1.2. Le climat
Le climat est influencé par le courant de Humboldt au
nord et les vents du sud-est. Il est dit subtropical ou tempéré
chaud (IREN, CORFO, 1982 ; Bernardillo et Stuessy, 2001 ; Hallé, Danton
et Perrier, 2007) avec une pluviométrie cyclique relativement
importante. Cependant, la variabilité altitudinale du régime des
pluies est peu connue dans les hauteurs car les mesures sont exclusivement
localisées au niveau du village San Juan Bautista sur l'île
Robinson Crusoe. L'amplitude thermique entre été et hiver est
faible et l'humidité relative est assez importante, jusqu'à 100%
et plus au niveau des sommets (très fréquemment dans les nuages)
(Di Castri et Hajek, 1976 ; Dirección general de aeronáutica
civil, 2001).
12 Voir Partie 2 - Chapitre VI - point 5. Gestion de l'eau
L'évolution morphologique de l'archipel est le
résultat « de l'escarpement des structures originelles, du climat
tempéré chaud avec influence océanique, de
l'activité maritime et de l'action de l'homme et de ses pratiques
d'exploitation des ressources sans discrimination. » (IREN, CORFO,
1982)
2. Evolution et occupation avant la découverte de
l'archipel
La flore de l'archipel s'est installée de façon
aléatoire au cours du temps. « Après les cataclysmes
fondateurs, les éléments se sont calmés; lentement, les
îles se sont refroidies et diverses formes de vie ont commencé
à arriver pour coloniser ces nouveaux espaces. Parmi elles, les
premières ont été probablement les spores de lichens,
lesquelles transférées par les vents, ont trouvé dans les
roches nues la possibilité de se développer. Des oiseaux de mer
ont profité de ces nouvelles îles et peu à peu certaines
matières organiques se sont accumulées, préparant le
terrain pour les organismes plus développés comme les mousses et
puis, avec la formation des sols, sont apparues les fougères, les
herbes, les arbustes et les arbres. » (Danton, 2004)
« Les plantes sont arrivées de diverses
provenances: Amérique Centrale, du Sud et Australe, Océanie,
Nouvelle Zélande (certaines d'origine Gondwanienne) mais aussi, depuis
la découverte des îles par l'homme, c'est tout un ensemble
d'espèces cosmopolites qui sont venues grossir considérablement
le nombre des plantes qui composent aujourd'hui la flore de l'archipel.
La colonisation végétale s'est faite par des
moyens divers: transport par les airs, par la mer, par les animaux et par
l'homme. Les plantes sont qualifiées d'indigènes ou d'adventices
selon la manière dont elles sont arrivées dans leurs nouveaux
habitats insulaires et la durée de leur implantation. De manière
simple, on peut dire que les espèces venues par des moyens naturels
avant la découverte de l'archipel par les hommes sont indigènes
et que celles dont l'arrivée postérieure est liée aux
activités humaines sont adventices. Parmi les espèces
indigènes, certaines ont eu le temps et la capacité de
s'individualiser, ce sont celles que l'on appelle endémiques. »
(Cambornac, 2002)
« Parallèlement aux plantes, quelques animaux se
sont rendus dans les îles. Des loups marins et éléphants
marins (aujourd'hui disparus) se sont installés sur les côtes. A
l'intérieur de l'île, une variété d'insectes
transportés dans les airs a colonisé les herbes, les buissons et
les forêts et certains oiseaux terrestres en volant au hasard des vents
se sont installés.
En raison de la jeunesse des îles, et avant
l'arrivée de l'homme, il n'y avait aucun mammifère terrestres, ni
batraciens, ni reptiles ou encore aucun poisson d'eau douce. Avec le temps,
toute cette vie s'est adaptée, occupant la totalité de l'espace
insulaire et a continué à accueillir les quelques espèces
arrivées naturellement de temps en temps. On estime que sur l'archipel,
une nouvelle espèce de plante parvient naturellement tous les 10 000
à 30 000 ans. » (Danton, 2004)
La flore de l'archipel, en général, n'est pas
plus riche en espèces que celle des autres îles océaniques,
comme Hawaii ou les Galápagos (Muñoz et al., 2003).
Toutefois, le niveau d'endémisme est significativement haut; de fait, le
nombre d'espèces endémiques par unité de surface est plus
élevé que sur tout autre île océanique dans le
monde13 (Stuessy, 1992 ; Bernardillo et Stuessy, 2001).
