Les compétences respectives des organes de sociétés commerciales en matière de rémuneration des dirigeants( Télécharger le fichier original )par Mounira BENHACINE Université paris 1 - Panthéon Sorbonne - Master 2 Recherche Droit des Affaires et de l'Economie 2008 |
Chapitre I : Champs de la compétence exclusive de l'assemblée généraleLe contrôle de la rémunération passe par une décision d'assemblée dans laquelle le dirigeant n'aurait pas à s'exprimer, en théorie. L'assemblée des porteurs de parts ou d'actions a tant une compétence exclusive, lorsqu'il s'agit de déterminer la rémunération des gérants de sociétés commerciales, quoique le principe ne soit pas aussi clair s'agissant des SARL par exemple (1) que lorsqu'il s'agit de déterminer les rémunérations des administrateurs et membres du conseil de surveillance (2). Section 1 : Dans la fixation de la rémunération des gérants de sociétéscommerciales La délibération d'assemblée générale qui détermine la rémunération d'un gérant non associé, ou associé minoritaire est moins suspectée de ne pas aligner les intérêts du dirigeant, sur celui des propriétaires que la délibération d'assemblée qui bénéficie à un dirigeant associé majoritaire, puisque ce dernier à la faculté de participer et de peser sensiblement sur la prise de décision. Devant ce conflit d'intérêt la jurisprudence a encadré de manière spécifique, la compétence exclusive de l'assemblée, quand cette dernière détermine aussi bien la rémunération des gérants de SNC (A), que de SARL (B) d'EURL (C) ou encore le gérant de SCA (D)
Aucune disposition légale ne prévoit les modalités de fixation des rémunérations des gérants de SNC. Les statuts peuvent donc soit préciser le mode de calcul de cette rémunération (rémunération fixe, proportionnelle aux bénéfices ou au chiffre d'affaires, ou mixte), soit en laisser le soin à une décision collective des associés prise à la majorité qu'ils déterminent. Dans ces deux cas l'assemblée des porteurs de parts jouit d'une compétence exclusive, dans la détermination des rémunérations, puisqu'elle s'exprime également « mais de manière anticipée » par la voie des statuts, lors de l'assemblée constitutive. Si le mode de fixation de la rémunération du gérant n'a pas été fixé par les textes, et s'il n'a pas été précisé que les fonctions seraient gratuites, il n'en reste pas moins que les tribunaux peuvent la déterminer eux-mêmes, au besoin après avoir ordonné une expertise1(*). Mais les juridictions de jugement n'étant pas des organes sociétaires, elles resteront en dehors du champ de notre étude, qui vise à cerner la compétence de chaque organe social, lors de la rémunération des dirigeants. S'agissant de gérant salarié, non associé, l'assemblée des porteurs de parts déterminera lors d'un vote la rémunération de ce gérant. Ce dernier est donc étranger à la décision, n'ayant pas le droit de vote lui permettant de peser sur la délibération future. Aucun conflit d'intérêt ne semble pouvoir entacher la procédure dans ce cas. La SNC, a cependant cette spécificité, qui fait de tous les associés des gérants et qui s'explique par la nature de sa structure familiale. Cependant les statuts pourraient en disposer autrement, comme le précise l'article L. 221-3 du code de commerce, ci-après le code. Et bien que ce cas de figure soit assez rare dans la pratique, il amène bien des questions et on est tenté de se pencher sur cette assemblée d'associé, organe sociale à double casquette, puisque en son sein, se confond parfaitement les propriétaires, organe dont émane la norme, et les gérants organe exécutif de la société, chargés de mettre en oeuvre la politique des associés. Comment dans ce cas, l'assemblée des associés peut elle déterminer la rémunération de chacun des gérants, sachant que chaque associé est intéressé Faut-il exclure le gérant de la participation au vote fixant sa rémunération ? oui Les textes ne nous renseignent pas sur les conséquences de cette spécificité et à vrai dire la doctrine s'est assez peu prononcée sur le sujet, peut être parce que malgré tout, cette confusion des organes reste assez théorique. Les dispositions relatives aux sociétés en nom collectif étant applicables aux sociétés en commandite simple, ces sociétés sont confrontées à la même problématique, autour du fondement de la rémunération des gérants associés. Les mêmes questions se sont posées avec encore plus de subtilité s'agissant des gérant de SARL. La jurisprudence, la première n'a pu s'accorder sur une réponse définitive, quant à la participation au vote du gérant associé majoritaire, nous contraignant ainsi à suivre un processus permanent de tâtonnement, pour savoir si le fondement institutionnel de la rémunération des gérants de SARL, ne devrait pas basculer vers un fondement conventionnel.
