UNIVERSITE DE YAOUNDE I
THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I
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FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
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FACULTY OF ARTS, LETTERS AND SOCIAL
SCIENCES
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DEPARTEMENT DE
SOCIOLOGIE
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DEPARTMENT OF
SOCIOLOGY
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DEVIANCES SCOLAIRES ET CONTROLE SOCIAL A YAOUNDE :
ESSAI D'APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU QUOTIDIEN DES JEUNES A
L'ECOLE
Mémoire présenté et soutenu en vue de
l'obtention du Diplôme d'Etudes Approfondies en Sociologie (D.E.A)
Par
ABDOULAYE MAHAMAT
Maître en Sociologie
Spécialisation : Population et
Développement
Sous la
direction de
Luc MEBENGA TAMBA
Chargé de Cours
Année académique
2008-2009
En mémoire de mes
grands-parents
REMERCIEMENTS
De nombreuses personnes ont contribué à la
réalisation de ce travail, et à qui nous tenons à exprimer
notre gratitude.
Nous remercions particulièrement le Docteur Luc MEBENGA
TAMBA qui a accepté le sujet, approuvé la démarche et
accordé un suivi pédagogique pour la réalisation de ce
travail.
Nous avons également une pensée de
reconnaissance pour les enseignants du Département de Sociologie. C'est
bien grâce à leurs enseignements qu'a pu être
envisagé et effectué le présent travail.
Que ceux qui ont participé de près ou de loin
à ce travail, trouve ici, l'expression de notre profonde gratitude.
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
ATR : Appui tendu renversé
BEPC : Brevet d'Etudes du Premier
Cycle
CES : collège d'enseignement
secondaire
CPMS : Cours Marie de Perpétuel
Secours
CPO : Conseiller Principal
d'Orientation
CRTV : Cameroon Radio Television
CETIC : Collège d'enseignement
technique, industriel et commercial
DDETFPM : Délégation
départementale de l'enseignement technique et professionnel du
Mfoundi
DECC : Direction des examens, concours
et certifications
DSCN : Direction des statistiques et de
comptabilité nationale
EPS : Education physique et
sportive
EDSC - II : deuxième
Enquête démographique et de santé camerounaise
FCFA : Franc de la communauté
financière africaine
INS : Institut national des
statistiques
IMOTEC : Institut moderne de
technologie
ISEIG : Institut des sciences
économiques, d'informatique et de gestion
IVAC : Instituteur vacataire
JFA : Jobs for africa
MINEDUC : Ministère de
l'Education
MINEFI : Ministère de l'Economie
et des Finances
MINESEC : Ministère de
l'Enseignement secondaire
MINETPS : Ministère de l'Emploi,
du Travail et de la Prévoyance sociale
MINPLAT : ministère du plan et
de l'aménagement du territoire
MP3 : Média player 3
NSE : Nouvelle sociologie de
l'éducation
OIT : Organisation internationale du
travail
PNUD : Programme des nations unies pour
le développement
PRESSA : Poverty Reduction Employment
for Sub-saharian Africa
UNFPA : United nation fonds for
population activities (fonds des nations unies pour la population).
UNESCO : United Nations Educational,
Scientific and Cultural Organization (Organisation des nations unie pour
l'Education, la Science et la Culture)
RESUME
La plupart des études de sociologie de
l'éducation, traitent les structures sociales comme si elles
étaient «des faits sociaux » contraignants et
objectifs : en cherchant des relations statistiques parmi ces structures,
ces études ne parviennent pas à considérer la façon
dont ces faits sociaux sont produits. Rompant avec les théories de la
reproduction, cette recherche s'efforce de revisiter l'approche ethnographique
en sociologie de l'éducation et d'ouvrir ces quasi-«boites
noires » que sont les établissements scolaires, à
l'aide des outils méthodologiques et paradigmatiques utilisés
dans les travaux anglo-saxons inspirés par l'interactionnisme symbolique
ou l'ethnométhodologie. A travers cette perspective, cette étude
tente de décrire et d'interpréter les procédures, les
raisonnements pratiques et les bricolages par lesquels les acteurs scolaires
yaoundéens construisent le social et produisent, au jour le
jour, les normes sur lesquelles repose l'institution scolaire, en refusant d'y
voir la «révélation » d'une
inégalité jouée d'avance en amont des situations et
interactions scolaires. Les observations de terrain rapportées dans la
présente étude révèlent, finalement, les attitudes
et comportements des acteurs scolaires et partant la communauté
éducative qui foulent au pied les logiques de la rationalité
scolaire, pour produire et reproduire une socialité vivante, laissant
transparaître des déviances scolaires ordinaires qui se
développent quotidiennement, dans les interactions avec la production
sociale des normes.
ABSTRACT
Most studies in the sociology of education treat social
structure as if they were constraint and objective `'social facts'' : by
searching statistical links between these structures, these studies are unable
to consider the manner in which these social facts are produced. Breaking with
the functionalist and reproduction theories, these researches attempt to
revisit the ethnographic approach in the sociology of education and to break
these total `'boites-noires'' which include these learning centers and
educative community inspired by symbolic interactionnism or the
ethnomethodology. Also, this approach as an objective, is to describe the
procedures, practical reasoning from which academic actors construct society
and produce daily norms on which the academic institutions rely while objecting
to perceive the `'revelation'' of inequity played in advance among situations
and academic interactions. The field observations reported in this study
finally reveal that the attitudes and behaviors of the educative community that
crush the logic of educative rationality, to produce and reproduce a living
sociality that brings to the fore ordinary academic, deficiency that
develop daily in the interactions with the social supply of norms.
DEDICACE
En mémoire de mes
grands-parents
REMERCIEMENTS
De nombreuses personnes ont contribué à la
réalisation de ce travail, et à qui nous tenons à exprimer
notre gratitude.
Nous remercions particulièrement le Docteur Jean
Nzhié Engono qui a accepté le sujet, approuvé la
démarche et accordé un suivi pédagogique pour la
réalisation de ce travail.
Nous avons également une pensée de
reconnaissance pour les enseignants du Département de Sociologie. C'est
bien grâce à leurs enseignements qu'a pu être
envisagé et effectué le présent travail.
Que ceux qui ont participé de près ou de loin
à ce travail, trouve ici, l'expression de notre profonde gratitude.
LISTE DES SIGLES ET
ABREVIATIONS
ATR : Appui tendu
renversé
BEPC : Brevet d'Etudes du Premier
Cycle
CES : collège d'enseignement
secondaire
CPMS : Cours Marie de Perpétuel
Secours
CPO : Conseiller Principal
d'Orientation
CRTV : Cameroon Radio Television
CETIC : Collège d'enseignement
technique, industriel et commercial
DDETFPM : Délégation
départementale de l'enseignement technique et professionnel du
Mfoundi
DECC : Direction des examens, concours
et certifications
DSCN : Direction des statistiques et de
comptabilité nationale
EPS : Education physique et
sportive
EDSC - II : deuxième
Enquête démographique et de santé camerounaise
FCFA : Franc de la communauté
financière africaine
INS : Institut national des
statistiques
IMOTEC : Institut moderne de
technologie
ISEIG : Institut des sciences
économiques, d'informatique et de gestion
IVAC : Instituteur vacataire
JFA : Jobs for africa
MINEDUC : Ministère de
l'Education
MINEFI : Ministère de l'Economie
et des Finances
MINESEC : Ministère de
l'Enseignement secondaire
MINETPS : Ministère de l'Emploi,
du Travail et de la Prévoyance sociale
MINPLAT : ministère du plan et
de l'aménagement du territoire
MP3 : Média player 3
NSE : Nouvelle sociologie de
l'éducation
OIT : Organisation internationale du
travail
PNUD : Programme des nations unies pour
le développement
PRESSA : Poverty Reduction Employment
for Sub-saharian Africa
UNFPA : United nation fonds for
population activities (fonds des nations unies pour la population).
UNESCO : United Nations Educational,
Scientific and Cultural Organization (Organisation des nations unie pour
l'Education, la Science et la Culture)
RESUME
La plupart des études de sociologie de
l'éducation, traitent les structures sociales comme si elles
étaient «des faits sociaux » contraignants et
objectifs : en cherchant des relations statistiques parmi ces structures,
ces études ne parviennent pas à considérer la façon
dont ces faits sociaux sont produits. Rompant avec les théories de la
reproduction, cette recherche s'efforce de revisiter l'approche ethnographique
en sociologie de l'éducation et d'ouvrir ces quasi-«boites
noires » que sont les établissements scolaires, à
l'aide des outils méthodologiques et paradigmatiques utilisés
dans les travaux anglo-saxons inspirés par l'interactionnisme symbolique
ou l'ethnométhodologie. A travers cette perspective, cette étude
tente de décrire et d'interpréter les procédures, les
raisonnements pratiques et les bricolages par lesquels les acteurs scolaires
yaoundéens construisent le social et produisent, au jour le
jour, les normes sur lesquelles repose l'institution scolaire, en refusant d'y
voir la «révélation » d'une
inégalité jouée d'avance en amont des situations et
interactions scolaires. Les observations de terrain rapportées dans la
présente étude révèlent, finalement, les attitudes
et comportements des acteurs scolaires et partant la communauté
éducative qui foulent au pied les logiques de la rationalité
scolaire, pour produire et reproduire une socialité vivante, laissant
transparaître des déviances scolaires ordinaires qui se
développent quotidiennement, dans les interactions avec la production
sociale des normes.
ABSTRACT
Most studies in the sociology of education treat social
structure as if they were constraint and objective `'social facts'' : by
searching statistical links between these structures, these studies are unable
to consider the manner in which these social facts are produced. Breaking with
the functionalist and reproduction theories, these researches attempt to
revisit the ethnographic approach in the sociology of education and to break
these total `'boites-noires'' which include these learning centers and
educative community inspired by symbolic interactionnism or the
ethnomethodology. Also, this approach as an objective, is to describe the
procedures, practical reasoning from which academic actors construct society
and produce daily norms on which the academic institutions rely while objecting
to perceive the `'revelation'' of inequity played in advance among situations
and academic interactions. The field observations reported in this study
finally reveal that the attitudes and behaviors of the educative community that
crush the logic of educative rationality, to produce and reproduce a living
sociality that brings to the fore ordinary academic, deficiency that
develop daily in the interactions with the social supply of norms.
INTRODUCTION GENERALE
I - PROBLEMATIQUE
Les sociologues qui se rattachent aux courants de
pensée objectivistes considèrent que les faits sociaux, faits
collectifs, sont extérieurs aux individus. Par conséquent, il
convient de les étudier comme des choses, sans se préoccuper des
motivations personnelles des individus qui les accomplissent. Selon les
partisans de la tradition globalisante, la société impose ses
normes et ses valeurs par l'éducation morale, la socialisation.
« Elle ne contraint pas seulement en proposant des idéaux
et des modèles, en prescrivant et en proscrivant des procédures,
en fournissant de l'information et en diffusant des croyances, mais en nous
socialisant dans certaines attentes et orientations » (R. Boudon
et F. Bourricaud, 1982 :110), en nous motivant à assumer des
rôles, à entreprendre une activité sociale conforme
à nos aspirations. C'est dans cet ordre d'idée que nombre
d'institutions parmi lesquelles l'école, sont conçues.
Ainsi, les approches holistes des institutions
éducatives définissent-ils l'institution comme une forme sociale
définie en dehors des acteurs, comme un ensemble de normes s'imposant
à eux. L'école est même, après la famille,
considérée comme la principale agence de socialisation. Elle est
une institution sociale qui a pour rôle d'aider les plus jeunes membres
de l'entité sociale, encore au stade d'apprentissage des règles
et normes sociales, de mieux connaître et d'assimiler celles-ci, dans le
but d'une bonne et parfaite intégration sociale (F. E. Binyegui,
2004 : 42). C'est en vertu de cette socialisation que nombre d'auteurs
pensent que tout comportement individuel est socialement
déterminé. Les analyses hyperfonctionnalistes de certains
théoriciens de la reproduction, tel que Bourdieu, assignent alors
à l'individu le statut d'un être passif, ayant
intériorisé grâce à une socialisation efficace les
normes et les valeurs lui permettant de tenir sa place. Sous ce rapport,
l'individu est perçu comme un produit de la société,
animée par une logique sociale qui le dépasse (P. Bonnewitz,
2002 : 72). Il y a dans ce modèle de la reproduction l'idée
d'une efficacité sans faille de l'institution école dans son
rôle de socialisation. L'école est ainsi placée dans une
situation d'ascendance sur l'élève. Grâce à un
arsenal de dispositifs institutionnels de contrainte, de contrôle et de
dissuasion, elle essaie de réguler et canaliser les actions humaines
à la façon dont les instincts canalisent le comportement animal.
En d'autres termes, l'institution école fournit des règles de
conduite qui façonnent notre comportement et nous contraignent à
suivre les sentiers tracés par la société. Celle-ci
nous fait même croire que ces sentiers sont les seules voies
possibles.
Parallèlement à cette conception, le
phénomène de «résistance » semble,
pourtant, se développer de plus en plus parmi la jeunesse et envahir
précisément ces institutions scolaires.
Au Cameroun, l'observation de la «scène
officielle » des établissements scolaires en milieu
urbain, montre en effet une multiplicité de comportements en marge de
l'enseignement qui se développent dans les coulisses des
activités essentielles pour la vie d'un établissement : il
est devenu presque un fait banal d'observer des actes de
«résistances » ouvertes ou voilées tant
à l'intérieur qu'à l'extérieur des institutions
scolaires ; comportements résistants qui se manifestent sous de
multiples facettes : flânerie des élèves dans les bars
pendant les heures de cours, décrochage, jeux de hasard,
corruption, falsifications des carnets de notes, conflits internes,
incompétence ou insuffisance managériale, trafic d'influence,
tactiques de survie individuelles, en y ajoutant la déviance
vestimentaire, les agressions physiques, la consommation de la drogue, le
harcèlement sexuel, le viol, la prostitution, les cours de soutien
individuels à domicile, le monnayage officieux des inscriptions dans
les établissements et, que dire, de la tricherie qui devient
endémique dans le système éducatif camerounais. Ce constat
montre bien comment les jeunes scolaires résistent à la
prééminence du travail intellectuel, des valeurs morales de la
société, que l'école tente de leur faire
intérioriser et, de ce fait, refusent de
«payer » l'accès à la connaissance et au
succès scolaire, par une obéissance passive aux normes
instituées. Qu'est-ce qui peut donc expliquer ces
phénomènes de résistance à la socialisation
imposée par l'école ?
Dès lors faut-il considérer les approches
objectivistes et hyperfonctionnalistes comme productrice d'une totale
intelligibilité des résistances et stratégies des jeunes,
fussent-elles en milieu scolaire, dont elles prétendent expliquer les
raisons qui sous-tendent l'échec (ou la réussite) scolaire, les
inégalités d'accès au savoir et les comportements
déviants à l'école ? Sont-elles alors l'unique grille de
lecture des rapports qu'entretiennent les institutions scolaires et les
partenaires éducatifs ? Ces pratiques de résistance, ne
sont-elles pas là une manière par laquelle les partenaires de
l'acte éducatif contribuent au contraire à fabriquer dans un
bricolage institutionnel permanent les normes sur lesquelles repose
l'institution scolaire ? Bien qu'en rupture avec les structures
institutionnelles, ces nouvelles formes éducatives ne concourent-elles
pas à assurer la pérennité et le maintien de la
cohésion de cette communauté de travail ? Les acteurs
scolaires n'essaient-ils pas de construire une véritable contre-culture,
valorisant les éléments originaux qu'ils puisent dans leur milieu
familial, leur connaissance du monde du travail ou dans la rue où,
à leurs yeux, se joue la «vraie vie » ?
Sinon, quel est le sens et la signification des actes de construction, de
négociation ou de la contestation des règles et routines de
l'ordre scolaire ?
II - HYPOTHESES
En guise de réponses suggestives à cet ensemble
d'interrogations, nous avons élaboré les hypothèses
suivantes :
II. 1 - Hypothèse
principale
Face à la discipline, à la gestion
linéaire, normée, planifiée, pleine de sens et rationnelle
des institutions scolaires, manifestées par la domination et la
subordination, les élèves de Yaoundé développent
des comportements déviants qui visent à (re)définir les
situations scolaires à leur avantage, bien plus que d'apprendre des
savoirs, des savoir-faire des savoir-être.
Pour faciliter la vérification de cette
hypothèse principale, trois hypothèses secondaires ont
été formulées.
II.2 - Hypothèses
secondaires
1. Pour intégrer le métier
d'écolier, les élèves apprennent à devenir
élèves non pas tant au niveau du rôle prescrit par ceux qui
déterminent l'autorité, mais à travers la manière
dont les élèves eux-mêmes conçoivent ce
rôle.
2. En marge de l'orthodoxie scripturaire et verbale des
langues officielles d'enseignement, le parler des élèves se
dévoilent comme une déviance fonctionnelle, un processus
continuel de négociation conflictuelle régis par des logiques
visant à ``faire-face'' à l'arbitraire des codes canoniques
linguistiques.
3. Couramment diluées dans l'étiquetage de
délinquance de violence, d'incivilité ou d'incivisme, les
attitudes de résistance ou de déviance des élèves
sont, au contraire, solidaires de la réalité sociale de
l'école, en tant qu'institution où se croisent les
représentations souvent antagonistes des jeunes et du système.
III - JUSTIFICATION ET
INTERET DU SUJET
Le choix porté sur l'étude ethnosociologique des
institutions scolaires, en l'occurrence les établissements
d'enseignement secondaire de la ville de Yaoundé, va au-delà du
simple fait que les comportements des partenaires éducatifs mobilisent
bien d'attention et occupe peu ou prou le contenu du discours officiel et des
médias de tous les jours. Il s'agit là d'une urgence qui demeure
une des priorités officielles de tous temps. Les comportements de
résistance des acteurs scolaires (enseignants, élèves et
familles), est-il besoin de le rappeler, se vivent avec acuité dans les
espaces scolaires de la ville de Yaoundé. Ils prennent de plus en plus
des proportions grandissantes et tendent à s'opposer à la logique
de l'école considérée ici comme institution fabricant ses
propres normes, ses principes de régulation et de fonctionnement. Ceci
d'autant plus, comme le montrent les analyses institutionnelles, que
l'institution éducative fonctionne sur la base d'un programme
imposé par les instructions officielles, l'emploi du temps, les
contrôles pour ce qui est des relations entre
enseignants-élèves ; la discipline, le règlement
intérieur et la relation dans l'établissement pour ce qui est du
déroulement des rapports entre l'acteur et l'institution ; de
façon générale, entre les partenaires de l'acte
éducatif. C'est donc ce contraste qui, en réalité, est le
point de départ de notre curiosité et nous détermine dans
le choix de mener une investigation sur les comportements de résistance
aux instituions dans les établissements scolaires d'enseignement
secondaire à Yaoundé.
A partir de cette vitrine de résistance, de
stratégies d'opposition aux institutions, il s'agit, non pas comme dans
la perspective des études de la sociologie de l'éducation, au
nombre desquelles s'inscrit notre recherche, de s'aligner derrière les
prises de positions tumultueuses des débats journalistiques, politiques
et littéraires en cours au sein de la classe intellectuelle camerounaise
à savoir que : l'institution-Ecole devrait être ce
creuset, cette matrice, ce moule où s'apprend, en se vivant, la
démocratie qui ne signifierait rien d'autre que la possibilité,
pour chacun, de participer effectivement, personnellement ou par
délégation représentative, à tout ce qui le
concerne et donc d'influencer les décisions majeures qui dicteront ou
commanderont des comportements adéquats (G. Ntebe Bomba,
1991 :14), ni même d'examiner la situation scolaire confinée
sous l'angle des paradigmes holistes de la situation éducative pour
appréhender l'école comme le premier lieu de reproduction des
attitudes de la société globale. Ce qui importe bien plus ici,
c'est de décrire et d'analyser les stratégies et les
résistances mises en oeuvre tant par les acteurs scolaires que par les
élèves et les familles.
A travers une perspective microsociologique, nous entendons
renouveler le regard sur l'école camerounaise, interroger le paradoxe
d'une institution si familière et si complexe. En dévoilant
l'implicite, il ne s'agit pas tant de dénoncer les dérives de
l'école ou du système éducatif camerounais, qu'à
souligner le brouillage des modèles qui lui donne sens. En
s'intéressant au particulier, il s'agit moins de raisonner en termes
d'appareil idéologique, de domination ou de reproduction, mais bien plus
d'une relecture du fonctionnement actuel de l'institution scolaire camerounaise
à travers l'observation des pratiques quotidiennes et à une
conceptualisation conjuguée et articulée.
A la fois située dans le débat majeur qui a
traversé la sociologie traditionnelle de l'éducation de ces
trente dernières années, sur la stratification socioculturelle,
la réussite scolaire et le système éducatif, la
problématique de la reproduction et des inégalités
scolaires se propose de rompre d'emblée avec «les figures
obligées du discours sociologique » pour progresser dans
l'explication sociologique des pratiques, vers l'ouverture de cette quasi-
«boîte noire » qu'est jusqu'ici l'école,
à l'aide des scalpels méthodologiques et paradigmatiques
utilisés dans les travaux anglo-saxons, inspirés par
l'interactionnisme symbolique, la phénoménologie sociale ou
l'ethnométhodologie.
Il n'est plus question alors de débusquer les modes
selon lesquels se réalise une inégalité jouée
d'avance et de dévoiler la méconnaissance ou les
intérêts cachés des acteurs, mais d'étudier
«l'inégalité en train de se faire »,
«en prenant au sérieux la rationalité des
acteurs » et en tentant de rendre compte de la manière
dont, en situation, ils construisent le social.
Une telle considération vise une analyse qui se situe
dans le sillage de la vie quotidienne de l'école, ce d'autant plus
qu'«il est urgent de revenir aux problèmes essentiels de la vie
sans qualité » (Maffesoli, 1985 : 16)
Cette recherche voudrait précisément opter pour
une épure théorique de type interactionniste et
ethnométhodologique pour approcher l'école camerounaise autour de
ce que Goffman nommait «les faits secondaires » qui se
dévoilent comme «l'infiniment petit »,
c'est-à-dire que l'on se situe à la petite échelle de
détails et de banalités des relations interpersonnelles, pour
analyser ce que les gens font, comment ils réagissent les uns aux
autres, comment se modifient les comportements car, le chercheur ne
considère jamais comme connu ou évident tel ou tel
événement, pas plus que l'importance relative de celui-ci. C'est
aux personnes qui sont étudiées d'en décider.
A partir des éléments de ce que Roy appelle
l'«anthropologie du quotidien », nous pourrons ainsi
identifier les «micro-inventions », c'est-à-dire
les procédures, les raisonnements, les pratiques et les bricolages par
lesquels les acteurs construisent le social et produisent au jour le jour, les
normes sur lesquelles repose l'institution scolaire.
Il y a un besoin de saisir les formes particulières
d'«invention du quotidien » (M. De Certeau et
al., 1994) permettant de découvrir le rôle des acteurs dans
la construction d'une nouvelle civilité scolaire. Nous pourrons donc y
voir l'imaginaire scolaire qui s'avère très utile lorsqu'il
s'agit de comprendre ce qui naît en dehors de la
«normativité scolaire ». Mais pouvons-nous
déceler les dynamiques scolaires dans les représentations lorsque
les théories de la reproduction servent d'arrière-plan pour
rendre compte des pratiques quotidiennes et exprimer les représentations
``spontanées'' qu'elles engendrent ?
A ce sujet, il sera davantage question de rompre avec les
analyses qui ramènent toutes les réflexions vers des
considérations macrosociologiques. Nous éviterons
également l'approche simplificatrice de la sociologie de
l'éducation ancienne qui n'accorde qu'une attention distraite aux
interactions scolaires, à la vie quotidienne dans les
établissements scolaires.
Il s'agit pour nous de s'insérer plutôt dans
l'optique de la ``Nouvelle Sociologie de l'Éducation'' (NSE) selon
laquelle la description des comportements en situation scolaire côtoie
les réflexions sur le sens et sur les mutations contemporaines sous le
prisme des relations symboliques dans les interactions quotidiennes.
Ainsi, feront l'objet d'une attention particulière, les
interactions des acteurs scolaires, les stratégies institutionnelles des
professeurs, des élèves et des familles, les perspectives qui
guident leurs actions, les cultures dans lesquelles s'enracinent leurs
conduites. Et en interaction avec les acteurs sociaux, sera décrite et
analysée la manière dont ils comprennent et construisent leurs
pratiques dans le cadre d'étude qui est le nôtre à savoir
les établissements scolaires, dans leur déclinaison
spectaculaire, en tant que ces objets sont doués d'un sens et d'une
puissance participant des terroirs de la socialité scolaire qui
réclament tous les jours, de plus en plus droit de cité.
En choisissant d'orienter cette étude vers la
manière dont les acteurs scolaires interagissent, nous voudrions ainsi
mettre en lumière les formes de déviances ordinaires qui se
développent quotidiennement dans l'interaction avec la production
sociale des normes. Ce déplacement de regard permettra de mettre
à jour le « malaise » des acteurs
scolaires, tiraillés entre idéaux professionnels, injonctions
administratives et tactiques de survie individuelles.
Cette interaction scolaire au «ras du
sol » jusqu'ici sous-estimée, négligée,
ignorée, voire dépréciée par la sociologie
dominante peut être le socle d'analyse pertinente surtout dans le cadre
d'une société marquée par des «liens sociaux en
mutation » (J. Nzhié Engono, 2005 : 131) et par la
crise de tous ordres : politique, économique, sociale et
culturelle.
En tant que lieu d'apprentissage et de socialisation qui met
en relation les individus, l'institution scolaire peut être d'un grand
intérêt dans la mesure où elle permettrait de lire la
situation éducative au Cameroun, à partir d'une faille :
celle de l'interaction symbolique entre les acteurs scolaires. Dans cette
logique, toute une sociologie de l'éducation camerounaise peut se
révéler.
Dans cette société plurielle, l'école
camerounaise peut-elle se poser en cadre d'interaction symbolique ? La
réponse à cette question laisse percevoir la
nécessité et l'importance qu'il y a à orienter
l'étude des institutions scolaires vers l'observation directe des
interactions et activités pratiques et le refus de les évaluer en
fonction de critères et normes extérieures aux situations ou aux
comptes rendus que peuvent en faire leurs protagonistes.
Il s'agit donc, tout d'abord, d'accorder une place centrale
à l'acteur et à son interprétation de la
réalité, au «sens vécu », sans
pour cela s'interdire d'étudier les «motifs
refoulés » des sujets, ni les «fonctions
latentes » ou pour utiliser l'expression la plus courante,
«la dimension cachée » des discours et des
comportements déviants.
L'effort de conceptualisation et la variété de
notions et arguments qui précèdent tendaient à affiner
l'intérêt que nous portons sur l'objet sociologique à
étudier.
Dans le cadre de cette recherche, il s'agit enfin de
comprendre «l'ici et maintenant » sans oublier les
rapports sociaux, les situations singulières, sans les abstraire d'un
espace social et d'un temps plus large, les trajectoires singulières des
élèves, des enseignants et des familles, sans pour autant
atomiser les individus, les caractères spécifiques de
l'appropriation du savoir sans oublier pourtant que le savoir est un processus
et un produit social, plus généralement, comprendre comment
l'inégalité sociale se produit à travers des situations et
des histoires singulières, culturelles et apparemment neutre
socialement.
En somme, à travers une enquête sur la vie
quotidienne dans les établissements scolaires du second degré,
cette recherche tentera d'éclairer le débat politique et
éducatif ; nous entendons interroger cet espace particulier de
l'expérience scolaire au Cameroun dans le sens de sa
fonctionnalité quotidienne en tenant compte du système
d'interaction, c'est-à-dire du contexte économique, politique,
culturel, social...
Après cette présentation, il s'agit maintenant
de situer la méthodologie qui permettra de cerner le
phénomène que nous étudions.
IV - METHODOLOGIE
La méthodologie comprend à la fois le
modèle théorique de la recherche, les méthodes de collecte
et d'analyse des données.
IV.1. Insertion
théorique
Les cadres théoriques dans lesquels l'ethnographie de
l'éducation s'abreuve, se définissent à la fois
négativement par leur rejet des approches déterministes et
fonctionnalistes héritées de Durkheim et Weber, notamment et
affirmativement par l'adoption d'un corpus de concepts édifié sur
la prise en compte impérative de l'activité quotidienne. C'est
entre ces deux grands paradigmes que s'opère le choix d'une
théorie explicative pour aborder le sujet.
IV.1.1.
Le
«positivisme dogmatique » ou la sociologie des abstractions
et de l'homme rationnel
Les sciences sociales «classiques »
inscrivent leurs données sélectionnées dans un
système d'intelligibilité basé sur la présence
implicite d'un certain nombre d'a priori théoriques,
l'imposition de cadres logiques au monde réel et l'assimilation des
corrélations en véritables causes qui surestiment la
qualité ordonnée et déterminée de la vie sociale
(Boudon, 1989). Avec la quête Durkheimienne pour percer le fait social
dans «ses caractéristiques typiques » (Durkheim, 1973
: 131) ou encore la démarche de Weber pour qui « seule une
partie finie de la multitude infinie des phénomènes
possède une signification » (Weber, 1965 : 156), la vision
sociologique de l'objet typique et pertinent implique un tri radical entre ce
qui est essentiel et ce qui ne l'est pas. De plus, il est impératif de
regarder l'objet en tant qu'il est homogène c'est-à-dire
partagé par les membres du groupe ou de la collectivité.
Les faits sociaux sont constitués selon Durkheim par
«les croyances, les tendances, les pratiques du groupe pris
collectivement » (Durkheim, 1993 : 9). Ces faits sociaux
considérés «comme des choses »
(ibid.), c'est-à-dire «détachés des
sujets conscients qui se les représentent » (ibid. :
28) sont même doués « d'une puissance impérative
et coercitive en vertu de laquelle ils s'imposent à lui (l'individu)
» (ibid. : 4). Par ailleurs, les conduites des personnes
sont placées sous les signes de la rationalité et de la
régularité. Nous avons à faire ici à un homme
« qui délibère et qui choisit entre les valeurs en
cause, en conscience et selon sa propre conception du monde » (Weber,
1965 : 123). Dans cette vision, la raison des hommes prédomine
même si, Weber s'objecte au moins deux contre-arguments. Il est bien
sûr question ici des comportements traditionnels et affectuels «
situés absolument à la limite, et souvent au-delà, de ce
qu'on peut appeler en général une activité orientée
significativement » (Weber, 1971 : 22).
La seconde auto-objection concerne l'état de conscience
dans lequel une activité se déroule concrètement, non pas
en pleine conscience et clarté, mais «dans une obscure
semi-conscience ou dans la non-conscience » (ibid. : 19). Et
si Weber se défend d'un « préjugé rationaliste
» et revendique seulement « un moyen méthodologique
» (ibid. : 6), le parti-pris rationnel prend le dessus :
« La façon la plus pertinente d'analyser et
d'exposer toutes relations significatives et rationnelles du comportement,
conditionnées par l'affectivité et exerçant une influence
sur l'activité, consiste à les considérer comme des
``déviations'' d'un déroulement de l'activité en question
construit sur la base de la pure rationalité en finalité
» (ibid. : 6).
Bref, force est de constater que cette sociologie
décrit des types généraux et des hommes moyens,
rationnels, déterminés par des faits sociaux.
IV.1.2.
Le jeu
possible dans les limites, selon Bourdieu
Pour l'auteur, il n'est pas plus question de considérer
les pratiques comme une reproduction automatisée du système,
«une réaction mécanique directement
déterminée » (Bourdieu, 1972 : 178). La
médiation de l'habitus est introduite en tant qu'ensemble de
dispositions produit à partir des conditions sociales et productrices de
pratiques. L'objet sociologique, collectivement partagé, résulte
de la dynamique entre trois niveaux : les pratiques telles qu'elles sont
générées par l'habitus tel qu'il est lui-même
produit par les structures objectives. Cette dynamique rendue possible par
l'habitus défini comme «principe générateur
durablement monté d'improvisations réglées »
(ibid. : 179) autorise les stratégies possibles de l'individu
à partir de ses dispositions acquises socialement : capacité
d'invention, sens du jeu, logique de l'à peu près ou du
flou...
D'une certaine façon, l'individu éliminé
par le structuralisme est réintroduit par Bourdieu non pas vraiment en
tant que sujet mais en tant qu' «agent agissant » (Bourdieu,
1987 : 23). Au final, les idées sociologiques de Bourdieu proposent
contre la vision d'une totalité collective indépendante des
individus, une théorie du mode de génération des pratiques
qui restent toutefois enfermées «dans des limites
inhérentes aux conditions objectives dont elles sont le produit et
auxquelles elles sont objectivement adaptées » (Bourdieu, 1976
: 18).
IV.1.3. La sociologie du
quotidien : vers une approche intégrée du
social
La sociologie du quotidien a pris son essor dans les
années 60 et s'intéresse à la manière dont les
individus mènent leur existence au jour le jour, aux temporalités
qui organisent la vie sociale, aux modes de réalisation des
unités sociales, aux façons dont les individus s'associent (Akoun
et Ansart, 1999 : 562). Les divers cadres théoriques qui servent
de référence à la sociologie de la vie quotidienne se
fondent sur le postulat «de la non réductibilité de
l'acteur aux lois du système » (Berthelot, 1990 : 80). Du
reste, deux approches théoriques ont été retenues pour la
saisie et la compréhension du sujet. L'interactionnisme symbolique d'une
part, et l'ethnométhodologie d'autre part.
IV.1.3.1.
L'interactionnisme symbolique
Le terme interactionnisme symbolique (symbolic
interactionnism) est attribué à Herbert Blumer. Celui-ci
appartient à la seconde génération de l'Ecole de Chicago,
dont il va, avec Everett Hugues, perpétuer la tradition.
Celle-ci recouvre à la fois les enseignements de Thomas
et de Park1(*) et ceux d'un
philosophe, Georges H. Mead (1965) privilégiant, dans la construction de
la personnalité et des rapports sociaux, les communications
interindividuelles. Entre 1930 et 1940 sera formée au département
de Chicago une nouvelle génération de sociologues, notamment
Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss..., dont les oeuvres, à
partir de la moitié des années 50, construiront le courant
moderne de l'interactionnisme symbolique (Berthelot, 1991 : 96).
L'approche interactionniste symbolique, postule qu'il existe bien un ordre
culturel normatif, mais celui-ci est intériorisé par les
individus dans un processus d'interaction qui les conduits à construire
leur identité. L'interactionnisme refuse une conception
hypersocialisée de l'homme et insiste sur l'autonomie dont disposent les
individus. La société est dont envisagée comme un ordre
interactionnel.
Dans une déclaration princeps de l'interactionnisme
symbolique, Blumer soutient que l'homme ne réagit pas aux choses, mais
au sens que ces choses prennent pour lui. L'individu vit dans un environnement
symbolique et pas seulement naturel. Rien n'est donc accessible au sociologue
s'il ne pénètre dans cet univers de sens. Mead parle de
«symboles signifiants» (Mead, 1963), dans la mesure
où deux ou plusieurs acteurs lui accordent une même signification.
Il ne s'agit pas de retracer dans le cadre de ce travail, les grandes
orientations de l'interactionnisme symbolique à partir des travaux de
George H. Mead, d'Herbert Blumer ou d'Howard Becker, mais de toujours
reconnaître dans l'interaction de personnes, une «vision du
monde » et un certain degré de liberté. Le sujet n'est
pas un être sous totale influence, parfait dans son adéquation au
réel social ou dans son rejet. La réflexivité, qui suppose
un jeu plus subtil, n'implique pas d'abord un acte intellectuel, mais un
sentiment d'existence, permettant de faire de l'humour, de tourner en
dérision, et en même temps de s'impliquer sérieusement dans
ce qui se passe.
Pour Simmel (1986), l'individu, toujours en quête d'un
accomplissement, n'est pas un être amorphe qui n'est informé que
par le social. Son agir fondamental réside dans la recherche
tâtonnante d'un sens, dont on ne peut délimiter le contenu
à l'avance. Très souvent, il reconnaîtra après coup
que ce qu'il a découvert était vraiment ce qu'il cherchait. Ainsi
se crée un jeu de connivence et de distance entre l'individu et le
social.
Si notre société légitime essentiellement
des pratiques de sur-représentation de l'ordre (classements,
performances, évaluations, etc.), l'autre force en oeuvre dans la
compréhension de l'entreprise d'éducation des corps vivants est
celle qui le désorganise et prend en compte la part irréductible
du désordre qui l'anime (Balandier, 1988). Ce qui suppose des
focalisations sur des détails, des événements, des
jaillissements, des improvisations, des transgressions comme autant de modes
d'opérations ou schémas d'action occultés par une
rationalité désormais dominante dans nos sociétés
qui se complexifie et réoriente les liens sociaux au jour le jour. Ceci
est rendu possible par le quotidien qui « s'invente avec mille
manières de braconner » (De Certeau, 1990 : XXXVI). Ces
manières de faire permettent aux individus de se réapproprier
l'espace organisé par les techniques de la production socioculturelle.
Elles posent des questions analogues et contraires à celles que traitait
Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir (1975). Analogues
puisqu'il s'agit de distinguer les opérations quasi-microbiennes
«qui prolifèrent à l'intérieur des structures
technocratiques et en détournent le fonctionnement par une multitude de
tactiques articulées sur les détails du quotidien »
(ibid. : XL). Contraires, puisqu'il ne s'agit plus d'identifier
comment la violence de l'ordre se mue en technologie disciplinaire mais
« d'exhumer les formes subreptices que prend la
créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes
ou des individus pris désormais dans les filets de la surveillance
» (ibid. : XL). Dans le quadrillage d'une économie,
ces pratiques d'appropriation considérées comme des indicateurs
de créativité se condensent dans une marginalité qui
« n'est plus celle de petits groupes, mais une marginalité
massive » (ibid. : XLIII). Tout cela donne la
possibilité de croire fermement à la liberté
buissonnière des pratiques comme autant de micro différences
là où tant d'autres ne voient qu'obéissance et
uniformisation. Tactiques silencieuses et subtiles qui s'insinuent dans l'ordre
imposé, le détournent comme autant de ruses et de parades venues
« d'immémoriales intelligences » (ibid. :
XIV), enracinées dans le passé de l'espèce, dans les
lointains du vivant. Ces performances opérationnelles
relèveraient de savoirs très anciens, nommés métis
par les grecs. Bref, comme le dit si bien De Certeau,
«Mille pratiques inventives prouvent à qui
sait les voir, que la foule sans qualité n'est pas obéissante et
passive, mais pratique l'écart dans l'usage des produits imposés,
dans une liberté buissonnière par laquelle chacun tâche de
vivre au mieux l'ordre social et la violence des choses » (De
Certeau, 1990).
Ces mille pratiques, comme nous le verrons par la suite,
jaillissent durant le cours, vécu par les élèves à
la fois comme moment d'imposition d'un ordre pédagogique rationnel,
technique, sérieux, et en même temps, espace de liberté
pour des corps hédonistes, des vagabondages corporels.
A rebours donc des analyses notamment de la sociologie des
inégalités scolaires qui se contentent de penser le
système éducatif comme une
«boîte-noire » qui produit la reproduction,
l'analyse interactionniste peut être d'un apport capital pour forcer
l'entrée dans la boîte afin de saisir de manière
concrète et par l'analyse des interactions, le processus à
l'oeuvre dans les établissements scolaires d'enseignement secondaire.
Il s'agit dès lors de prendre en considération
dans le cadre de cette recherche la situation vécue des institutions
scolaires camerounaises, sa dramatique même, et plus encore ses
composantes et ses à côtés.
L'objectif de cette approche vise à voir quelles sont
les procédures par lesquelles les acteurs scolaires analysent,
inventent, réalisent leurs interactions, et comment ils
définissent leur situation et génèrent ainsi en permanence
leurs activités communes (Coulon, 1987, cité par Beitone et
al. 2000 : 113).
En somme, cette recherche entend focaliser les investigations
sur la simple banalité quotidienne, sur les faits familiers, anodins,
sur tous ces «petits riens » ou encore sur tous ces
«poubelles de la réalité sociale » qui
font la trame de l'existence communautaire des acteurs éducatifs (et
qu'ils ne perçoivent pas toujours) mais qui, en transparaissant d'une
manière parfois sporadique, sous-tendent de formes significatives de
socialité scolaire grâce auxquelles ils construisent leur histoire
de tous les jours, dans un présent toujours réinventé (J.
Nzhié Engono, 2001 : 72). Tant il est vrai que la
tâche de la sociologie est, non pas d'entretenir les constructions
sociales, mais bien d'observer la création permanente des normes, les
rationalités des agents et les méthodes par lesquelles ils
définissent leur situation.
IV.1.3.2. Le
détour par l'ethnométhodologie
L'ethnométhodologie est un courant de sociologie qui
s'est développé pendant les années 1960 dans les
Universités de Californie à partir de l'enseignement
dispensé par les deux principaux chefs de ce courant : Harold
Garfinkel et Aaron Cicourel. Le terme d'ethnométhodologie a
été utilisé pour la première fois par
référence à ce que l'on appelle l'ethnoscience, vocable
qui désigne les méthodes et les savoirs profanes utilisés
par les gens pour gérer leurs pratiques sociales.
L'ethnométhodologie est l'un des courants sociologiques qui pousse le
plus loin la mise à distance nécessaire à
l'appréhension des « allant de soi » comme
résultats d'une construction sociale déterminée
(Berthélot, 1991 : 103). Elle n'est pas, est-il besoin de le
rappeler, une méthodologie spécifique à l'ethnologie,
mais une approche sociologique qui permet d'interroger du dedans
l'arbitraire ou dans les termes ethnométhodologiques,
l'indexicalité des manières d'être et de faire des
membres d'une société donnée.
A l'opposé de Durkheim, les ethnométhodologues
postulent que les faits sociaux sont les produits «de
l'activité continuelle des hommes, qui mettent en oeuvre des
procédures, des règles de conduite, bref une méthodologie
profane qui donne sens à ces activités. » (Coulon,
1993, cité par Ruano-Borbalan, 1998 : 87).2(*)
Dans cette perspective, la réalité sociale n'est
donc pas une réalité préexistante, elle est
créée en permanence par des acteurs à travers des
accomplissements pratiques, c'est-à-dire des activités
quotidiennes qui se déroulent en continu. Par conséquent, le
seul objet de la sociologie est l'étude des
ethnométhodes, c'est-à-dire «des
méthodes ordinaires, indigènes, quotidiennes, mises en oeuvre par
chacun pour donner un sens aux situations » (de Queiroz et al,
2000 :112). Cette préoccupation de la sociologie pour le champ
essentiel du social qu'est « le quotidien », ce
retour sur la vie de tous les jours se justifie tout d'abord par le fait
que :
« La vie sociale qui est le lieu
scénique de toutes les relations sociales et les rapports sociaux,
autrement dit, de la dynamique sociale, reste « d'emblée
quotidienne » ; ensuite parce que, de façon
conséquente cette vie sociale, en se fondant ainsi sur le quotidien -
qui est « ce qui fait la trame de l'existence journalière, les
ris et les pleurs, les émotions et les silences, les routines et les
inventions, cette « condition humaine » qui est le lot
commun des uns et des autres » (J. Nzhié Engono,
2001 :71)
Cette méthodologie profane que Garfinkel a
appelée «raisonnement sociologique pratique »,
permettra, de saisir les interactions entre les acteurs sur la scène
sociale. Nous nous intéresserons ici au sens de ces interactions
scolaires en essayant de replacer les comportements dans les stratégies
des personnes en situation. L'analyse de l'interaction se doublera par
conséquent d'une analyse de la situation, c'est-à-dire du
contexte dans lequel cette interaction prend place. Aussi ferons-nous
référence à l'analyse constructiviste dans son approche
boudieusienne, afin de saisir «la genèse sociale d'une part des
schèmes de perception, de pensée et d'action qui sont
constitutifs de (...) l'habitus, et d'autre part des structures sociales, et en
particulier des (...) champs et des groupes » (Bourdieu,
1987 : 147). Selon la vision constructiviste, les réalités
sont appréhendées, non pas comme des produits de
l'extériorité ou de la contrainte mais comme constructions
historiques et quotidiennes des acteurs sociaux individuels et collectifs.
Ceux-ci, comme le souligne Norbert Elias, loin de subir les faits sociaux,
participent plutôt, comme sujets et non comme objets, à travers
les pratiques et les interactions de la vie quotidienne, à la
production, à la reproduction, à l'approbation, à la
transformation, à l'invention des formes sociales (Elias, 1991, 1993,
cité par Nga Ndongo, 2003 :40). Il s'agit dès lors, au
travers de cette approche, de voir comment les interactions scolaires sont
déterminées par une double dimension objective et subjective.
Ainsi le choix de cette approche s'inscrit-il dans la mouvance
des esprits qui voudraient faire réapparaître le sujet face aux
structures et aux systèmes, la qualité face à la
quantité, le vécu face à l'institué (Balandier,
1983). La sociologie du quotidien nous permettra de découvrir à
partir d'un effort de compréhension la signification que les acteurs
scolaires assignent à leurs actes.
C'est donc cette vie banale dans les établissements
d'enseignement secondaire, avec sa part de théâtralité,
ses enjeux, ses émotions partagées, pour être plus
précis, ce «monde intersubjectif de la vie
quotidienne » (Schütz, 1986 :183), qui tend à
occuper dans les recherches sociologiques une place qui fut un temps tenue par
la communauté3(*), que la sociologie du quotidien entend rendre compte.
V - COLLECTE DES
DONNEES
Pour mener à bien le travail d'observation, un champ
d'analyse et une unité d'observation ont été circonscrits,
des instruments de collectes de données ont été
définis.
V.1. Champ
d'analyse
Les investigations qui seront entreprises dans le cadre de
cette étude portent sur les stratégies de résistance et
les pratiques déviantes de personnes en situation scolaire et couvrent
la jeunesse scolaire d'enseignement secondaire de l'espace éducatif
national, à savoir les lycées et collèges publics de la
capitale politique du Cameroun, Yaoundé. Parce que les interactions
élève-institution scolaire se déroulent autour des
établissements scolaires, ceux-ci sont pris comme terrain
d'enquête. Leur position dans la capitale politique, fait d'eux, des
établissements symboliques. Le caractère symbolique de ces
établissements résulte du fait qu'ils sont situés en zone
urbaine dotée d'une hétérogénéité
culturelle. La ville draine une mosaïque de populations venues de tous
les horizons du Cameroun. Il y a donc une sorte de brassage culturel et une
représentativité plus grande de presque toutes les couches
sociales, ethniques et culturelles du Cameroun
Au sein des établissements ici concernés, il
existerait donc entre les individus, des échanges interpersonnels,
interculturels et intra culturels susceptibles d'engendrer de nouveaux
modèles comportementaux et l'ouverture à une autre manière
de percevoir les attitudes et les comportements déviants à
l'école qui sont vivement réprimés.
Notre unité d'analyse qu'est l'école, en tant
qu'établissement, peut donc être saisie comme lieu indiqué
d'interactions sociales dans la classe, des incidences perturbateurs, des
stratégies et pratiques des élèves, des professeurs et des
parents sociaux.
V.2. Échantillon
de l'étude
Cette recherche ne s'inscrit pas dans la perspective
légitimant le recours aux inférences et aux corrélations
statistiques ; il s'agit davantage d'approfondir la connaissance des
interactions scolaires car, « les faits sociaux sont des
accomplissements pratiques ». « La conviction
centrale des études constitutives de l'école est que les
« faits sociaux objectifs », tels que l'intelligence
des élèves, leurs performances scolaires, ou comme l'organisation
de la classe, s'accomplissent dans les interactions entre enseignants et
élèves, proviseurs / directeurs et enseignants, les familles
et l'institution scolaire...
Il n'est plus utile de tenir compte de la
représentativité de l'échantillon ou de prévoir un
nombre important de répondants
«Lorsqu'on utilise ces méthodes non
standardisées, entretiens non-directifs ou entretiens structurés
[comme c'est le cas ici], il est utile d'interroger un très grand nombre
de sujets. La lourdeur de l'analyse rend difficile l'exploitation
systématique d'un nombre important d'entretiens »
(Ghiglione et Matalon, 1991 : 50).
Dans cette perspective,
«Essayer de constituer un échantillon
`'représentatif `' de la population étudiée n'a
guère de sens puisque, de toute façon on ne fera pas
d'inférence globale (...) Ce qui est important, c'est de s'assurer de la
variété des personnes interrogées, et vérifier
qu'aucune situation importante pour le problème traité n'a
été omise » (Ibid. : 51).
Le phénomène étudié ici fait ainsi
intervenir des acteurs divers de la communauté éducative :
les élèves, les enseignants, les dirigeants, les personnels
administratifs d'appui, les parents d'élèves, les milieux
socioprofessionnels.
V.3. Les instruments de
collecte des données
Par volonté d'une requête systématique des
faits pour cette étude, à savoir le recueil des informations sur
la vie quotidienne dans les établissements d'enseignement secondaire,
ainsi que les stratégies institutionnelles des enseignants et des
élèves, les perspectives qui guident leurs actions, les cultures
dans lesquelles s'enracinent leurs conduites, nous utiliserons, pour collecter
les données, les techniques classiques dans les sciences sociales
(Laburthe-Tolra et Warnier, 1992 : 372) : l'observation
participante, l'observation directe, l'observation documentaire, les
conversations de terrain, l'entretien non structuré.
L'observation participante est au coeur du dispositif de la
recherche ethnographique en général (en ethnologie comme en
sociologie). Les conversations spontanées de terrain, d'une part, les
entretiens, plus ou moins structurés, d'autre part, sont des techniques
complémentaires.
· Les conversations de
terrain
Le sociologue ou l'ethnographe rencontre les gens, parle avec
eux, se mêle à leurs conversations, interroge parfois, demande des
éclaircissements après avoir assisté à un
événement particulier (une leçon de classe, un rituel...).
Ces demandes d'informations prennent en général la forme de
conversations banales. Car, au début d'un travail de recherche, dans une
institution notamment, on a continuellement besoin d'information du
genre : `` où puis-je obtenir telles informations ? Dans
quelles conditions ? Auprès de qui ?
· L'entretien non structuré
Le présupposé fondamental de l'entretien non
structuré est que sa dynamique interne, son déroulement libre, va
faire surgir une vérité. Ce déroulement va
déterminer aussi les questions de l'enquêteur : il devra se
laisser porter par le fil de conversation. Alors que dans la situation
générale d'observation participante, la situation à
explorer est déjà structurée, dans l'entretien
ethnographique, il y a mise en place d'un dispositif particulier de rencontre,
qui est le dispositif propre à l'entretien, et c'est à
l'intérieur de ce dispositif construit que nous avons tenté de
lasser jouer la spontanéité de l'enquêté.
Dans la perspective ethnographique qui est la nôtre, les
conversations sont tenues, pour reprendre Wood (1986), au sein des
établissements, dans la rue, au terrain des sports, pendant les
périodes de classe, en récréation, aux heures de pause,
à la fin d'une journée de cours. Et cela va des bavardages en
salle des professeurs ou au bar du coin jusqu'aux discussions ad hoc
à propos d'événements immédiats (une leçon
qui vient de s'achever, une initiative récente en matière de
politique éducative, tel problème de discipline avec les
élèves) jusqu'aux échanges avec les élèves
pendant la recréation ou dans les cantines. Il y a eu aussi les
entretiens organisés par avance, ceux-ci avaient plutôt un
caractère plus formel.
· L'observation directe à
l'école
Les techniques d'observations directes sont des modes
d'enregistrement, par notes descriptives ou analytiques, d'actions ou
d'observation perçue sur le terrain dans un contexte naturel (Nga
Ndongo, 1999 : I ; 300) comme le souligne Durand et
al ; l'observation
« Demeure souvent un préalable
obligé pour construire une bonne enquête par entretiens ou par
questionnaire (...) les techniques d'observation se rapprochent finalement du
travail ethnographique qui requiert une longue familiarité avec le
terrain, la prise de notes, l'attention à l'imprévu, la
constitution d'une grille d'observation afin de classer les
données » (1994 :307)
Il sera donc mis à profit le produit des observations
effectuées dans les établissements scolaires où sont mis
en oeuvre les faits banals, les ``adaptations secondaires'' susceptibles de
contribuer à la construction des faits éducatifs, des
phénomènes de déviance scolaire, dotés d'une
signification, et permettant d'identifier les stratégies et les
résistances déployées non pas seulement par la jeunesse
scolaire, mais aussi par les enseignants ou encadreurs et les familles.
Cette observation permet de mieux cerner la façon dont
professeurs, élèves et familles vivent et interprètent les
processus scolaires.
· L'observation documentaire
L'utilisation de matériaux écrits est un
complément utile de l'observation. On peut considérer certains
documents comme des instruments quasi-observationnels prenant la place des
chercheurs sur les lieux ou dans les temps où il est difficile, voire
impossible, d'être présents en personne. Parfois même, ils
peuvent constituer le corpus de données le plus important pour une
recherche.
Cette observation s'avère ainsi nécessaire, car
elle permet de tirer, des documents de diverses natures, les informations
relevant des messages émis par les acteurs sociaux impliqués dans
l'interaction scolaire.
- Documents officiels : ce sont les extraits de
règlement intérieur des établissements, la loi
d'orientation de l'éducation au Cameroun, les résolutions des
états généraux de l'éducation, les registres, les
emplois du temps (horaires), les documents confidentiels concernant les
élèves, les manuels scolaires, les périodiques et les
revues, les émissions radiophoniques, les archives et statistiques, les
tableaux d'affichage, les lettres officielles, les documents d'examens, les
fiches de travail, ...
Les extraits de règlement intérieur des
établissements, la loi d'orientation de l'éducation au Cameroun,
les résolutions des états généraux de
l'éducation ont fait l'objet d'analyse.
L'observation et la description des classes nécessitant
l'obtention des informations plus précises, nous avons utilisé
donc des documents produits par l'école pour réunir une plus
grande quantité d'informations sur les élèves. Les
documents officiels les plus important dans la vie scolaire sont
peut-être ceux qui concernent directement l'enseignement : les
cahiers de textes, les programmes, les livres d'exercices, la documentation
relative aux tests et examens, entre autres.
- Les documents personnels : ce sont les
journaux intimes, les cahiers de brouillon des élèves, les
lettres et les notes personnelles. Les productions personnelles des
élèves, surtout celles qui contiennent un aspect personnel
important, ont fourni des indications très valables sur leurs opinions
et attitudes par rapport à toute une gamme de thèmes, des
informations utiles sur l'expérience vécue.
VI - ANALYSE DES
DONNEES
Du point de vue sociologique, du contexte institutionnel et de
ses conséquences sur les possibilités de la réussite
scolaire, on constate la persistance de travaux quantitatifs et d'analyses
critiques. Ils restent néanmoins de peu de ressources pour comprendre
les nouveaux phénomènes. Raison pour laquelle nous optons
plutôt pour une méthode d'analyse essentiellement qualitative pour
se démarquer des études macro-sociales et statistiques de la
reproduction et des inégalités. A l'opposé d'une
sociologie de l'éducation qui analyse un
«système », l'orientation ethnographique de
l'école ici choisie permet de décrire par des méthodes
qualitatives les menus faits de la vie de l'école.
La démarche adoptée ici, ainsi qu'on peut s'en
rendre compte, se veut donc compréhensive. Ceci, pour nous conformer aux
exigences d'une anthropologie nouvelle. La saisie de la
légitimité de l'approche compréhensive en sociologie
aujourd'hui passe par un détour épistémologique à
l'école philosophique appelée «herméneutique du
social ». Il s'agit ici dans cette exigence d'un
«renouveau méthodologique » dont le mode
d'expression, en se référant aux formes significatives de
«l'être-ensemble », ouvre la voie à une
véritable réflexion philosophique sur le social (Nzhié
Engono, 2001 : 13).
Elle procède par l'interprétation des actions
humaines dans le souci de construire leur sens ainsi que leur motif car
«toute conduite humaine présente une intelligibilité
intrinsèque qui tient au fait que les hommes sont doués de
conscience et accordent des significations à leurs
actes » (Donégani, 1997 : 159). De ce fait, il est
possible de rendre le comportement intelligible en dégageant par
reviviscence le motif auquel il obéit, étant donné que
l'interrogation véritablement propre aux sciences sociales réside
dans le dévoilement des significations de ces actes et non dans la
prévision des conduites (Zambo Belinga, 2004 : 96).
Pour parvenir à cette fin, les informations recueillies
ont fait l'objet d'une «analyse de contenu de type
structural ». Celle-ci désigne : « Un
certain nombre de techniques qui tentent de passer du niveau atomique d'analyse
à un niveau moléculaire, et axent leurs procédures,
même à un plan très élémentaire, sur les
liens qui unissent les composants du discours, plutôt sur ces composants
eux-mêmes » (Bardin, 1977 : 278).
Cette technique d'analyse permet d'interpréter le
contenu latent des communications verbales. Elle permet aussi d'accéder
aux significations implicites des documents, des faits et des gestes
observés. Cette technique prétend atteindre des modèles de
significations latents, organisant la construction mentale de la
réalité chez les acteurs (herméneutique collective) ou des
structures formelles définissant des matrices inconscientes de
production de sens (l'analyse structurale). Autrement dit, l'analyse de contenu
structurale permet le dépassement du contenu manifeste des
communications analysées pour atteindre, grâce à une
analyse au second degré, le contenu latent, les sens implicites, le
non-dit, le caché, qui contiennent la vérité du
réel (Afané, 2004).
Cet outil d'analyse s'intègre donc bien à notre
travail qui se veut une entreprise de dévoilement, de
démystification et de démythification. Il permet ainsi de mettre
en relief les représentations, les aspirations, les motivations et
stratégies des différents acteurs de la société
scolaire.
L'analyse de contenu structurale a, en outre, favorisé
la reconstitution des mentalités, des manières d'être, en
un mot de l'imaginaire des différents acteurs en présence. C'est
ainsi que nous avons procédé à l'analyse des
communications, formelles (par exemple, injure, blague, geste, tenue
vestimentaire, parlure...).
VII - DEFINITION DES
CONCEPTS
L'une des règles fondamentales du travail sociologique,
comme le stipule Durkheim (1988 : 34), est de définir l'objet de sa
recherche, afin que l'on sache de quoi il est question. Ainsi, afin
d'éviter toute confusion ou méprise future dans la meilleure
compréhension des pages qui suivent, il convient d'élucider de
manière aussi rigoureuse que succincte chacun des concepts
suivants : déviance scolaire, contrôle social, jeune,
ethnosociologie.
Déviance :
La déviance renvoie au non-respect des modèles
idéologiques et comportementaux institutionnellement
agréés. En fait, sachant que toute collectivité sociale
est associée à un répertoire de représentations et
de comportements explicitement ou implicitement prescrits, recommandés,
désapprouvés ou prohibés, donc à des normes plus ou
moins contraignantes, plus ou moins nouées à des sanctions
positives (approbation tacite, éloge, récompense...) ou
négatives (signes de réprobation, raillerie, demande d'excuse ou
de réparation, châtiment corporel...), la déviance peut se
définir (par opposition à la conformité) comme
transgression des normes, violation des interdits, manquements aux obligations
ou du moins adoption de postures contrevenant aux usages, esquivant ou
défiant les injonctions des autorités, déjouant les
attentes de l'entourage.
La déviance scolaire dans cette étude sera donc
comprise dans ce sens inspiré de la définition de Goffman comme
le mécanisme d'adaptation secondaire que les élèves
mettent en place pour infléchir le règlement de l'institut
scolaire sans en perturber le fonctionnement. Ce sont ces
«manières d'agir, de penser et de sentir » qui
cherchent à outrepasser les règles fixées par
l'administration dans leur rapport à la socialité.
Contrôle social :
Dans les règles de la méthode sociologique,
Durkheim fait des contrôles sociaux une donnée inhérente
à toute organisation sociale.
Aujourd'hui, dans la littérature sociologique
anglo-saxonne, les analyses du « social control »
sont nombreuses et le mot a été abusivement transcrit en
français : le contrôle social. Or, comme l'écrit
Gurvitch : les difficultés et les désaccords que provoquent
le terme et le problème de contrôle social sont accrus par le fait
que dans les langues européennes continentales le mot
« contrôle » suggère un moindre
degré d'intervention. Si en anglais le sens courant du mot
control est celui de pouvoir, puissance, domination, autorité,
dans toutes les autres langues européennes,
« contrôle » signifie surveillance,
vérification, inspection, activité de contrôler seulement
(Gurvitch, 1947 : 273). Sans doute, le mot anglais correspond-il mieux au
contrôle social dont il est d'ailleurs peut-être, à
l'origine, une traduction.
