Université Libre de
Bruxelles Institut de
Gestion de l'Environnement et
d'Aménagement du
Territoire Faculté des
Sciences Master en
Sciences et Gestion de
l'Environnement
«MENACES ET PERSPECTIVES POUR LA
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ DE L'ARCHIPEL JUAN
FERNÁNDEZ (CHILI) »
« L'île au trésor » (c) René
Magritte, peinture, 1942.
Mémoire de Fin
d'Etudes présenté par Julien
Vanhulst En vue de l'obtention du grade académique
de Master en Sciences et
Gestion de l'Environnement Année
Académique : 2008-2009
Directrice : Prof.
Marie-Françoise
Godart
Codirecteur : Prof.
Pierre-Louis Kunsch
Assesseurs : Prof. Bernard
Godden
Prof. Véronique
Joiris
Prof. Jean Lejoly
Mr. Christophe Perrier
(Robinsonia - France)
Contact auteur : julienvanhulst@
yahoo.fr
Remerciements :
Je remercie tout d'abord les professeurs qui ont
encadré ce mémoire :
Marie-Françoise Godart pour avoir accepté de
diriger ce mémoire et m'avoir lancé dans la rédaction au
moment opportun (sans quoi je n'aurais jamais fini aujourd'hui...).
Pierre Louis Kunsch pour son soutien et nos échanges
riches d'enseignements et d'humanité. Bernard Godden, Véronique
Joiris et Jean Lejoly pour leur lecture et évaluation.
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Christophe
Perrier pour sa disponibilité, sa franchise, pour les réponses
qu'il m'a apportées et pour ses commentaires toujours instructifs.
Je remercie également toutes les personnes qui ont
contribué à la réalisation de ce mémoire
:
Celles et ceux qui ont amenuisé la distance qui me
sépare de l'archipel Juan Fernández : Claudia
Galleguillos (CONAMA - Encargada Àrea de Recursos Naturales y
Biodiversidad), Juan Torres de Rodt (Sindicato de pescadores Juan
Fernández y associé Fundación archipiélago Juan
Fernández), Juan C. Torres-Mura (MNHN Santiago de Chile), Juanita Diaz,
Julio Chamorro Solis (Sindicato de pescadores Juan Fernández), Julio
Leiva (CONAF - Parque Juan Fernandez), Karen Lara Tognio (CONAMA - Unidad
educación ambiental y participación Ciudadana), Liliana Maritano
Jeria (Sernapesca), Miguel Diaz (CONAF - Jefe del Departamento de Áreas
Protegidas y Comunidades), Patricio M. Arana (Escuela de Ciencias del Mar -
Pontificia Universidad Católica de Valparaíso), Pedro Araya
(CONAF - MaB Chile), Raimundo Bilbao (Presidente Fundación
archipiélago Juan Fernández), Victorio Bertullo Mancilla
(Director Casa de la Cultura Isla Robinson Crusoe).
Celles et ceux qui m'ont orienté et
conseillé :
Alejandro Leon (RENARE Universidad de Chile), Alvaro Palma Benkhe
(Departament de Ecologia, Facultad de Ciencas Biologicas P.U.C. de Chile),
Bérengère Marques-Pereira (Université Libre de Bruxelles),
Christine Favart (Directrice Relations bilatérales pays du Sud - WBI),
Cornelia Nauen (Commission européenne - DG Recherche), Guy Bajoit
(Université Catholique de Louvain-la-Neuve), Juan Soto Godoy
(Universidad Académia Humanismo Cristiano, Santiago de Chili), Pablo
Sepúlveda (Asociación El Canelo de nos), Philippe
Willenz (Department of Invertebrates - Royal Belgian Institute of Natural
Sciences), Thais Pons (ULB - IGEAT, pour toutes nos discussions
discontinues)
Celles et ceux qui m'ont aidé à obtenir de
la documentation et des informations précieuses : Alicia
Marticorena (Departamento de Botánica - Universidad de
Concepción), Ana Abarzúa (Universidad de Chile), Angelica
Escalona, Carlos Baeza (Universidad de Concepción), Carlos Sato Varas
(Illustre Municipalidad Juan Fernández - depto Turismo, Cultura y
Relaciones publica), Claudia Santiago Karez (UNESCO Montevideo), Cristina Rojas
A (Biblioteca Especializada de Agronomía - P.U.C. de Valparaíso),
Cristian Sánchez (CEDOC-CIREN), Enrique Aliste (Universidad de Chile),
Enrique Leff (Coordinador - Red de Formacion Ambiental - PNUMA), Erin N. Hagen,
Ernst R. Hajek (ECOLYMA), Eyleen Angulo C. (Biblioteca Conmemorativa
Orton IICA/CATIE - Costa Rica), Fabian Jaksic (Center for Advanced Studies in
Ecology & Biodiversity - P.U.C. de Chile), Fernando Retamal Illanes (CONAMA
- Programa Sendero de Chile), Francis Hallé (ancien professeur de
botanique à l'Université de Montpellier), Francisco Bozinovic
(Center for Advanced Studies in Ecology & Biodiversity - P.U.C. de Chile),
Ignacio Letelier,
Ingo Hahn (Institut für Landschaftsökologie -
Westfälische Wilhelms-Universität Münster), Jackie Van Goethem
(ancien responsable du Point focal Biodiversité pour la Belgique), James
Thorsell (Senior Advisor for Natural Heritage, World Conservation Union
(IUCN)), José Yañez (MNHN Santiago de Chile), Marcela Pulgar,
Mariana Acosta Serey (Universidad Academia Humanismo Cristiano), Patrick
Sylvestre-Baron (GATE - CNRS), Peter Hodum (University of Puget Sounds), Peter
Hulm, Ricardo Letelier, Rodolfo Gajardo (Universidad de Chile), Salvatore Arico
(Division of Ecological and Earth Sciences - UNESCO), Sebastian Tramon da
Fonseca (Fundación Biodiversa), Stephane Gelcich (Center for
Advanced Studies in Ecology & Biodiversity - P.U.C. de Chile), Tod Stuessy
(Institut für Botanik, Universität Wien - Vienne), Victor H. Ruiz R
(Universidad de Concepción).
Celles et ceux qui ont exprimé leur
intérêt et leur soutien à mon projet.
Celles qui m'ont aidé a parachever ma
rédaction dans les derniers instants:
Fabienne Roynet pour sa lecture critique et sa
générosité dans nos échanges autour de ce travail,
Flore Vanhulst pour sa lecture philologique et critique ainsi que Claire
Vanherenthals pour sa lecture concernée et minutieuse.
Et finalement, ma femme, Marcela Letelier et ma fille,
Likán, pour leur patience, leur aide et leurs encouragements.
RÉSUMÉ
Au-delà de la diversité du vivant, la
biodiversité est une notion multidimensionnelle capable de rassembler
l'ensemble des disciplines scientifiques. Choisir la biodiversité comme
objet d'étude permet donc une analyse multidisciplinaire, une lecture
écologique d'un problème environnemental.
Conséquemment, le cadre d'analyse de ce projet
d'étude se veut contextuel et global afin de considérer toute la
complexité des relations entre chaque élément du
système écologique. Ce canevas sera appliqué à
l'étude du cas de l'archipel Juan Fernández, situé dans
l'océan Pacifique au large des côtes du Chili. Ces quelques
îles discrètes dissimulent une remarquable biodiversité
d'intérêt mondial (l'archipel est classé Parc national et
Réserve de biosphère de l'UNESCO). Elles sont aussi le carrefour
de nombreuses forces qui mettent en péril les espèces
végétales et animales singulières qu'elles abritent. Dans
ce contexte particulier (comme ailleurs), l'homme est en partie responsable des
équilibres et déséquilibres écologiques. Mais si
l'homme est capable de transformer la nature, il en fait aussi naturellement
partie. C'est pourquoi la notion de biodiversité permet d'entrecroiser
les dimensions humaines et naturelles dans une analyse
intégrée.
Ce mémoire propose d'esquisser cette jonction en
suggérant une lecture de la biodiversité, en tant que
réalité naturelle, au travers des perspectives historique,
socio-anthropologique et politico-juridique dans lesquelles elle
s'insère. La perspective historique évoque la naissance de
l'archipel et la longue installation humaine, soulignant les différents
évènements qui ont eu un impact sur l'environnement et la culture
insulaire. La description de la biodiversité de l'archipel met en
évidence sa richesse et son importance à l'échelle
globale, mais aussi les menaces qui la mettent en péril. Enfin, les
perspectives socio-anthropologique et politico-juridique distinguent les
acteurs impliqués, leurs rôles mais aussi les instruments
politiques et juridiques et leurs faiblesses.
Ce travail illustre ainsi la complexité à
réaliser un projet de conservation dans une situation pratique qui
sous-tend des interrelations nombreuses et complexes. Finalement, la mise en
perspective du problème de perte de biodiversité intégrant
le cadre institutionnel et social amène certaines propositions pour la
conservation harmonieuse de cette réserve protégée en
accord avec la vie de la population humaine.
|
Table des Matières
Table des Figures 1
Abréviations 3
INTRODUCTION 5
PREMIÈRE PARTIE - THÉORIE
LIMINAIRE
CHAPITRE I - La BIODIVERSITÉ 7
1. Qu'est-ce que la biodiversité ? 7
2. Origine et développement du concept de
"Biodiversité" 8
3. La place de l'homme dans la biodiversité
10
3.1. Nature des liens entre l'homme et la nature 10
3.2. Les "services rendus par les écosystèmes"
11
CHAPITRE II - La PERTE DE BIODIVERSITÉ
11
1. Qu'est-ce que la perte de biodiversité ?
11
2. Les facteurs de perte de biodiversité
12
2.1. Disparitions naturelles 13
2.2. Disparitions liées au forçage anthropique (la
place de l'homme dans la perte de biodiversité) 13
3. Enjeux écologiques, sociopolitiques et
économiques 15
3.1. Enjeux écologiques 15
3.2. Enjeux sociopolitiques et socioculturels 15
3.3. Enjeux économiques 16
4. Considération finale sur la
biodiversité 17
CHAPITRE III - SPÉCIFICITÉS INSULAIRES
17
1. Les écosystèmes insulaires :
définition 17
2. Le syndrome d'insularité 18
2.1. Richesse spécifique 18
2.2. Amplitude écologique 19
2.3. Densité 19
2.4. Sédentarité 19
3. Fragilité 19
4. Les facteurs de perte de biodiversité dans les
écosystèmes insulaires 20
4.2.1 Perturbation des habitats 20
4.2.2. Introduction d'espèces envahissantes 20
4.2.3. Surexploitation 21
4.2.4. Combinaison de facteurs 21
4.2.5. Danger surdimensionné dans un contexte insulaire
21
DEUXIÉME PARTIE : CAS DE L'ARCHIPEL JUAN
FERNÁNDEZ
CHAPITRE I - PERSPECTIVE HISTORIQUE 23
1. Naissance des îles 23
1.1. Géographie, géologie et géomorphologie
23
1.2. Le climat 24
2. Evolution et occupation avant la découverte de
l'archipel 25
3. De la découverte de l'île Robinson
Crusoe à nos jours 25
3.1. Découverte de l'archipel par Juan Fernández
Sotomayor 25
3.2. Un siècle de confluences dispersées avec
l'humanité 27
3.3. Masatierra : place forte espagnole 28
3.4. Masatierra : Pénitencier pour criminels et
opposants 28
3.5. Masatierra sous contrat de bail 29
3.6. Masatierra : réservoir à langoustes
31
3.7. Développement technique, infrastructurel et social.
32
3.8. L'arrivée de la CONAF 33
3.9. Germes d'autonomie politique et de continentalité
34
4. Stigmates historiques 35
CHAPITRE II - La BIODIVERSITÉ sur l'archipel Juan
Fernández 35
1. La biodiversité au Chili 35
1.1. Biodiversité végétale 36
1.2. Biodiversité animale 36
1.3. Statut officiel de la biodiversité 37
2. La biodiversité sur l'archipel Juan
Fernández 38
2.1. Diversité végétale 38
2.1.1. Fondations de connaissances botaniques 38
2.1.2. Caractérisation des zones végétales
40
2.1.3. Caractérisation des espèces
végétales 41
2.2. Diversité animale 42
2.2.1. Les mammifères 42
2.2.2. L'avifaune 42
2.2.3. La faune aquatique 43
2.2.4. Les invertébrés 43
2.2.5. Faune animale introduite 43
CHAPITRE III - PERTE DE BIODIVERSITÉ sur
l'archipel Juan Fernández 44
1. Réalités du problème de perte de
biodiversité 44
2. Facteurs de perte de biodiversité sur
l'archipel Juan Fernández 45
2.1. Introduction d'espèces 46
2.1.1. Espèces animales 48
2.1.2. Arbres exotiques 50
2.1.3. Autres espèces végétales 50
2.1.4. Interactions espèces végétales -
espèces végétales 53
2.1.5. Interactions espèces végétales -
espèces animales 53
2.2. Perturbation des habitats 54
2.3. Surexploitation 56
2.4. Combinaison de facteurs 57
CHAPITRE IV - PERSPECTIVE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE
59
1. Les acteurs 59
1.1. Niveau local 59
1.1.1. La Illustre Municipalidad de Juan Fernández
59
1.1.2. La population 60
1.2. Les grandes institutions nationales 60
1.2.1. Le SAG 60
1.2.2. La CONAF 60
1.2.3. Le SERNAPESCA 61
1.2.4. La Capitanía de Puerto 61
1.2.5. La CONAMA 61
1.2.6. Le CIDEZE 62
1.3. Les ONG 62
1.4. Les institutions internationales 63
2. La population 63
2.1. Démographie 63
2.2. Alphabétisation 65
2.3. Relations avec le continent et identité 65
2.3.1. Le syndrome d'insularité 66
2.3.2. La pêche : socle identitaire 67
2.4. Ambivalence du statut de protection de l'archipel 67
2.5. Economie 68
2.5.1. Caractéristiques actuelles 68
2.5.2. L'option touristique 69
CHAPITRE V-PERSPECTIVE POLITICO-JURIDIQUE 71
1. Cadre juridique 71
1.1. Cadre national 71
1.1.2. Le Code Civil 73
1.1.3. La Ley de Bases del Medio Ambiente 74
1.1.4. Ley de Bosque et Ley de fomento forestal 74
1.1.5. Ley de caza 74
1.1.6. Ley general de Pesca y Acuicultura 75
1.1.7. Ley N° 18.362 que crea un Sistema Nacional de Areas
Silvestres Protegidas del Estado 75
1.1.8. Autres tutelles des zones protégées 79
1.1.8.1. Zones protégées publiques 79
1.1.8.2. Zones protégées privées 79
1.2. Cadre international 80
1.2.1. UNESCO 80
1.2.2. Accords et conventions internationales 81
2. Faiblesses du cadre juridique 83
CHAPITRE VI - PERSPECTIVES FUTURES 86
1. Révision du statut légal de l'archipel
Juan Fernández 86
2. Inclusion de la population dans les stratégies
de gestion 86
3. La protection et la conservation de la
biodiversité 87
3.1. Eradication des espèces problématiques 87
3.2. Récupération des espèces natives et des
sols 87
3.3. Contrôle des entrées 87
3.4. Conservation in situ et ex situ 88
3.5. Monitoring 88
3.6. Formations et informations 88
4. Gestion des déchets 88
5. Gestion de l'eau 89
6. Gestion des ressources halieutiques 90
7. Génération d'énergie
renouvelable 90
8. Définition de la capacité de charge
maximale pour le tourisme 90
CONCLUSION 91
Bibliographie 92
Annexes 99
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
Table des Figures:
Fig. 01 : « L'île au trésor »
0
René Magritte, 1942.
Fig. 02 : Index Planète vivante (WWF, UNEP-WCMC)
12
Greenfacts, 2005.
Fig. 03 : Les 3 grands facteurs de perte de
biodiversité et leurs relations 14
Vanhulst, 2009 d'après MEA, 2005, Fig. 5 et Barbault,
2002, Fig. 3.
Fig. 04 : Archipel Juan Fernández 22
H. Correa Cepeda (Director del jardín botánico
nacional), 2009.
Fig. 05 : Baie Cumberland et village San Juan Bautista
22
O. Chavez (
www.panoramio.com),
2008.
Fig. 06 : Carte des principales plaques tectoniques
23
www.johomaps.net, 2009
Fig. 07 : Situation géographique de l'archipel
Juan Fernández 24
www.scielo.cl, 2009
Fig. 08 : Probablement la première
représentation de l'île, vers 1600 26
Cambornac, 2002.
Fig. 09 : Vue sur la place de l'île Robinson
Crusoe : campement de l'expédition de Anson 27
Anson, 1750.
Fig. 10 : Pénitencier de l'île Robinson
Crusoe ...28
http://www.memoriachilena.cl,
2009
Fig. 11 : Evolution historique du matériel pour
capturer les langoustes 32
Arana, 1983.
Fig. 12 : Richesse et endémisme des
espèces végétales au Chili 36
Vanhulst, 2009 d'après Espinoza et Arqueros, 2000 ;
Manzur, 2008.
Fig. 13 : Richesse et endémisme des
espèces animales au Chili 36
Vanhulst, 2009 d'après Espinoza et Arqueros, 2000 ;
Manzur, 2008.
Fig. 14 : Nombre d'espèces endémiques,
indigènes et introduites sur l'archipel 41
Vanhulst, 2009 d'après Danton et Perrier, 2006.
Fig. 15 : Les facteurs de perte de biodiversité
sur l'archipel Juan Fernández 45
Vanhulst, 2009 d'après Cuevas et Van Leersum, 2001 ; T.
Stuessy et al., 1998.
Fig. 16 : Carte de la répartition
géographique des espèces autochtones et allochtones
47
Greimler, Lopez, Stuessy, Dirnböck, 2001.
Fig. 17 : La zarzamora ou Ronce (Rubus
ulmifolius) 51
Vanhulst (Bruxelles), 2009
Fig. 18 : La Murtilla ou Goyavier du Chili
(Ugni Molinae) 52
Vanhulst (Meise - Jardin Botanique National de Belgique),
2009
Fig. 19 : Le Maqui (Aristotelia
chilensis) 52
www.diccionarioplantasnet.es,
2009 et
http://www.profesorenlinea.cl,
2009
Fig. 20 : Carte de l'érosion sur l'île
Robinson Crusoe 54
Fellmann, 2004.
Fig. 21 : Recensements de population de Picaflor
Rojo (Sephanoides Fernandensis) 55
P. Hodum (
www.oikonos.org), 2008 et
Vanhulst, 2009 d'après F. Pirola, 2002.
Fig. 22 : Quantité de langoustes
pêchées entre 1930 et 2000 en tonnes 56
Arana, 1983 et Arana, 2006.
Fig. 23 : Quantité de langoustes
pêchées entre 1968 et 2001 par unité 57
Arana, 2006 et
www.fao.org/fishery
Fig. 24 : Diagramme global du problème de perte de
biodiversité 58
Vanhulst et Kunsch, 2009.
Fig. 25 : Structure de la population par âge et par
sexe (Chiffres Municipalité) 63
Vanhulst, 2009 d'après PLADECO, 2005.
Fig. 26 : Structure de la population par âge et par
sexe (Chiffres INE) 64
Vanhulst, 2009 d'après PLADECO, 2005.
Fig. 27 : Pyramide d'âges de la population de
l'archipel (Chiffres INE) 64
Vanhulst, 2009 d'après PLADECO, 2005.
Fig. 28 : Nombre de visiteurs du parc Juan
Fernández entre 1990 et 2002 69
CONAF, 2004.
Fig. 29 : Les risques du tourisme 70
Vanhulst et Kunsch, 2009.
Fig. 30 : Entités publiques responsables du
contrôle des normes environnementales 73
Vanhulst, 2009, d'après OCDE ET CEPAL, 2005.
Fig. 31 : Zones protégées et
écosystèmes terrestres incorporés au SNASPE en
décennies 77
Vanhulst, 2009 d'après IUCN, 2007.
Fig. 32 : Zones protégées du réseau
SNASPE au Chili 77
Vanhulst, 2009 d'après CONAMA, 2005 ;
www.conaf.cl ; TERRAM, 2005.
Fig. 33 : Corrélation entre le budget et la bonne
gestion d'une zone protégée 78
WWF, 2004.
Fig. 34 : Corrélation entre l'éducation et
la bonne gestion d'une zone protégée 78
WWF, 2004.
Fig. 35 : Localisation, nombre et superficie des zones
protégées privées en 1999 79
Vanhulst, 2009 d'après TERRAM, 2005.
Fig. 36 : La décharge municipale de l'archipel
Juan Fernández 89
Christophe Perrier, 2009.
Abréviations :
CDB : Convention sur la
Diversité Biologique
CEPAL : Comisión
Económica Para
América Latina y el Caribe
(Commission Economique Pour l'Amérique Latine et les
Caraïbes)
CIDEZE : Comité
Interministerial para el DEsarrollo de
Zonas Extremas
(Comité Interministériel pour le
Développement de Zones Extrêmes)
CITES: Convention on
International Trade in
Endangered Species
(Convention sur le Commerce International des Espèces
Menacées d'Extinction)
CONAF : Corporación
Nacional Forestal
(Agence Nationale Forestière)
CONAMA : Corporación
Nacional del Medio
Ambiente
(Agence Nationale de l'Environnement)
CONICYT : Comisión
Nacional de Investigación
Científica Y Tecnológica
(Commission Nationale de Recherche Scientifique Et
Technologique)
COREMA : Corporación
Regional del Medio
Ambiente
(Agence Régionale de l'Environnement)
CORFO : Corporación de
Fomento de la Producción
(Agence de Développement Economique)
DIRECTMAR : Dirección
General del Territorio Marítimo y
Marina Mercante
(Direction Générale du Territoire Marin et de la
Marine Marchande)
GIEC : Groupe d'experts
Intergouvernemental sur l'Evolution du
Climat
INE: Instituto
Nacional de Estadísticas
(Institut National de Statistiques)
INIA : Instituto de
Investigación Agropecuarias
(Institut de Recherche pour l'Agriculture et l'Elevage)
IREN : Instituto Nacional de
Investigación de Recursos Naturales
(Institut National de Recherche sur les Ressources Naturelles)
MaB : Man and
Biosphere
(programme « L'homme et la biosphère » de
l'UNESCO)
OCDE : Organisation de
Coopération et de Développement
Economique
ONG : Organisation
Non Gouvernementale
ONU : Organisation des
Nations unies
PNUD : Programme des
Nations unies pour le
Développement
PNUE : Programme des
Nations unies pour
l'Environnement
PNUMA : Programa de las
Naciones unidas para el
Medio Ambiente
(Programme des Nations unies pour l'Environnement)
SAG: Servicio
Agrícola y Ganadero
(Service pour l'Agriculture et l'Elevage)
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
SCOPE: Scientific
Committee On Problems of the
Environment
(Comité scientifique sur les problèmes de
l'environnement)
SEIA : Sistema de
Evaluación de Impacto
Ambiental
(Système d'Evaluation d'Impact Environnemental)
SERNAPESCA : Servicio
Nacional de Pesca
(Service National de la Pêche)
SESA : Servicio
Ecuatoriano de Sanidad
Agropecuaria
(Service Equatorien Sanitaire pour l'Agriculture et l'Elevage)
SICGAL : Sistema de
Inspección y Cuarentena para
Galápagos
(Système d'Inspection et de Quarantaine pour les
Galápagos)
SINIA : Sistema
Nacional de Información
Ambiental
(Système National d'Information Environnementale)
SNASPE : Sistema
Nacional de Areas Silvestres
Protegidas por el Estado
(Système National d'Aires Sauvages Protégées
par l'Etat)
SUBSECMAR : Subsecretaria de
Marina
(Sous secrétariat de la Marine)
UICN : Union
Internationale pour la Conservation de la
Nature
UNESCO: United
Nations Educational,
Scientific and Cultural
Organization
(Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et
la Culture)
UNORCH : Union de
Ornitólogos de Chile
(Union des Ornithologues du Chili)
WCMC : World
Conservation Monitoring
Center
(Centre de Surveillance de la Conservation de la Nature)
WDPA : World
Database on Protected
Area
(Base de donnée Mondiale des Aires
Protégées)
WWF : World
Wild Fund
(Organisation mondiale de protection de l'environnement)
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
INTRODUCTION
Au début des années 1980, l'inquiétude de
nombreux scientifiques face au rythme sans précédent de
disparition d'espèces lance le débat sur la biodiversité.
A cette époque, ce terme de "biodiversité" est encore synonyme de
diversité des espèces. Progressivement, la biodiversité ne
se limitera plus aux seuls inventaires d'espèces et sera abordée
de façon dynamique. Elle devient « l'ensemble des relations entre
toutes les composantes du vivant qui permet le jeu de l'évolution.
» (Aubertin et al., 1998) Désormais
métissée, la notion de biodiversité associe aujourd'hui la
compréhension des systèmes écologiques et des
systèmes sociaux. Cette conception permet d'aborder un problème
environnemental en intégrant plusieurs disciplines
généralement disjointes.
Dans ses limites bibliographiques et méthodologiques,
le présent travail, sur le cas de l'archipel Juan Fernández,
propose d'appliquer un cadre d'analyse contextuel et global à partir du
concept de biodiversité afin de mieux considérer les actions
futures pour sa préservation. Soit, une façon de penser un
problème environnemental qui n'isole pas un phénomène mais
le contextualise (au travers de diverses disciplines); qui n'aborde pas le
problème strictement localement mais le situe dans une logique globale ;
et qui ne restreint pas le problème à une temporalité
immédiate mais qui prend en considération les effets futurs des
actions entreprises.
En effet, si les problèmes environnementaux peuvent
être expliqués par les sciences dites naturelles (physique,
chimie, biologie), la compréhension de leurs causes et leur gestion
doivent intégrer les sciences dites humaines (historiques,
socio-anthropologiques, économiques et politico-juridiques).
L'archipel Juan Fernández (composé de 3
îles et quelques îlots au large des côtes chiliennes) est un
précieux berceau de biodiversité. Apparu il y a environ 4
millions d'années, cet archipel a lentement été
colonisé par des espèces végétales et animales qui
se sont adaptées et ont évolué singulièrement dans
ce biotope isolé. Cette lente adaptation et évolution
biocénotique a préservé et fait naître des
espèces désormais uniques au monde. L'archipel est classé
Parc National chilien et Réserve de Biosphère par l'UNESCO. Ces
statuts sont liés à sa nature écologique (endémisme
important, paysages singuliers, patrimoine génétique et
biochimique unique), culturelle, mais aussi aux évènements
historiques qui l'ont marqué. Malgré cela, les conditions
nécessaires pour assurer son intégrité à long
terme, tant du côté environnemental que culturel,
s'éloignent de jour en jour au rythme des exploitations, des
envahissements d'espèces exotiques et de son inclusion dans la
sociétémonde.
L'exploitation des ressources physiques (dans un premier temps
sur les îles Robinson Crusoe et Santa Clara et ensuite sur Alejandro
Selkirk) remonte au jour de la découverte de l'archipel en 1574. Au
début, l'exploitation (principalement des ressources marines)
était discontinue au même titre que les occupations de
l'île. Finalement, une population permanente s'est installée
à la fin du XIXe siècle, développant des
activités économiques attrayantes (toujours basées
essentiellement sur les ressources halieutiques). Les différentes
étapes d'installations historiques ont laissé des traces
profondes sur l'archipel. Face à cette situation, certaines mesures de
protection ont été appliquées suite à la
création du Parc National en 1935. Ces bonnes intentions ne seront
traduites dans la pratique qu'à la fin des années 1960 dans une
logique préservationniste classique (c.-à-d. sans inclure la
dimension participative). Malgré l'intégration de l'archipel au
réseau de Réserves de Biosphère en 1977, les modes de
gestion sont restés sensiblement intacts et ne parviennent pas vraiment
à répondre à l'ensemble des processus de
dégradation qui menacent l'archipel.
L'archipel Juan Fernández offre donc une remarquable
illustration (archétypique) des théories sur la
biodiversité et la perte de biodiversité articulant les
dimensions naturelles et humaines. Une vue à la fois microscopique et
macroscopique permet d'appréhender non seulement la "nature" et les
particularités du phénomène de perte de
biodiversité mais aussi l'étiologie de ce problème et les
possibilités de le résoudre.
Si, au départ, l'adoption de cette vue
générale était plus le résultat des
possibilités méthodologiques autour de ce mémoire, elle
s'est construite, ensuite, comme proposition de dépasser les vues
claires et distinctes des travaux de spécialistes pour recadrer la
gestion de l'archipel en tant que zone protégée et lieu de vie
dans son contexte global.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» Note méthodologique
:
Ce travail inclus quelques << diagrammes d'influence ))
issus de la dynamique des systèmes. Le recours à ces diagrammes
est un choix méthodologique. Il souligne l'intérêt de
penser l'environnement de manière systémique en opposition
à une perspective linéaire.
Les quelques diagrammes présentés ici sont
qualitatifs et servent surtout de support à la compréhension. Les
problèmes environnementaux ne se limitent évidemment pas à
un modèle virtuel et ces modèles ne sont pas assimilables
à la réalité. Cependant, les diagrammes permettent de
mettre en évidence un système (c.-à-d. un ensemble
d'éléments qui interagissent continuellement dans le temps) qui
comprend des interrelations parfois complexes dans une structure
schématique qui "simplifie la réalité". La figure du
système ainsi obtenue permettra de visualiser les << chaînes
de relations qui lient des causes à leurs effets, les équilibres
et déséquilibres et leurs régulations, l'ensemble
débouchant sur des effets involontaires, imprévus ou pervers
[...]. )) (Godard, 1996)
La dynamique des systèmes peut également
être utilisée pour analyser comment un changement structurel qui
affecte une partie du système peut influencer le comportement de
l'ensemble du système. D'autre part, ces diagrammes qualitatifs
considèrent l'espèce humaine et le reste des espèces
vivantes sous un même statut << à la fois comme
opérateurs élémentaires de flux matériels et
énergétiques et comme composants soumis aux déterminations
du système de relations.)) (Godard, 1996).
En sus de << son intérêt propre pour
comprendre et résoudre certains problèmes, le recours à la
modélisation devient de plus en plus un moyen de dialogue entre les
disciplines)) (Schmidt-Lainé et Pavé, 2002) et entre les acteurs.
Ainsi, les apports de la modélisation sont utiles à des fins de
compréhension mais aussi comme outil d'aide à la décision.
Lors des recherches effectuées pour ce travail, la lecture de notes
techniques (Bouamrane et al., 2006) des Réserves de
biosphère du programme MaB a inopinément fait le lien entre le
sujet de recherche et le choix de l'utilisation des diagrammes d'influence pour
rendre compte des phénomènes complexes de façon
synthétique et lisible. Dans le cadre des stratégies de
conservation des Réserves de biosphère, le programme MaB propose
le recours aux modèles en tant qu'instruments de gestion. <<
L'intégration de modèles de simulation dans l'aide à la
décision collective pour la gestion de ressources naturelles est une des
particularités de la gestion adaptative (Holling, 1978 ; Walters, 1986).
Il y a trois façons [...] d'utiliser des modèles [...] en tant
que support pédagogique : pour faire prendre conscience des interactions
entre acteurs et ressources, en tant qu'outil de médiation entre les
usagers d'une Réserve de biosphère et en tant qu'outil d'aide
à la décision pour la mise en place d'un plan
d'aménagement concerté. )) (Bouamrane et al., 2006). La
mise en place de tels outils dans le cadre de la gestion d'un espace
protégé suscite le dialogue et la concertation. Ainsi, dans la
"modélisation d'accompagnement", << le modèle joue le
rôle d'un objet intermédiaire convivial et dynamique. Il est
à la fois un outil de partage de représentations et un outil
d'évaluation des scénarios [...]. Dans la mesure où il
aide à se mettre à la place de l'autre, il assure une bonne
lisibilité des rôles de chacun des acteurs et stimule la synergie
entre connaissances pratiques et expertise technique et entre savoirs profanes
et savoirs scientifiques. )) (Bouamrane et al., 2006)
Lecture des diagrammes d'influence :
Les diagrammes d'influence contiennent des "variables"
(éléments du système) et des flèches de relation
entre ces variables. Les flèches indiquent le sens de la relation et une
polarité. Un signe "+" désigne une relation positive (si une
variable réagit en augmentant, l'autre variable réagira
analogiquement, soit : si la première variable augmente, elle
influencera l'autre variable dans un sens d'augmentation), un signe "-" indique
une relation négative (c.-à-d. une relation inversement
proportionnelle entre deux variables, soit : si la première variable
augmente, elle influencera l'autre variable dans un sens de diminution). A
partir d'un ensemble d'interrelations, on peut distinguer des
"rétroactions". Les rétroactions sont des boucles de relations
entre les variables. La rétroaction la plus simple est une interrelation
entre deux variables qui s'influencent l'une l'autre. Si les deux variables
s'influencent chacune positivement ou négativement, il s'agira d'une
rétroaction dite "positive" (c.-à-d. une rétroaction qui
s'autoalimente et peut éventuellement générer un effet
boule de neige). En revanche, si la polarité des deux variables est
différente, il s'agira d'une rétroaction dite "négative"
(boucles d'auto-stabilisation qui peut éventuellement créer un
équilibre). Dans les diagrammes d'influence, les boucles ne se limitent
pas à deux variables et leur nature dépend de
l'enchaînement des relations et de leur polarité.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» PREMIÈRE PARTIE -
THÉORIE LIMINAIRE
CHAPITRE I - La BIODIVERSITÉ 1. Qu'est-ce que la
biodiversité ?
<< Que la vie se manifeste sous des formes très
diverses est un fait bien connu, et de longue date. La diversité du
vivant est un fait. J'aimerais que l'on réserve l'emploi du
néologisme biodiversité - qui certes dit la même
chose au premier degré - au concept qui s'est dessiné dans les
coulisses de Rio de Janeiro et qui donne corps à la Convention sur la
diversité biologique. » (Barbault, 2002)
Communément, la biodiversité est subdivisée
en 3 niveaux :
1) La diversité génétique
(variation du génome au sein d'une même espèce)
:
C'est le niveau d'organisation le plus petit, la
diversité indivisible qui est à l'origine de la
biodiversité. << La diversité génétique
intraspécifique est la base ultime de l'évolution. L'adaptation
des populations aux conditions locales en dépend. La diversité
génétique est un gage d'adaptation à un monde changeant,
une garantie sur l'avenir. » (Barbault, 2002)
2) La diversité spécifique :
La diversité spécifique fait
référence à la variété des animaux, plantes,
champignons et microorganismes vivants dans une région donnée. Le
niveau d'organisation central est celui de l'espèce. On estime qu'il
existe entre 5 et 30 millions d'espèces sur Terre, et que seuls 1,7
à 2 millions d'entre elles ont été identifiées
(Greenfacts, 2005). Relativement peu d'espèces sont réellement
abondantes. La majorité d'entre elles sont peu communes, rares ou
très rares. Toutes jouent cependant un rôle essentiel dans le
fonctionnement des écosystèmes (Peeters et al.,
2007).
3) La diversité écosystémique
:
L'écosystème est une subdivision de la
biosphère. Il fait référence à une unité qui
comprend une biocénose (association d'êtres vivants) et son
biotope (environnement physico-chimique). La diversité des
écosystèmes, ou biodiversité structurale, s'exprime par le
nombre et la diversité des espèces qui peuplent un milieu
naturel.
Cependant, la biodiversité ne se limite pas à la
distinction et à l'énumération de variations à
différentes échelles. Elle recouvre aussi les interactions qui
existent au sein des différents niveaux évoqués et entre
ces niveaux.
Ainsi, la biodiversité recouvre non seulement
l'ensemble des formes de vie sur Terre (y compris l'être humain) mais
aussi les relations que ces formes de vie tissent entre elles et avec leur
environnement depuis les origines de la vie. Elle comprend donc de façon
indissociable à la fois la richesse de l'ensemble des formes du vivant,
et la complexité des interactions entre toutes les espèces ainsi
qu'entre ces espèces et leurs milieux naturels. << La disparition
d'une espèce, par delà son caractère dramatique en soi, a
moins d'importance pour le monde vivant (dont les humains) que les multiples
interactions qui disparaissent avec elle. [...] La biodiversité n'est
pas réductible à la somme des espèces ; et quand toutes
les espèces seraient identifiées et conservées dans des
boîtes séparées, la diversité aurait disparu. »
(Weber et Latelin, 2004)
D'autre part, en tant que champ de recherche, la
biodiversité ne se limite pas aux seules sciences de la nature. Dans le
contexte du début des années 1980 et en parallèle avec la
construction de la biologie de la conservation, la notion de
biodiversité éclate le cadre `sciences de la vie' où la
diversité du vivant était confinée jusque-là, pour
se mettre au carrefour des sciences de la nature, des sciences de l'homme et de
la société, et des sciences de l'ingénierie et de la
décision (Barbault, 2003).
Cette transition suppose de nouvelles synergies intra
disciplinaires et interdisciplinaires.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 2. Origine et
développement du concept de "Biodiversité"
Etymologiquement, le terme biodiversité est le
résultat de la contraction du mot biologique (dont
l'élément -bio vient du grec bios << vie »)
et diversité (du latin diversitas de diversus <<
divers »).
Alors que l'écologie entre dans le champ scientifique
dans le courant du XVIIIe siècle, l'intérêt pour la
conservation de la nature est relativement récent. << Si l'on
adopte comme critère la mise en place d'aires protégées,
réserves naturelles ou parcs naturels, on en relève les premiers
signes à la fin du XIXe siècle avec la création aux
Etats-Unis, en 1872, du premier parc national du monde, celui de Yellowstone.
On peut faire remonter plus loin les origines des pratiques conservatrices en
évoquant les croyances philosophiques et religieuses qui reconnaissent
une valeur sacrée à des paysages exceptionnels, ou aux animaux et
à la vie. [...] L'Union internationale pour la protection de la nature
est créée en 1948. Sa transformation 8 ans plus tard en UICN
entérine l'idée que la préservation de la nature doit
s'inscrire dans une perspective plus large d'utilisation sage de celle-ci et de
ses fruits pour le bénéfice des hommes. » (Barbault, 2002)
En 1971, L'UNESCO lance son programme de recherche appelé Man and
Biosphere (MaB)1 avec pour objectif d'accroître les
connaissances sur les relations entre l'homme et la nature. Quelques
années plus tard, << en 1974, un groupe de travail du programme
MaB lance l'idée de Réserve de biosphère.
L'originalité du concept, par rapport à la perception classique
des réserves et à la philosophie qui prévalait à
l'époque en matière de protection de la nature, est de prendre en
compte simultanément les objectifs de conservation et de
développement. Les réserves classiques sont définies par
rapport à la nature; les Réserves de biosphère partent
d'interrogations et de réflexions sur les relations entre les
sociétés humaines et leur environnement naturel. »
(Barbault, 2002)
La Stratégie mondiale de la conservation, dont une
première version fut publiée en 1980, deux ans avant la
conférence de Stockholm, est un événement important dans
la prise de conscience internationale. Publiée par l'UICN, le WWF et le
PNUE, cette stratégie adopte une vision globale de la dynamique de la
biodiversité dans ses relations aux sociétés. Elle indique
clairement que la conservation de la nature a pour finalité la
satisfaction des besoins humains et doit donc tenir compte des contraintes
économiques et sociales. Il s'agit d'une étape fondamentale de la
pensée conservationniste, jusque-là entendue surtout comme
destinée à mettre des morceaux de nature hors d'atteinte des
pressions anthropiques. La Stratégie mondiale donnait raison à
l'approche de l'UNESCO à partir du concept de << Réserve de
biosphère », qui considère que les humains font partie de
l'écosystème, qu'il s'agit de conserver (Weber, 2002).
Plus tard, en 1985, le biologiste Walter G. Rosen propose le
néologisme << Biodiversity » (contraction de
l'expression Biological Diversity apparentée au tropicaliste
Tomas Lovejoy, 1980) qui sera repris lors du << 1st National Forum on
Biological Diversity » en 1986. Le nouveau mot ainsi introduit sera
popularisé par l'entomologiste Edward O. Wilson qui, en 1988, en fait le
titre du compte rendu du forum de 1986. Ce dernier en donne la
définition suivante : << la totalité de toutes les
variations de tout le vivant ».
