BURKINA FASO
Unité- Progrès- Justice
Ministère des Enseignements Secondaire,
Supérieur,
et de la Recherche Scientifique
Université de Ouagadougou
Unité de Formation et de Recherche en Sciences
Humaines (UFR/SH)
Département de Philosophie /
Psychologie
Section: Philosophie
Option: Morale et Politique
Thème :
KANT ET LA PROBLÉMATIQUE DE LA PROMOTION DE LA
PAIX
Le conflit entre l'utopie, la
nécessité et la réalité de la paix
durable
Présenté par,
Sous la direction de,
Fatié OUATTARA Mahamadé
SAVADOGO
Professeur titulaire
Année académique : 2005/2006
« La paix n'est possible entre les hommes que
dans la mesure où, il y a des hommes de paix, des artisans de paix. La
paix n'est pas donnée comme par enchantement. Elle se construit, non pas
en se contentant de dire "faisons la paix", mais en vivant ensemble des actions
communes qui permettent aux personnes de trouver une
harmonie.»
Père Joseph Wresinski, 1982.
TABLE
DES MATIERES
TABLE DES MATIERES
III
REMERCIEMENTS
V
DÉDICACE
VI
PREMIERE PARTIE:
LES CONCEPTS DE GUERRE ET DE PAIX CHEZ KANT
10
CHAPITRE I : KANT OU LA GUERRE EN PROCÈS.
11
1. La guerre : phénomène naturel et
/ou culturel ?
12
2. Des théories de guerre à la
théorie de l'"insociable
16
sociabilité" de Kant.
16
3. La guerre est irrationnelle, déraisonnable
et immorale.
22
CHAPITRE II : DE L'IDÉE DE PAIX ET DE SA
VALORISATION CHEZ
27
1. L'histoire de l'idée de paix.
28
2. De la nécessité de la paix à
la désillusion des coeurs.
32
3. Les fondements politico-juridiques de la paix chez
Kant
35
DEUXIÈME PARTIE :
DES OBSTACLES À LA PAIX À LA PROGRESSION
DE L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT.
40
CHAPITRE I : DES OBSTACLES À LA PAIX CHEZ
KANT.
41
1. De l'anti-démocratisme à la crise
sociale.
41
2. L'hégémonisme politique et
économique.
50
3. Du droit de révolte des peuples dans
l'histoire.
56
CHAPITRE II : DE LA PROGRESSION DE
L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT.
61
1. Les conceptions kantiennes du progrès vers
la paix.
62
2. Le sens kantien du progrès vers la paix.
65
3. De l'éthicité de l'action politique
en faveur de la paix.
68
TROISIÈME PARTIE :
DES CONDITIONS DE LA PAIX À
L'INTÉRÊT DU PACIFISME KANTIEN À L'AUBE DU
XXIÈ SIÈCLE.
73
CHAPITRE I : LES CONDITIONS DE LA PAIX CHEZ KANT.
74
1. Les conditions négatives de la paix.
75
2. Les conditions positives de la paix.
79
3. La négociation de la paix.
84
CHAPITRE II: L'INTÉRÊT DU PACIFISME
KANTIEN À L'AUBE DU XXIÈS.
92
1. L'ONU ou la médiation kantienne de
l'universel.
93
2.Vers la promotion des valeurs économiques,
sociales et
97
culturelles mondiales.
97
3. De la nécessité d'une
éducation à la paix.
100
CONCLUSION GÉNÉRALE : LES EXIGENCES
DE LA LEÇON KANTIENNE, POUR LA PAIX DURABLE.
106
Remerciements
Au terme de notre analyse qui se veut une modeste
contribution à la réflexion sur l'avenir de paix, ou encore sur
l'avenir de l'humanité, nous tenons à exprimer notre profonde
gratitude à l'endroit de tous ceux qui nous ont soutenus tout au long
de notre parcours académique jusqu `aujourd'hui.
Nos remerciements vont particulièrement, et en premier
lieu, à l'endroit de Mr Mahamadé Savadogo qui, en dépit
de ses multiples occupations, a bien voulu assurer la direction de nos travaux.
Sa constante disponibilité, sa clairvoyance, son esprit critique , ainsi
que sa franchise et sa rigueur au travail, nous ont été aussi
précieux que nous lui en savons gré, et voudrions que cette
réflexion lui suffisse " Intelligenti pauca ",
c'est-à-dire aux intelligents peu de mots suffisent : il a su
cultiver en nous le goût pour la philosophie.
Notre reconnaissance va également à l'endroit
des parents, frères, soeurs, amis et connaissances qui, à un
moment où à un autre, ont contribué, d'une manière
ou d'une autre, à la réalisation dudit mémoire. Nous
pensons à :
- Chishugi Appolinaire, Missionnaire d'Afrique à la maison
Lavigerie,
- Coulibaly Ber-Zan Etienne, Professeur à l'ENAM,
- Coulibaly N'gra-Zan Christophe, Consultant,
- Coulibaly Séguena Robert, Gendarme à la
retraite.
Nous ne saurons, non plus, oublier de remercier le corps
enseignant qui nous a transmis les connaissances nécessaires pour que
nous soyons là où nous sommes aujourd'hui.
À tous ceux dont les noms n'ont pu être
cités, qu'ils retrouvent ici l'expression de notre profonde
gratitude.
Dédicace
A
Mon père, Ouattara
NioWaZié Fougniguein dit Zoumana,
Ma mère, Ouattara Sétiengnon,
Ma grande soeur, Ouattara Fiêrêlaga
Saly,
Tous ceux qui sont au service de la paix et de
l'humanité ;
Affectueusement !
Introduction
Générale : Justification du thème et
re-position du problème kantien de la paix.
À en juger au premier coup d'oeil, notre
thème "Kant et la problématique de la promotion de la paix.
Le conflit entre l'utopie, la nécessité, et la
réalité de la paix durable ", nous inviterait à
analyser d'une manière particulière l'attitude ou les
réactions de l'auteur du Projet de paix perpétuelle
face au phénomène de la guerre, face aux difficultés de
promouvoir la paix ; c'est-à-dire que notre sujet nous
amènerait ainsi à dégager spécifiquement les
thèses ou positions, voire les propositions de Kant, dans le contexte de
la promotion de la paix dans le monde.
Une telle approche du problème est loin
d'être vaine et illégitime, elle se justifie, elle est acceptable.
Mais, nous avons pour notre part, jugé bon, également, de nous
reconduire principalement au projet kantien de la paix perpétuelle,
à ses écrits, afin de pouvoir dégager son
intérêt pour la question et, en faisant aussi appel à bien
d'autres auteurs, organiser un débat en partant de points de vue divers,
peut-être contradictoires, pour mieux fonder la problématique.
Vous comprendrez que la préoccupation qui nous motive ici est loin
d'être celle d'un spécialiste en la matière, ni celle d'un
diplomate appréhendant la problématique de la paix ; elle
n'est pas non plus celle d'un philosophe confirmé, mais plutôt
celle d'un étudiant en quête de marque philosophique, en suivant
Emmanuel Kant.
S'il est vrai que les vrais hommes de l'histoire
sont ceux qui ont une connaissance, plus ou moins, parfaite du passé, un
intérêt réel pour le présent, des projets ou des
soucis majeurs pour l'avenir, il faut dire qu'une relecture de Kant, qu'une
connaissance de sa position quant au défi et à l'enjeu de la
paix, ne peut que nous guider vers l'acceptation, le refus, de thèses ou
théories formulées au sujet de la problématique de la
paix, et qui auraient le mérite ou pas d'être rationnelles,
morales, juridiques.
En effet, dans un monde embarrassé par la
guerre et par son cortège de malheurs, dans un monde hésitant
encore à la croisée des chemins de la passion et de la raison, du
profit et de l'humanité, la vocation du philosophe en
général et du kantien en particulier, est d'expliquer au monde,
ce qui lui arrive, d'éclairer et de guider le citoyen de ce monde vers
la réalisation de l'idéal de vie conforme aux prescriptions
morales, à la raison et à la loi juridique : l'idéal
de la paix perpétuelle, durable, réaliste ou effective. C'est ici
que se pose le vrai problème du conflit qui existerait entre le mythe et
la réalité de la paix durable, c'est-à-dire entre
l'utopie, la nécessité et la réalité de la paix
durable. Autrement dit, une vision chimérique ou utopique du
problème de la paix doit-elle et peut-elle nous décourager
à poursuivre le combat pour la paix ? Si " la fin justifie les
moyens ", la paix n'est-elle pas la fin de toutes les autres fins ?
N'a-t-elle pas besoin de plus de gros moyens, à la fois humains,
spirituels, moraux et intellectuels, que ceux que nous avons vus jusqu'à
présent ? Tenter de trouver des esquisses de réponses
satisfaisantes à ces interrogations suscitées, revient, comme le
veut Kant, à prophétiser sur la possibilité
d'établir une paix perpétuelle sur la terre.
Au seuil du troisième millénaire, le
projet entrepris par le philosophe prussien du XVIII è
siècle est à faire comprendre davantage aux hommes :
les menaces de guerre que nous rencontrons un peu partout dans le monde, font
qu'en ce millénaire, la paix demeure un défi et un enjeu qui doit
s'imposer à tous les peuples de la planète,
particulièrement à ceux des pays en voie de développement.
C'est pourquoi, après que les Nations Unies aient institué l'an
2000,"Année internationale de la culture de la paix", il
devient encore plus nécessaire et impérieux de
réfléchir aux causes des conflits, internes pour la plupart, aux
conditions de maintien, de préservation ou de restauration de la paix
dans le monde.
Pour ce faire, n'oublions pas de rappeler que, de
toute l'histoire de l'humanité, le XX è siècle
aura été, malheureusement, le témoin de plus de
destructions massives et d'horreurs inimaginables que les autres
siècles. Il restera gravé dans les mémoires comme le
siècle par excellence des idéologies haineuses, de techniques
nouvelles, sophistiquées, pour perpétrer la terreur, la violence
meurtrière.
Compte ténu du fait que la violence est
omniprésente dans la vie des hommes, et qu'elle nous engage tous
à des degrés divers, il devient presque certain que, si nous ne
prenons pas garde, les générations futures risquent d'être
plus violentes que les précédentes, et les victimes plus que
leurs bourreaux : « Une génération
éduque l'autre, écrit Kant. Il est loisible à ce
propos de chercher l'origine première dans un état de barbarie
ou, tout aussi bien, dans un état de perfection et d'accomplissement
1(*)».
Alors, après avoir pris connaissance des
écrits kantiens sur tout ce qui rend possible la paix, il nous
appartient donc de transformer l'appel kantien en un appel pressant de paix, de
reconsidérer l'histoire des peuples, d'y proposer une voie
réaliste et objective, c'est-à-dire en incitant, de la plus belle
façon, les peuples à la réalisation de ce qu'ils ont
longtemps cru impossible. Notre objectif est que nous devons et voulons faire
savoir, à l'humanité, que l'homme actuel est capable, du point de
vue de sa liberté d'invention, de découverte et de
créativité, de se frayer la voie sûre qui mène
à la paix.
La présente réflexion se propose de
montrer comment en nous inspirant de la leçon kantienne, la paix durable
peut-elle venir à être possible par delà la
ténacité et la permanence des guerres, des conflits de toutes
sortes. En d'autres termes, dans quelle mesure, la démarche kantienne
peut-elle nous instruire de la pertinence de la problématique de la paix
mondiale ? Dans quelle mesure, l'utopie ou l'illusion d'une paix durable
peut-elle faire place à une véritable nécessité,
espérance, voire à une réalité de la paix pour
tous. Trois moments nous serviront d'axes de réflexion sur le
problème collectif de la paix en ce millénaire.
Dès l'abord, l'examen des concepts de
"guerre" et de "paix" va nous conduire à la
condamnation de l'état de guerre au profit de la nécessité
et de la valorisation de la paix, comme exigence et besoin de la raison.
Ensuite, après avoir recensé quelques obstacles à la paix
ou sources de conflits, nous montrerons que l'humanité progresse,
lentement et sûrement, vers la paix. Enfin, en partant des conditions de
possibilité de la coexistence pacifique des citoyens et des peuples, ou
encore des conditions suivant lesquelles nous pouvons empêcher ou
arrêter les guerres afin de constituer, de construire un temple de paix,
nous verrons si les écrits kantiens en faveur de la paix sont et seront
d'un intérêt inégalable, pour nous, à l'aube du XXI
è siècle. L'homme moderne est-il ou sera-t-il plus
disposé à faire la paix avec ses frères, ou est-il plus
pacifique que l'ont été ses prédécesseurs ? La
quantité de bien en l'homme a-t-elle augmenté au XXI
è siècle, promet-elle de l'être dans le temps et
l'espace ? C'est ce que le verdict du procès de la guerre essayera
de nous confirmer.
PREMIÈRE PARTIE :
LES CONCEPTS DE GUERRE ET DE PAIX CHEZ KANT
|
CHAPITRE I : KANT OU LA GUERRE EN PROCÈS.
La paix et la guerre, voilà le
problème essentiel des relations humaines qui fait et qui fera toujours
l'objet de réflexions et de débats tant philosophiques, moraux
que politiques. Car, « malgré toutes les tentatives de
mise en place d'organismes juridico-institutionnels, malgré les
conférences de paix, les efforts de conciliation multipliés par
les Nations Unies, les résolutions du Conseil de Sécurité,
les conventions, les promesses, voire les ultimatums et les menaces..., la paix
n'a jamais été, et risque fort de n'être jamais une paix
durable2(*)».
C'est à partir de cette juste remarque de Simone
Goyard-Fabre que nous allons examiner les concepts de "guerre" et de
"paix" dans la philosophie morale et politique de Kant,
c'est-à-dire déterminer ce qui fait qu'il est toujours difficile
de promouvoir la paix, de réaliser une paix durable. En tout état
de cause, l'on sait que l'espèce humaine aspire toujours à la
paix, elle la désire comme allant de soi et pour soi : des
expressions du genre" nous voulons la paix", " faisons la
paix", "que la paix et l'amour de Dieu soient avec vous", sont autant de
convictions qui prouveraient que tout homme, toute société, et
donc toute l'humanité aspire à la paix. Apparemment, personne ne
veut accepter qu'on le qualifie de belliqueux ou de belliciste, ce qui serait
pour lui une atteinte à son intégrité, à sa
dignité. Cependant, au cours de l'histoire, des théories ont
été formulées et proclamées pour justifier la
guerre dans la Cité, entre les Etats, comme si elle était
légitimable, c'est-à-dire acceptable ou bien
"normalisable" dans les relations citoyennes et interétatiques.
La guerre peut-elle être nécessaire ?
Pour les théoriciens de la guerre, celle-ci jouerait
un rôle sans précédent dans la vie communautaire comme un
facteur d'organisation, de progrès ou d'épanouissement de
ceux-là mêmes qu'elle incrimine. Comment comprendre une telle
position généralisable au moment où l'on crie à la
paix mondiale ? L'homme a-t-il en lui un penchant naturel qui
l'empêche de faire la paix avec les siens, de coexister pacifiquement
avec eux ? De la même manière, certains Etats sont-ils de
nature telle qu'il leur est impossible de coopérer en paix, de tisser
des relations harmonieuses et enviables avec d'autres Etats ? En un mot,
la violence extrême, la guerre, est-elle un phénomène
naturel, culturel, ou bien est-elle les deux à la fois ?
1. La guerre :
phénomène naturel et /ou culturel ?
Tenter de répondre à cette embarrassante
question revient à nous demander si nous sommes, oui ou non,
condamnés naturellement et /ou culturellement à la violence,
à l'agressivité sous toutes ses formes, même aux formes les
plus aigues comme la guerre.
En effet, nous pouvons tirer de l'histoire des
pensées une idée qui stipulent que l'homme est naturellement
violent et agressif, qu'il possède en lui des instincts
d'agressivité plus que latents qui le poussent, consciemment ou
inconsciemment, à la violence. Ce qui ne va pas sans dire que l'homme
naît avec une prédisposition naturelle à la violence et au
meurtre, un ensemble de germes inscrits génétiquement dans sa
nature.
C'est ainsi que, pour les partisans d'une certaine vision de
l'évolution historique, l'homme est le descendant d'animaux sauvages qui
vivent et qui manifestent, à en abuser, leur liberté. De ceux-ci,
nous aurions hérité de leur nature agressive et violente
incontrôlable de toujours. En adhérant à ces
théories, nous sommes et nous serions tous condamnés à
être des prisonniers d'un engrenage sans fin de la violence. C'est ce que
l'on pourrait lire chez Hobbes qui, dans le Léviathan, soutient
que l'état de nature, de non civilisation, est un état de haute
compétition, c'est-à-dire de guerre, en atteste l'expression
" bellum omnes bello" ou encore "la guerre de tous
contre tous." C'est donc un état où l'homme serait un
laissé pour compte. L'homme, dans cette état, vivrait dans
l'ignorance de toute idée de loi et de paix pour être
exclusivement un être dangereux, "un loup pour l'homme". Petit
à petit, la socialisation va l'instruire afin qu'il intègre dans
sa nature une part de bonté, de bien, puisqu'il semble difficile que le
bien l'emporte sur le mal.
À cet effet, les termes
de" homo pacificus" et de" homo
maleficus" d'un auteur comme Léonard W. Doob3(*) désignent la
personnalité dualiste de l'homme qui, tantôt préfère
le bien, la paix à la guerre, tantôt privilégie le mal, la
guerre au bien, à la paix. Ce qui signifie que l'homme est en mesure de
faire à la fois la paix et la guerre. C'est cela le paradoxe de ses
aspirations à la paix, le comble de son caractère ambigu. Cette
vision dualiste de l'homme se retrouve également peinte chez Freud pour
qui, " éros" la pulsion de vie cherche à
préserver la vie (par la promotion de la paix, sa sauvegarde), alors que
"thanatos "qui est la pulsion de mort perpétue
l'agressivité, la violence ou la guerre. C'est ce qui,
nous semble-t-il, est ainsi mis en évidence par
Freud : « notre inconscient tue même pour des
détails ; comme l'ancienne législation athénienne de
Dracon, il ne connaît pas d'autres châtiments pour les crimes que
la mort (...). C'est ainsi qu'à en juger par nos
désirs et nos souhaits inconscients, nous ne sommes nous-mêmes
qu'une bande d'assassins 4(*) ».
Cette pensée désigne bien le fait que la mort
est pour les hommes (la peine capitale, la loi du talion par exemple) un
recours pour châtier et punir , un moyen de répression et de
correction qui consacre l'inclination de l'homme à la violence, suivant
les situations en rapport avec la gravité de la faute commise. Toutes
choses qui montrent en quoi l'homme est naturellement mauvais ; comme nous
pouvons le constater chez Kant dans La Religion dans les limites de la
simple raison où il détecte en l'homme l'existence du
penchant au mal : « la proposition : l'homme est
mauvais, ne peut vouloir dire autre chose, d'après ce qui
précède que : il a conscience de la loi morale et il a
cependant admis, dans sa maxime, de s'en écarter (à l'occasion).
Il est mauvais par nature signifie que cela s'applique à lui
considéré dans son espèce5(*)».
Il y a en l'homme une sorte de mauvaise foi qui
fait qu'il voit le bien et choisit de faire le mal pour satisfaire son
égoïsme. Du fait que la nature humaine est ainsi corrompue par le
mal, la guerre ne peut que persister dans le temps et l'espace de sorte qu'on
ne peut facilement l'éviter ou la contraindre par quelque moyen que ce
soit. Ce qui fait qu'il semble même utopique de parler d'une
possibilité de paix durable. Par ailleurs, l'image actuelle de la guerre
au quotidien nous amène à nous demander si toutefois, il n'y a
pas d'autres mobiles ou motifs qui expliquent la situation. Dit autrement, la
violence ne va-t-elle pas au-delà de l'innéisme naturel ? Ou
bien, l'homme n'apprend-t-il pas à mieux être violent, à
mieux perfectionner ses moyens de destruction massive ? La guerre
n'est-elle pas un fait culturel ?
En effet, le Manifeste de Séville sur la
violence, qui est issu du Comité de scientifiques mandatés
par l'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la science et la culture
(UNESCO), fait savoir dans son rapport qu' « il est
scientifiquement incorrect que nous ayons hérité de nos
ancêtres les animaux une propension à faire la guerre6(*) ». Le fait que la
guerre ait rapidement changé de manière au cours de l'histoire,
en répondant à des calculs stratégiques froids, prouve
bien qu'elle est un produit de la culture, c'est-à-dire un produit de
l'intelligence humaine. Elle n'est pas un phénomène purement
instinctif ou une nécessité biologique, mais une invention de
l'homme qui ne répond pas à un seul mobile. L'on
s'aperçoit que la violence peut ne pas avoir un fondement purement
génétique ; elle peut ne pas qu'être innée,
puisque la culture y joue un grand rôle : l'éducation, le
cadre socio-culturel et politique, le milieu professionnel, les groupes
racistes et les sectes, la presse et les médias, la drogue et
l'accès facile aux armes destructives, sont autant de mobiles qui
expliquent la récurrence de la violence. À ceux-ci s'ajoutent
l'intérêt, la protection des biens privés, le désir
de tuer que justifient les meurtres insensés alors même que le
criminel ne serait pas dépourvu d'esprit critique.
Chez Kant, la propension de l'homme à faire, à
la fois, la guerre et la paix s'explique par le fait que l'homme a en lui un
"penchant au mal " et une " disposition
originelle au bien" qui fait qu'il peut réveiller
parfois sa conscience, sa raison, longtemps restée en veilleuse. Ce qui
fait qu'il n'est pas forcement utopique de la part de l'homme qu'il veuille
acquérir le bien par delà le mal. Le mal naîtra du conflit
de la sensibilité et de la raison au moment où la loi morale et
la raison sont subordonnées aux seuls motifs de la sensibilité
que l'on ne pourrait surmonter sans une force de caractère, une
maîtrise de soi, et de la volonté. La question de savoir si
l'homme est naturellement, moralement, bon ou mauvais, trouve ici une
réponse satisfaisante. L'on pourrait même ajouter avec Rousseau
que l'homme naît bon et humble, juste et libre, et que c'est la
culture ou la société qui le rend mauvais ou bien le corrompt
à faire plus de mal que de bien. Le "penchant au mal",
l'instinct guerrier, qui définit le bellicisme, est ainsi opposé
au pacifisme ou "penchant au bien ", à la paix. C'est la
raison pour laquelle, naturellement, l'on a tendance à rapprocher le
bellicisme de la culture, puis à rapprocher la paix ou le pacifisme
à la nature, aux instincts, aux passions. C'est pourquoi, des
psychologues et des psychanalystes à l'image d'Adler, considèrent
que la violence ou l'agressivité est un acquis de la
société, c'est-à-dire un phénomène de
compensation du complexe d'infériorité lié aux
circonstances de la vie des citoyens. Chez les théoriciens modernes de
l'agressivité, la guerre est plutôt liée au sentiment de
frustration qui rend évidente l'agressivité à travers la
révolte des populations.
Otto Klineberg, répondant à la question de
Zorgbibe: « peut-on adhérer à une théorie
dualiste de l'agressivité, un même potentiel de pulsions pouvant
conduire à la guerre mais aussi simplement au combat, à une
compétition soumise à des règles physiques ou
spirituelles ?7(*) », soutient que la guerre ne trouve pas ses
origines dans la nature humaine mais dans la société, qu'elle est
par conséquent un phénomène culturel inévitable.
Ainsi, ces racines psychologiques et sociologiques de la guerre nous
renseignent que ni l'agressivité ni la violence n'est inscrite dans le
caractère d'un homme dès sa naissance ; elles
s'acquièrent avec le temps, c'est-à-dire au fil des
évènements qui conditionnent la vie sur Terre.
Dans cette optique, nous avons recensés et
regroupés les formes de violence en trois types pour mieux
appréhender l'impact de la culture violente sur la vie de l'homme. Nous
avons dégager, la violence physique (viol, meurtre, guerre,
guérilla, terrorisme), la violence mentale (autoritarisme,
intolérance, terreur intellectuelle) et la violence sociale et
économique (la lutte des classes, l'exploitation et l'oppression). La
violence apparaît être un fait culturel en cela qu'elle est
utilisée par certaines personnes comme la seule force capable de
régler les problèmes sociaux. L'idéologie,
l'intégrisme religieux, le supra-nationalisme, le racisme et le
terrorisme sont des facteurs idéologiques et culturels des guerres, tous
se démontrant plus ou moins par l'impuissance, la peur, le
mépris, la haine, le complexe et bien d'autres
éléments.
En clair, la violence, l'agressivité ou la guerre,
n'est inscrite ni dans la nature des choses ni dans la nature humaine. Pis, la
guerre n'existe pas dans la vie entre des espèces animales, dit Konrad
Lorenz: « Le profane se laisse facilement tromper par la
presse et le film, tous d'eux avides de sensation. Il s'imagine la vie des
bêtes féroces dans "l'enfer vert" de la jungle comme une
lutte sanglante de chacun contre tous...je peux affirmer à bon escient
que pareille chose n'arrive jamais dans des conditions naturelles. Quel
intérêt aurait l'un de ces animaux à détruire
l'autre ?8(*)»
Pour l'auteur, la loi de la jungle, ou ce qu'on
pourrait appeler "guerre entre les animaux", n'est autre que le combat
individuel pour la défense de son territoire et de la possession des
femelles, et rarement la mort intervient ; il suffit que le faible crie
défaite, ou batte en retraite pour que le vainqueur
l'épargne ; ce qui n'existe apparemment pas chez les hommes. On
peut donc conclure en disant que la guerre n'est pas une loi de la nature qui
ne veut jamais qu'on porte atteinte à ses lois, mais une loi de la
culture. La guerre ne se justifie pas du point de vue de la destination
naturelle de l'homme. Même si la guerre est, le plus souvent, issue de la
mauvaise organisation des sociétés, cela voudrait-il signifier
que cette erreur fatale doit toujours se justifier par
des théories conçues expressément pour la cause? De
telles théories sont-elles de nature à pouvoir
désacraliser l'indissociabilité de l'homme par
essence ?
2. Des
théories de guerre à la théorie de l'"insociable
sociabilité" de
Kant.
Légitimer la guerre, la justifier à travers des
théories, apparaît aujourd'hui aux yeux du moraliste comme une
entreprise fortuite, insensée et donc, pas d'un apport fructueux pour le
développement du genre humain. Par contre, de telles théories
n'ont cessé de se multiplier dans le temps et l'espace. La question,
pour les théoriciens, n'est plus de savoir si la guerre est à
rejeter, si elle est utile ou indispensable, nécessaire ou pas. En tout
cas, elle l'est en fait dans les théories. Les esprits avisés,
les plus modérés préfèrent soutenir avec
réserve l'idée que la guerre est un "mal
nécessaire". Mais pourquoi et pour qui ?
C'est dans l'Antiquité romaine que les
premières distinctions des guerres, et la première justification
de celles-ci, ont été trouvées. Il y a d'un
côté, les guerres justes et les guerres
défensives, et de l'autre, les guerres injustes et les
guerres agressives. Ainsi donc, « la guerre qui est
nécessaire est juste et bénis soient les armes là
où il n'est plus de recours que par elles9(*) ». L'idée d'honneur, servant
souvent à justifier l'utilité de la guerre, est
évoquée par Hannah Arendt pour qui, «la guerre
sociale, en faisant appel à l'honneur si naturellement dans toute
armée organisée, peut éliminer les mauvais sentiments
contre lesquels la morale serait demeurée impuissante. Quand il n'y aura
que cette raison...cette raison me paraîtrait bien décisive en
faveur des apologistes de la violence10(*)».
Par là, l'on comprend le comportement des grands
hommes de l'histoire tels Alexandre le Grand et César qui
endurcissaient leur corps contre les fatigues, qui fortifiaient leur âme
contre les dangers, qui combattaient aux premiers rangs et qui ne quittaient
leur empire qu'avec la vie, car ils préféraient "vivre et
mourir avec honneur"11(*).
Cette autorisation et cette justification de la
guerre a été à l'origine de la "guerre des
idées" qui opposa les théoriciens du droit naturel et les
positivistes au lendemain de la formation des Etats modernes et souverains, en
posant déjà le problème des limites de l'Etat par rapport
au droit naturel. Les premiers, à l'image du Hollandais Grotius,
professent l'idée du "Droit de la guerre et de la paix" tout en
distinguant le droit naturel du droit volontaire des gens qui, s'exprimant dans
les accords et les traités, ne s'oppose aucunement au premier droit. Les
seconds affirment que les Etats sont souverains et égaux, et que seuls,
ils doivent apprécier ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire
dans les relations internationales, par exemple, décider de faire la
guerre ou pas. Avec eux, la guerre devient ainsi permise dans les rapports
entre les Etats. Une différence apparaît avec les Athéniens
chez qui la guerre n'était ni dans l'agenda de la politique
étrangère ni dans la gestion de la Cité-Etat. Chez eux, le
mode de vie était fondé sur la force de la parole
dialoguée, la force poético-mythique du langage,
c'est-à-dire sur la persuasion que sur la violence. Mais aujourd'hui,
des affirmations du genre "la patrie ou la mort nous
vaincrons !","la liberté ou la
mort !","plutôt mort que rouge !" et
"plutôt rouge que mort !", introduisent la liberté
dans le débat concernant la guerre. Au nom de la liberté, il est
dorénavant permis de faire la guerre pour réaliser un
idéal ou bien atteindre un but noble.
Ce faisant, la guerre n'est plus une fatalité puisque
la paix semble possible après d'impitoyables actes, d'effroyables images
véhiculées par la presse et les médias. Tout se passe
comme si la paix et la sécurité étaient possibles comme
nécessité de par la force brute. Que dire alors de la violence
telle qu'elle est utilisée par les appareils répressifs de
l'Etat ?
Cette violence est utilisée pour protéger les
acquis, les personnes, les biens et les services de la nation contre tout
contrevenant ; pour empêcher que les psychopathes et les
sociopathes ne mettent en péril l'unité, la liberté et la
vie des citoyens. C'est en ce sens qu'on a bien pu dire que l'Etat a le
monopole de la violence légitime. Chaque Etat est cependant
appelé à prendre le "bon exemple" chez les autres dans
le fonctionnement des institutions étatiques et dans la
régulation des comportements du citoyen. C'est pourquoi, on dit que le
rôle de l'Etat est de faire en sorte que la loi soit respectée au
même titre que la paix civile et l'ordre social, c'est-à-dire en
assurant la vie des institutions qui est aussi la sûreté de
l'Etat. Pour ce faire, l'existence d'une armée de protection de biens et
des personnes est salutaire : une façon de se mettre à
l'abri des menaces des voisins animés d'une volonté d'occupation
ou de colonisation. Dans des situations pareilles, on parle de "paix
juste" qu'on se serait faite pour avoir libéré tel peuple
d'un joug quelconque : les guerres de décolonisation par exemple.
C'est à ce propos que Léopold Sédar Senghor disait que
"la colonisation est un mal nécessaire"12(*), qu'elle a apporté la
civilisation, la lumière aux "sauvages", l'école et la
religion, alors qu'elle ne s'est pas faite sans verser du sang humain. Pour
parler le langage de la théodicée, la colonisation serait une
heureuse faute qui nous a valu pareil rédempteur13(*). Ce qui voudrait dire que la
guerre est nécessaire quand elle permet d'accéder à des
conditions beaucoup plus parfaites et plus enviables.
Hegel pour sa part affirmait que la guerre permet la
régénérescence des peuples dans l'histoire, la
sélection des meilleurs, la préservation de la santé
éthique des peuples. Elle est la manifestation du courage devant la
mort. En effet, selon la dialectique hégélienne, la
négativité est le passage obligé de la positivité.
C'est ainsi que, pour atteindre la positivité de la race arienne, Hitler
procède par la négation ou l'anéantissement des races
impies à l'exemple des Juifs : la nuit des longs couteaux ou la
chasse aux sorcières s'inscrit dans cette logique désastreuse.
Selon lui, la guerre est par endroit utile « pour ne pas laisser
les systèmes particuliers s'enraciner et se durcir dans cet isolement,
donc pour ne pas laisser se désagréger le tout et
s'évaporer l'esprit, le gouvernement doit de temps en temps les
ébranler dans leur intimité par la guerre ; par la guerre,
il doit déranger leur ordre qui se fait habituel, violer leur droit
à l'indépendance (...)14(*) ».
Sans avoir le mauvais relent d'un despotisme ou d'une
dictature, l'idée de Hegel concourt à dire que la guerre permet
de redynamiser les systèmes sociaux, de revivifier l'esprit humain, de
réveiller les consciences dormantes et, en un mot, de donner une
nouvelle impulsion au fonctionnement des institutions étatiques, de
sorte à les orienter vers la paix civile durable et
prolongée : la guerre préserve la santé morale des
peuples comme les vents protègent la mer contre la paresse, contre la
tranquillité ; de la même façon que la paix durable
plongerait les peuples dans la paresse, poursuit l'auteur de La Raison dans
l'histoire.
