Paragraphe 2 : les causes externes immédiates
Les causes externes politiques,
socioéconomiques et culturel marquent sur certains points les raisons
conflictuelles de la Côte d'Ivoire. La présence d'une force vive
quelconque ou d'une organisation sous régionale peut donner les faits
inattendus.
A- Au point de vue politique
Les données dont les treize experts et le panel des
cinq chefs d'Etat mandatés par l'Union Africaine ont pris connaissance
lors de leur passage à Abidjan, ont sans doute suscité des
divisions au sein du panel réuni auparavant à Nouakchot, le 20
février 2011 et le départ précipité pour
Ouagadougou de l'ancien médiateur, le Président burkinabé
Blaise Compaoré, qui a choisi de ne pas se rendre en Côte d'Ivoire
le 21 février, a révélé de réels
désaccords.
Le président sud africain Jacob Zuma et sa ministre des
Affaires Etrangères Maité Nkoana Mashabane ont publiquement pris
leurs distances par rapport aux positions rabâchées par le camp
occidental depuis le 3 décembre 2010.
En effet, quelques heures à peine après la
décision arbitraire de Monsieur Choi, bafouant le Conseil
Constitutionnel de Côte d'Ivoire, le Président des Etats-Unis,
Barack Obama et celui de la France, Nicolas Sarkozy, ont reconnu Alassane
Ouattara comme président élu, avalisant précipitamment des
résultats frauduleux. Dans son discours aux africains prononcé au
Ghana le 12 juillet 2009, le Président américain avait pourtant
affirmé que « l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais de
fortes institutions ...» Mais, quand les Etats-Unis et la France veulent
imposer un homme, en l'occurrence Alassane Ouattara, que pèsent les
institutions d'un Etat souverain et l'article 2 de la Charte de l'ONU
reconnaissant le principe de la souveraineté de ses membres?
Par leur prise de position immédiate dès les 3
et 4 décembre 2010, pratique bien inhabituelle par rapport à un
scrutin organisé dans un pays d'Afrique, les Etats-Unis et la France,
entraînant l'Union Européenne, ont pesé de tout leur poids
sur la diplomatie africaine. C'est en fait la France qui a orchestré la
partition européenne et celle de l'ONU, comme elle l'a fait depuis
janvier 2003 avec la Conférence Internationale sur la Côte
d'Ivoire tenue à Paris, les 25 et 26 janvier 2003, au Centre de
Conférences International de l'avenue Kléber.
Un véritable bras de fer s'est engagé entre
l'ONU et le président Gbagbo. Dès la décision arbitraire
prise le 3 décembre par le représentant du Secrétaire
Général de l'ONU, Young-jin Choi, intervenant en
visioconférence devant le Conseil de Sécurité de l'ONU, la
France a préparé tous les communiqués ou
déclarations à la presse du Conseil. C'était le cas, le 8
et en particulier le 16 décembre, jour des manifestations à hauts
risques appelées par Guillaume Soro et les partisans d'Alassane Ouattara
pour investir la Radio diffusion Télévision Ivoirienne (RTI) et
le Palais présidentiel.
Au regard du comportement des forces de l'ONUCI, ce
jour-là ouvertement alliées aux éléments
armés des Forces Nouvelles stationnés à l'Hôtel du
Golf avec Alassane Ouattara et au regard de l'ultimatum du président
Sarkozy, le 17, l'enjoignant de quitter le pouvoir dans les 48 heures, le
président Gbagbo a demandé le départ de la mission
onusienne ainsi que celui de la force française Licorne le 18
décembre.
Le 20 décembre, après audition du
Secrétaire Général Adjoint aux opérations de
maintien de la paix, le Français Alain Le Roy, le Conseil de
Sécurité a adopté la résolution 1962 prorogeant de
six mois le mandat de l'ONUCI. Dès le 21 décembre, malgré
les réticences de la Russie, l'ONU a reconnu l'ambassadeur Youssouf
Bamba nommé par Alassane Ouattara, Alcide Djédjé qui
occupait ce poste étant Ministre des Affaires Etrangères dans le
nouveau gouvernement ivoirien. Les réserves de la Russie
étant levées, l'ONU, par sa résolution 1967, a
autorisé le 19 janvier 2011, le déploiement de 2000 militaires
supplémentaires dans le cadre des forces de l'ONUCI jusqu'au 30 juin
2011 et elle a prolongé le déploiement des trois compagnies
d'infanterie et d'une unité aérienne de la MINUL venue du
Libéria en fin de période électorale pour renforcer
l'ONUCI. La résolution 1968 du 16 février a prorogé de
trois mois ce déploiement de la MINUL (trois bataillons et cinq
hélicoptères, dont trois MI 24 de combat). Une nouvelle
déclaration à la presse a été faite le 3 mars,
après audition d'Alain Le Roy, stigmatisant l'escalade de la violence
sans mentionner parmi les fauteurs de troubles l'ancien chef de la
rébellion, Guillaume Soro, bras droit d'Alassane Ouattara qui avait
appelé les populations d'Abidjan à la «révolution du
21 février » se référant aux mouvements
démocratiques bouleversant le monde arabe !
