Menaces et perspectives pour la préservation de la biodiversité de l'archipel Juan Fernà¡ndez (Chili)( Télécharger le fichier original )par Julien Vanhulst Université Libre de Bruxelles - Master en sciences et gestion de l'environnement 2009 |
2. Faiblesses du cadre juridiqueComme l'a mis en évidence le rapport de l'OCDE sur les performances environnementales du Chili, la législation environnementale est très diffuse et relève de la responsabilité de nombreuses institutions. « Etant donné la structure législative du pays, on peut distinguer différentes législations, transsectorielles et sectorielles qui régulent l'usage et la conservation de la nature et qui confèrent des attributions à différents organes de l'Etat, soulignant qu'il n'existe pas un corpus légal qui aborde cette thématique de façon relativement compréhensive et développée. » (CONAMA, 2005) De plus, en dehors du processus du SEIA, « la CONAMA dispose de peu de contrôle sur le niveau de respect et de contrôle de la réglementation environnementale de la part des entités sectorielles. Les organes sectoriels disposent du personnel et de la capacité technique générale pour les inspections sur le terrain, mais ses activités de surveillance liées à l'environnement, peuvent être rendues opaques par d'autres travaux et priorités. » (OCDE et CEPAL, 2005) L'objectif premier des règlementations qui touchent la biodiversité est souvent différent de celui de conservation même de la diversité biologique. Jusqu'en 2003, il n'existait pas de politique spécifique consacrée à la biodiversité. La déclinaison du cadre juridique en plans politiques devrait permettre, au minimum, de vérifier si la législation en vigueur permet de remplir concrètement les objectifs, en contrôlant mieux les résultats escomptés. Il manque peut-être aussi une gouvernance qui implique les acteurs non gouvernementaux dans la gestion politique. Le Chili a mis en place des instruments permettant d'avoir accès à l'information (SINIA, participation des citoyens, accès à la justice) et a structuré l'information environnementale (au travers de statistiques de l'environnement68, de rapport sur la situation de l'environnement entre autres). D'autre part, comme nous l'avons vu, la Ley general de Bases sobre el Medio Ambiente reconnaît le principe de la participation publique. « Le grand nombre de différends écologiques traités dans les tribunaux montre que, dans la pratique, s'exerce l'accès à la justice. Ont également été accomplis certains progrès dans l'éducation environnementale avec l'introduction de matières liées à l'enseignement primaire et secondaire, la certification environnementale de 132 écoles et le mouvement environnemental des scouts.» (OCDE et CEPAL, 2005) Pourtant, il faudrait veiller à renforcer et régulariser les travaux concernant les données sur l'environnement, les rapports et les indicateurs environnementaux. Pour les quelques éléments analysés dans le cadre de ce travail, il faut souligner que les chiffres officiels sont peu fiables, voire contradictoires (recensement des picaflor rojo, quantités de langoustes capturées, chiffres concernant les aires protégées,...). Cette faiblesse ne permet pas d'élaborer des stratégies solides basées sur des observations concrètes. Comme souligné pour les aires protégées, il manque une réelle synergie entre les différents acteurs en ce qui concerne l'environnement (tant au niveau citoyen qu'au niveau public ou privé). Il reste encore beaucoup à faire dans l'éducation et la conscience écologique, mais aussi dans le secteur privé (en promouvant la certification et la responsabilité sociale de l'entreprise, et en encourageant la formation à l'environnement au moyen d'associations professionnelles) et dans le secteur public (en 68 L'Institut national des statistiques a publié des données environnementales annuellement depuis 1996 (voir www.ine.cl) association avec des initiatives de développement durable, d'évaluation des impacts environnementaux liés à des projets, d'évaluation environnementale stratégique des politiques, plans et programmes publics et en association avec une utilisation d'indicateur de performance environnementale). « Jusqu'à aujourd'hui, la protection de la nature n'a pas bénéficié de l'intérêt et des ressources suffisantes pour faire face aux menaces à long terme de la diversité biologique hautement endémique du Chili. Il n'existe aucune loi spécifique de conservation de la nature, et les structures institutionnelles et de gestion donnent une importance