Par ailleurs, la réalité de existence nous
interpelle à porter le discrédit sur le langage capitaliste
mensonger véhiculé dans des politiques économiques et qui
situe l'intérêt de la guerre dans l'économie comme facteur
de lutte contre le chômage et la pauvreté, la diminution des
charges étatiques, ou la réduction des difficultés
démographiques des Etats. Ce qui reviendrait à dire que la guerre
a été et risque d'être toujours le moyen par excellence
pour les capitalistes de se défaire de leurs difficultés
internes, pour s'offrir beaucoup de fois un débouché
économique sans précédent. Elle permettrait à
l'économie libérale de vivre, de se maintenir et de se
développer.
La fabrication et la vente des armes sont
génératrices de capitaux énormes qui, injectés dans
l'économie des pays arriérés, des pays en voie de
développement, souvent détruits par la guerre, favoriseraient
leur développement, puisque se sont les mêmes qui les
achètent pour s'entre-tuer. Disons alors que la guerre est devenue une
nécessité économique. Comme l'a souligné
l'économiste américain John Kenneth
Galbraith, « ce système (économique)
fondée sur la guerre, en dépit de toute répugnance
subjective qu'il inspire à une part importante de "l'opinion publique",
a démontré son efficacité depuis les débuts de
l'histoire connue ; il a fourni les bases nécessaires au
développement de nombreuses civilisations remarquables, y compris de
celle qui est aujourd'hui dominante 15(*)».
Plus qu'un pamphlet provocateur, cette pensée
traduit fortement l'image de l'économie mondiale qui a tendance à
perpétrer les guerres ou à les soutenir, à financer les
crises et à encourager le surarmement par la vente des armes. Tout se
passe comme si, aucun traité de paix portant sur l'interdiction et la
fabrication des armes, la limitation de la production, les essais
nucléaires, n'avait de force à intimider et à contraindre.
La mauvaise foi ou la sourde oreille vainc la raison qui est ainsi vouée
à la résignation. Cela remet en cause la sociabilité de
l'homme, car le profit, l'intérêt, divise les familles, les
groupes et les peuples en introduisant l'individualisme et la discorde qui
signifient en un sens "insociabilité". Mais, est-ce à
dire qu'il n'y a pas une réconciliation possible de la
sociabilité et de l'insociabilité ? L'insociabilité
serait-elle toute mauvaise ? C'est ce que nous verrons à travers la
théorie de l'"insociable sociabilité" de Kant à
la suite d'une illustration de la tradition africaine.
La sagesse africaine suggère que "le
margouillat qui n'a jamais perdu une partie de sa queue, ne sait pas encore
là où il doit se réfugier en cas de danger". Cet
adage explique mieux l'idée kantienne de la discorde, du danger et de la
guerre d'après laquelle, « il faut un danger comme il faut
à l'homme particulier des rêves qui excitent son imagination qui
réveille les forces vitales dans le sommeil16(*)». Ce qui sous-entend
que la discorde est bienfaisante de par son principe dialectique ; un
danger qui indique l'existence de tensions visibles ou pas, mais qui marque du
sceau du progrès le passage du rien au Tout, du courbe au droit, du
clos à ce qui est ouvert : le passage de la guerre à la
paix, de l'état de conflit ouvert à celui de la constitution
civile, ou de l'état de nature à celui de la civilisation. C'est
l'existence d'un tel état de péril ou de danger qui
réveille les peuples et les nations qui, se croyant
équilibrés, s'endorment profondément. Or, ils seront
surpris de voir cet équilibre glisser dans l'inertie totale de
même que l'espèce humaine s'anéantirait. Le péril
nous interpelle à triompher à la fois des
événements angoissants du monde et à militer pour notre
cause dans la solidarité.
Il est certain que l'homme n'est pas un être
tout a fait solitaire, tout à fait bienveillant et bienfaisant. La
nature également ne peut accomplir ses fins ni dans la solitude ni dans
la concorde totale sans qu'elle ne se serve des rivalités des hommes
qu'elle crée pour les réunir en société. Ainsi,
écrit Kant, c'est à travers l'irrationalité et
l'"insociable sociabilité" que se réalisent les fins de
la Raison qui sont la paix et la concorde. La fonction du dessein de la nature
est de nous expliquer comment va le monde, l'histoire du monde, et c'est
à nous de déterminer le sens que nous voulons lui donner. Mais,
comme le sens est d'emblée tragique, désolant, la nature nous
aide à agir en nous offrant une perspective consolante pour l'avenir.
La nature nous parle le langage de la raison pure et pratique à la fois
puis répond à la question "Que suis-je en droit
d'espérer ?" du monde. Il appartiendra à Kant de nous
enseigner que nous pouvons alors espérer la paix perpétuelle, que
l'"insociable sociabilité" n'est pas seulement à
l'origine de la culture, du droit, mais qu'il nous indique aussi les conditions
dans lesquelles le sensible peut parvenir à être mu par des motifs
pratiques.
Selon Kant, la nature est le premier garant de la paix. Elle
sait semer, contre l'intention des hommes, les discordes au sein même de
leur harmonie. Puis, elle opérera ensuite l'anéantissement ,
même partielle, des penchants humains les plus virils grâce
à des lois qui seraient inconnues ou supposées. De cette
manière, la nature nous fait une assurance qui, ne suffisant pas
à prophétiser théoriquement la paix17(*), nous empêche du
moins à la regarder comme une chimère
métaphysique, et nous fait un devoir d'y concourir. La
nature, en réussissant despotiquement à organiser le
monde et ses événements historiques, incarne « la
sagesse profonde d'une cause supérieure, qui prédétermine
la marche des destinées et les fait tendre au but objectif du genre
humain18(*) »;
ce but qui équivaut chez nous à la réalisation du
projet de paix durable.
En somme, la nature n'a pas voulu que nous
connaissions une concorde, une solidarité, une satisfaction et un amour
mutuels trop parfaits, ou que nous soyons trop libres, puisqu'elle
n'élimine qu'une partie de nos instincts grégaires, les plus
agressifs, pour qu'il puisse exister encore des rivalités entre
nous19(*). Une fois les
rivalités dépassées, la nature veut que nous soyons pour
nous-mêmes une fin et non pas seulement un moyen. L'humeur peu
conciliante de la nature, la vanité rivalisant dans l'envie,
l'appétit insatiable de possession ou de domination sont, pour Kant, ce
qui empêche l'étouffement dans un sommeil éternel des
dispositions naturelles excellemment pacifiques de l'humanité.
Cet état des faits ne doit pas nous faire croire que la
guerre est en elle-même bonne, et qu'elle doit être de tout temps
conseillée pour cette raison ou pour une autre, même en cas de
raison d'Etat. Il est vrai que l'Etat fait souvent la guerre, soumet les
citoyens par la force de ses appareils répressifs parce que sa
conservation est juste comme toute autre conservation, mais la défense
de l'intégrité territoriale et des intérêts en cas
d'annexion ou d'agression est une aussi importante chose qu'est le fait
de pouvoir contenir, limiter, et contrôler la violence; le fait de ne pas
se livrer une guerre à outrance qui rendra difficile, voire impossible
l'issue d'une paix future. En revanche, il y a lieu de souligner que le citoyen
ne doit pas être toujours victime d'une violence dite
légitime qui remettrait perpétuellement en cause la paix
civile. La violence doit être, de ce fait, limitable et contrôlable
pour ne pas se dérober des limites de la réprobation
morale ; sans quoi, elle est condamnable du point de vue de la raison
morale.
3. La guerre est
irrationnelle, déraisonnable et immorale.
En définissant l'homme comme étant un
être raisonnable, Kant ne manque pas de dire qu'il est un être
double par essence. Ce qui fait sa complexité, c'est qu'il est
naturellement corps et âme. Existentiellement, il abrite en lui le bon et
le mauvais principe, le bien et le mal ; il fait la guerre en même
temps qu'il veut la paix. En tout état de cause, Kant va lui-même
condamner20(*) la guerre
par la loi de la raison en s'indignant de cette injustice qu'elle est en ces
termes : « Quand, aujourd'hui, je vois les nations se
mettre en guerre les unes contre les autres, c'est comme si je voyais deux
individus ivres se frappant avec des gourdins dans un magasin de porcelaine.
Car il ne leur suffit pas d'avoir à guérir lentement les bosses
qu'ils s'infligent réciproquement, mais en outre ils devront encore
payer tous les dégâts qu'ils ont provoqués21(*)». Sinon, y a-t-il un
Intérêt à s'entre-tuer ?
L'on ne s'étonne pas de savoir qu'un amour
de la guerre a existé ou existe encore, que la guerre dans sa
réalité attentatoire peut procurer du plaisir,
c'est-à-dire un plaisir spécifiquement relatif à la
condition de vie du belliciste, à son milieu évolutif et à
sa nature. Nous pensons surtout à l'esprit de vengeance de l'homme qui,
une fois le but atteint, ressent une satisfaction plus ou moins grande.
Convainquons-nous que les hommes ne sont pas tous prêts à
adhérer à une telle thèse qui traduirait la
beauté de la guerre comme la beauté du
diable . Donc, c'est l'idée de la dépréciation
de la paix ou de la positivité de la guerre qui est ainsi émise
pour dissuader les peuples à consolider la paix et à la parfaire
durablement. C'est dans cette droite ligne de lancée que René
Descartes faisait dire à des invalides de guerres que celui qui
voit comme nous sommes faits et pense que la guerre est belle, ou qu'elle vaut
mieux que la paix, est estropié de cervelle. Descartes a voulu, à
travers le libre arbitre, faire connaître aux victimes des guerres la
différence indiscutable qui existe entre la soit disant
beauté de la guerre et la beauté de la paix.
Ainsi, est-il allé jusqu'à diagnostiquer le mal de guerre qui
s'origine dans l'esprit des écervelés, comme pour insinuer qu'un
homme conscient, dont la cervelle est en bonne et due forme, ne peut se
permettre une pareille horreur.
La même idée chère à Descartes,
mentionnée dans La Naissance de la paix (1649), est reprise et
vivifiée par l'UNESCO dans son acte constitutif de Novembre 1945 qui
stipule que "la guerre prend naissance dans l'esprit des hommes". Elle
est l'activité préférée des esprits
maléfiques, maladifs, corrompus, et incapables de discernement. La
guerre est donc à bannir en ce sens qu'elle est irrationnelle,
déraisonnable et immorale.
Einstein ne s'éloignera pas de Kant quand il
écrit qu' « aujourd'hui, la guerre s'appelle
l'anéantissement de l'humanité». Mais, il n'est pas
kantien : l'on se rappelle encore de la réunion des scientifiques
pour la fabrication de la bombe atomique dénommée "Projet
Manhattan" dans lequel l'esprit avisé d'Einstein a
été édifiant. Une destruction massive des populations, un
monde de la faim, des maladies...voilà comment Einstein voyait
déjà, quand même, le monde. À cela, il faut ajouter
les invalides, les mutilés, les déplacés et les
réfugiés. La guerre ainsi définie résulte largement
du nuisible vu la rudesse de la violence. Elle entraîne la rupture du
contrat entre les peuples, les Etats et les institutions bancaires. Elle est
l'impitoyable réalité des rapports interpersonnels, le signe
meurtrier et fracassant de l'impuissance de l'homme à parvenir à
de bonnes fins, ou encore l'aberrante expression de la misère des
peuples. À ce titre, entretenir les armées, occasionner les
dévastations, obliger les citoyens à se battre pour enfin penser
aux réparations et à la reconstruction des nations victimes de la
guerre, tout cela ne doit pas relever du calcul froid d'un être
raisonnable. Ce qui ne favorise pas le développement,
l'épanouissement, l'amélioration de l'espèce humaine,
voire le progrès des peuples, mais plutôt les voue à la
déroute, à la perdition, à la perversion qu'à la
rationalité, à la moralité et à l'humanisme.
Erasme, humaniste chrétien de la Renaissance, disait
à ce propos : « Aujourd'hui, il arrive
qu'essayant d'ébranler ce qui est à autrui, nous faisons
s'écrouler de fond en comble ce qui est à nous ; et en
admettant que l'entreprise réussisse, avec tout ce sang de nos
concitoyens, avec toutes ces dépenses, tant de périls, tant de
sueurs, tant de deuils, tant de maux enfin qu'on ne pourrait tous
énumérer, nous achetons je ne sais quel titre vain et la
fumée d'un grand nom22(*)». Nous créons par notre intelligence un
enfer humain sur la terre, de sorte qu'il est difficile de vouloir
faire entendre raison. Notre intelligence s'amenuise, s'ankylose et prend petit
à petit la forme de la bêtise, de la folie, de la vanité
infantile, de la méchanceté, de la soif de destruction
puérile et de l'ignorance. Les hommes se livrent à des fureurs au
sujet de banalités que les quelques manifestations de sagesse dont ils
font preuve ne peuvent empêcher : « On ne peut se
défendre d'une certaine humeur lorsqu'on voit exposés leurs faits
et gestes sur la grande scène du monde et que, à
côté de quelques manifestations de sagesse ici ou là pour
certains cas particuliers, on ne trouve pourtant dans l'ensemble, en
dernière analyse, qu'un tissu de folie, de vanité infantile,
souvent même de méchanceté et de soif de destruction
puérile 23(*)».
Nous pouvons affirmer que si la raison gouvernait les hommes,
les peuples, si elle avait certainement sur eux et sur leurs chefs le pouvoir
qui lui est dû, aucun citoyen, aucun chef d'Etat, aucun rebelle, ne se
livrerait considérément aux fureurs de la guerre ; ils ne
marqueraient point cet acharnement qui n'est même plus la
caractéristique des bêtes de somme. La guerre est donc la
conséquence de la déraison puisque le veto de la raison conseille
qu'il ne doit pas y avoir de guerres entre les citoyens et entre les
Etats ; c'est la seule façon de défendre le droit. Tous les
problèmes qui accablent les sociétés leur sont
causés par la guerre, par ces incessants préparatifs, les
gaspillages de forces et de biens. En cela, la devise des impérialistes
"si vis pacem para bellum" est un sophisme dangereux ; elle est
le prototype même de l'irrationalité de la guerre. Il est
insensé du point de vue de la raison de vouloir échapper aux
mésententes entre les citoyens en les broyant dans des guerres.
C'est pourquoi, il sera toujours immoral et inacceptable,
toutes choses étant égales par ailleurs, et toute proportion
gardée, de faire la guerre pour quelque motif autre que la protection
des personnes et des biens de la Cité. Ce motif ne devra pas
d'ailleurs servir d'alibi pour annexer. Car, il est inadmissible d'utiliser des
citoyens dans les guerres comme une propriété privée, un
patrimoine personnel. Autrement dit, tuer et faire tuer, c'est agir contre la
loi morale qui voudrait, avec Kant, que la maxime de l'impératif
catégorique s'affirme de la sorte : « Agis de
telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que
dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et
jamais simplement comme un moyen24(*)».
Dès lors que cet impératif ne pourra pas
s'affirmer, convenons, c'est de la transmutation des valeurs sociales, morales,
et de la dépravation des moeurs, rendue favorable par la
perversité de la guerre, qu'il s'agira toujours et en tout lieu. Il
s'agit aussi de la dévalorisation, de la désacralisation ou de la
profanation du sacré. L'histoire a donc besoin d'un Homme Nouveau pour
réaliser le progrès du genre humain, celui qui ne
s'écartera pas de l'humanisme authentique, mais le rendra beaucoup plus
accessible, même aux esprits impies qui font constamment la guerre. Nous
avons donc besoin d'un Nouvel Humanisme fondé sur des bases nouvelles.
C'est ce constat amer d'un monde pourri des guerres qui a conduit le
Père de l'Eglise catholique à
s'écrier : « (La guerre) détruit, elle ne
construit pas ; elle affaiblit les fondements moraux de la
société et elle crée de nouvelles divisions et des
tensions durables (...). La guerre est la faillite de tout humanisme
authentique25(*)».
Au fond, les bombardiers supersoniques, les avions
chasseurs, les mines antipersonnelles et les missiles que la technologie a mis
à la disposition de l'homme pour répondre à ses besoins de
destruction massive, sont autant de matériels, d'engins de guerre, qui
consacrent la déshumanisation de l'homme par l'homme au nom d'un
vulgaire droit de guerre par humanité. L'invasion et le
bombardement d'un pays sont-ils légitimes pour des forces armées
étrangères qui invoquent l'alibi de la protection des droits
humains pour faire la guerre ? Les interventions militaires ont-elles
toujours réussi à faire respecter les droits de l'homme par
ce moyen?
Comme réponse à ces questions, disons que le
recours à la force militaire est souvent, plus qu'un impératif,
une exigence de la raison pratique pour faire respecter la loi aussi bien dans
les Etats que pour les personnes qui ont choisi la lutte armée pour
atteindre certains de leurs objectifs quelques fois moins nobles. Cependant,
nous restons sur notre soif quant à l'issue des décisions de la
communauté internationale tendant à faire triompher la justice et
la paix. Puisque "rien ne mérite d'être acheté au prix
du sang humain" (Rousseau) alors, il faut faire triompher la sagesse, la
raison, écouter ce que la raison peut bien nous dire sans que nous
lui contions d'aussi tristes expériences.
L'intervention militaire des forces armées
étrangères est, en quelque sens, perçue comme le recours
à la force pour protéger les civils et leurs droits
spécifiques. Celle-ci n'est ni mauvaise ni bonne en soi ; c'est une
question de bonne volonté à oeuvrer en faveur de la paix pour
éviter la violation des droits civils. Car, il est souvent
nécessaire de faire recours à l'étranger pour
éviter que les situations conflictuelles deviennent
incontrôlables. Seules les violations massives des droits de l'homme qui,
aperçues par la communauté internationale, peuvent
nécessiter le recours à pareilles forces de protection des
civiles. Et, la dignité, la valeur de la personne humaine, inexprimable
en calculs mathématiques, recommandent que celles-ci soient
animées de bonne moralité. Dans ces conditions, l'intervention
des forces d'interposition dans les zones tampons peut permettre la conclusion
d'accords par les parties en conflit. Ce déploiement de forces peut
être un bon outil de concrétisation de l'idée de paix ou de
valorisation de celle-ci à travers les années.
CHAPITRE II : DE L'IDÉE DE PAIX ET DE SA
VALORISATION CHEZ KANT
Le pacifisme moderne est d'une inspiration kantienne ;
la paix s'inscrivant chez Kant dans le sillage de la quête de la
destination ultime des sociétés modernes en faisant de
l'idée de paix, une réflexion sur les conditions de l'existence
commune, en rapport avec sa fin dernière qui donne un sens à la
vie de groupe. Il s'agit pour lui de rechercher la meilleure façon de
vivre ensemble, mais aussi de saisir la finalité de la condamnation des
citoyens à s'unir pour former un Etat qui va alors coopérer avec
les autres Etats, dans le sens de la communauté politique englobant
toutes les autres communautés également constituées en vue
du bien le plus haut de tous les autres biens : la paix durable.
Comme on peut le lire, l'Etat en tant
qu'entité politique de la communauté politique mondiale, n'est
pas une somme d'individus qui ne visent que la satisfaction de leurs besoins
égoïstes, mais il est une communauté d'hommes visant la
réalisation d'un idéal de vie, une unité
pacifique. L'Etat de paix désigne alors le mode de vie ou
d'existence conforme à la destinée du citoyen. C'est ce que
traduit chez Kant la nécessité pour le philosophe de
s'intéresser aux questions étatiques, c'est-à-dire aux
difficultés socio-politiques fondamentales en vue d'établir une
paix durable entre les peuples, ou de faire la promotion de la paix
conformément au Projet de paix perpétuelle,
véritable outil de perfection de l'homme. Mais, Kant n'est pas le
platonicien pour qui, il n'y aura jamais de perfection possible, aussi bien
pour un citoyen, pour un Etat, que pour un régime politique, que si les
philosophes deviennent, coûte que coûte, des rois ou les rois des
philosophes, que si ces derniers se trouvent, en vertu d'une heureuse
fortune, pris par la nécessité de s'occuper des
intérêts de l'Etat, et celui-ci par la nécessité de
leur être docile26(*). Annonciateur des Lumières, le philosophe
doit être la tête pensante de celui qui dirige les affaires de la
Cité, sans être à son tour corrompu par le pouvoir :
Nous devons en être fier car, « la classe des philosophes,
incapables, par sa nature, de trahir la vérité, pour se
prêter aux vues intéressées des clubistes et des mesures,
ne risque pas de se voir soupçonnée de propagandisme
27(*) », note
Kant.
En vérité, l'idée platonicienne de la
nécessité et de la docilité du philosophe à
s'occuper humblement des affaires de la Cité, évoque bien
l'idée et le souci de paix chez Kant. Car, certaines séditions
(Cités grecques par exemple), crises internes, sont dues, en grande
partie, à la mauvaise direction des hommes et des choses. Nous le
verrons plus tard ; mais avant, il nous importe de savoir si, Kant a
été le seul ou le premier à émettre et à
mentionner, pour la première fois, l'idée de promotion de la paix
dans sa forme connue de projet à réaliser. Autrement dit, quelle
est l'histoire de l'idée de paix ?
1. L'histoire de
l'idée de paix.
L'idée de paix a connu une
évolution historique remarquable dans la littérature universelle.
En effet, l'idée ne naquit pas avec l'enfant de Königsberg, mais
elle a grandit avec lui, et a aussi connu certaines de ses lettres de noblesse
avec d'autres penseurs qu'il a lui-même précédés.
Depuis 1784, l'on a perçu dans la philosophie morale
et politique de Kant que l'idée de paix, qui lui sera plus chère
à partir de 1795 avec la publication de son Projet,
était et restera une "idée nécessaire" que nous
devons réaliser, encore plus intérieurement
qu'extérieurement, dans les conditions de paix favorables que nous
évoquerons plus tard. Á travers elle, il s'agit pour nous,
après Kant, de rechercher le lieu où se manifestera la plus
grande liberté humaine selon des lois qui feront que la liberté
de chaque citoyen puisse coexister avec celle de son prochain, et de
façon pacifique, avec celle des autres. Ceci est pour Kant le
modèle nécessaire pour rapprocher davantage les hommes en
quête de perfection possible puis, de rapprocher et de regrouper les
Etats dans un cadre de coopération et de partage dans
l'intérêt supérieur de leurs nations. Pour Kant, il s'agit,
suivant une logique dialectique, de combler le fossé qui demeure,
nécessairement et naturellement, entre l'idée et sa
réalisation, de telle sorte que, ce qui est possible en théorie
le devienne en pratique ; donc plus de distance infranchissable entre la
théorie du philosophe et la technique du praticien ou de l'homme d'Etat.
En plus, l'histoire de l'idée de paix28(*) est universelle, depuis les
premières religions qui prêchaient la paix comme idéal en
passant par l'apparition du droit international dans le domaine de la paix
jusqu'aux pacifistes modernes et contemporains. L'idée de paix a connu
ses débuts dans l'Antiquité gréco-latine avec
l'avènement du cosmopolitisme à travers l'idée de
"citoyen du monde" dont Epictète est l'annonciateur dans ses
Entretiens.
Au Moyen-Âge où l'on parlait
déjà de la "trêve de Dieu ", de "guerres
justes" avec Saint Thomas d'Aquin, des croisades et de l'inquisition,
parler de promotion de la paix à cette époque revenait à
soulager les peuples qui souffraient déjà des guerres et dont la
liberté d'opinion et d'expression n'étaient pas encore admises.
Il reviendra aux lumières de la Renaissance de permettre à Thomas
More d'affirmer dans l'Utopie (1516) que "la guerre est
abominable", qu'elle fait plus de méchants qu'elle en emporte,
qu'elle est un crime contre l'humanité. Ce qui ne l'empêche
pourtant pas de la justifier dans le cas des guerres coloniales. Ce qui fait
également que des alibis pourraient mettre le doute sur le pacifisme
d'un Erasme qui, dans Querella Pacis (1517), donne à
l'idée de paix une valeur jamais connue auparavant en prolongeant
l'évangélisme du Moyen-Âge à l'aide de l'humanisme
universel.
À l'époque classique (XVIIè et
XVIIIè s), l'oeuvre de Grotius intitulée De Jure
Belli ac Pacis (1625), marque un moment clé de l'histoire
de la paix notamment avec l'introduction du droit international dans la
vie des citoyens: le droit des gens et le droit naturel se confrontent chez
lui.
Après lui, Hobbes, à travers le De Cive
et le Léviathan, va se servir des exigences de la raison qui
fondent le droit international pour vouloir remplacer l'ordre divin par un
ordre public à la hauteur de l'homme. Avec lui, le droit international a
longtemps reposé sur le binôme "droit du temps de guerre"
et "droit du temps de paix". Une dichotomie que le monde
contemporain va rejeter compte tenu du fait que les menaces sur la paix sont de
moins en moins dues aux conflits interétatiques mais de plus en plus aux
conflits internes aux Etats, de telle manière qu'il devient difficile
d'uniformiser le droit qui s'imposera aux deux moments de la vie de l'homme. En
d'autres termes, les guerres entre les Etats souverains sont rares depuis que
les cinq puissances du monde se sont opposés directement à
l'occasion de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), et pendant la
seconde (1939-1945), puis indirectement, en tiers interposés, pendant la
Guerre Froide. Depuis lors, « l'Etat et la guerre ont
cessé d'être synonymes29(*) », c'est-à-dire que la guerre oppose
très rarement des Etats en ce sens qu'elle se fait maintenant de
façon interne aux Etats.
Il a fallu attendre la publication du Projet
pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713) de
l'Abbé de Saint Pierre pour penser l'institutionnalisation du concept de
paix en Europe. Il inspirera Kant au moment où il écrivait son
livre Vers la paix perpétuelle (1795). Chez lui se
réconcilient rationalité et conscientisation pour constituer un
moment décisif de l'aspiration de l'homme à la paix. La paix
devient l'oeuvre institutionnelle de la raison à travers le droit. Cette
influence doublée par celle de Montesquieu et de Rousseau, qui ont
inspiré également la Déclaration universelle des droits
de l'homme et du citoyen, va conduire Kant à soutenir l'idée que
la paix universelle est l'aboutissement du droit, c'est-à-dire
le passage progressif de l'état de nature à l'état de
haute législation.
L'époque de la modernité voit la
naissance du pacifisme contemporain avec Proudhon qui publie La Guerre et
la Paix en 1861, dont les linéaments remontent à la secte
protestante des Quakers qui prônaient le désarmement
unilatéral comme seule ouverture sur l'établissement d'une
communauté pacifique mondiale. Proudhon va essayer de réconcilier
la force et le droit pour tenter de donner une signification positive au
concept de la paix. C'est sans aucun doute cet effort proudhonien qui nourrira
L'Armée nouvelle de Jaurès pour qui, il n'y a aucune
contradiction entre l'internationalisme et le patriotisme. Jaurès tente
la synthèse de l'esprit de défense et de l'action en faveur du
désarmement, de l'indépendance nationale et de l'arbitrage
international des conflits, de l'amour de la patrie et de l'amour de
l'humanité. Voici une dialectique socialiste réussie qui
connaîtra de beaux jours dans la résolution raisonnable du
problème de la guerre.
De surcroît, une place de choix est à
accorder aux écrivains de la Première Guerre Mondiale :
Henri Barbusse (Le feu), Roland Dorgelès (Les croix de
bois), Alain (Propos) et Romain Rolland (Au-dessus de la
mêlée). Tous ont propagé l'idée du pacifisme
souvent qualifié d'"antimilitarisme". Particulièrement
le "neutralisme" de Romain Rolland a donné au pacifisme une
connotation communiste et défaitiste qu'il renforcera plus tard avec
Par la révolution, la paix (1935) : il y
développe une théorie de l'action révolutionnaire
inspirée de l'exemple soviétique de la non-violence du
prolétariat armé et de l'"indépendance de
l'esprit" à l'engagement social.
À sa suite, Gandhi va propager plus loin le pacifisme
contemporain par la théorie et la pratique de la non-violence
absolue. Une méthode qui s'est montrée efficace après
avoir favorisé l'obtention de l'indépendance de l'Inde en 1947.
Gandhi aura apporté une nouvelle dimension à la politique
pacifique mondiale, celle d'avoir inventé une technique d'action, le
"Satyâgraha" dans la lutte
libératrice :« La politique devient avec lui une foi,
une manière de vivre dans chaque acte de la vie et non dans une
sphère spéciale qui serait "la" politique. Cette manière
de vivre, pour l'individu, s'ouvre toujours sur l'autre, sur les autres. Elle
montre dans une pratique quotidienne, qu'il y a plus de joie dans le don que
dans le profit, dans la création que dans le commandement, qu'il faut
plus de courage pour mourir que pour tuer30(*)».
Cette technique de recherche de la vérité fait
que la vérité elle-même devient un impératif de la
non-violence et du compromis : si personne ne détient absolument la
vérité, personne n'a de pouvoir de dire le droit absolument,
même celui de l'amour ou de la paix. Ce qui fait que tout citoyen doit
toujours être disponible à la négociation, et il doit
rester ouvert à la vérité de l'autre. Il faut être,
selon Gandhi, non-violent ; mais ce n'est pas être lâche,
passif et inoffensif ; c'est accepter de souffrir, personnellement et
consciemment, pour pouvoir défendre la cause juste ou la bonne cause.
Cela justifie bien l'influence de l'homme sur les pacifistes contemporains
à tendance chrétienne ou spiritualiste. Ainsi dit, la
vérité est dans l'action : la pensée et l'action se
marient, de même que le discours prophétique et le concret, la
ténacité et l'intransigeance correspondantes. Telle une
réconciliation qui a permis la reconnaissance des droits nègres
ou la manifestation des valeurs nègres dans le monde, et
particulièrement aux Etats-Unis : le combat de Martin Luther King
contre le racisme, le surarmement nucléaire, tant dans les liens sociaux
que dans la diplomatie internationale, s'origine dans le
"Satyâgraha". M. L. King va à son tour inspirer les
ténors des tendances chrétienne, marxiste et
indépendantiste du pacifisme contemporain.
Les premiers s'inspirent de la morale
évangélique ("Tu ne tueras point") défendue par
les encycliques papales et l'institution Pax Christi, qui propose
la non-violence comme solution ultime au problème moral du
désarmement. Les seconds proposent le désarmement comme
solution politique pour rétablir la paix. L'oeuvre des Mouvements
et Corps de la paix dans le monde s'enracine dans dette logique. La vision des
autres se rapproche du socialisme démocratique dans sa lutte pour la
paix, en se basant sur la Déclaration des droits de l'homme. Que
retenir?
Ce qu'il y a lieu de retenir de l'histoire de la paix, c'est
qu'elle a connu deux mutations historiques essentielles.
La première s'est opérée au XVIIIè
siècle avec la naissance de la conscience morale universelle. Elle fraie
le passage de la paix intérieure, personnelle, sociale à
la paix extérieure ou mondiale. Désormais, il faut bien
aller au-delà de la tranquillité du sage, qui sait tisser de bons
liens avec les autres, pour promouvoir la paix mondiale par-dessus la vie
individuelle des citoyens et des Etats.
La deuxième mutation intervenue dans l'évolution
de l'idée de paix, est une mutation psychologique qui s'opère aux
lendemains des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki les 06 et
09/08/1945 ; atomisation qui mit fin à la Deuxième Guerre
Mondiale. Depuis ces jours, la paix a changé de nature : de
"facultative" qu'elle était, elle est devenue une paix
"obligatoire", puisque la planète entière est
menacée de disparaître du fait de l'usage incertain de la bombe
atomique. Le suicide collectif n'est pas du tout écarté car,
presque tous les Etats prétendent posséder la bombe atomique et
menacent de l'utiliser dès qu'ils seront attaqués. Nous vivons
malheureusement aujourd'hui sous le coup de cette intimidation
réciproque des Etats. Pouvons-nous, malgré cette menace,
espérer des lendemains meilleurs de paix ? Cellle-ci ne
donne-t-elle pas raison à ceux qui assimilent le projet de paix
à un voeu pieux? Où se logerait, en ce moment, la
nécessité et la réalité de la paix
durable ?
2. De la
nécessité de la paix à la désillusion des
coeurs.
La métaphysique est
considérée par le praticien comme "la cause des
révolutions politiques". Le métaphysicien est pour cela
victime des railleries et de la haine de l'homme politique, parce qu'il
éprouve une "espérance sanguine d'améliorer le
monde" en se dévouant pour la réalisation de projets
jugés d'emblée impossibles par l'homme d'Etat :
" le philosophe dérange trop", "il demande plus qu'on ne peut
le satisfaire", " c'est est un rêveur". Tous ceux qui, à
l'image de Kant, prônent la paix sont vite rangés du
côté des obscurs, des naïfs, des fous, que du
côté de ceux qui s'occupent des questions pratiques telles la
politique, l'économie et les finances, la solidarité, la
pauvreté et le développement. Tout se passe comme si la
théorie et la pratique, en tant que domaines bien distincts, ne peuvent
se réconcilier en matière de promotion de paix. Si la promotion
de la paix ne rencontre que des obstacles, si personne ne s'en occupe
véritablement, si le projet n'est pas réellement
exécutable pour toujours, « ce n'est pas qu'il soit
chimérique ; c'est que les hommes sont insensés, et que
c'est une sorte de folie d'être sage au milieu des fous31(*)».
