Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales établies (article l442-6 1;2?° du code de commerce)( Télécharger le fichier original )par Avocat stagiaire (2011), Idarque (promotion 2010- 2011) Cédric Dubucq Université Paul Cézanne Aix Marseille - Master 2 Droit économique 2011 |
Section 1 Le Jugement audacieux (et éphémère) du Tribunal de LilleLe jugement de Lille précité a fait une interprétation étonnante, reprochant aux parties de ne pas avoir prévu la possibilité de renégocier le contrat durant l'exécution de celui-ci. C'est donc l'absence d'une clause de révision des acomptes pour envisager les modifications de chiffres d'affaires qui a été stigmatisé par les magistrats nordistes. Désormais,la question va être de savoir si ,en cas de contrat non négocié, les parties devront prévoir une clause de renégociation, voire de révision (qui n'est d'ailleurs pas exactement une clause pour imprévision, vu que la baisse du chiffre d'affaire est prévisible). On peut se demander si ,lors d'un événement imprévu,la Cour de Cassation reconnaissait la possibilité de renégocier le contrat en l'absence de clause , cette jurisprudence perdrait de son originalité. En effet,et ceci n'est qu'une hypothèse, le juge pourrait,lui, inviter les parties à revoir leurs engagements alors que le contrat ne le prévoit pas. réforme du droit des obligations et de la prescription, art. 1135-1. Autre interrogation : l'action engagée par un ministre avec l'appui des magistrats peut -elle avoir pour objet l'imposition d' une clause que les parties n'ont pas négociée elles-mêmes ? Le tribunal de Lille estime qu'il ne s'agit pas exactement d'une imposition et considère qu'il ne s'agit pas de cela : « Le ministre n'entend pas imposer une clause nouvelle, ni dicter la rédaction des conventions commerciales (...); la LME visait au contraire à renforcer la négociation commerciale entre partenaires (...) »182 La motivation semble étrange, car ,même si l'on souhaite redonner goût à la négociation lorsque l'on sanctionne le fait de ne pas prévoir un abus, le juge s'immisce bien dans le contrat, et l'on peut légitimement craindre que celui-ci réécrive purement et simplement la loi. Section 2 Les solutions du droit commun: vers une reconnaissance progressive de la théorie de l'imprévision Si, aujourd'hui, le droit positif ne reconnaît pas formellement la possibilité pour les cocontractants de renégocier leur convention en présence d'un événement imprévu (§1), la jurisprudence, semble cependant prête, a l'instar des différents projets du droits des contrats et des solutions du droit européen, à reconnaître cette théorie (§2). §1) Le refus de L'imprévision aujourd'hui Depuis l'arrêt Canal de Craponne , le droit français interdit la révision judiciaire du contrat en cas d'imprévision. Ce sont donc les parties qui doivent prendre en main les choses inconnues et insérer dans leurs conventions une clause qui permettrait de renégocier le contrat. 182 v. jugement, p. 21 Le rapport juridique est fondé sur « la perception, au moment de l'échange des consentements, des trajectoires possibles que droits et obligations pourront prendre de manière raisonnable au cours du temps. »183 A contrario, lorsque rien n'a été stipulé, les parties prennent à leur charge les évènements imprévisibles et elles en assument par conséquent les risques. L'idée provient de l'adage « Pacta sunt servanda » et l'intangibilité des conventions prime sur l'aléa que le temps et les circonstances de la vie peuvent réserver au contrat. Cet adage fut validé par les magistrats du quai de l'Horloge dans le célèbre arrêt Canal de Craponne 184. Cependant, plusieurs problèmes surgissent. Il est d'abord très difficile pour les rédacteurs et pour les acteurs de prévoir ce qui,par nature ,est imprévisible. L'autre problème porte sur la qualification « imprévisible » de l'évènement. En effet, comment faire la part des choses entre ce qui est imprévisible et ce qui relève davantage de l'imprévu ? Enfin, cet événement profite la plupart du temps à l'un des deux contractants, et la nature humaine est ainsi faite, il est malaisé de renoncer à ce dont on a droit, même si le fait générateur n'a pas été prévisible. Le Code civil ne laisse cependant pas les rédacteurs sans ressource et préconise le plus souvent la prévision de clauses d'anticipation, notamment la mise en oeuvre de conditions résolutoires, suspensives 185 ou encore des clauses d'indexation de prix 186. Le juge, lui, ne pourra s'introduire dans le contrat que lorsqu'il s'agit d'une clause parfaitement identifiée. Les clauses pénales 187, les clauses abusives