secondaire à des objectifs de conservation devant les objectifs plus larges des organismes concernés. Les espèces du pays, leur état de conservation et le fonctionnement des écosystèmes demeurent insuffisamment connus. Les politiques gouvernementales ne reconnaissent pas de façon adéquate la valeur de la nature comme un actif vital pour l'industrie touristique et n'exploitent pas non plus au mieux le potentiel du tourisme afin qu'il puisse contribuer au financement de la gestion de l'environnement. L'absence d'un système efficace de planification territoriale, à l'exception des mécanismes de planification sectorielle, fait que les habitats hors des aires protégées sont extrêmement vulnérables à la destruction. » (OCDE et CEPAL, 2005) Sur l'archipel Juan Fernández, la biodiversité est assez bien connue mais il y a peu de surveillance pour connaître les tendances de son évolution. Et pourtant, les examens à long terme sont nécessaires pour comprendre les processus écologiques et finalement la diversité biologique à différentes échelles temporelles. Sans de telles observations, il est difficile de comprendre la signification de changements ou d'oscillations dans la taille des populations des espèces. Pour le moment, sur l'archipel, la stratégie a été de concentrer les efforts sur des thématiques considérées comme prioritaires (sans réellement considérer le problème dans son ensemble) et de promouvoir le développement de projet de recherche d'entités extérieures (universités nationales et étrangères, associations,...) sans coordination réelle (et donc sans considérer le problème dans son ensemble). De plus, comment fixer des priorités sans vraiment connaître les comportements écologiques des espèces et du biotope. Concernant le contrôle des introductions d'espèces sur l'archipel Juan Fernández, non seulement il n'y a aucune législation sur le transit d'espèces intra national et aucune infrastructure de contrôle des entrées sur l'île, mais il n'y a pas non plus d'appareil de surveillance d'apparition de nouvelles espèces. Vu les conséquences alarmantes de certaines introductions historiques, il apparaît impératif de mettre en place un système de contrôle pour empêcher ces introductions. Parmi les dernières actions engagées par la CONAF, mentionnons le « Programa de Recuperación y Conservación de Especies Amenazadas de la Flora del Archipiélago de Juan Fernández » soutenu par le WWF en 1985 (pour un montant de 150.000 $). Postérieurement, en 1994, la CONAF commence un projet de « Conservation, Restauration et Développement de l'archipel de Juan Fernández » en collaboration avec les Pays-Bas pour lequel ont été débloqués 2.046.624 $ de la part du gouvernement hollandais, et 383.005 $ du gouvernement chilien. L'objectif général de ce projet était la récupération et la protection des ressources naturelles de l'archipel par un contrôle ou une élimination des espèces qui altèrent l'écosystème, une interaction positive avec la communauté locale et les visiteurs du parc. Ce programme s'est étalé sur 5 ans et s'il est parvenu à certains résultats partiels, il a surtout mis en évidence la grande difficulté pour rééquilibrer le milieu naturel altéré. Le plan de gestion du parc tel que défini en 2004 s'inscrit dans la continuité du projet de coopération entre la CONAF et les Pays-Bas. En plus de définir les différentes zones du parc, leurs usages et leur gestion, il définit des objectifs spécifiques déclinés en différents programmes (CONAF, 2004) : le programme d'administration (obtention de ressources financières pour développer des actions de protection et de conservation des ressources naturelles du parc, promotion dans la communauté du respect et de la protection des habitats et des écosystèmes du parc, éducation du personnel de la CONAF pour réaliser au mieux leur tâches,...(CONAF, 2004)) et le programme d'usage public du parc (définition des espaces pour les activités récréatives et éco touristiques, définition des circuits touristiques, éducation environnementale pour les habitants et les visiteurs, détermination de la capacité d'accueil de visiteurs du parc sur une période donnée en distinguant les différentes zones définies,...). Ce programme reste très imprécis et certains objectifs apparaissent contradictoires (ce qui appuie l'idée d'une certaine absence de vue globale). Par exemple : certains points du programme d'usage public sont incompatibles avec le premier objectif du sous-programme de ressources naturelles qui vise à << maintenir la qualité