3. De la découverte de l'île Robinson
Crusoe à nos jours
L'histoire a planté ses racines et
disséminé ses rhizomes dans cet archipel isolé qui
fût un lieu de passage d'explorateurs et d'aventuriers, la cache de
corsaires et de pirates et un lieu stratégique pour les dirigeants de la
côte est du continent sud-américain avant la dernière
colonisation permanente en 1877.
3.1. Découverte de l'archipel par Juan Fernández
Sotomayor
Depuis la découverte de l'Amérique en 1492 et
les prémisses de la mondialisation, les grandes puissances d'Europe
(Angleterre, France, Pays-Bas et Espagne) luttaient pour la conquête du
nouveau monde. Le renversement des structures Aztèques et Maya par les
Espagnols a permis une rapide prise en main de territoires immenses par un
groupe mineur de migrants. Suite à l'expédition
13 Voir Partie 2 - Chapitre II - point 2.1.1. Fondations des
connaissances botaniques
de Pedro de Valdivia vers 1541, le Chili appartenait à
la vice-royauté du Pérou dirigée par Francisco Pizarro.
Celui-ci déployait de grands moyens pour conserver et protéger le
commerce entre ses colonies. L'île Robinson Crusoe est découverte
le 22 novembre 1574 lors d'un voyage exploratoire qui avait pour objectif
d'ouvrir une nouvelle route de navigation entre El Callao (au Pérou) et
Penco (au Chili).
Juan Fernández Sotomayor, navigateur originaire de
Séville avait pressenti l'existence de la grande déviation
polaire qu'on appelle aujourd'hui le "courant de Humboldt". Il découvre
alors une terre isolée sur la route maritime qui permettra de
réduire à une trentaine de jours la distance entre El Callao et
Penco alors que ce voyage prenait jusque-là au moins 3 mois
(Vickuña Mackenna, 1883 ; Orellana et al., 1974 ; Caceres et
Saavedra, 2004). Juan Fernández baptise l'île Santa Cecilia
en référence au jour de sa
découverte14.
D'après les quelques recherches archéologiques,
jusqu'à ce jour de novembre 1574, l'archipel était resté
infréquenté par les hommes. C'est une des rares îles de
l'océan Pacifique qui ne présente pas de traces d'occupation
précolombienne (Orellana et al., 1974 ; Caceres et Saavedra,
2004 ; Brinck, 2005).
L'expédition de Juan Fernández Sotomayor a
été providentielle pour les routes maritimes dans cette partie du
Pacifique Sud. Mais dès sa découverte, l'archipel Juan
Fernández commence un mariage difficile avec l'humanité. Juan
Fernández Sotomayor demande à la Couronne d'Espagne le domaine
des trois îles majeures qui forment l'archipel. Avant d'avoir la
réponse, il commence la colonisation de l'île Robinson Crusoe. Il
amène avec lui 60 aborigènes, et, comme de coutume à cette
époque, quelques chèvres, un bouc et des poules (il s'agissait
d'une coutume pour assurer des ressources en viande pour le jour où
quelque navigateur repasserait par là). Il marque par la même
occasion une rupture historique dans l'évolution naturelle de ces terres
isolées. Il débute aussi l'exploitation impitoyable de l'otarie
de Juan Fernández (Arctocephalus philippii) pour le commerce de
l'huile avec le Pérou. Entre temps, la sollicitation de concession
royale est refusée et Juan Fernández retourne s'installer sur le
continent. Cependant, la chasse s'est perpétuée encore quelques
temps avant que l'île ne soit complètement abandonnée.
Pendant ce temps-là, les chèvres se multiplient
prodigieusement. La plupart des visiteurs erratiques de passage sur l'île
y feront référence dans leurs mémoires et autres carnets
de voyage.
Figure 08 : Probablement la première
représentation de l'île, vers 1600.
Source : Cambornac, 2002.
14 Postérieurement, l'île Santa Cecilia
sera nommée Masatierra (littéralement <<plus
proche de la terre ») tandis que l'île la plus
éloignée du continent sera nommée Masafuera
(littéralement <<plus à l'extérieur »).