en droit de la consommation, les clauses 183 Kami HAERI , « La prévision dans le contrat, la prévision dans le procès »; Gaz. Pal, 30 déc. 2010 n° 364, P. 14 184Cass. civ., 6 mars 1876 : GAJ civ., Dalloz, 11e éd., no 163. 185 C. civ., art. 1168 et s. 186 C. civ., art. 1243 187 C. civ., art. 1152 188Affaire Chronopost, Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632 - Cass. com., 9 juill. 2002, n° 99-12554. V. aussi Cass. 1re civ., 22 juin 2004, no 01-00444. 189 C. com., art. 442-6-1-5° sont autant d'hypothèses où le juge ne s'estimera pas lié par le choix initial des parties. §2) Les failes dans le Canal de Craponne On assiste depuis vingt ans à ce que Denis Mazeaud appelle : « des fissures dans le Canal de Craponne »190, et qui ,demain,permettrait de prévoir, sous la bannière de la bonne foi voire de la cause, la possibilité d'introduire dans le droit français la révision pour imprévision. Ce principe obligerait ainsi les parties à renégocier de bonne foi, cette obligation étant de moyen. En cas d'échec de la renégociation, le contrat serait en principe maintenu et celui qui n'exécute pas le contrat verrait ensuite sa responsabilité engagée. Le juge pourrait, dans d'autres hypothèses, estimer que la cause du contrat a disparu au cours de la relation contractuelle191, même s'il est depuis longtemps établi que la condition de validité du contrat doit être appréciée au moment de sa formation.192 S'agissant de l'obligation de bonne foi, la Cour de cassation dans l'arrêt Huard 193 a considéré qu'en « privant l'une des parties des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, une importante société pétrolière n'a pas exécuté le contrat de bonne foi et a commis une faute contractuelle ouvrant droit à réparation ». C'est donc un souci concurrentiel qui a poussé les hauts magistrats à forcer les parties à renégocier leurs engagements. Dans l'arrêt Novacarb194, nous nous trouvons en présence d'une autre espèce ,à 190D. Mazeaud « Regards positifs et prospectifs sur "Le nouveau monde contractuel" »art.cit. P 32 191 Cass. 1re civ., 30 oct. 2008 : D. 2008, p. 2937, obs. P. Chauvin et C. Creton ; RTD civ. 2009, p. 118, obs. B. Fages ; JCP G 2009, II, 10000, note D. Houtcieff ; Defrénois 2009, art. 38916, n° 11, obs. R. Libchaber ; RDC 2009, p. 49, obs. D. Mazeaud - Cass. 1re civ., 12 juill. 2006 : Bull. civ. 2006, I, n° 393 ; RTD civ. 2007, p. 105, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2007, p. 253, obs. Y.-M. Laithier 192 C. civ., art. 1108 ; rappr. Cass. 1re civ., 17 juin 2008, n° 07-15477, inédit : RDC 2008, p. 1133, obs. D. Mazeaud, qui juge que peu importe, pour l'appréciation de la cause, la manière dont les engagements ont été exécutés 193 Cass. com., 3 nov. 1992, no 90-18547. 194 CA Nancy, 26 sept. 2007, n° 06/02221. nouveau symptomatique de l'infléchissement de la jurisprudence de la fin du Xxième siècle : les parties avaient anticipé et prévu une clause de renégociation en raison d'un changement de circonstances. L'attendu de principe précise qu'en cas d'échec des négociations, « la Cour serait en mesure d'apprécier la responsabilité des parties dans le rejet des propositions adverses et de sanctionner l'abus éventuel par l'attribution de dommages et intérêts. ». Enfin, par un arrêt du 29 juin 2010 195 ,la chambre commerciale a rendu un arrêt pour le moins équivoque. Il s'agissait d'un contrat de maintenance d'une centrale d'énergie dans laquelle le débiteur de l'obligation de maintenance utilisait une grande quantité de métaux pour l'exercice de ce travail. Or, il est apparue une hausse brutale du prix des métaux , si bien que le débiteur refusa à un moment donné de continuer à exécuter le contrat. La centrale assigna le professionnel en exécution devant le juge des référés , estimant que sa créance ne comportait aucune contestation sérieuse. Et comment aurait -il pu en être autrement ,dans la mesure où la hausse des prix n'est pas considérée comme une contestation sérieuse puisque le droit français n'admet pas l'imprévision? La Cour de cassation prit, dans ce cas, le contre-pied et estima que l'invocation de cette hausse de prix, en ce qu'elle bouleverse les circonstances économiques du contrat, constitue une contestation sérieuse. La portée de cet arrêt est plus qu'incertaine. En effet, la chambre commerciale a-t-elle voulu préciser que le bouleversement économique du contrat en cours d'exécution est une source de contestation sérieuse ? Ou bien était -ce un message en creux témoignant de la volonté et de la promptitude de la Cour de Cassation à reconnaître d'ici peu la théorie de l'imprévision ? §3) Pour l'entrée de l'imprévision par le droit commun des contrats 195 Cass. com., 29 juin 2010, n°09-67369. Cette question posée n'est sans doute pas inopportune dans la mesure où ,dans son rapport de 2007 concernant l'avant-projet de réforme du