A priori et même si les textes régissant les sociétés ne contiennent aucune disposition relative à la rémunération des gérants de SARL, la situation ne semble pas complexe pour autant. Les fonctions normalement rémunérées, peuvent même être exercées à titre gratuit, mais cette option n'est pas sans inconvénients. La rémunération du gérant est donc fixée soit par les statuts, qui se révèlent être dans la pratique une solution peu commode, chaque actualisation impliquant inévitablement des modifications statutaires, soit par une décision collective des associés réunis en assemblée générale, ou encore, cas extrême, par un tribunal, si l'assemblée s'abstient de fixer la rémunération du gérant. Mais seuls les cas où l'assemblée générale, fixe la rémunération, nous intéressent ici : La décision relève des attributions de l'assemblée générale ordinaire ou extraordinaire des associés. Les modifications ultérieures de cette rémunération ne nécessitent alors qu'une simple décision prise aux mêmes conditions de majorité. Pour comprendre de quelle manière l'assemblée générale attribue un traitement au gérant, il convient de connaître la nature de la décision fixant la rémunération du gérant. Plusieurs questions se posent à ce sujet. S'agit- il d'une décision unilatérale de l'assemblée générale ou, au contraire d'une convention liant cet organe avec le dirigeant ? Et dans ce deuxième cas, la fixation de la rémunération du gérant est-elle une décision courante à condition normale, ou au contraire faut-il la soumettre à la procédure de contrôle des conventions réglementées ? Et enfin le gérant associé peut-il prendre part au vote, pour la fixation de sa propre rémunération ? La question est largement débattue pour ne pas dire controversée ! Tout dépend de savoir si la détermination de la rémunération constitue ou pas une convention règlementée au sens de l'article L. 223-19 du code ; Les textes étant muets, nous avons toutes les raisons d'hésiter quant à la qualification juridique de cette rémunération, entre deux théories qui s'opposent : conventionnelle ou institutionnelle. Historiquement les sociétés ont longtemps été établies comme des institutions préréglées et les associés n'avaient d'autre alternative que de se soumettre au régime juridique de la société qu'ils avaient choisi. Mais depuis une trentaine d'années, la thèse institutionnelle aurait perdu du terrain au profit d'une approche plus contractuelle de la société. La réalité juridique est, toutefois loin d'être aussi tranchée, le véritable enjeu étant aujourd'hui, de favoriser le système juridique, le plus à même d'éradiquer les conventions contraires à l'intérêt de la société, tout en motivant ses dirigeants. Il apparaît donc de plus en plus, sous l'impulsion des idées du gouvernement d'entreprise que la réalisation de cet impératif ne se soucie guère du clivage entre théorie institutionnelle et contractuelle.