Le contrôle social est donc le fait, pour une personne
ou une institution, d'exercer une surveillance sur des activités et d'en
vérifier la conformité à des normes. Toutes les
institutions et organisations sociales exercent, par des moyens divers, des
formes de contrôle sur les activités individuelles et
collectivités. Celles-ci disposent pour amener les individus à
vivre leur civilisation, à participer à l'opinion et aux
attitudes collectives, à partager les normes et les valeurs des groupes,
à remplir correctement des rôles sociaux et à respecter les
moeurs.
Le règlement intérieur constitue l'un de
degré dans les instruments de régulation sociale, qui sont
liés aux mécanismes étudiés dans cette
étude. De fait, c'est le Règlement Intérieur d'un
établissement scolaire qui établit le cadre de vie collective,
afin de faciliter l'épanouissement, de créer les conditions
favorables aux études et de parfaire l'éducation morale et
civique ; il prescrit l'obligation pour chaque élève de
participer à toutes activités correspondant à sa
scolarité et d'accomplir les tâches qui en découlent.
Pour la plupart des règlements intérieurs, les
chapitres qui portent sur l'échelle des sanctions prévoient
celles applicables aux élèves en cas d'absence
répétée : " pour les retards
répétés, les flâneries, convocation des
parents ; pour 5 à 10 absences, traduction en conseil de
discipline ; pour mauvais comportement (maquillage à outrance,
renvoie temporaire de l'école ; pour vols, coups et blessures,
passage en conseil de discipline". Pour ce qui est des interdictions, les
actes brutaux, les brimades intellectuelles, morales et corporelles qui portent
atteinte à la liberté, à l'amour propre sont
prohibés.
Jeune scolaire :
La sociologie, empruntant à l'usage courant le mot
« jeune », a hérité de son
ambiguïté. « Jeune » peut être
utilisé, en effet, pour qualifier un individu ou désigner un
groupe social. Appliquée à un individu, la qualité de
« jeune », indépendamment de son âge,
l'oppose à « vieux » comme
« débutant » ou
« nouveau » à
« ancien », mais elle peut à l'inverse
définir approximativement son âge, en l'opposant à
« enfant » et
« adulte ». Dans cette acception,
«jeunesse » désigne alors le «temps de
la vie entre l'enfance et la maturité » (Dictionnaire
Le Robert, 1995 : sv
« jeunesse ».
Elle peut enfin, quel que soit son âge, lui attribuer
les «caractères propres à la jeunesse »,
c'est-à-dire ceux qui sont associés aux
«nouveaux », aux
«débutants », ou à cet âge de la
vie (crédulité, ingénuité, naïveté,
intolérance, intransigeance, etc.). Ainsi, «les
jeunes » désignent l'ensemble de ceux qui présente
la qualité de «jeune » dans l'une au moins des trois
acceptions proposées : la définition du groupe
«jeunesse » se déduit de celle de l'individu
«jeune ».
La réflexion sociologique sur la qualité de
«jeune » s'est orientée, pour l'essentiel, dans
deux directions : la double opposition «jeune »
/ « enfant » et
«jeune » / «adulte » et
l'opposition «jeune » /
«vieux ». Dans la seconde perspective, on tente de
rendre raison de l'opposition «jeune » /
«vieux » sous ses différentes formes
(«nouveau » / «ancien »,
«novice » /
«expérimenté », «moderne » /
«dépassé », «prétendant » /
«détenteur », etc.) et en différents
«lieux » de l'espace social (familial, travail), espace
social tout entier (Mauger : 1989 : 26).
La jeunesse dans ce travail sera ainsi
appréhendée dans sa déclinaison sociologique comme
«la cellule la plus psychologiquement délicate et fragile du
tissu social » (Nga Ndongo, 1987 : 29). Par jeunesse
scolaire ici, nous incluons tous les jeunes lycéens et collégiens
fréquentant les institutions scolaires et secondaires de la ville de
Yaoundé. Nous nous intéresserons uniquement aux adolescents,
c'est-à-dire aux enfants dont l'âge varie entre 12 et 25
En tout état de cause, l'intérêt
particulier qui est accordé aux jeunes tient principalement à
l'immaturité réelle ou supposée d'une catégorie
sociale qui est une étape cruciale de l'évolution de la personne
humaine.
Pour l'essentiel, la notion de jeunesse a partie liée
avec la modernité. En suivant les travaux fondateurs des sociologues
américains des années 1950, on peut la caractériser par
deux grands traits. Le premier d'entre eux est la relative anomie : la
jeunesse n'est ni l'enfance, ni l'âge adulte, ni la dépendance, ni
l'autonomie. C'est le temps du moratoire, de l'expérimentation d'une
certaine liberté : l'incertitude est encore accrue par
l'affaiblissement de contrôle social.
D'une certaine façon, le temps de la jeunesse est
relativement «dangereux ». Mais, par ailleurs et en
sens contraire, il est aussi celui d'une contrainte d'investissement dans
l'avenir. Dans la mesure où le statut s'acquiert plus qu'il n'est
hérité, les jeunes sont donc cette catégorie sociale
à qui il est demandé de s'engager dans des études et des
formations professionnelles afin de construire, dans leur présent, leur
statut d'adulte. De ce point de vue, l'expérience juvénile est
fortement liée à l'école qui distribue les
«expériences » des individus. La jeunesse est
donc à la fois dominée par la liberté du moment et par la
nécessité de se projeter dans l'avenir (Akoun et Ansart,
1999 : sv «jeunesse »).
Il s'agit donc en fait, d'observer dans les lieux de la
socialisation scolaire que sont les institutions scolaires de second
degré (lycées et collèges), le caractère
«social », la sociabilité des scolaires, ce que
la formule significative de Maffesoli nomme «la socialité
vivante », qui recouvre toute la dynamique des modalités
sociales qui naissent derrière les comportements déviants des
jeunes scolaires, dans ses manifestations les plus quotidiennes et les plus
routinières.
Ethnosociologie :
Nous qualifions la perspective qui est la notre dans la
déviance scolaire d'ethnosociologique. Nous devons à Nga Ndongo
(1975), à Erny (1981, 1991) et à Lapassade (1991) le terme
d'ethnosociologie, utilisé pour caractériser la
démarche de recherche soucieuse de transposer à la sociologie, le
maître dispositif méthodologique de l'ethnologie, à savoir
l'étude directe de la vie sociale. Attentive aux pratiques
observées in situ, l'ethnosociologie ainsi définie
entreprend donc de lier au mieux les singularités du terrain et les
énoncés d'ordre plus général, en précisant
ce que les uns doivent aux autres.
L'intérêt de cette recherche qui se veut
ethnosociologique est donc autant animé par le souci de ne pas traiter
séparément la structure et les activités structurantes
(Coulon, 1988, cité par Beitone et. al. 2000 : 113) que
par l'ambition de mener une étude sociologique de l'ethnos
dans les établissements scolaires secondaires,
c'est-à-dire «le savoir quotidien de la
société (le savoir de sens commun), en tant que connaissance de
tout ce qui est à la disposition d'un membre ».
VIII - PLAN DE
L'ETUDE
Ce travail comprend essentiellement deux grandes parties
d'égale importance qualitative.
La première partie traite exclusivement, en quatre
volets, des questions d'ordre théorique et paradigmatique. Elle porte
sur le cadre conceptuel qui présente les considérations d'ordre
général et théorique sur la question de la
déviance, du contrôle social en rapport avec l'institution
scolaire. Elle pose la déviance scolaire comme une transgression,
socialement perçue, de règle, des normes en vigueur dans
l'institution scolaire. C'est un comportement remettant en cause à la
fois les normes scolaires et la cohésion du système
éducatif. Dans cette division nous essayons de montrer comment, dans
certaines circonstances, l'organisation scolaire peut favoriser chez certains
individus l'adoption de comportements qui seront qualifiés de
déviants, plutôt que l'adoption d'une conduite conformiste, si
l'on s'en tient à la conception fonctionnaliste de la déviance.
De ce point de vue, et en se plaçant à l'échelle des
institutions scolaires à Yaoundé, on peut comprendre que certains
comportements dits déviants soient le fait de certains acteurs
scolaires (les jeunes), non pas à cause de vagues
«tendances » biologiques qui leur seraient
particulières mais, plus simplement, parce que ces formes de
comportements découleraient, en quelque sorte
«naturellement », de la situation sociale dans laquelle
ils se trouvent. Mais, une lecture interactionniste de ce
phénomène en révèle bien vite les limites
théoriques, et montre plutôt que la déviance n'est ni
naturelle, ni biologique, ni physique, mais elle est de nature sociale. Non pas
simplement parce qu'elle s'inscrit dans un système social en tant que
transgression de normes, mais parce que créée par
l'universalisation de ces normes, imposées par les entités
sociales dominantes. L'école crée la déviance puisqu'elle
édicte des règles et définit le «degré de
liberté » possible à l'intérieur de ces
règles.
Toujours dans la perspective de balisage théorique de
l'étude, il s'est agit aussi de situer dans une analyse théorique
plurielle, l'institution scolaire, pour mettre en lumière les
différentes approches de cette institution ; il a été
également question de dresser un tableau synoptique du système
éducatif camerounais et de la relation éducative pour en
présenter l'organisation.
La deuxième partie constitue une sorte
d' «administration de la preuve », pour ainsi
dire, à nos hypothèses de recherche. Elle porte sur les
données collectées. Subdivisé également en quatre
volets, cette partie appréhende les formes de socialité scolaire
de façon concrète, à partir de quelques cas
observés, notamment, des «adaptations
secondaires » qui permettent précisément de
dégager l'axe de la socialité vivante chez les jeunes scolaires
de Yaoundé. Ainsi ont été récapitulées les
modulations de la déviance parmi la jeunesse scolaire, les nouvelles
formes de dynamiques quotidiennes de participation scolaire et de
socialité prégnante qui se reconstruisent derrière le
« brouhaha » des établissements scolaires
à Yaoundé.
Quoi qu'il en soit, la déviance scolaire étant
un phénomène extrêmement complexe et évanescent et
ayant des ramifications dans de nombreuses branches de l'activité
sociale, il devient par là même, comme le dirait Marcel Mauss, un
« phénomène social total ».
Dès lors, il serait pour le moins hasardeux, sous prétexte de
respecter le plan de l'étude, pour reprendre Nga Ndongo (1999),
d'embrigader notre réflexion dans un cadre trop rigide. Comme le sujet
lui-même, notre plan ne se veut, certes pas purement indicatif (ce qui
serait contraire à une nécessaire rigueur scientifique), mais
plutôt vivant, dynamique, et pouvant, en cas de besoin, souffrir de
répétition, voire de redondances non seulement inhérentes
à la nature du sujet traité, mais surtout
bénéfiques à la clarté et à la
compréhension de notre propos.
A l'issue de ces deux parties, nous verrons en conclusions
quels enseignements tirer et quelles perspectives dégager pour la
recherche.
PREMIERE PARTIE
DEVIANCE, ECOLE ET
CONCEPTION DE LA SOCIETE
INTRODUCTION
« Toute sociologie, écrit
Jean Duvignaud, commence par s'interroger sur la sociologie,
comme s'il fallait qu'une révision générale
précédât l'analyse » (Duvignaud, 1966 :
7). Le fait d'amorcer cette première étape de notre
réflexion par des considérations d'ordre général et
théorique revient ainsi à sacrifier à une pratique ou
«une coutume universitaire » (R. Aron, 1962 : 13,
cité par Nga Ndongo, 1999R.) propre aux héritiers de Durkheim.
Procéder, au début d'une entreprise sociologique, a des mises au
point, justifier certains choix, fixer les idées, cela tient, en effet,
à la nature même de cette science qui, aux dire de Raymond Aron,
`'paraît être caractérisée par une perpétuelle
recherche d'elle-même `' (idem).
Toute discussion supposant une analyse préalable, il
convient donc tout d'abord de revisiter l'école en tant qu'institution
qui n'est pas seulement le lieu de la socialisation, mais aussi le lieu des
comportements déviants de tout genre. C'est dire que là
première tâche du sociologue est de «diviser chacune des
difficultés que l'on voudrait examiner en autant de parcelle qu'il se
pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre »
(Descartes, 1981 : 138). Il s'agit bien là de la règle de
l'analyse et de la signification des choses.
L'objet de cette première partie s'articule en quatre
points. D'abord l'analyse de la conception sociale de la déviance,
suivra ensuite, l'exposé de quelques figures paradigmatiques4(*) des foncions de l'école,
le troisième chapitre présentera les logiques de l'école
à partir de son cadre institutionnel et enfin, le quatrième point
fournit au lecteur les informations indispensables à la
compréhension des modalités de fonctionnement des rapports
sociaux qui s'établissent entre les partenaires (enseignant ou
éducateur, enfants ou adolescent, institution, parent), à savoir
la relation éducative.
CHAPITRE I
APPROCHE ANALYTIQUE DE LA
DEVIANCE SOCIALE
La sociologie de la déviance ou, plus
précisément, la sociologie des faits de déviance, s'est
principalement développée dans les pays de tradition
anglo-saxonne, et plus particulièrement aux États-Unis,
après la Première Guerre mondiale. Mais, le problème des
«déviances sociales », c'est-à-dire des
conduites, individuelles ou collectives, contraires aux modèles sociaux
et aux normes instituées, est un de ceux qui posent le plus de
questions à la sociologie du XIXe siècle et du
début du XXe siècle. C'est à son sujet que
Durkheim élabore la distinction du «normal » et
du «pathologique »5(*). Il sera question dans ce chapitre de procéder
à l'analyse de la notion de déviance. Ce faisant, nous allons
tout d'abord définir la notion de déviance, ensuite, nous
tenterons de cerner la réalité qu'elle recouvre et, enfin, de
donner une typologie de cette réalité. Avant d'y arriver, et pour
mieux saisir la notion de déviance, il importe, au préalable,
d'examiner le concept de la socialisation et du contrôle social;
car, en réalité, c'est au regard des résultats de la
socialisation que la déviance est envisagée et prend tout son
sens.
I.1. SOCIALISATION ET
CONTROLE SOCIAL
Au même titre que tous les autres êtres et
organismes vivants, les sociétés humaines se produisent et se
reproduisent, et ce à travers un certain nombre de processus comme la
socialisation.
I. 1.1. La socialisation
Notion fondamentale en sociologie, la socialisation est un
processus d'influence entre une personne et une autre, processus qui aboutit
à l'acceptation de modèles de comportement social et au fait de
s'y adapter. Cela ne veut pas dire que la personne cesse d'être un
individu. Pas plus qu'on ne peut dire qu'une personne «devient
humaine » quand elle apprend à user de son intelligence,
ni qu'une personne «devient sociale » quand elle
apprend à se tenir parmi d'autres. L'être humain est une personne
sociale depuis le commencement de son existence. Mais il subit tout au long de
sa vie des adaptations et des changements continuels. C'est à ce juste
titre que Valentin Nga Ndongo (1999 : 450) affirme que la
socialisation permet de comprendre le processus social de l'action sociale et
de l'interaction sociale, c'est-à-dire des rapports des individus entre
eux, de leurs rapports avec la société, ce qui permet d'expliquer
comment les collectivités humaines existent et se maintiennent et
subséquemment, comment l'individu se rattache à ces
collectivités. Ainsi, selon Guy Rocher (1968 : 132 ), la
socialisation peut se comprendre comme
«Le processus par lequel la personne humaine apprend
et intériorise tout au cours de sa vie les éléments
socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa
personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux
significatifs et par là s'adaptent à l'environnement social
où elle doit vivre. »
De cette définition, il ressort de façon
implicite deux dimensions de la socialisation : objectivement, celle de la
société agissante sur l'individu et subjectivement, celle de
l'individu répondant à la société (Fichter,
1972 : 35) :
- Objectivement, la socialisation est le processus
par lequel la société transmet sa culture d'une
génération à la suivante et adapte l'individu aux modes
acceptés et approuvés de vie sociale organisée. Ainsi, la
fonction de la socialisation est de développer les aptitudes et les
disciplines dont l'individu a besoin, de communiquer les aspirations, les
systèmes de valeurs, les idéaux de vie en cours dans la
société particulière, et spécialement d'enseigner
les rôles sociaux que les individus ont à remplir.
Le processus de socialisation est constamment à
l'oeuvre en dehors de l'individu. Il affecte non seulement les enfants et les
immigrants quand ils entrent en contact avec la société, mais
durant toute leur vie, tous ceux qui font partie de la société.
Il agit sur eux ; il leur procure les modèles de comportement qui
sont essentiels au maintien de la société et de la culture.
- Subjectivement, la socialisation est un processus
par lequel passe l'individu en s'adaptant à ceux qui l'entourent. La
personne reprend les manières d'agir de la société
où elle vit. A partir de l'enfance elle «se
fait » graduellement à la société. Comme le
souligne Fichter (1972 : 35), c'est là un processus de longue
haleine, qu'il implique une grande part de conformité subconsciente et
que cela se particularise toujours dans le temps, à un endroit, dans une
culture et dans une société déterminée.
Ainsi, la socialisation se comprend, finalement, comme le
processus par lequel les individus acquièrent et adoptent la
personnalité sociale de base du groupe auquel ils appartiennent. C'est
en intériorisant cette personnalité de base et en
l'intégrant à la structure de sa personnalité que
l'individu s'adapte à l'environnement social dans lequel il
évolue. Cette adaptation concerne la personnalité individuelle au
triple plan biologique, affectif, et mental (Nga Ndongo, Op. cit.).
Le modèle de personnalité, encore appelé
personnalité typique, mieux, la personnalité sociale de base, est
le socle du processus de la socialisation. Elle est constituée d'un
ensemble de manières collectives de faire, de penser, de sentir,
c'est-à-dire de ce que Nga Ndongo a appelé un «corpus
d'éléments socioculturels et de traits psychologiques
sélectionnés et approuvés par le groupe »,
parmi lesquels les valeurs et les normes jouent un rôle important, car ce
sont bien ces valeurs et ces normes sélectionnées par la
société qu'il s'agit, pour le groupe, d'inculquer à ses
membres, et pour l'individu, d'apprendre, d'intérioriser et
d'intégrer à sa propre personnalité (Nga Ndongo, Op.
cit.). D'après Morin (1996 : 142), la valeur, c'est
«Ce qui vaut, mérite d'être
recherché, une fin à atteindre », par exemple, la
justice, la solidarité, la liberté, etc. Les valeurs constituent
ainsi des références pour les normes qui, comme le
relève Morin, «sont des modèles de conduite (...) et qui
sont sanctionnées socialement. Reflétant l'état des moeurs
et des lois, les normes s'appliquent à une société ou
à un sous-ensemble (profession, organisation) » (Morin,
Op. cit., p. 144).
Si pour l'individu le processus de socialisation, comme il
vient d'être relevé, plus haut, se poursuit toute la vie, c'est au
cours de la tendre enfance que l'intériorisation des valeurs et des
normes sociales est plus intense : la socialisation étant en fait
une éducation et un apprentissage, il est normal qu'elle se
déroule de préférence en cette période de la vie ou
l'individu est encore réceptif et soumis aux apports de l'apprentissage
social, où son champ de représentation est encore embryonnaire,
sa personnalité pas encore formée et son acquis social peu
développé (Nga Ndongo, Op. cit. ).
Le résultat normal de la socialisation, du point de vue
sociologique, est comme le note Rocher dans son Introduction à la
sociologie générale (1968 : t1, 137), de produire une
conformité ou la normalité suffisante des
«manières de faire, de penser et de sentir ».
Une conduite est dite conforme ou normale lorsqu'elle correspond aux normes et
valeurs approuvées par le groupe, lorsqu'elle répond aux traits,
aux caractères de la personnalité typique du groupe. Ainsi, en
circonscrivant les contours de la conformité et de la normalité
à partir des normes et valeurs, le groupe entend, en quelque mesure,
exercer sur ses membres un certain contrôle social. Celui-ci vise, en
dernier ressort, l'intégration sociale des individus à la
société considérée comme une totalité. C'est
dans cet ordre d'idée que Duverger (1966 : 298-299) affirme :
« L'intégration est donc le processus
d'unification d'une société, qui tend à en faire une
cité harmonieuse, basée sur un ordre ressenti comme tel par ses
membres (...) L'intégration comporte deux aspects, l'un négatif,
l'autre positif. Unifier une société, c'est d'abord supprimer les
antagonismes qui la divisent, mettre fin aux luttes qui la déchirent.
Mais une société sans conflit n'est pas réellement
intégrée, si les individus qui la composent restent
juxtaposés les uns à côté des autres, comme une
foule où, chacun est isolé de ses voisins, sans lien
véritable avec eux. L'intégration suppose non seulement la
suppression des conflits, mais aussi le développement des
solidarités. En pratique, ces deux aspects sont parfois
confondus »
Il ressort de cette remarque, tout le problème et toute
l'ambiguïté et la complexité de la socialisation et du
contrôle social. De fait, si la socialisation permet le passage de la
nature à la culture, de l'inné à l'acquis, elle n'est pas
toujours réussie ; elle ne débouche pas automatiquement sur
la conformité et la normalité des conduites ou sur
l'intégration des individus ou groupe d'appartenance. Selon Morin,
«le respect des normes permet une (certaine) variance »
(Morin, Op. cit. p. 144), dans la mesure où
« Les modèles culturels (...) ne
s'imposent pas tous avec une égale force et n'appellent pas tous un
même degré de conformité (...) On s'attend dans toute
société à ce qu'un écart existe entre les
modèles et les conduites effectives, parce que les modèles
n'étant pas tous aussi aisément applicables, ne présentent
pas les même degrés de «réalisme » (...)
Généralement, la société offre un choix entre deux
ou plusieurs modèles ; un des modèles peut alors être
le plus généralement observé dans une
société particulière et revêtir de ce fait un
caractère préférentiel, le recours aux autres
modèles étant alors permis ou toléré, selon le cas
(...) L'orientation normative de l'action sociale comporte également et
en même temps une part de décision. Les sujets, comme d'ailleurs
les collectivités, doivent opter entre des modèles plus ou moins
divergents. La marge laissée à la décision des individus
et des groupes peut être plus ou moins grande, selon les
sociétés et selon les situations ; elle peut être
aussi plus ou moins apparente. Mais elle existe toujours en toute
société » (Rocher, Op. cit. pp.64-66).
Étudiant les rapports de l'acteur au système,
Crozier note qu' «il n'y a pas de systèmes sociaux
entièrement réglés ou
contrôlés » (Crozier, 1977 : 29), d'autant
plus qu'il existe toujours une part de liberté dans toute relation de
pouvoir. De plus, entre les spécialistes des sciences humaines et, en
particulier, entre les sociologues, le débat sur les valeurs et les
normes est loin d'être clos (Nga Ndongo, Op. cit.). A ce propos,
Durkheim soutient que les valeurs constituent un ciment pour la
société ; elles sont la condition de la cohésion
sociale. L'adhésion à des valeurs communes est une source
d'intégration à la société et permet l'acceptation,
pour les individus, des contraintes collectives. Dans la même veine,
Durkheim affirme qu'une société sans normes est menacée
d'anomie, c'est-à-dire l'absence de normes, de régulation, de
solidarité, d'équilibre. Cet « état de
dérèglement » (Durkheim, 1930 : 281)
découle d'une perte du sens des valeurs et débouche sur un
relâchement des conduites, ce d'autant plus que,
« Tant que les forces sociales, ainsi mises en
liberté n'ont pas retrouvé l'équilibre, leur valeur
respective reste indéterminée et, par conséquent, toute
réglementation fait défaut pour un temps. On ne sait plus ce qui
est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est juste et ce qui est injuste,
quelles sont les revendications et les espérances légitimes,
quelles sont celles qui passent la mesure » (Durkheim,
ibid. : 280-281).
Un tel relâchement ouvre la porte à la
transgression des normes qui, elle-même, conduit à ce qu'on
appelle la déviance, c'est-à-dire le recours à des
modèles se situant à la marge (Nga Ndongo, Op. cit.)
Au regard des analyses qui précèdent, il appert
que la perspective durkheimienne élude la notion de la variance
mentionnée plus haut, et donc, par ricochet, celle de la
hiérarchisation des valeurs. De ce fait, il se pose le problème
de l'objectivité de ce qu'il est convenu d'appeler valeurs : les
valeurs sont-elles extérieures à nous ou sont-elles
intégrées à nos actes ? A rebours des thèses
de Durkheim, Weber, appréhende les valeurs et les normes qui y
afférent, comme une source non pas de cohésion sociale, mais
« d'écartèlement et de dilemme pour l'individu,
confronté à une multiplicité des valeurs, au demeurant en
concurrence les unes avec les autres ». D'après Weber,
beaucoup de nos actions ne sont pas rationnelles par rapport à un but
par référence aux valeurs. Pour cette raison il suggère
au sociologue de tenir compte et d'envisager cette référence
à des valeurs lorsqu'il essaie de remonter d'un acte à son sens,
s'efforcer autant que ce faire se peut d'adopter une attitude de
« neutralité axiologique »
(Wertfreiheit) qui lui évite d'immiscer ses propres jugements
de valeur, lorsqu'il cherche justement à comprendre les actions
d'autrui (Cf. Max Weber, 1971 : 22-23).
En dernière analyse, la socialisation, est-il besoin de
le souligner, n'est pas un processus univoque, mais interactif, et comme telle,
source de déviance ; déviance non seulement de la par des
individus qui subissent la socialisation, mais aussi des instances
socialisatrices telle que l'institution-Ecole qui l'imposent et n'admettent
aucune résistance (qui serait pourtant naturelle et la manifestation
même de la socialité au quotidien) à leur action. Et ceci
grâce au contrôle social qui est une extension du processus de
socialisation.
I.1.2. Le contrôle
social
Nous avons vu que la socialisation, signifie en fin de compte
que la personne sociale apprend et accomplit les schémas attendus du
comportement approuvé. Le contrôle social est le mécanisme
qui perpétue ce processus en induisant et en maintenant la
conformité des individus aux modèles.
En réalité, parler du contrôle social
revient à étudier la façon dont s'exerce la pression
sociale. Le contrôle social fait peser sa pression sur les individus pour
qu'ils se conforment au genre de modèles, de rôles, de relations
et d'institutions qui sont hautement appréciées dans la
culture.
La classification du contrôle social peut se faire de
divers points de vue, suivant l'intérêt et le but que l'on
poursuit dans l'étude de la société (Fichter,
1972 :220). Nous examinerons ici brièvement les trois
classifications générales du contrôle positif et
négatif, du contrôle formel et non formel, du contrôle de
groupe et d'institution.
- Certains mécanismes positifs, comme la persuasion, la
suggestion, l'éducation et les récompenses, sont utiles pour
amener les gens à pratiquer les comportements et à apprendre les
attitudes qui sont socialement, approuvés. D'autres formes de
contrôle peuvent être appelées négatives, comme les
menaces, les ordres, les commandements, les contraintes et les
pénalités. Elles sont employées pour détourner les
personnes des comportements et des attitudes antisociales.
Les sociétés et les groupes s'efforcent
d'induire ses membres à faire certaines choses et à en
éviter d'autres, mais ce contraste entre les contrôles positifs et
négatifs ne peut se concevoir que dans l'abstrait. Les deux
opèrent ensemble dans la réalité concrète pour
atteindre leur but : l'individu peut suivre les voies socialement
approuvées soit qu'il recherche des récompenses soit qu'il
veuille éviter des peines ou simplement en raison des deux
espèces de sanctions.
- Une autre classification est celle des contrôles
formels ou non formels. Chaque société ou groupe établit
certaines mesures qui sont formellement conçues pour procurer la
conformité sociale. Ce sont les prescriptions publiques, les ordonnances
et les lois par l'autorité politique ; ce sont les statuts et
règlements d'un club de joueurs de football, les règlements et
commandements d'une église, les règlements intérieurs
d'une école, d'un lycée ou d'un collège, cas qui nous
préoccupe dans cette étude. On les appelle formelles parce
qu'elles sont soigneusement préparées, pleinement
promulguées et rendues obligatoires pour toutes les personnes qui se
soumettent à l'autorité des législateurs. Les
contrôles formels comportent aussi d'habitude une sorte de
procédure officielle de contrainte exécutive.
Les contrôles sociaux non formels sont plus subtils mais
également effectifs. Ils sont employés pour contraindre à
appliquer le genre de comportement dont «chacun sait »
qu'il doit s'accomplir et pour prohiber des modèles qui sont
manifestement désapprouvés au point de vue social. Les
contrôles non formels opèrent positivement par l'applaudissement
et par d'autres marques d'approbation, ainsi que par des gestes comme un signe
de tête ou une tape dans le dos. Négativement ils se manifestent
par la moquerie, la huée, le ridicule.
- Une troisième classification est celle des
contrôles de groupe ou d'institution comme l'école. Le
contrôle social du groupe obtient la conformité par une action
consciente, volontaire et délibérée de la part tant du
contrôleur que du contrôlé. Le contrôle institutionnel
est une réponse subconsciente, souvent non rationnelle de l'individu au
milieu culturel. Même sans y penser, la personne porte avec elle des
modèles de comportement auxquels elle a été
accoutumée par une longue expérience de sa culture
particulière.
Ainsi, le processus éducatif, voie par laquelle la
société transmet sa culture aux générations
successives, a pour but social d'exercer des personnes à accepter les
hautes normes de comportement de la culture et à s'y conformer. Elle
agit à la fois par des systèmes formels et par des
procédures non formelles, mais aboutit finalement à
présenter une personne avertie de la différence entre les
comportements approuvés et ceux qui sont désapprouvés et
qui peut prendre place comme un «membre » dans la
société.
I.2. LA DEVIANCE :
LE DEVIANT ET L'ANORMAL
La déviance, pour certains sociologues, est en quelque
manière que ce soit, un échec, et de l'éducation et de la
pression sociale. Elle manifeste un retard ou une faiblesse de l'effort
intégrateur de la société. A l'époque du
père de la sociologie française, en l'occurrence Durkheim, cette
conception représentait une heureuse façon nouvelle d'attirer
l'attention sur les «responsabilités sociales »
que les théories de l'autonomie de la personne négligeaient
quelque peu. Mais, depuis Durkheim, la recherche sociologique et surtout la
recherche psychosociologique se sont efforcées d'approfondir le
problème de déviance, considéré par lui de
façon un peu trop globale et unilatérale. On en fait
peut-être peu la théorie, mais davantage l'étude clinique
et thérapeutique. De nos jours, un accord s'est fait ou tend à se
faire sur les points suivants (Virton, 1965, t2 : 372) : il existe,
en toute société globale, quels que soient son système
structural et ses normes institutionnelles, des gens qui ne sont pas pleinement
accordés à la vie sociale de la société globale
à laquelle ils appartiennent. Cette
«déviance » n'est pas nécessairement
coupable ; mais la société ne peut s'empêcher de la
considérer comme «pathologique ». Cette
constatation a permis aux adeptes de l'autonomie de la personne humaine
d'accorder une plus grande importance aux conditionnements biologiques,
psychiques et sociaux de l'individu. Il existe donc des déviances
individuelles, mais aussi de véritables déviances
collectives ; des groupes et des milieux existent, dans lesquels il est
plus difficile à l'individu d'acquérir les comportements et les
attitudes de la société globale que d'acquérir ceux de son
propre milieu. Cela pose généralement des problèmes de
reforme sociale. On doit aussi constater l'existence de facteurs personnels,
irréductibles au collectif ou au social : des gens se conduisent de
toute autre façon qu'ils ne devraient logiquement le faire,
étant donné l'historique de leur vie et l'ensemble de
conditionnement auxquels ils ont été soumis. Ainsi, pour le
rappeler, l'homme n'est pas «déterminé »
mais «conditionné » par son milieu ; qu'il
s'en évade parfois ; que la société se transforme
sous l'action de ses membres, action dont les membres peuvent fort bien, par
ailleurs, n'avoir pas voulu ni même perçu toute la portée.
Si le fait des déviances n'a plus de nos jours la même importance
idéologique qu'il eut au début de la sociologie, il continue
à garder une grande importance, soit pour connaître le pouvoir
«intégrateur » d'une société
déterminée, soit pour envisager, d'un plan clinique, les
reformes sociales et les thérapeutiques individuelles qui sont
nécessaires.
Ce paragraphe vise à étudier la typologie des
déviances sociales, les causes de déviance, d'une part, et
à démontrer que la déviance reste un étiquetage
social, une stigmatisation du transgresseur des normes.
I.2.1. La typologie des
déviances sociales6(*)
Les déviances peuvent être classées
selon leurs formes (matérielle ou formelle), selon leurs valeurs
(positive ou négative) ou d'après leurs origines (physique ou
organique, psychique et sociale).
I.2.1.1. Déviance
matérielle et déviance formelle
Sous ces concepts il s'agit des types de déviances qui
s'appréhendent à partir de l'intentionnalité de l'individu
déviant. En effet, l'acte déviant peut avoir un
caractère involontaire (déviance matérielle) ou
plutôt un caractère délibéré (déviance
formelle).
I.2.1.1.1. La
déviance matérielle
La déviance matérielle renvoie au comportement
d'un individu au sein d'une collectivité ou d'un groupe, au sein d'une
collectivité plus grande qui s'écarte du comportement en usage,
sans que ce comportement divergent pose, à proprement parler, la
question d'une opposition dans les attitudes ou les systèmes de valeur.
De fait, cette opposition d'attitude et de valeurs peut fort bien exister, mais
elle demeure sous-jacente. L'entourage social constate une différence de
comportement, mais ne se trouve pas porté à mettre en question
l'opposition d'attitude ou de valeur. Ainsi, quand un élève
gaucher prend son crayon, on lui fait, peut-être fort maladroitement, des
observations, on lui délivre peut-être des blâmes et des
punitions, mais on ne pense généralement pas qu'il «le
fait exprès », par principe bien arrêté.
I.2.1.1.2. La
déviance formelle
La déviance formelle désigne la situation
où l'individu et/ou la collectivité manifestent (ou sont
réputés manifestés) par un comportement différent
de ceux des autres qu'ils ont la volonté délibérée
de s'écarter des modèles ou des normes en usage ; ils ont
donc (ou bien on suppose qu'ils ont) des attitudes et des systèmes de
valeurs divergents de ceux du groupe, du milieu ou de la société
globale.
Cette typologie appelle deux observations : d'une part,
il se peut que l'appréciation sociale considère comme
déviance formelle ce qui n'est, en fait qu'une déviance
matérielle, prêtant au déviant une intention qu'il ne
possède pas. Il en est ainsi chaque fois qu'une autre personne juge
«témérairement » les intentions d'une
autre, parce que celle-ci agit d'une autre façon que la façon
attendue. Et, inversement, elle peut également se tromper et ne voir
qu'un comportement matériellement divergent dans des cas où il a
réellement une déviation formelle.
D'autre part, il est constaté aussi que de telles
divergences de comportement ou d'attitudes ne portent pas nécessairement
sur toutes les valeurs. Il est très rare qu'un homme déteste
absolument tout ce qu'aiment son entourage et la société globale
à laquelle il appartient. Bien plus généralement il
accepte l'ensemble des valeurs admises par les autres, à l'exception de
l'une ou l'autre. Parfois même, il reconnaît les mêmes
valeurs, mais ne les hiérarchise pas de la même façon. De
deux hommes qui aiment l'argent, l'un sacrifiera sa fortune à soigner
des parents pauvres et malades, tandis que l'autre, pour de l'argent,
«serait capable de tuer père et mère ».
Bien qu'elles puissent exister toutes deux
matériellement, c'est dans un contexte de déviance formelle que
se comprennent le mieux les différences entre la déviance
positive et la déviance négative.
I.2.1.2. Déviance
positive et déviance négative
Chaque culture contient à la fois des modèles de
comportement idéaux et réels. Les modèles idéaux,
d'après Fichter (1972 : 232), interprètent les plus hautes
valeurs ; ils s'expriment dans les principes de base auxquels souscrit la
société, mais ils ne sont jamais pleinement
réalisés. Ce n'est pas à eux mais aux modèles
réels que les individus font recours comme à des normes de
conformité ou de déviance. Les moeurs établies et les
coutumes présentent donc les régularités et
uniformités normales auxquelles le sociologue est tenu de faire
référence pour mesurer la déviance.
I.2.1.2.1.
Déviance positive
Il y a déviance positive quand un individu (ou une
collectivité) s'écarte de la hiérarchie des valeurs
couramment acceptée, par l'entourage ou par la société
globale, pour réaliser, consciemment et
délibérément, un système de valeurs qu'il estime
plus élevé.7(*) Autrement dit, la déviance positive est celle
qui se meut dans la direction des modèles idéaux de conduite. En
effet, c'est une tentative de se rapprocher de ces normes idéales que la
société considère elle-même comme supérieures
et de ces formes de comportement que les gens appellent «plus
vertueuses ». La personne ou le groupe orienté
positivement et déviant vers le haut s'élève au-dessus des
modèles réels de pensée et d'action qui sont banals et
toujours répétés. Les déviants dont il s'agit ici
sont les personnes extraordinaires, les saints, les modèles exemplaires
de conduite. Il est souvent plus facile de discerner ce type de personnage dans
la littérature d'un peuple que de le reconnaître dans les
situations sociales concrètes.
Toutefois, certains personnages dans la vie terrestre ont
été traités de radicaux et de fanatiques durant leur vie
mais qui ont été reconnus plus tard comme des déviants
positifs. Les révolutionnaires politiques et religieux ont
été parfois persécutés. Les inventeurs et les
découvreurs ont souvent été ridiculisés par leurs
contemporains. Pareil traitement a été réservé aux
réformateurs sociaux prophétiques et à des innovateurs
dans le domaine de la peinture, de la sculpture, de l'architecture. Ces
exemples montrent que la perspective du temps importe à la
reconnaissance des déviants positifs et que la tolérance et
l'objectivité sont requises à la fois par l'observateur
scientifique.
I.2.1.2.2.
Déviance négative
Il y a déviance négative, au contraire,
lorsqu'un individu (ou collectivité) s'écarte de la
hiérarchie de valeurs couramment acceptée, pour réaliser,
consciemment et délibérément, un ordre de valeurs
considéré comme inférieur, par son entourage ou par la
société globale.8(*) De fait, la déviance négative est, sous
ce rapport, un mouvement dans le sens du comportement
désapprouvé, inférieur et inadéquat. Elle signifie
la conformité à des modes de comportement qui se trouve en
dessous de l'étalon culturel, c'est-à-dire plus bas que les
modèles réels. Ce comportement inférieur est le sens le
plus communément employé du mot
«déviance » dans la littérature
sociologique. Les ouvrages consacrés aux problèmes sociaux
traitent de la conduite déviante négative parce que c'est un
glissement vers le bas depuis le niveau de comportement normal, jugé
acceptable dans une société. Les personnes et les groupes
impliqués dans la déviance sont habituellement marqués
d'un statut social inférieur, et sont regardés de haut par la
société en général.
Ce qui est tout particulièrement intéressant
dans ce concept de déviance, du point de vue sociologique, est moins la
façon d'agir de l'individu ou de la collectivité que la
réaction des autres. En fait, l'appréciation de
l'entourage évoquée plus haut, n'est pas, faut-il le souligner,
purement platonique, mais qu'elle se manifeste par des comportements qui
constituent, sous de multiples formes, la «pression
sociale » pour employer l'expression consacrée. La
déviance, qu'elle soit positive ou négative, comme le souligne
Virton (1965 : 376), « suscite, assez
généralement, des réactions immédiates assez
semblables ». Tout se passe comme si la société
était animée surtout par une certaine «peur de
l'inconnu », et comme si elle s'opposait de toutes ses forces,
à ceux qui auraient prétention de changer l'ordre existant ;
cet ordre est, spontanément, considéré comme
«ordre naturel » ou comme «ordre moralement
bon ».
Par contre, poursuit Virton, le même acte de
déviance suscite des réactions qui varient selon l'entourage
et le milieu auquel cet entourage appartient. Le même comportement,
impliquant une semblable attitude, sera loué ou blâmé selon
que l'on passe d'un milieu à un autre.
De ce qui précède, il est aisé de
conclure que la déviance positive ou négative, matérielle
ou formelle, se rencontre partout et peut faire problème au niveau du
petit groupe aussi bien qu'à celui des grandes sociétés
globales ; elle peut se manifester aussi bien à propos des
comportements les plus élémentaires qu'à propos des hautes
normes institutionnelles et des normes juridiques, morales ou religieuses. Pour
étudier ces déviances, il importe de les classer. On peut le
faire en tenant compte de leur origine.
I.2.2.3. Étiologie
de la déviance
Les déviants sont différents et anormaux en
comparaison de la personne moyenne et du genre moyen de conduite. Mais il y a
des genres de différences et des degrés d'anomalie dans toute
société. Il peut s'agir de non-conformismes extrêmes ou
seulement modérés, d'anormaux au point de vue physique, mental,
moral ou culturel. Cette approche classifie plus qu'elle n'explique, mais
à tout le moins une explication partielle de la déviance peut
résulter du type de classification.
I.2.2.3.1. Des
déviances d'origine physique
Il s'agit, en négatif, du cas des malades et
handicapés ou impotents que leur état de santé
empêche, au moins sur certains points, de mener une vie sociale normale,
et qui sont, de ce fait, une gêne pour leur entourage, une source de
dépenses pour ceux qui les prennent en charge. L'appréciation de
l'entourage ou de leur milieu ou de la société globale est fort
variable, allant de la plus pure charité fraternelle à des
solutions de neutralisation et d'euthanasie.
I.2.2.3.2. Des
déviances d'origine psychique ou mentale
La variété des cas est presque infinie. En
négatif, elle va du simple trouble caractériel ou de
l'originalité marquée à la démence proprement dite.
En positif, elle va de l'intelligence supérieure et du
tempérament énergique au «génie »
et à la «puissance surhumaine ». Parfois, le
positif et le négatif se côtoient et même
interfèrent.
I.2.2.3.3. Des
déviances d'origine sociale
Toutes les déviances citées dans ce chapitre
ont, en effet, un aspect social, tant il est vrai qu'elles sont
étudiées à cause de cela ; mais elles l'ont, pour le
préciser, dans leurs conséquences. Il s'agit ici des
déviances dont l'origine se trouve dans des circonstances
sociales : ce sera, par exemple, le cas d'un individu qui ne reçoit
pas de la société le «statut normal » que
reçoivent «normalement » les autres
membres : le cas de l'enfant orphelin ou abandonné, du
chômeur, de la victime de la pénurie de logements, etc.
I.2.2.4. La
délinquance et la criminalité
Les déviants délinquants ou les criminels sont
sujets à un autre standard de jugement de la part de la
société que les déviants mentaux, physiques et sociaux.
Ils ont un aspect spécifique, sous l'angle de la responsabilité
personnelle. Ce sont des non-conformistes qui délibérément
violent les normes de valeur de la culture. C'est seulement parce qu'ils sont
frappés de peines imposées par la société
elle-même. Leur conduite déviante varie depuis les infractions
sérieuses jusqu'aux plus légères et leurs
irrégularités vont depuis des actions relativement habituelles
jusqu'à des actes occasionnels.
En somme, en définissant la déviance comme une
manière d'agir et de sentir différente de la manière
d'agir et de sentir «des autres », c'est ce terme
«les autres » qui demandera d'être
sociologiquement précisé. En effet, le même acte, de
chacun, sur ce théâtre de la vie sociale, se trouve
apprécié simultanément par le groupe au sein duquel cet
acte est accompli, mais aussi par l'entourage, et parfois par différents
entourages. D'où l'étiquetage et la stigmatisation sociale.
I.3. TRANSGRESSION,
STIGMATISATION ET ETIQUETAGE
Depuis Durkheim et Weber, le rapport déviance/anomie
alimente les réflexions de bon nombre de sociologues.
Pour Merton, la société véhicule des buts
légitimes et des moyens institutionnalisés. La
société devient anomique, d'une part, si les buts l'emportent
sur les moyens et, d'autre part, si les moyens l'emportent sur les buts.
L'individu, quant à lui, s'adapte à la structure sociale des buts
et des moyens de cinq manières : conformisme, innovation,
ritualisme, évasion, rébellion. Ainsi, la déviance qui va
de l'innovation à la rébellion, n'est, en effet, qu'un mode ou un
ensemble de modes d'adaptations à la société
révèle Merton (1997, (1953) :163 et sq.)
En postulant que les individus ne subissent pas les faits
sociaux, mais qu'ils ne cessent de les produire, de les interpréter,
d'assigner du sens aux objets, aux situations et aux symboles, l'analyse
interactionniste va entièrement révolutionner les études
sur l'anomie et la déviance, avec notamment les travaux de Becker et de
Goffman. Ces derniers appréhendent la déviance comme un
«processus social » (Lallement, 1993, t2 : 221).
Pour ces deux auteurs, la déviance ne saurait être, en soi, le
fait de transgression des normes, mais plutôt celui d'être
qualifié comme délinquant par autrui. Becker, fait remarquer que,
c'est le regard que les autres portent sur quelqu'un qui fait de lui un
déviant. L'individu ainsi désigné a ensuite du mal
à se défaire d'une telle étiquette, d'un tel label. En
d'autres termes, la déviance est une construction sociale, «un
processus social» par lesquels certains individus sont
étiquetés, «labélisés »
comme délinquants. Ainsi que le soutient Becker, «la
déviance n'est pas une qualité de l'acte commis par une personne,
mais plutôt la conséquence de l'application, par les autres, de
normes et de sanctions à un «transgresseur ». Le
déviant est celui auquel la collectivité attache cette
étiquette » (Becker, 1963 : 33). La déviance
se comprend donc non pas comme une propriété du comportement
lui-même, mais comme la résultante de
l' « interaction » entre la personne qui
commet un acte et ceux qui réagissent à cet acte :
« On peut considérer la déviance
et les déviants, qui incarnent ces concepts, comme le résultat
d'un processus d'interaction entre des individus ou des groupes : les uns,
en poursuivant la satisfaction de leurs intérêts propres,
élaborent et font appliquer ( par le biais de divers appareils
idéologiques, et de divers agents : entrepreneurs de morales et
grands « stigmatiseurs ») des normes que transgressent les
autres qui, poursuivant également de leur côté la
satisfaction de leurs propres intérêts (qui sont divergents),
commettent des actes qui seront qualifiés de déviants par les
premiers. »
Dans cette perspective, la déviance apparaît,
comme l'expliquent Durand et Weil (1989 :507), comme l'aboutissement
d'un processus complexe, mettant en jeu divers partenaires sociaux et divers
éléments de la vie collective. Le déviant est un individu
qu'un autre individu ou qu'un groupe, ayant pouvoir de le faire aura
stigmatisé et étiqueté comme tel. C'est à ce titre
que Nga Ndongo note «qu'il s'agit là d'une sorte
d'étiquetage par l'environnement social, de déviance secondaire,
par opposition à l'acte de transgression de la norme proprement dit, qui
serait une déviance primaire ».
Sous la grille théorique interactionniste, ce niveau
secondaire joue un rôle important dans l'explication de la
déviance. Pour Goffman (1975, 1963), c'est dans ce second processus
que participent activement ceux qui, comme le médecin, le psychologue,
la police, la famille proche, etc., porte leur regard sur les autres, notamment
les handicapés mentaux, les malades et les exclus sociaux, non mentaux,
les malades et les exclus sociaux, non seulement pour les étiqueter,
mais les stigmatiser, les marquer. Un exemple pratique illustrant la
réalité de ce phénomène de stigmatisation, et
l'imposition de rôle qu'il est susceptible d'induire (le
stigmatisé ayant tendance à conforter, en s'y conformant,
l'image qu'on lui tend, et que l'on attend de lui), est fourni par la vie
sociale : la stigmatisation porte, par exemple, sur les traces de maladie
ou d'accident, les marques de l'alcoolisme, la peau du noir, le comportement du
drogué, les élèves défavorisés, etc. Le
stigmatiseur marque, en effet, une différence et assigne une place et
un statut inférieurs à ces exclus. Le stigmatisé subit
pour éviter un combat inégal, un conflit, voire un lynchage. En
fait, deux types d'identités sociales rentrent en opposition de phase
chez le stigmatisé : une identité sociale virtuelle,
c'est-à-dire celle qu'autrui peut conférer sur la base
d'attributs manifestes, et une identité sociale réelle
fondée sur des attributs effectivement possédés ;
« Il offre l'image d'un moi précaire dont
il peut jouer à son profit ou à l'inverse tenter de corriger la
portée en s'appuyant sur certains traits de son identité
virtuelle. Une autre option consiste à dissimuler, au prix de multiples
petites stratégies, une facette de personnalité potentiellement
dévalorisante, si elle était révélée, comme
l'homosexualité ou, si elle était évidente, comme une
infirmité physique. » (Nga Ndongo, Op. cit ).
A travers ces remarques, se confirment, en
réalité, les travaux antérieurs de Goffman qui, trois ans
durant, avaient porté sur l'observation du monde clos et contraignant de
l'hôpital psychiatrique, sorte d'institution totalitaire où des
individus mènent ensemble une vie de réclusion et dont les
modalités sont imposées et minutieusement réglées.
L'auteur essaie, dans une perspective interactionniste, de montrer que dans
l'univers asilaire, la folie, forme d'aliénation mentale, se redouble
d'une aliénation sociale qui enferme, au fond qui marque,
étiquette et stigmatise les individus dans un rôle de fous
(Goffman, 1961, 1968). Autrement dit, l'identité de la
personnalité de l'univers asilaire obéit ainsi à la
dualité interactionniste d'une déviation primaire et
réelle (la folie) et d'une déviation secondaire (le marquage et
l'étiquetage par la société). Cette double vie, comme le
fait remarquer Nga Ndongo, n'est pas sans engendrer un conflit entre l'individu
et la société. En fait, dans ce combat inégal qu'il
engage contre ceux qui veulent lui imposer une étiquette ou un stigmate,
l'individu perçu, à tort ou à raison, comme
déviant, entre nécessairement en conflit avec les forces et les
groupes dominants (Nga Ndongo, Op. cit.).
Faire abstraction de ces phénomènes de
stigmatisation et d'étiquetage, serait alors proprement avaliser les
valeurs et les normes de la société ou du groupe qui prononce le
jugement de déviance, et substituer à l'analyse sociologique, une
approche idéologique. En réalité, ce que l'étude
des faits de déviance indique, c'est que la notion de déviance
est fabriquée, construite, et qu'elle remplit une fonction sociale. Les
théories de la stigmatisation montrent que celui qui est
étiqueté comme déviant est souvent appelé à
assurer un rôle de bouc émissaire. En cristallisant sur un
personnage honni les images mythiques de la différence, le corps social
proclame corrélativement l'affirmation de son identité mythique
(Durand et Weil, Op. cit., pp. 507-508).
En somme, toute vie sociale se développe entre ces deux
bornes que constituent l'identique et le différent, la norme et la
transgression. Pour qu'il n'y eût pas de déviance,
écrit Durkheim,
«Il faudrait un nivellement des consciences
individuelles qui (...) n'est ni possible, ni désirable ; mais pour
qu'il n'y eût pas de répression (de réaction sociale), il
faudrait une absence d'homogénéité morale qui est
inconciliable avec l'existence d'une société »
(Durkheim, 1930 (1897) : préface).
Ainsi, dans une société, les relations entre
les conduites «normales » et les conduites,
«déviantes » sont-elles
généralement dans un rapport de complémentarité.
Bien plus, la déviance d'aujourd'hui devient la norme de demain. Face
à l'emprise toujours plus prégnante, dans nos
sociétés, de la «rationalité
technologique », qui très démocratiquement
investit et contrôle les corps et les esprits, la présence des
«outsiders », des déviants ou encore, de ces
«étrangers » pour employer le terme de Camus ou
Marcuse, manifeste, en définitive, l'ouverture inaliénable du
champ de l'aventure humaine (Durand et Weil, ibid.)
Naviguant entre norme et transgression, entre
singularité et altérité, la problématique
de la déviance renvoie finalement à la problématique
fondamentale de l'anthropologie. A ce sujet Durand et Weil
s'interrogent :
« Le propre de l'homme n'est-il pas de
s'inventer sans cesse, et la réalité anthropologique ne
consiste-t-elle pas dans la production de différence (les cultures),
à partir d'une matrice invariante (homo-sapiens) ? L'homme social
n'est-il pas tout à la fois, un producteur de normes, mais aussi de
différence ? » (Durand et Weil, ibid.).
En définitive, l'étude sociologique des faits de
déviance enseigne que le déviant, c'est toujours
«l'autre ». En inventant ses déviants qui sont
les négatifs sur lesquels elle refond sans cesse les traits de sa propre
image, la société ne fait, une fois de plus, selon l'expression
de Mauss, que «se payer de la fausse monnaie de son
rêve » (Mauss, cité par Durand et Weil,
ibid).
Cette appréhension conceptuelle étant
élucidée, il est idoine de s'intéresser à
présent au corps de théories du procès éducatif et
de son rapport à la société globale en tâchant de
mettre à jours les modèles d'interrelation entre la
société globale et le sous-système éducatif.
CHAPITRE II
ECOLE ET SOCIETE :
QUELQUES PARADIGMES
SOCIOLOGIQUES DOMINANTS
Tout système scolaire porte la marque de la
société qui l'a produit, et est organisé selon la
conception de la vie sociale, des rouages de la vie économique, des
rapports sociaux, qui animent cette société. C'est pourquoi les
sociologues ont analysé, directement ou indirectement, les liaisons
entre la relation éducative et le système social,
l'éducation étant considérée par eux comme une
institution destinée à socialiser les jeunes, par une
procédure formalisée. S'inspirant des travaux de Postic (1979)
sur la relation éducative, ce chapitre vise à présenter
quelques paradigmes à partir des fonctions implicites ou explicites de
l'école. Il s'agit, en effet, de parler de l'école en mettant en
exergue les attentes et expectatives que la société et les
individus placent en celle-ci (Binyegui, Op. cit. p. 40).
II.1. L'ECOLE, UN
CONCEPT POLYSEMIQUE
L'école fait aujourd'hui l'objet des
préoccupations des hommes de tout bord. Le concept de l'école est
polysémique. Différentes approches permettent d'essayer de
l'appréhender.
En effet, parler de l'école, c'est parler
nécessairement de l'éducation. Les deux notions sont
convergentes. L'école se réfère à des sens et
significations aussi divers que variés. Dans le contexte de cette
étude, l'école est appréhendée sous le sens d'un
«ensemble complexe d'éléments participant de la
formation physique, morale et intellectuelle de la jeunesse dans le cadre des
institutions scolaires ». L'école reste ainsi un cadre
d'échanges, de relations et de contacts où les notions
d'«apprentissage » et
d'«enseignement » occupent une place
prépondérante (Binyegui, 2004 : 39). De fait, l'école
suppose donc qu'il existe au moins quatre éléments
caractéristiques : les apprenants et les encadreurs, d'une
part ; un contenu, à savoir un programme d'enseignement et un cadre
ou un code de transmission dudit programme, d'autre part. Le cadre de
l'école peut être physique, concret, virtuel ou distant.
Dans la foulée des tentatives de définition de
l'école, figurent en bonne place les travaux de Mendo Ze (2000). Ils
révèlent que, dans la conscience d'un ancien élève,
par exemple, l'école évoque tour à tour soit les affres
des premiers contacts avec un milieu qui arrache une personne à sa
famille, soit le souvenir de camarades ayant marqué l'existence de ce
dernier, soit les plaisirs et les déplaisirs, les succès et
l'échec dans un univers qui n'a pas cessé de se complexifier au
fur et à mesure que l'école serrait l'étau sur une vie se
densifiant en fonction des moments, des niveaux, de l'âge, des
enseignants, du contexte et des méthodes de formation.
L'école peut également se saisir à partir
de la pluralité des expressions que ce concept engendre. A l'exemple de
«faire école » pour signifier le fait de se
rallier autour d'un système imitateur et adepte. « Sentir
l'école », c'est-à-dire avoir des manières
gauches et pédantesques. « Tenir
école » pour dire enseigner. « Travail
d'école » pour désigner l'apprentissage. Et enfin,
«basse école » qui traduit l'exercice que l'on
obtient d'un cheval dressé.
Dans une démarche érudite, et pour mieux aborder
les questions liées l'école, les travaux de certaines grandes
institutions internationales telles que l'UNESCO ou l'UNICEF,
révèlent que 130 millions d'enfants dans le monde n'ont pas
accès à cette institution. La majorité d'entre eux, qui
plus est, vivent dans le Tiers-Monde. A ceux qui vont à l'école,
il faut 300 millions d'enseignants et d'encadreurs administratifs, 250 millions
de salles de classes, des budgets nationaux conséquents, des
infrastructures minimales, etc. (Mendo Ze, 2000 : 69).
Cette perspective sociographique présente l'avantage
des statistiques relativement convaincantes, susceptibles d'illustrer efforts
et déficits, avancées ou reculs de l'école : le taux
d'analphabétisme, le taux de scolarisation, etc.
Pourtant, elle ne renseigne pas davantage sur le contenu des
enseignements dispensés encore moins sur les problèmes de fond
posés par les processus de formation.
Sur le plan de la pédagogie, programmes scolaires,
méthodes d'enseignement, éthique de l'enseignant, environnement
et encadrement de l'apprenant sont autant de domaines qui deviennent des
centres d'intérêts. Des interrogations sont ainsi portées
sur la capacité de l'école actuelle à procurer les
savoirs dits fondamentaux : savoir lire, savoir écrire et savoir
compter ; à garantir le savoir-faire : l'apprentissage pour
l'insertion professionnelle et l'entrée dans le monde du travail,
à cultiver le savoir-être : inculquer les comportements
sociaux.
Cette analyse structurée autour
d'éléments pédagogiques a cependant le défaut de
focaliser l'attention sur l'apprenant et l'enseignant, évacuant en
quelque mesure le milieu et la société. Si l'école
produit la société, la société à son tour
produit également l'école. Il existe donc une relation
réciproque et dialectique de l'une sur l'autre.
L'école peut même être aperçue
à travers l'éducation. Concept plus englobant qui aurait
l'avantage d'impliquer l'école tout en la débordant. Cependant
parler d'éducation risque de noyer la préoccupation de cette
réflexion dans un flot de considérations applicables à
d'autres instances d'instruction, de culture ou de socialisation, sans qu'on
puisse faire la différence dans les idées et les concepts. En
outre, d'autres approches de l'école existent. Mais il ne s'agit
guère ici d'avoir la prétention de les connaître toutes et
d'en produire ici une liste exhaustive, ni à plus forte raison, d'avoir
toujours une maîtrise absolue de leurs développements. Mais
davantage d'en étudier les fonctions.
II.2. LE PARADIGME DE LA
DOMINATION
Durkheim est l'un des premiers à mettre en
évidence la socialisation méthodique de la jeune
génération par l'école et la fonction conservatrice de
l'institution scolaire. Il montre que le système d'éducation ne
vise pas, en premier lieu, à l'épanouissement de l'individu, et
qu'il est avant tout le moyen, pour une société, de
l'intégrer dans ses structures. Les fins de l'éducation sont
déterminées par la société qui façonne
à son image la jeune génération. Durkheim voit dans cette
action exercée par le système éducatif le moyen de faire
progresser l'humanité et il invoque la nécessité de
concilier homogénéité et diversité dans la vie
collective, de réaliser une unité et une
complémentarité de fonctions sociales assumées par les
individus. A ces besoins de la société, selon Durkheim, doit
correspondre la diversification et la spécialisation de
l'éducation, puisqu'elle « a pour objet d'adapter l'enfant
au milieu social où est destiné à vivre ».
Dès lors, on comprend que les attaques déclenchées par
divers sociologues actuels contre cette position, parce que Durkheim admet que
l'éducation se calque sur la division en classes et sur la division
non seulement technique, mais sociale du travail. Selon Durkheim,
l'éducateur est le représentant de l'État. A ce titre, il
assume légitimement une position d'autorité à
l'égard de l'élève.
« Ces deux conditions se trouvent
réalisées dans les rapports que soutient l'éducateur avec
l'enfant soumis à son action : 1° L'enfant est naturellement
dans un état de passivité tout à fait comparable à
celui où l'hypnotisé se trouve artificiellement placé. Sa
conscience ne contient encore qu'un petit nombre de représentations
capables de lutter contre celles qui lui sont suggérées, sa
volonté est encore rudimentaire. Aussi est-il très facilement
suggestionnable. Pour la même raison, il est très accessible
à la contagion de l'exemple, très enclin à
l'imitation ; 2° L'ascendant que le maître a naturellement sur
son élève, par suite de la supériorité de son
expérience et de sa culture, donnera naturellement à son action
la puissance efficace qui lui est nécessaire... Bien loin que nous
devions nous décourager de notre impuissance, nous avons plutôt
lieu d'être effrayés par l'étendue de notre
pouvoir » (Durkheim, 1966 : 54-55).