En 1988, l'Assemblée générale de l'UICN
adopte la définition suivante : << La diversité biologique,
ou biodiversité, est la variété et la variabilité
de tous les organismes vivants. Ceci inclut la variabilité
génétique à l'intérieur des espèces et de
leurs populations, la variabilité des espèces et de leurs formes
de vie, la diversité des complexes d'espèces associées et
de leurs interactions, et celle des processus écologiques qu'ils
influencent ou dont ils sont les acteurs, dite diversité
écosystémique (18e Assemblée Générale de
l'UICN, Costa Rica, 1988). » (Ministère
délégué à la recherche [F], 2005)
Depuis 1986, l'utilisation du terme et du concept a
coïncidé avec la prise de conscience de l'extinction
d'espèces qui frappe la planète depuis les dernières
décennies du XXème siècle (Ministère
délégué à la recherche [F], 2005). L'objectif
principal de ces textes fondateurs était de stigmatiser l'érosion
de la biodiversité biologique, de dénoncer les menaces qui
pèsent sur elle et de souligner l'impérieuse
nécessité d'inverser cette tendance (Blondel, 2003).
1 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 1.2.1. UNESCO
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández
(Chili)»
Ces plaidoyers ont joué un rôle important dans la
prise de conscience qui s'est faite lors de la Conférence des Nations
unies sur l'environnement et le développement à Rio de Janeiro au
Brésil du 3 au 14 juin 1992 (Sommet de la Terre de 1992). Cette
conférence (dans le sillage du 1er sommet de la Terre en 1972
à Stockholm) signe l'acte de naissance de la Convention sur la
biodiversité2. Avec ce traité, Rio a unifié,
mis en cohérence et renforcé des processus qui étaient
engagés depuis des décennies (voir les différentes
conventions de la 2e moitié du XXe siècle
et ayant pour objectif la protection de la faune et de la flore à
différentes échelles).
L'article 2 ("Emploi des termes") de cette convention
définit la diversité biologique comme la «
variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre
autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres
écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont
ils font partie ; cela comprend la diversité au sein de espèces
et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. »
(CDB, 1992)
L'événement que fut Rio fit faire au mot «
biodiversité » un saut épistémologique majeur
puisqu'il quitta définitivement la seule sphère des biologistes
pour envahir celle des sciences de l'homme et de la société. A
partir de cette date, et plus encore à la suite du sommet mondial de
Johannesburg sur le développement durable d'août 2002, la
biodiversité a quitté le seul champ de la biologie pour devenir
un concept associant résolument et explicitement le champ des sciences
de la nature et celui des sciences de l'homme et de la société
(Bondel, 2003).
Ce glissement sémantique fait que la
biodiversité ne se réduit plus à son sens littéral
(diversité du vivant) et invoque dès lors une approche
interdisciplinaire. Le concept de biodiversité devient alors porteur
d'une nouvelle manière de considérer les relations entre sciences
de la nature et sciences de l'homme et de la société.
En 1992, un nouveau saut est franchi avec la publication de la
Stratégie mondiale de la conservation par le World
Resources Institute, l'UICN et le PNUE. Ce texte majeur souligne une
nouvelle fois la nécessité de croiser les approches de
développement avec la sauvegarde des processus écologiques. Il
relance la dynamique post-Rio et contribuera à relancer le dispositif
mondial des Réserves de biosphère dans le cadre de la
Stratégie de Séville en 1995.
En avril 2002, lors de la sixième réunion de la
Conférence des Parties à la Convention sur la diversité
biologique, qui est administrée sous l'égide du PNUE, les
gouvernements se sont engagés « à assurer, d'ici 2010, une
forte réduction du rythme actuel de perte de diversité biologique
aux niveaux mondial, régional et national, à titre de
contribution à l'atténuation de la pauvreté et au profit
de toutes les formes de vie sur la planète ». Après les
avancées rhétoriques et superficielles qui prédominaient
depuis 1972, cet engagement marque un premier objectif délimité
dans le temps. Objectif certainement trop ambitieux et peut-être
volontairement naïf (adage de tout consensus international ?), à
l'aube de l'échéance fixée, force est de constater que les
enjeux restent sensiblement les mêmes.
Toujours en 2002, l'UNESCO, l'Union Internationale des
Sciences Biologiques et le SCOPE, lancent un grand programme international
baptisé Diversitas qui vient confirmer l'idée d'approche
scientifique intégrée de la biodiversité.
En 2005, est publié le rapport de l'Evaluation des
Ecosystèmes pour le Millénaire commandité en 2000 par
Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU. Les questions
soulevées par ce rapport vont fédérer les initiatives
internationales dans le domaine de la biodiversité. Ce rapport mettra en
évidence la responsabilité de l'homme dans la dégradation
de l'environnement et les services écologiques rendus par les
écosystèmes avec des résultats chiffrés et une
légitimité internationale. Pour être influent et
crédible, peut-être que ce type de dispositif devrait être
de nature intergouvernementale (de type GIEC) plutôt que non
gouvernementale. Ensuite, l'Évaluation du Millénaire, si
elle étudiait les impacts des transformations des
écosystèmes sur le bien-être des populations humaines, ne
portait pas spécifiquement sur la diversité biologique.
Au fil du temps, la biodiversité s'est construite, au
delà du concept d'origine, comme champ de recherche qui propose une
autre manière de regarder et d'aborder des champs traditionnels relevant
des sciences de la nature ou des sciences de l'homme.
2 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 1.2.2. Accords et
conventions internationales
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 3. La place de l'homme dans la
biodiversité
3.1. Nature des liens entre l'homme et la nature
Depuis le Sommet de la Terre, organisé en 1992 par
l'ONU à Rio de Janeiro, la biodiversité suscite un
intérêt croissant des scientifiques, des pouvoirs publics et de
l'opinion dans le monde entier. De plus en plus de personnes reconnaissent que
du gène à l'espèce et à l'écosystème,
la diversité de la vie sur Terre constitue un patrimoine naturel
irremplaçable et indispensable au bien-être des hommes et au
développement durable.
Cependant, la représentation de la nature actuellement
dominante dans les sociétés "occidentales" repose sur le dualisme
Société - Nature. Elle tire ses racines de l'histoire des
relations entre l'homme et la nature marquée par une croyance en la
domination de la nature. Historiquement, l'homme est perçu comme
séparé de la nature et capable de la maîtriser. Ce n'est
que récemment que les effets des processus humains sur la nature ont
été mis en évidence et resitués.
D'autre part, aujourd'hui, la biodiversité est un
concept souvent réduit au nombre d'espèces existant sur la
planète. Les considérations de la dépendance des
sociétés humaines vis-à-vis de cette diversité
biologique sont limitées alors qu'elle se retrouve pourtant dans une
multitude d'activités humaines (agriculture, élevage,
pêche, sylviculture, cueillette, pharmacie, cosmétiques,
alimentation et industrie agro-alimentaire, bois, fibres,...) depuis les temps
préhistoriques.
<< Comme toute espèce vivante et depuis notre
apparition sur Terre, nous dépendons de ce qui nous entoure de
manière plus ou moins évidente, donc plus ou moins consciente.
Nous sommes en effet en interaction permanente avec les milieux terrestres ou
aquatiques et la grande diversité d'animaux, de végétaux
et de micro-organismes qui les compose. De notre naissance à notre mort,
nous consommons de la biodiversité, nous rejetons des déchets qui
alimentent la biodiversité et nous abritons de la biodiversité.
En cela, l'espèce humaine est l'égale de n'importe quel
être vivant, de l'érable au termite. » (CNRS/sagascience -
dossier biodiversité)
Les fondements de la notion de biodiversité mettent en
évidence deux notions essentielles :
1) La biodiversité concerne l'ensemble du vivant, donc
l'homme en fait partie comme élément de l'ensemble au même
titre que les autres espèces.
2) La biodiversité c'est la dynamique des interactions
(y compris les interactions entre l'homme et son environnement). L'homme a donc
un impact sur la biodiversité tout comme la biodiversité a un
impact sur l'homme.
L'homme fait partie intégrante de la
biodiversité au même titre que les autres espèces. Si cette
affirmation peut sembler banale, elle abrite un nouveau paradigme qui allie
sciences naturelles et humaines.
Ce nouveau paradigme, intrinsèquement lié aux
concepts de biodiversité et de développement durable (nés
dans le même berceau) est en soi un nouvel enjeu scientifique
incarné par une forte volonté d'intégration. Il est
effectivement essentiel de dépasser le cadre moderne dominant et ne plus
considérer l'humain comme extérieur à la nature. Certains
courants proposent une alternative non dualiste et non utilitariste
(l'écologie « arcadienne » de Worster, l'anthropologie
écologique ou le communalisme de Pálsson). Les courants de
recherches sur la biodiversité devraient converger vers les mêmes
horizons (Hufty, 2006).
<< La perception de la place des humains dans la
<< nature » a évolué en profondeur. La division
classique entre "nature" et "culture" est remise en cause en de multiples
lieux. [...] La "nature", considérée comme extérieure aux
humains, vouée à l'exploitation et la mise en valeur, tend
à laisser place à une conception selon laquelle les humains font
partie intégrante des écosystèmes dans lesquels ils
vivent, et interagissent avec le reste du monde vivant comme avec les milieux
supports de cette vie. La << nature », autrefois dangereuse autant
que merveilleuse, et qu'il revenait aux humains d'ordonner, de socialiser, tend
à devenir << patrimoine », fragile, à protéger
contre ces mêmes
humains. [...] Il eut été difficile d'imaginer
il y a seulement une vingtaine d'années, que la modification du genre
Homo soit demandée pour y inclure les chimpanzés. Il eut
été tout aussi difficile d'admettre l'existence de quasi-rites
funéraires chez les éléphants ou de cultures locales chez
les grands singes... » (Weber et Latelin, 2004).
Ces consensus que sont le développement durable et la
biodiversité restent malheureusement trop rhétoriques et
superficiels. << Au cours des 30 dernières années, une
littérature abondante s'est penchée sur le développement
durable en tant que concept normatif (// biodiversité). Il n'en fut pas
de même pour la mise en route du processus de développement
durable, qui demande des décisions politiques et des aménagements
institutionnels précédés d'un vaste débat
sociétal sur les projets de civilisation, une planification
stratégique performante et la mobilisation des moyens financiers et
techniques... » (Sachs, 2002)
3.2. Les "services rendus par les
écosystèmes"
La notion de "services rendus par les
écosystèmes" ou "services écologiques" suppose une
évaluation écologique, économique, sociale et
éthique de la biodiversité. Cette notion, philosophiquement
discutable car empreinte d'anthropocentrisme (elle repose en effet sur la
dualité historique homme/nature et laisse entendre que la nature fournit
des services à l'homme alors qu'il s'agit par essence de sa
mécanique intrinsèque), permet de situer un deuxième
niveau d'association entre l'homme et son environnement.
Les "services rendus par les écosystèmes"
représentent l'ensemble des facteurs naturels qui créent les
conditions nécessaires à l'existence de l'humanité.
On distingue 4 catégories (selon la classification du
<< Millenium Ecosystems Assesment ») :
1) Les services d'approvisionnement
La nourriture, l'eau propre, le bois, les fibres (coton,
chanvre, soie), les ressources génétiques (produits
pharmaceutiques et biochimiques) et les ressources
énergétiques.
2) les services de régulation
La régulation du climat, de la qualité de l'air et
de l'eau, des maladies, des parasites.
3) Les services culturels (non
matériels)
Les services récréatifs (loisirs, tourisme,
relaxation), les valeurs spirituelles et religieuses ou encore les valeurs
esthétiques (créations artistiques,...).
4) Les services de soutien (indispensables aux
autres services)
Le cycle de l'eau, la photosynthèse, la production
d'oxygène, la formation et la protection des sols, le cycle des
éléments nutritifs, la pollinisation,...
<< La biodiversité influence les processus
clés liés aux écosystèmes, tels que la production
de matière vivante, les cycles des éléments nutritifs et
de l'eau, ainsi que la formation et la rétention des sols. Tous ces
processus régissent et assurent les services de soutien qui sont
nécessaires à tous les autres services fournis par les
écosystèmes. [...] Bien que des pertes de biodiversité
pourraient n'avoir, à court terme, que de faibles impacts sur un
écosystème, elles pourraient réduire sa capacité
à s'adapter à des environnements changeants dans le futur. »
(Greenfacts, 2006)
CHAPITRE II - La PERTE DE BIODIVERSITÉ 1.
Qu'est-ce que la perte de biodiversité ?
Du gène à l'écosystème, la
biodiversité est capitale pour l'humanité. Au niveau micro, la
variation génétique est cruciale car elle influence les
capacités d'adaptation. Plus une espèce est diversifiée
sur le plan génétique mieux elle pourra s'accommoder à des
changements survenant dans son environnement (et inversement). Au niveau macro,
la relation entre la biodiversité et le fonctionnement des
écosystèmes fait écho au niveau micro au travers de la
notion de résilience des écosystèmes, c'est-à-dire
la capacité d'un écosystème à retrouver un
état d'équilibre après une perturbation. La perte de
biodiversité, quant à elle, risque d'engendrer des perturbations
écologiques qui affecteront les différents mécanismes
liés aux écosystèmes.
Dans l'histoire évolutive de la Terre, les extinctions
comme les apparitions de nouvelles espèces sont des processus qui ont
toujours existé. Le processus d'évolution produit en permanence,
à l'échelle des temps géologiques, de nouvelles
espèces. Parallèlement, d'autres s'éteignent. L'extinction
est un phénomène normal de l'histoire des espèces.
Néanmoins, l'histoire de la Terre est marquée de vagues
d'extinctions massives. La particularité de ces extinctions est qu'elles
ont provoqué une baisse extraordinaire de la biodiversité non pas
de manière graduelle mais abrupte sur de courtes périodes de
temps. Les tendances des extinctions observées actuellement montrent des
signes d'intensification inquiétants. Selon la liste rouge 2008 de
l'UICN, actuellement 16.928 sur 44.838 (soit 38% des espèces) sont
menacées d'extinction. Parmi ces dernières, 3 246 se trouvent
dans la catégorie la plus menacée, << en danger critique
d'extinction », 4 770 sont << en danger» et 8 912 <<
vulnérables » à l'extinction.
Ainsi, près de 12 % de toutes les espèces
d'oiseaux, 23 % des mammifères, 25 % des conifères, 32 % des
amphibiens et 52 % des cycadales sont actuellement menacés de
disparition (Baillie, Hilton-Taylor et Stuart, 2003). A lui seul, le climat
pourrait causer une augmentation supplémentaire de 15 à 37 % des
chiffres de l'extinction prématurée des espèces existantes
au cours des 50 prochaines années (Levrel, 2007).
Figure 02. L'indice planète vivante
Source: Greenfacts, 2005. 2. Les facteurs de perte de
biodiversité
<< Un facteur de changement désigne tout facteur,
naturel ou induit par l'homme, qui entraîne un changement dans la
biodiversité, directement ou indirectement. Les facteurs de changement
directs qui influencent de manière non équivoque les processus
des écosystèmes comprennent les changements dans l'affectation
des sols, le changement climatique, les espèces envahissantes, la
surexploitation et la pollution. Les facteurs de changement indirects, comme
les changements dans la démographie humaine, les revenus ou le mode de
vie, agissent de façon plus diffuse en modifiant un ou plusieurs
facteurs de changement directs. Les changements dans la biodiversité
sont déterminés par des combinaisons de facteurs de changement
qui opèrent avec le temps, à différentes échelles,
et qui ont tendance à s'amplifier les uns les autres. Par exemple, la
croissance de la population et des revenus conjuguée à certaines
avancées technologiques peut conduire au changement climatique. »
(Greenfacts, 2006)
2.1. Disparitions naturelles
Les <<extinctions de fond)) correspondent aux
disparitions d'espèces liées aux modifications des
écosystèmes. Ces extinctions adviennent peu fréquemment et
relèvent de la "normalité" du monde naturel. Des espèces
disparaissent quand elles ne sont plus capables de survivre dans des conditions
changeantes ou face à une concurrence qu'elles ne peuvent affronter.
Typiquement, une espèce s'éteint en 5 à 10 millions
d'années (hors période de crise biogéologique) (Ricklefs
et Miller, 2003).
Dans un écosystème insulaire, une espèce
colonisatrice va s'installer en plusieurs étapes de
différenciation, d'adaptation et de spécialisation
(jusqu'à l'endémisme parfois). A chaque étape de cette
installation, l'espèce devient plus vulnérable aux changements de
son habitat et à la concurrence de nouvelles espèces
colonisatrices.
Dans ce contexte, deux facteurs généraux peuvent
provoquer une extinction: l'apparition de nouvelles espèces
colonisatrices compétitives ou prédatrices et les transformations
dans les conditions environnementales (<< toutes les espèces
vivant dans une certaine gamme de conditions environnementales telles que la
température, la concentration en oxygène, la lumière, etc.
)) (Ricklefs et Miller, 2003)).
2.2. Disparitions liées au forçage anthropique
(la place de l'homme dans la perte de biodiversité)
L'extinction anthropique s'apparente aux grandes crises
d'extinction si l'on considère sa dimension globale, le nombre
d'unités taxinomiques touchées et sa nature catastrophique. Elle
s'en distingue précisément parce que ses origines dérivent
des activités construites et organisées par l'homme et de leur
développement (Ricklefs et Miller, 2003).
Hors, << Au cours des soixante-cinq derniers millions
d'années, le taux d'extinction moyen a tourné autour d'une
extinction par an pour un million d'espèce. Aujourd'hui, ce taux serait
entre "50 et 560 fois supérieur au taux d'extinction attendu pour une
biodiversité stable" (Teyssèdre, 2004) mais beaucoup affirment
que ce taux serait en fait 100 fois plus important et qu'il continue
d'augmenter. Tout cela va dans le sens de l'hypothèse d'une
sixième grande crise d'extinction. La Terre a en effet connu plusieurs
grandes crises d'extinction dont la dernière est liée à
l'apparition d'Homo sapiens sapiens et son extraordinaire expansion. ))
(Levrel, 2007)
L'épisode d'extinction actuel présente des
différences à la fois quantitatives et qualitatives en
comparaison aux épisodes antérieurs. Aujourd'hui, la majeure
partie des extinctions est attribuable à des causes humaines et les
estimations et projections du taux d'extinction pour divers groupes
d'organismes donnent des valeurs supérieures à leur
équivalent dans les registres fossiles (TorresMura, Castro et Oliva,
2008).
Alors que les extinctions massives antérieures ont
été causées par des processus liés à la
Terre et à l'espace, (volcanisme, impact de
météorites,...), la cause principale de l'extinction actuelle est
liée aux activités humaines.
Historiquement, ce sont les changements dans l'habitat et
l'affectation des sols qui ont eu le plus gros impact sur la
biodiversité dans tous les écosystèmes (et en particulier
dans les forêts tropicales, les zones humides et les zones
côtières) mais l'introduction d'espèces envahissantes, la
surexploitation des ressources biologiques, notamment par la pêche
intensive, ainsi que la pollution et les signes désormais manifestes de
changement climatique sont autant de menaces permanentes pour la
biodiversité, liées aux activités humaines. En outre, ces
différents facteurs interagissent. Ainsi, par exemple, la destruction
des habitats, ou encore la surexploitation d'espèces situées en
bout de chaîne trophique, peut favoriser l'installation d'espèces
exogènes envahissantes. Le plus souvent, une espèce ne
disparaît pas à cause d'une seule menace mais suite à la
combinaison de plusieurs d'entre elles. Comme pour la plupart des
mécanismes écologiques, l'érosion de la
biodiversité met en évidence que les relations de cause à
effet ne sont pas linéaires mais systémiques.
Ces interrelations entre les causes anthropiques
ajoutées aux causes naturelles entraînent des variations dans la
composition en espèces et la diversité biologique à
différentes échelles, une petite variation pouvant influencer les
processus biotiques et abiotiques jusqu'à perturber le fonctionnement
d'un écosystème et les processus écosystémiques.
Figure 03. Les 3 grands facteurs de perte de
biodiversité (en orange) et leurs relations (en vert les variables
environnementales et en bleu les variables anthropiques) :
Source : Vanhulst, 2009 d'après MEA, 2005, Fig. 5 et
Barbault, 2002, Fig. 3.
Ce diagramme intègre deux schémas issus de la
littérature scientifique qui conçoivent le problème de la
perte de biodiversité d'un point de vue macrosystémique. Il met
en évidence les 3 grands facteurs de perte de biodiversité et
leurs conséquences sur les processus écosystémiques et
à long terme sur les "services écologiques". Il rassemble aussi
dans un grand ensemble les facteurs indirects qui influencent les autres
variables (gouvernances, valeurs sociales, science et technologie,
éthique et mode de vie). Ces variables indirectes sont susceptibles
d'influencer positivement ou négativement la biodiversité selon
les choix et les alternatives envisagées. Si les causes actuelles de
perte de biodiversité sont à rechercher dans les activités
humaines au sens large, les réponses s'y trouvent aussi.
D'après le Millenium Ecosystem Assesment, les
exceptions aux régimes d'extinctions « sont presque toujours dues
à des interventions humaines, comme la protection dans des
réserves ou au fait que certaines espèces ont tendance à
prospérer dans les paysages dominés par l'homme. »
(Greenfacts, 2006)
Etant donné le constat relatif aux facteurs de perte de
biodiversité, le rôle de l'homme dans la dynamique de la
biodiversité est aussi de tendre vers l'inversion de la tendance
actuelle en modifiant ses activités dans un sens plus durable. Si les
disparitions naturelles sont inévitables, les conséquences des
actions humaines sont potentiellement corrigibles ou modifiables. «
Beaucoup de mesures prises pour conserver la biodiversité et promouvoir
son utilisation durable sont parvenues à limiter la perte de
biodiversité. Les rythmes de perte de biodiversité sont
aujourd'hui plus bas qu'ils n'auraient été en l'absence de telles
mesures. Il y aurait moins de biodiversité sur Terre aujourd'hui si
certaines communautés, ONG, gouvernements et, de plus en plus, certains
milieux d'affaires et industriels n'avaient pas pris de mesures pour conserver
la biodiversité, atténuer son déclin et encourager son
utilisation durable. Pour atteindre des résultats plus
conséquents en matière de conservation, il sera nécessaire
(mais pas suffisant) de renforcer une série de mesures se
concentrant prioritairement sur la conservation et
l'utilisation durable de la biodiversité et des services fournis par les
écosystèmes » (Greenfacts, 2006). Seulement, si les
réactions d'une société face à ses problèmes
(environnementaux entre autres) dépendent de ses institutions
politiques, économiques et sociales ainsi que de ses valeurs
culturelles, actuellement, ces institutions et les valeurs contemporaines (dans
les sociétés « occidentales ») restent majoritairement
marquées par le dualisme Homme - Nature.
3. Enjeux écologiques, sociopolitiques et
économiques
Les métamorphoses du sens de la diversité
biologique autour du concept de « Biodiversité » ont
entraîné la définition d'enjeux écologiques,
économiques et sociopolitiques globaux. Bien entendu, ces enjeux doivent
être déclinés localement selon les réalités
régionales spécifiques. Cependant, l'objectif majeur que
sous-tend le concept de biodiversité est la réalisation d'un
développement durable en conciliant la préservation de la
diversité des espèces et des écosystèmes et le
développement des populations concernées.
Les changements et la perte de biodiversité engendrent
des impacts significatifs sur les processus écosystémiques
à l'échelle globale (mondiale) et locale. Il est donc
impératif de conserver la biodiversité. En effet, les
espèces, leurs génomes, les écosystèmes,..., bref,
la biosphère représente des "ressources" inestimables
réelles ou potentielles pour l'humanité (comme aliments, sources
de produits médicaux et de contrôle biologique, de travail, de
commerce, de régulation mais aussi d'équilibre des
écosystèmes). Il faut aussi considérer les valeurs
culturelles, religieuses et sociales que la biodiversité renferme.
3.1. Enjeux écologiques
> Equilibre des écosystèmes :
La biodiversité est complexe par nature et diverse par
définition. Elle englobe différents niveaux d'organisation
biologique (gène, espèce, écosystème) et ne peut
être évaluée par le biais d'indicateurs universels simples
(Loreau, 2006). Succinctement, la biodiversité évoque la
diversité du vivant et les interactions entre les éléments
biotiques et abiotiques qui assurent l'équilibre des
écosystèmes. Globalement, la biodiversité permet
d'augmenter la capacité de résilience des
écosystèmes. Ainsi, l'érosion de la biodiversité
peut réduire la capacité des écosystèmes tant
naturels que gérés par l'homme, à s'adapter aux
changements globaux.
> Maintient des "services de soutien et de
régulation"3 3.2. Enjeux sociopolitiques et socioculturels
La biodiversité est intrinsèquement liée au
bien-être de l'homme et possède une valeur éthique,
esthétique, culturelle et scientifique.
> Recherche scientifique :
La biodiversité est l'essence de la vie actuelle et la
garantie des potentialités futures si les moyens d'exercer cette
potentialité restent intacts (Blondel, 2003). Elle est liée
à la biologie et se construit à présent en tant que champ
de recherche spécifique multidimensionnel.4
Par ailleurs, « Les îles océaniques font
partie des laboratoires naturels les plus fascinants pour étudier les
processus de l'évolution. [...] Les divergences évolutives dans
une zone géographiquement limitée offrent des possibilités
uniques pour l'étude des phénomènes évolutifs.
» (Stuessy, Sanders et Silva, 1984) Historiquement, la flore et la faune
des écosystèmes insulaires ont joué un rôle central
dans le développement de la théorie de
l'évolution5 et de l'écologie.
3 Voir Partie 1 - Chapitre I - point 3.2. Les "services rendus
par les écosystèmes"
4 Voir Partie 1 - Chapitre I - point 2. Origine et
développement du concept de "biodiversité"
5 Dont l'origine des espèces de Charles Darwin
constitue une pièce maîtresse.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
> Sécurité alimentaire
<< La présence de biodiversité
représente souvent un "filet de sécurité" qui renforce la
sécurité alimentaire et l'adaptabilité de certaines
communautés locales à des perturbations économiques et
écologiques extérieures. Les pratiques agricoles qui maintiennent
et utilisent la biodiversité locale peuvent également
améliorer la sécurité alimentaire. » (Greenfacts,
2006)
> Santé
<< Un régime équilibré
dépend de la disponibilité d'un large éventail d'aliments,
laquelle dépend ellemême de la conservation de la
biodiversité. En outre, une plus grande diversité au sein de la
faune et de la flore peut réduire la propagation vers l'homme de
nombreux agents pathogènes sauvages. » (Greenfacts, 2006)
>Cohésion sociale
<< De nombreuses cultures accordent une valeur
spirituelle, esthétique, récréative et religieuse aux
écosystèmes ou à leurs composantes. La disparition de ces
composantes ou les dommages qui leur sont causés peuvent nuire aux
relations sociales, à la fois en réduisant la valeur de la
cohésion sociale qui réside dans le partage d'une
expérience commune, et en générant du ressentiment envers
des groupes qui tirent profit de ces dommages. » (Greenfacts, 2006)
> Valeur émotionnelle
La valeur émotionnelle est souvent minimisée,
pourtant la nature apporte aux individus une certaine détente, une
sérénité et est aussi source d'inspiration artistique.
> Ethique
<< La vision anthropocentrée occidentale place
souvent en premier (sic.) les services rendus par la
biodiversité aux hommes. Cependant, il ne faut pas négliger la
valeur intrinsèque de la nature dont chaque élément
(gènes, espèces, écosystèmes) est le
résultat et l'aboutissement d'une évolution biologique qui
s'étend sur des milliers d'années. » (Calame, 2008) La perte
de biodiversité est importante en tant que telle parce que la
biodiversité présente une valeur spirituelle, esthétique,
récréative mais aussi parce qu'elle a des fonctions culturelles;
parce que de nombreuses personnes attribuent à la biodiversité
une valeur intrinsèque; et parce que la biodiversité
recèle des potentialités inexplorées qui pourraient
être utiles à l'avenir (cf. le devoir moral de préservation
de toute forme de vie et de transmission à nos enfants de
l'héritage de nos parents) (Greenfacts, 2006).
L'enjeu éthique fait aussi référence au
droit à la vie des espèces, enjeu rappelé par toutes les
religions, celles du Livre mais aussi les religions et philosophies
traditionnelles.
3.3. Enjeux économiques
L'enjeu économique est souligné par l'usage de
plus en plus courant du terme "ressource" pour désigner les
éléments composant la biodiversité. Ainsi, la
biodiversité procure un certain nombre de ressources qui interviennent
dans la production de biens, sous forme de nourriture, de nouveaux
médicaments, de gènes, etc. Elle est à ce titre
génératrice de valeurs d'usage économique.
> Sécurité énergétique
<< Le bois de chauffage fournit plus de la moitié
de l'énergie utilisée dans les pays en développement. Les
pénuries de bois de chauffage surviennent dans les régions
à forte densité de population qui n'ont pas accès à
des sources d'énergie alternatives. Dans ces régions, les
populations sont vulnérables à la maladie et à la
malnutrition en raison du manque de moyens pour chauffer les foyers, cuisiner
et faire bouillir l'eau. » (Greenfacts, 2006)
> Matières premières
La biodiversité offre des ressources biologiques et
génétiques dont dépendent directement les hommes quel que
soit le type de société auquel ils appartiennent. En plus de
l'agriculture, la biodiversité contribue à une série
d'autres secteurs dont les secteurs pharmaceutique, cosmétique et de la
pêche. Les pertes de biodiversité peuvent, quant à elles,
engendrer des coûts conséquents aux niveaux local et national.
> Ecotourisme
Ayant pour objectif principal de découvrir la nature tout
en respectant les écosystèmes, l'écotourisme est
directement lié à la biodiversité.
4. Considération finale sur la
biodiversité
Aujourd'hui, il existe un consensus au niveau scientifique
(« et politique ))) sur le fait que la biodiversité de la
planète Terre se trouve globalement en situation de crise. Comme nous
l'avons vu, la biodiversité est une des dimensions essentielles de
l'existence de l'humanité et du fonctionnement des
écosystèmes en général. Au delà de ses
qualités intrinsèques et de sa fonction naturelle (valeur
écologique), elle offre à la société des «
biens et services)) (en ce sens, elle a une valeur économique) mais elle
a aussi une valeur culturelle et récréative (valeur sociale).
Ces quelques constatations fondent le défi actuel de
préservation de la biodiversité au travers de politiques
participatives qui permettent sa stabilité et son utilisation dans un
équilibre sain et durable.
CHAPITRE III - SPÉCIFICITÉS INSULAIRES 1.
Les écosystèmes insulaires : définition
Une lle est une « étendue de terre ferme
émergée d'une manière durable dans les eaux d'un
océan, d'une mer, d'un lac ou d'un cours d'eau. On réserve,
généralement, le nom d'île aux territoires
subissant l'influence du climat maritime sur toute leur étendue. )) (Le
grand Robert, Cejer, 2005)
On distingue trois types d'lles en fonction de leur origine :
1) Les lles continentales
Les lles continentales sont une des expressions en surface de
la dérive des continents. Elles sont formées par l'isolement d'un
fragment de terre continentale sur un intervalle de temps d'ordre
géologique. Madagascar par exemple apparalt comme un fragment
isolé de l'ancien continent de Gondwana, séparé de
l'Afrique au cours du crétacé inférieur,
c'est-à-dire au début de l'ère secondaire.
2) Les lles océaniques
Les lles océaniques sont des terres qui n'ont jamais
été en continuité avec une masse continentale.
Il y a deux types d'lles océaniques :
a. Les lles volcaniques
Les lles volcaniques sont le résultat d'une accumulation
de lave d'un ou plusieurs volcans qui émerge.
Trois causes de formation des lles volcaniques :
- Subduction d'une plaque tectonique par une autre (lles
Mariannes, lles Tongas,...) - Emersion d'un rift océanique
(Islande,...)
- Formation au niveau des points chauds volcaniques. Le
mouvement des plaques tectoniques au niveau d'un point chaud produit une ligne
orographique orientée dans la direction du mouvement de la plaque.
Certaines émergent à la surface, d'autres sont sous marines (les
lles d'Hawaii, Madère, l'archipel Juan Fernández,...)
b. Les lles coralliennes.
« Les lles coralliennes ou madréporiques sont
essentiellement constituées par les dépôts calcaires
agglomérés les uns avec les autres, aussi appelés
coraux, et qui sont le débris de squelettes d'organismes
vivants de la classe des Cnidaires. Les constructions coralliennes
s'élèvent graduellement du fond de l'eau et, au cours des
siècles, atteignent la surface.)) (
www.cosmovisions.com)
3) Les lles fluviales
Les lles fluviales se forment dans les deltas des fleuves et
dans les larges cours d'eau par dépôt de sédiments à
des endroits où le courant est plus faible. Certaines sont
éphémères (selon le volume et le débit du cours
d'eau), d'autres sont stables.
2. Le syndrome d'insularité
Les effets de l'isolement ne se limitent pas aux lles (ils se
retrouvent, à des degrés divers, dans les milieux isolés
sur les continents). Ils sont cependant caractéristiques des
systèmes insulaires et entralnent chez les populations et
communautés animales et végétales de nombreuses
évolutions biologiques connues sous le nom de "syndrome
d'insularité".
« Le syndrome d'insularité résulte de
divers ajustements écologiques, de l'isolement et des stratégies
adaptatives qui en découlent. Sur les lles, les peuplements, les
espèces et les populations présentent différentes
caractéristiques ou manifestations du syndrome d'insularité qui
sont propres à leur situation insulaire et qui les distinguent de
peuplements, espèces et populations similaires sur le continent. »
(Defrêne, 2003) .
Le syndrome d'insularité regroupe un ensemble de
modifications d'ordres morphologiques (tendance à l'uniformisation des
tailles des différentes espèces occupant une lle),
écologiques et éthologiques.
2.1. Richesse spécifique
« A surface égale, il y a toujours moins
d'espèces sur une lle que sur le continent. Les taxocénoses
insulaires se caractérisent par ailleurs par un élagage
d'espèces prédatrices et super-prédatrices, qui ne peuvent
coexister sur des espaces de surface restreinte. Par ailleurs, c'est sur les
lles qu'on observe une plus grande proportion d'espèces
endémiques, avec de grandes proportions sur les lles isolées de
grande taille. » (Defrêne, 2003)
Le terme « endémie » vient du grec
Endêmon qui signifie « indigène ». Ce terme est
utilisé en biologie pour signifier le caractère d'une
espèce (ou autre taxon) particulière à un zone
géographique déterminée (qui peut varier d'une
échelle micro-localisée à l'échelle d'un pays ou
d'un continent). L'endémisme est donc toujours relatif à une
délimitation territoriale.
On distingue classiquement deux types d'endémisme :
1) Le néo-endémisme qui est lié au
processus de spéciation. Les réponses et l'adaptation à
l'environnement conditionnent l'apparition de nouvelles espèces par
divergence progressive des caractéristiques génétiques
et/ou morphologiques.
2) Le paléo-endémisme qui est lié
à la disparition des espèces. Une espèce peut devenir
endémique d'une zone géographique spécifique lorsque son
aire géographique originelle s'y trouve réduite. Les
endémiques « reliques » appartiennent à de très
anciennes lignées disparues ailleurs par réduction de leur aire
géographique primitive, comme Juania Australis ou Lactoris
Fernándeziana sur l'lle Robinson Crusoe (Fellmann, 2004).
Le taux d'endémisme est un des indicateurs de la
biodiversité. Les lles sont des territoires à haut taux
d'endémisme et sont reconnues comme des « hauts lieux » de la
biodiversité du globe. A titre d'indication, sur l'archipel Juan
Fernández, le calcul du taux d'endémisme floristique le plus
récent donne un résultat de 64.30% (ratio espèces
natives/espèces endémiques) (Danton et Perrier, 2006). Gardons
à l'esprit qu'un indicateur dépend fortement du mode et de la
date du calcul effectué pour l'obtenir6. Les échelles
sont donc relatives et difficiles à comparer entre études.
Cependant, elles permettent de mettre en évidence l'intérêt
biologique de divers endroits, dont les lles.
6 Il existe différents modes de calcul du taux
d'endémisme desquels se dégagent deux tendances avec chacune des
avantages et des inconvénients (Christophe Perrier commentaire
personnel):
- Ratio taxons natifs / taxons endémiques
Cet indice donne une idée de l'importance de
l'endémisme végétal et animal, c'est-à-dire de
l'isolement biologique, qui caractérise un lieu donné. La
difficulté réside dans la définition et la distinction des
taxons natifs.
- Ratio espèces endémiques / surface totale
considérée
Ce rapport permet des comparaisons entre différents
lieux mais sa nature efface la réalité qualitative des
territoires concernés. Concernant Juan Fernández, sa faible
superficie terrestre (environ 100km2) en fait un des lieux au plus
haut taux d'endémisme par unité de surface au niveau
planétaire.
Sur les îles, le nombre d'espèces relativement
plus pauvres que sur les continents cache donc une richesse spécifique
incomparable. Sur Juan Fernández par exemple, aucune espèce
d'amphibiens, de reptiles ou encore de mammifères terrestres
n'était présente avant l'arrivée de l'homme. De plus, il
n'y existe que 16 espèces d'oiseaux et un peu plus de 200 espèces
de plantes vasculaires indigènes. Mais parmi ces espèces, 4
espèces d'oiseaux sont endémiques de l'île Robinson Crusoe,
deux espèces sont endémiques de l'île Alejandro Selkirk.
Parmi les 213 espèces végétales indigènes, 137 sont
endémiques. Sur les 687 espèces d'insectes recensées en
1952, 54 genres et 440 espèces sont endémiques de l'archipel. Au
niveau marin, il existe un crustacé endémique de l'archipel et de
l'archipel des Desventuradas et divers poissons marins
endémiques.7
2.2. Amplitude écologique
Lorsqu'on compare les mêmes espèces, les
populations insulaires ont généralement une plus grande amplitude
écologique que les populations continentales. Cela signifie que les
espèces occupent une plus large gamme d'habitats sur les îles que
sur le continent. On peut en conclure que les populations continentales sont
soumises à beaucoup plus de contraintes que les populations insulaires.
Ces contraintes, liées à un plus grand nombre d'interactions
biologiques (prédation, compétition, ...), font que ces
espèces n'exploitent qu'une partie de leur niche écologique
potentielle (Defrêne, 2003).
2.3. Densité
Les densités des populations sont plus fortes sur les
îles que sur des zones semblables sur le continent. 2.4.
Sédentarité
Les espèces inféodées aux îles
montrent une tendance à la sédentarité même si
« la perte du pouvoir de dispersion n'est pas une caractéristique
du système insulaire (Whittaker, 1998). » (Defrêne, 2003)
Chez les oiseaux par exemple, cette tendance peut aller jusqu'à la
disparition des fonctions de vol. Ces réponses évolutives,
conséquences de l'isolement, s'accompagnent généralement
d'une plus grande vulnérabilité des espèces insulaires.
3. Fragilité
Les écosystèmes insulaires sont
particulièrement vulnérables aux perturbations, notamment
anthropiques (altération des habitats, introduction d'espèces
exogènes, surexploitation,...). Cette fragilité est
principalement due aux conditions d'installation dans ces zones
géographiques spécifiques et à leurs conséquences,
dont entre autres le syndrome d'insularité.
Tout d'abord, les populations animales ou
végétales insulaires proviennent d'espèces colonisatrices
dont seul un nombre restreint d'individus (ne possédant qu'une petite
partie de la variété génétique de l'espèce
d'origine) s'est installé dans ce nouvel espace. Cette faible variation
génétique induit une plus grande vulnérabilité aux
changements dans l'environnement.
Ensuite, parmi les conséquences du syndrome
d'insularité, certaines espèces ayant évolué en
l'absence de pressions de sélection exercée par les
prédateurs, les grands herbivores, les maladies ou les perturbations
(les incendies par exemple), n'ont pas développé de
système de défense. Beaucoup de plantes insulaires n'ont pas
développé ou gardé de composés chimiques qui les
rendent non comestibles car elles n'ont jamais été soumises aux
herbivores, ou en l'absence de prédateurs beaucoup d'oiseaux ont perdu
la capacité de voler ou construisent des nids d'accès facile. En
outre, formant des populations fermées et normalement petites, de
nombreuses espèces insulaires ont une faible diversité
génétique ce qui les rend particulièrement
vulnérables aux pathogènes exotiques.
On remarque par exemple que les plantes insulaires sont
dépourvues de défenses chimiques ou physiques contre les
herbivores (Rhaphithamnus venustus est ainsi dépourvue
d'épines par exemple) (Fellmann, 2004).