droit des obligations,la Cour de Cassation s'est montrée favorable à l'introduction de cette théorie. Le message est le suivant: « À l'unanimité le groupe estime [...] qu'il est nécessaire qu'une réforme du droit des obligations aille jusqu'à la consécration d'une authentique théorie de l'imprévision susceptible de jouer dans des circonstances caractérisées avec prévision. S'en remettre à la simple application du principe de bonne foi ne serait pas suffisant car il est nécessaire que soit organisé par la loi le champ de l'imprévision de façon à mieux assurer la sécurité juridique ».196 Il s'agit donc d'une modification de notre droit, et de ses valeurs. Si notre droit reste attaché à des principes sacrés au rang desquels l'intangibilité des conventions prescrite à l'article 1134 du Code civil, il n'en est pas vraiment de même à l'étranger, où l'on retrouve l'idée que le droit doit, semble-t-il, davantage s'adapter à l'économie et coller à la réalité afin d'offrir aux investisseurs des solutions dynamiques et séduisantes. A titre d'exemples, la Grèce, le Portugal, l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas et la plupart des pays anglo-saxons donnent droit de cité au principe de l'imprévision197. Concernant cet état de fait, le projet de réforme du droit des contrats propose : « Si un changement de circonstances, imprévisibles et insurmontables, rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celleci peut demander une renégociation à son cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d'accord, procéder à l'adaptation du contrat, ou, à défaut, y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe ». Disons- le d'emblée, ce projet semble sans doute trop timoré sur plusieurs aspects. D'abord en ce que le projet ne permet pas au juge de modifier le contrat sans l'autorisation des parties,sachant que ,si celles-ci sont d'accord, elles peuvent (heureusement) réaménager leurs conventions par un avenant ou simplement par la modification des solutions initiales. 197 Kami HAERI art. préc. La seule innovation consiste au fait que le juge pourrait mettre fin au contrat si le partenaire parvient à démontrer la mauvaise foi d'une des parties lors de la renégociation. Ce sera donc sans doute à la bonne foi de régler demain le problème de l'imprévision, du moins indirectement... Titre 2 Pour l'abrogation de l'article et le renouvellement du droit commun face au droit spécial La relation qu'a entretenue le droit de la concurrence avec le droit commun a longtemps été comparable à un long fleuve tranquille, paisible et harmonieuse. Selon le Professeur Oppetit198, la libre concurrence doit avoir comme corollaire que chaque agent puisse développer librement son activité. Le droit de la concurrence avait donc comme mission d'encadrer cette liberté, et d'en régler les abus puisés notamment dans l'article 1382 du Code civil sanctionnant les faits de concurrence déloyale. On a assisté ,ces dernières années, à une mutation qui a vu le droit des pratiques restrictives de concurrence se mêler des relations bilatérales ne concernant pas directement le marché, mais les relations microéconomiques. Les rapports de force se sont ainsi renversés si l'on considère la protection très favorablement accordée aux producteurs il y a 30 ans ,alors qu'aujourd'hui c'est davantage les distributeurs qui en sont les bénéficiaires. La romance, l'idylle entre les deux droits ont par conséquent été perturbées par ces changements et le droit de la concurrence s'intéresse désormais davantage aux inégalités contractuelles qu'aux manifestations excessives de concurrences199. Ce droit est ainsi devenu ,pour une grande partie de la doctrine ,un droit perturbateur du droit commun qui affaiblit celui-ci, l'ampute et le cantonne200 . A l'aune d'une volonté incontestable de dynamiser quelques notions du Code civil par un 198B. Oppetit, La liberté contractuelle à l'épreuve du droit de la concurrence, art.préc. 199 Par exemple, J. Rochfeld, préc. ; B. Montels, La violence économique, illustration d'un conflit entre droit commun des contrats et droit de la concurrence, RTD com. 2002, p. 41 200 M. Chagny, L'empiètement du droit de la concurrence sur le droit des contrats,pré.cit. ; adde B. Montels, préc. ; D. Mainguy, À propos des propositions du rapport Attali et des projets de réforme du droit de la concurrence, D. 2007, p. 3019. certain nombre de projets encourageants et innovants201, nous souhaiterions montrer à quel point le droit commun, s'il est en déclin (Chapitre1) possède en son sein assez de dispositions protectrices envers la partie défavorisée (Chapitre 2) qui pourront , demain, être rénovées et dynamisées (Chapitre 3). |
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