Cette conception du rapport éducatif du maître et
des élèves, fondée sur la domination nécessaire de
l'adulte, ne saurait se comprendre si l'on ne tient compte des conditions
historiques et de la théorie générale de Durkheim dans
l'analyse. En effet, Durkheim établit une relation entre la morale,
conçue comme force d'intégration sociale, et l'éducation,
pour démontrer la fonction sociale de l'enseignant qui détient un
pouvoir moral supérieur à lui, dont il est l'organe, non l'auteur
(Durkheim, 1966 : 131). De plus, les fins de l'éducation, les
moyens pédagogiques et la domination de l'enseignant sont
justifiés par sa thèse de la rationalisation de la morale.
Durkheim est, pour le rappeler, conscient des conséquences
extrêmes de sa théorie : il reconnaît que les rapports
entre maîtres et élèves sont comparables à ceux que
les colonisateurs entretiennent avec les colonies (ibid., :
161-162), et qu'ils risquent d'engendrer des excès, par une
supériorité dont on se grise et qui s'affirme parfois sans objet,
d'une façon brutale, mais il compte sur une régulation provenant
du jeu de ce qu'il appelle l'esprit de discipline, et des contraintes morales
imposées par la société.
Dans le prolongement de cette analyse, Filloux a montré
comment Durkheim a analysé l'abus de pouvoir, car l'enseignant,
l'éducateur, est le représentant de la loi, alors qu'il est
attendu que sa position soit compatible avec l'apprentissage chez
l'élève de l'esprit critique et de l'autonomie de la
volonté. Aussi Durkheim envisage-t-il, pour y remédier,
l'ouverture de l'école sur l'extérieur, la constitution d'une
communauté dans le groupe-classe. Il s'avère donc, que le
rôle du maître est de conduire le groupe, de l'aider à
reconnaître la validité des règles de fonctionnement et
même de l'aider à les élaborer. Dans ce sens, Filloux
relève que Durkheim est « Paradoxalement conduit à
légitimer une pédagogie plus autoritaire que son ambition de
sauver au nom du respect des valeurs individualistes l'autonomie de la personne
ne le laisserait supposer » (Filloux, 1978, p.83-98).
II.3. LE PARADIGME DE LA
PRODUCTION
A rebours de Durkheim qui présente une justification
sociologique de tout système éducatif, les sociologues actuels
s'orientent plutôt vers l'analyse du fonctionnement institutionnel de
l'éducation par rapport à des finalités explicites ou
implicites. Ils poursuivent l'analyse, avec le souci de démontrer le
mécanisme social et de dénoncer l'entreprise. Dans cette
perspective, ils recherchent les fonctions du système scolaire, ils en
examinent le fonctionnement et la logique interne.
Pour être plus précis, divers courants marxistes
replacent les rapports sociaux introduits par l'école dans l'ensemble
des rapports existant au sein d'une société. De fait, les hommes
entrent en rapports déterminés, rapports de production dont
l'ensemble constitue la structure économique de la
société, la base concrète sur laquelle
s'élève une superstructure juridique et politique qui conditionne
les processus de la vie sociale, politique, intellectuelle (Postic, Op.
cit., p.26). Aussi l'ensemble des rapports sociaux est-il un tout
défini, dérivé d'un principe fondamental. Or l'enseignant
entre dans le circuit des rapports de production, sans en être toujours
conscient. Comme l'écrit Lénine, « les hommes
entrent dans des rapports de production, sans même se rendre compte qu'il
s'agit de rapports de production sociaux » (Lénine,
1969 :15).
Dans le même ordre d'idée, Althusser, parlant de
l'idéologie, postule que, à l'occasion de techniques et de
connaissance, s'apprennent à l'école des règles qui
régissent les rapports sociaux, selon la division sociale-technique du
travail, «règles de l'ordre établi par la domination de
classe ». Suivant le poste auquel on est destiné, on
apprend, précise-t-il, les règles de convenance à
observer : il s'agit d'être soumis à l'idéologie
dominante pour les ouvriers, et d'acquérir la capacité à
manier cette idéologie pour les agents de la domination. Par analogie,
le système scolaire, un des appareils idéologiques d'État,
que Althusser distingue de l'appareil répressif d'État à
l'exemple de la police, de l'armée, des tribunaux, est celui qui assure
avec efficacité la reproduction des rapports de production, par
l'existence des niveaux de qualification qui correspondent à la division
du travail, et par la pratique de l'assujettissement à
l'idéologie dominante. Les filières qui existent à
l'école sont le reflet de la division de la société en
classes, et elles sont destinées à maintenir les rapports de
classe (Althusser, 1970).
Dans la même veine, Baudelot et Establet (1971) montrent
concrètement que l'école est au service de la division sociale du
travail par l'existence de deux réseaux de scolarisation,
déterminés par la séparation du travail manuel et du
travail intellectuel, par opposition entre une classe dominée et une
classe dominante ; un réseau primaire-professionnel et un
réseau noble, secondaire-supérieur. Cependant, ils ne mettent pas
en cause directement, dans cet état de fait, la relation
pédagogique, parce que ni les origines sociales des
élèves, ni les modalités pédagogiques,
n'expliquent, selon eux, les différences fondamentales entre les
élèves : elles transforment seulement les différences
en divisions de classes, qui trouvent leur véritable justification dans
la reproduction des rapports sociaux de production. Pour ces mêmes
auteurs, la fonction de l'école apparaît être la
sélection des enfants, fondée sur les inégalités
qu'elle provoque, pour affermir la hiérarchie sociale. Dans cette
logique, l'échec scolaire ne provient pas d'un mauvais fonctionnement de
l'école ; il est, au contraire, nécessaire à son
fonctionnement normal, qui implique une sélection opérée
surtout par le retard scolaire.
Baudelot et Establet examinent aussi les fonctions globales de
l'école, sur les supports techniques (apprentissage de la lecture par
exemple qui servent à créer la division entre ceux qui
accéderont à ce qu'ils ont convenu d'appeler « le
réseau primaire-professionnel » et ceux qui seront dans
« le réseau
secondaire-supérieur ». Pourtant, si l'objectif
immédiat de leur analyse tient dans la critique de l'image mythique
d'une école «unifiée et unifiante », il
en découle par contre-coup une esquisse de ce qu'on pourrait nommer la
structure contradictoire du rapport éducatif dans le système
actuel. L'enseignant est voué à sélectionner une
élite dans le moment même où il alphabétise la
masse.
A contrario, le courant de la sociologie européenne,
avec pour chefs de fils Bourdieu et Passeron, et le courant de l'analyse
institutionnelle abordent plus directement les liaisons entre la relation
éducative et les situations scolaires institutionnalisées, et ils
en relient l'analyse à la logique de l'institution et aux conditions
sociales dans lesquelles celle-ci fonctionne.
II.4. LE PARADIGME DE LA
REPRODUCTION
Pour l'essentiel, Bourdieu et Passeron (1964, 1970)
soutiennent la thèse selon laquelle le système éducatif
est calqué sur la société hiérarchisée, et
comme il est élaboré par une classe est élaboré par
une classe privilégiée, qui détient la culture,
c'est-à-dire les outils fondamentaux (savoir, savoir-faire, et surtout
savoir-dire), il vise à la conservation du pouvoir culturel de celle-ci.
Leur démonstration met en relief la contradiction entre l'objectif de
démocratisation de l'enseignement avancé par le système,
et le processus de sélection qui élimine une classe
socioculturelle de jeunes et qui favorise les
«héritiers ». Le système d'enseignement
remplit « sa fonction sociale de légitimation de la
culture dominante », de la
« conservation » et de sélection ; il
« contribue à la reproduction de l'ordre
établi », en dissimulant sa fonction.
Les auteurs replacent ainsi la relation éducative dans
un mécanisme social dont l'enseignant est un rouage fondamental. A ce
propos, ils soulignent que :
« Réduire le rapport pédagogique
à un pur rapport de communication, ce serait s'interdire de rendre
compte des caractéristiques spécifiques qu'il doit à
l'autorité de l'institution pédagogique ; le seul fait de
transmettre en message dans un rapport de communication pédagogique
implique et impose une définition sociale (d'autant plus explicite et
codifiée que ce rapport est plus institutionnalisé) de ce qui
mérite d'être transmis, du code dans lequel le message doit
être transmis, ceux qui ont le droit de le transmettre ou, mieux, d'en
imposer la réception, de ceux qui sont dignes de le recevoir et, de ce
fait, contraints de le recevoir, et enfin, du mode d'imposition et
d'inculcation du message qui confère sa légitimité et
par-là son sens complet à l'information transmise »
(Bourdieu et Passeron, 1970 : 136).
Au regard de cette affirmation, l'autorité de
l'enseignant, pour Bourdieu et Passeron, provient du privilège qui lui a
été conféré d'être le représentant de
la culture instituée et d'être l'agent de sélection
culturelle au moyen de l'instrument qu'est le verbe. Les auteurs placent au
centre de leur analyse de la relation éducative le rôle
joué par le langage, car ils considèrent l'acte
pédagogique comme «action d'imposition ou d'inculcation d'une
culture légitime » (ibid. p.134). Les
élèves d'une origine socioculturelle modeste apparaissent comme
défavorisés par leur handicap de langage. De nombreuses
études ont précédé celles de Bourdieu et Passeron
à ce sujet, celles de Sampson, de Mitchell, de Bernstein, de Girard et
ses collaborateurs en France.
Par exemple, les travaux de Bernstein (1961) s'attachent
à examiner les différences linguistiques anglo-saxonnes entre la
classe populaire, chez qui se manifeste une résistance à
l'éducation formelle, parce qu'elle possède une façon de
percevoir, caractérisée par une sensibilité au contenu
plutôt qu'à la structure des objets, et la classe moyenne, chez
laquelle apparaît une rationalité qui lui permet d'accéder
à ce type d'éducation. Pour cet auteur, non seulement le
vocabulaire, mais surtout la manière d'organiser ce qu'on vit, ce qu'on
apprend, manière concrète et descriptive dans la classe
ouvrière, analytique et abstraite dans la classe non manuelle, agissent
sélectivement sur le mode et le contenu des communications. Selon
Bernstein, la structure sociale engendre des formes linguistiques ; la
forme culturelle de chaque de chaque classe détermine les relations
entre les individus, car la communication se poursuit sur un fond
d'identifications étroitement partagées et d'empathie affective
qui suppriment le besoin d'une expression verbale élaborée.
Ainsi, les difficultés rencontrées dans la
relation éducative proviendraient du fait que les enseignants emploient
un langage abstrait, correspondant à leur culture et dans lequel ils se
meuvent facilement, alors que les élèves se distinguent entre eux
par leurs possibilités de perception et de compréhension de ce
langage informel, au code élaboré. Les enfants se
différencient peu à peu par leur aptitude, en grande partie
déterminée par leur origine sociale, à acquérir la
forme linguistique en usage à l'école.
Cette analyse permet de tirer des conséquences
intéressantes. La relation établie entre l'enfant issu d'une
famille ouvrière et l'enseignant apparaît de nature conflictuelle,
parce que les références culturelles sont différentes.
C'est un changement d'identité culturelle que demande l'école aux
enfants appartenant à des milieux sociaux dont la culture est
singulière.
A partir de cette constatation, des travaux
psychopédagogiques, partant de réformes linguistiques à
l'école9(*),
cherchent à favoriser une modification d'attitudes et de comportements
de l'enseignant à l'égard des cultures extra-scolaires, et
surtout à l'égard des enfants des classes sociales
défavorisées. Le rôle du maître est, en effet, de
permettre à l'enfant d'approprier les moyens qui lui permettront de
communiquer et d'agir.
En revanche, cette notion de milieu, utilisée dans les
travaux des chercheurs, est contestable, dans la mesure où elle ne rend
pas compte de la réalité psychosociologique du concept de classe
sociale (Moscato et Simonot, t.XXX, 1977 : 10-13). De plus, on peut
reprocher à Bernstein, Bourdieu et Passeron qui ont des approches
similaires de la réalité du langage scolaire, de rester à
des généralités théoriques, et de ne pas analyser
les mécanismes qui apparaissent au fur et à mesure de la
scolarité de l'enfant. Lorsqu'ils cherchent un support concret à
leur démonstration, ils se réfèrent à
l'apprentissage du code linguistique de la philosophie (Bourdieu et Passeron,
1965) ou bien ils font appel à leur expérience de l'enseignement
supérieur. Dans la communication scolaire, ils ne voient que le cours
magistral et exposé. Il est facile de présenter l'enseignant
comme une virtuose du verbe, faisant d'une exhibition dans l'espace
traditionnel de la salle de classe, et de mettre en relief la situation de
distance qui y est introduite par rapport aux étudiants.
« Entre toutes les techniques de distanciation
dont l'institution dote ses agents, le langage magistral est le plus efficace
et le plus subtil : par opposition aux distances inscrites dans l'espace
ou garanties par le règlement, la distance que créent les mots
semble devoir à l'institution. Le verbe magistral, attribut statutaire
qui doit à l'institution la plupart de ses effets puisqu'il ne saurait
jamais être dissocié de la relation d'autorité scolaire
où il se manifeste, peut apparaître comme qualité propre de
la personne alors qu'il ne fait que détourner au profit du
fonctionnaire un privilège de la fonction » (Bourdieu et
Passeron, 1967 : 136).
On voit par ce qui précède que la relation
pédagogique, si l'on suit la pensée de Bourdieu et Passeron dans
ses fondements institutionnels, reste une relation figurative, mais non
dialectique, car elle élimine tout mouvement compensatoire, et elle
établit une hiérarchie graduée de positions. Elle est
dominée par un modèle culturel qui est le point d'aboutissement
de l'effort pédagogique.
Pour l'essentiel, l'action de l'enseignant se présente,
pour Bourdieu et Passeron, comme une transmission du modèle de culture
dominante, et la relation éducative est, pour eux, le schème d'un
rapport social, celui de la «perpétuation des rapports
établis entre les classes dominantes. L'enseignant n'en est pas
conscient, affirment-ils, parce qu'il a accédé au
privilège de la culture et qu'il émet des jugements en fonction
de celle-ci. Il attribue alors aux dons nombre d'inégalités qui
sont d'abord des inégalités sociales » (Passeron,
1967 : 154).
En dépit d'une certaine séduction qu'exerce
l'analyse générale du système éducatif faite par
Bourdieu et Passeron, elle manque de support réel quant elle aborde la
relation éducative.
Les critiques formulées par Snyders (1970) permettent
de s'interroger sur le rôle de l'école dans la
société. Selon lui, elle ne crée pas les situations
d'inégalité par un parti pris, même inconscient, et les
difficultés d'élèves des classes
défavorisées sont plutôt l'expression de leurs
difficultés générales provenant de la structure sociale.
L'école « est un terrain où s'affrontent les forces
du progrès et les forces conservatrices. Ce qui s'y passe reflète
et l'exploitation et la lutte contre l'exploitation » (Snyders,
1970 : 98).
Boudon, quant à lui, reproche à Bourdieu et
Passeron leurs positions finalistes. Ces derniers supposent que les structures
sociales ont un effet de régulation sur les comportements des individus,
et que ceux-ci se soumettent à des régularités
perceptibles au niveau de la société tout entière.
S'agissant de la relation éducative proprement dite,
on relève une contradiction interne chez les auteurs. Dans Les
Héritiers, Bourdieu et Passeron (1964 :112) préconisent
une pédagogie rationnelle ; notamment celle qui
« Devrait prendre en compte le contenu de
l'enseignement ou les fins professionnelles de la formation, et, envisageant
les divers types de rapports éducatifs, elle ne devrait pas oublier leur
rendement différentiel selon l'origine sociale des étudiants. En
toute hypothèse, elle est subordonnée à la connaissance
que l'on se donnera de l'inégalité culturelle socialement
conditionnée et à la décision de la
réduire »
Pourtant, dans leurs travaux, est délaissée
l'étude des divers types de rapports pédagogiques existant
actuellement selon les types d'établissements et les modalités
pédagogiques ; ils négligent l'analyse différentielle
du rôle du langage et du rôle des activités manipulatoires
et/ou opératoires, par exemple.
Dans une perspective critique, les partisans de l'analyse
institutionnelle reprochent à Bourdieu et Passeron de mener une analyse
du fonctionnement du système, en recherchant les facteurs
déterminants dans la reproduction d'une discrimination socioculturelle,
les mécanismes de sélection ayant pour but de maintenir les
structures sociales. Cette position fonctionnaliste laisse de
côté, selon Guigou (1971) les rapports dialectiques entre une
institution éducative et la demande sociale, et elle risque de
légitimer les appareils de contrainte sur le plan idéologique ou,
plus insidieusement, de fournir des moyens de remanier le système.
Lourau (1971), quant à lui, va attaquer vivement la vision
«rationaliste » de Passeron. Celui-ci affirmait que
«le rapport pédagogique actuel est à la fois peu
efficace (dans la transmission d'informations comme dans la
formation) » et il montre que tout comment toute
évolution du rapport éducatif suppose une prise de conscience
rationnelle des modifications fondamentales à apporter, notamment des
«coûts » à assumer, c'est-à-dire
des conséquences nécessaires (obligation des uns à
l'égard des autres, contraintes matérielles et morales)
entraînées par la modification. Pour Passeron (1967), renoncer au
cadre traditionnel, c'est pour l'enseignant comme pour l'apprenant, perdre de
la liberté : l'un à son isolement, à son
indépendance, doit quitter le monologue pour s'ouvrir aux attentes des
enseignés ; l'autre, en contrepartie, doit se soumettre à
une régularité dans la présence et dans son travail. A
contrario, Lourau suggère de «prendre comme objet de
connaissance ce que les rationalistes considèrent comme
altération ou obstacle extérieur à la
connaissance », et il ne s'agit pas d'évaluer le
degré de rationalité de l'intervention pédagogique,
puisque c'est le système dans son ensemble qui est à
considérer (Postic, Op. cit p. 34).
II.5. L'ANALYSE
INSTITUTIONNELLE
Pour le courant de l'analyse institutionnelle, la question des
relations enseignant-enseigné est une «question
écran » (Guigou, 1971), car c'est d'abord le rapport que
l'enseignant entretient avec les institutions, soit à l'occasion de la
nature de la tâche (programme imposé par les instructions
officielles, emploi du temps, contrôle, etc.), soit lors de son
déroulement (discipline, règlement intérieur, relations
dans l'établissement), qui a besoin d'être examiné en
priorité pour que soit faite l'analyse des implications
institutionnelles de l'enseignant dans la situation éducative.
Dans une démarche tout à fait opposée,
Lourau (1971) fait observer que la fonction
«bureaucratique » de l'enseignant apparaît, par
ses actions de conservation, de diffusion, de contrôle et de sanction du
savoir. L'enseignant, affirme-t-il, a acquis une autorité par le savoir,
reflet idéologique de la société dominante, et il incarne
la contrainte de l'Etat et de son pouvoir. Placé dans une situation
d'ascendance sur l'élève, il reproduit dans la classe les
modèles en usage dans la société qu'il représente.
La structure de la relation éducative apparaît à l'auteur
comme le reflet de la structure sociale hiérarchisée, et comme le
produit d'un ordre rationnel.
L'analyse institutionnelle s'intéresse à la
relation pédagogique pour appréhender l'effet analyseur qui
«intervient chaque fois qu'une relation de pouvoir (comprenant ou non,
officiellement, une relation au savoir) s'instaure dans la
pratique » (Lourau, 1973). Ce sont surtout les
éléments perturbateurs survenant dans l'organisation qui,
selon les tenants de cette approche, révèlent les
déterminants de la situation. Il s'avère donc que, ces analyseurs
peuvent être aussi bien des conflits entre l'enseignant et les
élèves, entre un sous-groupe déviant et le reste de la
classe, que le conflit entre l'enseignant et ses supérieurs
hiérarchiques (chefs d'établissement, censeur, inspecteur, etc.).
Chercher dans quelles circonstances un événement produit des
effets analyseurs, c'est réunir les outils de la connaissance des
implications institutionnelles dans la situation. Ainsi est mise en
évidence la notion de pouvoir et de la séparation qui
s'établit entre l'enseignant et l'enseigné par la distance au
savoir. L'enseignant garde son privilège en conservant une partie de
l'information, en n'accordant qu'une fraction ou même en conditionnant
l'enseigné à accepter de ne pas savoir.
Mais le but de l'analyse institutionnelle n'est pas d'apporter
à l'enseignant un feed-back, au sens où on l'entend en
psychosociologie, qui donne les moyens d'une régulation et d'une
révision de l'organisation. Expliquant l'évolution du mouvement,
Lapassade (1973), montre que l'analyse institutionnelle a cherché, dans
un premier temps en France, à transformer les institutions de
l'intérieur afin de les rendre éducative ou
thérapeutiques, qu'elle à évolué ensuite, sous
l'influence des Anglo-Saxons, vers une interrogation des institutions, de
l'extérieur, en s'attaquant aux principes, et qu'elle rejoint par
là l'anti-école. Créer de nouvelles formes
éducatives, même en rupture avec les structures institutionnelles,
concourt à assurer la pérennité de l'institution, soutient
Rouchy (1973). Toute contre-institution n'introduit qu'un «conflit de
groupes ou d'organisations dans l'institution et au nom de
celui-ci », et elle nie « la conflictualité
sociale présente dans les organisations en la
déplaçant », partant du principe que si les
institutions changent, on pourrait changer subséquemment l'organisation
de la formation.
Il ne s'agit pas pour l'analyse institutionnelle, de
proposer des changements dans l'organisation de la situation pédagogique
pour améliorer la relation et y introduire des formes plus
libérales, et ce d'autant plus elle pose aussi comme principe que ce
qui est institué limite les possibilités se
l'instituant.
En somme, les études institutionnelles ont le
mérite d'avoir montré que la relation éducative, jeu
interpersonnel en apparence, provient de modèles sociologiques, et
qu'elle calque ces modèles et les reproduit dans des manifestations
quotidiennes. Elles ont souligné aussi la position-clé,
politique, que l'école a dans la société ;
l'école est toujours utilisée comme moyen en vue d'une fin qui la
dépasse. L'enseignant est amené à voir lucidement sa place
dans le réseau dans les rapports entre les élèves et
lui-même. Il s'avère donc, à part de ce qui
précède, qu'il est quasi impossible d'abstraire les rapports
entre enseignants et enseignés de l'ensemble de l'organisation du
système d'éducation, de ses fonctions sociales, de ses liens avec
la société globale. Les processus de fonctionnement de la
situation éducative résultent nécessairement des
conditions qui s'établissent entre école et le système
social, et qui introduisent des rapports de force entre les partenaires en
présence, rapports qui reproduisent ceux qui existent dans la
société. La relation éducative, dans ses formes
instituées, apparaît alors comme la préfiguration des
rapports que trouveront les élèves dans la
société.
Les études sociologiques mettent en évidence que
le mécanisme de pouvoir de l'action éducative est
inséparable du pouvoir social, et que le pouvoir social commande le
pouvoir pédagogique, en se servant de celui-ci pour s'affirmer et pour
se consolider. Elles font apparaître les réalités
observées de la relation pédagogique comme conséquences du
fonctionnement du système global, notamment le rapport à base de
domination de l'enseignant introduit dans la relation éducative,
reflétant le système de stratification sociale. Et comme
l'éducation, instrument d'action socialisante, permet
l'intégration des normes chez les jeunes et le maintien des
modèles, la pratique de la relation dans les institutions
éducatives établit des règles dans les rapports et
élabore des structures de rapports hiérarchiques entre les
hommes.
Or actuellement, l'ensemble des normes régissant la
relation éducative est contesté dans le monde et au Cameroun,
parce ce qu'elles se fondent sur une structure destinée à faire
respecter un pouvoir, d'autant plus aliénant qu'il est anonyme, d'autant
plus angoissant qu'il s'exerce par l'intermédiaire de personnes qui
s'expriment au nom d'une série d'autres personnes, totalement inconnues
de celles qui exécutent. Ainsi pour les adeptes des analyses
déterministes ou holistes de l'institution scolaire, la crise des
systèmes éducatifs se rattache à la crise
générale de la société, qui a ses racines dans le
politique.
CHAPITRE III
LES FONDEMENTS DU SYSTEME
EDUCATIF CAMEROUNAIS
Dans le chapitre précédent, nous avons voulu
réaliser une synthèse unifiée de différents
paradigmes sociologiques considérés aujourd'hui comme dominants,
car, faut-il le souligner, tout système éducatif tire son
intelligibilité des approches théoriques évoquées
plus haut. Comme on peut le constater, l'école assume, aujourd'hui, des
fonctions qui sont diversifiées et parfois dissimulées à
l'examen superficiel : elle a la charge de la sélection, de
l'endoctrinement, de l'instruction, pour le dire de façon laconique. Ce
chapitre vise donc, à parler du système éducatif, en
allant vers ce que l'on pourrait appeler «une
phénoménologie de l'école ». Son
étude doit nous permettre de mieux évaluer et
d'appréhender son rapport avec les comportements déviants de la
jeunesse scolaire.
III.1. EDUCATION ET
MODELE EDUCATIF
Avant d'arriver à l'étude du
système éducatif proprement dit, il y a lieu de préciser
deux notions importantes. Il s'agit de la notion d'éducation et celle du
modèle éducatif.
III.1.2. Le concept
d'éducation
L'école est une expression privilégiée
de la société qui lui confie le soin de transmettre aux enfants
des valeurs culturelles, morales, sociales, qu'elle juge indispensable à
la formation d'un adulte et à son intégration dans son milieu.
Elle se présente donc comme le dépositaire des valeurs
essentielles d'une société. Des sociologues français
à l'instar de Comte, Durkheim en particulier, ont accordé
à l'éducation une place considérable dans
l'édification de leur théorie. La définition que Durkheim
donne de l'éducation s'apparente à une conception sociologique de
l'adaptation et confère à l'école une mission sociale
(Mollo, 1969 : 6 ).
« La société se trouve donc,
à chaque génération nouvelle, en présence d'une
table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveau frais.
Il faut que, par les voies les plus rapides, à l'être
égoïste et asocial qui vient de naître, elle en surajoute un
autre, capable de mener une vie morale et sociale... Elle ne se borne pas
à développer l'organisme individuel dans le sens marqué
par la nature, rendre apparentes des puissances cachées qui ne
demanderaient qu'à se révéler. Elle crée dans
l'homme un être nouveau » (Durkheim, 1966 : 42).
Fidèle à l'image antique du maître et de
son disciple, l'éducation se présente avant tout comme une
transmission du savoir. Au sens large et le plus commun, l'éducation
s'oriente nettement vers une vocation sociale ; elle comprend tous les
processus qui transmettent aux jeunes générations des
connaissances ou des types de comportement déterminés qui
garantissent la continuité de civilisation d'une
société.
C'est sur cette conception sociologique de l'éducation
qui tend à former dans l'homme l'être social que repose toute la
théorie pédagogique de Durkheim : « L'homme
que l'éducation doit réaliser en nous, ce n'est pas l'homme tel
que la nature l'a fait, mais tel que la société veut qu'il
soit » (Durkheim, 1966 : 90).
C'est en référence à cette
idéologie qu'au Cameroun, l'école se donne pour mission de
réaliser un homme qui sera un citoyen patriote, éclairé,
bilingue (Français-Anglais) et maîtrisant une langue nationale
enracinée dans sa culture, mais ouvert au monde, créatif,
entreprenant, tolérant, fier de son identité, responsable,
intègre, respectueux des idéaux de paix, de solidarité, de
justice et jouissant des savoirs, savoir-faire et du savoir-être (cf.
Etats généraux de l'Education au Cameroun, 1995).
III.1.2. Le modèle
éducatif
En sciences humaines, le modèle est une forme
particulière de représentation qui se caractérise par son
aspect normatif. Nous rejoignons ainsi les considérations philosophiques
qui préludent à toute définition de l'éducation.
« Quel type d'homme, quel modèle d'homme vise-t-elle
à former ? ». On peut alors comprendre
l'éducation dans un sens très large, «comme une action
tendant non seulement dans un aspect négatif à éviter la
formation de personnalité d'allure pathologique, mais à orienter
l'évolution (et c'est l'aspect positif) vers des formes de
personnalités » (Mialaret, 1964, cité par Suzanne
Mollo, 1969 : 12 ).
Cette définition pose ainsi le problème du
profil d'homme qu'il s'agit de former. Malgré le caractère aigu
de la crise qui a secoué, dès les années 1970, les
systèmes éducatifs africains en général et
camerounais en particulier, les réponses apportées à cette
question peuvent être rangées dans ce que Mvesso (1998) a
appelé «le modèle de `' l'École du
comment'' »10(*), ce modèle d'école qui consiste,
observe Mvesso, à faire «intérioriser les codes
culturels européens, dans une langue européenne et à
obtenir le label magique : le diplôme, véritable
ticket-miracle pour l'intégration socioprofessionnelle »
(2005 : 19). Tout le système éducatif camerounais actuel est
ainsi largement tributaire du modèle des années soixante,
c'est-à-dire, un ensemble de structures scolaires léguées
directement par les puissances coloniales, en l'occurrence l'Angleterre et la
France qui venaient «d'octroyer » l'indépendance
au Cameroun (idem).
III.2. SYSTEME ET
POLITIQUES EDUCATIVES
Parler des politiques éducatives,
c'est parler à coup sûr du système éducatif.
Celui-ci renvoie à un ensemble complexe d'éléments divers
participant de la formation physique, morale et intellectuelle de la jeunesse
dans le cadre des institutions scolaires. Il est donc constitué
d'institutions physiques et morales à but scolaire, des politiques
éducatives, des programmes scolaires, d'un système
d'évaluation, de structures et infrastructure diverses concourant
à l'oeuvre éducative (Binyegui, 2004 : 14). C'est d'ailleurs
la raison pour laquelle cette notion se confond avec celle d'école qui
vient d'être défini, et ont un rapport d'équivalence. Aussi
le système éducatif camerounais et école camerounaise
renverront-ils au même réel.
Généralement employée au pluriel, la
notion de politique (s) éducative (s) occupe une place importante dans
tout système d'enseignement, dans la mesure où, ce sont les
politiques éducatives qui définissent les conditions d'existence
et de fonctionnement de celui-ci. La notion de politiques éducatives se
réfère aux buts avoués du système éducatif.
Dans cette perspective, G. Ntebe Bomba (2001 :111), observe que, les
politiques éducatives «...expriment (...) la façon dont
une société se pense elle-même, se veut, se projette dans
l'avenir. Elles expriment donc aussi les rapports de force dans une
société, la domination socio-économique, mais
également la domination symbolique et culturelle ». Cela
revient donc à dire que les politiques éducatives sont comme des
vecteurs de la philosophie, de la vision du monde dont se dote un peuple. Plus
précisément, la notion de politiques éducatives peut
être assimilée à celle d'idéologie.
C'est-à-dire un ensemble de croyances, de valeurs, de convictions et
d'objectifs à atteindre que se fixent les valeurs à transmettre
aux apprenants. C'est de ces politiques éducatives que
découlent, en réalité, les conditions et les cadres de
déroulement du processus enseignement-apprentissage. Elles sont
à la base du processus de conception du système et l'orientent
tout au long de sa mise en oeuvre. Même au sortir du système, ce
sont elles qui, au travers des finalités qu'elles définissent,
permettent d'apprécier le résultat en fin de formation. Quoi
qu'il en soit, les politiques éducatives se fondent sur le
`'modèle d'homme à former''. Réalité abstraite,
subtile et toujours non observable de façon manifeste, les politiques
éducatives sont au fondement du système éducatif et
influent de tout leur poids sur la nature des institutions scolaires. En effet,
le fonctionnement, l'organisation et la nature des institutions et structures
participant de l'oeuvre éducative d'une société sont
définis par les politiques éducatives.
Les politiques éducatives se matérialisent et se
manifestent, dans les sociétés modernes, par des textes de loi et
autres décisions administratives. Ces textes qui peuvent se
présenter sous diverses formes ou formules (arrêtés,
décrets, lois, circulaires, résolutions, etc.), posent et
énoncent les buts ainsi que les objectifs poursuivis par l'entreprise
éducative au sein du groupe social. C'est donc de cet ensemble de textes
que se dégage ce qu'il est convenu d'appeler la `'philosophie du groupe
social''. Celle-ci renseigne alors sur le `'modèle d'homme à
former''.
La loi N°98/004 du 14 avril portant orientation de
l'éducation au Cameroun se présente comme les lanternes des
politiques éducatives du Cameroun. C'est cette loi qui fixe les grandes
lignes et orientation normative du système éducatif
camerounais.
III.2.1. Configuration du
système éducatif camerounais
Le système éducatif camerounais renvoie en
réalité à un ensemble composite de deux systèmes
scolaires distincts et différents, l'un de l'autre. Il est
organisé autour d'un sous-système anglophone et d'un
sous-système francophone. Chacun des deux ensembles présente des
traits caractéristiques particuliers qui le démarquent de
l'autre. La loi de l'orientation de l'éducation au Cameroun, textes de
référence du domaine scolaire au Cameroun, précise en son
article 15
« (1) Le système éducatif est
organisé en deux sous-systèmes, l'un anglophone, l'autre
francophone, par lesquels est réaffirmée l'option nationale du
biculturalisme.
(2) Les sous-systèmes éducatifs
sus-évoqués coexistent en conservant chacun sa
spécificité dans les méthodes d'évaluation et les
certifications »11(*) .
Il est donc clair que le biculturalisme hérité
de l'histoire coloniale qui fait du Cameroun un pays bilingue, partagé
entre l'héritage britannique et patrimoine linguistique français,
se répercute sur le système éducatif contemporain.
Selon la loi d'orientation au Cameroun citée plus haut,
le système éducatif Cameroun est composé de cinq niveaux
d'enseignement : maternel, primaire, post-primaire, normal, secondaire
général et secondaire technique. De l'enseignement secondaire
dont il est question dans cette, il ressort qu'il se subdivise à son
tour en deux grandes branches : l'enseignement secondaire
général et l'enseignement secondaire technique industriel et/ou
commercial. Ces deux ordres d'enseignement sont respectivement dispensés
dans les lycées et collèges d'enseignements secondaires
techniques et commercial, avec dans certaines localités, une phase
d'initiation dans les sections artisanales et rurales/sections
ménagères.
D'une façon générale, la durée de
la scolarité au niveau secondaire est de sept ans. Scindée en
deux cycles. Un premier cycle d'une durée de quatre ans d'observation en
tronc commun qui débouche sur le BEPC, enfin, intervient un second cycle
d'orientation de trois ans. Le second cycle d'enseignement secondaire offre
deux grandes filières d'études aux apprenants à savoir une
filière littéraire (série A) et une filière
scientifique (série C et D). Quant à ce qui est des conditions et
modalités d'organisation et de fonctionnement du système scolaire
au Cameroun, elles relèvent également du domaine de
l'État. C'est le Ministère de l'éducation qui assure et
oriente la gestion de l'enseignement au Cameroun.
C'est la loi d'orientation de l'éducation
sus-mentionnée qui fixe les bases et les fondements du fonctionnement de
l'institution scolaire au Cameroun. Elle en détermine les cadres, les
moyens, les buts et les objectifs. De temps à autre, cette loi
fondamentale est complétée par d'autres textes
réglementaires. Pour ce qui est particulièrement du
fonctionnement et de l'organisation du système scolaire du Cameroun, il
convient de rappeler qu'ils sont du ressort du Ministère de
l'Enseignement Secondaire. Plus concrètement, c'est au niveau des
services centraux que sont prises (ou tout au moins élaborées,
examinées et expertisées) toutes les décisions se
rapportant à la question éducative. Une fois promulguées,
ces décisions ont une implication nationale.
Au niveau des différentes unités
administratives, le ministère est représenté par des
services extérieurs : délégations régionales,
délégations départementales, inspections d'enseignement
qui sont des structures de relais et assurent la gestion et l'examen des
questions de second ordre, de portée locale.
Les établissements scolaires sont à la base de
la pyramide et constituent les piliers fondamentaux du système, en tant
qu'ils arbitrent le couple apprenant-enseignant, noyau du "procès
éducationnel" (Binyegui, 2004 : 66-67).
III.2.2. Le paysage
infrastructurel
De la définition de la notion du système
éducatif retenue précédemment, il ressort que les
infrastructures en sont un des éléments constitutifs.
Au Yaoundé, capitale politique du Cameroun, la plupart
des établissements scolaires publics était depuis les
années 1960 localisés sur le Plateau Atemengue, lointain
héritage de la première école créée par les
Allemands. De nos jours, ils sont, au même titre que les
établissements privés (laïcs et confessionnels),
disséminés dans les sept arrondissements que compte le
département du Mfoundi. A titre illustratif, le tableau ci-dessous
essaie ainsi de faire ressortir les différentes infrastructures et sites
qui abritent les établissements d'enseignement du second degré
public et privé qui sont au coeur de la vie sociale dans la capitale
politique du Cameroun.
Tableau 1 : Répartition des
établissements publics et privés par arrondissement de la ville
de Yaoundé :
Arrondissements
|
Etablissements publics
|
Etablissements privés
|
Yaoundé I
|
Lycée d'Elig-Essono
Lycée d'Emana
Lycée de Mballa II
Lycée de Nkol-Eton
|
Collège de la Retraite
Collège de l'Unité
Collège Tana Ahanda
Institut bilingue d'Etoudi
ISDIC
|
Yaoundé II
|
Lycée de la Cité Verte
Lycée de Tsinga
Centre multifoncionnel de jeunesse et d'animation de
Madagascar
|
Institut Jean Body Zibi
CPMS
|
Yaoundé III
|
Lycée Bilingue d'Application
Lycée Général Leclerc
Lycée de Nsam-Efoulan
Lycée Technique de Yaoundé
CES de Ngoa-Ekelle
|
Collège F.X. Vogt
Collège les Bambis
Institut des Sciences Economiques et Informatiques de Gestion
(ESEIG)
|
Yaoundé IV
|
Lycée d'Anguissa
Lycée d'Ekounou
Lycée de Mimboman
Lycée de Nkoldongo
Lycée technique
d'Ekounou
|
IMOTEC
|
Yaoundé V
|
Lycée Bilingue de Yaoundé
Lycée de Ngousso-Ngoulemakong
|
Collège Mongo-Beti
Collège Larousse
Collège de l'Espérance
Institut-Samba
|
Yaoundé VI
|
Lycée Bilingue d'Etoug-Ebe
Lycée de Biyem-Assi
Lycée de Mendong
|
Collège Ebanda
Collège les Sapins
Collège du savoir
Institut des Techniques industrielles d'Etoug-Ebe
Institut Victor Hugo
Collège science technique
|
Yaoundé VII
|
Lycée de Nkolbisson
Lycée technique de Nkolbisson
|
|
Source : MINESEC /DDTFPM
(Délégation départementale de l'enseignement technique et
professionnel du Mfoundi) et enquête de terrain, janvier 200712(*)
Ce que ce tableau souligne, c'est le fait que Yaoundé
pourrait passer pour une ville à scolarisation forte. Ce qui ressort des
informations collectées sur le terrain et reportées sur ce
tableau, c'est la multiplication des établissements (privés
laïcs et confessionnels) à côté des
établissements publics, tout ordre confondu.
Le relais pris par l'enseignement privé pour pallier
l'insuffisance du public, n'est cependant pas sans poser des problèmes.
Les statistiques montrent qu'en 2000/2001, on y comptait trois fois plus
d'élèves par professeur que dans le public. Cette
différence provient avant tout de la prolifération à
Yaoundé des établissements privés laïc qui constitue
probablement l'une des originalités de la ville et l'une des raisons de
l'attrait, pour le rappeler, qu'elle exerce sur les jeunes de la région
(Franqueville, 1984). Ils se sont multipliés au lendemain de
l'indépendance et fonctionnent, selon Franqueville, avec un minimum de
moyens et un maximum d'élèves : Collège Madeleine,
Collège Montesquieu, Collège la Mefou, Institut-Samba,
Institut-Siantou, entre autre ; tout en présentant l'avantage
d'être souvent dans une position assez centrale. Là se regroupe
les élèves refusés par l'enseignement public, faute de
place, ceux qui ont échoué au cours d'entrée en
sixième, ou encore ceux qui atteint la limite d'âge. Le
trop grand nombre d'élèves, l'insuffisance des moyens
pédagogiques déjà sensibles dans le public se trouvent
encore aggravé dans ces établissements, et le nombre de ceux qui
dispensent un enseignement technique (Collège IMOTEC, CPMS,
Collège Science technique, ISDIC, ESEIG...) ne doit pas faire illusion.
Les sections industrielles sont surtout celles du bâtiment, menuiserie,
mécanique automobile, mécanique de fabrication, maintenance
électroménager, électrotechnique, plomberie et
électricité qui, à Yaoundé, regroupent les deux
tiers des élèves, et ces établissements privés
dispensent avant tout un enseignement commercial (secrétariat,
dactylographie, commerce quantitative de gestion) pour lequel le
matériel pédagogique nécessaire est
généralement insuffisant. Une telle orientation rend compte du
fort taux de féminisation du technique à Yaoundé. Mais il
se comprend que, dans de telles conditions de formation, les employeurs
reprochent à ces diplômés la faiblesse de leur
apprentissage pratique et préfèrent embaucher du personnel
formé sur le tas. D'une façon générale, le
rendement de l'enseignement technique reste encore faible : 40% des
élèves seulement terminent leur scolarité normale de
quatre années, 22% abandonnent avant la 2e année et
18% au cours de la deuxième année (DSCN,- Annuaire statistique du
Cameroun, 2000), venant grossir l'effectif des demandeurs d'emploi sans
qualification.
Ce phénomène n'est pas cependant propre à
Yaoundé, ni même à l'enseignement technique. Sans doute
découle-t-il, en partie, d'après Franqueville (Op.
cit.), d'un faible niveau général dont l'instruction
primaire peu adapté est souvent responsable. Mais il a aussi pour cause
l'importante privatisation de l'enseignement qui rend celui-ci fort
onéreux pour les familles : la plupart des
« semi-scolarisés » qui ont dû
abandonner leurs études avant l'achèvement d'un cycle complet
l'ont fait parce que plus personne ne pouvait subvenir aux frais de leur
scolarité.
Dans ces conditions, on comprend fort bien que
l'intéressé, venu à Yaoundé pour y acquérir
une formation, s'obstine à poursuivre ses objectifs et tente, dès
qu'il a le temps et l'argent suffisants, de reprendre ou de compléter
cette formation pour «décrocher » le
diplôme espéré.
En réponse à un tel besoin, est apparu un
foisonnement de «cours du soir » dispensés un
peu partout à travers la ville par des établissements
privés confessionnels ou laïcs qui connaissent un vif
succès. Adultes et élèves
«déscolarisés » les fréquentent
assidûment. C'est là, comme le souligne Franqueville, l'une des
activités qui attirent, plus que celui de l'emploi, les jeunes ruraux
vers la capitale : l'espoir d'obtenir un diplôme par un
système d'enseignement parallèle pour ne pas dire déviante
par rapport au système éducatif officiel, et, par-là, de
trouver une place stable ou d'accéder à un poste supérieur
(Franqueville, Op. cit.).
Au demeurant, Yaoundé reçoit des
élèves de plusieurs départements repartis sur l'ensemble
du pays. Les effectifs scolaires augmentent à une vitesse exponentielle,
et l'on peut penser que, malgré la création de nombreux
lycées et collèges dans les petites villes, les mouvements
d'immigration scolaire se sont encore amplifié tant à cause du
prestige de la capitale, ville universitaire, qu'à cause des
facilités de rattrapage qu'elle offre (Franqueville, Op. cit.).
Toutefois, il faut reconnaître qu'une tendance inverse existe
aussi : il est de bonnes familles de Yaoundé où l'on
préfère inscrire les enfants loin de la capitale, dans les
établissements confessionnels réputés des banlieues
environnantes.
III.2.3.
Fréquentation et niveau de scolarisation
Au niveau national, le taux de scolarisation est plus
élevé dans les centres urbains que dans les campagnes et
l'écart s'accentue avec l'âge. En effet, à 6-15 ans, le
taux est de 85% en milieu urbain contre 67% en milieu rural. Entre 16 et 20
ans, les jeunes des centres urbains sont deux fois plus scolarisés que
ceux des zones rurales (50% contre 24%) et, à 21-24 ans, ces taux sont,
respectivement, de 28% contre 6% (EDSC-II, 1998 : 20). Ces grands
écarts de scolarisation selon l'âge et selon le milieu de
résidence s'expliquent, d'une part, par une plus grande facilité
d'accès à l'école des enfants du milieu urbain par rapport
à ceux du milieu rural et, d'autre part, par une différence de
comportement des parents de ces deux milieux surtout dans certaines
régions du pays où la scolarisation des jeunes filles
connaît quelques difficultés.
Comparée à l'ensemble du Cameroun, la
scolarisation des enfants de la province du Centre est très forte :
95,1% pour les enfants de 6 à 14 en 2003 (INS/UNFPA, 2003). Quant
à la moyenne nationale, elle est de 78% pour la même année.
Pour la ville de Yaoundé, le taux de scolarisation est, elle aussi, plus
élevée (95,3%), légèrement supérieur
à celui des filles (94%) que pour les garçons (96,6%) en 2001
(INS/UNFPA, 2003). La différence de scolarisation par sexe est
négligeable : moins de 3% (PNUD/OPS, 2000.). En dépit de
cette légère lacune, l'égalité d'accès
à l'éducation tendait progressivement à s'installer
à partir de 1976. Toutefois, les tendances de la scolarisation depuis
1987 ne sont pas claires, encore que d'après certaines indications, la
fréquentation scolaire semble avoir baissée non seulement
à cause de la crise, mais aussi du sentiment que l'éducation
n'est pas utile pour l'emploi (Banque mondiale, 1995).
S'agissant de l'indicateur d'alphabétisme, les
statistiques de l'INS-Cameroun montrent que le taux d'alphabétisation
des adultes de 15 ans et plus est de 94,4% pour la ville de Yaoundé.
En 1979-80, Yaoundé comptait déjà 19
établissements d'enseignement secondaire générale et 20
d'enseignement technique (lycée et collège d'enseignement
technique), groupant 17 500 élèves pour les premiers et
près de 9000 pour les seconds (MINEDUC 1980). En 2005, on note que les
deux tiers des élèves du secondaire se trouvent dans des
établissements d'enseignement général. Le nombre
d'établissement d'enseignement secondaire général est deux
fois supérieures (64, public et privé confondus) que celui de
l'enseignement technique (29, tout ordre confondu). Cependant, il
apparaît aujourd'hui que, dans l'une et l'autre branche, les
établissements privés forment 80% du total et scolarisent les
deux tiers des élèves (Franqueville, 1984). Ce qui pose du coup
le problème non seulement de la capacité des infrastructures face
à cet effectif important, mais aussi à leur fonctionnement.
III.3. NORMES ET
NORMATIVITE
Les investigations sociologiques, après avoir
constaté la correspondance entre le système éducatif et le
système institutionnel global, s'attachent donc maintenant à
analyser les conditions de fonctionnement de l'institution scolaire. C'est une
démarche plus inductive, partant de l'étude des circonstances
fonctionnelles ou de dysfonctionnements, pour remonter aux principes
implicites du système, pour dégager le réseau de
contraintes, pour faire apparaître, derrière la conduite des
acteurs de la relation, le sens des rapports qu'ils entretiennent avec
l'organisation institutionnelle de l'éducation.
III.3.1. La norme
scolaire
Le concept de norme est ambigu. Cambon (1968 : 187)
explique cette ambiguïté de la norme tantôt associée
à des références idéales (ce qui devrait
être), tantôt à des références statistiques
(ce qu'on rencontre habituellement selon une certaine fréquence
statistique). La vie scolaire est réglée par des normes de forme
quantitative (notes, coefficients, pourcentage d'accueil d'effectif scolaire,
la vie active) ou de forme qualitative (connaissances sous forme de programmes,
apprentissage à acquérir à tel niveau de la
scolarité).
Des normes sont ainsi institutionnalisées, d'autres
naissent dans le milieu éducatif, notamment par l'interprétation
donnée aux textes officiels, par l'application plus ou moins rigide qui
en est faite. Il suffit de voir comment les interprétations varient pour
le passage de classe, selon les établissements, pour se rendre compte de
l'importance des normes déviantes (informelle).
Par le système des filières, l'école
oblige à orienter très vite l'apprenant vers des types
spécialisés d'enseignement et détermine le type de
pratique relationnelle entre les enseignants et les élèves, entre
les acteurs scolaires et l'administration scolaire. Il est attendu d'un
enseignant qu'il établisse le constat du niveau atteint par
l'élève ; constat de ses connaissances et de ses
performances sur la base du programme officiel, et non ses qualités
personnelles et ses objectifs éducatifs qu'il a pu atteindre.
La société, quant à elle, par les normes
qu'elle introduit, donne à l'enseignant le droit et le devoir d'attendre
des élèves des résultats et de récompenser au moyen
de grades et de diplômes. Les objectifs d'instruction deviennent une fin
en eux-mêmes, plutôt que le moyen de parvenir à d'autres
finalités. Parce que la nécessité de contrôler les
élèves des résultats est davantage associée au
rôle institutionnel qu'au rôle personnel des enseignants et
encadreurs, ceux-ci sont conduits à accorder une prédominance au
respect des règles dans la relation avec leurs élèves.
Rouages centraux dans le mécanisme de filtrage et d'élimination
des élèves, les éducateurs se rendent d'autant moins
compte de leur implication personnelle qu'ils voient plutôt régi
par un système global de critères institutionnels
consignés dans les politiques éducatives. La norme se
réfère ainsi au «bon »
élève, celui dont le développement correspond au
profil-type de l'évolution de ce que Postic (1979 : 44) a
appelé «la pensée opératoire », et
c'est par rapport à lui que l'administration scolaire et plus
précisément l'enseignant situe tous les jugements. La voie noble,
la plus largement ouverte, est donc réservée au
«bon » élève, et les autres
élèves sont progressivement rejetés, soit pour limite
d'âge pour les établissements d'enseignements publics, soit pour
mauvaise conduite ou pour travail en dessous d'un certain seuil.13(*) Les normes
institutionnalisées conduisent ainsi les enseignants à orienter
leurs actions pédagogiques en fonction d'un modèle abstrait
d'élève, celui qu'on doit conduire de la sixième à
la troisième, de la seconde en Terminale, celui qui devra atteindre un
niveau précis d'exigences pour franchir le passage.
III.3.2. Les normes
pédagogiques
Les normes pédagogiques, transmises par les
instructions officielles, les circulaires, appliquées pour
l'évaluation des conduites pédagogiques de l'enseignant par le
corps d'inspection, contribuent à dresser un modèle de relation
pédagogique. De fait, la relation enseignants-enseignés, dans
l'enseignement secondaire camerounais, est fortement déterminée
par la nature et le degré de contrainte de la tâche scolaire. L'un
des contraintes est l'emploi du temps, qui prévoit le nombre et la
durée des séances consacrées à chaque
matière ; l'autre apparaît dans les programmes et les
progressions à respecter pour franchir les étapes, plus ou moins
impératifs, selon les matières. La relation éducative,
structurée par l'organisation du temps et de la tâche s'inscrit
dans le cadre défini de la
« leçon ».
Le rôle moteur est donc confié au professeur, qui
déclenche les activités des élèves, les organise en
suivant des phases précises.
D'après Chobaux, la définition de la relation
éducative qui se dégage des textes officiels se
caractérise par une ambivalence :
« L'action du maître est sous-tendue par
des attitudes à la fois confiantes et méfiantes à
l'égard de l'élève. La relation éducative doit
assurer la formation d'individus actifs, mais diriger toutes les
activités des élèves ; elle veut former des individus
responsables sans donner aux élèves la possibilité
d'assumer des responsabilités. » (Chobaux, 1967,
cité par Postic, 1979 :45).
III.3.3. L'école et
son espace
Les lycées et collèges d'enseignement secondaire
à Yaoundé, comme partout ailleurs au Cameroun présentent
du point de vue de l'espace, une organisation matérielle et
pédagogique compatible avec le système global qu'on veut
préserver, c'est-à-dire le compromis entre les exigences de
fonctionnement du système et les besoins de participation des
élèves.
Sur le plan architectural, l'école camerounaise a
hérité de ce vide structural et offre le visage d'une
architecture faite de quelques rectangles autour d'un petit bâtiment qui
abrite généralement un bloc de services administratifs où
se démènent les proviseurs de lycées, les directeurs des
Collèges d'enseignement secondaire (C.E.S), les fondateurs et les
principaux des enseignements privés et leurs équipes
respectives.
De façon beaucoup plus concrète,
l'établissement scolaire, sur le plan physique, et un lieu vital, un
cadre bien délimité, au sein duquel se répartissent des
salles de dimensions différentes, plus ou moins équipées.
Celles-ci sont construites suivant, plus ou moins, les normes de l'architecture
scolaire traditionnelle, plus précisément, les salles se
présentent sous la forme rectangulaire, avec une surface calculée
sur la base du nombre d'élèves par classe. De cette
manière, l'institution scolaire, par la disposition et
l'aménagement des locaux, a voulu établir un ordre social et
créer un certain type de rapports sociaux entre les
élèves, d'une part, et entre les élèves, les
professeurs et les administrateurs, d'autre part. Dans la salle de classe,
l'élève demeure sous le regard de l'enseignant ; du couloir,
le regard de l'administrateur s'exerce sur l'enseignant.
Les conditions de fonctionnement de la classe, telles qu'elles
sont prévues par le système éducatif mettent en relation
des élèves et un enseignant seul, même si, dans
l'enseignement secondaire, plusieurs professeurs assurent successivement des
cours différents. Ainsi, les élèves connaissent-ils les
comportements des enseignants face à eux, et ils les évaluent
à leur manière, les comparent, mais ils n'ont pas l'occasion de
les observer dans leurs relations interpersonnelles ; sauf au hasard de
rencontres dans les couloirs. Les élèves perçoivent
l'enseignant, plus à travers la discipline qu'il enseigne et la
manière dont il assume sa fonction qu'à travers sa
personnalité d'adulte. Ils le situent d'une manière globale, en
termes antithétiques (sévère ou non ;
compétent ou non). Ils ne peuvent avoir de lui une connaissance
différenciée que lorsqu'ils l'observent par rapport à
d'autres adultes, et pas seulement par rapport à eux (Postic,
1979 : 48-49). L'enseignant reste socialement en relation avec les autres
enseignants.
Renforcée par la standardisation qui prévaut
dans l'architecture scolaire, l'organisation sociale, à
l'intérieur des établissements scolaires est fondée sur la
distance entre les êtres qui vivent dans l'espace scolaire. Dans ce sens,
l'on peut faire une curieuse constatation : quand les baraquements
existent, les espaces scolaires s'ouvrent plus ou moins selon les
activités entreprises, selon le nombre d'élèves ; il
en est ainsi du cas où les enseignants et les élèves se
trouvent hors de la clôture de l'établissement, réunis,
pour une activité fonctionnelle (travaux de groupe,
d'expérimentation ou d'enquêtes) ou ludique (éducation
physique et sportive [EPS]). Cette situation appelle ainsi les
élèves, les enseignants, à vivre en communauté,
à se rencontrer, à se concerter, à s'organiser suivant
leurs besoins à un certain moment.
Les aires de jeux collectifs quand ceux-ci existent, sont
réduites à leur portion congrue. Aucun espace de
convivialité, sinon des restaurants de fortune offrant des repas chauds
ou des friandises plus ou moins bien contrôlées, aux
élèves, enseignants et autres encadreurs. Par ce dispositif
spatial, il se dégage une conception qui réduirait l'école
à leur seule fonction de transmission des connaissances (Mvesso,
2005 : 87).
En réalité, les espaces scolaires à
Yaoundé restent, dans la plus part des cas, clôturés. Parce
que pouvant entraîner chez l'enseignant un nouveau réseau de
protection, l'expérience des écoles à aires ouvertes
suscite une certaine méfiance de la part des administrateurs, tant il
est vrai que le fonctionnement s'opère dans des conditions
situées en dehors de ce qui est prévu par la législation
scolaire, des contraintes et des règles fixées pour tous. La
conception générale de l'acte d'enseignement est ainsi
fixée par l'institution scolaire, tant par les normes prescrites que par
celles qui proviennent des modalités de fonctionnement prévues
par les textes officiels, à l'exemple du règlement
intérieur.
III.4. LES REGLES DE
FONCTIONNEMENT DE L'ECOLE
La loi d'orientation sur l'éducation du 14 avril 1998
accorde un rôle important à la communauté éducative.
Pour donner vie à cette communauté éducative et lui
apporter les moyens de sa mission, il était nécessaire d'en
définir clairement les règles de fonctionnement ainsi que les
droits et les obligations de chacun de ses membres : tel est l'objet du
règlement intérieur. Celui-ci ne peut en aucune façon se
réduire, comme c'est parfois le cas, à un énoncé de
dispositions relatives aux obligations des seuls élèves et au
régime des punitions et des sanctions les concernant. En effet, la
communauté éducative est
«L'ensemble des personnes physiques et morales qui
concourent au fonctionnement, au développement et au rayonnement d'un
établissement scolaire. En sont membres : les dirigeants, les
personnels administratifs et d'appui, les enseignants, les parents, les
élèves, les milieux socio-professionnels ; les
collectivités territoriales
décentralisées. » (Loi n° 98/004 du 14
avril).
En matière des droits et obligations des
élèves, le règlement intérieur indique les
modalités de respect de leurs obligations, mais également les
modalités d'exercice de leurs droits, dans le cadre scolaire.
Élaboré et réactualisé en
concertation avec tous les acteurs de la communauté éducative et
dans son application même, le règlement intérieur place
l'élève, en le rendant responsable, en situation d'apprentissage
de la vie en société, de la citoyenneté et de la
démocratie.
Texte à dimension éducative, le règlement
intérieur se conforme aux textes juridiques supérieurs tels que
les textes internationaux ratifiés par le Cameroun, les dispositions
constitutionnelles, législatives et réglementaires en vigueur,
qu'il doit respecter. Il est lui-même l'expression notable, mais non la
seule, du pouvoir de réglementation dont dispose l'établissement
public local d'enseignement.
Dans le cadre de l'autonomie conférée par la
nouvelle orientation de l'éducation au Cameroun, en matière
pédagogique et éducative, le ministère de
l'éducation secondaire (MINSEC) adopte les dispositions d'ordre
général et permanent qui permettent à tous les membres de
la communauté éducative de connaître les bases qui
régissent la vie quotidienne dans l'établissement, ainsi que les
décisions individuelles que le chef d'établissement peut prendre
en application de ces règles. A ce titre, l'enceinte d'un
établissement d'enseignement étant inviolables, les chefs
d'établissement scolaire sont ainsi responsables du maintien de l'ordre
dans leur établissement ; l'intervention de l'ordre ne peut alors
y avoir lieu que sur réquisition expresse du chef
d'établissement (Loi n° 98/004, Art. 27).
La juridiction administrative quant à elle n'a
l'occasion de se prononcer que sur la régularité de certaines
dispositions introduites dans des règlements intérieurs
d'établissement scolaire, dont elle reconnaît qu'elles peuvent
revêtir le caractère de décisions administratives
opposables aux personnes qu'elles visent. La réglementation des droits
et des obligations des élèves peut donc faire l'objet de recours
devant les tribunaux administratifs. Cette dimension juridique et normative du
règlement intérieur implique que chaque adulte doit pouvoir
s'appuyer sur lui pour légitimer son autorité, en
privilégiant la responsabilité et l'engagement de chacun. Il
semble donc opportun de préciser les principes sur lesquels repose le
règlement intérieur, son contenu et notamment les
éléments essentiels et indispensables qu'il doit contenir, ainsi
que les modalités selon lesquelles un tel règlement est
adopté, élaboré, modifié.
III.4.1. L'objet du
règlement intérieur
Le règlement intérieur permet la
régulation de la vie de l'établissement et des rapports entre ses
différents acteurs. Chacun des membres doit être convaincu
à la fois de l'intangibilité de ses dispositions et de la
nécessité d'adhérer à des règles
préalablement définies de manière collective.
Ainsi que cela ressort implicitement dans le titre IV de la
loi d'orientation de 1998, le règlement doit contenir les règles
qui s'appliquent à tous les membres de la communauté
éducative ainsi que les modalités selon lesquelles sont mises en
application les libertés et les droits dont bénéficient
les élèves. L'objet du règlement intérieur est en
conséquence double : d'une part, fixer les règles d'organisation
qu'aucun autre texte n'a définies et qu'il incombe à chaque
établissement de préciser, telles que les heures d'entrées
et de sorties, les modalités retenues pour l'attente des transports
scolaires devant l'établissement ou encore les déplacements des
élèves ; d'autre part, après avoir procédé
au rappel des droits et des obligations dont peuvent se prévaloir les
membres de la communauté scolaire en raison des lois et décrets
en vigueur, déterminer les conditions dans lesquelles ces droits et ces
obligations s'exercent au sein de l'établissement, compte tenu de sa
configuration, de ses moyens et du contexte local.
S'agissant notamment des élèves, le
règlement intérieur ne peut en conséquence se contenter de
procéder à un simple rappel des droits et des devoirs qui
s'imposent à eux, mais il convient qu'il précise les
modalités selon lesquelles ces droits et ces obligations trouvent
à s'appliquer dans l'établissement.