7 Voir Partie 2 - Chapitre II - Point 2. La biodiversité
sur l'archipel Juan Fernández
Les listes rouges de L'UICN montrent que la majorité
des espèces menacées d'extinction sont situées dans les
zones insulaires. D'autre part, « si les îles représentent
«seulement 3% des terres émergées, elles accueillent 20% des
espèces d'oiseaux, des reptiles et des plantes. Les taux d'extinction
sont aussi comparativement plus importants sur les îles: 95% des
extinctions d'espèces d'oiseaux, 90% des extinctions des reptiles, 69%
des extinctions des mammifères et 68% des extinctions de plantes ont eu
lieu sur les îles, dont la plupart sont attribuables à des
espèces invasives. » (
www.islandconservation.org)
4. Les facteurs de perte de biodiversité dans les
écosystèmes insulaires
La majorité des extinctions actuelles se concentrent
dans les écosystèmes insulaires. Cette situation s'explique par
le fait que ces écosystèmes, comme nous l'avons vu, sont
particulièrement vulnérables. Les principaux facteurs
d'extinction dans les écosystèmes insulaires sont les mêmes
grands facteurs qui existent à une échelle plus globale.
Seulement, ils interviennent différemment et leurs conséquences
sont plus importantes sur ces milieux.
4.1. Disparitions naturelles
Les phénomènes de volcanisme, de subsidence,
l'érosion et la variation du niveau de la mer affectent
inévitablement les biotopes insulaires, le relief et la surface des
îles. Sur Robinson Crusoe, la perte de superficie émergée
résulte principalement de la subsidence de l'île résultant
de la subduction de la plaque de Nazca sous la plaque
sud-américaine.8 Ainsi, L'île Robinson Crusoe aurait
perdu, au cours des 3-4 derniers millions d'années 95% de sa surface
originale qui culminait à 3000 m d'altitude selon les relevés
bathymétriques (Stuessy etal., 1998).
4.2. Disparitions liées au forçage
anthropique 4.2.1 Perturbation des habitats
Pour les espèces insulaires, la seule disparition de
leur habitat entraîne immédiatement leur extinction car elles sont
confrontées (de par la nature géographique de
l'écosystème) à une grande restriction à la
dispersion. L'altération de l'habitat dans ce type
d'écosystème représente un grand facteur dans la
réduction de l'abondance des espèces.
Exemples : déboisement, reboisement, incendies,
infrastructures, etc.
4.2.2. Introduction d'espèces envahissantes
Les espèces insulaires ont évolué en
coexistence avec un nombre d'espèces réduit, ce qui implique
qu'une introduction d'espèce exogène dans ces systèmes
(par exemple un prédateur ou un compétiteur), peut amener
l'extinction d'espèces inaccoutumées à cette pression
externe.
Le terme espèce exotique, exogène, allochtone ou
étrangère désigne une espèce, sous-espèce ou
taxon inférieur apparaissant hors de son aire de répartition
naturelle (passée ou actuelle), soit hors de l'aire géographique
qu'elle occupe naturellement (ou qu'elle ne pouvait pas occuper sans
introduction volontaire ou involontaire par les êtres humains). Les
espèces exotiques envahissantes ou invasives sont des espèces
exotiques (allochtone, non indigène) dont l'introduction, l'implantation
et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les
espèces indigènes avec des conséquences écologiques
négatives (UICN/SSC).
Exemples : de nouveaux prédateurs (herbivores,
carnivores), de nouveaux compétiteurs, des plantes adventices
potentiellement invasives, etc.
8 Voir Partie 2 - Chapitre I - point 1.1. Géographie,
géologie et géomorphologie
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili) »
4.2.3. Surexploitation
La surexploitation agit de la même façon qu'au
niveau global.9
Exemples : surexploitation du bois (qui a causé la
disparition du Santal sur l'archipel Juan Fernández), surexploitation
des espèces, surexploitation de l'espace, etc.
4.2.4. Combinaison de facteurs
Comme souligné au niveau global, les extinctions sont
généralement le résultat d'une combinaison de facteurs.
Les changements d'affectation des sols (comme le déboisement par
exemple) peuvent favoriser l'installation d'espèces exogènes
(moins sensibles aux sols érodés par exemple). Une espèce
exogène peut en favoriser une autre, etc....
4.2.5. Danger surdimensionné dans un contexte
insulaire
Si les facteurs de perte de biodiversité sont
relativement similaires à différents niveaux, les
conséquences sont comparativement plus importantes dans les
écosystèmes insulaires naturellement plus fragiles aux impacts
exogènes.
Ces différents éléments peuvent
être appliqués à un cas particulier. Le cas de l'archipel
Juan Fernández, en tant qu'écosystème insulaire, est
particulièrement intéressant et archétypique des
différentes mailles du problème environnemental qu'est la perte
de biodiversité exposées dans cette première partie. Le
sujet de l'archipel Juan Fernández est intéressant non seulement
comme écosystème mais aussi parce qu'il accueille une population
humaine qui développe ses activités dans ce milieu
spécifique. A ce titre, les analyses micro qui peuvent être faites
au niveau local de l'archipel peuvent être considérées
comme illustratives de niveaux plus macro. En fin de compte, le globe terrestre
dans son ensemble n'est pas si différent d'une petite île
volcanique au milieu d'un océan.
9 Voir Partie 1 - Chapitre II - point 2.2. Disparitions
liées au forçage anthropique
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili) » Figure 04 : Archipel Juan
Fernández
Source: H. Correa Cepeda (Director del jardín
botánico nacional), 2009. Figure 05 : Baie Cumberland et
village San Juan Bautista
Source : O. Chavez (
www.panoramio.com),
2008.
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
DEUXIÉME PARTIE : CAS DE L'ARCHIPEL JUAN
FERNÁNDEZ
CHAPITRE I - PERSPECTIVE HISTORIQUE 1. Naissance des
îles
1.1. Géographie, géologie et
géomorphologie10
L'archipel Juan Fernández se situe dans l'océan
pacifique à 33°40's, 79°00'o dans la Ve
région du Chili. Il est composé de trois îles majeures :
Robinson Crusoe (33°37's, 78°53'o, 47km2), Santa Clara
(33°42's, 79°01'o, îlot satellite de l'île Robinson
Crusoe de 2,5 km2) et Alejandro Selkirk (33° 45's,
80°45'o, 45 km2) et se trouve à une distance de 667 km
du continent (IREN, CORFO, 1982). A proximité des îles Robinson
Crusoe et Santa Clara, il existe une multitude d'îlots
périphériques dont certains d'une dimension relativement
importante (îlots Juanango, Verdugo, Vinillo et Los Chamelos). La
formation de ces îles date du Pliocène et du
Pléistocène. L'île Robinson Crusoe et l'île Santa
Clara sont âgées de 3,8 à 4,2 millions d'années.
L'île Alejandro Selkirk, quant à elle, est âgée de
0,85 à 2,4 millions d'années (IREN, CORFO, 1982 et Hallé,
Danton et Perrier, 2007).
Les relevés bathymétriques montrent que ces
îles sont en réalité la partie émergée d'une
chaîne de montagnes océaniques. Elles font partie de la dorsale de
Juan Fernández, liée à la plaque de Nazca, qui
s'étend d'ouest en est sur environ 900 km (Hooft, Kleinrock et Ruppel,
1995 ; Moreno et Gibbons, 2007 ; Hallé, Danton et Perrier, 2007). Les
mouvements lithosphériques de la plaque de Nazca (qui crée une
zone de subduction avec la plaque Sud américaine) et la présence
d'un point-chaud11 au milieu de l'océan Pacifique ont
généré une chaîne de montagnes volcaniques
principalement sous-marine. La vitesse de mouvement de la plaque de Nazca (8,8
cm/an) correspond bien à la distance qui sépare l'île
Robinson Crusoe et l'île Alejandro Selkirk et à leurs âges
respectifs (150 km/1,7 × 106) (Stuessy, Sanders et Silva,
1984).
Figure 06 : Carte des principales plaques
tectoniques
Source :
www.johomaps.net, 2009
10 Voir annexe 01, 02 et 03.
11 Le volcanisme de point chaud est un volcanisme intraplaque,
que l'on retrouve principalement, mais pas exclusivement, sur la
lithosphère océanique. La chaleur se concentre à certains
endroits dans le manteau, ce qui liquéfie une partie de la croûte
terrestre. Le matériel chauffé étant moins dense que son
environnement, il a tendance à monter pour former un volcan de point
chaud. Ces points chauds peuvent demeurer stationnaires pendant des millions
d'années. Si leur intensité varie et que la croûte se
déplace au-dessus d'eux, des chapelets d'îles peuvent être
créés. Dans le Pacifique, les îles d'Hawaï sont un
exemple de phénomène de point chaud. (notes de Cours de `Science
de la Terre' de Me Mattieli 07-08)
L'activité éruptive serait de type fissurale
(IREN, CORFO, 1982). L'origine volcanique de ces îles leur confère
une certaine monotonie lithologique principalement composée de roches
basaltes olivinifère. Sur l'île Robinson Crusoe, des anciens
dépôts marins sableux sont présents dans l'extrême
ouest apportant une petite variation lithologique (Fellmann, 2004).
« Les roches, essentiellement basaltiques, portent des
sols neutres-acides qui peuvent être très fertiles, mais qui sont
également fragiles (et donc sensibles à l'érosion), [...]
surtout s'ils sont déforestés. » (Hallé, Danton et
Perrier, 2007)
Figure 07 : Situation géographique de l'archipel
Juan Fernández
Source :
www.scielo.cl, 2009
L'île Robinson Crusoe ne possède pas de nappe
phréatique importante. Le réseau hydrique repose donc
essentiellement sur les nombreux ruisseaux, souvent saisonniers,
alimentés par les précipitations.12
1.2. Le climat
Le climat est influencé par le courant de Humboldt au
nord et les vents du sud-est. Il est dit subtropical ou tempéré
chaud (IREN, CORFO, 1982 ; Bernardillo et Stuessy, 2001 ; Hallé, Danton
et Perrier, 2007) avec une pluviométrie cyclique relativement
importante. Cependant, la variabilité altitudinale du régime des
pluies est peu connue dans les hauteurs car les mesures sont exclusivement
localisées au niveau du village San Juan Bautista sur l'île
Robinson Crusoe. L'amplitude thermique entre été et hiver est
faible et l'humidité relative est assez importante, jusqu'à 100%
et plus au niveau des sommets (très fréquemment dans les nuages)
(Di Castri et Hajek, 1976 ; Dirección general de aeronáutica
civil, 2001).
12 Voir Partie 2 - Chapitre VI - point 5. Gestion de l'eau
L'évolution morphologique de l'archipel est le
résultat « de l'escarpement des structures originelles, du climat
tempéré chaud avec influence océanique, de
l'activité maritime et de l'action de l'homme et de ses pratiques
d'exploitation des ressources sans discrimination. » (IREN, CORFO,
1982)
2. Evolution et occupation avant la découverte de
l'archipel
La flore de l'archipel s'est installée de façon
aléatoire au cours du temps. « Après les cataclysmes
fondateurs, les éléments se sont calmés; lentement, les
îles se sont refroidies et diverses formes de vie ont commencé
à arriver pour coloniser ces nouveaux espaces. Parmi elles, les
premières ont été probablement les spores de lichens,
lesquelles transférées par les vents, ont trouvé dans les
roches nues la possibilité de se développer. Des oiseaux de mer
ont profité de ces nouvelles îles et peu à peu certaines
matières organiques se sont accumulées, préparant le
terrain pour les organismes plus développés comme les mousses et
puis, avec la formation des sols, sont apparues les fougères, les
herbes, les arbustes et les arbres. » (Danton, 2004)
« Les plantes sont arrivées de diverses
provenances: Amérique Centrale, du Sud et Australe, Océanie,
Nouvelle Zélande (certaines d'origine Gondwanienne) mais aussi, depuis
la découverte des îles par l'homme, c'est tout un ensemble
d'espèces cosmopolites qui sont venues grossir considérablement
le nombre des plantes qui composent aujourd'hui la flore de l'archipel.
La colonisation végétale s'est faite par des
moyens divers: transport par les airs, par la mer, par les animaux et par
l'homme. Les plantes sont qualifiées d'indigènes ou d'adventices
selon la manière dont elles sont arrivées dans leurs nouveaux
habitats insulaires et la durée de leur implantation. De manière
simple, on peut dire que les espèces venues par des moyens naturels
avant la découverte de l'archipel par les hommes sont indigènes
et que celles dont l'arrivée postérieure est liée aux
activités humaines sont adventices. Parmi les espèces
indigènes, certaines ont eu le temps et la capacité de
s'individualiser, ce sont celles que l'on appelle endémiques. »
(Cambornac, 2002)
« Parallèlement aux plantes, quelques animaux se
sont rendus dans les îles. Des loups marins et éléphants
marins (aujourd'hui disparus) se sont installés sur les côtes. A
l'intérieur de l'île, une variété d'insectes
transportés dans les airs a colonisé les herbes, les buissons et
les forêts et certains oiseaux terrestres en volant au hasard des vents
se sont installés.
En raison de la jeunesse des îles, et avant
l'arrivée de l'homme, il n'y avait aucun mammifère terrestres, ni
batraciens, ni reptiles ou encore aucun poisson d'eau douce. Avec le temps,
toute cette vie s'est adaptée, occupant la totalité de l'espace
insulaire et a continué à accueillir les quelques espèces
arrivées naturellement de temps en temps. On estime que sur l'archipel,
une nouvelle espèce de plante parvient naturellement tous les 10 000
à 30 000 ans. » (Danton, 2004)
La flore de l'archipel, en général, n'est pas
plus riche en espèces que celle des autres îles océaniques,
comme Hawaii ou les Galápagos (Muñoz et al., 2003).
Toutefois, le niveau d'endémisme est significativement haut; de fait, le
nombre d'espèces endémiques par unité de surface est plus
élevé que sur tout autre île océanique dans le
monde13 (Stuessy, 1992 ; Bernardillo et Stuessy, 2001).
3. De la découverte de l'île Robinson
Crusoe à nos jours
L'histoire a planté ses racines et
disséminé ses rhizomes dans cet archipel isolé qui
fût un lieu de passage d'explorateurs et d'aventuriers, la cache de
corsaires et de pirates et un lieu stratégique pour les dirigeants de la
côte est du continent sud-américain avant la dernière
colonisation permanente en 1877.
3.1. Découverte de l'archipel par Juan Fernández
Sotomayor
Depuis la découverte de l'Amérique en 1492 et
les prémisses de la mondialisation, les grandes puissances d'Europe
(Angleterre, France, Pays-Bas et Espagne) luttaient pour la conquête du
nouveau monde. Le renversement des structures Aztèques et Maya par les
Espagnols a permis une rapide prise en main de territoires immenses par un
groupe mineur de migrants. Suite à l'expédition
13 Voir Partie 2 - Chapitre II - point 2.1.1. Fondations des
connaissances botaniques
de Pedro de Valdivia vers 1541, le Chili appartenait à
la vice-royauté du Pérou dirigée par Francisco Pizarro.
Celui-ci déployait de grands moyens pour conserver et protéger le
commerce entre ses colonies. L'île Robinson Crusoe est découverte
le 22 novembre 1574 lors d'un voyage exploratoire qui avait pour objectif
d'ouvrir une nouvelle route de navigation entre El Callao (au Pérou) et
Penco (au Chili).
Juan Fernández Sotomayor, navigateur originaire de
Séville avait pressenti l'existence de la grande déviation
polaire qu'on appelle aujourd'hui le "courant de Humboldt". Il découvre
alors une terre isolée sur la route maritime qui permettra de
réduire à une trentaine de jours la distance entre El Callao et
Penco alors que ce voyage prenait jusque-là au moins 3 mois
(Vickuña Mackenna, 1883 ; Orellana et al., 1974 ; Caceres et
Saavedra, 2004). Juan Fernández baptise l'île Santa Cecilia
en référence au jour de sa
découverte14.
D'après les quelques recherches archéologiques,
jusqu'à ce jour de novembre 1574, l'archipel était resté
infréquenté par les hommes. C'est une des rares îles de
l'océan Pacifique qui ne présente pas de traces d'occupation
précolombienne (Orellana et al., 1974 ; Caceres et Saavedra,
2004 ; Brinck, 2005).
L'expédition de Juan Fernández Sotomayor a
été providentielle pour les routes maritimes dans cette partie du
Pacifique Sud. Mais dès sa découverte, l'archipel Juan
Fernández commence un mariage difficile avec l'humanité. Juan
Fernández Sotomayor demande à la Couronne d'Espagne le domaine
des trois îles majeures qui forment l'archipel. Avant d'avoir la
réponse, il commence la colonisation de l'île Robinson Crusoe. Il
amène avec lui 60 aborigènes, et, comme de coutume à cette
époque, quelques chèvres, un bouc et des poules (il s'agissait
d'une coutume pour assurer des ressources en viande pour le jour où
quelque navigateur repasserait par là). Il marque par la même
occasion une rupture historique dans l'évolution naturelle de ces terres
isolées. Il débute aussi l'exploitation impitoyable de l'otarie
de Juan Fernández (Arctocephalus philippii) pour le commerce de
l'huile avec le Pérou. Entre temps, la sollicitation de concession
royale est refusée et Juan Fernández retourne s'installer sur le
continent. Cependant, la chasse s'est perpétuée encore quelques
temps avant que l'île ne soit complètement abandonnée.
Pendant ce temps-là, les chèvres se multiplient
prodigieusement. La plupart des visiteurs erratiques de passage sur l'île
y feront référence dans leurs mémoires et autres carnets
de voyage.
Figure 08 : Probablement la première
représentation de l'île, vers 1600.
Source : Cambornac, 2002.
14 Postérieurement, l'île Santa Cecilia
sera nommée Masatierra (littéralement <<plus
proche de la terre ») tandis que l'île la plus
éloignée du continent sera nommée Masafuera
(littéralement <<plus à l'extérieur »).
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
3.2. Un siècle de confluences dispersées avec
l'humanité
Pendant environ 1 siècle après sa
découverte, l'île est uniquement occupée de façon
temporaire sans installation durable. Cependant, selon Benjamin Vickuña
Mackenna, en l'espace d'un siècle, Juan Fernández sera l'asile
d'au moins une centaine de solitaires (Vickuña Mackenna, 1883).
L'île Robinson Crusoe est un point de chute pour les navigateurs, les
explorateurs, les corsaires et les pirates qui y trouvent un lieu de repos mais
aussi de quoi s'approvisionner en eau, fruits de mer et herbes pour combattre
le scorbut et en matières premières pour diverses
réparations.
Ces premiers visiteurs introduiront volontairement et
involontairement différentes espèces végétales et
animales.15
En août 1704, Alexander Selkirk, 24 ans et
contremaître à bord du navire corsaire Cinque Ports, est
abandonné sur l'île suite à une dispute avec son capitaine.
L'homme séjournera seul 4 ans et 4 mois sur l'île avant
d'être rapatrié par un autre navire corsaire anglais
commandé par Woodes Rogers et Eduard Cooks. Il inspirera Daniel Defoe
qui donna naissance au personnage de Robinson Crusoe, nom que porte l'île
aujourd'hui.
Durant la première moitié du XVIIIe
siècle, face aux occupations étrangères sur l'île
Robinson Crusoe, l'Espagne décide de paupériser l'île pour
qu'elle n'offre plus de ressources aux visiteurs. Une mission espagnole
débarque sur l'île avec des chiens pour qu'ils dévorent les
chèvres tandis que les hommes coupent une grande partie des arbres
proches de la côte.
Le 9 juin 1741, débarque sur l'île le reste de
l'escadre de l'amiral anglais Georges Anson, lors de son voyage autour du monde
à bord du Centurion. Suite au difficile passage du Cap Horn et
après avoir payé un lourd tribut au scorbut, ils
séjournent quelque temps sur l'île et baptisent la baie en face du
village du nom de Cumberland. Dans son livre « Voyage round
the world in the years 1740, 41, 42, 43 and 44 », Anson décrit
l'île et ses alentours en insistant sur les importantes ressources
maritimes, sur la présence de chèvres mais aussi en
décrivant l'originalité de la faune et de la flore. « De
temps en temps, Anson tirait de sa poche un noyau de pêche, de prune ou
d'abricot, creusait un trou du bout de sa canne, et plantait un arbre fruitier
pour les générations à venir... » (Anson, 1750)
Figure 09 : Vue sur la place de l'île Juan
Fernández : campement de l'expédition de Anson.
Source : Anson, 1750.
Après le séjour sur l'île,
l'expédition de Lord Anson repart et commence des attaques en
Amérique du Sud arrivant par surprise après ce repos en mer et
causant beaucoup de tort aux intérêts espagnols.
15 Voir Partie 2 - Chapitre III - point 2.1. Introduction
d'espèces
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
3.3. Masatierra : place forte espagnole
Dans un contexte de préoccupation espagnole pour la
défense de ses côtes et de son commerce et de guerres incessantes
contre les Anglais, l'expérience de Lord Anson révèle
à l'Espagne toute l'importance de l'île et quelques temps
après, en 1749, la Couronne espagnole envoie des colons dans le but de
fortifier l'île Robinson Crusoe, fondant l'actuel village de San Juan
Bautista et initiant la construction de la forteresse Santa Barbara et
de l'église Parroquial de San Antonio.
Les fortifications érigées sur l'île
Robinson Crusoe sont représentatives du système
général des plans défensifs espagnols du milieu du XVIIIe
siècle sur les côtes américaines. Elles sont assimilables
aux fortifications des ports continentaux comme ceux de Valdivia ou de
Valparaiso.
Au XVIIIe siècle, les premiers explorateurs du
Pacifique avaient colporté l'idée que cet océan
était un champ de pêche inépuisable riche d'espèces
de poissons, de cétacés et de crustacés innombrables.
Pendant toute cette période et jusqu'au milieu du XIXe siècle, le
Pacifique et l'archipel étaient un terrain de chasse illégale et
déraisonnée de baleines, de phoques,... pour les marchands de
peaux anglais, français et nord-américains qui faisaient commerce
en Asie. Ces derniers, entre 1788 et 1809 exterminèrent plus de 5
millions (Vickuña Mackenna, 1883) d'otaries de Juan Fernández
(Arctocephalus philippii) et amenèrent l'espèce au bord
de l'extinction.
3.4. Masatierra : pénitencier pour criminels et
opposants
Plus tard, le lieu s'est transformé en prison pour
criminels et patriotes indépendantistes de toute l'Amérique
durant la période coloniale et la Patria Vieja16.
Durant toute la moitié du XVIIIe siècle, un
grand nombre de prisonniers (patriotes et criminels confondus) de toutes les
dépendances espagnoles seront exilés et enfermés dans des
grottes creusées dans les collines de l'île.
Figure 10 : Pénitencier de l'île Juan
Fernández
Source :
http://www.memoriachilena.cl,
2009
La colonie était composée d'une centaine de
soldats et gardiens ainsi que d'une poignée de citoyens "libres" qui
survivaient surtout grâce aux apports de la mer et à l'apport
d'une faible culture de légumes.
16 La Patria vieja est la période de
reconquête qui débute en 1810 au Chili lorsque un groupe de
créoles initia un processus d'autodétermination et constitua une
junte.
Durant ce régime colonial (de 1750 à 1810), une
douzaine de gouverneurs se succédèrent. Etant donné les
faibles moyens à leur disposition (qui étaient essentiellement
les prisonniers condamnés aux travaux forcés), les progrès
réalisés sur l'île furent très faibles. Les
infrastructures étaient réduites. On y trouvait les fortins, le
port, la maison du gouverneur, une petite église, un hôpital et
quelques maisons rudimentaires.
La pêche à la langouste était
déjà une activité à cette époque. «
Depuis ce jour jusqu'à aujourd'hui, s'est réalisée sur
l'archipel une activité de pêche discontinue selon les peuplements
et abandons successifs. Mais depuis ce moment-là, l'occupation
principale des habitants de l'île était la pêche et les
activités qui tournent autour. » (Echeverria et Arana,
1976)17
Le début du XIXe siècle marque la fin du
régime colonial et les premiers jours de la république. Les
armées patriotiques renversent le régime colonial et commence la
période dite de Patria Vieja. Le gouverneur de l'île
Masatierra, Manuel Santa Maria Escobedo, reçoit (avec un an de
retard) la nouvelle de la construction du Chili en tant que nation.
Parmi les mesures gouvernementales des premières juntes
patriotiques qui se succédèrent entre 1810 et 1814, se trouvait
une proposition de démanteler les infrastructures militaires et
libérer l'île de toute occupation. Les prisonniers, soldats et
habitants quittèrent l'île au cours de l'année 1814.
Cependant, le 2 octobre 1814, Mariano Osorio (brigadier du
vice-roi du Pérou José Fernando de Abascal) gagne la bataille de
Rancagua contre les troupes patriotiques du brigadier Bernardo O'Higgins qui se
réfugient en Argentine. Cette bataille marque le début de la
défaite des indépendantistes qui se répand du nord au sud
du Chili. Mariano Osorio assume alors la Gouvernance du Chili. Le nouveau
gouverneur réinstaure l'ancien régime et toutes ses institutions
et élimine toutes celles qui avaient été mises en place
par le mouvement de 1810. Sous les instructions du vice-roi du Pérou,
Osorio envoie sur l'île un groupe de patriotes, militaires et
intellectuels en exil.
Le Chili est libéré par l'Armée des Andes
(commandée par le général O'Higgins) après la
bataille de Chacabuco du 12 février 1817. L'année suivante,
l'indépendance du Chili est déclarée et le pays est
placé sous l'autorité de Bernardo O'Higgins, El Libertador,
qui prend le titre de Commandeur Suprême. Les patriotes
exilés sont ramenés sur le continent à bord du navire
Aguila. Il reste quelques prisonniers et leurs gardes sur l'île.
L'archipel a été déclaré officiellement comme
faisant partie du territoire chilien en 1819. O'Higgins réhabilite la
prison de l'île Juan Fernández. Cette fonction continue durant la
période de l'indépendance et la consolidation de la
République. Elle disparaît définitivement dans la
moitié du XIXe siècle. Durant cette période, la situation
sur l'île sera instable et oscillera entre occupation et désertion
au gré des mutineries et des réhabilitations. A intervalle
régulier, l'île retrouve en quelque sorte son statut de point de
chute pour naufragés et contrebandiers, chasseurs de baleines et
voyageurs d'hivers. Parmi ces visiteurs, notons le passage de Lord Cochrane et
Maria Graham qui témoigne dans son Journal of a residence in Chile
in the year 1822 de l'environnement de l'île. David Douglas est le
premier botaniste à visiter Robinson Crusoe en 1824. Il inaugure presque
200 ans de prospection scientifique18. Huit ans plus tard, le
naturaliste français Claudio Gay embarqua à Valparaiso à
bord du Colocolo (seul navire de guerre du Chili à cette
époque). Gay reste deux semaines sur l'île et décrit ses
quelques recherches dans une note officielle publiée en 1832 dans le
journal El Araucano. Il fut le premier à mettre en
évidence l'existence d'une flore propre à l'île et la
présence de l'espèce Ugni Molinae.
3.5. Masatierra sous contrat de bail
A partir de 1829, l'île, toujours utilisée comme
lieu de réclusion pour prisonniers politiques, est laissée en
usufruit à divers entrepreneurs désireux d'exploiter les
différentes ressources naturelles et plus tard touristiques. Le premier
contrat de location de l'île est signé le 26 février 1829
par José Joaquin Larrain. « L'ancienne romance devient ainsi un
commerce, l'île un port, le port un hangar de baleiniers
17 Voir Partie 2 - Chapitre I - point 3.6. Masatierra :
réservoir à langoustes
18 Voir Partie 2 - Chapitre II - point 2.1.1. Fondations des
connaissances botaniques
de passage et Robinson, troqué contre la personne qui
lui ressemble sans doute le moins, le Fisc chilien. » (Vickuña
Mackenna, 1883) L'île se transforme en source de profit avant tout. Les
différents locataires, dans le but d'en tirer un profit maximum vont
dès lors brûler et abattre une partie importante de la forêt
(le bois était utilisé comme combustible et comme matériel
de construction, le palmier endémique, Juania Australis,
servait de matière première à des objets d'ornements et
une grande partie de la végétation était
brûlée pour le pastoralisme). A partir de cette époque, la
destruction de la flore s'est intensifiée (Muñoz et al.,
2003).
En 1835, sous le gouvernement de Diego Portales, Manuel Tomas
Martinez est nommé gouverneur de l'île Robinson Crusoe. Il
commence une activité inédite jusqu'alors : l'extraction et la
vente du bois de Santal endémique (Santalum Fernandezianum) aux
bateaux étrangers.
En 1851, l'archipel devient une subdélégation de
Valparaiso.
Les rentiers, loin de remplir leur contrat avec le
gouvernement chilien peinent à établir une structure viable. Les
constructions se délabrent et ce qui a été un lieu de vie
devient doucement une ruine. En avril 1876, le navire Chacabuco
dirigé par le capitaine Oscar Viel fait un passage à Juan
Fernández. Le rapport du capitaine Viel fait état de l'abandon et
de la détérioration de l'île qui compte alors peu
d'habitants. Instruit de cette nouvelle et attestant qu'aucun tribut n'a
été payé pour la concession de l'île, le
Trésor public du Chili prend la décision d'annoncer la mise en
location des deux îles (Masafuera et Masatierra).
Le 6 avril 1877, elles seront attribuées au baron
suisse Alfred Von Rodt Van der Meulleur qui compte y exploiter les ressources.
Il entame alors la dernière colonisation de l'île suite à
l'autorisation du gouvernement chilien pour y exploiter les ressources et y
installer ce qui sera l'ultime tentative de peuplement (à l'origine de
l'occupation actuelle). Des migrants d'origine rurale s'installent sur
l'île, reprennent l'exploitation des forêts, des langoustes et des
otaries et continuent les exploitations de bétail et la petite
agriculture.
Au moment de l'installation de la colonie de Alfred Von Rodt,
il y avait 64 habitants (dont 29 hommes, 13 femmes et 22 enfants de moins de 8
ans). En 1879 on compte 141 habitants et un an plus tard, la colonie avait
atteint 147 colons dont la moitié sont des enfants (Vickuña
Mackenna, 1883).
D'une importance stratégique et navale pour la
défense du territoire national chilien, l'archipel de Juan
Fernández est devenu, petit à petit, depuis les premiers
baleiniers, un lieu d'exploitation et de négoce. En accord avec la
pensée de l'époque, les ressources halieutiques sont
considérées comme prodigieuses et inépuisables et la
volonté d'industrialiser l'exploitation progresse fortement.
Pour le compte de Alfred Von Rodt, les pêcheurs partent
pour la première fois en merle 1er août 1877. Les
habitants exploitent tant bien que mal les ressources disponibles de
l'île. En réalité, le commerce est pauvre et la location de
l'île très élevée. Les entreprises de Alfred Von
Rodt vont en dents de scie au gré des opportunités ponctuelles et
des difficultés indissolubles dans cette roche reculée au milieu
de l'océan. L'entreprise de Alfred Von Rodt est faite de succès
et d'échecs jusqu'à ce qu'il perde toute sa fortune.
Malgré un développement lent et fragile, l'île se construit
en système stable et son décloisonnement avance au fur et
à mesure de l'augmentation des communications avec le continent. D'autre
part, l'activité industrielle contribue à l'augmentation de la
population ainsi qu'à l'introduction d'animaux domestiques (chats,
coatis,...), de moutons, de vaches, de chevaux et plus récemment de
lapins.
En 1885, à la fin du contrat de location, le gouvernement
chilien refuse de reconduire la concession mais laisse Alfred Von Rodt
administrer l'île avant la décision du congrès sur sa
gestion future.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 3.6. Masatierra :
réservoir à langoustes
Peu à peu les activités industrielles se
recentrent principalement sur les ressources de la mer. En juillet 1892, Alfred
Von Rodt prend contact avec la compagnie Carlos Fonck y cia. qui, en 1893,
commence l'exploitation commerciale de la langouste endémique en
conserve.
A partir de cette année, et jusqu'en 1965, les prises
de pêche de langoustes, malgré certaines fluctuations, restent
abondantes et le développement de l'île se fait en
parallèle au développement de l'activité piscicole. A
partir de 1965, le déclin des captures de langoustes est régulier
mais le développement d'activités économiques reste
surtout dirigé vers les ressources halieutiques qui sont toujours le
premier pilier de l'économie insulaire.
Les activités de la compagnie Carlos Fonck y cia.
attirent des pêcheurs et des ouvriers qui s'installent sur l'île.
Par ailleurs, le gouvernement apporte un soutien financier pour le transport
entre l'île et le continent, voulant assurer au moins un voyage par mois
à la fois pour les marchandises et pour le courrier officiel et
privé.
Malgré cet engouement, les conserveries ne connaissent
pas le succès espéré et peu de temps après, la
fabrication de conserves est abandonnée mais l'exploitation des
langoustes continue.
Depuis la dernière colonisation en 1877,
l'intérêt des autorités gouvernementales pour l'île
grandit et en 1896, le gouvernement chilien approuve un plan de colonisation du
village de San Juan Bautista. Chaque famille qui s'engage à s'installer
sur l'île avec l'intention d'exercer une activité de pêche
recevra l'aide du gouvernement pour le voyage et l'installation sur place.
En 1896, sur les traces de Douglas, Bertero, Gay et Philippi,
Federico Johow visite l'île Robinson Crusoe. Il met en évidence
l'existence d'une flore propre à l'île mais aussi la
présence de maqui, de chiendent et de l'espèce
Acaena Argentea. Trente ans plus tard, lors de sa deuxième
visite, en 1927, Looser relève pour la première fois la
présence de la ronce, zarzamora (Rubus Ulmifolius),
sur l'île Robinson Crusoe et pronostique de graves conséquences
pour la flore indigène. D'autre part, Johow suggère de ne pas
exploiter les langoustes durant la période de croissance. Peu de temps
après, la pêche à la langouste est
règlementée par un décret qui instaure une période
durant laquelle la pêche est interdite (du 16 septembre au 1e
janvier) (Echeverria et P. Arana, 1976).
Devant les constats scientifiques qui décrivent non
seulement la richesse floristique et l'intérêt scientifique de
l'archipel mais aussi la menace qui pèse sur cette richesse, en 1935,
l'archipel est déclaré Parc National par le gouvernement chilien
(Décret Suprême N° 10319).
<< Au début de l'année 1905, la colonie de
Juan Fernández comprenait 122 personnes qui formaient 22 familles. [...]
Il y avait également une petite école pour les enfants, qui
jusque-là ne recevaient pas d'éducation scolaire ».
(Orellana et al., 1974) Cependant, l'école couvrait une partie
de l'enseignement primaire et la majorité des habitants de l'île
n'avaient pas les moyens d'envoyer leurs enfants continuer leur
éducation sur le continent.
Au fur et à mesure que la pêche se
développe, la population grandit et en 1940, on recense 421 personnes
(218 hommes et 203 femmes) vivant sur l'île.
Durant les deux premières décennies du XXe
siècle, les activités économiques vont encore accentuer
leur spécialisation dans l'exploitation des ressources halieutiques et
plus spécifiquement de la langouste. Cette spécialisation est le
résultat d'investissements de multiples entreprises industrielles
étrangères dans l'île (Orellana etal., 1974).
Ainsi, malgré l'existence d'autres ressources (saumon,
pageot rouge, girelle,...), les difficultés dues à la situation
insulaire ont conditionné les possibilités d'exploitation
industrielle et la langouste, beaucoup plus rentable et plus facile à
conserver avant sa commercialisation, est exploitée de façon
industrielle depuis la fin du XIXe siècle. Au début des
années 1920, la société Recart y Doniez commence
l'exploitation pour la commercialisation des langoustes vivantes sur le
continent américain.
19 Voir annexe 04
En 1934, un décret visant à préserver les
populations de langoustes règlemente la taille minimale autorisée
pour la pêche. Le décret stipule qu' « il est interdit de
pêcher, transporter, vendre, acheter, ou être en possession de
langoustes dont la taille est inférieure à 115 millimètres
[...]. Tous les individus pêchés sous les dimensions prescrites
doivent être remis à l'eau immédiatement. »
(Echeverria et Arana, 1976) Postérieurement, d'autres décrets
viennent compléter ces dispositions légales parmi lesquels le
décret de 1963 qui allonge la période d'interdiction entre le 15
mai et le 30 septembre toujours valable actuellement. Ce décret interdit
également définitivement la capture de langouste femelle avec des
oeufs visibles (Echeverria et Arana, 1976).
Autour des années 1935, la compagnie espagnole Oto
Hermanos s'installe sur l'île. Cette entreprise fonctionne
jusqu'à ce que se crée la coopérative de pêcheurs en
1968. Il y avait d'autres entreprises mais la plus importante était
celle-là (Orellana etal., 1974 ; Echeverria et Arana, 1976).
3.7. Développement technique, infrastructurel et
social.
Avec le développement de cette industrie, les pratiques
de pêche vont se transformer. Vers les années 1930, les bateaux
passeront de la voile et de la rame au moteur et vers les années 1970
les pièges à langoustes remplacent les anciens paniers
traditionnels,... Ainsi, sans devenir ultramoderne, les techniques et les
outils de pêche vont se transformer, entraînant une nouvelle
organisation du travail. Les pêcheurs gardent cependant une large part de
méthode traditionnelle20 basée sur un savoir transmis
de génération en génération.
Figure 11 : Evolution historique du matériel
pour capturer les langoustes
Source : Arana, 1983.
Le premier syndicat de pêcheur est formé en 1950.
Un lent processus d'indépendance s'amorce. Petit à petit, les
pêcheurs se libèrent des entreprises privées en
construisant leur propres embarcations, et en rassemblant leurs propres outils
pour la pêche. Ce mouvement d'indépendance culmine avec la
création de la coopérative de pêcheurs en 1968.
Fin des années `40 et début 1950, les premiers
hydravions commencent à transiter par l'île. Ils viennent
seulement en cas d'urgence. Ensuite, une compagnie amène, par hydravion,
des
20 Voir annexe 05 et 06
marchandises pour le commerce de l'entreprise Oto Hermanos
et au retour elle emporte les langoustes. En 1966, la population s'est
mobilisée pour la réalisation d'une série
d'infrastructures afin de faciliter les déplacements sur l'île non
seulement pour les habitants mais aussi pour les touristes. En plus de
différents chemins pour accéder aux lieux historiques (mirador
Selkirk,...), les habitants ont commencé la réalisation d'une
piste d'atterrissage pour assurer une communication par avion plus
régulière. En octobre 1966, le premier avion atterrit sur cette
piste précaire fabriquée, à la main, par les habitants. La
visite officielle du président Eduardo Frei permet de sensibiliser le
gouvernement au potentiel entreouvert par la population locale. La piste est
alors terminée et asphaltée par l'aéronautique civile. A
partir de ce moment, le transport des langoustes se fait aussi par avion et
différentes compagnies aériennes proposent des vols pour Juan
Fernández.
1966 : Le Président Eduardo Frei Montalva dicte le
Décret qui change le nom des îles: Masatierra devient
Robinson Crusoe, Masafuera devient Marinero Alejandro Selkirk.
Derrière ces changements, l'idée (qui venait de Blanca Luz Brum,
écrivain uruguayenne qui résidait sur l'île) est de faire
connaître les îles dans le monde entier en utilisant la
notoriété du roman de Daniel Defoe.
« L'histoire du développement de la pêche
est marquée par un changement fondamental quand, en 1967, une
coopérative de pêcheurs commence à se constituer et
à opérer comme une compagnie sur l'archipel. [...] Ce changement
signifie que les coopérateurs vont directement profiter des
bénéfices des ressources de la mer. [...] Ce changement
amènera comme conséquence d'importantes transformations
socio-économiques pour la population. » (Orellana etal.,
1974)
Ainsi, les pêcheurs ne sont plus dépendants des
entreprises privées malgré les tentatives de pression qui
continuent après la création de la coopérative. Cette
étape de l'histoire est assez pénible pour la population de
l'archipel et elle se retrouve gravée dans les chansons du folklore
local.
Cette initiative a pu se concrétiser grâce
à l'appui du président Eduardo Frei qui a constaté, lors
de sa visite officielle sur l'île Robinson Crusoe, que les entreprises
ont stocké une grande quantité de langoustes dans des bassins
pour simuler une pénurie et vendre le produit à prix
élevé sur le continent. Le gouvernement chilien appuie donc la
population à se constituer en coopérative et leur offre le navire
Piloto Juan Fernández pour assurer les connections avec le
continent. A partir de ce moment, chaque pêcheur est indépendant
et la Coopérative achète le produit et le commercialise. Les
pêcheurs se répartissent également les
bénéfices et la Coopérative commence une politique de
protection et de bénéfices sociaux. Malheureusement ce projet
ambitieux s'écroule rapidement suite à une mauvaise gestion des
représentants à Valparaiso et à des détournements
financiers. Aujourd'hui chaque pêcheur est propriétaire de sa
production et vend directement à des petites entreprises qui
commercialisent les langoustes au niveau national et international.
