le compromis comme ils peuvent saboter les accords conclus. Vu cette attitude d'insouciance des fossoyeurs de la paix vis-à-vis des souffrances humaines, nous dirons avec Leibniz que la négociation est une affaire de bonne volonté, de conscience et de responsabilité, sinon « quelle paix perpétuelle peut-on faire avec des gens qui autorisent publiquement des maximes absolument contraires à toute la force des traités, paroles et serments, lesquels étant reçus il n'y a plus de droit des gens, ni de traité durable à faire ? Ce ne seront plus que des mômeries et vains amusements des crédules. --La paix est bonne en soi, j'en conviens ; mais à quoi sert-elle avec des ennemis sans foi106(*) ? »

Pour l'auteur de la Monadologie, aussi bien que pour Kant, il n'y a que la bonne volonté, la foi, qui manquent aux hommes pour négocier ensemble et faire la paix, c'est-à-dire pour se délivrer d'une infinité de maux telle la guerre. La bonne volonté, « celle de faire ce qu'on doit, et simplement parce qu'on le doit. Il ne s'agit pas seulement, comme un commerçant loyal qui l'est par souci de son intérêt, d'agir comme le devoir le demande, mais pour quelque autre motif. La droiture de faire son devoir par devoir 107(*)».

La négociation de la paix nécessite une bonne disposition mentale; elle ne doit pas faire l'objet de manipulation, de clientélisme ou de marchandage parce que ces maux corrompent, pervertissent et souillent les bonnes âmes qui veulent la paix. Telle qu'elle, la négociation de la paix est d'actualité. Elle est un outil jamais usé malgré ses échecs par endroits. Négocier devient d'autant plus utile que les relations citoyennes et internationales gagnent en intensité. Plus ils éprouveront le désir de vivre ensemble, plus le désir de négocier justifiera leur condamnation à vivre ensemble dans la paix. Et, plus la négociation de la paix sera le lieu par excellence de la confrontation des idées, de la discussion à l'amiable et de l'exposition des intérêts, plus cela nécessitera de la concentration dans la recherche d'un palliatif à la violence meurtrière : « Coopérer, s'entendre, construire quelque chose ensemble, surmonter les différences, en bref, trouver un arrangement acceptable pour préserver et développer sa propre liberté, son moi, son identité, face à l'autre, aux autres, ou aux règles, aux objectifs, aux évolutions du monde et de ses structures108(*) », c'est négocier à l'intérieur et à l'extérieur d'un Etat, puisque c'est le seul moyen de vivre ensemble. Or, vivre ensemble ne signifie pas éliminer totalement les guerres, mais pouvoir étendre partout la paix comme absolue, c'est-à-dire opter pour une vision optimiste et objectiviste de la réalité humaine en choisissant de cohabiter pacifiquement.

En revanche, même s'il est reconnu et accepté par certains que la guerre est aussi naturelle que la pluie, qu'on n'arrive pas toujours à l'éviter et à la prévenir, néanmoins la seule alternative qu'on puisse avoir elle, c'est de mettre davantage l'accent sur l'ultime arbitrage des guerres et, sur le contrôle de la guerre pour pouvoir la contenir.

Dès l'abord, disons que la prévention d'un conflit est aussi la satisfaction des besoins des citoyens par un partage équitable des ressources ou des biens vitaux afin d'éviter les frustrations de part et d'autre. Sur ce point, Hobbes écrit dans le Léviathan (1971, chap.8) que « la nature a fait les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de l'esprit que, bien qu'on puisse parfois trouver un homme manifestement plus fort, corporellement ou d'un esprit plus prompt qu'un autre, néanmoins, tout bien considéré, la différence d'un homme à un autre n'est pas si considérable qu'un homme puisse de ce chef réclamer pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui ».

La monopolisation des revenus de l'Etat, souvent constatée dans certaines contrées, par une fraction de la population, une ethnie souvent minoritaire, ou du moins par un dictateur, une famille ou un clan, provoque nécessairement la frustration sociale et le mécontentement des démunis qui se révoltent contre les seuls bénéficiaires des biens et devises de la nation au détriment des travailleurs. Cette attitude gabegique, de vol des deniers publics est entretenue et soutenue par des élites politiques avides de gain facile ; ils spolient le peuple, vivent de luxe pendant que celui-ci meurt de faim, de la maladie et croupit dans la misère issue des tensions dont ces "gorilles démocratiques" sont eux-mêmes responsables. Les tensions ethniques issues de ces injustices sociales et économiques marquent la dérive actuelle de nos jeunes Etats démocratiques.

En plus, la satisfaction des besoins vitaux des citoyens est une fonction assignée aux dirigeants qu'on pourrait nommer "pourvoyeurs", en ce sens qu'ils ne donnent pas seulement la possibilité de bénéficier des ressources de la nation, mais savent créer de l'emploi pour les populations. Tant que les ressources s'épuiseront, il est de leur ressort de les recréer par leur travail quotidien qui assurera non pas la nourriture d'une journée, mais celle de la vie. Le pourvoyeur est donc l'Etat qui veille à la protection des personnes et des biens et à la sécurité collective. Tout cela participe à la consolidation ou à la solidification du tissu social à travers l'intégration sociale ou l'insertion sociale. La persistance des injustices socio-économiques participe à la vivification du sentiment nationaliste exagéré et à la haine contre son prochain; ils contribuent à leur tour à la ruine du tissu social et politique dûment établi.

Pour prévenir la déconstruction du tissu social, un accent singulier a besoin d'être mis sur le respect de la personne humaine en tant que valeur morale : nous devons respecter l'identité culturelle, individuelle et collective de chaque homme. C'est le moment de rechercher l'unité, l'intégration des peuples comme le dit William Ury : « À nos yeux, la diversité doit contribuer à l'intégration au sein de la collectivité et permettre à chacun de se sentir membre à part entière de la communauté, évalué à sa juste valeur109(*)». Selon l'auteur, la dignité humaine est antérieure à l'appartenance à une Nation ou à une communauté ethnique donnée. L'idée, une inspiration kantienne, suggère qu'il faut voir en l'homme non pas seulement une personne, mais aussi toute l'image de l'humanité qui se cache derrière un visage, même inconnu.

L'avenir des Etats, c'est l'avenir de leur politique en matière d'intégration des personnes, rapatriées, chassées de chez elles ou d'ailleurs. Ce qui suppose sur une politique humanitaire et non pas sur des tracasseries policières. Pour ce faire, les citoyens doivent apprendre à réinventer les moyens de leur adaptation, ou de leur appropriation des questions éthiques et morales, en ayant une prise directe et constante sur les institutions. Il s'agit pour eux de cultiver la solidarité et la fraternité, de rétablir le consensus, afin de consolider le tissu social en ouvrant, bien sûr, un champ nouveau sur la politique locale, celle qui développera la citoyenneté. Nous osons penser que la démocratisation réelle est l'unique voie à emprunter pour solidifier les rapports sociaux, voire les relations internationales  car, « l'exercice concret de la démocratie dans un lieu donné est le seul acte créateur possible d'un lien social. C'est celui qui cimente le groupe, quelle que soit l'origine de chacun 110(*)».

On assiste de plus en plus à une grande adhésion de la communauté mondiale au dessein d'assurer au mieux la sécurité des peuples qui est intrinsèquement liée à la justice sociale et au développement socio-politique des Etats en vue de la paix. Cette sécurité ne s'assure pas par la fourniture d'armes, pas forcement par le déploiement des forces d'intervention qui pourrait se révéler précaire, mais par la consolidation des relations internationales autour de la paix ; puis par la consolidation des liens sociaux. Sans oublier la révision de la constitution des régimes d'exception. Mieux, pour fortifier ces relations, pour éviter la désintégration du tissu social, l'instabilité due à la guerre, il faut que nous assumions notre responsabilité vis-à-vis des obstacles socio-politiques et économiques à la paix mondiale. Il faut partager équitablement les biens et revenus de l'Etat, créer des emplois, assurer le développement, réussir le processus de démocratisation, et enfin faire la lumière autour des injustices sociales. Toutefois, si l'on n'a pas pu éviter la désintégration de la sphère sociale malgré les efforts consentis pour produire l'effet nécessaire, alors ce qui reste à faire, c'est de "jeter les passerelles", c'est-à-dire essayer de nouveau de rétablir l'ordre, de créer de nouvelles relations par-dessus la guerre en encourageant le dialogue social comme le veut la tradition africaine:« Les paroles valent mieux que la guerre ».

En résumé, il est clair que le dialogue est un moyen d'échange, de communication qui joue un rôle prépondérant dans la négociation de la paix comme moyen de quête du compromis. Par le dialogue on arrive à bout de certains malentendus qui pourraient prendre une option sérieuse si rien n'est fait de ce genre: les divergences peuvent devenir difficiles à résoudre. Mais, au cas où ils le deviennent, et que les hostilités atteignent une ampleur jamais souhaitée, le désarmement doit toujours s'imposer comme facteur de détente et de pacification temporaire des relations entre les Etats qui entrent en conflit, ou entre forces loyalistes et forces rebelles, par exemple.

Le désarmement est une politique de dépôt des armes, de réduction ou de limitation des armements. Il est devenu, depuis la signature en 1945 à San Francisco de la Charte des Nations Unies en ses articles 11 et 26, une affaire de la diplomatie internationale, un moyen de renforcement de la paix mondiale et de la sécurité internationale de ses Etats membres. Cependant, une restriction est à faire au sujet du désarmement : «  le désarmement négocié ne s'apparente pas au désarmement imposé par le vainqueur comme sanction d'une défaite militaire, ni à la renonciation unilatérale à toute défense armée, prônée par certains pacifistes. Il s'inscrit dans la perspective d'une organisation régionale ou mondiale de la sécurité et doit être jugé en fonction de sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationales111(*) ».

