UNIVERSITÉ PARIS III - SORBONNE-NOUVELLE
UFR Littérature & linguistique françaises et
latines
Le savoir des enchanteresses dans les compilations du
XVe siècle
Mémoire de Master 2
préparé sous la direction de
Mme Michelle Szkilnik
par
Julie GRENON-MORIN
Année universitaire 2010-2011
TABLE DES MATIÈRES
Table des matières
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1
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
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3
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I. MÉDÉE
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10
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a) Experte « es malfices et ars mauvaises et
deffendues »
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12
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b) Évolution du portrait du XIIe au
XVe siècle
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18
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II. CIRCÉ
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31
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a) « Circé n'est pas fable »
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33
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b) L'apotiquèresse au service d'Ulysse
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39
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III. LES SIBYLLES
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52
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a) La divination à des fins chrétiennes
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56
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b) Du côté de la fiction
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70
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CONCLUSION GÉNÉRALE
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76
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Annexes
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Annexe I
La magie de Médée
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81
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Annexe II
Les enchanteresses selon les compilateurs
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82
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Annexe III
Ordre des chapitres selon les compilateurs
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83
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Annexe IV
Les dix sibylles de Varron et Isidore de
Séville
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87
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BIBLIOGRAPHIE
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88
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Médée, Circé et les sibylles sont des
figures privilégiées dans la littérature du Moyen
âge. Elles ont bénéficié d'un intérêt
qui ne s'est pas démenti et qui a perduré à la Renaissance
et plus loin encore. Leur savoir magique touche à plusieurs
sphères d'enseignement médiévales. Ces connaissances sont,
à mon sens, un miroir qui reflète la perception parfois positive,
parfois négative qu'on avait d'elles. Un type de texte en particulier,
les compilations, les a dépeintes dans plusieurs oeuvres à
l'intérieur d'un intervalle temporel relativement court : environ
un siècle, le XVe. À travers elles, les auteurs
médiévaux ont cherché à transmettre un savoir
à propos des femmes de savoir. Six compilateurs, par ordre
chronologique, sont ici à l'étude : Boccace, Christine de
Pizan, Martin Le Franc, Symphorien Champier et Antoine Dufour.
Par compilateurs, on entend des auteurs qui ont
rédigé une oeuvre semblable à une galerie de portraits.
Ces ouvrages sont composés de petits chapitres. Ce ne sont pas de
véritables oeuvres littéraires. Ils oscillent entre
encyclopédie et roman. Cependant, dans les oeuvres à
l'étude, certaines oeuvres dérogent à cette
définition. Le Champion des dames, par exemple, contient bien
une galerie de portrait, mais aussi d'autres types de textes. De plus, les
portraits sont écrits sous forme de dialogues. Boccace a publié
De claris mulieribus en 1374, mais sa version en ancien
français par un traducteur anonyme, date de 1401. Les deux versions
méritent qu'on s'y penche. La Cité des dames de
Christine de Pizan a pour sa part paru presque un siècle après la
version originale de De claris, en 1405. Ensuite, en 1441 ou 1442, a
paru l'oeuvre de Martin Le Franc, Le Champion des dames. La Nef
des dames vertueuses de Symphorien Champier a été
publiée en 1503. La vie des femmes célèbres
d'Antoine Dufour, quant à elle a été publiée
à un an d'intervalle avec Champier, en 1504.
Comme les dates l'indiquent, la première de ces
compilations à voir le jour a été celle de l'Italien
Boccace. Son influence sur les autres auteurs est notoire. Par ailleurs, il est
important de noter que le titre de ce mémoire, Les enchanteresses
dans les compilations du XVe siècle, ne sied pas
à Boccace, car son oeuvre date du XIVe siècle. Je me
concentre donc sur les auteurs du XVe-début XVIe
siècles. Il est impensable de passer outre Boccace, vu les nombreuses
répercussions qu'il a eu sur les autres. Ce sera donc avec cette
idée en tête que seront examinés les ouvrages du corpus.
La compilation, ces « galeries de
portraits », se distingue de l'encyclopédie, terme n'existant
pas encore au Moyen âge. Les compilateurs s'inscrivent dans la seconde
période de l'encyclopédisme médiéval comprise entre
la fin du XIIe siècle au XVe siècle. Les
compilations touchent donc au savoir encyclopédique tout en s'ouvrant au
romanesque. De plus, les compilations des six auteurs sont des
réécritures de l'Antiquité. Les mythes y sont
présentés comme des faits historiques. Plusieurs oeuvres de
fiction seront mentionnées plus en amont, dont Le Roman de Troie
qu'il est particulièrement pertinent de mettre en avant ici. En
effet, il fait partie d'une trilogie de romans antiques (avec les romans de
Thèbes et d'Énéas).
Courte genèse des oeuvres
En ordre chronologique, les ouvrages et leur auteur sont
classés dans l'ordre suivant : De claris mulieribus
(Boccace), La Cité des dames (Christine de Pizan), Le
Champion des dames (Martin Le Franc), La Nef des dames vertueuses
(Symphorien Champier), La vie des femmes célèbres
(Antoine Dufour). Chez Boccace et Christine de Pizan, il s'agit d'un recueil de
portraits de femmes. Bien que la compilatrice se base sur Boccace, elle va plus
loin que son maître en organisant la succession de biographies.
Dans Le Champion des dames de Martin Le Franc,
l'auteur exprime sur les raisons de création de son oeuvre : C'est
pour obéir à Vérité qu'il a composé
son poème, non sans avoir hésité, car le vaincu demeure
redoutable, et parce que, jeune clerc, il avoue manquer d'expérience et
de maturité1(*) ». C'est donc afin de rendre service qu'il
se met au travail avec un souci de réalisme, toujours selon son propre
prologue. L'oeuvre de Martin Le Franc est divisée en cinq livres. Dans
le premier, le poète rencontre Amour. Ils sont rejoints par
Franc Vouloir, le Champion des dames et plusieurs autres personnages.
Le texte s'emploie à traiter de l'amour et de ses effets. Dans le
deuxième livre, Franc vouloir se porte à la
défense de la dignité féminine. Dans le livre suivant,
Martin Le Franc veut montrer que les femmes ne sont pas les seules responsables
des malheurs qui surviennent en amour. Comme en réponse au livre
précédant, le livre IV défend les qualités et les
vertus des femmes. Dans celui-ci se trouve la partie qui concerne les sibylles.
Finalement, dans le livre V, Le Franc rend hommage à la Vierge, la femme
qui le mérite le plus entre toutes.
Symphorien Champier a aussi composé La Nef
des dames vertueuses selon un schéma différent des autres
compilations. Il se divise en quatre parties ayant chacune une fonction
distincte :
Le premier livre de la Nef est un recueil de
biographies de femmes célèbres, semblable au De claris
mulieribus de Boccace et à la Cité des dames de
Christine de Pizan; le second peut être comparé aux traités
sur le mariage ou aux « manuels de comportement »
destinés aux femmes, comme les Enseignements d'Anne de France...
à sa fille Susanne de Bourbon; le troisième juxtapose les
prophéties des sibylles à celles de la Bible. Finalement, le
quatrième, « Le Livre de vraye amour », est un
« sermon laïc »2(*).
Champier avait auparavant écrit La Nef des
princes qu'il envoya à plusieurs hommes de pouvoir et/ou de renom,
en 1502. L'année suivante, il écrit la Nef des dames
vertueuses version féminine de l'oeuvre précédente,
mais il ne parvint pas au poste convoité. Elle lui valut le
succès et connût trois éditions : 1503, 1515 et 1531.
Dans la première partie de La Nef se trouve un recueil de
biographies de femmes célèbres. Ensuite vient le
« Gouvernement de mariage » dans le deuxième livre.
Le troisième présente les sibylles et les prophéties dans
la Bible. Finalement, le quatrième, « Le Livre de vraye
amour » est un « sermon laïc » ou un texte
sur le Banquet de Platon.
En suivant l'ordre chronologique de parution, on en vient
à La vie des femmes célèbres d'Antoine Dufour. Il
savait que la compilation de vie de femmes avait déjà
été travaillée à plus d'une reprise, en composant
son ouvrage. Il le souligne lui-même dans son prologue :
« comme Bocasse, Théophraste et ung tas d'aultres3(*) ». Cependant, comme
l'indique Gustave Jeanneau dans l'introduction, « Boccace reste, en
effet, le modèle du genre, avec son De claris mulieribus. (...)
Dufour place Boccace au nombre de ses modèles, tout en précisant
qu'il entreprend son traité dans un autre esprit4(*) ». Cependant, Dufour
restera assez éloigné de Boccace. Dufour entretient aussi
certains aspects du texte de Symphorien Champier. Les personnages du
compilateur sont soit bibliques, proviennent du monde antique (mythologie,
Histoire, Antiquité chrétienne) soit du Moyen âge.
Ces femmes magiques
Les compilateurs ne parlent pas forcément tous des
enchanteresses Médée, Circé et les sibylles. L'annexe II,
Les enchanteresses selon les compilateurs, montre par un tableau la
présence ou non des enchanteresses selon chaque compilation. Elles sont
présentes entre quatre et quatorze fois. C'est Boccace qui en a mis le
moins et Christine de Pizan le plus. Le cas des sibylles est de loin le plus
complexe, car les auteurs ne sont pas tous d'accord quant à leur nombre
et leur nom. Il existe donc quatorze sibylles, alors que, dans les
compilations, on en dénombre neuf, dix ou douze. Dans le tableau, les
douze sibylles, de Libie à Phrigie, sont présentes Symphorien
Champier. Chez Martin Le Franc, il y a Albunée et Chimère qui
diffèrent. Champier considère qu'Albunée et Tiburtine sont
les mêmes. Il faut aussi noter que les noms varient d'un auteur à
l'autre, ce qui rend parfois difficile leur classement. De plus, la sibylle
Érithrée revient à deux reprises, dans Le Livre de la
Cité des dames : une première fois dans le chapitre
« Où il est question des dix sibylles » et la seconde fois
dans le chapitre qui le suit directement « Où il est question de la
sibylle Érithrée ». Cela est aussi le cas pour
Almathée, qui apparaît dans le chapitre des dix sibylles et dans
un qui lui est consacré. Chez Le Franc, Érythrée revient
également à deux reprises. Chez ces deux auteurs, on
présente d'abord les sibylles en groupe, puis une ou deux autres d'entre
elles sont décrites à part.
En tout, il existe cinquante-sept cas d'enchanteresses, dans
les compilations de mon corpus seulement. Deux figures seulement reviennent
chez les six compilateurs : les sibylles Érythrée et
Almathée ou Cumane. Médée est plus populaire que
Circé, se retrouvant dans quatre compilations, contre trois pour sa
congénère. Les sibylles reviennent généralement
chez plus d'un auteur des compilations. Chimère, quant à elle,
est présente seulement chez Martin Le Franc. Malgré que Boccace
soit l'instigateur des compilations, un fait retient l'attention : il n'a
retenu que quatre enchanteresses dans De claris mulieribus
(Érythrée, Almathée, Médée et Circé).
À l'inverse, Christine de Pizan qui s'est fortement inspirée du
Florentin en compte le plus grand nombre. On peut donc affirmer qu'elle n'a pas
lésiné sur les ajouts. Il faut dire que son ouvrage se veut un
monument à la gloire des femmes et qu'il est avantageux d'y
intégré toutes celles qu'elle juge dignes d'intérêt.
Derrière Christine, Jean Robertet a augmenté le nombre des
sibylles à douze et parle également de Circé.
Contrairement à Christine, Symphorien Champier et Martin Le Franc
annoncent dix sibylles. En outre, Champier est l'unique auteur qui parle de
Médée sans parler de Circé.
Champier, Boccace et Christine de Pizan ont composé de
recueils qui juxtaposent des chapitres désignant chacun un ou plusieurs
personnages. Martin Le Franc est exclu du tableau de l'annexe II. Le
Champion est une oeuvre qui tient beaucoup du récit, car son
ouvrage n'est pas divisé en chapitres correspondant à un
personnage. Champier a suivi l'ordre des chapitres de Christine de Pizan et
Boccace. L'ordre des femmes chez Dufour ne présente que peu de
similitudes avec les autres compilateurs. Sans être placés au
même endroit dans la compilation, certains personnages sont à
proximité les uns des autres, par exemple Érythrée
placée douzième chez Dufour et treizième chez Champier.
Elles se chevauchent donc et cela peut relever du hasard uniquement. Les
astérisques, toujours dans le tableau, indiquent ces rapprochements.
Comme mentionné en ouverture de ce texte, les
enchanteresses jouissent d'une représentation foisonnante. Outre les
compilations, plusieurs oeuvres de fiction les ont mises en scène.
Ainsi, les sibylles sont des héroïnes multiples réduites
à une seule chez Guillaume de Machaut avec le Voir-dit et
Antoine de la Sale avec Le Paradis de la reine Sibylle, où elle
est une souveraine d'un monde étrange. Quant à
Médée, Benoît de Sainte-Maure dans Le Roman de
Troie et Guillaume de Machaut dans la même oeuvre ont
esquissé son portrait. Finalement, Circé, une nouvelle fois la
moins populaire, a pris vie dans le Roman de Troie et Le
Voir-dit, encore. Comme nous le verrons, cette impopularité tient
du fait que son histoire est moins explosive que celle de Médée.
Du côté des sibylles, leur nombre crée leur force. Les
cinquante-sept portraits portant sur les enchanteresses sont
rédigés en moyen français et en latin. La coloration des
mots utilisés pour parler d'elles fera ici l'objet d'une attention
particulière. Les auteurs médiévaux ont transformé
la matière antique selon leur gré, mais aussi selon les
conventions de leur époque. Pour nous, lecteurs contemporains, les
enchanteresses désignent des magiciennes, voire des fées, dont le
savoir merveilleux déclenche l'admiration et nous plonge dans un monde
en dehors de la réalité. Sous la plume des compilateurs, elles en
sont pourtant bien loin.
Les enchanteresses sont des femmes aux pouvoirs surnaturels.
Comme tel, elles ne sont pas de véritables humaines. Leur savoir
merveilleux ne peut pas se retrouver entre les mains de simples mortelles. Les
enchanteresses ne sont pas non plus des fées, car elles n'ont pas
hérité de leurs pouvoirs. Le savoir merveilleux qui nous occupe
ici concerne la divination (chez les sibylles), la capacité de se
métamorphoser (la reine Sibylle) ou bien de transformer d'autres
personnages (Circé). Chez Médée, elle sait notamment
ensorceler des objets et fabriquer des potions. Elles les ont acquis par la
pratique et l'enseignement. Les enchanteresses sont cependant des
« êtres faés », c'est-à-dire magiques.
Le texte qui suit tentera donc de répondre aux
questions suivantes : Comment était perçu le savoir des
enchanteresses dans les compilations du XVe siècle? Pourquoi les auteurs
jugent de manière positive ou négative le savoir des femmes?
(Qu'est-ce que cela nous apprend sur leur vision de la femme / ce qui vient de
leur propre condition : homme / femme, clerc ou non, etc.?). Par savoir
dénigré, j'entends le savoir qui est critiqué par les
auteurs. Il s'agit le plus souvent de dons extraordinaires
caractéristiques des enchanteresses, mais qui provoquent une attitude
négative chez les auteurs. À l'inverse, le savoir valorisé
est le savoir dont les auteurs font l'éloge ou qui provoquent leur
admiration. Mon travail se divise en trois chapitres :
Médée, Circé et les sibylles. Chacune des parties est
divisée en deux : le savoir dénigré et le savoir
valorisé. Chaque chapitre commence par une courte introduction et une
conclusion le termine. Plusieurs annexes éclairent le texte.
PREMIER CHAPITRE
Médée
Introduction
Les enchanteurs, mais aussi les enchanteresses, sont nourris
par deux sources : l'Orient et l'Occident. Ces sont des figures
fantasmagoriques, marquées par des origines du monde celtique. Ils sont
des savants, des devins, des astrologues qui pratiquent le maleficia
ou le beneficia. Parfois, ils se caractérisent par une
empreinte de la démonologie. Au fil des siècles, ils deviendront
des magiciens conjurant le démon5(*), selon Christine Ferlampin-Acher. Médée
fait partie de ces enchanteurs/enchanteresses, bien qu'elle ne soit pas
reliée aux légendes celtiques. Ce personnage a transcendé
les siècles comme peu de figures antiques l'ont fait. Au Moyen
âge, les compilateurs qui ont écrit sur elle sont Christine de
Pizan, Antoine Dufour, Boccace et Symphorien Champier. Du côté des
oeuvres de fiction, Médée est notamment présente dans
Le Voir-dit et Le Roman de Troie. C'est son récit de
son amour pour Jason qui a surtout retenu l'attention. Bien d'autres auteurs
ont parlé de Médée, mais les textes mentionnés ont
été retenus pour des raisons précises. D'abord, Le
Voir-dit de Guillaume de Machaut est une oeuvre phare du Moyen âge.
Le poète chante les femmes et il est donc intéressant de se
pencher sur lui ici. Ensuite, Le Roman de Troie présente un
portrait complet de Médée, surtout en ce qui a trait avec son
savoir magique.
En guise d'entrée en matière pour les trois
types de figures de mon étude, je propose pour chacune une
définition qui résume leurs actions dans les mythes:
Personnage du mythe grec des Argonautes. Comme Circé,
dont elle est la nièce [Médée], n'est pas une
divinité, bien qu'elle soit petite-fille du Soleil et fille d'une
Océanide, mais une enchanteresse. Elle a appris, en effet, l'art de la
magie, qu'elle utilise pour permettre à Jason de dérober la
Toison d'Or, mais aussi pour se venger de ses ennemis : devant les filles
du roi Pélias, elle dépèce un vieux bélier, le
jette dans un chaudron où bout une mystérieuse préparation
et l'en ressort petit agneau; les filles de Pélias, stupides, feront
subir à leur père ce traitement qui, loin de le rajeunir, le
tuera. Plus tard, Médée empoisonne la robe et les bijoux qu'elle
offre à sa rivale, Créuse. Après avoir tué ses
propres enfants -pour se venger de Jason, infidèle, ou pour les
préserver de l'exil- elle s'envole sur un char attelé de chevaux
ailés, présents de son aïeul, le Soleil. Sans être une
fée, concept d'origine celtique, Médée en possède
beaucoup de traits, que l'on retrouvera dans de nombreuses
légendes : la beauté, la richesse, la passion pour un
héros mortel, la faculté de se déplacer dans les airs, le
caractère impitoyable de ses vengeances. Sa cruauté et les
poisons qu'elle compose l'apparentent aussi aux futures sorcières.
(À noter qu'avant Eurypide, Médée était
présentée comme une victime des Corinthiens et non comme une
criminelle.)6(*)
Comme nous le verrons, les compilateurs résument de
manière concise ces évènements. Ils perçoivent
l'enchanteresse de manière à la fois positive et négative.
Abordons tout d'abord le savoir mal reçu par les auteurs présent
dans l'oeuvre de Boccace et Dufour affirment à plusieurs reprises ne pas
être entièrement satisfaits du savoir magique de
Médée. Dufour, en particulier, semble presque détester le
personnage. Il la compare à des êtres démoniaques et
stipule qu'elle méritait son triste sort. Boccace se montre plus
nuancé et il fait mention de plusieurs capacités surnaturelles.
Ensuite, Boccace, Christine de Pizan, Champier et Dufour, dans une certaine
mesure, valorisent ce même savoir. Dans le cas de Christine de Pizan,
cela n'est pas étonnant. L'écrivaine met en scène son
héroïne dans deux chapitres, l'un dans le premier livre et l'autre
dans le second, « De Medee amante ». Champier, quant
à lui, s'est autorisé très peu de lignes pour parler de
Médée. Ses louanges sont donc proportionnellement restreintes.
a) Experte « es malfices et ars mauvaises et
deffendues »
Dans De cleres et nobles femmes, le traducteur
anonyme stipule en disant que Médée est aussi une experte
«es malfices et ars mauvaises et deffendues7(*)». L'annexe I montre un tableau des
caractéristiques des textes sur Médée chez ces auteurs,
mélangeant les aspects positifs et négatifs. Sa plus grande
caractéristique magique est certainement sa «grande cognoissance de
la vertu des herbes8(*)». Ainsi, nous verrons que ce pouvoir lui vaudra
les foudres des compilateurs. Sa connaissance des plantes, par ailleurs, lui
confère la possibilité d'aider Jason, ce qui la mènera
à sa perte. On peut donc dire que ce savoir est primordial, en ce qui
concerne Médée. Ses pouvoirs, toujours selon le texte en ancien
français, peuvent troubler les éléments de la
Nature : elle savait «par une chançon, troubler et obscurcir
le ciel, mouvoir les vens des fosses et cavernes de la terre, commouvoir les
tempestes en l'air, arrester les fleuves, confire venins, composer feu sans
labeur9(*)». Plus loin,
Médée est qualifiée de « puissant Medee10(*) ».
Ces détails, dans la version latine, sur le savoir de
Médée précèdent la partie la plus longue du
chapitre consacrée à l'enchanteresse antique :
[F]ormosa satis et malefitiorum longe doctissima. Nam, a
quocunque magistro instructa sit, adeo herbarum vires familiares habuit, ut
nemo melius novitque plene cantato carmine turbare celum, ventos ex antris
ciere, tempestates movere, flumina sistere, venena conficere, elaboratos ignes
ad quodcunque incendium componere et huiusmodi perficere omnia. Nec illi - quod
longe peius- ab artibus fuit dissonus animus; nam, deficientibus eis, ferro uti
arbitrabatur levissimum11(*).
Dans cet extrait tout comme dans celui en ancien
français, il est question de son maître. Médée a
donc appris son savoir. Elle ne l'a pas reçu comme don à la
naissance au même titre que certaines fées
médiévales dont elle se distingue. Cette magie est souvent mal
perçue, à l'époque médiévale :
« C'est précisément parce que l'acte d'enchantement a
une base prétendument `rationnelle' que la magie est encore plus
convaincante - et donc terrifiante12(*) ».
Plus en amont dans l'extrait, d'autres qualificatifs de
Médée surgissent : elle est l'instigatrice de
« tresdesloail fait » et a fait preuve de
« grande mauvaistié et desloaiauté 13(*)». Ces expressions
connotent les actes malfaisants de l'enchanteresse pour conserver l'amour de
Jason. La version originale ne contient pas moins de termes négatifs
à son égard. Au sujet de la discorde qu'elle instaure entre
Pelias et sa fille, Boccace écrit : « arte sua zizaniam
inter natas et Peliam sevit easque misere armavit in patrem14(*) ». L'Italien
explique également que l'avidité de Médée,
même après avoir volé l'argent de son père,
n'était pas assouvie : « clam fugam arripuit; nec tam
grandi facinore contenta, in peius trucem divertit animum15(*) ».
Boccace, tout comme les autres compilateurs qui suivront sa
trace, s'inspire activement des mythes antiques. Les pouvoirs de
l'Antiquité varient donc de ceux des auteurs médiévaux. Le
tableau de l'annexe I résume avec plus de détails le récit
de Médée, mais, élément important, il distingue la
magie bénéfique de la magie maléfique. C'est donc dire
que, malgré ce que laissent croire les mots choisis par Boccace, la
femme de Jason a également fait le bien autour d'elle, en ce qui
concerne les récits antiques en tous les cas. Parmi ces traits
légués par la tradition, Boccace en a choisi certains et
ignoré d'autres. Cependant, nous ne savons pas quels textes il avait
à sa disposition et nous ne pouvons pas affirmer avec certitude qu'il
avait pris connaissance de cette liste de dons.
