3.5. Masatierra sous contrat de bail
A partir de 1829, l'île, toujours utilisée comme
lieu de réclusion pour prisonniers politiques, est laissée en
usufruit à divers entrepreneurs désireux d'exploiter les
différentes ressources naturelles et plus tard touristiques. Le premier
contrat de location de l'île est signé le 26 février 1829
par José Joaquin Larrain. « L'ancienne romance devient ainsi un
commerce, l'île un port, le port un hangar de baleiniers
17 Voir Partie 2 - Chapitre I - point 3.6. Masatierra :
réservoir à langoustes
18 Voir Partie 2 - Chapitre II - point 2.1.1. Fondations des
connaissances botaniques
de passage et Robinson, troqué contre la personne qui
lui ressemble sans doute le moins, le Fisc chilien. » (Vickuña
Mackenna, 1883) L'île se transforme en source de profit avant tout. Les
différents locataires, dans le but d'en tirer un profit maximum vont
dès lors brûler et abattre une partie importante de la forêt
(le bois était utilisé comme combustible et comme matériel
de construction, le palmier endémique, Juania Australis,
servait de matière première à des objets d'ornements et
une grande partie de la végétation était
brûlée pour le pastoralisme). A partir de cette époque, la
destruction de la flore s'est intensifiée (Muñoz et al.,
2003).
En 1835, sous le gouvernement de Diego Portales, Manuel Tomas
Martinez est nommé gouverneur de l'île Robinson Crusoe. Il
commence une activité inédite jusqu'alors : l'extraction et la
vente du bois de Santal endémique (Santalum Fernandezianum) aux
bateaux étrangers.
En 1851, l'archipel devient une subdélégation de
Valparaiso.
Les rentiers, loin de remplir leur contrat avec le
gouvernement chilien peinent à établir une structure viable. Les
constructions se délabrent et ce qui a été un lieu de vie
devient doucement une ruine. En avril 1876, le navire Chacabuco
dirigé par le capitaine Oscar Viel fait un passage à Juan
Fernández. Le rapport du capitaine Viel fait état de l'abandon et
de la détérioration de l'île qui compte alors peu
d'habitants. Instruit de cette nouvelle et attestant qu'aucun tribut n'a
été payé pour la concession de l'île, le
Trésor public du Chili prend la décision d'annoncer la mise en
location des deux îles (Masafuera et Masatierra).
Le 6 avril 1877, elles seront attribuées au baron
suisse Alfred Von Rodt Van der Meulleur qui compte y exploiter les ressources.
Il entame alors la dernière colonisation de l'île suite à
l'autorisation du gouvernement chilien pour y exploiter les ressources et y
installer ce qui sera l'ultime tentative de peuplement (à l'origine de
l'occupation actuelle). Des migrants d'origine rurale s'installent sur
l'île, reprennent l'exploitation des forêts, des langoustes et des
otaries et continuent les exploitations de bétail et la petite
agriculture.
Au moment de l'installation de la colonie de Alfred Von Rodt,
il y avait 64 habitants (dont 29 hommes, 13 femmes et 22 enfants de moins de 8
ans). En 1879 on compte 141 habitants et un an plus tard, la colonie avait
atteint 147 colons dont la moitié sont des enfants (Vickuña
Mackenna, 1883).
D'une importance stratégique et navale pour la
défense du territoire national chilien, l'archipel de Juan
Fernández est devenu, petit à petit, depuis les premiers
baleiniers, un lieu d'exploitation et de négoce. En accord avec la
pensée de l'époque, les ressources halieutiques sont
considérées comme prodigieuses et inépuisables et la
volonté d'industrialiser l'exploitation progresse fortement.
Pour le compte de Alfred Von Rodt, les pêcheurs partent
pour la première fois en merle 1er août 1877. Les
habitants exploitent tant bien que mal les ressources disponibles de
l'île. En réalité, le commerce est pauvre et la location de
l'île très élevée. Les entreprises de Alfred Von
Rodt vont en dents de scie au gré des opportunités ponctuelles et
des difficultés indissolubles dans cette roche reculée au milieu
de l'océan. L'entreprise de Alfred Von Rodt est faite de succès
et d'échecs jusqu'à ce qu'il perde toute sa fortune.
Malgré un développement lent et fragile, l'île se construit
en système stable et son décloisonnement avance au fur et
à mesure de l'augmentation des communications avec le continent. D'autre
part, l'activité industrielle contribue à l'augmentation de la
population ainsi qu'à l'introduction d'animaux domestiques (chats,
coatis,...), de moutons, de vaches, de chevaux et plus récemment de
lapins.
En 1885, à la fin du contrat de location, le gouvernement
chilien refuse de reconduire la concession mais laisse Alfred Von Rodt
administrer l'île avant la décision du congrès sur sa
gestion future.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 3.6. Masatierra :
réservoir à langoustes
Peu à peu les activités industrielles se
recentrent principalement sur les ressources de la mer. En juillet 1892, Alfred
Von Rodt prend contact avec la compagnie Carlos Fonck y cia. qui, en 1893,
commence l'exploitation commerciale de la langouste endémique en
conserve.