III.4.2. Le contenu du
règlement intérieur
Normatif, le règlement intérieur est aussi
éducatif et informatif : document de référence pour
l'action éducative, il participe également à la formation
à la citoyenneté des élèves et facilite les
rapports entre les acteurs de la communauté éducative.
III.4.2.1. Les principes
qui régissent le service public d'éducation
Le service public d'éducation repose sur des valeurs et
des principes spécifiques que chacun se doit de respecter dans
l'établissement : la gratuité de l'enseignement, la
neutralité et la laïcité, le travail, l'assiduité et
la ponctualité, le devoir de tolérance et de respect d'autrui
dans sa personne et ses convictions, l'égalité des chances et de
traitement entre filles et garçons, les garanties de protection contre
toute forme de violence psychologique, physique ou morale et le devoir qui en
découle pour chacun de n'user d'aucune violence.
Le respect mutuel entre adultes et élèves et des
élèves entre eux, constitue également un des fondements de
la vie collective.
Ce sont ces principes qui inspirent tout règlement
intérieur, tout comme ceux relatifs aux droits de l'enfant
institués par la convention internationale des droits de l'enfant du 20
novembre 1989, ratifiée par le Cameroun.
III.4.2.2. Les
règles de vie dans l'établissement
Le règlement intérieur permet de réguler
la vie dans l'établissement et les rapports entre les différents
membres de la communauté scolaire par des dispositions précises.
La liste ci-dessous, qui concerne les règles de fonctionnement de
l'établissement, d'organisation des études et celles qui
régissent la vie quotidienne, peut être complétée
utilement par d'autres points en fonction de la situation locale et de la
spécificité de l'établissement :
- L'organisation et le fonctionnement de
l'établissement ;
- Horaires, usage des locaux et conditions
d'accès ;
- Espaces communs, usage des matériels mis à
disposition ;
- Modalités de surveillance des
élèves ;
- Mouvement de circulation des élèves ;
- Modalités de déplacement vers les
installations extérieures ;
- Récréations et inter-classes ;
- Régime des sorties pour les internes et les
externes ;
- Organisation des soins et des urgences ;
- L'organisation de la vie scolaire et des
études ;
- Gestion des retards et des absences ;
- Utilisation du carnet de correspondance ;
- Évaluation et bulletins scolaires ;
- Organisation des études ;
- Modalités de contrôle des connaissances ;
- Usage de certains biens personnels (téléphone
portable, baladeur, jeux-vidéo, ordinateur...).
- La sécurité ;
- Tenues incompatibles avec certains enseignements,
susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes ou les
règles d'hygiène ou encore d'entraîner des troubles de
fonctionnement dans l'établissement.
- Toute introduction, tout port d'armes ou d'objets
dangereux, quelle qu'en soit la nature, sont strictement prohibés.
- L'introduction et la consommation dans
l'établissement de produits stupéfiants sont expressément
interdites.
- La consommation d'alcool (excepté, pour les
personnels, dans les lieux de restauration) et l'usage du tabac dans les
établissements scolaires sont interdits. A ce sujet, l'article 28 de la
loi d'orientation de 1998 stipule :
« Toute implantation des salles de jeux, de
débits de boisson, de salle de cinéma, de commerce de tabac et de
toutes autres nuisances est interdite dans l'enceinte ou la
périphéries des établissements ; toutefois, la vente
des boissons hygiéniques peut être autorisée au sein des
établissements scolaires. »
III.4.2.3. L'exercice
des droits et obligations des élèves
Les droits et obligations définis par la loi
d'orientation sur l'éducation au Cameroun, s'applique aux
collégiens et lycéens de l'enseignement secondaire de tous
ordres (général et technique, public et privé). Ainsi,
l'élève a droit aux enseignements prescrits par les programmes.
Ce droit s'exerce dans le strict respect de la liberté d'expression, de
pensée, de conscience et d'information de l'élève. Dans
les collèges, les élèves disposent, par
l'intermédiaire de leurs délégués du droit
d'expression collective et du droit de réunion. Dans les lycées,
les élèves disposent des droits d'expression individuelle et
collective, de réunion, d'association et de publication. Ceux-ci
s'exercent dans le respect du pluralisme, des principes de neutralité et
du respect d'autrui. Pour ce dernier cas, les sévices corporels et
toutes autres formes de violence sont proscrites. Tout propos diffamatoire ou
injurieux peut avoir des conséquences graves. D'un mot, le
système éducatif veille à ce que
l'intégrité physique et morale des élèves soit
garantie. Toutefois, l'exercice de ces droits ne saurait, rappelle-t-on,
porter atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes
et à l'obligation d'assiduité.
Outre le rappel de leurs droits spécifiques, le
règlement intérieur précise également, selon qu'il
s'agit de collégiens ou de lycéens : les modalités
d'exercice du droit de réunion et notamment les conditions auxquelles
est subordonnée l'autorisation du chef d'établissement, les
conditions d'affichage dans l'établissement en application du droit
d'expression collectif (panneau d'affichage et sa localisation, texte
obligatoirement signé...), la diffusion dans l'établissement,
pour les lycéens, de leurs publications ainsi que le rôle de
conseil et d'aide du chef d'établissement en la matière, les
conditions de création et de fonctionnement des associations
déclarées qui ont leur siège dans l'établissement.
En cas de défaillance dans l'accomplissement de leur mission de maintien
de l'ordre, les chefs d'établissement sont suppléés de
plein droit par les autorités hiérarchiques ou de tutelle (Loi
n° 98/004, Art. 27, alinéa 4).
L'obligation d'assiduité consiste à participer
au travail scolaire, à respecter les horaires d'enseignement, ainsi que
le contenu des programmes et les modalités de contrôle des
connaissances. Un élève ne peut en aucun cas refuser
d'étudier certaines parties du programme de sa classe, ni se dispenser
de l'assistance à certains cours, sauf cas de force majeure ou
autorisation exceptionnelle.
Il est rappelé que les élèves doivent
être informés des modalités de contrôle des
connaissances, les comprendre et les respecter.
Les modalités de contrôle des absences et des
retards sont clairement précisées Elles prennent appui sur une
responsabilisation des élèves et de leurs familles : il s'agit de
leur faire comprendre l'importance de l'assiduité et de maintenir le
dialogue entre l'établissement et les parents. Le rôle des
enseignants dans le contrôle des absences et des retards est
précisément défini, notamment une éventuelle
convocation des parents en cas non seulement de mauvaise conduite mais aussi
d'absence et de retard non justifiés.
L'absentéisme volontaire constitue un manquement
à l'assiduité et peut, à ce titre, faire l'objet d'une
procédure disciplinaire qui commence par une consigne, blâme,
avertissement, mis à pied à un cours, l'exclusion temporaire de
huit jours et au pire, une exclusion définitive. Il en est de même
pour les autres cas d'indisciplines. C'est également souvent le signe
d'un mal être nécessitant une prise en charge spécifique ou
d'une situation personnelle familiale et sociale fragilisée. Ces
situations font l'objet d'un suivi attentif et précoce de
l'équipe éducative.
III.4.2.4. Le respect
d'autrui et du cadre de vie
L'établissement est une communauté humaine
à vocation pédagogique et éducative où chacun doit
témoigner une attitude tolérante et respectueuse de la
personnalité d'autrui et de ses convictions. Le respect de l'autre et de
tous les personnels, la politesse, le respect de l'environnement et du
matériel, sont autant d'obligations inscrites au règlement
intérieur.
Les élèves sont associés aux
décisions relatives à l'aménagement des espaces et des
lieux de vie destinés à la vie scolaire. Le devoir de n'user
d'aucune violence. Les violences verbales, la dégradation des biens
personnels, les brimades, les vols ou tentatives de vol, les violences
physiques, le bizutage, le racket, les violences sexuelles, dans
l'établissement et à ses abords immédiats, constituent des
comportements qui, selon les cas, font l'objet de sanctions disciplinaires
et/ou d'une saisine de la justice.
III.4.2.5. La discipline
: sanctions et punitions
Le règlement intérieur comporte un chapitre
consacré à la discipline des élèves. Il fait
mention de la liste des sanctions et punitions encourues ainsi que des mesures
de prévention, d'accompagnement et de réparation. Toute punition
ou sanction est individuelle et proportionnelle au manquement : elle est
expliquée à l'élève concerné à qui la
possibilité de s'expliquer, de se justifier et de se faire assister, est
offerte. À cet égard, le règlement intérieur
prévoit une liste de punitions ainsi que des mesures de
prévention, de réparation et d'accompagnement14(*).
III.4.2.6. Les mesures
positives d'encouragement
Il y a lieu de mettre en valeur des actions dans lesquelles
les élèves ont pu faire preuve de civisme, d'implication dans le
domaine de la citoyenneté et de la vie du collège ou du
lycée, d'esprit de solidarité, de responsabilité tant
vis-à-vis d'eux-mêmes que de leurs camarades. Il peut s'agir
d'encourager des initiatives ou des relations d'entraide notamment en
matière de travail et de vie scolaire ainsi que dans les domaines de la
santé et de la prévention des conduites à risque. Dans
certains lycées, par exemple, des "adolescents-relais" facilitent
l'information et les échanges entre les élèves. Ce mode de
"sanction positive" sera défini par chaque établissement en
relation étroite avec son projet pédagogique et associera
l'ensemble des membres de la communauté éducative. Il est
constitué d'un élément du règlement
intérieur.
La valorisation des actions des élèves dans
différents domaines - sportif, associatif, artistique, etc. - est de
nature à renforcer leur sentiment d'appartenance à
l'établissement et à développer leur participation
à la vie collective.
III.4.2.7. Les relations
entre l'établissement et les familles
Les parents d'élèves ou responsables
légaux ont des droits et des devoirs de garde, de surveillance et
d'éducation définis par les articles 286 à 295 et 371
à 388 du Code civil, relatifs à l'autorité parentale.
Le règlement intérieur
constitue un support essentiel pour instaurer un véritable dialogue
ainsi que des rapports de coopération avec les familles, notamment par
les informations qu'il apporte sur le fonctionnement de l'établissement,
l'organisation de contacts avec l'équipe enseignante et éducative
et le calendrier des rencontres entre parents et enseignants dans le cadre des
associations des parents d'élèves.
C'est pourquoi il est, en début d'année,
porté à la connaissance des parents, favorisant ainsi leur
intégration à la communauté éducative et leur
permettant un meilleur suivi de la scolarité de leurs enfants.
Le règlement intérieur peut être
complété par des dispositions particulières tenant
à la spécificité de chaque établissement. Elles
peuvent concerner notamment : bien que la protection des abords de
l'établissement relève de la responsabilité des services
de police et du maire de la commune, le chef d'établissement peut
être amené à intervenir, en cas d'incident grave devant
l'établissement. Aussi le règlement intérieur peut-il
prévoir des modalités particulières concernant les
entrées et les sorties de l'établissement.
III.4.2.8.
Élaboration et modifications du règlement
intérieur
Les modalités de préparation et
d'élaboration du règlement intérieur tiennent compte des
conditions locales et du niveau d'enseignement.
III.4.2.8.1.
Élaboration et révision
Chaque établissement élabore son
règlement intérieur, en fonction de sa situation. Mais la
tendance générale est aujourd'hui à l'association de
l'ensemble des membres de la communauté éducative et de
créer les conditions d'une véritable concertation pour que le
règlement intérieur, au moins pour partie, soit le
résultat d'un véritable travail collectif permettant une
meilleure appropriation des dispositions qu'il contient. Ce travail est
réalisé au sein des instances participatives de
l'établissement : conseil d'Établissement, regroupant autour du
Chef d'Établissement, des représentants des enseignants, des
élèves, des parents, des responsables des Collectivités
Locales ; ce Conseil étant chargé de l'application dans la
démarche participative et constructive de la Politique Nationale de la
Décentralisation (État généraux de
l'éducation, 1995).
Ce règlement intérieur, "document vivant",
s'éprouve par la pratique et suppose une évolution par des
ajustements ou des révisions périodiques. En conséquence,
les conditions dans lesquelles une révision peut être
demandée doivent être définies dans le document
lui-même. Ces modifications éventuelles sont
élaborées selon la même procédure.
III.4.2.8.2. Information
et diffusion
Le règlement intérieur fait l'objet d'une
information et d'une diffusion auprès des élèves et
enseignants, lors des journées de pré-rentrée; cependant,
celle-ci (la diffusion) n'est pas étendue à tous les membres de
la communauté éducative, et pourtant, ceci requiert la mise en
place d'actions d'information adaptées, complétées par un
travail d'explication, notamment auprès des élèves et des
parents d'élèves. À cet égard, l'heure de vie de
classe, dans les collèges et les lycées, pouvant constituer un
moment privilégié.
Est-ce pour cette raison que les situations de déviance
ne cessent de prendre de l'ampleur dans les établissements scolaire
à Yaoundé ? En dépit de cet arsenal de règles
et de conditions de fonctionnement de l'institution scolaire dont dispose le
système éducatif camerounais, l'on ne comprend pas toujours
pourquoi les jeunes écoliers adoptent des conduites déviantes.
Avant de répondre à cette question il est utile d'examiner la
relation éducative, à travers la vie de la classe.
CONCLUSION
PARTIELLE
Ainsi rendu au terme de la première
étape de cette étude, nous pouvons nous permettre de constater
que l'horizon commence à s'éclaircir pour l'objet de notre
recherche. En effet, la prospection des perspectives théoriques à
partir desquels la recherche sur les comportements déviants des jeunes
scolaires s'effectue et à laquelle il est fait référence
dans cette première partie était, pour ainsi dire, un
préalable nécessaire pour la mise en contexte de cette
étude. Autrement dit, l'entreprise de compréhension du
phénomène ici étudié exigeait, sur le plan
épistémologique un exercice descriptif préalable se
situant dans la préoccupation d'élucidation des paradigmes
explicatifs de la déviance en général, d'une part, et des
fonctions de l'école du système éducatif camerounais et de
la relation éducative, d'autre part. Toutefois, la démarche
serait incomplète si elle se limitait à la présentation du
cadre théorique et paradigmatique sur cette problématique qui
font l'objet d'abondantes réflexions des sociologues, psychologues,
psychopédagogues et autres spécialistes des sciences sociales,
travaillant sur la déviance scolaire dans ces aires
considérées non sans substrat déterministe. Ainsi, au
terme de la première étape de cette étude, il
apparaît en filigrane que l'institution scolaire se joue pour une part
essentielle autour de l'imposition-opposition versus production des
normes ; l'institution-Ecole se dévoile comme une forme sociale
définie en dehors des acteurs scolaires, comme un ensemble de normes
s'imposant à eux. Mais il est aussi avéré, d'une
manière ou d'une autre, que les rapports entretenus par les membres avec
leurs institutions, que ceux-ci contribuent, par ailleurs, à fabriquer
dans un bricolage institutionnel permanent, au cours duquel les normes sur
lesquelles l'institution scolaire repose sont produites au jour le jour par les
partenaires de l'acte éducatif. Cette conclusion conduit ainsi à
sortir, peu à peu de la théorie déterministe et de centrer
la réflexion sur une approche proprement phénoménologique
et interactionniste en s'appuyant sur des cas pratiques.
DEUXIEME
PARTIE
ESSAI D'APPROCHE
ETHNOSOCIOLOGIQUE DE LA JEUNESSE SCOLAIRE A YAOUNDE
INTRODUCTION
En société, en général, lorsqu'un
individu collabore à une organisation comme l'école en
participant à une activité demandée dans les conditions
requises, sous l'impulsion des motivations courantes telles que la recherche du
bien-être qu'offre l'institution, l'énergie que procurent
stimulants et valeurs associées et la crainte des sanctions
prévues, il se transforme en collaborateur et il devient un membre
«normal », «programmé » ou
incorporé. Il donne et reçoit avec l'état d'esprit requis,
ce qui a été systématiquement décidé qu'il
lui en coûte personnellement peu ou beaucoup. D'un mot, l'individu
découvre qu'on lui demande officiellement de n'être ni plus ni
moins que ce à quoi il est préféré et se trouve
obligé de vivre dans un univers qui est fait pour lui. C'est ce que
Goffman (cité par Michel Lallement, 1993) appelle «adaptation
primaire » (primary adjusment) à l'organisation. Goffman
fabrique cette expression pour en introduire, en fait, une seconde, celle
d' «adaptation secondaire » (secundary adjusment)
qui caractérise toute disposition habituelle permettant à
l'individu d'utiliser des moyens défendus, ou de parvenir à des
fins illicites (ou les deux à la fois) et de tourner ainsi les
prétentions de l'organisation relative à ce qu'il devrait faire
ou recevoir, et partant à ce qu'il devrait être. Les adaptations
secondaires, comme le souligne Goffman, représentent alors pour les
individus les moyens de s'écarter du rôle et du personnage que
l'institution lui assigne tout naturellement.
Afin de cerner de manière concrète le
phénomène de déviance scolaire à Yaoundé,
dans un cadre autre que l'analyse théorique (Cf. première), il
est utile d'examiner si les théories mises à jour par la
sociologie de la déviance correspondent à la dynamique
spécifique de phénomènes empiriquement observés.
Dans cette perspective, cette deuxième partie s'attachera à
mettre en lumière les cas particuliers de déviances scolaires les
plus observés dans les établissements d'enseignement secondaire
dans la ville de Yaoundé. De façon spécifique, elle tente
de jeter un «regard banal » sur quelques aspects de la
réalité des jeunes des établissements secondaires à
Yaoundé. Ainsi, pour le préciser, elle n'a pas la
prétention de saisir tous les contours d'une question à la
vérité vaste et complexe.
Cette partie entrevoie la nécessité d'une
archéologie de la déviance scolaire dans les
sociétés scolaires yaoundéennes qui ont leurs
«arts de faire » en mettant en oeuvre des
«ruses et tactiques » (De Certeau, 1990 :65).
Cette démarche s'impose si l'on se décide à revenir au
concret pour retrouver la «banalité de
l'horreur » et montrer comment la
« tragédie » est quotidienne dans le milieu scolaire
camerounais.
L'objectif de cette deuxième étape de notre
travail constitue alors une sorte «d'administration de la
preuve » à l'hypothèse selon laquelle, les
élèves, les enseignants et les parents négocient leurs
places, leurs rôles et leurs stratégies pour redéfinir,
chacun à sa manière et à son avantage, les situations
scolaires, bien plus que d'apprendre et d'enseigner en partageant un minimum de
buts communs. En d'autres termes, il s'agit de voir comment, à travers
des pratiques déviantes, les partenaires de l'acte éducatif
contribuent à fabriquer dans un bricolage institutionnel permanent les
normes sur lesquelles repose l'institution scolaire.
Si les théories de la reproduction ne font qu'occulter
les pratiques déviantes dans les institutions scolaires, la
réorientation de son action, et même sa déconstruction
constituent un défi quotidien pour les acteurs scolaires que
l'école enserre dans les mailles de la
domination-reproduction-sélection.
Quatre cas à ce propos paraissent
particulièrement illustratifs au regard des enquêtes menées
pour connaître les déviances dominantes. Aussi seront
étudiées, dans une approche phénoménologique,
différentes formes de socialité, mieux les dimensions
cachées, non-dits du lien social et qui affleurent dans la vie
quotidienne de l'école et dans ses manifestations les plus
humbles : le métier d'écolier, le métier
d'enseignant, la «parlure », c'est-à-dire une
manière de s'exprimer particulièrement à quelqu'un ou
à un groupe (le francanglais en milieu scolaire) ; les cas
de déviance physique ou morale, les violences de tout formes et
certaines incivilités scolaires, mais aussi le braconnage corporel
pendant le cours d'éducation physique et sportive qui se
développent en marge des activités essentielles pour la vie d'un
établissement. En fait, comme le suggère les travaux pionniers
d'Henri Lefebvre sur la quotidienneté, le regard a été
retourné vers les faits en apparence informes et insignifiants pour les
soumettre en fin de compte à l'analyse critique. A cet égard,
«l'analyse de la vie quotidienne a pour but de révéler
la richesse cachée sous l'apparente pauvreté du quotidien, de
dévoiler la profondeur sous la trivialité, atteindre
l'extraordinaire » (Lefebvre, 1958).
CHAPITRE IV
SOCIETE SCOLAIRE ET
PRODUCTION DE LA DEVIANCE :
ENTRE IDEAL NORMATIF ET
LOGIQUES DES ACTEURS
Nous avons mené jusqu'à présent une
étude approfondie des modèles éducatifs et
pédagogiques, des principes théoriques de la communication entre
les membres de la société scolaire. La
complémentarité des représentations et modèles de
l'enseignant et de l'élève, l'importance d'une communication
circulaire qui assure à l'enseignant son hégémonie, et
garantit sa sécurité, puisqu'elle lui épargne de remettre
en cause ses principes traditionnels fondés sur l'image flatteuse de
lui-même, font de l'école ou de l'établissement scolaire un
univers fermé, résistant aux changements.
De ces analyses théoriques des pratiques scolaires, il
se dégage non seulement l'impression d'activités minutieusement
réglées, mais aussi d'une grande méfiance vis-à-vis
des hasards de la spontanéité. Les lois de la
société scolaire définissent des rôles,
répartissent des tâches et fixent les modalités de leur
accomplissement. Les sanctions et les punitions renforcent la puissance de ces
lois, ou compensent leurs défaillances devant l'imprévu. Pour le
cas de Yaoundé, la «scénographie » de la
socialité scolaire évoque en quelque sorte la saisie de la
société scolaire
« yaoundéenne » qui se dévoile
à travers les manifestations les plus routinières et les plus
quotidiennes qui ont cours dans ces espaces particuliers (Nga Ndongo, 1975). Il
s'agit donc de voir comment cette société scolaire peut
dévoiler un pan de son vécu quotidien derrière
« l'idéal culturel de l'école »
(Mollo, 1969 : 205).
IV.1. LES REGLES DE LA
SOCIETE SCOLAIRE
Dans tous les entretiens que nous avons eus avec les
élèves de l'enseignement secondaire de tous ordres, quel que soit
le type d'école, le règlement intérieur est
fréquemment mentionné. Il est en général
très imparfaitement connu, donc rarement suivi à la lettre ;
toutefois, les élèves se réfèrent volontiers, non
seulement à son contenu, mais à son existence,
considérée comme une nécessité de la vie sociale
à l'école. Un élève d'une classe de
3ème du lycée Leclerc mesurant environ 1,45
déclare, non sans humour, que :
« Quand on entre en classe, je me suis souvent
arrêté près du règlement qui est affiché au
babillard ; comme il est très haut, je ne peux lire que le bas...
je ne me souviens pas de ce qu'il y est écrit... mais c'est important,
le règlement...Le prof., le surveillant général et le
Censeur en parlent quand on fait des bêtises... »
Un autre affirme : « Je n'ai jamais
lu le règlement intérieur...mais le professeur et le
délégué de la classe le lisent très souvent en
début d'année scolaire, puis il est affiché en
classe».
Si l'étude du règlement intérieur de
l'établissement présente ici peu d'intérêt, les
multiples règles qui régissent la société scolaire
dans ses moindres détails méritent par contre de retenir
l'attention. Il suffit pour s'en rendre compte de citer quelques entretiens
individuels effectués avec des élèves de six
établissements secondaires général et technique.
L'activité de l'ensemble des élèves
interrogés semble ainsi rythmée par les ordres du professeur qui
ponctuent les différentes allées et venues des
élèves. Le cérémonial de la vie scolaire :
« on se lève, on sort, on se range, on
descend... » ; ordre constant, coup de sifflet ou de
sonnerie, nombreuses mises en rangs, transforment la vie scolaire en un
étrange ballet, étrange surtout pour des personnes
étrangères à l'institution. Car, les élèves,
eux, semble accepter aisément une répartition des rôles
aussi stricte qu'autoritaire.
De l'avis de l'autorité éducative, le
règlement intérieur, même s'il n'est pas convenablement
respecté, est un garant de l'autorité de l'enseignant et celle
des administrateurs de l'établissement. Les décisions de ces
derniers organisent les activités journalières des
élèves. Leurs ordres sont plus constants. De plus, ils
répartissent les rôles et les activités, et
l'obéissance facilite grandement la tâche de
l'élève. Toute entorse à la règle
d'obéissance est sanctionnée sévèrement :
retenue, devoir supplémentaire, exclusion temporaire sont le lot de tout
élève en mal d'opposition. L'obéissance remplace la
décision, le rite rend inutile l'initiative. Aussi peut-on rapprocher
cette mise en scène de la vie scolaire des conduites ludiques. L'amour
des règles, l'obéissance parfaite de l'élève
à ces règles, parfois très compliquées et toujours
stricte, imposent souvent à l'acteur une véritable ascèse.
La soumission au rituel de la vie scolaire ne peut-elle pas à son tour
être considérée comme un moyen de s'intégrer
à la société scolaire ? Ce que l'écolier fait
pour plaire à l'adulte, c'est-à-dire au maître pour
participer à la vie sociale de l'école, avec un minimum d'efforts
personnel, l'adolescent en tolérera mal ou refusera dans le cycle
secondaire.
Il semble donc que le cérémonial de la vie
scolaire et le rituel qui imprègne les relations
enseignant-élève aient une valeur symbolique. Cette valeur
symbolique peut être considérée comme une manifestation du
rôle socialisateur de l'école ; celle-ci est, au sens
sacré du terme (car toute initiation relève du sacré) une
initiation de la vie d'adulte ; et les élèves, sous la
conduite sûre du «magicien » de la science,
accomplissent à l'école leur rite d'initiation aux grandes
valeurs de la société.
Toutefois, l'obéissance aux règles ne va pas
toujours de soi. En effet, face à la contrainte et à l'oppression
dont ils sont l'objet par le truchement de l'administration scolaire, les
acteurs scolaires situés en marge des réseaux qui se
développent à l'ombre des lois et règlement des centres de
décision des politiques éducatives, développent une
culture de conflit avec l'institution scolaire. Les éléments
constitutifs de cette culture peuvent être mis à nu lorsque
l'analyste procède à une véritable «anthropologie
de la quotidienneté » (Monga, 1991 : 10), qui permet
de découvrir la charge contestataire d'un certain nombre de pratiques
dont la logique dévoile non pas tant l'opposition et la
résistance des jeunes scolaires du second degré, mais une
production, une invention d'un espace symbolique inédit pour permettre
à la société scolaire de gérer son
équilibre. Si l'on considère ce qui se laisse observer dans les
établissements scolaires secondaires de Yaoundé et en
dépit des règlements qui prescrivent aux élèves
les conduites à tenir, l'on constate que ce qu'il est convenu d'appeler
le « moi social scolaire », se crée ses
propres normes, se bâtit dans une sorte d'informalité des
structures du jeu toujours plus nombreuses qui ressortissent à cette
univers de sacralité susmentionné. C'est ce caractère
sacré participant du scolaire, de l'interactif et du social qui rend
quasiment intolérable toute désobéissance.
IV.1. 1. La
désobéissance aux règles : les punitions
Au cours des discussions individuelles avec les
élèves, nous avons abordé à plusieurs reprises les
mauvaises actions qui justifient de la part du professeur les punitions les
plus sévères. A la question de savoir quelles sont les actions
les plus sévèrement punies à l'établissement, nous
avons recueilli les réponses suivantes : mauvaise conduite,
copiage, bavardage, mauvaise camaraderie, mauvais travail. Toutefois, le
copiage vient en tête des actions répréhensibles, le
bavardage est jugé plus grave que le mauvais travail. La mauvaise
conduite, qui comprend tout ce qui peut perturber la classe et amener des
relations difficiles avec l'enseignant, ne vient qu'en quatrième
position, tandis que la mauvaise camaraderie peut à peine être
considérée comme un délit scolaire.
Ainsi la punition se réfère à l'ensemble
des peines attachées à la «chose
éducative ». Elle est, en effet, la somme des
méthodes permettant de décourager les actes
répréhensibles. Ce sont en un seul mot des blâmes.
Tout éducateur sait que l'instruction doit aider les
individus à devenir des membres utiles de la société.
C'est ainsi que les enseignants sont appelés à aider les
élèves à apprécier à juste titre leur
héritage culturel et à mener une vie plus enrichissante. De ce
fait, les années de scolarité doivent préparer les
élèves à assumer leurs responsabilités futures,
à développer la joie de vivre et à devenir des hommes et
des femmes équilibrés et intègres. Pour réaliser
cette harmonie, la pédagogie contemporaine s'attache à corriger
les élèves indisciplinés afin de décourager les
initiatives malsaines. Ainsi, un élève qui ne révise pas
ses leçons n'est pas admis en classe supérieure. Très
souvent, les paresseux et les indisciplinés sont soumis à des
punitions diverses : nettoyage des salles de classe, des toilettes, de la
cour, corvée diverses, des retenues, exclusions temporaires ou
définitives de l'établissement, fessées publiques, etc.
Ces punitions commencent toujours par des avertissements devant leur permettre
de prendre conscience de la repréhensibilité de leurs actes. De
même en les punissant, l'autorité scolaire présente
à tous les élèves déviants le traitement qui leur
est réservé.
Cependant, parce que le but de l'éducation est de
développer en chaque individu toute la perfection dont il est
susceptible comme le dit le philosophe allemand Kant, il y a lieu de noter que
les élèves qui se distinguent positivement sont aussi
«sanctionnés » par les dirigeants de
l'école.
IV.1.2. Les
récompenses
Nombreux sont des élèves qui surmontent les
seules inhibitions scolaires pour s'affirmer et s'imposer à
l'école. A ceux-ci, les différents établissements
scolaires donnent la possibilité d'aller en classe supérieure,
leur octroient des bourses scolaires ou de formation à
l'étranger. Ceux qui ont une moyenne supérieure ou égale
à 12/20 reçoivent des parchemins comme les tableaux d'honneur,
d'encouragement et de félicitations. Ces encouragements incitent les
concernés à la persévérance et amènent les
autres à travailler plus assidûment afin d'être
primés aussi prochainement.
IV.2. LE «METIER
D'ECOLIER »
L'observation empirique de la scène scolaire à
Yaoundé, laisse voir que l'école n'est pas uniquement un lieu
où l'on apprend des savoirs, des savoir-faire, il s'agit plus
d'apprendre les ficelles, les «trucs du
métier », de trouver comment se débrouiller, les
tabous, entre autres. La vie à l'école est un processus continuel
de négociation, disions-nous, souvent subtilement implicites. On
s'attachera dans ce paragraphe à découvrir les règles
informelles qui sous-tendent ces négociations, et maintiennent la
cohésion de cette communauté de travail. Pour cela, nous
prendrons appui sur tout ce qui semble déviant, banal, parfois
même dénué de sens.
En cela, l'hypothèse que nous essayons de
vérifier dans cette partie de notre travail, celle du
«métier d'écolier » s'exprimant non pas
dans le rôle prescrit par ceux qui déterminent l'autorité,
mais à travers la manière dont les élèves
eux-mêmes conçoivent ce rôle d'une part, et celle de la
carrière d'enseignant se dévoilant comme processus continuel de
négociation conflictuelle implicite régis par des
stratégies de survie visant à «faire
face » au dérive du système éducatif
actuel.
IV.2.1. Les
procédures de négociation du travail scolaire
Seront considérés ici, sur un même plan
et traités comme des redéfinitions de la situation
opérée par les élèves qu'associent
différentes stratégies. Ce concept de stratégie
considérée ici comme central, est entendu comme «lien
où l'intention individuelle et les contraintes extérieures se
rencontrent » (Cf. Année sociologique,
3e série, Vol.37, 1987 :397). Au nombre de ces
stratégies, figure le chahut
IV.2.1.1. Le
Chahut
Selon le dictionnaire Le Robert, le chahut est une
agitation bruyante (sv : « chahut »).
Dans le contexte d'étude qui est le nôtre, il renvoie aux tumultes
d'écoliers destinés à protester contre un professeur ou
encore un vacarme accompagné de désordre, en particulier pendant
le cours.
L'opposition des jeunes à leurs enseignants est
donnée à peu près permanente de l'histoire. L'observation
des espaces scolaires yaoundéens laisse percevoir de
façon perpétuelle des chahuts dans l'ensemble du groupe-classe.
Il s'agit, en effet, d'un «chahut
traditionnel » qui parfois se transforme en ce que
Jacques Testanière a appelé « chahut
anomique ».
Dans le cas classique que nous avons eu à observer, il
est le fait de l'ensemble du groupe-classe visant davantage le personnel
subalterne (surveillant général, surveillant de secteur) que les
professeurs principaux et ponctue des périodes précises du temps
de travail scolaire. Dans l'ensemble, le chahut, au-delà d'être
qu'un simple vacarme accompagné de désordre, ou qu'un tumulte de
lycéens et collégiens destinés contre l'autorité
éducative, renforce la cohésion du groupe-classe et de la
société lycéenne en favorisant l'intériorisation
des normes en vigueur.
Dans le cas du «chahut anomique », le
constat est qu'il se manifeste sous forme d'un désordre
généralisé sans meneur, sans objet précis ni plan
préparé à l'avance, qui se traduit par des infractions
graves à l'ordre scolaire (insultes, vols, déprédations)
à travers lesquels les élèves se révoltent aussi
bien contre les normes que contre les buts de l'institution scolaire
(Testanière, 1987).
Ces formes de révolte sont en fait des
stratégies conscientes de résistance à la scolarisation.
Les lycéens et les collégiens yaoundéens
produisent ainsi une culture anti-scolaire originale en s'appropriant de
façon sélective des éléments de culture
juvénile véhiculée par les médias. Cette culture
est marquée par la violence. Cette culture du chahut anomique serait
à la fois opposition à l'ordre scolaire et intégration
à l'ordre social (Wills, 1977). C'est également dans cette
logique que s'inscrivent les conséquences induites par la
« diplomythe ».
IV.2.1.2. La
« diplomythe » ou l'école du comment :
manifestations et conséquences
La « diplomythe » que nous
empruntons au sociologue camerounais Jean Mfoulou se réfère ici
à l'imaginaire, aux représentations que les camerounais ont du
diplôme. En effet, comme le révèle Mvesso (2005 :18),
le système éducatif camerounais actuel est largement tributaire
du modèle des années soixante, c'est-à-dire un ensemble de
structure scolaires léguées directement par les puissances
coloniales, en l'occurrence l'Angleterre et la France qui venaient
« d'octroyer » l'indépendance au Cameroun.
Au lieu de se libérer de la colonisation éducative par la
revalorisation de l'identité culturelle à partir des programmes
d'enseignement endogènes, les degrés de l'enseignement restent
ceux des anciennes métropoles et dont l'objectif manifeste est de
socialiser autant de camerounais que possible. A ce propos, Mvesso affirme
ainsi :
« Nul ne songe, en ces années
d'euphorie, à remettre en cause ni les contenus, ni la finalité
fondamentale de cette école qui consiste rien moins qu'à
intérioriser les codes culturels européens, dans une langue
européenne et à obtenir le label magique : le diplôme,
véritable ticket-miracle pour l'intégration socioprofessionnelle.
En vérité, il ne pouvait pas alors en être
autrement » (ibid. : 19)
Ainsi, l'une des ressources à capitalisées dans
la négociation de l'insertion dans les systèmes dominants est le
diplôme dont la fonction sociale est allée croissante depuis le
début des colonisations. Il apparaît encore, dans l'imaginaire
d'un grand nombre de jeunes et leurs parents, comme permettant l'accès
aux privilèges de l'argent. Le diplôme est perçu aussi
comme un signe de distinction sociale si l'on en juge par la manie de nombre
des diplômés à brandir leurs titres sur leurs cartes de
visite ; il conditionne encore l'accès à des postes de
responsabilités. Compte tenu de la question des débouchés
et des emplois, il sert à façonner une image et une
réputation.15(*)
Les jeunes camerounais de la deuxième
génération, celle de la crise des années 1990, crise
socio-politique et crise économique aiguës, ont pour reprendre
Mvesso (ibid. : 25), prolongé ce système des attentes
qui avaient cours et pouvaient être satisfaites pendant les deux
premières décennies qui ont suivi les indépendances des
années 1960. Ainsi ce qui compte dans le système, c'est le
diplôme et non le contenu et l'organisation de la formation. Nombre de
jeunes camerounais vivent ainsi une sorte de cécité volontaire.
Ils veulent ni ne peuvent voir les avantages scolaires ou pédagogiques
du nouveau système dès lors qu'il n'ouvre pas le sésame de
l'insertion socio-économique linéaire des premières
années (Mvesso, ibid. : 26).
Cette mentalité bureaucratique, mieux ces attentes
bureaucratiques sont aujourd'hui encore l'objet de nombreuses pratiques tant
par les élèves, leurs parents que les encadreurs.
IV.2.1.3. La
tricherie
S'il n'atteste plus ni de la compétence, ni de
l'assimilation des programmes, le diplôme est pourtant devenu un
phénomène culturel adapté aux logiques qui structurent les
mentalités des sociétés camerounaises actuelles. Facteur
d'intégration sociale, le diplôme provoque un comportement
culturel de la part de tous les acteurs sociaux. Sa non obtention sanctionne la
faillite des rêves (Mbembe, 1985 :56).
Pour le conquérir, les élèves ont besoins
des notes qu'ils cherchent alors par tous les moyens. Des pratiques multiformes
existent, dans le but de contourner les obstacles de la sélection. Les
fraudes, la corruption des correcteurs d'examens, les trafics de tous genres
constituent à l'heure actuelle la gamme des réponses des jeunes
scolaires d'enseignement secondaire face à la rigidité d'un
système d'où sont exclus tous ceux qui ne parviennent pas
à surmonter les rigueurs d'une structuration sociale de plus en plus
inégalitaires (Mbembe, ibid. : 57). Dans ce contexte,
Mbembe relève que,
« La tricherie cesse d'être, dès
lors, un simple problème moral qu'on résoudrait à coup
d'incantations pieuses et de conversions miraculeuses. Elle est une
réponse politique à un système qui, en même temps
qu'il autorise tous les rêves, détruit par d'autres dispositions
les espoirs qu'il agite, mais est inapte à satisfaire »
(ibid.).
Il faut lire derrière ces propos que la tricherie que
l'on observe dans toutes les institutions scolaires camerounaises n'est pas la
réponse des seuls élèves paresseux ou de ceux qui tiennent
à tout prix à figurer sur les tableaux d'honneur.16(*)
Il ne s'agit pas non plus, à la vérité,
d'un «fléau »17(*), mais d'un mécanisme social inventé par
les jeunes, lesquels participe d'une logique imposée par un mode de
travailler, de produire, de réussir, d'accaparer le pouvoir et les
richesses. Elle est compréhensible si l'on s'obstine à la
considérer sous ses seuls angles moraux (Mbembe, ibid.) Il
s'agit aujourd'hui et souvent, d'une réponse organisée qui
implique des acteurs aussi divers que les élèves et leurs
parents, les enseignants et les fonctionnaires des administrations
scolaires.
La fuite des sujets d'examens part en effet des bureaux
d'organisation des examens et concours. Ce phénomène s'explique
par le fait que, pressés d'arrondir les fins de mois, certains
personnels administratifs ou les enseignants vendent des épreuves, de
«l'eau » pour utiliser le jargon du milieu scolaire. A
la périphérie des mécanismes officiels
s'institutionnalisent des pratiques qui tentent d'équilibrer les
inégalités structurelles que légalisent les voies
officielles. Les acteurs, subordonnés ou non, s'évertuent
à tirer ainsi parti de ce qu'on pourrait appeler le
«désordre légal ». Interrogé
à ce sujet, un enseignant tente de révéler une des
stratégies :
« La multiplication des petits
centres, efficace pendant la phase écrite, devient préjudiciable
dans la phase des corrections, et doit être strictement limitée si
ce n'est proscrits dans les épreuves pratiques des examens techniques.
Pour ce dernier cas et au niveau des examens DECC concernés, le fait que
nombres d'enseignants interrogent leurs propres élèves permet de
tisser des réseaux de corruption pendant l'année scolaire, au
quartier, si bien que le moment venu l'on ne puisse rien détecter dans
les centres d'examens alors que l'argent circule bel et
bien »
Ainsi la prostitution scolaire aggrave-t-elle,
elle-même, la situation, car touchant et mettant surtout en cause
l'intégrité du corps enseignant. Les sanctions et les exclusions
ne contribuent guère à trouver des solutions là où
les sujets d'examens eux-mêmes font appel, non à l'intelligence et
à l'analyse critique, mais à la répétition et au
mimétisme (Mbembe, ibid.).
C'est dans ces conditions que nombre d'élèves,
pendant les compositions, ont sous leur chemise ou copie, des feuilles
vulgairement appelées «cartouches »,
«fax » qu'ils consultent à tout moment après
le passage des surveillants qui sont moins nombreux pour contrôler la
salle. Ceux qui sont surpris en train de tricher sont traduits au conseil de
discipline ou restent simplement impunis.
Les tricheries sont ainsi devenues un élément de
la société camerounaise et de son système éducatif.
Elles se développent de plus en plus aujourd'hui dans le milieu scolaire
yaoundéen. Elèves, enseignants, agents de bureau,
parents d'élèves participent à son extension, mues par des
préoccupations qui ne sont pas seulement alimentaires ou liées
à des besoins immédiats.
En vérité, l'ensemble des
phénomènes observés ci-dessus n'est pas seulement subi par
les élèves. Ceux-ci en sont aussi les acteurs, au sein d'une
relation qui n'est pas seulement passive mais aussi active.
IV.2.1.4. La
flânerie des élevés dans la ville de
Yaoundé comme théâtralité de l'ethos
underground
Cette partie se propose d'étudier la
représentation de l'ethos underground dans l'univers scolaire où
elle se dégage de pratiques privilégiées comme l'exercice
de la ruse et des détours, la flânerie outsider et d'autres formes
de mouvance à travers les frontières des établissements.
À partir de la perspective de l'invention du quotidien de Michel De
Certeau, la démonstration met en relief la déroute du sens dans
les rapports entre l'élève et le langage canonique du
règlement. Il est question aussi de penser le développement d'une
esthétique pluriculturelle en tant que réaction à
l'orthodoxie du sens.
En effet, dans la plupart des règlements
intérieurs, et afin de limiter la flânerie et le vagabondage au
sein et en dehors de l'établissement18(*),
« Il est demandé que les
élèves demeurent en classe en cas de permanence ou en cas
d'absence de professeur. Quel que soit le cas, il est exigé que les
élèves rentrent tous à 7h30, qu'ils sortent tous à
15h30 ou à la recréation, dans un mouvement d'ensemble. De sorte
que s'ils se retrouvent indûment dehors, aux heures de travail, sous
prétexte qu'il y a permanence ou que le professeur est absent, ils
tombent sous le coup de la loi ant-flâneur et sont portés
absents »19(*).
A travers cette déclaration, on voit bien qu'il n'est
pas permis aux élèves de flâner, c'est-à-dire
d'errer aux heures des cours fut-il pour les motifs de permanence ou d'absence
d'un enseignant.
Or, à l'observation des établissements
scolaires secondaires et de leurs alentours, il se déploie, au jour le
jour, au travers des comportements des élèves, une
révolution tranquille qui bouleverse les institutions scolaires et
exprime une mutation de moeurs et d'idéaux. Ces comportements d'acteurs
scolaires, dans un compromis avec les normes officielles, produit à sa
manière des ruptures et des transformations dans le cadre de cette crise
éducative.
Les investigations que nous avons effectuées dans les
établissements d'enseignement secondaire à Yaoundé ont
permis de dégager la mise en place des conditions d'une culture
nouvelle, repérées dans la conduite des l'élèves
qui incarnent la figure du flâneur, jouant le rôle d'un être
de frontières.
Entre mouvances et détours, ils inscrivent la
pluralité culturelle dans l'espace scolaire et extra-scolaire. Tout en
réalisant leur errance dans des espaces-temps
hétérogènes, les élèves-flâneurs
à Yaoundé semblent ramasser les marques de l'ethos de
cultures hétérologiques et bricoleurs, ils créent les
moyens pour leur mise en relation dans un contexte dorénavant
pluriculturel. La relativisation des vérités, des dogmes, des
paradigmes imposés comme modèles à être reproduits
par tous et partout, en dépit de la diversité de contextes et la
pluralité des structures qui les composent, se réalise dans la
figure et dans l'action des élèves, ces «êtres de
frontières ». La mise en question de la rigidité
d'une "vérité" peut représenter aussi la transgression des
limites spatiales. Dans un élan de liberté, ouvre le monde clos
de l'école vers l'extérieur de la rue, établissant la
porosité de l'espace scolaire qui permet l'intervention des
élèves-flâneurs dans la réinvention du quotidien.
Errants sans ancrage, les élèves-flâneurs, ne trouvent pas
de limites à leur besoin d'habiter l'entre-lieu constitué dans un
espace de «rhizomes ». Les
élèves-flâneurs possèdent la capacité de
fleurir partout, puisque leur identité s'est formée dans le
va-et-vient entre des champs les plus divers. La condition d'errance se
détermine par une conduite déviante qui les a menées dans
l'espace de la rue pour, peut-être, essayer d'y tracer leur propre
chemin, celui de sujets d'appropriation.
Pour Becker, un individu ou un groupe déviant
s'organise "autour de valeurs et d'activités qui s'opposent aux
conventions de la société globale." La condition
outsider favorise le développement de l'errance et vice-versa,
car l'une engendre l'autre. En tant qu'errant, les élèves, qui se
trouvaient en situation de fuite vers les débits de boissons, les
vidéos-clubs ou les salles de jeux de hasard (jeux de carte
fap-fap ou djambo, flipper,
baby-foot, vidéo-game...) qui environnent leur
établissement, pour ne pas être découverts,
développent la pratique de la déviance. L'identité du
flâneur se construit dans les lieux parcourus dans son errance et se
définit dans l'acte déviant de la traversée. C'est dans ce
périple qu'ils développent ses processus de cognition ontologique
et de relation avec l'ambiance qui les entoure.
Dès lors le chercheur interroge le code dicté
par ces lieux de ludiques extra scolaires, lorsqu'ils accordent leurs pas et
rythmes aux variations des espaces par où ils circulent, quand ils
échappent à la surveillance des parents et des encadreurs
scolaires. Tout se passe comme si les élèves
yaoundéens connaissaient le besoin d'expérimenter, dans
leur marche, les limites de leur propre corps au moment de se heurter aux
obstacles inscrits dans le chemin qu'ils traversent, où les interdits
constituent une invitation à l'exercice de transgressions et de
dépassements.
Fatigués de penser la vie à partir de la
perspective du monde clos de l'école, de la maison et de la protection
de la famille, aujourd'hui nombre de lycéens et collégiens comme
on peut le constater, sortent dans la rue vers l'espace ouvert, choisissant ce
lieu profane qui fuit le contrôle dogmatique et favorise
l'avènement de pratiques marginales. Dans la rue, l'improvisation est
l'arme qui caractérise et permet la métamorphose, l'adaptation
à un univers toujours en mouvement. En effet, sortir vers l'espace
ouvert représente un défi pour les
élèves-flâneurs interrogés, celui de traduire dans
un langage les divers registres culturels repérés dans le
quotidien urbain : fumer, consommer de l'alcool et de la drogue, faire la
coquetterie, s'amouracher, s'habiller en Yo'r20(*). Cette tâche permet
le développement des possibilités cognitives qui essaient
d'expliquer la vie, à travers l'exercice de la perception activée
par la stimulation des sens dépouillés des repères de
l'espace intime de l'école, de la maison et libres pour se manifester,
en captant les registres des altérités plurielles. Observateur
attentif, le flâneur met à preuve et améliore son potentiel
de perception quand il vogue par des espaces illimités, cueillant, par
le plein usage de ses sens, les référents les plus divers y
enregistrés.
En contact avec la différence, les
élèves-flâneurs yaoundéens, «les
êtres de frontières » se perçoivent dans un
monde pluriel et se constituent dans ce divers. En rupture avec les structures
dualistes, ils ne s'ancrent pas aux marges et transitent dans tous les champs.
Avec eux, la frontière perd sa signification et ne se caractérise
plus comme diviseur du tout, car, `'l'entre-deux'' est une forme de
coupure-lien entre deux termes.
Ainsi, dans sa nouvelle signification, la frontière
devient ligne de tangence, point de contact et d'échange, d'inclusion de
différences, pont qui lie les marges et sur lequel se heurtent, se
confondent et s'hybridisent les hétérologies, configurant un
espace entropique, pluriculturel, où se manifestent aussi des
identités undergrounds auparavant exclues parce qu'elles
différaient du canon. La trahison d'un ordre est lue par De Certeau
comme manifestation de l'étranger dans le territoire interdit:
"Transgression de la limite, désobéissance à la
loi du lieu, il figure le départ, la lésion d'un état,
l'ambition d'un pouvoir conquérant, ou la fugue d'un exil, de
toute façon la 'trahison' d'un ordre." Hybride, riche, fortifié
par la dialogie différentielle, l'errant underground
déplace les marges et relit le paradigme de limites, agrandissant cet
entre-lieu situé entre des frontières paradigmatiques qui
interposent des raccourcissements, excluant des altérités
étranges à son contexte. Exilés du centre, ils refusent la
périphérie en inscrivant le contre-texte outsider dans la matrice
canonique, en faisant déborder la matière hybride au-delà
des frontières, en développant dans la clandestinité la
ruse, qui lui permet de transposer des barrières, lorsqu'il doit
improviser pour survivre. L'ampliation de l'entre-lieu hybride,
kaléidoscope composé d'une mosaïque
hétérologique, construit un espace relationnel où
s'annulent les oppositions. Habiter l'hybride confère aux
élèves-flâneurs le pouvoir ou la tâche de diversifier
l'universel, ou celle d'universaliser le diversel, d'arroser avec le grain de
la pluralité les champs les plus opposés et monolithiques. Cette
tâche se réalise dans l'univers scolaire, lorsque les
élèves-flâneurs, être de frontières, part vers
l'aventure errante. Leur « bateau », qui navigue
vers une destination méconnue, est le seul capable d'atteindre
« la fin du monde », qui ne se trouve pas au bout
de la ligne cartésienne tracée par les politiques et programmes
éducatifs, mais dans les points d'intersection des chemins tortueux.
Cette image configure le va-et-vient constant qui donne à l'être
de frontières l'avantage de traverser les quatre coins du
présent. Ainsi, embarqués dans leur
« bateau », les
élèves-flâneurs partent vers « la
conquête du présent », pour reprendre l'expression
de Maffessoli (1979). La description du « bateau »
donne la mesure, dans des proportions démesurées, de la faim de
conquérir l'urbanité, du besoin de tout dévorer, de
traverser le seuil de plusieurs portes, les plus divers et secrets coins de la
cité.
Ainsi, l'identité du flâneur aura
tatouée en soi la pluralité des registres culturels cueillis dans
la diaspora outsider. L'appréhension du tout par
l'élève-flâneur se fait par la circulation et par son
intromission dans tous les champs par lesquels il passe. Dans ce passage, il
dissémine le facteur hybride et fait interagir les cultures les plus
opposées. Tel est le rôle du flâneur outsider,
constructeur d'une esthétique nouvelle, hybride, pluriculturelle. Sa
différence, son identité se bâtit dans une formation
hétérologique, produite par des expériences vécues
dans des espaces complexes, divers. L'être de frontières fait de
cette diversité, qui menace l'ordre unique - instrument monolithique de
légitimation de frontières - l'outil qui lui permettra de
dépasser les limites canoniques du lycée ou du collège,
mieux de l'institution scolaire. Il pourra ainsi faire dialoguer des registres
culturels qui, parce qu'ils représentent une hétérologie,
sont utilisés comme prétexte pour justifier le partage de
l'univers scolaire en une structure manichéiste.
Dans l'entre-lieu des lycées et collèges de
Yaoundé, ce discours hétérologique est
matérialisé dans le langage de frontière et dans sa
pratique, répertoriée dans le rôle joué par les
élèves déviants. Ces figures, en tant que
représentants de la marge, inscrivent dans leur langage toute la
polyphonie construite dans l'entre-lieu où des différents
discours circulent dans des relations changeantes et multivalentes
d'opposition. Le propre du discours des élèves déviants
se produit dans cette pratique, dans le mouvement d'oscillation constant de ces
personnages qui tracent un pont croisé par des voix tantôt
opposées, tantôt en relation. C'est de l'alchimie de ces contacts,
de ces échanges, que se construit un nouveau langage hybride,
formé de fragments du choc entre champs opposés et de la
créativité développée dans la pratique de survie,
propre à ceux qui doivent inventer des détours pour vivre. Les
élèves yaoundéens inscrivent, ainsi, dans leur
langage, le processus d'hybridisation culturelle, quand ils travaillent le jeu
de forces qui révèle les stratagèmes du pouvoir
paradigmatique et l'émergence des différences marginales. C'est
dans la relation rusée établie entre les
élèves-flâneurs, vus comme représentants de la marge
qui se déplacent entre des pôles opposés, et les personnes
identifiées dans l'ordre orthodoxe (les encadreurs et les enseignants)
que sera déclenché tout le processus de construction d'un
ethos underground marqué par l'hybride, dont la constitution
s'est produite aussi dans la dialogie entre des champs divers et pluriels, en
déconstruisant tout le concept de pureté canonique scolaire. La
pédagogie de la ruse ne se développe pas seulement dans la
pérégrination par l'espace oppresseur, mais se constitue surtout
dans un lieu de frontières, où le rusé circule avec
intimité entre des champs opposés: d'un coté
l'unicité, l'immutabilité et les limites de la pensée
paradigmatique instituées par l'institution-école; de l'autre, le
domaine du devenir, du multiple, de l'instable, de l'illimité, de
l'opinion oblique et flottante. Ce rôle est joué par les
élèves-flâneurs. La mouvance des élèves dans
cet espace de frontières permet la construction d'une identité
d'origine multiple, fragmentée, mais consistante, avec lacunes, qui
s'oppose à l'identité monolithique imposée malgré
les registres multiples, fondée dans le gommage d'autres
référents identitaires étranges à ses
stéréotypes.
Dans leur circulation entre des zones opposées, les
élèves comprennent la relativité des vérités
à partir de ce transit entre l'orthodoxie scolaire incarnée par
l'école, et l'hétérodoxie, représentée par
le flâneur. Ainsi les élèves-flâneurs
dénoncent-ils la logique dogmatique en comprenant la situation à
partir de la frontière d'où ils lisent les
références. Dans ce jeu de pouvoir de structure binaire, les
élèves essaient d'inclure les altérités diverses.
La flânerie et les élèves-flâneurs sont perçus
comme un mal à être exorcisé par l'institution scolaire,
toutefois, frontière transposée, les
élèves-flâneurs inversent le jeu dans l'espace scolaire, et
le mal revient du coté de l'école exerçant ainsi
l'ambiguïté de la conception de déviant d'après
Becker (Op. cit.). Les élèves-flâneurs, croient
avoir trouvé leur place au monde du dehors, pour, après,
relativiser leur choix. Ce choix est illusoire, car le flâneur ne trouve
ancrage que dans l'errance. Ce jeu de circulation entre les deux
côtés fait partie de la conscience rusée des
élèves qui savent que leur conduite déviante ne gagne
statut de transgressive que par sa reconnaissance par le canon imposé,
celui de l'établissement fréquenté.
A partir du chahut et de la flânerie, il appert donc que
les élèves apprennent à devenir élève non
pas tant au niveau du rôle prescrit par ceux qui détiennent
l'autorité, mais à travers la manière dont les
élèves eux-mêmes conçoivent ce rôle, sachant
que des cultures différentes s'entrechoquent.
IV.2.2. La
carrière d'enseignant
La socialisation professionnelle est identifiée
à partir des plaisanteries et des menus incidents quotidiens, les
grèves qui donnent une image pertinente de l'évolution de la
carrière d'enseignant en tant qu'intégration et
développement de l'identité professionnelle.
IV.2.2.1. Image du
métier et vocation
L'image que les enseignants donnent d'eux-mêmes est
étroitement liée aux objectifs qu'ils se proposent d'atteindre en
exerçant la profession qu'ils ont choisie. L'image du métier et
celle du professeur se fondent dans la notion de vocation, largement
commentées par nos enquêtés. Elle se dégage des
réponses à la question suivante :
« Pouvez-vous résumer en quelques mots l'idée que
vous vous faites de votre métier, du rôle que vous jouez dans
l'éducation des jeunes ? » Les commentaires
recueillis sur le sens et la signification du métier, du rôle de
l'enseignant dans l'éducation des jeunes se résument ainsi :
« Passionnant, mais métier ingrat et
difficile » ; « un métier noble »,
tels sont les termes dans lesquels les enquêtés parlent de leur
métier, indépendamment du sexe et du type d'enseignement. Ce
métier « possède une grande valeur »,
puisqu'il s'agit « de conduire les enfants vers un
but », « éduquer les enfants », et de
« former de futurs hommes qui devront rester eux-mêmes au
sein des autres ».
Au regard de ces réponses, il se dégage une
préoccupation sociale : participer à l'élaboration et
au devenir de la société.
Certains enseignants considèrent le métier comme
une « vocation », une
« apostolat », « un
sacerdoce ». Ces termes n'impliquent-ils pas l'idée de
sacrifice, du don de soi, à un idéal ? Ceci rapproche du
modèle éthique tel qu'il est conçu par Gobry : la
mobilisation de toute son énergie au nom d'une valeur est une tentative
d'atteindre l'absolu (Gobry ,1962 :461). Cependant, ces enseignants
reviennent à une conception plus réaliste et considère que
« c'est un métier difficile et
délicat ».
La notion de vocation quant à elle exprime une
idéologie qui est une des caractéristiques du corps enseignant.
Elle est comme le révèle Mollo (Op. cit. p.166),
traditionnellement un facteur d'unité, oriente la morale
pédagogique enseignée à l'école normale.
L'autoportrait des enseignants montre ainsi l'enthousiasme et
l'abnégation pour certains qui consacrent leur vie à la
propagation de l'instruction. Nous avons à ce sujet relevé
l'emploi d'un vocabulaire emprunté à la mystique :
«don », « vocation »,
« exaltant ». L'on retrouve derrière ces
expressions l'imaginaire des enseignants qui est qu'on ne peut bien
réussir dans ce métier que lorsqu'on à la vocation,
c'est-à-dire l'amour de la culture, de la jeunesse ou de l'enfance et de
la démocratie sociale. Dans cette perspective, l'observation directe du
monde d'enseignant à Yaoundé nous permet de distinguer cette
catégorie d'enseignant qui s'impose tout au long de leur ouvrage, une
morale ascétique, et donne le pas à la vie professionnelle sur la
vie privée. Ils compensent même la modicité de leur
traitement par la conscience du rôle de mission sociale et culturelle qui
leur est dévolu.
Vue sous cet angle, le métier d'enseignant semble donc
mobiliser toute l'énergie humaine, accaparer tout son temps, orienter
ses distractions et ses loisirs, et lui impose dans sa vie privée une
règle morale jamais prise en défaut. Ainsi, est-il
demandé à l'enseignant de mettre en pratique la morale qu'il
enseigne ; il se présente constamment à son entourage comme
un exemple à suivre. En réalité, le professeur est ainsi
condamné à une attitude théâtrale, comme s'il
était en perpétuelle représentation. Mais que reste-t-il
de cet enseignement dans la vie du professeur ? Le portrait qu'il trace de
lui-même, et l'opinion qu'il donne de son métier permettent de
constater la difficulté qu'il y a à rationaliser la vocation. En
effet, ce n'est que par le biais de l'inventaire des avantages du métier
qu'il est possible d'aborder du contenu de la vocation. Ce qui diffère
celle-ci des justifications logiques, c'est le lyrisme du vocabulaire
employé, la valeur morale et l'intellectualisme des arguments
invoqués, l'absence totale de référence au monde
réel et matériel : « C'est un métier
exaltant, noble, passionnant, enrichissant, vivant ». Les
superlatifs ne manquent pas pour qualifier l'enseignant. Les professeurs
interrogés insistent beaucoup sur la valeur humaine et sociale de leur
travail : « contribuer à l'éducation des
jeunes me paraît une tâche les plus belles »,
déclare une enseignante en fin de carrière.