Boccace oscille souvent, dans le choix de son vocabulaire
pour décrire le cas de Médée. Ruth Morse explique cette
ambiguïté chez Boccace : « I have spoken of
Boccacio's fascination with Medea, and of his `anti-Medea'. There is one
further place in Boccacio's work where the motifs of Medea's story reappear,
although in a form so distant as to be almost invisible16(*) ». En effet, Boccace
salue les qualités de Médée, comme nous le verrons dans la
prochaine partie sur le savoir valorisé, mais il n'hésite pas
à la décrire comme un être néfaste. Dans la crainte
d'être mal jugé pour de trop grandes éloges envers les
femmes, ses positions sur elles sont prudentes. La distance qu'il instaure avec
le savoir du personnage le protège des critiques.
Boccace a inséré toutes sortes de jugements sur
les femmes. Selon lui, elles n'ont pas vraiment de mérite à
savoir ce qu'elles savent :
Boccacio is, however, through the repetitions of his examples,
once again suggesting a morphology which is also a moral categorization of the
nature of women. What makes exceptional women is `ingenium', cunning
intelligence, and the `ingenium' may be used for good or ill. The outcome of
their superior gifts of intelligence is an almost arbitrary matter, depending
more on fortune than good judgement. Boccacio's outstanding woman is a
dangerous being17(*).
L' «ingenium » de Médée est,
comme le dit le compilateur, un outil du Mal, mais aussi du Bien. C'est surtout
la Fortune qui décide de l'issu des évènements. Quoi qu'il
en soit, les femmes de Boccace sont des êtres dangereux. Antoine Dufour
abonde aussi dans ce sens. Après tout, ce savoir est
« défendu ».
Du côté d'Antoine Dufour dans La Vie des
femmes célèbres, la perception est, tout comme chez Boccace,
principalement négative. L'annexe II, Les enchanteresses selon les
compilateurs, montre par un tableau la présence ou non des
enchanteresses selon chaque compilation. L'auteur introduit comme suit le
personnage :
Médée, malicieuse, plus que nul serpent, fut du
temps de ceste sibille, ingénieuse à mal faire et inventive
à se contrefaire, car elle n'avoit riens sur elle qui ne portast
enseigne de lubricité ou de malice. Il me fasche bien de parler de ceste
cy, pour la révérence des bonnes; mais pour enseigner les
simplettes du dangier de cest inconvénient, au plus brief je en diray ce
qu'il m'en semble.18(*)
La comparaison de Médée avec un serpent
malicieux ne laisse d'emblée aucun doute sur le ton dominant de
l'extrait. De plus, Dufour dit qu'il lui « fasche » de
parler d'elle, autrement dit qu'il préfèrerait ne pas le faire,
mais qu'il ne peut pas y échapper, car il doit
« enseigner » sur elle.
Plus loin dans le chapitre sur Médée,
classé treizième dans l'oeuvre, elle est qualifiée de
« malheureuse19(*) » et décrite comme un être qui
« semast de si villains chardons20(*) ». Dufour affirme aussi qu'elle a commis
« plusieurs erreurs avec Jason21(*) » et qu'elle avait mérité son
sort. Cependant, avec « serpent », le jugement le plus fort
de l'auteur se fait sentir avec le nom propre « grande
sorcière ». En effet, à l'époque de la
rédaction de l'ouvrage qui parut en 1503, la Chasse aux sorcières
avait déjà débuté en Europe :
Le `surnaturel démoniaque' n'est pas une invention des
Temps modernes : il a été pendant tout le Moyen Âge,
où la peur de Satan et de ses tentations est devenue de plus en plus
centrale, l'objet de représentations iconographiques et
littéraires. (...) La Chasse aux sorcières, qui débute
vers 1450, est l'aboutissement d'un long processus de `cristallisation' de
croyances antérieures22(*).
Donc, en faisant de Médée une sorcière,
Dufour la place définitivement du côté des femmes
malfaisantes.
Le savoir magique de Médée, comme nous venons
de le voir chez les trois auteurs, possède des caractéristiques
communes et divergentes de l'un à l'autre. Boccace et Dufour
présentent Médée comme un être dérangeant,
qui bouscule les conventions de l'époque : « elle est
celle qui dérange, celle par qui le scandale arrive, celle qui remet en
question l'ordre grec, la civilisation fondée sur la suprématie
de l'homme23(*) ».
Ils dénigrent les qualités du personnage au profit de traits
mauvais qui valorisent leur point de vue aux yeux des lecteurs. Fort est
à parier que les trois auteurs, des hommes, se sont sentis
attaqués par cette femme qui parvenait toujours à ses fins par
n'importe quels moyens. Les traits de personnalité du personnage de
Médée, n'étaient pas dans les moeurs de l'époque.
Femme forte, elle ne s'effaçait pas derrière les hommes comme de
nombreuses femmes derrière leur mari. Elle s'est imposée,
malgré son sexe. Jason lui doit son succès avec la Toison d'or.
Des deux, elle est le personnage dominant. Elle n'obéissait pas à
Jason, mais à elle-même.
Le savoir magique de Médée n'appartient pas
à la réalité du Moyen âge pas plus qu'aujourd'hui.
Si Médée l'utilise à de bonnes fins comme à de
mauvaises, il demeure que son histoire échappe au quotidien
réaliste. En faisant rencontrer toutes ces femmes de provenances
multiples dans sa galerie de portraits, les compilateurs semblent obliger de se
justifier dans leur choix. Voilà peut-être une des raisons qui
fait que le savoir des enchanteresses est dénué presque
entièrement de magie. Le magique est presque totalement absent des
romans de cette époque : « Pour le roman de la même
époque [Moyen âge], force est de constater que la magie en
général, bénéfique autant que maléfique, est
un procédé de composition littéraire24(*) ».
De Boccace à Dufour, les portraits sont devenus plus
concrets, mais il est indéniable que Boccace a eu une influence sur
Dufour : « [S]'il doit quelque chose à Boccace, Dufour
doit être aussi tributaire d'autres auteurs, dont l'histoire
littéraire a oublié le nom25(*) ». De même, Champier et Dufour
présentent quelques similitudes, quoique d'importantes coupures aient
été effectuées dans La Nef : « Un
certain nombre des héroïnes de Champier se retrouvent chez Dufour,
mais les notices du premier sont beaucoup plus courtes que celles du
second26(*) ».
En fait, les influences entre les compilateurs sont un système complexe
qui pourrait être résumé par le schéma
suivant :
Le trio Boccace, Dufour et Champier s'entremêle de
différentes manières :
Dufour ne fait que se conformer à la tradition :
beaucoup de ces `femmes célèbres' appartiennent
déjà, en effet, à l'oeuvre de Boccace et à celle de
Champier. (...) D'autres se trouvent chez Boccace, mais non chez Champier.
(...) D'autres figurent chez Champier. (...) D'autres enfin ne se trouvent
ni chez Boccace ni chez Champier. (...) Sans doute est-il [Dufour], sur ce
point, plus complet que Boccace (...). Mais il reste loin derrière
Champier, qui consacrait quarante notices aux saintes de l'Ancien Testament et
trente-six à celles du Nouveau27(*).
Voilà donc la preuve que les compilations sont des
oeuvres compliquées, surtout quand il s'agit d'auteurs qui s'inspirent
des autres, voire qui les copient. Chacun de ces trois auteurs a eu la chance
de brosser un meilleur portrait de l'enchanteresse Médée, mais ne
l'a pas fait. Il reste que leurs textes mettent parfois en valeur les
personnages.
b) Évolution du portrait du XIIe au XVe
siècle
Dans Des cleres et nobles femmes (De claris
mulieribus en version originale latine), de Boccace, Médée
est décrite comme «tresexperte enchanterresses28(*)». Elle y est
présentée comme la « Medee royne », alors
qu'elle est « Medea regina Colcorum » dans la version en
latin. La description du personnage est plus exhaustive dans le texte en ancien
français :
Tresexperte es malfices et ars mauvaises et deffendues. Car de
quelconque maistre elle ait esté instruite et enseignie, de homme c'est
assavoir ou de mauvaiz esperit ou aultre, elle eut tant familiere et grande
congnoissance de la vertu des herbes que nul homme plus la pouoit avoir; elle
savoit plainement, par une chançon qu'elle chantoit, troubler et
obscurcir le ciel, mouvoir les vens des fosses et cavernes de la terre,
commouvoir les tempestes en l'air, arrester les fleuves, confire venins,
composer feus sans labeur29(*)
Dans la Cité des dames de Christine de Pizan,
on ne compte que des aspects positifs aux atouts de Médée.
Dès le début de son chapitre, l'auteur écrit, dans la
version en ancien français : « Medee, de laquelle assez
d'istoires font mencion, ne sceut pas moins d'art et de science que celle
devant dicte30(*) ». Il est intéressant de remarquer
que Christine utilise le chapitre de Boccace dans De claris au sujet
des pouvoirs de l'enchanteresse Médée. Certaines parties sont une
copie conforme de la traduction en ancien français, Des cleres et
nobles femmes. En outre, Médée« savoit de toutes
herbes les vertus et tous les enchantemens que faire se peuvent31(*)». On retiendra donc que
l'enchanteresse possède un large savoir. Boccace explique comme elle
parvient à réussir ses sorts, notamment en chantant. Elle sait
jouer avec les éléments naturels. Chez Christine de Pizan, elle
est versée dans les arts et dans les sciences, ce qui fait d'elle une
personne anormalement savante pour l'époque.
L'extrait de Symphorien Champier dans La Nef des dames
vertueuses est le plus court qui concerne le personnage,
quatre-vingt-treize mots exactement. «Medée fut fille de oethes
tresnoble roy de l'isle de colchos tresinstruicte en l'art magique32(*)». Elle apparaît au
trente et unième rang des femmes, entre Hypsipyle et Orithya. Champier,
contrairement à plusieurs auteurs, ne spécifie pas que
Médée a tué ses enfants, évènement qui nuit
certainement le plus à sa réputation. Les connaissances magiques
sont l'unique point positif du texte. Il ne faut cependant pas perdre de vue
que, avec aussi peu de mots, il est difficile de se forger une opinion. Par
contre, la lecture de l'oeuvre en entier permet de mesurer
l'appréciation de Champier envers les personnages :
Champier other arguments in favor of women are convincing, but
they are also general and typical of the time : 1) women, who are partake
of the nature of water, temper men, who are by nature fiery, and both
complement, complete, and render the other fertile and productive; 2) although
the Ancients say that the greatest sins have been committed by women, the
original cause can often be traces back to men, who have sinned more; 3) since
everyone was born of a woman, those who defame women defame themselves and
their families; 4) women are cleaner and more honest and attractive than men;
5) a good wife increases her husband's longevity, and he should therefore love
her as himself, especially since in marriage they forme one body; and 6) Jesus
loved women33(*).
Symphorien Champier se montre donc modérément en
faveur des femmes. Il reconnaît cependant l'instruction de
Médée, chose peu commune pour les femmes de son époque.
S'inscrivant dans la même veine positive que Christine, Champier partage
avec elle quelques points communs. L'auteur qui qualifie Médée de
« femme très instruite dans l'art de la magie », se
veut très favorable à l'égard des femmes :
The Cité des dames and Champier's Nef des
Dames do have much in common : 1) both are allegorical works, 2) both
defend women against their detractors and thus play an important role in the
Querelle des femmes, 3) both depend heavily on Boccacio's De
claris mulieribus, and yet 4) both contain only favorable portraits of
famous women34(*).
Ainsi, les deux ouvrages se veulent une défense du sexe
féminin.
Nombreux sont les articles qui traitent des ressemblances
entre les compilations. Plusieurs comparent Christine de Pizan et Boccace, qui
partagent de nombreuses informations : « dans le Livre de la
Cité des Dames, elle reprend plus d'un tiers des exemples du
traité de Boccace. (...) Christine raccourcie, abrège, amplifie
ou bien censure son modèle. En un mot, l'écrivain se livre au jeu
de la compilation35(*) ». La comparaison est aussi faite entre
Champier et Christine dans "Symphorien Champier and Christine de Pizan's
Livre de la cité des Dames". En sachant cela, on comprendra que
le savoir des enchanteresses se ressemble d'un auteur à l'autre, surtout
en ce qui concerne Boccace et Christine de Pizan.
Antoine Dufour souligne le talent principal de
l'enchanteresse : « tresfamée apotiquèresse de
velin36(*)». Ainsi,
elle est dotée d'un grand savoir des plantes qu'elle sait
mélanger afin de concocter des produits magiques. De plus, avec les
termes «du temps de ceste sibille37(*)», le compilateur compare une figure
chrétienne qu'il valorise beaucoup à une figure païenne.
Étant prophétesse au même titre que les sibylles,
Médée est elle-même nommée
« sibylle ». Il est donc hautement significatif que
Médée soit associée à une sibylle, bien qu'on ne
sache pas avec précision de laquelle des trois présentes dans
La Vie des femmes célèbres : « les
Sibylles font chez lui [Dufour] figure de prophètes :
Albunée a prophétisé la naissance du Christ,
Érythrée a chanté la Passion, Amalthée a
prédit la Résurrection38(*) ». Ainsi, on pourrait dire que
Médée est la quatrième de ces sibylles, puisque, comme
elles, elle sait prédire l'avenir.
Datée de 1165, le Roman de Troie fait office
d'un précurseur par rapport aux compilations et aux autres oeuvres de
fiction. Ce roman nous concerne ici, car il présente avec
précision le savoir de l'enchanteresse et qu'il mérite
d'être comparé avec celui des compilations. De plus, le personnage
évolue de manière intéressante au fil des siècles,
comme nous le verrons plus tard. Médée y apparaît sous un
jour bien différent. D'abord, il est longuement question d'elle.
Ensuite, rares sont les commentaires négatifs de Benoît de
Sainte-Maure. Le savoir magique de Médée est
rationalisé, ce qui n'est pas surprenant pour la période.
L'exemple de Mélior dans Partonopeu de Blois, datant de la
même époque à quelques années près, va dans
le même sens. Médée a travaillé ardemment afin de
maîtriser son art :
Trop iert cele de grant savoir.
Mout sot d'engin, de maïstrie,
De conjure, de sorcerie;
Es arz ot tant s'entente mise
Que trop par iert saive e aprise;
Astronomie et nigromance
Sot tote par cuer dé s'enfance.
D'arz saveit tant e de conjure
De cler jor feïst nuit oscure.
S'ele vousist, ce fust viaire
A ceus por cui le vousist faire.
Les eves faiseit corre ariere.
Scïentose iert de grant manière39(*).
Comme chez Boccace, elle sait jouer avec les
éléments, comme de« troubler et obscurcir le
ciel » et « arrester les fleuves 40(*)» et elle a appris son
savoir.
Médée est dotée de multiples
« poeir ». Elle les utilise dans un but personnel,
habituée à parvenir à ses fins : « Poi
proisera tot son poeir. / S'ele n'aenplist son corage. / Ja ne sera vers lui
sauvage41(*) ».
Jason reconnaîtra les talents de sa future épouse. En plus de ses
larges connaissances, elle est belle et possède de nombreuses
qualités morales : « Quar mout estes de grant saveir, /
Beuté avez mout e franchise / E de haut sens estes aprise42(*) ». De plus,
lorsqu'elle présente son projet d'aider le héros dans sa
quête, elle entretient avec lui un dialogue très semblable
à celui de Mélior et Partonopeu, lorsque celui-ci enfreint
l'interdit. La femme/fée lui explique alors d'où lui viennent ses
dons. Les deux personnages féminins ont en commun de pratiquer l'art
magique depuis l'enfance : « Mais je sai tant de nigromance, /
Que j'ai aprise des m'enfance, / Que quant que je voil puis tot faire : /
Je ne m'iert peine ne contraire. / Ce qu'autrui grieve m'est legier, / Ja n'i
troverai enconbrer43(*)». Ainsi, chez Benoît de Sainte-Maure,
nombreux sont les éloges de la magie de Médée, plus que
chez n'importe quel compilateur, même Christine de Pizan. Alain Maurice
Moreau explique ce phénomène sans doute à l'époque
du roman, le XIIe siècle : « Au fur et à
mesure des siècles la magie maléfique se développe au
détriment de la magie bénéfique. (...) Les
opérations de magie bénéfique sont d'une façon
générale plus anciennes44(*)».
Dans la description de Sainte-Maure, les savoirs de
Médée sont détaillés. Elle en devint presque une
fée telle que Mélusine, ravissante, toujours encline à
faire le bien autour d'elle. De plus tout comme elles, elle se verra trahie par
son amant : « Medea's vices, such asthey are, seem to stem from an
excess of virtue : too much knowledge put to the service of an unworthy
object, too much love for that object. Christine turned the stories to the
study of the emotions and actions they concerned45(*) ». Elle
apparaît sous son plus beau jour chez l'auteur du XIIe
siècle que dans le Cité des dames. Dans le Roman de
Troie, le personnage occupe une place beaucoup moins imposante que dans la
compilation. Dans celle-ci, de plus, un portrait plus neutre d'elle est
brossé. C'est comme si Christine cherchait à la rendre plus
réelle, que seul son savoir extraordinaire, savoir acquis, la rendait
différentes des femmes de son époque.
Plus loin dans le Roman de Troie,
Médée explique à Jason comment conquérir la Toison
d'or. Le processus doit se dérouler en plusieurs étapes et
à l'aide de plusieurs pouvoirs magiques. D'abord, Jason aura l'aide
d'une figurine magique : « Si en a traite une figure / Faite par
art e par conjure46(*)». Ensuite, elle munit son amant d'un onguent qui
le protègera des brûlures et d'un anneau, cadeau extrêmement
précieux, qui le préservera de toutes les sortes d'enchantements
ou de problèmes qui se dresseraient devant lui :
« D'ice, fait ele, seras oinz,
Quar de ce t'est graindre besoinz;
Puis n'avras ja de fué dotance,
Qui a ton cors face nuisance.
Or te bailerai mon anel -
Si n'en verras ja mais plus bel -
E si saches bien que la piere
Ne puet estre en niul sens plus chiere.
Soz ciel n'a home qui seit vis,
Des qu'il l'avra en son doit mis,
Qui ja puis crienge enchantement (...) »47(*).
Un autre objet est remis au héros : un texte
où est inscrite une formule magique. Elle lui servira à vaincre
le bélier. Pour ne pas attiser la colère des dieux, Jason doit
faire un sacrifice et lire le texte pendant qu'il s'exécute :
Après li rebaille un escrit,
E si li a monstré (...)
C'est escrit di tot belement
Treis foiees contre orïent;
Gart que seis amenteüz.
Or te baillerai ceste gluz :
Par tiel manière est destenpree
Que ja a rien n'iert adesee
Dont ja mais dessevree soit48(*).
Le dernier objet offert est de la glu, qui colle
définitivement tout ce qu'elle touche. Toutes ces pratiques magiques,
bien détaillées par l'auteur, ne font pas l'objet d'autant
d'attention chez les compilateurs, peu enclins à faire l'éloge
des talents de Médée. Il n'y a que dans cet ouvrage où
elle est présentée si positivement, mais cette image se ternira
au fil des siècles, et ce jusqu'à la fin du Moyen âge et
au-delà : « Dans le Roman de Troie,
Médée est déjà présentée comme une
bonne élève49(*) ».
Contrairement à ce qui est dit dans les compilations,
Benoît de Sainte-Maure donne des détails précis sur l'usage
des objets donnés par Médée. On apprend d'abord que Jason
traite avec respect la figurine et qu'il la place sur son casque afin qu'elle
le protège : « La figure a sacrefïee / Que Medea li
ot bailee, / Mist sor son heume e atacha / Si cum ele li enseigna50(*) ». L'auteur, avec
toutes les propriétés magiques de l'enchanteresse mises au
service de Jason, stipule donc clairement que, sans elle, le héros ne
serait pas parvenu à ses fins. D'ailleurs, il est perçu de
manière très négative. La chute de Médée
est, dans le Roman de Troie, causée par son amour pour lui,
infidèle. Elle est perdit la tête : « Grant folie
fist Medea : / Trop ot le vassal aamé51(*) ». Elle se fourvoya
en aimant trop, alors que chez tous les compilateurs sauf Christine et Boccace
dans une moindre mesure, c'est parce qu'elle était surtout mauvaise.
Christine de Pizan, en effet, ne se permet pas aucun
passe-droit dans sa mission de promouvoir le sexe féminin :
Christine utilise librement son modèle,
l'interprète de façon délibérée, s'amuse
même en faisant dire à Boccace ce qu'il n'aurait jamais voulu
dire. Elle exclut de son discours toute la charge misogyne du texte qu'elle
compile et elle brandit l'étendard du progrès en faisant
l'éloge de l'oeuvre civilisatrice des femmes et de l'ordre social qui
règne dans le monde grâce à elle52(*).
La Cité des dames est pourtant loin
d'être la compilation la plus ancienne. On pourrait penser que la cause
féminine évolue dans le temps, mais, en ce qui concerne cette
compilation confrontée aux autres, ce n'est pas le cas. Le savoir de
Médée, en outre, nous l'avons déjà vu, n'a jamais
été aussi bien considérée qu'au XIIe
siècle. Il faut cependant ajouter que le point de vue d'une auteure sur
le savoir des femmes magiques médiévales n'avait jamais encore
été exprimé.
Le Livre de la Cité des Dames contient en
fait deux parties concernant Médée, ce qui est unique dans les
compilations présentées ici, dans le premier livre le chapitre
XXXII et dans le deuxième livre le chapitre LVI. Ce dernier porte le
titre « De Medee amante», titre donné par l'auteure
elle-même. Christine, fidèle à ses habitudes, me parle
qu'en bien de son héroïne. Elle est une femme «qui tant avoit
de savoir53(*) ». Jason est présenté comme
un traître et un lâche, alors que Médée est sa
victime. Elle le «volt garder de mort54(*)» avec ses pouvoirs magiques, il la
délaisse. L'auteur poursuit sur les dons extraordinaires de cette
femme : « Et a brief dire, elle lui bailla charmes et
enchantements, comme celle qui tous les savoit, et lui apprist toute la
manière comment et par quelle voye il conquerroit la toison
d'or55(*) ». Les
dons de Médée ne l'ont pas empêché d'avoir le coeur
brisé. La compilation la présente avec précaution.
Cependant, son savoir n'est pas détaillé dans cet extrait comme
avec le précédent du premier livre.
Un peu plus d'un siècle plus tôt avant Christine,
Guillaume de Machaut écrit sur la puissance de l'amour de
Médée pour Jason plutôt que sur la puissance de son
savoir : « Je sui celle qui me doi plaindre de vous plus que ne
fist oncques nulle fame de son ami, et plus que ne fist Medee de Jason56(*) ». Il est aussi
à noter que le poète compare son amour à celui d'une
femme, ce qui en soit pourrait paraître surprenant pour l'époque.
Peu d'hommes aimaient alors se comparer aux femmes qui sont le sexe faible. Les
hommes, considérés tout puissants, n'avaient habituellement pas
de modèles féminins, mais plutôt masculins. Machaut insinue
ainsi que l'amour des femmes envers les hommes a plus de portée que
celui d'un homme envers une femme. Lui, l'auteur, souffre autant qu'elles.
C'est donc un jugement favorable envers les femmes qu'il émet ici.
Le Voir-dit de même que les autres oeuvres du
poète font parfois preuve d'un avis critique sur le sexe
féminin : « Ce discours clérical, qui échappe
parfois à Guillaume de Machaut, se marque par une certaine
condescendance. L'emploi du mot famelette lors d'un apitoiement sur la
faiblesse de la femme paraît révéler d'une telle
attitude57(*) ».