Cela, d'autant plus qu'en ce qui concerne les SARL, la jurisprudence a semble-t-il quelques difficultés à définir de manière précise, la base des règles de fixation des rémunérations des dirigeants. Conventionnelle ? (1), ou institutionnelle ? (2)
La théorie selon laquelle la rémunération présente un caractère conventionnel distingue deux cas de figure : Ø Soit la convention est libre et échappe à la procédure de contrôle des conventions règlementées. Elle porte sur une opération courante à des conditions normales et n'est donc pas suspecte. Elle sera en conséquence conclue sans vote et relève ainsi de l'article L. 223-20 du code. Cette position a été adoptée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 25 Janvier 20072(*). La notion de conditions normales suppose que les mêmes conditions s'appliquent pour n'importe quel gérant. Ce sont des conditions identiques à celles demandées à toute autre personne contractant avec la société. Une fois encore, les critères de comparaison, passeront par l'étude des conditions de prix habituellement pratiquées par la société ou par d'autres sociétés de taille similaire dans le même secteur d'activité. Mais pas seulement. D'autres éléments du contrat telles les garanties accordées, les modalités et délais de paiement, les pénalités etc, sont autant d'éléments permettant de déterminer le caractère normal des conditions de la convention libre. La construction simple en apparence des conventions libres est aisée à analyser. Elle laisse cependant des questions en suspens : Lorsque la rémunération du gérant a été accordée à des conditions normales, sa modification, surtout son augmentation est-elle soumise à la procédure de contrôle des conventions réglementées ? De toute évidence, la jurisprudence observe sur ce point la plus grande prudence, quant à son interprétation. Dans le doute sur les critères de normalité de la convention, il est préférable de soumettre la convention entre le gérant et la société à une procédure d'autorisation préalable. Ce qui peut mettre le gérant à l'abri en cas d'octroi de rémunération jugée excessive, ou de conflit avec les associés minoritaires, d'une faute de gestion ou pire, d'un abus de biens sociaux ! Ø Ainsi lorsqu'elles n'entrent pas dans la catégorie de conventions libres, toutes les opérations susceptibles d'être réalisées entre le dirigeant et la société sont qualifiées de conventions réglementées (mise à part les conventions interdites), conclues à des conditions fixées par l'assemblée générale. Soumises à une procédure particulière d'autorisation, seules, les conventions réglementées portant sur la rémunération du gérant, retiendront notre attention ; Car notre étude porte sur les outils que possède l'assemblée des associés, donc l'organe propriétaire de la société, pour s'assurer qu'un gérant qui a les pouvoirs les plus étendus, ne soit pas en mesure de s'octroyer seul sa rémunération. Et surtout comment exercer ce contrôle sur un gérant, associé majoritaire ? L'article L. 223-19 du code de commerce instaure un système qui pourrait justement répondre à ces préoccupations. Puisque la convention (conclue) portant sur la rémunération devra être approuvée a posteriori par la collectivité des associés, le gérant ne prenant pas part au vote. Toutefois il n'existe aucune disposition impérative soumettant la décision qui fixe la rémunération d'un gérant à une procédure définie. Et c'est là que se trouve, le véritable noeud juridique qui fragilise aujourd'hui certaines décisions attribuant les rémunérations des gérants de SARL, et auquel la jurisprudence a du mal à apporter une réponse unique et définitive. Comment savoir s'il faut soumettre la rémunération du gérant au contrôle des conventions réglementées ? Lorsque ce n'est pas le cas, un associé majoritaire dirigeant, peut participer au vote et ses parts sociales sont prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, lors du vote pour la fixation de sa rémunération. Ce qui lui permet de participer à la prise de décision qui déterminera sa rémunération et qui équivaut dans certains cas à une quasi auto fixation de sa rémunération. Même s'il est généralement admis que le gérant n'a pas le pouvoir de déterminer lui-même sa rémunération.3(*) C'est pourquoi, une partie de la jurisprudence considère que le système de contrôle des conventions réglementées, devrait s'appliquer aux décisions fixant la rémunération des gérants de SARL. Ce régime favorisant le contrôle des associés ! Bien qu'il ne soit pas inutile de s'interroger sur son efficacité dans la pratique, puisque les conventions non approuvées, produisent