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
3.2. Un siècle de confluences dispersées avec
l'humanité
Pendant environ 1 siècle après sa
découverte, l'île est uniquement occupée de façon
temporaire sans installation durable. Cependant, selon Benjamin Vickuña
Mackenna, en l'espace d'un siècle, Juan Fernández sera l'asile
d'au moins une centaine de solitaires (Vickuña Mackenna, 1883).
L'île Robinson Crusoe est un point de chute pour les navigateurs, les
explorateurs, les corsaires et les pirates qui y trouvent un lieu de repos mais
aussi de quoi s'approvisionner en eau, fruits de mer et herbes pour combattre
le scorbut et en matières premières pour diverses
réparations.
Ces premiers visiteurs introduiront volontairement et
involontairement différentes espèces végétales et
animales.15
En août 1704, Alexander Selkirk, 24 ans et
contremaître à bord du navire corsaire Cinque Ports, est
abandonné sur l'île suite à une dispute avec son capitaine.
L'homme séjournera seul 4 ans et 4 mois sur l'île avant
d'être rapatrié par un autre navire corsaire anglais
commandé par Woodes Rogers et Eduard Cooks. Il inspirera Daniel Defoe
qui donna naissance au personnage de Robinson Crusoe, nom que porte l'île
aujourd'hui.
Durant la première moitié du XVIIIe
siècle, face aux occupations étrangères sur l'île
Robinson Crusoe, l'Espagne décide de paupériser l'île pour
qu'elle n'offre plus de ressources aux visiteurs. Une mission espagnole
débarque sur l'île avec des chiens pour qu'ils dévorent les
chèvres tandis que les hommes coupent une grande partie des arbres
proches de la côte.
Le 9 juin 1741, débarque sur l'île le reste de
l'escadre de l'amiral anglais Georges Anson, lors de son voyage autour du monde
à bord du Centurion. Suite au difficile passage du Cap Horn et
après avoir payé un lourd tribut au scorbut, ils
séjournent quelque temps sur l'île et baptisent la baie en face du
village du nom de Cumberland. Dans son livre « Voyage round
the world in the years 1740, 41, 42, 43 and 44 », Anson décrit
l'île et ses alentours en insistant sur les importantes ressources
maritimes, sur la présence de chèvres mais aussi en
décrivant l'originalité de la faune et de la flore. « De
temps en temps, Anson tirait de sa poche un noyau de pêche, de prune ou
d'abricot, creusait un trou du bout de sa canne, et plantait un arbre fruitier
pour les générations à venir... » (Anson, 1750)
Figure 09 : Vue sur la place de l'île Juan
Fernández : campement de l'expédition de Anson.
Source : Anson, 1750.
Après le séjour sur l'île,
l'expédition de Lord Anson repart et commence des attaques en
Amérique du Sud arrivant par surprise après ce repos en mer et
causant beaucoup de tort aux intérêts espagnols.
15 Voir Partie 2 - Chapitre III - point 2.1. Introduction
d'espèces
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
3.3. Masatierra : place forte espagnole
Dans un contexte de préoccupation espagnole pour la
défense de ses côtes et de son commerce et de guerres incessantes
contre les Anglais, l'expérience de Lord Anson révèle
à l'Espagne toute l'importance de l'île et quelques temps
après, en 1749, la Couronne espagnole envoie des colons dans le but de
fortifier l'île Robinson Crusoe, fondant l'actuel village de San Juan
Bautista et initiant la construction de la forteresse Santa Barbara et
de l'église Parroquial de San Antonio.
Les fortifications érigées sur l'île
Robinson Crusoe sont représentatives du système
général des plans défensifs espagnols du milieu du XVIIIe
siècle sur les côtes américaines. Elles sont assimilables
aux fortifications des ports continentaux comme ceux de Valdivia ou de
Valparaiso.
Au XVIIIe siècle, les premiers explorateurs du
Pacifique avaient colporté l'idée que cet océan
était un champ de pêche inépuisable riche d'espèces
de poissons, de cétacés et de crustacés innombrables.
Pendant toute cette période et jusqu'au milieu du XIXe siècle, le
Pacifique et l'archipel étaient un terrain de chasse illégale et
déraisonnée de baleines, de phoques,... pour les marchands de
peaux anglais, français et nord-américains qui faisaient commerce
en Asie. Ces derniers, entre 1788 et 1809 exterminèrent plus de 5
millions (Vickuña Mackenna, 1883) d'otaries de Juan Fernández
(Arctocephalus philippii) et amenèrent l'espèce au bord
de l'extinction.
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