C'est donc en vue de crédibiliser la sagesse du
philosophe parmi les siens que Kant proposait que, les maximes des
philosophes sur les conditions de possibilité de la paix
perpétuelle, soient consultées par les Etats armés pour la
guerre. Le courroux des philosophes vis-à-vis des actes ignobles tels la
guerre, est identifiable au tempérament colérique, à la
colère des dieux grecs qui veulent que l'idéal, le sacré
et la paix soient restaurés là où ils ont toujours
été observés. Donc, la paix ne doit pas être un
vain mot. La colère des philosophes donne lieu à
l'espérance. La philosophie, sans jamais être une
prétention subtile à réaliser la paix universelle, est une
prise en considération de la problématique guerrière et
conflictuelle du monde. Il n'y a plus lieu de s'en prendre au philosophe ou de
vouloir le renvoyer à son école. Car, il n'est pas vrai chez
Kant que la théorie au contact avec le monde pratique se
révèle être un ensemble d'idéaux vides et de
rêves philosophiques quand il s'agit, par exemple, de parler de
paix : « la paix perpétuelle qui
succédera aux trêves jusqu'ici nommées traités de
paix n'est donc pas une chimère, mais un problème dont le temps,
vraisemblablement abrégé par l'uniformité des
progrès de l'esprit humain, nous promet la solution32(*) ».
Le philosophe veut bien l'amélioration de l'homme,
mais il refuse que l'homme soit transformé négativement dans la
guerre. Sa vision pacifique du monde est à la fois idéaliste,
noble et pragmatique, en ce sens qu'il veut qu'on aille au-delà des
simples discours politiques appelés ironiquement "pourparlers"
ou "ballets diplomatiques", "traités de paix",
"cessez-le-feu" ou encore "armistices", pour former un vrai
cadre juridico-politique de paix. Le philosophe propose, pour ce faire, une
transformation des mentalités suivant le genre de vie du
philosophe qui se conforme à la raison.
La conscience qui a toujours aspiré à la
paix , est la même qui a toujours fait la guerre en
l'instrumentalisant grâce à son intelligence, qui soutient
l'idée que des générations pourront tirer des
enseignements intéressants de la cruauté de l'homme, de la
recrudescence des guerres. Petit à petit, les lumières les
éclaireront. Une répugnance s'observe de plus en plus au niveau
même des soldats qui, parfois, vivent et laissent vivre. Ils s'indignent
d'ôter la vie de leurs adversaires soit par crainte, par peur ou que
l'habitude même des guerres les a aguerris. Ce qui nous fait dire que les
hommes ne sont point naturellement ennemis, que les hostilités de la
guerre leur sont souvent dégoûtantes. Toutes choses qui les
amènent à faire la promotion des valeurs républicaines et
les rendent du même coup apôtres de la paix. C'est alors un
retournement de veste qui est rendu ainsi possible, d'où la
nécessité de la paix qui est inscrite dans l'essence de la
raison.
Déjà en juin 1911, Anatole France soulignait
que : « La paix ! De tout temps le monde en eut soif.
Ne rougissons pas de la souhaiter : les plus braves l'on souhaité
avant nous. Fondre les épées pour en faire des socs de charrues,
c'est le voeu des prophètes d'Israël comme des poètes
d'Athènes à Rome; c'est le voeu des âmes les meilleures et
les plus hautes des temps modernes. Disons mieux. On n'a jamais fait la guerre
pour obtenir la paix. C'est donc la destinée de la guerre de
périr dans son triomphe. Qu'elle périsse à
jamais33(*) ».
L'idée du périssement de la guerre se
retrouverait peinte dans les mémoires de l'Afrique ancienne d'où
Il y est ressorti, peut-être malencontreusement, que l'Africain est
de nature pacifique, qu'il aspire à la paix, qu'il appelle la
paix et qu'elle lui est nécessaire. Cela se traduit dans la
salutation matinale dans ces expressions34(*) : " Est-ce que tu as passé la nuit
dans la paix ?", " Est-ce que la paix est dans la maison ?", " Est-ce
qu'un tel est en paix ? ". Ce qui sous-entend que la salutation
africaine est faite d'exorcismes et d'incantations : "Que Dieu nous
donne la paix ", "Qu'il nous épargne du mal". La mentalité
africaine serait de ce fait fondée sur la recherche de la paix de telle
sorte que chez l'Africain, "on ne lave pas le sang avec le sang, mais avec
l'eau ", que, "s'il y avait quelque chose de bon dans la guerre, dans
l'agressivité, les chiens l'auraient trouvé". C'est ce qui
justifierait le fait que nombre d'ethnies africaines qui fuyaient les razzias,
les séditions dans les royaumes, se sont réfugiées dans
les grottes, dans les collines, zones presque inhospitalières. En
définitive, l'exigence ou la nécessité de la paix se
traduit au niveau des Etats par une réelle élimination des causes
de sédition, de crises et de violation massives des droits des citoyens,
en vue d'une saine et paisible vie citoyenne. C'est dans ce souci de parfaire
les conditions de vie des citoyens que les juristes et les philosophes fondent
la catégorie politico-juridique de la paix qui est alors le lieu
d'harmonisation des relations humaines et étatiques.
3. Les
fondements politico-juridiques de la paix chez Kant
La politique et le droit se trouvent traditionnellement
liés en ce sens que le lien et l'action politiques qui réunissent
les "animaux politiques" que nous sommes, sont soumis au
contrôle ou à la régulation de règles ou lois qui
fondent et conditionnent la vie des citoyens, ainsi que la vie
extérieure des Etats.
En effet, la fonction positive de la théorie
kantienne de la guerre formulée dans la théorie de
l'"insociable sociabilité" est de réaliser
l'intérêt réciproque des peuples, de concevoir une pression
sur les Etats à oeuvrer au noble ouvrage de la paix, à mettre la
guerre hors la loi, et ainsi permettre la réorganisation interne des
Etats ainsi que l'harmonisation de leurs rapports réciproques. À
l'occasion, le modèle théorique (dessein de la nature) et le
modèle pratique (par le droit) se réconcilient dans la mesure
où le droit devient le moyen par excellence de réaliser la paix
mondiale : la réconciliation est à la fois postulée
et réfléchie. La réconciliation consiste, selon Kant,
à partir de l'idée naturelle du contrat, qui est d'ailleurs une
hypothèse de travail, "une simple idée de la raison
" qui oblige « tout législateur à
édicter ses lois comme pouvant avoir émanés de la
volonté collective de tout un peuple, et à considérer tout
sujet, en tant qu'il veut être citoyen, comme s'il avait concouru
à former par son suffrage une volonté de ce
genre34(*) ». C'est un système qui n'est
pas clos mais qu est ouvert sur le monde pour répondre à la
vocation du criticisme kantien, à l'appréciation de l'Etat
historique et à la question de la définition du droit.
Ce qui fait que dans la Critique de la Raison Pure,
Kant s'interroge sur la difficulté pour les juristes praticiens, les
juristes empiriques de présenter une solution universelle au
problème du droit, c'est-à-dire de le définir de
manière satisfaisante. Il ne voulait plus qu'on se renvoie à ce
que veulent les lois en un quelconque pays, à une quelconque
époque, mais à partir de la simple raison pour fonder
une "législation positive possible". Car, pour
lui, « une doctrine du droit simplement empirique (comme la
tête de bois dans la Fable de Phèdre) est une tête qui est
peut-être belle, seulement il est dommage qu'elle n'ait pas de
cervelle35(*)».
À travers le droit qui naît de la culture, les
hommes vont satisfaire leurs besoins, surmonter les rapports sociaux de
domination et de violence. Le droit naît de la détresse que les
hommes s'infligent ; il devient un "droit de la
nécessité" entendue dans le sens de la misère, de
l'enchaînement des conditions conflictuelles afin d'éviter le
chaos. Le droit né de l'impératif hypothétique ( si tu
veux X, fais Y, ou produit Z), permet les conditions de la coexistence
pacifique des citoyens en ceci qu'elle est le fruit de la réconciliation
de l'intérieur et de l'extérieur, en ce sens que la loi est
consentie et imposée volontairement. C'est dans cette optique qu'il est
dit que le droit est un mécanisme de régulation des
libertés des "démons intelligents" que sont les hommes.
Par ailleurs, quelles sont les conditions de légitimation du droit et de
son application sur la vie des citoyens ? Quelles sont les
prérogatives de l'homme-citoyen, et ceux de celui qui applique le
droit sur la vie du citoyen ?
D'après Kant, la direction des affaires de
la Cité doit être accordée à un
maître « qui batte en brèche la volonté
particulière (de tous les citoyens) et la force à obéir
à une volonté universelle valable36(*)». De la sorte, il devient
difficile de résoudre le problème de l'injustice sociale, puisque
l'homme est perçu comme un animal, un esclave qui a besoin d'un
maître. Or le maître qui a besoin d'un esclave, est lui-même
un animal. Par conséquent, il faut négocier une liaison du droit
à la maîtrise de la violence ou de la force à la contrainte
pour qu'au lieu d'un maître, il y ait un souverain qui use, et non pas
qui abuse du droit, pour rendre égaux tous les citoyens soumis à
la loi. En retour de leur confiance, du consensus ou de leur consentement, il
pourra assurer leur sécurité, protéger leurs
intérêts respectifs.
Principalement, la réduction tendancielle de la
contrainte ainsi que la maîtrise de la violence s'imposent ; car
elles sont conformes à l'idée même du droit des gens, aux
principes de la coexistence pacifique des peuples. Il y a là une sorte
de "recours formel à la contrainte" institutionnalisée
sous forme d'approbation ou de désapprobation de la conduite des hommes
dans la société. Cette loi de la contrainte réciproque
s'accorde nécessairement avec la liberté de chacun selon le
principe de la liberté universelle37(*). De là, le droit est une réalité
sensible qui s'applique et qui s'adapte aux rapports socio-politiques de base
entre les citoyens et des Etats.
À la lumière de tout ce qui
précède, Kant pense que l'application du droit à la vie
des hommes, dans leurs tentatives d'auto-réalisation de la coexistence
pacifique, doit être confiée à ceux-là mêmes
qu'il a nommé "moralistes politiques" et "politiques
moraux"38(*). Si les
premiers sont des techniciens de la contrainte, s'ils sont incapables de faire
des aménagements, des réformes allant dans la droite ligne du
droit naturel établi par la raison, ils doivent laisser la place aux
seconds. Ces derniers ont pour tâche de reformer le droit, s'il s'adapte
mal au quotidien, et de corriger les erreurs et les défauts de
constitution : ils se donnent pour vocation d'apporter une réforme
nécessitée par la quête de la meilleure constitution
possible. La législation universelle est donc le passage obligé
de toute la promotion de la paix comme moyen de réaliser universellement
le droit. Or, atteindre une société qui administre
universellement le droit constitue, selon Kant, le plus grand problème
et le plus difficile à la fois pour l'espèce humaine, celui qu'il
résoudra le dernier.
Il y a difficulté parce que les forts
abusent de la liberté des faibles pour les dominer, parce que l'on
dissuade davantage les pauvres en les réduisant en simples
grévistes, en simples revendicateurs. La difficulté tient
également au fait que l'on ne représente pas toujours les
réalités citoyennes et étatiques avec douceur aux
citoyens, ou que ceux qui ont le destin de l'humanité entre leurs mains
ne rendent pas toujours de comptes à ceux qu'ils représentent ou
qu'ils dirigent ; alors que le droit a besoin de s'adapter à la
réalité conflictuelle des forces sociales et à leurs
intérêts, de sorte à intégrer pacifiquement les
droits et devoirs des citoyens dans une politique partisane et conciliante. Et,
la législation juridico-politique39(*), en ce sens qu'elle n'intègre pas seulement le
mobile à la loi, admet aussi un autre mobile que l'idée
même du devoir, exige, selon Kant, des devoirs externes fondés sur
des mobiles également externes. Kant introduit volontairement
l'idée de liberté dans le droit à telle enseigne que la
liberté juridique externe nous permet d'agir dans le monde
extérieur sans être empêché par une égale
liberté des autres. Dit autrement, la liberté juridique
apparaît être une libération extérieure des
empêchements qui nous proviennent des autres libertés ; elle
vise la constitution d'une communauté ou d'une société
à vouloirs séparés. Mais, il s'agit chez Kant d'une
volonté juridique hétérocentrique déterminée
par des intérêts motivés par la loi.
La législation juridique permettra ainsi de
sauvegarder durablement le lien historique existant entre la morale et le droit
pour éviter que cette relation ne favorise qu'un simple jeu, qu'une
simple technicisation du droit en en faisant une seconde nature
fondée exclusivement sur la capacité de l'homme
propriétaire des choses et de la nature ; car sa capacité
risque de se renverser en pouvoir de détruire et de construire
les"res" selon l'idée de sa pure disponibilité40(*).
En substance, il faut dire de concert avec Kant que la forme
juridique nécessaire pour la coexistence libre et pacifique des citoyens
et des peuples, c'est la constitution politique faite pour le peuple, par le
peuple, dans le commandement réel et absolu de la Raison pratique
amoureuse du droit et de la paix. Par ailleurs, vu la condamnation kantienne de
la guerre, vu la nécessité et la valorisation de la paix chez
Kant, sommes-nous en droit d'affirmer qu'il est un pacifiste ? Avoir
écrit sur la paix suffit-il à dire qu'un auteur est
pacifiste ?
Certes, la paix n'est pas et ne sera jamais l'absence de
guerres ; mais elle sera toujours nécessaire pour la survie de
l'humanité. Aussi, des prix Nobel de la paix seront toujours
décernés aux acteurs de la paix qu'on pourrait appeler les
"pacifistes". À ce sujet et avant toute chose, quelle
définition pouvons-nous donner aux concepts de "pacifisme",
d'"acteur de la paix", de "partisan de la paix" et
d'"artisan de la paix". Le pacifisme, à l'opposé du
bellicisme, peut être défini41(*) comme étant la "doctrine politique des
pacifiques". Une doctrine qui prône la paix par des moyens
non-violents. Est pacifiste, "qui aime la paix","qui est attaché
à la paix" ou "qui favorise la paix" de telle
manière que, préparer la guerre pour parvenir à la paix,
est un non-sens dans la vie des peuples. De là, les pacifistes, les
partisans et les artisans de la paix sont tous des acteurs de la paix, des
frères. Car le même ouvrage de la paix les met en face de l'homme,
de sa politique, de son comportement, de ses moyens et de
l'intérêt de l'humanité entière. Ainsi, pour des
peuples épris de dignité, de progrès et de liberté,
« être partisan de la paix, c'est chercher, dans ses actes
et son comportement, à rester fidèle aux intérêts
historiques de l'humanité ; être artisan de la paix, c'est
participer avec conviction à la lutte, à toutes les luttes
menées pour la liberté, le progrès et le bien-être
des hommes», soulignait Ahmed Sékou Touré dans
L'Afrique et la Révolution, T.3.
Le pacifisme qui se veut être l'affaire des esprits
militants, des hommes du changement, des sages, s'étend de
l'intérieur à l'extérieur des Etats quels que soient leur
taille et le type de conflits auxquels ils font face. Or, Kant est d'un Etat et
d'une époque ; il a connu les horreurs de la guerre. Avisé,
il a prôné le changement des mentalités à travers
nombre de ses écrits notamment le Projet de paix
perpétuelle. Pour ce faire, la question de savoir si Kant est
pacifiste ne doit plus se poser au sujet de celui-là même qui a
condamné la guerre, prôné la paix comme seul moyen
d'épanouissement des libertés individuelles et collectives, donc
du progrès du monde. Il est non-violent en dépit de sa
théorie de l'"insociable sociabilité" qui dit que la
nature crée le désordre pour mettre l'ordre dans la Cité
des hommes raisonnables. En un mot, Kant nous encourage à la paix, il
nous invite à agir en vue de la fondation de l'état de paix
et à oeuvrer en vue de la constitution républicaine qui nous
semble à cette fin appropriée. Kant est loin d'être un
faiseur de bombe, un terroriste ; il est un humaniste fin qui place
l'Homme au coeur de sa pensée morale et politique qui, à
son tour, fait une grande place à la question de la paix
perpétuelle. C'est au nom de cet humanisme que nous disons que
l'acheminement de l'homme vers sa destination morale et politique, vers le
règne des fins ou le règne du droit, n'aboutira que grâce
aux lumières de la philosophie kantienne du droit appelée ici
"pacifisme juridique kantien", d'après l'idée que la
raison possède une force du droit. Il nous revient, après que
nous nous soyons éclairés, de rester attentifs à tout ce
qui peut entraver la pacification des sociétés, ou empêcher
la marche des peuples vers le mieux. Prévenir les conflits,
énumérer et éliminer leurs causes, c'est redonner des
chance à l'histoire de l'humanité de progresser sûrement
vers la paix durable.
DEUXIÈME PARTIE :
DES OBSTACLES À LA PAIX À LA PROGRESSION
DE L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT.
|
CHAPITRE I : DES OBSTACLES À LA PAIX CHEZ
KANT.
Depuis le livre des Tusculanes,
Pythagore définit le philosophe non pas en tant qu'homme de
métier, comme le pensera Cicéron, mais en tant qu'un spectateur
du monde et des choses. Il ne saurait être un observateur passif.
Même s'il ne recherche ni la gloire ni la richesse, il vise une
amélioration du monde qu'il critique. C'est pourquoi, le philosophe va
rechercher dans le comportement de l'homme-citoyen, dans la gestion de la
Cité et dans l'évolution des relations internationales, tout ce
qui est susceptible de constituer un handicap sérieux à la paix
mondiale. Donc, conscient du fait qu'aucune société ne peut se
développer sans être gouvernée par un régime
politique, nécessairement par des lois justes et des hommes de
confiance, l'éclaireur de la communauté politique qu'est le
philosophe va scruter dans ce régime les causes des conflits ou
obstacles à la paix interne et externe.
Cependant, est-ce à dire que tous les
régimes politiques n'assurent pas toujours une bonne gestion du
patrimoine étatique ? Peut-on espérer un jour de bonne
gouvernance dans nos Etats post-coloniaux ? La politique arrive-t-elle
toujours à bien servir le citoyen, ou se sert-elle plutôt du
citoyen? En un mot, y a-t-il une forme de modération de la politique, de
la démocratie, qui permette un usage civilisé des principes de la
politique et de l'économie en faveur de la paix mondiale ?
1. De
l'anti-démocratisme à la crise sociale.
Les philosophes de la politique, en
réfléchissant sur les formes de l'Etat, sont parvenus à
dégager trois régimes fondamentaux que sont la monarchie,
l'aristocratie et la démocratie qui nous intéresse
prioritairement. En effet, après avoir défini et ficelé
les termes du contrat civil qui doit obliger chaque citoyen envers autrui et
envers l'Etat, la question décisive qui se pose est de savoir comment
est assurée la direction de la collectivité, et en vue de quel
objectif spécifique : les clauses du contrat sont-elles toujours
respectées de la même façon par le citoyen et son
gouvernant ou son représentant ?
Cette question prouve par elle-même qu'il y a un
non-dit qui se révèlera dans le traitement des dérives,
des insuffisances, des limites et des enjeux de l'exercice démocratique
dans le temps et l'espace. Mais avant, pourquoi nous intéressons-nous
à la démocratie plutôt qu'aux autres
régimes ?
Des expressions telles que "la
déesse de la paix aime par-dessus tout les Etats
démocratiques"(G.Ch.Wedekind), "la démocratie est un
luxe pour l'Afrique"(Jacques Chirac), "la démocratie est le
moins laid de tous les monstres"(Rousseau), "l'Amérique est la
vérité de la démocratie"(Tocqueville), sont autant
arguments qui font allusion, plus ou moins directement, à l'usage
démocratique au quotidien et à l'idéal démocratique
dans les Etats modernes.
En effet, convoiter le pouvoir démocratique,
l'acquérir, l'exercer, le perdre, indiquent que le pouvoir politique est
susceptible d'accumulation et de dilapidation. Ce qui suscite de notre part des
questions : comment faire en sorte que la lutte pour la conquête du
pouvoir, sa conservation et son exercice, ne transforment pas davantage nos
jeunes Etats démocratiques en de véritables fours
crématoires ? Comment faire aussi en sorte que l'espace politique
public permette la manifestation des libertés, garantisse la concorde,
la sécurité, la paix civile, dans une prise en compte
réelle des intérêts légitimes de tous les
contractants ? La démocratie pluraliste a-t-elle de beaux jours
devant elle ?
Répondre à ces questions revient à
s'interroger sur les prérogatives du démocrate, sur les
conditions de légitimation de son pouvoir et sur celles de l'exercice
idéal de ce pouvoir. Ce qui n'est pas sans embûches.
La démocratie dans son idéal recherche
les moyens à la fois théoriques et pratiques pour réaliser
la vocation du politique en ce qui concerne la liberté, la justice,
l'épanouissement des citoyens, le progrès vers la paix, sans
distinction de langues, de races et de religions. Elle est de ce fait une
doctrine politique synthétique dont la vocation est de résoudre
et de dépasser les contradictions ou contrariétés entre le
totalitarisme et l'anarchisme42(*). Doctrine-modèle, la démocratie naquit
dans la Grèce antique et se développa davantage au
XVIIè et XVIIIè siècle avec Spinoza,
Locke, Montesquieu et Rousseau.
Comme nous pouvons le faire remarquer, le noyau essentiel de
la pensée démocratique se dessine originairement et
fondamentalement autour de l'approche optimiste et réaliste de l'homme,
de l'Etat et de leurs rapports. C'est pourquoi, la démocratie dans son
idéal tente une réconciliation de l'homme avec lui-même,
avec ses semblables et avec l'Etat. Cependant, d'innombrables
difficultés, contrastes, contradictions et dérives, nous font
souvent désespérer de dette démocratie.
C'est le cas d'une Afrique qui force toujours le passage du
monopartisme légal au multipartisme ou pluralisme démocratique.
Un passage forcé, un retournement de veste qui s'opère
difficilement à grands dangers, en versant du sang, donc qui
s'accompagne d'actes déshonorant l'Afrique post-coloniale : c'est
le signe du pessimisme démocratique africain à l'aube du
XXIè siècle dont nous entretient, ici, l'auteur Du bon usage
de la démocratie en Afrique.
D'après une lecture récente faite par
Sémou Pathé Guèye de la démocratie en Afrique, le
bilan du passage au pluralisme démocratique est mitigé,
jalonné de paradoxes, de contradictions, de piétinements et de
régressions. L'avènement de la démocratie pluraliste
aurait « ouvert la boîte de Pandore et libéré
ainsi les vieux démons de l'ethinicisme, du régionalisme, du
confessionnalisme ou du tribalisme que les anciens régimes autoritaires
avaient réussi jusque là, sinon à éliminer, du
moins à tenir en respect sous le giron d'Etats-nations
(...)43(*)». Il
y a aussi le fait que les clivages sociaux et les partages identitaires se sont
transformés à l'occasion en des sources potentielles ou
réelles de tensions, de conflits internes aux conséquences
dramatiques.
C'est dans cet ordre d'idée que son Excellence Blaise
Compaoré, Président du Burkina Faso, Président en exercice
de l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A), disait de l'Afrique,
à la séance plénière du Parlement européen,
tenue le 09/03/1999, que « l'Afrique vit un paradoxe. Alors
que la démocratisation se veut un moyen de prévention, de gestion
et résolution des conflits internes, en Afrique, la
démocratisation devient parfois une source de conflits ou de violence,
notamment à la faveur des élections, en raison de la
prégnance d'une culture monopolistique du pouvoir 44(*)».
La démocratie pluraliste refuse d'être l'annonce
d'un véritable renouveau historique pour devenir, au contraire, un
cauchemar macabre pour l'Africain, de telle sorte qu'on est
tenté de confirmer que les Africains ne sont pas faits pour la
démocratie ou que la démocratie n'est pas faite pour eux. Si de
façon générale, l'espoir naissait après la chute du
"mûr de la honte " des années 90 qui traduisait, à
la fois, la dislocation du bloc soviétique et l'effondrement des
régimes totalitaires, la démocratie libérale qui devient
le modèle à suivre n'arrive pas encore à résoudre
les problèmes liés à l'affirmation des principes
d'égalité, de liberté et de justice en Afrique. C'est
ainsi que l'usage abusif de la dichotomie démocratie réelle /
démocratie formelle serait très peu instructif pour la
majeure partie des Etats africains eu égard aux aspects socio-politiques
désolants du processus de la démocratisation en Afrique : ce
binôme a souvent permis à certains Chefs d'Etats et de
gouvernement, et à certains civils, d'occulter les conquêtes que
pouvaient représenter la reconnaissance des droits politiques, sociaux
et culturels dans le modèle de la démocratie pluraliste ou
libérale.
En addition, soulignons que l'analyse des Formes modernes de
la démocratie telle qu'elle est vécue en Afrique, prouve bien que
la société civile est de plus en plus subordonnée aux
appareils bureaucratiques ; que le tissu social est investi par des
mécanismes de contrôle et d'encadrement décadents ou
déphasés ; que l'Etat se désengage
sélectivement des services socio- publics à travers leur
privatisation ; et que les revendications populaires sont souvent
récupérées incontestablement par une classe politique
opportuniste dite majoritaire.
Ces critiques des formes de gestion institutionnelles de la
démocratie pluraliste font qu'il devient de plus en plus difficile de se
prononcer une fois pour toutes sur le sort à réserver à la
démocratie pluraliste. Car, c'est d'une sorte de paralysie de l'Etat et
de la montée de l'individualisme qu'il s'agit au détriment de la
collectivité. C'est fort de ce constat décevant que Georges
Burdeau écrit que l'Etat est «devenu lourd sans être
fort, omniprésent et désarmé, pourvu d'une administration
admirable et d'une politique étriquée45(*)», démagogique qui
répond mal à la réalité et aux exigences des
citoyens. L'on est même tenté de dire, en paraphrasant
Mahamadé Savadogo, que le développement des institutions
démocratiques actuelles « encourage l'apparition
d'une couche de privilégiés, d'une nomenklatura, qui se
détache de la population et s'enorgueillit de pouvoir la mépriser
du haut de sa compétence46(*)».
En fait, face à la multiplication des mutations
sociales, des changements sociologiques et des réactions individuelles
ou individualistes, l'Etat est en perte de vitesse : il lui est alors
difficile d'imposer des choix, des valeurs et des contraintes aux citoyens
emportés par l'égocentrisme. De plus en plus, le citoyen vit dans
un monde angoissant sans espoir réel d'un avenir glorieux, puisque le
présent est aussi sanguinaire et catastrophique qu'il ne sait si des
changements positifs se feront ressentir dans le sens de son
épanouissement. Il s'agit d'un malaise glissé dû à
la perversion des effets politiques d'un "âge démocratique dit
suranné". Cet état des faits va justifier les tendances du
citoyen à l'autonomisation et à l'émancipation. Le citoyen
refusant aujourd'hui d'être le simple contribuable d'hier,
c'est-à-dire un simple récipiendaire. Il refuse de cotiser pour
des profiteurs aussi nombreux que les étoiles du ciel. Il semble avoir
perdu le sens du sacrifice.
Ce que nous pouvons appeler de nos jours
"démocratie du tube digestif" ressemble à une
"démocratie de la consommation" d'après laquelle, le
citoyen ne veut plus produire pour une masse d'hommes dans laquelle sa
personne est confondue. Il veut que ses efforts soient plus
récompensés qu'ils ne l'ont été auparavant. Il veut
parer au fait que la grande masse productrice croupisse dans la misère
et que la paresseuse minorité crève dans l'opulence, dans le
luxe. De plus en plus, il est tenté par la propension à demander
pour lui-même une part du gâteau. Le citoyen d'aujourd'hui demande
souvent pour lui-même plus qu'il ne participe à l'effort
national ; ce qui est lamentable par endroits et qui le conduit souvent
à des actes déshonorants quand il n'est pas satisfait.
C'est cette crise citoyenne que symbolisent les
revendications, les grèves qui justifient la tendance fâcheuse
à "la surenchère qu'aux sacrifices réciproques".
La crise citoyenne entraîne forcement la dégradation de la
sensibilité démocratique, l'appauvrissement de l'empathie. La
participation citoyenne a tendance à n'être qu'un simple
slogan qui ne donne plus son sens au consensus, sinon à la
démission qui gagne du terrain. La démocratie gouvernée
cède ainsi la place à la démocratie gouvernante et non
maîtrisée, en ce sens que l'Etat faiblit de plus en plus devant
les exigences de son peuple et dans l'exercice du pouvoir politique. Nous nous
indignons de voir que l'administration des sociétés court
déjà un grand risque quand on sait que nos Etats perdent
constamment la maîtrise fonctionnelle dans les liens
Etat-société, dans les stratégies ou tactiques
d'administration ou de gouvernement du moment. Or, ce sont ces tactiques qui
permettent à chaque instant de définir ce qui doit relever de
l'Etat et ce qui ne doit pas en relever, ce qui est public et ce qui est
privé, ce qui est étatique et ce qui est non étatique. Il
y a, plus qu'un amalgame, une confusion de rôles ou de tâches qui
conduit, la plus part du temps, à l'irresponsabilité et à
la culpabilité de tous devant tous en faisant de telle sorte qu'il
devient difficile d'être l'ami de la démocratie.
En outre, la crise citoyenne signifie la crise de la
politique, de la démocratie, dans les Etats modernes, et traduit le fait
que les citoyens ont tendance à prendre, consciemment ou inconsciemment,
de la distance, du recul vis-à-vis du pouvoir. Ils se méfient
davantage de la politique en éprouvant du mépris pour les
politiciens. La politique est donc perçue comme le métier de ceux
qui ont les mains sales, en attestent les situations scandaleuses de crimes
pour raison d'Etat et de transitions mal gérées. Aussi, les
partis politiques, malgré leur multiplication, n'arrivent pas à
étancher la soif des citoyens, celle de leur autonomie, de leur
responsabilité et de leur participation effective aux tâches
publiques. Au lieu d'assurer nécessairement la meilleure gestion des
affaires de la Cité, les partis politiques se font des
intérêts spécifiques obéissant à des
règles que le citoyen ignore. Pire, le peuple, le grand nombre,
n'accède pas toujours aux fonctions publiques et à la gestion de
l'Etat.
En paraphrasant Platon, nous admettrons que la participation
du peuple aux plus importantes fonctions publiques, n'est pas sans danger: le
manque de probité des citoyens peut les entraîner à des
actes injustes, et leur irréflexion à des erreurs. Leur refuser,
d'autre part, tout accès et toute participation au pouvoir, c'est
créer un risque redoutable; quand, dans un Etat, existent un grand
nombre d'individus privés de droits civiques et vivant dans la
pauvreté, cet Etat fourmille inévitablement d'ennemis et donc de
conflits. Il ne reste dès lors qu'à les faire participer aux
fonctions délibérative, exécutive et judiciaire. Toutes
choses qui disent pourquoi la politique semble quelque peu inutile. Son
exercice met souvent dangereusement en péril, la quiétude, la
stabilité la sécurité des personnes et des biens, donc la
paix dans la Cité.
C'est dans cet ordre idées que William Ury assertait
que « les partis politiques sont devenus les nouveaux champs de
bataille où régler les conflits politiques.... Dans les
démocraties modernes... C'est au bulletin de vote de parler, non
à la poudre47(*)». les Etats modernes sont devenus de
véritables fours crématoires, des lits de conflits violents
où se succèdent les charniers politiques ; cela tient
à quatre choses.
D'abord, il y a le tripatouillage de la
constitution par les présidents des partis majoritaires pour
pouvoir se pérenniser au pouvoir ; tous les moyens y permettant.
Ensuite, apparaît le manque de transparence dans l'organisation des
élections qui sont de fait truquées. Alors que chez Kant, la
démocratie en tant que système représentatif, doit
permettre la « plus grande concordance, accord entre la
constitution et les principes du droit, et auquel la raison par un
impératif catégorique nous fait une obligation de
tendre 48(*)»: l'affirmation des principes
démocratiques tels la séparation des pouvoirs, la justice et
l'égalité, les élections libres et transparentes,
constituerait de la sorte la garantie de la paix. C'est ce que nous lisons chez
Jean Laurain qui écrit que la dictature est un mal en
soi parce que destructrice du droit fondamental de l'homme : la
liberté. Et c'est parce qu'elle respecte le mieux la liberté du
citoyen que la démocratie porte en elle la paix dans l'équilibre
des forces et le respect du droit de l'homme. À partir du moment
où chacun pourra s'exprimer à travers des élections libres
et le parti de son choix, le risque de guerre ou de révolution
s'éloignera. Le perfectionnement de la démocratie, de la
constitution démocratique concerne l'avenir de la nation. Si la
démocratie devient un luxe, alors souffrons-nous de voir les guerres se
perpétrer sans qu'on ne puisse les éviter. Pour parfaire plus ou
moins la démocratie, une place de choix doit être accordée
à la réduction des inégalités sociales et des
injustices entre les citoyens, mais aussi entre les Etats à
systèmes socio-politiques différents.
