2 LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Cadre opératoire
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p. 23
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Tableau 2 : Les profils de quelques
élites maï maï de Bafwasende
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p. 77
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Tableau 3 : Les élus de la guerre de 1996
à Kisangani
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p. 88
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Tableau 4 : Les différentes élites
de la guerre du RCD en Province
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Orientale
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p. 91
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Tableau 5 : Les élites de la guerre du
RCD-N
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p. 98
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Tableau 6 : Les élites de la guerre du
MLC
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p. 100
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Tableau 7 : Quelques élites dominantes de
l'Ituri en temps de guerre
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p. 102
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Tableau 8 : Quelques autres élites des
guerres de l'Ituri
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p. 104
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INTRODUCTION
0. 1. Etat de la question
Les sociétés africaines, fruit d'une hybridation
complexe d'éléments endogènes et exogènes, - les
sociétés traditionnelles, la colonisation et le contact avec la
modernité -, sont des réalités politiques sujettes au
dynamisme politique et ne sont contenues par aucune forme d'immobilisme. Comme
l'ont souligné Jean-François Bayart et alii1, «
«les dynamiques du dehors» ne sont pas vraiment séparables de
celles «du dedans» et l'Etat postcolonial est produit à leur
point d'interférence. L'Etat africain étant le fruit de
l'hybridation et de la modernisation.»
L'Etat congolais emprunte, à la lecture de Maindo Monga
Ngonga2, à la fois, au modèle occidental et aux modes
de domination spécifiques africains ; notamment l'expression des
rapports de pouvoir en termes de parenté ou de la domination ancestrale
des «aînés» sur les «cadets». L'Etat ressemble
à un grand clan. Il est perçu comme un lieu
d'accumulation et de
redistribution des richesses permettant aux «
aînés » d'un même clan de satisfaire les revendications
de leurs «cadets» tout en conservant leurs privilèges. Ce
signifiant ou cet imaginaire de l'Etat, et donc de son pouvoir, crée des
formes insoupçonnées et inédites de la circulation des
élites politiques en compétition.
La guerre semble devenir moins une rupture de cette jonction
qu'une exacerbation des antagonismes au sein des groupes dominants, voire entre
groupes dominants et dominés, pour saisir « l'opportunité
étatique », les ressources s'étant considérablement
amenuisées.
L'Etat reste perçu comme un lieu d'accumulation et de
distribution des richesses (...)3 La construction/formation de
l'Etat s'est faite et se poursuit en RDC sur les modes de la prédation
et du pillage des ressources4. La violence a joué et joue
encore
1 J.F., Bayart et alii. , Le politique par le bas en Afrique:
contribution à une problématique de la démocratie,
Paris, Karthala, 1992, p. 14.
2 Maindo Monga Ngonga, L'Etat à l'épreuve de
la guerre : violences et reconfiguration des pouvoirs en République
Démocratique du Congo, Thèse de Doctorat en
Science Politique, Université Paris I-Panthéon, SORBONE, mars
2004, p. 50.
3 Ibidem., p. 19.
4 Idem
un rôle structurant dans les rapports entre dirigeants
eux-mêmes et entre dirigés eux mêmes d'une part, et entre
dirigeants et dirigés d'autre part.
Depuis son accession à la souveraineté nationale
et internationale, la République Démocratique du Congo (RDC), est
le théâtre de recommencement politique et de perpétuelle
remise en cause de la légitimité des gouvernants.
La Province Orientale est l'une des provinces de la RDC les
plus marquées par la récurrence de cette violence contre l'Etat.
La violence politique a modelé et continue à modeler l'espace
politique au point d'y générer des formes, permanences et
imaginaires internes de mobilité politique. L'espace politique de cette
province est comme reconfiguré par la guerre5. L'année
1997 inaugure, pour la période en étude, la longue chaîne
de la violence dans cette province où l'issue des négociations
politiques semble avoir été la fin de la guerre et des conflits
armés, du moins en termes de récurrence et
d'intensité6.
La Province Orientale est soumise, entre 1997 et 2003,
à plus d'une administration de fait des pouvoirs militaro-politiques de
l'AFDL, du RCD, du MLC et des différents groupes armés ethniques,
etc. sous la «manipulation» rwandoougandaise. Une histoire
récente caractérisée par l'entrée en jeu des
«nouvelles élites politiques et l'assaut de l'arène
politique par de nouvelles figures et de nouveaux acteurs issus de divers
horizons et ayant, vraisemblablement, parcouru des trajectoires sociopolitiques
différentes et divergentes ainsi que de la survivance des
anciens7
Guerres, rébellions, conflits armés interethniques
et «privatisation de la violence» y ont nourri l'histoire et la vie
politique depuis plus de quatre décennies.
Malgré les tournants politiques et les divers slogans
propagandistes des
5 La guerre doit être comprise dans ce travail comme
phénomène sociopolitique, «...continuation des relations
politiques avec l'appoint d'autres moyens (violents et armés
ajoutons-nous)». Voir à cet effet : C., Von Clausewitz, De la
guerre, (1832) Traduction française, Paris, édition de
Minuit, 1955, p.703 cité par P., Laubier, Introduction à la
sociologie politique, Paris, Masson, 1983, p.170.
6 Car, la violence en soi n'a pas totalement pris fin. Elle
continue, bien sûr à travers certaines poches de tension des
résurgences de la violence dans les districts de l'Ituri, du
Haut-Uélé et du Bas-Uélé par la présence
aussi des forces rebelles étrangères (NALU, LRA, par exemple)
etc.
7 Il n'est pas notre propos ici de faire une étude sur
les mécanismes de la survivance et les comportements de
««retournement» de vestes», c'est-à-dire de
changement de camps et de vagabondage politique des acteurs politiques de la
Province Orientale. Mamiki Kebongo Bongo, Transhumance des élites
politiques de la Province Orientale et la recomposition de l'espace politique
en Province Orientale (RDC). 1998 à 2008, Mémoire de DES,
sous presse, FSSAP, UNIKIS, s'est penché sur ce fait.
différents mouvements rebelles dans le sens de la
«révolution»8 et de la
«correction»9, les groupes sociaux «
détenteurs de l'Etat » ont toujours, de manière
significative, tiré profit du tournant pour rebondir et reproduire leur
domination10. D'où toute la nécessité de tenir
compte de l'histoire et des apports d'acteurs politiques locaux dans la
création du politique, comme le souligne Achille Mbembe11,
une meilleure intelligence de la mobilisation politique doit être
recherchée du côté des terroirs historiques. Nous tentons
d'opérer une relecture de la quotidienneté de l'action politique
des élites agissant dans leurs rapports internes.
Car, il est passionnant d'observer les conditions d'apparition
des individus qui ont forgé et qui forgent l'histoire et de
découvrir l'accord entre les appels du temps, les
nécessités du moment et l'arrivée de ces acteurs au
pouvoir. Nous pouvons comprendre ainsi à la fois les circonstances qui
ont fait l'homme comme (ici) la violence politique (les conflits armés
divers et la guerre...)12 et l'homme qui a conduit le
destin13. Ainsi que n'a cessé d'affirmer Alain
Touraine14 : « [.. .] il n'y a ni fatalité, ni
nécessité historique, mais des acteurs qui construisent
l'histoire et produisent la société. La production de la
société se réalise ainsi au travers des conflits qui
s'organisent entre deux acteurs centraux et dont l'enjeu est
l'historicité. Celle-ci est définie comme la capacité
d'une société d'intervenir sur son propre fonctionnement, de
produire ses orientations normatives et de construire ses pratiques à un
moment donné de son histoire [...]. »
8 L'AFDL a toujours clamé que sa lutte fut une
révolution des masses populaires lassées par les décennies
de dictature de Mobutu. Ceci est une forme de justification de l'action
rebelle. En réalité, cette lutte ne peut être
considérée de révolution mais, plutôt de «
rébellion - agression ».
9 Le RCD à son tour a justifié son entreprise
rebelle dans le sens d'une action de correction de la gouvernance, au moins de
la mauvaise gouvernance, de Laurent-Désiré Kabila. La guerre du
RCD est donc présentée par ses leaders comme une «
rébellion - correction » ou « rébellion - rectification
».
Toutes ces rébellions - agressions prétendaient
vouloir changer les choses pour faire mieux dans le sens de la bonne
gouvernance.
10 J. F., Bayart, et alii. Op. Cit. p.
20
11 A., Mbembe, in J. F., Bayart et alii. Idem
12 C'est nous qui le précisons.
13 R., Rezsohazy, Pour comprendre l'action et le changement
politiques, Louvain-La-Neuve, Duculot, 1996, p.112.
14 M., Jacquemain, B., Frère (sous la dir. de),
Epistémologie de la sociologie. Paradigmes pour le XXI
siècle, Bruxelles, De Boeck, 2008, pp. 69-71.
A. Quelques études congolaises sur les élites
politiques
Les pays en voie de développement fournissent en effet
un laboratoire extraordinaire à l'étude du rôle de diverses
élites : élites politiques, économiques, bureaucratiques,
idéologiques et à l'analyse des rapports entre les élites
anciennes et les élites nouvelles. Les transformations en cours dans ces
pays et le rythme de ces transformations favorisent l'apparition de nouvelles
élites, avec tous les conflits qui peuvent résulter de la
superposition d'élites de différentes origines et de tendances
idéologiques plus ou moins opposées.
Les études scientifiques sur les élites
politiques de la République Démocratique du Congo demeurent
à ces jours peu nombreuses. Ce domaine (des travaux sur les
élites politiques congolaises) de recherche est encore inexploré
en RDC.
L'étude la plus connue est assurément celle de
Omasombo Tshonda & E., Kennes15, qui porte sur la biographie de
certaines élites congolaises ayant participé aux institutions de
la Transition issue de l'accord global et inclusif de 2003. Cette étude
ne pose aucune analyse sur les habitudes et comportements des élites
politiques congolaises ; moins encore, ne prend en compte que les élites
«nationales». La Biographie des acteurs de la Transition
fournit des informations intéressantes sur la trajectoire
socioprofessionnelle, l'origine ethnique ainsi que le caractère
personnel de chaque opérateur politique répertorié.
Domaine inexploré, pourtant chargé
d'intérêt scientifique, l'analyse des élites politiques en
tant qu'objet multidisciplinaire a bénéficié, sans nul
doute, de cet ouvrage qui est avec évidence, l'amorce d'une exploration
scientifique qui se profile féconde et abondante en science
politique.
Cette étude porte sur la transition postconflit allant
de 2003 à 2006, c'est-à-dire, de l'Accord Global et Inclusif de
Sun City à la mise en place des institutions actuelles issues des
élections.
Etukumalo Inola16, jetant un regard
rétrospectif sur l'élite politique de la
15 Omasombo Tshonda & E., Kennes, République
Démocratique du Congo, Biographie des acteurs de la Transition
(juin2003-juin2006), Kinshasa-Tervuren-Lubumbashi,
CEP-MRAC-CERDAC, 2006.
16 Etukumalo Inola, Genèse et développement de
l'élite politique de la Province Orientale : de l'origine à
1960, Mémoire de DES (inédit), FLSH, UNIKIS, année
académique 2006-2007.
Province Orientale, a cherché à découvrir
l'incidence des dissensions politiques de l'élite politique de la
Province Orientale sur les enjeux politiques au niveau national, centre des
décisions importantes de la RDC.
Percevant l'élite politique de la Province Orientale
sous son optique individualiste, il a tenté de la placer devant ses
responsabilités en tant qu'opérateur politique sur la
scène politique. Ainsi, les responsabilités politiques de cette
entité peuvent être saisies à travers les individus
isolés ayant modifié ou influencé, d'une manière ou
d'une autre, le cours des événements historiques de la Province
Orientale dans sa globalité en tant qu'entité
politico-administrative. Il en a dégagé individuellement la
responsabilité de chaque acteur politique, devant l'histoire et devant
la scène politique de l'entité Province Orientale. Abordant la
dimension historique basée sur le collectif, l'auteur a
appréhendé le rôle de l'élite politique dans les
efforts communs ou concertés d'un groupe d'acteurs politiques, efforts
perçus globalement, dans le sens des responsabilités
partagées, et dont dépend le cours de l'histoire politique de la
Province, et à travers elle, celle du pays tout entier.
Cette étude a le mérite d'avoir tenté
d'établir la genèse de l'élite politique et son
implication dans la lutte pour la décolonisation de la RDC. Mais, se
refusant de rentrer dans le débat conceptuel sur l'élite,
l'auteur semble n'avoir pas, dans son étude, rapproché cette
réalité sociopolitique avec la notion du pouvoir, laquelle, du
reste, lui aurait donné la connotation politique de son analyse au
travers l'approche historiciste (L'historicisme est « une tendance
doctrinale considérant toute connaissance, toute pensée, toute
vérité, toute valeur liée à une situation
historique déterminée, et préférant l'étude
de leur développement plutôt que celle de leur nature propre
»17. Le philosophe Karl Raimund Popper18 en est le
plus célèbre critique. Ce dernier (historicisme) prétend
dégager des lois scientifiques qui commandent à l'histoire et
dictent notre politique. Il a manqué, parlant de l'élite
politique, il nous faut remarquer, d'en présenter la trajectoire
sociopolitique.
17
Http://www.wikipedia.org/wiki/Historicisme,
consulté à Kisangani, le 2 septembre 2009.
18 Lire à cet effet, K., R., Popper, Misère
de l'historicisme, Paris, Plon, 1955, Christophe Bouton, Le
procès de l'histoire, fondements et postérité de
l'idéalisme historique, 2004, R., Aron, La Philosophie critique
de l'histoire, Paris, Seuil (coll. Points), 1969, C., Blanckaert (dir.),
L'Histoire des sciences de l'Homme. Trajectoire, enjeux et questions
vives, Paris, L'Harmattan, 1999 ; L., Mucchielli, La découverte
du social: naissance de la sociologie en France, 1870-1914, Paris, La
Découverte, 1998, F., Fukuyama, La fin de
l'histoire et le dernier homme, Traduit de l'anglais par Denis-Armand
Canal, Paris, Flammarion (Champs Essais), 2008.etc.
P., Artigue19, a dressé un certain
inventaire des leaders politiques congolais dans une vision purement
biographique comme le firent Omasombo Tshonda et Erik Kennes. Son ouvrage a
dû recueillir 800 biographies de ceux qu'il qualifie hauts personnages :
sénateurs, députés, prélats, hauts fonctionnaires,
chefs coutumiers, syndicalistes, journalistes, étudiants dans une
certaine mesure et quelques congolais ayant effectué un stage à
l'étranger. Son ouvrage a recensé près de 74
personnalités de la Province Orientale. Manquant toute analyse sur les
trajectoires socioprofessionnelles de ces élites, cette étude n'a
qu'une valeur biographique.
Ndjemba Pembi20, centrant l'objectif de son
enquête sur l'esquisse de profil du notable de la ville de Kisangani,
compte tenu des critères définis de : sexe, âge, statut
social, la carrière, appartenance à une famille
régnante,..., se pose les questions : Comment les gens deviennent des
notables à Kisangani et quels sont les critères qui ont toujours
prévalu à la désignation des notables.
De ce questionnement a découlé les
hypothèses suivantes :
- Les gens deviendraient des notables à Kisangani par un
mécanisme approprié (élections ou désignation).
- La notabilité de Kisangani résulterait d'un fait
naturel et légal (le sexe, l'âge, le statut social, la
carrière, l'appartenance à une famille régnante,...).
Il conclut en découvrant que 65,7% de notables de la
Province Orientale sont nés à Kisangani et ont l'âge de
#177; 40 ans. 57% et 43% exercent respectivement le commerce comme fonction
principale pour les premiers et les fonctions politiques et administratives
pour les seconds. 46,7% de notables ont été nommés par les
autorités du niveau tant national que régional ou local et 20%
sont devenus notables par hérédité contre 14% par
élection.
19 P., Artigue, Qui sont les leaders congolais ? ,
Bruxelles, Ed. Europe-Afrique, 1961.
20 Ndjemba Pembi, La notabilité dans la ville de
Kisangani : critères d'appréciation et esquisse d'un profil,
TFE (inédit) en SPA, FSSA, UNIKIS, 1994.
B. Quelques études sur la période de guerre en
RDC
Maindo Monga Ngonga21, a rigoureusement
analysé la récurrence de la violence politique en RDC. Laquelle
récurrence devenue une ressource politique banale de captation et
d'appropriation de l'Etat et du pouvoir au point de modifier les imaginaires et
les pratiques, la trajectoire de l'Etat congolais, les rapports de pouvoir
entre gouvernants et gouvernés et les modes d'actions politiques.
Partant de l'hypothèse que la crise/échec de l'Etat congolais
post-colonial conduirait les acteurs politiques à développer des
stratégies individuelles et/ou collectives visant la capture de cette
institution, il précise que, récurrente, la violence (la guerre)
serait à la fois une forme paroxystique de ces stratégies
d'appropriation et de reconstruction de l'Etat.
K. Vlassenroot et T. Raeymaekers22 frayent de
nouvelles pistes dans la manière d'expliquer la problématique de
la violence politique en Ituri. Sortant des sentiers bâtis de la
criminalisation du conflit et la délégitimation des leaderships
des rébellions, par la thèse centrale selon laquelle «
l'irruption de la violence en Ituri doit être comprise comme le
résultat de l'exploitation par des acteurs locaux et régionaux
d'un conflit politique local profondément enraciné autour de
l'accès à la terre, aux ressources économiques disponibles
et au pouvoir politique. »
Remo Lo-Lozube Poru Anda23 analyse avec froideur la
question de la violence politique dans le leadership politique en Ituri en
partant par le problème général qui est l'obstacle
à la compréhension de la manifestation de l'ethnicité dans
le District de l'Ituri. Il suppose que la constitution des milices
armées «mono-ethniques» permanentes a favorisé la
militarisation des ethnies et l'émergence des leaders politiques
occasionnels qui se sont accaparé du pouvoir dans ce District.
Après avoir analysé la question de la violence en Ituri partant
de l'histoire immédiate en scrutant
21 Passim Maindo Monga Ngpnga, L'Etat à
l'épreuve de la guerre ..., Op. Cit.
22 K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, « Conflit en Ituri
» in L'Afrique des Grands lacs. Annuaire
2002-2003. Aujourd'hui, la guerre est utilisée par ces acteurs comme un
moyen de réorganiser l'espace socio-économique local et de
contrôler la mobilité à l'intérieur et entre ces
espaces. La conséquence de cette violence instrumentalisée est
une lutte entre ces différents réseaux de contrôle, qui
unissent les seigneurs de guerre locaux à leurs parrains
extérieurs et qui ont abouti au développement de nouvelles
stratégies de régulation socio-économique et même
politique. Le désordre, l'insécurité et l'état
général de l'impunité ont encouragé ainsi la
formation de réseaux nouveaux et militarisés pour l'extraction
(et l'accumulation) des bénéfices économiques, en
référence à la propriété ethnique comme
étant partie intégrante et centrale des stratégies de
contrôle et de la résistance.
23 Remo Lo-Lozube Poru Anda, Leadership ethnique et violence
dans la compétition politique en Ituri (1999-2003), Mémoire
de DES (inédit), SPA, FSSAP/UNIKIS, 2007-2008.
tour à tour la question du leadership ethnique et la
violence dans la compétition politique avec l'intervention multiforme
des puissances étrangères ainsi que la faible capacité
régulatrice du système politique congolais, l'auteur a
présenté les diversités ethniques et économiques de
l'Ituri, le repositionnement des politiciens ituriens sur base des
réflexes ethniques au niveau local, national et international.
Il conclut que les politiciens tant nationaux
qu'étrangers, originaires ou non de l'Ituri ont réellement
exploité l'idéologie ethnocentrique et l'incapacité
régulatrice incurable de l'Etat congolais pour renforcer les
ressentiments ethniques.
Nous découvrions avec Tabin Lissendja
Bahama24 que les sentiments nationaliste et patriotique
forts se sont manifestés au sein de la population durant toute la
période de conflit en RDC.
Analysant les types d'attitudes et de comportements politiques
adoptés par la population congolaise à la suite des
événements depuis le déclenchement, en octobre 1996, de la
lutte armée dirigée par l'Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et ce, jusqu'en
fin 2004 en passant par la lutte armée du Rassemblement Congolais pour
la Démocratie (RCD) et du Mouvement de Libération du Congo (MLC),
nous avons décelé les effets de la guerre sur les attitudes et
les comportements politiques des Congolais dont l'éveil de la conscience
nationale collective et son émergence vers la sauvegarde des
intérêts de la Nation n'étaient que grandissants.
Dans une autre étude consacrée aux élites
politiques de la Province Orientale25, nous avions, dans le
balbutiement de l'écriture scientifique, à travers une vision
fonctionnaliste, découvert que ces élites politiques
revêtaient un caractère «oligarchique» ou mieux, avaient
des «tendances oligarchiques». Le caractère oligarchique que
nous avions lié aux élites politiques de la Province Orientale
dans cette étude relève plutôt d'une certaine
fébrilité d'analyse. Car, nous devrions par contre dire avec R.,
Rezsohazy26 que celles-ci étaient des élites
constellaires. C'est-àdire des élites formant un système
d'interaction ; une image venue de l'astronomie : les
24 Lissendja Bahama et Ponea Tekpibele Masudi, « conflit
armé et émergence de la conscience nationale collective en
République Démocratique du Congo » in Revue de
l'IRSA, N° 11, juin 2005, pp. 13-24.
25 Ponea Tekpibele Masudi, Les tendances à
l'oligarchisme des élites politiques de la Province Orientale, essai
d'analyse politologique, TFE en SPA, FSSAP, UNIKIS,
1999-2000
26 R., Rezsohazy, Op. Cit., p. 107.
corps célestes qui la composent se détachent du
reste des étoiles et dessinent une figure, (pour ce qui nous concerne
ici, un regroupement d'hommes Ayant à ce moment précis les
mêmes aspirations et intérêts politiques), une figure
reconnaissable. De même, les élites politiques observées,
que nous appelons constellation, se reconstituaient, après s'être
désolidarisées des autres, en groupuscules distincts des autres
groupes.
Ces travaux ont certes le mérite d'être en phase
thématique et en apport pour le nôtre par leurs diverses approches
théoriques et leurs questionnements ; seulement, ils lui sont
différents, par le fait que celui-ci se propose de cerner les rapports
de causes à effets et d'évidente implication entre la circulation
des élites politiques en Province Orientale et les guerres et les
conflits armés (la violence politique).
Nous nous penchons à déceler le rôle
structurant de cette violence politique à l'espace politique Province
Orientale.
Nous tentons de cerner les contours socio-historiques et
politiques de la mobilité/circulation des élites politiques en
Province Orientale avec comme révélateur principal, la violence
politique.
0.2. Cadre théorique
A. Quelques réflexions sur la guerre
Selon Théodore Funk-Bretano et Albert
Sorel27, la guerre éclate lorsque les Etats n'ont plus une
conscience claire de leurs devoirs, une intelligence nette de leurs droits, une
notion exacte de leurs intérêts respectifs. Ils n'arrivent plus
à une entente commune, ils ne peuvent plus accepter les lois que leur
traçait le droit de gens en temps de paix : ils s'y soustraient. La
guerre est un acte politique par lequel des Etats, ne pouvant concilier ce
qu'ils croient être leurs devoirs, leurs droits et leurs
intérêts, recourent à la lutte armée, et demandent
à cette lutte de décider lequel d'entre eux pourra, en raison de
sa force, imposer sa volonté aux autres.
La conception du droit international humanitaire
précise qu'un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours
à la force armée entre Etats ou un conflit armé
prolongé
entre les autorités gouvernementales et des groupes
organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat28..
Georges Goriely29explique le conflit en relevant la
différence entre les conflits nationaux et les conflits sociaux ; point
de vue que nous épousons pour expliquer les différents conflits
armés et guerres qu'a connus la Province Orientale.
Pour lui, les conflits nationaux opposent deux
sociétés globales tandis qu'un conflit social oppose deux classes
(nous disons plutôt, deux ou plusieurs groupements sociaux30)
au sein d'une même société.
L'auteur parle ainsi de conflit vertical pour le premier cas
et de conflit horizontal pour le second. Il relève également le
fait qu'il n'y a pas de limite étroite entre ces deux concepts ; ces
deux types de conflits s'entremêlent parfois.
De ce qui précède, il importe d'indiquer que la
guerre est une activité humaine. En tant que telle, elle est aussi
vieille que l'humanité. Certains esprits avisés31
pensent que chez les humains, la guerre est une forme extrême de
communication, un commerce dans sa signification profonde ou exacte de mise en
commun, de partage et d'échange dans la relation entre crise et
conflit.
Les armes des nouveaux conflits seraient alors la
capacité à trouver et manipuler l'argent, l'influence et
l'information.
Nous entendons par guerre, ce conflit armé, opposant au
moins deux groupes sociaux organisés (les Etats par exemple) ou un
groupe organisé à un ou plusieurs entités non
étatiques (les rébellions, les milices, les mutins, etc.). Elle
se traduit ainsi par des combats armés, plus ou moins
dévastateurs, et implique directement ou
28 G., Goriely, 1933 : Hitler prend le pouvoir, Paris,
Editions Complexes, Réédition 1999 in
http://www.amazon.fr, consulté
à Kisangani, le 28 août 2009. Passim
29 Idem
30 Nous évitons dans ce travail l'usage des concepts :
classes sociales et groupe social. Nous privilégions plutôt
l'usage des concepts «configuration» pour nommer le type
d'activité qui réunit des acteurs engagés dans une
même compétition, «groupement» pour désigner un
ensemble de personnes ayant des intérêts communs mais qui, pour la
plupart, ne se connaissent pas. Chaque groupement possède son
règlement et ses représentants. Tous ses membres sont
interdépendants, bien que certains occupent des positions dominantes
alors que les autres occupent des positions dominées.
«Communauté» ce concept est réservé pour nommer
des ensembles d'individus liés entre eux par des relations
d'interconnaissance (comme une famille, un village, un quartier, etc.). Cf. G.,
Noiriel, Introduction à la socio-histoire, Paris, La
Découverte, 2006, p. 7.
31 Lire à cet effet : J.-M., Châtaigner & H.,
Magro (sous la dir. De), Etats et sociétés fragiles. Entre
conflits, reconstruction et développement, Paris, Karthala, 2007 ;
J.-P., CHAGNOLLAUD , Intifada : vers la paix ou la guerre,
L'Harmattan, 1991 ; B., Lamizet, La communication politique, Lyon,
IEPL, 2002-2003 in
http://www.univlyon2.fr
consulté à Kisangani, le 15 mars 2008.
indirectement des tiers suivant une condition et une
réglementation connues et respectables (le Jus in bellum). Alors que le
conflit armé suppose, lui, la confrontation armée entre les
communautés composant un même pays ou deux pays différents.
Le conflit armé oppose des groupes des civils. Il est synonyme de guerre
civile.
Il est indispensable de noter ici que, quelle que soit
l'explication retenue pour les justifier, la guerre ou les conflits
armés demeurent une entreprise des élites ou des cadres sociaux
qui en maîtrisent les tenants et les aboutissants et qui peuvent toujours
en retirer profits, avantages et privilèges.