quand même leurs effets et que la loi précise que « le gérant contractant devra supporter les conséquences du contrat préjudiciable pour la société », on peut se demander s'il ne faut pas voir ici une volonté du législateur de confier à l'associé majoritaire, le pouvoir de fixer sa propre rémunération à ses risques et périls ? Quoiqu'il en soit le ministre de la justice s'est prononcé en faveur de l'application de ce régime à maintes reprises.4(*) La cour de Versailles, se référant à l'importance de la rémunération semble avoir pris la même position5(*), et cette même qualification a été adoptée plus récemment aussi bien par la cour d'appel de Caen6(*), que par la cour d'appel de Paris7(*). Finalement la résolution déterminant la rémunération du gérant va devoir être approuvée a posteriori par l'ensemble des associés, le gérant ne prenant pas part au vote car le conflit d'intérêt est en effet manifeste ! Mais malgré cette manifestation, criante du conflit d'intérêt, nous avons pu constater que dans un intervalle très court soit la même année, la cour d'appel de Paris s'est contredit, et est revenu sur la position qu'elle avait adoptée à peine quelques mois plus tôt. Il est difficile dans ces conditions de comprendre, ce revirement, qui rend la jurisprudence fluctuante sur cette question. Mise à part, l'hypothèse où le gérant est une personne extérieure à la société, c'est-à-dire un tiers non associé, ici la qualification de convention réglementée ne fait aucun doute, hormis le cas où la décision déterminant la rémunération serait considérée comme une opération courante, ce qui paraît pour le moins contestable8(*). Ainsi une partie de la jurisprudence voit dans le système de contrôle des conventions réglementées, un mode d'attribution de rémunération des gérants, réducteur du conflit entre les intérêts privés d'un gérant et ceux de la société. Et répond par la négative à la lancinante question de savoir si le gérant pouvait prendre part au vote de sa rémunération. Mais la cour de cassation en 1989, en a décidé autrement.9(*) Pour elle, lorsqu'une SARL accorde dans des conditions normales au gérant des gratifications, qui font partie de sa rémunération ; ce n'est pas une convention réglementée. La cour d'appel de Chambéry va dans le même sens.10(*) Au silence du code de commerce, s'ajoute l'absence de consensus de la jurisprudence. Fait- elle de la rémunération du gérant une décision d'assemblée générale, soumise à la procédure des conventions réglementées ou découle-t-elle d'une décision unilatérale des porteurs de parts, fondée sur le caractère institutionnel de la fonction de gérance ?
Rappelons qu'elle est établie sur le principe selon lequel la rémunération attribuée au gérant de SARL découle de la nature même de sa fonction reconnue par la législation. La cour de cassation semblait se rapprochait de cette position, dans un arrêt du 30 Mai 1989 puisqu'elle considérait que « La décision de l'assemblée des associés d'une SARL accordant dans des conditions normales au gérant des gratifications, qui font partie de sa rémunération, ne constitue pas une convention règlementée »,11(*) ce qui la ferait échapper aux dispositions de l'article L. 223-19 du code ; Dans ce cas, la rémunération est préalablement déterminée par la collectivité des associés, et le gérant majoritaire peut prendre part au vote qui détermine sa rémunération Toutefois la doctrine estime, pour des raisons liées à la procédure que cet arrêt ne pouvait être considéré comme une solution définitive. En revanche, si nous devions tenir compte, à l'instar d'une partie de la doctrine, de la nature institutionnelle des fonctions du gérant de SARL dont la rémunération n'est que le pendant, il semblerait que la détermination de la rémunération du gérant ne soit pas soumise à la procédure des conventions règlementées au sens de l'article L. 223-19 du code. Car c'est la même assemblée de porteurs de parts qui se trouve en amont et en aval de la décision. En effet le contrôle dans la procédure des conventions règlementée intervenant a posteriori, par décision collective des associés, on conçoit difficilement comment il pourrait s'exercer de manière efficiente alors que la fixation de la rémunération provient de cette même collectivité des associés. Soumis à la même logique, et surtout aux mêmes procédures, les compléments de rémunération qui pourraient être attribués au gérant, et devant être fixés par décision collective des associés souffrent également de ce discrédit. La cour de cassation n'ayant pas tranchée d'une manière non équivoque entre ces deux théories, une