Sous un autre angle, notons que la
médiatisation actuelle des scrutins dans les pays pauvres très
endettés laisse croire au culte moderne de la personnalité, dont
une procédure propagandiste et démagogique fait élire des
individus, même quand les quelques rares projets de société
qui pourraient exister ne sont pas bien compris ; s'ils ne sont pas
ignorés, ils sont mal adaptés aux réalités
locales : c'est une procédure de trompe-l'oeil utilisant des mots
sinistres. Aussitôt que le choix est mal fait, l'on compromet
dangereusement l'avenir de la nation. La démocratie en se
réduisant, petit à petit, au seul usage du bulletin de vote,
renforce le sentiment d'impuissance à faire montre de ce à quoi
le citoyen tient bon : la sauvegarde du lien civil et non sa dislocation
par des actes qui traduisent la soif du pouvoir. C'est pourquoi, il faut que
l'éligibilité descende jusqu'à la proximité des
citoyens qui sauront dorénavant apprécier des projets de
société parce qu'ayant été formés ou
éduqués à la cause, à la démocratie. Une
éducation qui permettra de briser le mythe qui sépare
l'élu de ses voix : les discours, les interviews et les
conversations politiciennes font croire au peuple que la démocratie est
trop sérieuse et plus digne pour lui être
confiée. « On lui permet juste d'aller crier
très fort dans les stades de football le nom de sa ville (de son
candidat qu'il connaît souvent même à peine).
Activité dérisoire et dérivative mais véritable
école de chauvinisme primaire49(*)», note Bernard Crozel.
Le fait le plus lamentable est que les
élus du parti majoritaire arrivent toujours à embrouiller le
peuple, à opposer violemment les oppositions nationales qu'ils
affaiblissent, pour mieux régner. Ce qui nécessite une cure
de la démocratie consistant en un contrôle vigilant dans la
gestion de la chose publique, dans l'action politique et dans la tenue des
élections qui se voudront pacifiques, claires et transparentes. La cure
démocratique consiste, ensuite, en un renforcement de la conscience du
citoyen qui pourra demander des comptes à son représentant
élu. Elle consiste, enfin, en la redéfinition des rapports
institutionnels entre le citoyen et l'Etat. C'est à cette seule mesure
que la démocratie renforcera le sentiment nationaliste et la paix
sociale au détriment du désintéressement civil joint
à la frustration. Elle renforcera aussi la manifestation de la
liberté de presse et d'opinion qui, assurée, permet
d'éviter certaines frustrations et injustices.
Tout se passe comme si, en Afrique par exemple, il
était impossible d'organiser des élections et de les perdre.
L'Afrique doit se familiariser, se fidéliser, avec la formation de
gouvernement de transition ou de large ouverture pour éviter de frustrer
les partis politiques de l'opposition. Enfin, il s'est avéré que
les campagnes électorales sont des occasions de promesses, flatteuses,
faites aux populations par des bouches mielleuses qui ne sont pas
obligées de les tenir au lendemain de la victoire. L'opération
électorale, qui devrait donc être l'expression de la vox
populi, est de ce fait corrompue en ce sens qu'elle ne permet pas aux
populations d'énoncer librement leurs préférences.
Le malheur de l'Afrique s'origine dans cet
antidémocratisme : la politique semble n'avoir plus pour
finalité la pacification de la société. Ceci est une
erreur monumentale. Car, avoir la destinée d'un peuple entre ses mains
ne signifie pas le conduire par la contrainte, mais le faire suivre par son
assentiment, c'est l'éclairer. Le peuple, souverain et
législateur, doit toujours avoir le mérite et la
responsabilité de s'exprimer au sujet de tout ce qui touche à sa
vie ( la question de la guerre par exemple).
Selon Kant, il faut que chaque Etat soit intérieurement
organisé de telle façon que ce ne soit pas le chef de l'Etat,
à qui au fond la guerre ne coûte rien (car il la conduit aux frais
d'un autre, à savoir le peuple), mais le peuple, à qui elle
coûte personnellement, qui ait la voix décisive pour dire s'il
doit oui ou non y avoir guerre.
Si nos valeurs sociales sont vilipendées, nos
sociétés et notre mode de vie sont alors en passe d'être
détruits par la guerre qu'il faut donc combattre : ce combat n'est
pas seulement l'option d'une politique close, mais une option de la politique
internationale ; c'est une nécessité pour la survie de la
démocratie et des libertés. La valeur de la démocratie
dépendra toujours de l'issue de ce combat ; elle ne doit pas
faillir malgré ses faiblesses et ses dérives, malgré les
critiques acerbes, mais souvent positives, formulées à son
encontre depuis l'Antiquité grecque à nos jours : celles de
Platon et de Nietzsche nous servent de point de mire.
Pour Platon, elle est le règne des
incompétents et des démagogues. C'est ainsi que, partant de
l'expérience de la décadence des Cités grecques, il note
que le désarroi des Cités et des citoyens est dû au fait
que la doxa personnelle, les sentiments individuels et divers, aussi
bien des gouvernés que des gouvernants, constituent un
relativisme et un pessimisme glissé qui sont
d'énormes sources d'instabilité. Donc, l'Etat moderne est victime
d'une philodoxie qui fait qu'il est comparé par Platon
lui-même à un bateau ivre où il y a un capitaine qui
est plus grand et plus fort que tous les autres, mais il est
légèrement sourd et myope et sa connaissance de la navigation
n'en n'est pas toujours la meilleure. L'équipage se mutine parfois,
prend le bateau et buvant et festoyant, continue son voyage avec le
résultat qu'on peut attendre de lui.
C'est cette direction incompétente de la Cité
qui accroît les crises, les rebellions et les frustrations, et qui
conduisent tôt ou tard à la décadence dont parle
Nietzsche.
La démocratie dans son acceptation
nietzschéenne n'est qu'une "idéologie de la
décadence", c'est-à-dire qu'elle met en avant des
incapables, des hommes du ressentiment, des hommes vaincus par la vie qui n'ont
autre choix que de perpétrer la mort à travers les crises
sociales, les rebellions, bref, les guerres. Au nombre sans cesse croissant,
ces incompétents, ces médiocres, freinent l'avancée de la
Cité vers la paix, vers le progrès. Ils freinent ainsi donc la
capacité des Etats à tisser des relations solides, harmonieuses
et pacifiques entre eux. C'est pour cette raison que nous voulons de concert
avec Nietzsche que ce soit des hommes doués, excellents, des sur-hommes,
qui gèrent les affaires de la Cité, car cela leur recommande que
le sens politique soit imprégné des vérités morales
et citoyennes de leur temps.
Aujourd'hui, au regard des pratiques politiques dans les
Etats dits "démocratiques", on assiste de plus en plus à
de graves dangers liés à la récupération de la
politique par l'argent, les médias et l'armée. La corruption en
submergeant de la sorte le domaine politique, fait de lui le domaine où
le profit, l'intérêt égoïste et immédiat, celui
d'une famille ou d'un groupe particulier est de mise. L'usage
démocratique est de ce fait perverti et converti en une
"plutocratie", en une "médiacratie", en une
"démarchie" ou encore en un "pluralisme-corporatisme"
conduisant à un affrontement débridé des pouvoirs et des
intérêts des citoyens. C'est, nous semble-t-il, ce qui est
poursuivi et développé aujourd'hui à travers les
hégémonismes, politique et économique, qui gouvernent le
monde, et que nous analysons, ici, à la lumière de la
réflexion de Kant en ce qui concerne la domination politique et
économique qui hante encore les peuples.
2.
L'hégémonisme politique et économique.
À l'heure de la mondialisation, les jeunes Etats
démocratiques sont soumis aux divers programmes d'ajustement structurel
(PAS) des bailleurs de fonds internationaux. C'est ainsi qu'ils perdent, en
partie, leur indépendance dans l'asservissement économique. Or,
la paix ne vaut rien pour un peuple asservi. Et, il suffit qu'un conflit
éclate dans un Etat donné pour que des soi-disant forces de
protection des civils soient déployées expressément pour
protéger les intérêts de la puissance colonisatrice. En
effet, le professeur Mahamadé Savadogo, parlant de la crise ou de la
guerre civile qui secoue la Côte D'Ivoire depuis le 19/09/2002,
écrit que « l'intervention des armées
étrangères dans ce conflit prouve bien que ce qui est en jeu,
c'est la défense d'ambitions hégémoniques. Cette crise
trouve son origine dans la faillite de la domination française, des
politiques de développement dictées par le FMI et la Banque
Mondiale, et enfin, l'aveuglement d'une frange de l'élite
politico-bureaucratique de la Côte D'Ivoire50(*) ».
Tant qu'un Etat demeurera la chasse gardée d'une
domination quelconque, il faut dire que celle-ci ne recherche que le capital
financier par l'exploitation des richesses dudit Etat :« Le
capital financier veut non pas la liberté, mais la
domination » écrit Hilferding51(*) au sujet de
cette domination capitaliste qui use d'une certaine politique financière
ou idéologie pour renforcer la tendance aux conquêtes coloniales,
aux annexions, à l'hégémonie politique par suite de
rivalités entre les puissances et leurs sujets.
Kant n'aurait que condamner cette puissance financière
puisqu'il est le défenseur de la liberté, de
l'indépendance, de l'autonomie ou de la souveraineté des Etats
sans tenir compte de la taille, de la grandeur territoriale et de l'influence
politique de chaque Etat. Selon Kant, est souverain tout Etat qui est
susceptible de s'auto-déterminer, de s'auto-gérer librement tant
du point de vue politique, économique que social qui sont les trois
domaines de la vie intimement liés. Malheureusement, il est
constaté que nos jeunes Etats titubent toujours en matière de
gestion responsable des biens publics et acquis sociaux ; la
dépendance ou l'ingérence politico-économique met en
veilleuse la gestion souveraine des affaires de la Cité. C'est ce que
nous avons nommé "hégémonisme politique et
économique" entendu comme unique moyen de domination d'un Etat fort
sur un Etat faible. Il y a comme un complexe politico-économique qui
oblige les Etats faibles à se soumettre aux impératifs des plus
forts. L'exemple historique est celui de la colonisation pendant laquelle le
Blanc a gouverné les Etats soumis et continue de le faire sous une forme
modernisée. Lénine lui-même l'avait reconnu quand il
écrivait que quand un Blanc se gouverne, il y a self-government,
mais quand il se gouverne lui-même et, en même temps, gouverne les
autres, ce n'est plus du self-government, c'est du despotisme.
Pour Kant, l'Etat est une communauté politique, une
société de sujets libres. De ce fait, aucun Etat, grand ou petit,
puissant ou faible, ne peut s'acquérir par héritage, par
échange, par achat ou par donation. C'est pourquoi, Kant condamnait la
colonisation en tant que seule opportunité offerte à un Etat
puissant de disposer d'un autre, d'une région entière par le
biais d'un simple traité de protectorat ou d'amitié. C'est le cas
de l'Afrique dominée par l'Occident et qui l'est toujours grâce au
capitalisme qui poursuit le partage économique et territorial du monde
en violation du droit cosmopolitique qui, selon Kant, doit se borner aux
conditions d'une hospitalité universelle. Il n'y a que le droit de
visite qui soit reconnu aux étrangers en excluant bien sûr le
droit d'acquérir le sol. Cette limitation traduit le minimum juridique
qui doit être reconnu au colon dans les pays qu'il visite, mais qu'il
colonise en abusant du droit. C'est aussi l'unique droit à
réserver à la liberté et à l'autonomie de toute la
communauté politique (démocratique, puisque c'est elle que nous
avons choisie de parfaire) afin de préserver les chances d'atteindre
l'autonomie républicaine.
C'est d'ailleurs une façon pour Kant de
rétablir la liberté et la dignité virtuelles des Etats
colonisés que de limiter le droit aux conditions uniques
d'hospitalité universelle pour mieux faire la promotion des droits des
pays colonisés afin que ceux-ci décident d'eux-mêmes de
l'opportunité et des conditions d'installation du colonisateur sur leur
sol. Dès lors qu'il y aura incompatibilité, l'installation de
l'étranger devra être refusée. Et, si la
préservation des droits des citoyens se fonde sur une autre politique
que sur la politique d'intégration ou d'inclusion nécessaire des
étrangers, il est alors incompatible avec le droit républicain.
Cette incompatibilité tient toujours l'Afrique par ses chaînes
multiséculaires. Particulièrement, l'Afrique n'a pas encore fini
de payer les frais de la domination coloniale puisque aujourd'hui
encore, « les anciennes puissances coloniales disposent
toujours de réseaux et de circuits à travers les pays qu'elles
colonisaient, aussi bien en termes de cadres économiques que de
dirigeants politiques et de leaders d'opinion dans la société
civile. À travers tous ces réseaux, ces pays ex-colonisateurs
peuvent agir très puissamment sur les rapports entre eux et les pays
africains », note le Pr. Joseph Ki-Zerbo52(*).
En effet, l'hégémonisme des colons se
traduisait et se traduit encore en Afrique par des liens étroits avec
les dirigeants étrangers et les Chefs d'Etats africains qui sont
révocables ou remplaçables dès qu'ils ne font plus
l'affaire de la métropole, c'est-à-dire pérenniser
l'influence française, anglaise, allemande, dans les Etats africains.
Ces pouvoirs accommodants et compatibles sont financés
stratégiquement par la métropole pour qu'ils préservent
leurs intérêts. L'hégémonisme politique prend ici
le nom de politique d'ingérence dans les affaires
intérieures des Etats post-coloniaux. Ce qui est, selon Kant, une
immixtion de force dans la constitution et dans le gouvernement d'un
Etat jugé faible, qui se prostituerait volontairement pour
bénéficier des largesses de l'occupant.
Sur le plan social, la domination politique coloniale a
entraîné en Afrique la hiérarchisation des ethnies au
même titre que les races ont été
hiérarchisées. L'ethnogenèse ou la germination
contemporaine de l'ethnicisme connue sous le nom de génocide au
rwandais, par exemple, ne symbolise rien d'autre que la
préférence d'une ethnie minoritaire à une autre ethnie
majoritaire : les Tutsi préférés aux Hutu. Alors
qu'au fond, ce sont deux ethnies frères qui ont vécu ensemble de
glorieux moments, partageant la même culture, la même langue et les
mêmes terres sans dommages, tellement que les processus nationalitaires
étaient déterminants
À la période post-coloniale, les contradictions
apparaissent au grand jour. Les deux ethnies rivalisent le pouvoir
démocratique ; la guerre structurelle naquit sans
qu'aucune Conférence nationale ne pu fonder très rapidement la
nation. Le bouc émissaire belge du mal rwandais fuit le peuple, retourne
chez lui pour mieux attiser le feu à une distance raisonnable. Ces
exemples, rwandais et ivoirien, montrent bien comment la domination politique
coloniale a mis en place, dans les Etats, des idéologies haineuses,
néfastes et des pratiques de répression ethniques.
Sur le plan économique, on assiste à un certain
repositionnement des investisseurs-exploitateurs qui exploitent les Etats
déjà colonisés. « Aujourd'hui donc,
comme le dit le Pr. Joseph Ki-Zerbo, il y a une sorte de nouveau
partage de l'Afrique qui ne dit pas son nom, mais qui se fait à travers
l'invasion capitaliste, financièrement surtout, dans les
différentes zones du continent53(*) ».
Cette invasion capitaliste est l'oeuvre des firmes
multinationales européennes qui contrôlent et exploitent les
richesses minières ou énergétiques des ex-colonies. Mais,
il faut ajouter que ces firmes industrielles semblent ne pas
s'intéresser au mieux-être des populations qu'aux
intérêts, quand il s'est avéré que l'exploitant
incendie l'exploité, soutient les belligérances, les rebellions
pour mieux le dépouiller. L'exploitant va-t-il souvent brouiller les
relations de l'exploité avec ses voisins ou avec d'autres exploitants
qui pourraient s'intéresser à son butin, même quand il l'a
négligé pour un temps donné. Et pourtant, les
réserves de minerais ou d'énergie d'Afrique intéressent
toute l'Europe et aussi certains Chefs d'Etats africains qui ont des vues
impérialistes, « d'où les conflits permanents,
puisque chacun a ses intérêts : les transnationales entre
elles, chacune des transnationales avec les puissances africaines, les
puissances africaines entre elles, et chacun des Africains avec les
transnationales. C'est pourquoi la guerre est à l'ordre du jour
54(*)».
Dit autrement, depuis l'époque coloniale, l'objectif
du colon était de bénéficier de débouchés
pour écouler ses produits finis et acheter les matières
premières bon marché en Afrique. Chacun des colonisateurs a voulu
se tailler de grands empires économiques synonymes de "part de
lion". Petit à petit, les ethnies africaines deviennent
commerçantes, les unes plus que les autres. De là naissent aussi
certains conflits ethniques.
Aujourd'hui, c'est la vente du pétrole, le trafic de
l'or, de l'uranium et de diamant qui ensanglantent l'Afrique. La
responsabilité des Etats nantis est aussi grande en ce sens qu'ils se
servent de l'alibi du commerce avec l'Afrique pour intensifier la vente des
armes. C'est fort de ce constat que nous disons que le commerce avec l'Afrique
a permis à l'Europe de s'impliquer directement en décideur
économique ou financier dans la gestion des affaires économiques
de la "Cité noire". Il lui a permis de semer l'anarchie et la
division en Afrique avec la complicité de nombreux bureaux
d'études, de confréries, de clubs, de congrégations
missionnaires, qui y ont joué un rôle déterminant par
l'éducation et la santé. C'est aussi grâce à ce
commerce que l'Occident s'est même créé des
"marchés captifs" constitués du patrimoine culturel et
artistique africain qui nous oblige à nous y rendre pour y vivre notre
africanité ou pour retrouver notre passé. Ce qui est une sorte de
"lien de servitude" culturelle pour l'Africain.
De façon identique, le système de créance
ou d'endettement, que les Africains ont accepté, bon gré mal
gré, est né des échanges commerciaux avec l'Europe. Pire,
l'endettement a fait l'objet de critiques négatives d'après
lesquelles, les sommes colossales récoltées constituaient une
fortune de guerre qui favorisait le recrutement, la formation et l'entretien
des armées permanentes qui, selon Kant, doivent disparaître avec
le temps pour permettre que les fonds de l'aide et les dettes relancent le
développement socio-économique des Etats.
Cependant, il n'y est pas question ici de créer
chez Kant comme chez R. Garaudy « des différenciations si
profondes et des affrontements si brutaux que les plus faibles y soient
brisés ou mutilés ; (mais) en un mot une
société garantissant à chacun la liberté, la
responsabilité et les moyens de son développement personnel en
harmonie avec le développement de tous 55(*) ».
L'intérêt est que le développement ne doit
plus se définir uniquement en termes de Produit National Brut
(PNB) ou de Produit Intérieur Brut (PIB), sans
référence à un projet humain ou à une
qualité de la vie. Nous devons nous formuler davantage une
conception humaniste du développement qui est donc contraire à la
comparaison des Etats et à leur hiérarchisation suivant les seuls
critères de production et de consommation. Ce qui revient à dire
que le développement ne doit se définir aujourd'hui qu'en ayant
à vue la finalité humaine, c'est-à-dire une mise
en valeur des peuples, de leur patrimoine politique, économique et
socio-culturel.
Le vrai développement humain, durable est celui qui
assure nécessairement le passage négocié et
pacifié, pour chacun et pour tous, de conditions les moins humaines aux
conditions les plus humaines qui soient; c'est-à-dire le passage des
carences matérielles et morales, de l'égoïsme et de
l'injustice, à la possession de ce qui est nécessaire, à
la maîtrise des calamités naturelles ou artificielles, à
l'acquisition de connaissances, au vécu des hommes, à la
volonté de faire la paix dans notre condamnation à vivre ensemble
dans la paix. C'est cela l'humanisme kantien en faveur de la paix ; celui
qui recherche l'auto-determination, l'auto-gestion des ressources et non le
pillage de richesses ou le transfert de ressources des Etats pauvres vers les
Etats nantis. Lénine n'avait pas du tout tort quand il faisait remarquer
que « le capitalisme s'est transformé en un système
universel d'oppression coloniale et d'asphyxie financière de l'immense
majorité de la population du globe par une poignée de pays
avancés56(*) ».
Le capitalisme est la mère des misères des pays
ironiquement appelés "pays en voie de développement". Ne
sommes-nous pas alors en droit de nous demander si, la multiplication des
différences et injustices dans les conditions de vie des peuples ou
nations du monde, développées et sous-développées,
ne met pas plus en danger la paix mondiale que la prolifération des
armes à destruction massive ? En tout cas, l'accentuation des
différences entre les peuples du monde a permis à des sceptiques
d'affirmer que la Troisième Guerre Mondiale sera une guerre
économique qui sera due aux injustices sociales et
économiques compte tenu du fait qu'une inégale répartition
des revenus d'un Etat, jointe à une politique de développement
sélective, sont toutes dangereuses pour la stabilité, pour la
paix sociale qui est alors menacée de frustrations, d'injustices.
Dans la même optique, Fatsah Ouguergouz écrit que
« tous les peuples ont droit à leur développement
économique, social et culturel, dans le respect strict de leur
liberté, de leur identité, à la jouissance égale du
patrimoine commun de l'humanité 57(*) ». C'est pour favoriser une telle
jouissance que nous assistons de plus en plus à l'institutionnalisation
du développement pensé dans le sens du droit, du devoir et de la
solidarité universelle qui est d'emblée un devoir moral. Il
s'agit d'un devoir qui se fonde sur la volonté des citoyens du monde
à s'entre-aider, à venir en aide aux pauvres, aux
nécessiteux; l'objectif étant de créer une
atmosphère de paix sociale, de cohésion et d'harmonie.
Puisque la paix sociale ne se fait pas avec des gens de
mauvaise volonté, de mauvaise foi, ni avec des gens cupides,
égoïstes, le droit intervient, tout comme la morale, pour faire
miroiter la nécessité de la solidarité tant en temps de
paix qu'en temps de difficultés. Car, l'instauration d'une paix mondiale
durable passe nécessairement par une action menée, à
l'échelle de l'humanité, en vue de réduire la
pauvreté, les injustices, les oppressions massives et discriminatoires,
les inégalités qui, toutes, conduisent, tôt ou tard,
à la revolte ou à la rébellion d'un peuple qu soif du
changement. Cependant, ce souci de liberté des peuples partageant un
même sort, doit-il se justifier toujours et forcement par le recours
à la force ? Si non, sur quoi devrait se fonder un tel
besoin ?
3. Du droit de
révolte des peuples dans l'histoire.
La révolte des peuples, telle que nous l'entendons
ici, traduit le mécontentement des citoyens dont les droits sont
violés et qui les poursuivent par la violence, la révolte. La
révolte est, en ce sens, une forme de contestation, de protestation, de
revendication, ou d'opposition à des lois, à des projets, ou
à des actions ou comportement d'hommes politiques, que le peuple
jugerait déraisonnables, voire inadaptés ou mal adaptée
à son vécu quotidien.
Cette définition de la révolte nous amène
à nous questionner : l'aliénation des libertés
individuelles, la violation des droits des citoyens par leur chef, qui
piétinerait ainsi les principes républicaines
d'égalité, de justice, de paix, socle de l'Etat de droit,
doivent-elle se traduire, immanquablement, par des actes d'incivisme sur fond
de révolte, de rébellion ? En d'autres mots, pouvons-nous et
devons-nous admettre, en suivant Kant, un droit de révolte, à la
limite armée ? Un quelconque droit de révolte serait-il
admissible, à cet effet, dans la constitution d'un Etat qui a soif de
paix ?
En effet, la formation de l'Etat de droit recherche,
d'emblée, la stabilité des règles qui régissent la
vie politique et sociale, la protection des uns contre la violence des autres.
Cela présuppose qu'en dépit du changement de législateurs
et de ceux-là qui exécutent les lois, les règles
acquièrent une certaine stabilité qui puisse assurer leur survie.
La règle en changeant doit s'adapter à une condition
précise, à une situation orientée, et pendant une
période donnée. Telle est la vocation de l'ordre juridique qui
imprime, à la fois, le respect des droits humains,
l'épanouissement des citoyens, l'égalité, la justice dans
le partage et la distribution des revenus de l'Etat aux citoyens selon leurs
efforts personnels. C'est ce qui nous a motivés à mettre à
nu les dérives dans la gestion des hommes et des choses, les
insuffisances, dont souffre la démocratie dans sa vocation de
réaliser l'idéal républicain kantien.
C'est aussi ses fautes graves d'ethnicisme, de crime pour
raison d'Etat, de corruption, de vol de deniers publics, ainsi que
l'insouciance vis-à-vis de la misère du citoyen, qui nourrissent
son goût pour la révolte, souvent incontrôlée et
violente. Ce qui fait que la sécurité des citoyens laisse
à désirer de la même façon que le chômage, la
faim et la maladie le rongent ; alors que les fonds de la dette et de
l'aide sont gaspillés, pour ne pas dire, alloués ou
destinés à des projets de seconde, voire de dernière
nécessité. C'est ainsi que le peuple se sentira frustré,
et se réveillant, se révolte contre la classe dirigeante qui est
au pouvoir, c'est-à-dire contre le chef de l'Etat, le premier
responsable : la révolte, la rébellion ou le
soulèvement populaire, s'originent dans cette misère grandissante
au sortir de laquelle, le peuple recherche un
« sauveur », à travers le changement
violent et révolutionnaire. Le peuple refuse par là
l'idée de bonheur du chef en voulant le détrôner. Cela se
lit chez Kant (1990, 35) en ces termes : « le souverain veut
rendre le peuple heureux selon l'idée qu'il s'en fait, et il devient
despote ; le peuple veut ne pas laisser se frustrer de la
prétention au bonheur commun à tous les hommes, et il devient
rebelle ».
La rébellion, ou la révolte des
peuples, peut s'expliquer par le fait que, le plus souvent, les leaders
politiques orientent leurs actions plus vers certaines contrées que vers
d'autres régions ; ils favorisent certains citoyens, certaines
couches au détriment des autres. C'est la raison pour laquelle, à
un moment de l'histoire d'un peuple donné, on assiste à des
luttes sanglantes entre fractions, à des guerres civiles qui sont, en
réalité, des dangers qui menacent presque tous les corps
politiques composés de privilégiés, de bourgeois, et qui
maintiennent la hiérarchie sélective entre les fractions
de la société. Tout se passe, parfois, comme s'il n'y avait pas
de règles stables, de normes juridiques et morales, des lois justes,
susceptibles d'orienter la conduite des gouvernants envers leurs voix.
Serait-on tenter de dire que les gouvernants aimeraient vivre dans l'ignorance
de toute loi qui, quand elle existe déjà, est tronquée,
tripatouillée, pour répondre et s'adapter aux désirs, aux
exigences du tyran.
Dans ce cas, Kant reste ferme ; il reconnaît, bien
sûr, la justesse de la révolte contre le chef dictateur,
car il dit que « le peuple est en droit de secouer par la
rébellion le joug d'un tyran (non titulo, sed exercitio
talis) 58(*)». Il ajoute qu'il est admis,
« hors de doute », que le peuple ne fait pas,
ainsi, tort au tyran en le détrônant. Comme on le voit, Kant
est révolutionnaire; mais dans quel sens ?
Chez Kant, la révolution signifie la quête du
changement de la constitution (vicieuse), de ses hommes, et non pas le simple
désir, la simple volonté de recommencer à nouveau. Selon
lui, la révolution se réfère plus à sa
réussite ; à l'acte accompli , à
l'évènement survenu qu'à la seule
tentative, même s'il faut bien commencer par quelque chose pour aboutir
à une autre. Dans cette optique, la révolution doit favoriser la
constitution d'une forme différente de gouvernement
précédent, la formation d'un corps politique nouveau. Elle doit
aussi permettre de libérer véritablement le peuple, et non le
nuire moins que le ferait le tyran évincé ; tout en
créant un climat de paix, de justice, de liberté et
d'égalité. Cependant, l'auteur de la Doctrine du droit
appelle à plus de discipline, d'obéissance et de soumission aux
règles du nouvel ordre politico-social : « Quant une
révolution a réussi et qu'une nouvelle constitution est
fondée, l'illégalité du commencement et de son
établissement ne saurait libérer les sujets de l'obligation de se
soumettre comme de bons citoyens au nouvel ordre des choses, et ils ne peuvent
refuser d'obéir loyalement à l'autorité qui possède
maintenant le pouvoir 59(*) ».
Il faudra donc se garder de soutenir l'idée que la
révolution, une fois réussie, désignera le brusque refus
de la discipline, le relâchement de l'effort personnel, la
désobéissance civile, le non respect des nouvelles lois, les
multiples grèves, boycotts, le sabotage et l'insoumission gratuite, qui
ne peuvent que porter un coup dur sur la moralité et l'exercice
politique du moment. Ce serait incompréhensible pour des
« animaux politiques doués de raison » de
trahir l'histoire en agissant de la sorte. Dans ce cas, l'on n'aura pas tort de
condamner la révolte60(*) des peuples, c'est-à-dire de ne pas admettre
un droit à la révolte comme le voudra Kant lui-même qui
devient, alors, légaliste. Pour lui, et dans le cadre de
l'institution de l'Etat de paix ou de droit, «toute opposition au
pouvoir législatif suprême, toute révolte destinée
à traduire en actes le mécontentement des sujets, tout
soulèvement qui éclate en rébellion est, dans une
république, le crime le plus grave et le plus condamnable, car il ruine
le fondement même61(*) ».
Selon Kant, la réserve tacite d'un droit à la
révolte contre un chef, est quelque part, une injustice ;
car la maxime qui permet la rébellion ne doit pas être rendue
publique ; elle se garde secrètement puisse que sa
publicité rend impraticable la rébellion. D'où,
« si, en fondant une constitution, le peuple se réservait
la condition de pouvoir un jour employer la force contre son chef, il
s'arrogerait un pouvoir légitime sur lui. Mais, alors le chef cesserait
de l'être ; ou si on voulait faire cette condition une clause de
constitution, celle-ci deviendrait impossible et le peuple manquerait sont
but 62(*) ».
En succombant dans la lutte, le peuple ne pourra plus se
mettre à l'abri des « rudes châtiments de son
chef » qui ne l'étonneront guerre. De ce fait, le peuple
aura involontairement cédé le flanc au chef qui pourrait se
venger de lui en le soumettant à sa volonté de despote: la
crainte de l'élimination physique, la violence intellectuelle ou
terrorisme psychologique, ainsi que ma méfiance, introduisent
l'instabilité et le désordre dans un peuple qui aurait mal
conduit sa lutte, ou qui l'aurait conduite d'une manière ou d'une autre.
Le peuple aura donc tort de poursuivre son droit de cette manière.
C'est la raison pour laquelle, au sein des
fédérations, au sein des organisations interétatiques,
telle l'organisation de l'Unité Africaine (OUA), les tentatives de
rébellions armées, les coups d'Etats, sont condamnées.
Ainsi, au 35è Sommet de l'OUA, qui s'est tenu
à Alger le 07/07/1999, « les chefs d'Etat et de
gouvernement ont décidé que les coups d'Etats, les
rébellions armées ne seront plus tolérés. Les
régimes qui en seront issus ne seront plus reconnus et ne
siègeront plus à l'OUA. Ceux qui prennent le pouvoir par les
armes n'auront plus leur place en Afrique 63(*)».
En définitive, l'imperfection des Etats et leur
constitution ne doit pas légitimer au justifier le recours à la
rébellion, à la révolte pour les parfaire : on ne
doit pas vouloir réformer la constitution d'un Etat par la violence, la
révolution ; c'est au chef, aidé par son peuple, de le faire
par la seule voie du droit, de la raison et la morale.
Le réformisme kantien en faveur de la paix n'est
possible que pour un peuple éprit de liberté, de justice, et
d'égalité. Ce réformisme kantien permet, à n'en pas
douter, la progression des peuples vers le mieux, vers la paix.
Chapitre II : De la progression de l'humanité vers
la paix chez Kant.
Le but de la présente
réflexion, loin d'être une pure lamentation de philosophe face aux
situations conflictuelles multiples, est de s'interroger sur la façon
dont se présente l'histoire de l'humanité, de montrer comment
l'homme pense sa relation au monde des guerres, et, au besoin, de l'aider
à reprendre de l'espoir si toutefois la recrudescence des guerres le
plongeait dans un pessimisme fatal. Autrement, il s'agit d'amener le citoyen
à tirer des leçons de son histoire, même
défectueuse, en vue de la perfection64(*) future de la société, de
l'amélioration future des conditions d'existence de l'homme. Car, en
réalité, l'histoire dont il est question chez Kant, est une
histoire non du passé, mais de l'avenir des hommes, une histoire
prospective, oraculaire, et morale, puisqu'elle
concerne « la totalité des hommes rassemblés
sur terre en société et distribués en peuples
(universorum),quand on se demande si l'espèce humaine progresse
constamment vers le mieux65(*) ».
Elle ne se présente pas de façon
envieuse en ce sens que « L'histoire des hommes est,
selon Janine Chanteur, l'histoire de leurs guerres beaucoup plus que
l'histoire de la paix.66(*) » Cette idée traduit bien la
fréquence des conflits, des guerres, des crises ou des
déchaînements effrayants qui émaillent la vie des hommes;
une histoire tragique qui évolue certainement vers des jours
meilleurs. Nous pensons à la guerre qui opposa Sparte à
Athènes, aux deux guerres médiques entre la Grèce et la
Perse, à la chute de l'empire romain, aux guerres et invasions barbares
en Europe.