Il nous semble obliger de clarifier notre propos sur le
concept «élites politiques»32 tant plusieurs
auteurs ont, de manière rigoureuse et en des points de vue quelque peu
différents, traité de la question des élites politiques ;
lesquelles réflexions ont enrichi le débat sur l'élitisme.
La circulation des élites en temps de guerre étant la clé
de voûte de notre analyse.
Précisons de prime à bord que les mots «
élites politiques » ont toujours été confondus avec
celui d'intellectuel tel que l'entend Paul N'da33: « La
qualité d'intellectuel ou de lettré dépend, pour une
société donnée, à un moment précis de son
histoire, de la quantité existante de lettrés et de manuels.
Historiquement, on sait que le seuil de l'intellectualité peut varier :
il s'élève des études primaires aux études
secondaires et aux études supérieures. Et plus il y a
d'intellectuels dans un pays, plus il est difficile d'en devenir un.
Bref, la notion d'intellectuel, bien qu'elle paraisse
évidente n'en est pas moins difficile à définir alors
même qu'on voit celles et ceux qu'elle désigne, ainsi que celles
et ceux qui se reconnaissent comme tels. »
Il précise en outre que, pour cerner la notion
d'intellectuel, il faut s'appuyer sur trois critères : la
catégorie socioprofessionnelle, la culture et le rôle.
Nous avertissons de notre part avec Eddie Tambwe Bin Kitoko et
Anatole
32 Précisons d'emblée que nous employons le concept
« élites politiques » et non celui d' « élite
politique » au singulier. L'usage du concept Elites au pluriel souligne la
diversité et la pluralité des élites.
Voir M., Duverger, Sociologie de la politique, Paris,
PUF, 1988, p. 216 qui dit aussi un mot sur la nature des sociétés
à caractère homogène et à classes
viagères.
33 P., N'da, Les intellectuels et le pouvoir en
Afrique, Paris, L'Harmattan, Collection Logiques
Sociales, 1987, p. 6.
Collinet Makosso34 que le mot intellectuel, ici ne
se décline pas uniquement dans son sens normatif qui l'oppose à
l'ordinaire aux activités manuelles. Dans ces pages, le substantif
intellectuel est pris dans son acception spécifique liée à
la notion d'engagement. C'est l'acception répandue par la philosophie
française, depuis, pour éviter de remonter trop loin dans
l'histoire, Voltaire (avec l'Affaire Calas 1762) et Zola (avec l'Affaire
Dreyfus 1894). Le substantif intellectuel serait historiquement redevable
à ces deux affaires35.
Nous retenons les auteurs ci-dessous qui ont traité de
la question des élites politiques dans la littérature savante.
Nous les regroupons selon la sphère d'analyse respective de chacun. Il
s'agit notamment de :
B. Réflexions sur les élites
1° Les auteurs de la circulation des élites
Vilfredo Pareto, sociologue et économiste, a
apporté une contribution importante dans ces deux matières,
particulièrement dans l'étude de la distribution du revenu et
dans l'analyse des choix individuels. Il a introduit le concept de
l'efficacité et aidé le développement du champ de la
microéconomie avec des idées telles que la courbe
d'indifférence36.
L'élite se définit d'après lui, par ses
qualités éminentes, par sa supériorité naturelle,
psychologique (Elle se compose de tous ceux qui présentent des
qualités exceptionnelles ou qui font preuve d'aptitudes éminentes
dans leur sphère d'activité).
Il observe leur renouvellement et leur remplacement, ou au
contraire leur fermeture. La formation des contre-élites lors de
l'apparition de "symptômes de dégénérescence" de la
classe dirigeante lui paraissait être l'élément dynamique
de l'histoire.
34 Tambwe Kitenge Bin Kitoko & Anatole Collinet Makosso (sous
la dir.), RDCONGO les élections, et après ? Intellectuels et
politiques posent les enjeux de l'après-transition,
Paris, L'Harmattan, 2006, p. 11.
35 Idem (Depuis, un intellectuel serait une personne
qui met sa notoriété acquise dans un domaine de l'esprit
(Littérature, sciences, art, journalisme, etc.) au service d'une cause
extérieure [...] «un écrivain, un savant, un professeur
d'université ne deviennent intellectuel que dès lors qu'ils
sortent de leur tour d'ivoire pour se mêler de ce qui ne les regarde
pas.» Ce n'est donc pas uniquement le niveau d'instruction qui en
constitue le critère, mais ce que nous appelons le projet d'influencer
la société, la volonté de s'engager dans le débat
public. Ceci étant dit, il nous faut à présent plancher
sur quelques conceptions élitistes. )
36
http://www.wikipedia.org/vilfredopareto/elites
consulté à Kisangani, le 13 mars 2008.
Pareto distingue les classes sociales (classe de masse et
classe d'élite). L'élite étant elle-même
composée d'élite non gouvernementale et d'élite
gouvernementale. De la masse montent perpétuellement de nouvelles
élites que l'élite en place a le choix de combattre ou
d'intégrer jusqu'à ce qu'elle soit finalement défaite et
remplacée. C'est cette lutte qui fait l'histoire. L'étude de la
circulation des élites est souvent réduite à la fameuse
phrase ''L'histoire est un cimetière d'aristocraties''.
La séparation entre élite et masse s'observe
dans toutes les sociétés, la répartition des richesses est
inégale partout dans des proportions qui sont similaires ; la seule
façon d'enrichir les plus pauvres est donc d'enrichir la
société toute entière plus vite que sa population ne
s'accroît.
Gaetano Mosca37 a contribué aux sciences
politiques en observant que les sociétés primitives sont
gouvernées dans les faits si ce n'est dans la théorie par une
minorité numérique. Il a nommé cette minorité
« classe politique ». Bien que cette théorie soit
élitiste, on peut constater que sa base est différente du
pouvoir que détient l'élite tel que décrit par C.
Wright Mills. Contrairement à ce dernier, et d'autres sociologues plus
tard, Gaetano Mosca visait à développer une théorie
universelle de la société politique, sa théorie de la
Classe Politique reflète le plus ce dessein.
Mosca définit les élites selon la
supériorité de leurs compétences dans l'organisation. Ces
compétences selon lui sont surtout utiles pour gagner le pouvoir dans
une société bureaucratique moderne. Néanmoins, sa
théorie était plus démocratique que celle de Pareto
puisque dans la conception de Gaetano Mosca, les élites ne sont pas
héréditaires. Des individus originaires de toutes les classes
peuvent accéder à l'"élite". Il a aussi
adhéré au concept de « la circulation de l'élite
» qui est une théorie dialectique de compétition constante
entre les élites, avec un groupe d'élite remplaçant un
autre à maintes reprises progressivement. Gaetano Mosca est allé
si loin qu'il a construit une théorie complète de l'histoire sur
la base des différentes élites dirigeantes38.
Cette étude s'inscrit dans la continuité des
travaux de Gaetano Mosca pour analyser la circulation des élites
politiques en Province Orientale, dans un contexte de
37
http://www.wikipedia.fr
38 G., Mosca, Elementi di scienza politica, 2e
édition, Turin, Fratelli Bocca Editori, 1923 cité par G., Rocher,
Op. Cit. p. 6.
violence politique. Notre choix est guidé par
l'analyse, chez Mosca, de la caractéristique démocratique des
élites et non d'une caractéristique héréditaire
comme chez Pareto. Nous planchons dans cette étude sur la forme de
mobilité des élites politiques marquée par
l'habileté, la capacité de chacune à se saisir du pouvoir
à travers un contexte de violence politique, ainsi que l'influence
qu'ont d'autres sur la prise des décisions d'intérêt
commun.
2° Quelques théories de la stratification des
élites
Charles Wright Mills39, sociologue
américain, a fait une critique sociale radicale de la
société américaine, de l'approche de T. Parsons et du
« mainstream » en sociologie américaine. La thèse
principale de sa réflexion portait sur la critique de l'idéologie
américaine de la société ouverte. Il observe que les
élites américaines constituaient un groupe fermé. Nous
pouvons dire qu'elles étaient aussi oligarchiques. Il observe une
mobilité sociale considérable entre les différents groupes
d'élites et entre les élites de différents domaines
(économique et industrielle, politique, militaire, etc.). Mills a
savamment abordé la question de la formation ainsi que celle de la
domination de l'élite du pouvoir dans la société
américaine.
A cet effet, il définit l'élite du pouvoir comme
étant «l'ensemble des hommes qui prennent toutes les
décisions importantes que l'on peut prendre.» L'élite du
pouvoir est composée d'hommes qui occupent des
«postes-clés» dans les grandes institutions de la
société moderne et qui peuvent « prendre des
décisions aux conséquences capitales» pour la vie des gens
ordinaires.
Il énonce trois domaines principaux du pouvoir : la
politique, l'économie et le domaine militaire entre lesquels il observe
une interdépendance mutuelle de plus en plus grande des
élites.
Sous d'autres cieux, surtout dans des pays européens et
américains, deux facteurs principaux favorisent
l'homogénéité des élites notamment les facteurs
sociopsychologiques et les modes de comportement et personnalité
similaire :
39 C.W., Mills, L'élite du pouvoir,
Londres, Mills, 1969, pp. 8-25.
Facteurs sociaux et psychologiques : les élites sont
généralement issues d'une même origine sociale et d'un
même milieu social ; elles ont globalement un même cursus scolaire
(car ayant étudié dans les collèges privés).
Modes de comportement et personnalité similaire («
type social homogène ») ; les élites auraient les
mêmes valeurs et intérêts. Elles ont en commun les
sentiments d'appartenance à la même classe sociale (elles ont
ainsi une conscience de classe).
À ce propos, C. Wright Mills a bien souligné que
l'étude des élites ne constitue pas en elle-même,
contrairement à ce que croyait Mosca, une interprétation
historique globale; elle ne suppose pas nécessairement que toute
l'histoire résulte de l'action de certaines élites, ni que le
processus de décision des élites suive un cours plutôt
qu'un autre. La prise de décision n'est qu'une des fonctions possibles
des élites, de même que son influence sur le cours de l'histoire.
Il s'agit en réalité plutôt de dégager la
variété des élites et la diversité de leurs
fonctions, dans les différents contextes où elles peuvent
apparaître.
Robert Dahl40, a critiqué le flou des
concepts de Mills à travers le questionnement suivant : Quelle est la
cohésion réelle de l'élite ? L'élite parvient-elle
vraiment à imposer toutes ses préférences au plus grand
nombre ? Et plus encore il accuse Mills de n'avoir pas mené une analyse
empirique solide dans l'étude des élites que lui-même
réalise dans sa ville du New Haven du Connecticut des Etats-Unis
d'Amérique. Pour les pluralistes comme Dahl, il n'y a pas, aux
Etats-Unis, d'élite dominante du pouvoir ou moins encore
monolithique.
Il existe de nombreuses élites qui opèrent dans
des sphères différentes, économique, politique,
culturelle, religieuse. La structure du pouvoir est constituée des
groupes de veto qui ont conquis un certain pouvoir leur permettant de bloquer
les mesures contraires à leurs intérêts et de neutraliser
ceux qui pourraient les attaquer. Les masses ne sont pas passives. Elles se
sont constituées en groupes organisés rassemblant des individus
qui partagent soit des intérêts économiques, soit des
valeurs communes ou une identité ethnique.
40 R., Dahl, Who governs? Democracy and power in an American
city, New Haven, Yale University Press, 1961.
Et du même auteur, « A critique of the ruling elite
model », in American Political Science Review, vol. 56, no 4,
décembre 1962, pp. 947-962, consultés sur
www.yaleunviversity.edu,
à Kisangani, le 8 août 2009.
Dans ces conditions, toute décision est le
résultat d'un compromis : il convient de mener des études au cas
par cas sans édicter de règles générales sur le
processus de décision américain. Si les imperfections sont
réelles et sans doute inévitables, une oligarchie monolithique
reste de l'ordre de l'imaginaire.
3° La multiplication des élites
Pour Guy Rocher41, la multiplication des
élites peut être considérée comme une forme de
différenciation structurelle, d'une part, observable dans une
période de rapide transformation et, d'autre part,
caractéristique d'une société en voie d'industrialisation
ou industrialisée. Si, malgré les critiques dont elle fait
l'objet, on utilise la dichotomie de la société traditionnelle
opposée à la société moderne, l'une et l'autre
conçues comme des « types purs », on peut observer que dans la
société traditionnelle l'élite tend à être
unifiée, intégrée, parfois même monolithique; elle
s'appuie simultanément sur plusieurs sources de prestige ou
d'autorité : religieuse, politique, traditionnelle, militaire, etc.
Il n'y a pas de place pour une pluralité et une
diversité d'élites ; celles-ci doivent être plutôt
institutionnellement localisées et circonscrites et sont rapidement
identifiables. La société moderne au contraire est
caractérisée par une plus grande diversité
d`élites, correspondant tout à la fois à la
différenciation des structures et à
l'hétérogénéité de l'univers des valeurs :
les élites politiques se distinguent des élites religieuses, les
conflits de valeurs ou d'idéologies se cristallisent dans des
oppositions entre différents leaders, les intérêts de
classe ou de région trouvent à s'exprimer par des porte-parole,
parfois même par plusieurs différents porte-parole pour une
même cause, etc.
41 G., Rocher, Multiplication des élites et changement
social au Canada français, Passim
Robert Michels42, sociologue allemand, a
étudié le comportement politique des élites
intellectuelles à travers les organisations qu'elles dirigeaient. Il n'a
pas théorisé la circulation des élites, mais la formation
permanente d'un amalgame entre nouveaux et anciens éléments.
Michels ne considérait pas l'élite comme une classe, mais comme
un groupe plus ou moins fermé, dont les membres pouvaient se recruter
dans diverses couches sociales. Sa "loi d'airain de l'oligarchie" constitue un
modèle d'analyse toujours reconnu dans l'étude des partis, des
groupes d'intérêt et d'autres organismes.
Guy Bourassa a publié les résultats d'une
étude particulièrement intéressante et significative,
inspirée des recherches de Robert Alan Dahl et de ses disciples ;
l'auteur décrit l'évolution des élites politiques qui se
sont succédées au pouvoir municipal à Montréal
depuis un siècle, les situant à la fois dans le contexte
démographique et ethnique de la ville et dans celui de la stratification
sociale. Guy Bourassa a bien montré que l'élite politique de
Montréal est passée de l'unité et de
l'homogénéité à une pluralité croissante,
avec le développement démographique et économique de la
ville.
4° Le renouvellement des élites
Daniel Bourmaud43, affirme que l'une des principales
critiques formulées à l'encontre de la démocratisation
repose sur l'idée d'une permanence de la classe
42 R., Michels, Partis politiques, étude sociologique
des tendances oligarchiques de la démocratie moderne, SL, SE, 1911.
Voir aussi, URL:
http://www.hls-dhs-dss.ch
consulté à Kisangani, le 24 novembre 2008.
* De même, dans leur interprétation du
phénomène de l'industrialisation moderne, les auteurs comme Kerr,
Dunlop, Harbison et Myers introduisent dès le début le rôle
de ce qu'ils appellent « les élites industrialisantes» («
industrializing elites »), c'est-à-dire les principaux types
d'élites qui jusqu'ici ont activement contribué au progrès
de l'industrialisation dans différents contextes économiques et
socioculturels. Plus récemment, Eisenstadt a indiqué l'importance
d'une étude des « élites novatrices » dans la
perspective d'un retour de la sociologie moderne à l'inspiration
première des grandes théories évolutionnistes du XIXe
siècle.
Il ne s'agit cependant pas d'un thème nouveau. Max
Weber avait déjà bien senti l'importance de la fonction
charismatique dans l'évolution historique, le charisme étant
précisément une des bases sur lesquelles s'appuie l'action des
élites novatrices, surtout en période de changement rapide. On ne
peut cependant manquer de souligner la contribution à l'étude des
élites qu'apportent les recherches d'histoire économique
inspirées par Schumpeter sur «l'entrepreneur» comme agent
actif d'innovation, de changement et de développement économique,
aussi bien que comme agent de résistance et d'opposition au changement.
Et de façon plus générale, les études
récentes, en nombre croissant, sur les rapports entre le
développement économique d'une part, les structures sociales et
la culture d'autre part, notamment dans les pays en voie de
développement, conduisent presque inévitablement à une
analyse de l'influence des élites et des conflits qui les tiraillent.
Citons ici, à titre d'exemple de ce type de recherche historique,
l'étude particulièrement intéressante du Research Center
in Entrepreneurial History de l'Université Harvard : Change and the
Entrepreneur : Postulates and Patterns for Entrepreneurial History,
Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1949.
43 D., Bourmaud, La politique en Afrique noire, Paris,
Montchrestien, 1997.
politique. Or, si les effets des transformations intervenues
dans le système international ont pu bousculer les traditions
autoritaires, c'est parce qu'elles ont été relayées au
plan interne par une fraction des élites africaines.
L'auteur concilie le renouvellement des élites en
Afrique avec la lutte pour la démocratisation par ces élites.
Car, dit-il, la rupture de la fin des années 80 correspond à un
changement des générations en Afrique. Les vieilles
élites, issues de la période coloniale et entrées en
politique dans le contexte de l'accession à l'indépendance, sont
sur le déclin. Emergent de nouvelles élites qui se
différencient sensiblement de leurs aînées par le cursus et
la socialisation.
Bardés de titres scolaires et universitaires, issus
parfois d'établissements d'enseignement supérieur occidentaux,
les membres de cette élite vivent de façon aiguë une
ambivalence culturelle. Leur identité africaine intimement liée
aux réseaux sociaux et politiques dont ils sont issus, se double d'une
trajectoire intellectuelle et politique simultanément
imprégnée de valeurs occidentales.
Après cette exploration, quel sens donnons-nous au
concept élite que nous voulons de notre part au pluriel
(c'est-à-dire, élites politiques). Précisons qu'une
discussion nourrie s'est élevée il y a quelque temps en science
politique au sujet de la définition de l'élite, de son
unité ou de sa pluralité. C'est particulièrement à
l'occasion des études monographiques sur les centres de décisions
que ce problème a été soulevé44.
Plusieurs auteurs élitistes45 ont tenté de
théoriser ce concept. Il s'agit entre autres de : W., Rupert, G. Rocher,
V. Pareto, Charles Wright Mills, Carlyle, Roger Gérard Schwarzenberg,
Gaetano Mosca, Robert Michels, et plusieurs autres.
C. Clarification du concept élites politiques
Les réflexions élitistes suivent
généralement, et fréquemment d'ailleurs, deux conceptions
: une défendant l'unicité de l'élite et l'autre la
pluralité des élites politiques. La conception unitaire de la
notion de l'élite est répandue et est surtout d'usage dans les
travaux de Vilfredo Pareto46, Gaetano Mosca47, Suleiman
Ezra48, Gilles
44Passim, R.A., Dahl, Who governs?
Op.Cit.
45 G., Hermet, B., Badie & Ph., Braud, Dictionnaire de
la politique et des institutions politiques, 5ième
éd., Paris, Armand Colin, 2001, p. 102. Précisent les
théories élitistes sont apparues au tournant du
XXième Siècle pour affirmer l'inévitable venue
d'élites détentrices du pouvoir.
46 V., Pareto, Op. Cit.
Massardier49, Charles Wright Mills50,
etc. Et pour la pluralité nous pouvons citer les auteurs tels : Raymond
Aron, Robert Dahl, Bob Jessop, Guy Rocher, Daniel Bourmaud, Guy Bourassa,
etc.
Cela est évidemment surtout accentué chez Mosca,
dont les Elementi di Scienza politica ont pu être traduits en
anglais sous le titre The Ruling Class (Raison de notre
démarcation avec lui sur ce point de définition de la notion
d'élites).
L'analyse de Mills tend aussi à réduire
l'élite à la classe dirigeante, diversifiée dans ses
activités mais unifiée par les origines, la psychologie et la
mentalité qui lui sont communes51.
C'est ainsi que Pareto accorde au «célèbre
joueur d'échecs» une place dans l'élite sans - que «ses
mérites de joueur d'échecs ne lui ouvrent la voie pour exercer
une influence dans le gouvernement»52.
Pareto part cependant d'une définition de
l'élite qui, à notre avis, n'est pas assez sociologique. Font
partie de l'élite, selon lui, tous ceux qui manifestent des
qualités, des aptitudes éminentes dans leur domaine ou dont
l'activité est nettement d'une valeur supérieure à la
moyenne des hommes.
Nous définissons, pour notre part, à la suite de
Guy Rocher et Mulumbati Ngasha, les élites politiques, comme
étant des personnes ou des groupes de personnes dont l'action est
significative pour une collectivité ou un groupe et qui y exercent une
influence, soit par le pouvoir ou l'autorité dont ils jouissent, soit
par les idées, les sentiments ou les émotions qu'ils expriment ou
qu'ils symbolisent53.
47 G., Mosca, Op. Cit.
48 S., Ezra, Les élites en France. Grands corps et
grandes écoles, Paris Seuil, 1979
- Les Hauts fonctionnaires et la politique, Trad.,
Paris, Seuil, 1976
49 G., Massardier, L'Etat savant. Expertise et
aménagement du territoire, Paris, L'Harmattan, 1996 ou
Politiques et action publiques, Paris, Armand Colin, 2003.
50 C. R., Mills, Op. Cit., Passim
51 C'est pourquoi Mills insiste sur l'unité de
l'élite au pouvoir et sur la coordination de ses intérêts
et, à l'occasion, de son action et de son influence.
Une telle vision risque de cacher à la fois la
variété croissante des élites, la diversité de
leurs fonctions et de leurs actions dans la société
contemporaine. Le pouvoir - sous ses différentes formes - est l'attribut
de certaines élites, notamment de l'élite politique, et aussi de
certaines élites économiques ; mais il n'est qu'un des attributs
possibles, il n'est pas un critère nécessaire dans la
définition des élites.
52 T.B., Bottomore, Elites et société,
Paris, Stock, 1967 cité par G. Rocher, Op. Cit., p.7
53 Lire G., Rocher, Multiplication des élites,
Op. Cit. et Mulumbati Ngasha, La Sociologie politique,
Lubumbashi, Ed. Africa, 1988, p. 202.
Ainsi, des personnes peuvent avoir un impact sur une
société, non par le pouvoir qu'elles y exercent, mais par ce que
W.I. Thomas a appelé « la définition de la situation »
(c'est-à-dire, l'action historique des élites politiques)
qu'elles en donnent. Ce point de vue est motivé par la réflexion
de Ralf Dahrendorf et T.B. Bottomore.54
Ce concept ou mieux ce groupe de mots, élites
politiques, polysémique et transversal, est ici considéré
dans son acception la plus large qui voudrait signifier l'ensemble d'individus
ou groupes d'individus qui, chargés de gérer la chose publique ou
influençant, de manière décisive, la prise des
décisions politiques et le cours de l'histoire dans une entité
par leurs statuts et valeurs symboliques55, prennent des
décisions dans les domaines divers de la vie sociale, donnent des ordres
et les font exécuter.
Nous sommes en présence d'une pluralité des
rapports de pouvoir ainsi que des techniques à travers lesquelles elles
se manifestent. C'est ce que Busino56 nomme «une dialectique
complexe entre une société civile divisée et les diverses
instances de la vie sociale institutionnalisée.»
Les auteurs cités ci-haut se démarquent par leur
conception de la composition des élites. Un débat binaire entre
homogénéité et
hétérogénéité ou entre unité et
pluralité/pluralisme57.
La richesse du débat sur la problématique des
élites politiques sollicite notre attention pour analyser les
élites politiques en Province Orientale dans le contexte de la violence
politique.
54 - R., Dahrendorf, Class and Class Conflict in Industrial
Society, Stanford, Calif., Stanford University Press, 1959, pp. 193-201 et
T.B., Bottomore, Élites et société, Paris, Stock,
1967 cités par G., Rocher, Op. Cit. pp.
6-7.
55 C'est nous qui précisons.
56 G., Busino, Elite(s) et élitisme, Paris, PUF.,
(coll. « que sais-je »), 1992, p.229.
57 C'est cette prise de position qui oriente le choix des
auteurs à définir l'élite politique au singulier ou au
pluriel. Nous avons opté de parler des élites politiques car
notre contexte d'étude recouvre plutôt une pluralité
d'élites du fait de la pluralité d'intérêts, de
rôles, d'ambitions des acteurs engagés dans la lutte politique,
des sphères de prise de décisions, etc.
0.3. Problématique
La guerre, le conflit armé sont
considérés par ceux qui la subissent58 comme le
ferment de la destruction, de la déliquescence, de la faillite bref, de
tous les maux que connaît une entité politique
particulière. Oeuvre des élites politiques, la guerre a comme
principales conséquences : l'étiolement de l'équilibre
social, la faillite de l'Etat, la déconstruction et la
déstructuration des relations entre l'Etat et la société,
la destruction de l'équilibre sociétal et des repères
sociaux, etc.
Or, il nous semble que la violence politique alimente des
mutations positives dans la société et revêt une importance
scientifique notoire en science politique dans la compréhension des
imaginaires et des tactiques des acteurs politiques, de leurs
compétitivité et performabilité à capter le pouvoir
d'Etat à tous les niveaux : national, provincial, local... Et elle fait
émerger des élites guidées par l'histoire et la
contingence.
Ainsi, à la suite de Guy Rocher, on peut noter :
«Dans l'analyse sociologique des processus de changement social à
l'intérieur d'une société donnée, l'étude
des élites fournit au chercheur un point de vue, un angle de vision
privilégié. Elle lui permet de s'installer au coeur même de
la transformation en cours, de regarder la société et son
environnement avec les yeux de ceux qui participent le plus activement à
son évolution; les raisons du changement peuvent alors lui
apparaître avec plus de clarté, de même que les
hésitations, les déchirements et les conflits qui l'accompagnent
[...].»59,
Notre étude s'engage à mener une lecture
croisée entre guerres et mobilité/mobilisation des élites
politiques en Province Orientale.
En vue d'y parvenir, nous proposons le questionnement
ci-après :
58 Il est aussi vrai que même ceux qui font la guerre
(les «bourreaux») n'ont pas toujours une bonne perception de leur
entreprise ; ils la considère aussi, bien que de manière
isolée, comme une mauvaise chose. Ceci se justifie par des
séances de pardon qu'ils organisent pendant ou après chaque
guerre ; comme pour dire que nous venons de commettre un acte odieux ainsi,
veuillez nous pardonner. Aussi, la justice internationale, par sa poursuite des
criminels de guerre et de certains autres conflits armés, affirme que la
guerre est une mauvaise chose.
59 G., Rocher, Multiplication des élites et changement
social au Canada français, 1968 in,
http://www.bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm,
consulté à Kisangani, le 13 juin 2008 à 17 heures 37'
* Notons que l'étude sur les élites politiques
s'apparente souvent à une certaine hagiographie à la gloire de
ceux qui gouvernent, ce que nous n'osons aucunement faire ici. Notre propos
consiste à repérer, dans la contingence de la violence politique
récurrente qu'a connue la RDC (la guerre donc), le dynamisme en action
de ceux qui font l'histoire du politique en Province Orientale. Il n'y est
ainsi pas question de projeter une certaine axiologie sur l'agir des
élites politiques.