partie de la doctrine considère qu'il est prudent de soumettre la résolution fixant la rémunération du gérant à la procédure de contrôle des conventions règlementées et d'écarter le gérant du vote. C'est d'ailleurs la solution adoptée par la chancellerie ; le conflit d'intérêt étant flagrant ! Devant de telles incertitudes jurisprudentielles, sur la question de savoir si le gérant doit être écarté ou pas du vote, concernant sa rémunération, d'aucuns imaginent une intervention législative reconnaissant à l'assemblée générale des associés le pouvoir de déterminer la rémunération du gérant, tout en lui interdisant de prendre part au vote. De récentes réformes semblent se rapprocher de cette voie, toutefois la doctrine n'envisage pas la possibilité d'une disposition statutaire écartant le gérant du vote fixant sa rémunération. Ainsi les contradictions des cours d'appel et cette incapacité à choisir de manière certaine entre un fondement conventionnel ou institutionnel de la rémunération du gérant de SARL, laissent apparaître les contours d'une solution à envisager ; dans le sens de l'exclusion du vote, du gérant concerné, surtout lorsqu'il n'y a pas de séparation entre la fonction de propriété et de décision ! Encore faut il savoir sous quelle forme et dans quel support, législatif ou statutaire, une telle disposition pourrait être envisagée. En somme, en l'état actuel des choses, la rémunération d'un gérant de SARL peut être fixée par le gérant lui-même, sans aucun contrôle, lorsque cette décision présente les caractéristiques d'une opération courante. Cette option peut exposer la décision à des contestations. Dans ce cas le gérant, est l'organe exclusivement compétent dans la détermination de la rémunération. Autre alternative, cette rémunération peut faire l'objet d'une convention, entre le gérant et la société, mais celle-ci devra faire l'objet d'un contrôle postérieur à sa conclusion. En pratique, les associés statuent sur ce rapport lors de l'assemblée annuelle d'approbation des comptes. Le gérant ne pouvant prendre part au vote, lors de ce contrôle, l'assemblée générale s'exprimant sans le concours de l'intéressé est exclusivement compétente dans la détermination de cette rémunération. De même que l'assemblée générale est exclusivement compétente, lorsque la rémunération a un fondement institutionnel, puisque seuls les porteurs de parts délibèrent sur ce point. Et cette compétence ne nous semble pas diminuer lorsque cette rémunération concerne un gérant associé, et que dans ce cas de figure, le gérant participe au vote fixant sa rémunération. Car c'est en sa qualité d'associé et non de gérant qu'il prend part à cette délibération. Mais en l'absence de jurisprudence claire sur ce point, il est préférable de retenir, par précaution, la règle de la majorité des votants hors gérant associé. Ces solutions légales coexistent donc tant que la cour de cassation ne tranchera pas la question. Cependant la commission des études juridiques applique le principe de précaution et invite à la prudence par l'application de la procédure des conventions réglementées. Une certitude demeure, c'est que la compétence de l'assemblée générale dans la détermination de la rémunération du gérant, n'est pas entamée par le pouvoir des juges, même s'il est possible d'y avoir recours pour fixer la rémunération du gérant. En l'absence de toute décision relative à la rémunération des gérants, les tribunaux peuvent la déterminer eux-mêmes, au besoin après avoir ordonné une expertise12(*). Dans le cas où le gérant de la SARL se trouve dans l'impossibilité d'obtenir une décision modifiant sa rémunération, ou que l'assemblée générale fixe une rémunération trop faible13(*), il peut estimer qu'il est l'objet d'un éventuel abus de majorité14(*), et demander la fixation par voie de justice. Il est à souligner cependant que l'intervention du juge en la matière est assez rare, en effet lorsqu'il existe une décision de l'assemblée générale fixant la rémunération du gérant, les juges ne se considèrent pas compétents pour substituer leur évaluation à celle de l'assemblée générale des associés, mieux encore si cette décision a été prise régulièrement, et dans les conditions requises par la loi, elle ne peut être révisée et remise en question par décision de justice15(*). L'attitude des juges est-elle similaire, s'agissant des EURL ? Nourrissent-ils les mêmes réticences pour apprécier, les décisions émanant d'un gérant associé unique d'une EURL ? Les problèmes se posent de manière différente dans les EURL, même si son schéma organisationnel est calqué sur celui des SARL.