À cela s'ajoutent les Deux Guerres Mondiales, la
guerre du Biafra, le conflit israélo-palestinien, l'épuration
ethnique en Yougoslavie, la guerre du Cachemire indien, la guerre afghane, la
guerre soudanaise et le conflit irakien. Sans oublier les attaques terroristes
des 11/09/2001 à New York, 11/03/2004 à Madrid et du 07/07/2005
à Londres.
Telle est la réalité tragique de l'histoire
des hommes, aussi inquiétante qu'elle soit pour faciliter
l'avancée de l'humanité vers la paix mondiale, la liste des
guerres étant loin d'être exhaustive. Ce qui ne saurait nous
empêcher de penser un avenir radieux.
1. Les
conceptions kantiennes du progrès vers la paix.
Certes, la société des hommes n'est
pas un tout homogène et immobile, mais un ensemble
hétérogène traversé de crises qui, permettraient
son évolution et sa conservation dans l'avenir. C'est cela donner un
sens à sa vie, exister à la manière des
sages, "rivaliser le bonheur avec les dieux", et voici le
leitmotiv de toute la réflexion du philosophe sur le monde. C'est
pourquoi, il nous sera toujours nécessaire de nous interroger sur le
sens du monde, à savoir si le genre humain est constamment en
progression, s'il lui arrive de régresser dans sa progression, ou s'il
vit dans un statut quo, dans un état de stagnation qui le conduirait,
inlassablement, vers la résignation face au désordre qu'il se
crée : « l'espèce humaine est ou bien en
continuelle régression vers le pire, ou bien en progrès constant
vers le mieux quant à sa destination morale, ou bien en éternelle
stagnation au degré pressant de sa valeur morale parmi les membres de la
création (ce qui revient à tourner éternellement en rond
autour du même point) » 67(*).
Ce sont là résumés, en une
problématique, les trois postulats de la réflexion kantienne sur
le progrès de l'humanité vers le mieux. En effet, quelle que
soit la situation dans laquelle nous sommes, notre sens de la vie se justifie
dans la conception que nous avons de l'histoire, le sens que nous donnons
à la guerre et à la paix qui sont les cadres dans lesquels se
passe notre existence.
Ainsi, la complexité de la guerre, la
multiplication des crises, peuvent-elles constituer un vrai pan du
progrès de l'humanité vers la paix, vers le Bien ? Au
contraire, est-ce une régression fatale de l'humanité qui
consiste à vouloir dire que le Mal l'emporte toujours sur le Bien ?
Le progrès ne suppose-t-il pas une cohabitation négociée
du belliciste avec le pacifiste, et vice versa ? Malgré
l'imprévisibilité des événements historiques
mondiaux, malgré l'imprédictibilité de l'avenir, Kant
nous propose trois grandes conceptions du progrès qui constituent l'un
des moments forts de notre réflexion sur l'avenir de l'humanité.
Dès l'abord, disons que la prétendue
sortie de l'homme de l'état de nature ou état de guerre, pour se
réfugier dans l'état civil, est le premier signe du
progrès de l'humanité vers le mieux-être, vers la paix.
Cependant, il est constaté que la guerre, dont les moyens sont de plus
en plus sophistiqués, marque le retour terrible de l'état civil
à l'état de non civilisation : c'est un
empirement, « un amoncellement de grands forfaits et de maux
à leur mesure 68(*) ». C'est en cela que se réduit
la conception terroriste de l'histoire de l'humanité chez Kant;
un terrorisme moral qui se traduit par le fait que
toute l'humanité risque de périr dans le feu, de
s'anéantir69(*)
elle-même, quand on sait que les armes se créent de toutes
pièces. Alors, le terrorisme sous sa forme actuelle ne saurait
paraître surprenant, puisque Kant avait déjà pensé
le mal et avait prévenu le monde de cette crise morale qui signifiera le
grand mépris de l'homme envers son semblable.
Ensuite, à travers
l'eudémonisme, Kant nous rappelle que l'homme
possède par nature une quantité de Bien et de Mal, qu'il serait
très difficile d'augmenter, de diminuer librement ou volontairement.
L'homme ne peut rien contre le pouvoir de la cause agissante ;
par conséquent, « la quantité de bien
mêlée en l'homme avec le mal ne peut aller au-delà d'une
certaine mesure de ce bien, au-delà de laquelle il pourrait
s'élever à force d'efforts et ainsi progresser toujours plus vers
le mieux70(*) ». De ce constat, il revient souvent
de conclure au sujet de l'homme que de ses actions et réactions au
monde, « il ne résulte dans l'ensemble jamais rien de
sage, que tout restera comme il a toujours été et que, par suite,
on ne peut prévoir si la discorde, qui est si naturelle, ne nous
préparera pas un enfers de maux, si avancé que soit alors
l'état des moeurs (...) 71(*)».
Si tel doit être toujours le cas, les Etats
se formeront, se regrouperont pour travailler au noble projet de la paix, mais
ils divorceront et se détruiront sans issue favorable de paix
réelle sinon de paix factice. C'est la raison pour laquelle, il est et
il sera toujours dans l'intérêt de l'homme que sa quantité
de Bien augmente énormément pour favoriser l'avènement de
la paix mondiale réelle et durable.
Par ailleurs, l'eudémonisme est
critiqué négativement par certains penseurs pour lesquels, il est
fait d'espérances débordantes, imaginaires, de façon
à ce qu'il « parait insoutenable et semble laisser peu
d'espoir en faveur d'une histoire prophétique de l'humanité, au
point de vue d'un progrès incessant dans la voie du Bien 72(*)», la voie qui
mène à la paix. Tel est le défi que nous devons tous
relever afin de conduire l'humanité dans la voie du Bien, de la paix
durable. Pour cela, devons-nous chercher l'espoir du côté de la
"philosophie du clinamen", du côté de
l'abdéritisme ?
Selon Kant, la
caractéristique fondamentale de l'être humain est la
niaiserie, la sottise affairée, qui consiste au fait
qu'il « se hâte d'entrer dans la voie du Bien ;
mais ce n'est pas pour s'y tenir, c'est de peur de s'attacher à une
seule fin, ne serait-ce que pour varier les plaisirs ;...On renverse le
plan du progrès, on bâtit pour démolir 73(*)». Tout se passe comme si
du concours épicurien de causes à effets, les Etats qui sont
comparés à des atomes, s'entrechoquaient au hasard en
produisant des configurations multiples qui sont aussitôt
détruites, à leur tour, par d'autres chocs jusqu'à ce
qu'une des formes réussisse finalement. Il est alors ridicule de croire
qu'un simple jeu de hasard permettra l'union sincère des Etats et des
peuples, car de la même manière, chez Kant, la progression lente
mais certaine de l'humanité vers le Bien ou la paix ne se fera jamais
par un amalgame du Bien et du Mal, de la Paix et de la Guerre, qui se
neutraliseraient sans cesse pour produire de l'inertie. Ce serait un jeu de
marionnettes, d'avancée et de recul qui finit par nous faire accepter le
statut quo: la stagnation, la résignation. Adhérer à
l'abdéritisme revient à s'encourager dans la négativation
même de la guerre, de tout ce qui n'accouche que d'une souris ; et
en même temps épouser la thèse fatale d'après
laquelle " celui qui veut la paix, prépare la guerre." Il
serait de ce fait très difficile d'établir une paix durable sur
la terre, puisqu'on construira le temple de la paix pour le
démolir par la guerre future. La raison morale et pratique ne peut que
condamner ce jeu.
Car, le jeu de guerres marque l'inconstance de la
paix, c'est-à-dire la possibilité de la régression. Il y
aura toujours des risques de régression, de recul vers la forte
criminalité : l'homme étant libre, "mesure de toutes
choses", il voit souvent le péril mais choisit le profit; on peut
lui dire ce qu'il doit faire, mais on ne peut jamais s'assurer qu'il le fera
réellement. C'est fort de ce constat que Kant nous rassure
que « si l'on recule, et que dans une chute
accélérée, on aille vers le pire, on ne doit pas
désespérer de trouver le point de conversion (punctum flexus
contrarii), à partir duquel grâce aux dispositions morales de
notre espèce la marche de celle-ci se tourne de nouveau vers le mieux
74(*)».
Il faut que, en dépit des maux de guerres
déshonorantes que les peuples s'infligent, le développement des
dispositions morales, religieuses, leur permettent de retourner vers l'action
collective qui vise leur propre amélioration, celle de la situation
merveilleuse d'hier qui s'est dégradée par les crises et les
conflits de tout genre. Sans cela, le gouvernement des hommes
cèdera la place à l'administration des choses, et
l'humanité quittera la préhistoire pour entrer dans la
véritable l'histoire75(*) de la violence. Notre raison d'être kantien se
justifiera par la leçon que nous tirerons de ce voyage dans l'histoire,
pour donner ou re-donner un sens à notre existence.
2. Le
sens kantien du progrès vers la paix.
Le progrès, tel que nous le lisons chez Kant, est un
progrès vers la paix, vers l'épanouissement et le bonheur des
peuples. C'est aussi un progrès que la paix mondiale elle-même
rendra possible. Il est question, ici, d'une évolution de
l'humanité entière dans ses différentes tentatives, voire
processus d'organisation ou de réorganisation des
sociétés, dans le but de mieux vivre leur condamnation à
vivre ensemble. Autrement dit, la marche des peuples vers la paix est aussi
celle de leur développement, de leur perfection, donc de leur
amélioration qui ne se distingue pas négativement de
l'amélioration de leur constitution politique en vue d'atteindre la
constitution républicaine.
Kant part de la théorie de l'"insociable
sociabilité" pour faire dire à la nature qu'elle se sert des
discordes des citoyens pour assurer leur progrès vers la paix, vers le
mieux-être. Mais, il ne s'adressant pas à des peuples
paresseux, en cela que chaque peuple doit bâtir son propre histoire,
et se forger une personnalité parce que, « ce qui est
fondamental et en même temps preuve de progrès, c'est le pouvoir
d'un peuple d'émerger de son passé et d'ouvrir à nouveau
l'avenir 76(*)».
En effet, reconnaissons qu'avant Kant, avec lui et
après lui, l'évolution est historique. L'on est passé de
l'homme toujours au coeur des préoccupations historiques au regroupement
des hommes en tribu; de la tribu à la formation des
sociétés, puis à la naissance de l'Etat dans son
acceptation moderne. À partir du philosophe allemand, l'on passe de la
nation à la fédération libre des Etats, mieux, à la
Communauté internationale telle l'Organisation des Nations Unies (ONU)
qui s'inspire des textes de Kant qui ont, d'abord, donné naissance
à la Société Des Nations (SDN).
Du reste, il y a des chances énormes pour
l'édification d'une communauté universelle, mais Kant
récuse lui-même l'idée d'une république
universelle que des auteurs comme Anachardis Cloots croiraient être
la solution au problème de la guerre 77(*). Kant va alors condamner l'Etat universel dans sa
Réflexion 1499 où il écrit que
« l'intention de la providence était que les peuples
se forment, mais ne se fusionnent pas ». Il enfonce le clou dans les
Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine en notant
que "la fusion des peuples en une société" serait
"un obstacle à toute culture plus élevée78(*)" : la culture de la
paix.
En 1793, il souligne dans Théorie et
Pratique que l'"état de paix universelle", consenti par
des Etats trop grands, reste "encore plus dangereux pour la
liberté" que l'état de guerre "puisqu'il conduit au
terrible despotisme". Encore plus, en 1795, le Projet proclame
l'idée que le droit des gens suppose la séparation
de plusieurs Etats voisins et indépendants les uns les autres.
Malgré le fait que Kant ne soit pas trop rassuré que cette
situation ne conduira pas à la guerre, il soutient qu'elle est
« préférable aux yeux de la raison à la
fusion de tous les Etats entre les mains d'une puissance qui envahit toutes les
autres et se transforme en une monarchie universelle 79(*) ».
Comme pour insister davantage sur l'idée que dans un
Etat universel, les lois perdent toujours en vigueur ce que le gouvernement
gagne en étendue, Kant montre dans sa Doctrine du droit (1971,
177) comment à la faveur de l'extension vraiment excessive d'un tel
Etat des peuples jusqu'à de lointains territoires, son
gouvernement finit par devenir impossible et par conséquent, la
protection de chacun de ses membres. De toute évidence, tout Etat
dépourvu d'une constitution possible tel l'Etat Mondial, comme
l'écrit Kant, ne sera jamais une condition de la paix mondiale,
puisqu'il ne pourra jamais apporter la paix par la mort des Etats respectifs
dans leur fusion. Sans vouloir la création d'un Etat Mondial, nous
pouvons vouloir que la création d'un espace politique à
l'échelle sous-régionale, régionale, continentale,
même internationale, reste dans les annales de l'histoire. Cette position
a été formulée et défendue jusqu'à nos
jours, en attestent la naissance et le développement d'organisations
telles la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), la
Communauté Economique Des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui
jouent un rôle important dans la promotion de la paix dans la sous
région. Mais, il faut dire que l'état de paix, quand il existe
déjà, est une condition favorable à l'éclosion et
la formation de telles organisations à vocation politique,
économique et sociale.
C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'éloge que
Diderot fait de la paix :
« Il (le corps politique) n'est en
santé, c'est-à-dire dans son état naturel, que lorsqu'il
jouit de la paix ; c'est elle qui donne de la vigueur aux empires ;
elle maintien l'ordre parmi les citoyens ; elle laisse aux lois la force
qui leur ait nécessaire ; elle favorise la population,
l'agriculture et le commerce ; en un mot elle procure aux peuples le
bonheur qui est le but de toute société 80(*) ».
Ainsi donc, la paix rend possible le progrès
politique, le développement social des peuples en leur permettant de
libérer leur génie créateur qui s'affirme en temps de paix
dans l'agriculture, le commerce et la valorisation des moeurs. Ce qui veut dire
que nous devons convertir l'énergie et le courage qui nourrissent la
guerre en des forces de production, de créativité en temps de
paix, pour propulser l'humanité dans le progrès ;
progrès qu'on pourrait caricaturer comme suit : le progrès
est au centre des préoccupations de l'humanité ; l'homme va
du progrès à la paix et vice versa. Le binôme
"progrès / paix" demeure le champ de bataille de l'être
humain où se décide son sort. Les écrits kantiens sur
l'histoire de la paix ont, pour ce faire, pour but de nous ouvrir une
perspective consolante dans l'avenir, de nous proposer une histoire
conjecturale de la liberté, celle qui s'aliène involontairement
dans la guerre et qui fonde du même coup une espérance morale
à la paix.
Cependant, Kant nous avertit que du point de vue de la
morale, le progrès n'apportera pas « une
quantité toujours croissante de la moralité quant à
l'intention, mais une augmentation des effets de sa légalité dans
des actions conformes au devoir, (...) c'est-à-dire que c'est dans les
bonnes actions des hommes, qui deviendront toujours nombreuses et meilleures,
(...) que le profit de sa propre transformation en vue du mieux pourra se
manifester », puisqu'il se convainc que
« peu à peu, les puissants useront moins de
violence, il y aura plus de docilité à l'égard des lois.
Il y aura dans la société plus de bienfaisance, moins de chicanes
dans les procès, plus de sûreté dans la parole
donnée, etc. 81(*) ».
Kant, aussi bien que d'autres philosophes des Lumières
comme Diderot, croyait alors à la perfectibilité du genre humain,
à son amélioration : « la nature suit un
cours régulier pour conduire peu à peu notre espèce du
plus bas degré d'animalité jusqu'au degré supérieur
d'humanité 82(*)». Cela est perceptible déjà sous
nos cieux, même si certains professent l'idée d'une
"animalisation contemporaine de l'homme" dans la guerre qui est son
défaut majeur.
Des défauts, Kant en avait vus quand il
écrivait dans l'Idée (6è proposition) que le
bois dont l'homme est fait est si courbe qu'on ne peut se rassurer de pouvoir y
tailler des chevrons bien droits; mais on peut y tailler quelque chose de
droit quand même. C'est pourquoi, nous voyons que depuis son
ancêtre Australopithèque, le genre humain est en
progrès et continuera toujours de l'être à l'avenir. La
conscience humaine étant un pont jeté entre le passé et
l'avenir, et en tant qu'elle marque le présent de son sceau, il y a de
quoi espérer que l'homme tire de bonnes leçons de la tragique
histoire qui est la sienne, pour jeter les bases solides d'un avenir radieux,
quelles qu'en soient les conceptions qu'on en fait.
Donc, le progrès vers la paix doit être toujours
pensé en termes d'espoir, de volonté commune non
égoïste, dans la mesure où, il est actuellement
possible de l'atteindre par une remise en cause de l'agir humain, par une
révision constante de la gestion des "res", par une plus grande
responsabilité quant à la sauvegarde du tissu social en vue
d'assurer la survie de l'humanité. C'est ce que nous avons nommé
les "grands espoirs de la paix mondiale" qui sont, quelque peu,
conditionnés par la valeur éthique à donner à la
politique.
3. De
l'éthicité de l'action politique en faveur de la paix.
Jusqu'ici, notre réflexion à consisté,
en grande partie, à recenser les problèmes, à discuter des
questions, au sujet desquelles il semblait difficile de promouvoir la paix
à l'intérieur des Etats, au sein des organisations
interétatiques, et à leur trouver des solutions idoines qui
passeraient, par exemple, par la réconciliation possible de
l'éthique, de la morale et de la politique. Toutes choses qui
permettront de fonder notre espoir de paix sur des conduites et principes,
claires et précis, favorables à la paix. Dit autrement, la
philosophie politique, en tant que « condition de
l'organisation de la vie collective à partir des fins dernières
de l'humanité, à partir des idéaux que poursuit l'homme,
en somme, à partir du sens qu'il voudrait trouver à son
existence 83(*)», arrive-t-elle à taire l'opposition
traditionnelle, quelque peu radicale, que l'homme d'Etat fait de
l'éthique comme science de la morale et de la politique au sujet de la
paix ?
En réalité, ce que nous appelons "grands
espoirs de la paix mondiale" se résume aux conduites à
tenir, aux différentes précautions à prendre par les
gouvernés et les gouvernants, pour éviter le pire, ou encore les
différentes solutions que nous préconisons pour éviter le
déferlement horrible des hostilités, pour ainsi limiter les
dégâts. Une optique qui nous fait porter une attention
particulière, d'abord, sur la gestion des biens publics, ensuite, sur
l'observation des comportements de citoyens et sur ceux de leur dirigeants,
enfin, sur les différents accords ou traités de paix qui soudent
les relations d'un Etat à un autre Etat.
En effet, comme nous l'avons précisé plus haut,
la démocratie moderne s'éloigne de plus en plus, du fait des ses
dérives, du républicanisme prôné par Kant ;
alors qu'elle devait s'y rapprocher pour qu'on puisse parler davantage de
"Démocratie républicaine" ou de "République
démocratique". Et pour s'y rapprocher, nous avons jugé bon,
à la suite de bien d'autres chercheurs, de mettre en relief les
exigences éthiques qui doivent s'imposer à la démocratie,
en actes et en comportements, afin de renforcer la stabilité politique
des Etats modernes, permettre la cohésion sociale, c'est-à-dire
restaurer un cadre de paix pour tous les fils de la terre. L'objectif
recherché est de sortir les Etats et leurs citoyens des situations
conflictuelles multiples qui font tâche d'huile sur les tentatives de
bonne gouvernance, de développement économique, social et
culturel, amorcées par nos jeunes Etats en quête de marque
démocratique. Nous devons, vu l'urgence et la nécessité de
la démocratisation, placer toute notre confiance, notre espoir sur la
possibilité d'une refondation éthique de la
démocratie en particulier, et de la politique en
général. C'est alors vouloir donner à la politique un
visage beaucoup plus humain et humanisant, une dimension citoyenne qui fera que
le citoyen soit la finalité politique que le moyen à cour terme.
Par ce moyen d'une refondation éthique, la démocratie devra
devenir un facteur incontestable de paix ou de concorde, un véritable
instrument de régulation des affaires intérieures et
extérieures. Dans cette démarche, les remarques de M.
Sémou P. Guèye nous ont émerveillés.
L'idée de la nécessité d'une refondation
éthique de la politique se retrouve chez lui de l'inspiration qu'il
s'est faite de l'"éthique de la communication" de Jürgen
Habermas. C'est-à-dire que, par le biais de la "Théorie de
l'agir communicationnel" de celui-ci, S. P. Guèye entend donner
à la politique africaine une approche éthique qui justifie
à la fois l'universalité des principes, des valeurs et normes
politiques, en vue de réconcilier la politique et l'éthique dans
le champ de la démocratie pluraliste. La politique étant
actuellement en crise, elle nécessite une « refondation
éthique (...) dont la nécessité nous semble s'imposer
ainsi pour l'affirmation d'une pratique civilisée du pluralisme dans le
cadre d'un espace public lui-même politiquement
civilisé. 84(*)»
La demande d'une éthique de la politique est donc,
exclusivement, un appel que les citoyens lancent à l'endroit de leurs
dirigeants pour que la politique ait pour finalité de se mettre au
service de la société entière. La leçon
philosophique est de « susciter chez les hommes politiques le
sursaut de lucidité nécessaire pour se remettre en cause
eux-mêmes et remettre en même temps en perspective leur action en
fonction des préoccupations concrètes des citoyens et de leurs
aspirations les plus profondes, au lieu que de la confiner dans le cercle clos
des luttes d'intérêts purement partisans et de caractère
parfois strictement cryptopersonnel 85(*)».
Toutes choses qui crédibiliseront, qui honoreront la
politique et qui impliqueront les citoyens dans la gestion de la Cité,
si bien que personne ne décidera à leur place au sujet de quoi
que ce sera (la guerre par exemple). À partir de ce moment, les
revendications, les demandes du citoyen, ne seront plus ignorées ou
négligées, puisqu'elles symbolisent l'utilité et la
nécessité impérative de l'activité politique
partisane. Le pouvoir politique démocratique connaîtra ses limites
et sera contraint à devenir plus humble. Car, l'absence de tels
éléments dans une communauté politique est un leurre
qui empêche qu'on puisse parler de démocratie, pire de
démocratie citoyenne.
Sans cette refondation éthique, continue S.
P.Guèye, le citoyen sera pour toujours un "mouton de panurge",
un client politiquement taillable, manipulable, corvéable à
merci, une "chair à canon" des guerres civiles et
interétatiques. Sans elle, personne ne pourra freiner les gaspillages,
les détournements de biens publics, les dessous de table, la corruption
qui déchirent nos sociétés et dont sont passés
maîtres ceux-là mêmes qui tiennent le bouclier de la
nation.
Il s'agit alors là d'une question de valeurs sociales
et républicaines, d'autant de difficultés que les jeunes Etats
rencontrent et dont la solution se trouve chez Habermas dans
l'"éthique de la discussion", dans le consensus ou dans le
discours consensuel qui suppose un accord rationnel des esprits qui, à
son tour, traduit une "volonté rationnelle" de telle sorte que
« l'idée d'une justification pratico-morale d'une action
renvoie finalement à l'idée d'un accord unanime motivé par
des raisons et seulement par des raisons. 86(*)»
Ce qui signifie que le consensus n'est possible, pour des
belligérants par exemple, qu'à la seule condition que toutes les
parties soient libres d'exprimer leurs points de vue et leurs besoins, qu'aucun
des partenaires ne soit empêché, de près ou de loin, par
une pression autoritaire qui s'exercerait soit à l'intérieur ou
à l'extérieur de la discussion. Il faut également que
chaque partie soit animée de la bonne volonté de déboucher
sur la paix à travers le consensus, en éliminant toute
contradiction, toute confusion, tout amalgame, et que chaque partie n'affirme
que ce qu'elle croit vrai, ce à quoi elle croit qu'on peut faire foi. La
recherche d'un consensus obéit donc à des principes.
Voici quatre principes habermasiens, formulés au sujet
des conditions de possibilité d'un véritable consensus, ou en vue
de la pacification de la vie des sociétés, que nous pouvons
retenir et faire valoir au moment de la négociation de la paix ou de la
résolution des crises.
Dans le dessein d'atteindre cet objectif, il est capital de
s'imprégner de la reformulation habermasienne de l'impératif
catégorique de Kant qui s'applique aussi bien au sujet pensant qu'au
mode de vie des institutions dans les Etats. Par cette reformulation, il
envisage circonscrire les limites de l'agir humain, apprécier la
validité d'une norme, l'universalité d'une valeur. Ainsi dit-on
qu'avec Habermas « s'opère un glissement ; le
centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun peut
souhaiter faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi
universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme
une norme universelle 87(*)».
Avec lui, nous ne devons plus agir, surtout en
matière de promotion de la paix, selon notre seule maxime que nous
voudrions qu'elle devienne une loi universelle88(*) et applicable à tous, imposable à
tous ; mais nous devons la leur soumettre afin qu'elle soit
examinée dans la discussion. C'est par ce moyen que nous jugerons de son
universalité. Il y va de même pour les dissidents, pour les Etats
qui refuseraient de perdre une partie de leur souveraineté dans les
négociations de paix. Cette reformulation de l'impératif
catégorique de Kant dérive de la lecture savante du "principe
d'universalité" et du "principe de discussion"
déjà mis en évidence plus tôt.
Si le premier principe recommande
que « les conséquences et les effets secondaires qui,
de manière prévisible, résultent de son observation
universelle dans l'intention de satisfaire les intérêts de tout un
chacun, doivent être acceptées sans contrainte par toutes les
autres personnes concernées 89(*) », le second principe dit qu'une norme
« ne peut prétendre à la validité que si
toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d'accord en
tant que participants à une discussion pratique sur la validité
de cette norme 90(*)».
Une application certaine de ces deux principes sur la
scène politique africaine devra permettre de pacifier les rapports
réciproques entre les acteurs de la scène politique et les
citoyens, et de redynamiser les relations entre des Etats voisins dans le souci
de mieux protéger les intérêts des citoyens. Cela permettra
sans doute de libérer la politique de toute forme de vassalisation, de
l'ouvrir vers le citoyen et de réduire les facteurs de
désintégration sociale et politique des peuples du monde entier.
À la lumière des différentes questions
abordées, il faut souligner que les grands espoirs de la paix se fondent
sur les conditions de la paix mondiale qui leur donnent tout leur sens. Ils
encouragent en même temps dans la réunion des conditions de la
paix qui rendent possible la coexistence pacifique sur la terre.
TROISIÈME PARTIE :
DES CONDITIONS DE LA PAIX À
L'INTÉRÊT DU PACIFISME KANTIEN À L'AUBE DU XXIÈ
SIÈCLE.
|
CHAPITRE I : LES CONDITIONS DE LA PAIX CHEZ KANT.
Nous sommes condamnés à vivre ensemble
en groupes, en familles, en communautés, et de façon
générale, dans les frontières entre Etats. Cette
condamnation à vivre ensemble ne peut se réaliser que dans les
conditions d'une paix réelle et non pas dans la barbarie
dévastatrice. C'est-à-dire que cette destinée des peuples
ne se réalisera pas dans des conditions où la paix est
constamment menacée par le danger que constituent la guerre, les
conflits internes de plus en plus violents. Car, la guerre est au fond un
important facteur de démonétisation de l'éthique et de la
morale. Malgré, les quelques faibles bénéfices que des
individus, des Etats, prétendent tirer de la guerre, les coûts
sont très élevés, et elle préfigure l'effondrement
du tissu social.
En effet, le XXIè siècle que l'on
croyait être le siècle de la maturité politique et
intellectuelle, est de plus en plus violent en ce sens que
l'actualité socio-politique au double plan nationale et internationale
est marquée par des guerres, des crises ethniques et des
déplacements massifs de populations victimes de ces conflits. Sans
oublier bien sûr la montée en puissance du nationalisme par
endroit, de l'extrême patriotisme synonyme de xénophobie,
d'exclusion sociale ou d'expulsion des immigrés et des étrangers.
À cela, s'ajoute l'entretien des rebellions, avec la complicité
de certains Etats voisins et de gouvernements, dont le but est de
déstabiliser les régimes en place en violation du droit
international.
C'est en s'inspirant de ce tableau sombre qui persuade les
citoyens que leur aspiration à la paix est utopique, qu'il est encore
grand temps pour nous de rechercher des réponses, des solutions, aux
problèmes essentiels des relations internationales relatifs à la
guerre, pour le maintien de la paix mondiale. Autrement dit, faisons de la
promotion de la paix notre cheval de bataille dans les conditions que
sont : la prévention, la gestion constructive des guerres suivant
la logique de la coopération, de la négociation, la valorisation
des échanges culturels et commerciaux ainsi que de la protection de
l'environnement91(*).
Traiter des conditions positives de la paix, de la
négociation de la paix ou de la médiation des conflits, tel est
l'objectif de notre préoccupation dans les lignes qui suivront; mais
avant, qu'elles sont les conditions négatives de la paix chez Kant?
1. Les
conditions négatives de la paix.
Les conditions négatives de la paix sont
formulées par Kant dans son Projet de paix perpétuelle
sous forme d'interdits. Ceux-ci ne sauraient anathématiser la paix dans
leur prétention d'empêcher ou d'arrêter les guerres. Ils
concernent les six (06) articles préliminaires de la paix qui
s'articulent comme suit 92(*):
« On ne regardera pas comme valide
tout traité de paix, où l'on se réserverait
tacitement la matière d'une nouvelle guerre » (Article 1). De
Kant à nous, il est constaté que les nombreux traités
de paix, les « cessez-le-feu », qui ont
toujours été signés entre les belligérants,
n'arrivent guère à mettre fin à la guerre; ils ne sont que
de simples armistices, de simples trêves ou
suspensions des hostilités. L'idée même d'une
guerre future n'est pas éliminée par la signature de ces
traités de paix. Tout se passe comme si, des prétentions
anciennes, obscures et mauvaises, des clauses secrètes existaient
toujours et réveilleraient par la suite la belligérance et la
vengeance. Au fond, il y a que la plupart de ces traités sont conclus
sur la base de la rancune et du ressentiment ; ce qui ne peut permettre
d'établir une paix durable, mais une paix provisoire,
éphémère. C'est pourquoi, il faut plus de sérieux,
de sincérité et de fermeté dans la signature des
traités afin que les sujets renoncent à la vengeance une fois que
la réconciliation parvient à être faite entre des groupes
sociaux ou entre des Etats, forts ou faibles, grands ou petits.
C'est ainsi que « tout Etat, qu'il
soit grand ou petit, ne pourra jamais passer au pouvoir d'un autre Etat, ni par
échange, ni à titre d'achat ou de donation »
(Article2). Selon Kant, l'Etat est une société de personnes
morales qui ne peuvent être que sous la coupe d'un chef et non d'un
maître de peur qu'il ne devienne sa propriété ou son
patrimoine, celui d'une famille ou d'un clan. Puisque les citoyens ne sont pas
des marchandises, des choses ou des bêtes abruties, ils ne doivent pas
faire l'objet de transactions commerciales telles qu'ils l'ont
été pendant le commerce triangulaire ou traite
négrière ; pire, être associés à un
autre Etat. Ils ne doivent plus se battre contre un quelconque ennemi, sous
prétexte qu'il leur est commun, tout comme pour défendre la cause
d'un autre Etat. Ici, c'est toute la politique d'annexion, de colonisation,
d'impérialisme et d'esclavagisme, qui est ainsi contestée par
Kant, mais qui est entretenue par les forces armées permanentes :
« Les troupes réglées
doivent être abolies avec le temps » (Article 3). C'est la
suppression complète des armées permanentes qui est ici
demandée par Kant parce qu'elles constituent, par leur simple
présence, une menace permanente de la paix, et parce qu'elles
nourrissent la course effrénée à l'armement. Dans ce cas,
l'objectif recherché est loin d'être celui de se prémunir
contre les agressions d'un autre Etat, de dissuader le voisin, mais il s'agit
de tuer et de faire tuer. Tant qu'il y aura des troupes
réglées pour la guerre, la paix sera toujours plus
onéreuse compte tenu de l'engagement des mercenaires, du recrutement et
de la formation des soldats pour la guerre.
Cette question de la fortune de guerre
trouve une réponse satisfaisante chez Kant pour
qui, « On ne doit point contracter de dettes nationales, en
vue des conflits extérieurs de l'Etat» (Article 4),
même pas en vue des conflits internes. Cet article est une
demande que Kant formule à l'endroit des Etats et de leurs citoyens afin
qu'ils mettent davantage l'accent sur leurs propres capacités locales
pour assurer leur développement endogène au lieu de s'endetter,
d'une façon ou d'une autre, pour continuer de mettre en veilleuse leur
souveraineté, de mettre sous perfusion leurs économies locales.
Ce qui est frappant, c'est que les Etats s'endettent pour s'armer, pour
soumettre les autres Etats
dits « indépendants» et ainsi
s'ingérer, directement ou indirectement, dans leurs affaires
intérieures au grand refus de Kant qui souligne qu'
« aucun Etat ne doit s'ingérer de force dans la
constitution, ni dans le gouvernement d'un autre Etat...Ce serait là un
scandale donné qui rendrait incertaine l'autonomie de tous les Etats
». (Article 5).
De plus en plus, s'affirme le principe de
non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, puisque
chaque Etat est supposé indépendant. Chaque Etat ainsi
défini, a le droit de gérer ses propres affaires, de
résoudre lui-même ses difficultés quitte à ce qu'un
scandale survienne et qu'il nécessite l'aide extérieure; laquelle
aide doit être reconnue par la communauté internationale.