A. Question centrale
Comment la guerre, comme mode d'action politique violente,
a-t-elle favorisé le renouvellement des élites politiques en
Province Orientale ? Cette question principale s'explicitant à travers
les questions secondaires suivantes :
B. Questions secondaires 1° Dans le cas
précis de la Province Orientale, peu t-on déceler une
recomposition des
élites politiques du fait de la guerre ?
2° Quelle serait la trajectoire socio-historique et
politique de ces différentes élites en compétition.
3° Et quelles seraient les tactiques 60 et
modalités de cette circulation des élites? En guise de
proposition de réponses aux questions posées, nous posons que :
0.4. Hypothèses
A. Hypothèse centrale La circulation des
élites politiques en Province Orientale résulterait notamment de
la
violence politique.
B. Hypothèses secondaires 1° La
violence politique aurait occasionné une forte mobilité
ascendante et
descendante des élites politiques en Province
Orientale.
2° Etant issues globalement des familles pauvres, c es
élites politiques auraient suivi des trajectoires socio-historiques et
politiques diverses et diversifiées avant de capter le pouvoir ; de
l'acteur de la société civile au politique, allant du milicien au
politique, du braconnier au chef de guerre, de l'affairiste à
l'entrepreneur politique, du religieux ou du militaire au politique, etc.
60 Au fond, le recours à des notions comme celles
d'adaptations secondaires et d'autogestion clandestine permet de retrouver une
distinction que la sémantique a toujours opérée entre
l'analyse stratégique et tactique. Nous préférons dans ce
travail le concept tactique à celui de stratégie en nous basant
sur les travaux de Michel de Certeau. Car la stratégie suppose une
distance ou une extériorité dans l'action par rapport à
l'objet ou à la situation sur laquelle l'acteur veut agir. En revanche,
la tactique se manifeste tout autrement : «Elle fait du coup par coup.
Elle profite des «occasions» et en dépend, sans base où
stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des
sorties. Ce qu'elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la
mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour
saisir au vol les possibilités qu'offre un instant. Il lui faut
utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières
ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. Elle y braconne.
Elle y crée des surprises. Il lui est possible d'être là
où on ne l'attend pas. Elle est ruse. En somme, c'est un art du
faible» Voir, Michel de Certeau, L'invention du quotidien, T1,
Art de faire, Paris, Union Générale d'Edition, 2001, pp.
86-87.
3° La haine, la xénophobie, le tribalisme,
l'exclus ion, le clientélisme, le militantisme, la ruse,... seraient des
tactiques mises en oeuvre par des élites dans leur course au pouvoir.
Parmi les modalités de circulation des élites en temps de guerre,
on pourrait relever notamment les élections, les nominations, le
«blanchiment politique61», la milicianisation /
militarisation.
En vue de nous permettre de mieux cerner la question en
étude, nous nous obligeons d'établir un pont entre la
réflexion théorique de la formulation du problème et le
travail empirique de vérification (...) l'hypothèse constituant
l'amorce de l'opérationnalisation dans la mesure où elle
transforme les concepts théoriques de la question spécifique en
concepts opérationnels62.
Nous schématisons de la manière suivante ce cadre
opératoire.
Tableau 1 : Cadre opératoire
Variables
|
Dépendante
|
Indépendantes
|
circulation des élites politiques
(mobilités
ascendante et descendante)
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violence politique (guerres, conflit armé
interethnique)
privatisation de la violence armée
héritage historique*
implication des forces externes*
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indicateurs
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Dépendants
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Indépendants
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· multiplication des élites
politiques ethniques
· alternance politique
· mobilité ascendante et descendante
· absence d'un leadership politique provincial effectif
et efficace
· instabilité politique
· profitabilité et opportunisme politiques
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· rébellions
· «milicianisation» et militarisation
des groupes ethniques
· commerce et business illégaux et illicites
(affairisme d'Etat)
· violence et ethnicisation de la lutte politique
|
Ce cadre opératoire s'explique par le schéma
suivant qui clarifie les relations entre variables dépendante et
indépendantes, indicateurs dépendants et indépendants et
marque le rôle quasi central de la variable dépendante.
61 Par analogie au phénomène de blanchiment
d'argent, qui est un délit sévèrement puni par la loi,
nous qualifions de « blanchiment politique » tout acte, toute
manoeuvre ou le fait des élites politiques à vouloir se «
sanctifier » ou se purifier politiquement ; l'homme politique devenant
plus blanc que blanc. Ainsi, le passé chargé ne doit plus
compter, l'homme ancien a disparu et tout est devenu neuf et propre.
Facilement, du fait de cette pratique, un seigneur ou chef de la guerre devient
haut officier de l'armée nationale et est approuvé par «
tous ».
62 G., Mace, Guide d'élaboration d'un projet de
recherche, Bruxelles, De Boeck, 1991, p. 43.
GUERRES (violence politique, conflit armé
interethnique)
Privatisation de la violence armée
· Multiplication des élites politiques ethniques
· Alternance politique
· Mobilité ascendante et descendante
· Absence d'un leadership politique provincial effectif et
efficace
· Instabilité politique
· Profitabilité et opportunisme politiques
Héritage historique, Implication des Forces
armées extérieures
Circulation des élites politiques
(mobilités ascendante et descendante)
· Rébellions
· «Milicianisation» et militarisation des groupes
ethniques
· Commerce et business illégaux et illicites
· Violence et ethnicisation de la lutte politique
Ce schémas marque les liens d'interdépendance et
d'influence réciproque qu'ont les variables et indicateurs autour de la
variable dépendante et l'influence mutuelle que les indicateurs et les
variables indépendantes ont sur la variable dépendante.
Cette quête s'insère dans un courant
méthodologique qui s'oblige de combiner, pour l'explication des faits et
des données, la sociologie et l'histoire. Car, G. Boulanger le
soulignait, «lorsqu'on s'engage dans une recherche, le choix du sujet
impose déjà le choix de la méthode, bien que celle-ci
dépende aussi des préférences et de l'avancement de la
science en ce domaine».63 Aussi, comme le précise Guy
Rocher, «... cette plongée en profondeur dans l'univers des
représentations, des valeurs, des idéologies d'une élite
n'est révélatrice qu'en autant qu'on peut aussi situer cette
élite dans la structure de la société dont elle fait
partie, déterminer sa place par rapport à d'autres élites,
préciser les groupes ou les milieux sur lesquels elle s'appuie
63 G., Boulanger, La recherche en sciences sociales,
Paris, Ed. Universitaires, 1970, p. 23
ou qu'elle cherche à exprimer ou à définir.
L'analyse d'une élite prenant sa pleine valeur dans le cadre d'une
analyse structurelle globale.»64
Nous nous retrouvons ici en face d'un choix
réfléchi de l'usage de la sociologie historique. Car,
«avoir de la méthode, tout est là. Faute de ce fil
conducteur, on perd un temps précieux, on disperse ses efforts, on
n'arrive pas à dominer son sujet.»65
0.3. Cadre méthodologique
A. De la méthode
Cherchant à découvrir les «
corrélations qui permettent davantage de comprendre les comportements
des acteurs chargés de valeurs et de culture »66, notre
étude a l'ambition, comme le soulignent Guy Hermet et alii.67
de tenter d'expliquer les faits en les plongeant dans le long terme de
l'histoire. Une histoire sociale du politique et, partant, de
dégager les dynamiques qui ont donné sens et cohérence
à la vie politique, mais, aussi, une histoire politique du social
apte à identifier l'empreinte profonde du politique (guerres) sur
le social (circulation des élites).
Reprenant l'avertissement de Marc Bloch, il convient en effet
d'éviter de faire du mot "politique" " fatalement le synonyme de
superficiel ". Il s'agit ici de le considérer comme cadre d'action des
identités particulières et des intérêts
différents à la fois divergents et antagonistes.
Nous engageons ainsi notre débat élitiste dans une
vision de la sociologie historique. L'histoire est
ici considérée comme un savoir et un avoir situés dans le
temps.68
Yves Deloye69 dit de la sociologie historique,
qu'elle est certainement l'un des domaines des sciences sociales qui, depuis
les années soixante-dix, s'est montré le plus productif, aussi
l'un de ceux qui suscitent les espoirs les plus importants quant à la
restructuration des sciences humaines. Discipline encore jeune, la science
politique
64 G., Rocher, Op. Cit. p. 5
65 H., Capitant, La thèse de doctorat en droit,
Paris, Dalloz, 1951 (Préface) in, S., Dreyfus et L., Nicolas-Vullierme,
Thèse de doctorat et le mémoire, étude
méthodologique, 3ème éd.,
Paris, Cujas, 2000 (Préface)
66 G., Hermet, B., Badie & Ph., Braud, Op. Cit.
67 Idem
68 Lire pour comprendre le rôle de l'histoire comme mise en
scène des identités politiques dans le temps B., Lamizet,
Communication politique, Lyon, IEPL, 2002-2003.
69 Y., Deloye, Sociologie historique du politique,
Nouvelle édition, Paris, La découverte, 2003.
tient une place importante dans cette organisation nouvelle du
savoir. Parce que son objet est une construction historique
saturée de sens, le politiste (politologue), plus qu'un autre chercheur
peut-être, verra dans la sociologie historique une méthode propice
et féconde.
Et l'auteur de l'Apologie pour l'histoire de formuler
ce voeu : "Une histoire centrée, comme il est parfaitement
légitime, sur l'évolution des modes de gouvernement et le destin
des groupes de gouvernés ne devrait-elle pas, au contraire, pour
répondre pleinement à sa mission, s'attacher à comprendre,
par le dedans, les faits qu'elle a choisis comme les objets propres de ses
observations ?" C'est à cette histoire de l'intimité et des
profondeurs politiques de la circulation des élites politiques en
Province Orientale que cette étude veut être une contribution.
Dès lors, nous disons avec Jean-François
Bayart70 que, nous ne prétendons aucunement faire oeuvre
d'historiens, nos préoccupations ont trait à
l'intelligibilité des champs politiques contemporains. Ainsi, nous
proposons de ceux-ci une «analytique interprétative» en nous
interrogeant sur les relations d'intertextualité, multiples,
ambivalentes qu'ils entretiennent avec le passé. Nous y cherchons
à déceler le «temps social»71 dans les
phénomènes étudiés.
Car, comme écrit Mandani72, «la
violence ne peut pas être autorisée à parler pour
elle-même, parce que la violence n'est pas son propre sens. Pour
être rendue pensable, elle a besoin d'être
historicisée». Nous tentons d'expliquer et de comprendre la
violence politique caractéristique observée en Province Orientale
et les luttes concrètes des élites politiques en Province
Orientale pour leur positionnement.
Les guerres qu'a connues la Province Orientale ainsi que les
différents conflits armés récurrents qui ont
caractérisé certains de ses territoires sont
considérés dans le temps. Car, le temps est une médiation
symbolique constitutive des identités
70 J.F., Bayart, L'Etat en Afrique ; la politique du
ventre, Paris, Fayard, 1989, p.65
* Les auteurs ci-après ont servi pour asseoir notre cadre
méthodologique :
- S., Dreyfus et L., Nicolas-Vullierme, La thèse de
doctorat et le mémoire, étude méthodologique (Sciences
juridiques et politiques), 3ème
éd., Paris, Ed. CUJAS, 2000.
- M., Beaud, L'art de la thèse, comment
préparer et rédiger une thèse de doctorat, un
mémoire de DEA ou de maîtrise ou tout autre travail
universitaire, Guide Repères, Paris, La Découverte,
2003.
- S., Beaud et Fl., Weber, Guide de l'enquête de
terrain, Guide Repères, Paris, La
Découverte, 1998.
71 M., Grawitz, Méthodes des Sciences sociales,
Paris, Dalloz, 11ème Ed., 2001, p. 422
72 M., Mandani, When Victims Become Killers: Colonialism,
Nativism and the Genocide in Rwanda, Princeton, Princeton University
Press, 2001, p.364, cité par K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, Op.
Cit., p. 211
politiques, dans les deux sens de la médiation.
Médiation entre la singularité des événements dont
nous avons la mémoire et le collectif de l'ensemble des
événements constitutifs de notre histoire dans sa
totalité73.
Nous y découvrons, comme le disent si bien K.
Vlassenroot et T. Raeymaekers les élites et les sociétés
locales en train de se familiariser avec des changements globaux et un contexte
de guerre74.
Cette méthode est soutenue par diverses techniques. Ici
technique prise comme moyen précis pour atteindre un résultat
partiel, à un niveau et à un moment précis de la
recherche75.
B. Les Techniques
Nous avons usé des techniques selon les diverses
destinations, à savoir : les techniques de collecte des données,
les techniques de traitement et d'analyse des données recueillies.
1° Techniques de récolte :
Technique documentaire : des documents de
différentes sources historiques (des essais, des livres d'histoires,
textes et actes d'administration, des articles, des déclarations
d'intellectuels, les documents et archives officiels, dictionnaires
73 La signification politique de l'événement
résultant, ainsi, d'une médiation entre les différentes
temporalités dans lesquelles nous le situons. En nous permettant de
penser les événements les uns par rapport aux autres, l'histoire
nous permet donc de formuler leur signification politique : en effet, elle nous
permet de comprendre ce qu'ils représentent, à la fois pour les
acteurs qui les ont vécus et pour ceux qui en ont vécu d'autres
comparables. Il est à ce stade intéressant de préciser que
cette étude profite aussi largement de notre propre expérience
« d'élite » politique à travers la
société civile pendant la (les) guerre (s) et dans la
sphère politique pendant la transition.
74 K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, Op. Cit.
p.210
La sociologie historique n'est pas une branche de l'histoire,
c'est-à-dire l'étude sociologique d'une époque
passée: elle est toujours à la fois comparative et
transhistorique. Elle considère que les formes passées de la
société ne sont pas disparues avec leurs époques, mais
que, comme dans la langue, elles restent contenues et actualisées dans
ses formes présentes. Moins portée vers l'étude d'archives
que l'histoire (la microhistoire) et vers l'étude de terrain que la
sociologie, elle recourt plutôt à de vastes analyses documentaires
ou bibliographiques pour mettre en place de larges enquêtes comparatives.
Cf.
http://www.wikipédia.org/wiki/sociologie_historique.
Ainsi posé, le problème consiste moins à
identifier les unités historiques que de cerner les dynamiques des
cheminements contrastés dans lesquels s'engagent les acteurs politiques
tout en soulignant l'extrême diversité de la transformation
historique de la société confrontée à des
événements multiples (guerres et conflits armés), des
rapports divers, des cultures unifiées ou plurielles infinies. La
question consiste ainsi à considérer le temps dissemblable propre
à la société Province Orientale.
75 O., Aktouf, Méthodologie des Sciences sociales et
approche qualitative des organisations, une introduction à la
démarche classique et une critique, Québec, Presses de
l'Université de Québec, 1987, p. 27.
encyclopédies, mémorandum, les sites Internet,
etc.) en rapport avec le sujet d'étude soit de manière
générale, soit encore de manière plus particulière
ont été questionnés en vue d'en déceler les actions
et les paroles qui intéressent notre étude.
Technique d'interview non directive :
cette interview s'apparente beaucoup à l'interview
centrée mais il y a généralement un thème central
décomposé en quelques principaux sous-thèmes
déterminés à l'avance et sur lesquels on fait parler, tour
à tour, l'interviewé. Ce type d'interview est donc un peu plus
structuré et le degré de liberté y est un peu plus
réduit.
Cette technique a été d'un grand soutien
à la présente recherche du fait qu'elle nous a permis de
rassembler une quantité intéressante de données des
personnes ressources mieux informées sur la problématique des
élites politiques en Province Orientale et de leurs histoires que nous
n'aurions pu recueillir autrement.76
Précisons ici que nos instruments de récolte des
données étaient déjà prêts avant notre
nomination comme conseiller du Gouverneur de Province en mars 2004. Ce passage
au gouvernorat de province nous a servi de facilité à travers les
voyages des missions pour la descente sur le terrain. Aussi, notre statut de
conseiller du Gouverneur nous a donné une crédibilité pour
certaines personnalités avec qui nous nous sommes entretenus dont les
témoignages irremplaçables ne nous seraient autrement
donnés.
Nous avons fait deux descentes de terrains dans les
chefs-lieux des districts : de Bas Uélé (novembre 2006 et janvier
2007), de Haut Uélé (mars et octobre 2006) et de l'Ituri (juillet
2005 et février 2006). Pour le district de la Tshopo, nous n'avons pas
été en son chef-lieu ; n'ayant interrogé que les
personnalités vivant à Kisangani77. Nous avons aussi
questionné les élites politiques des trois autres districts de la
Province Orientale présentes à Kisangani.
76 O., Aktouf, Op., Cit., p. 88
77 Il est vrai que Yangambi est le chef-lieu du district de la
Tshopo, mais le champ de compétition politique et économique de
ses natifs a toujours plutôt été la ville de Kisangani.
Comparativement aux autres districts où les luttes politique et
économique se sont déroulées activement dans leurs
chefs-lieux, la Tshopo n'a pas connu cela. C'est Kisangani qui
représente donc valablement, en terme de compétition politique,
ce district. N'est-ce pas les ressortissants de la Tshopo se considèrent
plus «originaires» de la ville de Kisangani que les natifs des autres
districts de la Province Orientale et des autres Provinces de la RDC ? Ces
derniers sont même qualifiés de «bakuyakuya» (venants ou
étrangers).
Nous avons interrogé 40 personnalités en
fonction de 10 personnes par district. Ces personnalités ont
été choisies sur base des caractéristiques non exclusives
suivantes : la position privilégiée et le rôle joué
dans l'un ou l'autre mouvement rebelle ou groupe armé (milice ethnique
ou maï maï), la notoriété, la participation active dans
certains événements majeurs de l'histoire politique de la
Province Orientale, l'activisme dans la société civile, la
position dominante en terme de pouvoir politique, avoir vécu en
Provinciale Orientale pendant la période d'étude, etc. Notre
choix est porté sur ces personnalités du fait de leur
habileté et des rôles qu'elles ont joués dans la politique
de la Province Orientale pendant la période en étude ainsi que de
la position d'observateurs privilégiés de certaines d'entre
elles78.
En interrogeant les élites elles-mêmes ainsi que
certaines personnalités mieux informées et
privilégiées, nous nous installons au coeur même de la
transformation en cours.
Ceci nous permet de regarder la société et
l'environnement avec les yeux de ceux qui participent le plus activement
à son évolution pour appréhender les raisons de la
mobilité des élites politiques avec plus de clarté en y
décelant les hésitations, les déchirements et les conflits
qui l'accompagnent.
Les propos des élites/acteurs interrogés nous
fournissent un point de vue, un angle de vision privilégié en
décryptant les thèmes dominants de leur pensée, la
perception qu'elles ont d'elles-mêmes et de leur position dans
l'organisation sociale.
L'observation participante : Contemporain de
l'histoire et de certains faits observés, nous avons pu par
nous-même observer les élites politiques dans leur agir et les
différentes guerres qui ont émaillé le pays de 1996
à 2003 ainsi que les divers conflits armés interethniques ; bref,
la violence politique. Ainsi donc, nous sommes parvenu à emmagasiner une
quantité importante d'informations relatives à notre objet
d'étude. Notre expérience personnelle d'acteur de la
société civile puis politique79 a été
d'un appui considérable dans l'enrichissement de ce travail.
78 Nous citons par exemple les journalistes et les acteurs de
la société civile. L'interview non directive s'insère dans
le type qualitatif de l'enquête, c'est-à-dire «celui
où le chercheur interroge telle personne pace qu'elle possède
telle caractéristique ou parce qu'elle a comme tel type
d'expérience ou telle histoire.» Voir à ce sujet, L.,
Albarrelo, L'acteur social et la recherche scientifique,
2ième édition, Bruxelles, De Boeck, 2005, p. 7.
79 Nous avons été Secrétaire
Générale de l'ONGDH « Paix Sur Terre-ONG » de 1997
à 2002 et Directeur de « ACP-ONG », une association des
Droits de l'homme, d'éducation civique et de culture de la paix de 2002
à 2004.
2° Technique de traitement :
L'analyse de contenu : un des instruments les plus complets,
les plus riches et les plus utilisés (surtout en phase de
dépouillement/interprétation) en sciences sociales. Elle peut
être extrêmement utile au chercheur tout au long de son travail,
depuis la pré enquête jusqu'au dépouillement / traitement
d'un questionnaire80. Technique d'étude
détaillée des contenus de documents, elle nous a permis de
dégager les significations, intentions, associations,... non directement
perceptibles à la simple lecture des documents (le terme document doit
être pris ici au sens plus large, allant du texte au film en passant par
la bande audio). Il s'agit ici, outre des écrits issus des interviews,
des archives de la Province, des documents vidéo et audio, etc.
Précisons aussi qu'en tout état de cause, les documents exprimant
des conduites, des opinions, des tendances, des attitudes,... sont presque
toujours des données verbales qu'on transforme en
écrits.81
0.4. Intérêt et objectif de
l'étude
Cette étude sur les guerres et la circulation des
élites politiques en Province Orientale, revêt un double
intérêt : scientifique et pratique.
Sur le plan théorique, la présente étude
est une contribution à la sociologie des élites et à
l'histoire politique de la Province Orientale. Elle a permis de
décrypter le code de la mobilité des élites politiques en
temps de guerre.
Sur le plan pratique, le présent travail est un
document de repérage des élites politiques et de leurs
caractéristiques et comportements pendant la guerre ou à
l'occasion de la violence politique.
La justification de ce double intérêt est surtout
étayée par l'armature méthodologique dont recours dans la
présente étude.
En guise d'objectif, nous nous proposons de jeter un
éclairage sur le renouvellement des élites politiques en Province
Orientale. Il s'agit aussi de dresser un
Nous fûmes aussi chargé des Relations publiques du
RECIC/P.O (Réseau des ONG d'Education Civique du Congo de la Province
Orientale) de 1998 à 2003.
80 O., Aktouf, Op. Cit., p. 111
81 Cette technique nous permit d'analyser les contextes
d'actions et des situations que sont des mots agencés dans un discours
signifiant à travers une description objective, systématique et
quantitative du contenu manifeste des communications enregistrées en vue
de les interpréter. Nous avons utilisé les cassettes de certaines
vidéothèques et audiothèques privées de la
période concernée. Aussi, nous nous sommes servi de la fonction
multimédia de notre téléphone portable pour enregistrer
quelques unes de nos interviews.
répertoire, même inachevé, de ceux qui font
la politique et conditionnent le politique en Province Orientale.
0.5. Délimitation du champ
d'étude
Il est primordial de pouvoir délimiter dans l'espace et
dans le temps la présente étude en vue d'avoir une vision plus
précise et plus rigoureuse.
Ainsi, l'espace matériel d'analyse est la Province
Orientale82. La plus vaste de toutes les provinces de la RDC avec
ses 503.239 Km2 soit 1/5 de la superficie totale de la RDC et
peuplée de 7.586.659 âmes (dont 3.706.347 hommes et 3.880.312
femmes83).
0.6. Difficultés
rencontrées
L'exploitation de l'objet de la présente étude
ainsi que la préparation et la rédaction de ce mémoire
n'ont pas été exemptes de difficultés dont voici
ramassées les principales :
- Les hésitations dues à notre expérience
limitée et au doute dans le choix et la définition de cet objet
d'étude et de la méthodologie. Chaque recherche nouvelle
étant recommencement et quête exploratoire ;
- Le refus de certains sujets à nous fournir des
éléments lors de la collecte des données liées
surtout aux identités et trajectoires sociopolitiques des nombreuses
personnalités du fait de la suspicion et ;
- La rareté ou le trop peu nombre des études
spécialisées en rapport avec notre objet d'étude.
La première difficulté a été
surmontée grâce à l'effort de clarification, -
82 Cette province est constituée de 4 districts, 24
Territoires, 204 secteurs et chefferies et d'une biodiversité des plus
riches au monde.
La présente étude prend en compte l'axe temporel
allant de 1997 à 2003. Ce choix est justifié par le fait que la
guerre qui semble avoir remodelé de manière drastique l'univers
politique de la RDC est celle conduite depuis 1996 (et atteint la P.O. en 1997)
par Laurent Désiré Kabila avec l'Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL en sigle) avec
ses différentes progénitures RCD-Goma (Rassemblement Congolais
pour la Démocratie/Goma et ses variantes du RCD-K (Kisangani), RCD-K/ML
(Kisangani Mouvement de Libération), RCD-N(National), MLC (Mouvement de
Libération du Congo) et toute l'exacerbation de la violence
communautaire en Ituri et à travers les milices maï maï.
L'année 2003 étant prise comme limite finale de cette
étude du fait qu'elle a vu la mise en application de l'accord global et
inclusif du 17 décembre 2002 signé à Pretoria par
l'institution du Gouvernement 1+4 et des autres institutions de la
Transition.
83 Lola Kisanga (édit.), Plan de projets de
développement de la Province Orientale, axes prioritaires pour l'an
2006, Kinshasa, éditions de l'IFASIC, p. 19 et
ss.
évidemment évolutive, mûrie -, de l'objet
d'étude ainsi que la discipline et la rigueur personnelles dans le
traitement du problème d'étude. C'est à ce niveau que
l'apport de notre équipe d'encadrement s'est révélé
plus qu'important. La suspicion dont nous faisions l'objet de la part de
certaines personnalités interrogées a été
contournée par la perspicacité, l'insistance et les bonnes
relations interpersonnelles. L'Internet et les personnes ressources ont
été d'un apport non moins négligeable pour combler la
contrainte liée à la quasi absence de la documentation
spécialisée en rapport avec notre objet d'étude.
0.7. Plan du travail
Après nous être fixé sur la
problématique de cette étude, il nous semble impérieux de
présenter le plan de rédaction, le cheminement de notre
argumentation pour démontrer nos hypothèses.
En effet, hormis l'introduction, guide de lecture de ce
mémoire, et la conclusion, cette étude se résume en trois
chapitres. Le premier chapitre traite des conflits armés et crises
politiques pour analyser le contexte de violence politique
caractéristique de la période étudiée qui a
occasionné le déploiement/redéploiement des
élites politiques et la recomposition de l'espace politique en Province
Orientale, matières du chapitre deuxième qui permettent une
compréhension, au troisième chapitre, des modalités et
tactiques de la mobilité des élites politiques en Province
Orientale.
35 CHAPITRE PREMIER : CONFLITS ARMES ET CRISES
POLITIQUES
L'histoire politique de la Province Orientale a
été, depuis bien des années, structurée par la
violence politique des différents conflits et guerres qu'a connus la
RDC. Il est question à travers ce chapitre de plancher sur ces
réalités politiques ainsi que les différentes alliances
qui y ont été nouées et les manifestations de ces
différentes alliances.
Il s'agit ici de démontrer que la Province Orientale a
été affectée sérieusement par les violences
politiques. Quelles en sont les causes et les conséquences ? Quelles
sont ces crises et guerres ? Qui en sont les acteurs ? En définitive,
pour voir comment la violence politique a configuré l'espace politique
provincial.