L'exploitation plus périphérique du crabe, du poulpe, de la
girelle, etc. suivent le même chemin21
3.8. L'arrivée de la CONAF
L'administration du Parc National commence à
s'installer à la fin des années 1960. Elle était
assurée au départ par le SAG et en 1972, la CONAF prend le
relais. A partir de cette date, les premières plantations à
grande échelle d'arbres exotiques sont lancées comme alternative
à l'usage des arbres et arbustes natifs. Ces plantations ont aussi pour
objectif de maintenir les sols et protéger le village contre les
effondrements de terrains. Pour ce faire, l'organisme utilise des essences
à croissance rapide : Eucalyptus globulus, Cupressus
div.sp., et Pinus radiata. Si quelques plantations d'Eucalyptus
et de Cyprès ont été faites du temps de Alfred de Rodt,
fondateur des bases de l'actuel village, ce sont réellement les
premières plantations importantes d'espèces exotiques qu'a
connues l'île.
Cette plantation exotique est accompagnée d'un plus
grand contrôle des interdictions d'utiliser les différentes
espèces du parc déjà formulées dans le
décret de 193522. Petit à petit, la CONAF a
instauré une série de réglementations normatives au
travers de multiples obligations et interdictions au départ difficiles
à faire appliquer.23
21 Victorio Bertullo (commentaire personnel)
22 Voir annexe 04
23 Voir partie 2 - Chapitre IV - point 2.4. Ambivalence du statut
de protection de l'île
En 1974, 81% de la population dépend de la pêche,
directement comme pêcheur (77%) ou comme employé de la
Coopérative de pêche (4%). Le reste est partagé
principalement parmi les employés de la CONAF (quasiment 4%) et les
commerçants (restauration, logements) en relation avec le tourisme
(4,5%). Il s'agit donc avant tout d'une population de pêcheurs (Orellana
et al., 1974).
En 1976, la CONAF publie le premier plan d'administration du
parc national chilien Juan Fernández qui décrit les
problèmes majeurs et émet des objectifs de contrôle
(jusqu'à aujourd'hui, ces objectifs ne sont toujours pas remplis).
En 1977, l'UNESCO déclare les îles de l'archipel
Juan Fernández Réserve mondiale de Biosphère. 3.9. Germes
d'autonomie politique et de continentalité
En 1979 , par le décret loi n° 2868 du 21
septembre, est créée la commune de Juan Fernández, partie
de la Province de Valparaiso, Ve Région et en 1980, le
décret loi n° 1 / 2868 du 5 juin, instaure l'Illustre
Municipalité île Juan Fernández.
En 1992, suite au retour à la démocratie, est
élu le premier Conseil Municipal, avec comme premier maire Don Leopoldo
Gonzalez Charpentier.
C'est dans cette même période que le gouvernement
chilien accorde une subvention pour que l'île Robinson Crusoe puisse
avoir l'électricité 24h/24h. La source d'énergie pour
l'électricité était un moteur diesel (comme c'est toujours
le cas aujourd'hui). Etant donné le coût financier, avant 1993,
l'électricité était disponible uniquement pendant trois
heures le soir. A partir de 1993, l'Etat chilien subventionne, en partie, le
coût énergétique pour l'accès à
l'électricité. Depuis 2001, la Commission Nationale de l'Energie
étudie la possibilité d'implanter un système hybride
éolien-diesel pour que l'offre énergétique soit plus
efficiente. Jusqu'à aujourd'hui, aucune installation concrète n'a
été effectuée.
Dans le sillage de l'électricité, l'île
s'est lentement "modernisée" au cours du XXe siècle. Nous avons
vu que différents travaux d'urbanisation, de communication et de
transport (quai, piste d'atterrissage,...) ont été
réalisés. Les arrivées du téléphone et de la
télévision ont profondément marqué la vie insulaire
qui se rapproche de plus en plus du continent.
La télévision est arrivée au milieu des
années 1980 et le téléphone en 1993. Le
téléphone a surtout facilité les échanges
individuels mais aussi commerciaux. La télévision par contre a
considérablement transformé les coutumes et les moeurs. Avec
l'irruption de la télévision dans les foyers, une série de
traditions communes se sont perdues, comme la fête du printemps, le
théâtre ou encore le festival de la langouste (Brinck, 2005 ;
PLADECO, 2005). Toutes les fêtes n'ont pas disparu, mais les relations
sociales ont changé.
<< La télé est arrivée et la vie a
changé. La sociabilité s'est fortement dégradée.
Avant, on se réunissait, et on faisait de grandes fêtes [...].
Tout cela s'est perdu avec la télévision. Aujourd'hui, si
quelqu'un sort à 3 heures de l'après midi, il n'y a personne, ils
sont tous devant les télé séries. » (R. Mena dans
Brinck, 2005) << Ce qui me plaisait auparavant c'etait l'unité.
Les gens coopéraient beaucoup plus et il n'y avait pas ce
séparatisme qui existe aujourd'hui. Quand la télévision
est arrivée, tout a changé. L'individualisme, sa propre personne
et rien de plus. » (F. de Rodt dans Brinck, 2005)
Plus généralement, avec le
décloisonnement de l'île se développe en contrebas de
l'économie de pêche et, de façon plus
périphérique, une activité touristique. Avec la
modernisation progressive de l'archipel, le tourisme est devenu un axe
privilégié de la politique municipale.24 Le 21
septembre 2006, la chambre du tourisme << Ile Robinson Crusoe » est
constituée dans le but de promouvoir l'île comme destination
touristique importante. Indubitablement, cette activité est surtout
limitée par la difficulté d'accès à l'île (2
compagnies aériennes effectuent deux voyages par semaine avec des petits
avions de 6 places, certains bateaux de croisière transitent par
l'île et enfin le bateau de ravitaillement de l'armée passe une
fois par mois) ne permettant pas, pour l'instant, un tourisme de masse.
24 Voir Partie 2 - Chapitre IV - point 2.5.2. L'option
touristique
4. Stigmates historiques
<< Durant toutes ces étapes d'occupation humaine,
les ressources physiques de l'archipel (végétation et ressources
maritimes) ont connu de fortes pressions. Les mesures de protection et de
contrôle ont été promulguées seulement à
partir de 1935 avec la création du Parc National. Cependant, les actions
de terrain ont été pratiquement nulles jusqu'en 1968,
année durant laquelle commence une implantation modeste au départ
mais qui arrive à mettre en place une bonne infrastructure
administrative et technique vers la fin des années 1970. » (IREN,
CORFO, 1982)
Les écosystèmes naturels des îles sont
très sensibles aux changements.25 Sur l'archipel Juan
Fernández, l'intervention humaine est relativement récente mais
ces effets ont rapidement affecté la biodiversité de
l'île.26 Ces stigmates historiques s'incarnent sous
différentes formes qui recoupent assez fidèlement les facteurs de
perte de biodiversité identifiés dans le chapitre II de la
1ère partie. Nous retrouvons donc, comme une évidence,
la surexploitation des espèces, la modification des habitats,
l'introduction de nouvelles espèces animales et végétales
s'installant principalement dans les espaces perturbés et devenant pour
certaines des espèces invasives.
Cette installation humaine a aussi balisé les
structures culturelles de la population insulaire. En installant ses racines,
la population s'est spécialisée dans une activité
monospécifique centrée exclusivement sur l'extraction des
langoustes. Elle a abandonné petit à petit toute autre forme
d'activité, se construisant, en corollaire, une dépendance
grandissante vis-à-vis du continent.27
CHAPITRE II - La BIODIVERSITÉ sur l'archipel Juan
Fernández 1. La biodiversité au Chili
En 1991, la Comisión Nacional de
Investigación Científica Y Tecnológica (CONICYT)
crée le Comité national de la diversité biologique. Ce
Comité réalisera un recensement de la biodiversité
évaluant, pour la première fois, toute la richesse biologique du
Chili. Il déterminera l'existence de quelques 30.000 espèces de
la faune et de la flore sauvages, dont, environ 6 331 sont endémiques du
Chili. Évidemment, ces chiffres restent des indications et, tant il est
difficile d'évaluer la biodiversité à l'échelle
planétaire, tant il est difficile de le faire à l'échelle
d'un pays (même si les limites sont plus restreintes). Ils restent sous
estimés car certains groupes n'ont pas été
considérés, car il ya encore beaucoup de découvertes
potentielles, etc.... De plus la biodiversité est une notion
multidimensionnelle et ses caractéristiques ne se déterminent pas
comme un cercle que l'on pourrait définir par sa surface, son
diamètre, son rayon, etc. en connaissant une variable et en appliquant
des règles mathématiques. Cependant, elle fait partie de la vie
sur terre et participe à différents équilibres, comme
évoqué dans la première partie du présent
travail.
Au Chili, la diversité des habitats (terrestres, marins
et d'eau douce) et de climat combinée à l'isolement
géographique relatif du pays (dû aux barrières naturelles
de la cordillère des Andes et de l'océan Pacifique) a
favorisé le développement d'une biodiversité
modérée en nombre d'espèces, mais avec des espèces
et écosystèmes uniques au monde. << La biodiversité
de la flore et de la faune du pays montre des hauts niveaux d'endémisme,
raison pour laquelle il est particulièrement précieux et
important de la conserver. » (Manzur, 2008)
25 Voir Partie 1 - Chapitre III - point 3. Fragilité
26 Voir Partie 2 - Chapitre III Perte de biodiversité sur
l'archipel Juan Fernández
27 Voir Partie 2 - Chapitre IV - point 2.3. Relations avec le
continent et identité et point 2.5. Economie
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
1.1. Biodiversité végétale
La flore chilienne représente une ressource
génétique importante. Il existe 7.437 espèces de plantes
(indigènes et introduites), avec un pourcentage élevé
d'endémisme spécifique (42%) et générique. Comme
c'est le cas généralement, les dicotylédones
représentent le groupe d'organismes avec la plus grande quantité
d'espèces et avec le plus haut taux d'endémisme (83,5% pour le
Chili insulaire (Espinosa et Aqueros, 2000 ; CONAMA, 2008).
Figure 12 : Richesse et endémisme des
espèces végétales au Chili
Source : Vanhulst, 2009 d'après Espinoza et Arqueros, 2000
; Manzur, 2008. 1.2. Biodiversité animale
La faune chilienne présente aussi une grande richesse
génétique par son niveau élevé d'endémisme.
Le nombre total de vertébrés dans le pays atteint environ 1 790
espèces dont 15% sont endémiques. Le groupe des amphibiens et
celui des reptiles présentent respectivement un taux d'endémisme
de 76,70% et de 58,50% (CONAMA, 2008).
Figure 13 : Richesse et endémisme des
espèces animales au Chili
Source : Vanhulst, 2009 d'après Espinoza et Arqueros,
2000 ; Manzur, 2008.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 1.3. Statut officiel de la
biodiversité
Formellement, au niveau national, l'intérêt de la
biodiversité est admis.28 Historiquement, le discours
lié à la conservation de la nature s'est manifesté durant
les années 1870 en désaccord avec la destruction des forêts
et des espaces naturels du pays. C'est dans ce cadre qu'en 1872 a
été promulguée la loi sur la <<Coupe des
forêts » (Ley general sobre corta de bosques) et le 16
janvier 1879 le décret sur les << Réserves de forêts
fiscales » (decreto sobre « Reservas de bosques fiscales
») qui vise à protéger une partie importante de
forêt du centre sud du Chili afin de former une barrière verte
pour la rétention d'eau et la protection de vallées agricoles qui
en dépendent. Ce précédent juridique a permis de
créer différentes réserves naturelles dont la
réserve Malleco (créée en septembre 1907) qui fut
la première zone de protection publique en Amérique du sud et la
neuvième au niveau mondial (La Nación, 2007 ;
www.memoriachilena.cl).
Jusqu'en 1913, le fisc a constitué des réserves d'un total de
600.000 hectares réparties entre Concepción et Puerto Montt. Par
la suite, le décret loi 4.363 de 1931 donnait la possibilité au
Président de la République d'établir des réserves
et parcs naturels nationaux. Jusqu'en 1965, 26 parcs nationaux ont
été créés et à partir des années
1970, la direction de l'administration des bois et des forêts du Chili a
été déléguée à la
Corporación nacional forestal (CONAF)29. Poursuivant
les orientations conservationnistes, la CONAF a développé le
Sistema Nacional de Areas Silvestres Protegidas por el Estado (SNASPE)
qui, à la fin des années 1980, comprenait 29 parcs nationaux, 36
réserves nationales et 9 monuments naturels (
www.memoriachilena.cl).
Actuellement, il existe 32 parcs nationaux, 48 réserves naturelles et 15
monuments naturels au Chili couvrant approximativement 14 millions d'hectares
(TERRAM, 2005 ;
www.conaf.cl) (soit 18,50% de
la superficie du Chili) et chacun ayant théoriquement des objectifs de
conservation et de préservation de l'environnement. 30
En dehors de cette politique de préservation in
situ31, la conservation ex situ32 (dans des
banques de graines) se développe en tant que stratégie pour
conserver la biodiversité du Chili. Depuis 2001, l'Instituto de
Investigación Agropecuarias (INIA) et le jardin botanique royal du
Royaume-Uni (Kew) ont démarré une collaboration dans le
but de sauvegarder la diversité génétique ex situ
et ainsi de diminuer la probabilité d'extinction d'espèces
uniques du Chili.
Cette collaboration s'inscrit dans le projet mondial
Millenium Seed Bank Project dont le but est de conserver 10% de la
flore mondiale, et plus particulièrement la flore des zones arides. En
dehors de l'INIA, environ 20 institutions sont actives dans la conservation,
principalement via des banques de semences et des sites de pérennisation
de la flore sauvage (jardins botaniques, pépinières,...) (Seguel,
2008). La plupart de ces institutions sont des universités (publiques et
privées) dont l'Universidad Austral et l'Universidad de
Magallanes qui possèdent leur propre banque génétique
active.
Par ailleurs, le Chili a ratifié, entre autres, la
Convention sur la diversité biologique, la Convention de Washington pour
la protection de la faune et la flore, et des beautés panoramiques
naturelles des pays de l'Amérique (1940), la Convention de Ramsar pour
la protection des zones humides (1971), la Convention de Washington ou CITES
sur le commerce des espèces menacées (1973) et la Convention de
Bonn pour la protection des espèces migratrices (1979).
Ces différents engagements on été traduits
dans des politiques et stratégies nationales.33
Le Chili n'est donc pas indifférent à
l'importance de la biodiversité. Malheureusement, nous verrons avec le
cas de l'archipel Juan Fernández que la réalité ne
reflète pas toujours toutes les bonnes intentions et que, malgré
son statut de haut lieu de la biodiversité reconnu, du niveau national
au niveau international, les stratégies politiques et les planifications
n'apportent pas de réponse
28 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 1. Cadre juridique
29 Voir Partie 2 - Chapitre IV - point 1. Les acteurs
30 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 1.1.7. Ley N°
18.362 que crea un sistema de Areas Silvestre Protegidas del Estado
31 "La conservation in situ" désigne la conservation des
écosystèmes et des habitats naturels et le maintien ou la
récupération des espèces dans leur milieu naturel et, ou,
dans le cas d'espèces cultivées, dans l'environnement dans lequel
elles ont développé leurs caractéristiques (Convention sur
la diversité biologique, 1992)
32 "Conservation ex situ" signifie la conservation des composants
de la diversité biologique hors de leurs habitats naturels. (Convention
sur la diversité biologique, 1992)
33 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 1.2.2. Accords et
conventions internationales
satisfaisante aux problèmes écologiques dont
souffre l'archipel. Vu de l'extérieur, les priorités sont
ailleurs (dans l'économie certainement mais aussi dans la modernisation,
dans le décloisonnement et dans le tourisme). Il faudrait élargir
la réflexion sur le cadre politico-juridique esquissé dans le
chapitre V pour renforcer la connaissance de cette partie du
problème.
2. La biodiversité sur l'archipel Juan
Fernández
Une des caractéristiques importantes de l'archipel Juan
Fernández est sa flore unique au monde. Celle-ci s'est distinguée
(ayant évolué dans un contexte singulier) et a donné vie
à des formes d'adaptation particulières et peu fréquentes,
présentant un haut degré d'endémisme au niveau des
espèces. Comme pour le règne végétal, les
espèces animales endogènes ont aussi évolué de
manière insolite et beaucoup sont endémiques.
Ainsi, malgré une pauvreté quantitative
d'espèces indigènes (lors de sa découverte par l'homme, il
n'y avait aucune espèce d'amphibien, de reptile ou encore de
mammifère terrestre, 15 espèces d'oiseaux et un peu plus de 200
espèces de plantes vasculaires indigènes), le caractère
hautement endémique fait de l'archipel Juan Fernández un lieu de
grande richesse qualitative (la perte d'espèces endémiques
signifiant une perte définitive à la surface du globe et un
appauvrissement du patrimoine mondial) exceptionnelle à plus d'un
titre.
2.1. Diversité végétale
2.1.1. Fondations de connaissances botaniques
Les îles sont reconnues comme étant des
écosystèmes de grande qualité biologique. Sur l'archipel
Juan Fernández, plus de 60% des espèces de plantes
indigènes sont endémiques. Sa faible superficie terrestre
(environ 100 km2) en fait un des lieux où les taux
d'endémisme végétal par unité de surface sont les
plus hauts au niveau planétaire. En effet, la densité
d'espèces et la densité des endémiques est plus
élevée que sur toute autre île océanique : on y
trouve respectivement 2,08 espèces/km2 et 0,98
endémiques/km2 (Bernardillo et Stuessy, 2001).
Les inventaires et les caractérisations botaniques de
l'archipel sont le résultat de presque 200 ans de collections et de
visites sporadiques d'une multitude de scientifiques. Si la première
expédition scientifique en 1743 est l'oeuvre de Jorge Juan et Antonia de
Ulloa sous l'autorité du vice-roi du Pérou, Villagarcia
(Orrellana et al., 1974), la flore des îles de Juan
Fernández commencera à attirer l'attention au début du
XIXe siècle et les premiers prélèvements et inventaires
renseignés sont l'oeuvre de Mary Graham qui accompagnait Lord Cochrane
(alors engagé comme commandant général de la Marine au
Chili).
Le premier botaniste qui a séjourné sur
l'île Robinson Crusoe est David Douglas. En 1824, avec le géologue
John Scouler, il collecta 70 espèces qui se trouvent dans les herbiers
de Kew en Angleterre. En 1830, Carlo G. Bertero (botaniste italien), restera
plusieurs mois sur l'île Robinson Crusoe et récoltera une grande
collection de plantes. A la même période, Hugh Cuming visitera
pour la première fois l'île Alejandro Selkirk.
A partir de 1830, le gouvernement chilien engagera Claudio Gay
(botaniste français) pour étudier l'histoire naturelle du pays.
Il écrira un ouvrage en 8 volumes sur la flore chilienne et un atlas. Il
transitera par l'archipel Juan Fernández en 1832 et relatera le grand
intérêt biologique de l'île pour la science et pour le
pays.34
Philibert Germain (entomologiste) prélève en
1854 une précieuse collection qui sera étudiée par R.A.
Philippi (botaniste allemand professeur d'histoire naturelle à
l'Université du Chili et directeur du musée national d'histoire
naturelle) en 1856 et qui met en évidence la détermination de 28
nouvelles espèces dont Podophorus bromoides
(Gramineae), qui n'a jamais été retrouvée
depuis (Matthei, Marticorena et Stuessy, 1993).
Suivent Edwyn C. Reed et José Guajardo en 1869, puis en
1872, qui rassemblent une importante collection conservée dans les
herbiers du Musée National d'Histoire Naturelle à Santiago du
Chili. Ils
34 Voir Partie 2 - Chapitre I - point 3. De la découverte
de l'île Robinson Crusoe à nos jours.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
ont été les premiers à recueillir
l'Anthoxanthum odoratum ou pasto oloroso, une graminée
exogène actuellement présente dans une zone assez large des
îles Robinson Crusoe et Alejandro Selkirk.
En 1875, le navire anglais Challenger fait escale dans
l'île avec à son bord le naturaliste H. Moseley qui rassemblera
une grande collection. Ce matériel a permis à William B. Hemsley
(conservateur à Aberdeen et Kew) d'écrire le premier rapport
important sur la botanique de l'archipel Juan Fernández. << En
1891 et ultérieurement en 1892, Federico Johow (botaniste allemand
engagé au Chili pour participer à la construction du nouveau
système pédagogique), et Juan Söhrens vont séjourner
sur Robinson Crusoe. Johow fait une vaste analyse de la flore introduite,
citant plusieurs espèces (indigènes et introduites) pour la
première fois, notamment la murtilla (Ugni molinae),
espèce du Chili continental, qui, dans l'île Masatierra a
déplacé une surface considérable de la flore
indigène. » (Matthei, Marticorena et Stuessy, 1993) Federico Johow
publiera ses résultats en 1896 dans son oeuvre << Estudios
sobre la flora de las islas Juan Fernández ».
Le botaniste qui a le plus contribué à former
les bases référentielles de la caractérisation
végétale a été Carl Skottsberg. Ce botaniste
suédois a réalisé une intense étude de la flore des
îles de l'archipel. << En 1908, puis de 1916 à 1917 et de
1953 à 1954, Skottsberg a collecté non seulement des plantes
vasculaires, mais aussi des algues, des champignons et des lichens. Son oeuvre
est le travail le plus complet qui a été réalisé
jusqu'à présent. Skottsberg a été le dernier
à trouver un exemplaire vivant de Santal, en 1908. On n'a jamais
retrouvé d'autre spécimen depuis et son extinction est
désormais considérée définitive. » (Matthei,
Marticorena et Stuessy, 1993) Il a distingué 7 communautés
végétales dans l'île Robinson Crusoe à la fois selon
l'altitude et selon la composition. Très vite, Carl Skottsberg a
manifesté une grande inquiétude devant la situation
préoccupante de la flore native.
A partir de 1980, vu l'intérêt de l'archipel Juan
Fernández pour l'étude de processus de l'évolution et de
la systématique, le département de botanique de
l'université de l'Ohio (USA) et l'université de Concepción
(Chili) ont effectué 6 expéditions avec pour objectifs d'examiner
les espèces natives (leur identité, et leur valeur chimique,
médicale et thérapeutique), de comprendre les processus
d'évolution des espèces endémiques et finalement de
réaliser un nouveau cadastre des plantes vasculaires (Stuessy et
al., 1998). Les résultats de ces observations rendront compte
des différentes zones végétales et des espèces
endémiques qu'elles hébergent mais aussi de la destruction
progressive de la flore des îles. Tod Stuessy utilisera les secteurs
définis par Skottsberg pour réaliser une étude sur
l'évolution botanique de l'île Robinson Crusoe. Ces travaux
mettront en évidence une importante coexistence d'espèces
introduites avec les espèces indigènes et la dangerosité
d'une multitude d'espèces exogènes dont plusieurs sont
très difficiles à contrôler et/ou à
éradiquer. Parmi celles-ci, la Zarzamora (Rubus
ulmifolius), le Maqui (Aristotelia chilensis), la
Murtilla (Ugni Molinae), le Trun (Acaena
argentea) et le Cardo blanco (Eryngium Bourgatii) sont
considérées comme les pires.
En 1997 et jusqu'en 1999, Philippe Danton (botaniste
attaché au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris)
effectuera un premier travail d'exploration, d'inventaire botanique et de
préservation des espèces végétales menacées
de l'archipel Juan Fernández. Une synthèse des premiers voyages a
été publiée en 1999. En 2001, il créera
l'association Robinsonia dont l'objectif est de compléter les
connaissances naturalistes scientifiques disponibles sur l'archipel Juan
Fernández. Pour ce faire, Philippe Danton continue son travail
d'inventaire et de conseil pour la gestion conservatoire sur place en
collaboration avec le Parque Nacional Archipiélago Juan
Fernández, la CONAF, le Muséum de Santiago et diverses
universités chiliennes. Désormais accompagné par
Christophe Perrier (assesseur du présent mémoire), Philippe
Danton prévoit l'édition d'une synthèse sur l'Histoire
Naturelle de l'archipel, mettant à jour, pour la flore, le remarquable
ouvrage de Carl Skottsberg publié entre 1920 et 1956.
Parallèlement, l'association Robinsonia << tente de
sauvegarder la flore des îles de l'archipel au travers de projets de
conservation in situ et ex situ des espèces les plus
menacées. » (Georget, 2009)
Plusieurs voyages scientifiques ont permis de retrouver des
espèces considérées disparues, engager des actions de
sauvegarde sur place et ex-situ, et découvrir quelques nouveautés
botaniques.
L'ensemble de ces travaux converge dans le même sens et
appuie l'intérêt non seulement botanique mais surtout
écologique des îles de l'archipel.
2.1.2. Caractérisation des zones
végétales (Cambornac, 2002)
Depuis le niveau de la mer jusqu'au point culminant (El
Yunque - 915 m) on peut distinguer, en simplifiant, trois niveaux : une
zone littorale, de 0 à 5-15 m (caractérisée par des plages
de galets grossiers, des rochers littoraux, des îlets et des pieds de
falaises verticales), une zone basse, de 5-15 à 450 m (qui comprend des
falaises verticales, des pentes plus ou moins inclinées et des ravins
parfois profonds) et une zone d'altitude, de 450 à 915 m (où l'on
trouve des parois rocheuses plus ou moins abruptes, des crêtes et les
sommets des collines).
1) La zone littorale
Sur l'île même, la végétation est
principalement composée d'espèces adventices, quelques
indigènes et peu d'endémiques. Par contre, sur les îlets
épars aux abords des côtes, et surtout ceux difficiles
d'accès, la flore originelle s'est maintenue. Ces rochers
représentent de véritables témoins de ce qu'ont pu
être les parties basses de ces îles avant l'arrivée des
hommes, même si des adventices se sont aujourd'hui installées,
là aussi. Cette végétation originale est composée
de nombreuses espèces endémiques.
Globalement, la zone littorale, à l'exception de
certains îlets (Juanango et Verdugo surtout) a été
notablement modifiée dans sa composition floristique par
l'arrivée massive de plantes adventices.
2) La zone basse
La végétation est plus variée et
présente un mélange de nombreuses espèces adventices,
indigènes et endémiques. Elle comporte aussi des forêts
claires avec de nombreuses endémiques : des arbres (e.g. Myrceugenia
Fernándeziana ou Drimys confertifolia), des arbustes (e.g.
Sophora Fernándeziana) et une strate herbacée assez
pauvre. Enfin, il existe des pentes plus ou moins érodées,
anciennement boisées, où ne survivent que bien peu de plantes
indigènes et où se sont installées des adventices dont
certaines sont très envahissantes (e.g. Acaena argentea).
Cette zone est la plus modifiée depuis la
découverte de l'archipel et c'est aussi celle qui abritait deux
espèces endémiques aujourd'hui disparues (Santalum
Fernandezianum et Podophorus bromoides). C'est aussi à ce
niveau qu'un boisement exotique a été installé autour du
village, sur un espace totalement dénudé, pour répondre
aux besoins en bois de la population installée de façon
permanente. Les espèces introduites (eucalyptus, pin et cyprès)
commencent à coloniser les parties hautes en produisant de petits
bosquets pionniers qui déplacent la végétation
indigène.
3) La zone d'altitude
Dans la zone d'altitude, la végétation
originelle s'est un peu mieux conservée mais aujourd'hui elle est
soumise à la prolifération conquérante des 3
espèces introduites les plus agressives (Rubus ulmifolius,
Aristotelia chilensis, Ugni Molinae) et se trouve envahie
avec une rapidité
extrêmement préoccupante et dommageable à
l'originalité irremplaçable de ces milieux.
C'est là que l'on trouve les forêts primaires de
brume dont la majorité des espèces sont endémiques, qu'il
s'agisse du seul palmier de l'archipel (Juania australis), des arbres
(e.g. Myrceugenia Fernándeziana, Drimys confertifolia,
Rhaphythamnus venustus...), des arbustes (e.g. Dendroseris
berteroana, Robinsonia gracilis, Ugni selkirkii,
Lactoris Fernándeziana, Yunquea tenzii, ...), des
herbacées (Gunnera bracteata, Greigia berteroi,
Chusquea Fernándeziana, ...) et des très nombreux
ptéridophytes terrestres ou épiphytes (Dicksonia
berteroana, Megalastrum inaequalifolium, Thyrsopteris
elegans, Rumhora berteroana,...). Sur les crêtes, on trouve
des espèces forestières existantes aux autres niveaux mais sous
des formes tourmentées par les vents.
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
2.1.3. Caractérisation des espèces
végétales35
L'archipel Juan Fernández abrite 716 espèces de
plantes vasculaires, dont 60 ptéridophytes, 10 gymnospermes, 147
monocotylédones et 499 dicotylédones. Sont
représentées 139 familles et 441 genres. Il existe sur l'archipel
une famille endémique (Lactoridaceae représentée
par une seule espèce : Lactoris Fernándeziana)
probablement originaire de l'ancien continent austral qu'on appelle Gondwana ou
Pangée (El Mercurio, 2005). Il existe 11 genres
endémiques (Centaurodendron, Cuminia, Dendroseris, Juania, Lactoris,
Megalachne, Podophorus, Robinsonia, Selkirki, Thyrsopteris et
Yunquea), et 137 espèces endémiques. La flore vasculaire
indigène présente plus de 60% d'endémisme au niveau de
l'espèce. Parmi les espèces endémiques, 29 sont des
ptéridophytes, 15 sont des monocotylédones, et 93 des
dicotylédones.
Les angiospermes endémiques se trouvent dans toutes les
zones écologiques identifiées mais dans un état fragile.
« 75 % des espèces sont considérées éteintes,
menacées, rares ou occasionnelles. Les espèces Santalum
Fernandezianum et Podophorus bromoides sont
présumées éteintes. » (CONAF, 2004)
Les premières expéditions de Philippe Danton,
Michel Baffray et Emmanuel Breteau en 1998 et 1999 et les dernières
expéditions de Philippe Danton et Christophe Perrier mettront en
évidence l'existence d'espèces encore inconnues jusque-là,
tant allochtones qu'autochtones. Récemment, et ce malgré les
différents projets de sensibilisation, une étude
botanique36 réalisée dans le périmètre
du village de San Juan Bautista a mis en évidence l'introduction de 27
nouvelles espèces pour raison essentiellement ornementale (non comprises
dans le tableau ci-dessous).
Le nombre de taxons dans l'archipel peut être
analysé, en outre, dans les catégories de introduites,
indigènes et endémiques (voir figure 14).
Figure 14 : Nombre d'espèces endémiques,
indigènes et introduites sur l'archipel
Source : Vanhulst, 2009 d'après Danton et Perrier,
2006.
Depuis sa découverte en 1574, l'archipel Juan
Fernández a accumulé une grande quantité d'espèces
introduites, particulièrement dans les dicotylédones. Des 716
espèces au total, près de 70% (503) sont introduites. Le groupe
de taxons introduits le plus important est celui des dicotylédones
(76%).
Au-delà de cette évaluation quantitative, la flore
de l'archipel Juan Fernández est exceptionnelle à plus d'un titre
(Danton, 2004) :
? Parmi les espèces, plusieurs sont le résultat
de processus de paléo-endémisme et sont donc devenues de
véritables reliques de temps anciens (comme par exemple Lactoris
Fernándeziana ou Thyrsopteris elegans).
35 Voir annexe 07
36 Stage de Cécile Georget encadré par
l'association Robinsonia (juillet 2009)
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
· D'autres espèces sont le résultat de
processus de néo-endémisme (comme les genres Centaurodendron,
Juania, Lactoris, Megalachne, Podophorus, Robinsonia,Yunquea).
· Certaines architectures de plantes sont typiques des
milieux insulaires, en particulier le fait que de nombreuses espèces
soient ligneuses alors qu'elles sont herbacées sur les continents.
· L'île Robinson Crusoe accueille un biome unique au
monde: la `myrtisylve Fernándezienne' (P. Danton), forêt
native dont 100% des espèces sont endémiques.
· Le développement de la différenciation
sexuelle (plantes dioïques) chez les endémiques en réponse
aux problèmes de consanguinité dus aux conditions insulaires.
· Cette flore, vu l'âge récent de l'archipel,
est une source de compréhension des phénomènes complexes
d'évolution et de spéciation
· Les potentialités chimiques, pharmaceutiques et
génétiques sont peu explorées.
Ainsi, quel que soit le chiffre retenu pour qualifier
l'importance biologique de l'archipel, il apparaît clairement que
celui-ci présente des qualités inestimables. Mais l'environnement
particulier et calme de l'archipel qui crée les conditions de vie de ces
espèces a également créé les conditions de leur
fragilité (Danton, 2004). En effet, étant donné leur
situation d'isolement sans impératif d'évolution, les
espèces indigènes n'ont pas développé de
mécanismes pour lutter contre les animaux introduits et les plantes
envahissantes. Leurs incursions provoquent une situation de
déséquilibre dans laquelle structurellement, les espèces
autochtones ne peuvent pas lutter.
<< Par exemple, elles n'ont pas développé
de défense contre les herbivores (chèvres, vaches, chevaux), les
rongeurs (rats, souris) ou les lagomorphes (lapins). Elles n'ont pas la
plasticité architecturale nécessaire pour surmonter le
surplombement par d'autres plantes. [...] Elles n'ont pas non plus la
faculté d'occuper rapidement la totalité du terrain disponible
avec une reproduction végétative très compétitive,
comme c'est le cas de la Murtilla introduite (Ugni molinae).
Aucune des plantes endémiques des îles ne dispose d'une
stratégie de dissémination puissante comme celle du Trun
introduit (Acaena argentea) dont les semences s'agrègent
aux poils des animaux comme dans les cordons, les chaussettes et les pantalons
des passants. Les écosystèmes sont aussi très facilement
perturbés par le transit du bétail ou de l'homme. Il existe de
nombreux autres exemples de cette vulnérabilité
particulière de la nature insulaire. » (Danton, 2004)
2.2. Diversité animale37 2.2.1. Les
mammifères
Tous les mammifères terrestres présents aujourd'hui
ont été introduits à partir de 1574.
Ainsi, la faune de vertébrés indigènes
est constituée seulement par quelques oiseaux terrestres et aquatiques
et 2 espèces de mammifères marins arrivés là de
manière naturelle. De ces 2 espèces de mammifères marins,
l'éléphant de mer (Mirounga leonina), cité par
Lord Anson, n'a pas eu la chance de survivre à la chasse industrielle.
L'espèce n'est pas éteinte à la surface du globe mais elle
ne vit plus sur l'archipel Juan Fernández. Le Lobo de dos pelos,
otarie endémique de Juan Fernández (Arctocephalus
philipii), qui a été surchassée du XVIIe
siècle jusqu'au début du XXe siècle pour le
commerce de peaux et d'huile, a été considérée
éteinte au début du XXe siècle jusqu'à
ce qu'on retrouve un petite colonie cachée dans des grottes peu
accessibles. Elle est aujourd'hui soumise à un régime de
protection total et l'espèce n'est plus considérée comme
menacée mais reste sous statut de protection.
2.2.2. L'avifaune
Il existe une avifaune qui compte peu d'espèces mais
qui est hautement endémique. Ainsi, malgré qu'il n'existe que 10
espèces d'oiseaux terrestres, 4 d'entre elles sont endémiques de
l'archipel: le Picaflor rojo, colibri de Juan Fernández
(sephanoides fernandensis), devenu un des emblèmes de
l'archipel, deux espèces de passereaux : le Cachitoro
(Anairetes Fernándezianus), et le Rayadito de
masafuera (Aphrastura masafuerae) et le Blindado
(Buteo polyosoma subsp. Exul). D'autre part, 2
sous-espèces d'oiseaux sont endémiques : le Cernicalo
(Falco Sparverius Fernándezianus) et un passereau : le
Churrete (Cinclodes oustaleti backstroemi).
37 Voir annexe 08
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández
(Chili)»
Il y a également 6 espèces d'oiseaux qui se
reproduisent sur l'archipel dont 5 sont des pétrels et une est une
hirondelle de mer. Parmi ces espèces d'oiseaux marins, 2 espèces
sont endémiques : la Fardela negra de Juan Fernández
(Ptérodroma neglecta) et la Fardela de Masafuera
(Ptérodroma longirostris).
D'autre part, des oiseaux pélagiques tels que des Albatros
(Diomedea sp.) ou le Pétrel géant (Macronectes
giganteus) pèchent dans les eaux à proximité de
l'île.
2.2.3. La faune aquatique
Si aucun poisson d'eau douce n'a jamais été
recensé dans les eaux de l'archipel, les fonds marins qui bordent
l'archipel (et qui ne font pas partie du parc national !) abritent le
crustacé qui porte l'économie de l'archipel depuis presque 150
ans : la langouste de Juan Fernández (Jasus frontalis),
espèce endémique de l'archipel Juan Fernández et du petit
archipel des Desventuradas (îles San Felix et San
Ambrosio) situé plus au nord.
Par ailleurs, il existe des poissons marins endémiques
tels que le Bacalao de Juan Fernández (Polyprion
oxygeneois) ou le Pampanito (Scorpis chilensis) (Danton,
2004).
2.2.4. Les invertébrés
Sur l'archipel Juan Fernández, si la faune et surtout
la flore ont été abondement étudiées, l'entomofaune
souffre d'un manque d'étude considérable. Le Dr Guillermo Kuschel
(entomologiste et professeur à l'Université de Santiago du Chili
jusqu'en 1962) a réalisé la seule étude de
référence qui date de 1952. Ainsi, Kuschel a
dénombré 687 espèces d'insectes dont 440
endémiques, soit plus de 60% du nombre total d'espèces
inventoriées (Danton, 2002). De nombreux autres groupes - classe des
Arachnides (58 espèces, dont 49 espèces endémiques),
Crustacés (11 espèces dont 8 endémiques),
Gastéropodes (30 espèces dont 24 endémiques), etc.
présentent aussi une grande diversité, dont une partie importante
reste probablement à découvrir (Danton, 2002).
2.2.5. Faune animale introduite
Parallèlement à cette faune indigène,
coexistent des espèces introduites depuis le continent, dont certaines
sont retournées à l'état sauvage, et provoquent divers
degrés de dommage, tant au règne végétal qu'animal
mais également au niveau des sols.
On peut dire que les animaux indigènes et
endémiques se trouvent confrontés aux mêmes
difficultés que les plantes. « Ils souffrent de la concurrence des
espèces introduites agressives comme par exemple le crapaud insectivore
pleurodema Thaul (introduit dans les années 1960 et
représentant une pression pour les insectes indigènes), les
fourmis, les rats et les souris (qui mangent les oeufs et les oisillons), les
chats sauvages et les coatis (qui mangent les pétrels et les colibris),
les chiens (qui attaquent les jeunes otaries), etc. D'autres ravageurs
introduits dans la zone urbaine (cochenilles, pucerons, champignons) entrent
peu à peu dans les lieux les plus retirés des îles,
parasitant la flore indigène et endémique. » (Danton,
2004)
Les invertébrés ne font pas exception en
matière d'introduction. La guêpe (Vespula germanica)
présente sur le continent chilien (et connue comme l'une des pestes
animales majeures du Chili) et probablement introduite involontairement,
crée de graves problèmes. Le SAG a commencé en 2004 un
programme d'éradication, entre autres pour enrayer les
dégâts causés par la guêpe (dérangement pour
la population mais aussi pollinisation et donc développement des
espèces introduites). Ce programme faisait partie d'une convention de
coopération entre la CONAF et le SAG pour protéger la flore et la
faune native de l'archipel Juan Fernández contre les arthropodes
exogènes qui ont été introduits (SAG, 2004). Il est
actuellement arrêté sans avoir totalement réalisé
ses objectifs (la guêpe, par exemple, n'a pas été
complètement éradiquée).
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
CHAPITRE III - PERTE DE BIODIVERSITÉ sur l'archipel
Juan Fernández
1. Réalités du problème de perte de
biodiversité
Au niveau planétaire, l'épisode d'extinction
actuel présente des différences à la fois quantitatives et
qualitatives en comparaison aux épisodes
antérieurs.38
La majeure partie de ces extinctions sont attribuables
à des causes humaines et les estimations et projections du taux
d'extinction pour divers groupes d'organismes donnent des valeurs
supérieures à leur équivalent dans les registres fossiles
(Torres-Mura, Castro et Oliva, 2008). Comme nous avons pu déjà
l'entrevoir, le cas de l'archipel Juan Fernández illustre bien ce
phénomène à une échelle plus locale.