Plus loin dans l'ouvrage de Machaut, une autre remarque est faite au sujet de
Médée, non pas sur ses connaissances, mais sur son aspect
physique : « Qu'onques Jason belle Medee, / Ne Dido de Cartage
Enee, / N'aussi Biblis / Cadmus, në Helaine, Paris / N'amerent tant, soies
ent fis, / Com je t'aim58(*) ». Ainsi, bien qu'il n'était pas
rare au Moyen âge que l'on mentionne on même l'éloge de la
beauté féminine, il demeure que Machaut ne souligne pas les
talents extraordinaires de Médée. Ainsi, l'amour de
Médée pour Jason est grand et la beauté de
l'héroïne est louée. L'auteur ne s'engage pas, comme
Christine de Pisan ou Champier, dans des avenues peu fréquentées
afin de promouvoir la femme.
Selon certains spécialistes, Champier aurait lu la
Cité des dames :
While she implies, but does not directly state, the Champier
had read and imitated Christine in his Nef des dames, Paula Soomers
goes a step further in her essay, "Marguerite de Navaree as Reader of Christine
de Pizan", claiming that the Lyonnais physician and author Symphorien Champier
acknowledges Christine in his Nef des Dames (Ship of
Ladies)59(*).
Si de tels propos sont véridiques, Symphorien Champier
aurait pris connaissance de la prise d'opinion féministe de son
homologue et l'aurait réfuté. C'est donc dire qu'il aurait fait
un pas en arrière. Le mystère demeure, mais il ne serait pas
surprenant que Champier soit, au fond, bien peu en faveur des femmes,
malgré ce qu'il en dit dans La Nef des dames vertueuses :
« Si Champier semble défendre sans équivoque les femmes
dans son second livre de la Nef des dames, il paraissait bien misogyne
dans la Nef des princes, publiée un an auparavant60(*) ».
Quand il est question de Médée ou même
des sibylles, qui seront abordées plus loin, très peu de choses
sont dites au sujet de son éducation ou de leur savoir. Ces deux notions
sont étroitement liées à la promotion de la femme. Il est
donc un peu étrange que le compilateur ne se lance pas plus en avant
dans ces domaines : « Christine Hill met aussi en question un
Champier misogyne transformé en féministe : comment, se
demande-t-elle, peut-on expliquer le fait que dans la Nef des dames,
une oeuvre censée traiter de l'éducation des femmes, il
évite de parler de leur instruction formelle?61(*) ». Sa position
envers les femmes est bel et bien ambiguë. Cette ambiguïté
marque néanmoins la venue d'une période nouvelle, même s'il
a déjà déclaré que les deux sexes ne sont pas
égaux. Il revient ensuite sur ses propos : « Champier
invite les hommes à les [les femmes] traiter quand même comme
`compagnes et égales' - une position peu habituelle à
l'époque et qui marque peut-être une transition dans l'histoire de
la querelle62(*) ».
Christine de Pizan et Symphorien Champier ont tous deux
participé à la Querelle des femmes dont il a
été question plus haut. Leurs visions parfois divergent sur leur
statut. Judy Kem s'est déjà penchée sur le personnage de
Médée :
Christine and Champier write a favorable account of Medea but
in different ways. (...) In the Cité des dames, Christine
simply states that Medea was learned in the sciences and the occult arts, and
she thus helped Jason obtain the golden Fleece (1. XXXII); in another, she adds
that Medea helped Jason in return for a promise of marriage, but, after winning
his prize, he reneged (2. LVI). Champier states that Medea did indeed marry
Jason, that Jason repudiated her in favor of Creusa, but they later reconciled
and lived happily ever after. Not surprinsingly both Christine's and Champier's
portraits leave out Medea's murders, althought Champier does mention
them in the prologues but blames Jason (f. b iiii). He insists on their
marriage and reconciliation in order to remain true to the goal of the second
book of the Nef des dames, the "Gouvernement de mariage", which is to
praise marriage. Like many of his contemporairies, Champier held orthodox views
concerning the state of marriage. He preferred celibacy, but he was also
steadfastly against divorce ans remarriage for widows - not a primary
preoccupation with Christine63(*).
Ainsi, nous pouvons difficilement en douter, l'opinion est
plus favorable chez l'écrivaine, probablement à cause de sa
propre sensibilité féminine. Plus que quiconque elle accomplit
mieux sa tâche de louer les dames. Chez Christine, Médée
apparaît comme une femme savante et une aide précieuse pour Jason.
Champier supprime toutefois les meurtres de l'enchanteresse, ce qui
améliore son image. Cependant, il aurait été plus efficace
qu'il mentionne son savoir, comme l'a fait son homologue.
La Cité des dames est une oeuvre plus
ordonnée que celle de Champier. Dans La Nef des dames
vertueuses, il n'y a pas seulement que des portraits de femmes, bien
qu'elles y jouent un rôle prédominant partout. La méthode
de Christine est autre. Fille d'astrologue, elle fait de nombreuses
références aux sciences du ciel64(*). Possédant un savoir approfondi des sciences,
il ne fait nul doute que Médée n'ignore pas l'astrologie et
l'astronomie, intimement liés au Moyen âge. Cependant, sa
démarche n'est pas scientifique et elle préfère se laisser
transporter par la fiction : « Dans le monde de la vulgarisation
scientifique, de la compilation des encyclopédistes et des
poètes, univers où les débats sur la classification des
sciences ne pénètrent que peu ou de façon superficielle,
dans le monde de Christine donc, c'est l'interchangeabilité, le flou ou
l'ambigüité qui dominent65(*) ». D'ailleurs, elle énumère
moins longtemps que son maître Boccace les savoirs de
Médée. Elle aurait, de plus, pu expliquer la provenance de ce
savoir.
Chez Christine de Pizan, l'absence de critique du personnage
le valorise du même coup. Dans son ensemble, la Cité des
dames est positive pour la cause féminine, car il promeut leurs
talents : « [The book] rediscribes the gifts, talents, and dees
of women66(*) ».
À l'inverse, un siècle plus tard, « Champier
défend les femmes qui, dit-il, ne peuvent pas le faire puisqu'elles ne
lisent pas la Bible. (...) Champier continue à invoquer les arguments
traditionnels en faveur des femmes67(*) ». À la lecture de tels arguments,
force est de constater le chemin qu'il reste encore aux auteurs pour
adhérer entièrement au savoir des femmes. Ces auteurs ont certes
fait un bout de chemin, mais la démarche n'était pas absolument
complète. Même Christine n'y est pas absolument parvenue.
Conclusion
Médée est, dans l'esprit de plusieurs, un
être sans pitié qui n'a pas hésité à
supprimer ses enfants. Son savoir a, dans une certaine mesure, joué
contre elle. Sans ses pouvoirs, elle n'aurait peut-être pas conquis Jason
et les évènements que l'on connait ne seraient peut-être
pas arrivés. Cependant, il faut aller plus loin que cette image de cette
magicienne machiavélique. Le savoir hors-norme de Médée a
parfois fait peur aux auteurs et compilateurs.
On retiendra que, chez Boccace, une liste impressionnante de
capacités surnaturelles caractérise Médée. Pour
lui, elle est la « Medee royne », donc un être
puissant. Il est aussi le seul à l'appeler, comme c'est le cas ici,
« enchanterresse ». Malgré toutes ses
possibilités et ses qualités, Médée demeure, dans
De cleres et nobles femmes et dans De claris mulieribus, une
personne déloyale. Elle apparaît comme quelqu'un qui
possédait de multiples dons, mais qui en a mal usés.
Parmi les compilateurs, Antoine Dufour est celui qui utilise
les mots les plus durs à l'égard du personnage. Elle est
comparée à un serpent et qualifiée de meurtrière.
Ses dons ne servent qu'à produire le mal. L'auteur, il l'avoue, n'aime
pas parler d'elle, car elle n'est pas un modèle pour personne.
Médée est également
« apotiquèresse », c'est-à-dire qu'elle
connaît les vertus des plantes. Selon Dufour, elle n'utilisera pourtant
pas ce savoir à bon escient, car elle est une menteuse, une vicieuse,
une fournaise insatiable et bien d'autres choses encore.
Christine de Pizan est remplie de bons mots à
l'égard de Médée. Dans le chapitre XXXII du livre I, ses
connaissances sont presque sans borne. Ses dons sont au service de ses
volontés, car elle sait tout faire. Par ailleurs, il n'est pas dit
qu'elle manquait de vertu comme chez d'autres, mais qu'elle a été
trahie, provoquant ainsi son courroux. Dans le livre II, le chapitre mentionne,
encore une fois, qu'elle possède un grand savoir et qu'elle
maîtrise charmes et enchantements. Malgré le titre du chapitre,
plus d'informations concernent Jason.
Finalement, selon Symphorien Champier, Médée est
une victime de l' « ingrat » Jason. Le savoir de
l'enchanteresse permettra pourtant de le sauver de la mort et de
conquérir la Toison d'or. « L'art magique »
n'empêchera pourtant pas la traîtrise du mari envers sa femme. Par
ailleurs, Champier écrit que le couple continua à vivre ensemble
longtemps. Médée est une femme de tête, la plus forte des
trois figures de cette étude. Son savoir est diversifié et
puissant. La popularité de ce personnage ne s'est jamais
démentie, de l'Antiquité grecque à aujourd'hui.
Pièces de théâtres, opéras ou autres le prouvent.
Reste à savoir si les créateurs ont plutôt vu sa
cruauté plutôt que sa douleur.
DEUXIÈME CHAPITRE
Circé
Introduction
Les femmes choisies par les compilateurs proviennent de toutes
sortes d'horizons, imaginaires ou réelles, puisque les auteurs placent
côte à côte des héroïnes historiques,
religieuses et mythiques. Le Moyen âge, c'est bien connu, était
fasciné par le merveilleux. Cela peut paraître étrange,
pour une époque considérée très religieuse. Jacques
Le Goff explique ainsi ce phénomène :
C'est la rencontre de cette pression, venue d'une certaine
base laïque, et de cette tolérance relative de l'Église qui
explique cette irruption du merveilleux à l'âge gothique. (...)
C'est ce que j'ai appelé l'esthétisation du merveilleux, ce sont
les progrès de son rôle comme ornement, procédé
littéraire et artistique, jeu stylistique68(*).
Circé est un personnage merveilleux qui a
suscité l'intérêt. Cette figure, de l'Antiquité
jusqu'aux compilations médiévales, n'a pas beaucoup
évolué :
Magicienne qui intervient dans L'Odyssée et
dans le mythe des Argonautes. Elle appartient plus à la légende
et au conte qu'à la mythologie. Fille du Soleil et de l'Océanide
Persé, petite-fille d'Océan, elle fut confinée à
l'île d'Aea après avoir tué son époux. Là,
entourée de bêtes sauvages, elle s'adonna à la magie et,
lorsqu'Ulysse et ses compagnons abordèrent l'île, elle changea en
animaux, après les avoir régalés, les hommes qu'Ulysse
avait envoyés en éclaireurs. L'un d'entre eux, Euryloque,
resté prudemment à l'extérieur du palais de Circé,
avertit Ulysse; le héros, aidé par le dieu Hermès qui lui
remit une plante magique, déjoua les tentatives de la magicienne pour le
réduire à l'animalité, l'obligea à rendre à
ses compagnons leur forme humaine, puis profita de son hospitalité et de
ses conseils. Circé, comme Médée, s'apparente aux bonnes
fées par son amour pour un mortel et sa générosité
envers lui, mais aussi aux fées malveillantes et aux sorcières
par ses philtres et son traitement indigne des compagnons d'Ulysse.
Dans les récits de la Toison d'Or, Circé, tante
de Médée, reçoit les Argonautes lorsqu'ils relâchent
sur son île et purifie Jason, car, avant de s'enfuir avec
Médée, il avait tué le frère de cette
dernière, Apsyrtos, et jeté ses membres derrière lui pour
ralentir ceux qui le poursuivent69(*).
Malgré l'aide essentielle qu'elle fournira à
Ulysse, elle est généralement démonisée, comme
c'est le cas pour Médée. Son savoir ne se distingue pas non plus
de celui de sa tante, car il se concentre surtout sur ses dons pour les potions
préparées à base de plantes. Elle est cependant une femme
dotée d'un savoir qui effraie, ce que montrent les compilateurs. Des
trois archétypes d'enchanteresse, elle est celle sur qui le moins de
choses ont été dites, malgré ses rôles
successifs : « Circé y serait, au choix, l'emblème
de la volupté, l'allégorie de la métempsychose, une femme
galante, une épervière, une courtisane, voire une mère
maquerelle70(*) ».
J'observerai, dans un premier temps, la manière dont le
savoir de Circé est condamné chez Boccace, Antoine Dufour et
Chaucer. Dans un deuxième temps, au contraire, j'observerai la
manière dont le savoir de Circé est loué chez Boccace,
Christine de Pisan, Dufour, Machaut et Chastellain. Dans Des cleres et
nobles femmes, le chapitre sur Circé porte le titre « De
Circes fille du soleil ». En tant que descendante de cet astre, elle
possède de multiples pouvoirs qui sont listés un peu à la
manière du texte sur Médée. L'auteur raconte ensuite les
péripéties de son amour pour Picus, qui nous intéresse
moins ici. Le chapitre de Christine de Pizan contient un peu moins
d'informations, étant jumelé avec Circé. Son grand savoir
est tout de même loué. Selon Antoine Dufour dans La Vie des
femmes célèbres, l'enchanteresse provoque surtout le mal
autour d'elle. Elle cherchait le plaisir et y parvenait en manipulant les
plantes et les incantations. Finalement, le poète Guillaume de Machaut
cite Circé. De manière très différente les uns des
autres, ils utilisent l'héroïne dans leurs oeuvres. Ainsi, elles
permettent de voir comment était perçu Circé dans les
compilations, mais aussi dans des oeuvres de fiction qui ont peu en commun.
a) « Circé n'est pas
fable »
Madeleine Jeay explique la naissance des compilations de
femmes dénigrées. La popularité des compilations trouve
peut-être une explication par la volonté de se retrouver
soi-même au travers des multiples personnages. L'exercice de la
compilation, aussi, permet de mettre en lumière des
éléments magiques, comme le savoir, qui, autrement, serait
perçu d'un mauvais oeil. Il est donc logique que, au-delà d'un
siècle, les compilations se soient succédé, comme le
résume cet extrait :
Il faut attendre les XIIe-XIIIe
siècles pour voir une floraison de catalogues de mauvaises femmes dont
la Dissuasio Valerii ad Rufinum philosophum ne uxorem ducat de Walter
Map est l'exemple le plus connu. (...) C'est aussi le moment [toujours aux
XIIe-XIIIe siècles] où se popularisent les
listes de personnages célèbres, en particulier celle de Boccace,
le De casibus virorum illustrorum et De claris mulieribus,
dont la traduction attribuée à Laurent de Premierfait a
inspiré l'interprétation qu'en a faite Christine de Pizan dans le
Livre de la cité des Dames. Dans cette lignée,
s'inscrivent The Legend of Good Women de Chaucer et les catalogues de
personnages illustres de la tradition italienne, le Filocolo qui est
également un inventaire de connaissances et le De viris
illustribus de Pétrarque. D'après Cerquiligni-Toulet, les
listes d'hommes et de femmes célèbres permettent aux auteurs de
s'inscrire dans une généalogie rêvée ou de s'exclure
d'une filiation réprouvée. La Cité des dames de
Christine de Pizan ne sera pas sans influence : au milieu du
XVe siècle, Martin Le Franc reconnaît sa filiation dans
le Champion des dames. La mode se poursuivra au XVIe
siècle avec des compilations venues à la suite de la traduction
de Boccace publiée en 1493 par Antoine Vérard sous le titre
De la louenge et vertu des nobles et cleres dames. La Nef des
femmes vertueuses de Symphorien Champier et Les Vies des femmes
célèbres d'Antoine Dufour s'en inspirent comme, très
certainement, de la Cité des dames de Christine de
Pizan71(*).
Jeay mentionne certains des ouvrages ici à
l'étude, marquants dans le style de la compilation féminine.
L'auteur en liste également qui sont publiés en latin :
Dissuasio Valerii ad Rufinum philosophum ne uxorem ducat de Walter
Map, De casibus virorum illustrorum et De viris illustribus
de Pétrarque. De claris mulieribus de Laurent de Premierfait et
Filocolo sont les traductions respectivement en ancien français
et en italien de la compilation sur les femmes. On remarque donc que la langue
savante, le latin, s'intéresse aussi aux personnages de femmes, dont
celles qui sont magiques. Les compilations en langue vulgaire sont plus
tardives. Le français, au détriment du latin, est la seule langue
des compilations du corpus du XVe siècle. Ce choix s'explique
en partie par la volonté de s'attribuer les qualités des
personnages et de les rendre plus accessibles.
Si autant de compilations ont été
rédigées plus ou moins dans la même période, c'est
que la demande était forte. Les auteurs revendiquaient cependant leur
originalité les uns par rapport aux autres, tout en ne cachant pas leurs
emprunts respectifs. L'annexe IX suivant montre l'ordre choisi par les auteurs.
Chez Boccace, Circé est trente-huitième. Chez Christine de Pizan,
elle est placée au quatre-vingt-deuxième chapitre, conjointement
avec Médée. Dans la compilation d'Antoine Dufour, Circé se
trouve au vingt-troisième chapitre. Dans De claris mulieribus,
l'enchanteresse, selon l'édition de Virginia Brown, est
précédée par « Helen, Wife of King
Menelaus » et « Camilla, Queen of the
Volscians ». Dans La Cité des dames, Circé est
précédée de Manthoa et suivie d'un chapitre avec Raison.
Dans La Vie des femmes célèbres, Circé se trouve
entre Pénélope et, fait remarquable, Camille, une nouvelle fois.
Il est bien connu que Circé transforme les compagnons
d'Ulysse en pourceaux. Prenons tout d'abord Boccace. Dans Des cleres et
nobles femmes, il parle de la métamorphose :
[E]lle entachoit ou emposonnoit de venin les buvrages (...)
toutes ces gens elle muoit en bestes de diverses espesces, entre lesquelz
furent mués les compaignons d'Ulixes72(*)»
(« huis artibus cantatis carminibus, seu infectis
veneno poculis, in feras diversarum specirum fuisse conversos73(*) », en latin).
De plus, en parlant de « diverses
espesces », Boccace insinue que la femme magique n'en est pas
à son premier sort, qu'elle est habituée à agir de la
sorte. Comme l'explique Ana Pairet, ce genre de sortilège était
très mal connoté, au Moyen âge, ce qui explique en partie
le rejet de l'auteur pour Circé : « Telle qu'elle
s'exprime dans les mythes païens, l'idée de métamorphose
remet en cause la hiérarchie chrétienne de la création.
(...) L'idée de la métamorphose relève en outre d'une
pensée dualiste, irréconciliable avec l'anthropologie
chrétienne, où l'âme est indissociable du corps74(*) ». Selon cette
conception, l'enchanteresse a donc causé du tort à l'âme
des voyageurs grecs. Boccace, en bon chrétien, ne peut pas faire
autrement que de la blâmer.
Plus loin, si le terme « enchanteresse »
n'est pas mal connoté, il n'en différemment pour le terme
« empoisonneuse ». Dans la phrase «ceste femme
enchanterresses et empoisonneresse75(*)», ce dernier mot ne peut être que
relié à la mort, préméditée, qui plus est.
En s'exprimant ainsi, l'Italien juge que Circé utilise ses pouvoirs
à de mauvaises fins. Par ces deux termes juxtaposés, Boccace
émet deux opinions : d'une part, une prise de position qui est
neutre (presque élogieuse) et, d'autre part, une autre qui est
négative. Le compilateur prouve qu'il est incapable, au contraire de
Christine de Pizan qui le sera plus tard, de faire un éloge
dénué de blâme de la femme : « Boccace a
beau faire le panégyrique du comportement des femmes; les
réserves qu'il émet, sous forme de comparaisons
désobligeantes, révèlent un parti pris
irréductible76(*) ».
Contrairement à Boccace, Christine classe ses
personnages :
La première invention de Christine est de fixer un
ordre. Selon la nature des questions posées par la lectrice, le
compilateur fait se succéder les exemples de femmes
célèbres qui ont exercé un pouvoir politique, de femmes
savantes (poétesses, philosophes, gyromanciennes), de figures
fondatrices, de celles qui inventent (l'agriculture, le jardinage, les lettres,
les armes, le tissage), de femmes passées maîtres dans les arts
appliqués (la peinture, l'éloquence), enfin, de figures
édifiantes incarnant une position morale exemplaire (la constance en
amour, la piété filiale, la chasteté, etc.)77(*).
Elle démontre ainsi un intérêt plus
marqué pour ces femmes. Pour l'auteur, elles se distinguent par
différentes qualités qu'il est important de mettre en relief.
Elle consolide ainsi son projet de « cité »,
où les femmes sont toutes puissantes. Christine affirme qu'elles sont
dotées de multiples possibilités qui sont restées trop
longtemps sous silence. Elle salue les talents manuels tout comme les talents
moraux. Elle mène plus loin le projet de son modèle,
l'améliore grandement. L'ouvrage de l'écrivaine en devient ainsi
plus convaincant pour le lecteur moderne, probablement plus que celui de
Dufour, qui fait moins l'éloge de la femme qu'elle.
Dans le court chapitre d'Antoine Dufour concernant
Circé, une longue phrase est ponctuée de quelques termes
permettant de croire que l'auteur l'admire, mais cette admiration est loin
d'être complète, par exemple avec cet extrait où elle
est « à malice ingénieuse, cherchant son plaisir par
luxure en toutes formes et manières78(*) ». Selon Dufour, Circé se rend
coupable, en plus du reste, d'un des sept péchés capitaux :
la luxure. L'image de Circé est mise à mal, malgré les
bons mots de Christine de Pizan, un siècle plus tôt, pour redorer
son image. Les nombreuses critiques des femmes ont nécessité un
travail important de l'auteure afin de les corriger. Il aura fallu plus d'une
retouche pour que leur image s'améliore.
Dufour et ses congénères masculins,
règle générale, semblent plus enclins à
dépeindre le négatif que le positif. L'auteure avait sa propre
méthode pour corriger les défauts esquissés par Boccace
dans De claris mulieribus :
She [Christine de Pizan] sometimes turns accusations around to
defend where it seems inevitable that she must condemn; for instance, to the
accusation that women are greedy she replies that women are not usually
gluttonous, and if they were their desire to control it would be praiseworthy.
The old adage that women are made to weep becomes a praise of the gift to
tears, of speaking, of sewing. To the accusation that women are failed men,
incapable of performing men's tasks, she replies with examples of women doing
exacly that, but also asserts that men's and women's gifts are different, and
that it is appropriate to ask one man to do something which would require
several women. To the accusation that women have weak bodies she replies that
this takes account only of one feature, and ignores women's daring and
boldness. To the view that women are ignorant she counters that only because
they are kept at home untaught do they appear simple - this is due to a failure
to teach, not an inability to be taugh79(*).
Le lieu où habite Circé, la lointaine île
d'Aea, n'a rien de rassurant pour l'image du personnage. En effet, « Les
lieux isolés, déserts et montagnes, sont eux aussi un terrain
d'élection de l'imaginaire80(*) ». Le chapitre sur Circé dans La
Vie des femmes célèbres se conclut avec son suicide, qui,
selon le compilateur, était mérité :
« Toutesfoys, ainsi que sa vie avoit esté méchante, sa
mort fut cruelle et ténébreuse, car elle-mesmes se tua81(*) ». Donc, à
cause de sa mauvaise vie, l'enchanteresse mérite son sort. Il n'est pas
dit cependant si c'est à cause de son lieu de vie qu'elle mérite
son sort ou bien si elle a choisi de vivre dans ce lieu du fait de sa nature
surnaturelle. Antoine Dufour ne montre aucune pitié pour elle, valeur
chrétienne par excellence, malgré sa qualité de
prêtre. Christine n'est pas une femme de Dieu et, pourtant, elle se
montre beaucoup plus compréhensive que lui.