Ce qui revient à dire qu'aucune tierce personne, qu'aucun Etat ne peut décider du désarmement si ce n'est avec l'aval de l'Organisation des Nations Unies. À cet effet, le désarmement est un outil de résolution pacifique des conflits armés. Cette gestion constructive obéit à une approche sans doute non-violente mettant en jeu certains mécanismes de régulation dans le dessein de désamorcer le conflit quelle que soit sa gravité ; c'est-à-dire de substituer à la violence une issue positive qui apparaît être en mesure d'apaiser les coeurs meurtris. Dit autrement, gérer un conflit, c'est lui apporter des esquisses de réponses en adoptant un comportement, une attitude conséquente vis-à-vis de l'allure que prendraient les hostilités. Cette gestion intervient dans le souci de maintenir la relation humaine, de renforcer et de préserver les relations entre les nations du point de vue de l'éthique et de la morale. Car, rester indifférent au déferlement néfaste de la guerre, c'est prendre aujourd'hui le risque majeur de vouloir, tôt ou tard, la disparition totale de l'espèce humaine. La seule alternative valable est de réagir à temps.

Comme l'a si bien dit Kant (1985, 207), « tous les sentiments, spécialement ceux qui doivent déclencher un effet inaccoutumé, doivent produire leur effet au moment où ils sont dans leur ardeur et avant qu'ils ne se refroidissent, sinon, ils ne font rien. Car le coeur revient naturellement à son mouvement naturel et modéré, et finit par retomber dans la largeur qui lui était propre auparavant ; en effet on lui a apporté de quoi l'exciter, mais rien pour le fortifier ». Symboliquement parlant, on n'a vite raison d'un incendie qu'à ces débuts, sans doute à le laisser avancer et des fleuves entiers ne pourront l'éteindre: l'oiseau de Minerve pacifique doit toujours prendre son envol rien qu'à l'aube de la guerre.

Devant l'urgence de notre action, nous devons savoir gérer le conflit, c'est-à-dire, faire de telle sorte que la poursuite des objectifs par les belligérants ne puisse pas remettre constamment en cause la relation sociale d'homme à homme et celle internationale d'Etat à Etat. La gestion d'un conflit n'étant jamais mécanique, elle est devient le résultat de l'effort que fournissent des personnes ressources et qui dépend de leurs comportements, de leurs sentiments désintéressés ou d'impartialité, et de leur perception de l'état de guerre. L'issue de la guerre n'est seulement pas liée à la psychologie et à la conscience des acteurs de la paix; elle est liée aussi à la connaissance des hommes, des réalités socio-politiques des Etats qui s'affrontent, de la nature de leurs intérêts, de leurs besoins et de leurs valeurs.

Il serait vain de penser une gestion constructive de conflit qui n'est pas conditionnée par des qualités requises. En ce sens que la paix ne s'improvise pas mais se construit.

Les conditions à réunir pour réussir une gestion politique des conflits sont : la motivation, la patience et la créativité. La motivation pour un acteur de la paix concerne l'énergie qu'il se donne comme leitmotiv pour pouvoir mettre la violence hors-jeu, c'est-à-dire hors d'état de nuire. Il s'agit de contenir le conflit. La motivation se fonde sur la confiance en soi, la bonne volonté qui donne foi dans la voie de la paix. La patience est une qualité que doit avoir toute personne qui lutte pour la paix. Quant à la créativité, elle consiste à savoir dénouer de façon constructive un conflit en favorisant du coup la possibilité d'une nouvelle vie communautaire.

Elle est l'oeuvre des personnes ressources, neutres et impartiales nommées " Tierce personne " composée de gens, d'hommes politiques, d'autorités religieuses ou coutumières, qui ont une renommée, une personnalité influente sur les parties en conflit, parce qu'ils les connaissent mieux. Ces caractères leur permettent de réussir la médiation. Certes, aucun texte de Kant ne nous indique qu'il a été une fois médiateur d'un conflit, négociateur de la paix ou ambassadeur de la paix quelque part dans le monde ; cependant, notons que l'esprit pacifique kantien a dirigé le monde de la paix ; et il n'aurait pas démérité en essayant de la médiation une fois en passant, puisqu'il sert de référence à des organisations et à des personnes qui ont inscrit la promotion de la paix dans leur agenda.

Chapitre II: L'intérêt du pacifisme kantien à l'aube du XXIès.

Aujourd'hui, le monde entier est convaincu de la valeur estimée de l'oeuvre kantien de paix perpétuelle eu égard à l'ampleur que prennent les crises internes, les guerres, qui appellent à la désunion des peuples à l'échelle mondiale. En effet, l'idée kantienne de "force unie" est une invite, après la promotion de la valeur humane et des principes du droit naturel, après la reconnaissance de la souveraineté des Etats, de leur indépendance à s'auto-gerer, à la création d'une institution internationale qui réunira tous les Etats du monde dans, le respect strict du droit des peuples et des citoyens.

Il y a lieu de rappeler que Kant est le père fondateur de la SDN dont le prolongement aboutit à la création de l'ONU. Ce qui ressort chez Otfried HÖffe en ces termes: « À l'issue de la Première Guerre Mondiale, l'idée (de paix) de Kant a parrainé la fondation de la Société des Nations ; à l'issue de la Seconde, celle des Nations Unies112(*) ». Cela est déjà l'un des apports actuels du kantisme qui se fructifie toujours et encore en ce XXIè siècle. Tout cela se justifie quand, en Janvier 1992, le nouvel "ordre international", composé de Chefs d'Etats et de gouvernements, se réunit sur invitation du Conseil de Sécurité pour rédiger "l'Agenda pour la paix." Cet agenda se propose alors de synthétiser les différents bouleversements et tendances des temps, afin de frayer les voies de la pacification des sociétés, des relations entre les Etats. Il est inscrit dans l'agenda les notions de la diplomatie préventive des conflits, de la consolidation de la paix, du maintien de la paix et de son rétablissement à l'échelle nationale et internationale. Ainsi, la Charte de l'ONU, en ses articles constitutifs, entend préserver les générations présentes et futures du fléau de la guerre qui inflige incessamment à l'humanité d'indécisibles peines et souffrances. Ce qui suscite de notre part des questions quant aux moyens que l'ONU se donne, aux moyens qu'elle possède déjà, aux voies qu'elles suit et aux perspectives qu'elle s'offre à l'avenir, pour atteindre ses fins.

En quoi consistent véritablement la place et le rôle de l'ONU dans la médiation de l'universel dans les relations internationales à la lumière de Kant ? Arrive-t-elle vraiment à assumer, sans entraves, la responsabilité qu'elle s'est assignée depuis sa création ? Peut-elle encore bénéficier de la crédibilité des citoyens du monde entier ?

1. L'ONU ou la médiation kantienne de l'universel.

Dans son Manuel, R. Foignet insiste sur le problème de la guerre qu'il considère comme étant un ensemble d'actions de violence qu'un Etat exerce à l'encontre d'un autre Etat dans le but de le forcer à se rallier à sa volonté. Plus loin, il lance un appel aux Nations Unies à se surpasser, à prendre des mesures collectives, efficaces allant dans le sens des prescriptions de "l'Agenda de la paix" ; c'est-à-dire prévenir et écarter les menaces faites à la paix, réprimer l'agression et la rupture de la paix par des moyens pacifiques. L'ONU est alors appelée à jouer un rôle capital au sein de relations encore entachées de conflits de toutes sortes. Les missions d'observation et d'enquête, la médiation diplomatique (la négociation) et l'envoi des casques bleus, l'embargo économique et les sanctions politiques, sont autant de moyens et de méthodes qu'elle se donne pour atteindre ses fins.

En effet, vu la multiplicité des buts à atteindre, l'ONU, à la lumière de Kant, croit avoir mis « en place un droit public des peuples permettant de trancher les différends de manière civile, pour ainsi dire par un procès, et non pas de manière barbare (...), c'est-à-dire par la guerre113(*)». C'est ce que nous avons appelé la "médiation de l'universel" dans les relations interétatiques ; chaque Etat comme chaque citoyen étant invité à agir publiquement et ensemble suivant le droit ou la législation universelle. Les regroupements des Etats en Union régionale, en Union Européenne ou en Union Africaine, traduisent l'inclination des Etats à minimiser leurs dissemblances, leurs différends pour avancer ensemble dans la paix.

Qui parle alors de médiation de l'universel, parle du commandement de la raison pratique commandant aussi bien au sujet moral qu'aux Etats. En fait, chez le sujet moral kantien, la raison pratique veut que l'action individuelle puisse toujours valoir comme principe d'une législation universelle. Elle ne doit pas être une action imposante ou imposée, mais une action qui appelle à l'adhésion, puisque les clauses sont claires et raisonnables. Kant est parti des exigences morales formulées à propos du sujet moral pour vouloir les adapter aux Etats comme mécanismes de résolution de leurs conflits : « il s'agit à ce niveau de déduire de l'universalité comme condition de la moralité et de la moralité universelle comme condition de la paix perpétuelle et mondiale114(*)», fait ressortir Sahirou Tchida Moussa. Ce qui signifie que l'Etat, à l'image du citoyen, doit s'interroger sur la portée universellement morale de ses actions et principes de fonctionnement pour atteindre le règne des fins eu égard à la moralité de nos actions dans son rapport avec la législation. La morale et la politique trouvent, ici, nécessairement un champ de réconciliation

Ainsi donc, le Philosophe trahirait sa vocation s'il se garde de rappeler l'exigence de la moralité dans la vie citoyenne durant laquelle les gouvernés et les gouvernants ont besoin d'un minimum de sens moral, de sens opératoire des vertus sociales. Un pragmatisme qui est une sorte de supplément absolument indispensable aux forces de cohésion sociale que représentent le désir de la paix et la crainte de la mort dans la guerre. Le désir de la paix, la peur de la mort, voilà qui justifient le besoin de la moralité comme chemin qui mène vers la réalisation pratique de la médiation de l'universel dans les rapports interétatiques. Pour y parvenir, Kant nous trace un "chemin directeur" consistant à commencer par le principe formel qui nécessite absolument la paix en sa qualité de principe du droit universel, pour finir par le principe matériel qui concerne le but à atteindre. De la nécessité, on en arrive au but, de l'espoir de la paix, on aboutit à la paix ; « c'est là qu'on dit : chercher premièrement le règne de la pure raison pratique et sa justice ; et votre but vous sera donné par-dessus115(*) ».

