CONCLUSION
Rappelons qu'une campagne d'e mailing a
prêté à Tommy Hilfiger des propos racistes. D'après
ce message qui a longtemps circulé sur Internet (presque 10 ans), Tommy
Hilfiger aurait déclaré ne jamais confectionner ses
vêtements s'il savait qu'un certain nombre de groupes ethniques les
aurait portés (notamment les noirs, les arabes, et/ou les asiatiques,
selon la version du message).
Tommy Hilfiger a non seulement fait un démenti
public (sur son site Internet) mais il a aussi choisi (10 années
après le début de la campagne dont il fut l'objet) le footballeur
professionnel afro français Thierry Henry comme ambassadeur
international de sa marque de vêtements.
La personne du footballeur est doublement symbolique
pour la marque Tommy Hilfiger. D'une part Thierry Henry est noir (le groupe
ethnique à l'encontre de qui des propos malveillants auraient
été proférés par Tommy Hilfiger) et d'autre part il
a une fondation qui lutte contre le racisme et la pauvreté. Ce qui
préfigure de l'importance de la composante affective dans ce
contexte.
Ce qui est survenu à la marque Tommy Hilfiger
peut être considéré comme ce qui est appelé dans la
littérature une "crise sur la marque", c'est-à-dire "un
événement négatif soudain et subit ayant de graves
conséquences sur la relation entre la marque et le consommateur (Dawar
et Pillutla, 2000). Ces conséquences sont principalement une
altération de la confiance dans la marque et une dégradation de
son image. Elles affectent de manière significative le niveau habituel
des ventes à un instant donné et sont susceptibles de contribuer
à une dégradation durable du capital-marque"1.
Tous les éléments sont réunis qui
nous mettent en présence d'une "publicité advocacy" de la part de
Tommy Hilfiger.
L'objectif de la "publicité advocacy" est de
permettre "à l'annonceur de démontrer son implication et son
engagement au sein de la vie sociale, économique et politique, au sens
large du terme"2. Elle permet entre autre de "toucher une
plus large audience et donc de s'adresser symboliquement au grand public. Elle
permet surtout de contrôler le message en s'adressant sans
intermédiaire à l'opinion générale. Elle redonne
à
1 Changeur (S), Michon (C), Une étude des
réactions du consommateur aux crises sur les marques, Cahier de
recherche, Paris, novembre 2003, p.3
2 Julia-Ripoll (B), 99
réponses sur la communication publicitaire, CRDP/CDDP
Languedoc-Roussillon, 1995, p.10
l'entreprise en crise un droit de réponse
direct ou une part de voix, soit perdue, soit insuffisante
[...]"1. La publicité advocacy constitue en
dernière analyse, dans un contexte de crise, une stratégie de
restauration, de renouvellement, ou de renforcement d'image. C'est une
manière de développer ou de réhabiliter une certaine
légitimité perdue pour reconquérir des citoyens
consommateurs. L'enjeu majeur de ce type de communication, c'est l'image de
marque.
Ce genre d'écueil particulièrement
embarrassant vécu par la marque, est différemment
apprécié en aval de la publicité dite
"advocacy".
Si les consommateurs n'ont pas eu écho de la
crise soulevée par les propos prêtés à la marque, il
va s'en dire que la réaction des consommateurs tendra vers une sympathie
qui est une réponse à ce qui semble perçu de leur part,
comme une congruence entre leurs valeurs et celles de la marque, au travers de
la "publicité advocacy". Ceci se traduit dans notre étude par la
moyenne largement positive des réponses concernant la variable
synthétique ATACH_TH (attachement à la marque Tommy Hilfiger)
pour les enquêtés du groupe de stimulus 2. Pour rappel, nous
avions conjecturé que les membres de ce groupe allaient
développer une auto catégorisation de type aspiratif face
à la "publicité advocacy" de Tommy Hilfiger et que ceci se
traduirait par une intention d'achat et de consommation de la marque et un
"bouche-à-oreille" positif. A ce groupe de stimulus 2 avait
été présenté le texte mettant en exergue la
collaboration entre Thierry Henry et Tommy Hilfiger.
Cependant si l'on considère
séparément certains items ayant servi à la construction de
la variable synthétique ATACH_TH, il ressort que parmi le groupe de
stimulus 2, il y en a certains qui sont "méfiants", du moins pas aussi
attachés à la marque que ne le présageait notre
hypothèse.
Cet état de fait confirme
l'énoncé de Steven Kates selon lequel la "fibre communautaire"
est progressivement devenue insuffisante en soi comme une base pour conforter
la légitimité d'une marque. Autrement dit l'utilisation de
Thierry Henry (dans le cas de figure) dans sa campagne publicitaire pour
espérer recueillir ou (re) conquérir une légitimité
auprès d'un certain groupe ethnique ne suffirait pas à la marque
Tommy Hilfiger pour atteindre ses objectifs. Par ailleurs, certaines
associations (positives ou
1 Giret (S), La
communication de crise fait sa pub, mémoire de maîtrise
d'information et de communication, Paris, 2003
négatives) et significations attachées
à la marque deviennent si institutionnalisées que la
réconciliation peut être illusoire malgré des ouvertures et
des efforts sur le plan marketing.