Dans L'Odyssée, Circé possède
certains dons qui seront repris par les compilateurs. Elle possède le
don d'«apotiquèresse » pour fabriquer des potions,
nommées « pharmakon » en grec : « Que
le pharmakon entre les mains de Circé soit un poison, une
potion magique nocive, une drogue, qui nuit à son consommateur, c'est
tout à fait logique82(*) ». Dans l'épopée grecque,
Circé est d'abord présentée comme un être nocif.
Elle veut nuire à son prochain et croit qu'elle y parviendra à
l'aide de son savoir magique. Ce sont donc deux pouvoirs qu'elle utilise :
« elle les attire par son chant, à l'instar d'une
sirène, figure de l'oubli du retour, et surtout elle verse dans un
mélange un pharmakon 83(*)». Contrairement aux sibylles, la voix de
Circé est utilisée à des fins malicieuses, car les
prophéties servent à aider les Hommes, alors que Circé
agit dans un but personnel. Cependant, après avoir causé certains
torts, elle se rachète.
Bien des siècles après l'Antiquité, la
chasse aux sorcières est bien enclenchée en Europe et ne tardera
pas à rejoindre les côtes nord-américaines. Chaque
comportement un peu marginal d'une femme est mal perçu et sème le
doute. La peur ne cesse d'assombrir les esprits. Il va sans dire que le savoir
des femmes se voit ainsi réprimé. Certaines croyances qui
jusqu'alors au Moyen âge étaient considérées comme
des histoires qui n'étaient pas à craindre prennent des
proportions gigantesques. Les auteurs prennent parfois des positions drastiques
sur des questions évidentes : « Jean Bodin va
jusqu'à écrire dans sa Démonomanie des sorciers
(1580) : `Circé n'est pas fable'84(*) ». Il n'est d'ailleurs pas surprenant que
l'ouvrage de Bodin porte un titre qui contient le mot
« démonomanie ». Les lecteurs d'aujourd'hui
trouveront naïf cette citation qui place Circé dans le monde
réel, plutôt que dans celui imaginaire auquel nous ont
habitué les compilateurs.
b) L'apotiquèresse au service d'Ulysse
En général, les compilateurs admirent le savoir
de Circé. Boccace, par exemple, n'hésite pas à dire
qu'elle était renommée dans son domaine. Boccace l'admire :
Circés fut une femme moult renommee, aussi jusques au
jour d'uy, / ses enchantements et divinacions dont elle usoit comme les
dittiers des poetes le tesmoignent, et fut fille du soleil et de Perse nymphe,
deesse des eaues et fille de la mer85(*)» (« Circes, cantationibus suis in
hodiernum usque famosissima mulier, ut poetarum testantur carmina, filia fuit
Solis et Perse nynphe, Occeani filie86(*) », dans la version latine).
Le compilateur s'exprime aussi sur le fait que d'autres que
lui ont salué ses dons. Comme l'explique Giovanna Angeli, il
défend son héroïne de manière brave et peu
coutumière pour le XIVe siècle :
« Maladroit et parfois désobligeant dans ses louanges
ambigües aux "cleres et nobles femmes", Boccace s'aventure pourtant dans
une défense courageuse qui n'aurait pas dû rester
oubliée87(*) ».
Circé est une figure centrale des mythes antiques. Il
est donc logique qu'elle trouve sa place chez les compilateurs de femmes
célèbres. Dans l'épopée d'Ulysse, elle est
confrontée à une cohorte d'hommes desquels elle parvient à
se faire respecter. Son savoir tient donc une place moins importante que sa
perspicacité : « Elle est la magicienne de
l'épopée, il n'y a aucun doute. Mais elle l'est dans un sens tout
à fait différent du sens traditionnel donné à ce
terme. Elle n'a pas besoin d'enchantement ou de moyens magiques pour ce qui est
essentiel de son activité : la reconnaissance de la vraie nature
des hommes qu'elle rencontre88(*) ». Bien qu'attachée au héros,
elle le laisse partir, magnifiant encore plus le personnage.
Boccace fait aussi l'éloge de l'apparence physique de
l'enchanteresse, qu'il qualifie de singulière. Elle sait prendre soin de
cette beauté. L'auteur range dans le savoir l'art de bien prendre soin
de soi. L'auteur note chez elle un grand sens de la prudence, ce qu'il
répète à deux reprises, dans un texte qui, encore une
fois, est assez restreint. Tout comme Médée, elle connaît
les propriétés des plantes. Cet élément est aussi
répété deux fois. Pour Boccace, Médée est
« royne », alors que Circé est la fille du soleil,
tout comme l'indique le titre du chapitre. Finalement, le compilateur n'est pas
le seul à parler de la sorte de cette femme magique. Des
mathématiciens (les astrologues entrent dans cette catégorie)
estiment que le soleil donne aux gens certaines qualités :
Ceste femme cy, comme je croy, fut ditte et nommee fille du
soleil pour ce qu'elle estoit femme de tresgrande et singuliere beauté,
ou pour ce qu'elle fut tresinstruite et moult experte en l'art et cognoissance
des herbes ou mieulx pour ce qu'elle fut tresprudente es choses qu'elle vouloit
et avoit a faire, lesquelles choses, c'est assavoir beauté corporelle,
cognoissance des vertus des herbes et prudence, le soleil selon divers regars
de lui donne aux gens quilz naissent en ce monde, comme dient et estiment les
mathematiciens89(*) » (« Solis, ut arbitror, ideo
filia dicta, quia singulari floruerit pulchritudine, seu quia circa notitiam
herbarum fuerit eruditissima, vel potius quia prudentissima in agendis :
que omnia solem, variis habitis respectibus, dare nascentibus mathematici
arbitrantur90(*) » dans le version originale).
Les mathématiques entrent dans les sept arts
libéraux de l'éducation médiévale. Les
frontières sont parfois poreuses entre les différentes
sciences : « Dans le classement des sciences, elle [l'astronomie
(et avec elle l'astrologie - termes presque toujours interchangeables au Moyen
âge)] est subordonnée aux mathématiques. Dès le
XIIe siècle, elle avait sa place dans l'enseignement des
écoles et, plus tard, dans celui des universités
naissantes91(*)».
Ainsi, même les mathématiciens attestent des talents de
l'enchanteresse, c'est-à-dire des gens qui se fient aux faits
scientifiques et observables.
Pour conclure avec ce que le poète dit sur le savoir
positif de Circé, il faut citer cette phrase, qui ne diffère que
très peu du long exemple qui vient d'apparaître :
«
Dient ainsi doncques les poetes que ceste femme, par son art
d'enchantement qu'elle avoit et exerçoit en chantant ses dittiers, ou
par ce qu'elle entachoit ou empoisonnoit de venin les buvrages des maronniers
quilz venoient et appliquoient en la ditte montaigne, qui jadiz avoit
esté une isle ou ilz venoient, dy je, ou de certain propos et science,
ou par force de tempeste et de vens estoient boutez et envoiez en la ditte
montaigne, toutes ces gens elle muoit en bestes de dievrses especes, entre
lesquelz furent mués les compaignons de Ulixes, qui nagoit et aloit par
la mer au retour de la destrucion de Troye, lequel ne fut mie mué, mais
en fut gardé et preservé par le conseil de Mercure, qui / le
garda92(*).
Ainsi, Circé exerce ses pouvoirs, entre autres, par des
chants. L'auteur se répète une fois de plus en spécifiant
que des poètes avant lui avaient allégué pareilles
informations. C'est comme si, peu sûr de lui, Boccace, aussi un
compilateur, voulait se conforter s'appuyant sur d'autres, peut-être
conscient de la nature inédite de ses écrits qu'il craignait de
voir rejeter. En effet, à trois reprises, il parle des autres
écrivains : Circé « fut ditte et
nommee », « estiment les mathematiciens » et
« ainsi doncques les poetes93(*) ».
Christine de Pizan va plus loin que Boccace dans La
Cité des dames, en ce qui concerne Circé, mais aussi les
femmes en général. Contrairement à son modèle, elle
ne mentionne rien qui pourrait nuire à sa réputation.
Féministe avant l'heure, aux yeux de ses contemporains, elle s'applique
à corriger les portraits boccaciens :
Son but est clair, elle veut rehausser la nature
féminine, et dans ce cas, mettre l'accent sur le rôle important
que ces femmes ont joué dans le progrès de l'humanité,
sans oublier un seul instant son projet d'écriture qui se consolide au
fur et à mesure que ses arguments se renforcent et, telles des pierres,
ils contribuent peu à peu à bâtir la ville qui logera tant
d'illustres dames94(*).
Dans cette cité qu'elle bâtit, Circé est
une femme magique qui tient une place importante. Sans doute qu'en tant
qu'écrivaine passionnée presque à l'obsession par les
livres95(*), Christine
admire Circé. Cependant, elle ne louange pas plus l'enchanteresse que
les autres femmes : « C'est [Le Livre de la Cité des
dames] en somme une anthologie des beaux traits par lesquels des femmes de
toute époque et de toute condition ont manifesté leurs talents ou
leurs vertus96(*) ». L'auteure médiévale
spécifie que Circé peut tout accomplir, grâce à ses
dons. La manière dont Christine le verbalise met en valeur ce savoir,
qui est forcément étendu :
Ceste dame sceut tant de l'art d'enchantement qu'il n'estoit
chose qu'elle voulsist faire que par vertu de son enchantement ne feist. Elle
savoit par vertu d'un breuvage qu'elle donnoit transmuer corps d'ommes en
figures de bestes sauvages et d'oisiaulx, pour laquelle chose tesmoigner est
escript en l'istoire de Ulixes97(*).
Cette phrase contient à deux reprises le mot
« enchantement ». C'est dire à quel point cette
notion importante à Christine de Pizan. Il n'en va cependant pas
toujours ainsi dans ses écrits, par exemple dans Mutation de
Fortune, où Circé ne fabrique pas elle-même la potion
destinée aux compagnons d'Ulysse. Il s'agit de Fortune98(*).
Selon Gustave Jeanneau, il ne semble toutefois pas que
Dufour se soit inspiré de son prédécesseur
Christine99(*), sauf pour
le cas isolé de Grisélidis. Dufour ne s'étale pas
longuement sur le savoir de Circé (le texte la concernant ne remplissant
qu'une demie page de l'édition critique de 1970), encore moins sur le
savoir positif de l'enchanteresse. Il la qualifie de
« grande » magicienne, dotée du don de la
beauté : «Laquelle fut grande enchanteresse, belle entre les
femmes100(*) ». De ces deux adjectifs, le plus
intéressant est certainement « grande »,
désignant ainsi les facultés intellectuelles de Circé,
alors que « belle » fait seulement référence
à l'aspect extérieur du personnage. Moins visibles, les attributs
qui ne concernent pas la beauté sont propres à valoriser la
conception de la femme au Moyen âge.
Selon Dufour, Circé «par chansons, herbes et
oncantations faisoit devenir les hommes bestes101(*)». Bien que cette phrase
ne dénote pas un avis favorable sur le personnage, il met, en tous les
cas, en valeur ses pouvoirs. De plus, elle est ambigüe, car elle
spécifie également que les hommes sont
métamorphosés. Néanmoins, on y apprend que Circé
connaît les propriétés des herbes et des formules magiques.
Dans L'Odyssée, les détails à ce sujet sont plus
exhaustifs. En effet, la recette de la métamorphose des compagnons
d'Ulysse va comme suit : l'enchanteresse leur « brouilla du
fromage, de l'orge et du miel frais, avec du vin de Pramnos : un aliment
où elle mêla de funestes drogues (pharmakon lugra) pour
leur faire oublier complètement leur patrie102(*) ». Contrairement
à l'auteur de l'Ovide moralisé, par exemple, La vie
des femmes célèbres ne reprend pas à son compte la
métamorphose afin d'y trouver le sens d'une morale religieuse. Ainsi, le
processus de transformation opéré par Circé n'est pas,
sous la plume de Dufour, une métaphore de la conversion
chrétienne.
Selon Boccace, Circé possède le pouvoir de lire
l'avenir. Bien que ce talent ne soit pas mentionné chez les autres
compilateurs, on peut supposer, puisque le maître italien en a
inspiré plusieurs, qu'elle possède aussi ce don dû à
son statut d'enchanteresse. Cependant, cela n'est pas aussi clair que chez les
sibylles, nous y reviendrons dans le chapitre suivant. Donc, Circé
savait qu'Ulysse viendrait jusqu'à elle. C'est peut-être
même elle qui a modifié le trajet de son voyage afin qu'il
s'échoue sur son île. Cette propriété de lire dans
l'avenir est très caractéristique des fées
médiévales : « La fée s'est servie de son
pouvoir de divination et d'encantemens pour attirer son amant. (...)
Cet art, lié étroitement aux sciences et en particulier à
l'astrologie, n'empêche pas ses adeptes d'être des chrétiens
fidèles qui remplissent soigneusement leurs devoirs religieux103(*)». Circé est
dépeinte par les compilateurs comme quelqu'un dont les pouvoirs doivent
s'harmoniser avec la doctrine religieuse dans leurs écrits. Toujours en
continuant sur les personnages de fées, nous pouvons dire que
l'enchanteresse telle qu'elle est perçue dans les compilations du XVe
siècle est l'aboutissement de nombreuses variations durant le Moyen
âge : « Les fées progressivement deviennent des
enchanteresses : l'identification de la fée et de la magicienne est
accomplie au XVe siècle104(*) ».
Au XIVe siècle, Guillaume de Machaut
entreprend lui aussi de raconter les péripéties de Circé,
dont son histoire avec Picus. L'enchanteresse était amoureuse de lui,
mais il en aimait une autre qu'elle. Il lui avait refusé sa
tendresse : « Cyrcé, dame d'anchanterie, / Le pria de sa
druerie, / Mais onques ne la voit oÿr / Nes ses paroles
conjoïr105(*) ». Circé voulut se venger de cet
affront. Elle le transforma alors en pivert, oiseau au plumage peu attrayant
qui vit dans la forêt. Ici, la femme magique est qualifiée de
« dame d'anchanterie ». Tout comme avec Dufour un peu plus
haut, ces termes sont ambigus : ils oscillent entre la neutralité
et la valorisation. Son pouvoir est toutefois nommé, ce qui n'est pas
rien en soit. Machaut aurait pu opter pour
« sorcière » ou « femme
démoniaque », mais il ne l'a pas fait. Par ailleurs, il
souligne les traits de caractère forts du personnage qui se fâche
lorsqu'elle n'obtient pas ce qu'elle désire, ce qui est l'apanage de
quelqu'un qui prend sa place dans le monde.
L'habitat de Circé, l'île d'Aéa est
coupée du reste du monde et donc propice à l'imaginaire et ce,
autant dans l'Antiquité qu'au Moyen âge. C.-C. Kappler estime que
les îles sont commodes dans les représentations mentales des
lecteurs, car elles sont éloignées, inconnues et
mystérieuses106(*). Voilà pourquoi maints auteurs
privilégiaient les îles. Sur ce morceau de terre perdue,
Circé, la magicienne, évolue depuis de longues années
lorsque le héros d'Homère parvient jusqu'à elle. Dans cet
endroit reculé, il est logique qu'elle pratique ses sorts, coupée
des humains qui la jugeraient et ne la comprendraient pas. Sur Aéa, elle
s'assure ainsi un univers « où le merveilleux est toujours
englobé dans un ensemble qui en "dilue" le charme [qui] est un univers
clos, replié sur lui-même107(*) », contrairement au continent. De plus,
les îles procurent le plaisir de fantaisie et d'esthétique.
L'île n'est pas mentionnée partout chez les
compilateurs. Cependant, c'est le cas chez Christine de Pizan qui résume
l'histoire avec Ulysse. Elle fait directement référence à
son histoire et renonce à la réécrire avec détails.
Cette érudite a forcément lu l'oeuvre homérique :
« L'idée des livres, de leur abondance, de leur
diversité, s'impose comme une véritable obsession (...) Ce
goût pour les choses écrites est une forme précoce de
l'esprit de compilation108(*) ». Beaucoup a été
écrit sur cette femme qui écrit sur les femmes. Le savoir de
Christine est très vaste pour quelqu'un, qui plus est de sexe
féminin, de son époque. Avec la Cité des dames,
elle réussit à insérer toutes sortes de figures qu'elle
admire probablement. En s'écartant de la fiction à proprement
parler, car la compilation « n'entre pas vraiment dans l'aventure
littéraire109(*) », elle met de l'avant ses opinions tout
en jouant avec son imagination. En effet, il s'agit bel et bien d'une prise de
position, car l'auteure supprime ce qu'elle juge néfaste pour l'image de
ses dames : « Les femmes scandaleuses y [dans le Livre de la
Cité des dames] trouvent leur place seulement après avoir
subi une censure110(*) ».
Les femmes des compilations sont listées dans le
tableau « Ordre des chapitres » inséré un peu
plus tôt. On peut y voir que Circé est placée au
vingt-troisième rang chez Dufour. La Vie des femmes
célèbres contient en fait quatre-vingt-onze notices
biographiques. L'ouvrage commence par celle de la Vierge Marie et se termine
par celle de Jeanne d'Arc. Quand il s'agit d'héroïnes historiques,
elles sont juxtaposées de manière chronologique. L'enchanteresse
se trouve entre Pénélope et Camille, deux personnages fictifs
comme elle. Les informations qui concernent Circé concordent avec celles
des autres compilations. Cependant, Dufour est parfois accusé de mal
connaître son sujet :
Ses ignorances concernant la mythologie sont flagrantes. (...)
Nous aimerions pouvoir être assurés que de telles confusions sont
imputables à la distraction du copiste : si cela n'est pas, elles
nous renseignent au moins sur ce que pouvait être la connaissance de
l'Antiquité chez un homme instruit au début du XVIe
siècle111(*).
L'histoire de Circé concorde chez Christine de Pizan
et Dufour. Le savoir de la dame est sensiblement le même. Les deux
compilateurs ont beaucoup d'admiration pour les femmes érudites :
« Dufour manifeste en effet une admiration toute spéciale pour
les femmes cultivées (...) Cette admiration s'étend aux femmes
poètes (...) Elle s'étend aussi aux femmes artistes112(*) ». En effet, il
mentionne, au sujet de Circé, qu'elle maîtrise
« chansons, herbes et oncantations ». Dufour aurait pu s'en
tenir à dire qu'elle est une magicienne, mais sa liste est plus
exubérante que cela. Il souligne, en plus de son habileté avec
les plantes, sa connaissance de formules magiques. Si on considère que
les connaissances contribuent de manière positive au monde et si on part
du point de vue que l'éducation fait avancer l'espèce humaine,
alors le savoir de Circé et des autres enchanteresses est positif.
Dans les mythes antiques et dans leurs
réécritures médiévales, Circé connaît
plus d'un enchantement. La science dont parlent les compilateurs et les auteurs
et qui revient à de plus nombreuses reprises est celle des plantes. Ce
topos est récurrent au Moyen âge :
Les poudres, les herbes, les potions sont fréquentes :
leur composition n'est pas précisée et leur préparation
n'est pas décrite. Certes elles sont généralement
triblees, c'est-à-dire broyées, pilées. Cela
correspond certes à une pratique courante (qui facile leur emploi), mais
surtout il devient impossible de discerner de quoi elles sont faites
après un tel traitement, ce qui implicitement dispense l'auteur de nous
éclairer sur leur composition113(*)
Il est vrai que les auteurs cités ici n'entrent jamais
dans les détails de composition des produits, ce qui est souvent le cas
dans les textes de l'Antiquité. Il est probable que les écrivains
aient volontairement omis ces recettes. Les auteurs ont pu agir ainsi afin de
se dissocier à tout prix de la sorcellerie.
Il est indéniable que Circé utilise la magie,
ce qui effraie. Mis entre les mains d'une femme, ces pouvoirs parfois
considérés comme l'oeuvre du Démon, sont parfois
passés sous silence ou sont critiqués. Comme l'indique A. M.
Moreau, Circé n'est pas parmi les mieux vues du panthéon
mythologique : « Elle paraît plus dangereuse, car c'est
une magicienne, et une magicienne qui peut utiliser sa magie pour nuire, tandis
que Calypso est présentée comme une amoureuse114(*) ». Son savoir
prodigieux n'a rien pour rassurer, en particulier chez les hommes. Ses
connaissances magiques peuvent signifier des liens avec le monde des esprits,
notamment :
La magie se laisse définir, à la suite de P.
Zumthor, comme "une certaine science ésotérique qui se donne pour
but de parvenir à la connaissance des forces occultes qui meuvent les
choses et à produire, en faisant jouer ces forces, à l'aide de
disciplines appropriées, et grâce à une certaine
expérience du monde des esprits, des effets merveilleux"115(*).
Cette « science » incertaine semble ne
rallier véritablement personne, à l'exception, peut-être,
de Christine de Pizan, fervente elle-même de connaissances. Ainsi,
Circé doit la dangerosité de son personnage à son
savoir.
Malgré les qualités que les compilateurs ont
trouvées à l'enchanteresse, il demeure indubitable qu'elle
effraie. Circé partage cette caractéristique avec
Médée, sa nièce : « Transformées en
sorcières, Circé et Médée, fille et petite-fille du
Soleil, sont ainsi rationalisées comme le seront les
fées116(*) ». En effet, les enchanteresses partagent
plusieurs caractéristiques avec les fées. Ces figures imaginaires
féminines possèdent toutes des pouvoirs extraordinaires qui les
différencient des humaines ordinaires. Elles sont également le
prolongement des mythes des siècles passés, antiques et
celtiques. Ce savoir est, le plus souvent, rationalisé par les auteurs
et parfois amoindri afin de les rendre plus réalistes. De plus, il faut
mentionner que, comme l'a indiqué L. Harf-Lancner, Circé est la
petite-fille du Soleil, ce qui est indiqué dans certains des titres des
chapitres des compilations qui la concernent. Le soleil est l'instance
suprême. Sans lui, la vie n'existe pas. Dans plusieurs mythologies, cet
astre incarne le dieu le plus puissant. Étant la petite-fille du Soleil,
Circé est donc une figure éminemment importante. Certains de ses
pouvoirs pourraient même provenir de son aïeul. Chez Boccace, en
version latine, elle est « Circe Solis filia » ou
« Circes fille du soleil » en ancien français.
L'auteur donne donc de l'importance à cette information au point de
l'inclure dans le titre. Elle magnifie le personnage.
Les termes « fille du soleil » ne se
retrouvent étonnamment pas dans le chapitre de Christine de Pizan. Cela
est peut-être dû à une certaine perte de la
popularité de la mythologie au cours du Moyen âge, qui refleurira
à la Renaissance. Cependant, nous pouvons affirmer que la femme a bel et
bien généré l'enthousiasme, à tout le moins chez
les compilateurs. Ils se sont appliqués à faire connaître
ses qualités, et ce dans des domaines dépassant la
littérature : « Comme les arts, la littérature se
mit à chanter les mérites de la femme. C'est ainsi que, dans
La Nef des Dames vertueuses, contemporaine de l'ouvrage de Dufour,
puisqu'elle fut publiée en 1503, Symphorien Champier, prenant parti
contre ceux qui avaient mal parlé des dames, s'attacha à faire
leur éloge117(*) ». Malgré tout, comme nous avons pu
le voir, les remarques qui concernent Circé ne sont pas les plus
élogieuses de La Vie des femmes célèbres.
Généralement, la magie de Circé
était décriée chez les clercs :
[L]e latin magia (du grec mageia [...]) est
le plus souvent employé avec un sens restrictif et négatif dans
l'Occident chrétien. À l'instar de saint Augustin, la plupart des
clercs médiévaux rejettent les « artifices des arts
magiques » comme des « superstitions », comme des
pratiques issues du paganisme et contraires à la foi chrétienne.
Ainsi, Isidore de Séville, dans ses Étymologies,
considère-t-il les magiciens (magi) comme des faiseurs de
maléfices (maleficia) et des criminels qui perturbent les
éléments, dérangent l'esprit des hommes et provoquent leur
mort sans avoir besoin d'utiliser le poison, mais par la seule force de leur
incantation118(*).