Cependant, il y a lieu de craindre la récupération politique du
droit d'ingérence humanitaire qui prend en charge les victimes des
conflits en leur octroyant des vivres, en leur donnant des soins
médicaux et en les logeant dans le but de réduire les souffrances
de ces populations. Pour éviter que l'homme, qui est la fin
suprême de toutes les autres fins, soit toujours victime des
stratèges honteux et infâmes, et pour limiter les souffrances et
les dégâts, le "Philosophe de la paix" nous propose une
sorte de « bonne conduite » à tenir :
« On ne doit pas se permettre, dans une guerre, des
hostilités qui seraient de nature à rendre impossible la
confiance réciproque, quand il sera question de la paix. Tel serait
l'usage qu'on ferait d'assassins ou d'empoisonneurs, la violation d'une
capitulation, l'encouragement secret à la rébellion,
etc ». (Article 6).
La condamnation frappe alors la guerre
punitive et la guerre d'extermination. Cette conduite fera que
quelque chose d'humain reste encore en l'homme pendant et après la
guerre.
En nous proposant cette conduite, Kant veut la
possibilité de la paix, le sens de l'humanisme et du respect mutuel des
droits humains jugés inaliénables. Contrairement,
« une guerre à outrance pouvant entraîner la
destruction des deux parties à la fois, avec anéantissement de
tout droit, ne peut permettre la conclusion de la paix éternelle que
dans le vaste cimetière de l'espèce humaine 93(*)».
Il faut qu'après tout, la paix soit possible
entre les citoyens ou entre les peuples comme le veut l'application du principe
de coopération : "vivre et laisser vivre ". Comme
nous pouvons le constater dans l'histoire des guerres, ce système a fait
école lors de la guerre des tranchées et il peut toujours
l'être valablement à travers les accords et les
"cessez-le-feu " à respecter. Il consiste pour les
soldats à faire preuve de retenu pendant qu'ailleurs les combats font
rage ; ils iront même jusqu'à minimiser l'état de
guerre "pour vivre et laisser vivre", alors même que la logique
militaire voudrait qu'un soldat tue à souhait.
D'abord, il y a la crainte des
représailles de l'ennemi qui font que la passivité, l'absence de
provocation, signifient refus de mettre le feu aux poudres. Ensuite,
l'élément éthique fait que les soldats
éprouvent un regret moral, une désolation, quand ils viennent
à violer des accords de paix. Enfin, il y a le rituel, cet
usage inoffensif d'armes consistant à tirer de façon maladroite,
et dont la portée est tellement précise que les obus ne peuvent
tomber, ni devant, ni derrière. C'est une méthode d'intimidation
et de rappel à l'ordre, au respect des clauses de la
coopération. « Ces rituels de tir routinier et
pour la forme envoyaient un double message. Pour le haut commandement, ils
étaient synonymes d'agressivité, pour l'ennemi, de paix. Les
hommes se contentaient de faire semblant d'appliquer une politique
d'agressivité 94(*)».
Comme on le voit, le soldat n'a pas perdu tout
son sens moral dans la caserne ; même si nous assistons, impuissant,
à la militarisation de la guerre ; il y a encore de fortes chances
que la guerre punitive ou d'extermination soit évitée par des
actions morales allant dans la droite ligne de la paix mondiale : le droit
international humanitaire intervenant également pour réglementer
l'activité humaine la plus inhumaine en disant comment il faut
désormais tuer, blesser, capturer et séquestrer.
Enfin, une autre condition
négative de la paix que nous ne retrouvons également nulle part
chez Kant, c'est le refus de la récupération politique du
secteur de la santé ou politisation de la santé. Certes,
dans la prévention des conflits, une place de choix est accordée
à l'adoption des clauses, à l'application des accords et
traités de paix internationaux ainsi qu'à la promotion des droits
humains. Cependant, nous ne devons pas oublier le secteur de la santé,
car « investir dans la santé revient aussi à
contribuer à la prévention des conflits violents. Accorder de
l'importance aux services sociaux peut aider à maintenir la
cohésion sociale et la stabilité 95(*)».
Ce qui revient à dire que le personnel de
la santé peut attirer l'attention du public sur les risques de conflits
violents pouvant être dus aux inégalités en matière
de santé et d'accès aux soins de santé primaire. C'est
pourquoi, des mesures coercitives doivent être prises par tous les
ministères et organisations de la santé afin de minimiser le
fossé entre les groupes sociaux en ce qui concerne la santé des
populations. C'est dans ce souci qu'en 1984 l'Organisation Panaméricaine
de la Santé (OPS) a lancé l'initiative
stratégique « La santé : un pont vers
la paix, la solidarité et la compréhension». Il s'agit
là d'une stratégie qui a permis de négocier des jours
de tranquillité malgré les violences politiques au
Salvador. Elle a permis également la suspension des combats de 1985
à la fin du conflit en 1992 en favorisant la vaccination des enfants
contre la rougeole, le tétanos et la poliomyélite. Aussi, des
réseaux régionaux et infrarégionaux d'information sur la
santé ont été installés. Ce qui a
créé un dialogue régional et a marqué les
lendemains du conflit d'accords de paix très concluants.
Les victimes des conflits, aussi bien les
autochtones et les étrangers, ont été
démobilisées, réadaptées et
réintégrées socialement. Grâce à ce programme
de nombreux personnels de la santé du monde entier sont mobilisés
pour qu'ils contribuent efficacement à la paix, au retour à la
stabilité, à la reconstruction, à la fin des combats et
à la réconciliation, partout où des communautés se
sont déchirées. C'est ainsi que des recommandations ont
été faites par le personnel de la santé à l'endroit
de la communauté internationale, au nombre desquelles s'inscrit
l'adoption de mesures limitant la production et l'utilisation des mines
anti-personnelles, la production et la disponibilité des armes
biologiques, chimiques et nucléaires, sans oublier l'information et la
compréhension des conflits.
Les objectifs visés à travers cette
initiative stratégique sont de l'ordre trois : d'abord, permettre
plus d'efficacité dans les opérations de maintien de la paix,
puisque l'incertitude plane toujours sur les mandats d'intervention ;
ensuite, parvenir à de bons protocoles de liaison entre les forces
d'intervention et augmenter les ressources allouées pour la cause ;
enfin, rendre beaucoup plus responsables et impartiales les personnes
mandatées dans les opérations de maintien de la paix, dans sa
consolidation, bref, dans la prévention des conflits.
En somme, toutes ces conditions négatives
de la paix définissent les dispositions à prendre, les conduites
à tenir, ou les comportements à adopter, pour éviter les
conflits ou pour y mettre fin. Ce qui ne veut pourtant pas dire que la paix
signifie l'absence totale de guerres, ou que l'absence de guerres
équivaut à la paix. La paix se maintient, ne se construit,
qu'à partir de la détermination des conditions positives de la
paix.
2. Les
conditions positives de la paix.
La progression lente, mais certaine, de
l'humanité de l'état de nature vers la législation civile
témoigne du souci des hommes de se garantir réciproquement leur
sûreté, d'assurer leur sécurité dans le respect
strict des normes ou lois communes et positives. Ce souci de
sécurité est, selon Kant, réalisé dans
l'état de paix qui, « n'est que l'état du mien et
du tien garanti par des lois au milieu d'une masse d'hommes voisins les uns les
autres, donc réunis au sein d'une constitution 96(*)». Ainsi, les conditions
positives de la paix viennent répondre à la question :
comment construire un état de paix durable où sera garantie la
sécurité des citoyens? Ces conditions positives
s'appréhendent doublement au plan national par le républicanisme,
et au plan international par le fédéralisme d'Etats libres et le
cosmopolitisme qui constituent les articles définitifs de la paix chez
Kant .
En effet, la paix, entre des Etats ou à
l'intérieur d'un Etat, n'est pas forcement garantie par la cessation des
hostilités, mais nécessairement par la forme politique de la
constitution de l'Etat et son mode de gouvernement. C'est au clair,
soutenir l'idée que la constitution civile a pour but d'organiser la vie
communautaire des citoyens, c'est-à-dire de régir par des lois
justes les relations entre les particuliers de façon à les rendre
pacifiques. Tout part de l'exercice de la liberté et de la
contrainte : «C'est la détresse qui contraint l'homme,
d'ordinaire si épris d'une liberté sans entrave, à entrer
dans cet Etat de contrainte97(*)». La contrainte fait obstacle à ce qui
handicape la manifestation libre de la liberté. Tous les citoyens
doivent établir entre eux des relations de reconnaissance
réciproque, de respect mutuel, tout en s'accommodant de la contrainte
publique des lois. Kant nous rassure que « si un certain usage de la
liberté est lui-même obstacle à la liberté
exercée d'après des lois universelles, alors la contrainte qui va
à l'encontre de cet obstacle, en tant qu'obstacle, en tant qu'obstacle
à l'obstacle à la liberté, s'accorde avec la
liberté 98(*)». Aussi bien que les hommes se sentent
contraints de s'associer dans la société civile qui administre le
droit universellement, aussi bien les Etats se voient contraints par les
citoyens et les exigences du temps, de se donner une constitution civile. C'est
pourquoi, Kant recommande que la constitution civile de chaque Etat soit
républicaine. Les révolutions et certaines reformes
constitutionnelles ne nous ont toujours pas permis d'atteindre la constitution
républicaine. Nombreuses sont celles qui ont échouées;
mais le problème de la constitution devra être toujours poursuivi
jusqu'à atteindre la constitution républicaine.
Son importance, son intérêt pour
l'humanité, et son influence dans la vie commune, font que le
problème de la constitution doit être
reposé, « remis en mémoire aux peuples
à l'occasion de circonstances favorables et rappelé lors de la
reprise de nouvelles tentatives de ce genre. (...)99(*) ». Les principes
républicains sont compatibles avec la liberté des citoyens qui
restent soumis aux lois qu'ils respectent en tant que sujets ayant le droit
à l'égalité. Toutes choses qui nous indiquent que la
constitution républicaine marque l'élan vif qui consolide notre
espérance à la paix mondiale. Selon Kant, la paix n'est possible
juridiquement que dans la république qui est, non le gouvernement des
hommes, mais celui de la loi. La constitution qui résulte de
l'idée du contrat social, sur lequel doit se fonder toute bonne
législation d'un peuple est la constitution républicaine ;
c'elle qui ne dépend d'aucune liberté particulière.
Après avoir pris connaissance de la
constitution républicaine et ayant su ce qu'elle attend de nous,
à présent, interrogeons-nous sur la résolution du
problème, vu les manipulations et les erreurs de fonctionnement dont
toute constitution tendant à être républicaine est victime
au départ dans son élan.
Selon Kant, le problème de la
constitution d'un Etat doit pouvoir être résolu
même pour un "peuple de démons". Toutefois, il leur faut
de l'entendement pour le faire à partir du moment où, ils
éprouveront le désir de se protéger avec des lois
générales des antagonismes qui naissent du conflit des
intérêts. C `est cet espoir kantien qui consolide notre
volonté de soutenir que la constitution démocratique, telle
qu'elle est sous nos yeux, sera républicaine pour plus d'égards
et de soins qu'on y met ; ce sera peut-être par des
révolutions plus ou moins violentes, par une réelle
séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif
, ou bien par un système fiable de représentativité
susceptible de reformes fructueuses. À défaut de pouvoir
réaliser le républicanisme, il y aura assez de chances pour
qu'elle se rapproche sûrement de celui-ci, aussi longtemps que cet
événement durera. Le républicanisme est, par
conséquent, la condition de réalisation du droit qui,
lui-même, doit se fonder sur le principe de fédération des
Etats libres.
Le second article définitif de la paix
perpétuelle chez Kant prône le fédéralisme
d'Etats libres comme condition transcendantale de la paix
mondiale : « Il faut que le droit public soit
fondé sur une fédération d'Etats libres ».
Cette fédération, loin d'être à l'origine du malheur
général de l'humanité, doit être fondée sur
une appréciation juridique des intérêts de chaque Etat
libre, allant dans la droite ligne du Bien commun, de la paix mondiale. La
coexistence des Etats, tout comme la coexistence des individus, doit être
dirigée par les règles du droit international qui est le signe de
la compatibilité des libertés publiques. À cet
égard, le but recherché est que la fédération des
Etats permette une véritable manifestation des droits des citoyens ou
des Etats, qu'elle règle de façon juridique les relations
internationales en dotant chaque Etat d'une constitution républicaine.
La fédération est perçue dans le sens de l'union
qui devient le moyen par excellence pour maintenir les membres de la
communauté politique nationale en état de paix avec les
autres nations . Kant « suppose toutefois que la
fédération des peuples n'aura pour objet que le maintien de la
paix et non des conquêtes 100(*)».
Les Etats qui ont encore une constitution
défectueuse, dont les citoyens n'ont pas toujours un certain
égard aux lois, constituent d'une manière ou d'une autre, une
forme de lésion par leur seul voisinage. Pour ces Etats, et
selon les dires d'un Prince gaulois, la guerre est la prérogative que la
nature leur aurait accordée, en tant qu'ils sont forts, pour se faire
respecter par les faibles. Le fédéralisme vient à point
nommé bannir le droit de guerre qui est un droit pédantesque que
le voisinage ne saurait accepter.
En plaçant sa confiance dans le
fédéralisme, Kant veut faire savoir aux Etats et à leurs
leaders respectifs qu'étant donné l'inévitable rapport de
voisinage, ils doivent avec les autres, sortir de cet état de non droit
pour entrer dans un état juridique, c'est-à-dire un état
de justice distributive en observant effectivement les principes du
droit universel qui veut que chaque Etat, comme chaque citoyen, agisse pour
faire coexister son libre arbitre avec la liberté des autres. La paix
mondiale ne se fondera guère sur des aspirations sentimentales
personnelles ou anthropologiques, mais sur la loi de la Raison Universelle
valable pour tous.
Dès l'instant où, nous dit Kant, des
citoyens voudront constituer ensemble un Etat fédéral, ils
banniront la violence entre eux ; ils refuseront de se nuire. Ce
même peuple refusera que la guerre puisse exister entre lui et d'autres
peuples («es soll kein krieg sein »). En d'autres
mots, disons que la fédération est, à l'horizon, la
condition sine qua non de toute la vie nationale et internationale. C'est ce
qu'a bien voulu faire ressortir la Reine d'Angleterre en ces
termes : « Une entière et parfaite union sera le
solide fondement d'une paix durable, elle garantirait votre religion, votre
liberté et votre propriété, elle éteindrait les
animosités entre vous, les jalousies et les différends entre les
deux royaumes, elle augmentera votre puissance, vos richesses et votre
commerce ; et par cette union l'île entière---sera en
état de résister à tous ses ennemis101(*)».
Cet éloge fait au fédéralisme
d'Etats libres nous indique qu'elle garantit la vie communautaire, qu'elle fait
la force, la paix . Selon Kant, la paix durable « ne saurait
s'effectuer ni être garantie sans un pacte entre les peuples ; il
faut qu'ils forment une alliance particulière qu'on pourrait appeler
alliance pacifique "fridensbund" (foedus pacificum) différente du
traité de paix "friedenvertrag" (pactum pacis)...Cette alliance ne
tendrait à aucune domination sur les Etats, mais uniquement au maintien
assuré de la liberté de chaque Etat particulier, qui participe
à cette association sans qu'ils aient besoin de s'assujettir, à
cet effet,... à la contrainte d'un pouvoir public102(*) ».
Ce troisième article définitif de la
paix, que Kant a lui-même nommé le "jus cosmopoliticum",
s'entend comme droit à la citoyenneté du
monde : das Weltburgerrecht. Pour lui, Le droit
cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une hospitalité
universelle. Kant n'est pas loin d'Epictète dont l'idée
de "citoyen du monde" ne cesse d'inspirer le monde.
En effet, le citoyen du monde peut et doit être d'un Etat, il doit
appartenir à une nation. Mais, au nom de son droit à
l'hospitalité, il doit pouvoir voyager, pouvoir entrer en relation
directe avec les hommes d'autres Etats sans être rejeté du fait de
la nationalité, de la couleur de la peau, de la race, de la culture et
de la religion. Il ne doit pas être traité comme un ennemi, un
« étranger » dans le pays d'accueil ;
mais il « doit se garder de toute contestation ouverte ou directe des
pouvoirs et des décisions, à l'intérieur de ces limites,
s'il ne veut pas être accusé d'ingérence ou impliqué
dans un processus qu'il ne pourra contrôler103(*) ».
On ne doit pas agir hostilement contre lui s'il
n'a pas offensé ; il doit pouvoir être pardonné. Car
le droit à l'hospitalité prône que nous nous supportions
les uns les autres, que nous arrêtions les actes de barbarie, de pillage
et de tuerie, contraires au droit de la nature. C'est sans doute le
rapprochement des peuples, de leurs Etats respectifs par la coopération,
les liens amicaux, qui doivent prévaloir comme condition d'acceptation
de l'autre, de ses différences. De cette manière,
« des régions éloignées les unes des autres
peuvent contracter des relations amicales sanctionnées enfin par des
lois publiques, et le genre humain se rapprocher insensiblement d'une
constitution cosmopolitique 104(*)».
L'esprit de pardon, de tolérance, de
reconnaissance de l'humanité en chaque homme est alors à
sauvegarder : ce qui suppose que la xénophobie, le racisme et
l'inhospitalité soient combattus. Car, la conscience
cosmopolitique, dernier degré de perfection
nécessaire au code tacite du droit civil et public, est
l'exigence de l'instauration, du maintien de la paix et du respect strict des
libertés publiques. Elle est une réaction face à la
violation des droits humains ; elle nous interpelle à ne pas rester
neutre, à ne pas nier le conflit, c'est-à-dire à prendre
le risque qu'il surgisse plus loin, plus tard et plus durement, sans chercher
à l'éteindre par des médiations, par la négociation
qui est l'un des moments clés de la construction positive de la paix.
Celle-ci est une condition de la paix vivante.
3. La
négociation de la paix.
Un monde de la faim, de la
pauvreté, des maladies et des guerres, voici l'image désolante de
notre siècle de haute compétition où, la quête du
consensus, le dialogue, la compréhension et la solidarité,
doivent être les maitres-mots.
En effet, le perfectionnement des moyens de destruction
massive fait du XXIè siècle, un siècle de
méfiance, d'intolérance et de complaisance vis-à-vis des
problèmes de violence. On assiste, de plus en plus, à des
oppositions conflictuelles dues aux besoins, aux intérêts, aux
idéaux politiques ou religieux et au nationalisme exagéré,
augmentant ainsi nos inquiétudes devant l'incertitude de l'avenir. La
responsabilité du citoyen est de mise sans se réduire à
une pratique quotidienne de la violence, ni à un repli sur soi qui
serait fatal. Mais, le citoyen doit rester à l'écoute de la voix
de la Raison en recherchant et en favorisant toute synergie qui crée,
qui créera et qui construira de nouveau le tissu social à travers
la promotion de la paix mondiale. Nous devons rechercher à instaurer le
consensus, tant bien que mal, dans les relations individuelles
qu'internationales.
Dans cette optique, la maîtrise de la violence
sous toutes ses formes passera nécessairement par
l'expérience de la guerre coûteuse et jamais profitante. Ce qui
est condamné, ici, c'est l'adoption d'une solution violente comme
réaction à la guerre qui traduit un désir de vengeance, de
guerre, ou qui ramène la guerre à la rivalité
mimétique des belligérants en maintenant le rapport à la
mort : « La paix n'est pas, ne peut pas être et
ne sera jamais l'absence de conflit, mais la maîtrise, la gestion et la
résolution des conflits par d'autres moyens que ceux de la violence
destructrice et meurtrière105(*) ».
La solution non-violente ou approche pacifique du
conflit est encouragée en ce sens qu'elle nous engage tous dans la
gestion et la résolution du conflit en vue de satisfaire tous les
protagonistes réunis autour de la table des négociations. Il
n'est pas question ici d'une démission face à l'état de
guerre qui consiste à ne pas affronter l'obstacle à la paix, mais
il s'agit de proposer des solutions fiables par la tenue des colloques. En
termes clairs, qu'est-ce que la négociation de la paix pour qu'elle
continue de jouer un rôle toujours actuel ? Quelles seraient les
différentes phases de la négociation d'un conflit ? Quels
sont les modes et les conditions d'une négociation de la paix ?
L'idée de négociation de la paix est
inscrite chez Kant dans ses OEuvres Philosophiques (1986,
362) où il est écrit que les citoyens et les Etats se
croient « obligés de travailler au noble ouvrage de la
paix, quoique sans aucune morale, et quelque peu que la guerre éclate,
de chercher à l'instant même à l'étouffer par des
médiations ».
La négociation de la paix est donc le moyen
infaillible de résolution des litiges, conflits ou divergences
entre les citoyens d'une même communauté, entre les Etats ou entre
des organisations nationales, régionales ou internationales. En
réalité, la négociation se manifeste dans la prise de
décisions, dans la signature des accords, dans la détermination
de la valeur des biens et des services. Les conférences de Yalta, de
Camp David, d'Oslo, sont des exemples parmi tant d'autres qui ont marqué
de leur sceau l'histoire de la négociation de la paix mondiale.
La négociation apparaît être
étroitement liée à l'exercice de la violence : elle
est une confrontation pacifique qui doit précéder
l'affrontement violent pour prévenir la guerre, soit elle intervient
pendant la guerre (négociation secrète) pour ralentir
les combats, soit à un moment moins violent du conflit pour
rétablir la paix et la stabilité, et ainsi renouer les liens
entre les belligérants. En fait, la négociation de la paix est la
recherche d'un compromis qui dépendrait de la nature du conflit, de
la disposition mentale et psychologique des protagonistes de la crise qui
peuvent accepter le compromis comme ils peuvent saboter les accords conclus. Vu
cette attitude d'insouciance des fossoyeurs de la paix vis-à-vis des
souffrances humaines, nous dirons avec Leibniz que la négociation est
une affaire de bonne volonté, de conscience et de
responsabilité, sinon « quelle paix
perpétuelle peut-on faire avec des gens qui autorisent publiquement des
maximes absolument contraires à toute la force des traités,
paroles et serments, lesquels étant reçus il n'y a plus de droit
des gens, ni de traité durable à faire ? Ce ne seront plus
que des mômeries et vains amusements des crédules. --La paix est
bonne en soi, j'en conviens ; mais à quoi sert-elle avec des
ennemis sans foi106(*) ? »
Pour l'auteur de la Monadologie, aussi bien
que pour Kant, il n'y a que la bonne volonté, la foi, qui
manquent aux hommes pour négocier ensemble et faire la paix,
c'est-à-dire pour se délivrer d'une infinité de maux
telle la guerre. La bonne volonté, « celle de faire
ce qu'on doit, et simplement parce qu'on le doit. Il ne s'agit pas seulement,
comme un commerçant loyal qui l'est par souci de son
intérêt, d'agir comme le devoir le demande, mais pour quelque
autre motif. La droiture de faire son devoir par devoir 107(*)».
La négociation de la paix nécessite une
bonne disposition mentale; elle ne doit pas faire l'objet de manipulation, de
clientélisme ou de marchandage parce que ces maux corrompent,
pervertissent et souillent les bonnes âmes qui veulent la paix. Telle
qu'elle, la négociation de la paix est d'actualité. Elle est un
outil jamais usé malgré ses échecs par endroits.
Négocier devient d'autant plus utile que les relations citoyennes et
internationales gagnent en intensité. Plus ils éprouveront
le désir de vivre ensemble, plus le désir de négocier
justifiera leur condamnation à vivre ensemble dans la paix. Et, plus la
négociation de la paix sera le lieu par excellence de la confrontation
des idées, de la discussion à l'amiable et de l'exposition des
intérêts, plus cela nécessitera de la concentration dans
la recherche d'un palliatif à la violence
meurtrière : « Coopérer, s'entendre,
construire quelque chose ensemble, surmonter les différences, en bref,
trouver un arrangement acceptable pour préserver et développer sa
propre liberté, son moi, son identité, face à l'autre, aux
autres, ou aux règles, aux objectifs, aux évolutions du monde et
de ses structures108(*) », c'est négocier à
l'intérieur et à l'extérieur d'un Etat, puisque c'est le
seul moyen de vivre ensemble. Or, vivre ensemble ne signifie pas
éliminer totalement les guerres, mais pouvoir étendre partout la
paix comme absolue, c'est-à-dire opter pour une vision optimiste et
objectiviste de la réalité humaine en choisissant de cohabiter
pacifiquement.
En revanche, même s'il est reconnu et
accepté par certains que la guerre est aussi naturelle que la pluie,
qu'on n'arrive pas toujours à l'éviter et à la
prévenir, néanmoins la seule alternative qu'on puisse avoir elle,
c'est de mettre davantage l'accent sur l'ultime arbitrage des guerres et, sur
le contrôle de la guerre pour pouvoir la contenir.
Dès l'abord, disons que la prévention
d'un conflit est aussi la satisfaction des besoins des citoyens par un partage
équitable des ressources ou des biens vitaux afin d'éviter les
frustrations de part et d'autre. Sur ce point, Hobbes écrit dans le
Léviathan (1971, chap.8) que « la nature a fait
les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de l'esprit
que, bien qu'on puisse parfois trouver un homme manifestement plus fort,
corporellement ou d'un esprit plus prompt qu'un autre, néanmoins, tout
bien considéré, la différence d'un homme à un autre
n'est pas si considérable qu'un homme puisse de ce chef réclamer
pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre
aussi bien que lui ».
La monopolisation des revenus de l'Etat, souvent
constatée dans certaines contrées, par une fraction de la
population, une ethnie souvent minoritaire, ou du moins par un dictateur,
une famille ou un clan, provoque nécessairement la frustration sociale
et le mécontentement des démunis qui se révoltent contre
les seuls bénéficiaires des biens et devises de la nation au
détriment des travailleurs. Cette attitude gabegique, de vol des deniers
publics est entretenue et soutenue par des élites politiques avides de
gain facile ; ils spolient le peuple, vivent de luxe pendant que celui-ci
meurt de faim, de la maladie et croupit dans la misère issue des
tensions dont ces "gorilles démocratiques" sont eux-mêmes
responsables. Les tensions ethniques issues de ces injustices sociales et
économiques marquent la dérive actuelle de nos jeunes Etats
démocratiques.
En plus, la satisfaction des besoins vitaux
des citoyens est une fonction assignée aux dirigeants qu'on pourrait
nommer "pourvoyeurs", en ce sens qu'ils ne donnent pas seulement la
possibilité de bénéficier des ressources de la nation,
mais savent créer de l'emploi pour les populations. Tant que les
ressources s'épuiseront, il est de leur ressort de les recréer
par leur travail quotidien qui assurera non pas la nourriture d'une
journée, mais celle de la vie. Le pourvoyeur est donc l'Etat qui veille
à la protection des personnes et des biens et à la
sécurité collective. Tout cela participe à la
consolidation ou à la solidification du tissu social à travers
l'intégration sociale ou l'insertion sociale. La persistance des
injustices socio-économiques participe à la vivification du
sentiment nationaliste exagéré et à la haine contre son
prochain; ils contribuent à leur tour à la ruine du tissu social
et politique dûment établi.
Pour prévenir la déconstruction du
tissu social, un accent singulier a besoin d'être mis sur le respect de
la personne humaine en tant que valeur morale : nous devons respecter
l'identité culturelle, individuelle et collective de chaque homme. C'est
le moment de rechercher l'unité, l'intégration des peuples comme
le dit William Ury : « À nos yeux, la
diversité doit contribuer à l'intégration au sein de la
collectivité et permettre à chacun de se sentir membre à
part entière de la communauté, évalué à sa
juste valeur109(*)». Selon l'auteur, la dignité
humaine est antérieure à l'appartenance à une Nation ou
à une communauté ethnique donnée. L'idée, une
inspiration kantienne, suggère qu'il faut voir en l'homme non pas
seulement une personne, mais aussi toute l'image de l'humanité qui se
cache derrière un visage, même inconnu.
L'avenir des Etats, c'est l'avenir de leur
politique en matière d'intégration des personnes,
rapatriées, chassées de chez elles ou d'ailleurs. Ce qui suppose
sur une politique humanitaire et non pas sur des tracasseries
policières. Pour ce faire, les citoyens doivent apprendre à
réinventer les moyens de leur adaptation, ou de leur appropriation des
questions éthiques et morales, en ayant une prise directe et constante
sur les institutions. Il s'agit pour eux de cultiver la solidarité et la
fraternité, de rétablir le consensus, afin de consolider le tissu
social en ouvrant, bien sûr, un champ nouveau sur la politique locale,
celle qui développera la citoyenneté. Nous osons penser que la
démocratisation réelle est l'unique voie à emprunter pour
solidifier les rapports sociaux, voire les relations internationales
car, « l'exercice concret de la démocratie dans un
lieu donné est le seul acte créateur possible d'un lien social.
C'est celui qui cimente le groupe, quelle que soit l'origine de chacun
110(*)».
On assiste de plus en plus à une grande
adhésion de la communauté mondiale au dessein d'assurer au
mieux la sécurité des peuples qui est intrinsèquement
liée à la justice sociale et au développement
socio-politique des Etats en vue de la paix. Cette sécurité ne
s'assure pas par la fourniture d'armes, pas forcement par le déploiement
des forces d'intervention qui pourrait se révéler
précaire, mais par la consolidation des relations internationales autour
de la paix ; puis par la consolidation des liens sociaux. Sans oublier la
révision de la constitution des régimes d'exception. Mieux, pour
fortifier ces relations, pour éviter la désintégration du
tissu social, l'instabilité due à la guerre, il faut que nous
assumions notre responsabilité vis-à-vis des obstacles
socio-politiques et économiques à la paix mondiale. Il faut
partager équitablement les biens et revenus de l'Etat, créer des
emplois, assurer le développement, réussir le processus de
démocratisation, et enfin faire la lumière autour des injustices
sociales. Toutefois, si l'on n'a pas pu éviter la
désintégration de la sphère sociale malgré les
efforts consentis pour produire l'effet nécessaire, alors ce qui reste
à faire, c'est de "jeter les passerelles",
c'est-à-dire essayer de nouveau de rétablir l'ordre, de
créer de nouvelles relations par-dessus la guerre en encourageant le
dialogue social comme le veut la tradition africaine:« Les
paroles valent mieux que la guerre ».
En résumé, il est clair que le
dialogue est un moyen d'échange, de communication qui joue un rôle
prépondérant dans la négociation de la paix comme moyen de
quête du compromis. Par le dialogue on arrive à bout de certains
malentendus qui pourraient prendre une option sérieuse si rien n'est
fait de ce genre: les divergences peuvent devenir difficiles à
résoudre. Mais, au cas où ils le deviennent, et que les
hostilités atteignent une ampleur jamais souhaitée, le
désarmement doit toujours s'imposer comme facteur de détente et
de pacification temporaire des relations entre les Etats qui entrent en
conflit, ou entre forces loyalistes et forces rebelles, par exemple.
Le désarmement est une politique de
dépôt des armes, de réduction ou de limitation des
armements. Il est devenu, depuis la signature en 1945 à San Francisco de
la Charte des Nations Unies en ses articles 11 et 26, une affaire de la
diplomatie internationale, un moyen de renforcement de la paix mondiale et de
la sécurité internationale de ses Etats membres. Cependant, une
restriction est à faire au sujet du
désarmement : « le désarmement
négocié ne s'apparente pas au désarmement imposé
par le vainqueur comme sanction d'une défaite militaire, ni à la
renonciation unilatérale à toute défense armée,
prônée par certains pacifistes. Il s'inscrit dans la perspective
d'une organisation régionale ou mondiale de la sécurité et
doit être jugé en fonction de sa contribution au maintien de la
paix et de la sécurité internationales111(*) ».
Ce qui revient à dire qu'aucune
tierce personne, qu'aucun Etat ne peut décider du désarmement si
ce n'est avec l'aval de l'Organisation des Nations Unies. À cet effet,
le désarmement est un outil de résolution pacifique des conflits
armés. Cette gestion constructive obéit à une approche
sans doute non-violente mettant en jeu certains mécanismes de
régulation dans le dessein de désamorcer le conflit quelle que
soit sa gravité ; c'est-à-dire de substituer à la
violence une issue positive qui apparaît être en mesure d'apaiser
les coeurs meurtris. Dit autrement, gérer un conflit, c'est lui apporter
des esquisses de réponses en adoptant un comportement, une attitude
conséquente vis-à-vis de l'allure que prendraient les
hostilités. Cette gestion intervient dans le souci de maintenir la
relation humaine, de renforcer et de préserver les relations entre les
nations du point de vue de l'éthique et de la morale. Car, rester
indifférent au déferlement néfaste de la guerre, c'est
prendre aujourd'hui le risque majeur de vouloir, tôt ou tard, la
disparition totale de l'espèce humaine. La seule alternative valable est
de réagir à temps.
Comme l'a si bien dit Kant (1985,
207), « tous les sentiments, spécialement ceux qui
doivent déclencher un effet inaccoutumé, doivent produire leur
effet au moment où ils sont dans leur ardeur et avant qu'ils ne se
refroidissent, sinon, ils ne font rien. Car le coeur revient naturellement
à son mouvement naturel et modéré, et finit par retomber
dans la largeur qui lui était propre auparavant ; en effet on lui a
apporté de quoi l'exciter, mais rien pour le fortifier ».