L'archipel est actuellement soumis à de fortes
agressions : non seulement la surexploitation a déjà causé
la disparition d'une espèce d'arbre endémique (le santal de Juan
Fernández, Santalum Fernándezianum), d'une espèce
d'éléphants de mer (non éteinte mais dont la
répartition géographique ne s'étend plus à
l'archipel) et presque celle des otaries. Les captures de langoustes
endémiques montrent une tendance à la diminution, les
transformations dans l'habitat (via les exploitations ou la colonisation des
espèces invasives) endommagent l'ensemble des écosystèmes
et enfin, l'introduction d'espèces exogènes (animales et
végétales) représente un grand danger qui a
déjà laissé des traces profondes. Derrière ces
facteurs disjoints, c'est plutôt la réalité
systémique du problème qu'il est nécessaire de
considérer y compris la place et le rôle de l'homme.
Evoquée dans le chapitre précédent,
l'histoire de l'archipel Juan Fernández est marquée par des
évènements de nature à altérer les
écosystèmes. Depuis 1574, l'implantation humaine a
été le point focal non seulement de l'exploitation des ressources
de l'île, mais aussi d'introduction volontaire ou involontaire
d'espèces exogènes. C'est à partir du village qu'ont
été introduites les chèvres et disséminés
certains arbres fruitiers et autres plantes potagères. C'est aussi du
village que proviennent les plantes adventices qui représentent
aujourd'hui les dangers les plus alarmants (Zarzamora, Maqui
et Murtilla).
Peu de plantes exotiques ont été
observées par Maria Graham en 1823. Lors de la première
expédition botanique (complète) sur l'archipel (F. Johow en
1896), 237 espèces de plantes ont été recensées
dont 95 sont des plantes introduites. Cent nonante espèces exotiques
seront rapportées en 1993 (Matthei, Marticorena et Stuessy, 1993) et 3
ans plus tard, on en comptera 227 (Swenson et al., 1997) (Stuessy et
al., 1998) « Aujourd'hui, il y a 716 espèces qui se
trouvent sur tout l'archipel dont 503 ont été introduites. Soit
en 110 ans, la flore vasculaire de l'archipel a plus que triplé et les
plantes introduites ont plus que quintuplé. Naturellement dans des
îles comme Juan Fernández, une nouvelle espèce
végétale apparaît approximativement tous les 8000 ans. Sur
cette base, la nature aurait eu besoin de 2.696.000 ans pour réaliser ce
que l'homme a fait en 110 ans ! » (El Mercurio, 2005) Du
côté du règne animal, tous les mammifères terrestres
présents aujourd'hui ont été introduits ; comme c'est le
cas de certains batraciens ou d'autres invertébrés (comme la
guêpe ou la araña de los rincones, Loxosceles
Laeta).
Parallèlement, des espèces indigènes et
endémiques disparaissent. Des 137 espèces végétales
endémiques de l'archipel Juan Fernández, 2 espèces sont
éteintes (Santalum Fernándezianum et Podophorus
bromoides), 1 espèce est éteinte dans son habitat naturel
mais existe dans des conservatoires botaniques (Walhenbergia
larraini), 3 sont probablement éteintes (Robinsonia
macrocephalla, Chenopodium nesodendron et Eryngium
sarcophyllum), enfin, Notanthera heterophylla s'est
éteinte en 2003 et Robinsonia berteroi s'est éteinte en
mai 2004 (Danton et Perrier 2004). Les éléphants de mer
(Mirounga leonina) ont aussi disparu des abords de l'archipel et le
picaflor rojo (sephanoides fernandensis) est en danger
critique d'extinction (classé CR par L'UICN).
Si l'extinction est un processus naturel qui exprime
l'incapacité d'une espèce à s'adapter, les êtres
humains exercent une emprise majeure sur le destin des espèces
naturelles. Le cas de l'archipel Juan Fernández illustre remarquablement
bien la rupture d'échelle qui a germé dans un terreau
anthropique. Les tendances actuelles du phénomène de colonisation
par les espèces invasives et les épiphénomènes qui
en résultent sont significatives de l'empreinte de l'homme.
38 Voir Partie 1 - Chapitre II - point 2.2. Disparitions
liées au forçage anthropique
Les activités humaines constituent de loin la plus
grande pression sur la faune, la flore et le biotope de l'archipel, y compris
l'accélération de l'érosion. Etant donné la
position stratégique de l'archipel au large des côtes chiliennes,
les haltes des différents navires ont réduit drastiquement les
populations d'éléphants de mer et d'otaries mais également
épuisé les arbres des forêts primaires dans les zones
basses (utilisés comme bois de chauffage et comme matériau de
construction). Ces pratiques ont laissé de larges surfaces sans
couverture végétale et ont accéléré
l'érosion. << La partie Est de l'île Robinson Crusoe a
été sévèrement déforestée durant le
XVIIIe et le XIXe siècle et est, aujourd'hui,
complètement dénudée présentant peu de terre ou de
végétation mais uniquement une roche volcanique
résiduelle. » (Stuessy et al., 1998) L'action de l'homme
depuis plus de quatre siècles a entraîné la
réduction de nombreuses formations végétales, en
particulier de la forêt primaire. En dehors de l'exploitation des
ressources, comme évoqué ci-avant, les mouvements
continent-îles ont favorisé l'introduction d'espèces
exotiques dans l'archipel, qui pour certaines sont devenues adventices.
Ainsi, au fur et à mesure de l'installation de l'homme
sur l'archipel, de la modernisation et de la multiplication des échanges
avec le continent, ces tendances se sont renforcées et ont
convergé vers les 3 grands facteurs mis en évidence au niveau
global.
2. Facteurs de perte de biodiversité sur l'archipel
Juan Fernández
Les différentes sources d'altération des
écosystèmes interviennent comme les ramifications
interdépendantes d'un système complexe. Cependant, s'il faut
considérer les variations d'origine naturelle, les impacts anthropiques
sont proportionnellement beaucoup plus importants (l'arrivée de l'homme
ayant provoqué une rupture d'échelle considérable dans la
disparition d'espèces endogènes et surtout dans l'apparition
d'espèces exogènes).
Globalement et à la lumière des fondements qui
précèdent, le problème de perte de biodiversité sur
l'archipel Juan Fernández peut être structuré comme suit
(en vert : les facteurs naturels et en bleu: les facteurs anthropiques):
Figure 15 : Les facteurs de perte de
biodiversité sur l'archipel Juan Fernández
Source : Vanhulst, 2009 d'après Cuevas et Van Leersum,
2001 ; T. Stuessy et al., 1998.
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández
(Chili)»
Ces éléments contextuels appuient les
théories globales sur la perte de biodiversité. En effet, les
problèmes majeurs relatifs à la biodiversité de l'archipel
font clairement écho à ceux définis au chapitre 1 de la
1ère partie de ce travail. Ainsi, les principaux facteurs de
dégradation de la biodiversité sur l'archipel Juan
Fernández sont sensiblement similaires à ceux qui opèrent
à l'échelle globale et ils agissent comparativement avec plus de
force que sur le continent.
« Derrière les effets anthropiques directs
(exploitation des forêts, élevage, culture, urbanisation,
tourisme), l'impact des espèces invasives, introduites
délibérément ou involontairement, est
particulièrement important dans les îles océaniques. »
(Dirnböck et al., 2003) Combinés à l'exploitation
et au changement des habitats, ces facteurs sont à l'origine de perte de
biodiversité originelle de ces écosystèmes qui affecte
directement la biodiversité globale (étant donné que
certaines espèces sont endémiques).
Un regard croisé sur les différents
éléments passés en revue et une vision diachronique
révèlent clairement que les îles de l'archipel Juan
Fernández ont non seulement changé au cours des temps mais aussi
que ces processus se sont accélérés de façon
graduelle à partir du XVIe siècle avec
l'arrivée de l'homme et ses conséquences.
Nous en revenons donc notoirement aux 3 facteurs proposés
au niveau global que nous pouvons appliquer au cas de l'archipel Juan
Fernández :
2.1. Introduction d'espèces
Les premières introductions arrivent avec les bateaux
de Juan Fernández Sotomayor et leur impact augmentera avec le temps. Les
nouvelles conditions (compétition, prédation, surpâturage,
etc.) se révèleront dramatiques. Depuis le 22 novembre 1574, les
introductions d'espèces exogènes ne feront que grandir et les
conséquences négatives aussi (Danton, 2004).
La mosaïque d'espèces introduites par l'homme au
cours des 435 dernières années est large : elle concerne autant
les plantes, les mammifères que les oiseaux ou encore les insectes. Les
effets de ces introductions sont multiples : modification des habitats naturels
(via l'installation et le remplacement des espèces endogènes mais
aussi via des processus érosifs), déplacement voire
élimination des espèces indigènes. Les
écosystèmes insulaires sont particulièrement fragiles aux
introductions d'espèces exogènes.39 Elles
représentent donc toutes potentiellement un danger plus ou moins
grand.
Curieusement, si les introductions ont été
signalées depuis les écrits de Diego de Rosales au
XVIIe siècle et si les investigations scientifiques de la fin du XIXe
s. et du début du XXe s. ont clairement mis en évidence
l'intérêt de l'archipel, les mesures de conservation pour enrayer
le problème et pour
39 Voir Partie 1 - Chapitre III - point 3. Fragilité
éviter de futurs introductions sont absentes avant les
premiers travaux du SAG et surtout l'arrivée de la CONAF en 1972
(malgré le statut de parc national depuis 1935). Aujourd'hui encore,
l'absence de contrôle permanent de type phytosanitaire et zoosanitaire
par le SAG aux points d'entrée de l'archipel (soit l'embarcadère
et le terrain d'atterrissage) donne lieu à des apparitions de pestes et
de maladies qui peuvent potentiellement affecter la flore et la faune locales.
(CONAF, 2004)
En 2001, Greimler, Stuessy, Lopez et Dirnböck montrent la
distribution spatiale de la végétation sur l'île Robinson
Crusoe.
Figure 16 : Carte de la répartition
géographique des espèces autochtones et allochtones
Source: Greimler, Lopez, Stuessy, Dirnböck,
2001.
<< La carte montre clairement que la
végétation endémique et native est en danger, au moins
potentiellement, partout sur l'île excepté aux très hautes
altitudes. Les invasives les plus dangereuses parmi les espèces
ligneuses sont Aristotelia chilensis, Rubus ulmifolius et
Ugni molinae (Sanders et al. 1982, Swenson et al.
1997, Stuessy et al. 1998), toutes donnent des fruits qui sont
dispersés par les oiseaux. [...] Si ces fléaux ne sont pas
contrôlés, le futur de la forêt et des arbustes
endémiques sur l'île Robinson Crusoe est incertain. [...] Le
régénérescence des arbres et plantes natives
apparaît plus lente que celle des plantes introduites et des arbres
cultivés. [...] Parmi les herbes, Acaena Argentea est la peste
la plus sérieuse. Elle se multiplie prodigieusement grâce à
ses fruits qui sont facilement dispersés par les animaux (et les hommes
!) et par reproduction végétative grâce à ses longs
stolons. » (Greimler et al., 2002) Seulement, c'est aussi un
magnifique couvre-sol qui fixe le sol et empêche son érosion
!40
Les espèces introduites sur l'île Robinson Crusoe
représentent environ 70 % des espèces présentes sur
l'île ! (Danton et Perrier, 2006)
40 Christophe Perrier (commentaire personnel)
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» Parmi les espèces
introduites, il convient de distinguer différents groupes (Hallé,
Danton et Perrier, 2007) :
- Les espèces animales introduites
- Les arbres exotiques plantés après 1930
(cyprès, pins, eucalyptus, acacias) - Les autres espèces
végétales introduites.
2.1.1. Espèces animales
Les espèces animales introduites sont d'autant plus
destructrices que la faune des îles ne comportait, à l'origine,
aucun mammifère terrestre. Tous les mammifères terrestres
présents sur l'archipel sont donc à considérer comme
envahisseurs biologiques. En sus des espèces introduites
involontairement (rats, souris), il faut distinguer les espèces
domestiques retournées à l'état sauvage (chèvres,
chats, lapins, coatis, chiens) et les espèces associées aux
activités humaines (chats, chiens, cheval, bovins, ovins).
Les premières espèces animales à avoir
été introduites sont les chèvres (introduites sur les
trois îles par Juan Fernández Sotomayor et laissées en
liberté), l'espèce constituait une source de viande pour les
marins de passage sur l'île. Très vorace et capable
d'accéder à presque toutes les parties des îles, la
chêvre a eu un impact important sur la végétation
(même si cet impact est difficile à évaluer étant
donné l'intervalle entre son introduction, il y a plus de 4
siècles, et les premiers inventaires botaniques qui datent de 1823). Les
effectifs de chèvres ont été fortement réduits
à la fin du siècle passé dans le cadre du projet de
coopération entre la CONAF et les Pays-Bas. Cependant, sur l'île
Alejandro Selkirk, l'espèce est encore bien
représentée.
Peu après, trois espèces de rongeurs
cosmopolites sont arrivées fortuitement accompagnant les navires de
passage. Deux espèces de rats (Rattus norvegicus et son
homologue Rattus rattus) et l'espèce de souris Mus musculus
figurent parmi les premiers mammifères à avoir
été introduits avec la chèvre à la
différence que ces pestes animales ont été
importées involontairement.
« L'impact de ces micromammifères sur la faune
sauvage, en particulier sur les oiseaux est bien connu. Mais leur
caractère de rongeur les amène principalement à consommer
des fruits et des graines limitant ainsi la régénération.
Ils constituent donc également une menace pour la flore
endémique. » (Fellmann, 2004)
« Ojeda (com. pers.) indique que les trois espèces
de rongeurs seraient présentes dans tous les sites avec un certain
degré d'activité humaine, même transitoire (e.g. camping,
pique-nique) et en outre, on les trouve à l'intérieur de la
forêt native (Meza 1988, 1989). » (Muñoz etal.,
2003)
En réponse à la prolifération des
rongeurs, des chats ont été introduits dans le but de
réduire les populations de rats et de souris. Avec le temps, certains
individus sont retournés à l'état sauvage et se sont
éloignés des zones d'habitat humain. S'ils ont effectivement une
fonction de régulation des rats, des souris et par la suite des lapins
(voir ci-après), ils sont aussi des prédateurs pour l'avifaune
locale et parfois aussi pour les jeunes otaries. Ainsi, les chats sont les
principaux prédateurs du Picaflor Rojo de Juan Fernández
(Sephanoides fernandensis), espèce
endémique en grand danger d'extinction.
« Alors que sur le continent, les chats se nourrissent
essentiellement de petits rongeurs, après leur introduction dans les
îles, les oiseaux ont constitué une fraction importante de leur
régime alimentaire. » (Muñoz et al., 2003) Ainsi,
les chats ont un effet délétère sur la faune
indigène des îles de l'archipel qui, rappelons-le, avait
évolué sans mammifères terrestres et donc sans
développer de défense contre des prédateurs. Avec les
coatis (voir ci-après), ils constituent une forte pression sur les
populations d'oiseaux.
Au fur et à mesure du temps, avec l'abandon des
îles, la plupart des espèces introduites sont retournées
à l'état sauvage jusqu'à se développer en tant
qu'espèce endémique pour certaines d'entre elles (la
chèvre de Juan Fernández par exemple a constitué une
variété spécifique).
Dans le courant du XVIIIe siècle, des chiens seront
introduits par les Espagnols pour éradiquer les chèvres.
Abandonnés sur l'île Robinson Crusoe, ils retourneront à
l'état sauvage. Avec les colonisations postérieures et surtout
à partir de 1877, des chiens seront amenés comme animaux de
compagnie. Ils représentent un danger potentiel pour les
mammifères marins car Ils causent parfois des dégâts aux
populations d'otaries.
Avec l'installation, d'abord des fortifications, mais surtout
de la dernière colonisation, d'autres animaux domestiques et
d'élevage seront introduits. C'est le cas du mulet, du cheval, de la
vache, du mouton, du cochon, du chien, du coati mais aussi du lapin.
Les vaches ont été introduites pour
l'élevage. Tout comme les moutons ou les cochons (aujourd'hui absents),
les vaches représentaient une activité productive pour les
éleveurs qui en tiraient profit. Elles étaient laissées en
liberté, piétinant et pâturant de larges espaces jusque
dans la forêt primaire (comme c'est toujours le cas aujourd'hui hors de
la forêt).
<< La présence de bovins et
d'équidés depuis la création des établissements
humains permanents en 1877, a entraîné la dégradation des
prairies, la détérioration des marges de la zone
forestière, le compactage des sols et la génération de
foyers actifs d'érosion. [...] Les prairies, rares et
dégradées, que possède actuellement le parc national
archipel Juan Fernández sont utilisées par un groupe de 53
propriétaires d'animaux pour le pâturage de son bétail.
Toutefois, cette activité est totalement contraire aux politiques de
gestion des parcs nationaux » (CONAF, 2004).
Aujourd'hui, avec l'intensification des échanges entre
l'île et le continent, les vaches ne sont plus élevées ni
comme source de nourriture ni comme source de lait. La majorité des
viandes et des produits laitiers sont importés depuis le continent.
Cependant, et ce malgré la médiocrité de l'état
sanitaire du bétail (les zones d'alimentation étant
insuffisantes), celui-ci représente un placement financier à
conserver pour les propriétaires. Ainsi, les éleveurs constituent
un groupe qui ne partage pas les mêmes intérêts de
conservation que la CONAF. Pour enrayer le problème de surpâturage
et de dégradation des espèces végétales natives,
à la fin du XXe s., le projet de conservation et de restauration en
collaboration avec les Pays-Bas prévoyait la suppression ou en tout cas
une forte diminution de la population de vaches. Les propriétaires de
bétail ont paralysé ce pan du projet en refusant nettement toute
forme de compromis. Une alternative a alors été proposée
et des barrières ont été placées aux limites du
parc afin de cantonner les vaches hors de la zone protégée.
<< La mise en place des barrières fonctionne (quand celles-ci sont
encore debout) mais en même temps, les vaches sont cantonnées dans
des endroits précis et accentuent leur impact sur ces zones, donc
aggravent l'érosion. Bien sûr, dans le contexte social, il faut
choisir entre l'isolement et le surpâturage dans ces zones.
»41 Quoi qu'il en soit, on touche ici à la
problématique de la cohabitation entre habitants et parc naturel dans un
contexte socioculturel qui crée des divergences de valeurs selon les
intérêts. Etant donné que la gestion est avant tout
technique et que les premiers balbutiements d'intégration de la
population ont été réalisés dans le cadre du projet
de coopération entre la CONAF et les Pays-Bas (de 1998 à 2003) et
de façon relativement ponctuelle, l'inadéquation entre les
intérêts individuels d'une partie des habitants et les objectifs
du parc se fait cruellement sentir.42
Parmi les autres herbivores introduits, le cheval (dont le
nombre d'individus grandit) mais surtout le lapin posent de gros
problèmes. Le lapin provoque de grands dommages aux
écosystèmes insulaires. Il a probablement été
introduit sur l'île Robinson Crusoe vers 1940. En l'absence de
prédateur, le lapin a proliféré constituant une menace
majeure pour la flore et les sols. << En 1985, la densité de
population de lapins sur l'île Robinson Crusoe était
estimée à 25 lapins/ha, portant ainsi la population à
environ 70.000 individus (CONAF, 1985). En 2002, une nouvelle évaluation
de la densité a été faite lors du projet hollandais
portant la population à près de 55 000 individus (Saiz, 2002) et
ce alors qu'un plan d'éradication de l'espèce était
lancé depuis près de 3 ans. [...] La densité moyenne de
lapins est de l'ordre de 20 à 30 ind. /ha. Or, celui-ci est
considéré comme nuisible à partir de 20 ind. /ha (Ojeda,
Gonzales, Araya, 2003). Le lapin est donc un réel problème et, si
quelques sites sont particulièrement concernés, c'est bien
l'île dans son ensemble qui est touchée. » (Fellmann,
2004)
L'effet le plus direct du lapin est celui exercé sur le
sol, déclenchant ou favorisant le processus d'érosion par la
construction de terriers et la consommation de végétation
herbacée (les lapins consomment les jeunes plants d'arbres et d'arbustes
empêchant leur régénération et rongent les
écorces, asséchant complètement les arbres et
arbustes).
41 Christophe Perrier (commentaire personnel).
42 Voir Partie 2 - Chapitre IV - point 2.4. Ambivalence du statut
de protection de l'archipel
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández
(Chili)»
« Le Coati (Nasua nasua) a été
introduit comme animal de compagnie. Cette espèce est un grand danger
pour les animaux, en particulier pour les pétrels, oiseaux nichant dans
le sol. Il représente également une menace pour la flore
(écorçage des troncs) et participe à la dispersion des
principales pestes végétales de l'île (zoochorie), en
consommant en particulier le maqui. » (Fellmann, 2004)
En plus des principales espèces citées, d'autres
espèces animales (grenouille, pigeon, araignées, mais aussi la
guêpe, etc.) ont eu et ont encore un impact sur les milieux et les
espèces.
2.1.2. Arbres exotiques
Les derniers colons de l'archipel commenceront de façon
très marginale à planter des arbres pour répondre aux
besoins en bois des habitants et aux nécessités de
l'activité extractive. Plus tard, le premier projet de la CONAF a
été l'implantation d'une forêt exotique d'arbres à
croissance rapide (eucalyptus, cyprès, pins) pour enrayer la pression
sur les arbres indigènes. Ces arbres remplaçaient alors les
arbres qui avaient été extraits au cours des 350 années
précédentes pour la construction (de bateaux, de maisons, de
meubles,...) et l'énergie. Ces plantations en répondant aux
besoins des habitants, s'additionnaient aux espèces
végétales introduites et peu à peu, elles
commençaient à s'étendre dans les forêts du parc.
Aujourd'hui, les arbres exotiques qui forment la forêt
autour du village Juan Bautista constituent la ressource en bois de San Juan
Bautista étant donné que le reste de la forêt est sous le
régime de protection du parc national. D'autre part, ils assurent une
certaine stabilité à la structure du sol fortement
érodé ; même si corrélativement, l'eucalyptus,
exigeant beaucoup d'eau, assèche les sols, laissant peu de chance au
développement d'espèces végétales dans les
sous-bois. Si leur éradication n'est pas souhaitable, il est cependant
nécessaire de confiner ces espèces dans une zone
délimitée et ainsi, d'éviter qu'elles ne se
répandent au-delà des plantations et qu'elles ne déplacent
la végétation locale (Stuessy, 1992 ; Cuevas et Van Leersum, 2001
; Hallé, Danton et Perrier, 2007).
2.1.3. Autres espèces végétales
Parmi les plantes exotiques, certaines sont des adventices
extrêmement dangereuses. C'est le cas de l'acanea (Acaena
Argenta), de la flouve odorante (Anthoxanthum odoratum) du
maqui (Aristotelia chilensis), de la ciguë
(Conium maculatum), de la zarzamora (Rubus
ulmifolius) et du goyavier du Chili, Murtilla (Ugni
molinae). A l'exception de la flouve odorante, toutes sont des
espèces à fruits (consommés par les oiseaux) avec une
très grande capacité de reproduction et d'adaptation à
tous les milieux.
Toutes ces espèces adventices couvrent de larges terrains
mais « il y a surtout 3 pestes végétales qui
représentent un grave danger:
- Le « Maqui », Aristotelia chilensis
Stuntz (Elaeocarpacea) [...] introduit pour la fabrication des
casiers à langoustes.
- La « Zarzamora », Rubus ulmifolius
Schott (Rosaceae), une ronce d'origine européenne d'une
extrême vigueur introduite vers 1920 ; la flore d'origine ne comportant
aucune liane, les arbres locaux se laissent rapidement surcimer (sic.)
et meurent.
- La « Murtilla », Ugni Molinae
Turcz. (Myrtaceae), un arbrisseau importé de l'île
de Chiloé, au sud du Chili.
Ce trio Maqui-Zaramora-Murtilla est rendu plus
dangereux encore par la présence du merle Turdus falklandii
magellanicus, qui disperse les graines de ces trois plantes zoochores
depuis le niveau de la mer jusqu'aux points culminants des îles. »
(Hallé, Danton et Perrier, 2007)
Ces trois espèces adventices ont été
introduites entre le XIXe et le XXe siècle.
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
La zarzamora (Rubus ulmifolius)
La zarzamora, sous-arbrisseau de la famille des
Rosacées, a été introduite pour constituer des haies
défensives. Elle produit également des mûres
appréciées des habitants mais aussi de divers animaux.
L'espèce fut signalée pour la première fois en 1927 sur
l'île Robinson Crusoe par Looser qui s'alarmait déjà de son
introduction. En 1951, Carl Skottsberg classait l'espèce comme «
adventice extrêmement dangereuse ». Avec le temps, cette perspective
s'est malheureusement confirmée. La zarzamora continue son
extension, d'abord, dans les terrains perturbés mais jusque dans la
forêt vierge (Stuessy et al., 1998). L'espèce produit
beaucoup de fruits qui enserrent une grande quantité de graines
dispersées par le zorzal. Cette interaction est applicable aux
deux autres adventices ciaprès et elle profite aux deux espèces
qui voient leur nombre et leur dispersion grandir constamment. « Une fois
installée, la zarzamora utilise comme support la
végétation présente (maqui, luma,
canelo, etc.) pour atteindre la canopée. De là, elle
étouffe peu à peu toute végétation. »
(Fellmann, 2004)
Figure 17 : La zarzamora ou Ronce (Rubus
ulmifolius)
Source : Vanhulst (Bruxelles), 2009
La Murtilla (Ugni Molinae)
Espèce de la famille des Myrtacées, la
murtilla est un arbuste forestier localisé sur les montagnes
côtières du sud du Chili. Il est endémique du Chili et
possède une grande capacité d'adaptation, même sur des sols
très pauvres. Claudio Gay mettra en évidence la présence
de murtilla sur l'île Robinson Crusoe en 1832. Dans ce nouveau
biotope, la murtilla colonise les zones de l'île
dépourvues de végétation ainsi que les crêtes et les
vallées adjacentes (Stuessy et al., 1998).
Elle a été importée sur l'archipel Juan
Fernández pour ses fruits mais, comme les autres, elle s'est
évadée des limites du village et s'étend sur l'île
au détriment des espèces endémiques et notamment du
goyavier local Ugni selkirkii qui occupe le même habitat.
Les dynamiques entre le murtilla et le zorzal
sur Juan Fernández sont similaires à celles décrites
pour la zarzamora. Cette interaction crée un effet boule de
neige qui démultiplie le développement des deux
espèces.
Bien que, sur le continent, la murtilla n'a pas un
caractère d'adventice, elle en est une sur Juan Fernández,
où, en sus d'occuper de vastes zones, elle a supprimé
l'espèce Ugni selkirkii, endémique de l'île.
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» Figure 18 : La Murtilla
ou Goyavier du Chili (Ugni Molinae)
Source : Vanhulst (Meise - Jardin Botanique National de
Belgique), 2009 Le maqui (Aristotelia
chilensis)
Le maqui est une espèce de plante
phanérogame de la famille des Elaeocarpacée originaire du Chili
continental (de Coquimbo à Chiloé). Il a été
introduit sur Juan Fernández pour ses fruits (pour l'alimentation et la
teinture) mais aussi pour la fabrication de casiers à langoustes.
Au départ, le maqui a « occupé les
endroits les plus humides, où l'exploitation du bois a ouvert des
étendues continues. De ces sites perturbés, il s'est
répandu à l'intérieur des forêts, profitant de
trouées naturelles ou artificielles. Une fois le maqui
installé, sa grande compétitivité empêche le
développement des espèces indigènes (Myrceugenia
Fernándeziana, Drimys concertifolia, Rhaphitamnus
venustus...). » (Sanders et al., 1982)
Le maqui couvre aujourd'hui de vastes espaces et ses
formations denses constituent un habitat pour des espèces introduites
telles que les rats ou le coati. Comme pour la murtilla et la
zarzamora, les graines de maqui sont dispersées par le
zorzal ou merle austral.
Figure 19 : Le Maqui (Aristotelia
chilensis)
Sources:
www.diccionarioplantasnet.es,
2009 et
http://www.profesorenlinea.cl,
2009
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 2.1.4. Interactions espèces
végétales - espèces végétales
<< L'hybridation est une autre menace pour les
espèces endémiques sur les îles océaniques. Etant
donné la spéciation rapide, peu de barrières
génétiques séparent les espèces insulaires du
même genre et, si l'hybridation interspécifique et
intergénérique s'élargit, elle peut réduire la
diversité spécifique. Pacheco et al. (1991) ont
démontré qu'une hybridation interspécifique naturelle
s'est produite entre deux espèces endémiques de Gunnera L.
sur l'archipel. Ils ont conclu que l'altération des habitats
naturels était le facteur à l'origine de cette hybridation. Un
autre exemple d'hybridation s'est produit entre l'Acaena Argentea
introduite et l'espèce endémique Margyricarpus digynus
qui ont produit la Margyracaena skottsbergii. Cette
hypothèse a été confirmée par une analyse
ADN.» (Stuessy et al., 1998)
En dehors du facteur d'hybridation, les espèces
végétales introduites s'associent mutuellement et
étouffent la végétation indigène qui n'a pas la
plasticité architecturale pour se défendre dans cette
compétition. « le maqui, qui parvient à germer dans
les sous-bois les plus fermés aussi bien que dans les parties plus
ouvertes, forme des taillis épais de bois mort et de bois vert, au coeur
desquels la zarzamora trouve le lieu idéal de ses
implantations. Terrible enchaînement exponentiel de conséquences
néfastes qui pourrait peut-être, à terme, sonner le glas de
ces équilibres originaux, élaborés avec lenteur au cours
des temps. » (Cambornac, 2002)
A un niveau plus large sur l'île Robinson Crusoe, «
le maqui va préférer coloniser les milieux humides et
remonter petit à petit vers les crêtes, tandis que la murtilla
s'installe sur les crêtes les plus arides et descend vers la
myrtisylve. La zarzamora, elle, germe dans tous les milieux
où le zorzal la dissémine. La forêt est ainsi
prise en tenaille par ces trois espèces qui l'envahissent
irrévocablement en créant un sous-bois qui ne permet plus la
germination des espèces endémiques. De plus, ces trois
espèces sont caractérisées par un système racinaire
superficiel. Ce dernier leur permet d'absorber l'eau avant qu'elle ne soit
disponible pour les arbres endémiques qui ont des racines profondes afin
de se maintenir contre les vents puissants soufflant sur l'archipel. On assiste
donc à l'assèchement progressif de la myrtisylve en plus
de son envahissement. » (Georget, 2009)
2.1.5. Interactions espèces végétales
- espèces animales
Un autre niveau d'interactions entre les différentes
espèces est celui des relations entre les animaux et les
végétaux.
Ces interactions peuvent renforcer ou déforcer une
introduction initiale. Ainsi, les principales pestes végétales en
se développant, génèrent des formations
végétales denses appréciées des espèces
animales exogènes. Inversement, les animaux participent à la
propagation des 3 espèces adventices les plus problématiques par
la consommation de leurs fruits et donc la dispersion des graines. Cette
rétroaction amplifie le phénomène de perte de
biodiversité en favorisant les espèces exogènes.
D'autre part, ces liaisons ne se limitent pas aux
espèces introduites. A ce sujet, le lien entre la zarzamora, la
murtilla, le maqui et le zorzal est un exemple
remarquable illustrant la mesure des conséquences potentielles d'une
introduction qui peut paraître anodine. Le zorzal (Turdus
falkandicus), dont la présence est attestée depuis le
XVIIIe siècle (Anson, 1750) va bénéficier des
fruits des différentes espèces végétales
introduites. Ainsi, avec l'expansion de ces espèces, la population de
zorzals va augmenter fortement et cet accroissement va profiter aux
espèces végétales qui se disperseront via les
déjections aviaires et ainsi de suite. Les végétaux
ressemés un peu partout (les oiseaux ayant peu de barrières
physiques) envahissent peu à peu tous les milieux de l'île,
<< en particulier les forêts, les pentes et les fonds des ravins
où la végétation primaire s'était le mieux
conservée. » (Cambornac, 2002)
Selon Philippe Danton et Christophe Perrier (Danton et
Perrier, 2008), 84,50% de la flore originelle est considérée en
danger. Parmi les 213 espèces natives (137 endémiques), 8 (3,7%)
ont disparu (dont 6 endémiques), 28 (13,2%) sont sur le point de
disparaître (dont 25 endémiques), 79 (37,1%) sont en danger
d'extinction (dont 39 endémiques) et 65 (30,5%) sont vulnérables
(dont 39 endémiques). Au niveau de la faune, les éléphants
de mer ont disparu, le picaflor rojo (sephanoides fernandensis) est en
danger critique d'extinction et les langoustes montrent certains signes de
diminution43.
43 Voir Partie 2 - Chapitre III - point 2.3. Surexploitation
2.2. Perturbation des habitats
Nous avons vu que l'habitat change naturellement et que les
îles sont soumises à différentes forces qui altèrent
les conditions de vie des espèces qu'elles accueillent. L'érosion
naturelle, par exemple, a modelé la topographie singulière de ces
îles au cours du temps géologique.
Avec l'arrivée de l'homme, d'autres perturbations sont
entrées en jeu. Les premières sont dues au déboisement
pour la réparation des bateaux et pour le feu. Les incendies jouent
aussi un rôle destructeur et leur fréquence se démultiplie
avec les passages et installations humaines. L'exploitation intensive de la
forêt provoque non seulement des problèmes de biodiversité
mais également d'érosion. Parallèlement, l'introduction de
chèvres et ensuite d'autres herbivores, mais aussi l'arrivée du
lapin et du coati va renchérir la pression sur la surface
végétale et sur les sols qui, dépourvus de leur couvert
protecteur et déstructurés, deviendront progressivement
très vulnérables à l'érosion massive par le vent et
la pluie.
Avec la colonisation de Robinson Crusoe et principalement
depuis la dernière installation permanente (en 1877), l'île s'est
peu à peu urbanisée. « Des routes et chemins en
général ont été construits pour trois raisons :
pour avoir accès à l'exploitation des richesses naturelles, pour
habiliter des passages pour le transit du bétail, et enfin, pour la
connexion entre le village et l'aéroport de l'île. Ceci a
entraîné une détérioration des richesses botaniques
uniques, l'augmentation des processus érosifs, et l'altération de
secteurs de reproduction de la faune des vertébrés. »
(CONAF, 2004)
On considère aujourd'hui que la forêt primaire a
diminué d'approximativement un tiers. (Dirnböck et al.,
2003)
L'érosion touche 75% de la superficie de l'île
Robinson Crusoe de façon plus ou moins prononcée et 35% de la
surface sont érodés très sévèrement et de
façon irréversible (CONAF 2004 ; Danton et Perrier, 2008)
Figure 20 : Carte de l'érosion sur l'île
Robinson Crusoe
Source: Fellmann, 2004.
Globalement, le cycle de disparition de couvert
végétal accentue l'érosion qui lui-même accentue la
perte de couvert végétal, etc. créant un cercle vicieux
qui menace finalement plus les espèces endémiques qui s'adaptent
moins bien aux sols perturbés (voir ci-dessus). Aux abords du village de
San Juan Bautista, l'érosion est plus sévère dans les
lieux de déboisements et les prairies pour le bétail.
Par ailleurs, d'autres usages ont un effet
déstabilisateur pour le biotope de l'île comme par exemple
l'installation du réseau d'eau potable ou encore les usages
récréatifs (y compris touristiques) du parc national. Si
l'installation d'un réseau d'eau potable est une nécessité
communale pour l'approvisionnement des habitants, « il n'existe aucune
étude qui détermine la capacité maximale d'extraction
hydrique sans affecter les ressources végétales de l'île
Robinson Crusoe. Cette même problématique existe dans l'île
Alejandro Selkirk, où l'installation de tuyaux d'adduction d'eau, a
provoqué la détérioration de la couverture de
fougères à différents endroits. » (CONAF, 2004)
De par la restriction de leur habitat (surexploitation,
incendies, pâturage, introduction d'espèces animales et
végétales), certaines espèces sont, à
présent, proches de l'extinction, comme le picaflor rojo
(Sephanoides fernandensis), mais aussi des espèces
végétales comme Dendroseris neriifolia ou Greigia
berteroi.
Le picaflor rojo (Sephanoides fernandensis)
a été identifié pour la première fois sur
l'île Robinson Crusoe en 1830 (Roy, Torres-Mura et Hertel, 1997).
Différents rapports indiquent que l'espèce était
abondante. La densité de population du picaflor rojo
endémique a progressivement diminué au cours du temps et
avec une grande intensité au cours du XXe siècle (voir figure
21). Le picaflor rojo endémique est très sélectif
par rapport au choix de l'espèce végétale qui accueille
ses nids. Ils sont majoritairement installés sur l'arbuste
endémique Myrceugenia Fernándeziana (Johow Pirola,
2002). Il existe donc des nidifications là où la forêt
primaire est bien conservée. Il existe différentes pressions
directes et indirectes sur les picaflor rojo. Le premier facteur est
la dégradation de l'habitat, d'abord par l'élimination de la
forêt primaire, ensuite par le remplacement des espèces
végétales natives dû à l'expansion des
espèces introduites (zarzamora, murtilla et
maqui). Vient ensuite la prédation observée sur les
oisillons des picaflor rojo. Selon l'hypothèse de Federico
Johow Pirola, vu la position des nids de picaflor rojo (en bout de
branche), cette prédation serait l'oeuvre du Zorzal (oiseau
omnivore). Etant donné la grande croissance de la population du
zorzal due au surplus d'offre alimentaire qu'offre la
zarzamora, le murtilla et le maqui44,
cette pression devient de plus en plus forte (Johow Pirola, 2002). Enfin, les
chats exercent une pression directe de prédation sur les picaflor
rojo. Cette situation a rendu le picaflor rojo très
vulnérable. Il fait partie des 10 espèces d'oiseaux les plus
menacées du pays et fait partie des espèces en danger critique
d'extinction selon L'UICN.
Cet exemple illustre bien les interconnexions entre les
différents compartiments des écosystèmes et entre les
facteurs de perte de biodiversité.
Figure 21 : Recensements de population de Picaflor
Rojo (Sephanoides Fernandensis)
Source: P. Hodum (
www.oikonos.org), 2008
Source : Vanhulst, 2009 d'après F. Pirola, 2002.
44 Voir Partie 2 - Chapitre III - point 2.1.5. Interactions
espèces végétales - espèces animales
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» 2.3. Surexploitation
<< L'exploitation forestière de la forêt
indigène pour l'exploitation de bois et les incendies de forêt
intentionnels ont provoqué l'élimination totale de la
végétation arbustive et arborée dans les secteurs bas et
moyens de l'île Robinson Crusoe. Par ailleurs, l'exploitation
sélective de certaines espèces végétales a conduit
à l'extinction de l'espèce Santalum Fernándezianum,
Santal de Juan Fernández, et a réduit la population d'autres
espèces comme le palmier Juania Australis, ou Sophora
Fernándeziana, à des niveaux de conservation limite. »
(CONAF, 2004) Cette érosion génétique par la
surexploitation est également vraie pour le règne animal. Nous
avons déjà cité le cas des éléphants de mer
et des otaries endémiques mais ça pourrait aussi bien être
le cas de la principale ressource économique des habitants de l'archipel
: la langouste de Juan Fernández.
<< La langouste, qui il y a peu atteignait plus d'un
mètre de long avec les antennes, se trouve aujourd'hui dans des
proportions beaucoup plus petites à cause de l'exploitation excessive.
La langouste a besoin de plusieurs années, plus ou moins 10 ans, pour
arriver à maturité. » (Orrellana et al., 1977) Nous
avons vu dans la perspective historique que cette espèce a
été pêchée de manière intensive jusqu'au
début de la deuxième moitié du XXe siècle par des
entreprises privées installées sur l'île Robinson
Crusoe.