et la quantité naturelle des débits de cours d'eau du parc » (CONAF, 2004) ou encore du point C du programme de développement durable de la communauté qui vise à << protéger les ressources hydriques pour un approvisionnement approprié en eau pour la population sans excéder les débits écologiques. » (CONAF, 2004) La promotion du tourisme amènera une génération importante de déchets, un usage plus important de l'eau et un rejet plus important d'eaux usées. L'impact du tourisme sur les ressources en eau et sur les eaux environnantes est donc loin d'être neutre et ces deux objectifs se retrouvent dans ce même plan. De plus, étant donné qu'il n'existe pas de gestion des déchets efficace ni de traitement des eaux usées, quel impact aurait une démultiplication de la production de déchets et du rejet d'eaux usées sans une réflexion prioritaire sur les traitements en aval ? Comme proposé dans le premier objectif spécifique du sous-programme de << Recherche et Usage Public» il faudrait définir la capacité maximum d'accueil possible avant de proposer le tourisme comme source potentielle de revenus... Peut-être que les visites actuelles dépassent déjà cette capacité maximum. Aucune étude n'a été réalisée dans ce sens jusqu'à aujourd'hui. Si le plan de gestion et le projet de coopération entre la CONAF et les Pays-Bas se recoupent, il n'y a, pour aucun des deux, pas de vue sur les résultats réels, concrets, à long terme de leurs résolutions. Est-ce que le programme << Conservación, Restauración y Desarrollo del Archipiélago de Juan Fernández» a finalement réellement servi à la récupération et à la conservation de l'écosystème de l'archipel ? Dans quelle mesure ? ... Est-ce que la situation de la population s'est améliorée et quelles sont aujourd'hui les relations entre la population et l'administration du parc ? Malheureusement, il y a beaucoup de rapports de projets mais peu d'informations sur les résultats concrets. Suite au projet CONAF/Pays-Bas, un nouveau projet a été monté et il met en évidence les mêmes problèmes. Ce nouveau projet de plan stratégique a été piloté par une association indépendante : La Fundacion Biodiversa. En 2005, cette association a rassemblé les différents acteurs dans le but d'élaborer de façon participative une stratégie de développement pour l'archipel avec pour objectif d'ériger une <<vision commune par rapport à la manière de conserver et d'utiliser durablement le patrimoine naturel et historico-culturel du territoire de l'archipel. » ( www.biodiversa.cl) L'initiative aura au moins tenté de systématiser l'information diffuse. Finalement, la fondation Biodiversa aura réalisé un rapport qui rassemble les informations récoltées sans vraiment répondre à ses propres objectifs. D'après Christophe Perrier, << si l'initiative de Biodiversa a produit un rapport, l'impact local et les suites se résument à zéro. Leur travail (très bien financé) a surtout consisté à récupérer les informations des autres, à faire travailler les gens sur place en petit groupe pour arriver à des conclusions que tout le monde connaissait déjà. Il ne se passe rien suite à leur rapport. »69 Selon Julio Chamorro Solis (membre du syndicat de pêcheurs), << la fondation Biodiversa est en mauvaise posture face à la communauté locale. Elle n'a rien réalisé, mis à part la compilation d'informations de différents auteurs et de la communauté. Le projet avec Biodiversa n'existe plus. Pour bien comprendre, il faut savoir que ça fait des années qu'aucune institution ou organisation locale n'appuie des projets dans lesquels la communauté de l'archipel n'est pas impliquée dès le départ. Nous savons que Juan Fernández est un nom qui vend bien pour postuler à des projets et gagner des financements. Mais l'erreur de Biodiversa a été d'arriver avec un projet tout prêt sans consulter ni la municipalité ni les organisations locales. Pour cette raison, ce projet n'est donc pas soutenu, parmi d'autres problèmes. »70 De plus ces initiatives n'étant pas encadrées, ni coordonnées, il manque toujours une forme de suivi, de contrôle de l'exécution ou de l'effectivité des grands principes et des grandes idées inscrites dans les rapports. Il manque certainement une vision multilatérale, multi institutionnelle et multidisciplinaire intégrée dans un organe de coordination permanente (comme la CONAF ou la CONAMA ou tout autre organe indépendant). 69 Christophe Perrier (commentaire personnel) 70 J. Chamorro Solis (commentaire personnel) |
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