Au lendemain de l'investiture du Président Gbagbo, le 4
décembre 2010, par le Conseil Constitutionnel, tandis qu'Alassane
Ouattara prêtait serment par lettre à une juridiction anonyme,
l'Union Africaine a mandaté l'ancien président sud-africain Thabo
Mbeki pour une médiation à Abidjan les 5 et 6 décembre.
Avant même que n'en soient donnés les résultats, un premier
sommet extraordinaire des chefs d'Etat de la CEDEAO sur la Côte d'Ivoire
s'est réuni à Abuja, le 7 décembre et a reconnu Alassane
Ouattara comme président.
Pour enfoncer le clou, le vendredi 17 décembre, le
président français Nicolas Sarkozy, à l'issue du sommet de
l'Union Européenne, a lancé, depuis Bruxelles, comme nous l'avons
déjà mentionné, un ultimatum au président Gbagbo
l'enjoignant de quitter le pouvoir avant le dimanche soir 19
décembre.
Un deuxième sommet de la CEDEAO, toujours réuni
à Abuja, le 24 décembre, a accentué la pression.
Reconnaissant Alassane Ouattara président légitime de la
Côte d'Ivoire, il demandait à Laurent Gbagbo de transmettre
pacifiquement le pouvoir. Il soutenait les sanctions prises par les
institutions régionales et la communauté internationale et
décidait d'envoyer une délégation de haut niveau en
Côte d'Ivoire comme dernier geste à l'endroit de Laurent Gbagbo
pour l'exhorter à une sortie pacifique du pouvoir. En cas de refus de sa
part, la CEDEAO prendrait toutes mesures nécessaires, y compris «le
recours à la force légitime» pour le contraindre à se
retirer. Dans cette perspective, instruction avait été
donnée au président de la Commission de la CEDEAO, le
Ghanéen James Victor Gbeho, de convoquer une réunion des chefs
d'Etat-major de la CEDEAO pour planifier les actions futures. Cette
réunion, organisée le 17 janvier 2011 à Bamako, a
traité des affaires courantes, mais n'a pas véritablement
abordé la situation ivoirienne, l'option militaire chère au
Nigeria, au Burkina Faso et au Sénégal n'ayant visiblement pas
l'assentiment des autres membres de l'organisation régionale.
Entre-temps, composée des présidents du Cap
Vert, Pedro Pires, de la Sierra Leone, Ernest Baï Koroma et du
Bénin, Yayi Boni, la délégation de la CEDEAO s'est rendue
à deux reprises à Abidjan, les 28 décembre 2010 et 3
janvier 2011, épaulée, lors de la seconde visite, par le Premier
ministre kényan Raïla Odinga qui s'était illustré, le
16 décembre, par un appel à «déloger» par la
force militaire le président Gbagbo. Cette médiation de la
CEDEAO, traversée par de premières dissensions sur les options
politique et militaire proposées, a échoué.
L'Union Africaine, à partir de son Conseil de paix et
de sécurité, a repris le relais en mandatant, sans plus de
succès, Raïla Odinga qui s'est rendu à Abidjan, le 17
janvier. Après l'échec de cette tentative, les chefs d'Etat de
l'Union africaine, lors de leur sommet du 31 janvier, en présence de
Nicolas Sarkozy, étrangement invité au titre de président
du G 20, ont décidé d'envoyer des experts chargés de
préparer la venue d'une délégation de haut niveau
regroupant, sous la présidence du Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz,
cinq chefs d`Etat issus de l'ensemble du continent, à savoir le Sud
africain Jacob Zuma pour l'Afrique australe, le Tanzanien Jakaya Kikwete pour
l'Afrique orientale, le Tchadien Idriss Déby pour l'Afrique centrale et
le Burkinabé Blaise Compaoré pour l'Afrique de l'Ouest. Les cinq
chefs d'Etat avaient un mois pour proposer des mesures contraignantes
permettant au pays de sortir de l'impasse. Après leur passage, du
7 au 11 février à Abidjan, les experts ont remis leurs
propositions au panel des cinq chefs d'Etat qui se sont rendus à Abidjan
du 21 au 23 février pour y rencontrer Gbagbo au Palais
présidentiel, Ouattara à l'Hôtel du Golf, Youn-jin Choi
à la tête de l'ONUCI et le Conseil Constitutionnel à
l'Hôtel Pullman.
Aucune proposition n'a filtré jusqu'à leur
réunion en Mauritanie, le 4 mars, à Nouakchott, après la
visite officielle du président sud africain Jacob Zuma à Paris,
les 2 et 3 mars, où la question ivoirienne a été à
l'ordre du jour des échanges avec Nicolas Sarkozy qui a tout fait pour
infléchir les positions de son hôte. Toutefois, le panel s'est
donné un mois supplémentaire pour achever sa mission et le 5
mars, le Gabonais Jean Ping, président de la Commission de l'UA, a
été reçu à Abidjan porteur d'un message
adressé au président Gbagbo et à Ouattara. Il a
été proposé à ces derniers, ainsi qu'au
président du Conseil Constitutionnel de se rendre à Addis-Abeba
pour un sommet du Conseil de paix et de sécurité de l'UA, le 10
mars. Le Président Gbagbo y a envoyé l'ancien Premier Ministre
Affi N'Guessan, président du FPI et son Ministre des Affaires
Etrangères, Alcide Djédjé, pour le représenter.