Soulignons qu'ici, l'impératif catégorique ne s'oppose pas forcement à celui hypothétique ou pragmatique au sujet de la paix, car pour réaliser impérativement le projet de paix mondiale, cela nécessite de notre part des moyens à la fois théoriques et pratiques: nous devons d'abord savoir ce que nous y gagnerons et à quels frais, pour pouvoir nous engager véritablement dans le combat qui ne sera plus aveugle comme par pur idéalisme kantien. Il ne sera plus uniquement question d'une paix pour la paix, mais de la paix pour atteindre des objectifs, pour réaliser quelque chose de supérieur: l'homme et le monde, l'Etat et la société.

En outre, il s'avère indiscutable que la médiation de l'universel au niveau des Etats ne se fera pas typiquement par des décisions politiques qui, à elles seules, ne peuvent pas résoudre le problème de la sécurité des citoyens, de la stabilité ou de la sûreté des Etats. Il faut que cela se fasse intérieurement avec l'assentiment du peuple, et extérieurement avec l'accord de toute la communauté internationale. Comme le souligne le Pr Mahamadé Savadogo, « une décision politique est juste quand elle recueille l'assentiment de la majorité des citoyens. Pour être telle, il conviendrait non seulement qu'elle soit prise en concertation avec eux-mêmes mais surtout qu'elle s'interdisse de privilégier telle catégorie de citoyens par rapport à telle autre, qu'elle évite, en d'autres termes, de susciter une division du corps politique116(*) ».

Ce qui signifie que la décision politique, surtout celle qui concerne la paix, ne doit en aucun cas léser une partie au profit d'une autre. Elle ne doit venir des forts pour s'imposer, bon gré mal gré, aux faibles. Elle doit être une décision socio-politique unanime, acceptable par la majorité. Mais, que dire donc d'une décision politique venant de l'ONU comme solution à une difficulté quelconque ? Quel est à cet effet le bilan actuel des actions menées par l'Organisation à l'échelle internationale en matière de promotion de la paix? L'ONU n'est-elle pas en perte de vitesse ? Serait-elle de ce fait appelée à disparaître ?

En vérité, l'ONU reste incontestablement aujourd'hui la preuve d'une organisation qui lutte pour la paix, le respect et le rétablissement des droits humains. Son agenda est un combat pour la paix et la stabilité politique. Elle mérite cet éloge quand on sait qu'elle arrive souvent, malgré un esprit partisan, à établir une paix dite "d'hégémonie" au sortir d'une guerre qui aurait opposé un Etat faible à un Etat gendarme du monde, qui possède le droit de veto : « Les institutions internationales sont littéralement contrôlées par les grands Etats, qui décident même de leurs règles de fonctionnement. L'ambition des Etats s'installe ainsi comme le principal obstacle à la réconciliation de l'humanité avec elle-même, à l'abolition des divergences qui opposent les hommes entre eux », fait remarquer Mahamadé Savadogo (2001,155). En s'octroyant inégalement des droits et devoirs au détriment des Etats faibles, les grands Etats maintiennent ainsi le rapport de force, de domination ou d'annexion entre eux et les autres.

L'ONU serait devenue aussi le lieu d'entrechoquement des droits de veto, le lieu où se prononcent des discours fleuves, des discours propagandistes, au sujet du désarmement et de l'armement. C'est le lieu de dénoncer la mauvaise politique "onusienne" instrumentalisée et sommant les faibles à se soumettre aux décisions des forts: le droit international ainsi que le système des Nations Unies sont largement instrumentalisés par les Etats-Unis. Ils seraient en léthargie, supplantés par d'autres modes de régulation des conflits non juridiques. Toutes choses qui nous indiquent que la légitimité de la soi disante "Communauté pacifique internationale où il fait bon vivre" est remise en question puisqu'elle est devenue le lieu où « l'imperium l'emporte sur le négocium, et la gabegie des procédures fait le reste. Faut-il y voir le "fameux machin" de De Gaulle, la bonne conscience du monde ou le tapis des bras de fer entre les grands ? Toujours est-il que l'ONU symbolise bien les vicissitudes et les limites de la négociation : les protagonistes font de la négociation ce qu'ils veulent en y projetant toutes les incantations perverses de leur conception du pouvoir 117(*) ».

De son côté, le Journaliste burkinabé, Newton Ahmed Barry, faisant le bilan de l'an 2000, accorde une place de choix aux critiques de l'ONU en ces mots : « L'ONU, que l'on avait cru un instant rétablie dans ses droits, termine l'année de la plus lamentable des façons. Son dynamique Secrétaire Général, méritoirement distingué Nobel de la paix, a eu un haut le coeur en recevant son prix, puisqu'au même moment, les bombes américaines pleuvaient sur l'Afghanistan et Ariel Sharon, l'homme de Shabbra et Chatila, amplifiait son show-criminel sur les enfants palestiniens118(*) ». Par contre, ce paradoxe, cette ambiguïté, cette impuissance des acteurs de la paix de l'ONU vis-à-vis des seigneurs de guerre signifient-t-ils que l'ONU est inutile ?

" Un tiers vaut mieux que deux tu l'auras", dit-on souvent pour s'encourager dans les choix. Il est clair que les Nations Unies n'arrivent pas toujours à atteindre leurs buts, que certaines décisions ou résolutions du Conseil de Sécurité sont de même restées lettres mortes, mais il serait impensable de vouloir la disparition totale de l'organisation. Car « la Charte des Nations Unies, avec toutes ses faiblesses et ses lacunes, a donné naissance à une organisation sans laquelle nous pourrions difficilement vivre dans un univers comme le nôtre119(*) ».

En d'autres termes, l'ONU demeure aujourd'hui plus importante et plus visible en raison de la diversité et de la multiplicité de ses actions et missions en faveur de la paix. L'ONU aura permis, dans certaines conditions, de sauver l'humanité de l'anéantissement atomique. Les critiques dont elle est victime n'indiquent que le fait qu'il fallait, qu'il faut encore, reformer l'institution internationale afin qu'elle soit plus représentative, plus efficace, plus puissante, plus démocratique, voire mieux adaptée aux problèmes du temps. Si l'organisation n'avait pas existé, il aurait fallu nécessairement la créer en dépit du fait qu'elle soit encore imparfaite.

Enfin, l'ONU a de beaux jours devant elle si toutefois elle s'implique réellement, également, à travers des reformes, dans la promotion des valeurs économiques, sociales et culturelles mondiales dont le respect et la consolidation constituent de réels facteurs de paix ou d'épanouissement des peuples.

2.Vers la promotion des valeurs économiques, sociales et

culturelles mondiales.

De nos jours, il n'est pas illégitime et vain pour un philosophe de s'intéresser au renforcement de la réconciliation de l'économie, du commerce en général, et de la culture, comme déterminants dans le développement pacifique des peuples.

En effet, nul n'ignore aujourd'hui la rivalité économique, la concurrence de plus en plus déloyale qui existe entre les super-puissances économiques et qui ne manque d'inquiéter le monde. Vu la dégradation progressive des termes de l'échange du Nord au Sud, une pacification des rapports économiques tendus entre les gladiateurs de l'économie mondiale s'avère nécessaire. La même idée ressort chez Lénine qui stipule que « la coexistence pacifique, ce n'est pas seulement l'absence de l'état de guerre entre Etats aux systèmes économiques et sociaux différents ; c'est aussi la constance de solides relations économiques et culturelles entre ces Etats120(*) ».

L'idée d'établir entre les Etats des relations économiques, des contacts commerciaux et culturels pacifiques, sera même inscrite dans la constitution soviétique adoptée en Octobre 1977. Sans cela, tout système révolutionnaire de création de la richesse provoquera du coup des conflits interpersonnels, politiques, voire internationaux ; comme tout changement dans le monde de la production de la richesse se heurterait immédiatement à l'ensemble des intérêts préétablis. La guerre faisant forcement tâche d'huile sur l'économie : elle rend difficile les exportations et les importations, entraîne la fuite des bailleurs de fonds, l'augmentation des prix des articles de première nécessité. La guerre entrave le développement de l'esprit de commerce qui, en tant de paix, unit les peuples, les citoyens entre eux.

En outre, depuis Kant, la paix et le commerce entretiennent des relations étroites. Le commerce est pour lui la cause naturelle de la paix en cela que « la nature (...) se sert de l'esprit de chaque peuple pour opérer entre eux une union que l'idée du droit cosmopolitique n'aurait pas suffisamment garanti de la violence et des guerres. Je parle de l'esprit du commerce qui s'empare tôt ou tard de chaque peuple et qui est incompatible avec la guerre. La puissance pécuniaire étant celle de toutes qui donne plus de ressort aux Etats, ils se croient obligés de travailler au noble ouvrage de la paix, quoique sans aucune morale, et quelque peu que la guerre éclate, de chercher à l'instant même à l'étouffer par des médiations121(*) ».