Les enseignants justifient leur satisfaction personnelle
(c'est un métier intéressant qui enrichit celui qui l'exerce),
par le caractère social de leur travail (en se dévouant pour
instruire les autres, on s'enrichit soi-même). Cette
ambiguïté qui fait osciller l'enseignant entre l'orgueil et un
dévouement sans limite, est bien exprimée par un professeur
prêtre interviewé au collège Vogt :
« Sur le plan personnel, il est sans
doute peu de métier aussi enrichissants qui rendent aussi respectueux de
la liberté des autres, qui donnent de telles leçons
d'humilité, une conscience aussi aiguë de ses défauts et de
ses limites peu de métiers aussi modestement
grands. »21(*)
En vérité, la vocation anime un enthousiasme
relativement désintéressé et thérapeutique :
c'est du moins ce qui semble se dévoiler derrière les propos d'un
enseignant de l'Institut-Samba :
« J'aime le métier d'enseignant
même si aujourd'hui on ne gagne même plus grand chose. Cependant,
quand j'arrive dans ma classe tous les embêtements quotidiens s'effacent,
et même les ennuis graves disparaissent momentanément. Je me sens
soulagé avec mes élèves et j'aime ce que
j'enseigne ».22(*)
Au regard de cette déclaration, la vocation emprunte
ainsi ses arguments beaucoup plus au domaine de l'affectivité qu'au
raisonnement logique. Si certains enseignants se disent satisfaits de leur
situation, d'autres par contre ne ménagent pas leurs critiques, et font
parfois preuve d'une grande amertume. Bien qu'ils gardent leur foi dans la
valeur de leur métier, et se sentent la force de vaincre les
difficultés morales et matérielles qui les assaillent. Dans ce
contexte, deux niveaux sont à distinguer dans la notion de vocation
comme le révèle fort justement Mollo (Op.
cit.) :
- Le niveau individuel : ici, l'individu s'engage
totalement dans son métier. S'il enseigne dans de trop mauvaises
conditions sa propre valeur est remise en cause. Peu satisfait de sa vie
professionnelle, le professeur ne peut trouver de compensation en dehors de sa
profession.
- Le niveau social : les enseignants sont convaincus de
l'importance et de la grandeur de leur rôle. Ils contribuent à
l'enrichissement culturel, intellectuel et moral de la
société.
Cette double vocation de l'enseignement fait ainsi osciller
les enseignants entre deux attitudes extrêmes : l'enthousiasme ou le
découragement. A ce titre, Mollo souligne que,
« Si les difficultés matérielles
ou morales détruisent l'enthousiasme des enseignants, la
sévérité de leur jugement croit avec l'ampleur de leurs
ambitions déçues. Il semble bien que l'équilibre entre ces
deux extrêmes soit fragile. Si les inconvénients l'emportent sur
les avantages, l'idéal devient désillusion, la critique se
change en colère, l'engagement se perd dans le
découragement » (Mollo, Op. cit.).
A travers cette thèse l'on comprend en effet que toute
vocation semble être par nature exigeante et intransigeante. L'absence de
nuances dans les opinions exprimées par les enseignants
révèle l'existence d'un seuil en deçà duquel
l'excès d'enthousiasme de la vocation bascule dans un excès
d'aigreur et de découragement. Faut-il y voir une raison de l'apparente
rigidité des enseignants, qui engendre bien des incompréhensions
dans le dialogue que l'école s'efforce d'établir avec la
société ? C'est à peu près dans les
mêmes termes que les enseignants yaoundéens
évoquent leur métier. Il est question dès lors d'analyser
les arguments que fournissent les enseignants pour justifier une telle attitude
et l'importance qu'ils accordent autant à eux-mêmes qu'à
leur profession.
Jusqu'ici, dans le « royaume »
scolaire, l'enseignant avait un piédestal, un trône, une couronne
et un spectre. « Enseignant roi, un métier de foi, dans
une école de qualité », disait-on encore hier.
Mieux, il était démiurge et, détenant la science infuse,
était distributeur exclusif du savoir. A ce titre
précisément, il était faiseur de rois. C'est que
jusque-là, il était entendu et largement admis que la
qualité de l'école donc des citoyens futurs dépendait de
lui : « des enseignants de qualité pour une
école de qualité », disait-on naguère.
Roger Kaffo Fokou affirme à ce propos que,
« Ce statut privilégié a pu
pendant longtemps «plonger l'enseignant dans une douce somnolence. La
société, celle de son temps comme celle à venir ne pouvait
se passer de lui. Il est vrai, de manière générale,
« ses services n'étaient pas rémunérés
à leur juste valeurs » mais cela pouvait s'expliquer : ce
qu'il donnait n'avait pas de prix... En compensation, avait droit à la
gratitude de tous. Quand il passait, on ôtait le chapeau et on le saluait
bien bas : cela aussi n'a pas de pris ! Mais, comme disait Corneille,
« Même aux plus belle choses le temps se plaît à
faire un affront » (...) » Sensiblement, «
pendant que la panse de la bourse devenait encore plus plate, la
révérence se faisait moins basse, les dos plus
raides ». (La Voix de l'Enseignant, 2006 : 14.)
Que s'est-il donc passé au cours de toutes ces
années pour que l'enseignement considéré comme
«corps d'élite » tombe en
déliquescence ? « La profession à vieilli et
ce faisant, s'est démodée », répond un
enseignant. Pour le Bureau National du SNAES, dans son communiqué du 28
juillet 2006, il est clair que c'est «parce que le gouvernement
refuse de tenir les engagements qu'il avait pris au moment de la
réduction drastique des salaires » (ibid. :
15).
Malgré cette situation, les enseignants
enquêtés à Yaoundé estiment, tout de même,
qu'ils ont un rôle capital à jouer dans l'éducation et la
formation des jeunes. Ils travaillent « sur la matière
humaine », ils oeuvrent « pour l'avenir des
enfants », « c'est de l'enseignant que
dépend l'avenir du pays », « l'homme de demain sera
celui que nous avons façonné ».
Cette responsabilité que l'enseignant assume, tant
envers l'individu qu'envers la société, reflète bien
certaines persistances des conceptions sociocentriques et finalistes de
l'éducation. L'enseignant se sent investi d'une mission :
« la société lui passe une partie de ses
pouvoirs », et le « rôle de l'enseignants
améliore celui des parents ». Ainsi, l'enseignant se
présente-t-il non seulement comme un substitut du père, mais
aussi comme investi du pouvoir par la société ; il est
garant de la permanence et de la transmission des valeurs sociales. Il reste
donc bien dans la lignée des partisans de Durkheim : il est un
facteur de stabilité. Son rôle est de faciliter l'insertion de
l'homme dans une société bien définie (Mollo, Op.
cit:170).
Cette oscillation constante entre des intentions sociales et
la recherche de satisfactions plus personnelles débouche ainsi sur des
stratégies de survie développées par le personnel
enseignant pour « faire-face » à la
situation.
IV.2.2.2. Transaction ou
contrat éducatif : une stratégie de
survie ?
Aux Etats-Unis, dans les années 1960, des psychologues
ont cherché à dresser le tableau de l'économie
psychologique de l'interaction sociale. Ils ont mis en évidence la norme
de réciprocité (Gouldner, 1960), ils ont montré que les
confrontations interpersonnelles comprennent un échange, en coûts
et en bénéfices, de dépenses d'énergie
comportementale, investie dans le but de revenus éventuels (Thibault,
1959) et qu'elles sont déterminées par un point
d'équilibre final équitable entre les parties impliquées
dans la transaction (Homans, 1965).
Le mot «transaction » a
été alors adopté dans le sens d'une opération
« économique » conclue par un accord entre
ces parties, sur la base d'une mutualité d'avantages mutuels à en
retirer. La présente étude fait donc sienne cette
définition pour l'adapter, par analogie, à celle de la
transaction éducative. Aussi nous intéresserons-nous
précisément à l'aspect contractuel de la relation
pédagogique en termes d'opération à effectuer en vue d'un
but.
Pour faire face à la crise qui mine leur statut social,
les enseignants à Yaoundé développent des
stratégies de survie autour des contrats qu'ils établissent
entre eux et les élèves. Ces contrats sont de deux ordres :
D'abord, le contrat externe au groupe-classe. Il s'agit, en
effet, d'un contrat dans le cadre des cours de soutien individuel
appelés communément « cours de
répétition ». Les cours de soutien qui se
développent de plus en plus à Yaoundé sont des cours
dispensés à l'école et qui sont reprises à
domicile par un enseignant recruté à ce sujet. Il s'agit en fait
d'un processus d'entraînement dans le but d'amener l'élève
à maîtriser ses leçons. Les leçons vues à
l'école dans la journée sont ainsi répétées
à l'élève dans la soirée à domicile avec des
exercices d'application à l'appui. Ces cours de soutien ont pour but
d'accroître les performances de l'élève, de le
préparer aux épreuves d'évaluation continue ou d'examens
officiels.
Deux raisons fondamentales expliquent la prolifération
des ces cours de soutien à Yaoundé. La première est que,
pour faire face à l'échec scolaire de plus en plus croissant, les
parents d'élèves font recours aux cours de
répétition qu'ils payent par mensualité. Selon nos
investigations les coûts de ces cours supplémentaires varient
entre 3000 et 35000 FCFA en moyenne en fonction du nombre des matières,
du nombre d'heures et du nombre de personnes à répéter.
Conscient de ce fort souci des parents pour l'encadrement de leur
progéniture, les enseignants s'investissent davantage dans cette
activité afin de rehausser, à la fin du mois, leur traitement
salarial dévalué. La transaction ici apparaît comme un
phénomène social résultant d'échanges ; elle
établit les obligations respectives des partenaires. Les règles
du jeu sont fixées dans la situation créée par la
conjoncture économique et éducative. Les élèves et
leurs parents font face à l'échec scolaire. Les enseignants, eux,
veulent améliorer leurs revenus et donc leur condition de vie, leur
statut.
La deuxième raison, elle, est liée au
groupe-classe et participe également à la revalorisation et
à la restauration de l'autorité de l'enseignant. En effet, la
dévaluation du FCFA et les baisses de salaire intervenues dès le
début des années 1990 ont eu pour conséquence une
dévaluation du statut de l'enseignant. Comme celles de tant d'autres
camerounais depuis cette époque (et plus encore car il
bénéficiait de hauts revenus réguliers) ses conditions
d'existence sont devenues d'autant plus médiocres que les salaires les
plus élevés ont subi des baisses importantes. Aussi le respect
dans lequel était tenu le statut d'enseignants « du
secondaire » s'est-il effrité. Mais pour comprendre cette
mutation, il faut replacer le problème dans un contexte macrosocial qui
est celui de la « crise économique », mais
aussi de la « crise sociale ».
En fait, la scène sociale camerounaise est
émaillée depuis plus de deux décennies par une vague
successive et cumulative de transformation dont les répercussions sur
les relations sociales et son historicité deviennent de plus en plus
visibles. Comme le souligne Ngandjeu (1988 : 17) , en 1986,
« Le Camerounais (qui) n'avait subi qu'avec
moins d'effets négatifs la récession mondiale », et qui
était classé en « hit parade » de la
croissance économique en Afrique, connaissait lui aussi, les contre
coup de la « crise économique ».23(*)
Ainsi, pour faire face à la crise économique,
le Gouvernement s'est fixé pour objectif de restructurer son
économie en adoptant des réformes économiques et
sectorielles de grande envergure. Parmi ces réformes, figurent : la
restructuration des dépenses budgétaires par la baisse drastique
des salaires, la réduction des effectifs de la fonction publique
à travers la compression de fonctionnaire, etc. Si les populations
vivaient depuis toujours dans une situation de « crise
structurelle » ou de sous-développement économique
et social, c'est des pouvoirs publics qu'elles doivent depuis 1987
« l'aggravation » différentielle des
conditions de vie, par l'adoption des mesures de stabilisation des
dépenses publiques et de relance économique. La vie
économique et sociale s'est trouvée transformée depuis
lors. Les multiples campagnes d'information initiées par les pouvoirs
publics auprès des populations ont justement pour but d'informer ces
derniers des conséquences prévisibles que ces mesures vont
entraîner sur leurs activités et leurs systèmes de vie
«traditionnels ». C'est en même temps la
scène de cet Etat qui, bien avant la «crise
économique » conjoncturelle, a été le
théâtre de diverse «crises de mutation ».
On comprend dès lors que les acteurs sociaux, (les enseignants, les
élèves et leurs parents) sur lesquels est centrée notre
étude, ne puissent percevoir la conjoncture économique actuelle
indépendamment des transformations politiques en cours dans la
société camerounaise. C'est dans ce contexte de «choc
différentiel » qu'il faut comprendre l'adoption par des
acteurs scolaires urbains d'attitudes et de stratégies
différentielles face à la conjoncture socio-économique.
Touraine (1976 :17), révèle justement que c'est le propre
d'une sociologie gestionnaire que de « réduire le
fonctionnement de la société à une série
d'adaptations à un environnement changeant et à des situations
politiques internes en permanente renégociation ».
Les pratiques d'adaptation de la communauté
éducative décrites précédemment sont
caractéristiques d'une situation anomique dans laquelle se trouve le
système éducatif camerounais actuel. Durkheim définit
l'anomie comme l'absence ou un conflit de norme (Op. cit,), tandis
que Merton la conçoit comme l'écart entre les buts
institutionnalisés et les moyens légitimes pour les atteindre
(Op. cit.).. Les acteurs scolaires yaoundéens sont
ainsi placés dans un contexte où doivent jouer à fond des
stratégies d'adaptation. Or justement, le contexte politique et
économique de « crise » où se trouve
impliqué la communauté éducative camerounaise depuis plus
de deux décennies, est créateur d'un degré d'anomie. Les
enseignants, les élèves et leurs parents seraient donc
poussés à se repositionner par rapport à ce nouveau
contexte social.
Mais cette déchéance économique s'est
accompagnée, pour de nombreux enseignants de tous grades, d'une perte de
crédit moral car ils ont développé des pratiques
mercantiles variées peu compatibles avec la rigueur que l'on attend d'un
esprit éclairé et d'un pédagogue. Aussi, les
répondants décrient-ils les pratiques peu correctes de certains
enseignants et dénoncent-ils l'immoralité et les connivences
douteuses entre « certains enseignants et
élèves » : le trafic de notes, le trafic
d'influence, la collecte des « droits de bonne
notes » sur la base de montants fixés, ou de pressentir
les élèves à l'achat de bonnes notes ou la fabrication des
bons bulletins de notes, et ils sont nombreux, à se laisser
séduire. « Ces stratégies »,
affirment-ils, « prennent parfois une forme quasi
institutionnelle ».
Toutefois, ces pratiques ne touchent que les
élèves qui acceptent de s'y prêter. Car il existe encore
bon nombre d'élèves et leurs parents convaincus que le travail
implique la réussite. Leur ambition est de promouvoir parmi la jeunesse
camerounaise une éthique qui cultive l'excellence, et des
solidarités qui survivent à la vie scolaire (Moutomé
Ekambi, 2003 : 37-60).
La même restriction vaut s'agissant les relations de
genre entre enseignants et élèves. Que les répondants
soient élèves ou enseignants, tous ont mis l'accent sur le
harcelement que peuvent exercer réciproquement enseignants et
élèves les uns envers les autres. Les enseignants et les
élèves révèlent qu'il est souvent arrivé que
les professeurs, tant des lycées que des collèges, usent des
mêmes mécanismes pour provoquer la réussite scolaire ou
l'échec des jeunes filles. Certaines fuites des épreuves
d'examens ne s'expliquent qu'en rapport avec les contrats liés à
des satisfactions sexuelles. De multiples refus d'accéder aux
désirs sexuels des enseignants ont souvent constitué des motifs
suffisants d'échecs scolaires, de renvois et d'expulsion des
établissements scolaires (Mbembe, Op. cit. p.139). Et pour
nombre de lycéennes et collégiennes, le corps n'est plus
seulement le sujet de beauté. Il doit aussi devenir un objet de
rentabilité. D'ailleurs, il ne sera beau que dans la mesure où il
atteste de sa rentabilité (idem).
Si les enseignants détiennent le pouvoir de distribuer
non seulement du savoir, des notes et appréciations, les
élèves filles, elles, disposent de leurs charmes et ont
été éduquées à en user. En
réalité, le jeu de la séduction réciproque entre
enseignants et élèves est un phénomène qui date. Il
a toujours suscité des rumeurs fondées ou malveillantes mais
aussi des mariages. A ce sujet, Sami Tchak (1999, cité par
Moutomé Ekambi, 2003 :50) en éclaire les
référents culturels et modernes. Il rappelle fort justement
qu'hommes et femmes ont été socialisés aussi bien à
la sexualité légitimée du mariage qu'à ses formes
prétendues déviantes, chacun s'y déployant avec ses
arguments et atouts (Cf. aussi P. Songue : 1986). Dans l'imaginaire
populaire, « les femmes ont plus de chance, on leur a appris
à savoir demander, à être aimables. Alors, même sans
idées derrière la tête et en tout bien tout honneur, elles
savent mieux y faire ». C'est donc une norme de la relation de
genre que la femme sollicite et que l'homme dispense des cadeaux
(Moutomé Ekambi, Op. cit). Ainsi, que des enseignants aient pu
être séduits tant par les attraits physiques de certaines
élèves que par leurs qualités intellectuelles, ou qu'ils
aient succombé à leurs avances, n'a rien pour surprendre non plus
où que ce soit dans le monde. Cela reste tout simplement un fait banal
et banalisé. Ramené au niveau du Cameroun, cela s'inscrit encore
dans la logique de rapports de genre normaux (Moutomé Ekambi, Op.
cit.). Mais, la valorisation du corps s'exerce ici au détriment du
développement des facultés intellectuelles.
Jusqu'à une certaine époque encore, cette
espèce d'équilibre des choses sexuelles avait été
atteinte sans de trop grands abus. Aujourd'hui, sous l'effet de facteurs aussi
divers que l'irruption de la diplomythe, des économies
marchandes, une structuration politique et éducative globalement
autoritaire, le poids de la pauvreté et des transformations culturelles,
l'on semble assister à une véritable
« clochardisation sexuelle »24(*) de pans entiers de la jeunesse
camerounaise. L'on observe aujourd'hui, parmi les jeunes scolaires
yaoundéens, une période de mise en valeur du corps qui
comporte un versant pathologique. Alors que s'accroît le mythe du
mâle retraduit dans des formes d'autorité écrasante, des
pressions sociales de tous genres pèsent sur le sexe et achèvent
de faire de celui-ci des sites privilégiés où se
déroulent aujourd'hui les conflits et les luttes sociales.
Dans les langages et les pratiques des jeunes aujourd'hui, le
sexe cesse de n'avoir qu'une simple fonction reproductrice. En dépit du
nombre sans cesse élevé de grossesses précoces et de
filles-mères, sa principale fonction n'est plus seulement la
procréation. Il est devenu non pas seulement un espace de plaisir
gratuit, de recréation et de loisir, mais aussi un réceptacle des
violences refoulées ailleurs. Il est aussi l'un des sites
privilégiés où se déroulent les luttes
sociales25(*). Comme le
souligne Mbembe,
« Les jeunes apparaissent comme des
protagonistes de ces luttes dont les cadres sont globaux et se rattachent
à des formes de dépendance plus larges. Ils y prennent part
à partir, certes, des positions de subordination, mais aussi forts de
stratégies propres à leurs intérêts »
(Op. cit. p.142).
Au regard de ce précède qui, l'on constate que
les rapports pédagogiques ont changé. Ceux-ci ne s'inscrivent
plus dans le même ordre traditionnel évoqué plus haut. En
clair, derrière les conduites d'adhésion se profile la
contestation, tandis que ce qui apparaît comme une contestation n'est, au
bout du compte, qu'un acquiescement à l'ordre des choses. L'invention de
mécanisme de survie, les bricolages institutionnels qui se cherchent ici
font partie des d'efforts de réinterprétation et d'adaptation de
l'espace social urbain en fonction des besoins des dominés. Ces efforts
jamais univoques, traduisent la pluralité des tactiques et
stratégies des couches asservies. Ils remplissent, dès lors, des
fonctions multiples (Mbembe, Op. cit.p.149).
IV.2.2.3. La
communauté éducative : entre fonctions manifestes et
fonctions latentes
S'adapter à une situation n'implique pas toujours
qu'on se conforme à elle. L'adaptation à un milieu peut
revêtir différentes modalités et des degrés
variés de conformités, aussi bien que diverses formes de
non-conformités. La société et la culture offrent toujours
le choix d'un certain nombre d'options entre les valeurs dominantes et les
valeurs secondes, entre les modèles préférentiels et les
modèles acceptés et tolérés. On trouve dans la
société des conduites « variantes »
et des conduites « déviantes » qui sont
tolérées à des degrés divers. Ainsi, l'adaptation
à un milieu ou une situation suppose l'utilisation de la marge de
liberté ou d'autonomie qu'accorde le milieu ou la situation. Dans cette
perspective, Parsons cité par Giner (1970 : 56) souligne que
l'adaptation met en jeu de la part de l'acteur social un système
d'expectatives relatives à la configuration sociale où il se
trouve impliqué. Autrement dit, l'adaptation peut avoir des
modalités variées, s'exprimer aussi bien par le désir de
changer le milieu ou la situation, d'innover, que de se conformer à ce
milieu ou à cette situation (Njomkap, 1989 : 6).
A ce propos, Merton (1964) et Lewis (1966), suggèrent
quelques indications théoriques à partir d'études
menées dans diverses communautés américaines.
D'après ces études, il y a parfois une césure entre les
conditions réelles qu'offre le milieu social aux différents
groupes socio-économiques à un moment historique donné, et
les valeurs que la pression sociale pousse ces différents groupes
à réaliser.
Dans le cas du Cameroun dont certaines valeurs sont
importées, on peut distinguer entre autres : « la
réussite sociale », « l'enrichissement »,
« le commandement », « l'ostentation »,
« diplôme »... Ces valeurs sont
intériorisées à des degrés divers par
différents groupes sociaux à travers les institutions de
socialisation : la famille, l'école, le milieu professionnel, les
groupes ethniques, les associations diverses, etc. (Njomjap, 1989 :6).
Les situations successives de « crise
politique » - entendu au sens de lutte violente pour
l'appropriation, l'exercice et le contrôle du pouvoir ou la
capacité d'influence et d'autorité -
et de « crise économique » au sens de
l'amoindrissement ou de rupture des ressources
monétaires, ont vu leur autorité, leur capacité
d'influence et/ou leur ressource monétaire s'accroître ou stagner,
d'autres acteurs (les enseignants, par exemple) ont vu les leurs amoindrir ou
régresser sensiblement. Ils se sont trouvés ainsi dans un rapport
différentiel par rapport à la réalisation de leurs
aspirations qui, pour le rappeler, relèvent pour une grande part des
modèles culturels valorisés par la société
globale.
Ainsi, pendant que tendent à se maintenir les styles de
vie, les niveaux de consommation et d'aspiration sous l'effet de la
rigidité des habitudes analysées par Durkheim dans le Suicide
(1986), les capacités matérielles et l'influence sociale
accusent un décalage différentiel. C'est cette situation
correspondant à l'état d'anomie qui explique le contraste
observé dans les modes d'adaptations sociales de la communauté
éducative yaoundéenne dans la situation de
« crise économique » actuelle.
Les modes d'adaptation d'acteurs scolaires peuvent ainsi
être regroupés et interpréter suivant les trois
catégories d'attitudes élaborées par Merton pour expliquer
la variabilité des conduites face à la « crise
économique » en milieu urbain :
D'abord, les attitudes de retrait et escapisme. Elles
constituent un mode d'adaptation que nous mettons en rapport avec une
perception mitigée et à la limite
désintéressée de la « crise »
et que nous rapportons à certaines populations de la communauté
éducative présentant des caractéristiques de
pauvreté assez marquantes. Il s'agit ici des attitudes que Lewis (1966)
a qualifiées de «culture de pauvreté »
développée par cette couche sociale bien avant la crise.
Ensuite, deux groupes d'attitudes plus ou moins
opposés peuvent être interprétés, à l'instar
de Merton (1965), par rapport au statut social supérieur ou moyen, et
par rapport à la position des individus dans les
«mutations » socio-économiques en cours.
- Ceux qui ont bénéficié des
élargissements du nouveau contexte politico-économiques
amorcé depuis 1982, en terme d'accroissement du statut économique
et/ou politique présentent une attitude plus ou moins conformiste et
à la limite réactionnaire face à la «crise
économique ».
- Par contre, une autre catégorie de
«citadins » appartenant à ces mêmes
classes développe des attitudes ritualistes ou novatrices face à
la crise que nous expliquons par la dégradation de leurs conditions
économiques et/ou la perte de leurs autorités ou leurs influences
éducatives.
Ces trois grandes catégories d'attitudes
(retrait/escapisme, conformismes/réaction, innovation/ritualisme)
correspondent à ce que Merton a appelé «les modes
d'adaptations sociales » ou
«psychosociales » ; loin d'être exclusives
elles constituent des dominances, susceptibles d'expliquer la
variabilité des conduites face la crise du système
éducatif camerounais.
IV.3. DANS LES AIRES
INTERSTITIELLES DE LA VIE SCOLAIRE : ESPACE DE «SOCIALISATION
SECONDAIRE »
Ces adaptations secondaires sont d'ailleurs
identifiées principalement dans les aires interstitielles de la vie
scolaire : entre les leçons, à la cantines, dans la cours de
recréation à travers les relations de camaraderie ou de jeux,
mais aussi, pendant les activités péri et parascolaires.
IV.3.1. Les relations de
camaraderie et les jeux à l'école
Les relations de camaraderie qui se développent en
marge du travail scolaire constituent une part importante de la vie des jeunes
scolaires. En effet, l'école est à l'origine d'un réseau
de relations qui se développe hors des murs ; elle participe
largement à la vie des élèves. Une investigation sur les
organisations du réseau de camaraderie des élèves et de
leur préférence en matière de jeux à Yaoundé
permet de constater que l'existence de terrains de jeux et d'espaces libres,
situés souvent hors de la surveillance des parents, favorisent des
relations sociales étendues entre les jeunes. Trois sources de
connaissance ont ainsi été identifiées : en vacances,
en bande ou chez des amis. Si ces lieux de rencontre des élèves
sont régulièrement cités par les lycéens et
collégiens de Yaoundé, il n'en demeure pas moins que les
relations de camaraderie nouées à l'intérieur des
lycées et collèges ont des répercussions profondes dans
l'ensemble de la vie sociale des élèves. Solliciter à
répondre à la question suivante: « pourquoi
aimes-tu jouer avec tes camarades de classes ? », les
élèves du premier cycle des lycées et collèges tous
ordres confondus répondaient : « parce qu'on ce
connaît bien » ; « parce qu'ils sont
gentils et sympathiques » ; « je ne suis pas seul
grâce à mes camarades ». Les justifications de
réponses à cette question montrent comment l'école assure
un rôle socialisateur et de quelle manière elle favorise ou au
contraire nuit à l'établissement de bonnes relations de
camaraderie. Ainsi, la fréquentation quotidienne des mêmes
élèves à l'école développe un sentiment de
familiarité favorable à l'établissement de bons
contacts : « on se voit tous les jours...je le connais
depuis longtemps...on est habitué, on connaît bien leur
caractère ». Cette constatation est un corollaire de
l'argument précédemment invoqué en faveur des camarades de
classe : « c'est avec eux que l'on s'accorde le
mieux...on joue aux mêmes jeux ». « Si on
n'a pas de camarades au collège, on est isolé en
récréation...sans eux, je serais toujours toute seule...quand on
est seul à regarder les autres, on s'ennuie...on est nombreux et on se
fait beaucoup d'autres copains ».26(*) Si certains
d'élèves accordent une importance considérable à la
formation des groupes de camarades, d'autres par contre accumulent
plutôt des griefs contre leurs camarades de
classe : « ils sont brutaux, méchants,
tricheurs...on se dispute toujours...il y a trop de bagarre »,
nous confie un élève du collège Madeleine à Mvog
Mbi.
Au regard de ces déclarations, il ressort que tous les
élèves redoutent une solitude qui en ferait des êtres
marginaux, à l'extérieur de la communauté scolaire.
S'agissant des activités de groupes de camarade,
l'éventail des réponses à la
question : « A quoi joues-tu avec tes
camarades ?» est très large. Ces réponses ont
été regroupées en vaste
catégorie : « on s'amuse. On joue
ensemble » ; « jeux actifs (ballon, courir,
jeux d'équipe) » ; « divers (on
travaille ensemble, on parle, on se promène ». Dans cet
éventail, priorité est donnée aux jeux, surtout aux jeux
actifs et de plein air : le football pour les garçons, les jeux de
société telle que le concours de Karaoke27(*), le jeu à la corde
pour les filles. Les jeux actifs, voire violents, sont très souvent
observés chez les garçons, tandis que les filles accordent au
contraire plus volontiers importance aux jeux calmes.
Ce rapide tour d'horizon de l'organisation du réseau de
camaraderie nous permet ainsi de déboucher sur les impératifs et
les interdits qui limitent à l'école les instants de
liberté réservés à l'épanouissement des
relations de camaraderie. « Quelles sont les activités
interdites pendant la recréation, et dans le temps
libre ? ». Interrogés à ce propos, les
lycéens et les collégiens répondent : la boxe, les
arts martiaux, la course, la glissade au couloir ou les épreuves de
démonstration de force tel que la lutte ou le jeu de tire-tire, qui se
retrouvent dans les jeux préférés des élèves
de sixième et cinquième.
En dehors des activités agressives et violentes qui ne
ressemblent guère à des jeux, de nombreuses occupations favorites
des élèves sont interdites à l'école. Les jeux
actifs, par exemple, viennent en tête des interdictions. Les jeux de
karaté (art martial), de boxe, de ballons sont particulièrement
visés, ainsi que ceux nécessitant une introduction dans
l'enceinte de l'école d'un matériel étranger aux
activités scolaires : couteaux, canif, fléchettes,
téléphone portable. La confiscation des téléphones
portables prend l'allure d'une punition très sévère.
Les interdictions ne diffèrent guère selon le
type d'établissement. Nous avons simplement noté que les jeux
nécessitant un matériel étaient plus fréquemment
cités par les élèves des établissements
d'enseignement techniques. Par contre, le fait d'aller dans des endroits
interdits (débits de boissons, échoppes, salles de jeux de
hasard...) est presque exclusivement mentionné par les
élèves des établissements d'enseignement public et
privé laïc, comparativement à ceux d'enseignement
privé confessionnel. Pour justifier la situation de ce dernier, Les
élèves d'enseignement privé confessionnel
interrogés font allusion à une exigence accrue d'ordre, à
la rigueur intransigeante de l'autorité éducative
constituée de personnes intègres et rigoureuses (prêtre,
curé). Toutefois, les raisons de sécurité sont
évoquées par tous sans distinction. Les réponses des
élèves à notre question débutent invariablement
par : « c'est pour éviter les
accidents » ; viennent ensuite d'autres
arguments : « on se bousculerait sans jouer..., on ne
doit pas abîmer les murs, les persiennes et la
pelouse ».
Ces constatations mettent en cause la surveillance constante
dont l'élève est l'objet dans l'enceinte de l'école. Le
poids des ces interdits limite considérablement la responsabilité
de l'élève qui apprend plus à « être
sage » qu'à organiser des jeux et des activités
libres. Pour répondre à cette contrainte se livrent des
fêtes.
IV.3.2. Les fêtes
Les fêtes participent de cette entreprise d'uniformiser
la société. Certes, la plupart des sociologues ont souvent
interprété la fête comme un moment de rupture, pour les
acteurs sociaux, d'avec le réel. La fête, ici, fait partie du
vécu scolaire. Elle est inscrite dans la symbolique ludique de la vie
scolaire comme un moment privilégié au cours duquel les jeunes
scolaires, en « communion profonde » administrent
la preuve de leur adhésion totale aux valeurs juvéniles.
Tout comme l'obtention du diplôme, la fin des examens
officiels à Yaoundé donne généralement lieu
à des fêtes et des réjouissances. Les fêtes de fins
d'année scolaire qui ont lieu juste au dernier jour des examens
officiels constituent eux aussi la finalité de nombre d'activités
de nombreux clubs (clubs philosophie, espagnol, allemands, UNESCO, Croix-Rouge,
etc.). Ils constituent même, parfois, les seules activités
programmées au cours de l'année. L'ensemble des efforts du club
au long des mois vise très souvent à les préparer et
à les réussir. Ainsi, des sommes d'argent sont recueillies, selon
des modalités diverses, dans le but d'assurer les dépenses
qu'exige ce genre d'événement. Des sociétés
commerciales, des organismes de bienfaisances, des personnes, à titre
privé, sont sollicitées pour contribuer.
Ainsi, à la fin de chaque examen officiel, il est
observé, dans les différents coins des rues de la ville de
Yaoundé, dans les débits de boisson, principalement, des
élèves en train de festoyer. Dans les rues prises d'assaut par
les jeunes scolaires, la joie d'avoir terminé les épreuves (peu
importe l'issue de ces épreuves), éclate à travers les
gestes, les éclats de rire. Aussi les voit-on en train de sautiller dans
les chaussées comme pour donner eux-mêmes forme et rythme à
la musique de telle manière que celle-ci se conforme à leurs
propres désirs. Les phrases, les mots, les expressions sont
réinterprétées, travestis, affectés de sens seconds
qui supplantent le sens premier voulu par l'auteur. Telle cette parole du
célèbre chanteur Rwandais Corneille : « Alors
on vit chaque jour comme le dernier parce qu'on vient de
loin ! ». Cette parole est travestie pour devenir ainsi :
« Alors on boit chaque bière comme la dernière, parce
qu'on vient de loin »
Il s'agit ici d'une oeuvre de réécriture
à travers la parole redite en leurs propres mots, le langage propre de
ses états d'âmes, de leurs aspirations et de leurs
désirs.
De manière générale, la fête en
milieu des jeunes scolaires devient alors le lieu d'explosion d'un langage
privé, d'espace d'expression publique et qui, ici, sourd sous le mode du
désordre (Mbembe, Op. cit. p.153).
La fête apparaît donc comme l'un des lieux de
liberté où les lycéens et collégiens se retrouvent
en dehors des tutelles familiales et scolaires directes. Elle se
présente ainsi comme le lieu où c'est tout le corps et la
totalité de l'être qui parle et s'exprime. L'on chante en
même temps que la musique dans la rue ou au bar, tandis que le corps
danse avec véhémence, tentent ainsi de se décharger de
tout le poids des jours de « buching »28(*) , c'est-à-dire le
bachotage, la préparation intense d'un examen, pour subir avec
succès les épreuves du BEPC, Baccalauréat ou Probatoire et
le passage en classe supérieure.
Ces divers comportements des élèves peuvent se
lire comme une énergie qui surgie des profondeurs de l'être, comme
pour se délivrer des pressions accumulées dans la famille,
à l'école et dans la société. Pour emprunter
l'expression de Mbembe, «les frustrations non exprimées et
ensevelies au fond de soi éclate » (Op. cit.
p.153). La danse apparaît ici comme le langage d'une forme de
libération. Les corps respirent et transpirent. Les expressions
proscrites dans la famille, à l'école et la
société, trouvent ainsi un lieu de tolérance. Les choses
sont appelées par leurs noms : le sexe, la corruption des
autorités, la violence de rapports sociaux.
A travers l'incohérence des gestes, l'apparente
discontinuité des signes et des regards, tentent de s'articuler et de se
dire des histoires personnelles. La fête parmi les jeunes scolaires
à Yaoundé peut dès lors être
appréhendée comme
« Le vaste champ des possibles avortés,
de ces autres qui hésitent à se décliner. Il existe ici
une étroite relation entre la fête et les conditions de vie
concrètes et quotidiennes des jeunes dans la société. La
fête se dévoile ici comme un lieu de protestation où se
cherchent la motivation de vivre et le refus d'une mode d'insertion
imposé aux catégories jeunes dans les institutions scolaires.
Elle est, parmi les élèves, un moment de rupture du silence
général, caractéristique du quotidien
camerounais » (Mbembe, Op. cit. p.154).
Il ressort de cette assertion que la fête correspond,
comme le révèle Duvignaud, à un moment de rupture et de
subversion (cité par Nga Ndongo, 1999 : 464). En effet,
d'après lui, la manifestation festive est plus proche de la subversion
que de l'exaltation ; elle détruit ou abolit, pour tout le temps
qu'elle dure, les représentations, les codes, les règles pour
lesquelles les sociétés se défendent contre l'agression
naturelle. La fête est donc un des rares espaces où l'on
évolue hors des institutions et des conduites imposées. Ce qui
est ainsi défendu à l'école, dans la famille et dans la
société ou les églises, devient, ici, licite.
« La fête contemple avec stupeur et joie
l'accouplement de Dieu et de l'homme, du « ça » et
du « sur-moi » dans une exaltation où tous les
signes admis sont falsifiés, bouleversé, détruits. Elle
est, au sens propre le carnaval » (Duvignaud, 1991 : 217).
Ainsi, «la fête est transgression des
règles établies », et donc déviance,
étant donné qu'elle peut être perçue «comme
la transe permettant aux collectivités de surmonter la
«normalité » et d'atteindre à cet état
où tout devient possible ». C'est l'occasion de boire et
de fumer sans être réprimé. L'alcool, la drogue sont,
tolérés. Les jeunes filles se laissent émouvoir par les
garçons sans se faire réprimander. Certains y entreprennent leurs
premières relations sexuelles. Les langages proscrits en temps normal
sont remis à l'usage. Ainsi l'on peut entendre vociférer, par
exemple : « tes noyaux » (s'entend par
testicule) ou « ton haricot » ou
« ton bouton » pour désigner, à
contrario le clitoris. Ainsi toute l'idée de culpabilité
disparaît. Les élèves deviennent eux-mêmes ceux qui
définissent leurs propres normes, directrices de leurs jugements et de
leurs conduites. De la sorte, la fête « implique une
irruption hors du système constitué, une découverte des
instances qui agissent sur l'homme en dehors de la prégnance des
institutions qui le maintiennent dans un ensemble
structuré » Duvignaud, Op. cit.. p.218).
Les fêtes de fin d'années, de fin d'examens
officiels sont, en fin de compte, des moments artificiels au cours desquels les
jeunes tentent de briser le contrôle idéologique qui pèse
sur les aptitudes et les mentalités. La fête n'est pas alors,
seulement, un moment cathartique qui doit délivrer des pulsions
réprimées dans l'inconscient. Elle n'est pas seulement une fuite.
Mais elle est le lieu où se manifeste, consciemment, un mode de refus.
C'est le refus conscient d'un modèle de compréhension de l'homme,
de la société et des rapports qui y sont à l'oeuvre.
Suivant ce raisonnement, la fête, comme le conclue Mbembe, exprime, pour
les jeunes scolaires yaoundéens, le désir
« d'être pour soi », de s'affirmer comme tel
et de faire reconnaître des autres et de son entourage.
« Elle participe par conséquent des
mécanismes de protection d'une identité constamment
agressée par l'anonymat et la dépersonnalisation. Du moins,
nombreux sont des élèves qui la vivent comme telle,
c'est-à-dire comme espace d'affirmation et de quête
d'autonomie » (Mbembe, Op. cit. p.155).
Il ressort de cette assertion que la fête
apparaît, pour les jeunes scolaires yaoundéens, un moment
d'exorcisation du poids de la domination-reproduction-sélection que
l'école est chargée de pérenniser, dans le but de rendre
celle-ci supportable. Ce qui est effectué n'est qu'une sorte de
conjuration de la domination et du contrôle exercé par
l'institution scolaire.
Pour s'en convaincre, qu'il suffise d'observer
l'agressivité verbale proférée durant les
festivités à la fin des examens officiels dans les rues aux
passants, piétons ou véhiculés, le désordre des
expressions, l'expulsion des ressentiments dans la sphère gestuelle et
mimique. L'état d'ébriété générale
dans lequel s'achèvent ses fêtes de fins d'années est, en
vérité, symptomatique d'une duperie. Les réjouissances
prennent fin, par des bagarres, des luttes, des violences physiques et de
destruction.
A partir de cette vitrine, la fête apparaît comme
le langage qui articule la mémoire des frustrations du quotidien
scolaire. D'après Mbembe (Op. cit. p. 156),
« Elle est un instant fugace pendant lequel les
jeunes scolaire tentent de se persuader que leurs désirs et leurs
besoins se trouvent accomplis. Elle semble aussi une manière de dire par
d'autres moyens ce que l'on ne peut dire dans les logiques du système
éducatif actuel »
Les fêtes des fins d'années scolaires prennent
ainsi l'allure de rebellions suréelles dans les rues et les bar-dancing
de Ngoa Ekelle, Nkolndongo, Nkol-Eton, Mvog-Ada, Mvog-Mbi, Melen, Biyem-Assi,
Tsinga, Madagascar, Mokolo, Messa, Emana, etc.
Il s'agit de transgresser consciemment les normes
établies, de se laisser secouer dans sa propre inertie. Finalement, la
fête ne cesse de fonctionner ici comme un breuvage dont la vertu est,
pour les élèves, de pacifier, pendant un instant, la conscience
des tourments et des conflits de l'existence par les modèles scolaires
dominants (Mbembe, Op. cit.).
Cette entreprise de déconstruction de l'institution
scolaire, perceptible à travers les pratiques signalées plus
haut, s'explique à partir de situations où, souvent, l'on est
affronté à un système éducatif qui se veut trop
sélectif et dominant, dépossédant ainsi de nombreuses
familles pauvres (l'école n'est pas pour les pauvres !
Objectera-t-on) des possibilités minima nécessaires à la
scolarisation, mais aussi à l'éducation et à la formation
de leurs progénitures. Ce faisant, l'on peut conclure que l'école
elle-même prend le risque de plonger des familles entières dans
des processus de délinquance culturelle et morale (Le Thanh
Khôi : 1978 : 177).
Au terme de l'analyse qui précède, l'on
perçoit clairement l'orientation très particulière, et
quelque peu désarçonnant de ce chapitre, non tant par l'exotisme
des phénomènes observés que par le point de vue
extraordinairement familier (dans les deux sens du terme) qui les reconstruit.
Le constat est clair qu'à l'école, il ne s'agit pas uniquement
d'apprendre des savoir, des savoir-faire, il s'agit plus, pour le rappeler,
d'apprendre des ficelles, les trucs, de trouver comment se débrouiller.
La vie de l'école peut donc être considérée comme un
processus continuel de négociations, souvent conflictuelles, souvent
subtilement implicites. Nous avons ainsi découvert les règles
informelles qui sous-tendent ces négociations et maintiennent la
cohésion de cette communauté de travail. Pour cela, nous nous
sommes appuyés sur tout ce qui semblait déviants, parfois
même dénué de sens.
« Flânerie », «chahut »,
«faire la fête », « corruption »,
« travail », « faire des
bêtises », « tricherie »,
« désobéissance »,
« jeu », « absentéisme »,
ont été considérés sur un même plan, et
traités comme des redéfinitions de situation
opérées par les élèves qui associent ces
différentes stratégies29(*). Pour étudier comment s'intègre le
«métier d'écolier », on à fait
l'hypothèse que les élèves apprennent à devenir
élèves non pas tant au niveau du rôle prescrit par ceux qui
détiennent l'autorité, mais à travers la manière
dont les élèves eux-mêmes conçoivent ce rôle,
sachant que des cultures différentes s'entrechoquent. Cette
socialisation secondaire est d'ailleurs identifiée principalement dans
les aires interstitielles de la journée scolaire : entre les
leçons, à la cantine, dans la cour de recréation, pendant
la fête.
Mais, parmi les procédures de négociation du
travail scolaire, ont été aussi analysées les
stratégies de survie de l'enseignant (car tant du côté de
l'élève, que de l'enseignant, il s'agit de `'faire-face''
à la situation). A cet égard, nous avons pu souligner
l'intérêt des analyses portant sur les
«coulisses » de l'action, en particulier celles qui
traitent de l'apprentissage du «métier
d'enseignant ». La socialisation professionnelle a
été ainsi identifiée à partir des
désespérances, de menues débrouillardises quotidiennes,
des transactions ou des contrats éducatifs éclairant ainsi
très pertinemment l'évolution de la carrière de
l'enseignant en tant qu'obstacle à l'intégration et au
développement de l'identité professionnelle.
De telles pratiques de déconstruction-reconstruction de
la vie scolaire se lit aussi au travers de ce que les Camerounais appellent le
francanglais, un parler construit à partir du français,
de l'anglais et de quelques autres langues nationales. Le prochain chapitre
tentera d'en analyser les tenants et les aboutissants.
CHAPITRE V
LE PARLER DES
JEUNES :
TRANSGRESSION LUDIQUE ET
DEVIANCE FONCTIONNELLE
L'enseignement d'une langue est conçu en fonction de
son statut dans son milieu d'apprentissage. Le français et l'anglais au
Cameroun ont un statut tout à fait particulier, non des moins ambigus.
Ceux-ci sont donc, pour les élèves francophone et anglophone du
Cameroun, langues de scolarisation et langues officielles; le français
et l'anglais jouent aussi des rôles multiples : langues maternelles,
langues secondes, langues étrangères, langues de grande
communication et langues officielles. Pour la majorité des
élèves, le français et l'anglais sont L2 [langues
secondes] (Onguéné Essono, 1993 : 6). Aussi, l'enseignement
du français et de l'anglais a-t-elle pour objectif le
développement de l'aptitude à la production et à la
compréhension du langage : savoir parler, savoir écrire,
savoir écouter, savoir lire. On attend de l'élève, entre
autres, qu'il s'exprime aisément et correctement, oralement et par
écrit ; qu'il manie les structures grammaticales complexes, selon
les canons, l'orthodoxie scripturaire et verbale des langues
susmentionnées. En dépit des efforts déployés par
les institutions scolaires et les moyens persuasifs pour obliger les
élèves à bien s'exprimer dans l'une ou l'autre langue
officielle, on observe plutôt une certaine propension à l'usage de
ce qu'il est convenu d'appeler le francanglais, une sorte de
déviance linguistique qui découle d'un mélange du
français et de l'anglais. Ce parler, bien que péjoratif pour
l'essentiel, n'empêche qu'il s'ancre de plus en plus profondément
et au quotidien dans les pratiques linguistiques de la jeunesse scolaire
yaoundeenne. Les sociolinguistes sont cependant unanimes sur un fait :
il s'agit d'un parler des jeunes, et surtout des jeunes scolaires. A travers
ce parler, la présente phase de travail s'intéresse tout
particulièrement à la déviance linguistique comme un cas
de socialité pertinente pour la validation de notre hypothèse de
travail. Partant des considérations génésiques et
linguistiques sur le francanglais (parler déviant), ce chapitre
s'appesantit sur les origines de ce parler, notamment, pour en présenter
les fondements. Il est également et surtout question ici de
débusquer le sens et la puissance, les enjeux de cette autre forme de
déviance scolaire. Dans le même ordre de préoccupation, une
attention est accordée à la socialité que
révèle le comportement linguistique déviant des
élèves de l'enseignement secondaire dans la ville de
Yaoundé.
V.1. AUX ORIGINES, UN BESOIN ENDOGROUPAL.
Créé dans le but de s'exprimer en toute
intimité, le francanglais reste un parler qui voudrait avant tout
installer une barrière, une frontière entre le système et
la jeunesse scolaire. Son statut identitaire, emblématique mais surtout
atypique ne souffre d'aucune contestation sociale. La difficulté a
été de le ranger parmi les autres français car bien que
reconnu dans la ville, ce parler est traité par les puristes de la
langue comme un français à part, celui des
« rappeurs », un
« truc », le « français de la
débrouillardise », le « français des
paresseux », pour ceux qui sont assez réticents ;
mais aussi le parler des « yo(r)s », le
« français à la mode », le
« français des jeunes », le
« français camerounisé », le
« francanglais »,
« franc-anglais » pour ceux dont l'opinion est la plus
positive. En d'autres termes, son fonctionnement social s'observe en
particulier à travers des groupes qui s'organisent autour de deux
pôles : attraction et répulsion.
D'après les travaux de Essono (1997 :
381), c'est aux comédiens qu'il faut attribuer l'origine du
francanglais. Tabi Manga (2000), pour sa part, considère ce
dernier comme un « prométhéisme
linguistique », le définit comme « un
parler qui détonne par la singularité de sa nature et de sa
composition », et qui daterait d'une vingtaine d'années
au Cameroun. Pourtant, le phénomène semble être beaucoup
plus vieux que cela. De Féral remarque déjà en
198930(*)ce qui est alors
appelé « français makro » qui
empruntait au français, au duala et au pidgin. Ce parler avait deux
formes dont un « makro étroit » propre aux
voleurs de rue, et un « makro large » plus
répandu et utilisé par les jeunes.
Le «francais makro » est donc
originairement marginalisant (et donc déviant), selon De Féral
(1989). C'est seulement plus tard que ce parler se serait répandu dans
l'univers du comique. Une démarche empirique permet de comprendre que
son expansion par la comédie n'aurait été qu'une
étape dans la vie de ce médium, dont la forme
«makro » pourrait avoir été à
l'origine du pidgin-english francophone31(*). Cette forme est beaucoup plus utilisée par
les hommes et développe des thèmes assez revendicateurs, en
incitant parfois à la violence, au combat, et a connu son summum lors
des mouvements de revendications sociopolitiques du début des
années 1990, avec l'artiste-musicien Lapiro de Mbanga.
Pourtant ces parlers et en particulier le
francanglais, sont devenus incontournables pour les linguistes
s'intéressant au Cameroun, tant il est vrai qu'il a connu une expansion
sociale. De Féral (1989) remarque que «c'est un parler de
jeunes », tout en relevant l'existence de variétés
dont l'usage dépend des enjeux :
« On peut faire une
distinction entre le « makro étroit » , parlé
par les voleurs de rue et pour des raisons techniques évidentes (ne pas
se faire comprendre des « autres » et être ainsi plus
efficace), dont certains ne sont connus que d'eux seuls, et le
« makro large », plus répandu, parlé
essentiellement par les jeune[s](sic) citadins (élèves,
étudiants, chauffeurs de taxi...) dont l'utilisation n'est plus
tellement dans le but de garder le secret mais plutôt de symboliser
l'appartenance à un groupe de pairs. » (De Féral,
1989 : 20-21)
Le francanglais serait donc une des langues
véhiculaires du pays, à côté du pidgin-english et du
fulfulde. On pourrait facilement avancer aujourd'hui que tous les jeunes (entre
15 et 25 ans), dans les différents centres urbains du pays auraient une
pratique à divers niveaux de cette «langue ».
Pour un pays dont la majeure partie de la population est faite de jeunes, il y
a fort à parier qu'on pourrait facilement dénombrer environ six
ou sept millions de francanglophones32(*).
V.1.1. Le degré
d'officialité
Le francanglais est rangé sur un plan
pragmatique, au même niveau que les autres langues d'origine
camerounaise. En effet, bien que rythmant le quotidien des populations
scolaires yaoundéennes, il fait l'objet d'une attention
institutionnelle particulière, en milieu scolaire. Cela se comprend, si
les autorités redoutent comme certains de nos témoins d'ailleurs,
que cela ne soit un frein à l'apprentissage du français ou de
l'anglais. Par son ouverture formelle en effet, par l'absence de norme sur le
plan lexical en particulier, il serait nombre d'éducateurs une des
causes de la dégradation du niveau du français. Louis (cadre, 53
ans) :
« Ouais ça a fait que
l'enfant ne sait où se situer bon vraiment moi je crois que ça
a beaucoup joué sur la langue je comprends actuellement on ne sait plus
qui parle le français on ne sait même qui parle l'anglais ni le
patois il n'est plus là ni le français il n'est pas là ni
l'anglais il n'est pas là (rires) l'enfant ne maîtrise finalement
rien »
Si cette opinion est pour le moins
vraisemblable, il faut cependant relever que, lors de nos enquêtes, nous
avons constaté que les jeunes scolaires de Yaoundé ont une
pratique assez régulée des différentes
(pôles33(*) de)
langues de leurs répertoires, et tiennent régulièrement
des discours dans du français «correct » quand
le besoin s'impose. En fait, pour mieux comprendre la vitalité du
francanglais qui n'a cessé d'accroître son champ d'utilisation et
apparaît comme une déviance en milieu scolaire, il faut interroger
le troisième critère de vitalité, en observant des jeunes
scolaires dans des interactions entre eux ou avec certains adultes, ce qui
permettrait de réaliser qu'à côté de son extension
démographique, le francanglais se présente au Cameroun comme une
véritable «langue » à enjeux. Il
présente donc socialement une certaine fonctionnalité. Ses
locuteurs ont en effet développé comme presque toute la
population, une véritable compétence stratégique34(*) , mais avec un
répertoire dans lequel le francanglais a une place de choix.
V.1.2. Un parler
à enjeux multiples : l'indice de fonctionnalité
primordial
Tout en demeurant un médium de
communication, le francanglais a donc été investi d'autres
fonctions sociales. En plus d'être ce parler qui permet aux jeunes
scoalires de se démarquer et de garder discrètes des
informations intimes, il est devenu un emblème, un moyen de (se)
reconnaître, conférant une véritable identité
« endo et exo-groupale ». Il devient dès
lors un objet véritable de marquage de frontière, comme le
confirme Pascal (élève de troisième du lycée de
Biyem-Assi, 16 ans) :
« Quand on était
là et on savait que si vous voulez jouer la maman sachant que la
mère comprenant français sachant que la mère comprenant
pidgin, il faut trouver un machin pour détourner.»
Le choix du francanglais par les jeunes
scolaires est donc motivé par le désir d'isoler l'adulte de leur
interaction. En clair, bien que présente dans le contexte de
communication, la maman en est isolée, le choix linguistique se
présentant comme un mur, une frontière qu'elle ne peut franchir.
Les jeunes peuvent donc parler de sujets discrets, voire parler de la maman
sans courir le risque de se faire réprimander. Pourtant, son
utilisation (par celui supposé ne pas en être un locuteur
légitime) permettrait de briser la frontière et de s'introduire
dans une communauté à laquelle, a priori, on ne serait
pas un membre. Romuald (parent d'élève, 38 ans)35(*) affirme donc :
« Oui même le
franc-anglais là je le parle aussi très très bien c'est
facile l'autre jour à la maison ma fille ne voulait pas que je vois son
bulletin j'ai entendu comment elle disait à sa soeur qu'elle ne va pas
me montrer son bulletin je suis venu la voir quand son amie était
partie j'ai dit que l'enfant-ci tu me wanda36(*) seulement je vais [du]37(*) comment je [wet]38(*) vos bulletins depuis et
personne ne me [shu]39(*)
son travail vous voulez me [sisia]40(*) ou quoi j'ai dit comme ça et je suis parti le
matin dimanche elle est venue me voir que papa tu as appris à parler
ça où du coup le soir elle m'a apporté son bulletin et
depuis c'est à moi qu'elle vient dire que tel garçon me
dérange tel garçon est mon ami »
L'utilisation du francanglais apparaît donc ici comme
un déclic qui a non seulement permis au papa d'entrer en possession du
bulletin de sa fille41(*),
mais également a permis de créer un certain climat de confiance
avec sa fille. Nonobstant son caractère déviant, le francanglais
est donc ce moyen qui aura aidé à vaincre les frontières
et de construire une équité permettant des confidences, et donc
créant une certaine intimité. Cette manipulation interactionnelle
aura permis au papa de se faire accepter parmi les jeunes dans le cadre
familial, et donc de se construire une nouvelle identité, laquelle se
présente donc ici comme ponctuelle, se conférant dans
l'interaction par le rôle joué. Nous ne sommes donc pas loin de la
théorie de la « face » de Goffman car c'est
l'interaction qui règle tout, l'identité étant instable.
En choisissant la « conformisation »
(Kastersztein, 1990 : 31) comme une stratégie identitaire aboutissant
à cette victoire, le papa aura réussi à faire tomber la
frontière, à briser la glace.
Cette manoeuvre n'est pas unique dans les contextes
plurilingues. Pour abolir des frontières, certains acteurs sociaux
peuvent procéder par «visibilité
sociale », mettant un accent sur des spécificités
qui permettent à l'Autre de comprendre que le locuteur peut
légitimement revendiquer son intégration dans le groupe.
Nous pouvons aussi évoquer ici les difficultés
que nous avons eu à effectuer des enregistrements en francanglais. Parce
que les locuteurs privilégiés sont en effet des jeunes
élèves entre quinze et vingt-cinq ans, chacune de nos tentatives
à faire parler cette «langue de yors » s'est
soldée par un échec, les jeunes étant bien conscients que
nous ne partagions pas leurs préoccupations, et que nous avions plus de
ving-cinq ans. Ils adoptaient donc spontanément un français plus
ou moins correct, mais surtout pas de francanglais, une manière de
pouvoir se resituer en basculant vers un nouveau cadre communicationnel dans
lequel nous serions inclus. Nous avons donc usé de subtilités
pour effectuer des enregistrements, en nous faisant aider par des jeunes
déjà admis dans des groupes tant dans la cour du lycée
qu'au quartier. Un des jeunes (extérieur au groupe) qui nous a
aidé à la collecte de produits empiriques a usé de la
«visibilité sociale » pour entrer dans le groupe
dont nous voulions obtenir un enregistrement. Pour se faire accepter, sa
stratégie a été de parler un francanglais très
accentué, une manière de revendiquer en toute
légitimité son acceptation dans le groupe. Il a donc pu
s'approcher de pairs pour solliciter une information, voire enregistrer sans
crainte leurs productions discursives.
Le choix du francanglais devient donc un moyen de
socialisation, une clé ouvrant la porte de la communauté. La
réalité se construit ainsi à travers des
négociations d'identité, les acteurs cherchant au cours des
négociations, « à imposer une définition de
la situation qui leur permette d'assumer l'identité la plus
avantageuse » (P. Poutignat et J. Streiff-Fenart, 1995 :
128). Le choix de langue se présente donc ici comme un processus
permanent et jamais achevé par lequel l'identité, sociale et
personnelle, se constitue par l'interaction avec autrui (C. Trimaille,
2003 : 157).
Le francanglais devient donc un moyen d'exclusion/inclusion,
d'identification permettant par des stratégies interactionnelles de se
situer ou d'être situé dans les différentes tentatives de
socialisation. Ce parler est en fait devenu emblématique, identitaire
par un processus d'appropriation parvenu à la vernacularisation, cette
« prise de conscience par les locuteurs eux-mêmes de la
spécificité de leur usage et la constitution de celle-ci en une
variété discernable et reconnue » (Manessy,
1994 : 413). Erick (élève de quatrième année
au Collège Charle Atangana, 18 ans) peut donc affirmer :
« Tous les potes que tu vois là on
parle francanglais il y a seulement certains camarades là chaque fois
que nous sommes ensemble que les gars viennent qu'on commence à parler
de nos choses ils partent parce qu'ils ne parlent pas comme nous.
Toi-même tu peux être là on parle ce français
là un genre que tu ne vas pas hia ? »
Ces jeunes sont donc très conscients de l'utilisation
qu'ils peuvent avoir de ce parler «branché »
qui, malgré tout, est parfois reconnu comme du français mais
réutilisé de sorte à ne pas être accessible à
tous les locuteurs du français.
Cette acquisition/perte d'identité permanente devrait
donc s'inscrire dans le contexte «chaotique » (De
Robillard, 2001, 2003) caractérisé par la contextualisation de
toute entreprise herméneutique. En effet, le Camerounais ne
présente pas le même visage quel que soit le contexte. En fonction
des enjeux du moment, il pourra revendiquer, s'octroyer ou rejeter une
identité, par le déplacement ou non vers un ou l'autre
(pôle d'une) langue. Le francanglais devient ainsi une
«langue » dès que se fait sentir le besoin de
s'attirer des faveurs de jeune(s) dont un des rôles est de
généraliser sa pratique.
V.2. UN ENRACINEMENT PROGRESSIF ET
GENERALISE
Parler des jeunes scolaires, le francanglais est
utilisé dans des salles de classe, des amphithéâtres et des
salles de travaux dirigés, au marché et en famille, dans la
rue ; il est en tout cas utilisé pour traduire une certaine
convivialité, une intimité, ce qui suppose l'appartenance
à la même communauté sociale. Essentiellement oral à
l'origine, ce parler a été usité ces dernières
années pour animer certaines pages des journaux publics, rentrant dans
la graphie : Cameroon-Tribune dans «l'Homme de la
rue » ; Le Messager dans « Takala
et Muyenga ». Actuellement, une publication destinée
à l'éducation des jeunes utilise particulièrement ce
parler. Il s'agit du mensuel 100 % Jeunes, édité par des
missionnaires catholiques du Collège Mvogt à Yaoundé, mais
qui regroupe des éléments de tout le territoire national.
En outre, d'autres titres (Le Popoli, Le Satirik Small No
Bi Sick) l'utilisent dans certaines rubriques. De même, des
émissions radiophoniques l'utilisent comme moyen d'atteindre les jeunes
dans les stations provinciales de la CRTV42(*) qui est un
l'appareil audiovisuel public, de même que dans les radios privées
des centres urbains. A Yaoundé par exemple, Canal 2
international a fait appel à Fingong Trala Oga Okoshukou le
biafrais Manolap, Amadou et C'est-La-Vie, des dramaturges faisant dans le
comique, qui animent certaines des émissions de cette radio en acceptant
ou en utilisant à certains moments le francanglais.
Ce qui est toutefois commun à toutes les situations
d'utilisation de ce parler, c'est l'atmosphère de détente car sur
la même chaîne de télévision, le français, tel
qu'utilisé dans la rue, est exploité pour traiter des sujets
sociaux plus sérieux et parfois posant des problèmes assez
pathétiques (dans l'émission «bouillon du
rire » par exemple).