Ouattara a, pour la première fois depuis la fin du mois de novembre
2010, quitté l'Hôtel du Golf. Ce 9 mars, le président
Gbagbo a interdit le survol de l'espace ivoirien à l'ONUCI et à
la Force française Licorne.
Depuis l'Hôtel du Golf, où il s'est établi
à la fin du mois de novembre 2010, Alassane Ouattara n'a pratiquement
pas de prise sur les réalités du pays. Les ambassadeurs
nommés par lui, règnent sur des ambassades fantômes
à l'image d'Ally Coulibaly à Paris qui bénéficie
pourtant d'un soutien inconditionnel, tant politique que médiatique, de
Nicolas Sarkozy
B- Au point de vue socio économique et
culturel
L'économie de la Côte d'Ivoire repose
essentiellement sur l'agriculture. Premier producteur mondial de cacao et
cinquième producteur mondial de café, la Côte d'Ivoire a
longtemps souffert des cours sur le marché mondial de ces produits
hautement spéculatifs et a été contrainte a s'endetter
lourdement, même si des programmes de diversification de cultures
pérennes industrielles (hévéas, palmier à huile,
anacarde) ont été initiées. La hausse importante des cours
de café et du cacao en 1994 et la dévaluation du franc CFA en
janvier de la même année avait permis à la Côte
d'Ivoire de renouer avec la croissance. En 1999, le produit intérieur
brut était de 6 833 milliards de francs CFA et le service de la dette
représentait 10 % du PIB. Le taux de croissance économique
était de 4,7 % pour l'année 1999 avec un taux d'inflation
égal à 0,8 % contre 2,8 % en 1998 et 5,2 % en 1997. Cette
embellie économique a été de courte durée car
dès 2000 l'économie s'effondre à nouveau. Le coup d'Etat
survenu le 24 décembre 1999 va priver la Côte d'Ivoire de
financement extérieur et engendrer un marasme économique avec un
taux de croissance négatif de - 2 % en 2000. De janvier 2000 à
septembre 2002, la situation économique a connu une légère
amélioration mais la crise sociopolitique que connaît le pays
depuis le 19 septembre 2002 marquée par une rébellion
armée, a entraîné une dégradation de
l'économie (croissance à - 2 %). L'Indice de Développement
Humain (IDH) estimé à 0,396 en 2001, classe le pays au
161ème rang sur 175.
De plus, avec les ingérences et les pressions
diplomatiques extérieures, une première série de sanctions
a été prise par le Conseil européen dès le 22
décembre 2010. Elles ont été renforcées et
élargies, le 14 janvier 2011, à l'encontre de quatre vingt cinq
personnalités du monde politique, juridique, économique et
médiatique restées fidèles au président Gbagbo.
Dans le but d'asphyxier l'économie du pays, mais par là
même de s'en prendre à l'ensemble des populations vivant en
Côte d'Ivoire, onze entités économiques ont
été l'objet de sanctions de l'UE. Qu'on en juge ! Ce sont les
ports d'Abidjan et de San Pedro, la Petroci et la SIR dans le domaine de
l'approvisionnement en énergie, la Société de gestion du
patrimoine de l'électricité, les banques nationales ivoiriennes
(Banque nationale d'investissement (BNI), Banque pour le Financement de
l'Agriculture (BFA) et Versus Bank), le Comité de gestion de la
filière café et cacao, l'Association des producteurs de
caoutchouc et enfin, la Radio diffusion Télévision Ivoirienne
(RTI) ! Cette forme de blocus européen, tout à fait inédit
pour réagir à un contentieux électoral en Afrique, a
aujourd'hui des effets scandaleux sur la vie des populations, en passe
d'être privées de médicaments après
l'épuisement des stocks.
Alassane Ouattara a pu compter sur l'appui des chefs d'Etat de
l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Depuis leur
sommet du 22 janvier 2011, réuni à Bamako, la BCEAO ne
reconnaît plus la signature du président Gbagbo. Uniquement
préoccupé par l'asphyxie économique de la Côte
d'Ivoire pour faire chuter Laurent Gbagbo, quelles qu'en soient les
conséquences pour le peuple ivoirien, Alassane Ouattara a
annoncé, le 24 janvier, l'interdiction de toute exportation de cacao
pour un mois ; interdiction prolongée jusqu'au 15 mars. Cela a eu pour
effet de mécontenter les planteurs, mais aussi de satisfaire les
spéculateurs qui ont pu profiter d'un regain des cours du produit. Dans
le même temps, le trafic du cacao, depuis la région de Vavoua vers
Ouagadougou, au Burkina et le port de Lomé, au Togo, se poursuit au plus
grand profit des anciens dignitaires de la rébellion du nord sans que
l'UE n'y trouve à redire malgré ses mesures d'embargo.
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