Seul l'état de paix favorise l'épanouissement de la logique commerciale de toute société ; c'est pourquoi, la question de la paix doit se poser avec vigueur lors de la prise des décisions qui concernent la politique économique et sociale.

Il s'en suit que l'option pacifique de la valorisation des échanges commerciaux ou économiques est préférable à la guerre qui n'entraîne que ruine, faillite et désolation en entravant l'investissement et l'éclosion économique des Etats victimes de la guerre. La guerre ne permet donc pas aux citoyens de s'acquitter de leurs tâches économiques les plus nobles. Chaque peuple doit, pour ce faire, condamner la guerre, pour pouvoir servir de valeur d'exemple à d'autres comme l'a souligné Lénine : «  la valeur d'exemple, voilà ce qui donne à des multitudes toujours imposantes dans le monde la conscience de la nécessité de passer de la société fondée sur l'exploitation et l'inégalité à une société qui ignore l'exploitation, la misère, l'inégalité et les guerres122(*)».

La valeur d'exemple favorise le rapprochement des cultures, des peuples, c'est-à-dire l'interpénétration des peuples dans l'histoire, par la connaissance des moeurs de toutes les nations de laquelle sont sortis de grands biens123(*). En fait, l'essence universelle de la culture, la diversité culturelle bien comprise, doit permettre la stabilité sociale ; elle est un réel facteur de paix, l'universalité des cultures signifiant la multiplicité, la diversité, l'unité dans la pluralité, sans qu'une culture ne veuille dominer les autres puisqu'elles se valent. C'est aussi la communion, l'échange des cultures, l'enrichissement collectif des cultures disparates. On l'a aussi nommé "cosmopolitisme culturel" qui est loin d'être une uniformisation des cultures.

En retour, les grands biens124(*) qui sont nés de la communion des cultures, des moeurs, ont été à la base de la formation de grands ensembles politiques au sein desquels la promotion de la paix constitue une question centrale. Cela ressort des propos de Nehru qui, à la première conférence de la création de l'Organisation des Etats asiatiques, affirmait que leur « grand objectif est de promouvoir la paix et le progrès partout dans le monde ». Senghor pour sa part n'a pas manqué de rappeler au Sommet des Chefs d'Etats indépendants d'Afrique (Addis Abeba, 1963) que « le but de l'O.U.A par et par-delà la croissance économique, par et par-delà le mieux-être de chaque Africain (...) aura été auparavant un facteur de paix ».

Ces mêmes biens auraient certainement facilité la création d'ensembles économiques tels l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA), le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD) et l'Union Européenne (UE). Ces ensembles  entendent fructifier les échanges économiques entre le Nord et le Sud, mais aussi de façon interne à chaque pays. À côté de l'intégration politique et économique, il est envisagé l'intégration sociale des personnes, la libre circulation des personnes, des biens et des services dans l'enceinte de ces ensembles économiques125(*).

Notre souhait est que la constitution démocratique, ainsi que la pratique démocratique, permettent davantage l'émergence de dispositions ou règles économiques fiables qui réduisent davantage les injustices et les inégalités en vue de la valorisation des termes de l'échange du Nord au Sud. Tout cela concourt à l'amélioration des conditions de vie des plus faibles et des plus défavorisés par la nature, car il se crée au jour le jour un centre et une périphérie, de la richesse pour les uns et de la misère pour les autres. Il appartient aux chefs d'Etats et à chaque peuple de se donner une constitution républicaine qui cadre avec leur vécu propre, ou qui concorde avec les principes du droit, pour éviter la formation de groupes privilégiés isolés du peuple lui-même. Mais, cela dépend de la manière dont chaque peuple s'éduque, s'informe et se forme, c'est-à-dire perpétue les valeurs qui se recoupent dans la culture de la paix, ou qui posent les bases d'une éducation à la paix.

3. De la nécessité d'une éducation à la paix.

Il n'est plus à démontrer aujourd'hui que la paix est une nécessité pressante, impérieuse : chacun doit pouvoir faire la paix avec son semblable pour éviter d'être détruit par lui, tout le monde doit apprendre à faire la paix; tout le monde doit s'éduquer à la paix. Car, l'éducation en faveur de la paix est une alternative sérieuse à la guerre. Mais, avant toute chose, qu'est-ce que l'éducation pour qu'il soit question d'éduquer à la paix ?

Selon Kant (1986,1149-1950), l'éducation c'est tout ce qui concerne les soins(subsistance et entretien), la discipline, l'instruction et la formation. Ainsi, il est du ressort des parents de soigner leurs enfants, de sorte à ce qu'ils ne fassent nul usage funeste de leur force. La discipline changera en eux l'animalité en humanité ; car elle garde l'homme de s'écarter, par la faute de ses impulsions animales, de sa destination, de l'humanité. Elle doit le brider pour l'empêcher de se livrer aux dangers dans le désordre et l'irréflexion ; la discipline soumet l'homme aux lois de l'humanité et lui fait sentir leur contrainte : l'indiscipliné est violent.

Le concept d'éducation chez Kant fait que l'homme est à la fois nourrisson, élève et apprenti, dans la société. L'éducation est donc en elle-même une nécessité pour l'homme, en ce sens qu'elle participe pleinement au développement des dispositions naturelles, morales, intellectuelles et physiques de tout l'être, c'est-à-dire qu'elle lui permet de s'approprier, d'apprendre les valeurs morales et humaines en vue de sa réalisation dans le monde.

En effet, depuis l'Acte Constitutif de l'UNESCO (1945), la paix est bel et bien une question d'éducation. Puisque la guerre prend naissance dans l'esprit des hommes, il devient nécessaire d'agir sur l'esprit de l'homme pour fonder la paix : c'est le rôle qui est dévolu à l'éducation comme moyen de transformation lente et certaine des mentalités, en vue d'éveiller collectivement la conscience universelle qui sommeille souvent en l'homme. Cette lenteur s'explique chez Kant par le fait que l'éducation même« ne peut avancer que pas à pas; qu'une génération transmette à l'autre ses expériences et ses connaissances, que celle-là, à son tour, les augmente de son apport et les remette en cet état à la suivante : c'est bien la seule source possible d'un juste concept de la façon d'éduquer 126(*)».

Il s'agit en un mot réveiller lentement les germes du bien qui sommeillent en tout homme, ou de sortir l'homme du mal. Adolphe Ferrière ne s'éloigne pas de Kant quand il dit que « l'éducation vient de ex-ducere, conduire hors de ; hors de quoi ? Hors de l'état présent jugé imparfait vers un état jugé meilleur et plus parfait. Le mot implique donc un jugement de valeur. (...) Cela suppose une hiérarchie des valeurs spirituelles, un but, un idéal127(*)».

L'éducation à la paix a de ce fait pour but de sortir l'homme de l'animalité, de l'état imparfait de guerre vers l'état parfait de paix. C'est ce que dit l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme datant du 10/12/1948 : « L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix ».

Il est question, ici, d'éducation non-violente dont l'objectif est de permettre à l'individu de se maîtriser, de contrôler et de contenir ses pulsions néfastes et toutes ses actions qui tendent à nuire à autrui. Il s'agit en d'autres mots, de purifier l'homme, de le discipliner, de le cultiver dans le sens de la tolérance, de la solidarité et de l'amour du prochain. Ainsi, selon L. Doob, nous donnons à la paix « de meilleures chances de s'établir si dirigeants et populations possèdent des convictions et des attitudes qui les font pencher vers la paix plutôt que vers la guerre (...) ; Ceci résulte de la façon dont ils ont été socialisés et éduqués128(*)». L'éducation est là une nécessité pour les acteurs de la scène politique mondiale ; elle consiste à prendre conscience des causes de la dérive des politiques en générale. Il faut que nous ayons la conviction que, pour ne pas faire l'objet d'utopisme, de rêverie, l'éducation à la paix est la condition sine qua non de l'évolution positive des peuples vers le mieux-être, vers le bonheur129(*), parce qu'elle permet l'éclosion de toute la civilisation entendue comme valorisation de l'Enfant, le Père de toute l'humanité.

D'après la sagesse africaine, « on n'abat véritablement un arbre qu'en s'attaquant à ses racines. À l'attaquer maladroitement par le tronc, il y a de fortes chances que des bourgeons y poussent ». C'est fort de cette vérité multiséculaire que nous avons jugé bon d'attaquer le mal de guerre par ses racines qui sont l'enfant. L'éducation à la paix s'adresse en premier lieu à l'enfant qui gouvernera l'humanité de demain. Et, pour ne pas que son gouvernement soit sanguinaire ou criminel, il a besoin d'être éduqué aux vertus de la paix que sont le respect de l'autre, sa reconnaissance, le partage, l'obéissance à la loi morale et pratique.

Au fond, l'éducation à la paix exige, pour ce faire, un double apprentissage, intellectuel et moral, qui appelle à la générosité du coeur, à l'énergie de l'esprit. La nécessité de l'éducation en faveur de la paix se résume au niveau des enfants à leur apprendre à s'accepter, à vivre et à évoluer ensemble, tout en sachant qu'ils sont issus d'appartenances diverses, de familles et d'ethnies différentes. Il faut nécessairement leur inculquer des valeurs universelles à travers les manifestations culturelles, les voyages d'échange ou de découverte, les camps de vacances, les correspondances et le sport qui impose au sportif la contrainte sur soi, le sang froid, le fair play et le sens de l'observation: il est un agent de perfectionnement moral, spirituel et social ; il favorise la décharge cathartique des instincts les plus agressifs.