Symboliquement parlant, on n'a vite raison d'un incendie qu'à ces
débuts, sans doute à le laisser avancer et des fleuves entiers ne
pourront l'éteindre: l'oiseau de Minerve pacifique doit toujours prendre
son envol rien qu'à l'aube de la guerre.
Devant l'urgence de notre action, nous devons savoir
gérer le conflit, c'est-à-dire, faire de telle sorte que la
poursuite des objectifs par les belligérants ne puisse pas remettre
constamment en cause la relation sociale d'homme à homme et celle
internationale d'Etat à Etat. La gestion d'un conflit n'étant
jamais mécanique, elle est devient le résultat de l'effort que
fournissent des personnes ressources et qui dépend de leurs
comportements, de leurs sentiments désintéressés ou
d'impartialité, et de leur perception de l'état de guerre.
L'issue de la guerre n'est seulement pas liée à la psychologie et
à la conscience des acteurs de la paix; elle est liée aussi
à la connaissance des hommes, des réalités
socio-politiques des Etats qui s'affrontent, de la nature de leurs
intérêts, de leurs besoins et de leurs valeurs.
Il serait vain de penser une gestion constructive
de conflit qui n'est pas conditionnée par des qualités requises.
En ce sens que la paix ne s'improvise pas mais se construit.
Les conditions à réunir pour
réussir une gestion politique des conflits sont : la motivation, la
patience et la créativité. La motivation pour un acteur de la
paix concerne l'énergie qu'il se donne comme leitmotiv pour pouvoir
mettre la violence hors-jeu, c'est-à-dire hors d'état de nuire.
Il s'agit de contenir le conflit. La motivation se fonde sur la confiance en
soi, la bonne volonté qui donne foi dans la voie de la paix. La patience
est une qualité que doit avoir toute personne qui lutte pour la paix.
Quant à la créativité, elle consiste à savoir
dénouer de façon constructive un conflit en favorisant du coup la
possibilité d'une nouvelle vie communautaire.
Elle est l'oeuvre des personnes ressources,
neutres et impartiales nommées " Tierce personne "
composée de gens, d'hommes politiques, d'autorités religieuses ou
coutumières, qui ont une renommée, une personnalité
influente sur les parties en conflit, parce qu'ils les connaissent mieux. Ces
caractères leur permettent de réussir la médiation.
Certes, aucun texte de Kant ne nous indique qu'il a été une fois
médiateur d'un conflit, négociateur de la paix ou ambassadeur de
la paix quelque part dans le monde ; cependant, notons que l'esprit
pacifique kantien a dirigé le monde de la paix ; et il n'aurait pas
démérité en essayant de la médiation une fois en
passant, puisqu'il sert de référence à des organisations
et à des personnes qui ont inscrit la promotion de la paix dans leur
agenda.
Chapitre II: L'intérêt du pacifisme kantien
à l'aube du XXIès.
Aujourd'hui, le monde entier est convaincu de la valeur
estimée de l'oeuvre kantien de paix perpétuelle eu égard
à l'ampleur que prennent les crises internes, les guerres, qui appellent
à la désunion des peuples à l'échelle mondiale. En
effet, l'idée kantienne de "force unie" est une invite,
après la promotion de la valeur humane et des principes du droit
naturel, après la reconnaissance de la souveraineté des Etats, de
leur indépendance à s'auto-gerer, à la création
d'une institution internationale qui réunira tous les Etats du monde
dans, le respect strict du droit des peuples et des citoyens.
Il y a lieu de rappeler que Kant est le père fondateur
de la SDN dont le prolongement aboutit à la création de l'ONU. Ce
qui ressort chez Otfried HÖffe en ces
termes: « À l'issue de la Première Guerre
Mondiale, l'idée (de paix) de Kant a parrainé la fondation de la
Société des Nations ; à l'issue de la Seconde, celle
des Nations Unies112(*) ». Cela est déjà l'un des
apports actuels du kantisme qui se fructifie toujours et encore en ce
XXIè siècle. Tout cela se justifie quand, en Janvier
1992, le nouvel "ordre international", composé de Chefs
d'Etats et de gouvernements, se réunit sur invitation du Conseil de
Sécurité pour rédiger "l'Agenda pour la paix."
Cet agenda se propose alors de synthétiser les différents
bouleversements et tendances des temps, afin de frayer les voies de la
pacification des sociétés, des relations entre les Etats. Il est
inscrit dans l'agenda les notions de la diplomatie préventive des
conflits, de la consolidation de la paix, du maintien de la paix et de son
rétablissement à l'échelle nationale et internationale.
Ainsi, la Charte de l'ONU, en ses articles constitutifs, entend
préserver les générations présentes et futures du
fléau de la guerre qui inflige incessamment à l'humanité
d'indécisibles peines et souffrances. Ce qui suscite de notre part des
questions quant aux moyens que l'ONU se donne, aux moyens qu'elle
possède déjà, aux voies qu'elles suit et aux perspectives
qu'elle s'offre à l'avenir, pour atteindre ses fins.
En quoi consistent véritablement la place et le
rôle de l'ONU dans la médiation de l'universel dans les relations
internationales à la lumière de Kant ? Arrive-t-elle
vraiment à assumer, sans entraves, la responsabilité qu'elle
s'est assignée depuis sa création ? Peut-elle encore
bénéficier de la crédibilité des citoyens du monde
entier ?
1.
L'ONU ou la médiation kantienne de l'universel.
Dans son Manuel, R. Foignet insiste sur le
problème de la guerre qu'il considère comme étant un
ensemble d'actions de violence qu'un Etat exerce à l'encontre d'un autre
Etat dans le but de le forcer à se rallier à sa volonté.
Plus loin, il lance un appel aux Nations Unies à se surpasser, à
prendre des mesures collectives, efficaces allant dans le sens des
prescriptions de "l'Agenda de la paix" ;
c'est-à-dire prévenir et écarter les menaces faites
à la paix, réprimer l'agression et la rupture de la paix par des
moyens pacifiques. L'ONU est alors appelée à jouer un rôle
capital au sein de relations encore entachées de conflits de toutes
sortes. Les missions d'observation et d'enquête, la médiation
diplomatique (la négociation) et l'envoi des casques bleus, l'embargo
économique et les sanctions politiques, sont autant de moyens et de
méthodes qu'elle se donne pour atteindre ses fins.
En effet, vu la multiplicité des buts à
atteindre, l'ONU, à la lumière de Kant, croit avoir mis
« en place un droit public des peuples permettant de trancher les
différends de manière civile, pour ainsi dire par un
procès, et non pas de manière barbare (...), c'est-à-dire
par la guerre113(*)». C'est ce que nous avons appelé la
"médiation de l'universel" dans les relations
interétatiques ; chaque Etat comme chaque citoyen étant
invité à agir publiquement et ensemble suivant le droit ou la
législation universelle. Les regroupements des Etats en Union
régionale, en Union Européenne ou en Union Africaine, traduisent
l'inclination des Etats à minimiser leurs dissemblances, leurs
différends pour avancer ensemble dans la paix.
Qui parle alors de médiation de l'universel, parle du
commandement de la raison pratique commandant aussi bien au sujet moral qu'aux
Etats. En fait, chez le sujet moral kantien, la raison pratique veut que
l'action individuelle puisse toujours valoir comme principe d'une
législation universelle. Elle ne doit pas être une action
imposante ou imposée, mais une action qui appelle à
l'adhésion, puisque les clauses sont claires et raisonnables. Kant est
parti des exigences morales formulées à propos du sujet moral
pour vouloir les adapter aux Etats comme mécanismes de résolution
de leurs conflits : « il s'agit à ce niveau de
déduire de l'universalité comme condition de la moralité
et de la moralité universelle comme condition de la paix
perpétuelle et mondiale114(*)», fait ressortir Sahirou Tchida Moussa. Ce qui
signifie que l'Etat, à l'image du citoyen, doit s'interroger sur la
portée universellement morale de ses actions et principes de
fonctionnement pour atteindre le règne des fins eu égard à
la moralité de nos actions dans son rapport avec la législation.
La morale et la politique trouvent, ici, nécessairement un champ de
réconciliation
Ainsi donc, le Philosophe trahirait sa vocation s'il se garde
de rappeler l'exigence de la moralité dans la vie citoyenne durant
laquelle les gouvernés et les gouvernants ont besoin d'un minimum de
sens moral, de sens opératoire des vertus sociales. Un pragmatisme qui
est une sorte de supplément absolument indispensable aux forces de
cohésion sociale que représentent le désir de la paix et
la crainte de la mort dans la guerre. Le désir de la paix, la peur de la
mort, voilà qui justifient le besoin de la moralité comme chemin
qui mène vers la réalisation pratique de la médiation de
l'universel dans les rapports interétatiques. Pour y parvenir, Kant nous
trace un "chemin directeur" consistant à commencer par le
principe formel qui nécessite absolument la paix en sa
qualité de principe du droit universel, pour finir par le principe
matériel qui concerne le but à atteindre. De la
nécessité, on en arrive au but, de l'espoir de la paix, on
aboutit à la paix ; « c'est là qu'on
dit : chercher premièrement le règne de la pure raison
pratique et sa justice ; et votre but vous sera donné
par-dessus115(*) ».
Soulignons qu'ici, l'impératif catégorique ne
s'oppose pas forcement à celui hypothétique ou
pragmatique au sujet de la paix, car pour réaliser impérativement
le projet de paix mondiale, cela nécessite de notre part des moyens
à la fois théoriques et pratiques: nous devons d'abord savoir ce
que nous y gagnerons et à quels frais, pour pouvoir nous engager
véritablement dans le combat qui ne sera plus aveugle comme par pur
idéalisme kantien. Il ne sera plus uniquement question d'une paix
pour la paix, mais de la paix pour atteindre des objectifs, pour
réaliser quelque chose de supérieur: l'homme et le monde, l'Etat
et la société.
En outre, il s'avère indiscutable que la
médiation de l'universel au niveau des Etats ne se fera pas typiquement
par des décisions politiques qui, à elles seules, ne peuvent pas
résoudre le problème de la sécurité des citoyens,
de la stabilité ou de la sûreté des Etats. Il faut que cela
se fasse intérieurement avec l'assentiment du peuple, et
extérieurement avec l'accord de toute la communauté
internationale. Comme le souligne le Pr Mahamadé Savadogo,
« une décision politique est juste quand elle recueille
l'assentiment de la majorité des citoyens. Pour être telle, il
conviendrait non seulement qu'elle soit prise en concertation avec
eux-mêmes mais surtout qu'elle s'interdisse de privilégier telle
catégorie de citoyens par rapport à telle autre, qu'elle
évite, en d'autres termes, de susciter une division du corps
politique116(*) ».
Ce qui signifie que la décision politique, surtout
celle qui concerne la paix, ne doit en aucun cas léser une partie au
profit d'une autre. Elle ne doit venir des forts pour s'imposer, bon gré
mal gré, aux faibles. Elle doit être une décision
socio-politique unanime, acceptable par la majorité. Mais, que dire donc
d'une décision politique venant de l'ONU comme solution à une
difficulté quelconque ? Quel est à cet effet le bilan actuel
des actions menées par l'Organisation à l'échelle
internationale en matière de promotion de la paix? L'ONU n'est-elle
pas en perte de vitesse ? Serait-elle de ce fait appelée à
disparaître ?
En vérité, l'ONU reste incontestablement
aujourd'hui la preuve d'une organisation qui lutte pour la paix, le respect et
le rétablissement des droits humains. Son agenda est un combat pour la
paix et la stabilité politique. Elle mérite cet éloge
quand on sait qu'elle arrive souvent, malgré un esprit partisan,
à établir une paix dite "d'hégémonie" au
sortir d'une guerre qui aurait opposé un Etat faible à un Etat
gendarme du monde, qui possède le droit de veto :
« Les institutions internationales sont littéralement
contrôlées par les grands Etats, qui décident même de
leurs règles de fonctionnement. L'ambition des Etats s'installe ainsi
comme le principal obstacle à la réconciliation de
l'humanité avec elle-même, à l'abolition des divergences
qui opposent les hommes entre eux », fait remarquer
Mahamadé Savadogo (2001,155). En s'octroyant inégalement des
droits et devoirs au détriment des Etats faibles, les grands Etats
maintiennent ainsi le rapport de force, de domination ou d'annexion entre eux
et les autres.
L'ONU serait devenue aussi le lieu
d'entrechoquement des droits de veto, le lieu où se prononcent des
discours fleuves, des discours propagandistes, au sujet du désarmement
et de l'armement. C'est le lieu de dénoncer la mauvaise politique
"onusienne" instrumentalisée et sommant les faibles à se
soumettre aux décisions des forts: le droit international ainsi que le
système des Nations Unies sont largement instrumentalisés par les
Etats-Unis. Ils seraient en léthargie, supplantés par d'autres
modes de régulation des conflits non juridiques. Toutes choses qui nous
indiquent que la légitimité de la soi disante
"Communauté pacifique internationale où il fait bon
vivre" est remise en question puisqu'elle est devenue le lieu où
« l'imperium l'emporte sur le négocium, et la gabegie des
procédures fait le reste. Faut-il y voir le "fameux machin" de De
Gaulle, la bonne conscience du monde ou le tapis des bras de fer entre les
grands ? Toujours est-il que l'ONU symbolise bien les vicissitudes et les
limites de la négociation : les protagonistes font de la
négociation ce qu'ils veulent en y projetant toutes les incantations
perverses de leur conception du pouvoir 117(*) ».
De son côté, le Journaliste burkinabé,
Newton Ahmed Barry, faisant le bilan de l'an 2000, accorde une place de choix
aux critiques de l'ONU en ces mots : « L'ONU, que l'on
avait cru un instant rétablie dans ses droits, termine l'année de
la plus lamentable des façons. Son dynamique Secrétaire
Général, méritoirement distingué Nobel de la paix,
a eu un haut le coeur en recevant son prix, puisqu'au même moment, les
bombes américaines pleuvaient sur l'Afghanistan et Ariel Sharon, l'homme
de Shabbra et Chatila, amplifiait son show-criminel sur les enfants
palestiniens118(*) ». Par contre, ce paradoxe, cette
ambiguïté, cette impuissance des acteurs de la paix de l'ONU
vis-à-vis des seigneurs de guerre signifient-t-ils que l'ONU est
inutile ?
" Un tiers vaut mieux que deux tu l'auras", dit-on
souvent pour s'encourager dans les choix. Il est clair que les Nations Unies
n'arrivent pas toujours à atteindre leurs buts, que certaines
décisions ou résolutions du Conseil de Sécurité
sont de même restées lettres mortes, mais il serait impensable de
vouloir la disparition totale de l'organisation. Car « la Charte
des Nations Unies, avec toutes ses faiblesses et ses lacunes, a donné
naissance à une organisation sans laquelle nous pourrions difficilement
vivre dans un univers comme le nôtre119(*) ».
En d'autres termes, l'ONU demeure aujourd'hui plus importante
et plus visible en raison de la diversité et de la multiplicité
de ses actions et missions en faveur de la paix. L'ONU aura permis, dans
certaines conditions, de sauver l'humanité de l'anéantissement
atomique. Les critiques dont elle est victime n'indiquent que le fait qu'il
fallait, qu'il faut encore, reformer l'institution internationale afin qu'elle
soit plus représentative, plus efficace, plus puissante, plus
démocratique, voire mieux adaptée aux problèmes du temps.
Si l'organisation n'avait pas existé, il aurait fallu
nécessairement la créer en dépit du fait qu'elle soit
encore imparfaite.
Enfin, l'ONU a de beaux jours devant elle si toutefois elle
s'implique réellement, également, à travers des reformes,
dans la promotion des valeurs économiques, sociales et culturelles
mondiales dont le respect et la consolidation constituent de réels
facteurs de paix ou d'épanouissement des peuples.
2.Vers
la promotion des valeurs économiques, sociales et
culturelles mondiales.
De nos jours, il n'est pas illégitime et vain pour un
philosophe de s'intéresser au renforcement de la réconciliation
de l'économie, du commerce en général, et de la culture,
comme déterminants dans le développement pacifique des peuples.
En effet, nul n'ignore aujourd'hui la rivalité
économique, la concurrence de plus en plus déloyale qui existe
entre les super-puissances économiques et qui ne manque
d'inquiéter le monde. Vu la dégradation progressive des termes de
l'échange du Nord au Sud, une pacification des rapports
économiques tendus entre les gladiateurs de l'économie mondiale
s'avère nécessaire. La même idée ressort chez
Lénine qui stipule que « la coexistence pacifique, ce
n'est pas seulement l'absence de l'état de guerre entre Etats aux
systèmes économiques et sociaux différents ; c'est
aussi la constance de solides relations économiques et culturelles entre
ces Etats120(*) ».
L'idée d'établir entre les Etats des relations
économiques, des contacts commerciaux et culturels pacifiques, sera
même inscrite dans la constitution soviétique adoptée en
Octobre 1977. Sans cela, tout système révolutionnaire de
création de la richesse provoquera du coup des conflits interpersonnels,
politiques, voire internationaux ; comme tout changement dans le monde de
la production de la richesse se heurterait immédiatement à
l'ensemble des intérêts préétablis. La guerre
faisant forcement tâche d'huile sur l'économie : elle rend
difficile les exportations et les importations, entraîne la fuite des
bailleurs de fonds, l'augmentation des prix des articles de première
nécessité. La guerre entrave le développement de l'esprit
de commerce qui, en tant de paix, unit les peuples, les citoyens entre eux.
En outre, depuis Kant, la paix et le commerce entretiennent
des relations étroites. Le commerce est pour lui la cause naturelle de
la paix en cela que « la nature (...) se sert de l'esprit de
chaque peuple pour opérer entre eux une union que l'idée du droit
cosmopolitique n'aurait pas suffisamment garanti de la violence et des guerres.
Je parle de l'esprit du commerce qui s'empare tôt ou tard de chaque
peuple et qui est incompatible avec la guerre. La puissance pécuniaire
étant celle de toutes qui donne plus de ressort aux Etats, ils se
croient obligés de travailler au noble ouvrage de la paix, quoique sans
aucune morale, et quelque peu que la guerre éclate, de chercher à
l'instant même à l'étouffer par des
médiations121(*) ».
Seul l'état de paix favorise l'épanouissement
de la logique commerciale de toute société ; c'est pourquoi,
la question de la paix doit se poser avec vigueur lors de la prise des
décisions qui concernent la politique économique et sociale.
Il s'en suit que l'option pacifique de la valorisation des
échanges commerciaux ou économiques est préférable
à la guerre qui n'entraîne que ruine, faillite et
désolation en entravant l'investissement et l'éclosion
économique des Etats victimes de la guerre. La guerre ne permet donc pas
aux citoyens de s'acquitter de leurs tâches économiques les plus
nobles. Chaque peuple doit, pour ce faire, condamner la guerre, pour pouvoir
servir de valeur d'exemple à d'autres comme l'a souligné
Lénine : « la valeur d'exemple, voilà ce
qui donne à des multitudes toujours imposantes dans le monde la
conscience de la nécessité de passer de la société
fondée sur l'exploitation et l'inégalité à une
société qui ignore l'exploitation, la misère,
l'inégalité et les guerres122(*)».
La valeur d'exemple favorise le rapprochement des cultures,
des peuples, c'est-à-dire l'interpénétration des peuples
dans l'histoire, par la connaissance des moeurs de toutes les nations de
laquelle sont sortis de grands biens123(*). En fait, l'essence universelle de la culture, la
diversité culturelle bien comprise, doit permettre la stabilité
sociale ; elle est un réel facteur de paix, l'universalité
des cultures signifiant la multiplicité, la diversité,
l'unité dans la pluralité, sans qu'une culture ne veuille dominer
les autres puisqu'elles se valent. C'est aussi la communion, l'échange
des cultures, l'enrichissement collectif des cultures disparates. On l'a aussi
nommé "cosmopolitisme culturel" qui est loin d'être une
uniformisation des cultures.
En retour, les grands biens124(*) qui sont nés de la communion des cultures,
des moeurs, ont été à la base de la formation de grands
ensembles politiques au sein desquels la promotion de la paix constitue une
question centrale. Cela ressort des propos de Nehru qui, à la
première conférence de la création de l'Organisation des
Etats asiatiques, affirmait que leur « grand objectif est de
promouvoir la paix et le progrès partout dans le monde ».
Senghor pour sa part n'a pas manqué de rappeler au Sommet des Chefs
d'Etats indépendants d'Afrique (Addis Abeba, 1963) que
« le but de l'O.U.A par et par-delà la croissance
économique, par et par-delà le mieux-être de chaque
Africain (...) aura été auparavant un facteur de paix
».
Ces mêmes biens auraient certainement facilité
la création d'ensembles économiques tels l'Union Economique et
Monétaire Ouest Africain (UEMOA), le Nouveau Partenariat pour le
Développement de l'Afrique (NEPAD) et l'Union Européenne (UE).
Ces ensembles entendent fructifier les échanges économiques
entre le Nord et le Sud, mais aussi de façon interne à chaque
pays. À côté de l'intégration politique et
économique, il est envisagé l'intégration sociale des
personnes, la libre circulation des personnes, des biens et des services dans
l'enceinte de ces ensembles économiques125(*).
Notre souhait est que la constitution démocratique,
ainsi que la pratique démocratique, permettent
davantage l'émergence de dispositions ou règles
économiques fiables qui réduisent davantage les injustices et les
inégalités en vue de la valorisation des termes de
l'échange du Nord au Sud. Tout cela concourt à
l'amélioration des conditions de vie des plus faibles et des plus
défavorisés par la nature, car il se crée au jour le jour
un centre et une périphérie, de la richesse pour les uns et de la
misère pour les autres. Il appartient aux chefs d'Etats et à
chaque peuple de se donner une constitution républicaine qui cadre avec
leur vécu propre, ou qui concorde avec les principes du droit, pour
éviter la formation de groupes privilégiés isolés
du peuple lui-même. Mais, cela dépend de la manière dont
chaque peuple s'éduque, s'informe et se forme, c'est-à-dire
perpétue les valeurs qui se recoupent dans la culture de la paix, ou qui
posent les bases d'une éducation à la paix.
3. De
la nécessité d'une éducation à la paix.
Il n'est plus à démontrer aujourd'hui que la
paix est une nécessité pressante, impérieuse : chacun
doit pouvoir faire la paix avec son semblable pour éviter d'être
détruit par lui, tout le monde doit apprendre à faire la paix;
tout le monde doit s'éduquer à la paix. Car, l'éducation
en faveur de la paix est une alternative sérieuse à la guerre.
Mais, avant toute chose, qu'est-ce que l'éducation pour qu'il soit
question d'éduquer à la paix ?
Selon Kant (1986,1149-1950), l'éducation c'est tout ce
qui concerne les soins(subsistance et entretien), la discipline, l'instruction
et la formation. Ainsi, il est du ressort des parents de soigner leurs
enfants, de sorte à ce qu'ils ne fassent nul usage funeste de leur
force. La discipline changera en eux l'animalité en
humanité ; car elle garde l'homme de s'écarter, par la faute
de ses impulsions animales, de sa destination, de l'humanité. Elle doit
le brider pour l'empêcher de se livrer aux dangers dans le
désordre et l'irréflexion ; la discipline soumet l'homme aux
lois de l'humanité et lui fait sentir leur contrainte :
l'indiscipliné est violent.
Le concept d'éducation chez Kant fait que l'homme est
à la fois nourrisson, élève et apprenti, dans la
société. L'éducation est donc en elle-même une
nécessité pour l'homme, en ce sens qu'elle participe pleinement
au développement des dispositions naturelles, morales, intellectuelles
et physiques de tout l'être, c'est-à-dire qu'elle lui permet de
s'approprier, d'apprendre les valeurs morales et humaines en vue de sa
réalisation dans le monde.
En effet, depuis l'Acte Constitutif de l'UNESCO (1945), la
paix est bel et bien une question d'éducation. Puisque la guerre
prend naissance dans l'esprit des hommes, il devient nécessaire
d'agir sur l'esprit de l'homme pour fonder la paix : c'est le rôle
qui est dévolu à l'éducation comme moyen de transformation
lente et certaine des mentalités, en vue d'éveiller
collectivement la conscience universelle qui sommeille souvent en l'homme.
Cette lenteur s'explique chez Kant par le fait que
l'éducation même« ne peut avancer que pas
à pas; qu'une génération transmette à l'autre ses
expériences et ses connaissances, que celle-là, à son
tour, les augmente de son apport et les remette en cet état à la
suivante : c'est bien la seule source possible d'un juste concept de la
façon d'éduquer 126(*)».
Il s'agit en un mot réveiller lentement les germes du
bien qui sommeillent en tout homme, ou de sortir l'homme du mal. Adolphe
Ferrière ne s'éloigne pas de Kant quand il dit
que « l'éducation vient de ex-ducere, conduire
hors de ; hors de quoi ? Hors de l'état présent
jugé imparfait vers un état jugé meilleur et plus parfait.
Le mot implique donc un jugement de valeur. (...) Cela suppose une
hiérarchie des valeurs spirituelles, un but, un
idéal127(*)».
L'éducation à la paix a de ce fait pour but de
sortir l'homme de l'animalité, de l'état imparfait de guerre vers
l'état parfait de paix. C'est ce que dit l'article 26 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme datant du
10/12/1948 : « L'éducation doit viser au plein
épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du
respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit
favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre
toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le
développement des activités des Nations Unies pour le maintien de
la paix ».
Il est question, ici, d'éducation non-violente
dont l'objectif est de permettre à l'individu de se maîtriser, de
contrôler et de contenir ses pulsions néfastes et toutes ses
actions qui tendent à nuire à autrui. Il s'agit en d'autres mots,
de purifier l'homme, de le discipliner, de le cultiver dans le sens de la
tolérance, de la solidarité et de l'amour du prochain. Ainsi,
selon L. Doob, nous donnons à la paix « de meilleures
chances de s'établir si dirigeants et populations possèdent des
convictions et des attitudes qui les font pencher vers la paix plutôt que
vers la guerre (...) ; Ceci résulte de la façon dont ils ont
été socialisés et éduqués128(*)». L'éducation
est là une nécessité pour les acteurs de la scène
politique mondiale ; elle consiste à prendre conscience des causes
de la dérive des politiques en générale. Il faut que nous
ayons la conviction que, pour ne pas faire l'objet d'utopisme, de
rêverie, l'éducation à la paix est la condition sine qua
non de l'évolution positive des peuples vers le mieux-être, vers
le bonheur129(*), parce
qu'elle permet l'éclosion de toute la civilisation entendue comme
valorisation de l'Enfant, le Père de toute l'humanité.
D'après la sagesse africaine, « on
n'abat véritablement un arbre qu'en s'attaquant à ses racines.
À l'attaquer maladroitement par le tronc, il y a de fortes chances que
des bourgeons y poussent ». C'est fort de cette
vérité multiséculaire que nous avons jugé bon
d'attaquer le mal de guerre par ses racines qui sont l'enfant.
L'éducation à la paix s'adresse en premier lieu à
l'enfant qui gouvernera l'humanité de demain. Et, pour ne pas
que son gouvernement soit sanguinaire ou criminel, il a besoin d'être
éduqué aux vertus de la paix que sont le respect de
l'autre, sa reconnaissance, le partage, l'obéissance à la loi
morale et pratique.
Au fond, l'éducation à la paix exige, pour ce
faire, un double apprentissage, intellectuel et moral, qui appelle à la
générosité du coeur, à l'énergie de
l'esprit. La nécessité de l'éducation en faveur de la paix
se résume au niveau des enfants à leur apprendre à
s'accepter, à vivre et à évoluer ensemble, tout en sachant
qu'ils sont issus d'appartenances diverses, de familles et d'ethnies
différentes. Il faut nécessairement leur inculquer des valeurs
universelles à travers les manifestations culturelles, les voyages
d'échange ou de découverte, les camps de vacances, les
correspondances et le sport qui impose au sportif la contrainte sur soi, le
sang froid, le fair play et le sens de l'observation: il est un agent de
perfectionnement moral, spirituel et social ; il favorise la
décharge cathartique des instincts les plus agressifs.
Vu tout cela, l'éducation à la paix doit
être insérée dans les programmes d'éducation ou
d'enseignement de nos Etats. Comme des cours de morale, elle prend en compte
toutes les attitudes et comportements malveillants, tous les actes d'incivisme,
violents et agressifs, synonymes de haine, de racisme ou de xénophobie,
qui entraînent le dénigrement de l'homme par les siens. Et ce, du
Primaire au Supérieur en passant par le Secondaire. Car selon Kant, le
principe fondamentale de l'art d'éduquer est« que
jamais l'éducation des enfants ne se fasse en fonction du seul
état présent, mais aussi du possible meilleur état
à venir de l'humanité, c'est-à-dire de l'idée de
l'humanité et de l'ensemble de sa destination130(*) ».
L'état présent qui nous
préoccupe est celui que les crises, la violence, la guerre, corrompent
au jour le jour. Nous envisageons de la redresser, de le
corriger ou de le réparer par le biais de
l'éducation à la non-violence, à la tolérance,
à la solidarité, au dialogue et au civisme. C'est la raison pour
laquelle, il faut « de bonne heure accoutumer
l'homme à se plier aux prescriptions de la raison. Qu'on lui ait, dans
sa jeunesse, passé ses volontés et que rien, en ce
temps-là ne lui ait résisté, il gardera tout au long de sa
vie une sorte de sauvagerie131(*) ». Ce qui indique qu'il faut polir
chez l'homme, dès sa tendre jeunesse, la brutalité du fait de son
penchant pour la liberté.
Nous devons apprendre à identifier les racines
cachées des malheurs des peuples dès l'enfance, et à
rendre moins résistibles les mentalités des hommes qui auraient
perdu le sens du consensus, ceux chez qui l'éducation aurait en quelque
sens failli. L'éducation à la paix vise donc la
responsabilisation, la conscientisation, l'autonomisation
ou encore l'engagement présent et future des citoyens
à oeuvrer à l'ouvrage de la paix, c'est-à-dire à
faire la promotion de la paix en taisant leurs divergences ou leurs
controverses. Ici, l'éducation à la paix s'adresse à
l'adulte, aux parents et aux Chefs d'Etats au sujet desquels une question est
posée : pourquoi la gestion des affaires de nos Etats reste-t-elle
si incertaine et si polémique, si instable et si passionnée, si
fragile et si irrationnelle, que les crises internes se
démultiplient?
Si l'administration de la Cité est encore
problématique, cela présuppose un manque d'éducation de la
part de ceux qui dirigent le peuple en lui voilant le visage ou en ne lui
donnant pas l'information nécessaire sur la gestion des "res".
Or, l'information est capitale. Son insuffisance et son absence renforcent
davantage les inégalités, créent les injustices,
organisent une véritable ségrégation par endroits.
De même chez Kant, l'éducation ou l'information est fondamentale
en cela qu' « éclairer le peuple, c'est lui enseigner
publiquement ses devoirs et ses droits vis-à-vis de l'Etat auquel il
appartient132(*)». Sans l'éducation, le peuple ou le
citoyen devient une "bête de somme" qu'on fait suivre mais qui
ne sait jamais vers où il est conduit. Il n'y a que l'homme chez qui le
besoin d'éduquer s'impose.
Selon Kant, il lui faut un propagateur de
lumière qui l'éclaire. Les propagateurs des lumières,
puisqu'ils ne sont pas des professeurs de droit officiellement établis
par l'Etat, mais souvent des professeurs de droit libre ou encore des
philosophes, ils se heurtent constamment à l'Etat. Ils dérangent,
de ce fait, l'Etat et tous ceux qui empêchent la publicité des
maximes du droit, le lieu où le peuple expose publiquement et à
l'Etat ses doléances (gravamens), ses revendications, ses
rêves, ses suggestions et ses exigences, formant alors la volonté
populaire. C'est pourquoi, son interdiction peut être fatale pour la paix
et la stabilité politique.
Vue sous cet angle, l'éducation à la paix
présuppose, en quelque sens, une éducation à la
citoyenneté, à la vie publique, compte tenu du rôle
que joue, par exemple, le citoyen dans la conquête du pouvoir par les
élites politiques133(*). Réussir l'éducation à la
citoyenneté134(*)
est nécessairement un tremplin vers la pacification du lien social,
surtout en période électorale pendant laquelle, les contestations
des résultats des scrutins aboutissent à des scènes
affreuses, à des violations des droits de l'homme, pire, à la
prise des armes par les citoyens contre eux-mêmes. Si l'éducation
à la citoyenneté a pour finalité la socialisation, la
transmission des valeurs républicaines, le savoir-vivre et le
savoir-faire, elle est donc une ouverture sur la vie publique, un creuset vers
la compréhension, la paix entre les peuples. L'éducation
acquiert, ici, un sens civique et patriotique, c'est-à-dire une
éducation démocratique faite par le peuple et pour le peuple.
Donc, une éducation qui fait la promotion de l'état de justice
sociale et de liberté à travers la publicité des maximes
du droit.