Nous allons dans ce chapitre traiter de la Province Orientale
dans la guerre ainsi que des zones de turbulence de la Province Orientale en
guise, respectivement de première et seconde sections.
I.1. Province Orientale dans la guerre
L'analyse de K. Vlassenroot et T. Raeymaekers84 sur
la violence politique en Ituri est plus que révélatrice de la
violence armée qu'ont connue certaines parties de la Province Orientale
pendant plus d'une décennie. Cette section se propose de relever le
contexte de guerre qu'a connu la Province Orientale de 1997 à 2003. Un
détour par la période d'avant 1996 pour comprendre le contexte
politique et la trajectoire des élites en temps de guerre en Province
Orientale.
L'histoire politique de la Province Orientale est
émaillée de plusieurs événements tragiques.
En effet, la Province Orientale a constitué le champ de
bataille des troupes armées étrangères venues appuyer
différentes rébellions et divers groupes armés qui
y sévissaient entre 1997 et 2003. La Province Orientale avait servi
de bastion, avec le
84 K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, Op.
Cit.
Kwilu au Bandundu, de ce qu'on appelle nationalisme
congolais85 et porte, depuis, les stigmates d'un destin tragique lui
imposé par des conflits armés.
I.1.1. Une trajectoire historique sur fond des
violences
L'histoire politique de la Province Orientale est tragique
à plus d'un titre. Notre lecture de cette histoire commence à
partir des années 1959 quand, à Kisangani, Patrie-Emery Lumumba
convoque tour à tour le congrès du Mouvement National Congolais,
MNC, (du 23 au 26 octobre 1959) et de celui des partis nationalistes (du 27 au
31 octobre 1959) qui s'étaient soldés par des émeutes
réprimées dans le sang86.
Bien plus, l'incident de Stanleyville motiva le
déplacement du Roi Baudouin au Congo Belge, voyage qui lui fit atterrir
directement dans cette ville.
Cependant, la Province Orientale87 va payer cher
cette adhésion au nationalisme lumumbiste. Fichée par les
services secrets belges comme province rebelle et ultra-nationaliste, elle a
vécu une chaîne d'événements que n'a subis aucune
autre province de la RDC.
85 En effet, Patrice Emery Lumumba fait ses débuts
politiques en Province Orientale. Laurent-Désiré Kabila aussi a
été porté à la gloire par les habitants de
Kisangani. Aussi, lors de la crise de 1961 déclenché par
l'arrestation puis la mort de Lumumba, des nationalistes (ceux qui
étaient pro Lumumba) se retirèrent en Province Orientale
d'où ils organisèrent la résistance contre le gouvernement
de Léopold ville. Il s'agit par exemple de Antoine Gizenga, Christophe
Gbenye, Laurent-Désiré Kabila, Gaston Soumialot, etc. Mais,
précisons tout de même que cette époque
«glorieuse» a marqué de sang l'histoire de cette province.
(Lire les numéros Congo, 1960 à 1964 de la série du CRISP
pour d'amples renseignements).
Le nationalisme congolais est compris ici comme le refus de
brader les intérêts du Congo au profit de l'impérialisme ou
de toute autre puissance étrangère.
86 Il fut aussi question de réfléchir sur la
problématique de l'indépendance. 20 morts sont
dénombrés après les échauffourées auxquelles
déboucha le face-à-face entre les participants au congrès
et les forces publiques coloniales. Cf. Maindo Monga Ngonga, Voter en temps
de guerre : Kisangani (RD- Congo) 1997, quête de légitimité
et (con)quête de l'espace politique, Paris,
L'Harmattan, 2001, pp. 32-38. Simons, R., Boghossian et B., Verhaegen,
«Stanleyville 1959 : le procès de Patrice Lumumba» in CEDAF,
Cahiers africains, n° 17-18, 1995, Passim, B.,
Verhaegen, Rébellions au Congo, Bruxelles, CRISP-INEP et IRES,
1966, T1 et T2 (1969), J.C., Willame, Patrice Lumumba. La crise congolaise
revisitée, Paris, Karthala, 1990, P., De Vos, Vie et mort de
Lumumba, Paris, Calmann-Levy, 1961.
87 Comme d'ailleurs tout le Kivu qui a toujours souffert le
martyr, à telle enseigne que même lorsque tout le reste du pays
votait, par exemple en 1965, les Kivutiens n'avaient pas droit au vote pour
cause des troubles. Sous l'AFDL et le RCD et jusqu'aujourd'hui, cela n'a pas
changé.
Un fait en apparence anodin, mais d'intérêt
scientifique évident en science politique, survient à la
même époque, comme il y en a eu beaucoup dans la Province
Orientale ; avec de conséquences par ailleurs désastreuses et
funestes : dans un bar de Kabondo, un soldat en état d'ivresse provoque
une bagarre dont il s'en suivit mort d'homme. Ses compagnons d'armes, les
soldats de Lundula, descendent sur toute la commune pour le venger, tuant le
propriétaire du Bar « Boule d'Ambiance », sa famille, et tous
les civils trouvés sur le passage, pillant les maisons dans la commune,
violant femmes et fillettes...
Ceux qu'on a appelé pendant la période de
conflit les «PNP», parce qu'étant majoritairement membres du
Parti National pour le Progrès et dont le sigle dénaturé
au profit de la sale besogne d'élimination de ses membres signifiait
pour les mulelistes «Pene Pene na Mindele » (Proche des blancs) ou
« Parti des Nègres Payés», c'est-àdire en clair,
traîtres, délateurs, déloyaux, mouchards,...Et donc, brebis
galeuses à détruire et à éradiquer sans
ménagement. Après la chute d'une ville ou d'un centre, les
rebelles tuaient tous ceux (fonctionnaires, enseignants, magistrats, juges,
religieux, etc.) qu'ils considéraient comme les seuls ayant
profité de l'indépendance et donc antinationalistes et favorables
au gouvernement de Léopoldville88.
Les élites politiques en Province Orientale profitent
de l'aubaine historique pour régler des comptes à des anciens
adversaires politiques et ennemis sociaux. Les rivalités passées
se sont ravivées et ont pris de proportions explosives et maniaques
à travers dénonciations et délations contre les
personnalités présumées ou supposées PNP. Nous
pouvons ici rappeler le rôle prépondérant qu'a joué
Christophe Gbenye dans les massacres que connut la Province Orientale entre
1961 et 1964.
Tout récemment encore, Wale Sombo Bolene, Bilusa Baila
Boingaoli, ont contribué à la commission des violences
enchaînées des droits fondamentaux des populations civiles de la
P.O. à travers les événements sordides et macabres des
guerres de 3 jours (Cf. la période mouvementée du
dédoublement institutionnel avec le RCD-Goma et le RCD-K), les massacres
du 14 mai 2002, etc.
Stanleyville a été la capitale de la
République Populaire du Congo dès sa création le 5
septembre 1964 jusqu'à sa reprise par l'Armée Nationale
Congolaise soutenue par les Forces occidentales (belges) et les mercenaires
blancs (américains) en fin 1964.
Nendaka Bika, Jean Foster Manzikala Tanzi firent la même
chose sous le régime Mobutu et conduirent des nombreuses élites
de cette province à la mort89.
Ainsi, périrent sur la place publique, politiciens,
fonctionnaires aisés de l'Administration publique et des
sociétés privées, commerçants, barmen, Directeurs
d'écoles primaires, infirmiers, habitants des maisons
électrifiées, propriétaires des voitures ou de frigos, des
universitaires en vacances... Sans parler des religieuses et religieux
nationaux et étrangers (dont le symbole reste la Bienheureuse Anuarite
Nengapeta). Certains témoins sont encore vivants90.
A la réunification, il s'ensuivit une militarisation
excessive de la Province Orientale, avec tous les drames qu'implique une telle
situation en tracasseries, tueries, viols de femmes et filles,
dépravation des moeurs, pillage des ressources, tortures psychologiques,
terrorisme physique et intellectuel... L'une des élites de la Province
Orientale de l'époque, Nendaka Bika va même proposer la
transformation de la P.O. et Kisangani en un vaste caféier.
En 1966, les Gendarmes Katangais se mutinent et causent des
dégâts matériels et humains importants, non
comptabilisés.
89 Encore plus jeune, nous apprenions un quolibet comme «
Uko na roho mubaya sawa Manzikala » (ce swahili de Kisangani signifie,
vous êtes méchant comme Manzikala). Ceci dénote de la
terreur et de la perception que cet homme a inspiré chez les habitants
de la Province Orientale.
90 Mon propre père, Paul Ponea Kasombo, Directeur
d'école primaire à l'époque, en est un. Il n'avait eu sa
vie sauve que grâce à la solidarité de son village. Mais
nombre de missionnaires protestants blancs qu'ils tentèrent de
protéger ont été massacrés à Banalia ; le
site de leur exécution porte la tristement macabre et
générique appellation de Place de martyrs.
En 1967, c'est le tour de l'aventurier Jean Schramme de s'enduire
les mains de sang allochtones de la Province Orientale, avec la révolte
de ses mercenaires.
Durant la période de la Pax Mobutu, la
province s'est vue dépouiller systématiquement de tout ce qui
auréolait son économie du fait de la zaïrianisation et de la
politique de la radicalisation91 de 1974. Les acquéreurs,
généralement originaires de la Province Orientale du reste, ont
contribué largement à la destruction de plusieurs entreprises
(par exemple, la Cimenterie Stanley (Cimestan) acquise par Mendela Kikola
Batangwe, la limonaderie Cristalo acquise par Marcel Lengema Dulia Makanga, la
Société Générale de l'Alimentation de Litho Moboti
(ce dernier n'est pas originaire de la P.O.)...), etc.
La guerre de l'AFDL qui mena à la chute du
régime de Mobutu causa à la Province Orientale des affres d'une
ampleur encore ignorée de la communauté nationale et
internationale. En effet, les soldats de l'Armée régulière
(Forces Armées Zaïroises de Mobutu) en fuite semèrent la
mort et la désolation sur leur passage à travers toute
l'étendue de cette province. On peut encore lire les graffitis
fièrement
apposés sur quelques murs en ruine dans les
Uélé, du genre bana Yakoma balekakiawa, (les
enfants de Yakoma sont passés par ici) comme quand un fauve marque
son
territoire de chasse. Rien n'avait alors
été épargné : bâtiments publics,
véhicules, maisons de commerce, plantations, églises,
écoles, banques, habitations civiles, populations...
L'entrée à Kisangani des troupes de l'AFDL a
été précédée par un ravitaillement massif
des entrepôts des organismes internationaux (PAM, Caritas Internationale,
CICR, HCR,...) de la ville de Kisangani. Et les pillages ordonnés par
les nouveaux venus de ces entrepôts donnèrent un semblant
d'amélioration des conditions sociales de la population. Aussi, les
alliés ougandais et angolais accompagnèrent l'expédition
militaire de l'AFDL à Kisangani par des avions cargos remplis des
produits
91 Lukombe Nghenda, Zaïrianisation, radicalisation
rétrocession en République Démocratique du Congo,
considérations juridiques, Kinshasa, PUZ, 1979, p. 14.
«Angorwa»92, une entreprise qui alimenta la
ville en riz, boîtes de conserve, farine de froment, etc.
Chaque guerre a son image et cette image dépend de la
nature des acteurs, leurs actions et rapports internes et externes, des
ambitions politiques dominantes et ce que Pierre Hassner93 appelle
« la dialectique du bourgeois et du barbare. Les sociétés
bourgeoises, libérales et bureaucratiques sont des
sociétés marquées par la domination du privé sur le
public, de l'individuel sur le collectif, de l'intérieur sur
l'extérieur, de l'intérêt prosaïque sur la performance
héroïque. Elles ont non seulement renoncé en fait à
la guerre entre elles mais l'ont bannie de leur horizon intellectuel et moral.
La légitimité de la guerre inter-étatique ayant disparu,
elle ne peut réapparaître que sous une forme cachée ou
sublimée. »
Le rapport Safiatou94 sur le pillage des ressources
résume bien le pillage des ressources naturelles et autres de la
Province Orientale pendant la période des guerres des rébellions
de 1998-2003.
I.1.2. La guerre de 1996, l'Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL)
Présentée comme une remise en question de la
gouvernance de MOBUTU, la guerre de l'AFDL a été un cocktail des
forces rebelles95 intérieures longtemps opposées (bien
que toujours maintenues dans leurs retranchements de Fizi et Baraka) à
Mobutu ainsi que les multiples et diverses forces militaires
étrangères africaines.
92 Après la chute de Kisangani sous contrôle des
troupes de l'AFDL, nous avons assisté à Kisangani, à la
vente des boîtes de conserve, des riz, sel iodé de consommation
domestique et autres produits manufacturés de première
nécessité portant la marque « Angorwa ». Un magasin fut
d'ailleurs ouvert dans l'ancien immeuble de l'ex Société
Générale d'Alimentation zaïrianisée sous le nom GLM,
groupe Litho Moboti avec comme enseigne « Angorwa ». L'imaginaire
collectif a lis en extension cette abréviation comme «
Angola-Rwanda » pour signifier de ce fait l'hégémonie de ces
deux alliés de Laurent-Désiré Kabila.
93 P., Hassner « Guerre sans morts ou morts sans guerre ?
Les paradoxes de l'intervention au Kosovo » in http ://
www.persee.fr consulté
à Kisangani, le 21 juillet 2009.
94 Un rapport des experts des Nations Unies sur le pillage des
ressources naturelles de la RDC paru en 2003.
95 Quoique celles-ci n'apprécièrent guère
que leur entreprise soit considérée comme une rébellion,
plutôt qu'elle fût considérée comme
révolution.
Elle avait bien entendu restructuré à sa
manière l'espace politique de la Province Orientale. Elle a eu
l'avantage d'être la seule et unique force politique en
compétition avec le pouvoir de Kinshasa.
Dès que les troupes de l'alliance
pénétrèrent à Kisangani, toute la gouvernance de la
Province Orientale a été, non seulement régentée
par ses leaders, mais aussi ces derniers organisèrent à leur
guise la vie politique en cette province. Ce fût d'ailleurs le cas pour
toute l'étendue de la République Démocratique du Congo.
Nous pouvons dire que l'apothéose de la guerre de
l'AFDL fut atteinte à Kisangani en date du 15 mars 1997, lorsque les
troupes mixtes : nationales (des transfuges des ex-FAZ, des Kadogo/
enfants soldats recrutés à la sauvette) et
étrangères (rwandaises, ougandaises, burundaises, angolaises,...)
ont occupé la ville de Kisangani. L'assaut vers les autres
entités et localités de la Province Orientale et voire celles de
tout le pays encore non occupées ou non conquises fut organisé
à Kisangani.
Ville qui encensa le porte-parole de l'AFDL Laurent
Désiré Kabila, et son mouvement lors de son meeting populaire,
qui marqua aussi l'élection à mains levées96
des Gouverneur et Vice-gouverneur de Province ainsi que du Maire de la ville de
Kisangani l'après-midi du samedi 22 mars 1997, où l'envoyé
spécial de l'ONU dans la région des Grands Lacs africains Mohamed
Shanoun fut convié à palper du doigt la détermination de
l'AFDL à renverser le régime de Mobutu.
Comme pour responsabiliser la population et l'associer
à l'entreprise guerrière, Laurent-Désiré Kabila, se
risqua d'improviser un test de nationalisme de Boyomais, en demandant à
la foule nombreuse réunie au stade Lumumba si elle voulait la fin de la
guerre ou la poursuite des hostilités jusqu'à la chute du
Maréchal Mobutu. La foule répondit massivement et presque
à l'unanimité aux attentes de L.D. Kabila en scandant le slogan
«Avancez ! Avancez ! Avancez !».
96 Pour une compréhension de ces élections
organisées à Kisangani lors de l'occupation de la ville par les
troupes de l'AFDL au mois de mars 1997 afin d'organiser une administration qui
puisse encadrer le peuple et canaliser l'effort de guerre, lire Maindo Monga
Ngonga, Op. Cit. Passim.
Cette étape semble décisive dans la mobilisation
des élites politiques de la Province Orientale et la reconfiguration,
par la guerre, de l'espace politique de cette entité, en particulier, et
de toute la RDC, en général. Car, les nouveaux maîtres de
terrain préfèrent faire table rase de tout ce qui existait et
s'engagent dans une entreprise de recrutement des cadres politiques et
administratifs pour servir de pont à leur mouvement dit de
libération.
La conquête du pouvoir de l'Etat par l'AFDL a
été favorisée par plusieurs facteurs internes notamment :
la déliquescence des Forces Armées Zaïroises (FAZ) d'une
part, la trahison des officiers généraux, supérieurs voire
de toute l'armée (l'armée de Mobutu n'étant, à
l'orée de son régime, qu'un conglomérat des
commerçants et affairistes en tenues militaires.), et la lassitude de la
population pressée par une longue transition politique, d'autre
part.97
Aussitôt arrivé au pouvoir, le nouveau
maître de Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila, entreprit de se
défaire de ses alliés rwandais qui devenaient très
encombrants et dont la présence au sein des institutions de l'Etat
n'était plus du tout appréciée par la population
congolaise (surtout Kinoise) qui dénonçait la prise en otage du
pouvoir de l'Etat congolais et du Président Kabila par des
étrangers rwandais et ougandais.
Il avait aussi le difficile choix à opérer entre
par exemple : satisfaire ou museler une opposition interne si vivace et
fougueuse98. Il lui a fallu aussi initier des projets de
développement pour s'assurer le soutien de la population et justifier sa
prise du pouvoir.
La gestion par l'AFDL des territoires conquis a posé des
sérieux problèmes avant même la prise totale du pouvoir
à Kinshasa. Les cadres politiques et militaires du
97 Lire pour comprendre davantage cette épopée de
l'AFDL et tous les contours de cette prise de pouvoir atypique, C., Braeckman,
L'enjeu congolais. L'Afrique centrale après MOBUTU, Paris,
Fayard, 1999.
98 L'opposition politique congolaise a joué un grand
rôle de sape et d'affaiblissement du régime Mobutu depuis les
années 1983 jusqu'à l'avènement de l'AFDL en 1997. Mais,
elle s'est vue éloigner et non associer par les nouveaux venus à
la gestion du pays. Précisons que les ordres des alliés
étrangers ont été plusieurs fois cités et
dénoncés dans cet éloignement de l'opposition interne
congolaise à la fois par les acteurs politiques internes et par la
population.
mouvement, surtout ceux venus de la diaspora,
s'érigeaient en maîtres des lieux avec mépris total de
l'autorité établie. Les autorités territoriales
élues devraient faire face aux exigences de bonne gestion de leurs
entités ainsi que les recommandaient le mouvement et la maîtrise
des attitudes toutes aussi cavalières et usurpatrices des cadres de
l'armée, de chembe chembe et des organes du mouvement. Ici le lieu de
citer les diverses humiliations dont étaient victimes certaines
autorités élues. A titre indicatif, à Kisangani, aux mois
d'avril et d'octobre 1997, l'on a assisté aux arrestations (qui
frisaient d'ailleurs aux enlèvements car perpétrées tard
dans la nuit et sans aucune forme de droit) par les militaires rwandais de
l'AFDL et leurs tortures respectivement des Bourgmestres Maindo Monga Ngonga de
la commune de Kabondo et Loela Bonone de la commune de Mangobo.
A Banalia, c'est l'Administrateur de Territoire Adjoint en
charge de l'Administration et des Finances Exy Bayabo qui démissionne
suite aux différentes brimades et humiliation dont il a
été victime de la part des militaires et cadres de l'AFDL. En
effet, sa résistance face aux débordements des cadres de l'AFDL
à Banalia qui se substituaient en juges des infractions pénales
voire des affaires civiles et en agents du fisc à travers les
barrières intempestives payantes qu'ils érigeaient sur toute
l'étendue du Territoire99.
Les élites intégrées au mouvement rebelle
par le blanc-seing électoral avaient un devoir de réussite pour
ne pas se discréditer et décevoir les attentes populaires d'une
gestion meilleure que celle rebutée du régime Mobutu. Mais ceci
était sans compter avec l'absence des ressources financières.
Maindo Monga Ngonga explique bien cette difficulté quant il traite de
ressources limitées pour un mandat
indéterminé100.
Il nous faut aussi signaler le comportement conquérant,
prédateur, injurieux et humiliant des alliés rwandais qui
pouvaient arrêter, torturer, etc. ils instituent le «fimbo ya
ujinga» (entendez littéralement par ça, le fouet de
l'imbécillité. Qui signifie au
99 Notre entretien avec Exy Bayabo, ancien ATA de Banalia en
Charge de l'Administration et des Finances, à Kisangani, le 09 septembre
2007.
100 Maindo Monga Ngonga, Voter en temps de guerre,...Op.
Cit., pp. 136-141.
sens propre, fouet de la correction ou du redressement) ou la
bastonnade publique ; qui pouvait aussi être appliquée non pas
seulement aux fesses mais aussi dans le ventre.
La gestion par l'AFDL des territoires de la Province Orientale
est un mélange de genre où le militaire tient le politique en
état. Situation justifiée par l'état et l'effort de guerre
; la lutte vers Kinshasa n'étant pas encore achevée.
Colette Braeckman écrivait à ce sujet :
«Alors que le Rwanda et l'Ouganda ont commencé à retirer
leurs troupes, le nouveau président congolais tente d'asseoir son
autorité sur une armée frondeuse et des alliés devenus
encombrants »101.
Le limogeage de James Kabarebe102 le 14 juillet
1997, alors Chef d'Etat Major Général de
Laurent-Désiré Kabila, le cloisonnement politique de Deo Gracias
Bugera, Secrétaire Général de l'AFDL, pendant ce
même moment, le rapatriement des troupes rwandaises et ougandaises et des
conseillers militaires de ces deux pays venus au secours de l'AFDL entre le 27
et le 28 juillet de cette année ont servi de prétexte pour le
déclenchement de la seconde guerre commanditée par les anciens
alliés de Kabila contre lui.
Les dissensions avec le Rwanda ne laisseront pas le temps au
vieux maquisard de se doter d'une armée homogène et
expérimentée.
La corruption est aussi source d'instabilité politique
en RDC. Elle a entraîné un désenchantement de la population
vis-à-vis du pouvoir surtout que les gouvernants étaient devenus
plus affairistes qu'hommes d'Etat.
101 C., Braeckman, «Premiers retraits de troupes
étrangères. Guerres sans vainqueurs en République
Démocratique du Congo», in Le Monde Diplomatique,
Bruxelles, Avril 2001, p. 1.
102 Cet ancien officier général de
l'armée de la RDC sous Laurent-Désiré Kabila est
aujourd'hui chef d'Etat Major Général de l'armée rwandaise
hic ! O., Lanotte, République Démocratique du Congo. Guerres
sans frontières. De Joseph-Désiré Mobutu à Joseph
Kabila, Bruxelles, éd. du GRIP et complexe, 2003, p. 94, note aussi
que la détérioration des relations entre
Laurent-Désiré Kabila et ses alliés étrangers
résulte de la tentative « du nouveau président congolais de
s'affranchir vis-à-vis de ses «parrains» de l'Est, Kinshasa
s'attacha à remettre en question le permis d'exploitation que se sont
arrogé Kigali et Kampala dans l'Est du Congo. Le président
congolais vise en particulier le démi-frère du président
Museveni, Salim Saleh, lequel tire de juteux profits du trafic de bois
précieux de la région de l'Ituri, de l'exploitation d'or du Haut
Congo.
I.1.3. 1997-2003 : La Province Orientale à
l'ère des guerres dans la guerre
L'ère des rébellions est sans doute l'une des
phases remarquable de la violence politique dans l'histoire politique de la
République Démocratique du Congo en général et de
la Province Orientale en particulier. Une situation à dimension multiple
où plusieurs acteurs entrent en jeu. Elle est caractérisée
par la prolifération des rébellions nées du RCD ou contre
ce dernier, comme le Mouvement de Libération du Congo (MLC). Aussi, elle
est marquée par des affrontements armés entre les forces
alliées aux mouvements rebelles entre elles et contre le gouvernement de
Kinshasa; c'est ainsi que nous parlons de guerres dans la guerre.
Nous pouvons, de manière chronologique présenter
quelques batailles qui survinrent du fait des tensions entre les armées
alliées au RCD et entre ses différentes factions de la
manière ci-après :
- Le 22 mai 1999 à Kisangani;
- Le 7 juin 1999 à Kisangani;
- Du 17au 19 août 1999, guerre dite de trois jours à
Kisangani;
- Le 5 mai 2000, guerre dite d'un jour et à Kisangani;
- Du 5 au 10 juin 2000, guerre dite de six jours à
Kisangani ;
- Janvier 2002, à Isiro (des hommes de Mbusa attaquent
ceux de Lumbala) ; - Octobre 2002, Mambasa et Epulu (Coalition MLC/RCD-N vs
RCD-K/ML) ;
- Fin 2000 - début 2001, plusieurs affrontements à
Bafwasende entre d'une part
les hommes de Mbusa, ceux de Lumbala et entre d'autre part
ceux-ci et des
hommes du RCD-Goma ;
- L'enlisement de la situation militaire en Ituri est aussi
à mettre à l'actif de ce jeu macabre de positionnement et de
crise de leadership entre les alliés rwandais et ougandais et entre les
acteurs locaux congolais.
A cela, il faut ajouter les expéditions punitives
organisées à travers quartiers, avenues et villages environnant
les grands centres et cités de la Province Orientale ainsi que la ville
de Kisangani. Pendant ce temps, l'étranger est maître de terrain
et soutenu dans sa besogne par les élites locales.
Mais, les trois derniers affrontements de Kisangani marquent
la phase scissipare du RCD en plusieurs autres souches parentes avec le
concours et la complicité de mêmes alliés rwandais ou
ougandais selon le cas. Ainsi s'élargit l'arbre
généalogique des mouvements rebelles ayant un même
ancêtre interne, l'AFDL, et les mêmes parrains, le Rwanda et
l'Ouganda. Et au lieu de parler simplement du RCD, nous allons
dorénavant ajouter une épithète à ce mouvement pour
le distinguer des autres qui portent la même dénomination que lui
comme pour confirmer leur filiation et fratrie.
En effet, suite à un malentendu bien manigancé
et instrumentalisé par les alliés ougandais sur l'éviction
du Professeur Ernest Wamba dia Wamba de la tête du mouvement au
début de 1999. Ce dernier est exfiltré de Goma par des troupes
ougandaises au mois de mai de la même année puis transporté
à Kisangani où il crée avec Antipas Mbusa Nyamwisi le
RCD-Kisangani (RCD-K).
Wamba dia Wamba manipule la lassitude de la population de
Kisangani et son aversion à l'égard des troupes rwandaises en
annonçant son rapprochement avec Kinshasa et sa volonté à
vouloir négocier. Ce qui lui vaut un ralliement massif de nombreuses
personnalités et le soutien exprimé lors de ces
différentes tentatives de meetings de la population boyomaise
nostalgique du pouvoir de Kinshasa. Il installe une administration
parallèle au camp des contingents ougandais de la Sotexki où sont
recrutés et formés cadres universitaires et jeunes
désoeuvrés pour une éventuelle armée du RCD-K. Son
Gouverneur, le Professeur Walle Sombo Bolene alias Gouverneur Magnifique, un
Topoke, rivalise d'ardeur et de provocation avec le Gouverneur du RCD,
Théo Baruti Ikumaiyete, un Lokele103.