Vu tout cela, l'éducation à la paix doit être insérée dans les programmes d'éducation ou d'enseignement de nos Etats. Comme des cours de morale, elle prend en compte toutes les attitudes et comportements malveillants, tous les actes d'incivisme, violents et agressifs, synonymes de haine, de racisme ou de xénophobie, qui entraînent le dénigrement de l'homme par les siens. Et ce, du Primaire au Supérieur en passant par le Secondaire. Car selon Kant, le principe fondamentale de l'art d'éduquer est« que jamais l'éducation des enfants ne se fasse en fonction du seul état présent, mais aussi du possible meilleur état à venir de l'humanité, c'est-à-dire de l'idée de l'humanité et de l'ensemble de sa destination130(*) ».

L'état présent qui nous préoccupe est celui que les crises, la violence, la guerre, corrompent au jour le jour. Nous envisageons de la redresser, de le corriger ou de le réparer par le biais de l'éducation à la non-violence, à la tolérance, à la solidarité, au dialogue et au civisme. C'est la raison pour laquelle, il faut « de bonne heure accoutumer l'homme à se plier aux prescriptions de la raison. Qu'on lui ait, dans sa jeunesse, passé ses volontés et que rien, en ce temps-là ne lui ait résisté, il gardera tout au long de sa vie une sorte de sauvagerie131(*) ». Ce qui indique qu'il faut polir chez l'homme, dès sa tendre jeunesse, la brutalité du fait de son penchant pour la liberté.

Nous devons apprendre à identifier les racines cachées des malheurs des peuples dès l'enfance, et à rendre moins résistibles les mentalités des hommes qui auraient perdu le sens du consensus, ceux chez qui l'éducation aurait en quelque sens failli. L'éducation à la paix vise donc la responsabilisation, la conscientisation, l'autonomisation ou encore l'engagement présent et future des citoyens à oeuvrer à l'ouvrage de la paix, c'est-à-dire à faire la promotion de la paix en taisant leurs divergences ou leurs controverses. Ici, l'éducation à la paix s'adresse à l'adulte, aux parents et aux Chefs d'Etats au sujet desquels une question est posée : pourquoi la gestion des affaires de nos Etats reste-t-elle si incertaine et si polémique, si instable et si passionnée, si fragile et si irrationnelle, que les crises internes se démultiplient?

Si l'administration de la Cité est encore problématique, cela présuppose un manque d'éducation de la part de ceux qui dirigent le peuple en lui voilant le visage ou en ne lui donnant pas l'information nécessaire sur la gestion des "res". Or, l'information est capitale. Son insuffisance et son absence renforcent davantage les inégalités, créent les injustices, organisent une véritable ségrégation par endroits.  De même chez Kant, l'éducation ou l'information est fondamentale en cela qu' « éclairer le peuple, c'est lui enseigner publiquement ses devoirs et ses droits vis-à-vis de l'Etat auquel il appartient132(*)». Sans l'éducation, le peuple ou le citoyen devient une "bête de somme" qu'on fait suivre mais qui ne sait jamais vers où il est conduit. Il n'y a que l'homme chez qui le besoin d'éduquer s'impose.

Selon Kant, il lui faut un propagateur de lumière qui l'éclaire. Les propagateurs des lumières, puisqu'ils ne sont pas des professeurs de droit officiellement établis par l'Etat, mais souvent des professeurs de droit libre ou encore des philosophes, ils se heurtent constamment à l'Etat. Ils dérangent, de ce fait, l'Etat et tous ceux qui empêchent la publicité des maximes du droit, le lieu où le peuple expose publiquement et à l'Etat ses doléances (gravamens), ses revendications, ses rêves, ses suggestions et ses exigences, formant alors la volonté populaire. C'est pourquoi, son interdiction peut être fatale pour la paix et la stabilité politique.

Vue sous cet angle, l'éducation à la paix présuppose, en quelque sens, une éducation à la citoyenneté, à la vie publique, compte tenu du rôle que joue, par exemple, le citoyen dans la conquête du pouvoir par les élites politiques133(*). Réussir l'éducation à la citoyenneté134(*) est nécessairement un tremplin vers la pacification du lien social, surtout en période électorale pendant laquelle, les contestations des résultats des scrutins aboutissent à des scènes affreuses, à des violations des droits de l'homme, pire, à la prise des armes par les citoyens contre eux-mêmes. Si l'éducation à la citoyenneté a pour finalité la socialisation, la transmission des valeurs républicaines, le savoir-vivre et le savoir-faire, elle est donc une ouverture sur la vie publique, un creuset vers la compréhension, la paix entre les peuples. L'éducation acquiert, ici, un sens civique et patriotique, c'est-à-dire une éducation démocratique faite par le peuple et pour le peuple. Donc, une éducation qui fait la promotion de l'état de justice sociale et de liberté à travers la publicité des maximes du droit.

Selon Kant, la publicité des maximes du droit est incontournable ; elle permettrait à chaque peuple de circonscrire les limites de son action libre. Elle recherche la création d'un espace public où est assuré l'éclairage des esprits, et où les problèmes sociaux sont discutés en vue de trouver convenablement les solutions, les conjonctures, qu'il faut. « Sans elle, note Kant, il n'est point de justice, puisqu'on ne saurait la concevoir que comme pouvant être rendue publique ; sans elle il n'y aurait donc pas non plus de droit, puisqu'il ne se fonde que sur la justice135(*) ».

En définitive, soulignons que l'éducation en faveur de la paix est une affaire collective, car c'est d'elle que dépend notre vie paisible, notre bonheur, et donc, le respect de nos valeurs et de nos moeurs. Sans elle, nous ne sommes rien ; si elle est mal assimilée, nous sommes des évadés, des êtres sans repères assignables ; et par conséquent, des êtres voués à la guerre. La guerre est d'ailleurs une crise de l'éducation, de l'amour et de la morale, une perte de la raison. C'est pourquoi, les larmes des déshérités, des misérables, des malheureux et des victimes de la guerre, doivent nous servir en même temps d'encre et de chaussures pour dénoncer et chasser, loin de nous, les fossoyeurs de la paix de notre temps et des temps à venir. Le pacifisme n'est, en vérité, qu'un humanisme.

Conclusion Générale : les exigences de la leçon kantienne, pour la paix durable.

La socialisation ou la formation des sociétés, ou encore le regroupement des hommes au sien d'une communauté, en une société, vise naturellement la satisfaction des besoins de chaque membre de la communauté politique qui, en d'autres mots, pourvoit à leur bonheur. L'atteinte de cet objectif ne sera effective que quant l'idéal communautaire de la paix se sera réalisé. Il en découle que la paix demeure, demeurera, la condition sine qua non de possibilité de la vie, de toute activité humaine, aussi petite qu'elle soit. Impérieuse nécessité, exigence ou besoin de la raison, la paix, en tant qu'enjeu majeur et défi de notre siècle de vitesse, ne peut que s'imposer en nous, comme allant de soit et pour soi, sans que nous ayons à le nier : l'état de paix reste, en paraphrasant Kant, le "cadre à priori" de notre existence, de la réalisation de la meilleure forme de vie authentique, digne et envieuse. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, nous invitons l'intellectuel-philosophe à devenir un soldat de la paix, sans pour autant vouloir l'enrôler dans une armée permanente, sanguinaire.

En effet, vu l'exigence de la paix pour le progrès de l'humanité, vu les écarts de raison à côté de l'omniprésence de la violence, il nous a été judicieux de voir si, d'entrée de jeu, du point de vue de la nature humaine et de la culture, l'homme était, reste, et restera pour toujours, un être voué à la barbarie, à la violence et au crime, bref, à la guerre. Ce qui signifierait que l'homme a hérité de la violence de ses ancêtres les animaux, ou qu'il l'instrumentalisait à sa guise.

Dans le souci d'élucider la question, il est ressorti que l'homme est issu de la descendance d'animaux sauvages, agressifs, violents, qui abusent de leur liberté en nuisant aux autres. Ce qui fait dire que, primitivement, comme dans l'état de nature, l'homme est prisonnier d'un engrenage sans fin de la violence : la nature serait de ce fait corrompue, freinée dans son élan vers le bien, aussi tôt, par le mal. L'homme naît bon et libre, et c'est la société qui le corrompt, le déroute, en le rendant mauvais, le destinant au mal ; serait-on tenter de dire, en paraphrasant J.J. Rousseau. Cette assertion du philosophe français donne, donc raison aux partisans d'une certaine vision de l'évolution historique, selon lesquels, le fait que la guerre ait rapidement significativement changé de manière au cours de l'histoire, prouve qu'elle est un produit de la culture, de l'intelligence humaine. Les moyens de guerres sont perfectionnés par l'homme au jour le jour ; les calculs stratégiques froids se démultiplient, se diversifient au même titre que les théories de guerres sont conçues pour légitimer la guerre, la justifier.