Aujourd'hui, l'évolution de la population de langoustes
reste très incertaine. S'il est vrai que dans les statistiques
officielles la tendance montre un déclin à partir des
années 1965, celles-ci restent peu fiables. Ces dernières
années (1998-2008), les prises seraient descendues au-dessous de 10
tonnes pour atteindre 1 tonne en 2003 et subitement remonter à 47 tonnes
en 2004. Les statistiques de pêche paraissent très
imprécises. Cependant, plusieurs tendances sont mises en
évidence: la taille des langoustes a fortement diminué, dont la
taille des femelles (qui par conséquence portent moins d'oeufs). Parmi
les causes explicatives de ces tendances, même si elles ne sont pas
clairement expliquées, la pêche semble être la plus
évidente45. D'autre part, il y a des fluctuations annuelles
qui sont le résultat des conditions environnementales qui influencent le
cycle larvaire et dont les effets se manifestent avec un décalage de 7
à 9 ans, ce qui correspond au temps moyen entre le frai et la capture.
Cependant, ces conditions ne sont pas identifiées et les connaissances
de cette espèce sont encore faibles pour pouvoir tirer des conclusions
probantes46.
Aujourd'hui la pêche est soumise à une
réglementation mais la biologie de la langouste reste peu connue et les
populations montrent une tendance au déclin.
Figure 22 : Quantité de langoustes
pêchées entre 1930 et 2000 en tonnes (courbe = moyenne mobile
de 5 ans)
Source : Arana, 1983 Source : Arana, 2006.
45 Patricio Arana (commentaire personnel)
46 Patricio Arana (commentaire personnel)
Figure 23 : Quantité de langoustes
pêchées entre 1968 et 2001 par unité
Source : Arana, 2006 Source :
www.fao.org/fishery
Ces diminutions statistiques peuvent être partiellement
attribuables aux règlementations imposées mais les langoustes
montrent d'autres signes d'affaiblissement et les évaluations les plus
sérieuses mettent en évidence un déclin substantiel de la
population de l'espèce.
Quoi qu'il en soit, étant donné que les
connaissances biologiques restent très partielles et que les chiffres
officiels sont manifestement peu fiables, il est difficile d'évaluer le
degré de durabilité des pratiques de pêche malgré le
maintien relatif des méthodes traditionnelles47. Le risque de
surexploitation reste donc potentiel.
2.4. Combinaison de facteurs
Comme souligné au niveau global, les extinctions sont
généralement le résultat d'une combinaison de facteurs.
Les changements d'affectation des sols (comme le déboisement par
exemple) peuvent favoriser l'installation d'espèces exogènes
(moins sensibles aux sols érodés par exemple). Une espèce
exogène peut en favoriser une autre, etc....
Non seulement, les différents facteurs de perte de
biodiversité ne doivent pas être considérés
séparément, mais, au sein même d'un facteur, il existe des
rétroactions et des relations complexes qui démultiplient les
niveaux de compréhension du phénomène de perte de
biodiversité. Par exemple l'introduction de chèvres (introduction
d'espèce) entraîne une augmentation de l'érosion
(perturbation de l'habitat), de même pour le lapin qui a, de plus, un
effet sur la régénération des espèces
végétales, l'érosion (perturbation des habitats)
entraîne une diminution du couvert végétal (perturbation
des habitats) mais elle permet également l'installation d'espèces
exogènes mieux adaptées à ce type de sol (augmentation des
espèces invasives), etc. Tous ces épiphénomènes
convergent vers une dégradation de la biodiversité originelle et
donc potentiellement de la biodiversité globale (étant
donné la présence d'espèces endémiques).
47 Voir Partie 2 - Chapitre IV - Point 2.3.2. La pêche :
socle identitaire
Figure 24 : Diagramme global du problème de
perte de biodiversité
Source : Vanhulst et Kunsch, 2009.
Ce schéma illustre la combinaison de facteurs en
rassemblant les différents éléments évoqués
qui influencent la biodiversité. Il met surtout en évidence les
différentes rétroactions vicieuses qui dégradent
dangereusement la biodiversité (dont le risque du tourisme qui est
traité de façon plus approfondie dans le chapitre
IV48). La notion de capacité de charge concerne l'ensemble du
vivant que l'archipel peut hypothétiquement accueillir.
48 Voir Partie 2 - Chapitre IV - point 2.5.2. L'option
touristique
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
CHAPITRE IV - PERSPECTIVE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE
1. Les acteurs
A. Niveau local
A.a. Secteur public:
- La Illustre Municipalidad de Juan Fernández
- Le SAG (dépendant du Ministère de
l'agriculture)
- La CONAF (Administration du parc national Juan
Fernández) (dépendant du Ministère de l'agriculture)
- La Capitanía de Puerto
- Les grands corps de l'Etat (armée, police, service des
douanes, poste,...)
A.b. Secteur privé :
- Les habitants, pour la plupart pêcheurs
- Les groupes écologistes locaux
- Les entreprises privées de commerce des produits de
l'archipel
B. Niveau national
B.a. Secteur public:
- La CONAMA
- Le SAG
- La COREMA de Valparaiso - SERNAPESCA
- Le CIDEZE
B.b. Secteur privé :
- Les ONG environnementales (CODEFF, ECOLYMA, TERRAM,...)
- Les scientifiques
- Les touristes
C. Niveau international:
- L'UNESCO
- Les ONG
- L'OCDE
- Les pays tiers impliqués dans des projets de
conservation
- Les pays tiers impliqués dans le commerce des produits
de l'archipel
- Les scientifiques
- Les touristes
On distingue donc 5 grands groupes : Les grandes institutions
(nationales et internationales), les ONG (nationales et internationales), les
habitants, les touristes et les scientifiques49.
1.1. Niveau local
1.1.1. La Illustre Municipalidad de Juan
Fernández
Depuis 1979, l'archipel Juan Fernández est une commune
de Valparaiso. Elle a donc un Alcalde (bourgmestre) et un conseil
municipal (constitué de 6 conseillers) qui a un caractère
normatif, de contrôle et qui est chargé de rendre la participation
de la communauté locale effective. Les conseillers intègrent les
commissions de travail suivantes : Développement communal et
territorial,
49 Le rôle des scientifiques a été
abordé dans la partie 2 - Chapitre 2 - point 2.1.1. Fondation des
connaissances botaniques
Développement économique, Education et culture,
Sécurité et citoyenneté, Transport, Tourisme, Jeunesse,
Sport et loisirs, Logement, Relations internationales, Pêche,
Santé et Environnement. D'autre part, la municipalité compte un
secrétariat et 5 départements : La Direction administrative et
des finances, la Direction des travaux municipaux, le Département de
tourisme, culture et relations publiques, l'Unité coordinatrice du "Plan
de Développement Communal" et de développement de la production
et enfin un Département social. Il n'y a donc aucune entité
municipale directement liée à l'environnement mis à part
la commission de travail "Environnement" constituée de 3 conseillers.
1.1.2. La population
La population est analysée en détail au point 2 du
présent chapitre. 1.2. Les grandes institutions nationales
La construction institutionnelle du Chili est marquée par
la création d'entités liées de près ou de loin aux
questions environnementales.
1.2.1. Le SAG50
Le 28 juillet 1967, la nouvelle Loi de réforme agraire
transforme la Direction générale du secteur agriculture et
pêche du Ministère de l'Agriculture en une personne juridique de
droit public dénommée Servicio Agricola y Ganadero, SAG,
soit le "Service pour l'agriculture et l'élevage". Le SAG est
dépendant du Ministère de l'Agriculture. Il poursuit alors le
programme de conservation des sols et de la faune sylvestre initié par
la Direction générale agriculture et pêche. Il
développe aussi une multitude de programmes de protection, de
conservation et de récupération de l'environnement chilien. Le
SAG participe au développement de la productivité et à
l'optimisation de la compétitivité, de la durabilité et de
l'équité du secteur agricole et de l'élevage par
l'amélioration des conditions des ressources productives (au niveau
sanitaire, environnemental, génétique et géographique) et
le développement de la qualité alimentaire. Le SAG est en charge
de contrôler l'introduction d'espèces exotiques, potentiellement
dangereuses pour les ressources agricoles et pour la faune et la flore sauvage.
Il est habilité à mettre en place des mesures curatives suite
à l'envahissement par une espèce allochtone (
www.sag.gob.cl).
La coordination et l'exécution des différents
programmes du SAG sont décentralisées en accord avec la division
régionale du pays. Le SAG est constitué d'une base centrale
(principalement normative) de 15 directions régionales et 64 bureaux
sectoriels (principalement opératifs) répartis sur le territoire
du pays.
Sur l'archipel Juan Fernández, le SAG était le
premier acteur public impliqué dans la protection de la faune et de la
flore. Actuellement, le SAG ne compte que un représentant pour la
gestion de l'archipel.
1.2.2. La CONAF
La Corporación Nacional Forestal (CONAF) est
une entité de droit privé dépendante du Ministère
de l'agriculture qui est née en 1973 suite à la modification des
statuts de l'ancienne Corporación de Reforestación
(elle-même créée en 1970 afin de rassembler toutes les
entités disparates érigées jusqu'alors dans le but de
protéger les ressources forestières du pays).
La corporation a pour mission de « garantir l'utilisation
durable des écosystèmes forestiers et du patrimoine naturel
» à travers le contrôle du respect de la législation
forestière, l'administration du Sistema National de Areas Silvestre
Protegidas del Estado, SNASPE51, l'administration des
instruments de promotion des activités forestières et la
protection des ressources forestières (
www.conaf.cl).
50 Voir annexe 09
51 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 1.1.7. Ley N°
18.362 que crea el SNASPE
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
En 1935, le gouvernement déclare l'archipel Juan
Fernández comme Parc National.52 La CONAF est présente
sur les lieux depuis 1972 et est représentée actuellement par un
administrateur du Parc National et une équipe de 9 gardes du parc
(PLADECO, 2005 ; Georget, 2009).
La CONAF effectue des << patrouilles suivant les routes
du parc afin de revoir les sentiers, les clôtures, la
signalétique, les toilettes, et tous les aspects du milieu pour
planifier et exécuter ultérieurement diverses actions de
manutention, de réparation ou de contrôle sur ce qui a
été observé. Les patrouilles ont aussi un objectif
d'évaluation de la phénologie, d'observation de la flore [...] et
de recensements de la faune (Picaflor Rojo et Lobo fino de dos
pelos). Elle réalise aussi un travail de contrôle des pestes,
principalement de la zarzamora, du maqui et de la
guêpe). » (PLADECO, 2005)
1.2.3. Le SERNAPESCA
En 1978, le décret N° 2.442 crée la
Subsecretaría de Pesca, entité dépendante du
Ministère de l'Economie. Cet organisme technique devait exécuter
la politique de pêche de l'Etat. D'autre part, le même
décret établit le Servicio Nacional de Pesca
chargé de réaliser les fonctions réalisées
jusqu'alors par la Division pêche du SAG. Le Servicio Nacional de
Pesca a la mission d'appliquer les normes sur la pêche dans les eaux
continentales et maritimes et dans les ports. Le Service des Douanes et la
police nationale (Carabineros) participent aussi à cette tâche.
1.2.4. La Capitanía de Puerto
La Subsecretaria de Marina a à sa charge
l'administration de la zone côtière de tout le territoire
national, pour lequel se distinguent deux lignes d'administration: l'une
terrestre, associée aux autorités de la Capitanía de
Puerto et l'autre maritime, à la charge de la Direction
générale du territoire maritime et de la marine marchande
DIRECTMAR (
www.subsecmar.cl).
1.2.5. La CONAMA53
<< Malgré les tentatives pour établir la
Comisión Nacional de Ecología dans les années
1980, le pays n'avait pas réellement un appareil institutionnel
intégré pour la gestion environnementale au niveau public. La
dispersion des lois et des institutions à finalités
environnementales rendait impossible une politique cohérente et
coordonnée par rapport à l'environnement. Le 05 juin 1990, s'est
instituée la Comision Nacional del Medio Ambiente (CONAMA),
chargée de définir une politique environnementale et de proposer
une loi générale et une structure institutionnelle pour la
gestion environnementale du pays. » (Camus et Hajek, 1998)
La loi générale sur l'environnement sera
publiée le 09 mars 1994 et le règlement qui la rendra
exécutive sera approuvé en avril 1997. Cette loi
institutionnalisera la CONAMA comme organisme supra ministériel
chargé des matières de protection de l'environnement et de la
coordination des initiatives publiques et privées. Elle établira
aussi un système d'évaluation des impacts environnementaux,
Sistema de Evaluación de Impacto Ambiental (SEIA).
La CONAMA est un service public dont les fonctions principales
sont : la proposition de politiques environnementales au Président de la
République, l'information de la réalisation et de l'application
des normes environnementales, l'administration du Sistema Nacional de
Información Ambiental (SINIA) et enfin, être l'organe
consultatif et de communication en matière d'environnement (
www.conama.cl).
La CONAMA est constituée de 15 sous-entités
régionales, les Comisión Regionales del Medio Ambiente
(COREMA). Il s'agit d'organes collégiaux (qui intègrent des
représentants politiques locaux et des représentants de la
CONAMA) dont l'objectif est de coordonner la gestion environnementale au niveau
régional et de se prononcer sur les impacts environnementaux des projets
au niveau des régions.
52 Voir partie 2 - Chapitre V - Ley N° 18.362 que crea
un Sistema Nacional de Areas Silvestres Protegidas del Estado
53 Voir annexe 10
La CONAMA et la COREMA de Valparaíso ne sont pas
directement présentes sur l'archipel mais elles ont une influence
indirecte au travers des différentes stratégies et lois
environnementales qu'elles développent54.
Le Sistema de Evaluación de Impacto Ambiental
(SEIA) :
En 1997, le SEIA est devenu obligatoire pour les nouveaux
projets. Le système est conçu pour intégrer la dimension
environnementale dans les activités et projets publics ou privés.
La CONAMA, souvent par le biais de la COREMA correspondante, doit
émettre un avis sur les études d'impact environnemental. Le
public en général est invité à donner son avis.
« Pratiquement 7.000 projets ont été soumis à
évaluation. Approximativement 19% des projets présentés
n'ont pas été approuvés. En général, le SEIA
est bien établi, développe une action importante dans le
système réglementaire du Chili et s'est avéré une
entité active et influente. » (OCDE ET CEPAL, 2005)
Le SEIA réglemente le développement des
activités et projets affectant l'environnement en général.
Le promoteur d'un projet ou d'une activité doit présenter une
étude ou déclaration de l'impact environnemental pour les
activités affectant l'environnement. En ce qui concerne les
critères utilisés pour déterminer si l'on doit
réaliser une étude (plus complète) ou une
déclaration, ils sont fondés sur la quantité et la
qualité des effets néfastes sur les ressources naturelles, y
compris le sol, l'eau et l'air; sur leur localisation par rapport à la
population, aux ressources et aux aires protégées susceptibles
d'être affectées ; ainsi que sur la valeur écologique du
territoire sur lequel on entend déployer l'activité; et sur le
degré d'altération, en termes d'ampleur ou de durée, de la
valeur paysagère ou touristique d'une zone (Espinosa et Aqueros, 2000).
Mais il n'existe pas de critères directs liés à la
conservation de la biodiversité ou de la richesse
génétique qui obligent les exécutants d'un projet ou
activité à présenter une étude d'impact sur
l'environnement.
1.2.6. Le CIDEZE
Le Comité Interministerial para el Desarrollo de
las Zonas Extremas y Especiales (CIDEZE) est crée en 1994. Il
s'agit d'un organisme public de la Division développement
régional du Subsecretaria de Desarrollo Regional y Administrativo
(SUBDERE). Le CIDEZE est chargé de proposer au Président de
la République des plans, programmes et projets spéciaux pour les
zones extrêmes du pays (dont l'archipel Juan Fernández).
1.3. Les ONG
Parallèlement au développement institutionnel
national, apparaissent différentes organisations d'intérêt
public qui ne relèvent ni de l'Etat, ni d'une organisation
internationale.
Parmi celles-ci:
- Le Comité de Defensa de la Flora y Fauna
(CODEFF), qui travaille depuis longtemps dans la protection des
forêts natives et la conservation de la flore et la faune
endémiques du Chili. CODEFF a été créé en
1968 alors que le Chili n'était pas encore orienté vers la
conservation de la nature. C'est l'organisation environnementale la plus
ancienne du pays (
www.codeff.cl).
- Le Centre for Marine Mammals Research LEVIATHAN
(CMMR Leviathán), est une organisation non gouvernementale
indépendante et sans but lucratif qui se consacre au
développement et à la promotion de la recherche scientifique sur
les mammifères aquatiques, dans un but d'amélioration des
connaissances et de la conservation de ces espèces (
www.leviathanchile.org).
- Ecosistemas, ONG qui a pour objectif de promouvoir la
connaissance, la valorisation et la protection des écosystèmes du
Chili et du globe (
www.ecosistemas.cl).
- Chile Sustentable est une initiative qui veut
stimuler le débat national sur la nécessité d'un projet de
pays durable, promouvoir un effort de concertation intellectuelle et sociale et
fortifier l'action citoyenne à propos de la soutenabilité pour le
Chili (
www.chilesustentable.net).
- La fundación Terram est une organisation civile
fondée en 1997 dans le but d'amener une proposition de
développement durable pour le Chili.
- ...
54 Voir Partie 2 - Chapitre I - point 1. Cadre juridique
1.4. Les institutions internationales
1.4.1. L'UNESCO
« L'Organisation des Nations unies pour
l'éducation, la science et la culture (UNESCO) est née le 16
novembre 1945. A travers ses stratégies et ses activités,
l'UNESCO oeuvre en faveur des Objectifs de développement des Nations
unies pour le Millénaire et, plus particulièrement de ceux qui
visent à :
- réduire de moitié la proportion de la population
vivant dans l'extrême pauvreté, d'ici à 2015 - assurer
l'éducation primaire universelle dans tous les pays, d'ici à
2015
- éliminer les disparités entre les sexes dans
l'éducation primaire et secondaire d'ici à 2005.
- aider les pays à mettre sur pied des stratégies
nationales pour un développement durable, d'ici à
2005, afin d'inverser d'ici à 2015 la tendance actuelle
à la déperdition des ressources
environnementales. » (
www.unesco.org)
Parmi ses divers programmes, l'UNESCO lance en 1971 le
Programme MaB. Quelques années plus tard, en 1974, un groupe de travail
du programme MaB lance l'idée de « Réserve de
biosphère » dont le but était de mettre en place un
réseau mondial de zones naturelles protégées. Le Chili
compte 11 Réserves de biosphère gérées par les
antennes locales de la CONAF et coordonnées par le point focal MaB,
membre de la CONAF (en lien avec l'UNESCO via le Ministère des relations
extérieures et le secrétariat MaB)55.
2. La population
L'archipel Juan Fernández représente une
illustration d'interaction entre l'homme et son environnement. Que ce soit au
niveau socioculturel, politique ou économique, l'environnement naturel
est omniprésent dans la vie quotidienne. La population locale est
installée dans un écosystème protégé, elle
dépend directement des ressources naturelles et elle a construit son
identité à la fois sur l'isolement géographique et sur les
qualités singulières de l'écosystème insulaire.
2.1. Démographie
Actuellement, les habitants de l'archipel Juan
Fernández ont un village permanent sur l'île Robinson Crusoe (San
Juan Bautista) et un village saisonnier (plus rudimentaire) sur l'île
Marinero Alejandro Selkirk (qui accueille 17 à 20 familles durant la
saison de pêche).
Selon le recensement national de 2002 (INE, 2002), la
population de la commune de Juan Fernández atteindrait 633 habitants
(PLADECO, 2005). Cependant, « les données de ce recensement ne
représentent pas la réalité communale qui, étant
donné sa condition géographique, compte une population qui est en
migration constante vers le continent, que ce soit pour l'éducation
(secondaire et supérieure) ou pour des questions de santé. Au
total, en considérant la population temporairement absente, les chiffres
de la population émanant de la municipalité en septembre 2005
renseignent 754 individus, dont 342 femmes et 412 hommes (voir figures 25, 26
et 27). » (PLADECO, 2005)
Figure 25 : Structure de la population par âge et
par sexe (selon les chiffres de la municipalité)
Source : Vanhulst, 2009 d'après PLADECO, 2005.
55 Voir annexe 11
Figure 26 : Structure de la population par âge et
par sexe (selon les chiffres de l'Instituto Nacional de
Estadísticas)
Source : Vanhulst, 2009 d'après PLADECO,
2005. Figure 27 : Pyramide d'âges de la population de
l'archipel (selon les chiffres INE)
Source : Vanhulst, 2009 d'après PLADECO, 2005.
« Un autre aspect distinctif de cette communauté
est le grand niveau de parenté entre ses membres. Il existe plusieurs
cas de mariage entre cousins germains. Cette situation devrait être
étudiée de façon plus approfondie pour trouver une
manière d'éviter des conséquences génétiques
négatives pour ces familles.» (Orrellana et al., 1974)
« Ici, tout le monde est parent [...] et ça continuera pendant
longtemps parce que peu de gens viennent s'installer ici. Il y
a beaucoup de consanguinité, parce que les personnes se marient entre
parents, y compris entre cousins germains, ou entre un oncle et une
nièce ou une tante avec son neveu, c'est un fait commun. »
(Victorio Bertullo dans Brinck, 2005)
La parenté joue également un rôle au
niveau de la production. « C'est le père qui enseigne à ses
fils le métier de pêcheur en plus de les faire héritiers
des moyens d'exploitation : bateau, moteur, outils de pêche et, le plus
important, les repères exclusifs où disposer les pièges
à langoustes56. L'héritage parental est aussi une
manière d'accéder à d'autres activités productives
comme la menuiserie ou l'élevage qui sont réalisées
exclusivement par certaines familles. » (Brinck, 2005)
2.2. Alphabétisation
Durant le premier siècle après la
dernière colonisation, les habitants étaient directement
dépendants des entreprises qui s'installaient pour exploiter les
langoustes, et ce malgré une administration officielle (d'abord
déléguée au Baron Von Rodt et ensuite à
différents gouverneurs et maires). Ces compagnies exploitaient sans
réserve les langoustes et les pêcheurs. A partir de 12 ans (au
sortir de l'école primaire), les enfants étaient
déjà considérés comme de la main d'oeuvre. Il n'y a
pas eu de développement social durant la période d'exploitation
par les entreprises privées.
« Les compagnies disaient : "Ces enfants ne peuvent pas
étudier parce que ce sont des pêcheurs", ce qu'ils voulaient
c'était des pêcheurs, si la jeunesse partait, les pêcheurs
n'auraient plus personne pour sortir pêcher, alors ils nous retenaient.
» (J. González dans Brinck, 2005)
Les améliorations de cette situation ont
commencé avec la coopérative de pêcheurs et ensuite avec
l'obligation de scolarisation. Aujourd'hui, 98,51% de la population de la
commune est considérée comme alphabétisée (PLADECO,
2005)
2.3. Relations avec le continent et identité
Petit à petit, depuis la dernière colonisation,
les relations avec le continent se sont renforcées et ont
créé une situation de dépendance de plus en plus forte
pour en arriver à une situation où les habitants de l'île
exploitent une ressource unique et importe le reste des produits de subsistance
du continent. Manifestement, la population de Juan Fernández n'est pas
autosuffisante. « Même si les habitants sont obligés de
développer de multiples compétences afin de subsister, leur
dépendance au continent, construite au travers de l'histoire, est
évidente : Le Baron Von Rodt a amené des gens pour établir
une entreprise et vendre ses produits à l'extérieur. Avec les
gains, il obtenait les moyens d'acheter les produits manufacturés et
alimentaires qui n'étaient pas produits sur l'île. [...] Avec le
temps, les habitants se transformèrent exclusivement en pêcheurs
et pêchaient exclusivement la langouste laissant de côté
l'agriculture. Cette spécialisation les a rendus encore plus
dépendants du continent. [...] En étant des pêcheurs de
langoustes, activité qui est jusqu'à aujourd'hui la base
économique de l'île, ils dépendent absolument de la demande
continentale et internationale de ce produit, ce qui les rend aussi
dépendants des va-et-vient de l'économie et de la politique non
seulement continentale mais mondiale. D'un autre côté, le
développement du tourisme génère de nouveaux liens de
dépendance avec les réseaux de communication et l'économie
globale. »57 (Brinck, 2005)
Depuis la fin du XXe siècle, les touristes, les
fonctionnaires publics des différentes entités présentes
sur l'île (Municipalité, CONAF, SAG, police), les employés
des lignes aériennes, l'armée nationale au travers de son
personnel qui transite via les bateaux de communication, l'église
catholique, mais surtout les membres des familles qui ont émigré
sur le continent temporairement ou définitivement et qui maintiennent
des contacts avec l'île sont autant d'agents transmetteurs qui ont
facilité l'adoption de formes de vie continentale. De plus les moyens de
communication (téléphone, radio,...), la télévision
et aujourd'hui Internet complètent la transmission d'expériences
personnelles et transforment les modes de vie.
56 Voir le présent chapitre point 2.3.2. La pêche :
socle identitaire
57 Voir le présent chapitre point 2.5.2. L'option
touristique
La situation d'isolement de l'archipel est donc très
relative, surtout à partir de la deuxième moitié du XXe
siècle.
Ainsi, si les formes d'organisation de la communauté
humaine se sont construites dans un premier temps en réponse aux
conditions d'insularité, elle seront ensuite influencées par la
pénétration directe et indirecte des formes de vie
continentale.
La population de Juan Fernández n'a pas une
identité unique mais « une multiplicité d'identifications
qui s'articulent et s'expriment au travers de différents discours.
» (Brinck, 2005) Cependant, on peut distinguer certains traits directeurs
qui influencent l'identité culturelle, les moeurs et les coutumes de la
population insulaire. Il s'agit d'une part de la condition d'insularité
(et toute l'imagerie collective et la singularité y associée) et
d'autre part de l'espace marin et plus particulièrement la pêche.
Plus tard, les statuts de Parc national et de Réserve de
biosphère viendront renforcer l'imagerie insulaire jusqu'à
métaphoriser les liens entre la population de l'archipel et les
continentaux. Ces nouveaux déterminants, qui mettent la nature au centre
des préoccupations, s'installeront difficilement mais font
désormais partie de l'identité des habitants.
2.3.1. Le syndrome d'insularité
Depuis plusieurs générations, « Les
insulaires s'enorgueillissent de l'oeuvre de colonisation de leur parents,
grands-parents et arrière-grands-parents. C'est l'identité de la
majorité des insulaires : le fait d'être colon de Juan
Fernández. Ce discours s'établit vis-à-vis de leur
relation au continent. Selon cette pensée, les insulaires sont des
héros nationaux qui se sont sacrifiés, tout au long d'une
histoire difficile, pour que les Chiliens puissent dire que ces îles
[...] leur appartiennent. Le continent (tant l'Etat que les citoyens chiliens)
aurait une dette envers les insulaires, ce qui justifie la perception de
bénéfices en rétribution de leurs efforts et non par
charité. Cette perception permet de maintenir une image positive de
soi-même. De cette façon, l'identité servirait, non
seulement à affirmer un sentiment communautaire mais aussi à
maintenir une image positive de soi dans la lutte contre l'isolement insulaire.
Ce discours identitaire assoit un argument de poids (à partir du moment
où il est accepté par l'Etat) pour obtenir des
bénéfices importants qui ont permis une amélioration de la
qualité de vie. Par exemple : le subside de 50% de l'énergie
électrique, des coûts avantageux pour les communications
téléphoniques, des subsides pour le transport maritime, pour le
transport de personnes et de chargement... [...] La logique culturelle
s'articule, depuis ses origines dans une relation de fidélité
culturelle et de dépendance économique avec le continent. Cela se
reflète dans le maintien de certains aspects culturels continentaux
(cuisine, esthétique, musique) et dans l'attitude demandeuse et passive
face à l'Etat, duquel les insulaires exigent des ressources et des
subsides [...]. Dans ce contexte, le discours identitaire sert comme outil
idéologique qui soutient et justifie cette attitude vis-à-vis de
l'Etat. » (Brinck, 2005)
Plus récemment, et au fur et à mesure de la
contraction de la distance avec le continent, l'identité des habitants
se reconstruit sur base d'une opposition entre insulaires et continentaux.
Dans ce contexte de modernisation, le nouveau discours
stigmatise les insulaires (dénommés « endémiques
») et les continentaux et étrangers en général
(dénommés « plastiques »). « Dans ce discours
apparaît quelque chose qui n'était pas présent chez les
générations antérieures. Celui-ci découle de
l'acceptation et de l'identification au statut de Parc national et de
Réserve de biosphère. Ainsi, les insulaires se dénomment
« Endémiques » (les plus sélectionnés de la
nature, qui doivent être protégés) en opposition aux «
plastiques » (tout le côté faux, synthétique,
imitation, éphémère et jetable de la civilisation). [...]
Dans la catégorie des « plastiques », on retrouvera : les
continentaux qui arrivent sur l'île pour le travail mais s'investissent
de façon médiocre, les touristes, les continentaux qui
achètent des terrains, généralement les mieux
situés (cette thématique est très sensible pour les
insulaires : Bienes Nacionales (c.-à-d. le Ministère du
Patrimoine National) n'a pas développé de norme spécifique
pour l'île Robinson Crusoe. Ainsi, les terrains des colons ont
été subdivisés et les habitants paient pour les utiliser).
Comme souvent, les insulaires manquent d'argent pour acheter des terrains, et
comme ils ne veulent souvent pas payer (parce qu'ils considèrent que ces
terrains leurs appartiennent de fait), ce sont les continentaux qui
accèdent aux terres, y installent des projets touristiques ou des
résidences de vacances. » (Brinck, 2005)
Globalement, les discours identitaires (anciens et nouveaux)
se construisent en relation à l'extérieur. Mais, lorsque
l'isolement géographique était plus fort, le discours identitaire
était orienté dans une relation étroite et favorable,
alors que dans le mouvement de décloisonnement et d'insertion dans le
monde globalisé (réduisant l'isolement géographique et
culturel), le discours identitaire s'oriente vers une forme de rejet de
l'« autre », perçu comme facteur perturbateur.
2.3.2. La pêche : socle identitaire
En dehors de l'insularité, l'identité de la
population s'est construite autour de son activité principale : la
pêche. Elle rythme le quotidien de la majorité de la population
mais aussi les relations entre individus. Nous avons vu que les pratiques et
instruments de pêche faisaient partie de l'héritage transmis de
père en fils. C'est une des caractéristiques originales de
l'archipel puisqu'il s'agit du « seul endroit au Chili où les
repères ("marcas")58 sont une
propriété traditionnelle exclusive de chaque pêcheur. Cette
propriété peut être transmise selon les relations de
parenté, comme cela se fait généralement, ou par un acte
de vente (quand un pêcheur vend un bateau, généralement, il
vend ses repères). [...] Cette pratique crée un véritable
système permettant un fonctionnement ordonné et
systématique de l'activité, ce qui ailleurs est
généralement un problème. Grâce à ce
système, les pêcheurs ne se concurrencent pas les uns les autres,
ce qui rend l'activité plus soutenable. Si un pêcheur a une zone
de pêche réservée, il ne doit ni se dépêcher,
ni optimiser sa productivité parce qu'il sait que personne d'autre que
lui n'utilisera sa zone d'extraction. » (Brinck, 2005)
La pêche, la mer et les légendes de pirates et de
trésors sont omniprésentes dans le folklore et la mémoire
collective. D'autre part, l'histoire de l'installation humaine sur l'île
est liée à la pêche et à ce qui tourne autour
(monoproduction progressive, lutte des pêcheurs pour
l'indépendance, dépendance avec le continent, etc.).
2.4. Ambivalence du statut de protection de l'archipel
L'administration du parc par la CONAF a été
marquée par de profonds désaccords et des relations
problématiques entre les intérêts des habitants et ceux de
l'institution (conséquences des interdictions d'utiliser les ressources
de cet espace que la population de l'île considère comme lui
appartenant après un siècle d'occupation « libre »).
Parmi les oppositions et face à l'élimination
progressive du bétail surnuméraire, une petite partie de la
population s'est organisée et a constitué le Grupo Ganadero
(Groupe d'éleveurs). Ce groupe s'est formé en totale
opposition aux objectifs de la CONAF et continue obstinément
jusqu'à aujourd'hui à conserver du bétail en surnombre et
dans une situation sanitaire précaire.
Malgré ces minorités récalcitrantes, une
grande partie de la population a intégré les objectifs de
conservation incarnés par la CONAF et le statut de l'archipel.
Fondamentalement, les pratiques de la CONAF n'étaient pas
acceptées surtout parce qu'elles étaient imposées à
la population parfois subrepticement. Le dialogue avec la population n'a pas
réellement trouvé sa place dans ce contexte. Il existe en
conséquence des incompréhensions sur les objectifs de chaque
acteur et des conflits d'intérêt.
« Après que ce soit installé le SAG et la
CONAF, les choses se sont ordonnées. Au début, il y a eu un choc
parce qu'il n'y avait pas de contrôle et que, d'un coup, il y a eu une
autorité qui obligeait à ne pas faire ce que l'on voulait et en
plus, elle surveillait. Cela était très incommodant. [...] Il a
fallu beaucoup d'années pour se comprendre. A la longue, la
mentalité a changé à propos des objectifs poursuivis par
la CONAF (qui n'étaient pas d'ennuyer les gens, sinon de protéger
l'île pour l'intérêt de tous et des
générations futures aussi. [...] Des ateliers participatifs et
des activités par l'intermédiaire de l'école ont eu un
impact très positif. Par ces différentes informations, les
enfants et les adultes commencent à avoir une autre vision de leur terre
et de comment ils doivent la protéger. » (O. Chamorro dans Brinck,
2005)
58 Voir annexe 05
Ainsi, petit à petit, la CONAF, parmi d'autres,
amène de nouveaux intérêts dans les consciences des
habitants. Cette conscience est figurée dans la relation entre la
population et le santal endémique disparu depuis le début du XXe
siècle. Cet arbre est devenu presque mythique. La croyance populaire
veut croire qu'il en reste au moins un vivant quelque part dans le parc et
trouver un morceau de ce bois est un événement heureux (en
atteste la chanson `Sandalo que vive'). Ceux qui possèdent un
fragment de Santal le gardent précieusement comme un trésor. Cela
ne veut pas dire que désormais, la population vit dans un formidable
équilibre écologique. Si la conscience environnementale s'est
construite avec l'arrivée de la CONAF et suite aux divers projets
menés sur l'île59, le travail avec la population reste
central dans les difficultés écologiques auxquelles l'archipel
fait face.
2.5. Economie
2.5.1. Caractéristiques actuelles
Si d'autres ressources naturelles ont été
exploitées historiquement, la langouste est depuis plus de 150 ans la
ressource centrale du lieu. Elle a commencé à être
exploitée avant la dernière colonisation. Avec l'arrivée
de Alfred Von Rodt, la population croît progressivement et a les yeux
définitivement tournés vers la mer. Avec le temps, cette
spécialisation se radicalise. Si au début du XXe siècle,
la population a une petite activité agricole, d'artisanat et
d'élevage, peu à peu, ces activités vont se perdre dans
une monoproduction halieutique.
« Finalement, les agriculteurs se sont orientés
vers la pêche [...] parce qu'il se rendaient compte qu'ils pouvaient
mieux gagner leur vie en se dédiant à la pêche. Les gens
étaient de moins en moins tournés vers la terre. Pourquoi ? Parce
que la langouste était une denrée d'élite. Pour la
population, cultiver la terre était presque dénigrant, être
agriculteur no ! Je préfère être pêcheur ! » (V.
Bertullo dans Brinck, 2005)
Ainsi, les secteurs économiques prédominants
correspondent aux secteurs primaire et tertiaire. L'activité de
pêche artisanale est l'activité économique majeure, se
concentrant presque exclusivement sur une espèce de langouste
endémique (Jasus Frontalis). D'autres espèces sont
pêchées, parmi elles : la Breca, le Jurel, la
Anguila, le Pampanito et la Jerguilla principalement
utilisées pour appâter les langoustes, viennent ensuite la
Vidriola, le Cangrejo dorado et le Bacalao qui sont
destinés au commerce.
« L'artisanat est peu développé et sans
style défini ni unifié localement. Ce qui leur donne un
caractère spécifique est la matière dans laquelle les
objets sont travaillés et non le style des modèles. »
(Brinck, 2005) « L'artisanat est fait d'objets élaborés en
corail noir, en bois, en dents de loups de mer ou en peaux de poisson entre
autres. C'est une activité plus développée chez les jeunes
qui y voient une opportunité de gagner un peu d'argent. »
(Biodiversa, 2005)
Etant donné cette structure économique,
l'archipel est fortement dépendant du continent. Cependant, lorsque
l'archipel devait fonctionner en autonomie, avec des approvisionnements
très rares venant du continent, certaines zones de l'île Robinson
étaient cultivées afin de subvenir aux besoins de la population.
Aujourd'hui, l'île est ravitaillée tous les mois par
l'armée chilienne, et l'agriculture a donc été
abandonnée. Seuls certains particuliers continuent d'entretenir un
potager leur permettant occasionnellement de tirer quelques profits de leurs
produits. Une tentative de mise en place de cultures a été
réalisée lors du projet de coopération entre la CONAF et
les Pays-Bas mais sans succès (malgré qu'il y ait des endroits
adéquats pour une pratique agricole de subsistance).
Comme nous l'avons vu, la population s'est
définitivement tournée vers la mer au fur et à mesure du
développement du commerce national et international des langoustes.
Aujourd'hui, comme souligné à la fin de l'histoire de la
colonisation de l'archipel, elle se tourne aussi de plus en plus vers l'option
touristique qui creuse un peu plus cette dépendance exogène
manifeste.
59 Voir Partie 2 - Chapitre V - point 2. Faiblesses du cadre
juridique
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
Selon un rapport de la fondation Biodiversa suite
à un << autodiagnostic historico-culturel » (Biodiversa,
2005), actuellement, la population considère que la langouste sera
<< toujours la première ressource économique de l'île
» malgré certaines disparités d'opinion concernant les modes
d'exploitations et le futur des populations de langoustes. D'autre part, le
tourisme est perçu comme une alternative future prometteuse (et
spécialement les activités liées à la mer).
2.5.2. L'option touristique
Vers la fin du XXe siècle, l'activité touristique
et les services y associés (lieux d'accueil, guides touristiques,
promenades en milieu naturel, etc.) s'est développée de
façon constante.
Dans le plan de gestion municipale officiel, le 11e
objectif est la << gestion et le développement du parc et le
développement d'activités récréatives et
touristiques ». (PLADECO, 2005) Dans le même temps, ce document
considère la faible activité touristique comme un aspect positif
dans le cadre de la gestion du parc.
Actuellement, l'offre touristique se concentre exclusivement
dans le village de San Juan Bautista sur l'île Robinson Crusoe.
Cependant, les autorités considèrent l'île Santa Clara et
l'île Alejandro Selkirk comme des lieux potentiels d'accueil touristique
à développer, dont la difficulté d'accès est le
frein principal (PLADECO, 2005).
Figure 28 : Nombre de visiteurs du parc Juan
Fernández entre 1990 et 2002
Source : CONAF, 2004.
La municipalité a mis en évidence le potentiel
touristique de l'île dans son <<plan de développement
communal », identifiant différents <<foyers d'attractions
touristiques » dont environ 70 % correspondent à des lieux
naturels. Elle propose, d'autre part, certains types d'activités
(habilement désignés comme << écotouristiques
») qui pourraient se développer à l'intérieur du
parc, soit : du trekking, de la recherche scientifique, de l'observation
floristique et faunistique, des promenades (à pied, à vélo
ou à cheval), la chasse sportive, le camping est également
proposé dans des zones préétablies. D'autres
activités sont proposées dans le milieu aquatique, soit : la
plongée sous-marine, le snorkeling, la chasse sous-marine, la
pêche, des promenades en bateau, la baignade aux abords des plages,...
Actuellement, le village de San Juan Bautista compte 18
unités d'accueil touristique de tout type qui totalisent 127 lits,
correspondants à 168 places. Il y a deux hôtels importants (qui
comptent respectivement 17 et 13 chambres pour une capacité d'accueil de
33 et 26 places), 4 résidences plus modestes (entre 4 et 6 chambres pour
une capacité d'accueil de 10 à 12 places) et 12 unités
périphériques (soit des cabañas, soit chez
l'habitant).
Dans un contexte d'intérêt croissant de la
demande mondiale pour un tourisme « écologique », cette option
est perçue comme une opportunité à saisir dans le cadre du
développement de l'archipel Juan Fernández.