Lors de nos enquêtes sur le marché de
Yaoundé, nous avons remarqué, qui plus est que, face à
certains clients, les vendeurs utilisent comme langue d'adresse soit le
pidgin-english (aux adultes), soit le francanglais quand la cible
communicative renvoie aux jeunes en général.
Le francanglais s'inscrit donc dans une
instabilité générale, et ne fonctionne qu'à travers
une certaine mobilité, flexibilité sociale qui justifie
également la variété de représentations des
locuteurs sur ce parler. « Truc » pour certains
qui s'en éloignent, « langue » de
sécurisation pour les jeunes scolaires, voire de socialisation ou
d'exclusion pour d'autres, l'inconstance du francanglais a même
fini par désarçonner des observateurs et les enseignants
hantés par l'idée de la norme. « Par son
caractère composite, son manque d'uniformisation et de
systématisation, le francanglais est voué à l'échec
car il porte en lui, les germes de sa propre destruction », si
l'on s'en tient à ce que prédit Essono (2001 : 79). Cette
flexibilité de la langue ne devrait pourtant pas surprendre ; car
elle traduit le dynamisme de la langue, une vitalité qui permet aux
locuteurs de (se) construire des identités et donc de (se) socialiser.
« Ce parler existera tant qu'il continuera à se
renouveler, à s'enrichir », ajoute-t-il.
Par ailleurs, sur le plan de l'écrit, des titres
destinés aux jeunes ou pas du tout exploitent le
francanglais qui s'affirme de plus en plus comme
emblématique du jeune camerounais urbain, à la manière du
Front Populaire Ivoirien (FPI) de Côte d'Ivoire :
« Son existence, d'abord le fait de jeunes
marginalisés des centres urbains, les locuteurs du FPA43(*) proviennent aussi d'une
certaine élite qui maîtrise bien le français officiel. Le
fort sentiment d'appartenance, de soudure sociale dont font preuve ces
locuteurs explique son adoption par une élite de plus en plus
nombreuse » (A. Bassolé-Ouedraogo, 2004).
Malgré sa fonctionnalité, en dépit de sa
diversité, le francanglais reste un idiome très proche
du français «standard ». En effet, sur le plan
linguistique (Biloa 2003, Essono 1997, 1998, Féral 1993, 1998, 2004,
Fosso 1999, Mendo Ze 1990) et sociolinguistique, il ne présente pas
toujours des indices d'autonomie linguistique pouvant nous permettre de
conclure à l'existence d'une langue autonome. En effet, le
`'francanglophone'' est d'office un francophone, une autre manière de
reconnaître que sa pratique s'inscrirait dans la pratique du
français dont il dépendrait sur un plan structurel et
représentationnel.
En conclusion, le francanglais ne serait donc qu'un des
multiples visages du français au Cameroun, matérialisant de
facto la profondeur de son appropriation, mais aussi son
instabilité sociolinguistique. Telle est la socialité
linguistique concrète qui montre la désaffection des jeunes
scolaires vis-à-vis des idéologies normatives surplombantes.
V.3. LE FRANCANGLAIS, UNE
DEVIANCE FONCTIONNELLE
L'idée de la vitalité linguistique qui
sous-tend dans notre réflexion le côté fonctionnel et
pragmatique du francanglais, s'applique, en fait, aux langues minoritaires. Le
francanglais au Cameroun en est-il une ? La réponse semble
être négative, quoique paradoxalement un des véhiculaires
du pays. Une particularité mérite cependant d'être
soulevée ici : une langue minoritaire sert généralement
d'élément identificatoire à une ethnie qui en fait par des
moyens divers, un moyen de revendication d'une identité. Le francanglais
n'est la langue originelle d'aucun groupe ethnique. En réalité,
son groupe d'origine n'existe pas a priori. Il s'agit donc des
jeunes ; mais, se retrouvant dans un contexte précis (absence d'un
adulte ou bien de jeune extérieur au groupe). Ces derniers pour
intégrer le groupe et créer une certaine osmose linguistique
recourent à ce parler à valeur plus ou moins
`'cryptonymique''. Nous pouvons donc affirmer que l'appropriation du
français dans ce contexte ne conduit donc pas à une
vernacularisation au sens classique du terme (le véhiculaire
étant extra-ethnique44(*)) mais à la résurgence d'une autre forme
de véhiculaire. Autrement dit, le francanglais qui est une
résultante du processus de vernacularisation redevient
véhiculaire45(*).
Or pour exister, cette nouvelle fonction exploite des éléments de
vernacularité. On peut en effet se faire comprendre en passant du
français au francanglais, même sans être
intégré au groupe. Le francanglais devient dès lors un
vernaculaire extra-ethnique (utilisé en dehors d'une ethnie)
véhicularisé.
Par son rôle dans le positionnement social, il pourra
toutefois être vu par certains comme toute autre chose qu'une langue (et
est dès lors minoré et stigmatisé). Pour le politique qui
ne lui accorde aucun statut officiel, il ne s'agirait pas d'une langue. Cette
idée sera d'ailleurs partagée par l'adulte n'ayant pas eu
à s'y intéresser. Pourtant, les jeunes qui le pratiquent en
parlent comme un idiome assez prisé, dont ils ont une idée assez
positive. En conséquence, nous pouvons penser que tout dépendrait
des enjeux et des objectifs qu'on voudrait atteindre, en lui attribuant un
statut mélioratif de langue, ou bien celui péjoratif de
« truc », « machin »,
« baragouin ».
Nous comprenons par cette différence de
considération que la langue se présente comme un ensemble de
«processus antagoniques » (H. Frei, 1929 : 9) dont une
description strictement intralinguistique pourrait s'avérer partielle.
Il faudrait en conséquence s'interroger sur sa fonctionnalité,
l'inscrivant de facto dans son contexte d'utilisation. Ceci rejoint
les préoccupations de De Robillard (2001) qui décrit les
situations linguistiques en les contextualisant, ce qui permet de vivre les
faits de langues en termes de « chaos »,
d'aléatoire, bref d'instabilité.
Un des aspects sociolinguistiques évoqués
mérite qu'on s'y attarde davantage : l'instabilité
fonctionnelle du francanglais, qui peut se définir en terme de
socialisation mais également d'identité. Par sa plasticité
sociale, le francanglais permet donc de construire des frontières et
d'en dissoudre, de prendre des identités et d'en octroyer, bref joue un
rôle majeur dans la vie sociale des jeunes Camerounais en
général, mais des jeunes scolaires en particulier.
Dans ce sens, utiliser le francanglais serait compris comme
une manière d'affirmer son appartenance à la jeunesse urbaine
camerounaise. A la différence du pidgin-english reconnu à Douala
et dans les autres centres urbains comme une des principales langues
commerciales, le francanglais n'a pas encore de
« personnalité » solidement établie.
Il s'affirme chaque jour davantage, dans un contexte caractérisé
par la minoration des jeunes, considérés comme immatures pour
ceux soumis à la tutelle des adultes ou bien comme des voyous pour ceux
qui voudraient s'affirmer.
L'exploitation des représentations des Camerounais nous
permet donc de comprendre que le rôle du francanglais ne se limité
pas à la communication. En dépit de sa considération comme
une forme de déviance, il est devenu une véritable
« langue » à enjeu, une stratégie de
positionnement social, comparable à plusieurs autres parlers de jeunes
urbains (le chiac au Canada ou le Nouchi en Cote d'Ivoire par
exemple). Malgré son caractère argotique originel, il gagne de
plus en plus de terrain et devient un indice d'identification du jeune
Camerounais francophone urbain, sans pour autant perdre son étiquette
originelle péjorative.
Le francanglais s'inscrit donc dans une dynamique traduisant
la vitalité du français au Cameroun. Véhiculaire il y a
quelques années, le français s'est vernacularisé par le
francanglais qui tend par une réappropriation particulière
à redevenir véhiculaire. C'est dire que «rien n'est
unidimensionnel au sens de la vie sociale. Celle-ci est par de nombreux aspects
monstrueux, éclatée, toujours ailleurs que là où
l'on a cru la fixé. C'est le pluralisme qui la meut en
profondeur ».
V.3.1. Du francanglais
au Camfranglais
Une des preuves serait l'évolution au niveau de la
nomination : du francanglais (De Féral, 1989), on est
passé au camfranglais, nominations traduisant le passage d'un
état de marginalité à celui d'une identité
positive. Cette évolution serait également tout un vaste
programme ethnologique ou anthropologique mettant en valeur les changements
successifs de la société camerounaise dans laquelle la langue
reste un élément identificatoire assez fortement ancré.
La question, actuellement, s'analyse à partir d'une
révision de langue française et anglaise. Le mythe de l'essence
de la langue française ou anglaise, langues de communication, qui
maintiennent un ethos engagé avec obsession dans la
préservation de leurs valeurs, passe par une relecture en face du
processus dynamique des multiples modifications dans la société
camerounaise. Le nous-autres, qui représentait une
identité close, un nationalisme défensif comme mécanisme
de refus de l'Autre envahisseur et d'exclusion de l'étranger, est
relativisé en face du concept de transculture.
Aujourd'hui, des théoriciens, critiques et
écrivains reconnaissent que l'identité camerounaise incorpore
d'autres voix, d'autres histoires, admettant le multiculturalisme qui configure
sa réalité nationale.
Ainsi comme le Camerounais se débat entre la
francophonie et l'anglophonie, les jeunes scolaires camerounais se
révoltent contre l'imposition d'une idéologie monolithique, qui
des deux cotés s'impose comme racine unique. En prenant conscience de la
situation aseptique, ils assument leur condition d'être de
frontières. C'est dans cette mouvance entre les marges opposées
que les jeunes scolaires construisent une troisième marge, où ils
pourront être et développer leur identité multiple. Telle
identité de frontières leur donnera le passeport linguistique, la
compétence pour circuler avec intimité entre et dans des champs
opposés.
C'est, pourtant, par la valeur performative de la langue que
les élèves tuent et réinventent leur origine dans la
traversée du milieu scolaire urbanistique, cet entre-lieu de quête
d'un fond mémoriel chargé de l'hybridisation résultante de
la dérive du sujet en quête de son identité. Se
libérer de son origine peut signifier sa destruction par le recours
linguistique présent dans le ludisme du camfranglais ou du francanglais.
Une nouvelle langue, représentante de la tradition francophone et
anglophone au Cameroun. Le projet des jeunes scolaires
yaoundéens se constitue dans le refus de parler le
français et/ou l'anglais dans le strict respect de la grammaire
normative pour devenir maître d'eux-mêmes. Ainsi, dans le jeu
verbal avec le « camfranglais », les
élèves travaillent l'écrit et le parlé
peut-être comme quête d'une impossibilité: celle d'une
identité, une mémoire identitaire, une filiation, une histoire -
errance en quête de la reconstitution du sujet originel qui trouve sa
différence dans l'essai de retour aux racines, dans le vécu
d'une « extra-territorialité ». Dans cette
perspective, Régine Robin affirme qu'"il y a de la mort ... dans cet
entre-deux, cette bordure. Impossible de coïncider avec son passé
personnel, familial ou collectif." (cité par Vianna Neto, 1999) La
mort symbolique du français et de l'anglais réalise dans la
conversation des jeunes scolaires le refus du joug, de la soumission au lieu
fantasmagorique de l'origine linguistique : le
« camfranglais » parait réaliser
l'assomption d'une langue de jeune camerounais comme désir de
réinvention identitaire.
Dans son ambivalence, en ce qui concerne le problème de
langue, le jeune camerounais a parfois tendance, à refuser
dramatiquement la français et l'anglais dans leur forme normatif. Le
`'deuil'' du français et de l'anglais correcte favoriserait aux
Camerounais la constitution d'un mémoriel identitaire à partir de
référents développés dans un espace
francophone-anglophone dans lequel ils cueillent et enregistrent les
éléments constitutifs de leur ethos hybride, exorcisant, ainsi,
le stigmate de l'académique.
Le rapport des élèves aux langues officielles
suggère la dénonciation de l'arbitraire des codes canoniques
linguistique (présents dans les grammaires normatives et orthodoxes),
configurant un espace querelleur et critique entre le modèle
imposé et ses récepteurs. C'est dans cet espace de tension que se
construira le « camfranglais », langage qui
exprime la pluralité culturelle et la transgression lexique, graphique,
des codes des langues canoniques. C'est par la manipulation de la langue que
les élèves yaoundéens rompent avec la
rigidité des structures orthodoxes et des paradigmes sociaux, et
suggèrent l'inscription d'un langage qui tiendrait compte d'un ethos
développé dans l'hybridisation pluriculturelle en tant que
réponse à la quête incessante de la reconstruction d'une
mémoire identitaire.
À travers le
« camfranglais », qui se propose comme langage
scolaire à Yaoundé, se viabilise l'interaction entre cultures
diverses et s'entrevoit, d'une certaine façon, la possibilité
d'un espace transculturel dans Yaoundé, enregistrant leur
représentation identitaire. Tel est, d'après Marina Yaguello, la
fonction du langage: "La fonction primordiale du langage n'est pas de
définir ni d'exprimer le monde. La fonction du langage est de construire
et de reconstruire inlassablement son propre univers." (Cité par
Vianna Neto, 1999).
V.3.2. Au-delà des
canons scripturaires et verbaux
Une autre lecture possible du
« camfranglais » chez les scoalires
yaoundéens permet de le penser comme logique du ghetto, de
l'impossibilité d'une issue. Le
« camfranglais » se construit dans une ambivalence
de sens : si, d'un côté, il suggère l'hybridisation
culturelle comme issue, d'un autre côté, il s'agit du langage de
la solidarité et de la conversation sociale entre camarades et amis
(es), qui ne mène pas, à l'ouverture vers l'autre. La
manipulation de la langue permet l'inscription du langage underground
à travers lequel
« l'étranger »46(*), qui habite les jeunes
scolaires s'exprime.
C'est à travers le langage que les élèves
construisent leur demeure, leur palais, lieu d'engendrement de l'être de
frontières, car le camfranglais habite l'entre-lieu désert des
représentations orthodoxes, cet entre-deux du monde du dehors et celui
du dedans, dans lesquels, tout seul, l'élève est absent de
lui-même. C'est à partir de cette absence que les
élèves construisent leur langage, dans la lacune entre leur
représentation d'outsider et le système, entre leur façon
de percevoir le contexte et la représentation conventionnelle et
manichéiste sous laquelle celui-là se présente. Le lieu
d'inscription des élèves est celui de la fracture dans
l'unité scripturaire où s'articule la voix absente dans la
présence du mot. C'est dans le cheminement entre les interstices, dans
les fentes de la langue canonique, que les élèves errants parlent
leur langage, articulant les trajectoires de l'errant dans leur flânerie
dans les rues et dans l'espace de conversation sociale.
Les élèves yaoundéens se servent
du camfranglais pour le registre de l'ethos outsider codifié
dans leur langage déviant, trichant avec l'idiome français,
anglais et maternel. Le camfranglais, expression d'un langage pas
seulement outsider mais surtout hétérologique, de circulation et
d'interaction entre sciences, ethos divers, se construit dans la
trahison d'un ordre, entre-lieu où le
« même-autre » s'opposent mais se touchent,
s'excluent et se reconstituent, en faisant circuler le flux vital de
l'hybridisation dans l'intersection entre cultures diverses. La
problématique n'est pas dans la construction d'un espace, où la
singularité culturelle puisse se dire, mais dans la reconstruction des
espaces à partir des singularités qui l'habitent et forment leur
contexte socioculturel. En permettant le développement de
référents propres, le camfranglais permet la
reconstruction du lieu de l'écriture et du parlé en tant
qu'instrument pour la définition de significations et codes de
contrôle des modèles du comportement dans le contexte
néo-colonial de crise qui est celui des camerounais.
La transgression des limites dévoile non seulement
`'l'étranger'' des frontières linguistiques, aussi
l'élève chargé de marques qui révèlent, loin
des marges, l'altérité qui se cachait entre les murs,
contrôlée par le canon scripturaire et verbal. Ce contexte
s'hybridise, se diversifie, relativisant les dogmes, les vérités
institutionnelles, à travers les méthodes, les formes et les
manières de faire, qui se créent, se (re)inventent dans l'espace
de l'entre-lieu, où circulent des singularités diverses.
Il s'agit de l'importance de l'entre-deux comme lieu où
s'opère l'insertion de la différence, où se manifeste
l'étrangeté capable de se distinguer de celle qui n'existe que
pour légitimer le jeu de l'inclusion - exclusion caractéristique
de la structure binaire sur laquelle s'appuie et se perpétue l'ordre
scolaire établi. D'après Sibony, le point critique de
l'entre-deux n'est pas la différence, mais le double mouvement
de ce qui se passe entre eux, et: « [...] où deux
entités sont non seulement 'différentes', mais en contact
différencié de sorte que l'une en passe par l'autre, se confond
avec, s'en détache, y revient en même temps qu'elle s'en
éloigne [...]. » (Cité par Vianna Neto,
1999). L'espace de la différence se réalise par la construction
d'un lieu dans la mémoire et dans l'histoire de l'être de
frontières, qui s'inscrira dans le
« camfranglais » comme traversée de
langages. Ce processus se réalise dans la mouvance, par le
déplacement constant des élèves entre les
frontières. Comme des ramasseurs, les élèves errants
cueillent dans leurs cheminements les mémoires des endroits les plus
pluriels pour les déplacer, en les remplaçant dans des contextes
divers. Cette activité provoque la métamorphose de l'origine,
c'est-à-dire, identifie le chaos en tant qu'origine, le rhizome et non
pas la racine unique. Édouard Glissant, lisant Deleuze et Guattari,
oppose l'identité - rhizome à l'identité racine-unique,
quand il pense la question de l'enracinement dans le mouvement de la
diaspora, dans Poétique de la Relation:
« La racine est unique, c'est une
souche qui prend tout sur elle et tue alentour; ils lui opposent le rhizome qui
est une racine démultipliée, étendue en réseaux
dans la terre ou dans l'air, sans qu'aucune souche y intervienne en
prédateur irrémédiable. La notion de rhizome maintiendrait
donc le fait de l'enracinement, mais récuse l'idée d'une racine
totalitaire. La pensée du rhizome serait au principe de ce que j'appelle
une poétique de la Relation, selon laquelle toute identité
s'étend dans un rapport à l'Autre. »
(Cité par Vianna Neto, 1999).
C'est la conception métaphorique de l'identité
comme rhizome - « [...] de l'identité non plus
comme racine unique mais comme racine allant à la rencontre d'autres
racines. [...] pour entrer dans la difficile complexion d'une identité
relation, d'une identité qui comporte une ouverture à
l'autre. » -, qui prolifère dans le système
erratique du chaos - monde, qui dialogue avec les
élèves, quand ils cherchent à dépasser les limites
fondamentales que personne n'interroge et qui ne constituent pas un reflet de
l'essence, mais la trame des relations avec l'autre.
En tant que sujet de "dévoration", les
élèves s'approprient le tout-monde et s'y inscrivent, en ajoutant
encore un «étranger ». La constatation de la
communicabilité du camfranglais avec l'autre, dénonce la
présence d'une pensée linéaire caractéristique de
l'immobilité monolithique, de ghettos multiethnoculturels dans
l'espace scolaire yaoundéen. Ce phénomène est
indicateur d'une possibilité d'inclusion pluriculturelle en processus.
C'est de leur « île », leur
« ghetto, » que les élèves
refont la possibilité du chaos, en communiquant, avec les
altérités qui ont enregistré avant eux leur
itinéraire. Le camfranglais des élèves n'est pas un
triomphe, dans son sens canonique, mais se construit comme un subterfuge, un
exercice de sagacité du rusé pour la survie dans le jeu de la
communication. La fécondité du camfranclais permet de penser la
lecture du brassage et de l'hétérogénéité
culturelle dans cet entre-lieu du parlé ouvert, plurilingue et
pluriculturelle qu'elle représente. Les relations interculturelles
répertoriées au Cameroun pourraient peut-être confirmer la
théorie de Glissant sur le chaos comme système dynamique,
mouvant, où les représentations du réel flottent entre les
frontières de l'imprévisibilité, de la multiplication de
variables dans la variable temporelle, refusant la "pensée de
système", occidentale, ancrée dans les catégories d'absolu
et de sacré, où se sont tenues submergées les cultures
humaines, condamnées au renoncement et à la stagnation. C'est
dans le chaos - comme affrontement, harmonie, conciliation, opposition,
rupture, jonction entre toutes ces dimensions et entre toutes les conceptions
du temps, du mythe, des cultures qui s'entrelacent, que se manifeste la
représentation de la « parlure » des
élèves de la capitale. Le camfranglais rend visible le
début du processus d'implémentation du langage de la
déviance dans les cultures périphériques comme moyen et
expression de l'ethos underground.
Dans le camfranglais, les voix
périphériques commencent à dessiner leur sujet qui
s'inscrit déjà dans le code écrit en tant qu'interrogation
de la propre écriture. Lieu d'expression et d'imposition de l'ordre
paradigmatique, la langue, dans le registre des jeunes scolaires, est lieu de
captation et d'inscription de différentes hétérologies. Le
discours hétérologique ne se pratique pas comme copie conforme
à l'orthodoxie textuelle, mais inscrit les altérités
autrefois exclues, récupérant un système d'absences
nécessaire à la réalisation de l'écriture et de
l'oralité en tant que jeu de différences. Elle devient lieu
d'expression d'un langage qui se construit dans l'errance, dans la
pérégrination des êtres de frontière qui fonctionne
comme lieu de captation de la polyphonie culturelle, que ce soit dans la
mouvance des élèves entre deux pôles opposés,
l'idéal normatif de l'institution scolaire et leurs propres
expériences d'acteurs ou dans leurs pérégrinations dans la
cité capitale, espace multiethnique, pluriculturel, et où ils
entrent en contact avec la culture étrangère, en incorporant
l'étrange à leurs codes. Le langage acquis dans les
frontières, dans la circulation dans des espaces différents,
s'exprime aussi dans l'étrangeté provoquée par le retour
à l'ordre, par la non-identification avec le monde antérieur.
Ainsi, pour l'inscription de ces différences cueillies dans leur
errance, les élèves du secondaire à Yaoundé
créent l'artifice du camfranglais, langue-langage où ils
pratiquent l'essai de réinventer la langue en tant que codification de
l'ethos outsider. Dans la lecture de ce processus, on pourrait
rappeler ici les mots de Sibony : "une langue se parle souvent dans une
autre langue; et une langue autre se parle toujours dans chaque langue
donnée», en dialoguant sur la réinvention de la langue
avec De Certeau qui la lit comme jeu de violence nécessaire à la
transformation :
« Il s'agit d'épuiser le sens des mots,
de jouer avec eux jusqu'à les violenter dans leurs attributs les plus
secrets, à prononcer enfin le divorce total entre le terme et le contenu
expressif que nous lui reconnaissons à l'accoutumée." Dès
lors, l'important n'est plus le dit (un contenu) ni le dire (un acte), mais la
transformation, et l'invention de dispositifs, encore
insoupçonnés, qui permettent de multiplier les transformations.
Dans cette pratique, les jeunes scolaires jouent avec les
mots, engendrant leur nouveau code d'expression. Dans la difficile tâche
de trouver traduction dans la langue canonique pour son ethos déviant et
pluriel, les élèves réinventent une langue à partir
de la transgression ludique de la langue française/langue
anglaise/langue vernaculaire. Ainsi, "Je parle et surtout j'écris en
présence de toutes les langues du monde", en présence de
toutes les langues:
« Fait des emprunts aux langues toutes faites,
de rares. Deux amis qui se sont éloignés l'un de l'autre en
forêt ne se voient plus et cherchent à se retrouver,
répondent à l'appel l'un de l'autre par un autre
appel. »
C'est ainsi, par le travail d'inscription des multiples
cultures qui habitent l'espace scolaire camerounais, que les
élèves yaoundéens réalisent,
peut-être, dans la fiction, un impossible camerounais (langue
officielle): le pluriculturalisme, ou l'interaction culturelle d'un espace
hétérogène.
CHAPITRE VI
INCIVILITES ET INCIVISMES
SCOLAIRES :
UNE SOCIALITE
EMERGENTE
Les chapitres précédents ont essayé de
rattacher cette étude au courant de la vie quotidienne centré sur
l'analyse des rituels quotidiens, des échanges familiers, des
fêtes, un courant dont l'extension tient au reflux des grandes
idéologies, à l'élargissement des préoccupations
ethnologiques et anthropologiques, aux exemples venus des observations
attentives de la vie quotidienne, de la théâtralité
scolaire. Le présent chapitre reste davantage une approche
phénoménologique construite sur une herméneutique du
vécu, ouverte aux sensibilités sociales et aux attitudes pour
mieux comprendre la vitalité des groupes. L'objectif étant de
comprendre la dimension plurielle du social en privilégiant, à
partir de l'imaginaire, l'émotion, les affects, le sensible. En scrutant
les pratiques banales de la vie quotidienne au moyen d'une approche
compréhensive, nous voulons établir une harmonie entre l'objet de
notre recherche, la socialité, et une méthode
dégagée des pensées convenues.
Cette partie voudrait davantage montrer comment la
modernité induit un pouvoir de domination taraudé par un ensemble
de pratiques sociales, comme la violence, pratiques faites d'une
précarité échappant à une logique
déterminante et qui confèrent alors au social une puissance
contre l'orthodoxie de l'ordre établi. C'est bien à un
immoralisme vis-à-vis de l'officiel, de l'unidimensionnalité et
de l'ordre, qu'il est utile de scruter dans les pratiques banales de la vie
quotidienne. La sociologie repère des pratiques sociales, des cultures
naissantes, qui sont autant de preuves rassemblées patiemment pour venir
étayer tout projet de saisie de la dimension plurielle du social, son
polythéisme, mieux, la socialité en acte. Une socialité
pensée comme l'affirmation d'une solidarité de base, une
expression d'un vitalisme qui permet de mettre l'accent sur la qualité
intrinsèque du hic et nunc, sur la valeur du
«présentéisme » dont on n'a pas fini
d'explorer la richesse.
Pour sa part, ce chapitre va au-delà de la donne
cognitive par ailleurs privilégiée en sciences de
l'éducation. Il s'agit plus de mettre en lumière les
incivilités et les incivismes, dans le processus de formation scolaire.
Il est alors question d'insister sur les différentes formes de violences
en milieu jeune et scolaire.
Plus précisément, ce chapitre examine le sens et
la signification des incivilités et des incivismes, qui se manifestent
par les violences physique et morale perpétrées en milieu
scolaire à Yaoundé.
Le chapitre s'attache donc à trouver des pistes
d'analyse et d'explication aux violences physique et morale qui sont
symptomatiques d'incivilités ou d'incivismes. Mais pour commencer
déjà, il faut au préalable s'attarder un tant soit peu sur
les dispositions statutaires légales. C'est le moment de l'étude
des nouvelles missions de l'école camerounaise.
VI.1. APPROCHE
TEXTUELLE
Pour aborder cette partie sur les dispositions légales
concernant la question du civisme et des civilités dans le cadre des
comportements souhaités dans les institutions scolaires, deux textes
fondamentaux vont particulièrement intéresser l'étude. Le
choix de ces textes est déterminé par leur caractère
coercitif et impératif dans le fonctionnement des établissements
scolaires au Cameroun. A la base, ils sont destinés à permettre
un bon fonctionnement d'un établissement scolaire. Mais, surtout, tous
les deux insistent sur la relation d'intime correspondance et d'étroite
adéquation qui doit exister entre les injonctions réglementaires
et les réalités comportementales. C'est dire que normalement, ce
sont deux textes qui constituent des bases fondamentales, des sources
d'inspirations pour l'élaboration des règlements
intérieurs des établissements scolaires au Cameroun. C'est donc
à ce titre qu'ils sont pertinents ici.
VI.1.1. Ce que
prévoient les recommandations et la loi
Il est question ici des résolutions des états
généraux de l'éducation et de la loi d'orientation de
l'éducation au Cameroun.
VI.1.1.1 Les
états généraux de l'éducation
Il s'agit de l'ensemble des recommandations formulées
par les participants aux états généraux de
l'éducation tenus à Yaoundé en mai 1995. Bien que
celles-ci n'aient pas force de lois pour être impérativement
mises en application, ils représentent, tout au moins un ensemble de
solutions ou de réponses formulées par des professionnels et des
experts de la question éducative et scolaire au Cameroun, mises à
la disposition de l'autorité compétente. En somme, ce texte est
bâti autour de propositions et suggestions formulées par des
personnes qui ont une connaissance profonde de l'école en
général et de l'école camerounaise en particulier. Ce
texte est de ce fait assimilable à un instrument de pédagogie au
service de l'amélioration de l'école camerounaise ; pour le
renforcement de son rendement. Par ailleurs, la tenue de ces assises
témoigne d'un souci des autorités de l'État de veiller au
bon fonctionnement, de l'école (Binyegui, 2004 : 78).
Se penchant sur les nouvelles missions de l'école
camerounaise, les recommandations des états généraux de
l'éducation suggèrent :
- Sur le plan individuel : la formation civique et
morale ;
- Sur le plan collectif et communautaire : la formation
des citoyens respectueux du bien commun ;
- Sur le plan moral : la formation aux grandes valeurs
éthiques universelles ;
- Sur le plan intellectuel : la culture de l'excellence
et de la connaissance du savoir-faire et du savoir-être ;
- Sur le plan politique et civique : l'initiation au
respect de l'autre, à la tolérance, à la paix, au
dialogue, à la solidarité et à la coopération.
D'un mot, l'école est appelée à former
des citoyens fortement imprégnés du sens civique. Ces points
étant mis en relief, il serait superflu d'insister davantage sur ce
texte. Aussi suspend-on son examen pour nous intéresser à la loi
d'orientation de l'éducation au Cameroun.
VI.1.1.2. Loi
d'orientation de l'éducation au Cameroun
Cette loi a été votée et
promulguée en 1998. Elle s'inspire des deux grandes assises tenues
à Yaoundé, quelques années plus tôt. Les grandes
lignes de ce texte de loi sont tracées par les états
généraux de la culture tenus à Yaoundé en
Août 1991 et les états généraux de
l'éducation tenus en 1995. Le vote de cette loi se veut la traduction en
actes, de la détermination de l'Etat à prendre en compte les
recommandations et résolutions des états généraux
de l'éducation de 1995.
La loi d'orientation de l'éducation au Cameroun fixe le
cadre juridique de référence de l'éducation au Cameroun.
C'est en cela qu'elle intéresse l'étude. Autrement dit, c'est
d'elle que s'inspirent les règlements intérieurs des
établissements scolaires. Le chapitre II (article 35) sur les
élèves dit : « L'intégrité
physique et morale des élèves est garantie dans le système
éducatif. Sont, de ce fait, proscrits : les sévices
corporels et toutes autres formes de violence... ». L'article 36
dispose que « les obligations des élèves consistent
en l'accomplissement des tâches inhérentes à leurs
études. Elles incluent le respect des textes en vigueur, y compris le
règlement intérieur de l'établissement scolaire
fréquenté ».
Ainsi, il ressort de cette lecture des textes qu'il existe une
certaine acuité de principe pour ce qui est de type d'homme à
former. Il s'agit en clair d'un citoyen éclairé, tolérant,
responsable, respectueux des idéaux de paix, de solidarité, de
justice (entre autres). Du point de vue des textes et de la loi, le
règlement intérieur d'un établissement
bénéficie d'une place de choix, afin d'établir le cadre de
vie collective, de faciliter l'épanouissement, de créer les
conditions favorables aux études et de parfaire l'éducation
morale et civique.
L'école étant donc considérée
comme milieu d'éducation (donc d'apprentissage de bonnes règles
de vie) et de formation des générations destinées à
garantir la survie d'une société, l'on ne comprend pas toujours
les motifs de la prolifération des incivilités et incivismes en
milieux scolaires et qui sont symptomatiques des violences. En effet, ces
pratiques aux effets contraires aux missions traditionnelles de l'école
entament progressivement les pouvoirs de formation et de correction des
déviances que bien des parents camerounais lui ont reconnu. C'est ce qui
justifie ici le choix de la violence comme un cas pertinent pour cette
étude. A présent, il est question d'inspecter cette
réalité à l'aune des comportements de la jeunesse scolaire
à Yaoundé.
VI.2- VIOLENCES
SCOLAIRES : UNE REALITE EN EXPANSION
Donner une vision du phénomène de la violence
à l'école suppose l'établissement préalable d'une
définition et d'une délimitation univoque du concret de la
violence. Ni la langue courante, ni les recherches ne manipulent une
définition univoque de la violence.
VI.2.1. Essai de
définition de la violence
Du latin « violentia », de
« violare », « faire
violence », qui dérive lui-même du vis,
« force », la violence se réfère
à une utilisation abusive de la force, en négation de la loi, du
droit ou de la souveraineté de la personne. A ce titre, la violence est
quotidienne et universelle ; elle se manifeste dans les relations
interpersonnelles et dans la vie des groupes comme au niveau des nations. Elle
est le moyen brutal de satisfaire ses désirs (viol, par exemple), de
défendre ses intérêts (querelle entre camarades, entre
voisins, élèves et enseignants...), d'imposer son point de vue ou
son idéologie (coup d'État, révolution...) ; elle est
un instrument de pression sur les gouvernements (attentats à l'explosif,
prise d'otage...), expédition des faibles pour se faire entendre, et se
substitue au dialogue, dont elle souligne dramatiquement l'absence.
Autrement dit, la violence ne se dessine que dans son rapport
à des normes qu'elle contredit. Presque indéfinissable, au
même titre que des notions comme celles de
« chaos », de
« désordre », de
« transgression », elle implique l'idée
d'un écart ou d'une infraction par rapport aux normes ou aux
règles définies comme normales ou légales, l'idée
d'une perturbation de l'ordre des choses, mais aussi celle
d'instrument nécessaire au maintien de cet ordre dès lors qu'elle
est légalisée (Akoun et Ansart, 1999 : sv
« violence »).
Au regard de cette définition, et pour des raisons
multiples liées à la complexité humaine et sociale, la
violence s'avère omniprésente, protéiforme, relative,
contextualisée, à la fois fascinante et rebutante, réelle
et fantasmée, légitimée et condamnée. Elle
apparaît fondamentalement comme une transgression d'un ordre
établi, institutionnel ou individuel ; elle va à l'encontre des
systèmes de valeurs socialement reconnues. C'est pourquoi l'idée
de violence est chargée en soi des valeurs positives ou
négatives qu'on attache à la rupture, à la transgression,
à la violation ou à la destruction de l'ordre.
La dimension contemporaine tend à connoter moralement
le terme, en lui donnant un caractère polémique. Alors qu'au
niveau descriptif, la violence peut évoquer simplement l'utilisation de
la force physique (ou autre selon les auteurs) à des fins destructrices,
du point de vue moral, elle évoque l'utilisation inacceptable de cette
même force en vue de nuire à autrui. La violence résiderait
alors dans une mauvaise utilisation de la force.
"Fondamentale" chez Jean Bergeret, "fondatrice et banale" chez
Michel Maffesoli1, la violence composerait une partie de l'essence même
de l'Homme, de la Société et des Institutions. Infléchie
dans un sens positif, elle devient "civilité", "civisme" et
"civilisation". Mal dirigée, elle fait des "victimes" et trouve
certaines de ses manifestations dans les "incivilités" et les
"incivismes".
Quoi qu'il en soit, parler de la violence, revient à la
définir comme «comportement actif, spontané ou volontaire,
menaçant autrui en lui portant préjudice, dommage et souffrance
morale ou physique». Le Dictionnaire de la violence et du crime
invite à bien «distinguer la violence de la contrainte et de la
force qui peuvent s'exercer envers autrui pour son bien et sans lui nuire dans
une relation de respect effectif » (Dufour-Gompers, 1992).
De façon plus précise, "il y a violence quand,
dans une situation d'interaction, un ou plusieurs acteurs agissent de
manière directe ou indirecte, massée ou distribuée, en
portant atteinte à un ou plusieurs autres à des degrés
variables, soit dans leur intégrité physique, soit dans leur
intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs
participations symboliques et culturelles" (ibid.).
Dans un essai de définition fonctionnelle, Jacques Pain
propose d'y mettre "des seuils, autour de l'atteinte violente à l'autre
(physique et verbale), sans pour autant négliger les violences plus
diffuses" mais, avec ou sans seuil, «la "vraie" violence est et reste
avant tout, une démarche visant à nuire, à détruire
"l'autre"».
De même pour Eric Debarbieux (1996), «toutes les
violences ne se valent pas». Pour cette raison, afin d'enrichir la
démarche de conceptualisation, le terme d'incivilité est
apparu et traduit que la violence n'est pas que crime et délit.
Issu de la criminologie américaine, le concept
d'incivilité rejoint le concept anglo-saxon bullying ; ce
sont les petites atteintes à la sécurité, les
micro-victimations qui exaspèrent et qui peuvent
dégénérer dans des phénomènes plus
radicalement violents. Le plus souvent paroles blessantes,
grossièretés diverses, bousculades, interpellations,
humiliations, brimades, harcèlement ou brutalités, elles
relèvent de la petite délinquance et sont parfois
pénalisables.
En définitive, la violence peut ainsi être
considérée comme « abus sous toutes ses formes et
en tout lieu» certes, mais aussi comme «des actions ou des
attitudes violentes ou ressenties comme violentes, c'est-à-dire usant
directement ou indirectement de la force, de la contrainte ou les permettant.
Ou encore des actions ou des attitudes, ouvertes ou diffuses, de
«malmenances institutionnelles «».
VI.2.2. Repérage de
la violence en milieu scolaire
Compte tenu de la difficulté de définir
précisément la notion de «violence », la
littérature de ces dernières années préfère
le terme de violences en milieu scolaire à celui de
violences scolaires, partie intégrante des premières.
Elle propose par ailleurs d'utiliser le terme de comportement
antisocial comme dénominateur commun d'un certain nombre de
comportements violents à l'école, comme le chahut, l'intimidation
sexuelle (entre autres).
De ce fait, en milieu scolaire, une acception large de la
violence pourrait relever de ce qui empêche les missions d'enseignement
et d'apprentissage de se développer. L'échec scolaire n'est-il
pas fréquemment dénoncé comme la première des
violences à l'École ?
Une définition plus restreinte indiquerait l'atteinte
aux acteurs, quelle que soit leur position institutionnelle, dans leurs
personnes et leurs missions institutionnelles : une personne humiliée
par un nom raillé, une place institutionnelle niée par des
attitudes, des actes et des comportements.
Définir la violence en milieu scolaire revient ainsi
donc, de prime abord, à considérer la violence en milieu social.
Le comportement antisocial devient alors «toute situation
débordant les limites d'une discussion ou d'une confrontation
d'opinions » et engendre une confrontation verbale ou physique
entre les protagonistes. De ce point de vue, soulignons que la
violence à l'école recouvre la totalité du spectre des
activités et des actions qui entraînent la souffrance ou des
dommages physiques ou psychiques chez des personnes qui sont actives dans ou
autour de l'école ou qui visent à endommager des objets à
l'école. Martin affirme à ce propos que :
« La violence dans les écoles est
présente dans toute situation où un membre de la
communauté scolaire (professeur, étudiant, du personnel
éducatif, parent ou visiteur) fait l'objet d'intimidations, de menaces
ou d'une agression, ou lorsque ses biens personnels sont
délibérément endommagés par un autre membre de
cette communauté ou le public dans des circonstances découlant de
ses activités dans une école » (cité par
Jacques Pain, 2000).
Sur cette base, les résultats des enquêtes
menées dans les milieux scolaires, notamment dans les lycées et
collèges à Yaoundé, nous permettent, dans le cadre de
cette acception élargie, de catégoriser les formes de
comportements antisociaux observés dans les établissements
d'enseignement du second degré à Yaoundé :
1. Violence physique ou menace à l'encontre de
personnes (les coups et blessures, agressions, bagarres) ;
2. Autres formes de comportements délinquants (le vol,
le vandalisme, la consommation de drogues) ;
3. Délits liés au statut (école
buissonnière, visite dans des cafés et dancing, fuite) ;
4. Comportements en dehors de la norme et lié à
l'école (chahut délibéré, retards, quitter la
leçon avant l'heure normale, fumer dans l'école, en d'autres
termes : le non-respect du règlement intérieur de
l'établissement).
Les deux premières formes sont à ranger dans la
catégorie de la criminalité, c'est-à-dire dans celle des
comportements juridiquement répréhensibles. La violence physique
(ou la menace de violence physique) est considérée comme une
catégorie séparée du fait de son impact accru sur le
sentiment d'insécurité (important pour l'opinion publique, mais
aussi pour la position du professeur dans la classe et dans l'école).
Les délits liés au statut de jeunes sont
considérés comme des comportements annonçant la
délinquance et prennent tout leur sens en cas de transition vers des
actes criminels par des comportements en dehors de la norme adoptée
à l'école.
VI.2.3. Rapport de cause
à effet et modèles explicatifs
Plusieurs facteurs ressortent de l'explication que les
acteurs scolaires donnent de la violence dans les établissements
scolaires de second degré à Yaoundé.
- Les caractéristiques familiales
Les différents aspects relatifs au foyer parental
expliquent la violence à l'école : perturbation des
relations au sein du foyer (manque de chaleur), les déchirements entre
parents, la séparation des parents, le fait d'être l'unique
enfant, la pauvreté et les privations, un logement trop exigu, une
éducation aléatoire, agressive, extrême, trop ou
insuffisamment sévère de la part des parents, le manque de
contrôle, le fait que les deux parents travaillent ou qu'un des deux
parents doive supporter seul l'éducation des enfants, etc.
- Les caractéristiques concernant les
élèves
Les facteurs liés à la violence à
l'école sont les suivants : l'âge, le sexe, les comportements
problématiques dans le passé, l'appartenance à un groupe
ethnique, une formation suivie, un emploi scolaire, les capacités
intellectuelles, la stabilité émotionnelle, un sentiment de
valorisation, le désir d'obtenir de bons résultats scolaires, le
lien social avec les autres.
- Les caractéristiques concernant les
professeurs
La violence dépend des facteurs suivants : le
comportement global du professeur à l'égard des
élèves (respect à l'égard des
élèves, entretien d'un dialogue avec les élèves,
etc.), les mesures prises par les professeurs pour contrer et punir la
violence.
- Les Caractéristiques concernant
l'école
Les facteurs en relation avec la violence à
l'école sont les suivants : le climat régnant dans
l'école, la taille de l'école, le type d'enseignement
donné, l'attention spécifique pour l'accompagnement des
élèves, la composition multiculturelle, les organes de
participation.
- Caractéristique concernant
l'environnement
Nous pouvons citer ici les caractéristiques du
quartier (à savoir les quartiers abritant des habitants de classes
sociales moins favorisées, où la criminalité est plus
développée) et l'urbanisation (quartiers populaires).
- Média
On se réfère ici notamment à l'influence
de la violence à la télévision et dans les films, ainsi
qu'à l'appétit démesuré pour les faits
sensationnels.
- Développements sociaux au sens large
Les évolutions de la société qui
engendrent une augmentation de l'exclusion sociale, la crise des valeurs et des
normes morales, etc.
VI.2.4. Liens sociaux et
expériences scolaires
Le point de départ de la théorie s'appuie sur
une version adaptée de la théorie des liens sociaux,
elle-même adaptée à la vie scolaire. La mise sur pied d'un
lien est considérée comme une interaction entre deux
pôles : l'institution sociale et le jeune. Si le lien ne se
développe pas ou pas assez, un problème peut survenir des deux
côtés ou dans la collaboration qui les unit. Le problème ne
se pose donc pas uniquement du côté du jeune, il se peut que
l'offre de lien de la part de la société, pose, elle aussi
problème.
L'école est un des principaux lieux permettant le
développement de liens sociaux. Le schéma ci-dessous se propose
d'illustrer ce qui se passe dans une situation normale.
1. Un enfant qui se sent accepté par l'enseignant aura
tendance à s'attacher à cet enseignant et recevra une certaine
affection en retour. En d'autres termes, nous pouvons affirmer qu'une relation
personnelle se fait jour entre ces deux acteurs.
2. Afin de conserver ou d'améliorer cette relation,
l'élève s'emploiera à ses tâches scolaires
(notamment en apprenant ses leçons et en faisant ses devoirs, en faisant
attention en classe, en étant en ordre à tout point de vue,
etc.), un comportement qui aura une influence positive sur ses
résultats. Ainsi, l'élève acquerra un statut plus
élevé dans la classe et dans l'école (il appartiendra aux
meilleurs, à ceux qui pourront s'engager dans des voies difficiles).
3. Pour ne pas perdre cette relation positive et ce statut
acquis, l'élève acceptera la discipline imposée par
l'établissement scolaire qu'il fréquente ; le lien personnel
et le statut social agiront comme un frein sur les comportements qui ne sont
pas conformes à la norme.
Dans cette situation-ci, les liens avec la
société sont fondamentalement présents. Les jeunes issus
de strates sociales moins favorisées doivent combler un écart
beaucoup plus important entre ce qu'ils apprennent à la maison et ce
qu'ils apprennent à l'école que ceux issus de milieux
économiquement privilégiés. Ces élèves sont
moins familiarisés avec les pensées et les raisonnements plus
abstraits, les règles de comportements informelles, l'usage de la
langue. Ces élèves, moins acceptés par les enseignants,
éprouveront plus de difficultés à développer une
relation personnelle avec eux. Le schéma ci dessous se propose
d'expliciter ce qui risque de leur arriver.
1. Les difficultés de ces élèves ne se
limitent pas à la mise en place d'une relation personnelle avec
l'enseignant. La plupart du temps, ce dernier tendra à stigmatiser leurs
`'bêtises'' et leurs `'indisciplines''.
2. Ces élèves auront donc moins de motivation
pour s'astreindre aux tâches et activités scolaires et, au fil du
temps, s'engageront de moins que leurs camarades du même âge dans
les activités scolaires. Graduellement, ces élèves
deviendront conscients de leur échec et développeront une image
négative d'eux-mêmes.
3. Les élèves qui ne sont pas parvenus à
développer une relation personnelle avec leur enseignant, les
élèves stigmatisés, qui ont développé une
image négative d'eux-mêmes, auront d'autant moins à perdre
en ne respectant pas la discipline imposée par leur établissement
scolaire.
Une image de soi défavorable, une image de `'perdant'',
exige des mécanismes psychologiques pour être assimilée.
C'est tout naturellement vers des camarades du même âge et qui
traversent la même expérience négative que se tourneront
les élèves qui se trouvent dans cette situation. Dans un tel
groupe, l'aspect social sera ressenti comme un élément sans
aucune valeur, et c'est précisément la provocation de ce
processus qui générera une certaine estime de soi. Un sentiment
d'estime de soi alternatif naîtra. Les compétences requises pour
commettre des délits seront apprises avec les pairs. Le risque de voir
ces élèves appartenir un jour au groupe des délinquants
persistants est considérable.
VI.3. L'ECOLE DU
DESORDRE : ENTRE DYNAMISME, INCIVILITE ET INCIVISME
La sociologie de la civilité en milieux scolaire au
Cameroun invite le chercheur à débusquer les pratiques, les
répressions minuscules qui participent au dynamisme du système
éducatif. La civilité et le civisme s'imposent d'abord à
l'analyse par son rôle négatif : ils se trouvent sur le lieu
d'une réglementation, celle qui rend hétérogène le
champ scolaire en interdisant d'y distribuer dans n'importe quel ordre et
à n'importe quel moment n'importe quel comportement. Elle réprime
«ce qui ne convient pas », «ce qui ne se fait
pas » ; elle maintient à distance, en les
filtrant ou sanctionnant, les signes de comportement illisible dans
l'établissement scolaire, intolérables, destructeurs de la
réputation de l'institution-école. La civilité ou le
civisme deviennent ainsi la gestion symbolique de la face publique des
élèves dans son établissement. La civilité ou le
civisme sont le mode sous lequel on est perçu et le moyen contraignant
d'y rester soumis ; en leur fond, ils exigent que toute dissonance soit
évitée dans le jeu des comportements, et toute rupture
qualitative dans la perception de l'environnement social. Ils imposent une
justification éthique des comportements intuitivement mesurable, car ils
les distribuent autour d'un axe organisateur de valeur. Dans cet ordre
d'idée, nous tombons alors dans le champ du symbolique, non
réductible, dans l'analyse anthropo-sociologique, à la
quantification statistique des comportements, ni à leur distribution
taxinomique. Le champ du symbolique, comme l'observe De Certeau (1994 :
29), est « équivalemment » celui de la
« règle culturel », de la régulation
interne des comportements comme effet d'un héritage (éducatif,
affectif, politique, économique, etc.) qui déborde de toute part
le sujet implanté hic et nunc dans les comportements qui le
rend repérable sur la surface sociale de l'établissement
scolaire. Il s'agit donc de procéder à une analyse sans vergogne
ces incivilités et incivismes scolaires à un double niveau :
au niveau des types et formes de violences vécues d'une part, et au
niveau de l'éducation corporel, d'autre part.
VI.3.1. La violence
insaisissable et homogène
La violence à l'école, à Yaoundé,
est en passe de ne plus être simplement anecdotique et sporadique. En
réalité, les établissements scolaires sont devenus des
lieux où se manifestent les violences de tous ordres. Les
élèves ont des comportements étranges. La violence est
`'partout `'. Tous en parlent, le ministère organise même des
journées et programmes d'action : le thème de la
quarantième Fête de la jeunesse «Jeunesse,
citoyenneté et lutte contre les fléaux sociaux »,
témoigne de la préoccupation des pouvoirs publics face ce
phénomène.
Les professeurs lèvent le tabou
et voient des violences partout, les parents craignent pour leurs enfants. Les
débats sont partout, dans les établissements `'difficiles'',
comme dans les autres, dans les petites classes, comme dans les grandes. Le
sanctuaire scolaire est brusquement devenu le lieu de toutes les violences et
de toutes les crises. La formation des enseignants et des conseillers
principaux d'orientation comporte à n'en point douter, un volet
violence. Tout se passe comme si, en quelques années, nous étions
passés de la paix à la guerre, du calme au tumulte. Cette brusque
explosion de la violence est un peu `'étrange''.
Partant des observations les plus simples, nous nous sommes
intéressés à un groupe de collégiens qui
préparaient un Brevet d'études du premier cycle (BEPC). Au
lycée Leclerc et au Collège d'enseignement secondaire de
Ngoa-Ekelle ; quelques enseignants ont été
interrogés. Le professeur de sciences de la vie et de la terre,
âgé de trente cinq ans, trouve ses élèves `'un peu
dissipés'', chahuteurs, mais au fond gentils et pas très
différents de l'élève qu'il croit avoir des barbares, des
sauvages, brefs des `'violents''. Leur professeur de mathématiques, une
jeune femme aussi, née dans les quartiers qui environnent ces
établissements, considère que ses élèves sont
surtout « les victimes des conditions de vie et
d'éducation qui leur sont faites, et que leur style provocateur et
agressif n'est en rien original », que « le
problème essentiel est celui de l'adaptation de l'école à
ce type d'élèves ». Les conseillers principaux
d'orientation connaissent peu ou prou les histoires de délinquance du
quartier et considèrent que le lycée ou le collège sont
des îlots de paix relativement menacés par la violence du quartier
et par la `'guerre'' des délinquants. Pour s'en rendre compte, il n'est
qu'à lire les propos du Chef d'un établissement :
« Pour le cas spécifique du lycée
Général Leclerc, nous avons une grande clôture qui, seul
déjà, donne de la sécurité. Cela veut dire
qu'au-delà de cette clôture, il y a un règlement
intérieur qui précise ce qui doit se faire dans
l'établissement scolaire »47(*)
La ronde de définition et des descriptions est infinie,
mais il est vrai que chacun parle de violence pour désigner des
conduites extrêmement différentes, considère que les
mêmes conduites relèvent ou pas de la violence.
Chacun parle de la violence comme d'une évidence. Mais
cependant, la discipline est stricte, voire obsessionnelle. En même
temps, personne n'est en mesure, en dépit des questions pressantes, de
décrire des conduites `'réellement'' violentes, coups,
`'rally''48(*), vol,
rackets, harcèlement sexuel. Mais il est vrai que le lycée ou le
collège connaissent des accidents sérieux. Le dernier
événement sinistre qui a défrayé la chronique est
là pour en témoigner : un élève qui à
égorgé un de ses camarades à l'arme blanche (couteau),
à l'école américaine ; il est très
fréquent de voir les assauts au couteau d'un élève contre
son enseignant, comme ce fut le cas au lycée de Sam-Efoulan, au
Collège d'enseignement technique, industriel et commercial de
Ngoa-Ekelle.
De même, cette autre scène digne d'un film
western dans un collège missionnaire où un
élève n'a pas trouvé mieux, pour exprimer sa
colère du fait qu'on lui a «arraché sa meilleure
petite »49(*) que d'apporter un pistolet et de tirer un coup de
feu. Même s'il n'y eut pas de victime, du moins la menace était
là.
Nous évoquerons encore le cas d'un Centre de jeunesse
et d'animation situé dans un quartier `'difficile'' (quartier Madagascar
à Yaoundé), et dans lequel toutes les difficultés
scolaires des élèves sont perçues comme des effets des
problèmes sociaux du quartier. L'agitation des élèves dans
les classes, les problèmes d'apprentissage, ceux des relations,
agressives ou absentes avec les parents, sont autant d'indicateurs de
violence des élèves et de la société. Là
aussi, la discipline est stricte et toutes ces difficultés, qu'un
observateur étranger pourrait considérer comme banales, sont
confondues sous le dénominateur commun de la violence.
On pourrait multiplier les descriptions. Toutes nous
conduiraient au même double constat. D'un côté, il y a des
conduites violentes et agressives, extrêmement
hétérogènes, dans la plupart des établissements. De
l'autre, toutes ces conduites, ces difficultés ou ces
appréhensions, sont perçues comme des violences réelles ou
potentielles.
Quoi qu'il en soit, la violence est une catégorie
générale désignant un ensemble de phénomènes
hétérogènes, un ensemble de signes des difficultés
de l'école, parmi lesquelles les conduites violentes proprement dites ne
sont qu'un sous-ensemble.
La violence désigne à la fois des conduites
réellement violentes, vols, agressions, injures, menaces et le sentiment
diffus mais omniprésent d'affronter tout un ensemble de
difficultés tenant autant à la vie scolaire elle-même
qu'à tous les problèmes sociaux qui la menacent.
La violence scolaire devient une catégorie
générique d'autant plus efficace qu'elle est, du point de vue
normatif, sans ambiguïtés : `'la violence c'est le mal''. Dans
une large mesure, en désignant un ensemble de conduites comme violentes,
on se place du côté du bien contre le mal. Alors que souvent
l'école est déchirée par des intérêts
idéologiques, sociaux et corporatifs, la violence assure son
unité, elle offre une légitimité immédiate à
celui qui la condamne. Quand une conduite est désignée comme
violente potentiellement violente, elle est immédiatement comprise comme
une conduite dangereuse, engageant à la fois la survie et la
défense de la société contre toutes les menaces. C'est
pour cette raison que l'on désignera en vrac comme étant violents
le comportement les plus hétérogènes, c'est aussi pour
cette raison qu'on aura tendance à élargir cette violence
au-delà des murs de l'école, et à considérer comme
des violences scolaires, des comportements et des conduites qui se
déroulent en dehors de l'espace et du temps scolaire.
Ainsi, les règlements de comptes meurtriers qui se
réalisent en dehors de l'école, mais, qui concernent les
élèves, ne sont pas définis comme de `'simple'' violences
sociales, mais comme des violences scolaires.
Cette `'déconstruction'' sommaire de la violence ne
saurait laisser à croire que les violences scolaires n'existent pas,
qu'elles ne sont pas qu'un fantasme, qu'une production idéologique et
médiatique ou voire, qu'un `'complot' ourdi par quelques manipulateurs
afin de détourner l'attention des `'véritables''
problèmes. Il en est de la violence comme de l'insécurité
en général. Elle désigne à la fois des conduites et
des risques `'réels'', et une perception de ces risques qui ne les
reflètent pas. Les personnes qui se sentent le plus menacées ne
sont pas nécessairement celles qui le sont le plus `'objectivement'', ce
sont celles qui se sentent les plus fragiles, les plus en chute, celles dont la
place dans la société n'est plus aussi assurée.
De nos jours, les établissements scolaires se
perçoivent comme des machines à lutter contre la violence
scolaire. Toutes les conduites `'inciviles'', injures, absentéisme,
désintérêt scolaire, chahuts à la sortie de
l'école, sont interprétées comme les signes d'une violence
potentielle. Pour tous, les lycées et collèges sont des
forteresses qui se protègent tant bien que mal contre la violence du
quartier. Ainsi, dans les établissements scolaires ici
étudiés, le règlement intérieur interdit
formellement d'entrer dans l'enceinte de l'établissement avec des
ciseaux ou tout autre objet pointu pouvant s'avérer dangereux.
Interrogé à ce sujet, le Proviseur du Lycée Bilingue de
Yaoundé déclare :
« Chaque début de semaine, nous avons la
cérémonie de levée des couleurs. A cette occasion, nous
rappelons aux élèves l'attitude à avoir, les comportements
à observer, la tenue par rapport aux autres élèves et la
tenue par rapport aux professeurs »50(*).
Il ajoute par ailleurs, «qu'en début
d'année scolaire, des extraits du règlement intérieur sont
distribués aux élèves », mais
reconnaît que «cela ne garantit pas une totale
sécurité ». D'autres méthodes sont donc
employées, en plus des opérations de sensibilisation. Notamment
des descentes inopinées dans les salles de classes, où il est
procédé à la fouille des cartables. « La
moisson est parfois surprenante » selon les termes du
proviseur : « chaque fois que nous le faisons, observe-t-il,
nous avons des surprises ». Le proviseur cite
pêle-mêle, des revues pornographiques, des jeux de cartes, des
comprimés utilisés pour se droguer.
Par ailleurs, à la tête de
l'établissement, on déclare qu'il y a régulièrement
des coups de vols. Très souvent, certains élèves tentent
de distraire leurs camarades pour leur soustraire quelque chose : les
Media player (MP3 ou support numérique), les manuels scolaires, etc.
Et les téléphones portables sont, de l'avis des
élèves, prisés. Les détrousseurs ici sont bel et
bien des élèves du secondaire. Les élèves pris en
faute sont sanctionnés, assure-t-on. Selon la gravité de la
faute, les sanctions vont des consignes, des simples retenues à
l'exclusion définitive. Autant d'outils de dissuasion qui ne font pas
toujours reculer les caractères dits
«difficiles ». Mais que peuvent les encadreurs ?
Question difficile, qui révèle en réalité une
certaine impuissance. Car, si les différents règlements
intérieurs proscrivent formellement les objets dangereux (couteaux,
ciseaux, clou et autres objets pointus), on s'arrête souvent aux textes.
Dans la plupart des établissements, sinon tous, la mise en oeuvre de ces
règles et la répression des dérives sont une autre
réalité, que beaucoup n'aborde presque jamais. Sauf lorsqu'il
advient l'irréparable.
Et il est d'autant plus vrai qu'il serait fastidieux de
procéder chaque matin à la fouille systématique de
cartables à l'entrée de l'établissement. En
réalité, ce ne sont pas les menaces qui manquent. Les rapports
conflictuels existent toujours dans les communautés. Ils sont encore
plus susceptibles d'aboutir à des affrontements dans les milieux
où les jeunes vivent leur crise d'adolescence en même temps. Dans
les établissements, les individus violents exercent parfois des
pressions sur leurs camarades et même sur les enseignants. Le lien entre
cette violence et des penchants comme le tabagisme et l'alcoolisme est,
d'ailleurs souvent, établit.
VI.3.1.1. Les logiques de
la violence
Une fois la scénographie de la violence-déviance
réalisée, il sera question maintenant de montrer que la violence
n'a pas d'unité et qu'elle participe d'une série de
mécanismes autonomes que le discours public sur la déviance
contribue à masquer ; c'est d'ailleurs ce qui en fait
l'efficacité sociale. Nous distinguerons trois grandes logiques.
VI.3.1.2. La
déviance tolérée
L'anthropologie, l'histoire et la sociologie nous apprennent
que les sociétés éradiquent moins la déviance
qu'elles ne la contrôlent. En ce qui concerne les violences
juvéniles notamment, elles sont à la fois rituellement
dénoncées, chaque génération déplore les
débordements de celle qui la suit, et en même temps, chaque
société laisse un espace aux débordements de la jeunesse.
Si l'on pouvait risquer le mot, on dirait qu'il existe une `'loi'' sociologique
selon laquelle, plus les sociétés sont intégrées,
plus elles concèdent un espace de déviance
tolérée.