Conscients de cet état de fait, et comme pour assurer une certaine médiation entre les deux extrémités de la guerre (entendue comme mal naturel et mal culturel), des auteurs comme Freud, Kant et Léonard W. Doob, optent pour une conception dualiste de l'homme, du mal et du bien en l'homme en tant que "Homo pacificus" et "Homo maleficus", c'est-à-dire qu'il abrite en lui un "penchant au bien" et un "penchant au mal ". Il faut alors que le poids de la conscience l'emporte sur l'inconscient et la passion, de telle façon que la théorisation et la mondialisation du mal ne puissent pas ternir, pour de bon, la valeur authentique de l'indissociabilité de l'homme. Toutes choses qui vont désillusionner les esprits, raffermir les coeurs, dans leur quête de coexistence pacifique qui se fonde sur des conditions juridiques, sociales fiables et respectueuses : la loi morale, juridique, la raison, condamnant la violence qui déshumanise l'homme. Une déshumanisation rendue possible par tout ce qu'on peut appeler les "obstacles à la paix ", "les sources des conflits" ou encore les "causes de la violence", que dressent devant nous les "fossoyeurs de la paix" qui brouillent, ensanglantent la vie politique nationale ainsi que celle qui unit les peuples, les états, entre eux.

C'est ainsi qu'à la question de savoir pourquoi la paix est constamment menacée, pourquoi les causes des guerres se multiplient, sans qu'on ne puisse trouver immédiatement une issue favorable à la paix, nous nous sommes rendu compte que, de façon interne à chaque état, la gestion du patrimoine est conflictuelle pour la plupart ; une gestion parsemée d'injustices et de crimes économiques et politiques, de violation massive des droits de l'homme et donc d'aliénation flagrante des libertés individuelles. Les jeunes Etats "démocratiques" souffrent de crises énormes que mettent fréquemment à nu les rébellions, les révoltes, les soulèvements populaires, les révolutions, ou les coups d'Etats armés.

Partant de ce constat amer, en vue d'une justice sociale, d'une gestion responsable des biens communs, ou encore en vue d'une bonne gouvernance démocratique, nous avons suggéré une cure démocratique qui soit favorable à l'édification d'un Etat de paix, et qui permettra de résoudre d'innombrables difficultés qui handicapent la marche des citoyens vers la paix. Par ce moyen, la politique se mettra davantage au service du citoyen, le prenant comme fin et non comme moyen de conquête ou de pérennisation du pouvoir de la manière la plus despotique qui soit. Le but visé est d'aboutir à une refondation éthique de la politique, de la démocratie, pour qu'elle s'investisse plus dans la promotion des droits inaliénables de la personne humaine, dans l'épanouissement de chaque citoyen ; ce qui revient à donner à l'exercice politique de la démocratie un visage humain et humanisant, une dimension purement citoyenne. La réalisation de cet objectif, la paix à travers le consensus entre les gouvernants et les gouvernés, passe nécessairement par la reformulation de l'impératif kantien, du devoir et de l'action à partir de la relecture des principes" d'universalité " et de "discussion" chers à Habermass, et qui concernent l'acceptation sans contrainte, la reconnaissance par des participants à une négociation, à une discussion, de tout ce qui peut acquérir une validité universelle. Cette condition de validité universelle ne s'applique pas à la guerre. Et, c'est conformément à cet esprit d'universalité que nous sommes parvenus à condamner et à récuser toute idée d'utilité des guerres qui s'incarnerait dans l'impérialisme, l'expansionnisme, l'hégémonie politique et économique, donc synonyme de la domination d'un Etat fort sur un Etat faible qui servirait par exemple de grenier économique, de foyer de consommation, ou de base militaire pour d'éventuelles annexions à venir. De la sorte, le plus fort exporte sa vision du monde, son mode vie et de penser, qu'il impose au faible qui perdrait, du coup, une grande partie de sa souveraineté : la dépendance politique, économique et militaire, est un obstacle sérieux à la paix.

En substance, les obstacles à la paix se résument chez Kant à la réserve tacite d'un traité, d'une armistice qui permettrait une nouvelle guerre ; à la possession d'un Etat soit par échange, par protectorat, ou par un traité d'amitié qui donnerait droit à une partie du territoire de l'Etat faible ; à l'existence de forces armées pour la guerre ; à la contraction de dettes au nom d'un peuple pour gonfler le budget militaire destiné à déstabiliser les pouvoirs, à faire la guerre au voisin; à l'ingérence politique et de force dans les affaires intérieures des Etats ; à tout comportement qui empoisonne la paix ou qui encourage secrètement à la rébellion, à la révolution, à la révolte.

Par ailleurs, si de tels obstacles à la paix perdurent dans le temps et l'espace, il faut se convaincre que les conceptions kantiennes du progrès vers le mieux, vers la paix, et le sens qu'il donne au progrès de l'histoire de l'humanité, nous offre une solution satisfaisante à l'horizon. Il nous importe de reconstruire merveilleusement la cité de paix sur les ruines de celle que la guerre aura détruite. "L'insociable sociabilité " signifie, en quelque sens, que la fréquence des guerres doit nous instruire dans le chemin de la paix. En quelques mots, soulignons qu'à l'école de la paix, nous sommes appelés à réunir les conditions de transformation des mentalités, de transformation d'une paix factice en paix réelle. C'est le lieu pour nous de nous enrichir de la leçon kantienne, de la démarche de l'auteur des trois critiques, qui exigent pour la paix : le républicanisme, la démocratie, le rassemblement des Etats ou la fédération d'Etats libres ; l'éducation à la citoyenneté du monde en brisant les frontières ethniques, sociales, religieuses et nationales, pour valoriser l'homme, rien que l'homme. Au sein de chaque Etat, de chaque fédération, ou au sein de chaque organisation politique, le consensus, le dialogue, la négociation, doivent l'emporter sur la poursuite des intérêts personnels, étatiques et restrictifs.

Si la leçon kantienne n'a pas eu l'écho qu'elle méritait hier136(*), si elle n'a pas été comprise, elle doit l'être en ce millénaire de culture de la paix, plus de deux cents ans après la publication du Traité de paix perpétuelle : essais philosophiques (1795). Nous devons, à la suite de Kant, renforcer la médiation de l'universel aussi bien au niveau des relations interpersonnelles, nationales, qu'internationales, c'est-à-dire en redonnant au citoyen et à l'Etat le rôle et la place qui leur reviennent de droit. Les exigences morales formulées par Kant à propos du sujet moral sont à adapter aux Etats comme mécanismes de résolution de leurs différends.

En plus de cela, la médiation de l'universel s'étend aussi aux domaines politique et économique, puis culturel. Disons que la médiation de l'universel joue un rôle sans précédent dans la normalisation et la pacification des échanges commerciaux, et dans la valorisation des biens et devises, ainsi que dans la promotion des valeurs culturelles spécifiques à chaque peuple qui se fait ainsi connaître à l'occasion d'échanges culturels : c'est ce qu'on a nommé le "cosmopolitisme culturel" à un moment où l'intégration des peuples en vue de la libre circulation des personnes et des biens, et de la paix, est une question cruciale débattue dans les enceintes politiques internationales. Or, en vérité l'esprit de commerce, de culture, ne se fortifie que grâce à l'éducation, à la formation ou à l'instruction, que chaque partie concernée a préalablement reçue et enrichie au cour des ans dans ses frottements aux autres parties.

C'est donc signifier que l'éducation est, à l'instar du commence et de la culture, un facteur de paix, pour ne pas dire, celui qui donne aux autres facteurs leur raison d'être. L'éducation qui doit sortir l'homme de l'animalité, de l'état imparfait de violence, pour le destiner à l'humanité, à l'état parfait de la paix, favorise alors la tolérance, l'amitié, la compréhension et le dialogue entre les hommes et les Etats. L'éducation est donc, selon Kant, une affaire de soins, de discipline, de formation et d'instruction ; tout ce qui participe à l'épanouissement intellectuel, physique et moral de l'homme. Dans cette optique, l'éducation "à la paix" s'impose à tous, aussi bien aux enfants, aux adultes qu'aux hommes d'Etats.

Aux enfants, il faut leur inculquer les vertus de la paix, les valeurs civiques, morales et universelles, celles qui concernent l'acceptation d'un autre que soi, la vie en groupe ou en société, les appartenances ethniques, familiales et raciales. Tout cela suppose la proscription des actes d'incivisme, de haine, de racisme et de xénophobie, qui dénigrent et déshumanisent l'homme.

L'éducation qu'il convient de donner aux adultes, sans qu'elle ne soit fondamentalement différente de celle que reçoivent les enfants en famille, à l'école et dans la vie, est liée à ce qu'on appelle chez Kant, "la publicité" des maximes du droit, des clauses du contrat qui lie les hommes entre eux, donc des règles ou des lois qui régissent la vie en société. Il s'agit d'une transparence, d'un éclairage et d'une mise en confiance de ceux qui choisissent leurs dirigeants afin d'éviter ou de réduire les inégalités, les injustices, les tromperies et les vols de deniers publics. Toutes choses qui conduisent, tôt ou tard, à la rébellion, à la révolte, et qui met donc l'instabilité à la place de la stabilité, de la paix. C'est la raison pour laquelle, il est dans l'intérêt de tous que l'élu doive des comptes à ses voix, qu'il les informe de tout ce qui touche à leur vie, sans d'ailleurs créer une distance qui les sépare de lui.

Sans ses qualités d'éducation à la citoyenneté, de formation et d'information, le citoyen est une "bête de somme", "un mouton de panurge". L'on comprend pourquoi, l'idée de paix définit une tâche immense, noble, à réaliser, ensemble dans l'égalité, la liberté : Vouloir construire ensemble un monde de paix, suppose que les libertés individuelles s'éduquent aux principes universels de l'humanité.

Pour des Etats organisés, regroupés ou fédérés, la réalisation de l'idée de paix (qui n'est pas un rêve pieux) implique que chaque Etat renonce, au besoin, à ses prétentions expansionnistes, au droit du plus fort. De la même façon que les citoyens, les Etats doivent jouir des mêmes droits, répondre des mêmes obligations, dans le respect strict du droit international amoureux de l'épanouissement des peuples, de la stabilité politique, donc de la paix mondiale.