103 Le choix par les différents mouvements de ces deux
personnalités natives de la Province Orientale et tous deux
ressortissants du Territoire d'Isangi appartenant aux deux ethnies rivales est
stratégique. Il exploite à la fois la position « dominante
» ou les ressentiments existants (lire Bolinda wa Bolinda, De l'impact
du conflit TopokeLokele sur le développement du territoire d'Isangi.
Recherche d'antidotes sociologiques,Thèse en Sociologie
(inédite), FSSAP, UNIKIS, 2000 et pour le même auteur, De la
compétition identitaire des Topoke et Lokele face aux exigences du
développement du Territoire d'Isangi, Mémoire de DES en
Sociologie (inédit), FSSAP, UNIKIS, 2000 pour mieux cerner la nature des
rapport entre Lokele et Topoke), l'importance numérique (les
ressortissants de ces deux ethnies étant vraisemblablement les plus
présents en politiques que ceux des autres ethnies de la Province dans
la ville de Kisangani), l'histoire, l'activisme des jeunes de ces deux ethnies
(les associations Bana
Même la suite de choix des autorités du RCD-Goma n'a
suivi que cette logique de recherche d'assise populaire.
Nous assistons à des pugilats verbaux et
l'instrumentalisation des ressentiments ethniques anciens orchestrés par
les élites politiques en compétition. Le domaine de la Sotexki
s'est mué en un Etat contigu dans un sous Etat (l'«Etat/RCD»)
au sein de la RDC sous la surveillance des ougandais. Le summum de ce jeu de
ping pong entre alliés s'observe quand, le 17 août 1999, les
troupes rwandaises secondées de leurs alliés congolais du
RCD-Goma lance l'assaut sur le QG avancé en ville du RCD-K.
Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD),
ayant entamé l'occupation de la Province Orientale le 11 août 1998
par la prise de Bunia est parvenu à prendre Kisangani le 23 septembre
1998. Il est antérieur à toutes les factions rebelles qui ont
fulminé entre 1998 et 2001 en RDC. Un mouvement rhizomique du fait des
discordes observées dans la gestion des intérêts rwandais
et ougandais.
Guerre débutée avec les allures d'une
insurrection/mutinerie non organisée et sans structure politique le 2
août 1998. Car, pendant près de trois semaines, après la
défaite militaire lors de son raid sur Kitona au Bas Congo, la
première apparition médiatique des porte-parole militaires du
groupe armé n'intervint que le 20 août 1998, après
l'échec de l'opération aéroportée au Bas-Congo aux
portes de Kinshasa. Colette Braeckman a aussi écrit sur ce
sujet104.
Nkoko Lipambala pensait de ces mutisme et absence des cadres
politiques dans les premiers jours de l'existence du mouvement
politico-militaire RCD qu'en réalité cette guerre n'était
pas conçue pour une rébellion mais plutôt pour un coup de
force. Car, les porte-parole du mouvement n'ont été
présentés à la population que trois semaines après
le déclenchement de la guerre. Cependant, les textes qui
régissent le
Etats-Unis, Katamoto, Chine Populaire, Les Bourgeois, etc. ont
pour membres, majoritairement des jeunes natifs Lokele, Topoke et leurs autres
alliés d'Isangi).
104 C., Braeckman, Op. Cit., 354
RCD attestent que sa création est antérieure au
déclenchement des hostilités, c'est-àdire le
1er août 1998105.
Il a été déploré sous la gestion
de certaines entités de la Province Orientale par le RCD: brimades,
viols, vols, pillages, raquettes, prédation des ressources naturelles,
violations des droits humains, musellement des libertés publiques,
manipulation et instrumentalisation des ressentiments ethniques, etc.
Les rapports des alliés (rwandais et ougandais) aux
différents mouvements sont révélateurs de la nature
même de l'Etat congolais. Un « res nullius » à la
portée de tout conquérant qui sait allié argent et pouvoir
politique. Les alliés s'opposant chaque fois que l'intérêt
des élites politiques congolaises était en jeu et vice versa. Les
alliances se font et se défont au gré des humeurs et des
circonstances. Par conséquent, la Province a subi le choc de ces
rapports tendus et instables. Les guerres civiles, les confrontations
armées entre troupes étrangères en terre congolaises de la
Province Orientale, des répressions de tous genres et des
exécutions sommaires extrajudiciaires témoignent de cet
état de chose. Ceci a débouché, en Province Orientale, sur
une escalade sans précédent dans l'histoire de
l'Afrique106. Les guerres dites de un, trois et six jours de
Kisangani sont à l'actif de ces pays et des mouvements rebelles
respectifs qu'ils appuyaient. Aussi, les désaccords entre
différents groupes ont débouché sur des guerres dans la
guerre.
Nous assistons ainsi, du fait de ces discordes, à
l'émergence du Mouvement de Libération du Congo (MLC), du
Rassemblement Congolais pour la Démocratie - Kisangani/Mouvement de
Libération qui devint au début de 2006, Rassemblement des
Congolais pour la Démocratie du Congo-Kinshasa/ Mouvement de
Libération mais
105 Nkoko Lipambala, La problématique de la nature
des rapports entre les différents mouvements de rébellion et
leurs alliés. Expérience de la ville de Kisangani de 1996
à 2000, Mémoire de Licence (inédit), SPA, FSSAP,
UNIKIS, 1999-2000, p.33.
106 Pour la première fois, les Etats africains ont
utilisé le territoire d'un autre Etat indépendant et souverain
pour se faire la guerre en prenant des centaines de milliers des populations
civiles en otage et détruisant des structures sociétales et des
vies humaines. C'est à raison que cette guerre fut qualifiée par
plusieurs commentateurs de la première guerre du monde d'Afrique.
garda le même sigle (RCD-K/ML), RCD-National (RCD-N) et les
différents groupes armés de l'Ituri.
Jean Pierre Bemba Gombo, le chef du MLC, arrive à
Kisangani au mois de septembre 1998. D'abord annoncé comme membre du
RCD, ce dernier, prend des contacts avec quelques cadres de la ville et
l'idée de créer son propre mouvement voit le jour avec le soutien
des Ougandais comme il le dit lui-même dans l'ouvrage autobiographique de
sa guerre107.
Le Mouvement de Libération du Congo est
créé à Kisangani au mois de septembre 1998. Il inaugure
vraisemblablement l'ère des dures épreuves pour la Province
Orientale et ses populations civiles ; car les alliés multiplient des
coups bas et intrigues au point que le front rebelle devient un marché
concurrentiel rentable où les élites se dévoilent et
rivalisent d'ardeur dans les aller-retour à travers les capitales
rwandaise et ougandaise à la recherche «d'emploi». Nous avons
en annexe une photo de Mbusa Nyamwisi saluant tout respectueusement, le
«faiseur des roitelets congolais», Paul Kagame à l'occasion de
l'un de ses multiples périples à Kigali.
Ce mouvement rebelle fait ses débuts politiques
à Kisangani où il recrute ses premiers cadres et hommes de
troupes sous la supervision ougandaise108. Cette situation a
entraîné des arrestations de nombreuses personnalités ayant
été en contact avec Jean Pierre Bemba Gombo, en l'occurrence
Monsieur Pierre-Hubert Moliso Nendolo Bolita alors Procureur de la
République à Kisangani en 1999, par les services du RCD et
détenu secrètement au Camp Ketele. Cette situation a
provoqué des remous dans la ville et le mouvement a plié sous la
pression pacifique des élites politiques et de la société
civile boyomaises.
69 Bemba Gombo, Op. Cit., pp. 18-47, 95-150. 108
Ibidem, pp. 18-19.
Le MLC et les Ougandais contrôlent, en reprenant des
positions aux rwandais et au RCD, tout le district du Bas-Uélé,
une grande partie du Territoire de Banalia109, le Haut
Uélé et progressent en Equateur.
En même temps, tandis que Jean Pierre Bemba Gombo et
Antipas Mbusa Nyamwisi se disputaient l'or du Haut-Uélé, Roger
Lumbala s'emparait du diamant de Bafwasende.
Un rappel important mérite d'être fait à
ce niveau sur le comportement des troupes rwandaises. Pendant leur
première intervention en RDC, ces troupes se sont plusieurs fois
livrées aux brimades et pillages. Se considérant comme
maîtres110 sur un territoire conquis, les militaires rwandais
n'ont pas hésité à piller véhicules, immeubles,
biens meubles, argents et équipements industriels qu'ils rapatriaient
directement au Rwanda. Tous ces comportements ont attisé l'aversion de
la population congolaise de la Province Orientale contre les Rwandais et ont,
par conséquent, alimenté le ressentiment des habitants de la
Province Orientale contre le RCD.
Soulignons que l'aversion caractéristique et explosive
que connut la Province Orientale contre les Rwandais entre fin 1996 et fin 1998
à l'occasion des guerres de l'AFDL et du RCD est la résultante
d'une instrumentalisation bien orchestrée par les élites locales
mobutistes. Sans les nommer, les élites appellent à la vigilance
contre les «R ou Roméo ou encore zolo mulayi/puwa
murefu111». Les délations et les chasse-àl'homme
dont ont été victimes certains sujets Rwandais ou
non112. Même pendant la
109 Seule une partie du Secteur Bamanga, de PK 18 au PK 52 sur
la route Banalia, qui est sous contrôle du RCDGoma et des rwandais.
110 Les rwandais qualifiaient avec une facilité
déconcertante tous les congolais, civils ou militaires, de
«Wajinga» ce qui signifie «villageois»,
«ignorants», «dupes» et plus fort encore,
«imbéciles». Aussi, ils ont été plus
considérés comme prédateurs que leurs homologues
ougandais. Nous estimons que c'est en réaction à ces multiples
brimades que la population de Kisangani a semblé adhérer aux
tentatives de déstabilisation du pouvoir du RCDGoma par le RCD-K.
111 Pour signifier Rwandais ou long nez.
112 En janvier, février, mars 1996 quand l'AFDL
menaçait de prendre la ville de Kisangani, les étudiants
instrumentalisés et voire les voyous de Mangobo, Tshopo et Kabondo se
sont attaqué à tout celui qui avait des traits
phénotypiques Tutsi et ont même confondu dans leur besogne
certaines personnes, Bantoues de surcroît, aux Rwandais. Le fils du
Professeur Obotela Rachidi (Topoke de la Province Orientale de son
état), Mme Brigitte Akamba (Soko de Basoko en Province Orientale), Mbuyi
Tshibwabwa (Luba du Kasaï occidental), pour ne citer
poussée militaire du RCD, la chasse aux Rwandais a
été systématique sous l'AFDL. Pire, il ne s'agit plus ici
des bandes des jeunes voyous et des étudiants endoctrinés
instrumentalisés ; il s'agit de la Police, de l'ANR et du renseignement
militaire qui opèrent pour traquer les «R» à Kisangani
et dans plusieurs autres cités de la Province Orientale dont Buta,
Isiro, Bunia, Banalia, Bafwasende, etc.113.
Par ailleurs, de la part de la population de la Province
Orientale, la tendance xénophobe contre les ressortissants Rwandais est
tributaire du comportement des militaires Rwandais.
Précisons tout de même que l'entrée du RCD
à Kisangani n'a pas été du tout aisé comme cela fut
le cas de celle de l'AFDL. Tout a commencé par la résistance de
certains jeunes de la Tshopo à la tentative de vol par des militaires
rwandais alliés au RCD d'une mini Jeep de marque Suzuki Vitara des
Prêtres du Sacré Coeur de Jésus de la paroisse Saint Joseph
Artisan de la 10ème avenue Tshopo le 26 août 1998. Les
coups de balles de sommation de ces assaillants ont été
l'élément déclencheur des soulèvements en cascade
des populations à travers toutes les communes de Kisangani qui ont du
coup refusé de coopérer avec le RCD pendant plus de deux
semaines. Il a fallu faire intervenir des élites de la place pour une
acceptation du mouvement. Les nominations des autorités municipales et
provinciales répondaient surtout à une volonté de
légitimation114.
Bien avant cela, il faut signaler la résistance
opposée par des éléments de la Police d'Intervention
Rapide (PIR) et quelques éléments ex-FAZ (entendez ici les
anciens des Forces Armées Zaïroises) stationnés à
l'aéroport de Bangboka en attente de leur évacuation vers
d'autres localités. Cette résistance a aussi connu l'appui des
que ceux-là, n'ont eu la vie sauve que grâce
à l'intervention musclée des voisins ou amis de bonne foi.
Plusieurs personnes demeurent jusqu'à ces jours
portée-disparue.
113 Faits vécus par nous et confirmés par nos
entretiens avec trois anciens Bourgmestres des communes de la ville de
Kisangani en mars 2007, juillet 2008 et juillet 2009.
114 Un « commandant » rwandais nous déclarait
en 1999 à Kisangani que la résistance de la Population boyomaise
avait déjoué tous leurs calculs et les avait décidé
à opérer, alors qu'il ne fut planifié ainsi, le
recrutement des élites locales pour diriger les institutions
provinciales, urbaines, communales, etc. Ce dernier regrettait le fait que
plusieurs recrues « occasionnelles » du RCD n'avaient
intériorisé son idéologie.
éléments restés au « Camp de
rééducation », si non de réduction ou de
concentration, de BASE115 (sous la conduite du Gouverneur Jean Yagi
Sitolo à la première tentative de ralliement à la
rébellion du RCD par certains officiers rwandais ou d'expression
rwandophones présents à Kisangani avec l'appui du bataillon PM et
la complicité de certains officiers congolais le 4 août 1998.
Selon une certaine discrétion d'un cadre du RCD-Goma,
les massacres survenus le 14 mai 2002 avaient eu aussi comme leitmotiv, le
règlement de comptes à ces policiers qui s'opposèrent au
basculement de camp de la ville de Kisangani en 1998. Car, de nombreuses
victimes de ces événements étaient des policiers et des
jeunes de Mangobo et Tshopo, deux communes qui s'étaient farouchement
opposées au RCD à ses débuts. La commune de Kabondo avait
aussi vaillamment résisté, notamment en bloquant l'accès
à l'aéroport et, pendant longtemps, de nombreux quartiers
n'étaient pas accessibles aux forces de l'ordre. Les autres faits
n'étant que des épiphénomènes d'une rancoeur bien
enracinée116.
Ces différents événements politiques de
l'histoire politique violente de la Province Orientale ont essentiellement
marqué les habitants de la Province Orientale au point d'avoir
façonné les hommes politiques et influencé leurs agir
politiques.
I.2. Les zones de turbulence en Province
Orientale
La Province Orientale, comme la plupart des provinces de l'Est
de la RDC, a été le théâtre des affrontements
militaires de la part des divers groupes armés. C'est ainsi qu'on y
trouve plusieurs foyers de turbulence. Mais en raison de leur
intensité,
115 Un centre d'entraînement militaire connu sous cette
appellation installé sur le PK 10 de la route Ituri
116 Nous devons ces propos d'un cadre du RCD-Goma
interrogé par nous dans le cadre de l'enquête que nous avons
menée sur ces événements au mois de mai 2002 en
qualité d'acteur de la société civile. Propos recueillis
à Bukavu, en avril 2003. On peut également lire utilement,
à propos de nombreuses tueries survenues à Kisangani sous le RCD,
les rapports des ONGDH suivantes parues entre 2000 et 2002 : Lotus, Groupe
Justice et Libération, Amis de Nelson Mandela, Groupe Kisangani pour la
Paix, Paix Sur Terre...
nous avons pu retenir les foyers du district de l'Ituri et celui
du territoire de Bafwasende dans le district de la Tshopo117.
Nous voulons plancher sur les zones chaudes en termes de
violence politique en Province Orientale pendant la période en
observation. En effet, nous tentons de répondre au questionnement
suivant : quels conflits et crises majeurs situés localement ? Quels en
sont les causes et enjeux ? Qui en sont les acteurs principaux locaux et
alliés nationaux/étrangers (individuels ou organisationnels) ?
Voici quelques questions qui guident cette sous section.
I.2.1. Ituri
Le plus peuplé de quatre districts que comprend la
Province Orientale, l'Ituri demeure jusqu'à ces jours le
théâtre quotidien des affrontements des seigneurs de guerre qui y
font leurs lois. Dans cette section, il est question de la présentation
du District de l'Ituri, consistant à dresser un bref historique de
conflits interethniques qui l'ont secoué entre 1999 et 2003 ainsi
qu'à identifier les différents groupes et acteurs
impliqués dans ces conflits.
I.2.1.1. Brève historique du conflit
Dans cette sous-section, il ne s'agit nullement de nous
étendre sur le conflit en Ituri, mais d'en dégager les grandes
lignes, d'une part, et de comprendre l'ampleur de ce conflit interethnique dans
la mobilité des élites politiques de cette partie de la Province
Orientale, d'autre part.
L'Ituri a pendant longtemps été une zone de
conflit entre les deux principaux groupes ethniques habitant les Territoires de
Djugu et d'Irumu à savoir, les Lendu et les Hema, tant il est vrai que
quand des peuples de traditions et cultures différentes
117 Signalons tout de même que le Territoire d'Ubundu
avec ses maï maï a aussi connu la violence. Nous ne le classons pas
dans cette étude ; car la «résistance» populaire ou le
phénomène maï maï n'ont pas eu les mêmes effets
que dans les entités retenues. Les districts du Bas-Uélé
et du Haut-Uélé avec des groupes étrangers qui
sévissent n'ont pas vécu l'organisation des populations en forces
d'autodéfense locales.
entrent en contact par la conquête, la colonisation et
le jeu des missionnaires ou des agents commerciaux, un affrontement entre ces
deux manières d'être peut engendrer les effets les plus
divers118. Les premiers étaient des agriculteurs et les
seconds des éleveurs.
Selon plusieurs sources dont Dominic Johnson119,
« les groupes ethniques Lendu et Hema se sont pendant longtemps
opposés dans cette région de 3,5 millions d'habitants, se
disputant les terres et le pouvoir politique.» Déjà en 1911,
les Lendubindi (Ngiti) tuèrent le Grand chef Hema, Bomera et plusieurs
des siens à Gety en réaction aux exactions de ces derniers dans
cette région qu'il venait récemment de
conquérir120.
Comme l'explique alors un rapport de l'International
Crisis Group121 (ICG), « les Lendu et les Hema occupent
les terres les plus fertiles et les plus riches en ressources minières
d'Ituri».
Cette rivalité entre les deux tribus est historique. En
effet122 , «comme au Rwanda et au Burundi, les nilotiques et
plus principalement les pasteurs Hema avaient eu la priorité à
l'éducation de la part des missionnaires catholiques et ensuite
étaient employés pour diriger l'administration locale et
superviser les ouvriers agriculteurs Lendu dans les plantations ainsi que dans
les mines. Après l'indépendance, les Hema n'étaient pas
seulement les mieux placés pour récupérer les plantations
laissées par les colons belges, mais aussi avaient les ressources
intellectuelles, politiques et financières afin de manipuler le
régime de Mobutu à leur avantage et accroître leur
domination économique sur les deux territoires.» C'est ainsi par
exemple que «les conflits locaux fonciers importants ont
périodiquement éclaté (1966, 1973, 1990, 1997)
118 S.C., Versele & D., Van DE Velde-Graff,
«Marginalité ou marginalisation ? Accident ou fonction?»,
in Revue de l'Institut de Sociologie, n° 1-2, Bruxelles,
Editions de l'ULB, 1976, p. 41.
119 J., Dominic, «shifting sands: Oil exploitation in the
rift valley and the Congo conflict», in Pole Institute Report,
2003, p.19. Ce rapport a été traduit de l'anglais par nous.
120 Remo Lo-Lozube Poru Anda, Op. Cit.,
p. 48.
121 International Crisis Group « Congo crisis: Military
intervention in Ituri» in ICG Africa Report,
n° 64, du 13 Juin 2003, p. 2.
* Traduction du document assurée par nous à l'aide
du traducteur en ligne de TV5-Monde.
122 Ibidem, pp.2-3.
entre les propriétaires terriens Hema et les
communautés Lendu qui se sont sentis désavantagées et
marginalisées123.»
Depuis longtemps, ces deux tribus rivales ont cohabité
dans un climat de violence mutuelle et les petits moments de trêve furent
des occasions pour les deux d'affûter leurs armes respectives et
reprendre avec la violence dès que l'opportunité se
présente. Les conflits y surgissent de manière intermittente. La
plupart du temps, les affrontements ont lieu lorsque l'autorité centrale
de l'Etat était affaiblie.
C'est dans ce contexte que se présente l'épisode
des violences en Ituri. Depuis 1999, les conflits se sont progressivement
étendus à tous les territoires du district et virtuellement
à toutes ses communautés. Dominic Johnson rapporte124
: «Selon un rapport de l'Association Africaine des Droits de l'Homme
(ASADHO), le conflit direct a commencé en Avril 1999 quand un
propriétaire terrien Hema, Singa Kodjo, appuyé par les forces
ougandaises, expulse les squatters* Lendu de sa propriété
près de Kpandroma.
Le 19 Juin 1999, les troupes ougandaises arrêtent les
participants Lendu qui prenaient part à une rencontre de
réconciliation à Kpandroma. De là suivit une escalade des
tueries avec 200 morts en l'espace de deux jours, principalement des Hema. Le
22 Juin 1999, une politicienne Hema, Adèle Lotsove, était
nommée Gouverneur de la province de Kibali-Ituri, nouvellement
créée par un décret signé par le commandant de
l'armée ougandaise (Ugandan People's Defence Forces, UPDF) en poste en
RDC, James Kazini. Ainsi éclata une guerre
généralisée contre les miliciens Lendu. En Octobre 1999,
une mission des Nations Unies a dénombré 5000 à 7000 morts
et plus de 100.000 déplacés. Adèle Lotsove a
été démise de ses fonctions de Gouverneur par l'Ouganda en
décembre 1999.»
123 J., Dominic, Op. Cit., pp 2-3 (cet
auteur traite longuement et de manière détaillée
l'histoire de la violence ethnique en Ituri)
124 J., Dominic, Op. Cit.,
p.20
* Mot Anglais employé par Dominic Johnson,
désignant une personne sans abri qui occupe illégalement un
logement vacant ou destiné à la destruction. Mais qui, dans le
cadre précis de l'Ituri ou d'ailleurs de la RDC signifie tout
vraisemblablement une personne habitant un immeuble ou un domaine d'autrui sans
son autorisation et cela avec une intention revendicative.
L'Ouganda est resté maître de l'Ituri pendant
cette période, plaçant à chaque occasion des hommes
à sa solde et obéissant à ses ordres et préservant
ses intérêts (entendez ici à la fois les
intérêts de l'Etat ougandais et de ses hauts officiers en mission
de «conquête»).
Il se pose ainsi avec beaucoup plus d'acuité, la
question des alliances qu'entretinrent les élites congolaises avec leurs
alliés ou protecteurs pendant les périodes des guerres. Ces
élites en quête du pouvoir et des ressources que ce dernier
procure, profitent de l'état de guerre pour se positionner et tirer
chacune, en se ralliant ses frères d'ethnies, l'épingle du jeu.
Ainsi, sont alimentées, barbarie, division, lutte pour le leadership,
bref la violence.
Les élites congolaises sont inféodées et
manipulées par leurs alliés étrangers qui usent
méthodiquement de la tactique de «diviser pour mieux
régner».
C'est alors que : « Pendant plus de quatre ans
passés, un trait constant a favorisé la recrudescence de la
violence. En ce moment, chaque rebelle125 congolais en charge de
l'Ituri a été intronisé par l'Ouganda, ensuite
remplacé par un autre
125 Citons par exemple : Ernest Wamba dia Wamba, Antipas Mbusa
Nyamwisi, John Tibasima Mbongemu, Jean Pierre Bemba Gombo, Mohamed Bule
Ngbangolo, Thomas Lubanga, Yves Kahwa Panga Mandro.
- Wamba dia Wamba arrive à Bunia, le 18 septembre 1999. Il
préside le RCD-K rebaptisé en RCD-K/ML jusqu'à la
reconnaissance par l'Ouganda en mi 2001 de Mbusa Nyamwisi comme leader du
RCD-ML ;
- Mbusa Nyamwisi (quand le RCD-K arrive à Bunia
après sa défaite militaire et politique de Kisangani, il est
nommé par Wamba dia Wamba Administrateur de la Province du Nord Kivu.
- John Tibasima Mbongemu Atenyi est avant tout nommé
Administrateur de la Province Orientale par Wamba dia Wamba. Il devint
deuxième vice président de ce mouvement avant de constituer sa
propre milice ethnique.
- Jean Pierre Bemba Gombo, il est président du MLC. Il
est rappelé par l'allié ougandais pour présider la
structure dont il vient de décider la création en vue de
contourner la division interne de ses pions en fusionnant le RCD-ML et le
Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, le Front de
Libération du Congo (FLC).
- Mohamed Bule Ngbangolo, nommé par le président du
FLC, exerce les fonctions de Gouverneur de la Province de l'Ituri de 2001
à 2002.
- Thomas Lubanga Dylo, est président de l'UPC à
sa création le 15 septembre 2000. C'est lui qui détourne au
profit de l'Armée du Peuple Congolais (APC) quelques combattants du
RCD-K/ML de l'ethnie Hema. Il a été nommé Commissaire
à la Défense par Mbusa Nyamwisi contre qui il s'oppose et dont il
chasse le Gouverneur Jean Pierre Molondo Lopondo.
- Yves Kahwa Panga Mandro, Chef de la chefferie des Bahema
Banywagi. C'est lui qui prit en otage Monsieur Ntumba Lwaba, Ministre des
droits humains du gouvernement de Kinshasa le 20 août 2002 pour
réclamer la libération de Thomas Lubanga ainsi que ses neuf
partisans emprisonnés à Kinshasa. En février 2003, le chef
Yves Kahwa Panga Mandro, fonda son Parti pour l'Unité et la Sauvegarde
de l'Intégrité du Congo (PUSIC) ).,
répondant à ses critères et satisfaisant ses
intérêts particuliers; tous ceux-ci ayant brièvement
dirigé l'Ituri126.»
I.2.1.3. Identification des forces en présence
L'Ouganda et le gouvernement de Kinshasa ont joué un
rôle primordial dans les tueries en Ituri, en armant et alimentant les
différents groupes rivaux comme pour justifier la vision qu'ont
Severin-Carlos Versele & Dominique Van De Velde-Graff pour la
marginalité et la déviance quand ils disent que :
«...les marginaux se servent de moyen
d'auto-valorisation. La Police se valorise en augmentant l'importance de la
délinquance, mais d'une délinquance facilement détectable,
par opposition à la criminalité non conventionnelle, aux
«chiffres dorés» d'une délinquance sur laquelle elle se
casserait les dents. Malade mental ou malade physique, criminel ou
aliéné, le déviant valorise le clinicien qui s'en occupe
et le métier de clinicien en général.
Chaque individu choisit une victime à sa mesure, pour se
valoriser, recourant au processus de stigmatisation qui est un mécanisme
idéal à cet effet.