A partir de cette année, et jusqu'en 1965, les prises
de pêche de langoustes, malgré certaines fluctuations, restent
abondantes et le développement de l'île se fait en
parallèle au développement de l'activité piscicole. A
partir de 1965, le déclin des captures de langoustes est régulier
mais le développement d'activités économiques reste
surtout dirigé vers les ressources halieutiques qui sont toujours le
premier pilier de l'économie insulaire.
Les activités de la compagnie Carlos Fonck y cia.
attirent des pêcheurs et des ouvriers qui s'installent sur l'île.
Par ailleurs, le gouvernement apporte un soutien financier pour le transport
entre l'île et le continent, voulant assurer au moins un voyage par mois
à la fois pour les marchandises et pour le courrier officiel et
privé.
Malgré cet engouement, les conserveries ne connaissent
pas le succès espéré et peu de temps après, la
fabrication de conserves est abandonnée mais l'exploitation des
langoustes continue.
Depuis la dernière colonisation en 1877,
l'intérêt des autorités gouvernementales pour l'île
grandit et en 1896, le gouvernement chilien approuve un plan de colonisation du
village de San Juan Bautista. Chaque famille qui s'engage à s'installer
sur l'île avec l'intention d'exercer une activité de pêche
recevra l'aide du gouvernement pour le voyage et l'installation sur place.
En 1896, sur les traces de Douglas, Bertero, Gay et Philippi,
Federico Johow visite l'île Robinson Crusoe. Il met en évidence
l'existence d'une flore propre à l'île mais aussi la
présence de maqui, de chiendent et de l'espèce
Acaena Argentea. Trente ans plus tard, lors de sa deuxième
visite, en 1927, Looser relève pour la première fois la
présence de la ronce, zarzamora (Rubus Ulmifolius),
sur l'île Robinson Crusoe et pronostique de graves conséquences
pour la flore indigène. D'autre part, Johow suggère de ne pas
exploiter les langoustes durant la période de croissance. Peu de temps
après, la pêche à la langouste est
règlementée par un décret qui instaure une période
durant laquelle la pêche est interdite (du 16 septembre au 1e
janvier) (Echeverria et P. Arana, 1976).
Devant les constats scientifiques qui décrivent non
seulement la richesse floristique et l'intérêt scientifique de
l'archipel mais aussi la menace qui pèse sur cette richesse, en 1935,
l'archipel est déclaré Parc National par le gouvernement chilien
(Décret Suprême N° 10319).
<< Au début de l'année 1905, la colonie de
Juan Fernández comprenait 122 personnes qui formaient 22 familles. [...]
Il y avait également une petite école pour les enfants, qui
jusque-là ne recevaient pas d'éducation scolaire ».
(Orellana et al., 1974) Cependant, l'école couvrait une partie
de l'enseignement primaire et la majorité des habitants de l'île
n'avaient pas les moyens d'envoyer leurs enfants continuer leur
éducation sur le continent.
Au fur et à mesure que la pêche se
développe, la population grandit et en 1940, on recense 421 personnes
(218 hommes et 203 femmes) vivant sur l'île.
Durant les deux premières décennies du XXe
siècle, les activités économiques vont encore accentuer
leur spécialisation dans l'exploitation des ressources halieutiques et
plus spécifiquement de la langouste. Cette spécialisation est le
résultat d'investissements de multiples entreprises industrielles
étrangères dans l'île (Orellana etal., 1974).
Ainsi, malgré l'existence d'autres ressources (saumon,
pageot rouge, girelle,...), les difficultés dues à la situation
insulaire ont conditionné les possibilités d'exploitation
industrielle et la langouste, beaucoup plus rentable et plus facile à
conserver avant sa commercialisation, est exploitée de façon
industrielle depuis la fin du XIXe siècle. Au début des
années 1920, la société Recart y Doniez commence
l'exploitation pour la commercialisation des langoustes vivantes sur le
continent américain.
19 Voir annexe 04
En 1934, un décret visant à préserver les
populations de langoustes règlemente la taille minimale autorisée
pour la pêche. Le décret stipule qu' « il est interdit de
pêcher, transporter, vendre, acheter, ou être en possession de
langoustes dont la taille est inférieure à 115 millimètres
[...]. Tous les individus pêchés sous les dimensions prescrites
doivent être remis à l'eau immédiatement. »
(Echeverria et Arana, 1976) Postérieurement, d'autres décrets
viennent compléter ces dispositions légales parmi lesquels le
décret de 1963 qui allonge la période d'interdiction entre le 15
mai et le 30 septembre toujours valable actuellement. Ce décret interdit
également définitivement la capture de langouste femelle avec des
oeufs visibles (Echeverria et Arana, 1976).
Autour des années 1935, la compagnie espagnole Oto
Hermanos s'installe sur l'île. Cette entreprise fonctionne
jusqu'à ce que se crée la coopérative de pêcheurs en
1968. Il y avait d'autres entreprises mais la plus importante était
celle-là (Orellana etal., 1974 ; Echeverria et Arana, 1976).
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