In fine, concluons avec Kant que « la question n'est pas de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réelle et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas, devrait être137(*) ». Il poursuivra son raisonnement, sans se contredire bien sûr, en nous encourageant, en nous invitant au combat pour la paix. Car, il est convaincu que « la paix perpétuelle qui succèdera aux trêves jusqu'ici nommées traités de paix n'est donc pas une chimère, mais un problème dont le temps, vraisemblablement abrégé par l'uniformité des progrès de l'esprit humain, nous promet la solution138(*) ».

Il y a toujours chez Kant une place pour l'espoir, de telle manière que dans certaines conditions, l'impossible devient possible ; les limites de l'impossible sont, en ce moment, franchissables. Cela dépend de notre volonté d'agir, de notre sens du devoir envers soi-même et envers les autres, du respect pour la vie. L'esprit d'équité, d'égalité de concorde et de bonté qui reconnaît en tout homme la même identité humaine, le même destin, guidera toujours chaque homme vers la paix et la stabilité sitôt que celui-ci écoute la voix de la raison pratique qui résonne au plus profond de son coeur et de son âme.

Tant que tous les hommes ne seront pas tous des frères, en acte et en parole, la paix ne sera jamais leur souci commun. La guerre, quant à elle, sera leur ami commun, l'ennemi de la raison et de la morale. Ce qui veut dire que celui qui veut la paix doit la préparer dans la fraternité, la communion, la justice et la dignité. Si rien ne vaut la paix, la paix vaut la tête qui pense la guerre et qui crie ensuite à la paix. La paix est à la mesure de l'homme : elle est un oeuf dont la fragilité fait qu'il faut lui réserver un soin particulier.

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* 1 Kant, "Propos de pédagogie", 1986, p.1150

* 2 Simone Goyard-Fabre, La construction de la paix, Paris, Vrin, 1994, p.26

* 3 Léonard Doob, La résolution des conflits, Ed. L'Age D'Homme, 1984, trad. The pursuit of peace, Greenwood Press, Wesport, Connecticut, 1981, p.33

* 4 Louis Beirnaert, Essais et approximations, « irrésistible violence », p. 548

* 5 Kant cité par Georges Pascal dans Pour connaître la pensée de Kant, Paris, Bordas, 1986, p. 182

Selon Kant, l'homme n'est pas mauvais parce qu'il est l'auteur d'actions mauvaises,mais parce que ses actions sont fondées sur de mauvaises maximes, des actions qui sont contraires à la loi, et qui le sont en toute conscience.

* 6 « Déclaration de Séville relative à la violence », Ed. Dev News, Bulletin pour l'éducation et le développement. UNICEF, nov. 1992. Le comité a étudié la question « la violence est-elle inhérente à la nature humaine ? »

* 7 Charles Zorgbibe, La Paix, PUF, coll. « Que sais-je », Paris, 1984, p. 06. Il est professeur titulaire à la Sorbonne.

* 8 Konrad Lorenz, L'agression, une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 1986, p.32

* 9Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Ed. Gallimard, Coll. Les Essais, 1967, p.12

* 10 Hannah Arendt,"Apologie de la violence", p.435

* 11 Machiavel, Le Prince et autres textes, "L'art de la guerre", Paris, Gallimard, 1980, p.293

* 12 Mais il n'est pas sans savoir que, selon Rousseau, "rien ne mérite d'être acheté au prix du sang humain".

* 13 Abel a exécuté Caïn, Romulus a tué Romus : « La violence est le commencement, aucun commencement ne pourrait se passer de violence ni de violation...Toute fraternité dont les hommes sont capables est issue du fratricide, toute organisation politique que les hommes aient réussie tire son origine d'un crime...Au commencement était un crime .» Hannat Arend, 1967, p.23

* 14 Hegel, Principes de la philosophie du droit, trad. d'André Kaan, préface de Jean Hyppolite, Paris, Gallimard, 1940, nouvelle édition, 1995, p. 17

* 15 John Kenneth Galbraith, La paix indésirable ? Rapport sur l'utilité des guerres, Paris, Calmann-Lévy,1984, p.181

* 16 A., Philonenko, La théorie kantienne de l'histoire, Librairie philosophique Jean Vrin, Paris, 1986, p.111

* 17 Kant, Projet de paix perpétuelle, in OEuvres philosophiques,Paris, Gallimard,1986,p,362

* 18 Kant, 1986, p.354

* 19 Kant disait à ce propos que sans ces qualités d'insociabilité(...), tous les talents resteraient à jamais enfuis en germes, au milieu d'une existence de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction et un amour mutuels parfaits.

* 20 Kant, Doctrine du droit, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1979, pp.347-348 : « Du haut du tribunal suprême du pouvoir législatif, la raison condamne sans exception la guerre comme voie de droit ; elle fait un devoir absolu de l'état de paix. »

* 21 Kant, "Conflit des facultés" in La Pléiade, T3, Paris, Gallimard, 1986, p.905

* 22 Cité par Georges Minois, L'Eglise et la guerre, Paris, Librairie Arthème-Fayard, 1994, p.229

* 23 Kant, Critique de la faculté de juger, suivie de Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, Paris, Gallimard, 1995, p.478

* 24 Kant, Fondements de la Métaphysique des Moeurs, trad. Victor Delbos, Paris, Delagrave, 1994, p.150

* 25 Pape Jean Paul II,"Message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix, 01/01/1999", in La Documentation catholique du 03/01/1999, p.05

* 26 Platon, La République 499b ; Aristote, La Politique 1288a

* 27 Kant, 1986, p.364

* 28 Nous nous sommes inspirés de l'oeuvre de Jean Laurain intitulé De l'ennui à la joie, éléments d'une pédagogie de la paix, Paris, Ed. du Cerf, 1993, pp. 25 - 34

* 29 Alain Plantey, La Négociation Internationale, principes et méthodes, Paris, CNRS Ed., 1994, p.78

* 30 Roger Garaudy, Pour un dialogue des civilisations, Paris, Ed. Denoël, 1977, pp.181-182

* 31 Rousseau, OEuvres complètes, T3, pp.588-589

* 32 Kant, 1986, p.383

* 33 Cité par Félicien Challaye, Philosophie scientifique et Philosophie morale, Paris, Fernand-Nathan, 1946, p. 506

* 34. Joseph Ki Zerbo, A quand l'Afrique ? Ed. de l'Aube, 2003 p. 65

* 34 Kant, Théorie et Pratique, trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1990, p.39

* 35 Kant, "Métaphysique des Moeurs", in La Pléiade, trad. J. O. Masson, Paris, Vrin, 1965, p.229

* 36 Kant, Idée, trad. Piobetta, Paris, Aubier, Montaigne, 1951, p.68

* 37 Voir le premier principe métaphysique de la Doctrine du droit, p.481

* 38 Kant, 1986, pp.367-368

* 39 André Tosel, "La fondation de la catégorie juridique chez Kant"dans Cahiers Eric Weil III"Interprétations de Kant" de Jean Quillien et Gilbert Kirscher (Eds), Presses de l'Université Charles de Gaulle, LilleIII, 1992

* 40 « La synthèse juridique a pour propriété et pour tâche de veiller à ne se laisser dissoudre ni dans la naturalité et la violence propre au monde empirique, ni dans l'éthicité pure. Kant vise une connexion originale de valeur et de fait, d'idée rationnelle et d'existence empirique, de devoir et de force, d'humanité libre et de nature nécessitée. » Ibid, p.145,

* 41 Dictionnaire universel francophone, Ed. Hachette / EDICEF, 1997, p.916

* 42 La rupture est intervenue au XVIIIè siècle, avec les théoriciens du contrat social, entre la démocratie et les autres régimes politiques ; elle a suscité alors une révolution qui aboutit à la consécration du principe de la majorité dans la démocratie.

* 43 Sémou Pathé Guèye, Du bon usage de la démocratie en Afrique, Dakar, NEAS, 2003, p.08. Il est Professeur titulaire à l'Université Cheikh Anta Diop.

* 44 Pour l'Afrique, A.M.International-Jaguar Conseil,/Présidence du Faso, Paris, 1999, p.85

* 45 G. Burdeau, Le libéralisme, Paris, Seuil, 1979, p.167

* 46 Mahamadé Savadogo, La Parole et la Cité, Paris, L'Harmathan, 2003, p.123

* 47 William Ury, Comment négocier la paix : Du conflit à la coopération chez soi, au travail et dans le monde, Nouveaux Horizons-Ars, Paris, 2001, p.156

* 48 Doctrine du droit, p.205

* 49 Bernard Crozel, Urbanité et Citoyenneté. Attention démocratie urbaine, Paris, L'Harmathan, 1998, p.42

* 50 Dans les colonnes de "Hakili" n°03 de Septembre 2003

* 51 Cité par Lénine, L'Impérialisme Stade suprême du capitalisme, Ed. du Progrès, Moscou, 1982, p.132

* 52 À quand l'Afrique ? Ed. de l'Aube, 2003, p.50

* 53 J. ki-Zerbo, 2003, p.48

* 54 Ibid, p.59 . Jaurès n'avait donc pas tort quand il écrivait que «  le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. »

* 55 Roger Garaudy, Pour un dialogue des civilisations, Paris, Dénoel, 1977, p.37

* 56 Lénine, 1982, p.11

* 57 Fatsah Ouguergouz, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Paris, PUF, 1993, p.194

* 58 Kant, 1986, p. 378.

* 59 Kant, 1979, p. 42.