Le marginal est un moyen d'identification négative et,
de ce fait, un facteur important de solidarisation entre les autres membres de
la société, ceux qui se conforment. Le marginal est l'exemple
à ne pas suivre, le stéréotype négatif du
«hors castes»... Tout est utilisé pour faire de la
marginalité et de la déviance un facteur de standardisation de la
société, une véritable fonction de la
société. Le déviant devient nécessaire, puisqu'il
permet à ceux qui se considèrent comme conforme de le demeurer
et, grâce à ce conformisme, de recevoir l'approbation de leurs
pairs.» 127
126 International Crisis Group, Op. cit.
p.3.
127 S.C. Versele & D. Van De Velde-Graff, Op.
Cit., p. 30.
Partant de cette réflexion, l'on peut
déjà se faire une idée sur l'instrumentalisation et la
manipulation des masses par les élites. Aussi, la violence est
banalisée au profit des justifications diverses, notamment :
l'exploitation des ressources naturelles, le contrôle
hégémonique, le règlement des vieux ressentiments et
antagonismes identitaires, l'art de la guerre, etc. La violence en Ituri a
généré une multiplication des milices ethniques
(qualifiées par Remo Lo Lozube Poru Anda de milices
monoethniques128) alimentée à la fois par la
stratégie d'exploitation et de positionnement géopolitique de
l'allié ougandais ainsi que par les tactiques des élites et
sociétés locales à profiter de la guerre pour le
contrôle des espaces et des ressources qu'ils procurent. Dans cette
sous-section, il est question d'identifier les différents groupes
armés rivaux ainsi que leurs leaders respectifs.
1) Union des Patriotes Congolais/Lubanga (UPC/L)
L'UPC est une organisation à dominance Hema, qui fut
créée par Thomas Lubanga, de son vrai prénom Chrysostome.
Ce mouvement a commencé à opérer à Bunia, la
principale ville du District de l'Ituri, en Juillet 2001, mais n'a eu de
l'ampleur qu'une année plus tard. Lubanga en est l'initiateur.
Notons que Lubanga fut nommé Commissaire à la
Défense du Rassemblement Congolais pour la Démocratie - Mouvement
de libération (RCD-ML) par Mbusa Nyamwisi pour, bien entendu,
déstabiliser John Tibasima. Lubanga ne tarda pas aussi à se
désolidariser de Mbusa Nyamwisi129. En effet, Lubanga
n'appréciait pas la manière de gérer l'Ituri de Mbusa
Nyamwisi. Il concrétise en fait la volonté des hommes d'affaires
Gegere de chasser leurs concurrents nande de l'Ituri. Aussi, le conflit de
leadership entre les deux hommes, Lubanga et Mbusa Nyamwisi trouverait son
origine sur le fait que le premier se considérait avoir
été exploité par le second pour neutraliser Wamba et
marginaliser Tibasima sans aucune récompense dans le cadre du Dialogue
Inter Congolais (DIC) où il n'avait même pas été
invité). L'influence
128 Remo Lo Lozube Poru Anda, Op. Cit., p. 104 et s.
129 Lire pour cette phase de l'histoire de l'Ituri et pour mieux
comprendre les jeux des acteurs de ce territoire pendant la guerre, Remo Lo
Lozube Poru Anda, Op. Cit. pp 95 et
ss. et K., Vlassenroot et T., Raeymaekers,
Passim
de l'allié ougandais n'est pas moindre dans ce cercle
vicieux de destitution qui s'installa en Ituri pendant la période de
guerre130. Car, l'Ouganda a armé et soutenu politiquement les
parties en conflit. L'Ouganda a même, à travers ses commandants
d'opération bien sûr (dont James Kazini), nommé et
démis ou fait démettre de leurs fonctions certaines
autorités de l'Ituri, à l'occurrence : Adèle Lotsove,
.Jean Pierre Bemba Gombo, Mbusa Nyamwisi, Wamba dia Wamba, etc.
Des divergences des points de vue étaient
fréquentes entre ces deux hommes malgré la nomination de Lubanga
au poste de Commissaire à la défense par Mbusa Nyamwisi.
Profitant de l'absence de ce dernier parti prendre part, à Sun City, aux
travaux du Dialogue Inter congolais dont il était exclu, Lubanga prend
des décisions importantes en matière militaire, sans se
référer à son chef. Ainsi va éclater la guerre
entre la milice de Lubanga et celle de Mbusa. Lubanga bénéficiant
de l'appui ougandais, triomphe de Mbusa dans la lutte pour le contrôle de
Bunia.
L'UPC bénéficie plus du soutien des politiciens
et hommes d'affaires Hema, divisés en clans du Nord (Gegere) et celui du
Sud (Banyoro). Le mouvement et sa branche armée Front pour la
Réconciliation et la Paix ont pris le contrôle de presque tout
Bunia avant d'y être expulsé à cause de son
éloignement par rapport à l'Ouganda par l'armée ougandaise
le 06 mars 2003 appuyée par les anti-Lubanga du Front pour
l'Intégration et la Paix en Ituri composé de : PUSIC, FNI, FPDC.
Le FIPI a réunit des groupes rebelles locaux des Lendu, des Alur et des
Hema insatisfaits. Ces changements ont été ordonnés depuis
Kampala et soutenus par les forces ougandaises en Ituri131.
A aucun moment de l'histoire de l'Ituri pour laquelle des
documents sont disponibles, la violence n'a atteint les niveaux qui existent
depuis 1999. La guerre plus large du Congo a sans aucun doute suscité la
violence plus grande du conflit actuel.
130 Information recueillie auprès d'un Informateur
habitant l'Ituri et travaillant à la MONUC à Bunia en
février 2006.
131
www.hwr.org/ituri consulté
le 06 septembre 2009. Le FIPI est une coalition créée en
décembre 2002 avec le soutien de l'Ouganda, les trois partis politiques
à base ethnique partageaient l'objectif de se débarrasser de
l'UPC. Le FIPI n'a pas, par ailleurs, de programme apparent. Le groupe comprend
des Hema insatisfaits de l'UPC, des Lendu et des Alur, chacun avec son propre
parti politique (voir ci-dessous).
En effet, la tension entre l'UPC et l'Ouganda son parrain a
éclaté en conflit ouvert à la fin de l'année 2002
quand l'UPC a demandé le retrait immédiat des troupes ougandaises
de l'Ituri. La violence s'est généralisée le 06 Janvier
2003 lorsque l'UPC a fait alliance avec le RCD/Goma, allié du Rwanda.
En mars 2005, Thomas Lubanga fut arrêté et
accusé dans le massacre de neuf soldats bangladeshi de la MONUC. Il est
aujourd'hui jugé par la Cour Pénale Internationale notamment pour
conscription d'enfants. Le Secrétaire Général de l'UPC,
John Tinanzabo fut également arrêté le 14 Avril 2005, un
jour après qu'il ait déclaré que le parti avait
officiellement renoncé à la lutte armée.
Thomas Lubanga n'avait pas connu que le temps de gloire. Son
UPC s'était désintégrée en des factions plus
petites. Thomas Lubanga a fait face à plusieurs dissidences dont celles
commandées par Kisembo (UPC-K) et Jérôme Kakwavu Bukande,
un commandant munyamulenge qui constitua les Forces Armées pour le Congo
(FAPC).
La lecture de l'acte créateur de l'UPC nous renseigne
que ce mouvement est né en réaction contre la dictature, la
paupérisation, la partition, le tribalisme institués par le RCD
et le gouvernement de Kinshasa ainsi que par la nécessité d'une
résistance132. Poursuivant les objectifs suivants de:
- Responsabiliser le peuple congolais devant son destin politique
;
- Poursuivre inlassablement l'oeuvre de libération totale
et de la démocratisation réelle de la République du Congo
;
- Conférer au peuple congolais une direction politique
crédible et démocratique ;
- Faire participer le peuple congolais, sans discrimination
aucune à la réalisation
des programmes philosophiques et politiques concordant avec ses
aspirations
telles qu'exprimés et arrêtés à la
Conférence Nationale Souveraine (CNS) ; - Restaurer
l'égalité, l'unité et le progrès du Congo.
132 Acte constitutif de l'Union des Patriotes Congolais du 15
septembre 2000.
Mais, la réalité a été tout autre.
Ce mouvement s'enlisant plutôt dans la criminalité et
l'ethnicisation de la lutte. Ces objectifs n'ont pas été traduits
en actes. L'UPC est l'un des mouvements armés majeurs qui ont
martyrisé et détruit l'Ituri.
2) Union des Patriotes Congolais/Kisembo (UPC-K)
Cette faction est dirigée par Floribert Kisembo
Bahemuka, un autre hema du Territoire de Djugu, qui s'est détaché
de l'UPC Lubanga en décembre 2003 en créant au cours de la
même année son propre mouvement suite à des malentendus
entre lui et l'un de ses deux collaborateurs banyamulenge, Bosco Tanganda, qui
était mieux apprécié par Lubanga. Kisembo était
chef d'état major de la milice de Lubanga qui était avec lui au
RCD/KML. Kisembo avait cherché, en vain, à assiéger
Lubanga à qui la plupart des miliciens étaient restés
loyaux.
Malgré le poids limité et la taille
réduite de son groupe armé, Kisembo a été promu au
grade de Général dans l'armée nationale en 2004 par le
Président de la République.
3) Les Forces Armées du Peuple Congolais (FAPC)
Ce mouvement est connu sous l'appellation de Union des
Congolais pour la Démocratie, Forces Armées du Peuple Congolais,
dirigé par Jérôme Kakwavu Bukande (dont photo en annexe
bardé de galons), un ancien élément des Forces
Armées Zaïroises, originaire du Nord-Kivu, membre de la
communauté Tutsi de Masisi. Jérôme Kakwavu a fait
défection à l'UPC en mars 2003, date à laquelle il a
créé son propre mouvement.
Le Quartier Général de ce mouvement est
implanté à Aru, ville située à 300 km au Nord de
Bunia. C'est à partir de Aru que ce mouvement a pu contrôler le
territoire d'Aru et les zones environnant le territoire de Mahagi. Les FAPC
sont composées des groupes ethniques mélangés. Ce
mouvement a conclu des alliances
avec d'autres groupes armés. Il se serait ainsi
allié au FNI et plus tard au PUSIC. On estime que plus de 4.000
combattants au moins des FAPC ont commencé à déposer leurs
armes le 6 mars 2005 à Aru, dans le but d'intégrer l'armée
nationale.
Les FAPC poursuivaient les objectifs suivants dans leur lutte
:
- La pacification de l'Ituri ;
- L'unification de la RDC ;
- L'intégration de toutes les forces armées dans
l'armée nationale congolaise ;
- Le soutien à la formation d'un gouvernement de
transition issu des négociations intercongolaises et ;
- Le maintien des relations de bon voisinage avec les pays
limitrophes.
La création de ce mouvement répond
vraisemblablement à la stratégie ougandaise de diviser,
fragiliser pour mieux régner et soutenir des rébellions en jouant
sur le potentiel d'instabilité présent dans les territoires de
friche étatique133voire du gouvernement de Kinshasa dans le
but de créer une situation des rébellions dans la
rébellion ou de guerres dans la guerre dans le but de stopper
l'avancée des armées rebelles et leurs alliés
ougandais.
Par rapport à ces objectifs, ce groupe a
réussit, comme nous l'a affirmé Dieudonné
Gala134 Akulu, à « «stabiliser» et
«sécuriser» le Territoire de Aru contre la violence milicienne
caractéristique de l'Ituri de 1999 à 2003. Car ce territoire fut
le seul de l'Ituri à ne pas vraiment connaître la violence
explosive des cycles meurtriers des affrontements et tueries barbares qui
riment avec les épurations ethniques comme celles des Territoires
d'Irumu, Djugu, Mahagi,... » Cette milice a servi de force militaire et
politique tempon aux ougandais pour sécuriser leurs affaires dans cette
zone frontalière à forte densité démographique et
riche en ressources naturelles.
133 C., Thibon, « Les conflits des Grands Lacs » in
Ares, n° 50, février 2003, p. 7.
134 Dieudonné Gala Akulu originaire de Aru est, en mars
2006 quand nous nous entretenons à Kisangani, Secrétaire
particulier de Monsieur Médard Autsai Asenga, Vice-Gouverneur en charge
de l'Economie et Finances de la Province Orientale pendant la Transition
1+4.
La création de ce mouvement milicien répond
à la logique de la fragmentation croissante du paysage politique, la
prolifération continue d'ALPC. Elle matérialise encore les
ambitions prédatrices et d'occupation d'espace des élites locales
ainsi que des réseaux étrangers. Cette situation a
décidé Koen Vlassenroot et Tim Raeymaekers à dire que
« l'occupation ougandaise a été incitée
principalement par les agendas économiques de commandants criminels des
UPDF, elle a aussi contribué à la redéfinition de l'espace
politique et économique par des élites locales. La collusion de
ces « réseaux d'élites » avec les seigneurs de guerre
et les milices rebelles est en passe d'avoir un impact significatif sur la
politique locale. »135
4) Le Front des Nationalistes et Intégrationnistes
(FNI)
Le FNI est dirigé par Floribert Ndjabu Ngabu, un sujet
Lendu du territoire de Djugu en district de l'Ituri. F. Ndjabu rallie le
RCD/K-ML qui l'envoie à une formation de trois mois des cadres
politico-militaires à Kiakwanzi (Ouganda). Il crée son mouvement
en 2002 basé à Kpandroma.
Ce mouvement est soutenu par le groupe ethnique Lendu et est
basé dans la ville de Rethy à 100 Km au Nord Est de Bunia et
Kpadroma et à 140 Km au Nord de Bunia. Les forces armées de ce
mouvement sont commandées par Etienne Lona, qui fut arrêté
par les services de sécurité à Kinshasa le 11 mars 2005,
car son mouvement est suspecté d'avoir pris part dans le massacre de
neuf casques blues du Bangladesh en Ituri.
5) Le Parti pour l'Unité et la Sauvegarde de
l'Intégrité du Congo (PUSIC)
Un parti Hema, créé en février 2003 par
l'ancien chef militaire de l'UPC et Chef coutumier de son état,
dirigeant une collectivité des Bahema, en territoire de Djugu, Panga
Kahwa Madro, après une dispute avec le leader de l'UPC, Thomas Lubanga,
au sujet du leadership et du soutien militaire.
135 K., Vlassenroot & T., Raeymaekers, Op. Cit., p.
211.
Officiellement, Floribert Kisembo était le leader de
PUSIC. Selon African Society Review, au contraire, « le chef Kahwa Panga
Mandro était réellement celui qui
contrôlait136». Un des leaders de ce mouvement, Ychali
Gonza, fut aussi promu au grade de Général dans l'armée
nationale.
Le PUSIC a contrôlé une partie des territoires de
Irumu et de Djugu et les parties du Lac Albert de Tchomia et de Kasenyi.
Le 20 Décembre 2004, le PUSIC a annoncé que
Kisembo avait été démis de ses fonctions à la
tête du mouvement en faveur de Déo Pimbo qui en était alors
Secrétaire Général. Cependant, une semaine plus tard, les
hommes de troupe du mouvement ont apporté leur soutien à
Kisembo.
6) Forces de Résistance Patriote en Ituri (FRPI)
Ce mouvement est dirigé par le docteur Adirodo. C'est
un groupe des Ngiti, un des 18 groupes ethniques de l'Ituri. Ce peuple a une
accointance culturelle avec les Lendu, rivaux aux Hema.
Ce parti a été créé en Novembre
2002 et s'est allié au Front des Nationalistes et
Intégrationnistes (FNI), de Floribert Djabu Ngabu. Ces deux partis ont
résolu de faire alliance afin d'amener leurs miliciens Ngiti et leaders
traditionnels à faire face à l'UPC.
Ce mouvement a apporté son soutien aux troupes
ougandaises en mars 2003 lors de leur offensive contre l'UPC.
7) Forces Populaires pour la Démocratie au Congo
(FPDC)
Ce parti politique appartient aux Alur et aux Lugbara, son chef
Thomas Unen Chen, ancien membre du parlement de la IIè
République. Ce parti a été créé en 2002
par les groupes ethniques Alur et Lugbara de Aru et de Mahagi
territoires du Nord de l'Ituri.
Ce parti serait supporté par l'Ouganda comme branche du
Front pour l'Intégration et la Paix en Ituri (FIPI) mouvement dissident
à l'UPC.
Comme nous venons de le voir, la guerre de l'Ituri s'est
déclenchée dans une atmosphère de haine ethnique et de
jeux d'alliances entre ethnies (selon qu'on appartient à tel ou tel
groupe ethnique) exacerbés par l'implication des forces externes
étrangères et internes. L'enracinement de cette haine dans le
mental collectif se fait au travers des imaginaires populaires de domination et
de supériorité des uns par rapport aux autres ainsi que du culte
de puissance, de la mystification fétichiste de la bravoure, de la
témérité et la gloire. Toutes ces stigmatisations ont
facilité l'extension de cette guerre dramatique qui a touché
toutes les couches de la population (des élites politiques jusqu'aux
simples paysans en passant par le clergé et les fonctionnaires).
Ces différentes milices, dits partis politiques,
n'avaient rien à voir avec les partis politiques tels
qu'énoncés dans la littérature de science politique. Loin
d'être des partis politiques, ces organisations politico-militaires ont
été des véritables machines d'accomplissement des
tactiques politiciennes de positionnement et de contrôle d'espace
socio-politique et économique et de conquête du pouvoir politique
local (disputé) par les élites politiques. Le substantif de parti
n'a été utilisé que comme paravent pour camoufler les
réelles actions miliciennes.
Cette première sous-section a décrit la
situation de l'Ituri. Elle constitue un exemple de privatisation de la violence
et des revendications identitaires en Province Orientale.
La violence en Ituri est tributaire de l'implication massive
des forces étrangères et de la rude concurrence à
contrôler un espace économique riche en ressources naturelles.
L'essaimage des mouvements rebelles en Ituri et la violence paroxystique
manifeste découlent aussi de l'instrumentalisation par les élites
Ituriennes
des ressentiments identitaires dans leurs actions. Aussi, le
concours des intérêts politiques et économiques locaux et
étrangers explique cette violence observée en Ituri.
La conséquence de cette violence
instrumentalisée est une «lutte entre ces différents
réseaux de contrôle, qui unissent les seigneurs de guerre locaux
à leurs parrains extérieurs et qui ont abouti au
développement de nouvelles stratégies de régulation
socio-économique et même politique. Le désordre,
l'insécurité et l'état général de
l'impunité ont encouragé ainsi la formation de réseaux
nouveaux et militarisés pour l'extraction (et l'accumulation) des
bénéfices économiques, en référence à
la propriété ethnique comme étant partie intégrante
et centrale des stratégies de contrôle et de la
résistance.»137
I.2.2. Bafwasende
Comme en Ituri, Bafwasende a aussi connu l'implication des
forces externes dans l'enlisement de la violence et la création des
groupes marginaux d'autodéfense populaire. Le phénomène
maï maï à Bafwasende est à ses origines une
organisation des jeunes autochtones pour la protection de leur terroir contre
«l'ennemi envahisseur». Il devient ensuite, un cadre d'expression et
de positionnement pour la recherche de contrôle hégémonique
par la résistance et la mystification138.
Nous tentons à travers ces lignes de retracer l'historique
du conflit dans cette partie de la Province Orientale et éventuellement
en identifier les principaux acteurs.
I.2.2.1.. Brève historique des conflits armés
à Bafwasende
Ce territoire est caractérisé par
l'émergence des groupes d'autodéfense populaires et par la
domination du phénomène maï maï pour lequel le
Professeur Elikia
137 K., Vlassenroot et T., Raeymaekers, Op. Cit. p.
210.
138 Maindo Monga Ngonga, Op. Cit., Amuri Misako,
Les milices maï maï au Maniema (août 1998-2003): un mode
d'affirmation politique des masses rurales, Mémoire de DES
(inédit) en Science politique, FSSAP, UNIKIS, 2008; Heri Baraka, sont
mieux indiqués pour des renseignements exhaustifs sur cette question de
phénomène maï maï.
Mbokolo dit qu'en « RDC, le mouvement maï maï
avait débuté avec les vengeurs de Patrice Lumumba en 1964. Ces
guerriers qui constituaient le mouvement étaient appelés Simba.
Le nom maï maï leur était attribué car ces guerriers
criaient en tout instant [Dawa Mulele Maï]139 ».
L'extension du phénomène maï maï
s'explique aussi par l'ambition de certains leaders (maï maï) locaux
à sécuriser leurs terroirs contre cette domination
étrangère (entendre ici les guerres récentes de la RDC
à vocation purement extractive)140.
Dans une période récente, les maï maï
se définissent eux-mêmes comme, « des forces vives
résistantes dont le mouvement a débuté essentiellement
à l'Est de la RDC vers les années 1990 à la suite du
conflit de terre créé par les réfugiés rwandais
dans le territoire de Masisi et Walikale, Province du Nord
Kivu141».
Il existe actuellement plusieurs maquis des résistances
maï maï, localisés tous à l'Est de la RDC : au
Nord-Kivu, au Sud-Kivu, au Maniema, en Province Orientale et au Katanga. En
Province Orientale et, plus précisément, en Territoire de
Bafwasende, les origines lointaines de ce phénomène remonteraient
aux rites ancestraux d'initiation. Le phénomène observé
ici est une réinvention, une réinterprétation des
traditions et rites traditionnels par des élites maï maï de
Bafwasende. Il s'agit aussi d'une importation du «maï
maïsme142» par certains jeunes ayant appartenu dans des
groupes maï maï du Maniema.
a) Origines lointaines
139 Elikia Mbokolo, L'éveil du Nationalisme : l'Est
africain au XIX e et au XX e Siècle, Paris, ABC, 1977, p.10
140 Cf. Amuri Misako, qui s'est penché sur l'origine et
l'expansion des milices Mai mai au Maniema dans son mémoire de DES en
2006-2007.
141 www.congo_maimai.net
142 Concept forgé par Heri Bara,
«L'avènement des maï maï dans le territoire de Bafwasende
1997-2006 : de la prétention de libération à la
réalité de l'asservissement » in Maindo Monga Ngonga,
Des conflits locaux à la guerre régionale en Afrique
centrale. Le Congo-Kinshasa oriental 1996-2007, Paris, L'Harmattan, 2007,
p. 78, comme l'ensemble des idées, de mécanismes ou des
stratégies de défense, d'autodéfense ou de
résistance face à des actes de domination, de sous-estimation, de
mépris, de l'exploitation par l'autrui. Où Dieu est le
Général suprême de toutes les armées, le
phénomène maï maï apparaît comme une oeuvre
divine dont le combattant maï maï est le représentant direct.
En effet, la parole de Dieu a été instrumentalisée et
utilisée pour tuer. Il s'agit ici du fétichisme de la parole de
Dieu.
Selon diverses sources essentiellement orales143,
ce phénomène tirerait ses origines lointaines dans le territoire
de Bafwasende à partir des rites et cultes tels que le Membela, l'Anyota
et le Nutu.
En effet, les ancêtres, à travers des cultes
secrets, préparaient les peuples de Bafwasende à une autoprise en
charge surtout dans le domaine de l'intégrité physique. Car,
toutes les sectes traditionnelles telles que :
- Le Membela, qui est, chez les Bali, un rite traditionnel de
tatouages faits au ventre symbolisant l'école de passage de la vie
d'enfance à la vie d'adulte ;
- Le Anyota, secte des hommes léopards, qui se
revêtaient des habits traditionnels en forme de léopard et qui se
mettaient à agresser les gens, celui-ci constituait également un
obstacle à la pénétration étrangère et une
résistance à la colonisation belge;
- Et le Nutu, rite de l'initiation à la circoncision,
symbolise chez les Lombi, l'école de préparation des hommes
à une vie adulte responsable.
Toutes ces pratiques et croyances avaient comme objectifs
d'initier les jeunes à défendre leur intégrité
physique et leur famille mais aussi à protéger la terre
ancestrale. Ce sont des rites de passage de l'enfance à l'âge
adulte.
b) Origines proches
Du fait de l'occupation du Territoire de Bafwasende par le
Rassemblement Congolais pour la Démocratie - National (RCD/N) et ses
alliés ougandais, les jeunes ont dû revisiter les pratiques
précitées et les ont de plus en plus
extériorisés.
En effet, comme dit Botoro Bodias144, «
l'occupation du Territoire de Bafwasende par le R.C.D/N marque un tournant
décisif et un bouleversement profond dans tous les secteurs de la vie de
la population de cette entité. L'administration locale,
143 Entretiens avec certains «notables» (Mentonzi ou
gardiens des traditions et mystiques protecteurs et créateurs bali et
rumbi) de Bafwasende et quelques intellectuels natifs de ce Territoire à
Kisangani, aux mois de novembre 2006 et janvier 2007 et à Bafwasende le
24 mai 2005.
144 Botoro Bodias, Le phénomène maï
maï dans le territoire de Bafwasende sous contrôle du R C
D/N. SPAFSSAP, UNIKIS Mémoire (Inédit) 2001
p.35. Cet auteur, est lui-même Administrateur de Territoire élu
à main levée lors de l'entrée de l'AFDL dans cette
entité (Bafwasende) en 1997. Aujourd'hui, il est Ministre de la Fonction
Publique du Gouvernement Adolphe Muzito.
les activités économiques, l'enseignement, les
confessions religieuses voire l'environnement furent totalement harcelés
». Monsieur Roger Lumbala, Président du RCD/N, est arrivé
à Bafwasende où il a créé son mouvement,
après sa fuite de Kisangani, lors des affrontements qui
opposèrent les troupes ougandaises à celles du Rwanda.
Compte tenu de nombreuses richesses dont dispose ce
Territoire, les hommes en armes ont envahi les différentes
carrières de diamant et y sont par ce fait devenus maîtres absolus
au détriment des négociants habituels145 et surtout au
mépris de la population locale et des administrateurs des foyers miniers
qui ne vivent principalement que de l'exploitation artisanale du diamant.
L'autorité locale et coutumière y trouvant aussi de quoi
alimenter sa caisse, si non ses propres poches.
Face à toute cette cacophonie créée par
des groupes armés incontrôlées, Roger Lumbala,
Président de ce «Pays»146 (dont photo en annexe)
tint un discours pour rassurer sa population comme le dit Botoro Bodias: «
Pour assurer la crédibilité à son discours auprès
de la population, M. Roger Lumbala fit évacuer, avec l'appui des
militaires ougandais, tous les militaires congolais qui semaient la terreur
dans les foyers miniers.» 147
Mais fort malheureusement, les troupes ougandaises, qui
avaient quelque temps auparavant aidé à nettoyer les
carrières de tous les militaires qui y semaient des troubles, vont elles
aussi succomber à la tentation d'affairisme ainsi que le dit Botoro
Bodias :
145 Les militaires et les autorités du RCD-N achetaient
aussi le diamant et imposaient à tous de vendre en un seul comptoir (le
principe du comptoir unique que nous avons aussi observé à
Kisangani entre 1999 et 2000 avec le comptoir de Monsieur Khalil, un sujet
libanais travaillant avec l'argent de Museveni et de Salim Saleh,
demi-frère du Président ougandais). Dès l'entrée
des autorités du RCD-N dans un foyer minier, ce dernier devenait, de
facto et ex officio, propriété du foyer. Supposant que les
propriétaires ainsi que les creuseurs doivent travailler pour le compte
du mouvement. Ces propos ont été recueillis auprès de
certaines notabilités du Territoire de Bafwasende notamment : Aluta
Ibrahim, Heri Baraka, Zeze, Monzamboli, «Général»
Michigan Motoya,...