La déviance tolérée est un
phénomène paradoxal reposant sur une injonction elle-même
paradoxale. Elle consiste à affirmer nettement les interdits, tout en
concédant des moments, des lieux et des formes dans lesquels ces
interdits peuvent être transgressés, plus encore, dans lesquels il
est implicitement soutenable que ces interdits soient transgressés. Ce
mécanisme assez subtile se révèle directement quand des
adultes et des jeunes se rencontrent et les premiers condamnent les
débordements des jeunes tout en évoquant avec nostalgie leurs
propres débordements, leurs propres chahuts, leurs propres
`'bêtises''.
La formation d'une déviance tolérée
repose sur une forte connivence culturelle, sur un accord profond sur les
normes et les transgressions. Afin que le jeu autour de la norme puisse se
constituer, il faut que les acteurs soient en mesure d'interpréter les
transgressions et de savoir quand la limite de la limite est
dépassée. Aussi, il n'est pas étonnant que les
déviances tolérées apparaissent dans les
sociétés et organisations fortement intégrées.
Pensons aux sociétés traditionnelles qui exercent un fort
contrôle social et qui ouvrent des moments de déviances quasiment
institués : carnavals, fêtes diverses, charivari, chahuts
initiatiques... On trouvait encore ces conduites dans les
sociétés villageoises et dans le `'samedi soir, dimanche'' de la
classe ouvrière traditionnelle. Ce sont aussi les débordements
contrôlés, tolérés, voire encouragés par la
hiérarchie, qui ponctuaient régulièrement la vie des
casernes.
Dans le monde scolaire, l'amnésie et la nostalgie
aidant, on a oublié que l'ordre scolaire rigoureux et souvent
disciplinaire ménage des zones de déviance tolérée.
Il faut citer les chahuts traditionnels dont la brutalité surprend bien
des enseignants et les autres personnels d'encadrement. Les lycées et
collèges aménagent implicitement des moments et des lieux de
déviance dans lesquels on peut fumer une cigarette (cantines scolaires)
ou régler quelques comptes (cours de récréation). Les
établissements ne sont non plus totalement étanches à la
société, et les vols de trousses, brimades ne sont pas une
invention des nouveaux collégiens. La vie scolaire, fortement
contrôlée, n'est certainement pas exempte de toute violence. Mais
ces violences sont tolérées et contrôlées dans la
mesure où chacun savait jusqu'où il ne faut pas aller trop
loin.
Pour que se forme un tel espace, il importe que tous les
acteurs concernés partagent, au-delà de leurs conflits, une
certaines `'complicité''. Il faut que le maître sache distinguer
un bagarre `'rituelle'' d'une bagarre dangereuse. Il faut qu'il sache
décoder et lire les conduites des élèves, il faut qu'il
sache régler la longueur de la liesse. Non seulement la déviance
tolérée est une manière de faire la part du feu, de donner
quelques soupapes de sécurité dans des organisations rigides,
mais elle participe aussi d'un modèle d'éducation dans lequel il
faut franchir quelques épreuves, mesurer sa valeur et son courage. Et
toute une littérature juvénile, diffusée par
l'école elle-même, fait l'apologie de cette sorte de courage qui
à consister à enfreindre les règles.
Une des dimensions et des significations de la violence
aujourd'hui tient à la disparition des zones de déviance
tolérée, à l'affaiblissement de la connivence culturelle
entre les enseignants et les élèves. Les adultes
interprètent immédiatement des conduites comme violentes parce
qu'ils ne les comprennent pas, et parce que les élèves ne
partagent pas les mêmes complicités.
Quelques cas observés in situ qui, pour
être simples et vrais, n'en sont pas caricaturaux. Les
élèves de sixième jouent au football dans la cours. Deux
filles de cinquième se crêpent le chignon dans la cours à
propos d'un garçon. Aucun adulte n'intervient d'abord parce que c'est le
travail du surveillant et du conseiller d'orientation. Devant cette absence,
l'angoisse des filles augmente jusqu'à ce qu'un professeur intervienne
et sépare les deux filles en larmes. Une rivalité amoureuse
banale, probablement aussi vielle que le monde, devient un `'problème de
violence'' appelant une intervention spécialisée et
suggérant que les deux élèves ont des
`'problèmes''. Evidemment, cette cécité culturelle
accroît sensiblement la violence elle-même, elle renforce le
contrôle, elle `'criminalise'' des conduites banales, et le niveau des
exigences disciplinaires des établissements difficiles se
développe sans cesse, renforçant ainsi le sentiment de violence.
On exigera bien plus des élèves d'un collège `'difficile''
que les élèves d'un collège `'bourgeois''. Il est vrai que
dans le second, la connivence culturelle entre les maîtres et les
élèves est immédiate.
De tout ce qui précède, le constat qui se
dégage reste que, des conduites de déviance
tolérées se transforment, peu à peu, en conduites
violentes.
VI.3.1.2. La violence
sociale
Le discours dominant sur la violence scolaire consiste
à rejeter la violence dans la société. A ce sujet un
conseiller principal d'orientation affirme :
« A l'origine des manifestations violentes, il y
a en bonne place la base même de l'éducation, c'est-à-dire
la famille. Comment comprendre que les enfants mineurs s'occupent en famille
plus à regarder des films, parmi lesquels les plus violents qui traitent
de sexe et de crime, sans que les parents s'en émeuvent ? Et la
seule remarque que vous auriez à faire en entrant dans cette maison
cossue, fera qu'on vous affuble de qualificatifs tels que `'retrograde'' et
autre `'vieux jeu''. Pas étonnant que des enfants mineurs, en regardant
des
films pornographiques, s'essayent aussi aux amours de
jeunesse avec leurs camarades filles, sinon aux ébats homosexuels. Et
lorsque s'ajoutent à cela les effets de l'alcool et de la drogue de plus
en plus prisés par les élèves, l'effet ne peut être
que plus dévastateur »51(*)
Ce qui transparait derrière cette opinion, n'est autre
chose qu'une violence sociale provoquée par la `'crise'' et entrant dans
l'école par effraction. Autrement dit, les déviances, comme les
violences, se fabriquent dans le moule familiale. Cette violence recouvre sans
doute la représentation la plus courante des enseignants ; car elle
offre l'avantage de dégager l'école de toute
responsabilité, d'en faire simplement la victime de toutes les violences
sociales. Mais le fait qu'elle ne soit pas sans avantages idéologiques
et qu'elle assure l'unité du monde de l'école, n'indique pas que
cette représentation de la violence à l'école soit sans
fondement. Cette violence sociale procède d'un triple
mécanisme.
En premier lieu, il est peu discutable que nous observions le
développement de conduites délinquantes et `'inciviles'' dans les
quartiers populaires. Les causes de cette `'galère'' juvénile
sont trop connues pour qu'il soit utile de les exposer longuement. On observe
depuis plus d'une vingtaine d'année un développement du
chômage et de la précarité qui affecte profondément
les processus de contrôle social et de socialisation. La pauvreté
relative s'instaure, l'avenir paraît incertain ou trop certain, l'image
des parents se dégrade. Il se constitue et se renforce une culture
juvénile délinquante oscillant entre le jeu, la révolte et
les stratégies économiques déviantes des divers trafics de
l'économie souterraine. Les jeunes sont alors dans un `'vide sociale''
correspondant très largement au tableau de la désorganisation
sociale défini par les sociologues de l'École de Chicago durant
les années vingt et trente. Les jeunes peuvent chercher dans des
identifications ethniques et territoriales les solidarités et les
`'fiertés sociales'' dont ils sont par ailleurs privés. Quoi
qu'il en soit, le racket, le vol et la violence, qui sont monnaies courantes
dans le quartier, entrent aussi à l'école.
En deuxième lieu, avec la massification scolaire qui
s'allonge de fait au-delà de 18 ans, il est bien évident que
toutes ces conduites et que tous ces problèmes entrent massivement dans
l'école. Or, il faut rappeler qu'elle en a longtemps été
préservée par la brièveté de la scolarisation et
l'exclusion précoce des jeunes issus des couches
défavorisées. Les écoles ont donc le sentiment
d'être envahies par les problèmes sociaux, par la pauvreté,
par la délinquance et par la violence. Elles le sont d'autant plus
qu'elles ne sont plus capables de maintenir une barrière entre elles et
le monde, quoi qu'en dise le discours du `'sanctuaire'' scolaire. Rappelons que
si l'école fut un sanctuaire, c'est autant au nom de ses principes qu'en
raison de sa capacité d'éliminer les élèves qui
n'acceptaient pas d'en jouer le jeu. L'entrée des problèmes
sociaux dans l'école se réalise sous la double
représentation des jeunes victimes de la crise et des jeunes violents.
Les dispositifs de lutte contre la violence sont toujours associés aux
dispositifs sociaux qui doivent venir en aide aux affrontant ses situations
intenables. Tous les débats autour de l'exclusion des
élèves balancent entre ces deux pôles, et ceci d'autant
plus que les élèves les plus violents sont souvent les
élèves les plus `'victimes''.
En dernier lieu, l'expérience de l'exclusion et de la
galère affecte le sens de l'expérience scolaire elle-même
et la légitimité de l'institution. En effet, les
élèves et leurs parents peuvent ne plus croire à
l'école quand celle-ci n'apparaît plus comme étant en
mesure d'assurer l'intégration sociale des élèves
condamnés à l'échec et au chômage. Très
souvent les professeurs parlent de cette chute de la confiance dans
l'école et dans l'éducation. Les travaux de l'équipe du
sociologue français B. Charlot invitent cependant à nuancer
cette représentation. Ils montrent plutôt que les parents croient
profondément à l'utilité des études, ils croient
que l'école reste la seule manière de s'en sortir honorablement.
Cependant, cette croyance ne suffit pas à rendre les parents
scolairement `'compétent'', et surtout, elle ne leur permet pas
nécessairement de surmonter leurs craintes et leurs appréhensions
quand il s'agit de rencontrer des enseignants prompts à leur faire
sentir, quand ce n'est pas plus, qu'ils sont des parents
incompétents.
Quoi qu'il en soit de toutes ces nuances, il reste que la
violence qui se manifeste à l'école est souvent une violence
sociale, violence qui envahit l'école et la déstabilise parce
qu'elle lui pose, à proprement parler, des problèmes
non-scolaires, des problèmes psychologiques et sociaux qu'elle n'a pas
vocation à traiter.
VI.3.1.3. Les violences
`'antiscolaires''
Bien des violences qui se manifestent à l'école
ne sont ni des violences sociales, ni des violences juvéniles
`'normales'' et non interprétables par les acteurs. Ce sont des
violences `'antiscolaires'', les destructions de matériel, les injures
et les agressions contre les enseignants, provoquée par les
élèves et parfois par la famille et leurs amis. Ce sont les
violences les plus traumatisantes parce quelles n'ont pas leurs sources en
dehors de l'école et parce qu'il n'est plus possible d'accuser `'la
société''. Ce sont aussi les violences dont les acteurs de
l'école ont le plus de mal à reconnaître la logique.
Il faut, pour comprendre ces violences, admettre que les
élèves subissent une violence de la part de l'école.
Notons à ce propos combien le thème de la violence
symbolique, omniprésent dans les années soixante-dix, a
aujourd'hui quasiment disparu, au moment même où l'école
est affrontée à la violence. Mais le thème de la violence
symbolique semble trop général et trop loin des violences
observées pour qu'il soit utile de le mobiliser de nouveau. La violence
dont il s'agit est avant tout celle qui expose les élèves
à des jugements infamants et qui détruit leur estime de soi.
Même si ces jugements se déroulent dans les
interactions scolaires, ils s'inscrivent dans un mécanisme structurel
que l'on doit rapidement démonter. L'école expose les individus
à des épreuves qui mettent en jeu leur valeur. Ceci n'est pas
nouveau dans la mesure ou toute école hiérarchise,
sélectionne, range... Mais le propre d'une école
démocratique de masse, c'est qu'elle affirme l'égalité de
tous en tant que personne, et qu'elle instaure une compétition entre ces
personnes. Celui qui échoue doit gérer la tension entre ces deux
ordres de principes, et surtout il ne dispose plus de dispositifs de
consolation et de rationalisation, de justification et de critique, que pouvait
offrir une école structurellement inégalitaire. Pour le dire
cruellement, une école démocratique de masse fait en sorte que
les élèves ne s'en prennent qu'à eux-mêmes quand ils
échouent. Les diverses pratiques de remédiation accentuent ce
phénomène, l'individu souverain doit être responsable de
son propre malheur, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même,
qu'à son absence de talent et de courage. Ainsi, le jugement scolaire
met-il directement en cause la valeur de l'individu.
On connaît les réponses des élèves
à cette situation vécue comme une violence et un mépris.
D'une part, un grand nombre d'entre-eux choisissent l'exit et le retrait. Ils
ne jouent plus, abandonnent la partie, mettent en scène un ritualisme
scolaire qui fait qu'ils ne perdent plus parce qu'ils ne jouent plus. C'est
l'indifférence scolaire sous toutes ses formes. L'individu essaie de
sauver une auto-estime en se préservant du jugement scolaire.
D'autre part, les élèves refusent le jugement
scolaire en retournant le stigmate contre les professeurs. Ils sauvent la face
par la violence. Il suffit que le professeur `'dérape'' par une ironie
ou une injure pour que les élèves sauvent leur honneur en
agressant le professeur. Il sera à son tour agressé ou
injurié dans ou en dehors de l'école par l'élève
et par ses camarades. Quand l'élève appartient à un groupe
ethnique stigmatisé, quand le professeur se laisse aller à
quelques attitudes vaguement tribalistes qui sont moins rares qu'on veuille
bien le croire, la violence de l'élève devient légitime
à ses yeux. C'est aussi une révolte juste aux yeux de ses
camarades ; car elle défend l'honneur du groupe.
Ces violences antiscolaires sont d'autant plus violentes
qu'elles ne reposent souvent sur aucune critique de l'école. Elles
restent enfermées dans l'ordre des jugements scolaires. C'est le
principe de la `'rage'', c'est-à-dire d'une révolte
dépendante contre un appareil et des acteurs qui intègrent pour
mieux exclure. Tout ce que nous décrivons n'est pas directement
formulé par les élèves qui n'échappent pas à
la conscience malheureuse, qui se perçoivent comme les acteurs de leur
propre souffrance. Et c'est justement pour cette raison qu'ils sont violents,
qu'ils agressent les enseignants, par exemple.
Par contre, les enseignants ont une image plus exacte de ce
mécanisme ; car, dans la plupart des cas que nous avons
analysés, ils sont partagés entre deux attitudes. Du point de vue
professionnel et corporatiste, ils défendent sans ambiguïté
leur collègue agressé. Ils demandent l'exclusion de
l'élève et sa condamnation par les tribunaux. Mais de
façon plus personnelle, ils expliquent volontiers qu'il n'est pas
surprenant que ce soit justement ce collègue là qui soit
visé car il `'méprise'' des élèves, a une
attitude `'inacceptable'', n'est pas `'fait pour ce métier''... D'un
mot, il ne protège pas les élèves des épreuves du
jugement scolaire. Au contraire, il en `'rajoute''.
Toutes les logiques de violence qui viennent d'être
évoquées se renforcent mutuellement, se conjuguent et contribuent
à constituer la violence comme un tout indistinct. Il importe cependant
de les distinguer car elles procèdent de mécanismes sociaux
différents et appellent donc des réponses différentes.
En dernière analyse, il convient dire que la violence
juvénile et scolaire résulte à la fois de la faiblesse de
l'autorité, des lacunes du système éducatif camerounais et
de l'injustice sociale. Si elle apparaît comme une déviance, il
n'en demeure pas moins qu'elle est aussi constructrice du lien social. Elle est
symptomatique de la socialité scolaire.
VI.3.1.4. La
violence
scolaire comme puissance de la socialité en acte
Dans son essai consacré à La Violence
Fondatrice, Michel Maffesoli (1984 : 14) entend la violence comme
«une manière commode de rassembler tout de qui a trait à
la lutte, au combat, en bref à la part d'ombre qui taraude actuellement
le corps social » (1984 : 14). Cette approche ne renvoie pas la
violence à une forme négative, mais la considère dans
l'ambivalence de sa pluralité, simultanément destructrice et
constructrice du lien social. La violence n'est donc pas une survivance barbare
mais une force de structuration du social. En faire un territoire
délimité qu'il est nécessaire de réguler, de
canaliser par des experts, par une technostructure (appareil judiciaire,
police, travail social) normalisant ainsi les différences
traitées, conduit le social à la monotonie de
l'équivalence généralisée. Michel Maffesoli note
cependant que les rituels d'entente de la violence existent, notamment dans les
compétitions sportives.
Se trouve aussi exprimée ici une grande opposition,
celle des rapports entre l'institué et l'instituant, la dialectique du
pouvoir et de la puissance sociale. Car la violence est souvent ignorée
par les pouvoirs institués, les appareils bureaucratiques, États,
services publics, école et il existe une violence anomique qui est
simultanément destruction par rapport à l'institué et
fondatrice car elle a sa dynamique propre. Michel Maffesoli part de
l'hypothèse selon laquelle, quand existe une imposition absolue, quand
l'ensemble de la vie sociale est quadrillé par la norme, alors
l'illégalisme jaillit comme expression d'un «vouloir-vivre
irrépressible », d'une souveraineté, signe de la
puissance du social comme l'exprime la violence urbaine (1984 : 22). En ce
sens, l'anomie révèle un aspect utilitaire, elle permet de
comprendre la perdurance sociale et d'assurer le fonctionnement de l'ensemble
social : elle est facteur d'équilibre structural (ibid., : 137). Mais la
violence elle ne peut se réduire à vue utilitariste, parce
qu'elle est sans finalité, inquiétante et revêt une forme
symbolique comme passion vécue collectivement (dans une grève par
exemple). Elle a une fonction rassemblante, génère du lien en
brisant la sérialisation sociale, en se fondant sur l'image d'une
société à créer. Elle aboutit à
l'échange symbolique et en ce sens, elle est l'expression d'un
désir de communion.
Le désordre crée alors de l'ordre en devenant
une force structurante, par la dialectique de l'imaginaire et de
l'institué. Cette dialogique de l'ordre et du désordre
s'objective dans le plaisir de détruire qui se conjugue avec le
désir de construire. La violence affirme un vouloir-vivre social
résistant à la soumission. Elle est résistance et
affirmation d'énergie. Michel Maffesoli affirme là son goût
pour ce dynamisme social qui ouvre à l'excès, au sentiment
anarchiste qui sourd des individus et que traduit cette énergie de vie
qu'il repère dans la parole qui rompt la sécurité de
l'institué, le rire qui exprime la subversion, l'orgiasme et la
fête qui jouent de manière paroxystique le rapport à la
dépense, à la déperdition, à la dissolution
(ibid. : 83). Ce sont là autant de directions qui autorisent
l'expression de la solidarité, dans les résistances ou dans les
souffrances. La socialité ne signifie pas que le conflit soit absent,
elle est faite d'une pluralité d'attitudes et d'idées
mêlant le sujet à un collectif, collectif toujours en acte car
soumis à l'aléa. En étant assumée par la parole,
l'orgie ou la fête, la violence participe d'une manière
fonctionnelle à la restauration de l'harmonie. La violence anomique a
une fonction fondatrice.
Mais il existe aussi une autre violence, banale et qui se lit
dans les résistances de la masse, dans les passions sociales, dans le
dynamisme dionysiaque. Ici, des passions minuscules constitutives de la
socialité et qui se réalisent loin du politique et de
l'économique. Une anthropologie qui montre comment le présent
compte plus que le devoir-être du temps de la gestion ou de
l'économie et qu'il repère dans la jouissance. Dans le quotidien
s'affirme la prégnance du sensuel, une résistance passive
à l'égard du politique et des discours sur la libération,
sans renoncer à un avenir meilleur. Une résistance qui s'affiche
dans la ruse et la duplicité, signes de la souveraineté sociale
et qui affaiblissent le pouvoir en subvertissant ou en relativisant les valeurs
dominantes, en refusant de répondre aux demandes, en développant
les formes de l'illégalisme. Des directions qui permettent
d'échapper au contrôle généralisé et à
la perte d'identité. La socialité s'organise entre deux
pôles : celui de l'acceptation et celui de la différence.
L'analyse de la violence en milieux scolaire à
Yaoundé se comprend ainsi dans le sens de ce que Gilbert Durand a
appelé le « Nouvel Esprit
anthropologique ». C'est-à-dire que `'la conquête
du présent'' participe à cette nouvelle rationalité
qui, faisant place au Principe du Tiers donné, au
polythéisme cohérent des valeurs antagonistes, réanime par
là le vénérable Principe d'identité en le plongeant
dans l'océan infini des différences radicalement
hétérogènes (Maffesoli, 1979 : préface :
9). C'est l'équilibre entre la rigidité des emplois et les ruses
de la vie qui fait réellement survie toute société par le
flux dynamique et les réactions contradictorielles de la
socialité. La violence se présente comme une duplicité. A
partir de la violence, on appréhende la bifrontalité du
phénomène humain. La violence est lieu de
«l'enracinement dynamique » qu'est le présent.
En effet, toute socialité est conflictuelle et que toute harmonie est
fondée sur la différence. C'est cette ambivalence assumée
qui explique la perdurance de la déambulation de la socialité
scolaire (Maffesoli, 1979).
Ce qui est au fondement même de la violence dans les
établissements scolaires est lié à la nature humaine. Il
existe dans la pratique et les créations quotidiennes un esprit
«chevaleresque » ou d'aventure qui échappe
largement à la morale. Il y a une noblesse de la masse, faite de
cynisme, de scepticisme ou de relativisme par rapport aux valeurs qui fait fi
des impératifs moraux (tout en s'y pliant apparemment) qui constitue
l'essentiel de la socialité, ce par quoi le collectif prend corps
(ibid : 49).
La présence des violences sous toutes ses formes dans
les établissements scolaires se comprend ainsi aisément dans la
mesure où lorsqu'on fonctionne sur un projet, lorsqu'on veut
rationaliser ou planifier l'existence, en bref lorsqu'on veut `'reformer'' les
institutions sociales, l'impact du «devoir-être »
se fait de plus en plus prégnant et avec le plus de force. Mais la vie
en expansion sait largement ruser avec les impositions normatives et
extérieures (ibid. : 50). Elle exerce une
indéniable, fascination qui n'est pas toujours en accord avec la morale
officielle de l'école.
Il ne s'agit pas ici d'accorder au criminel une
génialité qui lui fait souvent défaut, il n'est pas
question non plus d'en faire un nouveau sujet historique, il suffit de
constater que la pratique de la violence n'est pas une exception, et si
discrète soit-elle, elle témoigne d'une distance réelle
par rapport à une morale uniforme et ses lois.
Face aux différentes normes nécessaires dans la
vie sociétale, fussent-elles des normes scolaires, les différents
groupes peuvent plus ou moins s'y conformer sans pour autant les
intérioriser. Comme le rappelait Nietzsche, «c'est la forme
communément régnante de la barbarie que l'on ne sache point que
la moralité est une affaire de goût ». Il suffit de
comprendre le goût dans son acception le plus large pour saisir que la
morale ne peut être que très diversifiée.
Par ailleurs, du fait de leur localisation dans une urbaine,
les établissements secondaires sont des substrats à la
socialité en acte de la vie quotidienne. Ici, c'est par la
duplicité, plus ou moins consciente, que les élèves
apparemment intégrés à l'ordre scolaire, gardent un quant
à soi qui leur permet de survivre au travers des diverses impositions de
cet ordre. Il est sans cela impossible de comprendre la perdurance de la vie
quotidienne.
Ainsi que le souligne Baudrillard (cité par Maffesoli,
1979), la masse ne répond pas tout en donnant l'impression de
participer, d'être présente, de travailler. « Une
telle ruse n'est pas une attitude contemporaine, c'est pourrait-on dire une
structure anthropologique qui assure aux travers des histoires humaines un
sérieux bouclier contre les agressions des pouvoirs
extérieurs » (Maffesoli, 1979 : 77).
Les attitudes et comportements des jeunes à
l'école permettent donc de comprendre tout ce que la
«déambulation existentielle et sociale » a de
chaotique, d'imprévu, d'aléatoire. A côté de la
direction linéaire et assurée qu'essaie d'organiser la gestion
administrative scolaire officielle, il y a un processus hasardeux de mollesse,
de passivité mais aussi de violence, qui avance au rythme des passions,
des rencontres, des contraintes, de petites morts de tous les jours.
Il se déduit par conséquent qu'
« Il y a un conflit entre la pratique
sociétale qui engendre institutions, contrôle, domination, et le
surréalisme empirique qui est tout en concrétude ; le
premier renvoie à l'ordre de la morale, le second à une
expression éthique qui aide à vivre le destin, au jour le jour,
par le biais d'un imaginal luxuriant et
désordonné » (ibid. : 80-81).
Mais c'est certainement ce second cas qui assure à
l'abri de divers masques et par le biais de diverses ruses la perdurance
scolaire. Face à une gestion de l'existence qui est avant tout
linéaire, planifiée, pleine de sens et rationnelle, le `'double
`' introduit la discontinuité, le non-sens, l'accentuation sur le
présent. C'est dire le vivre pleinement sans se préoccuper de
l'avenir. Un quotidien vécu au jour le jour, pou lequel rien n'est
nouveau sous le soleil.
Sur tout un autre plan, l'Education Physique et Sportive est
un autre lieu où se s'observent incivilités et incivismes des
élèves de Yaoundé. Ce que vivent les élèves
en Education Physique et Sportive (EPS) est-il conforme aux injonctions, normes
et règles imposées par les enseignants, les activités
sportives et l'école ? Autrement dit, il est question de lire
derrière la tenue du corps, les écarts transgressifs des
civilités et de la transparence scolaire.
VI.3.2. Le braconnage
corporel : normes et détours en éducation physique et
sportive
Une pensée réductrice et
«éducativement correcte » nous pousserait à
croire que le rapport de l'élève à l'EPS peut s'envisager
en termes de stricte conformité ou de rupture totale, d'adhésion
passive ou de passion exacerbée. Le quotidien est bien plus complexe. Ce
qui se passe dans l'isolement de la classe, du gymnase, du terrain de football
ou de handball, «échappe bien souvent à toute
anticipation » (Terret, 1998 : 363). C'est pour cette raison
fondamentale que cette étude n'entend pas seulement rester à
l'analyse univoque de ce qui se passe entre les quatre murs des salles de
classes, dans les cours de recréation, dans les rues, mais
s'intéresse aussi à l'Education Physique et Sportive (EPS) qui
est présentée ici comme un ordre corporel adoptant les
règles et normes dictées par les activités physiques,
l'orthodoxie des méthodes d'enseignement et les valeurs de
l'école. Une observation des activités d'éducation
physique et sportive (activité non moins importante pour la vie d'un
établissement), montre que le quotidien des élèves du
secondaire yaoundéens s'exprime également à
travers une socialité corporelle privilégiant les aspects
imprévus, tactiques, émotionnels entre autres. Mille
manières de «braconner corporellement », permettant
d'exister autrement dans les marges de l'Education Physique et Sportive, et
porteuses de sens. A ce titre, cette partie s'inscrit dans la même
mouvance que le précédent. C'est-à-dire, la perspective
d'une analyse en profondeur des comportements déviants chez les jeunes
scolaires de Yaoundé pour mettre en lumière les
incivilités, mieux, la socialité qui les marque.
L'observation empirique des classes de l'enseignement
secondaire à Yaoundé en EPS montre qu'à côté
d'une éducation corporelle qui se veut consciente et volontaire,
omniprésente, souvent pesante et rationnelle, se retrouve toujours, ce
qui relève d'une socialité corporelle ``minuscule''
privilégiant les aspects tactiles, imprévus, émotionnels,
conflictuels et aléatoires.
Une socialité discrète ou bruyante qui n'en
reste pas moins très prégnante et assure de fait la
cohésion du groupe-classe. Dans ce sens, il est possible de penser, que
l'EPS en même temps qu'elle instaure des attentes normatives et un ordre
corporel visible et institutionnel qui font l'objet d'un enseignement, inclut
sans qu'elle s'en trouve forcément perturbée, une
socialité qui bouillonne dans les marges et interstices.
Cet «art de faire » (De Certeau, 1990),
permet d'exhumer les formes subreptices que prend la créativité
dispersée, tactique et bricoleuse des groupes et des individus pris
désormais dans les filets de la surveillance (Foucault, 1975) et
auxquels nous donnerons du sens.
Il s'agit donc, à partir du cadre théorique et
méthodologique que nous avons opté, en l'occurrence
ethnographique, d'intégrer une telle socialité, pour saisir, dans
leur fugacité, les événements constitutifs de la
réalité et du quotidien de l'EPS dans les lycées et
collèges à Yaoundé. Une EPS vécue dans les marges
(«intervalles d'espace ou de temps, latitude dont on dispose entre
certaines limites -- marges de liberté, marges de réflexion
--» [Dictionnaire Le Robert, 1993 : s.v.
« marge »]), faite de ruses, de duplicités,
de transgressions et de conflits pour exister et grandir au-delà d'une
éducation corporelle volontaire et rationnelle.
Ces milles pratiques, comme nous le verrons par la suite,
jaillissent durant le cours d'EPS, vécu par les élèves
à la fois comme moment d'imposition d'un ordre pédagogique
rationnel, technique, sérieux, et en même temps, espace de
liberté pour des corps hédonistes, des vagabondages corporels.
VI.3.2.1. Les tactiques
aux marges de la séance
Par tactiques un calcul qui ne peut pas compter sur un
propre, ni donc sur une frontière qui distingue l'autre comme une
totalité visible. La tactique n'a pour lieu que celui de l'autre. Elle
s'y insinue, fragmentairement, sans le saisir en son entier, sans pouvoir le
tenir à distance. Elle ne dispose pas de base où capitaliser ses
avantages, préparer ses expansions et assurer une indépendance
par rapport aux circonstances... Il lui faut constamment jouer avec les
événements pour en faire des ``occasions'' (De Certeau M., 1990
: XLVI). Il s'agit à présent de scruter ces tactiques pour
évaluer leur degré d'importance dans le comportement des jeunes
scolaires yaoundeens. C'est donc à ce titre qu'il est possible
de cerne la nature des rapports qu'une rationalité corporelle entretient
avec ces «arts de faire » au quotidien,
générés par la, jeunesse scolaire de Yaoundé. Quels
sont les principaux enjeux anthropologiques véhiculés de
manière implicite et explicite par les écarts, les distractions,
les évasions en EPS ? Quelles parts d'imaginaire et de symbolique sont
sollicitées par ces arts de faire au féminin et au masculin
à l'école ? Comment se déclinent ces «arts de
faire » au quotidien selon les individus, les groupes, les
activités en EPS ? Quelle est leur importance dans le champ de l'EPS
considéré comme un système où l'investissement du
sujet diminue proportionnellement à la mesure de l'expansion des
techniques corporelles ? Autant de questions qui rendent urgente une
anthropologie politique de ces «arts de faire » dans le
système éducatif. Il nous semble important, dans l'optique de
trouver des réponses satisfaisantes à ce questionnement, de
procéder à une archéologie de l'EPS.
VI.3.2.1.1. La
sexualité «dévoilée » entre plaisir et
pouvoir
La sexualité n'est point considérée en
pédagogie pour ne pas dire déniée. Avec des enfants, la
phase de latence est invoquée comme justification théorique. La
sexualité «agie ou fantasmée, est censée
être vécue ailleurs » (Pujade-Renaud, Zimmerman, 1979 :
49). Et pourtant les élèves du secondaire à Yaoundé
expriment leur sexualité en tant que processus clandestin de l'acte
éducatif.
Concrètement, le matériel pédagogique
faisant partie de la panoplie professionnelle du cours d'EPS, à savoir,
les baguettes de la course-relais, les aires de jeu, ballons de handball ou de
football, etc., ont été souvent détournées de
leurs fonctions habituelles à maintes reprises. Cest ainsi que nous
avons pu observer, par exemple que, certains garçons plaçaient,
à hauteur du bassin en guise de sexe, la baguette de course-relais,
à plusieurs reprises, durant les séances d'athlétisme, et
dans une course effrénée, poursuivaient leurs camarades filles.
Des gestes de copulation sont faits sur le poteau de volley-ball ou de saut en
hauteur par des garçons provoquant la colère ou les moqueries des
filles. Le ballon de basket-ball est utilisé pour jouer à la
femme enceinte... notamment par les garçons.
Il s'agit bien là d'une forme de sexualité qui
s'exprime à travers les faits et gestes. Claude Pujade-Renaud souligne
ainsi fort justement que, cette sexualité qui, si elle n'est pas dite
explicitement pendant un cours, «est sous-jacente ou tente de
s'exprimer clandestinement » (ibid. : 59).
Ces élèves des lycées et collèges
de Yaoundé, surtout ceux du secondaire premier cycle, en début de
crise pubertaire, tentent de parler de cette « sexualité
interdite » par l'intermédiaire de papillons circulant en
catimini non seulement en classe ou en cours de recréation, mais aussi
durant le cours d'EPS mentionnant qu'un tel aime une telle, par les injures et
gestes à connotations sexuelles, par les graffiti (coeurs, initiales et
sexe masculin, les caricatures d'acte de copulation notamment). Les
différents registres sensoriels, visuels, olfactifs entre autres sont
sollicités au quotidien.
Dans le registre auditif, les trottinements sont
accompagnés des claquements rythmés des mains et, parfois, des
chansonnettes de « sodome et gomorrhe »52(*), chansons grossières et
non conforme à la moralité (Mono Ndjana, 1999 : 5)
jusqu'à indisposer l'enseignant. Ce jeu de chanson improvisé
impliquant un tiers de la classe surgira à plusieurs reprises durant la
même séance et les autres, provoquant les injonctions
menaçantes du professeur. Il est possible de récuser que ces
dialogues sonores collectifs soient à considérer comme sexuels.
Pour l'affirmer nous nous fondons non seulement sur les apparences
extérieures (jubilation, regards pétillants et complices,
intensité des gestes et gémissement) mais également sur le
ressenti exprimé par la suite par les élèves. Ce magma
sonore « est peut-être alibi d'une participation non
culpabilisante et non dangereuse à une forme de sexualité
collective » (ibidem : 56).
Dans un autre contexte, les applaudissements
répétitifs et appuyés de manière concertée
par l'ensemble de la classe, durant l'évaluation des enchaînements
en gymnastique, nous semble également relever d'un dialogue sonore
à connotation sexuelle. Sexualité clandestine et diffuse
permettant de tester l'autorité de l'enseignant, à en croire la
joyeuse complicité et la connivence des d'élèves,
notamment des garçons impliqués dans ces « chahuts
improvisés » et le ton comminatoire de l'enseignant. Les
interdits liés à la sexualité dans les collèges et
lycées sont évoqués dans les règlements
intérieurs de chaque établissement.
Cependant, cette sexualité s'érige en point de
passage particulièrement dense pour les relations de pouvoir entre homme
et femme, jeune et vieux, parents et enfants ainsi qu'éducateurs et
élèves (Foucault, 1984). Pour ce dernier, «le rapport
pédagogique, les contrôles familiaux peuvent bien avoir pour
objectif global et apparent de dire non à toutes les sexualités
errantes et improductives ; de fait ils fonctionnent comme des
mécanismes à double impulsion : plaisir et pouvoir »
(Foucault, 1976 : 62). La sexualité se décline au masculin (ports
de vêtements, coiffures, parfums, oeillades, mains aux fesses des filles,
etc.) et au féminin (tressage des cheveux entre filles durant les
pauses, prêt de bijoux, discussions sur les qualités et
défauts des garçons, etc.) mais également sous formes de
conflits. Quelques disputes ou bagarres durant les sports collectifs
trouveraient leurs origines, d'après un professeur d'EPS du lycée
Général Leclerc dans les rivalités amoureuses entre
garçons de la classe.
Et que peut-on penser de ces élèves qui gardent
le short légèrement en dessous du
«postérieur », malgré la présence
de l'enseignant, pour «plaire aux filles » ? Tactiques
de séduction entre filles et garçons qui expliquent les
comportements vestimentaires. Le foulard est gardé sur les hanches par
certaines filles pour dissimuler un postérieur jugé trop
proéminent durant la course d'endurance et en gymnastique. Port des
bermudas, des maillots trop moulant. Ces conduites ne sont-elles pas
révélatrices de canons corporels à la mode et d'une pudeur
personnelle ?
Bref un ensemble de minuscules plaisirs braconnés par
les élèves en réaction aux interdictions de
l'établissement et au déni explicite et implicite de la
sexualité à l'école. Ces conduites sexuelles qui
s'expriment en marge du cours d'EPS peuvent être également
interprétées comme autant de «signes des luttes
anthropologiques fondamentales, que sont celles des sexes et des
générations » (Balandier 1998). Luttes immergées
dans les «spirales perpétuelles du pouvoir et du plaisir
» (Foucault, 1976 : 62).
VI.3.2.1.2. Les jeux du
masculin et du féminin
« Faire son beau et être le plus fort »
pour les garçons observés ici et là , participe
certainement de valeurs masculines pour s'imposer dans la hiérarchie de
la classe et affirmer son identité. Etre le plus fort est une insistante
préoccupation des élèves garçons. Nombre
d'élèves interrogés déplorent tout de même,
qu'en foot notamment «tout le monde se croit le plus fort ».
Les filles portent une appréciation dévalorisante sur cette
« vaine et puérile » quête d'être le plus
fort.
Pour bon nombre d'élèves filles, «les
garçons ne font que les beaux ; ils veulent faire que leurs machos et
c'est tout ». Un macho étant défini comme quelqu'un qui
veut être « le plus beau et le plus fort et c'est tout
» toujours selon les propos des élèves filles
interviewées.
Les constitutions des équipes pour la pratique des
sports collectifs sont vécues sur le mode de la performance avec mise
à l'écart des filles «aussi des fois on joue
mélangé avec les garçons ils ne font pas des passes ils
croient qu'on est nulles » d'après une élève du
collège Siantou.
L'objectif est de jouer avec les garçons de la classe
qui dévalorisent les filles : « on essaye d'être mieux
qu'eux, ils croient quand on est nulle alors on essaye justement de leur
montrer qu'on n'est pas nulles », notamment quand les
activités pratiquées se situent sur un pôle dont les
valeurs sont masculines, à savoir la force, le contact, et quelquefois
les chocs en, handball et football. À la question de savoir pour quelles
raisons le football ne les motive pas, les élèves filles
répondent : « parce qu'ils (les garçons) nous
gênent, ils nous tapent, à chaque fois que nous ne parvenons pas
à faire quelque chose ils nous crient et tout ça ».
Le handball et la gymnastique sont appréciés par
les filles alors que le basket-ball, le volley-ball et le football,
excepté pour certaines filles, constituent un moment où les
garçons peuvent se valoriser, entrer en compétition et
«faire les forts ».
VI.3.1.3. Le
détournement de la fonction pédagogique du
matériel
Lors des temps morts ou des pauses, la raquette fait office de
guitare durant les séances de jeu de tennis ou de ping-pong. Un bref
concert est improvisé et mimé par quelques élèves
récalcitrants qui s'esclaffent de rire. La raquette est également
utilisée, comme chasse-mouches, poêle à crêpes avec
gestes de haut en bas, à l'appui ou comme instrument afin de frapper le
camarade lors d'un conflit portant sur l'évolution du score. Minuscules
gestes qui se glissent qui «s'insinuent » comme dirait De
Certeau (1990) dans la séance d'éducation physique de
manière subreptice, furtive, clandestine comme autant de
«pratiques quotidiennes fondées sur le rapport à
l'occasion et à l'imprévu » (de Certeau, 1990 : 296).
Le bâton monté sur un support est utilisé comme microphone
provoquant les déhanchements des uns dans le souci d'imiter un chanteur
de makossa, bikutsi, rap ou du hip hop....
Dans la même veine, la bouteille en plastic
amenée par le vent fait l'objet d'une partie de football
improvisée pendant que l'enseignant dispose les cônes ou trace des
lignes pour délimiter les espaces de jeu alors que les
élèves avaient pour consigne d'échauffer le corps avant le
match de football. Le ballon de handball ou de football, les masses pour le
lancé de poids sont utilisés comme projectile lors de
fréquentes disputes. Gestes de colère qui envoient la balle ou la
masse sur la tête ou le corps des adversaires du moment. Cette pratique
prohibée par l'enseignant, fait l'objet de constantes transgressions que
ce soit de manière furtive ou prolongée. Lors des moments de
rangement en fin de séance, les tapis de gymnastique servent de queue de
pie afin de faucher les camarades en effectuant une demi-volte. Ne peut-on
rapprocher ces comportements « des tactiques clandestines et des mille
manières de braconner inventées quotidiennement ? » (De
Certeau, 1990).
VI.3.2.1.4. Le rire
comme lien et antidote au sérieux de l'école
Le rire constitue un des liants de la classe et est en
permanence valorisé que ce soit en cours d'EPS, en français et en
histoire et géographie. Certains élèves trouvent leur
place auprès de leurs pairs parce qu'ils savent faire «le clown
». Ils éprouvent bien du plaisir à faire rire tout le
monde. Quelquefois ceux-ci n'hésitent pas d'utiliser leurs talents
d'imitateur des tics d'enseignant pour établir un climat convivial.
Que les rires soient moqueurs et méchants, admiratifs
ou complices, ils revêtent cependant, une réelle importance pour
la classe et sont très souvent mentionnés durant les entretiens.
Les pitreries, les clowneries sont très pratiquées et
appréciées par les élèves lors des séances
de gymnastique. Certains, en rupture complète avec le système
scolaire et leurs savoirs, existent pleinement à travers les nombreuses
facéties appréciées par la majorité de la classe.
Les rires à gorges déployées sont très nombreux
après une balle ratée par un pair, une chute en pleine cours et
en gymnastique, etc.
VI.3.2.1.5. Le dehors du
regard de l'enseignant : la duplicité en action
Une séance de gymnastique sans bagarres et sans
disputes pour les tapis de gymnastique aurait-elle eu le même
intérêt et ce malgré les recommandations de l'enseignant
à chaque séance ? Une élève du collège Vogt
de Yaoundé nous confie lors d'un entretien que : « oui on ne
fait que de sauter dans les tapis». Les observations nous ont
montré que ces conduites étaient répétitives comme
pour mieux satisfaire un trop plein d'énergie. Bousculades, prises
d'élans et percussions des tapis disposés verticalement contre le
mur du gymnase étaient très prisés par l'ensemble des
élèves, en début et fin de séance. Dés que
l'enseignant tourne le dos pour s'occuper d'un élève ou pour
ranger du matériel, la mobilisation des enfants monte d'un cran :
« ouais, en fait le prof nous disait de faire par exemple, la
chandelle, le saut du lion, l'appui tendu renversé (ATR), la roue et la
roulade et nous on fait autre chose carrément » s'exclamait
une élève considérée par le professeur, comme une
élève sérieuse. Les répétitions de gestes
sont diversement suivies.
Venir perturber les conduites motrices des pairs, fait
également partie des minuscules plaisirs quotidiens de l'EPS. Les
bousculés durant l'exécution des exercices, provoquant de
brèves courses-poursuites dans le gymnase ou sur le terrain de sport.
Couper les angles du terrain de handball ou de football lors des
échauffements fait partie des braconnages inclus dans la séance
jusqu'à provoquer la colère de l'enseignant qui redéfinit
le trajet... qui est à nouveau réduit par quelques
élèves, fiers d'avoir ainsi, braver l'autorité
professorale. Marcher durant le footing malgré une évaluation
séquentielle proposée, a constitué un moment fort de
l'année scolaire repris souvent dans les discussions deux
élèves surpris en pleine discussion évoquaient se
rappelaient avec plaisir non dissimulé, les ruses employées pour
s'extraire des contraintes de la course d'endurance :
« Des fois ils étaient loin pendant que nous
marchions, puisque le professeur ne nous voyait pas et quand il nous
regardait, nous on marchait, on courait et on avait quand même des points
et puis il avait dit si j'en vois un marcher, il est éliminé en
ce moment, quand il se retournait, on faisait semblant de courir».
Renouer à plusieurs reprises, les lacets des chaussures
durant la course de durée pour s'extraire des contraintes de la
tâche demandée...faisait partie des tactiques
d'élèves peu motivés par cette activité. Cette
duplicité étant partagée par une dizaine
d'élèves qui demandent à l'observateur impliqué, de
garder bouche cousue.
La duplicité comme capacité sournoise d'en
prendre et d'en laisser, de ruser avec le système et d'introduire dans
quelque activité un « double » qui permet la
lucidité, en même temps que « l'investissement
» (Maffesoli, 1979).
VI.3.2.1.6. La
tenue : un passage pas tout à fait conforme
Véritable institution dans le paysage scolaire
camerounais, la tenue est portée par la plus grande part des
élèves tant du système public que du système
privé. Selon nos informateurs, « la tenue scolaire est
supposée rendre les élèves égaux sur les bancs des
classes ». Pourtant, l'observation empirique de l'environnement
scolaire yaoundéen montre un
« paysage » socialement stratifié au regard
des différents accessoires identifiés dans l'accoutrement des
élèves : sacs, casquette, montres, lunettes, chaussettes,
chaussures dont les prix varient entre 25000 et 100000 CFA , pulls et
t-shirt à longues manches(portés sous la tenue quelle que soit
la saison de l'années), le nombre de tenues possédées
(certains élèves déclarent avoir 2, 3 voire 4 tenue), de
la couture sur mesure ou achetée à l'établissement. Ces
accessoires permettent de faire la différence entre ceux de la
bourgeoisie compradore (5 à 10% de la population de
Yaoundé), ceux de la classe moyenne (10 à 15% de la population de
Yaoundé) et ceux du prolétariat urbain (70-80% de la population
de Yaoundé).53(*) A
ce sujet, Françoise, élève de troisième, propose,
non sans humour, un début de solution pour restaurer
l'égalité : « je pense qu'on devrait faire
pareil avec les chaussures ». Jacques (élève de
quatrième), par contre, reste catégorique et affirme
ainsi : « je considère la tenue comme un
vêtement inutile parce que nous les jeunes, nous voulons aller à
l'école sans tenue, comme chez les
européens »54(*). Un avis que nombre de ses camarades ne partagent
pas : « l'uniforme est bien car ça permet à
l'élève d'être à sa place en
public », concluent les élèves à l'issue
d'un entretien de groupe. L'uniforme scolaire rétabli aussi un certain
ordre, puisque « l'élève est limité dans ses
distractions car l'entrée des bars, des ciné-clubs et autres
lieux de divertissement est interdite à toute personne portant la tenue
scolaire », rappelle un élève au cours d'un
entretien de groupe. La tenue permet aussi d'éviter toute confusion
malheureuse : « les jeunes professeurs sont
distingués des élèves », fait observer un
élève du groupe interrogé.
Tout comme l'uniforme de classe, la tenue de sport, objet pour
la spécificité de la discipline, est, elle aussi, un espace de
détours : espace de conformité à la norme et
simultanément de transgression dans le sens où sa relative
uniformisation n'efface jamais le travail de singularité que les
élèves opèrent à son sujet.
La première séance de l'année scolaire
avec la classe donne l'occasion à l'enseignant, de préciser de
manière solennelle, la tenue ``officielle'' : « tennis avec des
chaussettes, les lacets bien serrés, le short et le t-shirt de
l'éducation physique d'une couleur bien précise. Le port des
pantalons fuseaux, de survêtement ou d'un sweat est dans la
majorité des établissements non autorisé ».
Cette exigence de tenue en EPS sera respectée par la majorité de
la classe durant l'année scolaire, avec des rappels à l'ordre
récurrents comme volonté de correspondre à la
neutralisation et uniformisation des corps dénoncés par Gleyse
(2000 : 31).
Mais à regarder de plus près, la tenue en EPS
est l'objet de rites de passage d'une discipline à une autre : le cours
débute par un changement de vêtements dans le vestiaire du
gymnase, de la piste d'athlétisme dans les salles de classe, les
toilettes, sur le terrain à l'air libre ou tout simplement
derrière les arbres en l'absence de vestiaires.
Le changement de tenue donne l'occasion de s'évaluer
entre garçons du point de vue morphologique, de mobiliser les biceps de
manière ostentatoire pour certains ou d'enfiler rapidement le t-shirt
pour d'autres, afin de ne pas s'exposer aux regards des pairs, qui les
qualifient de «gros et graisseux ». Les railleries, les
moqueries entre filles et garçons fusent surtout lorsque les
vêtements n'appartiennent pas aux marques à la mode (nike,
addidas, diaddora...) valorisées par les vedettes du monde de la mode,
du sport de haut niveau tels Eto'o, Ronaldo, Zidane (Footballeurs) ou de la
musique. Le changement de survêtement, est commenté par les filles
avec quelques doses de méchanceté : « tu es toujours
aussi laid même avec ton nouveau survêt. ».
Que dire des chaussures non lacées malgré les
incessantes recommandations du professeur d'E.P.S. pour des raisons de
sécurité : «celui qui n'a pas serré les
chaussures pour faire du footing ou courir... observation ». Les
raisons évoquées par les élèves se situent du
côté d'une conformité à la mode du moment :
« Chaussure en chassée, lacets défaits avec des
languettes carrément en liberté, short en taille basse, ou
T-shirt démembré...et c'est à la mode !»
répond fièrement un élève. Ce sont là autant
de signes de ralliement, de reconnaissance d'une génération.
À moins que ce ne soit pas tout simplement une manière de se
conformer à quelque tic issu du sport de haut niveau.
VI.3.2.1.7. Le
débordement des consignes de l'enseignant
Les consignes dictées par l'enseignant engendrent des
effets incontrôlables de la part des élèves qui
introduisent le ludique ou l'agressivité et des effets pervers car non
attendus. Les élèves de cette classe, comme leurs pairs,
appliquent de manière partielle ou redéfinissent les consignes
à maintes reprises, soit par manque d'informations soit selon des
stratégies bien établies (on délègue ceux qui
écoutent durant la transmission des consignes), soit par indiscipline ou
par manque de savoir-faire. L'athlétisme offre entre autres, des
possibilités de passer outre les consignes comme nous venons de le voir.
La course d'endurance révèle des comportements déviants
par rapport à la norme explicitée : les élèves
courent en alternant accélérations et ralentissements alors qu'il
leur a été demandé de courir régulièrement.
Ces ruptures de rythme sont souvent usitées et appréciées
par la majorité de la classe, déclenchées par quelques
meneurs en imitant le bruit d'une mobylette, gestes de poignets à
l'appui pour évoquer la mobilisation de la manette
d'accélération. Les moments où les consignes de
réalisation sont présentées par l'enseignant sont
diversement suivis. Si le premier cercle des apprenants, à
proximité immédiate du professeur, est très attentif, il
n'en est pas de même des autres élèves dont l'attention
peut être attirée par une discussion sur une marque de
vêtements, sur les performances des célèbres footballeurs
Eto'o et Ronaldiho55(*) ou
sur les actions qui viennent de se dérouler. Il est très
difficile d'obtenir une concentration maximum pour l'ensemble de la classe par
rapport aux consignes verbales. Les jongleries avec les ballons, les petits
coups dans le dos du voisin sont loin d'être rares alors que le
professeur s'exprime. La mise en circulation d'un discours et de
représentations par des éducateurs, n'indique nullement ce
qu'elle est pour ses utilisateurs. Encore faut-il analyser « sa
manipulation par des pratiquants qui n'en sont pas les fabricateurs »
(De Certeau, 1990 : XXXVIII).
Il est possible de continuer l'énonciation des
conduites en marge des règles imposées par l'enseignant de l'EPS
ou le lieu et la durée des séances, qu'il s'agisse des pauses,
des passages à vide durant les séances de gymnastique, en
football, en handball, etc (Goffman, 1974 et Lucas, 1981) comme pour mieux
garder ses distances et ne pas être entièrement absorbé par
les propositions éducatives ou encore des petits murmures hors des
préoccupations de la classe (discussion sur le film de la veille
à la télévision56(*), sur la coupe de cheveux d'une fille de la classe ou
sur la quantité de gel afin de faire tenir la coupe en brosse de telle
ou telle vedette de la mode, sur les liens réels ou supposés
entre filles et garçons de la classe...) par rapport aux prescriptions
de l'enseignant (Javeau, 1985), ou enfin, comme le laisse entendre Bourdieu,
sur l'existence d'un jeu actif et inventif avec les règles,
pratiqué dans la cohérence partielle inhérente au sens
pratique (Bourdieu, 1980). Minuscules comportements qui contribuent à
construire l'histoire de la classe, dans les marges des normes imposées
par l'école et les disciplines. De ces multiples observations, sur les
normes et le jeu avec les normes, il reste à faire émerger, ce
qui fait l'objet d'une recherche en cours, les rites d'interactions dans la
classe, le ou les emblèmes fédérateurs ainsi que les
préoccupations anthropologiques entre autres, en adoptant une
démarche ethnologique.
VI.3.2.1.. Vers une EPS
transgressive...pour exister
S'il y a tentative de régularisation des conduites des
élèves et mise en place d'un processus d'uniformisation et
d'artificialisation corporelle en EPS (Gleyse, 1995 : 257), force est de
constater, de par une observation minutieuse des conduites au quotidien de
l'environnement scolaire yaoundéen, que l'élève
n'hésite pas à s'engouffrer dans les interstices, dans les
marges, déployant une inventivité remarquable et une jubilation
souvent communicative. En d'autres termes, si les «procédures
de la surveillance scolaire », au sens foucaldien des termes,
cherchent à enfermer le désordre corporel dans un
périmètre pédagogique, le réussit-elle vraiment ?
Un espace de jeu, de liberté, de désordre même, se glisse
entre normes, lois et règles permettant aux élèves et au
groupe-classe d'exister de manière non convenue et tout à fait
singulière. Il ne déplaît pas au professeur EPS des
lycées et collèges. Labbé nous révèlent ces
ruses du quotidien que l'élève invente au fur et à mesure
de sa scolarité pour couper à la gymnastique (Labbé, 1930
: V-VI). Tout de même, on retrouve chez Boigey des critiques qui, elles
aussi, indiquent la réalité de l'ennui face à l'exercice
physique, face au travail imposé pour ``leur bien'' à ces
élèves dont «les plus moroses finissent par rire sous
cape de ces gestes de demoiselle, vagues et sans but (...) ils pratiquent
mollement une gymnastique molle. Ils ne font rien » (Boigey, 1932 :
209).
Nous serions tentés d'insérer ces conduites
buissonnières ou de braconnage corporel dans «le réseau
d'une anti-discipline » selon l'expression de Certeau (1990 : XL).
Comportements dans le dos de l'enseignant, redéfinition des consignes,
jeux avec le matériel pédagogique comme autant de «
technologies muettes qui déterminent ou court-circuitent les mises en
scène institutionnelles » (ibid. : XXXVIII) et
interrogent l'EPS.
En fait, ce braconnage corporel quotidien pourrait être
interprété comme un refus partiel de la rationalité, de la
discipline et de la technicité envahissante dans le champ de l'EPS, et
de manière positive contribuerait à construire l'identité
du groupe à travers anecdotes, transgressions, conflits et tensions.
Ces écarts de conduite qui correspondraient à
ce que Andrew Pollard, cité par Berthier (1996 : 103) nomme, des
«sources d'intérêts disponibles »
représentent en réalité les volets multiples des
opportunités kaléidoscopiques de la vie de la classe que
l'individu saisit ou non afin de satisfaire l'appartenance à un groupe
de pairs et la constitution ou le renforcement de l'image de soi. En tant que
tel, le travail scolaire, ne représente pas un intérêt
premier et l'on peut même suggérer qu'il n'est pas le plus
important des intérêts. La socialisation qui passe par
l'appartenance à un groupe et le maintien au sein de ce groupe, de son
image identitaire priment les préoccupations liées aux
apprentissages. Dans cette socialité scolaire vivante des lycées
et collèges à Yaoundé, il devient tout à fait
impossible à un professeur d'imposer sa ``définition de la
situation'', c'est-à-dire d'interdire aux élèves de sortir
d'un pur rôle d'apprenant. Un tel coup de force risquerait de la placer,
face à beaucoup de classes dans une situation difficile :
« La vocation, l'assiduité, l'apprentissage et
les savoirs formaient le cadre de l'appréhension traditionnelle de la
raison d'être de l'école ; l'implication instrumentale, les
``intérêts disponibles'', les ``stratégies'' et la
``combination'' généralisée fournissent aujourd'hui les
catégories de son fonctionnement » (Berthier, 1996 : 104).
Les élèves empêtrés dans la
scolarité obligatoire se jouent du système. Il est donc
nécessaire pour que l'ordre règne que les pédagogues
s'aveuglent et laissent s'implanter un tout autre système qui en
transgresse constamment les règles sans qu'il y paraisse : «
Les élèves en viennent ainsi à déployer une
``concealed deviance'', une déviance dissimulée, secrète,
offusquée par le voile que jette sur elle le respect de la ``lettre''
des institutions » (Ibid. : 111).
Au total, cet espace de liberté, fait de braconnages
corporels, de transgressions ne permettrait-il pas de mieux accepter les
contraintes institutionnelles liées à l'EPS et à
l'école ? Ces marges corporelles participeraient d'une oeuvre
pacificatrice et révéleraient d'autres enjeux. Elles seraient la
caution démocratique du système d'ordre scolaire : «
Car, sans être influente, elle n'en est pas moins reconnue : on encourage
l'expérimentation ou la contestation si elle se confond à un
moment donné avec un système dominant qui la contient ou
l'absorbe » (Djian, 2000 : 20). Le verrouillage éducatif se
ferait en douceur ; le système d'ordre intégrerait les marges
comme un mal nécessaire. D'autant que le désordre en
éducation ne peut être entièrement évacué,
qu'il n'a jamais cessé d'exister sous forme de chahuts, de violence, de
conflits en réaction au système de normes, de règles en
vigueur selon les cultures de groupe ou individuelles (Lapassade, 1993).
CONCLUSION
PARTIELLE
En résumé, les observations recensées
ci-dessus ont permis ainsi d'étayer une description théorique
préalablement définie. Elles ont permis aussi de voir qu'il
existe, dans le monde scolaire, des interactions multiples et tout à
fait subtiles qui ne se laissent pas stricto sensu, se réduire
et qu'il est vain de vouloir nier, de désigner et de reconstruire les
objets considérés jusqu'à présent comme
infrasociologiques. L'on a ainsi découvert les règles
informelles, les adaptations secondaires, les différentes
stratégies qui sous-tendent les négociations et maintiennent la
cohésion de la société scolaire. « Le
métier de l'écolier », tous ces comportements
déviants que l'on a observés en milieu scolaire, peuvent
être considérés, en dernière analyse, et
traités comme des redéfinitions de la situation,
opérées par les élèves qui associent ces
différentes stratégies. Les procédures de
négociation du travail scolaire ont été employées
du point de vue des stratégies de survie tant du côté de
l'élève que de l'enseignant. Dans une approche idéaliste
du fonctionnement scolaire, ces déviances, parfois dénuées
de sens peuvent conduire à penser que l'identification des conflits
suffirait à résoudre ceux-ci. Cet éclairage
spécifique de la scène scolaire a permis de descendre un peu plus
en profondeur pour appréhender la socialité scolaire toujours
dans sa déclinaison phénoménologique, au travers de
laquelle les jeunes scolaires construisent et reconstruisent leur
identité et font face à l'imposition totalitaire de l'ordre
scolaire.
Par ailleurs, à travers le parler
(francanglais), les incivilités (les violences) et le braconnage
corporel des jeunes scolaires, l'on a appréhendé l'importance de
la puissance de la souveraineté de la socialité face à
l'ordre et à la logique scolaire dominante et omniprésente. Ce
sont ces modulations diverses des comportements des jeunes scolaires qui, tout
en refusant l'ordre du sens, accentuent l'investissement du présent
scolaire et du tragique qui lui est inhérent (Maffesoli, 1979 :
26).
A partir de ces différents cas, nous avons pu saisir
comment les acteurs scolaires envoient des signaux à la
société, à travers des interactions qui se
développent en s'adossant sur des pratiques qui s'écartent de la
norme scolaire. En dépit des apparences qui font que les comportements
déviants soient considérés comme de simples actes de
délinquance, nous constatons que les apparences sous toutes ses formes
sont des vitrines de multiples situations et actes sociaux, et contrairement
à ce que d'aucuns pourraient penser, les comportements déviants
des jeunes scolaires ne sont pas forcément un simple fait de
transgression à usage non fondé, mais il est fondamentalement
l'effet de la conséquence de toute socialité en acte (Maffesoli,
1979 : 15).
Autrement dit, pour comprendre les phénomènes
des comportements déviants dans son déploiement dans
l'enseignement secondaire à Yaoundé, ce ne sont pas tant les
actes qu'il faut suivre et condamnés, mais il s'agit aussi de saisir les
motivations qui poussent les acteurs à agir de la sorte. Car les
comportements déviants qui envahissent l'école à
Yaoundé participent des rituels dans ce que Balandier appelle
«les territoires de la socialité »,
c'est-à-dire cette perpétuelle «tension entre le social
et l'évasion du social, entre la relation fondatrice et la disjonction
destructrice » (Maffesoli, 1979 : 46).