Curieusement cette alternative est développée
sans considération des impacts qu'elle peut avoir et principalement
avant d'avoir défini les limites de la capacité d'accueil
écologiquement soutenable dans le contexte actuel. Rappelons que
l'énergie est générée à partir d'un moteur
diesel très polluant, qu'il n'existe pas de contrôle sanitaire ni
de cadre légal à propos des entrées de personnes,
d'animaux et de produits sur le territoire de l'archipel, mentionnons qu'il
n'existe pas de système de traitement des eaux usées
adéquat, que le traitement des déchets est très
rudimentaire et que la décharge se situe en amont du village (qu'elle
affecte directement60) et enfin que le contrôle du respect des
limites et des règles du Parc est négligeable.
Le recours au tourisme en tant qu'option de
développement est légitime. Simplement, dans le contexte
particulier de l'archipel, il convient de bien penser son mode de
fonctionnement (pour qu'il représente un réel
bénéfice pour les populations locales) et de considérer
ses impacts environnementaux, sans quoi les objectifs de conservation ne
pourront pas être rencontrés et l'activité touristique
risque de scier la branche sur laquelle elle est assise (voir figure 29).
Il serait intéressant de partir de la
détermination de la capacité de charge en tant que notion
tridimensionnelle pour bien identifier les limites tolérables du
tourisme. Cette notion de "capacité de charge" considère la
dimension physique du lieu (biotope et biocénose), la dimension
socioculturelle de la population locale (taille, bien-être, culture) et
la dimension psychologique des visiteurs (limites de confort, de
l'agrément). La détermination de la capacité de charge
permettrait donc de considérer ces différentes dimensions et
d'équilibrer au mieux l'activité touristique, l'environnement et
les besoins de la population.
Le schéma ci-dessous permet de visualiser les risques du
tourisme (directs et à long terme) en rapport avec la
biodiversité :
Figure 29 : Les risques du tourisme
Source : Vanhulst et Kunsch, 2009.
60 Voir Partie 2 - Chapitre VI - point 4. Gestion des
déchets
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
CHAPITRE V - PERSPECTIVE POLITICO-JURIDIQUE
L'analyse politico-juridique ne sera pas aussi
détaillée que les chapitres précédents mais son
évocation est importante dans la compréhension du problème
de perte de biodiversité sur l'archipel. Elle a pour objectif d'amener
des éléments de réflexions à approfondir
(idéalement sur place par une analyse sociologique) surtout basés
sur la législation, le rapport de l'OCDE sur les performances
environnementales du Chili (2005) et un document du programme MaB de l'UNESCO
pour la partie concernant les priorités.
D'abord propriété des Espagnols qui en firent
une position militaire dès 1749, l'archipel, au cours des temps, servit
de pénitencier et de point de chute pour les baleiniers et les
phoquiers. En 1810 ; l'archipel devient chilien avec l'indépendance du
pays et une population irrégulière s'installe sur l'île
Robinson Crusoe dans le village de San Juan Bautista. Dans un premier temps,
l'archipel sera soumis à un régime de concession dont le
locataire était le gouverneur sans réelle implication du
gouvernement national. Par la suite, l'archipel sera rattaché à
la Région de Valparaiso (Ve Région du Chili) et, peu à
peu, intégré aux politiques nationales.
Comme le précise la Constitution, le Chili est un Etat
unitaire dont le territoire est divisé en 15 régions. Le
système politique du Chili est la démocratie républicaine.
La nation possède la souveraineté du pouvoir
conféré au Président et un parlement bicaméral est
élu démocratiquement par suffrage universel.
Le territoire chilien est divisé en régions et
provinces elles-mêmes subdivisées en communes. Politiquement,
l'archipel Juan Fernández est une commune de la Région de
Valparaiso depuis 1979, et depuis 199061 les autorités sont
élues démocratiquement et non plus désignées.
L'administration de l'archipel est divisée en 3 entités : la
municipalité, la CONAF et la Capitanía de Puerto,
contrôlant chacune une partie du territoire divisé respectivement
comme suit: Commune, Parc National et Territoire maritime.
Une réforme constitutionnelle effectuée en 2007
institue l'archipel comme un « territoire spécial ». Son
gouvernement et son administration seront régis par un statut
spécial dicté dans une nouvelle loi organique constitutionnelle
qui est en cours de réalisation. Cette question du statut
décentralisé de l'archipel qui pourtant répond à
une législation nationale devrait être mieux creusée. Le
rôle du CIDEZE et les dernières dispositions en
négociations pour la création d'un territoire spécial
devraient être mieux étudiés dans le cadre d'une analyse
globale mais ne seront pas traités ici par manque de temps et parce que
ce sont des questions qui seraient mieux traitées sur place.
1. Cadre juridique
« L'influence du mouvement international en relation avec
le développement durable et la prise de conscience, dans certains
secteurs, de la surexploitation des ressources naturelles et des
problèmes de contamination associés au développement
économique du pays, ont permis au thème environnemental de
prendre de l'importance dans le débat national, et plus
spécifiquement à partir des années 1980. » (Camus et
Hajek, 1998)
1.1. Cadre national
En plus de différentes institutions ayant des objectifs
de conservation des ressources naturelles et de l'environnement en
général (SAG, CONAF, CONAMA, INIA), le Chili a inscrit
l'environnement dans sa législation.
61 Année correspondant au retour à la
démocratie après la dictature du Général
Pinochet.
Schématiquement, par rapport au sujet de ce travail on
peut distinguer les normes générales directement ou indirectement
liées à l'environnement et les normes relatives aux 3 composantes
de la biodiversité (Espinosa et Aqueros, 2000 ; OCDE et CEPAL, 2005)
:
Certaines de ces lois-cadres ont une importance directe ou
indirecte sur la gestion de l'archipel Juan Fernández dont la plus
importante est sans doute la loi qui instaure le système de zones
protégées (SNASPE). Pourtant, en ce qui concerne la
biodiversité, le système juridique interne ne comporte pas de
règles régissant de manière directe la diversité
biologique. « Pour la diversité biologique, il n'existe pas de
texte légal exclusif à cette fin mais une dispersion de normes,
qui traitent des différentes composantes de la diversité
biologique. » (Espinosa et Aqueros, 2000)
De plus « l'application des lois relatives à
l'environnement a été la responsabilité de
différentes entités publiques (voir figure 30), ce qui montre une
prédominance de l'approche sectorielle. Bien que la CONAMA supervise
l'adoption des réglementations environnementales, elle n'a pas un nombre
suffisant d'inspecteurs pour mener à bien toutes les inspections
nécessaires sur le terrain. [...] La CONAMA participe peu aux programmes
relatifs à l'eau et à la diversité biologique appartenant
à d'autres entités publiques, en particulier en ce qui concerne
l'agriculture, la sylviculture, la pêche, la pisciculture et les travaux
publics. » (OCDE et CEPAL, 2005)
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
Figure 30 : Entités publiques responsables du
contrôle des normes environnementales (sélection)
Source : Vanhulst, 2009, d'après OCDE ET CEPAL, 2005.
Les premières règles passées ici en revue
sont des règles générales qui s'appliquent à
l'environnement dans sa globalité, nous parcourrons ensuite quelques
règles sectorielles.
1.1.1. La constitution politique de la
République.
Les fondements juridiques de l'environnement s'inscrivent dans
l'article 19 N°8 de la Constitution de 1980 (largement amendée
depuis) qui <<assure à toutes les personnes le droit de vivre dans
un environnement non contaminé. C'est le devoir de l'Etat de veiller
à ce que ce droit soit respecté et d'assurer la
préservation de la nature. La loi pourra établir des restrictions
spécifiques à l'exercice de droits ou libertés
déterminées pour protéger l'environnement. »
La Constitution fait donc référence à la
réglementation sur l'environnement en termes généraux,
mais ne traite pas de la biodiversité de façon explicite.
1.1.2. Le Code Civil
<< Le Code civil poursuit une approche patrimoniale,
axée principalement sur la protection de la propriété
privée. La faune sauvage est considérée comme un bien qui
<< n'appartient à personne », mais que quiconque peut
cependant s'approprier sans être propriétaire du terrain sur
lequel elle vit. En ce qui concerne la flore, on entend que celle-ci est la
propriété de celui à qui appartient le terrain sur lequel
elle se situe. Rien n'est prescrit au sujet des écosystèmes et du
capital génétique. » (Espinosa et Aqueros, 2000)
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
1.1.3. La Ley de Bases del Medio Ambiente
La Ley de Bases del Medio Ambiente (CONAMA, 1994) est
un des outils centraux de la gestion environnementale du Chili. Son premier
article reprend l'article 19 N°8 de la Constitution et consacre le «
droit de vivre dans un environnement non contaminé, la protection de
l'environnement, la préservation de la nature et la conservation du
patrimoine naturel. » (Ley de Bases del Medio Ambiente)
Le principal objectif de cette loi est d'instaurer les bases
générales d'une règlementation environnementale afin de
donner une plus grande uniformité à la grande dispersion des
normes existantes. Cependant, elle n'abroge ni ne réunit toute la
législation de l'environnement qui reste effective (Espinosa et Aqueros,
2000).
Le Titre 2 du texte de loi prévoit la création de
différents instruments de gestion, dont (Lagos, Torres et Noton, 2001)
:
- Le SEIA qui répond à un des engagements de la
Convention sur la Biodiversité Biologique. - L'Education et la
Recherche
- La participation de la communauté dans le système
SEIA qui répond à la Convention d'Aarhus.
- Les Plan de Manejo, Prevención o
Decontaminación comme instruments complémentaires au SEIA. -
L'alinéa 4 de la loi établit la création du SNASPE, y
incluant les terrains privés.
- Les normes d'émission de polluants.
- En plus des instruments de gestion mentionnés, la loi
reconnaît la responsabilité pour dommage environnemental.
Cette loi définit la « Biodiversité »
ou « Diversité biologique » comme « la variabilité
des organismes vivants qui font partie de tous les écosystèmes
terrestres et aquatiques. Elle inclut la diversité intra
spécifique, inter spécifique et entre les
écosystèmes. » (Loi de Bases de l'Environnement)
1.1.4. Ley de Bosque et Ley de fomento forestal
Les principales dispositions légales régissant
les activités forestières sont la Ley de Bosque (D. S.
4363 - Loi sur la forêt) et la Ley de fomento forestal (L. 701 -
Loi pour le développement forestier). Celles-ci visent à la
réglementation de l'activité forestière, plus qu'à
la protection des ressources forestières et de ses composantes. La
forêt y est définie comme un terrain aux potentialités
forestières et non en tant qu'écosystème. Cependant, ces
lois encadrent une certaine protection des fonctions
écosystémiques de la forêt et la prévention de
l'érosion, et donc réglementent la coupe d'arbres dans certains
secteurs.
Concernant la biodiversité, La Ley de fomento
forestal, étant donné son principal objectif d'incitation au
développement de l'exploitation forestière par
l'intermédiaire de bonifications fiscales, a conduit à l'abattage
aveugle de forêts primaires et à leur remplacement par des
plantations à croissance rapide entraînant un dégradation
importante de la diversité biologique au Chili. Cette contradiction sera
critiquée et une nouvelle loi (Ley de recuperación del bosque
nativo y fomento forestal) sera édictée en 2008 après
près de 15 années de négociations entre le gouvernement,
les entreprises forestières et les organisations environnementales. Les
objectifs de cette loi sont : la protection, la récupération et
l'amélioration des forêts primaires dans le but d'assurer la
durabilité forestière et de répondre à la politique
environnementale.
D'autre part, avec le système SNASPE (voir
ci-après), une grande partie des forêts primaires se trouve sous
un régime de protection spécial qui exclut toute activité
économique dommageable.
1.1.5. Ley de caza
« La Ley de caza (Loi sur la chasse)
régit la chasse, la capture, l'élevage, la conservation et
l'utilisation durable des animaux de la faune sauvage, à l'exception des
espèces et ressources aquatiques dont la gestion est régie par la
loi générale sur la pêche et l'aquiculture. » (Loi sur
la chasse)
La Ley de caza prévoit une série de
mesures concrètes visant à la protection de la faune sauvage
comme « l'interdiction de chasser ou capturer des espèces de la
faune sauvage cataloguées comme menacées d'extinction,
vulnérables, rares ou peu connues ainsi que les espèces
classées comme bénéfiques pour le maintien et
l'équilibre des écosystèmes naturels ou encore les
espèces présentant des densités démographiques
réduites. » (Loi sur la chasse) Ces espèces sont
référencées dans le règlement d'application de la
loi. Pour appuyer ces mesures, la loi autorise « l'application des
interdictions de chasse saisonnières, la création de zones de
chasse, l'établissement de quotas de chasse par journée, saison
ou groupe d'âges ainsi que d'autres conditions dans lesquelles ces
activités peuvent se développer. » (Loi sur la chasse)
1.1.6. Ley general de Pesca y Acuicultura
La Ley general de Pesca y Acuicultura (Loi
générale sur la pêche et l'aquiculture) entend
réguler « la préservation des ressources hydrobiologiques,
et toute activité d'aquiculture, de pêche extractive, sportive ou
scientifique qui se réalise dans les eaux terrestres, les eaux
intérieures, la mer territoriale et la zone économique exclusive
de la République. »
Comme la loi sur la forêt, cette loi norme et ordonne la
structure d'exploitation de la ressource et ne se préoccupe pas
spécifiquement de la conservation et de la protection de la richesse
marine du Chili. Toutefois, « la loi contient un aspect pertinent
concernant la protection de la biodiversité, c'est la possibilité
de création de réserves marines comprises comme des domaines de
préservation des ressources aquatiques. [...] Ces zones sont
placées sous la garde du Service national de la pêche. On ne peut
y réaliser des activités extractives que par périodes
transitoires. » (Espinosa et Aqueros, 2000)
En général, cette règle est très
comparable, dans sa structure, aux règles sur les forêts,
où la protection de l'espèce biologique n'est pas l'objectif
principal, mais se pose en relation à la réglementation de
l'activité économique.
1.1.7. Ley N° 18.362 que crea un Sistema Nacional de Areas
Silvestres Protegidas del Estado
Le Chili a désigné sa première zone
protégée en 1907 et a établi son premier Parc National en
1926 (le parc national Vicente Pérez Rosalez dans la Xe
Région, Région des Lacs). Ces premiers efforts ont
été motivés principalement par l'intention de promouvoir
le tourisme et concernent des terres qui n'étaient pas utilisées
pour d'autres objectifs.
Les objectifs de conservation se sont
concrétisés en 1984 (Loi N° 18.362) avec la création
du SNASPE. Proposé en 1984, ce système a pour objectif « le
maintien de zones uniques ou représentatives de la diversité
biologique naturel du pays et des lieux avec des communautés animales ou
végétales, des paysages ou des formations géologiques
naturelles, afin de permettre l'éducation et la recherche et d'assurer
la continuité des processus évolutifs, les migrations d'animaux,
les cycles de flux génétiques et le respect de la
réglementation environnementale. » (Loi SNASPE)
Le SNASPE reconnaît 3 types de zones
protégées :
1) Les Parcs Nationaux (catégorie II de la UICN)
Un parc national est « une aire
généralement élargie, où existent différents
milieux uniques ou représentatifs de la diversité biologique
naturelle du pays, non perturbée significativement par l'action humaine,
capable de s'autoperpétuer et dans laquelle les espèces de la
faune et de la flore ou les formations géologiques présentent un
intérêt particulier (éducatif, scientifique ou
récréatif). Les objectifs poursuivis sont la conservation de
fractions de milieux naturels et des caractéristiques culturelles et
paysagères qui y sont associées; la continuité des
processus évolutifs et la réalisation d'activités
d'éducation, de recherche et de loisirs compatibles avec l'objectif de
conservation. » (
www.conaf.cl)
2) Les Réserves Nationales (catégorie IV de la
UICN)
Une réserve nationale est « une zone dont les
ressources naturelles doivent être conservées et/ou
utilisées avec un soin particulier, étant donné leur
sensibilité à subir des dégradations ou étant
donné leur importance dans la préservation et le bien-être
de la Communauté. La réserve nationale vise la conservation et la
protection des ressources du sol et des espèces menacées de la
faune et de la flore sauvages, le maintien et/ou l'amélioration de la
production hydrique et l'utilisation de technologies d'exploitation rationnelle
de ces réserves. » (
www.conaf.cl)
3) Les Monuments Naturels (catégorie III de la UICN)
Un monument naturel est « une aire
généralement réduite, caractérisée par la
présence d'espèces indigènes de la faune et de la flore ou
par l'existence de sites géologiques pertinents du point de vue
paysager, culturel ou scientifique. Son objectif est de préserver
l'environnement naturel, culturel et paysager, et de développer des
activités éducatives, récréatives ou de recherche
compatibles avec l'objectif de préservation. » (
www.conaf.cl)
C'est la CONAF qui est en charge de l'administration du
réseau SNASPE. Pourtant, « la loi qui contient la création
du SNASPE, suppose l'existence d'une entité centrale et publique,
chargée de son administration [...] qui remplacera l'actuelle CONAF,
institution qui, en dépit d'être financée par
l'État, est un organisme de caractère privé. Cette
situation affecte le plein respect de la loi 19 300 sur les bases
générales de l'environnement qui établit que l'État
gérera un système de zones sauvages protégées afin
d'assurer la conservation de la diversité biologique, la protection de
la nature et de préserver le patrimoine environnemental. Actuellement,
leur protection directe n'a pas de cadre légal en vigueur. »
(Espinosa et Aqueros, 2000)
Le réseau SNASPE couvre au total approximativement
18,50% du territoire chilien. Le réseau comprend 32 parcs nationaux, 48
réserves nationales et 15 monuments nationaux. Le réseau inclut 9
sites « Ramsar » et 7 Réserves de biosphère de
l'UNESCO.
« Cependant, cette grande étendue dans l'ensemble
est faite de beaucoup de petites zones trop isolées pour
représenter une valeur sûre au niveau de la conservation. De plus
le système n'est pas suffisamment représentatif de la
diversité des écosystèmes chiliens. Presque un quart des
espaces protégés sont couverts en permanence de neige et de glace
et 57% sont formés de marais et de « forêts denses » qui
représentent 18% de la superficie nationale. Inversement, certains
écosystèmes sont sous représentés et le taux
d'intégration de nouvelles superficies n'est pas suffisant pour arriver
aux « 10 % de tous les écosystèmes significatifs en 2010
» (stratégie biodiversité). [...] Environ 165.000
km2 (22% du territoire chilien) sont couverts de forêts. De
cette superficie, 85,90% correspondent aux forêts primaires et le reste
est en majeure partie couvert par des forêts artificielles
d'espèces exotiques (principalement de pins et d'eucalyptus). L'Alliance
de la Banque Mondiale et du WWF pour la conservation et l'utilisation durable
des forêts a classé les forêts primaires du Chili et
d'Argentine parmi les écosystèmes les plus menacés du
monde. Quasiment 29% des forêts primaires du Chili font partie du
réseau SNASPE. Selon l'OCDE, le Chili devrait assumer la
responsabilité de sauvegarder la majeure partie de ses forêts
primaires. Le défi consiste à intégrer les 71% restant
dans le réseau SNASPE. Un élément clé pour
préserver ce patrimoine mondial serait la transmission d'une solide
éthique de conservation à l'ensemble de la population. Pour cela,
l'éducation à l'environnement est vitale. Les initiatives de
certifications (du bois par exemple) pourraient soutenir cette volonté
d'éducation générale. » (OCDE et CEPAL, 2005)
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» Figure 31 : Zones
protégées et écosystèmes terrestres
incorporés au SNASPE en décennies
Source : Vanhulst, 2009 d'après IUCN, 2007.
D'un point de vue quantitatif, l'incorporation de nouveaux
écosystèmes terrestres dans le système SNASPE a
été relativement rapide dans un premier temps étant
donné que les premières réserves à être
créées incorporaient plus facilement un ou plusieurs
écosystèmes terrestres non représentés (IUCN,
2007). Ensuite, depuis 20 ans, il reste 16 écosystèmes terrestres
particuliers qui n'ont aucune représentation dans des aires
protégées.
Figure 32 : Zones protégées du
réseau SNASPE au Chili
Source : Vanhulst, 2009 d'après CONAMA, 2005 ;
www.conaf.cl ; TERRAM, 2005.
L'archipel Juan Fernández a été
déclaré Parc National en 1935 (par le décret suprême
N° 10362) suite aux constatations et mises en garde des
différents scientifiques de passage sur les îles. Avant 1989,
107,5 hectares correspondant à la zone urbaine étaient extraits
du parc. En 1989, 111,87 hectares urbains supplémentaires (en vue
d'augmenter la possibilité d'accueil (Fellmann, 2004)) et 176,54 ha de
l'île Robinson Crusoe (correspondant à l'aérodrome à
Punta de Isla) seront désaffectés du parc par
décret du Ministerio de Bienes Nacionales (soit 8,5% du
territoire de l'île Robinson Crusoe).
De plus, il fait aussi partie du réseau des
Réserves de biosphère de l'UNESCO (voir ci-dessous).
62 Voir annexe 04
Ces deux statuts de protection importants soulignent la
richesse et la nécessité de préserver la
biodiversité de l'archipel Juan Fernández. Ils devraient surtout
motiver les décideurs nationaux et internationaux, à mettre en
place les moyens nécessaires pour conserver la biodiversité de
l'archipel.
Ces moyens ne sont pas forcément financiers contrairement
à ce qui se prétend souvent. Même si les moyens financiers
sont nécessaires dans une certaine mesure, ils ne sont pas
suffisants.
Selon une étude du WWF de 2004 (WWF, 2004), les
ingrédients minimums pour un gestion efficace d'une aire
protégée sont non seulement un financement suffisant mais aussi
un personnel de gestion adéquat au niveau quantitatif et qualitatif
(bien formé à l'environnement, en lien avec la communauté
locale et qui mette correctement en oeuvre les résolutions relatives aux
aires protégées), un suivi et une évaluation du programme
de gestion.
D'autre part, les problèmes récurrents
observés dans les aires protégées sont : les
difficultés à gérer les relations avec les
communautés locales mais également la gestion des touristes.
Toujours selon cette étude basée sur
l'observation de 200 aires protégées dans 34 pays, le budget est
corrélé avec l'efficacité de la gestion. Ainsi, «
même si le financement disponible ne suffit pas,
généralement plus le budget est élevé plus la
performance est bonne ». (WWF, 2004) Encore que la corrélation
n'est pas évidente ! Ce n'est donc pas un critère suffisant.
Figure 33 : Corrélation entre le budget et la
bonne gestion d'une zone protégée
Source : WWF, 2004.
Par ailleurs, l'éducation et la sensibilisation jouent
un rôle vital dans la construction de la gestion des aires
protégées en général. L'étude du WWF montre
clairement que la gestion est plus efficace lorsqu'un programme
d'éducation et de sensibilisation lié aux objectifs et aux
besoins de la zone protégée est en place. La corrélation
est ici beaucoup plus évidente.
Figure 34 : Corrélation entre l'éducation
et la bonne gestion d'une zone protégée
Source : WWF, 2004.
En dehors des investissements financiers nécessaires
dans une certaine mesure, il faudrait surtout consentir à des
investissements humains non seulement quantitativement mais surtout
qualitativement (via des programmes de formation et des instruments de
dialogue).
1.1.8. Autres tutelles des zones protégées
1.1.8.1. Zones protégées publiques
<< Si le réseau SNASPE intègre des zones
maritimes, il s'agit exclusivement d'extensions des zones terrestres et elles
ne représentent pas une entité à elles seules. Cependant,
le SERNAPESCA (qui fait partie du ministère de l'Economie et de
l'Energie) en collaboration avec le Bureau de Zone Côtière du
Ministère de la Défense a défini 3 réserves
maritimes indépendantes. D'autre part, la loi générale sur
la pêche et l'aquiculture donne la possibilité de désigner
des zones de gestion soutenables pour régulariser la pêche en eau
continentale et maritime. » (OCDE et CEPAL, 2005)
Par ailleurs, le Ministère de l'éducation
gère un réseau de "Monuments nationaux" destiné à
protéger le patrimoine historique, archéologique, culturel et
naturel du Chili. Celui-ci comprend 28 "sanctuaires de la nature"
représentés majoritairement par des îlots, des lagunes ou
des formations géologiques qui représentent surtout une valeur
symbolique.
1.1.8.2. Zones protégées privées
Durant les 15 dernières années a
émergé la participation du secteur privé dans la
création d'aires protégées. Ces zones peuvent être
de trois types (OCDE et CEPAL, 2005) :
- Des parcs privés
- Des donations de terres au réseau SNASPE
- Des terres appartenant à des groupes de personnes comme
lieu de production ou de récréation avec un objectif de
conservation.
- Des projets commerciaux d'écopropriété ou
d'écotourisme
- Des terrains appartenant à l'Etat mais
gérés par le secteur privé à des fins
d'écotourisme.
L'ONG CODEFF a fondé en 1997 le Réseau d'Aires
Protégées Privées (RAPP) qui comprenait 83 sites en 1999
et un total de 446.790 hectares (voir figure 35). Actuellement, les zones
protégées du secteur privé représentent 17.000
km2 répartis dans 133 sites qui sont
généralement des parcs (
www.codeff.cl ; OCDE et CEPAL,
2005).
Figure 35 : Localisation, nombre et superficie des
zones protégées privées en 1999
Source : Vanhulst, 2009 d'après TERRAM, 2005.
La majorité de ces zones est concentrée dans la
XIIe et surtout dans la Xe région où se trouve le Parc Pumalin
qui appartient au milliardaire Douglas Tompkins et qui couvre l'essentiel de la
superficie protégée de cette région.
<< Malgré les bonnes intentions des
propriétaires, les aires protégées par le secteur
privé présentent un apport limité à la protection
de l'environnement. La sélection des sites est principalement
aléatoire (ils sont, comme les sites du réseau SNASPE, fortement
concentrés dans les zones de forêts primaires) et assigne fort peu
d'attention aux priorités de diversité biologique. De plus la
majorité de ces endroits sont de petites tailles et isolés.
Malgré l'existence de certains instruments juridiques pour encadrer ces
terres, la majorité de ces zones ne sont pas protégées
d'un point de vue juridique. Pour que les initiatives privées
destinées à créer les aires protégées
représentent un réel apport à la conservation de la
nature, il est nécessaire de mieux les intégrer aux initiatives
du gouvernement. [...] Ces aires ont besoin d'une forme de reconnaissance
juridique, et les initiatives privées doivent s'orienter vers des aires
spécifiques identifiées comme prioritaires pour leur
diversité biologique. Le gouvernement pourrait mieux encadrer les
initiatives privées par un cadre juridique mais aussi en apportant les
connaissances techniques et de gestion nécessaires à la bonne
administration de ces zones. » (OCDE et CEPAL, 2005)
Par ailleurs, une vue géographique nous permet de
constater nettement que les zones classées (SNASPE ou autre tutelle)
sont des zones à faible densité de population majoritairement
situées dans les lieux difficilement accessibles et donc difficilement
exploitables.63
1.2. Cadre international 1.2.1. UNESCO
Parmi ses divers programmes, l'UNESCO lance en 1971 le
programme MaB avec pour objectif d'accroître les connaissances sur les
relations entre l'Homme et la Nature. Quelques années plus tard, en
1974, un groupe de travail du programme MaB lance l'idée de <<
Réserve de biosphère » dont le but était de mettre en
place un réseau mondial de zones naturelles protégées. En
1976, les premières réserves sont créées mais dans
une optique uniquement de préservation et de recherche scientifique. Une
réelle vision harmonieuse de convivialité entre les hommes et
leur environnement n'existe pas encore. C'est suite à la
Conférence de Rio en 1992 que se redresse l'encadrement des
Réserves de biosphère et en 1996, la situation change
radicalement avec l'adoption de la Stratégie de Séville pour les
Réserves de biosphère et du Cadre statutaire qui stipule les
conditions à remplir pour un bon fonctionnement du Réseau mondial
de Réserves de biosphère. Ce cadre stratégique
définit les principes de fonctionnement des Réserves de
biosphère. Ainsi << Les Réserves de biosphère sont
des aires portant sur des écosystèmes terrestres et
côtiers/marins reconnues au niveau international dans le cadre du
Programme MaB. Les Réserves de biosphère sont beaucoup plus que
de simples aires protégées puisque leur objectif est de
promouvoir et de démontrer une relation équilibrée entre
les populations et leur environnement. Elles sont proposées par les
gouvernements nationaux et demeurent sous la juridiction souveraine des Etats
où elles sont situées. Les Réserves de biosphère
forment un Réseau mondial qui permet de promouvoir la recherche en
coopération, la surveillance continue et l'échange
d'informations. Un élément clé de ce Réseau est la
constitution de sous-réseaux régionaux très actifs. »
(UNESCO - MaB, 2008)
<< Les Réserves de biosphère s'efforcent
de constituer des sites modèles d'étude et de
démonstration des approches de la conservation et du
développement durable au niveau régional en combinant 3 fonctions
: (i) Conservation - contribuer à la conservation des paysages,
des écosystèmes, des espèces et de la variation
génétique ; (ii) Développement - encourager un
développement économique et humain durable des points de vue
socioculturels et écologiques ; (iii) Appui logistique - fournir
des moyens pour des projets de démonstration et des activités
d'éducation environnementales et de formation, de recherche et de
surveillance continue sur des problèmes locaux, régionaux,
nationaux et mondiaux de conservation et de développement durable.»
(Cadre statutaire des Réserves de biosphère, 1995)
L'archipel Juan Fernández est déclaré
Réserve de biosphère en 1977. Les objectifs du programme MaB
et la Stratégie de Séville apportent un cadre utile pour
répondre aux problèmes environnementaux qui existent sur
l'archipel. Pourtant il n'y a pas réellement de gestion globale des
63 Voir annexe 12
écosystèmes ou de vision durable du
développement. << La Réserve de biosphère Juan
Fernández ne s'accorde pas pleinement aux orientations de la
Stratégie de Séville et pour le moment, elle fonctionne plus en
tant que Parc National (fortement lié avec le village, qui ne fait pas
partie du Parc mais bien de la Réserve de biosphère) »64
La révision du rapport décennal <<
Enquête d'Evaluation de la Stratégie de Séville »
montre clairement que la Réserve de biosphère archipel Juan
Fernández opère avant tout comme un Parc National et ne
s'intègre pas activement dans le réseau de Réserve de
biosphère qui offre pourtant un cadre de gestion et des instruments
d'échanges intéressants. La réserve a donc un double
statut de droit mais un statut unique de fait qui permet de justifier en partie
la gestion du milieu naturel au travers des actions de la CONAF. D'après
cette enquête (Leiva, 2008), les instruments de coopération du
réseau de Réserve de biosphère sont inutilisés, la
réserve ne s'inscrivant pas dans les systèmes d'échanges
d'information (ni à un niveau international ni entre les réserves
nationales, l'administrateur du parc signale également ne pas être
intéressé par la possibilité de partager ou de comparer sa
révision périodique avec celle des autres réserves
<<pour le moment »). De plus, il n'y a aucun contrôle ou
observation permanente des composants des écosystèmes ni de
réelle stratégie à long terme et << l'apport de
ressources ponctuelles a induit une discontinuité dans les projets, ce
qui a parfois impliqué un retour au point de départ »
(Leiva, 2008). Par ailleurs, ce rapport indique clairement que peu
d'indicateurs sont utilisés et que, parmi les actions entreprises, le
projet de coopération entre la CONAF et les Pays-Bas est
surreprésenté alors qu'il a été finalisé en
2003.
Cette révision laisse à penser que la
réserve est gérée sans stratégie à long
terme et qu'elle est surtout dépendante de projets
extérieurs65. La <<révision de la gestion de
l'archipel Juan Fernández en tant que Réserve de biosphère
(découpage en zones correspondantes,...) est prévue pour 2010.
Mais en mars 2010 ont lieu les élections présidentielles et ce
plan devra être réexaminé. »66 La nature
est malheureusement dépendante de calendriers politiques avant tout.
1.2.2. Accords et conventions internationales
Le Chili a non seulement signé une série de
traités commerciaux qui intègrent la dimension environnementale
mais il a surtout participé à des initiatives mondiales pour
relever les défis environnementaux et a ainsi signé et
ratifié la plupart des traités multilatéraux sur
l'environnement.
Parmi ceux-ci67 le Chili a ratifié certaines
conventions qui touchent directement ou indirectement la biodiversité :
la Convention on International Trade in Endangered Species of Wild
Fauna and Flora (dite CITES, 1973), la Convention sur les zones humides
(dite de Ramsar, 1971), la Convention pour la protection de la flore et la
faune et des beautés panoramiques naturelles des pays d'Amérique
(dite de Washington, 1940) mais surtout la Convention sur la Diversité
Biologique (traité international adopté lors du Sommet de la
Terre à Rio de Janeiro en 1992 et ratifié en 1994).
La Convention sur la Diversité Biologique
reconnaît pour la première fois en droit international que la
conservation de la diversité biologique est une préoccupation
commune à l'ensemble de l'humanité et est consubstantielle du
processus de développement. Les objectifs de la convention se
décline en 3 points, soit : << la conservation de la
diversité biologique (ou biodiversité), l'utilisation durable de
ses éléments et le partage juste et équitable des
avantages découlant de l'exploitation des ressources
génétiques. » (CDB, 1993)
La Convention recommande plusieurs voies pour réaliser
ces objectifs, par exemple, elle recommande d'élaborer des
stratégies de conservation, d'identifier et de surveiller les
composantes de la biodiversité, de créer des aires
protégées, de promouvoir la protection des
écosystèmes, de réhabiliter et restaurer les
écosystèmes dégradés, d'empêcher
l'introduction d'espèces exotiques et de prendre des mesures
économiquement rationnelles afin d'encourager la conservation et
l'utilisation durable des composantes de la biodiversité. Elle assigne
également un rôle important à l'éducation.
64 Pedro Araya, Point focal MaB au Chili (commentaire
personnel)
65 Voir présent chapitre point 2. Faiblesses du cadre
juridique
66 Pedro Araya, Point focal MaB au Chili (commentaire
personnel)
67 Voir annexe 13
Le Chili a transcrit cette convention dans un décret
promulgué le 28 décembre 1994. Certaines des recommandations
susmentionnées ont été prises par l'État du Chili,
comme par exemple la réalisation d'un cadastre des espèces
indigènes. D'autres ont été inachevées, comme la
surveillance des composantes de la biodiversité. De plus, comme nous
l'avons vu avec le cas de Juan Fernández, si le Chili réalise un
contrôle sanitaire des entrées et sorties des frontières,
les mouvements nationaux restent peu contrôlés.
Afin de respecter les engagements de la Convention sur la
Diversité Biologique, en 2003, les autorités chiliennes
rédigent une « Stratégie Nationale de Biodiversité ))
suite à « l'élaboration d'un diagnostic de l'état de
conservation de la biodiversité régionale, l'identification des
activités anthropiques qui affectent (positivement et
négativement) la biodiversité régionale et la
détermination d'axes stratégiques et de priorités
d'action. )) (CONAMA, 2003)
Cette stratégie se subdivise en stratégies
régionales dont la stratégie pour la Région de Valparaiso
dont dépend l'archipel Juan Fernández. Cette dernière
définit quelques généralités sur le cadre
législatif chilien pour la biodiversité. Elle propose ensuite une
classification de différents sites selon les types
d'écosystèmes (terrestres, eaux continentales, mers et
côtes et enfin îles océaniques et mer environnante) et selon
leur priorité.
Concernant l' « écorégion îles
océaniques et mer environnante )), « toutes les îles sont
considérées de première priorité pour leur
singularité (la flore et la faune terrestre et marine présentant
de hauts niveaux d'endémisme étant donné l'isolement) mais
aussi au vu des hauts niveaux de menaces.)) (CONAMA, 2005)
Dans cette catégorie, le premier site prioritaire est
l'archipel Juan Fernández dont la valeur écologique et les
menaces sont soulignées. Suivent quelques propositions d'action pour la
conservation des écosystèmes insulaires parfois trop
générales. On retrouve ici le manque de considération de
l'archipel comme lieu particulier auquel doit s'appliquer une politique
particulière. D'autres projets appuient le développement de
l'écotourisme en tant que « mécanisme de protection)) ou de
financement.
Si la Convention sur la diversité biologique
prévoit un cadre de base important pour la réglementation de la
biodiversité, le Chili en outre participe à d'autres conventions
qui traitent des thèmes spécifiques de la diversité des
ressources biologiques.
A cet égard, le Chili a ratifié la «
Convention sur les zones humides )) (Ramsar, 1971). Cette convention naît
des préoccupations face à la disparition des zones humides et
vise à enrayer la dégradation et la perte de zones humides en
reconnaissant non seulement les fonctions écologiques fondamentales de
celles-ci mais aussi leur valeur économique, culturelle, scientifique et
récréative (Ramsar, 1994)
Le Chili a également signé la « Convention
sur le commerce international des espèces menacées de faune et de
flore sauvages )) (CITES) qui promeut l'adoption de mesures ciblées sur
la protection de certaines espèces en danger. Ces recommandations se
retrouvent en partie dans la Ley de caza et dans la Ley general
sobre pesca y acuicultura.
Le Chili est aussi partie de la « Convention pour la
protection de la flore et la faune et les beaux-arts du spectacle naturel
d'Amérique )), dont les objectifs sont la protection des beautés
paysagères, ainsi que des exemplaires de toutes les espèces et
des genres de la faune autochtones, y compris les oiseaux migrateurs ; la
conservation des paysages d'une beauté incomparable, formations
géologiques extraordinaires, régions naturelles
d'intérêt esthétique, historique ou scientifique et la
coopération entre les États pour la conservation et de la
protection de ces régions. On vise la réalisation des objectifs
antérieurs à travers la création de parcs, réserves
et monuments naturels (cf. SNASPE) mais également de Reservas de
Regiones Vírgenes (réserves naturelles correspondant aux
zones protégées de catégories Ia et Ib selon la
classification de L'UICN) qui existent dans la transcription chilienne mais
pour lesquelles aucun territoire n'est affecté.
Toutes ces conventions "recommandent" dans les pays
signataires de mener certaines actions pour s'acquitter de leurs objectifs,
mais en aucun cas, ces recommandations n'ont un caractère d'obligation,
ainsi, chaque pays est libre d'appliquer les suggestions des conventions
signées selon ses désirs.
Selon le rapport de l'OCDE sur les performances
environnementales du Chili, celui-ci n'a pas donné suite à la
mise en oeuvre de certains des traités multilatéraux sur
l'environnement ratifiés. « Dans certains cas, la
législation est encore en suspens (forêts primaires et polluants
organiques persistants, entre autres), dans d'autres, des plans d'action
nationaux n'ont pas été élaborés (diversité
biologique, entre autres) et le contrôle de certaines stratégies
mises en place est trop laxiste (espèces menacées d'extinction,
entre autres). » (OCDE et CEPAL, 2005)
2. Faiblesses du cadre juridique
Comme l'a mis en évidence le rapport de l'OCDE sur les
performances environnementales du Chili, la législation environnementale
est très diffuse et relève de la responsabilité de
nombreuses institutions. « Etant donné la structure
législative du pays, on peut distinguer différentes
législations, transsectorielles et sectorielles qui régulent
l'usage et la conservation de la nature et qui confèrent des
attributions à différents organes de l'Etat, soulignant qu'il
n'existe pas un corpus légal qui aborde cette thématique de
façon relativement compréhensive et développée.
» (CONAMA, 2005)
De plus, en dehors du processus du SEIA, « la CONAMA
dispose de peu de contrôle sur le niveau de respect et de contrôle
de la réglementation environnementale de la part des entités
sectorielles. Les organes sectoriels disposent du personnel et de la
capacité technique générale pour les inspections sur le
terrain, mais ses activités de surveillance liées à
l'environnement, peuvent être rendues opaques par d'autres travaux et
priorités. » (OCDE et CEPAL, 2005)
L'objectif premier des règlementations qui touchent la
biodiversité est souvent différent de celui de conservation
même de la diversité biologique. Jusqu'en 2003, il n'existait pas
de politique spécifique consacrée à la
biodiversité. La déclinaison du cadre juridique en plans
politiques devrait permettre, au minimum, de vérifier si la
législation en vigueur permet de remplir concrètement les
objectifs, en contrôlant mieux les résultats escomptés. Il
manque peut-être aussi une gouvernance qui implique les acteurs non
gouvernementaux dans la gestion politique. Le Chili a mis en place des
instruments permettant d'avoir accès à l'information (SINIA,
participation des citoyens, accès à la justice) et a
structuré l'information environnementale (au travers de statistiques de
l'environnement68, de rapport sur la situation de l'environnement
entre autres). D'autre part, comme nous l'avons vu, la Ley general de Bases
sobre el Medio Ambiente reconnaît le principe de la participation
publique.