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée est une variante simplifiée de la SARL dans laquelle l'associé unique exerce les pouvoirs dévolus à l'assemblée des associés dans les SARL classiques, ainsi que le prévoit l'article L. 223-1 du code. C'est donc l'associé unique, qui a le pouvoir de se prononcer, par des décisions unilatérales, sur tout ce qui relève des attributions des associés de SARL, et notamment sur la rémunération du gérant. Celui-ci peut être l'associé unique lui-même ou un tiers, la gérance pouvant d'ailleurs être confiée à plusieurs personnes. Lorsque l'associé unique n'est pas le gérant, les dispositions générales concernant les conventions dans les SARL s'appliquent à l'EURL. Si l'associé unique est une personne morale (société, association...), ce qui est possible, l'article L. 223-18 du code précise que la gérance est obligatoirement exercée par un tiers car seules les personnes physiques peuvent assurer cette fonction. Dans le cas, le plus fréquent, où l'associé unique est lui-même gérant, il a intérêt à s'attribuer une rémunération en cette qualité. De la sorte il évitera toute confusion entre son patrimoine propre et celui de la société, ce qui lui permettra de justifier les prélèvements qu'il opère pour son compte personnel sur les biens sociaux.
Cependant, cette situation où l'associé unique de l'EURL fixe sa propre rémunération, créera inévitablement un conflit d'intérêt puisque il y aura opposition directe entre l'intérêt social d'une part et ses intérêts personnels d'autre part16(*). S'expose-il alors à une condamnation pour abus de bien sociaux ? La chambre criminelle17(*) a jugé que les peines sanctionnant les délits commis par les gérants de SARL étaient applicables aux EURL, il ressort de cette jurisprudence que le gérant d'une EURL, peut donc être condamné pour abus de bien sociaux. En effet, le fait que le gérant associé soit unique ne constitue nullement une garantie, de bonne gestion des biens de l'EURL. Ce dernier a la possibilité à travers cette société de s'enrichir personnellement tout en menant sa société à la faillite. La vie de la personne morale est dans ce cas menacée, mais plus grave elle peut devenir source de préjudice pour les tiers de bonne foi (banques, fournisseurs, clients, etc...). C'est pourquoi, il parait nécessaire pour assurer une validité aux opérations du gérant associé unique de préciser sur le registre prévu à l'article L. 223-19 al. 3 la nature de l'opération, les conditions financières, les modalités de paiement et toute indication permettant de connaître les conditions particulières de réalisation ! A plus forte raison lorsque cette opération porte sur sa propre rémunération ! Même si ces opérations constituant des conventions ne peuvent être approuvées et que légalement, Il n'y a pas lieu de faire établir un rapport spécial, ni par le gérant, ni même pas le commissaire aux comptes, elles doivent faire l'objet d'une mention au registre des décisions sociales. Bien qu'aucune précision n'ait été apportée sur le contenu de cette mention obligatoire. Telle une pathologie juridique, le reproche de décisions irrégulières peut toucher absolument tous les types de sociétés aussi simple et basique soit sa structure sociale, à l'instar de la société en commandite par actions.