On peut donc trouver admirable que les pouvoirs de
l'enchanteresse soient mentionnés et, dans certains cas, applaudis,
comme chez Christine de Pizan et Boccace, dans une certaine mesure. Par sa
description ambigüe de Circé, on ne peut pas dire qu'Antoine Dufour
défie ces auteurs, tel Isidore de Séville, qui répriment
de telles connaissances jugées antichrétiennes. Ainsi, les
auteurs qui ont choisi de parler de ce savoir magique font preuve de plus de
discernement à l'égard des femmes.
Dans son oeuvre, Antoine Dufour montre vraiment qu'il lui
tient à coeur de faire avancer la cause des femmes. Seulement, en ce qui
concerne Circé, il ne le fait pas comme pour certains autres portraits.
« Certains exemples montreront qu'aussi bien que les hommes, elles
peuvent avoir le sens politique, la hardiesse et la force physique, la valeur
intellectuelle, la sagesse morale et toutes les vertus : l'amour filial,
la fidélité, la discrétion, la chasteté119(*) ». Ces
qualités ne semblent pas s'appliquer à la fille du Soleil, car
toutes ces qualités ne sont pas mentionnées dans la compilation.
Dufour semble voir en elle un être qui cherche plutôt à
faire le Mal. La question se pose alors de savoir pourquoi elle se retrouve
dans sa galerie. Il est probable qu'il a cherché avec elle à
montrer un contre-exemple.
Il existe plusieurs explications à cette peur envers
les femmes savantes dans les compilations du XVe siècle, mais
aussi ailleurs. Cette peur a même touché les personnages fictifs.
Pour y voir plus clair sur la question des différents auteurs et des
dates de parution de leurs oeuvres, l'annexe VIII « Ordre
chronologique du corpus » montre des listes selon les types
d'oeuvres. Les auteurs se montraient sans doute prudents sachant que les
lecteurs trouvaient là plusieurs de leurs modèles. Ce
siècle précède celui de la Renaissance, qui bouleversa le
monde occidental. Les courants d'idées se modifiaient tranquillement. On
parviendra bientôt à l'époque des grandes
découvertes, celle de la Renaissance. Madeleine Jeay explique ainsi le
phénomène qui toucha également les compilations :
« Il est permis de voir dans la poussée d'hostilité
à l'égard des femmes qui se manifeste dans les fabliaux et les
dits, une réaction à la place qu'elles occupent au sein des
activités urbaines et un effet de l'importance prise par les questions
de statut dans une société devenue plus diversifiée et
complexe120(*) ». De plus, les galeries de portraits
peuvent être perçues comme une sorte de manuel conçu pour
les femmes.
Le portrait de Circé chez Dufour, mois que celui de
Médée, est dépeint sévèrement. Il semble
plutôt valoriser, règle générale, des
qualités propres aux hommes :
Cet idéal semble parfois assez peu féminin.
Certaines vertus dont il fait l'éloge, comme l'endurance physique, le
courage à la guerre, l'habileté politique, sont plus
ordinairement l'apanage des héros que celui des héroïnes
(...) Il s'attarde rarement à exalter les qualités qu'on
recherche habituellement chez la femme, comme la délicatesse, la
douceur, la tendresse (...) Sans doute la connaissance du coeur féminin
était-elle incomplète chez Dufour121(*).
Il est vrai qu'en tant que prêtre, il est normal que le
compilateur ne connaisse pas trop les « rouages » des
femmes. Dufour croit peut-être que la promotion du sexe féminin se
fait par l'encouragement des femmes de la même manière que les
hommes. Il croyait peut-être qu'il fallait encourager les femmes de la
même manière que les hommes, bien que cela paraisse naïf.
Dans cette perspective, La vie des femmes célèbres
serait donc une oeuvre maladroite, mais dont la bonne volonté de
l'auteur, malgré quelques anicroches, serait à saluer.
En sa qualité de femme, Christine de Pizan, sait mieux
éviter les pièges inhérents à son projet.
Fidèle à son projet de forteresse pour les femmes, elle
évince, au contraire de Dufour, toute formule au sujet de Circé
qui pourrait nuire au portrait qu'elle veut établir. Elle y parvient
mieux que tous les compilateurs. C'est avec ce genre d'oeuvre comme Le
Livre de la Cité des Dames qu'un vent nouveau se fait
déjà sentir :
L'idée même de sécession, de forclusion,
induite de la représentation de la cité parfaite
à l'abri de laquelle se tiennent les femmes célèbres, a
été considérée comme le signe d'un changement dans
le champ des représentations sociales de la fin du Moyen Âge et
comme un témoignage capital pour l'histoire des femmes et pour la
pensée occidentale en général122(*).
Bien qu'ambigus et maladroits, les compilateurs ont
manifesté un intérêt pour les femmes loin d'être
négligeable.
Conclusion
La « tresinstruite » Circé, selon
Boccace dans De cleres et nobles femmes ainsi que dans De claris
mulieribus, n'ignore rien de la vertu des herbes et des plantes. En tant
que fille du soleil et d'une nymphe, ses pouvoirs sont surnaturels. Le texte
mentionne que les mathématiciens sont d'accord pour affirmer
qu'être fille su Soleil donne des capacités particulières.
Tout comme Médée et les sibylles, elle est prophétesse.
Grâce à ses connaissances en herboristeries, Circé
prépare des venins et des breuvages. Ceux-ci lui serviront pour
transformer des hommes en bêtes. Elle fit ainsi avec les compagnons
d'Ulysse pour ensuite les retransformer en humain à la demande du
héros. Cet épisode occupe d'ailleurs une grande partie du
chapitre. Finalement, Circé est désignée sous
l'appellation « enchanteresse » de même
qu'empoisonneuse.
Pour Antoine Dufour dans sa compilation La Vie des femmes
célèbres, Circé est luxurieuse. Égoïste,
elle cherche à se satisfaire et atteindre le plaisir sans
préoccupation pour autrui. Sa malice dessert ses envies diverses. Elle
est dangereuse pour les Hommes, puisqu'elle les métamorphose en animaux.
À cause de sa méchanceté, elle mourut de manière
cruelle et « ténébreuse »,
c'est-à-dire en s'ôtant la vie. Néanmoins, malgré ce
tableau obscur, Dufour mentionne qu'elle est une « grande
enchanteresse ». Sans les nombreux défauts pointés du
doigt par l'auteur, on aurait pu associer ces termes à des
qualités, mais ce n'est pas le cas. Il loue d'une certaine
manière les connaissances du personnage.
Dans le chapitre « Ce dit de Medee et d'une autre
royne nommee Circes », Christine de Pizan loue le savoir de cette
dernière, quoique très peu. Circé sait concocter des
breuvages qui rendent les hommes des animaux ou en oiseaux. Sa connaissance de
« l'art d'enchantement » est vaste. Tout comme
Médée, elle est une reine. Christine se garde de condamné
Circé. Elle se contente de raconter une partie de l'histoire de
L'Odyssée. Si l'auteure se refuse à des commentaires
négatifs, c'est qu'elle veut promouvoir les capacités de son
texte. Se basant sur la compilation de Boccace, elle l'a retravaillé
afin de rendre un ouvrage à la gloire des femmes. La Cité des
dames est un effet direct de la Querelle des femmes qui sévissait
à l'époque où elle rédigea son livre. Christine a
donc repris à son compte les écrits de son maître et les
corrigea d'une manière « féministe ».
TROISIÈME CHAPITRE
Les sibylles
Introduction
Dans la salle 2 du Musée de Cluny à Paris se
trouve une superbe tapisserie : Auguste et la Sibylle datant des
alentours de 1520. L'engouement pour les sibylles, figures chrétiennes
par excellence à la fin du Moyen âge, était tel qu'il se
faisait sentir dans plusieurs domaines artistiques, dont la littérature.
Les compilateurs ne tarissent pas d'éloges envers elles. Par leur don de
voyance, on peut considérer les sibylles des enchanteresses. Celles-ci
se distinguent des fées et des humaines à la fois. De nombreux
auteurs ont utilisé ces figures. Réduites à une seule,
elle est sont mal perçue chez Antoine de la Sale dans Le Paradis de
la reine Sibylle qui présente un personnage approchant
dangereusement la sorcière.
Chez les compilateurs, la perception des sibylles est
nettement meilleure. À la suite de Christine de Pizan et Symphorien
Champier, l'auteur mentionne qu'il existe dix sibylles. Le tableau suivant
montre par contre que tous les compilateurs ne s'entendent pas sur ce
point :
Les différentes désignations des
sibylles
Boccace
|
Jean Robertet
|
Antoine Dufour
|
Martin Le Franc
|
Christine de Pizan (Cité)
|
Symphorien Champier
|
|
Persique
|
|
Perse
|
Perse
|
de perse
|
Erithree
|
Erithée
|
|
Lerithee
|
Erophile ou
Érythrée
|
erithrée ou eriphile
|
|
Delphique
|
|
Delphique
|
Delphique
|
Delphique
|
|
|
|
Chimere
|
|
|
|
Libie
|
|
|
Lybienne
|
De lybie
|
|
Samie
|
|
Samye
|
Samienne
|
samie ou phemonoe
|
|
Europe
|
|
|
|
|
|
Symerie
|
|
|
Cimérienne
|
De cymes
|
Almathee
|
Cumane
ou
Almathée
|
Amalthée
|
Cumme
|
Cuméenne
|
cumane ou amalthée ou erophile123(*)
|
|
Agrippe
|
|
|
|
|
|
Tiburtine
|
Albunée
|
Albumee
|
Tyburtine
|
tyburte ou tyburtine ou albunée
|
|
Helleponthia
|
|
Elesponce
|
Hellespontienne
|
helespontique ou elespontie
|
|
Phrigie
|
|
Frigie
|
Phrygienne
|
phrigie
|
Comme nous pouvons le voir dans ce tableau, les sibylles ont
muté à travers le temps. Gaston Paris retrace ainsi leur
évolution :
une croyance fort répandue - était-elle
d'origine? c'est ce qui reste à examiner, - plaçait sous terre,
et spécialement dans une montagne, le royaume d'une déesse ou
d'une fée, où ceux qui pouvaient y pénétrer
jouissaient de toutes (sic) les délices. La Sibylle devint la reine d'un
de ces "paradis", tout en restant d'abord avant tout la prophétesse
qu'elle était; puis peu à peu elle perdit cette qualité
primitive et ne fut plus qu'une de ces créatures de séduction et
de volupté dont l'image, depuis Calypso jusqu'à la Dame du lac, a
rempli d'épouvante et d'enchantement les rêves des
mortels124(*).
Chez les compilateurs, la sibylle est toujours un être
empreint de sacré. Ils parlent donc avec respect de celles (elles sont
de neuf à douze) qui avaient annoncé la naissance du Christ. Ces
figures sont directement inspirées des mythes antiques. Cependant, un
renversement total se fait dans les oeuvres de fiction médiévales
ici à l'étude. Le tableau suivant montre le décompte des
sibylles chez les auteurs du corpus :
Ordre et décompte des sibylles
|
Jean Robertet
|
Martin Le Franc
|
Christine de Pizan (Cité)
|
Symphorien Champier
|
|
1. Libie
|
Perse
|
Perse
|
de perse
|
|
2. Erithée
|
Delphique
|
Lybienne
|
De lybie
|
|
3. Cumane ou Almathée
|
Chimere
|
Delphique
|
Delphique
|
|
4. Samie
|
Lerithee
|
Cimérienne
|
De cymes
|
|
5. Symerie
|
Cumme
|
Erophile
|
erithrée ou eriphile
|
|
6. Europe
|
Frigie
|
Samienne
|
samie ou phemonoe
|
|
7. Persique
|
Samye
|
Cuméenne
|
cumane ou amalthée ou erophile
|
|
8. Agrippe
|
Albumee
|
Hellespontienne
|
helespontique ou elespontie
|
|
9. Tiburtine
|
Elesponce
|
Phrygienne
|
phrigie
|
|
10. Delphique
|
---
|
Tyburtine
|
tyburte ou tyburtine ou albunée
|
|
11. Helleponthia
|
---
|
---
|
---
|
|
12. Phrigie
|
---
|
---
|
---
|
TOTAL :
Il faut noter que Martin Le Franc stipule qu'il existe dix
sibylles, mais qu'il n'en énumère que neuf.
Les sibylles sont parfois dépeintes comme des
êtres néfastes et repoussants, allant même jusqu'à
incarner le Diable. C'est entre autres le cas d'un des rondeaux de Charles
d'Orléans, du Paradis de la reine Sibylle d'Antoine de la Sale
et du Tiers-Livre de François Rabelais.
Comme nous avons pu le voir avec les précédents
exemples de Médée et de Circé, bien souvent, au Moyen
âge, les femmes sont démonisées pour des raisons
surprenantes, à tout le moins pour un lecteur de notre
époque :
Nous avons vu que les Diables de la fin du Moyen âge
étaient souvent pourvus de seins (...) Cependant ces diables à
seins de femme apparaissent à la fin du Moyen âge,
c'est-à-dire à une époque où, de plus en plus, le
symbolisme féminin se charge de culpabilité, de
malédiction. (...) La femme et, progressivement, la sorcière vont
devenir des monstres : cette évolution atteint son apogée
à la fin du XVe siècle125(*).
Les sibylles, bien que des êtres merveilleux,
échappent à la dévalorisation quasi systématique.
Cela s'explique par leur appartenance au monde chrétien. Les seuls qui
osent les railler sont des auteurs de fiction et non des compilateurs, qui
utilisent la dérision, voire la grossièreté pour parler
d'elles. Du bien est dit de leur savoir est dans les compilations de Boccace,
Antoine Dufour et Christine de Pizan. Guillaume de Machaut et Le Chemin de
longue estude de Christine, encore, le louangent également.
Christine de Pizan figure deux fois dans cette liste, car elle a
rédigé une compilation sur les femmes et une oeuvre de fiction
où la sibylle est un personnage central. La sibylle des deux oeuvres
sera comparée.
a) La divination à des fins
chrétiennes
Boccace ne parle que de trois sibylles : Almathée,
Érithrée et Albunée. La première aurait obtenu son
savoir magique de Phoebus, amoureux d'elle : «Et jassoit ce que les
lettres et dis des poetes tesmoignent elle avoir esté amee de Phebem
c'est-à-dire de Appolo, ou du soleil, et par le don de lui avoir obtenu
tant d'ans et divinité126(*)». Il s'agit donc d'un pouvoir acquis de
manière surnaturelle et non le fruit d'un long apprentissage.
Les sibylles sont très présentes dans les
mythes antiques. L'annexe X « Les dix sibylles de Varron et Isidore
de Séville » les montre chez ces deux Anciens. Almathée
est un personnage clé dans les mythes de cette époque. C'est elle
notamment qui aida Énée à accomplir une partie des actions
qui rend le héros célèbre : «elle mena aux
enfers Enee127(*)»
(« Sunt preterea qui dicant hanc Enee profugo ducatum af inferos
prestitisse128(*) »). Boccace accorde donc une place
importante à cette sibylle, bien qu'elle soit une femme, une femme
possédant certains pouvoirs en plus. Ses dons offerts par Phoebus ne lui
viennent pas des livres et c'est donc un savoir merveilleux qui n'est pas
rationalisé comme il était souvent coutume de le faire au Moyen
âge. Ainsi, il peut paraître plus dangereux parce qu'inexplicable.
Cadeau d'un être divin, il peut être incontrôlable.
Cependant, toutes les sibylles de la littérature médiévale
n'ont pas reçu leurs dons, puisque certaines les ont acquis par
l'étude, c'est le cas de celle de L'Énéide :
« Sebilla connaît en effet `[la] fusique, [la] restorique et
[la] musique, [la] dialectique et [gramaire]', c'est-à-dire les arts
autorisés, les sept arts du trivium et du quadrivium,
mais elle connaît aussi, comme Ericthô, la `nigremance',
c'est-à-dire la magie noire ou l'art d'évoquer les
morts129(*) ».
La seconde sibylle à apparaître dans De
cleres et nobles femmes et dans De claris mulieribus est
Érythrée. Comme ses autres congénères, elle est
dotée de la capacité de prévenir l'avenir, elle annonce la
naissance du Christ : « Erithree, ou Eriphille, femme fut une
des sibiles et mon noble. Lesquelles sibilles, selon l'opinion d'aucuns, furent
en nombre .x., et les nomment et designent en leur propre nom; car elle ont
esté moult douees du don de divinacion, ou miex de prophecie130(*)». Dans la traduction en
ancien français, il est intéressant de noter les termes
« moult douees », car c'est la preuve de l'admiration du
compilateur pour ce don. Pouvoir d'ordinaire effrayant, il est acclamé
s'il est associé au divin, ici concernant la venue au monde de
Jésus-Christ. La sibylle Érythrée sait également
voir d'autres choses dans l'avenir, des prophéties.
Boccace, en bon chrétien, semble vouer un culte aux
sibylles. Selon lui, Érythrée est
« vénérable », « divine »
et « très excellente » :« [A]insi
sibilles vault autant comme "divine en la pensee" ou "portans Dieu en
la pensee". Doncques en/tre toutes ces venerables femmes sibilles ceste,
selon les dessu dit, fut moult venerable et tresexcellent131(*)». Le personnage est
inextricablement lié à Dieu. Cependant, la littérature
arthurienne en a fait autrement. Appelée
« enchanteresse », la sibylle y incarne un être
presque diamétralement opposé : « C'est
`l'enchanteresse Sebile', compagne et parfois substitut de Morgane dans les
romans arthuriens. C'est aussi parfois (tradition dérivée des
Pères de l'Église, qui voyaient dans les Sibylles des
prophétesses du Christ) l'éducatrice ou la rivale de la
Vierge132(*) ». Ainsi, l'archétype sibyllin a
dérivé et s'est littéralement métamorphosé
selon les récits, car la sibylle arthurienne a organisé
l'enlèvement de Lancelot avec deux de ses comparses. Elle est donc
encline à faire le mal.
Chez Boccace, encore une fois, la symbolique religieuse est
omniprésente. Tout comme de la Vierge Marie, il est dit d'elle qu'elle
est demeurée chaste :
En oultre, aucuns sont qui afferment elle avoir esté
perpetuelle vierge, et laquelle chose de legier je croy, car en cuer ou pensee
tachie et plaine de pourreture n'eust peu avoir resplendy tant grande lumiere
et congnoissance des choses a venir133(*).
Sunt qui asserant insuper eam virginitate perpetua floruisse,
quod ego facile credam : non enim in contagioso pectore tanta futurorum
lux effulsisse potuisset134(*).
On remarque ici la répétition du don de la
sibylle, c'est-à-dire son habileté à deviner le futur.
Dans les deux versions, il est question de la « grande
lumière » qu'elle apporte au monde grâce à son
savoir. Ce lien entre la lumière et la connaissance se fait
également chez Circé, la petite-fille du Soleil. Cependant, les
deux enchanteresses se ressemblent assez peu. La sibylle
Érythrée, au contraire de l'héroïne antique, est un
être de pureté, dont ni le coeur ni le corps n'ont
été souillés, ce qui, selon Boccace, explique en partie
son pouvoir.
La louange du savoir de la sibylle est aussi présente
chez Christine de Pizan. Avant de consacrer des chapitres à deux de ces
femmes magiques en particulier, l'auteure en écrit un sur les sibylles
en général. En début de texte, elles sont décrites
comme détentrices d'un savoir fécond : « Entre les
dames de souveraine digneté sont de haultece les tres remplies de
sapience sages Sebiles, lesquelles, si que mettent les plus authentiques
aucteurs en leurs institucions, furent .x. par nombre, quoyque aucuns n'en
mettent que .ix.135(*) ». Donc, en plus d'être dignes,
elles sont sages, selon Christine. Le problème de leur nombre changeant
d'un compilateur à l'autre, par ailleurs, est représenté
dans le tableau « Ordre et décompte des sibylles ».
Les personnages sibyllins possèdent des
caractéristiques qui adhèrent bien aux valeurs christiniennes. En
effet, ces femmes possèdent une voix écoutée de tous.
Christine cherche aussi à se faire entendre : « Cette voix
désincarnée, voix de vérité et source de plaisir,
transcendant le temps, représente, par-delà la simple
renommée, une voix féminine d'autorité
émancipée du corps physique. Or Christine est
obsédée par la difficulté pour une femme de se faire
entendre et reconnaître dans le champ du savoir136(*) ». Avec La
Cité des Dames et ses autres oeuvres, Christine de Pizan
réussira à être écoutée par autrui.
Cependant, elle ne manifeste pas de savoir magique, mais un savoir réel.
À travers le savoir extraordinaire des sibylles, l'auteure se projette
elle-même. En tant que femme active pour la cause féminine, elle
souhaite passer un savoir à propos des femmes de savoir. Christine a
appris son savoir dans les livres. À certains égards, les
enchanteresses (mais pas les sibylles) ont aussi acquis leurs connaissances.
La Cité des dames a été rédigée
dans le contexte de la Querelle des femmes. En tant que telle, cette oeuvre se
veut « féministe ». Elle-même une femme de
savoir, Christine défend sa cause et, tout à la fois, celle des
femmes de sa galerie de portrait. Elle brandit le fer et semble dire qu'elles
sont capables de tout. L'auteure s'inclus dans cette cité qu'elle
bâtit. Elle veut s'y sentir protéger. Pour cela, elle doit manier
le verbe. Ainsi, les femmes de savoir ne sont pas à craindre ni à
critiquer, mais à louer. Leurs capacités sont méconnues et
méritent d'être racontées. Connaissant les récits de
ses personnages, elle souhaite capter l'attention des lecteurs et faire en
sorte qu'ils adhèrent à son point de vue. Christine est
consciente que sa situation de femme écrivaine serait ainsi grandement
améliorée. Tout comme les sibylles, son savoir mérite
d'être entendu. Ses connaissances, elle le sait, servent à faire
avancer les choses.
Dans la première partie se trouve le chapitre
« Le premier chapitre parle des x. Sebiles », qui concerne
ces personnages. Christine de Pizan explique la signification de leur
appellation :
Ycestes dames userent toute leur vie en virginité et
despriserent polucion. Si furent toutes nommees Sebiles et n'est mie a entendre
que ce fust leur propre nom, ains est a dire "Sebile" ainsi que savant la
pensee de Dieu. Et furent ainsi appellees pour ce que elles prophetisierent si
merveilleuses choses que il convenoit que ce qu'elles disoient, leur venist de
la pure pensee de Dieu, si est nom d'office et non pas propre137(*).
Le don, général pour toutes les sibylles, de
pouvoir prédire l'avenir est souligné ici par la compilatrice.
Ces prophéties sont qualifiées de
« miraculeuses », car directement en lien avec Dieu. On
sent donc dans ce chapitre une forte dimension religieuse. Ainsi, la
virginité est associée à la Vierge Marie, femme par
excellence des récits bibliques auxquels Christine adhère. De
plus, les sibylles sont en contact avec la pensée de Dieu (terme
utilisé à deux reprises dans le dernier extrait). Elles sont donc
intimement reliées au divin. La répétition met l'emphase
sur ce phénomène.
Le chapitre suivant se nomme « Ce dit de Sebile
Erithee ». On y apprend que celle-ci est dotée d'une grande
sagesse, d'un don rare : « Il est a savoir qu'entre les Sebiles,
Erithee ot la plus grant prerogative de sapience, car de ceste fu tant grande
la vertu par don singulier et especial de Dieu qu'elle descript et prophetisa
plusieurs choses a avenir tant clerement que ce semble mieulx estre Evvangile
que prophecie138(*) ». Dans l'ensemble, les mêmes
caractéristiques des sibylles sont répétées. Peu
d'éléments nouveaux apparaissent d'une sibylle à l'autre.