Dès lors, la configuration au sein des espaces
scolaires yaoundéens des comportements déviants n'est
pas un acte dénué de sens. Elle participe d'un fantasme qui tend
à «restaurer un paganisme pluriel face à un
monothéisme réducteur et simpliste » des
institutions normatives (Maffesoli, 1979).
Dans une société où les relations et les
interactions sont guidées par les conflits et les rapports de
domination, les comportements déviants des jeunes à
l'école sont une manière de participer à la vie sociale.
Ainsi, le moi s'exprime en tant qu'individualité engagée dans ce
processus caractéristique de toute institution où toutes les
attitudes se réfèrent à des normes.
Dans le contexte yaoundéen,
caractérisé comme toutes les sociétés par
l'identité problématique dont la quête est permanente dans
l'urbanité, les comportements déviants de jeunes scolaires
vécus dans le milieu scolaire permettent de comprendre, sinon le
degré de l'adhésion, du moins le décalage ou l'exclusion
des acteurs scolaires. Adossée à la notion de socialisation,
l'institution scolaire s'efforce de faire ressortir les trajectoires sociales
dans leur double dimension objective et subjective, dans leur
multidimensionnalité.
En définitive, les pratiques déviantes de la
jeunesse scolaire doivent être perçues comme une recréation
d'un univers scolaire en mutation dans la société d'aujourd'hui.
Elles peuvent être vues à juste titre non seulement comme des
formes de reconstruction et de réinvention d'un vivre-ensemble
particulier à une époque de crises multiples, mais aussi comme
des élans interactifs et intersubjectifs, d'échanges, de
positionnement, de repositionnement et de prolongement émotionnel.
CONCLUSION GENERALE
A l'heure du bilan de cette modeste investigation, nous
entrevoyons mieux l'enjeu de la question des comportements déviants dans
leur rapport aux logiques normatives de l'école à Yaoundé
aujourd'hui. Symbole d'une cité en mutation, les déviances
scolaires résument, pour ainsi dire, toute la dynamique d'une
société dont elles sont le produit, mais aussi la vitrine. La
déviance scolaire dont nous avons voulu revisiter ne pouvait plus
être analysée uniquement sous les angles qui en alimentent une
vision parcellaire réductionniste ou encore pathologique.
Dans ce travail qui avait pour thème
«Déviances scolaires et contrôle social
à Yaoundé: essai d'approche sociologique du quotidien des
jeunes à l'école », il nous importait prioritairement
d'interroger le champ de la déviance scolaire en tant qu'espace
particulier et instrument original de production et de promotion de la
dynamique scolaire.
Dans cette perspective, il était important de sonder
les procédures, les raisonnements pratiques et les bricolages par
lesquels les acteurs construisent le social et produisent, au jour le jour, les
normes sur lesquelles repose l'institution scolaire. Plus concrètement,
il s'agissait de dévoiler la méconnaissance ou les
intérêts cachés des acteurs et d'étudier
«l'inégalité en train de se faire », «en
prenant au sérieux la rationalité des acteurs » et
en tentant «de rendre compte de la manière dont, en situation,
ils construisent le social » (Derouet, 1991).
Dans cet ordre de préoccupation, une hypothèse
générale a été formulée autour de la
société scolaire à Yaoundé et postule que :
«Face à la discipline, à la gestion linéaire,
normée, planifiée, pleine de sens et rationnelle des institutions
scolaires, manifestées par la domination et la subordination, les
élèves de Yaoundé développent des comportements
déviants qui visent à (re)définir les situations scolaires
à leur avantage, bien plus que d'apprendre des savoirs, des
savoir-faire des savoir-être.».
De cette hypothèse, il en découlera deux
étapes saillantes qui constituent l'ossature de cette recherche. La
première qui s'appesantit sur une approche analytique de la conception
sociale du rapport déviance-école a permis d'identifier et de
fréquenter les pistes et les repères du phénomène
de déviance, plus précisément en milieu scolaire à
Yaoundé. Cette brève incursion dans les méandres de la
sociologie de la déviance et de la délinquance nous a, en effet,
conduit à l'observation que la déviance, quel que soit le lieu
où il se produit, est une propriété, non du comportement
lui-même, mais de l'interaction entre la personne qui commet l'acte et
celles qui réagissent à cet acte (Becker, 1985 :38). En
réalité, comme le soutient Becker, les groupes sociaux
créent la déviance en instituant des normes dont la transgression
constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains
individus et en les étiquetant comme déviants. De ce point de
vue, la déviance n'est pas une qualité de l'acte commis par une
personne, mais plutôt une conséquence de l'application, par les
autres, de normes et de sanctions à un
«transgresseur ». Le déviant est celui auquel
cette étiquette a été appliquée avec succès
et le comportement déviant est celui auquel la collectivité
attache cette étiquette (ibid. : 32-33). Cette approche,
définissant ce qu'il est convenu d'appeler une «théorie
de l'étiquetage », considère la déviance
non pas comme le produit objectif d'un dysfonctionnement, mais comme une
«qualification », résultant d'une
« transaction » entre un groupe social et un
individu. Dès lors, le problème n'était pas pour nous
alors de connaître les caractéristiques statistiquement
pertinentes des populations scolaires déviantes, mais d'étudier
le processus par lequel une série d'actes et d'individus en
arrivent à être qualifiés de déviants. Raison pour
laquelle il nous fallait faire une sorte de téléologie de
l'école, pour saisir les logiques, les fonctions et la
fonctionnalité de cette dernière.
Cette seconde étape sur laquelle s'est appesantie notre
recherche a consisté à rechercher dans les aires scolaires
yaoundéennes, notamment les établissements
d'enseignement secondaire, les traces et les indicateurs de la
scénographie des comportements déviants et subséquemment
à inscrire sa lecture dans une perspective herméneutique. En
revisitant les travaux portant sur la relation éducative et la
déviance, mais aussi à partir des données empiriques, nous
avons recherché l'expression de pratiques déviantes relevant des
interactions quotidiennes, des «transactions » entre
l'institution- école et les élèves. C'est ainsi que nous
sommes parvenu à mettre en évidence, les «adaptations
secondaires » de la communauté éducative à
Yaoundé. Celles-ci ont été appréhendées au
sein des établissements ainsi que dans la rue, à travers le
phénomène de la flânerie, de la tricherie, du
harcèlement, des fêtes (entre autre). Par ailleurs, parmi les
procédures de négociation du travail scolaire, ont
été aussi analysées les stratégies de survie de
l'enseignant (car tant du côté de l'élève, que de
l'enseignant, il s'agit de `'faire-face'' à la situation). Dans le
même ordre des faits, il a été identifié d'autres
genres de déviances scolaires, notamment «le parler
déviant » (le
frananglais/camfranglais), les incivilités et incivismes
sous diverses formes que sont les violences physiques, verbales des jeunes
scolaires.
L'approche interactionniste symbolique et l'ethnographie
constitutive inspirée de l'ethnométhodologie, selon laquelle
«les faits sociaux sont des accomplissements
pratiques », nous ont permis de saisir en profondeur le sens et
la signification des comportements déviants des acteurs scolaires
à Yaoundé. Elles nous ont ainsi permis de dépasser les
perceptions déterministes des théories de la reproduction
érigées en paradigmes incontournables de saisie des
inégalités et des échecs scolaires.
Partant de la conviction que l'acte déviant est porteur
d'un sens et d'une signification que les acteurs eux-mêmes donnent de
leurs actes, nous nous sommes évertué à démontrer,
sur la base de la prospection d'autres paradigmes explicatifs des comportements
déviants à l'école, que le comportement est davantage
l'expression d'une combinaison de facteurs et motivations psychosociologiques,
et donc subjectifs et «compréhensifs », qui
transcendent forcément la conception déterministe ou
«objective » sous lequel la lecture des comportements
déviants et éducatifs était, jusque-là,
enfermée.
Si l'approche « objectiviste »
appréhende l'institution comme une forme sociale définie en
dehors des acteurs, comme un ensemble de normes s'imposant à eux,
l'approche «subjectiviste » qui illumine ce travail,
inverse le rapport que les membres entretiennent avec leurs institutions,
qu'ils contribuent au contraire à fabriquer dans un bricolage
institutionnel permanent. C'est au cours de ce rapport que les normes sur
lesquelles l'institution scolaire repose sont produites et reproduites, au
jour le jour, par les partenaires de l'acte éducatif.
C'est donc sur cette base que les établissements
d'enseignement du second degré ont été examinés.
Ici, c'est la situation vécue qui a été prise en
considération, sa dramatique même, ses composantes et ses
à-côtés, les coulisses à travers une analyse des
logiques normatives et les fonctions de l'institution scolaire telle que le
suggère l'analyse institutionnelle de Mauss. Les institutions scolaires
sont apparues comme l'ensemble d'actes ou d'idées tout institué
que les acteurs scolaires (élèves et enseignants) trouvent devant
eux et qui s'impose plus ou moins à eux. Il est apparu au sens plus
restreint et plus actif, que les logiques normatives renferment toute forme de
contrôle et de détermination des conduites au sein d'une
société scolaire organisée possédant une structure
(établissement), des finalités collectives
(socialisation-sélection), et une source de pouvoir (loi,
règlement, autorité éducative). L'école
apparaît ainsi à la fois instance de sélection et
mécanisme d'unification. L'école a pour objectif de socialiser,
c'est-à-dire convertir, mieux, transformer un individu d'un être
asocial en un être social en lui inculquant des catégories de
pensée et un système d'idées, de croyances, de traditions,
de valeurs morales, professionnelles ou de classe, dont certaines sont
irréversibles et d'autres au contraire changeant en fonction de nouveaux
apprentissages et des situations vécues. Derrière un tel but, se
cache la primauté du social sur l'individuel, l'exercice de la
contrainte, une distribution du pouvoir et enfin, des objectifs telle que
l'intégration de l'individu à des communautés
idéologiques ou cognitives, par exemple. Cependant, il convient de
rappeler qu'elle n'exclut ni résistance, ni même l'échec du
contrôle social des individus par l'institution scolaire. En
réalité, scolarisation et sélection sont les deux faces
d'une même réalité.
L'école unifie en socialisant et divise en
sélectionnant. En tant que «milieu moral
organisé », selon l'expression de Durkheim, elle
façonne l'identité de l'élève. Elle le fait de deux
façons : en inculquant de façon collective et indistincte un
corps d'idées, de conduites et comportements, de valeurs communes, en
tentant de transformer l'individu et ses catégories de pensée de
telle sorte que son point de vue change de façon radicale pour sa vie.
Car «socialiser c'est transmettre des contenus ; mais c'est
également incorporer des structures » (Cherkaoui,
1986 : 42).
La conception de la nature humaine sur laquelle se fonde cette
représentation de la socialisation est d'un pessimisme excessif. Le
désordre est d'après elle proscrit. La logique normative de
l'école est de créer l'ordre ou, à tout le moins, de
contribuer à l'établir.
Vue sous cet angle, il ressort que si l'école unifie en
inculquant l'ordre expressif, elle divise en sélectionnant. Mais, au
fait, ces logiques normatives sont-elles arbitraires ou légitimes ?
Au regard de l'analyse des enquêtes menées sur le
terrain, il convient de répondre, tout de suite, que «tout
ordre social relève de l'artifice ». Le
référent à ce dernier argument a pu être
éprouvé à partir des observations des comportements
déviants qui se développent parmi la jeunesse et envahissent
l'école à Yaoundé. L'on a ainsi pu découvrir la
socialité scolaire, mieux, des relations sociales particulières
qui s'instituent au niveau des établissements scolaires du second
degré à Yaoundé.
Cette socialité, pour le noter, n'est pas seulement
descriptive. Dans l'esprit de ce travail, elle se réfère à
un mode particulier de production de relations significatives, en rapport avec
la vie quotidienne et les diverses manières de
«résister » qu'utilisent les acteurs scolaires
à l'égard des contraintes que l'ordre scolaire fait peser sur
leur existence (Javeau, 1997 : 160). On peut donc constater que nos
hypothèses de travail se trouvent largement confirmées.
Une autre vision de l'école
S'il fallait tirer une conclusion au terme de cette recherche,
celle-ci déboucherait sur constat selon lequel, les comportements des
jeunes dans le contexte de l'école mettent en évidence une
déviance ordinaire qui se développe quotidiennement dans les
interactions avec la production sociale des normes. Ils participent de la
construction d'une nouvelle civilité scolaire. Au-delà
d'être de simple étiquetage de délinquance ou de violence,
les attitudes déviantes sont, au contraire, solidaires de la
réalité sociale de l'école, en tant qu'institution
où se croisent les représentations souvent antagoniques du
système.
Au coeur des tribulations d'un climat scolaire
précaire, les actions déviantes des acteurs scolaires ne se
déclinent pas simplement comme des actes de vandalisme ou de
délinquance juvénile ; ce sont des actes à
fonctionnalité critique qui valorisent ce que l'on pourrait appeler
«une conscience intersubjective », c'est-à-dire
un fait de conscience lié à une vie banale, avec sa part de
théâtralité, ses enjeux, ses émotions
partagées.
Les acteurs scolaires, par la dramatisation de leur condition
dans les pratiques déviantes qu'ils produisent et s'offrent,
créent des «horizons de refuge », participant de
«manière de recréer l'espoir dans une
société où tout semble perdu » (Taguem Fah,
2001 : 29).
Il ne fait aucun doute que de nouvelles valeurs sociales
s'adossent désormais sur les comportements déviants des jeunes
à Yaoundé. L'individuation devient une valeur sociale qui
s'impose au milieu de la trame collective de l'existence et se dégage
à partir de certaines manifestations de comportements des jeunes
scolaires. Ceux-ci rendent compte non pas tant d'une forme d'affirmation de soi
du sujet scolaire face au poids des contraintes, mais d'un «monde
intersubjectif de la vie quotidienne » avec sa part de
théâtralité, ses enjeux, ses émotions
partagées. Tout ceci est le produit d' «une
sédimentation intersubjective » (Berger et Luckmann,
1986). Aussi l'individu est-il en possession d'un «stock de
connaissances » qui lui est imposé par une socialisation
successive. Par ce processus, il élargit son stock de connaissances
disponible. Ce dernier est composé de plusieurs zones, selon le
degré de connaissance, allant de ce qui est tout à fait familier
à ce qui est inconnu, mais pressenti.
Si les fonctions manifestes des comportements déviants
se lisent à travers les buts et objectifs souhaités par les
acteurs socio-scolaires, notamment la conformité à un certain
nombre d'institutions et logiques, les fonctions latentes que dévoilent
cette recherche et qui en constituent d'ailleurs les conclusions essentielles,
démystifient et démythifient les finalités qui ne sont pas
consciemment désirées (Merton, 1965). A travers les actes
déviants des acteurs scolaires, on peut «lire »
le climat social chaotique du monde scolaire, d'une ville comme Yaoundé
en situation de crise multiple, qui donnent naissance à un style
juvénile particulier, l'expression de
« l'individualité valorisée » dans
les déviations comportementales qui s'oppose à
«l'individualité institutionnelle »
bafouée (in Awondo Awondo, 2004 : 159).
Tout ce registre rend compte de la vérité selon
laquelle la déviance est un moyen de libération et l'expression
d'un sujet scolaire en «crise ». Ainsi donc, comme la
créativité artistique, la fonction de la déviance scolaire
à Yaoundé consiste également à recréer
«un cadre de vie qui transcende les interdits » (Taguem
Fah, 2001 : 10). Les jeunes scolaires en proie à leur imagination
capturent l'objet déviance pour en faire un moyen d'expression du
malaise social. Cet imaginaire et cette créativité que l'on
observe dans les institutions scolaires à Yaoundé, renforcent,
non pas la crise du système éducatif, mais elle est indicateur de
la manière avec laquelle ce système se produit et se reproduit
par lui-même.
A travers les interactions sociales spontanées qui
naissent de ces cadres de l'expérience scolaire, à cause de la
convivialité et de la promiscuité volontaire, les
déviances scolaires offrent des ouvertures vers des liens sociaux plus
souples, moins impératifs, moins prescriptifs. Ces relations se trouvent
accentuées par l'avènement de la télévision qui
charrient un cortège de publicité qui finit par aliéner
complètement les jeunes scolaires et à
«unidimensionnaliser » leurs comportements. En
vérité, cette publicité dont les effets sont beaucoup plus
néfastes sur les jeunes en général, grands consommateurs
de films d'origines étrangères, de bandes dessinées et de
journaux sentimentaux, de ce que Ndiaye appelle les
«sous-produits » culturels de l'Occident, renouvelle le
lien social et oblige la déviance à se poser en modèles de
comportement à fonctionnalité socialisante.
En clair, la mise en évidence des comportements
déviants des jeunes scolaires à Yaoundé exige donc une
analyse complexe. Le déploiement des déviances scolaires au
Cameroun n'est pas aussi simpliste qu'on en à l'impression. Car les
acteurs scolaires se multiplient et les formes de déviances se
diversifient. Les actes déviants divers permettent le prolongement des
relations éducatives pédagogiques qu'elles dépassent en
même temps, en leur attribuant un caractère sans contrainte.
Toutefois, les pratiques déviantes des jeunes scolaires
doivent être débarrassées de stéréotypes qui
alimentent un imaginaire pathologique à l'endroit des jeunes,
liée aux manifestations barbares et «sauvages ».
Il s'agit désormais de participer au vaste effort de décryptage
par l'analyse les liens illicites qui se nouent derrière l'apparente
cacophonie des pratiques éducatives. Il est nécessaire de
distinguer le rôle réel de production de la société
comme précédemment souligné. Celui-ci s'articule autour de
la lutte contre l'isolement des acteurs scolaires dans des logiques normatives
de l'école trop contraignantes. Il s'agit d'un «style
communautaire » qui renaît dans la ville pour sauver de la
contrainte une jeunesse en quête de vie (Ela, 1983). Telles seraient les
relations scolaires qui favorisent les espaces multiples de déploiement
de l'imaginaire scolaire.
« Il est certain que (...), la violence, les
contraintes économiques, les menaces du moralisme et autres formes
d'aliénation sont ressenties comme autant d'impositions qui brident,
altèrent ou gênent une vie sociale et individuelle
épanouie. Mais tout cela n'empêche pas que l'on s'emploie à
vivre, au mieux, tout ce dont on peut jouir. On peut même dire que face
à ces contraintes, il y a une frénésie à jouir du
«carpe diem », un surcroît d'énergie sociale qui ne
se reporte plus sur l'avenir mais qui s'investit au
présent » (Maffesoli, 1993 : 92).
Dans une telle perspective, Maffesoli soulignait fort
justement que «les acteurs ne sont nullement dupes des valeurs qu'ils
pratiquent, ils les jouent, ils se jouent d'elles » (1978 :
16).C'est ce qui fait de la société scolaire un ensemble
complexe. Et c'est cette dimension de la déviance juvénile
intégrée au coeur du fonctionnement scolaire quotidien qui fonde
la perdurance de la socialité.
Dès lors, contrairement à ce qu'on pourrait
penser relativement aux comportements déviants qui se dramatisent dans
la violence, l'incivisme et l'insécurité, la débauche et
l'immoralisme, ceux-ci ne sont pas «pathologiques »,
mais ils sont fondamentalement, l'effet et la conséquence d'une
quête de la socialité. Ainsi, la déviance scolaire,
participe de signaux, de codes qu'il faut interpréter et comprendre.
Tout cela peut être la manifestation de la force de production de la
société scolaire et de son maintien malgré les
dérives, les dysfonctionnements du système.
Ce que l'on peut retenir finalement de cette analyse, c'est
que la déviance scolaire quotidienne à Yaoundé dans sa
déclinaison dominante peut être le reflet de l'environnement
social. Derrière les déviances exacerbées que les acteurs
scolaires développent en marge des considérations officielles de
l'école, l'institution scolaire, mue par une conjoncture difficile, se
contente, elle-même, de favoriser et même de tolérer
certains comportements déviants, comme condition sine qua non
d'un être-ensemble équilibré.
L'on peut donc lire, derrière la
«cacophonie » des flâneries, dans les rues
festives et mondaines, à travers la quête permanente de
l'épanouissement, la revendication des jeunes scolaires d'un
bien-être collectif. Les comportements déviants à
l'école peuvent revêtir une double dimension tragique et
espérante. La première étant la tragédie d'une vie
aux lendemains incertains dans une urbanité problématique, et la
seconde l'espérance en un présent qui dédouane certes de
façon éphémère de l'incertitude et de l'angoisse
(Awondo Awondo, 2004 : 165). En cela, la déviance scolaire à
Yaoundé est un phénomène complexe, riche de pertinence.
Les comportements déviants des jeunes scolaires doivent
se lire non pas seulement à partir des grilles juridiques et
psychiatriques de la délinquance et de la pathologie, mais cet horizon
de lecture doit s'inscrire dans le processus de déchiffrage de cette
coagulation de signe et de codes qui sont des instruments de production du
vivre-ensemble qui participe de la reconstruction de la réalité
de la civilité scolaire. C'est-à-dire la forme d'interaction
révélatrice de la façon dont un corps social
«gère, négocie sa stabilité et son
équilibre en se dotant ou en entretenant des zones anomiques qui sont au
fondement de la perdurance sociale », toute chose qui participe
de la socialité (Leka, 2004 : 137).
En dépit de leur mauvaise réputation et des
manifestations pathologiques, les déviances scolaires participent donc
de la production de la société par les acteurs scolaires. Et la
cacophonie ainsi que les «sauvageries » apparentes qui
semblent en sortir, débouchent, en réalité, sur ce que
Maffesoli nomme «anomie créative » à
partir d'où se recrée le lien social qui permet à la
société scolaire de se maintenir (Maffesoli, 1985) et de
«perdurer ».
La part importante de comportements déviants des jeunes
en milieu scolaire inscrits au coeur des dysfonctionnements manifestes du
système éducatif camerounais, cache, pour ainsi dire, d'autres
interactions constitutives de la fonctionnalité latente, illicite,
toutes aussi porteuses de sens. Ainsi, nonobstant les marges officielles, les
pratiques déviantes des acteurs scolaires participent davantage des
détours sociaux dans la quête de l'équilibre de
l'urbanité scolaire enfouie dans le subconscient social.
Par ailleurs, l'observation quotidienne des comportements
déviants des jeunes scolaires à Yaoundé peut très
souvent laisser croire que le côté pathologique du
«scolaire » liés notamment à la
déliquescence du système éducatif actuel prend le pas sur
tout le reste. Il serait très réducteur de ne
«lire » ces pratiques des jeunes scolaires que par ce
côté-là. Les actes de déviance sont le corollaire
d'un relâchement des normes scolaires que l'on ne peut nier. Cette
observation peut très rapidement conduire à conclure à une
pathologie lorsqu'il est question de comprendre le phénomène de
déviance en milieu scolaire. Certes, les comportements déviants
qui engendrent l'insécurité s'implantent de plus en plus dans
les établissements scolaires et les manifestations qui nourrissent
l'imaginaire pathologique autour de ce phénomène se font
récurrents. Mais il serait tout aussi erroné de ne pas aller
à la profondeur des choses pour dévoiler des «zones
anomiques » qui sont au fondement de l'équilibre
scolaire. En dépit de ce qui se laisse cerner par la vue, ces pratiques
déviantes à l'école jouent, à notre sens, un
rôle socio-émotionnel de premier ordre.
En outre, il est tout à fait plausible, que les
comportements déviants se présentent comme un des facteurs de
blocage au fonctionnement normal de l'institution scolaire. Mais, il n'en
demeure pas moins qu'ils permettent un double mouvement d'ouverture et de
renouvellement constructif des territoires de la socialité, structures
existentielles de toute société (Balandier, 1985).
Il apparaît donc que, les pratiques déviantes
des jeunes scolaires à Yaoundé traduisent un désir de se
libérer des frustrations, véritables maladies contractées
à l'école et des obligations institutionnelles qui y sont
rattachées. A travers des actes déviants, les acteurs scolaires,
emportés par l'urbanité, expriment ce que Maffesoli (1985)
appelle «l'inconscience populaire » qui surpasse et
transcende les interdits socio-scolaires, et l'étroite morale du
devoir-être individuel, pour construire un vivre-ensemble
collectivement.
A côté des institutions, des règlements et
des prescriptions officielles qui régulent les comportements et les
attitudes des acteurs scolaires, l'on constate que, ce qu'il est convenu
d'appeler le «moi social urbain », se crée ses
propres normes, se bâtit dans une sorte d'expression et de configuration
de la socialité et de l'urbanité scolaire, porteurs du
«murmure social » qui bâtit l'équilibre de
la société scolaire. En ce sens, les déviations
opérées par les acteurs scolaires, traduisent, finalement, une
socialité et une sociabilité originale qui forcent le regard,
mais un regard renouvelé et débouté des clichés qui
empêchent une analyse en profondeur. Ces clichés ont souvent
épousé « la forme anormale des comportements,
envahissants, méphitiques ou sauvage », pour reprendre
les expressions du sociologue anglais Chris Roger.
Mais si les pratiques déviantes des jeunes scolaires
peuvent succomber à de telles analyses à Yaoundé, ce n'est
pas tant à cause de ces pratiques elles-mêmes ; c'est
davantage à cause des logiques de l'école qui se veulent trop
sélectives, reproductrices et dominatrices qui font que les acteurs
scolaires transgressent les normes. Une rapide herméneutique du rapport
institution et contexte socio-économique permet de percevoir que la
crise économique, la baisse du niveau des revenus et le désir
d'assurer l'avenir des jeunes par la scolarisation faussent
considérablement l'ambition des catégories sociales issues des
classes populaires. Elle permet aussi de constater que les institutions
scolaires (les normes) ne sont pas respectées par la communauté
éducative, et ne préoccupent vraisemblablement pas
l'administration de l'éducation. Ce qui semble préoccuper les
autorités éducatives, c'est davantage, une année scolaire
paisible et bien pleine. Pour le reste, que les acteurs scolaires se
«débrouillent » comme ils peuvent. C'est cet
ensemble de constats qui explique cette
«visibilité » du système éducatif
camerounais comme un espace en crise marqué par la déviance.
Cependant, cette dévalorisation ne nous empêche
pas de voir qu'au-delà de la déviance tant décriée,
que les actes déviants recèlent une richesse
insoupçonnable et condensée qui servent de
«réservoir » à la perdurance sociale
(Maffesoli, 1979 : 66). Quoi qu'il en soit, les pratiques
déviantes des jeunes scolaires à Yaoundé exercent
aujourd'hui une influence sur les temps socio-scolaires contraints. Cela se
laisse cerner au quotidien de la jeunesse scolaire dans les espaces où
le «souci de soi » (Foucault, 1986) se démarque
des logiques normatives de l'école pour exprimer que
«l'individualité devient une valeur sociale »
(1984 : 60). Le souci de soi s'exprime au quotidien des acteurs scolaires,
à l'école, dans la rue festive, ludique et mondaine qui semblent
avoir pour vertu de nourrir les imaginaires des jeunes scolaires portés
vers l'autonomie, par rapport aux tutelles institutionnelles qui se trouvent
ainsi menacées.
Il s'agit donc de voir, derrière cette apparente
cacophonie des pratiques déviantes dans l'environnement scolaire de
Yaoundé, l'explosion d'une libération de l'individu qui n'est pas
seulement réprimé par le poids des logiques normatives de
l'école, mais aussi une nouvelle forme d'affirmation de soi du sujet
scolaire face à la pluralité
«chaotique ». C'est en effet, une aspiration à
la liberté plus grande, déniée de ce que Dumazedier
appelle les «rouages institutionnels » (1988 :
47), ce qui prend corps dans les comportements déviants des jeunes
scolaires vécus dans toute sa «sauvagerie » (Nga
Ndongo, 1975 : 84).
Ce travail qui est loin d'être achevé peut
paraître hétérogène. En vérité, la
réalité de la déviance scolaire est complexe ; ce qui
justifie l'interrogation de Maffesoli «à quelle conclusion
peut-on parvenir lorsqu'il s'agit d'une réalité dynamique et en
pleine construction ? » (1993 : 190). Nous nous
sommes efforcés toutefois de rendre intelligible sociologiquement une
pratique complexe.
Etant donné la concentration sur ces minuscules
« arts de faire » au quotidien, il est légitime de
s'inquiéter de leur pertinence théorique, au-delà de leur
vérification empirique. Ce qui revient à poser la question de
l'insignifiance des détails. « Déchets habituels
» de l'observation sociologique, les détails, les actions
parasites, les distractions, les mille ruses du quotidien méritent-ils
de retenir le regard du scientifique ? La recherche est complexe parce que ces
pratiques, tour à tour, exacerbent et déroutent nos logiques.
Elle rencontre les regrets du poète et, comme lui, elle lutte avec
l'oubli :
« Et j'oubliais le hasard de la circonstance, le
calme ou la précipitation, le soleil ou le froid, le début ou la
fin de la journée, le goût des fraises ou de l'abandon, le message
à demi entendu, la une des journaux ; la voix au
téléphone, la conversation la plus anodine, l'homme ou la femme
le plus anonyme, tout ce qui parle, bruit, passe, effleure, rencontre
» (Sojcher, 1976 : 145).
Piette montre que c'est précisément la
possibilité de se soustraire aux contraintes des situations, de faire
des écarts, de transgresser et d'être distrait, qui contribue
à définir les êtres sociaux dans ce qu'ils ont de
proprement humain (Piette, 1996). Cette fluidité du réel
s'inscrit dans le thêma du désordre cher à Balandier.
Aujourd'hui, l'exploration scientifique emprunte des «chemins qui
mènent inévitablement à lui. Le désordre, la
turbulence, la désorganisation et l'inattendu fascinent »
(Balandier, 1985 : 9). C'est en termes de règne de la mouvance, des
turbulences, des crises que Georges Balandier résume ainsi «la
modernité, c'est le mouvement plus l'incertitude »
(ibid. : 9).
À un siècle d'écart, Balandier et
Durkheim illustrent ce choix épistémique contradictoire
opéré à partir d'une prémisse ontologique identique
: « Le social -- au sens le plus extensif de ce mot --
s'appréhende en un état de grande fluidité. (...) Parce
qu'il est continuel devenir, avec l'accélération propre aux
périodes de la modernité, il doit être saisi dans son
engendrement et non dans les structures qui le figent et le dénaturent
» (ibid. : 243). Sans doute en procédant ainsi (en
considérant les faits sociaux comme des choses), on laisse
provisoirement en dehors de la science la matière concrète de la
vie collective, et cependant, si changeante qu'elle soit, on n'a pas le droit
d'en postuler a priori l'inintelligibilité. Mais si l'on veut
suivre une voie méthodique, il faut établir les premières
assises de la science sur un terrain ferme et non sur un sable mouvant. C'est
seulement ensuite qu'il sera possible de pousser plus loin la recherche et
d'enserrer peu à peu cette réalité fuyante (Durkheim,
1988 : 46).
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Code civil, Paris, Dalloz, 77ème édition,
1977-78.
ANNEXES
PLAN ET GRILLE D'OBSERVATION (A LONG
TERME)
A- PLAN D'OBSERVATION
Etape 1 : OBSERVER QUOI ?
- Le « métier de
l'élève »
- La carrière d'enseignant
- Les rapports enseignants-élèves
- Les rapports entre enseignants
- Les rapports enseignants-administration
Etape 2 : OBSERVER SUR QUI ?
1- Le champ d'analyse
Le travail porte sur les comportements des
élèves tant à l'intérieur qu'à à
l'extérieur de l'établissement ;
- Espace géographique :
Lycée Général Leclerc de Yaoundé
(Ngoa-Ekelle) ;
- Période prévue pour le sondage
d'opinion (flexible) : Le sondage se déroulera entre le 27
novembre 2006 et le 28 février 2006. Passage pour le sondage : une
fois par semaine.
2- L'échantillon
(unités d'observation) : Cadres de l'établissement
( Proviseur, Directeur, Principal, Censeur, Surveillants
généraux, enseignants, Conseillers d'orientation, les enseignants
stagiaires...), élèves du premier et second cycle (toutes les
couches sociales confondues), parents d'élèves, etc.
Etape 3 : OBSERVER COMMENT ?
Méthodologie :
- Conversation avec tous les acteurs scolaire durant toute
l'étude ;
- Entretien non structuré ( en salle de
professeur, en cours de recréation, dans les cantines, etc.);
- L'observation directe au sein de
l'établissement ;
- L'observation documentaire
· Les documents
officiels :
- Règlement intérieur,
- Billets d'entrée et de sortir (pour différent
motif),
- Cahiers de texte, cahier d'appel, emplois du temps
(horaires),
- Les comptes rendus des réunions,
- Les documents confidentiels concernant les
élèves,
- Les manuels scolaires,
- Les périodiques et les revues,
- Les enregistrement scolaires,
- Les archives et les statistiques,
- Les tableaux d'affichage,
- Les lettres officielles,
- Les documents d'examens,
- Les fiches de travail, les photographie, etc.
· Documents
personnels :
- Carnet de note
- Journaux intimes,
- Cahiers de brouillon,
- Lettres et notes personnelles
B- GRILLE D'OBSERVATION
Situation pédagogique :
- Observer et noter la disposition physique de
l'établissement et des salles de classe et son
équipement
- La place occupée par chaque
élève ;
- La relation entre l'ordre d'entrée dans la salle et
la place occupée ;
- La présence ou l'absence de conversations ;
- La nature des activités avant l'ouverture du cours
proprement dit ;
- Les changements induits ou non à la première
prise de parole de l'enseignant ;
- Le contenu des interventions en fonction de
l'émetteur et du récepteur ;
- Croquis ou plans de la salle ;
- Elaboration de codes commodes pour identifier rapidement
les intervenants et leurs attitudes ;
- Indication systématique de la durée de chaque
séquence, etc.
GUIDE D'ENTRETIEN AVEC LES ENCADREURS
I- Présentation de l'essentiel de la
recherche
II- Identification de l'interlocuteur
- Nom et prénom du répondant
- Statut :
- Age :
- Sexe :
- Lieu d'entretien :
- Date de l'interview :
- Duré :
III- Déroulement de l'entretien
Données de base :
* Données socio-culturelles :
1- Effectif total : Filles :
Garçons :
2- Nombre de salles de classe par niveau :
3- Les couches sociales
4- Le corps enseignant
5- Le règlement intérieur
6- Les types de conduites qui s'écartent des normes de
l'établissement (chez les élèves et chez les autres
personnels de l'établissement)
7- Les dispositions prises pour assurer la
sécurité et les accidents (qu'est-ce qui est fait pour que la
sécurité règne ?)
8- La flânerie des élèves dans des
endroits illicites ou en ville,
9- Le port de la tenue scolaire
10- Le camfranglais au sein de
l'établissement
11- L'absentéisme
TABLE DE
MATIERES
DEDICACE
i
REMERCIEMENTS
ii
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
iii
RESUME
iv
ABSTRACT
v
INTRODUCTION GENERALE
1
I - PROBLEMATIQUE
2
II - HYPOTHESES
4
II. 1 - Hypothèse principale
4
II.2 - Hypothèses secondaires
4
III - JUSTIFICATION ET INTERET DU SUJET
5
IV - METHODOLOGIE
8
IV.1. Insertion théorique
9
IV.1.1. Le «positivisme
dogmatique » ou la sociologie des abstractions et de l'homme
rationnel
9
IV.1.2. Le jeu possible dans les limites, selon
Bourdieu
10
IV.1.3. La sociologie du quotidien : vers
une approche intégrée du social
10
IV.1.3.1. L'interactionnisme symbolique
11
IV.1.3.2. Le détour par
l'ethnométhodologie
13
V - COLLECTE DES DONNEES
15
V.1. Champ d'analyse
15
V.2. Échantillon de l'étude
16
V.3. Les instruments de collecte des
données
17
VI - ANALYSE DES DONNEES
19
VII - DEFINITION DES CONCEPTS
21
VIII - PLAN DE L'ETUDE
24
PREMIERE PARTIE :
DEVIANCE, ECOLE ET CONCEPTION DE LA
SOCIETE
26
INTRODUCTION
27
CHAPITRE I :
APPROCHE ANALYTIQUE DE LA DEVIANCE
SOCIALE
28
I.1. SOCIALISATION ET CONTROLE SOCIAL
28
I. 1.1. La socialisation
28
I.1.2. Le contrôle social
33
I.2. LA DEVIANCE : LE DEVIANT ET
L'ANORMAL
34
I.2.1. La typologie des déviances
sociales
35
I.2.1.1. Déviance matérielle et
déviance formelle
35
I.2.1.1.1. La déviance
matérielle
36
I.2.1.1.2. La déviance formelle
36
I.2.1.2. Déviance positive et
déviance négative
37
I.2.1.2.1. Déviance positive
37
I.2.1.2.2. Déviance négative
38
I.2.2.3. Étiologie de la
déviance
39
I.2.2.3.1. Des déviances d'origine
physique
39
I.2.2.3.2. Des déviances d'origine
psychique ou mentale
39
I.2.2.3.3. Des déviances d'origine
sociale
40
I.2.2.4. La délinquance et la
criminalité
40
I.3. TRANSGRESSION, STIGMATISATION ET
ETIQUETAGE
40
CHAPITRE II :
ECOLE ET SOCIETE :
QUELQUES PARADIGMES SOCIOLOGIQUES
DOMINANTS
45
II.1. L'ECOLE, UN CONCEPT POLYSEMIQUE
45
II.2. LE PARADIGME DE LA DOMINATION
47
II.3. LE PARADIGME DE LA PRODUCTION
48
II.4. LE PARADIGME DE LA REPRODUCTION
50
II.5. L'ANALYSE INSTITUTIONNELLE
54
CHAPITRE III
:
LES FONDEMENTS DU SYSTEME EDUCATIF
CAMEROUNAIS
57
III.1. EDUCATION ET MODELE EDUCATIF
57
III.1.2. Le concept d'éducation
57
III.1.2. Le modèle éducatif
58
III.2. SYSTEME ET POLITIQUES EDUCATIVES
59
III.2.1. Configuration du système
éducatif camerounais
60
III.2.2. Le paysage infrastructurel
62
III.2.3. Fréquentation et niveau de
scolarisation
65
III.3. NORMES ET NORMATIVITE
66
III.3.1. La norme scolaire
67
III.3.2. Les normes pédagogiques
68
III.3.3. L'école et son espace
68
III.4. LES REGLES DE FONCTIONNEMENT DE L'ECOLE
70
III.4.1. L'objet du règlement
intérieur
71
III.4.2. Le contenu du règlement
intérieur
72
III.4.2.1. Les principes qui régissent le
service public d'éducation
72
III.4.2.2. Les règles de vie dans
l'établissement
73
III.4.2.3. L'exercice des droits et obligations
des élèves
74
III.4.2.4. Le respect d'autrui et du cadre de
vie
75
III.4.2.5. La discipline : sanctions et
punitions
76
III.4.2.6. Les mesures positives
d'encouragement
76
III.4.2.7. Les relations entre
l'établissement et les familles
76
III.4.2.8. Élaboration et modifications du
règlement intérieur
77
III.4.2.8.1. Élaboration et
révision
77
III.4.2.8.2. Information et diffusion
78
CONCLUSION PARTIELLE
79
DEUXIEME PARTIE
:
ESSAI D'APPROCHE ETHNOSOCIOLOGIQUE DE LA
JEUNESSE SCOLAIRE A YAOUNDE
80
INTRODUCTION
81
CHAPITRE IV :
SOCIETE SCOLAIRE ET PRODUCTION DE LA
DEVIANCE :
ENTRE IDEAL NORMATIF ET LOGIQUES DES
ACTEURS
83
IV.1. LES REGLES DE LA SOCIETE SCOLAIRE
83
IV.1. 1. La désobéissance aux
règles : les punitions
85
IV.1.2. Les récompenses
86
IV.2. LE «METIER D'ECOLIER »
86
IV.2.1. Les procédures de
négociation du travail scolaire
87
IV.2.1.1. Le Chahut
87
IV.2.1.2. La
« diplomythe » ou l'école du comment :
manifestations et conséquences
88
IV.2.1.3. La tricherie
89
IV.2.1.4. La flânerie des
élevés dans la ville de Yaoundé comme
théâtralité de l'ethos underground
91
IV.2.2. La carrière d'enseignant
96
IV.2.2.1. Image du métier et vocation
96
IV.2.2.2. Transaction ou contrat
éducatif : une stratégie de survie ?
100
IV.2.2.3. La communauté
éducative : entre fonctions manifestes et fonctions latentes
105
IV.3. DANS LES AIRES INTERSTITIELLES DE LA VIE
SCOLAIRE : ESPACE DE «SOCIALISATION SECONDAIRE »
107
IV.3.1. Les relations de camaraderie et les jeux
à l'école
107
IV.3.2. Les fêtes
109
CHAPITRE V :
LE PARLER DES JEUNES :
115
TRANSGRESSION LUDIQUE ET DEVIANCE
FONCTIONNELLE
115
V.1. AUX ORIGINES, UN BESOIN ENDOGROUPAL.
116
V.1.1. Le degré d'officialité
117
V.1.2. Un parler à enjeux multiples :
l'indice de fonctionnalité primordial
118
V.2. UN ENRACINEMENT PROGRESSIF ET GENERALISE
121
V.3. LE FRANCANGLAIS, UNE DEVIANCE
FONCTIONNELLE
123
V.3.1. Du francanglais au Camfranglais
125
V.3.2. Au-delà des canons scripturaires et
verbaux
127
CHAPITRE VI :
INCIVILITES ET INCIVISMES
SCOLAIRES :
UNE SOCIALITE EMERGENTE
131
VI.1. APPROCHE TEXTUELLE
132
VI.1.1. Ce que prévoient les
recommandations et la loi
132
VI.1.1.1 Les états généraux
de l'éducation
132
VI.1.1.2. Loi d'orientation de l'éducation
au Cameroun
133
VI.2- VIOLENCES SCOLAIRES : UNE REALITE EN
EXPANSION
134
VI.2.1. Essai de définition de la
violence
134
VI.2.2. Repérage de la violence en milieu
scolaire
136
VI.2.3. Rapport de cause à effet et
modèles explicatifs
138
VI.2.4. Liens sociaux et expériences
scolaires
139
VI.3. L'ECOLE DU DESORDRE : ENTRE DYNAMISME,
INCIVILITE ET INCIVISME
140
VI.3.1. La violence insaisissable et
homogène
141
VI.3.1.1. Les logiques de la violence
145
VI.3.1.2. La déviance
tolérée
145
VI.3.1.2. La violence sociale
147
VI.3.1.3. Les violences `'antiscolaires''
149
VI.3.1.4. La violence scolaire comme puissance
de la socialité en acte
151
VI.3.2. Le braconnage corporel : normes et
détours en éducation physique et sportive
155
VI.3.2.1. Les tactiques aux marges de la
séance
156
VI.3.2.1.1. La sexualité
«dévoilée » entre plaisir et pouvoir
157
VI.3.2.1.2. Les jeux du masculin et du
féminin
159
VI.3.1.3. Le détournement de la fonction
pédagogique du matériel
160
VI.3.2.1.4. Le rire comme lien et antidote au
sérieux de l'école
160
VI.3.2.1.5. Le dehors du regard de
l'enseignant : la duplicité en action
161
VI.3.2.1.6. La tenue : un passage pas tout
à fait conforme
162
VI.3.2.1.7. Le débordement des consignes de
l'enseignant
164
VI.3.2.1.. Vers une EPS transgressive...pour
exister
165
CONCLUSION PARTIELLE
167
CONCLUSION GENERALE
170
BIBLIOGRAPHIE
182
ANNEXES
190
TABLE DE MATIERES
195
* 1 Et à travers ce
dernier l'inspiration de Simmel
* 2 L'analyse
ethnométhodologique qui découle de l'approche interactionniste
est l'analyse des façons de faire ordinaires que les acteurs sociaux
ordinaires mobilisent afin de réaliser leurs actions ordinaires.
* 3 Cet objet d'étude
élu durant plusieurs décennies par les anthropologues
* 4 Le choix de retenir une
approche théorique de l'école ou pas est défini ici par
les liens qui unissent celle-ci avec la présente étude.
* 5 C'est au sujet de la
déviance que Durkheim distingue le «normal » et le
«pathologique ». Il se refuse, en effet, à ce qu'on
considère comme anormal un phénomène que l'on rencontre
constamment en toute société. Il pense donc que l'on doit
reconnaître un véritable caractère sociologique à ce
phénomène qui n'est pas, pour autant, le signe d'une bonne
santé sociale.
* 6 Nous empruntons cette
typologie à P. Virton dans Les dynamismes sociaux (Initiation
à la sociologie), t2, Paris, Les éditions
Ouvrières, p.373-378.
* 7 Cette déviance
positive peut se rencontrer à tous les niveaux de la vie sociale ;
elle peut se produire par rapport à toutes sortes de valeurs. Il existe,
par exemple des valeurs utilitaires, esthétiques, éthiques et
religieuses. Le « saint » dans l'ordre des valeurs
religieuses, le « héros », dans l'ordre du
courage..., le chef d'entreprise à la recherche d'une meilleure
productivité ou d'une meilleure justice, le politicien qui
dépasse les normes habituelles dans la poursuite du bien commun,
l'ouvrier, le commerçant, l'étudiant qui dépassent les
normes ordinaires et leur activité, etc., peuvent ainsi faire figure de
« déviants positifs ».
* 8 La déviance
négative peut également se rencontrer à tous les niveaux
de la vie sociale et dans tous les domaines de l'activité humaine. On la
rencontre dans la vie familiale, économique, politique, culturelle ou
religieuse. Elle est susceptible d'une infinité de degrés. On
admet, cependant, que la hiérarchie des valeurs tolère une
certaine souplesse ; la société (c'est-à-dire, selon
les cas, l'entourage, le milieu, la société globale, etc.), en
appréciant les attitudes et les comportements de chacun, leur permet une
certaine marge de liberté ; c'est pourquoi nous réservons le
terme de « déviant négatif », à
l'individu ou au groupe qui descend au-dessous de la marge habituellement
tolérée.
* 9 Cf. par exemple D. M.
Gahagan et G.A. Gahagan, Talk Reform. Explorations in Language for Infant
School Children, London, Routledge & Kegan Paul, 1970.
* 10 « L'Ecole du
comment » est celle qui est une sorte d'usine à labels ;
c'est ce modèle bureacratique qui prévaut tout au long de la
période qui va de 1960 à la fin des années 1970. Elle est
tributaire de cette période qui ne se préoccupait que d'une
chose : faire « fonctionner » l'usine et obtenir une
accumulation des taux de scolarisation sans se préoccuper outre mesure
des contenus, de la qualité de la formation, et de l'impératif de
bâtir une société camerounaise affranchie de la tutelle
économique et politique de l'ancienne puissance coloniale. En fait, les
jeunes Etats africains, dont le Cameroun, après avoir
accédé à la souveraineté nationale avaient besoin
d'une administration et des cadres formés pour cette structure
naissante. Ainsi, l'école devient comme l'observe Mvesso (2005) une
cliente pour l'administration qui en est la « pompe
aspirante ». L'école du comment se mue donc en un univers de
l'éducation en surface, à la superficie des choses, où les
individus labélisés sortent de l'usine-école sans
arêtes vraiment personnelles, ayant intériorisé une
mentalité bureaucratique parce qu'ayant été
destinés aux bureaux de l'ogresse administrative des années 60.
C'est cette mentalité bureaucratique installée dans la conscience
des élèves et préfigurant le conservatisme propre aux
fonctionnaires qui imprègne toute la culture des années soixante
et dix. La plupart des représentations, qui sont autant d'images fausses
de l'école et surtout de sa relation à l'économie
tributaire de ce modèle bureaucratique décrit plus haut est
reproduit de nos jours comme un effet de halo dans la conscience d'une grande
frange de la population camerounaise. Lire à ce sujet, A. Mvesso :
1°) 1999 - L'École malgré tout, Yaoundé,
PUY. 2°) 2005 - Pour une nouvelle éducation au
Cameroun,Yaoundé, PUY.
* 11 Voir la loi N°98/004
du 14 avril 1998 portant orientation de l'éducation au Cameroun.
* 12 Le tableau 3 est loin
d'être exhaustif mais il récapitule dans sa grande majorité
le nombre des infrastructure scolaires d'enseignement secondaire tout ordre
confondu (publics, privés laïcs et confessionnel) que nous avons
observés pendant notre recherche de terrain. La totalité des
établissements scolaires de Yaoundé ne figurent donc pas dans ce
tableau. C'est particulièrement le cas des établissements
scolaires privés laïcs dont le nombre est en réalité
plus élevé.
* 13 Une moyenne
inférieure ou égale à 7 comme étant le seuil
d'exclusion définitive dans la majorité des établissements
scolaires publics et dans une moindre mesure pour l'enseignement secondaire
privé.
* 14 Un tableau de bord des
sanctions prises dans l'établissement en application des dispositions du
règlement intérieur figure en annexe en de cette étude.
* 15 Lire le numéro
spécial de Carrefour (République centrafricaine) consacré
aux « Diplômes et diplômés »,
février, 1984.
* 16 Cf. Tamboula
(J.E.C. Centrafricaine), n° 24, 1983.
* 17 Voir Olifant
(Côte d'Ivoire), n° de décembre 1983.
* 18 Dans la plupart des
règlements intérieurs examinés, il existe une règle
anti-flâneur.
* 19 Entretien du 20 novembre
2006 avec un Censeur des lycées d'enseignement secondaire .
* 20 Expression
américaine à la forme contractée contracté (Yo'r
pour young) qui désigne un jeune à la mode vestimentaire et
corporel extravagant, à l'américaine.
* 21 Entretien du 20 novembre
2006 avec un enseignant du collège Vogt de Yaoundé.
* 22 Entretien du 20 novembre
2006 avec un enseignant de l'Institut-Samba secondaire.
* 23Depuis 1985, la chute
des prix exprimés en dollars des principales exportations du Cameroun
(pétrole, café et cacao) et la dépréciation du
dollar ont fait apparaître d'importantes faiblesses structurelles de
l'économie, plongeant celle-ci dans une récession
économique. Entre 1985 et 1987, l'indice des prix à l'exportation
exprimé en franc CFA a baissé de 65% pour le pétrole, 24%
pour le cacao, 11% pour le café et 20% pour le caoutchouc, provoquant
une détérioration des termes de l'échange de 47%. En
1986/1987, un déficit courant de la balance des paiements de 8,8% du PIB
a remplacé le surplus des comptes courants de 3,9% enregistré en
1985/1985. Ces facteurs externes ont sérieusement compromis la
visibilité économique et financière du Cameroun et ont
entraîné l'arrêt, en 1986/1987, de la croissance
économique du pays qui se trouve depuis plongé dans une
récession économique persistante. Cf. République du
Cameroun : Projet dimensions sociales de l'ajustement, Paris,
février, 1990, p.1.
* 24 Consulter M. Le Pape et
C. Vidal : « Libéralisme et vécus sexuels à
Abidjan », in Cahier Internationaux de Sociologie, vol. LXXVI,
janvier-juin, 1984.
* 25 Lire à ce sujet
Vidal : « Guerre des sexes à Abidjan, Masculin,
Féminin, CFA », in Cahiers d'Etudes Africaines, vol. XVIII,
n° 65, 1978.
* 26 Entretien du 1
novembre 2006 avec une élève de 5e du CES de Ngoa
Ekelle
* 27 Interprétation
d'une chanson avec de la musique en fond sonore.
*
28 Anglicisme forgé à partir du terme
bûcher, c'est-à-dire travailler, étudier sans
relâche, pour préparer un examen.
* 29 Ce concept de
stratégie considéré ici comme central, s'entend comme
« lieu où l'intention individuelle et les contraintes
extérieures se rencontrent ».
* 30 Bien que
publiées en 1989, ces observations ont été faites lors
d'enquêtes effectuées la fin des années 1970 pour une
thèse soutenue en 1980, ce qui à notre avis accorde encore plus
de crédit à l'idée d'une pratique plus lointaine dans le
temps, de cet idiome au Cameroun.
* 31 Nous tenons à
justifier la caractérisation que nous faisons du pidgin-english dans ce
cadre. Il n'est en effet pas difficile de percevoir une variation
intralinguistique au sujet du pidgin-english quand on parcourt les
différentes provinces du Cameroun. On peut ainsi constater que de part
et d'autres de la frontière politico-linguistique du pays, cette langue
connaît au moins deux ramifications correspondant au pidgin-english
anglophone (dans les deux provinces anglophones du pays) et au pidgin-english
francophone (dans les provinces francophones et en particulier le Littoral,
l'Ouest et le Centre). Ce dernier puisque c'est lui qui nous préoccupe,
connaît son summum dans le département du Moungo, fief de
l'artiste musicien Lapiro de Mbanga qui est actuellement celui par qui la
diffusion de cette forme du pidgin a connu une expansion particulière au
Cameroun dans les années 1990, et en particulier par ses textes
revendicateurs, où se reconnaissent les couches de la population
identifiées comme le « bas peuple ». Soit
l'énoncé « ami donne-moi une pièce de cent
francs » ; il peut se traduire par « membre
gi mi pièce fo de » (énoncé en pidgin
francophone) ; ou bien « brother gi mi one
coin » (pidgin-english anglophone ». De même,
« mburu sep fo pe location no de » correspondrait
à « money sef fo pe rent no de »
(« il n'y a pas d'argent pour payer le loyer ».
Nous fondant sur des variations intralinguistiques, mais aussi sur des
considérations de locuteurs qui différencient ces deux formes par
un élément de caractérisation, nous pouvons affirmer que
ces deux formes de pidgin sont donc une réalité au Cameroun. Il
n'est pas rare d'entendre dire : « X parle pidgin comme un
anglo », ce qui suppose une manière de parler le pidgin
propre aux Francophones, et qui n'est donc pas celle des Anglophones. C. de
Féral (1989: 42-43) résume plus clairement cette variation :
«les réalisations phonétiques des locuteurs de la zone
Anglophone sont plus proches de l'anglais standard que celles des
Francophones»; elle ajoute encore plus loin que, «les degrés
de connaissance de l'anglais» feraient que «les Anglophones non
scolarisés parlent [...] une variété plus proche du P.E.F.
que les Anglophones scolarisés»; Dans la meme lancée, B.S.
Chumbow et A.S. Bobda (2000) présentent un Francophone Pidgin English vu
comme « the variety spoken by francophone Cameroonians (FPE) [which]
comprises several French words » (2000 : 55);.
* 32 Nous regrettons que
l'Etat ne fasse pas du francanglais comme des autres langues urbaines un objet
d'attention à la manière des langues officielles et dans une
moindre mesure celles locales. Pourtant ces idiomes sont assez importants dans
le processus de construction socio-identitaire et pourraient à certains
moments constituer des messages assez forts, des programmes de fonctionnement
social, économique et politique dont la prise en compte permettrait de
juguler dans une certaine mesure des problèmes sociaux tournant autour
de jeunes dont on n'ignore pas la fougue qui ont très souvent pris les
devant dans les mouvements de contestation sociale. En prenant en effet en
compte toutes les composantes écologiques, on garantirait de
facto la pertinence et la durabilité des programmes dans le sens du
développement social.
* 33 Nous
préférons le terme « pôles » à
la place de « variétés » communément
utilisé. L'avantage est que ce nouveau terme suppose des mouvements
d'attraction/répulsion vers l'un ou l'autre pôle de langue, lequel
fonctionnerait donc comme un aimant attirant quand les conditions s'y
prêtent et repoussant quand ce n'est pas le cas. Pour plus de
clarté, le francanglais cohabite avec plusieurs autres idiomes, lesquels
sont convoqués par les locuteurs selon des besoins ponctuels :
attribution ou refus d'identités, reconnaissance, entre autres. En
d'autres termes, « pôle » suppose des
frontières fluides et flexibles à la différence de
« variétés » qui nous paraît plus
rigide.
* 34 Il s'agit au fait de
passer d'une langue à l'autre selon le contexte. On parlera donc
d'alternance codique qui se présente comme une stratégie assez
efficace du bilingue.
* 35 Romuald n'est pas seul
à le dire. En effet, Louis bien que n'étant pas pro-francanglais
se sent parfois obligé de faire appel à cet idiome dans des
interactions avec les enfants de son voisin, ce qui lui a permis une fois au
moins, de régler un conflit familial. Douze de nos témoins
reconnaissent d'ailleurs l'importance de la pratique du francanglais dans la
réussite de gestion de conflits relationnels dans la
société.
* 36 Tu m'étonnes
* 37 Faire
* 38 Attendre
* 39 Montrer
* 40 Brimer
* 41 Sa belle soeur dans la
réalité.
* 42 Cameroon
Radio-Television.
* 43
« Français populaire africain », comprenant toutes
ces variétés de français attribués aux jeunes un
peu partout dans l'Afrique francophone, même si dans son texte, elle se
contente de deux variétés : le FPI en Côte d'Ivoire, et le
francanglais au Cameroun.
* 44 Nous tenons à
différencier ce mot de interethnique. Le dernier renvoie
à une élévation au dessus de l'ethnie, à une
situation de communication entre deux locuteurs détenant chacun une
langue ethnique qu'ils éviteraient d'utiliser, afin de faciliter la
communication. Pour ce qui est de l'extra-ethnique, nous pensons à une
situation de communication extérieure à toute
considération ethnique. La seule langue par rapport à laquelle
les locuteurs du francanglais se positionnent assez souvent est le
français déjà véhiculaire national.
* 45 Ceci nous fait penser
à l'homéostasie et donc au «principe hologrammique»
caractéristique de toute «pensée complexe» (Ph.
Blanchet, 2000 : 63). Le tout est en effet dans la partie qui est dans le
tout, la langue étant considérée comme une transformation
de transformations, du fait de la récursivité.
*
46 Terme qui se réfère à l'esprit
d'extraversion tant physique que mental, à ce qui est en marges des
frontières.
* 47 Entretien du 08/02/2007
avec un chef d'établissement secondaire de Yaoundé.
* 48 Violation sexuelle
exercée par plusieurs garçons sur une de leur camarade fille.
* 49 Expression qui
désigne pour les jeunes garçons un petite amie.
* 50 Entretien du 04/02/2007
avec le Proviseur du Lycée Bilingue de Yaoundé.
* 51 Entretien du
04 /02/2007 avec le Conseiller principal d'orientation du CES de Ngoa
-Ekelle.
* 52 Ce que nous
désignons ici par l'expressions de «chansonnettes de Sodome et
Gomorrhe » renvoient effectivement à ces chansons qui
décrivent l'esprit de notre société actuelle, qui la
reflètent parce que dites, reproduites et diffusées à
l'intention du grand public par la voie officielle de notre pays : radio
et télévision nationales. Les chansons en question sont dures
à entendre, grossières et insupportables quand on en
déchiffre le sens à travers une orchestration parfois trop
bruyante, qui masque des aspérités pernicieuses. Elles
véhiculent l'immoralisme et des obscénités. Cf. Hubert
Mono Ndjana : Les chansons de sodome et Gommorhe (Analyse pour
l'éthique), Yaoundé, Editions du Carrefour, 1999.)
* 53 Source :
inspiré de V. Nga Ndongo, revue et complété par P. Awondo
Awondo, dans Loisir et socialité à Yaoundé. Contribution
à une sociologie du ludique au Cameroun, mémoire de
Maîtrise en Sociologie, Yaoundé, FALSH/Département de
Sociologie-Anthropologie, 2004.
* 54 En effet, il faut dire
qu'un cortège de publicité a fini par aliéner
complètement les jeunes et a « unidimensionnaliser »
leurs comportements. Cette publicité a des effets beaucoup plus
néfastes sur les jeunes qui sont « de grands consommateurs de
films d'origine étrangère, de bandes dessinées et de
journaux sentimentaux, bref de ce que Jean Pierre Ndiaye appelle les
sous-produits culturels de l'Occident » (lire Valentin Nga
Ndongo : « La jeunesse camerounaise face aux
médias : une aventure ambiguë », in Annales de la
Faculté des Lettres. Université de Yaoundé, Volume 3,
n° 1, janvier, 1985.). le discours vestimentaire des jeunes, leur
engouement pour certaines idéologies (« faire comme en
Europe »), illustre cette porosité aux influences
extérieures, ces images de l'Occident, associées à la
précarité de leurs conditions de vie et à l'incertitude de
leur avenir dans leur pays rendent désormais la vie des jeunes
insupportables (Cf. Guillaume Manda Mvondo, « Conscience ethnique et
conscience nationale camerounaise », mémoire de Maîtrise
en Sociologie, Yaoundé, FLSH/Université de Yaoundé,
1988.
* 55 Footballeurs camerounais
et brésilien (respectivement) jouant à Barcelone, un club de la
division n°1 en Espagne.
* 56 les jeunes scolaires
camerounais aiment bien à se raconter les séries
télévisées de la veille.
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