146 Le RCD/N et ses alliés avaient en effet
proclamé le président de ce mouvement, Roger Lumbala, comme
Président de la République et Bafwasende était par ce fait
considéré comme un pays à part entière.
147 Botoro Bodias, Op. Cit. p.39
« Au lieu que les gens soutiennent cette action
jugée salutaire pendant une durée plus au moins longue,
c'était plutôt sa substitution par un autre que l'on a pu juger
souhaitable. N'était-ce pas là une façon d'effacer les
Congolais de la scène pour permettre une exploitation sans
inquiétude des ressources congolaises?
Sur le plan économique, au lieu de réduire les
impôts, ce discours a plutôt contribué au renforcement de
ceux-ci. C'est ainsi qu'on a vu tout le monde devenir
contribuable148».
Avec cette spoliation du Territoire de Bafwasende, les
autochtones et plus spécialement ceux de la collectivité de
Bakumu d'Angumu vont s'organiser pour faire face à l'envahisseur
à l'instar des maï maï des territoires de Lubutu, Walikale et
Lubero avec qui ils partagent des limites naturelles et ont des liens de
cousinage et qui s'étaient déjà organisés avant
pour lutter contre les réfugiés rwandais.
I.3.2.3. Principaux acteurs impliqués
Ce mouvement né dans le territoire de Bafwasende est
davantage une action menée par une volonté populaire qu'une
action organisée par un groupe insurrectionnel. Il n'y a pas de leaders
attitrés. Il est plutôt l'oeuvre de quelques jeunes qui avaient
intégré les mouvements maï maï de Lubutu et de
Walikale, alliés de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la
Libération du Congo (AFDL) de Laurent Désiré Kabila, afin
de faire face aux soldats des Forces Armées Zaïroises (FAZ). De
retour à Bafwasende, ils ont recruté, au sein de leurs tribus
respectives, des combattants capables de faire face à l'envahisseur, ici
entendu le RCD/N et son allié ougandais.
C'est ainsi que, Motoya Michel, dit Michigan, un des plus
célèbres maï maï de Bafwasende de l'ethnie kumu, a
créé son propre groupe d'autodéfense et, plus tard, s'est
allié à Monzamboli Donatien dit Debis wa Debis, un Rumbi. De
même, Kabambi wa Kabambi, un Nyanga va aussi avec le concours des gens de
son ethnie, créer un groupe, le 06 août 2001. Mais suite aux
disputes internes, les Rumbi vont décider de la
148 Botoro Bodias, Op. cit. p.39
création du Groupe d'Autodéfense d'Opienge, un
groupe composé à majorité par les gens de la tribu
Rumbi.
Comme on peut le constater, ces groupes sans le commandement
d'un leader militaire attitré ont fait et défait des alliances
entre eux et n'ont jamais cessé d'avoir des problèmes de
leadership au sein de leurs groupes respectifs.
Cette situation faisant que chaque groupe ayant ses propres
hommes de confiance procédait à des recrutements massifs au sein
de la même population civile et en particulier les jeunes, voire des
enfants149 en vue de s'assurer le leadership politique et militaire
maï maï.
C'est ici le lieu de parler, à la lumière de K.
Vlassenroot et T. Raeymaekers150, de « la corrosion du tissu
social. Au niveau de la communauté, les décideurs traditionnels
tels que les chefs coutumiers et les aînés soit ont perdu leur
position soit n'ont d'autre option que celle de soutenir les opinions de leurs
jeunes combattants qui, dans la poursuite de leurs intérêts, sont
embarqués dans une logique de la violence. Au niveau de la famille, la
crise de l'autorité combinée avec l'intensification de la lutte
économique semble conduire vers une forte compétition entre les
générations au sein d'une même famille ou d'un même
ménage. »
Le Territoire de Bafwasende connaît une
prolifération d`armes légères de petit calibre (ALPC). Les
jeunes adhèrent en masse à ces différents mouvements car
luttant pour «la sécurisation de leur terre ainsi que de ses
richesses.»151 Ces faits reflètent le
149 Les maï maï, recrutent plus les jeunes gens et
surtout les enfants : Heri Baraka, dans son témoignage, nous a
indiqué que les maï maï sont regroupés par tranche
d'age : d'abord les combattants ayant 50 ans et plus (ce sont les
dépositaires des valeurs traditionnelles) ; ensuite, les combattants
âgés de 25 à 50 ans (ce sont des chefs d'équipe) ;
puis, les combattants âgés de 11 à 25 ans (c'est la tranche
des combattants sans pitiés). C'est cette dernière tranche qui
est la plus active sur le champ de bataille et la plus nombreuse, car elle
constitue l'infanterie ; et enfin, les combattants âgés de 8
à 12 ans, ils sont les gardiens de fétiches des maï
maï.
150 K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, Op. Cit., p.
215.
151 Propos de Aluta Ibrahim recueilli à Kisangani, le 21
juillet 2008.
degré prononcé de la privatisation de la violence
armée et de la défaillance de l'Etat152. L'Etat
congolais est fragilisé et rempli les conditions d'un Etat failli.
Tableau 2 : Les profils de quelques élites
maï maï de Bafwasende
Origine ethnique
|
Leaders
|
Date de naissance
|
Principales activités avant
l'armée
|
Etude
|
Kumu d'Opienge
|
Motoya Mapasa Michel dit, Michigan, Général
de tous les maï maï en Province Orientale
|
Né à Bafwasende, en 1973
|
Excellent Chasseur
|
Il n'a fait que l'école primaire
à Angamapasa vers les années 1982
|
Zonga Mukoba, un des lieutenants de Michigan
|
Né en 1969
|
Egalement, Chasseur
|
S'est limité à
l'école primaire d'Angamapasa vers 1979
|
Assani Luc, frère aîné à Michigan
et son remplaçant direct. Réfracteur au brassage.
|
Né en 1969
|
Chasseur
|
Il a fait son école primaire
à Angamapasa
|
Commandant Linjalinja
|
Né en 1972
|
Chasseur
|
Il ne s'est limité qu'à l'école
primaire
|
Commandant Bavon, un des tireurs d'élite
de Michigan.
|
Né en 1974
|
Excellent chasseur
|
Il ne s'est jamais rendu à l'école
|
Lombi (ou Rumbi)
|
Muzambali Kangweneto Donatien, dit Debis
|
Né à Opienge en 1963
|
A l'instar de Michigan, il est également
un excellent chasseur.
|
Il n'a fait que les études primaires à
l'école primaire Mangelia vers les années 1972
|
Mashaka Shabani Neliko, dit Shiko
|
-
|
Chasseur
|
Il a commencé l'école primaire à
Manduka mais il n'a pu la terminer.
|
Assani Mafutala dit Rochereau
|
Né à Bafwasende en 1971
|
-
|
Il s'est limité au niveau de 5eme des
humanités à l'Institut Technique Agricole et
Forestier (ITAF) d'Angasende en 1996.
|
Ramazani Bora Uzima, dit De Roy
|
Né à Kisangani en 1963
|
il est un chasseur
redoutable qui a pendant longtemps
travaillé avec les officiers des FAZ dans le
braconnage
des éléphants
|
Il a évolué jusqu'en 3ème
des humanités
pédagogiques à Boyulu vers les années
1980
|
Mambemani Movembo, aujourd'hui démobilisé
il
|
Né en 1973
|
|
Il a fait ses études primaires à
l'école
|
|
,
est rentré dans son village
|
primaire Manduka en
|
|
|
Balege
|
|
|
1986.
|
Sabuni Nekama, dit Sabin, en charge de la
police militaire au sein de autodéfense d'Opienge
|
Né à Opienge en 1970
|
|
Il a fait ses études jusqu'en 3ème
année des humanités pédagogiques
à l'Institut Tukazane à Opienge en 1994
|
|
|
|
|
|
Bali
|
Alafu Jean-Marie, dit Mey
|
Né à Bafwasende en 1958
|
Un ancien militaire de l'AFDL
|
Il a fait ses études secondaires à
Boyulu jusqu'en 3ème année en 1976
|
Angabu Thomas
|
Né en 1972
|
Il est aussi un ancien militaire de l'AFDL
|
Il a été les études jusqu'en
première année secondaire à
Boyulu en 1983
|
Kasongo Sébastien
|
Né en 1970
|
Un ancien négociant de diamant avant la guerre de
l'AFDL
|
Il a poursuivi ses humanitaires jusqu'en 3ème
année à l'Institut Technique Agricole et
Forestier (I.T.A.F.) d'Angasende en 1987
|
Source : Nos entretiens avec messieurs Heri Baraka,
Député provincial de Bafwasende et Aluta Ibrahim ressortissant du
même Territoire respectivement le 13 octobre 2007 et le 21 juillet
2008)
Il ressort de ce tableau que la majorité des leaders
maï maï de Bafwasende n'ont pas fait de longues
études153. Cet état de chose se fait remarquer
à travers l'organisation de leurs mouvements respectifs qui demeurent
calqués sur des bases ethno-tribalistes. Nous remarquons que les
élites maï maï de Bafwasende sont issues des anciens
braconniers (chasseurs) ayant déjà appris le maniement des armes
à feu. Ces acteurs sont relativement jeunes et n'ont pas connu, comme
acteurs bien sûr, la période tumultueuse de l'après
indépendance. C'est une nouvelle génération des maï
maï. Ce phénomène arrive à Bafwasende par effet de
mimétisme et en réponse aux différentes brimades et
violences dont les populations civiles de ce territoire ont été
victimes de la part des troupes ougandaises et rwandaises ainsi que de leurs
alliés rebelles congolais du RCD-Goma, du MLC et du RCD-N.
Les Rumbi sont les plus nombreux et les plus visibles des acteurs
maï maï
de Bafwasende suivi par les Kumu avec lesquels ils se partagent
le leadership
153 Amuri Misako a fait le même constat pour les maï
maï du Maniema.
dominant maï maï dans le territoire de Bafwasende.
Ceci pourrait se justifier par la proximité de ces ethnies à la
Province du Maniema où l'activité milicienne maï maï
est très récurrente.
Il est à noter la présence
prépondérante de quelques politiciens n'appartenant
nécessairement pas aux groupes ethniques dominants en termes de
leadership maï maï à savoir : Bovic Bolanga (Lokele), Emmanuel
Kimputu (Ngando), Didier Mandey (Budu) et Thomas Jonathan Ngomeanji (Kumu), qui
ont su se saisir de l'inorganisation et de l'inexpérience de certains
leaders maï maï afin de rassembler les différents groupes
rivaux maï maï, en créant un mouvement politico-militaire
unique des maï maï de Bafwasende du nom de Conseil de
Résistance pour la Démocratie, C.R.D en sigle, suite à un
pacte de sang scellé en date du 1 février 2002 à
Opienge154.
La Province Orientale a connu une histoire parsemée par
la violence politique. Un champ politique pré et
post-indépendance marquée dès ses origines par les
émeutes (1959), les rébellions lumumbistes (1961-1964), les
pillages (1991 et 1993), les guerres de l'AFDL, du RCD et du MLC (1997-2003),
les différents affrontements rwando-ougandais (1999, 2000, 2001,...),
les conflits armés interethniques caractéristiques en Ituri
(1999-2003) et l'émergence milicienne maï maï à
Bafwasende. Cette phase permet de comprendre la mobilité des
élites politiques et de découvrir comment les acteurs locaux se
sont familiarisés avec la violence et en ont profité pour capter
le pouvoir de l'Etat. Ainsi il est judicieux de découvrir le mouvement
de déploiement des élites politiques, les trajectoires
socio-historique et politique des élites politiques du fait de la guerre
ainsi que les modalités et tactiques de la circulation des élites
politiques en Province Orientale.
CHAPITRE DEUXIEME : REDEPLOIEMENT DES ELITES
POLITIQUES ET RECOMPOSITION DE L'ESPACE POLITIQUE EN PROVINCE
ORIENTALE
Il est question à travers ce chapitre, de plancher sur
la mobilité des élites politiques et la reconfiguration de
l'espace politique en Province Orientale par le fait de la violence politique
caractéristique vécue de 1997 à 2003.
Nous tentons d'examiner le renouvellement de l'ordre politique
par la violence en Province Orientale. Et voir comment les élites
politiques de la Province Orientale se sont familiarisées avec les
guerres et en ont profité pour leur contrôle
hégémonique.
Nous y inventorions les élites politiques de la
Province Orientale qui ont tiré profit de ces guerres et conflits
armés interethniques en conservant les positions de pouvoir qu'elles
occupaient et ont connu l'ascension vers une position dominante.
Ces différentes guerres ont servi l'émergence des
nouvelles élites et le captage par ces élites de
l'«Etat» ou de son pouvoir155.
La contrainte est au coeur du phénomène de
pouvoir. Le pouvoir est toujours le pouvoir de...Et le pouvoir de... est bien
celui de quelqu'un, d'un groupe, d'une classe. Là où il y a
rapport de pouvoir, il y a rapport inégalitaire156. Un
rapport de domination donc, le pouvoir de l'Etat, c'est-à-dire celui du
monopole de l'exercice de la violence légitime157. Le
déploiement/redéploiement des élites politiques en
Province Orientale se fait sous une forte rivalité territoriale et
identitaire qui nourrit toutes les
155 Pouvoir entendu comme capacité pour un individu ou un
groupe d'individus d'obtenir d'un autre un comportement qu'il n'aurait
peut-être pas adopté spontanément, de lui-même.
156 P., N'da, Op. Cit., p. 10.
157 C'est nous qui ajoutons.
guerres et tous les conflits armés interethniques qu'a
connus la Province.
II.1. Profils et trajectoires sociales des
élites
Les élites politiques sont aussi variées que
multiples, allant de l'analphabète au cadre universitaire en passant par
des hommes d'affaires, des religieux, des militaires, des artistes, etc.
La sociologie des élites que nous nous employons
à mener pour retracer les trajectoires socio-historiques et politiques
qu'ont suivies les élites politiques en Province Orientale nous conduit
à nous poser les questions suivantes : Qui est qui ? D'où
vient-il ? Qui était-il ? Qu'a-t-il fait? Avec qui agit-il/a-t-il agi ?
De quel milieu social est-il issu ? Etc.
Les élites politiques observées en Province
Orientale pendant les guerres sont globalement nées et issues des
groupements sociaux inférieurs. C'est-à-dire qu'elles
appartiennent dans des familles pauvres ou mieux, modestes. Fils et filles
d'enseignants, de cultivateurs ou de fermiers pour les meilleurs des cas,
d'agents ou commis de l'administration publique, elles ont émergé
dans des contextes socioprofessionnels et politiques particuliers
caractérisés par des guerres et divers conflits armés
interethniques.
Il nous faut tout de même souligner que la Province
Orientale a connu une page d'histoire marquée par une gouvernance
autoritaire rigide et sclérosé de ceux et celles qui ont
appartenu, dès la colonisation bien sûr, aux couches sociales
supérieures. C'est effectivement la période du règne de
Mobutu.
La lutte pour le pouvoir devient alors une course inexorable,
acharnée, pour la promotion sociale. La guerre, la violence politique et
les conflits interethniques structurant les habitus et les ambitions. De ceci,
Bongeli Yeikelo Ya Ato note, à la suite de Paule Bouvier et Francesca
Bomboko, au sujet des acteurs (élites) politiques que: « nombre
d'entre eux, ont fait des études universitaires ou supérieures et
certains ont
eu à exercer des fonctions académiques. Qu'ils
soient civils ou belligérants, leurs origines, leur formation, leurs
parcours les rattachent à cette strate privilégiée de la
société congolaise qui, par le biais des affaires, de
l'administration ou de la politique, a gravité dans l'orbite du pouvoir.
»158
C'est dans ce contexte qu'émergent des élites
politiques de la Province Orientale, en particulier, et de la RDC, en
général.
Les familles, les clans, les ethnies et les territoires, voire
les communes et les quartiers jubilent en voyant leurs «fils» et
«filles» (leurs natifs) occuper un poste de pouvoir politique. La
détention du pouvoir politique devient alors une ressource collective
à savourer par toute la communauté ou du moins, auquel
s'identifie toute la communauté d'origine du promu.
Nous comprenons les chants, dictons et quolibets idiomatiques
suivants comme l'expression à la fois de l'émancipation de tout
le groupe social dont sont membres les élites promues ou qui se
«confirment» par leurs actions. Ceci exprimant un sentiment de
revanche et de domination pour le groupe social dont est membre la personne
promue sur les autres groupes sociaux dont les élites viennent
d'être remplacées. Il s'agit en fait des chants de victoire pour
la reconnaissance du groupe social en tant qu'acteur social ayant du poids
politiquement. La jubilation de l'accession à la bourgeoisie (car, la
réussite économique, sociale, politique et culturelle est
toujours perçue comme un capital commun et collectif en Province
Orientale) :
- Oyo tango na biso ! Rendu de Lingala, ceci veut dire : Voici
notre temps ! Il est temps pour nous ! Marquant l'évocation d'une
présence tant convoitée et non réalisée d'un groupe
social particulier à l'arène de prise de décisions ;
- Botiaki tembe, oyo tango na biso ! Ce lingala signifie en
français : Vous avez tant douté, notre temps est enfin
là ! Pour signifier du même coup un défi lancé
aux autres groupes sociaux, surtout ceux qui ont toujours «
régné » ou eu la prépondérance dans
158 P., Bouvier et F., Bomboko cité par Bongeli Yeikelo
Ya Ato, « Le dialogue Intercongolais : anatomie d'une négociation
à la lisière du chaos. Contribution à la théorie de
la négociation » in Analyses sociales, Vol. IX,
Numéro unique, janvier-décembre 2004, p. 196.
l'espace social et politique de la Province Orientale ;
- Kila mutu na wakati yake ! Ce Swahili porte un sens, il veut
dire: A chacun son tour ! Ceci marque le sens que l'on donne au
renouvellement des élites politiques. Il semble que «à
chacun son temps» signifie aussi intrinsèquement que la
communauté a cultivé et cultive des imaginaires collectif d'une
mobilité ethnique des élites politiques. Cette
réalité est de plus, alimentée par ces mêmes
élites qui recourent si régulièrement aux rituels
identitaires pour fêter leur «élévation»
politique. Même si vraisemblablement l'ethnie ou la tribu n'a du tout
rien fait pour cette élite ;
- Owosu ona. De Lokele ça voudrait dire : Voici le
nôtre ! Le nôtre par rapport à l'autre toujours
considéré comme adversaire ou usurpateur ou dominateur.
- Wakale wae nda bilo (Bureau). Ce Lokele voudrait dire en
français: Avoir le sien au bureau. Evoque une certaine forme
d'apologie au népotisme et à l'ethnie comme
référent d'un service bénéfique de la part des
institutions de l'Etat.
- Unatutosha haya, banasemaka siye hatuna batu. Ces
propos rendus du Swahili de Kisangani signifient : Tu nous a
valorisés, car il est toujours dit que nous n'avons personnes. Plus
clair encore, ceci annonce les couleurs de la cohabitation entre
différents groupes sociaux de la Province Orientale. Marquée par
la suspicion, la peur de l'autre, le complexe à la fois de
supériorité et d'infériorité, la stigmatisation,
l'ethnicisation des rapports publics et au public, etc.159
Ces phrases, anodines et manifestement coquettes, sont
révélatrices de prétentions, de tensions et rapports de
forces caractéristiques des relations entre groupes sociaux en Province
Orientale. Une réalité exploitée et
«capitalisée» par les élites politiques en
compétition.
Ce sont les élites politiques qui mobilisent leurs
frères de tributs et patronnent les occasions où l'on voit se
véhiculer de tels imaginaires. Des camions sont mobilisés pour
transportés les «animateurs» paradant à travers la
ville en scandant la gloire de leur fils ou la reconnaissance de leur groupe
ethnique et de leur
terroir d'origine. Et du coup, les élites
récupèrent la situation pour se faire valoir aux yeux de leurs
alliés et présentent leurs ethnies, territoires ou groupes
culturels comme acquis aux mouvements qui les nomment ainsi qu'à leurs
idéologies.
L'ethnicisation des rapports à la politique conduit
à la détérioration des relations interpersonnelles et
engendre des tendances quasi obsessionnelles de déchirement. Il est
fréquent d'entendre une personnalité imputer sa perte d'un poste
politique aux autres rivaux politiques membres d'autres ethnies, territoires,
districts, etc. du fait d'un combat politique déloyal ethnicisé.
Par exemple, quand Lola Kisanga est nommé Gouverneur en remplacement de
Théo Baruti Amisi Ikumaiyete, les originaires de la Tshopo boudent et
dénoncent une machination du bloc Uélé
(c'est-àdire, Bas et Haut Uélé).
Ces reflets de l'imaginaire collectif peuvent receler une
forme active de participation politique qui valorise l'ethnicité ainsi
que ses manifestations dans le champ politique. Mais, il nous semble
plutôt que toutes ces pratiques reflètent une situation
conflictuelle. Ce qui entraîne et génère des
modalités aussi conflictuelles, problématiques et
concurrentielles dans la circulation des élites politiques en Province
Orientale.
Derrière ces adages et chants populaires
énumérés supra, nous reconnaissons les attachements
identitaires de certains groupes sociaux qui se sentent («toujours»)
marginalisés160 par rapport à la distribution du
pouvoir en Province Orientale. Ainsi, chaque nomination ou
élévation d'un de ses membres, représentent une
satisfaction communautaire. Il est aussi vrai que certains adages, chants et
boutades, reflètent plus la provocation et le défi lancé
aux membres des groupes sociaux «rivaux». Bref, ceci marque le
comportement prédateur et accumulateur des
160 Nous pouvons ici citer à titre d'exemple la
nomination de Monsieur Justin Yogbaa Litanondoto Bazono en 2000 comme
Gouverneur de Province par le RCD et la liesse que cela a suivi dans le groupe
Budu de Wamba en particulier et tous les ressortissants du
Haut-Uélé en général à Kisangani. De
même, la nomination de Madame Adèle Lotsove comme Vice-Gouverneur
avait suscité les mêmes effets dans le camp de l'Ituri en
général et Hema/Gegere en particulier. Nous pouvons ainsi
étendre la liste en citant aussi les cas de Messieurs Floribert Asiane
(Vice-Gouverneur), Mathias Dechuvi Dz'x (Vice-Gouverneur), Maurice Abibu
Sakapela (Vice-Gouverneur), Frédéric Esiso Asia Amani (Chef de
Département chargé de l'ESU du RCD), etc.
élites politiques en Province Orientale ; car
l'occupation d'un poste politique ou administratif signifie avoir accès
libre aux ressources de l'Etat : le cadastre, le crédit sous toutes ses
formes, le fisc, les investissements publics, etc.161
Les relations communautaires étant fragmentées
quand il s'agit de rapport au pouvoir, de telle sorte que les autochtones de la
Province Orientale semblent unis quand il n'y a aucun poste à se
disputer. Au contraire, il est plus qu'habituel de voir les élites
s'entredéchirer et leurs communautés d'origine,
instrumentalisées bien sûr, rentrer dans des guéguerres
inextricables. La phase du «doublement institutionnel» au temps de la
scission du RCD-Goma en 1999, avec d'une part un Gouverneur Lokele du RCD-Goma,
Théo Baruti Amisi Ikumaiyete et un autre Topoke du RCD-K, Walle Sombo
Bolene nous renseigne des rapports problématiques observés entre
les Lokele et les topoke.
En Ituri, nous assistons à la même
récurrence des rivalités entre ethnies ou du moins entre
élites des différentes ethnies qui manipulent leurs ethnies
respectives. Les acteurs étrangers ont vite compris ce fait et se sont
appuyés sur les rivalités ethniques existantes pour asseoir leurs
hégémonies. Le Rwanda emploie plus les ressortissants de la
Tshopo et surtout d'Isangi à des postes de commandement. L'Ouganda
accorde diversement son soutien à toutes les milices ethniques et les
oppose les unes aux autres (cela relèvant, à notre connaissance,
non d'une politique de l'Etat ougandais, mais des factions ou réseaux du
pouvoir (les Généraux James Kazini, Salim Saleh qui est aussi
frère de Yoweri Kaguta Museveni, les Colonels Noble Mayombo, Kahinda
Otafire, Peter Karim, etc.)162 et ne nomme par exemple aucun Lendu
à la tête de la «Province» de l'Ituri.
161 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique...Passim (surtout
pp. 100-153).
162 Pour une meilleure connaissance des réseaux
politico-militaires ougandais ayant intervenu en RDC, lire le Rapport du Panel
d'Experts de l'ONU sur l'Exploitation Illégale des Ressources Naturelles
et Autres Formes de Richesse en République Démocratique du Congo,
New York, 13 novembre 2001 et celui du 12 avril 2001 sur la même
problématique. Voir aussi, Judicial Commission of Inquiry into
Allegations into Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of
Wealth in the Democratic Republic of the Congo, November 2002.
Dans ce contexte d'appropriation collective d'un pouvoir
personnel des élites, le pouvoir politique devient une ressource
collective ou mieux communautaire, même si cette communauté n'en
profite guère.
Kuda Pombwa l'a aussi remarqué quand il note : «
Bref, les coteries tribales et toutes les associations des districts
concernés ont ouvertement manifesté un appui aux leurs qui ont
été nommés même si beaucoup de leurs membres ne sont
pas de même appartenance politique qu'eux. Et, celles qui sont
oubliées ont vigoureusement réagi par un mémorandum
adressé aux instances nationales »163. Tout cela est un
mécanisme classique de fonctionnement de groupe et d'identité :
chaque acteur est multipositionné et mobilise une pluralité
d'identités soit alternativement soit cumulativement soit
parallèlement. Au sein du groupe, il y a cohésion
renforcée (in group) qui pousse à exclure les autres (out group)
perçus comme ennemis ou menaces.
Ceci marque en fait les modalités d'action des
élites politiques dans leur circulation du fait de la guerre :
marginalité, automarginalité, blanchiment d'élites (comme
pour le blanchiment d'argent sale, les différentes guerres qui ont
marqué la Province Orientale ainsi que les différentes
négociations qui s'en sont suivies ont nourri une forme de recyclage des
élites politiques). Bref, leur transformation en «homme
nouveau» dont le passé, même sombre, doit être
ignoré, voire oublié par la mémoire collective
sombrée dans l'amnésie.
Ces événements sont comme une
blanchisserie164 politique ; une purification / sanctification, il
s'agit ici du fait que la population accorde comme une rédemption
à certaines élites de la guerre en les ennoblissant ou en les
considérant comme des «libérateurs de la
communauté»). Ceci a nettement enrichi la circulation des
élites politiques pendant les guerres et les conflits armés
interethniques en Province Orientale.