C'est précisément cette répétition qui rend
l'information plus importante. Ainsi, nous savons que Christine de Pizan donne
du mérite à ce savoir, savoir qu'elle admire et qu'elle tente
d'assimiler elle-même.
L'admiration de l'auteure pour le savoir sibyllin se note
également dans d'autres oeuvres, dont Le Chemin de longue
estude sur lequel nous reviendrons. Quand il s'agit des sibylles,
Christine loue les dons de prophéties : « Christine, loin
de faire dériver la Sibylle vers la figure de la fée comme
d'autres au Moyen âge, va s'employer à diverses reprises dans ses
oeuvres à la glorifier comme prophétesse139(*) ». En effet, les
sibylles, chez Christine de Pizan, sont des figures, certes, païennes,
mais surtout chrétiennes. Contrairement aux récits arthuriens,
l'écrivaine ne la rapproche pas de Morgane ou d'autres fées.
Cependant, les fées comme les sibylles sont détentrices de
savoirs hors du commun, qu'ils soient acquis ou non. Dans La Cité
des Dames, il n'y a cependant aucune fée, ce qui laisse penser que
Christine, qui connaissait forcément ce type de personnage,
préférait parler de « femmes possédant un
savoir ». Ainsi, il semble que Christine ne croit pas aux
fées. Elle croit, certes, dans le pouvoir des connaissances et dans les
capacités des femmes. Elle avait probablement lu des romans arthuriens
où les fées y jouaient un rôle, mais elle a
préféré retenir qu'il s'agissait de femmes savantes.
À l'instar de ce qui est mentionné dans Partonopeu de
Blois où Mélior a suivi les enseignements de maîtres,
elle croit que la magie des enchanteresses est le fruit de travail. Cependant,
le savoir des sibylles échappe à cette règle, car il est
un don de Dieu.
La sibylle Érythrée a fait trois
prédictions140(*). D'abord, elle connut à l'avance plusieurs
faits historiques des Grecs, dont la destruction de Troyes. Elle annonça
ensuite la venue de Jésus-Christ qui naîtrait de la Vierge Marie.
Finalement, elle prédit le Jour du Jugement dernier. Selon le texte,
elle donna en dictée ces évènements de manière
« escript tant clerement ». Ainsi, toutes les visions de la
sibylle concernent des faits historiques ou religieux importants, qui touchent
aux intérêts de Christine. En effet, dans ses écrits, le
lecteur peut constater la foi de l'écrivaine, de même que son
amour du savoir dont fait partie l'Histoire.
La compilatrice, toujours en parlant
d'Érythrée, explique que ces prophéties ont
été prononcées en peu de vers : « Et
ycestes choses sont contenues en .xxvii. vers que ceste Sebile fist pour
lesquieulx merites, ce dit Bocace, et tous autres sages aucteurs qui d'elle ont
escript, le tiennent, est a croire qu'elle fu tres amee de Dieu et qu'elle soit
a honnourer plus que autre femme apres les saintes crestiennes de
Paradis141(*) ». Il n'y a aucun doute ici que Christine
s'est basée sur Boccace, car elle le mentionne explicitement. Les deux
compilateurs partagent donc le même avis sur les talents de la sibylle.
Elle aurait donc hérité de dons spéciaux de Dieu, qui
l'aimait plus que d'autres. Il s'agit d'une explication chrétienne
à des mythes dont il n'y aurait pas d'explication sinon.
Amalthée dans la Cité des Dames est
décrite de manière similaire à Érythrée. Son
esprit exceptionnel est admiré de Christine : « Ceste ot
semblablement tres especiale grace d'esperit de prophecie142(*) ». Elle
présente aussi les mêmes caractéristiques que les autres,
c'est-à-dire un âge avancé qui ne paraît pas et sa
virginité. Le mot « sapience » revient à de
très nombreuses reprises dans le texte pour parler de cette
prophétesse :
Et pour la grande sapience de ceste cy, aucuns poetes
faignirent qu'elle fu amee de Phebus, que ilz appelloient dieu de sapience, et
que par le don d'icellui Phebus elle acquist si grant savoir et vesqui si
longuement, qui est a entendre que pour sa virginité et purté
elle fu amee de dieu souleil de sapience, qui l'enlumina de clarté de
prophecie par laquelle elle a predit et escript plusieurs choses a
avenir143(*).
Ainsi, pureté et sagesse la décrivent, elle qui
a la particularité d'avoir été aimée de
Phébus. Le chapitre donne ainsi l'explication de la provenance de son
savoir qui est le résultat d'une transmission. Ce processus s'apparente
au savoir des fées qui se transmet de mères en filles. Une fois
de plus, on remarque l'intérêt de la compilatrice pour les
connaissances livresques avec la mention du Savoir de même que celle de
Phébus. Ainsi, Érythrée est liée au soleil tout
comme Circé, qui est sa petite-fille. Les deux figures sont
héritière d'un pouvoir surnaturel venant de cet astre puissant,
source de vie.
Plus loin, ce goût pour les livres est encore
présent. En effet, Amalthée est associée aux livres, car
à l'intérieur des ouvrages étaient conservées de
précieuses informations qu'elle avait prédites. Il existait
dix livres : « Si furent les livres bien gardez et fu
trouvé que ilz declaroient entierement les fais qui aux Romains estoient
a avenir. Et les grans cas qui puis leur avindrent trouverent tous predis es
diz livres144(*) ». Tout comme pour Christine
elle-même, les livres ont fait la renommée de cette sibylle. Le
chapitre se conclut avec une oeuvre de Virgile qui n'est pas nommée.
Christine elle-même mentionne qu'elle y a puisé.
De nombreux auteurs, donc, ont mentionné les sibylles
dans leurs écrits. Guillaume de Machaut parle d'elles, en plus de
Médée et Circé. Machaut parle cependant d'une seule
d'entre elle, la « Sibille ». La sagesse est, pour une fois
encore, associée au personnage : « La sage
prophète Sibille, / Qui avoit cuer franc et nobile, / De ce grant peril
l'avisa145(*) ». Son coeur noble et
généreux génère aussi l'admiration du poète.
Il explique que la sibylle sut prédire un grand danger, mais ne va pas
plus loin en ce qui concerne son savoir. On ne sait donc pas si ses
prédictions étaient regroupées dans des livres ou
d'où elle détenait son pouvoir. Machaut laisse plusieurs aspects
incomplets, peut-être parce que la figure sibylline était si
connue à l'époque qu'elle n'avait nul besoin de plus de
commentaires.
La Sibylle du Chemin de longue estude est
également une femme de grand savoir. Tout comme celles dépeintes
par les autres auteurs, elle est vieille. Christine de Pizan la décrit
en mentionnant, entre autres, qu'elle est sage :
Une dame de grant corsage,
Qui moult avoit honneste et sage
Semblant, et pesante manière.
Ne jeune ne jolie n'yere,
Mais ancianne et moult rassise;
N'ot pas couronne ou chef assise,
Car roÿne n'yert couronnee,
Si fu simplement atournee
Et voilee d'un cueuvrechief
Entortillé entour le chief,
Et selon l'ancian usage
Vestue ot une cotte large.
Par semblant si fort et durable,
Si sembla bien femme honorable :
Quoye, attrempee et de grant sens,
Et maistrece de tous ses sens146(*)
À la différence de toutes les autres oeuvres, on
connaît l'apparence physique du personnage, dont ses vêtements.
Tous les auteurs parlent des sibylles comme des êtres dignes. La Sibylle
du Chemin a été créée trois ans avant
celles de la compilation La Cité des dames. En tant qu'oeuvre
de fiction, les personnages y sont plus développés que dans la
galerie de portraits : le « Chemin de longue
étude [est le] seul texte où la Sibylle est un
véritable personnage, partie prenante de la narration comme guide de
Christine dans un voyage allégorique147(*) ».
Selon la Sibylle, ses congénères, au nombre de
neuf, existent bel et bien. La narratrice est en fait la septième. Selon
les auteurs antiques, la septième sibylle se nomme Almathée ou
Cumane. Encore une fois, elle est une prophétesse dotée de
sagesse : « .vi. femmes sages si parfaites / Que par grace de
Dieu prophetes / Furent et du secret haultiesme / Parlerent. Et moy la .vii. /
Fus; .iii. autres puis moy nasquirent148(*) ». Le choix de cette sibylle en
particulier n'est pas anodin. Comme le montre l'annexe VII « Les
enchanteresses selon les compilateurs », il s'agit de celle
préférée par les auteurs. De toutes les enchanteresses
dont il a été question plus tôt, elle est celle qui revient
à de plus nombreuses reprises. Originaire d'Italie, elle est celle qu'a
choisit Antoine de la Sale, notamment. Il l'a ensuite transformé en
être diabolique. Christine choisit plutôt de la présenter
comme une amie, une guide dans son long poème de rêverie.
Il est indubitable que Christine s'est basée sur les
auteurs de l'Antiquité, notamment Isidore de Séville. Au moment
où l'écrivaine entame la rédaction des oeuvres mettant en
scène des sibylles, une longue tradition de ces personnages perdurait
depuis des siècles. C'est Varron qui le premier a mis de l'ordre dans
cette accumulation de mythes sibyllin : « Le nombre de sibylles
aurait pu s'accroître indéfiniment... sans l'intervention de
Varron149(*)».
Ensuite, Isidore de Séville a repris la liste en y modifiant quelques
détails. Le tableau de l'annexe X « Les dix sibylles de Varron
et Isidore de Séville » en fait la démonstration.
La Sibylle Amalthée du Chemin de longue
estude, tout comme dans la compilation, est liée au personnage de
Phébus. Ses dons proviennent de lui : « Au monde vesqui
longuement, / Et je te compteray comment / J'oz le don de longuement vivre. /
Ainsi est il escript ou livre : / Pucelle estoie jeune et tendre, / Phebus
moult se penoit d'entendre / Comment en grace le receusse, / Et que la grant
amour sceüsse / Dont il m'amoit parfaitement150(*) ». Le récit
à la première personne est propre à cette oeuvre. Le
Chemin va beaucoup plus loin qu'une simple esquisse comme l'est la
galerie de portraits. Le monologue dessert ici le personnage, qui se
présente en détail. Elle a ainsi l'avantage d'en raconter long
sur elle. Sans l'intermédiaire d'un discours rapporté, le contact
avec le personnage est plus direct. De plus, la Sibylle parle d'un livre
où est consignée son histoire. Donc, le personnage d'un livre
parle d'un livre où elle joue un rôle, ce qui crée un effet
de mise en abyme et de double : « C'est dans ce projet que la
Sibylle va trouver son rôle, en incarnant une parole d'autorité au
féminin. La figure de la Sibylle se construit dans un habile jeu de
miroirs avec des doubles internes et externes151(*) ».
La fiction de Christine de Pizan permet plus de latitude
à la Sibylle. Les compilations, qui ne sont pas des romans, sont de
nature plus « sèches ». Les ellipses et de courtes
descriptions les caractérisent particulièrement. C'est le cas
d'Antoine Dufour dans La Vie des femmes célèbres. Un de
ses chapitres est consacré à Érythrée. En tant que
figure religieuse, elle est admirée par l'auteur et il mentionne
plusieurs de ses qualités : « Elle fut tant
ingénieuse et plaine de si grande devocion, que quasi on la peult mieulx
nommer prophète que sibille. Car de l'Incarnation et de la Passion si
haultement chanta que l'Église en fait mémoire152(*) ». Ainsi, cette
prophétesse est pleine de dévotion, de génie et son
rôle a été fort important au sein de l'Église. Alors
que Médée, toujours chez Dufour, était
« ingénieuse à faire le mal »,
Érythrée est « ingénieuse » à
de bonnes fins. Le génie de ces deux personnages est ainsi mis en
relief. Pour Dufour, Médée ne l'utilise pas à de bonnes
fins. Son savoir dessert le Mal. Cependant, Médée n'est pas une
figure de la religion au même titre que la sibylle. Médée
est une enchanteresse païenne et il est donc plus
« normal » que Dufour s'en prenne à elle dans ces
termes.
Chez la Amalthée de Dufour, le savoir de
l'enchanteresse est mis en relief, surtout son savoir livresque, comme l'avait
fait, entre autres, Christine de Pizan : « [Elle] fist neuf
livres de haulte et souveraine intelligence, plaine de la vérité
de nostre foy et Rédempteur153(*) ». Les ouvrages que la sibylle a
conçus sont qualifiés de brillants. Les propos de l'auteur sont
très religieux et il salue la foi présente dans les livres
sibyllins. On retrouve bien les la personnalité du prêtre
qu'était Antoine Dufour. Son admiration pour les femmes croyantes semble
sans borne. Il paraît d'autant plus admiratif si les talents d'une femme
sont des dons de Dieu servant la cause religieuse. Ainsi, tout comme
lui-même qui sert la Foi chrétienne, il admire une femme qui se
met au service du Seigneur. Dufour ne cherche pas à expliquer le pouvoir
magique de la sibylle : c'est la volonté de Dieu qui n'est pas
questionnable. Si Christine se projette elle-même dans toutes les femmes
de savoir. Dufour lui, les donne comme modèles aux femmes pour qui il
écrit avec plus de précautions, préférant de loin
celles qui sont reliées au divin.
À la fin du chapitre sur Amalthée, le
compilateur revient sur les livres rédigés par l'enchanteresse.
Sa prophétie concerne sans doute l'évènement-clé de
la chrétienté, c'est-à-dire la résurrection de
Jésus-Christ : « Les Romains long temps après sa
mort, alloyent veoir ces livres et trouvoyent tout ce qui estoit advenu. Elle
dist de Ihésuscrist ce qu'il s'ensuit : "Ihésus, le grant
prophète, troys jours après sa mort ressuscitera et après,
en grant triumphe, es cieulx montera"154(*) ». L'annonce de cette nouvelle fait de
cette sibylle, mais des autres aussi, un être primordial pour les gens du
Moyen âge, car la religion influait sur beaucoup de choses. Dans le cas
de La Vie des femmes célèbres tout comme avec Le
Chemin de longue estude, on constate une mise en abyme avec le livre. Dans
les deux oeuvres, les livres occupent une place importante à
l'intérieur d'un livre, la compilation et le l'ouvrage fiction. Par
ailleurs, il faut mentionner que le livre est un symbole du savoir par
excellence. Les sibylles, donc, ont beaucoup moins de mal à faire
accepter leurs connaissances que les païennes Circé et
Médée.
La sibylle suivante dont parle Antoine Dufour est
Albunée. Encore une fois, ses qualités morales et intellectuelles
font le ravissement du compilateur : « [Elle] mérita, par
ses tresgrans vertuz et hault sçavoir, estre appellée femme
célicque ou ange incarné155(*) ». Selon le texte, le savoir de la sibylle
fait d'elle un ange. Jamais encore Dufour n'avait été aussi
élogieux pour une sibylle. Il reste que les anges font également
partie du panthéon chrétien. Plus en amont dans le chapitre, on
apprend ce qu'elle a dit exactement : « Elle fist XXVII vers du
jugement et de la fin du monde, dont le commencement des lettres capitalles
portent ceste sentence : "Ihesus Cristus filius veniet Salvator
mundi"156(*) ».
Les sibylles chez Martin Le Franc ont également
annoncé la venue du « Sauveur Jésus-Christ ».
Dans Le Champion des Dames, oeuvre à la composition plus
éclatée que les autres compilations, elles apparaissent dans le
livre IV au nombre de neuf. L'auteur a apparemment omis la dixième, bien
qu'il stipule qu'il en existe dix : « Dix furent celles que je
nomme / Dont de Perse fut la premiere, / Delphique l'aultre l'en surnomme, /
L'aultres l'en appelle Chimere. / Lerithee de grand lumiere / Ensuit la tres
sage Cumee. / Je mes Elesponce derriere / Frigie, Samye, Albumee157(*) ». La partie qui
concerne les sibylles porte le titre suivant : En cestui chappitre Franc
Vouloir le champion des dames, aprez ce qu'il a loé les clergesses, fait
mencion des dix sebilles lesquelles tres clerement prophetiserent de nostre
Sauveur Jhesucrist, comme il appert par leurs dis. Avec ce titre, le plus
important sur les sibylles est mentionné, autrement dit la
prophétie de la venue du Fils de Dieu.
Le Champion des dames n'est pas une compilation au
même titre que les autres. Les vers sur les sibylles les
présentent encore comme des êtres vertueux grâce à
leur capacité à lire l'avenir : « Ainsy prouve que les
sebilles / A parler du temps avenir / Furent apertes et habiles / Car ainsy le
vit on venir158(*) ». Le récit des sibylles en
général est suivi par celui d'Érythrée dès
le vers MMCCCXCIII. Comme avec les autres compilations, elle est porteuse d'un
message chrétien : « Or oy aprez de Lerithee / La chanson
du grant jugement, / Comme elle est saincte et bien dictee159(*) ». Selon Franc
vouloir, la voix qui prend parti pour les dames, les sibylles s'occupent
bien de leur tâche et Franc vouloir cherche à les
valoriser. Cependant, « l'adversaire », lui réplique
qu'elles sont de nature mauvaise : « Sont
célébrées ensuite les Sibylles, qui
prophétisèrent la venue du Sauveur. Magiciennes
possédées du démon, réplique l'adversaire, car Dieu
seul connaît l'avenir. C'est l'Esprit Saint, il est vrai, observe
Franc Vouloir, qui inspirent prophètes et prophétesses,
et non Satan, dont l'habileté en ce domaine est illusoire160(*) ».
La Champion des dames est la seule compilation qui
met en doute le savoir des sibylles, par l'entremise de
« l'adversaire ». Cependant, dans la partie où il
est question des sibylles, le texte prend l'allure d'un débat. Comme son
contemporain Antoine de la Sale, Le Franc, à travers la bouche de son
personnage, émet un jugement négatif à l'égard des
magiciennes, qu'il s'empresse tout de même de rectifier :
« Mais les sebiles disoeint / Du temps avenir mal ou bien, / Je croy
certes que ce faisoient / Par quelque engin magicien161(*) ». L'adversaire
affirme la nature diabolique des sibylles, car leurs dons lui paraissent
suspects. Comme nous l'avons vu précédemment, à plusieurs
reprises dans l'Histoire, le savoir des femmes apeure les gens, même s'il
s'agit uniquement de littérature.
Le personnage subversif continue dans son argumentaire. En
l'espace de huit vers, quatre désignations sont utilisées pour
décrire les sibylles, soit « prophétesse »,
« devineresse », « enchanteresse » et
« menteuses ». Selon le locuteur, elles pratiquent des
rituels étranges : « Se disoyes que prophetisses /
Fussent telles devineresses, / Il fauldroit que t'en repentisses / Car elles
sont enchanteresses, / Sur crapaux et raines caurresses / Remplies de l'art
dyabolique. / Et qui en croit les menteresses, / Il est pire que
Phitonique162(*) ». Le plus surprenant, dans ce passage,
est l'apparition des batraciens. Il faudra attendre quelques siècles
encore pour que cette image de la femme et de ses envoûtements
diaboliques se cristallise dans l'imaginaire collectif.
Aucun écrivain médiéval, à part
sous le couvert de la moquerie comme Rabelais par exemple, n'oserait critiquer
ouvertement une figure chrétienne. Martin Le Franc a surtout choisi de
les présenter comme des êtres magiques, mystérieux et
saints. Leurs prophéties sont porteuses d'un message éminemment
important selon la Bible. Ce message est transmis
« textuellement » dans le livre IV : « Mais les
sibylles sont les seules dont le Champion fasse entendre la parole au discours
direct, et dont il donne ainsi à méditer les liens entre
poésie et savoir163(*)». Les prédictions de la sebille Lerithee
sont en effet présentes sous forme de cinq strophes de huit vers
chacune. Elle y décrit les évènements terribles qui se
passeront le Jour du Jugement dernier. Ainsi, Le Franc réussit à
rendre poétique des faits terrifiants.
Martin Le Franc et Antoine de la Sale ont en commun de
montrer un côté sombre des sibylles, alors qu'ailleurs, elles sont
entièrement considérées comme des êtres divins. Chez
les trois derniers, l'idée de « trou » est
associée à ce personnage diabolique qui symbolise la fin du
monde :
Cette image vacillante du "trou de la sibylle" est d'autant
plus intéressante que le point de vue final de Martin Le Franc,
formulé par son porte-parole le Champion, culmine dans ce livre IV avec
l'évocation des dix sibylles antiques et la citation, sur treize
huitains, de leurs prophéties concernant la vie du Christ et l'annonce
du Jugement164(*)
En montrant ainsi les deux faces des personnages sibyllins,
Martin Le Franc invite à la prudence et au bon jugement des lecteurs.
L'échange entre Franc Vouloir et L'Adversaire se veut être une
mise en garde : certes les sibylles sont des prophétesses du
Seigneur, mais chacun doit tout de même se poser des questions à
savoir ce qui est issu du Bien ou du Mal. Il en ressort qu'elles sont du
côté du Bien.
Dans La Nef des femmes vertueuses, le Bien est
également mis en avant, quoique peu de choses soient dites, en
réalité, sur les sibylles. D'emblée, Symphorien Champier
instaure, comme Christine de Pizan, un lien avec les livres :
« Les historiographes en partie s'accordent que les sibilles furent
dix165(*) ».
La sibylle Érythrée a la particularité d'avoir
annoncé la destruction de Troyes :
La quinte fut la sibille erithrée ou eriphile ainsi
nommée, car ses livres furent trouvés à erithres ou pource
que aultresfoys y avoit habité comme appolodore erithrée
l'afferne avoir esté sa citoienne. Et ceste regna par le temps que les
grecz alarent à troyes la subvertir ausquels elle predict la destruction
d'icelle et les mensonges que homere devoit escripre166(*)
On retrouve ici trois informations intéressantes quant
au savoir de la sibylle. D'abord, Champier est le seul à donner
l'explication de la provenance du nom Érythrée. Qui plus est,
cette appellation est reliée aux livres, qui ont été
écrits par elle. Ensuite, nous connaissons la nature de la
prophétie touchant au monde païen. Finalement, elle prédit
également les écrits à venir du poète
Homère, dont seul Champier, encore une fois, parle. Indirectement, donc,
le compilateur dément les propos tenus sur Médée et
Circé. Les deux enchanteresses sont détentrices de savoir et,
tout comme les sibylles, sont païennes. Chez elles, Champier ne critique
pas leur savoir ni ne donne une mauvaise image d'elles parce qu'elles ne sont
pas chrétiennes.
Le livre est aussi relié à une autre sibylle de
La Nef, Tiburtine ou Albunée. Il est dit d'elle que
« son ymage avoir esté trouvée tenant ung livre en sa
main167(*) ».
Tout comme Christine de Pizan, Champier met l'accent sur le savoir livresque,
tant celui qui contient ses prophéties que le livre où elle
apprend sa science. Ainsi, toutes les sibylles ont en commun de posséder
des connaissances qui les placent dans une catégorie à
part : « Par sa compétence dans le domaine du savoir et
sa fonction de glose, la Sibylle s'apparente à une figure de lecteur. En
tant que prophétesse, sa compétence est d'abord de savoir
déchiffrer des signes168(*) ». Le livre est le miroir du savoir des
sibylles, mais le caractérise en même temps. Grâce au livre,
on sait que les sibylles sont détentrices d'un savoir particulier. Les
livres qui mettent ces prophétesses en scène, cependant, sont
loin de tous les dépeindre de la même manière. Quelques
oeuvres de fiction, par exemple, les montre plutôt sous un jour
obscur.
b) Du côté de la fiction
La comparaison de la Sibylle ou diable est symptomatique de
l'époque, où les femmes devaient de plus en plus souffrir
d'être accusées de toutes sortes de maux:
Lorsque se développa le mythe de la sorcière, la
société médiévale réussit à projeter
sa peur de la femme, sa peur de la mort, dans une image uniquement
maléfique de la femme : elle en fit un bouc émissaire
chargé de tous les miasmes du groupe. La sorcière incarne la
face nocturne de la femme : elle communique avec le monde d'En-Bas, elle
s'accouple avec le démon169(*).