De même que pour les autres types de sociétés commerciales, rien ne s'oppose à ce que les fonctions du ou des gérants des SCA ne soient pas rémunérées. Cependant il y a lieu de préciser que la gérance rémunérée est la règle, et le montant du traitement des gérants peut être fixé par voie statutaire. Ce procédé est toutefois souvent déconseillé du fait que toute actualisation de la rémunération nécessitera inévitablement une modification des statuts. Lourdeurs supplémentaires dans ce cas ; tous revenus, autre que ceux prévus par les statuts, ne peuvent être alloués au gérant, sauf clauses contraires des statuts qu'après réunion de l'assemblée générale ordinaire des commandités votant à l'unanimité, tel que l'article L. 226-8 du code le précise. Avec un tel schéma, force est de constater que la question de la participation au vote du gérant commandité, sur sa propre rémunération se pose avec la même acuité que pour les gérants de SARL. Comme pour les SARL, pour parvenir à une réponse, il faut s'inscrire dans une recherche autour des fondements de la rémunération ! Cette dernière est-elle fixée à la suite d'une procédure de contrôle des conventions réglementées au sens de l'article L. 223-19 du code ou pas ? Il semblerait que la rémunération du gérant commandité de la SCA, ne soit pas soumise à la procédure de contrôle des conventions règlementées. En effet, il serait presque contradictoire d'admettre qu'il faille déclencher la procédure de contrôle des conventions règlementées, visée par l'article L. 223-19 du code, alors que ce contrôle intervient a posteriori, par une décision collective des associés. La jurisprudence en matière de SNC est inexistante, quant à celle relative à la rémunération des gérants de SARL, à laquelle on pourrait éventuellement se référer, elle demeure très instable. C'est pourquoi il est recommandé, d'écarter le gérant commandité du vote de la résolution concernant sa propre rémunération : le conflit d'intérêt étant toujours aussi manifeste. Il est toutefois une matière où l'ombre du conflit d'intérêt ne semble pas planer sur les délibérations ; Lorsque l'assemblée générale délibère et fixe la somme annuelle à titre des jetons de présence des administrateurs. * 1 CA Paris, 17 Févr. 1965 : Gaz. Pal. 1965, I, p. 305. * 2 CA Paris, 3e ch. B, 25 Janv. 2007, n° 05-24853, Chabot c/ SARL In Time. * 3 Cass. Com., 12 Mars 1974 : Gaz. Pal. II, 1974, 2, p. 662. * 4 Rép. Lebas n° 4274, JO 4 Avr. 1969, AN p. 869, rép. Sergheraert. * 5 CA. Versailles, 20 Sept. 1990 : Bull. Joly 1990, p. 1051 ; CA. Versailles, 12 Sept. 2002 : Bull. Joly 2003, p. 57. * 6 CA Caen, 1re ch. civ., 23 janv. 2007, SARL Peri Repro c/ AGF La Lilloise, Dr. Sociétés n° 3, Mars 2008, note J. Monnet. * 7 CA. Paris, 3e ch., sect. B., 6 Déc. 2007, Bondi c/ Boutros : Rev. Dr Sociétés, n° 5, Mai 2008, comm. 103, note J. Monnet. * 8 Cass. Com., 28 Juin 1988, n° 87-11.628, P : JurisData n° 1988-001889 ; Dr. sociétés 1988, comm. 251. * 9 Cass. Com., 30 Mai 1989, n° 87-18083. * 10 CA Chambéry, 27 Nov. 2001, Dr. Sociétés, LexisNexis, 2002, n° 219. * 11 Cass. Com., 30 Mai 1989, Nazarian c / SARL Massis : JCP 1990, II, n° 21405 note, Marteau-Petit. * 12 Cass. Com., 13 Juin 1977 : Bull. civ., IV, n° 167 ; CA Versailles, 20 Sept 1990 : Bull. Joly 1990, p. 1051. * 13 Cass. Com., 11 Janv. 1972 : D. 1972, p. 559, note Ch. Orango. * 14 Ca. Versailles, 20 Sept. 1990 : Rev. Sociétés 1991, p. 80, note CI. Roca. * 15 Cass. Com., 11 Janv. 1972 : Bull. civ. IV n° 19. * 16 D. Schmit, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Joly éd., 2004. * 17 Cass. Crim., 14 Juin 1993, Bull. Joly 1993, p. 1139, note B. Saintourens. |
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