« Le grand nombre de différends écologiques
traités dans les tribunaux montre que, dans la pratique, s'exerce
l'accès à la justice. Ont également été
accomplis certains progrès dans l'éducation environnementale avec
l'introduction de matières liées à l'enseignement primaire
et secondaire, la certification environnementale de 132 écoles et le
mouvement environnemental des scouts.» (OCDE et CEPAL, 2005)
Pourtant, il faudrait veiller à renforcer et
régulariser les travaux concernant les données sur
l'environnement, les rapports et les indicateurs environnementaux. Pour les
quelques éléments analysés dans le cadre de ce travail, il
faut souligner que les chiffres officiels sont peu fiables, voire
contradictoires (recensement des picaflor rojo, quantités de
langoustes capturées, chiffres concernant les aires
protégées,...). Cette faiblesse ne permet pas d'élaborer
des stratégies solides basées sur des observations
concrètes.
Comme souligné pour les aires protégées,
il manque une réelle synergie entre les différents acteurs en ce
qui concerne l'environnement (tant au niveau citoyen qu'au niveau public ou
privé). Il reste encore beaucoup à faire dans l'éducation
et la conscience écologique, mais aussi dans le secteur privé (en
promouvant la certification et la responsabilité sociale de
l'entreprise, et en encourageant la formation à l'environnement au moyen
d'associations professionnelles) et dans le secteur public (en
68 L'Institut national des statistiques a publié des
données environnementales annuellement depuis 1996 (voir
www.ine.cl)
association avec des initiatives de développement
durable, d'évaluation des impacts environnementaux liés à
des projets, d'évaluation environnementale stratégique des
politiques, plans et programmes publics et en association avec une utilisation
d'indicateur de performance environnementale).
« Jusqu'à aujourd'hui, la protection de la nature
n'a pas bénéficié de l'intérêt et des
ressources suffisantes pour faire face aux menaces à long terme de la
diversité biologique hautement endémique du Chili. Il n'existe
aucune loi spécifique de conservation de la nature, et les structures
institutionnelles et de gestion donnent une importance secondaire à des
objectifs de conservation devant les objectifs plus larges des organismes
concernés. Les espèces du pays, leur état de conservation
et le fonctionnement des écosystèmes demeurent insuffisamment
connus. Les politiques gouvernementales ne reconnaissent pas de façon
adéquate la valeur de la nature comme un actif vital pour l'industrie
touristique et n'exploitent pas non plus au mieux le potentiel du tourisme afin
qu'il puisse contribuer au financement de la gestion de l'environnement.
L'absence d'un système efficace de planification territoriale, à
l'exception des mécanismes de planification sectorielle, fait que les
habitats hors des aires protégées sont extrêmement
vulnérables à la destruction. » (OCDE et CEPAL, 2005)
Sur l'archipel Juan Fernández, la biodiversité
est assez bien connue mais il y a peu de surveillance pour connaître les
tendances de son évolution. Et pourtant, les examens à long terme
sont nécessaires pour comprendre les processus écologiques et
finalement la diversité biologique à différentes
échelles temporelles. Sans de telles observations, il est difficile de
comprendre la signification de changements ou d'oscillations dans la taille des
populations des espèces. Pour le moment, sur l'archipel, la
stratégie a été de concentrer les efforts sur des
thématiques considérées comme prioritaires (sans
réellement considérer le problème dans son ensemble) et de
promouvoir le développement de projet de recherche d'entités
extérieures (universités nationales et étrangères,
associations,...) sans coordination réelle (et donc sans
considérer le problème dans son ensemble). De plus, comment fixer
des priorités sans vraiment connaître les comportements
écologiques des espèces et du biotope.
Concernant le contrôle des introductions
d'espèces sur l'archipel Juan Fernández, non seulement il n'y a
aucune législation sur le transit d'espèces intra national et
aucune infrastructure de contrôle des entrées sur l'île,
mais il n'y a pas non plus d'appareil de surveillance d'apparition de nouvelles
espèces. Vu les conséquences alarmantes de certaines
introductions historiques, il apparaît impératif de mettre en
place un système de contrôle pour empêcher ces
introductions.
Parmi les dernières actions engagées par la
CONAF, mentionnons le « Programa de Recuperación y
Conservación de Especies Amenazadas de la Flora del Archipiélago
de Juan Fernández » soutenu par le WWF en 1985 (pour un
montant de 150.000 $). Postérieurement, en 1994, la CONAF commence un
projet de « Conservation, Restauration et Développement de
l'archipel de Juan Fernández » en collaboration avec les Pays-Bas
pour lequel ont été débloqués 2.046.624 $ de la
part du gouvernement hollandais, et 383.005 $ du gouvernement chilien.
L'objectif général de ce projet était la
récupération et la protection des ressources naturelles de
l'archipel par un contrôle ou une élimination des espèces
qui altèrent l'écosystème, une interaction positive avec
la communauté locale et les visiteurs du parc. Ce programme s'est
étalé sur 5 ans et s'il est parvenu à certains
résultats partiels, il a surtout mis en évidence la grande
difficulté pour rééquilibrer le milieu naturel
altéré.
Le plan de gestion du parc tel que défini en 2004
s'inscrit dans la continuité du projet de coopération entre la
CONAF et les Pays-Bas. En plus de définir les différentes zones
du parc, leurs usages et leur gestion, il définit des objectifs
spécifiques déclinés en différents programmes
(CONAF, 2004) : le programme d'administration (obtention de ressources
financières pour développer des actions de protection et de
conservation des ressources naturelles du parc, promotion dans la
communauté du respect et de la protection des habitats et des
écosystèmes du parc, éducation du personnel de la CONAF
pour réaliser au mieux leur tâches,...(CONAF, 2004)) et le
programme d'usage public du parc (définition des espaces pour les
activités récréatives et éco touristiques,
définition des circuits touristiques, éducation environnementale
pour les habitants et les visiteurs, détermination de la
capacité d'accueil de visiteurs du parc sur une
période donnée en distinguant les différentes zones
définies,...). Ce programme reste très imprécis et
certains objectifs apparaissent contradictoires (ce qui appuie l'idée
d'une certaine absence de vue globale). Par exemple : certains points du
programme d'usage public sont incompatibles avec le premier objectif du
sous-programme de ressources naturelles qui vise à << maintenir la
qualité et la quantité naturelle des débits de cours d'eau
du parc » (CONAF, 2004) ou encore du point C du programme de
développement durable de la communauté qui vise à <<
protéger les ressources hydriques pour un approvisionnement
approprié en eau pour la population sans excéder les
débits écologiques. » (CONAF, 2004) La promotion du tourisme
amènera une génération importante de déchets, un
usage plus important de l'eau et un rejet plus important d'eaux usées.
L'impact du tourisme sur les ressources en eau et sur les eaux environnantes
est donc loin d'être neutre et ces deux objectifs se retrouvent dans ce
même plan.
De plus, étant donné qu'il n'existe pas de
gestion des déchets efficace ni de traitement des eaux usées,
quel impact aurait une démultiplication de la production de
déchets et du rejet d'eaux usées sans une réflexion
prioritaire sur les traitements en aval ?
Comme proposé dans le premier objectif
spécifique du sous-programme de << Recherche et Usage Public»
il faudrait définir la capacité maximum d'accueil possible avant
de proposer le tourisme comme source potentielle de revenus... Peut-être
que les visites actuelles dépassent déjà cette
capacité maximum. Aucune étude n'a été
réalisée dans ce sens jusqu'à aujourd'hui.
Si le plan de gestion et le projet de coopération entre
la CONAF et les Pays-Bas se recoupent, il n'y a, pour aucun des deux, pas de
vue sur les résultats réels, concrets, à long terme de
leurs résolutions. Est-ce que le programme <<
Conservación, Restauración y Desarrollo del
Archipiélago de Juan Fernández» a finalement
réellement servi à la récupération et à la
conservation de l'écosystème de l'archipel ? Dans quelle mesure ?
... Est-ce que la situation de la population s'est améliorée et
quelles sont aujourd'hui les relations entre la population et l'administration
du parc ? Malheureusement, il y a beaucoup de rapports de projets mais peu
d'informations sur les résultats concrets. Suite au projet
CONAF/Pays-Bas, un nouveau projet a été monté et il met en
évidence les mêmes problèmes.
Ce nouveau projet de plan stratégique a
été piloté par une association indépendante : La
Fundacion Biodiversa. En 2005, cette association a rassemblé
les différents acteurs dans le but d'élaborer de façon
participative une stratégie de développement pour l'archipel avec
pour objectif d'ériger une <<vision commune par rapport à
la manière de conserver et d'utiliser durablement le patrimoine naturel
et historico-culturel du territoire de l'archipel. » (
www.biodiversa.cl)
L'initiative aura au moins tenté de systématiser l'information
diffuse. Finalement, la fondation Biodiversa aura
réalisé un rapport qui rassemble les informations
récoltées sans vraiment répondre à ses propres
objectifs. D'après Christophe Perrier, << si l'initiative de
Biodiversa a produit un rapport, l'impact local et les suites se
résument à zéro. Leur travail (très bien
financé) a surtout consisté à récupérer les
informations des autres, à faire travailler les gens sur place en petit
groupe pour arriver à des conclusions que tout le monde connaissait
déjà. Il ne se passe rien suite à leur rapport.
»69 Selon Julio Chamorro Solis (membre du syndicat de
pêcheurs), << la fondation Biodiversa est en mauvaise
posture face à la communauté locale. Elle n'a rien
réalisé, mis à part la compilation d'informations de
différents auteurs et de la communauté. Le projet avec
Biodiversa n'existe plus. Pour bien comprendre, il faut savoir que
ça fait des années qu'aucune institution ou organisation locale
n'appuie des projets dans lesquels la communauté de l'archipel n'est pas
impliquée dès le départ. Nous savons que Juan
Fernández est un nom qui vend bien pour postuler à des projets et
gagner des financements. Mais l'erreur de Biodiversa a
été d'arriver avec un projet tout prêt sans consulter ni la
municipalité ni les organisations locales. Pour cette raison, ce projet
n'est donc pas soutenu, parmi d'autres problèmes. »70
De plus ces initiatives n'étant pas encadrées,
ni coordonnées, il manque toujours une forme de suivi, de contrôle
de l'exécution ou de l'effectivité des grands principes et des
grandes idées inscrites dans les rapports. Il manque certainement une
vision multilatérale, multi institutionnelle et multidisciplinaire
intégrée dans un organe de coordination permanente (comme la
CONAF ou la CONAMA ou tout autre organe indépendant).
69 Christophe Perrier (commentaire personnel)
70 J. Chamorro Solis (commentaire personnel)
CHAPITRE VI - PERSPECTIVES FUTURES
Actuellement, la grande majorité des problèmes
historiques qui affecte l'écosystème de l'archipel subsiste (mis
à part pour les otaries qui sont sous un statut de protection totale).
Ces problèmes appellent une solution intégrale composée de
deux aspects complémentaires : l'élimination des facteurs qui
détériorent l'environnement (et principalement le bétail
domestique, les chèvres, les lapins, les coatis, le zorzal, et
les plantes adventices, surtout la zarzamora, le maqui et la
murtilla mais aussi les autres espèces végétales
qui représentent des pestes potentielles) et la
récupération et la conservation de la faune et de la flore
native.
Face aux problèmes énoncés dans les
chapitres précédents certaines propositions de mesures ont
été mises en avant dans différents rapports scientifiques.
D'après la situation politico-juridique actuelle, certaines de ces
mesures restent d'actualité, d'autres émergent de ce cadre
d'analyse plus global.
1. Révision du statut légal de l'archipel
Juan Fernández
Il faudrait définitivement adopter un statut
légal qui corresponde aux directives de conservations formulées
dans les stratégies nationales et régionales de
biodiversité et dans les différents travaux
réalisés sur l'île. Sur ce point, il serait
intéressant de se pencher sur l'expérience de gestion de
l'archipel des Galápagos pour éventuellement s'en inspirer et
adapter les principes adoptés en Equateur au cas de Juan
Fernández.
Aux Galápagos, un processus participatif pour
l'élaboration d'un plan de gestion a abouti à des réformes
législatives et politiques manifestes dans la préparation, la
négociation et l'adoption de la << Loi sur le régime
spécial pour la province de Galápagos » (Ley de
régimen especial para la conservación y desarrollo sustentable de
la Provincia de Galápagos, Congreso Nacional, 1998). << Cette
loi a avant tout contribué à éclaircir le régime
législatif qui régit l'ensemble du territoire des îles.
Ainsi, on a mis un point final aux conflits de compétence entre les
autorités provinciales et les responsables de la conservation; on a
limité l'étendue des pouvoirs et restreint les capacités
de chaque entité ; et on a clairement établi de quelle
façon les ressources économiques disponibles allaient être
distribuées. Encore mieux, la loi a créé un
précédent dans le domaine de la gestion durable des ressources
naturelles par des collectivités locales en définissant les
principes qui devaient régir les politiques et les activités dans
le parc national, la réserve marine et les divers établissements
humains. Ces principes constituent une évolution sans
précédent ; ils intègrent les concepts de la conservation
et du développement durable à la législation
équatorienne conformément aux instruments internationaux
adoptés au Sommet de Rio, tout en respectant les plans de
décentralisation régionale, les droits des utilisateurs
traditionnels et les capacités de gestion locales.» (Oviedo,
2001)
2. Inclusion de la population dans les stratégies
de gestion
Il est nécessaire d'inclure la population dans les
décisions futures. En effet, << La complexité des enjeux et
des approches pour gérer la biodiversité [...] relève
autant de l'objet de la gestion, la biodiversité, que de la
diversité des acteurs, des relations entre ces acteurs à propos
de la biodiversité, et de leurs perceptions sur la manière la
plus efficace de la gérer. La construction d'un dialogue entre ces
acteurs apparaît comme une des conditions initiales nécessaires
pour la mise en place des territoires et pour leur gestion dans une perspective
de développement durable. Cette nécessité de dialogue
apparaît de manière répétée dans les
recommandations issues des grands objectifs de la Stratégie de
Séville. » (Bouamrane et Weber, 2006)
<< Dans certains sites, les mesures de conservations
mises en oeuvre sont vécues comme des contraintes fortes pour le
développement et parfois même le maintien de certaines
activités économiques. [...] Les acteurs peuvent avoir des
intérêts divergents liés à des usages concurrents,
voir incompatibles des mêmes ressources. [...] Les conflits peuvent aussi
naître d'incompréhensions et/ou de l'existence de plusieurs
représentations d'une même réalité » (Beuret,
2006), un même environnement pouvant être perçu
différemment. << Le dialogue et la concertation entre les
acteurs
concernés par un espace et des ressources semblent
être l'une des voies privilégiées pour gérer la
biodiversité dans une optique de développement durable et pour
prévenir l'explosion de multiples conflits [...]. C'est aussi un moyen
pour améliorer le respect des règles posées dans un
certain espace, voire prévenir la violation systématique de
certaines règles imposées par les pouvoirs publics à des
usagers des ressources qui ne les reconnaissent pas comme légitimes.
» (Beuret, 2006) Nous avons vu que la population construit son
identité en opposition au continent mais aussi qu'elle considère
que l'île lui appartient. Cette situation a créé des
conflits avec l'administration du parc qui s'est installée en 1972 et
continue à rendre les projets exogènes peu efficaces. Il est donc
nécessaire de prévoir une concertation pour l'élaboration
du plan de gestion du parc. La décentralisation des autorités
gouvernementales de l'archipel est un pas institutionnel dans ce sens. Il
faudra veiller à ce que la formulation du plan de gestion du parc
corresponde aussi à la réalité locale.
Il est donc crucial de travailler avec toute la communauté
non seulement dans la définition de la gestion du parc mais
également afin de rechercher leur participation active dans la
préservation du parc.
L'archipel Juan Fernández gagnerait à s'inclure
véritablement dans les stratégies émanant du programme sur
l'Homme et la Biosphère de l'UNESCO (Stratégie de Séville,
Cadre statutaire) et à gérer le parc réellement comme
Réserve de biosphère.
Cette ligne directrice participative pourrait s'inscrire dans un
cadre médiateur élaboré sur base des recherches
scientifiques réalisées jusqu'à aujourd'hui qui ont mis en
évidence certaines priorités.
3. La protection et la conservation de la
biodiversité 3.1. Eradication des espèces
problématiques
Actuellement, les mesures de conservation de la CONAF n'ont
qu'un succès limité. Les inventaires végétaux et
les tendances démographiques végétales et animales
reflètent le caractère insuffisant de ces actions. Les
principales pestes sont la zarzamora, le Maqui, la
Murtilla, la forêt exotique, les rats, les lapins, les chats
sauvages, les chèvres, le bétail domestique et les coatis. Pour
l'éradication des espèces végétales, le défi
écologique est d'utiliser des taxons natifs à réimplanter
afin d'éviter les cycles d'érosion qui encourageront
l'installation d'espèces exotiques.
Cette stratégie, si elle n'est pas
décidée à un niveau local, pourrait aussi répondre
à la proposition de la Stratégie pour la conservation de la
diversité biologique de la région de Valparaiso qui propose de
dicter un décret qui instaurerait une « politique nationale pour le
contrôle des pestes animales et végétales dans les
îles océaniques de la République du Chili ».
3.2. Récupération des espèces natives et des
sols
L'éradication des espèces invasives doit
obligatoirement s'accompagner d'une réimplantation des espèces
natives et d'un rééquilibre écologique du biotope et de la
biocénose.
3.3. Contrôle des entrées
Un règlement interdisant l'importation d'espèces
exogènes comme c'est le cas au niveau national devrait être
arrêté et accompagné d'un contrôle adéquat.
Nous avons vu que malgré les différents projets
de conscientisation, la population a introduit au moins 27 nouvelles
espèces végétales depuis 2006, pour la plupart
ornementales, recensées en 2009. Le SAG pourrait parfaitement remplir
cette fonction de contrôle aux entrées ou aux départs pour
l'île. En Equateur, par exemple, « le Parc national des
Galápagos et la fondation Charles Darwin, en relation avec l'Etat
équatorien, ont mis en place un "Système d'Inspection et de
Quarantaine pour les Galápagos" (Sistema de Inspección y
Cuarentena para Galápagos - SICGAL). Ce programme de contrôle
des introductions d'espèces exotiques sur l'archipel est conduit par le
SESA (Servicio Ecuatoriano de Sanidad Agropecuaria), équivalent
du SAG en Equateur. Le SESA est en charge du contrôle des ports et
aéroports d'embarquement du continent et de ceux des Galápagos
afin de contrôler le transport de matières organiques et de biens
jusqu'aux îles ou entre les îles. Le SICGAL
est réalisé par cinq équipes
d'inspecteurs situés à Quito (capitale), Guayaquil et aux
îles Santa Cruz, San Cristobal et Isabela. Toutes les actions du SICGAL,
les missions du SESA et des autres structures ont été
définies et reconnues en 1998 par la loi de régime spécial
pour la conservation et le développement durable de la Province des
Galápagos (Ley Especial para la Conservación y Desarrollo
Sustentable de la Provincia de Galápagos, articles 54 et 56) et par
le "Règlement de Contrôle Total des Espèces envahissantes"
en 2003. Ce règlement, très complet, peut servir d'exemple
à la mise en place d'une base juridique pour un plan de contrôle
des entrées sur l'archipel Juan Fernández. Le cas de l'archipel
des Galápagos étant tout de même différent
(population, îles, tourisme plus important), le règlement devra
être adapté au cas de l'archipel Juan Fernández. »
(Fellmann, 2004)
3.4. Conservation in situ et ex situ
L'établissement d'un jardin botanique in situ
a déjà été largement sollicité. Selon
F. Hallé, P. Danton et C. Perrier (Hallé, Danton et Perrier,
2007), << dans le contexte actuel, la lutte contre les pestes
végétales des îles Juan Fernández est sans espoir.
L'arrachage manuel, pour efficace qu'il soit, consomme trop d'énergie
pour pouvoir être étendu à l'échelle des îles:
la population réduite et la topographie souvent vertigineuse rendent le
problème inextricable. C'est pourquoi dans l'immédiat, il semble
que la seule solution réaliste soit la création d'un jardin
botanique. Situé à proximité du village de San Juan
Bautista, ce jardin aurait pour vocation la sauvegarde des 137 espèces
endémiques de l'archipel. Au-delà de sa fonction biologique,
au-delà de son attrait touristique, ce jardin permettrait à la
population îlienne de manifester son attachement à un patrimoine
naturel dont elle est fière et qui fait partie intégrante de son
identité culturelle. » (Hallé, Danton et Perrier, 2007)
3.5. Monitoring
Une des premières priorités serait d'instaurer
un système de monitoring écologique le plus efficace possible
(pour tous les compartiments de l'environnement : Eau, Air, Sols,
Espèces, etc.) qui permettrait non seulement de comprendre les tendances
des processus écologiques mais aussi de juger de l'efficacité des
décisions qui seront prises et éventuellement de les reformuler
face aux résultats. Il est indispensable d'instaurer et d'organiser un
système efficace de surveillance des espèces comme instrument de
gestion.
3.6. Formations et informations
Des mesures additionnelles pour renforcer la conscience
écologique de la population sont nécessaires. Un manuel a
été développé pour les enfants jusqu'à la
sixième primaire. Cette initiative est utile et la station scientifique
Charles Darwin aux Galápagos a déjà démontré
les vertus d'un tel programme (Cuevas et Van Leersum, 2001). Il serait donc
très utile d'instaurer des formules d'éducation à
l'environnement pour l'ensemble de la population afin d'internaliser une forte
éthique écologique dans la communauté locale. Cette mesure
pourrait se coupler à la mesure d'inclusion qui vise à valoriser
la population en tant que "sentinelle de la biodiversité".
4. Gestion des déchets
Actuellement, la gestion des déchets est très
rudimentaire. <<Tout ce qui arrive du continent reste sur l'île
dans un dépotoir sans aucune autorisation. [...] Ce lieu se situe
à 400 mètres au-dessus de la rue principale du village de San
Juan Bautista, au centre de l'île. Les poubelles et les encombrants y
arrivent périodiquement afin d'être incinérés et
recouverts de terre. » (El Mercurio, 2005) Les habitants
rejettent mensuellement 17 tonnes de déchets dans cette décharge
dépourvue d'autorisation sanitaire. Cette méthode de traitement
des déchets pose des problèmes environnementaux et humains
(odeurs, fumées, altération du paysage,...). Cette situation
s'est aggravée au fur et à mesure de l'augmentation des
échanges avec le continent. Aujourd'hui, on retrouve dans cette
décharge des batteries, des réservoirs de combustibles, des
matières plastiques
(El Mercurio, 2005), mais aussi des carcasses de
voitures, des frigos71,... Etant donné l'absence
d'infrastructure sanitaire, le dépotoir pollue considérablement
l'île et les eaux environnantes (par lixiviation, contamination de l'air,
dégradation du paysage, etc.).
Figure 36: La décharge municipale de l'archipel
Juan Fernández
Source : Christophe Perrier, 2009.
Pour corriger cette situation, il faudrait d'abord instaurer
un système de tri des déchets (et éventuellement la
valorisation de certains déchets comme les détritus organiques)
et ensuite installer un lieu de stockage des déchets avant qu'ils ne
soient retournés sur le continent et traités dans des
incinérateurs et centres de stockage adéquats.
5. Gestion de l'eau
L'alimentation en eau potable est un service public
géré par la municipalité qui couvre 100% des habitations.
Les deux sources principales sont les rivières El Guindal et
La Pólvora qui approvisionnent 30% de la demande et la
rivière Lord Anson qui couvre 70% de la demande totale.
Il existe un traitement (physique, chimique et
bactériologique) de l'eau avant sa distribution mais il n'y a aucun
traitement en aval. La gestion de l'eau devrait être envisagée non
seulement dans le cadre de la détermination de la capacité
d'accueil sur l'île (considérant la variabilité des
débits des rivières selon les saisons) mais également dans
le cadre de traitement avant rejet dans la mer. Etant donné que l'aire
de répartition géographique des langoustes est proche des
côtes des îles, à long terme ces rejets (qui contiennent non
seulement de la matière organique mais aussi toutes sortes de produits
chimiques issus des activités humaines) pourraient certainement les
affecter.
71 Christophe Perrier (Commentaire personnel)
6. Gestion des ressources halieutiques
La création d'une réserve marine a
déjà été proposée à plusieurs
reprises. Cette protection est importante pour la reproduction de la langouste
et de la faune et la flore marine. Cette instauration d'une réserve
ferait partie d'une réflexion globale sur l'utilisation des ressources
halieutiques. Nous avons vu que la population de langoustes présentait
une tendance à l'effondrement. Elles sont cependant toujours
pêchées sans vraiment connaître leur biologie. Afin non
seulement de préserver la population de langoustes, en tant
qu'espèce mais aussi en tant que principale ressource économique
de l'île, il convient de mener une réflexion sur le futur de cette
ressource et sur la manière de ne pas les exterminer entièrement.
A nouveau, l'expérience des Galápagos est intéressante
à ce niveau. « Les changements survenus dans l'économie de
l'île et le nombre croissant d'utilisateurs des ressources marines ont
poussé les autorités du parc et les intervenants du secteur de la
conservation à étendre la protection aux ressources marines,
d'où la création d'une réserve en 1986. En effet, la
qualité de vie sur les îles s'était améliorée
à un point tel qu'elles attiraient maintenant les habitants du
continent. [...] Malgré des résultats positifs sur le plan
social, ce développement a engendré bon nombre de
problèmes, entre autres une augmentation considérable de
l'immigration et l'expansion de l'activité économique,
particulièrement dans le secteur de la pêche, autant de facteurs
jugés incompatibles avec les objectifs de réduction de
l'incidence environnementale, l'écotourisme, l'utilisation durable des
ressources halieutiques, etc. » (Oviedo, 2001) Cependant, cette
interdiction unilatérale n'a pas eu l'effet voulu car elle n'a pas
été acceptée par les « groupes
d'intérêts ». Finalement, la « Loi sur le régime
spécial pour la province de Galápagos » de 1998 (voir
ci-dessus), issue d'un processus participatif, intègre d'importantes
ramifications pour les pêcheurs locaux :
- « elle adopte des principes de conservation, de gestion
adaptative et d'utilisation durable
ainsi qu'une structure de zonage pour les activités de
pêche ;
- elle crée la catégorie des réserves
marines, avec des usages multiples et une administration
intégrée, pour la protection des ressources marines;
- elle confine les droits d'extraction des ressources marines
à l'industrie de la pêche locale à
petite échelle ;
- elle habilite les autorités du parc national à
recouvrer, administrer et distribuer des recettes
fiscales en vue de financer le plan de gestion de la
réserve marine;
- elle crée un organisme de gestion participative. »
(Oviedo, 2001)
Sur l'archipel Juan Fernández, il existe un
système de limitation et d'organisation de l'activité de
pêche72. L'exemple des Galápagos est donc une source
d'inspiration utile mais certainement pas applicable telle quelle. Il faudrait
bien entendu adapter les réflexions au cas particulier de l'archipel.
7. Génération d'énergie
renouvelable
Actuellement, l'énergie est
générée à partir d'un moteur diesel. Le carburant
est fourni en partie par le gouvernement du Chili73. Un projet de la
Commission Nationale de l'Energie était en cours pour la
réalisation d'un moteur hybride « éolien-diesel », sans
suite actuellement. Il faudrait relancer ce projet ou trouver une autre source
d'énergie renouvelable qui serait plus écologique et qui
diminuerait la dépendance du continent.
8. Définition de la capacité de charge
maximale pour le tourisme Ce point a déjà
été discuté dans le chapitre IV de la partie 2, point
2.5.2. L'option touristique.
72 Voir partie 2 - Chapitre IV - point 2.3.2. La pêche :
socle identitaire
73 Voir Partie 2 - Chapitre 1 - point 3.9. Germes d'autonomie
politique et de continentalité
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» CONCLUSION
Une conclusion paraît assez prématurée
pour ce qui ressemble plus à une étape de travail qu'à une
étude complète. Cette base bibliographique et théorique
devrait être confrontée à une recherche de terrain pour
pouvoir réellement tirer des conclusions utiles. Considérons
cette conclusion comme le terme d'une première réflexion qui
propose un cadre d'analyse intégral et multidisciplinaire pour aborder
un problème d'environnement local.
Le cadre d'analyse contextuel et global proposé aide
à mieux comprendre le problème de perte de biodiversité
sur l'archipel Juan Fernández dans ses dimensions "naturelles" et
"construites" (ou sociales). La mise en perspective d'un problème
environnemental intégrant le cadre institutionnel et social aura permis
de saisir les limites des réponses souvent apportées par des
acteurs extérieurs.
Ce travail illustre ainsi la complexité à
réaliser un projet de conservation dans une situation pratique qui
sous-tend des interrelations nombreuses et complexes. Si l'importance de la
biodiversité et de l'archipel Juan Fernández est formellement
reconnue au niveau international, national et local, et si la
réalité "naturelle" du problème de dégradation des
écosystèmes de l'archipel est relativement bien connue, les modes
de gestion et les réponses apportées ne permettent apparemment
pas d'enrayer les menaces. L'élargissement de la réflexion
proposé ici permet de prendre conscience de l'importance de la
réalité "construite" du problème environnemental, soit
l'historicité, la construction sociale et l'inclusion dans la
sphère politico-juridique (assez peu traitée dans les travaux
consultés). Une réflexion sur l'inclusion de la population locale
dans les politiques de conservation devrait être menée afin de
tracer les lignes d'un avenir réellement durable. La mise en place
d'espaces de concertation entre l'ensemble des acteurs identifiés
devrait précéder toutes les initiatives futures. L'administration
pourrait s'inspirer de la philosophie de conduite des Réserves de
biosphère pour réaliser cet objectif et développer de
nouveaux instruments de gestion.
A partir de cette assise, une véritable
stratégie, avec différents horizons temporels doit être
élaborée, mise en pratique et contrôlée. Ce
processus perpétuera les bases de concertations élaborées
au préalable et devra idéalement corriger les planifications en
fonction des résultats obtenus. Cette détermination, pour
être efficace, devrait être considérée comme une
priorité politique, chaque jour passé rendant la situation plus
inextricable et acculant un peu plus les espèces endémiques.
Finalement, plus qu'un problème de moyens financiers, il
s'agit d'un problème de <<reconnaissance, de conscience et de
volonté » (P. Danton dans El Mercurio, 2005).
Au moment où ce travail sera rendu, une rencontre
"internationale" aura lieu à propos de l'archipel afin d'élaborer
un "Plan d'Action pour la Conservation de la Biodiversité de Juan
Fernández" qui institutionnaliserait les nécessités de
conservation et qui sensibiliserait la communauté et les
"décideurs" à l'importance de l'archipel Juan
Fernández74.
Vu l'intitulé de ce plan qui se rapproche sensiblement de
celui des travaux antérieurs, espérons que celui-ci contienne des
objectifs ambitieux et qu'il les accomplisse concrètement.
D'autre part, la situation de l'archipel est archétypique
de ce qui peut se passer sur d'autres îles, sur les continents (qui ne
sont finalement que des grandes îles) ou encore sur l'ensemble de notre
planète. Si les îles sont le carrefour des utopies, elles sont
aussi l'image de la réalité planétaire. Les contours des
îles et de leurs problèmes environnementaux paraissent plus
clairs, mais ils sont assez semblables à ceux qui opèrent aux
autres niveaux, les îles n'étant, en quelque sorte, qu'un
résumé de notre propre monde.
Ce travail se veut aussi illustratif des dynamiques globales qui
sous-tendent notre monde. Il propose finalement une réflexion
élémentaire : quand on considère les facteurs qui ont
conduit à la fin de la civilisation de l'île de Pâques par
exemple (considérée comme syndromique), il y a la
cécité. Une question résonne sans trouver de
réponse : à quoi pensait l'habitant qui a coupé le dernier
arbre de l'île ? Dans la fin de cette civilisation comme dans d'autres,
un des éléments communs est le refus de raisonner dans un monde
fini et donc forcément vulnérable. A partir des leçons
tirées de l'analyse de
74 Pedro Araya, point focal MaB au Chili (commentaire
personnel).
l'archipel et en éloignant un peu l'objectif, nous
reconnaîtrons les mêmes tendances, les mêmes contradictions
et le même aveuglement. Nous sommes pourtant tous des îliens vivant
dans un monde clos. Les origines de la Terre au milieu du cosmos ne sont
finalement pas très éloignées de celles des îles
volcaniques au milieu de l'océan...
Bibliographie RESSOURCES
ÉCRITES
Livres et rapports
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<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)» Cours IGEAT
En dehors du fait que l'ensemble des cours suivis a
influencé la vision globale de ce travail, certains cours ont
été source d'information directe pour son contenu :
- Godart M-F, << Environnement et tourisme »
(TOUR-F-407), 2007-2008
- Kunsch P., << La dynamique des systèmes »
(ENVI-F-443), 2007-2008
- Mattielli N., <<Sciences de la terre et de
l'atmosphère » (ENVI-F-401), 2007-2008
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responsable (1995) :
http://www.fao.org/fishery/ccrf/fr
Association Biodiversa :
www.biodiversa.cl
Blog Isla del Tesoro - Information historique sur
l'archipel : http://islasdeltesoro.blogspot.com/ Classification
d'espèces de la CONAMA :
http://www.conama.cl/clasificacionespecies/
CNRS/Sagascience - dossier biodiversité :
http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/index.html
Comision Nacional del Medio Ambiente - CONAMA (site web officiel)
:
www.conama.cl Commission
économique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes - CEPAL
(site officiel) :
www.cepal.org Corporacion
Nacional Forestal - CONAF (Site web officiel) :
www.conaf.cl
Cosmovisions - Imago Mundi (encyclopédie en ligne) :
http://www.cosmovisions.com/ile.htm
Département Dynamique des Systèmes Ecologique du CEFE :
http://www.cefe.cnrs.fr/dse/
Instituto Nacional de Estadisticas :
www.ine.cl
Islandconservation - Association pour la conservation des
îles :
www.islandconservation.org
Juan Fernández Islands Conservancy (association
de P. Hodum) :
http://depts.washington.edu/jfic/jfic/index.htm
Memoria Chilena - Culture, Histoire et Littérature chilienne :
http://www.memoriachilena.cl
Municipalité de Juan Fernández (site web officiel)
:
www.comunajuanFernández.cl
ONG Centre for Marine Mammals Research - CMMR
Leviatán (site web officiel) :
www.leviathanchile.org ONG
Chile Sustentable (site web officiel) :
www.chilesustentable.net
ONG Comité Nacional por la Defensa de la Flora y de la
Fauna - CODEFF (site web officiel) :
www.codeff.cl ONG Ecosistemas
(site web official):
www.ecosistemas.cl
Opérateurs écotourisme sur l'archipel Juan
Fernández :
http://www.endemica.com
Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la
Culture - UNESCO :
www.unesco.org Programa de las
Naciones Unidas para el Medio Ambiente - PNUMA (site officiel) :
www.pnuma.org Programme des Nations
unies pour l'Environnement - PNUE (site web officiel) :
www.unep.org
Servicio Agricola y Ganadero - SAG (Site web officiel)
:
www.sag.gob.cl
Sistema Nacional de Informacion Ambiental - SINIA (site
web officiel) :
www.sinia.cl Site de support à
la dynamique des systèmes : http://patrice.salini.free.fr/
Subsecretaria de Marina - SUBSECMAR (Site web
officiel):
www.subsecmar.cl Tela Botanica
(réseau de la botanique francophone) :
www.tela-botanica.org
UICN/SSC Invasive Species Specialist Group:
http://www.issg.org
World Database Protected Areas :
www.wdpa.org
Courriels
Plusieurs échanges avec la plupart des personnes
citées en remerciement. RESSOURCES AUDIOVISUELLES
Émissions radio
Emission <<Terre à Terre» de Stegassy R.
(
http://terreaterre.ww7.be/),
<< La biodiversité », avec François Ramade, France
Culture, 30 juillet 2005.
Emission <<Terre à Terre» de Stegassy R.
(
http://terreaterre.ww7.be/),
<< L'homme dans la biodiversité », avec Robert Barbault,
France Culture, 06 septembre 2008.
Emission <<Tout autre chose» de Cornil M., <<
Biodiversité en danger », avec Marianne Schlesser, Marc Fisher et
Alain Peeters, La première, 16 février 2009.
Émissions télévisuelles
Emission Ushuaïa Nature, << l'île Robinson
Crusoe », TFI, 25 novembre 2006.
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
ANNEXES
Liste des Annexes:
Annexe 01 : Caractéristiques géologiques du
Sud-est de l'océan Pacifique Source : Arana, 1979
Annexe 02 : Région océanique face à
la côte centrale du Chili Source : Arana, 1976
Annexe 03 : Relevés bathymétriques autour
de Robinson Crusoe et Santa Clara Source : Arana, 2006
Annexe 04 : décret 103 de 1935 déclarant
l'archipel Juan Fernández Parc National Source : Biblioteca
Nacional del congreso (
www.bcn.cl), 1935
Annexe 05 : Système de repères
("marcas") pour la pêche Source : Arana, 1985
Annexe 06 : Système de pêche pour la
langouste de Juan Fernandez (Jasus Frontalis) Source : Arana,
1985
Annexe 07 : Liste de la Flore de l'archipel Juan
Fernández Source : J. Vanhulst d'après Danton et
Perrier, 2006
Annexe 08 : Liste de la Faune de l'archipel Juan
Fernández Source : J. Vanhulst d'après Fellmann, 2004 et
CONAF, 2004
Annexe 09 : Organigramme du SAG Source :
www.sag.gob.cl, 2009
Annexe 10 : Organigramme de la CONAMA Source
:
www.conama.cl, 2009
Annexe 11 : Organigramme Liens UNESCO (Mab) - Chili
Source : Pedro Araya, 2009
Annexe 12 : Comparaison Zones protégées et
Densité de population Source :
www.wdpa.org, 2009 et Instituto
Geografico Militar, 2007
Annexe 13 : Accords multilatéraux mondiaux
signés par le Chili Source : OCDE et CEPAL, 2008
Annexe 01 : Caractéristiques géologiques
du Sud-est de l'océan pacifique (dont la dorsale de Juan
Fernández en bleu)
Source : Arana, 1979
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili) » Annexe 02 : Région
océanique face à la côte centrale du Chili
Source : Arana, 1976 Annexe 03 : Relevés
bathymétriques autour de Robinson Crusoe et Santa Clara
Source : Arana, 2006
Annexe 04 : décret 103 de 1935 déclarant
l'archipel Juan Fernández Parc National (Biblioteca del
Congreso Nacional, 1935)
Source: Biblioteca Nacional del congreso (
www.bcn.cl), 1935
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili) » Annexe 05 : Système
de repères ("marcas") pour la pêche
Source : Arana, 1985 Annexe 06 : Système de
pêche pour la langouste de Juan Fernandez (Jasus
Frontalis)
Source : Arana, 1985
Annexe 07 : Liste de la Flore de l'archipel Juan
Fernández Source: J. Vanhulst d'après Danton et
Perrier, 2006
Abréviations utilisées :
AS : lle Alejandro Selkirk
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(
div. cv.)
: Diverses variétés cultivées
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E : Plante endémique de l'Archipel
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EC : Plante endémique du Chili
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hyb. : Hybride
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Ia : Plante naturalisée
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Ij : Plante cultivée
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Ija : Plante en voie de naturalisation
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MJ : Morro Juanango (rocher isolé au
nord-ouest de l'île Robinson Crusoe)
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MV : Morro El Verdugo (rocher isolé au
sud-est de l'île Robinson Crusoe)
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N : Plante indigène
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nv : Taxon non vu
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nv[RC] : Taxon non vu [répartition
historique]
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RC : lle Robinson Crusoe
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(RC) : cultivé sur l'île Robinson
Crusoe
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SC : lle Santa Clara
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? : Donnée inconnue
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Annexe 08 : Liste de la Faune de l'archipel Juan
Fernández
Source : J. Vanhulst d'après Fellmann, 2004 et CONAF,
2004
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili) » Annexe 09 : Organigramme du
SAG
Source :
www.sag.gob.cl,
2009 Annexe 10 : Organigramme de la CONAMA
Source :
www.conama.cl, 2009
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili) » Annexe 11 : Organigramme
Liens UNESCO (Mab) - Chili
Source: Pedro Araya, 2009
«Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili) » Annexe 12 : Comparaison
Zones protégées et Densité de population
Source :
www.wdpa.org, 2009 et Instituto
Geografico Militar, 2007
Annexe 13 : Accords multilatéraux mondiaux
signés par le Chili
Source : OCDE et CEPAL, 2008
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