Il en va de même avec Antoine de la Sale et Le
Paradis de la reine Sibylle, texte contenu dans La Salade
(1441-1442). En effet, il dépeint une sibylle aux attraits autant sinon
plus maléfiques. La courte histoire raconte le périple de
voyageurs qui s'insinuent dans une caverne se trouvant à
l'intérieur d'une montagne italienne qui leur réserve
plusieurs surprises: « Dont furent moult esmerveillez pour ce que, quand
ilz estoient en l'autre cave avant les portes de metal, ilz avoient en l'autre
ouy de tresgrans bruiz et murmuremens de gens, se leur sembloit170(*) ». Le labyrinthe
les conduit dans un endroit magnifique, où règnent la luxure et
le perpétuel plaisir. Une nourriture fabuleuse n'y manque jamais, les
lieux sont richement décorés et il n'y a nul besoin de travailler
pour obtenir quoi que ce soit. Tout cela est dissimulé derrière
une succession de portes, les dernières étant faites de
cristal :
Mais avant qu'ilz le feissent entrer oultre une autre porte,
assez plus belle et plus riche que la premiere n'estoit, les firent entrer en
une petite chambrette moult richement tendue; et la les firent despoiller de
tous leurs habiz, du greigneur jusques au moindre, si les vestirent d'autres
tresriches vestemens. Puis les menerent a instrumens et melodies, par jardins,
par salles et par chambres, les unes bien et les autres mieulx tendues c'om
pourroit ou sauroit deviser171(*).
La seule ombre au tableau est la métamorphose de la
reine et de sa suite en serpents et couleuvres tous les samedis,
démonisant du coup cette reine qui paraissait parfaite. Chacun des
chapitres de l'oeuvre est très court. Un d'eux est consacré
à cet épisode de transformation et s'intitule « Comment
la royne Sibile et ses femmes sont separees des hommes, que anuit elles sont
couleuvres ». Quand minuit sonne, dans la nuit du vendredi au samedi,
dans un lieu séparé des voyageurs, elles se livrent à leur
métamorphose : « Pour ce que, quand venoit le vendredi,
après la mienuyt, sa compaigne se levoit d'emprès lui et s'en
aloit a al royne, et toutes les autres de leans aussi. Et la estoient en
chambres et en autres lieux ad ce ordonnez en estat de couleuvres et de
serpens, toutes ensemble172(*) ».
Ainsi, comme la Médée d'Antoine Dufour, la
Sibylle est une « serpente ». De la même façon
que les enchanteresses Médée et Circé, la reine d'Antoine
de la Sale présente des caractéristiques ambiguës :
elle possède des qualités, mais qui sont démonisées
dans la majorité des cas. La Sibylle du Paradis regorge, de prime abord,
de tout ce dont un homme peut rêver : richesses, beauté,
nourriture, palais, etc. Cependant, sa perfection connaît une faille, sa
transformation en un être répugnant. Comme avec
Médée et Circé, l'accent est mis sur leurs dons, mais
aussi sur leur capacité à faire le mal, comme si les auteurs
étaient incapables de simplement brosser un portrait positif de ces
femmes (à l'exception de Christine de Pizan). Contrairement aux sibylles
des compilateurs, la magie de l'héroïne du Paradis de la reine
Sibylle représente le mal, ce sur quoi nous reviendrons plus
tard.
Antoine de la Sale n'aurait pas pu choisir pire animal pour
la transformation de la reine. Le serpent, symbolisant le Mal, dans le
récit d'Adam et Ève, est lourd de significations :
La transformation en serpents de la Sibylle et de ses femmes
relève d'une vieille tradition de symbolique chrétienne qui, sur
la foi de la Genèse, voit dans le serpent la figure de Satan, et d'une
non moins vieille tradition de misogynie cléricale qui voit dans la
femme, objet du désir charnel, l'image du péché et l'agent
du Démon, en dépit des apparences, il y a peu de rapports avec la
légende de Mélusine173(*).
En effet, par sa luxure constante, la reine Sibylle incarne le
péché, tel que perçu dans la religion chrétienne.
Par sa beauté, ses charmes et ses possessions, elle apparaît
dangereuse. Cependant, elle ne possède pas le don magique de ses
homologues, les sibylles chrétiennes des compilateurs. Son pouvoir
extraordinaire réside seulement dans sa capacité à se
métamorphoser. Il est aussi vrai que, au Moyen âge et dans
d'autres époques encore, la femme était particulièrement
touchée par des croyances qui n'augmentaient en rien son statut. C'est
le cas de la reine Sibylle, qui est démonisée à cause de
sa luxure et sa métamorphose.
Le rapport principal entre Mélusine et la reine
Sibylle est évident : la transformation en serpente.
Mélusine se transforme en dragon ailé qui s'envolera de son
palais construit par elle. Son époux Raimondin n'en savait rien. Dans
les deux cas, la métamorphose a lieu le samedi, ce qui est significatif.
J.-J. Vincensini propose d'associer cette journée à la
purification, mais non sans prudence :
Un très rapide coup d'oeil sur quelques samedis
littéraires invite à plus de prudence et persuade de ne pas
identifier automatiquement `samedi' et `jour de la purification' ou du `sabbat
des sorcières'. (...) Ce qui, bien entendu, n'est pas exclu. La
connotation sabbatique du sort que connaissent, entre le vendredi et le
dimanche, la compagne du chevalier Hans Wanbranbourg, et ses amies dans Le
Paradis de la reine Sibylle (...) est nette174(*).
Ainsi, il s'agit bien d'une « remise à
neuf » des deux femmes magiques en ce dernier jour de la semaine.
Elles sont alors prêtes à commencer celle qui suit. Cette
régénérescence est une autre preuve de la nature
extraordinaire de ces enchanteresses. Cependant, Antoine de la Sale ne
mentionne pas si la reine a appris ce tour ou bien si elle est née avec
cette capacité. Ce don, acquis ou non, empire l'image de la Sibylle. En
effet, sans cette métamorphose en serpent, la reine serait un personnage
idyllique sans défaut, à l'exception peut-être de son
oisiveté. La transformation en reptile, le pire animal selon la Bible,
classe définitivement la reine Sibylle comme un être
démoniaque.
Le chevalier est trompé par la Sibylle. Celle qui lui
faisait miroiter tant de belles choses, aux dires de l'auteur, n'est en fait
qu'une créature du Diable. Les richesses de la reine sont sans fin, ne
semblent jamais se tarir. De prime abord, elle paraît parfaite, mais le
protagoniste se rendra compte du contraire. Il découvrira son
appartenance au Mal : « Si le serpent symbolise le Mal, c'est
parce qu'il est l'emblème de la luxure, forme dégradée de
la fécondité qu'il incarnait jadis175(*) ».
Conclusion
Les sibylles se différencient beaucoup des deux autres
enchanteresses. Tous les compilateurs s'entendent pour dire qu'elles doivent
être louangées. Figures païennes annonçant plusieurs
faits bibliques, elles doivent être célébrées.
Ainsi, elles sont sages, pures, belles, dignes, etc. Elles présentent
à peu près toujours les mêmes qualités d'un
compilateur à l'autre. Cependant, leur nom et leur nombre peuvent
varier. Toutes ont prédit la venue de Jésus-Christ. Certaines
d'entre elles ont prédit le jour du Jugement dernier, des batailles ou
autres.
Boccace mentionne d'abord Érithrée. Elle est
capable de divination et de prophétie. Elle est en contact avec la
pensée de Dieu. Aux dires de l'auteur, elle est « venerable et
tresexcellent ». Il n'a jamais été autant
élogieux pour Médée ou Circé. Grâce à
ses connaissances, la sibylle Érithrée a répandu la
lumière sur le monde. Ensuite, le compilateur parle de
« Almathee clergesce ». Ses dons lui proviennent du soleil,
amoureux d'elle. Circé est donc, pour ainsi dire, la belle-fille
d'Amalthée.
Dans La Cité des dames, trois chapitres
concernent les sibylles. Le premier est général et les deux
autres relatent l'histoire de deux sibylles en particulier,
Érithrée et Amalthée, encore. Dans le chapitre
général sur les prophétesses, elles sont décrites
comme savantes et sages. Érithrée, plus spécifiquement,
est celle qui possède le don le plus puissant. Elle sut prédire
l'avenir avec grande clarté : la naissance du Christ et le Jugement
dernier. Elle annonça ses prophéties en vingt-sept vers. Pour
avoir la capacité de lire dans l'avenir, selon l'auteure, il faut avoir
un coeur pur. Amalthée, elle, apporta neuf livres à Rome. Elle
voulait ainsi conseiller l'empereur.
Dans Le Champion des dames, Martin Le Franc
répètent sensiblement les mêmes qualités des
sibylles que les autres compilateurs. Il les mentionne toutes d'abord d'une
manière général, puis explique plus longuement l'histoire
de « sebille Lerithee ». Celle-ci chanta la chanson du
Jugement dernier, dont le texte complet est
« retranscrit ». Le savoir livresque est
particulièrement associé à cette devineresse. Les strophes
en fait séparées avec l'adversaire, qui ne croit pas dans les
prophéties sibyllines. Dans les derniers vers, il les compare à
des crapauds et dit qu'elles sont remplies d'art diabolique.
Le chapitre de Symphorien Champier sur les sibylles contient
très peu d'informations nouvelles. Néanmoins, l'auteur explique
qu'Albunée est représentée tenant un livre dans sa main,
symbole du savoir. Finalement, Antoine Dufour présente trois sibylles.
La première est Érythrée. Elle est ingénieuse et
pleine de dévotion. Elle prédit notamment la Passion. La seconde
est Amalthée qui possédait neuf livres annonçant la venue
du Christ. Ces livres ont été retrouvés après sa
mort. La troisième et dernière est Albunée,
comparée à un ange. Ses prophéties comptaient vingt-sept
vers.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Médée nous paraît cruelle surtout pour
avoir tué ses enfants. Cependant, dans les mythes, ces meurtres sont
présentés comme une façon de les immortaliser, mais qui
échoue176(*).
L'aide que Médée fournira à Jason la mènera
à sa perte. Cette aide est magique. Ce type de magie est
considéré comme terrifiant. Médée est cependant
celle qui domine le couple. Sa force est inhabituelle pour les moeurs de
l'époque. Les compilateurs du XVe siècle n'ont pas
tenu compte de cela, préférant voir en l'enchanteresse une sorte
de sorcière. Jean Boccace et Antoine Dufour présentent une femme
au savoir vaste et surnaturel, mais un savoir démonisé. Boccace a
écrit en latin De claris mulieribus, puis cette oeuvre a
été traduite en ancien français sous le titre Des
cleres et nobles femmes. Chez Boccace, une énumération est
faite de ses dons qui, sous la plume de l'auteur, paraissent terrifiants. Par
ses chansons, elle peut agir sur la Nature. Selon Boccace, Médée
est un être déloyal et elle est savante d'un savoir
défendu. C'est donc un être du tabou qui a dépassé
les limites permises.
Dans La Vie de femmes célèbres,
« serpente » et « sorcière »
sont utilisés pour parler de Médée. Dufour n'aime pas
parler de ce personnage et le mentionne d'emblée dans le chapitre.
À l'instar de Christine de Pizan, Dufour ne se gêne pas pour
parler de l'enchanteresse avec des termes destructeurs : « Au
fond, en dépit des protestations prudentes de son prologue, il
paraît bien être quelque peu misogyne177(*) ». L'enchanteresse
a bien mérité son sort, selon l'auteur. En effet, elle s'est
ôté la vie, ce qui est un grave crime au Moyen âge qui
empêche l'accès au Paradis dont parle la Bible. Cette fin
méritée est le résultat d'une accumulation d'erreurs. Par
ailleurs, le compilateur mentionne qu'elle est une sibylle. Il souligne ainsi
son don de divination. C'est peut-être aussi une manière
déguisée de saluer son savoir, car les sibylles sont d'imminentes
figures chrétiennes souvent très appréciées au
Moyen âge. Malgré tout, parlant de Médée comme d'une
« sorcière », on ne peut pas beaucoup douter des
impressions de Dufour sur l'enchanteresse.
La Cité des dames montre une enchanteresse aux
côtés uniquement positifs. Dans le chapitre du premier livre, elle
sait tout des arts et des sciences. Elle-même une femme savante,
Christine se projette dans ses personnages féminins. Dans le
deuxième livre, un chapitre est consacré uniquement à
elle, alors que, dans le premier, elle le partageait avec Circé. Cette
double présence de textes sur Médée est un cas unique dans
les compilations de femmes. Cependant, le chapitre ne se distingue pas vraiment
de l'autre en ce qui concerne le savoir.
Symphorien Champier est celui qui a rédigé le
chapitre le plus court dans les compilations sur Médée. Selon
lui, elle est instruite dans l'art magique. L'auteur ne mentionne pas qu'elle a
tué ses enfants. Il invoque cependant des arguments typiques en la
faveur des femmes, ne faisant pas réellement évoluer leur cause.
La Nef des dames vertueuses, par ailleurs, possède beaucoup en
commun avec La Cité. Dans Le Roman de Troie de
Benoît de Sainte-Maure, le savoir de Médée est
décrit de manière très détaillée. Plusieurs
de ses pouvoirs ne sont pas présents ailleurs, comme c'est le cas avec
l'onguent ou la glu, par exemple. Tout comme chez Boccace, Médée
a, dans ce texte, appris son savoir. Finalement, Guillaume de Machaut compare
son amour de l'être aimé à celui de Médée,
qualifiée de belle, pour Jason.
De trois figures à l'étude ici, Circé est
celle de qui on sait le moins de choses. La métamorphose est un
thème omniprésent quand il s'agit d'elle. L'autre thème
serait l'usage magique des plantes, nommé pharmakon dans
L'Odyssée. De plus, on notera qu'aucune des compilations ne contient de
recette magique, alors que c'est le cas dans le texte antique. Alors que
l'édition critique d'Antoine Dufour compte trois pages sur
Médée, elle en fait une demie pour Circé. Même chose
chez Boccace : cinq pages pour Médée, alors que trois pour
sa tante. Il n'y a que chez Christine de Pizan, visiblement celle qui renverse
toutes les règles établies, où le texte de la fille du
Soleil est plus long. Circé, cette «grande enchanteresse»,
nuit à Ulysse, mais elle se réchappe.
Chez Boccace, elle parvient à exercer ses
métamorphoses en préparant un « buvrage ».
Elle est « moult renommée » auprès de
plusieurs auteurs. En tant que fille du soleil et d'une nymphe, elle
possède certains pouvoirs. L'auteur se livre à une défense
courageuse de Circé, mais des femmes de sa galerie de portraits en
général. Il tente tant bien que mal de défendre cette
enchanteresse qui se rapproche d'une sorcière à certains
égards. Elle est la magicienne par excellence de l'épopée
grecque. Sa beauté singulière jointe à son savoir fait
d'elle un personnage fascinant. Circé est la plus dangereuse, car elle
cherche à nuire. En effet, elle effraie et elle se rapproche de la
figure de la sorcière. Boccace, tout comme les clercs de
l'époque, ne peut s'empêcher de décrier la magie dont use
Circé, mais aussi Médée.
Chez Dufour, elle est un être malicieux, qui attire les
hommes grâce à ses incantations. Elle sait aussi fabriquer des
potions grâce à ses connaissances des plantes. Boccace, quant
à lui, liste plusieurs des dons surnaturels de Circé, tout comme
il le fait pour Médée. Il met l'accent sur son savoir des
plantes, élément qui est répété deux fois
dans le court texte. Elle a ainsi empoisonné plusieurs personnes. Elle
est experte en enchantements et en divination, ce qui la rapproche des
sibylles. Le compilateur parle d'elle dans ces termes : «ceste femme
enchanterresses et empoisonneresse». Pour l'auteur, elle est à la
recherche du plaisir. Elle agit dans un but personnel et sème le mal
autour d'elle. Antoine Dufour admire l'érudition des femmes, sauf en ce
qui concerne le savoir magique. Probablement qu'en sa qualité de
prêtre, il est incrédule de ce type de récits surnaturels.
Il est maladroit dans sa défense des femmes, Christine de Pizan se
montre beaucoup plus adroite.
Dans La Cité des dames, le chapitre sur
Circé est joint à celui sur Médée. On y apprend
notamment que Circé est versée en l'art de la magie. De plus,
elle a aimé Picus, pour qui elle n'a pas hésité à
jeter des sorts malfaisants. Elle connaît les vertus des plantes et tous
les sortilèges possibles. Christine de Pizan imite parfois explicitement
Boccace, mais elle cherche aussi à rehausser l'image de ses
héroïnes. Selon la compilatrice, Circé, grâce à
la magie, parvient à tout ce qu'elle veut. Elle maîtrise, entre
autres, la métamorphose des bêtes sauvages et des oiseaux.
À première vue, il pourrait sembler incongru de
vouloir analyser le savoir des sibylles puisque ce savoir est le don de
prophétie et qu'elles ont prédit la venue de Jésus-Christ.
Le Moyen âge étant une période de haute ferveur religieuse,
le savoir sibyllin ne peut donc qu'être glorifié. Les
compilations, qui se veulent des oeuvres sérieuses, louent donc les
personnages. Leurs noms et leur nombre ont évolué en fonction des
auteurs, mais du temps aussi. Figures de l'Antiquité grecque, elles sont
demeurées païennes. Varron et Isidore de Séville ont
fixé leur nombre et leur dénomination utilisés au Moyen
âge. Ce n'est pas le cas dans les oeuvres de fiction, à
l'exception du Chemin de longue estude. Il existe donc
généralement une dichotomie entre ces deux types d'oeuvres.
D'abord une figure de pureté et de sainteté,
elles se sont transformées, sous la plume de certains auteurs. Elles se
transfigurent en sorcières ou en sorcière en devenir, le terme de
sorcière n'étant pas inventé à l'époque. Le
portrait sans doute le plus dégouttant, mais aussi le plus drôle,
est celui de Rabelais dans le Tiers-Livre. La Sibylle d'Antoine de la
Sale apparaît sous de traits magnifiques, mais sa métamorphose en
serpent nous fait découvrir son visage diabolique. Charles
d'Orléans dépeint aussi la sibylle de manière
néfaste. Celui-ci de même que La Sale et Rabelais parlent tous
deux du « trou de la sibylle », endroit terrifiant, mais
tourné en dérision chez le troisième.
Almathée, Albunée et Érithrée sont
dépeintes chez Boccace. La première a acquis ses donc de
Phébus. Érithrée (mais c'est le cas de toutes les sibylles
chez tous les compilateurs) a annoncé la venue du Christ. Elles sont
toutes douées du don de prophétie. Bocacce les qualifie de
« très excellentes » et il dit d'elles qu'elles
apportent la lumière au monde. Quand il s'agit des sibylles, une
symbolique religieuse très forte se fait sentir dans les textes.
Christine de Pizan explique que les sibylles sont
détentrices d'un savoir fécond. Elles sont aussi dignes et sages.
Elles sont en contact avec la pensée de Dieu. Elles sont toutes d'un
âge avancé, mais leur beauté ineffable ne le laisse pas
transparaître. De plus, elles sont vierges, ce qui les rapproche de
Marie. Elles sont dotées d'une voix écoutée de tous.
L'auteure désire également être écoutée de
tous et espèrent que ses écrits auront l'attention. La
compilatrice souhaite passer un savoir au sujet du savoir des femmes. En tant
que seule femme des compilateurs sur les femmes, sa situation diffère de
celle des autres. Christine s'inclue dans la cité qu'elle bâtit
pour ses personnages. Dans le Chemin de longue estude, la sibylle
Amalthée ou Cumane tient le rôle d'accompagnatrice de la
narratrice. Grâce à son long monologue, on apprend en
détail qui elle est réellement. Une description
détaillée de ses vêtements et de son allure n'est jamais
aussi précise dans les compilations.
Deux sibylles sont présentes dans La Vie des femmes
célèbres : Amalthée et Albunée. Le savoir
d'Amalthée touche spécifiquement la rédaction de livres de
prophéties. Elle et Albunée sont toutes deux louées pour
leurs qualités morales et intellectuelles. Chez Martin Le Franc le doute
sur les sibylles est instauré par le biais d'une voix discordante :
l'adversaire Franc Vouloir. Celui-ci stipule que seul Dieu peut connaître
le futur et que les prophéties sont donc l'oeuvre du diable. Le
narrateur soutient le contraire. La composition du Champion des dames
diffère beaucoup des autres et seulement une des cinq parties ressemble
à une compilation.
Une sibylle est le personnage principal d'une oeuvre de
fiction dans le Paradis de la reine Sibylle raconte le périple
de voyageurs dans une grotte à l'intérieur d'une montagne en
Italie. Ils y découvrent une reine belle et luxueuse qui leur offre des
richesses à profusion. Le paradis se transforme bientôt en enfers.
La reine se transforme à tous les samedis en serpente.
La littérature médiévale sur
Médée, Circé et les sibylles démontrent que les
femmes ont grandement souffert de l'inégalité des sexes. Les
textes nous rappellent que tout n'est pas encore joué pour les femmes,
même au vingt-et-unième siècle.