* 60 Admettre  « un droit à la révolte serait une permission de résister à l'ordre établi. Une telle disposition marquerait la législation juridique dans son ensemble du sceau de la précarité et elle perdrait, du coup, toute raison d'être ». Mahamadé Savadogo, kant-student 90, Jahrg, p. 314.

* 61 Kant, 1990, p. 42.

* 62 Kant, 1986, p. 378.

* 63 L'Indépendant n°306 du 20/07/99 : « La rébellion est-elle la panacée aux maux de l'Afrique ? ». Cette décision est loin d'être rassurante quand on sait que 21 des 38 chefs d'Etats réunis à Alger sont arrivés au pouvoir par la force ; soit à l'occasion d'un coup d'Etat, d'une guerre de libération, ou de pseudo-élections démocratiques.

* 64 M. Savadogo d'ajouter ( 2001, 284) que «  la conscience de l'imperfection est en elle-même l'indication d'une certaine manière de percevoir la société, l'expression d'une vision du monde, d'une conception de la réalité humaine ».

* 65 Kant, 1986, 887-888.

* 66 "Les fondements philosophiques de la paix", p.23

* 67Kant, "Conflit des facultés", 1986, p.890

* 68 Kant, 1986,, p.202

* 69 Selon Kant, la décadence vers le pire ne peut durer constamment dans l'espèce humaine: "ça ne peut plus être pire".

* 70 Kant, 1986, p.891

* 71 A. Philonenko, Théorie kantienne de l'histoire, Vrin, 1986, p.110

* 72 Kant, Opuscules sur l'histoire, trad. S. Piobetta, Paris, Garnier Flammarion, 1990, p.207

* 73 Ibid., De cette façon, l'homme s'impose à lui-même l'effort désespéré de faire rouler le rocher de Sisyphe jusqu'au sommet pour le laisser retomber à nouveau. L'abdéritisme est un affairisme vide.

* 74 Kant, Opuscules sur l'histoire, p.208

* 75 Cf. Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, Ed. Sociales, 1971

* 76 A.Philonenko, L'oeuvre de Kant, t.2, Paris, Vrin, 1988, p.252

* 77 Lire La République universelle, 1792 ; Les Bases institutionnelles de la République du genre humain, 1793

* 78 A. Renaut, Kant aujourd'hui, Paris, Aubier, 1997, p.476-478

* 79 Ibid,

* 80 Ibid., p.68

* 81 Kant, Opuscules sur l'histoire, p.219-220

* 82 Kant, Idée, 6è proposition.

* 83 Mahamadé Savadogo, 2003, p.263

* 84 Sémou Pathé Guèye, 2003, p.15.

* 85 Ibid, p.17

* 86 Habermas, Morale et Communication, Paris, Cerf, 1991, p.181 Paris,

* 87Habermas, op.cit, p.85

* 88 Métaphysique des moeurs, p.42 : « Agis toujours d'après une maxime telle que tu pusse vouloir qu'elle devienne en même temps une loi universelle ».

* 89 Habermas, Ethique de la discussion, Paris, Cerf, 1994, p.34

* 90 Ibid, p.3

* 91 Le fait que les Nations Unies aient octroyé le prix Nobel de la paix 2004 à une écologiste kenyane du nom de Wangari Matai, montre que la protection ou la sauvegarde de l'environnement est une condition de la paix. Nombre de conflits sociaux sont liés à l'exploitation des ressources de l'environnement. Si Kant n'en fait pas une condition de paix, malgré la relation qu'il établie entre l'homme et la nature dans sa Critique de la faculté de juger,elle est une question cruciale à laquelle des recherches futures seront consacrées.

* 92 Kant, Projet de paix perpétuelle, pp.334-337

* 93 Kant, 1986, pp.337-338

* 94 Roger Axcelrod, Donnant Donnant, Ed. Odile Jacob, 1992, p.91

* 95Rapport mondial sur la violence et la santé, OMS, Genève, 2002, p. 254

* 96 Doctrine du droit, p.629

* 97 Kant, Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, trad ; Jean- Michel Muglioni, p.15

* 98 Doctrine du droit, p.480

* 99 Kant « conflit des facultés » in Opuscules sur l'histoire, p. 215

* 100 Kant, 1986, p.379

* 101 Lettre de la Reine Anne d'Angleterre au Parlement d'Ecosse en date du 01 /07/1706, extrait du Fédéraliste, p.26

* 102 Doctrine du droit, pp.347-348

* 103 Alain Plantey, La négociation internationale : principes et méthodes, Paris, CNRS Ed., 1994, p.11

* 104 Projet de paix perpétuelle, p.358

* 105 Jean-Marie Muller, Comprendre la non-violence, Non-violence Actualité, 1995,

* 106 Leibniz, oeuvres, (L-A. Foucher de Careil), T.III, pp.124-125, voir aussi sa Lettre à l'abbé de St Pierre en date du 07 /02/1715, ibid, T.IV, p.325

* 107 Fondements de la métaphysique des moeurs, Présentation J. Costilhes, Paris, Hatier, 1963,p.09. La volonté étant une raison pratique, ll n' y a que les hommes raisonnables qui puissent avoir une volonté, celle qui fait seule des biens mérités, indépendamment de ses fruits, des calculs trop soigneux qui nous font manquer le bonheur commun.

* 108 Lionel Bellenger, La négociation, Paris, PUF, 1984, p.14

* 109 William Ury, 2001,p.119

* 110 Bernard Crozel, Urbanité et citoyenneté, Attention démocratie urbaine, L'harmattan, Paris, 1998, p. 40

* 111 Maîtrise des armements et désarmement, Etudes de la documentation française, international, Paris, 1992

* 112 Kant, Projet de paix perpétuelle, trad. J.J. Barrère et C. Roche, Paris, Nathan, Les intégrales de Philo, 1991, p.86

* 113Kant, Métaphysique des moeurs, Doctrine du droit,, p.178

* 114 Mémoire de Maîtrise de Philosophie : "Morale et politique chez Kant : Le Républicanisme comme fondement de la responsabilité morale ou politique", Université de Ouagadougou, sep 1998, p.73

* 115 Kant, OEuvres Philosophiques, p.373

* 116 "Kant et la politique", Kant-Studien 90. Jahrg, pp.306-321. L'article peut être lu dans son oeuvre La Parole et la Cité, L'Harmattan 2003, pp.187-215

* 117 Lionel Bellenger, p.108

* 118 Newton Ahmed Barry, "L'Evénement", n°07-08, décembre 2001- janvier 2002, p.03

* 119 La Charte des Nations Unies, p.37

* 120 Lénine, La coexistence pacifique, p.16

* 121 Kant, op.cit, p.362

* 122 Lénine, op.cit, p.13

* 123 « Le commerce a fait que la connaissance des moeurs de toutes les nations a pénétré partout: on les a comparées entre elles et il en a résulté de grands biens », note Montesquieu dans son Esprit des lois, t.2, Garniers Frères, 1967, p.08

* 124 Les deux premiers propos qui suivront sont rapportés par Sahirou Tchida Moussa, et mentionnés dans son mémoire de maîtrise de philosophie.

* 125 C'est dans ce sens qu'on a bien pu dire que le "développement est l'autre nom de la paix", ou qu'ils vont de pair. Cependant, il n'y a que la paix qui puisse favoriser véritablement le développement, sans exclure la possibilité qu'un stade de développement poussé annonce la paix à l'horizon.

* 126 Kant, 1986, "Propos de pédagogie", pp.1153-1154

* 127 A. Renard, La pédagogie et la Philosophie de l'école nouvelle, Paris, Ed.école et collège, 1941, p.101

* 128 op. cit, p.297

* 129 La possibilité de toujours mieux développer la nature humaine par l'éducation, et de la porter à une forme adéquate à l'humanité, est un ravissement pour Kant (1986, pp.1152-1154) ; cela prouve la richesse future du genre humain en bonheur. La Providence aurait dit à l'homme : « je t'ai pourvu de toutes les dispositions au bien. C'est à toi qu'il revient de les développer ; ainsi tout ton bonheur et tout ton malheur dépendent de toi-même ». C'est le sens que Kant donne à l'action et à l'engagement de l'homme en faveur du bien, de la paix.

* 130 Ibid, p.1554

* 131 Ibid, p.1150

* 132 Kant, Opuscules sur l'histoire, op.cit. p.216

* 133 « Comment un paysan, pourra-t-il exercer honnêtement ses fonctions d'électeur s'il ne sait pas lire une affiche électorale ou la proclamation de foi d'un candidat. Cet ensemble de devoirs est le fondement du droit pour le citoyen à l'instruction et à l'éducation. Les dirigeants africains, s'ils veulent instaurer la démocratie dans leurs pays, ont donc le devoir de faire à la jeunesse cette instruction sans laquelle on ne mériterait pas d'être appelé un homme ». Henri Bala Mbarga, Problèmes africains de l'éducation, Paris-Lille, Hachette,1962, p.38. H., B., Mbarga est inspecteur de l'enseignement primaire au Cameroun.

* 134 Si le vote est un devoir de citoyens libres, c'est alors un devoir et un droit pour le peuple d'être formé, informé et éduqué pour la cause afin d'éviter d'aussi vilaines crises électorales.

* 135 Kant, 1986, p.337

* 136 Kant, convaincu de la valeur inestimée de son oeuvre, Traité de paix perpétuelle: essais philosophiques, disait, de lui-même, qu'il était venu avec ses écrits un siècle trop tôt, et que ce serait dans cent ans, voire plus, que l'on commencerait à bien le comprendre. L'histoire lui a donné raison aujourd'hui.

* 137 A. Philonenko, 1988, P.268

* 138 Kant, 1986, P.303






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