Selon Kant, la publicité des maximes du droit est
incontournable ; elle permettrait à chaque peuple de circonscrire
les limites de son action libre. Elle recherche la création d'un espace
public où est assuré l'éclairage des esprits, et où
les problèmes sociaux sont discutés en vue de trouver
convenablement les solutions, les conjonctures, qu'il faut.
« Sans elle, note Kant, il n'est point de justice,
puisqu'on ne saurait la concevoir que comme pouvant être rendue
publique ; sans elle il n'y aurait donc pas non plus de droit, puisqu'il
ne se fonde que sur la justice135(*) ».
En définitive, soulignons que l'éducation en
faveur de la paix est une affaire collective, car c'est d'elle que
dépend notre vie paisible, notre bonheur, et donc, le respect de nos
valeurs et de nos moeurs. Sans elle, nous ne sommes rien ; si elle est mal
assimilée, nous sommes des évadés, des êtres sans
repères assignables ; et par conséquent, des êtres
voués à la guerre. La guerre est d'ailleurs une crise de
l'éducation, de l'amour et de la morale, une perte de la raison. C'est
pourquoi, les larmes des déshérités, des
misérables, des malheureux et des victimes de la guerre, doivent nous
servir en même temps d'encre et de chaussures pour dénoncer et
chasser, loin de nous, les fossoyeurs de la paix de notre temps et des
temps à venir. Le pacifisme n'est, en vérité, qu'un
humanisme.
Conclusion
Générale : les exigences de la leçon kantienne, pour
la paix durable.
La socialisation ou la formation des
sociétés, ou encore le regroupement des hommes au sien d'une
communauté, en une société, vise naturellement la
satisfaction des besoins de chaque membre de la communauté politique
qui, en d'autres mots, pourvoit à leur bonheur. L'atteinte de cet
objectif ne sera effective que quant l'idéal communautaire de la paix se
sera réalisé. Il en découle que la paix demeure,
demeurera, la condition sine qua non de possibilité de la vie, de toute
activité humaine, aussi petite qu'elle soit. Impérieuse
nécessité, exigence ou besoin de la raison, la paix, en tant
qu'enjeu majeur et défi de notre siècle de vitesse, ne peut que
s'imposer en nous, comme allant de soit et pour soi, sans que nous ayons
à le nier : l'état de paix reste, en paraphrasant Kant, le
"cadre à priori" de notre existence, de la réalisation
de la meilleure forme de vie authentique, digne et envieuse. C'est d'ailleurs
la raison pour laquelle, nous invitons l'intellectuel-philosophe à
devenir un soldat de la paix, sans pour autant vouloir l'enrôler dans
une armée permanente, sanguinaire.
En effet, vu l'exigence de la paix pour le
progrès de l'humanité, vu les écarts de raison à
côté de l'omniprésence de la violence, il nous a
été judicieux de voir si, d'entrée de jeu, du point de vue
de la nature humaine et de la culture, l'homme était, reste, et restera
pour toujours, un être voué à la barbarie, à la
violence et au crime, bref, à la guerre. Ce qui signifierait que l'homme
a hérité de la violence de ses ancêtres les animaux, ou
qu'il l'instrumentalisait à sa guise.
Dans le souci d'élucider la question, il
est ressorti que l'homme est issu de la descendance d'animaux sauvages,
agressifs, violents, qui abusent de leur liberté en nuisant aux autres.
Ce qui fait dire que, primitivement, comme dans l'état de nature,
l'homme est prisonnier d'un engrenage sans fin de la violence : la nature
serait de ce fait corrompue, freinée dans son élan vers le bien,
aussi tôt, par le mal. L'homme naît bon et libre, et c'est la
société qui le corrompt, le déroute, en le rendant
mauvais, le destinant au mal ; serait-on tenter de dire, en paraphrasant
J.J. Rousseau. Cette assertion du philosophe français donne, donc raison
aux partisans d'une certaine vision de l'évolution historique, selon
lesquels, le fait que la guerre ait rapidement significativement changé
de manière au cours de l'histoire, prouve qu'elle est un produit de la
culture, de l'intelligence humaine. Les moyens de guerres sont
perfectionnés par l'homme au jour le jour ; les calculs
stratégiques froids se démultiplient, se diversifient au
même titre que les théories de guerres sont conçues pour
légitimer la guerre, la justifier.
Conscients de cet état de fait, et comme
pour assurer une certaine médiation entre les deux
extrémités de la guerre (entendue comme mal naturel et mal
culturel), des auteurs comme Freud, Kant et Léonard W. Doob, optent pour
une conception dualiste de l'homme, du mal et du bien en l'homme en tant que
"Homo pacificus" et "Homo maleficus", c'est-à-dire
qu'il abrite en lui un "penchant au bien" et un "penchant au mal
". Il faut alors que le poids de la conscience l'emporte sur l'inconscient
et la passion, de telle façon que la théorisation et la
mondialisation du mal ne puissent pas ternir, pour de bon, la valeur
authentique de l'indissociabilité de l'homme. Toutes choses qui vont
désillusionner les esprits, raffermir les coeurs, dans leur quête
de coexistence pacifique qui se fonde sur des conditions juridiques, sociales
fiables et respectueuses : la loi morale, juridique, la raison, condamnant
la violence qui déshumanise l'homme. Une déshumanisation rendue
possible par tout ce qu'on peut appeler les "obstacles à la paix ",
"les sources des conflits" ou encore les "causes de la violence",
que dressent devant nous les "fossoyeurs de la paix" qui brouillent,
ensanglantent la vie politique nationale ainsi que celle qui unit les peuples,
les états, entre eux.
C'est ainsi qu'à la question de savoir
pourquoi la paix est constamment menacée, pourquoi les causes des
guerres se multiplient, sans qu'on ne puisse trouver immédiatement une
issue favorable à la paix, nous nous sommes rendu compte que, de
façon interne à chaque état, la gestion du patrimoine est
conflictuelle pour la plupart ; une gestion parsemée d'injustices
et de crimes économiques et politiques, de violation massive des droits
de l'homme et donc d'aliénation flagrante des libertés
individuelles. Les jeunes Etats "démocratiques" souffrent de
crises énormes que mettent fréquemment à nu les
rébellions, les révoltes, les soulèvements populaires, les
révolutions, ou les coups d'Etats armés.
Partant de ce constat amer, en vue d'une justice
sociale, d'une gestion responsable des biens communs, ou encore en vue d'une
bonne gouvernance démocratique, nous avons suggéré une
cure démocratique qui soit favorable à l'édification d'un
Etat de paix, et qui permettra de résoudre d'innombrables
difficultés qui handicapent la marche des citoyens vers la paix. Par ce
moyen, la politique se mettra davantage au service du citoyen, le prenant comme
fin et non comme moyen de conquête ou de pérennisation du pouvoir
de la manière la plus despotique qui soit. Le but visé est
d'aboutir à une refondation éthique de la politique, de la
démocratie, pour qu'elle s'investisse plus dans la promotion des droits
inaliénables de la personne humaine, dans l'épanouissement de
chaque citoyen ; ce qui revient à donner à l'exercice
politique de la démocratie un visage humain et humanisant, une dimension
purement citoyenne. La réalisation de cet objectif, la paix à
travers le consensus entre les gouvernants et les gouvernés, passe
nécessairement par la reformulation de l'impératif kantien, du
devoir et de l'action à partir de la relecture des principes"
d'universalité " et de "discussion" chers à
Habermass, et qui concernent l'acceptation sans contrainte, la reconnaissance
par des participants à une négociation, à une discussion,
de tout ce qui peut acquérir une validité universelle. Cette
condition de validité universelle ne s'applique pas à la guerre.
Et, c'est conformément à cet esprit d'universalité que
nous sommes parvenus à condamner et à récuser toute
idée d'utilité des guerres qui s'incarnerait dans
l'impérialisme, l'expansionnisme, l'hégémonie politique et
économique, donc synonyme de la domination d'un Etat fort sur un Etat
faible qui servirait par exemple de grenier économique, de foyer de
consommation, ou de base militaire pour d'éventuelles annexions à
venir. De la sorte, le plus fort exporte sa vision du monde, son mode vie et de
penser, qu'il impose au faible qui perdrait, du coup, une grande partie de sa
souveraineté : la dépendance politique, économique et
militaire, est un obstacle sérieux à la paix.
En substance, les obstacles à la paix se
résument chez Kant à la réserve tacite d'un traité,
d'une armistice qui permettrait une nouvelle guerre ; à la
possession d'un Etat soit par échange, par protectorat, ou par un
traité d'amitié qui donnerait droit à une partie du
territoire de l'Etat faible ; à l'existence de forces armées
pour la guerre ; à la contraction de dettes au nom d'un peuple pour
gonfler le budget militaire destiné à déstabiliser les
pouvoirs, à faire la guerre au voisin; à l'ingérence
politique et de force dans les affaires intérieures des Etats ;
à tout comportement qui empoisonne la paix ou qui encourage
secrètement à la rébellion, à la révolution,
à la révolte.
Par ailleurs, si de tels obstacles à la paix
perdurent dans le temps et l'espace, il faut se convaincre que les conceptions
kantiennes du progrès vers le mieux, vers la paix, et le sens qu'il
donne au progrès de l'histoire de l'humanité, nous offre une
solution satisfaisante à l'horizon. Il nous importe de reconstruire
merveilleusement la cité de paix sur les ruines de celle que la guerre
aura détruite. "L'insociable sociabilité " signifie, en
quelque sens, que la fréquence des guerres doit nous instruire dans le
chemin de la paix. En quelques mots, soulignons qu'à l'école de
la paix, nous sommes appelés à réunir les conditions de
transformation des mentalités, de transformation d'une paix factice en
paix réelle. C'est le lieu pour nous de nous enrichir de la leçon
kantienne, de la démarche de l'auteur des trois
critiques, qui exigent pour la paix : le
républicanisme, la démocratie, le rassemblement des Etats ou la
fédération d'Etats libres ; l'éducation à la
citoyenneté du monde en brisant les frontières ethniques,
sociales, religieuses et nationales, pour valoriser l'homme, rien que l'homme.
Au sein de chaque Etat, de chaque fédération, ou au sein de
chaque organisation politique, le consensus, le dialogue, la
négociation, doivent l'emporter sur la poursuite des
intérêts personnels, étatiques et restrictifs.
Si la leçon kantienne n'a pas eu l'écho
qu'elle méritait hier136(*), si elle n'a pas été comprise, elle
doit l'être en ce millénaire de culture de la paix, plus de deux
cents ans après la publication du Traité de paix
perpétuelle : essais philosophiques (1795). Nous devons,
à la suite de Kant, renforcer la médiation de l'universel aussi
bien au niveau des relations interpersonnelles, nationales, qu'internationales,
c'est-à-dire en redonnant au citoyen et à l'Etat le rôle et
la place qui leur reviennent de droit. Les exigences morales formulées
par Kant à propos du sujet moral sont à adapter aux Etats comme
mécanismes de résolution de leurs différends.
En plus de cela, la médiation de
l'universel s'étend aussi aux domaines politique et économique,
puis culturel. Disons que la médiation de l'universel joue un rôle
sans précédent dans la normalisation et la pacification des
échanges commerciaux, et dans la valorisation des biens et devises,
ainsi que dans la promotion des valeurs culturelles spécifiques à
chaque peuple qui se fait ainsi connaître à l'occasion
d'échanges culturels : c'est ce qu'on a nommé le
"cosmopolitisme culturel" à un moment où
l'intégration des peuples en vue de la libre circulation des personnes
et des biens, et de la paix, est une question cruciale débattue dans les
enceintes politiques internationales. Or, en vérité l'esprit de
commerce, de culture, ne se fortifie que grâce à
l'éducation, à la formation ou à l'instruction, que chaque
partie concernée a préalablement reçue et enrichie au cour
des ans dans ses frottements aux autres parties.
C'est donc signifier que l'éducation est,
à l'instar du commence et de la culture, un facteur de paix, pour ne pas
dire, celui qui donne aux autres facteurs leur raison d'être.
L'éducation qui doit sortir l'homme de l'animalité, de
l'état imparfait de violence, pour le destiner à
l'humanité, à l'état parfait de la paix, favorise alors la
tolérance, l'amitié, la compréhension et le dialogue entre
les hommes et les Etats. L'éducation est donc, selon Kant, une affaire
de soins, de discipline, de formation et d'instruction ; tout ce qui
participe à l'épanouissement intellectuel, physique et moral de
l'homme. Dans cette optique, l'éducation "à la paix"
s'impose à tous, aussi bien aux enfants, aux adultes qu'aux hommes
d'Etats.
Aux enfants, il faut leur inculquer les vertus de la
paix, les valeurs civiques, morales et universelles, celles qui concernent
l'acceptation d'un autre que soi, la vie en groupe ou en société,
les appartenances ethniques, familiales et raciales. Tout cela suppose la
proscription des actes d'incivisme, de haine, de racisme et de
xénophobie, qui dénigrent et déshumanisent l'homme.
L'éducation qu'il convient de donner aux
adultes, sans qu'elle ne soit fondamentalement différente de celle que
reçoivent les enfants en famille, à l'école et dans la
vie, est liée à ce qu'on appelle chez Kant, "la
publicité" des maximes du droit, des clauses du contrat qui lie les
hommes entre eux, donc des règles ou des lois qui régissent la
vie en société. Il s'agit d'une transparence, d'un
éclairage et d'une mise en confiance de ceux qui choisissent leurs
dirigeants afin d'éviter ou de réduire les
inégalités, les injustices, les tromperies et les vols de deniers
publics. Toutes choses qui conduisent, tôt ou tard, à la
rébellion, à la révolte, et qui met donc
l'instabilité à la place de la stabilité, de la paix.
C'est la raison pour laquelle, il est dans l'intérêt de tous que
l'élu doive des comptes à ses voix, qu'il les informe de tout ce
qui touche à leur vie, sans d'ailleurs créer une distance qui les
sépare de lui.
Sans ses qualités d'éducation
à la citoyenneté, de formation et d'information, le citoyen est
une "bête de somme", "un mouton de panurge". L'on
comprend pourquoi, l'idée de paix définit une tâche
immense, noble, à réaliser, ensemble dans
l'égalité, la liberté : Vouloir construire ensemble
un monde de paix, suppose que les libertés individuelles
s'éduquent aux principes universels de l'humanité.
Pour des Etats organisés, regroupés ou
fédérés, la réalisation de l'idée de paix
(qui n'est pas un rêve pieux) implique que chaque Etat renonce, au
besoin, à ses prétentions expansionnistes, au droit du plus fort.
De la même façon que les citoyens, les Etats doivent jouir des
mêmes droits, répondre des mêmes obligations, dans le
respect strict du droit international amoureux de l'épanouissement des
peuples, de la stabilité politique, donc de la paix mondiale.
In fine, concluons avec Kant
que « la question n'est pas de savoir si la paix
perpétuelle est quelque chose de réelle et si nous ne nous
trompons pas dans notre jugement quand nous admettons le premier cas, mais nous
devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas, devrait
être137(*) ». Il poursuivra son raisonnement, sans se
contredire bien sûr, en nous encourageant, en nous invitant au combat
pour la paix. Car, il est convaincu que « la paix
perpétuelle qui succèdera aux trêves jusqu'ici
nommées traités de paix n'est donc pas une chimère, mais
un problème dont le temps, vraisemblablement abrégé par
l'uniformité des progrès de l'esprit humain, nous promet la
solution138(*) ».
Il y a toujours chez Kant une place pour l'espoir,
de telle manière que dans certaines conditions, l'impossible devient
possible ; les limites de l'impossible sont, en ce moment, franchissables.
Cela dépend de notre volonté d'agir, de notre sens du devoir
envers soi-même et envers les autres, du respect pour la vie. L'esprit
d'équité, d'égalité de concorde et de bonté
qui reconnaît en tout homme la même identité humaine, le
même destin, guidera toujours chaque homme vers la paix et la
stabilité sitôt que celui-ci écoute la voix de la raison
pratique qui résonne au plus profond de son coeur et de son âme.
Tant que tous les hommes ne seront pas tous des
frères, en acte et en parole, la paix ne sera jamais leur souci commun.
La guerre, quant à elle, sera leur ami commun, l'ennemi de la raison et
de la morale. Ce qui veut dire que celui qui veut la paix doit la
préparer dans la fraternité, la communion, la justice et la
dignité. Si rien ne vaut la paix, la paix vaut la tête qui pense
la guerre et qui crie ensuite à la paix. La paix est à la mesure
de l'homme : elle est un oeuf dont la fragilité fait qu'il faut lui
réserver un soin particulier.
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* 1 Kant, "Propos de
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* 2 Simone Goyard-Fabre, La
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* 3 Léonard Doob, La
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pursuit of peace, Greenwood Press, Wesport, Connecticut, 1981, p.33
* 4 Louis Beirnaert, Essais
et approximations, « irrésistible violence »,
p. 548
* 5 Kant cité par Georges
Pascal dans Pour connaître la pensée de Kant, Paris,
Bordas, 1986, p. 182
Selon Kant, l'homme n'est pas mauvais parce qu'il est l'auteur
d'actions mauvaises,mais parce que ses actions sont fondées sur de
mauvaises maximes, des actions qui sont contraires à la loi, et qui le
sont en toute conscience.
* 6
« Déclaration de Séville relative à la
violence », Ed. Dev News, Bulletin pour l'éducation
et le développement. UNICEF, nov. 1992. Le comité a
étudié la question « la violence est-elle
inhérente à la nature humaine ? »
* 7 Charles Zorgbibe, La
Paix, PUF, coll. « Que sais-je », Paris, 1984, p. 06.
Il est professeur titulaire à la Sorbonne.
* 8 Konrad Lorenz,
L'agression, une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 1986,
p.32
* 9Hannah Arendt, Essai sur
la révolution, Ed. Gallimard, Coll. Les Essais, 1967, p.12
* 10 Hannah
Arendt,"Apologie de la violence", p.435
* 11 Machiavel, Le Prince
et autres textes, "L'art de la guerre", Paris, Gallimard, 1980, p.293
* 12 Mais il n'est pas sans
savoir que, selon Rousseau, "rien ne mérite d'être
acheté au prix du sang humain".
* 13 Abel a
exécuté Caïn, Romulus a tué
Romus : « La violence est le commencement, aucun
commencement ne pourrait se passer de violence ni de violation...Toute
fraternité dont les hommes sont capables est issue du fratricide, toute
organisation politique que les hommes aient réussie tire son origine
d'un crime...Au commencement était un crime .» Hannat
Arend, 1967, p.23
* 14 Hegel, Principes de la
philosophie du droit, trad. d'André Kaan, préface de Jean
Hyppolite, Paris, Gallimard, 1940, nouvelle édition, 1995, p. 17
* 15 John Kenneth Galbraith,
La paix indésirable ? Rapport sur l'utilité des
guerres, Paris, Calmann-Lévy,1984, p.181
* 16 A., Philonenko, La
théorie kantienne de l'histoire, Librairie philosophique Jean Vrin,
Paris, 1986, p.111
* 17 Kant, Projet de paix
perpétuelle, in OEuvres philosophiques,Paris,
Gallimard,1986,p,362
* 18 Kant, 1986, p.354
* 19 Kant disait à ce
propos que sans ces qualités d'insociabilité(...), tous les
talents resteraient à jamais enfuis en germes, au milieu d'une existence
de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction et un amour mutuels
parfaits.
* 20 Kant, Doctrine du
droit, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1979,
pp.347-348 : « Du haut du tribunal suprême du
pouvoir législatif, la raison condamne sans exception la guerre comme
voie de droit ; elle fait un devoir absolu de l'état de
paix. »
* 21
Kant, "Conflit des facultés" in La Pléiade,
T3, Paris, Gallimard, 1986, p.905
* 22 Cité par Georges
Minois, L'Eglise et la guerre, Paris, Librairie Arthème-Fayard,
1994, p.229
* 23 Kant, Critique de la
faculté de juger, suivie de Idée d'une histoire
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p.478
* 24 Kant, Fondements de la
Métaphysique des Moeurs, trad. Victor Delbos, Paris, Delagrave,
1994, p.150
* 25 Pape Jean Paul II,"Message
pour la célébration de la Journée mondiale de la paix,
01/01/1999", in La Documentation catholique du 03/01/1999, p.05
* 26 Platon, La
République 499b ; Aristote, La Politique 1288a
* 27 Kant, 1986, p.364
* 28 Nous nous sommes
inspirés de l'oeuvre de Jean Laurain intitulé De l'ennui
à la joie, éléments d'une pédagogie de la
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* 29 Alain Plantey, La
Négociation Internationale, principes et méthodes, Paris,
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* 30 Roger Garaudy, Pour un
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* 31 Rousseau, OEuvres
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* 32 Kant, 1986, p.383
* 33 Cité par
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* 39 André Tosel, "La
fondation de la catégorie juridique chez Kant"dans Cahiers Eric
Weil III"Interprétations de Kant" de Jean Quillien et
Gilbert Kirscher (Eds), Presses de l'Université Charles de Gaulle,
LilleIII, 1992
* 40 « La
synthèse juridique a pour propriété et pour tâche de
veiller à ne se laisser dissoudre ni dans la naturalité et la
violence propre au monde empirique, ni dans l'éthicité pure. Kant
vise une connexion originale de valeur et de fait, d'idée rationnelle et
d'existence empirique, de devoir et de force, d'humanité libre et de
nature nécessitée. » Ibid, p.145,
* 41 Dictionnaire universel
francophone, Ed. Hachette / EDICEF, 1997, p.916
* 42 La rupture est intervenue
au XVIIIè siècle, avec les théoriciens du
contrat social, entre la démocratie et les autres régimes
politiques ; elle a suscité alors une révolution qui aboutit
à la consécration du principe de la majorité dans la
démocratie.
* 43 Sémou Pathé
Guèye, Du bon usage de la démocratie en Afrique, Dakar,
NEAS, 2003, p.08. Il est Professeur titulaire à l'Université
Cheikh Anta Diop.
* 44 Pour l'Afrique,
A.M.International-Jaguar Conseil,/Présidence du Faso, Paris, 1999,
p.85
* 45 G. Burdeau, Le
libéralisme, Paris, Seuil, 1979, p.167
* 46 Mahamadé Savadogo,
La Parole et la Cité, Paris, L'Harmathan, 2003, p.123
* 47 William Ury, Comment
négocier la paix : Du conflit à la coopération chez
soi, au travail et dans le monde, Nouveaux Horizons-Ars, Paris, 2001,
p.156
* 48 Doctrine du
droit, p.205
* 49 Bernard Crozel,
Urbanité et Citoyenneté. Attention démocratie
urbaine, Paris, L'Harmathan, 1998, p.42
* 50 Dans les colonnes
de "Hakili" n°03 de
Septembre 2003
* 51 Cité par
Lénine, L'Impérialisme Stade suprême du
capitalisme, Ed. du Progrès, Moscou, 1982, p.132
* 52 À quand
l'Afrique ? Ed. de l'Aube, 2003, p.50
* 53 J. ki-Zerbo, 2003,
p.48
* 54 Ibid, p.59 . Jaurès
n'avait donc pas tort quand il écrivait que « le
capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte
l'orage. »
* 55 Roger Garaudy, Pour un
dialogue des civilisations, Paris, Dénoel, 1977, p.37
* 56 Lénine, 1982,
p.11
* 57 Fatsah Ouguergouz, La
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Paris, PUF, 1993,
p.194
* 58 Kant, 1986, p. 378.
* 59 Kant, 1979, p. 42.
* 60 Admettre
« un droit à la révolte serait une permission de
résister à l'ordre établi. Une telle disposition
marquerait la législation juridique dans son ensemble du sceau de la
précarité et elle perdrait, du coup, toute raison
d'être ». Mahamadé Savadogo, kant-student 90,
Jahrg, p. 314.
* 61 Kant, 1990, p. 42.
* 62 Kant, 1986, p. 378.
* 63
L'Indépendant n°306 du 20/07/99 : « La
rébellion est-elle la panacée aux maux de
l'Afrique ? ». Cette décision est loin d'être
rassurante quand on sait que 21 des 38 chefs d'Etats réunis à
Alger sont arrivés au pouvoir par la force ; soit à
l'occasion d'un coup d'Etat, d'une guerre de libération, ou de
pseudo-élections démocratiques.
* 64 M. Savadogo d'ajouter (
2001, 284) que « la conscience de l'imperfection est en
elle-même l'indication d'une certaine manière de percevoir la
société, l'expression d'une vision du monde, d'une conception de
la réalité humaine ».
* 65 Kant, 1986, 887-888.
* 66 "Les fondements
philosophiques de la paix", p.23
* 67Kant, "Conflit des
facultés", 1986, p.890
* 68 Kant, 1986,,
p.202
* 69 Selon Kant, la
décadence vers le pire ne peut durer constamment dans l'espèce
humaine: "ça ne peut plus être pire".
* 70 Kant, 1986,
p.891
* 71 A. Philonenko,
Théorie kantienne de l'histoire, Vrin, 1986, p.110
* 72 Kant, Opuscules sur
l'histoire, trad. S. Piobetta, Paris, Garnier Flammarion, 1990, p.207
* 73 Ibid., De cette
façon, l'homme s'impose à lui-même l'effort
désespéré de faire rouler le rocher de Sisyphe jusqu'au
sommet pour le laisser retomber à nouveau. L'abdéritisme est un
affairisme vide.
* 74 Kant, Opuscules sur
l'histoire, p.208
* 75 Cf. Engels, Socialisme
utopique et socialisme scientifique, Paris, Ed. Sociales, 1971
* 76 A.Philonenko, L'oeuvre
de Kant, t.2, Paris, Vrin, 1988, p.252
* 77 Lire La
République universelle, 1792 ; Les Bases institutionnelles
de la République du genre humain, 1793
* 78 A. Renaut, Kant
aujourd'hui, Paris, Aubier, 1997, p.476-478
* 79 Ibid,
* 80 Ibid., p.68
* 81 Kant, Opuscules sur
l'histoire, p.219-220
* 82 Kant,
Idée, 6è proposition.
* 83 Mahamadé Savadogo,
2003, p.263
* 84 Sémou Pathé
Guèye, 2003, p.15.
* 85 Ibid, p.17
* 86 Habermas, Morale et
Communication, Paris, Cerf, 1991, p.181 Paris,
* 87Habermas, op.cit, p.85
* 88 Métaphysique
des moeurs, p.42 : « Agis toujours d'après
une maxime telle que tu pusse vouloir qu'elle devienne en même temps une
loi universelle ».
* 89 Habermas, Ethique de
la discussion, Paris, Cerf, 1994, p.34
* 90 Ibid, p.3
* 91 Le fait que les Nations
Unies aient octroyé le prix Nobel de la paix 2004 à une
écologiste kenyane du nom de Wangari Matai, montre que la protection ou
la sauvegarde de l'environnement est une condition de la paix. Nombre de
conflits sociaux sont liés à l'exploitation des ressources de
l'environnement. Si Kant n'en fait pas une condition de paix, malgré la
relation qu'il établie entre l'homme et la nature dans sa Critique
de la faculté de juger,elle est une question cruciale à
laquelle des recherches futures seront consacrées.
* 92 Kant, Projet de paix
perpétuelle, pp.334-337
* 93 Kant, 1986, pp.337-338
* 94 Roger Axcelrod,
Donnant Donnant, Ed. Odile Jacob, 1992, p.91
* 95Rapport mondial sur la
violence et la santé, OMS, Genève, 2002, p. 254
* 96 Doctrine du
droit, p.629
* 97 Kant, Idée
d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, trad ;
Jean- Michel Muglioni, p.15
* 98 Doctrine du
droit, p.480
* 99
Kant « conflit des facultés » in Opuscules
sur l'histoire, p. 215
* 100 Kant, 1986, p.379
* 101 Lettre de la Reine Anne
d'Angleterre au Parlement d'Ecosse en date du 01 /07/1706, extrait du
Fédéraliste, p.26
* 102 Doctrine du droit,
pp.347-348
* 103 Alain Plantey, La
négociation internationale : principes et méthodes,
Paris, CNRS Ed., 1994, p.11
* 104 Projet de paix
perpétuelle, p.358
* 105 Jean-Marie Muller,
Comprendre la non-violence, Non-violence Actualité, 1995,
* 106 Leibniz, oeuvres,
(L-A. Foucher de Careil), T.III, pp.124-125, voir aussi sa Lettre
à l'abbé de St Pierre en date du 07 /02/1715, ibid, T.IV,
p.325
* 107 Fondements de la
métaphysique des moeurs, Présentation J. Costilhes, Paris,
Hatier, 1963,p.09. La volonté étant une raison pratique, ll n' y
a que les hommes raisonnables qui puissent avoir une volonté, celle qui
fait seule des biens mérités, indépendamment de ses
fruits, des calculs trop soigneux qui nous font manquer le bonheur commun.
* 108 Lionel Bellenger, La
négociation, Paris, PUF, 1984, p.14
* 109 William Ury,
2001,p.119
* 110 Bernard Crozel,
Urbanité et citoyenneté, Attention démocratie
urbaine, L'harmattan, Paris, 1998, p. 40
* 111 Maîtrise des
armements et désarmement, Etudes de la documentation
française, international, Paris, 1992
* 112 Kant, Projet de paix
perpétuelle, trad. J.J. Barrère et C. Roche, Paris, Nathan,
Les intégrales de Philo, 1991, p.86
* 113Kant,
Métaphysique des moeurs, Doctrine du droit,, p.178
* 114 Mémoire de
Maîtrise de Philosophie : "Morale et politique chez Kant :
Le Républicanisme comme fondement de la responsabilité morale ou
politique", Université de Ouagadougou, sep 1998, p.73
* 115 Kant, OEuvres
Philosophiques, p.373
* 116 "Kant et la
politique", Kant-Studien 90. Jahrg, pp.306-321. L'article peut être
lu dans son oeuvre La Parole et la Cité, L'Harmattan 2003,
pp.187-215
* 117 Lionel Bellenger, p.108
* 118 Newton Ahmed Barry,
"L'Evénement", n°07-08, décembre 2001- janvier
2002, p.03
* 119 La Charte des
Nations Unies, p.37
* 120 Lénine, La
coexistence pacifique, p.16
* 121 Kant, op.cit,
p.362
* 122
Lénine, op.cit, p.13
* 123 « Le
commerce a fait que la connaissance des moeurs de toutes les nations a
pénétré partout: on les a comparées entre elles et
il en a résulté de grands biens », note
Montesquieu dans son Esprit des lois, t.2, Garniers Frères,
1967, p.08
* 124 Les deux premiers propos
qui suivront sont rapportés par Sahirou Tchida Moussa, et
mentionnés dans son mémoire de maîtrise de philosophie.
* 125 C'est dans ce sens qu'on
a bien pu dire que le "développement est l'autre nom de la
paix", ou qu'ils vont de pair. Cependant, il n'y a que la paix qui puisse
favoriser véritablement le développement, sans exclure la
possibilité qu'un stade de développement poussé annonce la
paix à l'horizon.
* 126 Kant, 1986, "Propos
de pédagogie", pp.1153-1154
* 127 A. Renard, La
pédagogie et la Philosophie de l'école nouvelle, Paris,
Ed.école et collège, 1941, p.101
* 128 op. cit,
p.297
* 129 La possibilité de
toujours mieux développer la nature humaine par l'éducation, et
de la porter à une forme adéquate à l'humanité, est
un ravissement pour Kant (1986, pp.1152-1154) ; cela prouve la richesse
future du genre humain en bonheur. La Providence aurait dit à
l'homme : « je t'ai pourvu de toutes les dispositions
au bien. C'est à toi qu'il revient de les développer ; ainsi
tout ton bonheur et tout ton malheur dépendent de
toi-même ». C'est le sens que Kant donne à l'action
et à l'engagement de l'homme en faveur du bien, de la paix.
* 130 Ibid, p.1554
* 131 Ibid, p.1150
* 132 Kant, Opuscules
sur l'histoire, op.cit. p.216
* 133
« Comment un paysan, pourra-t-il exercer honnêtement ses
fonctions d'électeur s'il ne sait pas lire une affiche électorale
ou la proclamation de foi d'un candidat. Cet ensemble de devoirs est le
fondement du droit pour le citoyen à l'instruction et à
l'éducation. Les dirigeants africains, s'ils veulent instaurer la
démocratie dans leurs pays, ont donc le devoir de faire à la
jeunesse cette instruction sans laquelle on ne mériterait pas
d'être appelé un homme ». Henri Bala Mbarga,
Problèmes africains de l'éducation, Paris-Lille,
Hachette,1962, p.38. H., B., Mbarga est inspecteur de l'enseignement primaire
au Cameroun.
* 134 Si le vote est un
devoir de citoyens libres, c'est alors un devoir et un droit pour le peuple
d'être formé, informé et éduqué pour la cause
afin d'éviter d'aussi vilaines crises électorales.
* 135 Kant, 1986, p.337
* 136 Kant, convaincu de la
valeur inestimée de son oeuvre, Traité de paix
perpétuelle: essais philosophiques, disait, de lui-même,
qu'il était venu avec ses écrits un siècle trop tôt,
et que ce serait dans cent ans, voire plus, que l'on commencerait à bien
le comprendre. L'histoire lui a donné raison aujourd'hui.
* 137 A. Philonenko, 1988,
P.268
* 138 Kant, 1986, P.303
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