ANNEXE I
La magie de Médée178(*)
Magie bénéfique
|
Magie maléfique
|
Un onguent (prometheion) oint le corps de Jason et
l'empêche d'être brûlé par le feu qu'exhalent les
naseaux des taureaux d'Aiétès.
|
Dysosmie inf
ligée aux Lemniennes.
|
Mise hors de combat du dragon gardien de la toison d'or par les
incantations et les drogues dont Médée asperge les yeux du
monstre ou qu'elle lui fait boire.
|
Utilisation de certaines drogues qui égarent l'esprit
des Péliades et leur font croire à la réalité de la
résurrection du bélier.
|
Anéantissement de Talos par les incantations et le
regard maléfique.
|
Interruption de l'opération de rajeunissement de
Pélias (dans les versions les plus récentes).
|
Rajeunissement du bélier, d'Aeson, de Jason et des
nourrices de Dionysos grâce au passage par le chaudron empli d'une
décoction de plantes.
|
Envoi de la couronne et du voile oints d'une drogue mortelle
à Glauké / Créüse.
|
Tentatives d'immortalisation des enfants par la katacryptie
(dans les versions anciennes).
|
Coupe empoisonnée offerte à
Thésée.
|
Guérison d'Héraclès à
Thèbes. Grâce à ses drogues, Médée met fin
à la folie du héros.
|
Perturbation des éléments.
|
Guérison d'Égée qui n'est plus
stérile puisque, épousant Médée, il engendre
Médos.
|
|
Le royaume de Persès sauvé de la
stérilité.
|
|
Annexe II
Les enchanteresses selon les compilateurs
|
Ch. de Pizan
|
Martin Le Franc
|
S. Champier
|
Antoine Dufour
|
Boccace
|
(Jean Robertet)
|
Libie179(*)
|
X
|
|
X
|
|
|
X
|
Érithée
|
X (2 fois180(*))
|
X (2 fois)
|
X
|
X
|
X
|
X
|
Almathée ou Cumane
|
X (2 fois)
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
Samie
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
Symérie
|
X
|
|
X
|
|
|
X
|
Europe
|
|
|
|
|
|
X
|
Persique
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
Aggripe
|
|
|
|
|
|
X
|
Tiburtine
|
X
|
|
X
|
|
|
X
|
Delphique
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
Hellespon-thia
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
Phrigie
|
X
|
X
|
X
|
|
|
X
|
Albunée
|
|
X
|
|
X
|
|
|
Chimère
|
|
X
|
|
|
|
|
Médée
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
|
Circé
|
X
|
|
|
X
|
X
|
X
|
TOTAL
|
14
|
10
|
11
|
5
|
4
|
13
|
ANNEXE III
Ordre des chapitres selon les compilateurs181(*)
Symphorien Champier182
|
Boccace182
|
Christine de Pizan
(Cité182)
|
Antoine Dufour182
|
1. Pudicité
|
---
|
---
|
Marie
|
2. Penthésilée
|
32
|
LXIX
|
Ève
|
3. Marpésie
|
11
|
LXVI
|
Sarah
|
4. Tomyris (Thamyris)
|
49
|
LXVII
|
Isis
|
5. Minerve
|
6
|
LXXXIV/LXXXVIII
|
Cérès
|
6. Cassandre
|
35
|
2. V
|
Marpésie
|
7. Hippo et
Brictone
|
53
|
2. XLVI
|
Hypermne-stra
|
8. Pénélope
|
40
|
2. XLI
|
Diane
|
9. Lucrèce
|
48
|
2. XLIV/2. LXIV
|
Niobé
|
10. Evadné
|
---
|
---
|
Arachné
|
11. Julie
|
81
|
2. XIX
|
Débora
|
12. Hypsicra-tia
|
78
|
2. XIV
|
Érythrée*
|
13. Sibylle Érythrée
|
21
|
2. II
|
Médée
|
14. Sibylle Amalthée
|
26
|
2. III
|
Orithye
|
15. Arpalice
|
---
|
---
|
Argia
|
16. Sémiramis
|
2
|
LXV
|
Mantô
|
17. Porcia
|
82
|
2. XXV
|
Méduse
|
18. Isis
|
8
|
LXXXVI/LXXXVIII
|
Nicostrata*
|
19. Nicostrate
|
27
|
LXXXIII/LXXXVII/2. V
|
Penthésilée
|
20. Cérès
|
5
|
LXXXV/LXXXVIII
|
Hélène
|
21. Sapho
|
47
|
LXXX
|
Hécube
|
22. Aspasie et Cornélie
|
---
|
---
|
Pénélope
|
23. Amasie et Afrania
|
---
|
---
|
Circé
|
24. Cybèle
|
---
|
---
|
Camille
|
25. Opis (Ops)
|
3
|
LXLVII
|
Didon
|
26. Artémise
|
57
|
LXXI/2. XVI
|
Saba
|
27. Alceste
|
---
|
---
|
Pamphile
|
28. Hippolyte
|
19-20
|
LXVIII
|
Athalie
|
29. Didon
|
42
|
LXLVI/2. LV
|
Gaia
|
30. Hypsipyle
|
16
|
---
|
Sapho
|
31. Médée
|
17 (Médée) / 38 (Circé)
|
LXXXII (+Circé) /2. LVI
|
Holda
|
32. Orithya
|
19
|
LXVIII
|
Thomyris
|
33. Méduse
|
22
|
2. LXI
|
Amalthée
|
34. Argia
|
29
|
2. XVII
|
Judith
|
35. Femmes de Minyens
|
31
|
2. XXIV
|
Lucrèce
|
36. Camilla
|
39
|
LXXIV
|
Véturie(*)
|
37. Nycaula
|
43
|
---
|
Hippone
|
38. Léaena
|
50
|
2. LIII
|
Thamyris
|
39. Clélie
|
52 (Cloelia)
|
LXXVI
|
Esther
|
40. Véturie
|
55
|
2. XXXIV
|
Artémise
|
41. Timarétée (Thameris)
|
56
|
---
|
Olympias
|
42. Claudia
|
62
|
2. X
|
Claudia la vestale*
|
43. La Juvencelle Romaine
|
65
|
2. XI
|
Irène et Marcia
|
44. Marcie Varonne
|
65
|
LXLI
|
Sulpicia, femme de Flaccus*
|
45. Sulpicia
|
67
|
---
|
Sophonisbe
|
46. Busa
|
69
|
2. LXVII
|
Emilie
|
47. Bérénice ou Laodice
|
72
|
LXXV
|
Dripetrua
|
48. Femme Aemilia
|
74
|
2. XX
|
Claudia quinta
|
49. Sempronie
|
76
|
LXLII
|
Hypsicra-thée
|
50. Quinte Claudie
|
77
|
---
|
Julia
|
51. Curia
|
83
|
2. XXVI
|
Cléopâtre
|
52. Hortensia
|
84
|
2. XXXVI
|
Porcia
|
53. Sulpice
|
85
|
2. XXIII
|
Hortensia*
|
54. Cornificia
|
86
|
LXXVIII
|
Cornificia*
|
55. Pompée Pauline
|
94
|
2. XXII
|
Sulpicia, femme de Lentulus
|
56. Enguldrade (Gualdrada)
|
103
|
FIN
|
Albunée
|
57. Tulia
|
FIN
|
---
|
Marianne
|
FIN
|
---
|
---
|
+ 30 chapitres (sans enchante-resse) FIN
|
ANNEXE IV
Les dix sibylles de Varron et d'Isidore de
Séville
VARRON
|
ISIDORE DE SÉVILLE
|
1. de Persis
|
de Persis
|
2. Libyssa
|
Lybissa
|
3. Delphida
|
Delphica
|
4. Cimmeria in Italia
|
Cimmeria in Italia
|
5. Erythraea
|
Erythraea nomine Herophyla
|
6. Samia
|
Samia
|
7. Cumana nomine Almathea (Herophile)
|
Cumana nomine Almathea
|
8. Hellespontia
|
Hellespontia
|
9. Phrygia
|
Phrygia
|
10. Tiburtis nomine Albunea
|
Tyburtina Phynomine Albunea
|
BIBLIOGRAPHIE
1. Corpus
ANTOINE DE LA SALE. Le Paradis de la reine Sibylle,
traduction et postface de Francine Mora et préface de Daniel Poirion,
Paris, Stock, coll. Moyen âge, 1983.
ANTOINE DE LA SALE. «Le Paradis de la reine Sibylle»
dans Francine Mora, Voyages en Sibyllie, Paris, éd. Riveneuve,
2009.
ANTOINE DUFOUR. La vie des femmes
célèbres, texte établi, annoté et
commenté par Gustave Jeanneau, Genève, Droz, 1970.
BENOÎT DE SAINTE-MAURE. Le Roman de Troie,
éd. Emmanuèle Baumgartner
et Françoise Vielliard, Paris, Librairie
générale française, coll. Lettres gothiques, 1998.
BOCCACE. Des cleres et nobles femmes, tome I,
éd. Jeanne Baroin et Josiane Haffen, Besançon,
Université
de Besançon
Paris, coll.
Annales
littéraires de l'Université de Besançon, 1993.
BOCCACIO. "Famous Women", édité et traduit par
by Virginia Brown, London, Harvard University Press, 2001.
CHARLES D'ORLÉANS. Ballades et rondeaux,
éd. Jean-Claude Mühlethaler, Paris, Librairie
générale française, coll. Le Livre de poche Lettres
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YARNALL, Judith. "Transformations of Circe: the History of an
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* 1 Martin Le Franc. Le
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* 2 Symphorien Champier.
La Nef des dames vertueuses, éd. Judy Kem, Paris, Honoré
Champion, 2007, p. 9.
* 3 Antoine Dufour. La
vie des femmes célèbres, texte établi, annoté
et commenté par Gustave Jeanneau, Genève, Droz, 1970, p. 1.
* 4 Ibid., p.
XXVIII-XXIX.
* 5 Jean-Patrice. Entre
Science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l'Occident
médiéval (XIIe-XVe siècle),
Paris,
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de la Sorbonne, 2006, p. 418.
* 6 Catherine Rager.
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païen, Turnhout, Brepolis, 2003, pp. 631-632.
* 7Ibid., p. 60.
* 8 Boccace. Des cleres
et nobles femmes, tome I, éd. Jeanne Baroin et Josiane Haffen,
Besançon, Université de Besançon Paris, coll. Annales
littéraires de l'Université de Besançon, 1993, p. 60.
* 9 Idem.
* 10 Ibid., p. 63.
* 11 Famous Women,
ibid., p. 74.
* 12 Richard Buxton.
«Les yeux de Médée : le regard et la magie dans les
Argonautiques d'Apollinios de Rhodes» dans La magie : actes du
colloque international de Montpellier 25-27 mars 1999. La magie dans
l'antiquité tardive. Les mythes, édition scientifique par
Alain Moreau et Jean-Claude Turpin, tome II, Montpellier, Publications de la
Recherche Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2000, p.
267.
* 13 Boccace, ibid.,
p. 63.
* 14 Ibid., p. 76.
* 15 Ibid., p. 74.
* 16 Morse, ibid., p.
205.
* 17 Morse, ibid.,
p.203.
* 18 Dufour, ibid.,
p. 38.
* 19 Ibid., p.
39.
* 20 Ibid., p.
40.
* 21 Idem.
* 22 Marianne Closson.
«Le "merveilleux démoniaque" : oxymore ou catégorie
poétique?
Analyse du surnaturel diabolique au temps de la chasse aux
sorcières», Le Merveilleux entre mythe et religion, Anne
Besson éd., Arras, Artois presses université, Coll.
Études littéraires et linguistiques, 2010, pp. 104.
* 23 Moreau, ibid., p.
276.
* 24 Closson, ibid.,
p.112.
* 25 Dufour, ibid., p.
XXXI.
* 26 Ibid., p.
XXXI.
* 27Ibid., p.
XXXVIII.
* 28 Boccace,
ibid., p. 59.
* 29 Ibid., p.
59-60.
* 30 Christine de Pizan.
La Città delle dame, Patrizia Caraffi éd., Rome, Carocci,
2003, p.162.
* 31 Ibid., p.
164.
* 32 Champier,
ibid., p.77.
* 33 Judy Kem. "Symphorien
Champier and Christine de Pizan's Livre de la cité des Dames",
"Romance Note", vol. 45, #2, Winter 2005, p. 228.
* 34 Kem, ibid., p.
225-6.
* 35 Dulce Maria
Gonzàlez Doreste et Francisca Del Mar Plaza Picón. «À
propos de la compilation : du De claris mulieribus de Boccace
à Le Livre de la Cité des Dames de Christine de
Pizan», Le Moyen français, vol. 51-53, 2003, pp.
327-28.
* 36 Dufour, ibid., p.
39.
* 37 Ibid., p. 38.
* 38 Ibid., p.
XLII.
* 39 Benoît de
Sainte-Maure. Le Roman de Troie, éd. Emmanuèle
Baumgartner et Françoise Vielliard, Paris, Librairie
générale française, coll. Lettres gothiques, 1998, p.
70.
* 40 Boccace,
ibid., p. 60.
* 41 Sainte-Maure,
ibid., p.72.
* 42 Ibid.,
p.74.
* 43 Ibid.,
p.78.
* 44 Moreau, ibid.,
p. 273.
* 45 Morse, ibid., p.
234.
* 46 Sainte-Maure,
ibid., p. 90.
* 47 Idem.
* 48 Ibid., p. 92.
* 49 Laurence Harf-Lancner.
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bibliothèque du Moyen âge, 1984, p. 416.
* 50 Sainte-Maure,
ibid., p. 100.
* 51 Sainte-Maure,
ibid., p. 106.
* 52 Gonzàlez,
ibid., p. 337.
* 53 Christine de Pizan,
ibid., p. 380.
* 54 Ibid., p. 381.
* 55 Idem.
* 56 Guillaume de Machaut.
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Cerquiglini-Toulet, Paris, Librairie générale
française, coll. Le livre de poche, Lettres gothiques,
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* 57 Jacqueline
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d'aimer, un art d'écrire, Paris, SEDES, Coll.
Agrégations de lettres Langue française, 2001, p. 52-53.
* 58 Machaut,
ibid., p. 526.
* 59 Kem, ibid., p.
225.
* 60 Champier, ibid.,
p. 26.
* 61 Ibid., p. 28.
* 62 Ibid., p. 25.
* 63 Kem, ibid., p.
231.
* 64 Bernard
Ribémont. « Christine de Pizan, Isidore de Séville et
l'astrologie : compilation et `mutacion' d'un discours sur les arts
libéraux », Desireuse de plus avant enquerre...Actes du
VIe colloque international sur Christine de Pizan (Paris, 20-24
juillet 2006), Champion, p. 303.
* 65 Ibid., p.
308.
* 66 Morse, ibid., p.
231.
* 67 Champier, ibid.,
p. 15.
* 68 Jacques Le Goff. Un
autre Moyen âge, Paris, Gallimard, 1999, p. 459.
* 69 Rager, ibid.,
p. 189-90.
* 70 Marc Escola et Sophie
Rabau.« Comme des cochons. La bibliothèque de Circé »,
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* 71 Madelaine Jeay. Le
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médiévale (XIIe-XVe siècles),
Genève, Droz, 2006, p. 54.
* 72 Boccace,
ibid., p. 119-20.
* 73 Famous Women,
ibid., p. 150.
* 74 Ana Pairet. Les
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* 75 Boccace,
ibid., p. 120.
* 76 Giovanna Angeli.
« Encore sur Boccace et Christine de Pizan : remarques sur le
De mulieribus claris et le Livre de la cité des Dames
(« Plourer, parler, filer mist Dieu en femme » I,
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120.
* 77 Blanchard,
ibid., p. 149.
* 78 Ibid., p.
50.
* 79 Morse, ibid.,
p. 233.
* 80 Claude-Claire Kappler.
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* 81 Dufour, ibid.,
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* 82 György Karsai.
«La magie dans L'Odyssée : Circé» dans
La magie : actes du colloque international de Montpellier 25-27 mars
1999. La magie dans l'antiquité tardive. Les mythes,
édition scientifique par Alain Moreau et Jean-Claude Turpin, tome II,
Montpellier, Publications de la Recherche Université Paul-Valéry,
Montpellier III, 2000, p. 190.
* 83 Escola, ibid.
* 84 Closson, ibid.,
p. 105.
* 85 Boccace,
ibid., p. 119.
* 86 Famous Women,
p. 150.
* 87 Angeli, ibid.,
p. 125.
* 88 Karsai, ibid.,
p. 196.
* 89 Bocacce, ibid.,
p. 119.
* 90 Famous Women,
ibid., p. 150.
* 91 Doris Ruhe.
«Divination au Moyen âge. Théories et pratiques»,
Moult obscures paroles, sous la direction de Richard Trachsler avec la
collaboration de Julien Abed et David Expert, Paris, Presses de
l'Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 20.
* 92 Boccace,
ibid., p. 119.
* 93 Idem.
* 94 Gonzàlez,
ibid., p. 330.
* 95 Blanchard,
ibid., p. 144-145.
* 96 Alfred Jeanroy.
« Boccace et Christine de Pisan. Le De claris mulieribus,
principale source du Livre de la Cité des dames »,
Romania, 48, 1922, p. 93.
* 97 Christine de Pizan,
ibid., p. 164.
* 98 Pairet, ibid.,
p.162.
* 99 Dufour, ibid.,
p. XXXIII.
* 100 Ibid., p.
50.
* 101 Idem
* 102 Karsai,
ibid., p. 188.
* 103 Ruhe, ibid.,
p. 18.
* 104 Danielle
Böhler-Regnier. «Sibylle dans La Salade d'Antoine de la
Sale : la reine souterraine au coeur d'un traité didactique.
Enquête sur l'imaginaire de la figure séductrice et satanique au
XVe siècle en milieu princier» dans Sibille e
linguaggi oracolari, éd. Ileana Chirassi Colombo, Pisa-Roma,
Instituti editoriali e poligrafici internazionali, 1998, p. 680.
* 105 Machaut,
ibid., p. 616.
* 106 Kappler,
ibid., p. 35.
* 107 Idem.
* 108 Blanchard,
ibid., p. 144-145.
* 109 Ibid., p.
140.
* 110 Angeli,
ibid., p. 124.
* 111 Dufour,
ibid., p. XL.
* 112 Ibid., p.
LIII.
* 113 Christine
Ferlampin-Acher. Merveilles et topiques merveilleuses dans les romans
médiévaux, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 222.
* 114 Alain Moreau Alain.
«Médée la magicienne au Promètheion, un
monde de l'entre-deux», dans La magie : actes du colloque
international de Montpellier 25-27 mars 1999. La magie dans
l'antiquité tardive. Les mythes, édition scientifique par
Alain Moreau et Jean-Claude Turpin, tome II, Montpellier, Publications de la
Recherche Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2000, p.
250.
* 115 Ferlampin-Acher,
ibid., p. 220.
* 116 Harf-Lancner,
ibid., p. 411.
* 117 Dufour,
ibid., p. XXIV.
* 118 Jean-Patrice Boudet.
«Magie» dans Michel Zink et al. Le Dictionnaire du Moyen
âge, Paris, Presses universitaires de France, coll.
Quadrige, 2002, p. 863.
* 119 Dufour, ibid.,
p. XXIII.
* 120 Jeay, ibid., p.
242.
* 121 Dufour, ibid.,
p. LIII.
* 122 Blanchard,
ibid., p. 139.
* 123 Il est probable que
l'auteur se soit trompé avec cette dernière désignation,
qui convient plutôt à Érythrée et ses
différentes dénominations.
* 124 Gaston Paris, Le
Paradis de la Reine Sibylle, Légendes du Moyen Âge,
Paris, Hachette, 1904, p. 9.
* 125 Kappler, ibid.,
p. 263-265.
* 126 Boccace, ibid.,
p. 80.
* 127 Ibid., p.
81.
* 128 Famous Women,
ibid., p. 102.
* 129 Francine Mora,
«La Sibylle séductrice dans les romans en prose du XIIIe
siècle : une Sibylle parodique?» dans La Sibylle, parole
et représentation, sous la direction de Monique Bouquet et
Françoise Morzadec, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll.
Interférences, 2004, p. 199.
* 130 Boccace, ibid.,
p. 67.
* 131 Idem.
* 132 Antoine de la Sale.
Le Paradis de la reine Sibylle, traduction et postface de Francine
Mora et préface de Daniel Poirion, Paris, Stock, coll. Moyen âge,
1983.Postface Paradis, p. 140.
* 133 Boccace,
ibid., p. 68.
* 134 Famous
Women, ibid., p. 86.
* 135 Christine de Pizan,
ibid., p. 220.
* 136 Fabienne Pomel.
«La Sibylle, guide et double de Christine dans l'autre monde des lettres.
Le chemin de longue étude de Christine de Pizan», La
Sibylle, parole et représentation, sous la direction de Monique
Bouquet et Françoise Morzadec, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,
coll. Interférences, 2004, p. 233.
* 137 Christine de Pizan,
ibid., p. 220.
* 138 Ibid., p.
222.
* 139 Pomel,
ibid., p. 227.
* 140 Christine de Pizan,
ibid., p. 222-224.
* 141 Ibid., p.
224.
* 142 Idem.
* 143 Ibid., p.
226.
* 144 Idem.
* 145 Machaut, ibid.,
p. 627-8.
* 146 Christine de Pizan.
Le Chemin de longue étude, édition critique,
traduction,
présentation et notes par Andrea Tarnowski, Paris, Le
Livre de Poche, Lettres gothiques, 2000, p.114.
* 147 Pomel,
ibid., p. 227.
* 148 Chemin de longue
étude, ibid., p. 118.
* 149 Josiane Haffen et
Philippe de Thaon. Contribution à l'étude de la Sibylle
médiévale : étude et édition du ms. B.N.,
f. fr. 25407, fol. 160v-172v : "Le Livre de Sibile", Paris, Les
Belles Lettres, 1984.Haffen, p.16.
* 150 Chemin de longue
estude, ibid., p. 120.
* 151 Pomel,
ibid., p. 228.
* 152 Dufour, ibid.,
p. 37-38.
* 153 Ibid., p.
62-63.
* 154 Ibid., p.
63.
* 155 Ibid., p.
92.
* 156 Ibid., p.
93.
* 157 Le Franc,
ibid., p. 183.
* 158 Ibid., p.
182.
* 159 Ibid., p.
186.
* 160 Ibid., p.
XL.
* 161 Ibid., p.
192.
* 162 Ibid., p.
194.
* 163 Julien Abed. La
parole de la sibylle dans les oeuvres médiévales
françaises, thèse de doctorat de littérature
médiévale, sous la direction de Mme Jacqueline Cerquiligni-Toulet
(Univ. Paris-Sorbonne), 2009, p. 135.
* 164 Ibid., p.
149.
* 165 Champier,
ibid., p. 69.
* 166 Idem.
* 167 Ibid., p.
70.
* 168 Pomel,
ibid., p. 231.
* 169 Kappler,
ibid., p. 266.
* 170 Antoine de la Sale.
«Le Paradis de la reine Sibylle» dans Francine Mora, Voyages en
Sibyllie, Paris, éd. Riveneuve, 2009, p. 267.
* 171 Ibid., p.
268.
* 172 Ibid., p.
272.
* 173Antoine de la Sale.
Le Paradis de la reine Sibylle, ibid., p. 137.
* 174 Jean-Jacques
Voncensini. « Samedi, jour de la double vie de Mélusine.
Introduction à la signification mythique des récits
mélusiniens », Mélusines continentales et
insulaires, textes réunis par Jean-Marie Boivin et Proinsias
MacCana, Paris, Honoré Champion, coll. Nouvelle Bibliothèque du
Moyen Âge, 49, 1999, p. 80.
* 175 Francine Mora.
«Métamorphoses dans le Paradis de la Reine Sibylle :
des archétypes mythiques aux jeux d'une écriture» dans
Métamorphose et bestiaire fantastique au Moyen âge,
textes réunis par Laurence Harf-Lancner, Paris, ENSJF, 1985, p. 294.
* 176 Moreau, p. 103.
* 177 Dufour, ibid.,
p. LIII.
* 178 Alain Maurice Moreau.
Le mythe de Jason et Médée : le va-nu-pieds et la
sorcière, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 272.
* 179 Les noms des douze
sibylles, de Libie à Phrigie, sont donnés selon Symphorien
Champier, tandis que la désignation Albunée et Chimère
revient à Martin Le Franc. Champier considère qu'Albunée
et Tiburtine sont les mêmes. Il faut aussi noter que les noms varient
d'un auteur à l'autre, ce qui rend parfois difficile leur classement.
* 180 La sibylle
Érithrée revient à deux reprises, dans Le Livre de la
Cité des dames : une première fois dans le chapitre
« Où il est question des dix sibylles » et la
seconde fois dans le chapitre qui le suit directement « Où il
est question de la sibylle Érithrée ». Cela est aussi
le cas pour Almathée, qui apparaît dans le chapitre des dix
sibylles et dans un qui lui est consacré. Chez Le Franc,
Érythrée revient également à deux reprises.
* 181 Martin Le Franc est
exclu de ce tableau, car son ouvrage n'est pas divisé en chapitres
désignant chacun un personnage. Le Champion est une oeuvre qui
tient beaucoup du récit. Je citerais par contre les femmes en ordre
d'apparition : Vénus, Marie de Savoie, Bonne de Montfort, Anne de
Bretagne, Ève, Méduse, Cérès, Isis, Ops,
Sémiramis, Thamaris, Amazones, Pantésilée,
Artémise, Camille, Bérénice, Zénobie,
Déborah, Judith, Jeanne d'Arc, comtesse de Montfort, Jeanne de
Bavière, Carmenta, Sapho, reine de Saba, Christine de Pizan, 10
sebilles (mais il en cite 9) : Perse, Delphique, Chimère,
Lerithtree, Cumee, Frigie, Samye, Albumee, Elesponce , sebille Lerithree (pour
la seconde fois), la reine de France, princesse du Piémont, plusieurs
saintes dont Sainte Catherine et les onze mille Vierges.
Jean Robertet est également absent, car ces
épîtres Les douze dames de rhétorique et Les
douze sebilles ne sont pas des compilations.
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