Dans le cas de figure de notre étude, les
relatives faibles moyennes recueillies pour certains items relatifs à
l'"attachement à la marque" (ATACH_TH) posent la question de la
crédibilité du message contenu dans la publicité
"advocacy" de Tommy Hilfiger. En effet, pour certain des enquêtés
appartenant au groupe de stimulus 2, ce type de communication utilisé ne
semble pas suffisant pour les faire basculer vers un attachement inconditionnel
à la marque.. Et malgré qu'il y'ait une tendance vers un
attachement à la marque, la moyenne du groupe de stimulus 2 concernant
le seul item d'intention d'achat de la marque n'est pas significativement
différente de celles des groupes de stimuli 2 et 3. Cette moyenne tourne
autour de 3 (sur une échelle de 1 à 7, s'étalant
respectivement de "Pas du tout d'accord" à "tout à fait
d'accord"). C'est le paradoxe que soulève le comportement du
consommateur du groupe de stimulus 2. Son attitude face à la marque est
plus ou moins favorable mais son intention d'achat reste faible.
Si les consommateurs ont eu connaissance des
présupposés allégations de Tommy Hilfiger, leurs
réactions tendent plus vers un ressentiment à l'encontre de la
marque. C'est du moins ce qui est ressorti de notre enquête et
illustré en dernière analyse par la variable synthétique
RESSE_TH (ressentiment pour la marque TH).
La crise touchant à des valeurs morales et
sociétales sensibles, il est fort à parier qu'à court
terme, les consommateurs du groupe de stimulus 3 (qui semblent plus sujets que
les autres au ressentiment face à la marque) auront une image plus ou
moins négative de la marque Tommy Hilfiger. Cette attitude tendra
d'autant plus à s'exacerber que le consommateur ne connaissait pas la
marque ou en avait déjà une mauvaise idée. Dans ce cas de
figure, la marque aura plus de difficulté à restaurer son image.
Le coût d'une publicité "advocacy" s'en verra élevé
en temps et en quantité. Ce sera une oeuvre de longue haleine pour
retrouver une légitimité face aux consommateurs
déjà hostiles.
La réversibilité des dommages à
moyen, long terme sur la réputation de la marque est tributaire entre
autre (à côté de la publicité "advocacy"), de la
preuve de bonne
citoyenneté de marque. C'est-à-dire
prendre la mesure de sa responsabilité morale des actions qui affectent
les diverses communautés de consommateurs.
N'est-ce pas cette voie qui préside à la
création de toutes sortes de fondations dans les grandes entreprises et
à leur engagement dans différentes initiatives sportives,
sociales, environnementales, etc.?
Au terme de notre étude dont le sujet est
à cheval entre des thèmes aussi variés que la
légitimité de marque, le marketing ethnique et la
publicité "advocacy", force est de reconnaître que tous les
contours du sujet n'ont pas été parcourus.
Sur le plan méthodologique par ailleurs, bien
qu'il y ait eu un filtre consistant à s'assurer en amont, que les
groupes de stimuli 1 et 2 n'avaient pas connaissance de l'email ayant
circulé sur Internet à l'encontre de Tommy Hilfiger, nous ne
pouvons pas affirmer qu'il n'y ait pas eu de raté. D'autant plus que
nous n'avons pas été seul pour l'administration du
questionnaire.
Par ailleurs malgré l'intérêt de
l'échantillonnage "boule de neige", celui-ci ne préserve pas de
certains biais. Entre autre limite de ce type d'échantillonnage que nous
avons utilisé, la possibilité de générer une sorte
d'"effet de halo", en ce sens que les réponses d'un enquêté
peuvent influencer ou être reprises par un ami ou proche parent
enquêté au même moment.
Un autre écueil pas des moindre lié
toujours à la méthode d'échantillonnage est lié
à la proximité des enquêtés. Dans le cas de notre
étude par exemple, 45% de notre échantillon est composé
d'étudiants/élèves. Cette même proximité a
mis à rude épreuve le caractère aléatoire de
l'échantillon. Par ailleurs, notre échantillon devait être
constitué en principe, de français d'origine africaine, des DOM
TOM, de métis et d'africains vivant en France. Par la force des choses,
il est davantage constitué du dernier sousgroupe de
population.
Il est connu que la nature de la crise joue un
très grand rôle sur la réaction des consommateurs. En effet
si la crise porte sur un produit (donc plus ou moins ponctuelle), l'impact est
moindre que si celle-ci porte sur des valeurs morales et/ou sociétales
(comme c'est le cas dans notre étude). Dans ce cas l'impact est accru.
C'est ce que montrent les résultats de notre étude au travers de
la réaction des enquêtés du groupe de stimulus 3 (à
qui écho a été fait de la supposée
déclaration désobligeante de
Tommy Hilfiger à l'encontre de leur groupe
ethnique). Au-delà du ressentiment occasionné (qui semble aller
de soi), nous aurions pu essayer de voir s'il n'y avait pas une minimisation de
la crise par une certaine frange du même groupe de stimulus 3. Et par
là découvrir les facteurs en jeu dans une telle
réaction.
Nous avons travaillé dans le contexte restreint
des effets d'une auto catégorisation ethnique sur l'intention de
consommation et/ou d'achat et sur le "bouche-à-oreille".
Nous aurions pu élargir notre
échantillon à d'autres groupes non usuellement
considérés comme ethniques, pour savoir si leurs réactions
égalaient celles des groupes ethniques retenus dans notre étude.
Ceci dans le but de comprendre si le ressentiment notamment enregistré
auprès du groupe de stimulus 3 relevait uniquement d'une auto
catégorisation ethnique ou d'un sentiment général
(au-delà de l'ethnie en question) de réprobation face à
l'atteinte de valeurs morales et/ou sociétales.
Dans l'absolu, les enquêtés du groupe de
stimulus 3 n'ont pas connaissance de la publicité "advocacy" de Tommy
Hilfiger survenue en aval de la crise. Et s'ils en avaient eu écho,
auraient-ils changé d'avis ou considéreraient-ils cette
démarche comme une "pâle figure d'auto-justification" pour faire
face à la crise? C'est une des questions que notre étude aurait
pu tenté de répondre.
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