163Kuda Pombwa Lendebu Le Bagbe, Op. Cit.,
pp. 117-118
164 C'est-à-dire une sorte de cuve d'épuration
des élites. Même celles qui ont été bannies par la
population lors de certaines échéances
«démocratiques» ou celles qui sont réputées
comme ayant commis des crimes se voient renouvelées en
«libérateurs» ou défenseurs de la cause
«communautaire». Elles bénéficient par ailleurs des
postes importants de commandement au sommet de l'Etat.
Le champ politique de la Province Orientale pendant les
guerres est caractérisé par une lutte âpre des agents
politiques, avec des forces différentes et selon des règles
instituées par l'allié étranger, pour s'approprier les
profits et avantages que génère ce champ, c'est-à-dire,
facilités économiques et financières, prestiges, pouvoir,
honneurs, estimes,...
A ce propos, il ne serait pas hasardeux d'illustrer la
manifestation et la formation de l'habitus pour les élites de la
Province Orientale. Habitus se comprenant comme une disposition de l'esprit
et de la volonté qui fait voir les choses sous un jour
déterminé. Bourdieu le définit de manière complexe,
dialectique et se voulant opératoire comme «systèmes de
dispositions durables et transposables, structures prédisposées
à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en
tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et
de représentations165».
Les différentes guerres ont engendré un
activisme politique débordant. Les acteurs politiques locaux profitent
de la violence contre l'Etat et de celle adressée aux autres groupes
sociaux du fait de la faillite ou de la faiblesse de l'Etat pour
réorganiser et reconfigurer l'espace politique. Cette situation suit une
logique à plusieurs séquences guidées par l'histoire des
guerres et conflits armés qu'a connus la Province Orientale de 1997
à 2003.
Certaines élites ont profité aux niveaux
provincial et local des situations de guerres. D'autres ont saisi leur chance
pour aller occuper des postes politiques supérieurs au niveau national.
Cependant, il y en a également qui ont perdu le pouvoir du fait des
guerres et des conflits armés interethniques166.
165 P., Bourdieu cité par C., Dubar, Op.
Cit., p. 70 pour un meilleur entendement de la
production, de la reproduction, du transfert de l'habitus.
166 Nous pouvons citer, parmi ceux qui ont profité de
la guerre : Jean Yagi Sitolo, Noël Obotela Rachidi, Jean Pierre Bilusa
Baila, Jean Pierre Lola Kisanga, John Tibasima Atenyi, Adèle Lotsove,
Mohamed Bule Ngbangolo, Simon Blupi Galati, Blaise Baise Bolamba,... Et pour
ceux qui n'ont profité des guerres ou ont perdu le pouvoir:
Eugène Lombeya Bosongo, Noël Obotela Rachidi, Alphonse Maindo Monga
Ngonga, Likulia Bolongo, Mokonda Bonza, Walle Lofungola, Walle Sombo Bolene,
etc. Certains ont accédé au pouvoir et en ont été
chassés par la guerre, tels sont les cas de Yagi, Obotela, Maindo Monga
Ngonga, Walle Lofungola, etc.
Nous classons ces différentes élites suivant
l'appartenance aux sphères du pouvoir ou leur capacité
d'influence ; c'est-à-dire selon les critères fondamentaux de
l'action historique et de la fonction sociale immédiate. Nous ne
dressons aucunement une classification des élites, comme l'avait fait
Guy Rocher167, basée sur la nature et les origines des
élites.
La pratique et les actions de ces élites
s'insèrent tout logiquement dans un système de
gouvernementalité qui s'explique par le paradigme de recherche
hégémonique qu'a utilisé J.F. Bayart168
s'articulant à travers une triple dimension d'autonomisation du pouvoir,
d'accumulation des richesses et de sens commun de la domination, pour
déterminer le politique. Le paradigme de la recherche
hégémonique permet donc de préciser les frontières
du politique dans la mesure où la qualification politique d'une pratique
ou d'un mouvement social réside dans sa capacité à
structurer dans sa globalité les enjeux et les questions sous-jacentes
à la recherche hégémonique.
Les élites politiques en Province Orientale en
étude ont, pour la majorité, une trajectoire politique identique.
Elles sont presque toutes pratiquement issues des familles pauvres ou modestes
et ont profité des guerres et violence politique pour capter le pouvoir
de l'Etat et participer à sa gestion.
Nous nous retrouvons ici face à une situation similaire
de celle qu'avait observée Robert Dahl169 au New Haven aux
Etats-Unis. Dahl part d'un postulat selon lequel: l'accession à des
postes politiques de direction nécessite un certain nombre de
ressources: la richesse, la compétence, le prestige.
167 G., Rocher, Op. Cit., p. 4
classifie les élites en : élites d'expert (grands commis,
élites d'affaires...), élites idéologiques
(traditionnelles : clergé, hommes politiques, journalistes ; nouvelles :
universitaires, étudiants, ouvriers), élites symboliques
(artistes de la radio et de la télévision, chanteurs
populaires)
168 Cette notion est richement argumentée dans les
ouvrages importants suivants: J.F., Bayart, A., M'bembe et C., Toulabor, Le
politique par le bas en Afrique noire: contributions à une
problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris,
Fayard, 1989, pp. 146-153.
169 Passim, R., Dahl, Op. Cit.
Il observe ainsi que «deux cas de figures s'offrent alors
: soit un groupe ou une élite possède ces trois ressources dans
ce cas nous sommes dans une oligarchie, soit plusieurs groupes ou élites
possèdent chacun une (voire deux) de ces ressources. Nous sommes dans ce
cas-là dans une polyarchie. Le pouvoir politique est alors
partagé entre différents groupes dominants qui ne cumulent jamais
les trois ressources. Les différentes élites doivent donc
s'allier pour trouver des décisions communes finales. On parle donc de
système de pouvoir pluraliste compétitif (puisque les
élites sont en compétition pour faire accepter leurs choix,
idées, etc.) et équilibré (on conçoit que les
groupes ont à peu prêt les mêmes ressources).
Partant de ces explications de Robert Dahl, nous constatons
qu'il y a une pluralité d'élites en Province Orientale. Ce
pluralisme politique provient d'un pluralisme social (à l'image de la
société) dont la différenciation sociale, la
diversité d'intérêts, de profils et d'ambitions, etc. sont
des marques170. En Province Orientale ceci s'observe par les milieux
d'origine des élites. Elles sont issues des milieux culturel et savant
(cadres universitaires et autres), des milieux commerçants et des
affaires, des milieux militaires, politiques et de la société
civile, etc. Pas surprenant qu'elles aussi aient des intérêts et
des ambitions divers et différents.
II.2. Elites politiques : redéploiement et
rapport aux autres acteurs
La guerre de l'AFDL de 1997 a généré une
forme ascendante de la mobilité des élites politiques. De jeunes
cadres universitaires, des membres des mouvements de jeunesse, des enseignants
d'université, ont été propulsés au sommet des
entités et des institutions grâce à la guerre.
Pour marquer l'espace conquis, l'AFDL choisit de remettre tous
les sièges de la gestion politique et administrative en
compétition populaire dans certaines régions du pays. Des membres
des groupes sociaux jusque là marginalisés171 ou
exclus sont happés par l'attraction magnétique de la politique
poussés par les populations en quête
170 Nous empruntons ces éléments de
pluralité des élites de G., Rocher, Multiplication des
élites et changement social...Op. Cit., pp. 8-9.
171 Maindo Monga Ngonga, Thèse déjà
cité, p. 224.
de changement politique.
Les autorités communales, municipales et provinciales
sont élues à travers un mécanisme de vote insolite et
inédit.172 L'AFDL organise les élections à
mains levées et convie la population173. Comme des
météorites, de nouveaux visages prennent le contrôle du
pouvoir politique. Cela peut être interprété comme une
revanche de la population sur les anciennes élites politiques
«complices» du régime tortionnaire de Mobutu.
En effet, dès son occupation de la ville de Kisangani,
et sa prise de contrôle du pouvoir politique, l'AFDL a innové en
créant une rupture d'avec les habitudes déjà
installées dans l'ordre ancien, la transition débutée le
24 avril 1990 : un multipartisme et une bipolarisation des forces politiques
entre, d'une part, le bloc du pouvoir ou la mouvance présidentielle
constituée de ceux qui soutenaient le Président Mobutu et,
d'autre part, l'Union Sacrée de l'Opposition Radicale et Alliés
(USORAS) chère à Etienne Tshisekedi. Cette époque est
caractérisée par les nominations des autorités
politico-administratives (Gouverneurs, Maires, Commissaires de District,
Bourgmestres, Administrateurs de Territoire, etc.). Ceci a favorisé le
partage du pouvoir, dans le champ politique, sur base du népotisme, du
tribalisme, du clientélisme, etc.
Aussi, nous avons observé lors de l'élection des
autorités locales (Gouverneur, Vice-Gouverneurs, Maire et Vice-Maire de
la Ville de Kisangani) une forte mobilisation des états-majors de
certaines ethnies et associations politiquement intéressées,
notamment Bana Etats-Unis174, GRAMA175, Isonga songa,
Lisungameli,
172 Lire à cet effet pour une meilleure
compréhension : Ponea Tekpibele Masudi, La révolution et le
changement politique : analyse du régime post-révolution de
l'AFDL à Kisangani, TFC (inédit) en SPA, FSSAP, UNIKIS &
Maindo Monga Ngonga, Voter en temps de guerre : Kisangani (RD- Congo) 1997,
quête de légitimité et (con)quête de l'espace
politique, Paris, L'Harmattan.
173 Il n'y a ni restriction en terme d'âge ni en terme
des droits civils et politiques. Tout le monde, jeune, moins jeune, vieux,
homme, femme, même le prisonnier qui venait d'être
«libéré» la veille quand les militaires de l'AFDL ont
cassé les portes des prisons, vote. Une démocratie dans la guerre
et atypique se réalise en Province Orientale de la RDC.
174 Bana Etats-Unis est une association de la Commune de Mangobo
à Kisangani très active et constamment instrumentalisée et
trop vexée dans la violence. Mais tolérée et
manipulée par les autorités.
les étudiants176 etc. Quelques candidats ont
mobilisé de gros véhicules pour la «récolte» et
le transport de «leurs bases» respectives vers le stade Lumumba,
contrairement à une certaine opinion qui soutiendrait que les candidats
à ces élections à mains levées organisées
par l'AFDL à Kisangani ne s'étaient préparés dans
le sens de la mobilisation des électeurs.177
Ce fait nous a aussi été relaté pour les
mêmes élections organisées dans certains Territoires comme
Banalia, Buta (pendant l'AFDL et le MLC), Isangi, Yangambi, Basoko,...
où l'on pouvait plutôt observer la compétition politique
prendre des allures d'antagonismes et de positionnement entre tribus.
Ces élites nouvellement promues doivent ployer dans un
régime encadré par le système partisan
«Chembe-chembe», apparenté aux comités locaux du MPR
partiEtat de la deuxième République tant décriée,
consistant à vulgariser et idéologiser les peuples
«libérés».
Une structure de renseignement de l'AFDL emprunté au
«nyumba kumi» de l'allié rwandais à son tour
calqué à la national resistance movement (NRM) de l'Ouganda, un
cadre d'action politique à la base qui est l'oeil, la bouche et
l'oreille de l'Alliance. La cellule de base regroupant soit les membres d'une
entreprise ou d'un service, d'une avenue, d'un quartier ou encore d'une
société.
175 GRAMA aussi est une association de la même commune
de Mangobo un peu rivale à la précédente mais n'utilisant
pas souvent la violence comme langage d'action. Nous verrons l'apport de cette
association dans la suite du déploiement des élites politiques de
la Province Orientale
176 Nous étions nous même de ce groupe
d'étudiants qui, aux premières heures de l'entrée de
l'AFDL, paradaient à travers les grandes artères de la ville de
Kisangani avec le drapeau de la République du Congo (Celui de 1967) en
scandant «Yagi gouverneur». Ceci s'était déroulé
bien avant même que les élections communales ne soient
organisées par l'AFDL. Aussi, Willy Poyo Poye, Alain Kpoku Gbay,
Christophe Baelongandi Twaotulo, Evariste Epupwa Kalenga doivent leur
élection au soutien des étudiants mobilisés à leurs
milieux de vote respectifs.
177 Nous nous souvenons nous être brouillé nous
même avec l'une des personnalités intéressées de
cette compétition le jour du vote de Maire de la ville et qui fût
très versée dans cette pratique.
Le redéploiement des élites politiques de la
Province Orientale se fait en trois phases principales : la première,
celle que nous venons de décrire plus haut, celle favorisée par
la guerre de l'AFDL, la deuxième, celle orchestrée par la guerre
du RCD et les différents conflits interethniques de l'Ituri et la
troisième est celle des négociations politiques.
Ces vagues successives ont chacune occasionné soit
l'entrée en scène des nouvelles élites soit le retour aux
affaires des anciennes élites qui, par opportunisme, se muent en
hérauts des mouvements conquérants qui les gouvernent et portent
leurs labels politiques soit encore l'irruption des seigneurs de guerres qui se
voient comme gratifiés et promus. Car par exemple, de seize
autorités élues lors des élections de l'AFDL, quinze n'ont
jamais eu à gérer. La même chose se remarque en Ituri
où, des onze promus commissaires de district ou gouverneurs entre 1997
et 2003, un seul avait occupé auparavant une fonction
politico-administrative.
Et de toutes ces phases, les élites ont entretenu des
rapports entre elles et avec d'autres acteurs externes (parrains). Ces rapports
ont grandement contribué à l'émiettement de ces
élites et à leurs divers alignements ayant accordé du
même coup, prétexte aux forces étrangères à
se livrer bataille sur le sol congolais.
Dans leurs relations réciproques (c'est-à-dire
des élites en Province Orientale entre elles) et avec d'autres acteurs
(les élites d'autres provinces de la RDC et avec les acteurs /
commanditaires des différentes guerres), les élites de la
Province Orientale sont à la fois alimentaires, satellisées, sous
perfusion et vigoureusement exclusives.
Sans leadership effectif et responsable personnel, les
élites en Province Orientale ne sont que des exécutants des
politiques et procurateurs des entreprises importées. Ceci est
remarquable, car jusqu'aujourd'hui la Province Orientale ne connaît
aucune élite capable de mobiliser et de fédérer les masses
autour d'un idéal ou d'une cause commune.
Globalement, dans leurs rapports avec d'autres acteurs, les
élites politiques en Province Orientale en étude, que nous
qualifions pour besoin de commodité d'explication et de
compréhension élites de la guerre, ont été à
la fois dans une position d'intermédiaires des potentats
étrangers et de maîtres de leurs espaces de contrôle
respectifs. Il s'agit en fait d'une adaptation à la situation pour faire
triompher des intérêts personnels de contrôle d'espaces
économiques ainsi que de conquérir et affermir le pouvoir
politique.
Les rapports entre élites en Province Orientale n'ont
pas échappé à la règle de la nature conflictuelle
de la société comme l'indique Alain Touraine178 :
« l'ordre n'est, finalement, qu'une traduction partielle des conflits de
pouvoir et des transformations des modèles culturels. De là
l'importance des mouvements sociaux, qui font apparaître les rapports
sociaux les plus fondamentaux et révèlent que les institutions et
les formes d'organisation sociale sont produites par les rapports sociaux,
[...].» Seulement ici, du fait de la manipulation extérieure et des
intérêts économicofinanciers que procuraient la violence
politique ainsi que le pouvoir qu'elle générait, ces rapports ont
conduit aux innombrables déchirements et peuvent expliquer la tendance
fissipare des élites en Province Orientale.
178 A., Touraine, Le retour de l'acteur, Paris, Fayard,
1984, p. 113 et ss. Voir aussi, dans une vision purement fonctionnaliste, L.,
Coser, Les fonctions du conflit social, traduction de M., Matignon et
Alii., Paris, PUF, (coll. sociologies), 1982, surtout, les pp. 27, 95.
Tableau 3 : Les élus de la guerre de 1996 à
Kisangani
NOMS & POSTNOMS
|
NIVEAU D'ETUDE
|
FONCTION POLITIQUE OCCUPEE
AVANT
|
FONCTION TENUE
|
JURIDICTION
|
OBSERVATION
|
Dr Jean Yagi Sitolo
|
Dr en médecine
|
Sans
|
Gouverneur de
Province
|
Province Orientale
|
Ancien Président de l'UDPS en Province Orientale, Chef
de Travaux à l'UNIKIS
|
Noël Obotela Rachidi
|
Dr
|
Sans
|
Vice-Gouverneur de Province
|
Province Orientale
|
Professeur à
l'UNIKIS, acteur de la société civile
|
François Lobela Alauwa
|
L2
|
Sans
|
Maire de la Ville
|
Ville de
Kisangani
|
Avocat au Barreau de Kisangani, membre de la DLD
|
Selenge wa Selenge
|
L2
|
Sans
|
Vice-Maire de la
Ville
|
Ville de
Kisangani
|
Employé de la
Sotexki et très actif dans le monde du football.
|
Evariste Yangoy Epupwa
|
L2
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
la Makiso
|
Chef de Travaux à F.P.S.E/UNIKIS
|
Joseph Lokinda Komoy
|
G3
|
Commissaire de
Zone assistant de la commune Makiso
|
Bourgmestre adjoint
|
Commune de
la Makiso
|
Etudiant en L2 SPA
|
Willy Mpoyo Poye
|
L2
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
la Tshopo
|
Il fait les petits
commerces entre
Kisangani et les sites d'extraction de diamant
|
Alain Kpoku Gbay
|
G3
|
Sans
|
Bourgmestre adjoint
|
Commune de
la Tshopo
|
Ami du précédent, il est comme lui dans le
business entre
Kisangani et les sites d'extraction de diamant
|
Alphonse Maindo Monga
Ngonga
|
L2
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
Kabondo
|
Assistant de
recherche à
l'UNIKIS au
département des
SPA et très actif dans les milieux de la jeunesse
catholique et de la société civile
|
Jules Okete Longe
|
G3
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
|
Enseignant
|
|
|
|
adjoint
|
Kabondo
|
(Professeur d'école) au Complexe Scolaire de
l'UNIKIS
|
Saleh Muzelea
|
D6
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
Kisangani
|
Employé à Athul
GHELANI, un
magasin de gros
implanté à Kisangani
|
Ndjasi Liandja
|
G3
|
Sans
|
Bourgmestre adjoint
|
Commune de
Kisangani
|
|
Loela Bonone Bisonya
|
L2
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
Mangobo
|
|
Christophe Baelongandi
Twaotulo
|
L2
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
Mangobo
|
Il faisait le business entre la ville et les sites
d'extraction de diamant de Bafwasende
|
Augustin Yessaya Losembe
|
G3
|
Sans
|
Bourgmestre
|
Commune de
Lubunga
|
Inspecteur à l'EPSP
|
Clément Apatchakuwa
Mikendi
|
G3
|
Sans
|
Bourgmestre adjoint
|
Commune de
Lubunga
|
|
Source : Ponea Tekpibele Masudi,
Op. Cit. (1997), p.26
Les personnalités ci-haut ont été
poussées par une pression de jeunes de leurs quartiers respectifs
à briguer les postes en compétition. Parmi elles, des jeunes
cadres universitaires ou encore étudiants préférés
aux vieux «dinosaures» de l'ancien régime. Les
élections sui generis organisées par l'AFDL ont permis un
renouvellement des élites politiques en Province Orientale. Tous les
postes de gestion politique ont vu leurs responsables rejetés et
accusés par la population d'avoir été complices du MPR.
Une autre révélation issue de ces
élections est l'élection dans plusieurs communes de certains
allogènes alors que la Province était qualifiée de bastion
de la « géopolitique »179. Car, pendant les
derniers mois du régime Mobutu, les élites autochtones de la
Province Orientale avaient machinalement adopté la «politique»
de « Kila mamba na Kivuku yake » (entendez, A chaque Caïman son
marigot ou sa rive)
179 La géopolitique était cette stratégie de
xénophobie et d'exclusion des non originaires au profit des originaires
quidevraient dorénavant occuper seuls les postes de gestion
dans leur province d'origine. La Province Orientale, bien
qu'ayant à sa tête l'un des chantres les plus
invétérés, n'est pas la seule en RDC d'avoir
actionné cette politique du pire ; le Katanga, le Kasaï ont connu
entre 1992 et 1993 des pires épisodes de crises sociales.
et entretenaient une xénophobie à l'égard
des allogènes. Prétendant que cela était le reflet de la
société, donc des «originaires», qui ne voulait
être dirigée par les «étrangers». Mais, les
élections dans la guerre, riche de la spontanéité dans
leur organisation, ont démenti ces manipulations politiciennes des
élites aux abois.
Les professions libérales et la proximité avec
la population semblent être des éléments qui ont servi ces
élites dans leur ascension180. Les jeunes élites
novices en politique pour la grande partie font irruption et profitent de la
guerre pour prendre le pouvoir. Seuls deux élus (le Vice-Maire Selenge
wa Selenge et le Bourgmestre Adjoint de la ville de la Makiso) sont des anciens
politiciens reconnus du temps du MPR. Le Gouverneur Jean Yagi Sitolo a
été Président fédéral de l'UDPS, mais il n'a
jamais été en contact avec le pouvoir.
Malgré la spontanéité et la moindre
préparation des élections, nous observons que la population a
opté pour la qualité intellectuelle, ou mieux le niveau
d'instruction, comme critère de choix de ses gouvernants. Car, de tous
les élus, un seul, Saleh Muzelea n'a un niveau universitaire. Ceci n'est
pas surprenant si l'on considère le fait que la commune de Kisangani
dont il est l'élu n'a pas beaucoup d'écoles et ne comporte, sans
que cela ne soit compris comme une insulte, assez
d'universitaires.181
Les élections à temps de guerre ont rompu avec
le clientélisme instauré et entretenu par la pratique des
nominations. C'est l'ère de la démystification et la dispersion
du régime de Mobutu et de ses auxiliaires locaux. Les nouvelles figures
occupent par exemple des villas jadis objet de mythes et de crainte
fréquemment entretenues quoique toujours inhabitées. Leurs biens
sont réquisitionnés par les
180 Passim, Maindo Monga Ngonga, Voter en en temps
de guerre... pp. 105-135
181 A Kisangani, il est de notoriété commune que
les Enya et les arabisés, majoritaires dans la commune Kisangani,
n'envoient pas leurs enfants à l'école ou ne les poussent vers
des études universitaires. Les ressortissants de ces deux
communautés sont à peine identifiables dans les sphères du
pouvoir en Province Orientale. Les Enya et les arabisés s'adonnent
dès le plus jeune âge aux petits métiers et commerces
(cireurs, vendeurs de noix de cola, vendeurs de la pacotille, crieurs au
marché central, etc.) et pratiquent encore le rapt comme système
de mariage. Ce qui explique la précocité de mariage chez les
jeunes de ces groupes ethniques à Kisangani et de la négligence
des études par ces derniers. Kisangani étant leur village, ils
vivent en ville comme au village perpétuant les pratiques rurales dans
une entité qui s'urbanise de plus en plus. Ceux qui atteignent le niveau
supérieur préfèrent quitter leur milieu de vie pour
d'autres communes de la ville.
nouveaux maîtres de jeu pour eux-mêmes ou pour le
compte des alliés étrangers, etc.
A Kisangani par exemple, de toutes les autorités
élues, une seule survit de l'ancien régime mobutiste : Lokinda
Komoy élu Bourgmestre adjoint à la commune de la Makiso.
Tableau 4 : Les différentes élites de la
guerre du RCD en Province Orientale
NOMS & POSTNOMS
|
NIVEAU D'ETUDE
|
PERIODES
|
Fonctions exercées
|
JURIDICTION
|
OBSERVAT ION
|
Bene Kabala
|
Dr
|
26 9 1998 - 06 12 1998
|
Gouverneur de
Province
|
Province Orientale
|
Tshopo
|
Baruti Amisi Ikumaiyete
|
DES
|
23 12 1998 - 20 6 2000 et 16 5 2004 - 15 11 2005
|
Deux fois
Gouverneur de
Province
|
Province Orientale
|
Tshopo
|
Yogbaa Litanondoto
|
-
|
20 7 2000 - 20 4 2001
|
Gouverneur de
Province
|
Province Orientale
|
Haut - Uélé
|
Bilusa Baila Boingaoli
|
Dr
|
21 4 2001 - 16 6 2004
|
Gouverneur de
Province
|
Province Orientale
|
Tshopo
|
Lola Kisanga
|
Dr en
Médecine
|
2000 - 11 2005 à 2006
|
Vice-Gouverneur et
Gouverneur de
Province
|
Province Orientale
|
Haut- Uélé
|
Asiane Bamukwiemi
|
L2
|
|
Vice - Gouverneur
|
Province Orientale
|
Haut- Uélé
|
Abibi Azapane Mango
|
Dr
|
2001
|
Président
|
Assemblée Provinciale
|
Haut-Uélé
|
Abibu Sakapela
|
L2
|
2001
|
1er Vice-Président
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Amisi Mabango Kasa
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Amundala Bin Ramazani
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Baboko Jacogne
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Badi Amolo
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Baolimo Lotemba
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Basinga Batokambele
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Batumbu Ewikio
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Bongeli Osombetamba
|
Ir
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Bosasele Losinge
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Bosenge Akoko
|
|
|
|
|
|
Daudi Auber
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Djassi Liandja Bofando
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Ekita Longomba
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Elombo Bonyangela
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Ekili Sefu
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Feruzi Kimina
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Mme Furaha Bernadette
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Iyango Faki
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Itha Loola
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Kanena Louis
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Keto Likema
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Kilolo Kitunga
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Kokonyange Georges
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Laguine Dikumbo
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Bas-Uélé
|
Libaki Idulumade
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Lifindiki Lokengo
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Lingofo Jacques
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Lisuli Boni
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Liyeye Balonga
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Lokawe Balabala
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Lokwa N'koy
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Malindo Abakisi
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Mangubu Lotika
|
L2
|
2001
|
1er Secrétaire
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
|
|
|
Rapporteur
|
|
|
Mbalaka Michel
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Momoty Lemand'azuato
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Muhayirwa Baudouin
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
N'goy Musafiri Lihemba
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Okangola Ekili
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Tibamwenda Basara E.
|
Dr
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Ituri
|
Tumilali Lonyongo
|
-
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Tshopo
|
Mme Uzele Béatrice
|
L2
|
2001
|
Membre
|
Assemblée Provinciale
|
Ituri
|
Mme Wawa Marie-Hélène
|
-
|
2001
|
membre
|
Assemblée Provinciale
|
-
|
Boondo Lotika B.
|
L2
|
1998-1999
|
Maire de la Ville
|
Ville de Kisangani
|
Tshopo
|
Tchoko Lisungi B.
|
L2
|
1999 - 2001 & 2001 - 2003
|
Maire de la Ville de Kisangani & Vice- Gouveneur
|
Ville de Kisangani &
Province Orientale
|
Tshopo
|
Bongeli Osombetamba
|
Ir
|
2001-2002
|
Maire de la Ville
|
Ville de Kisangani
|
Tshopo
|
Fumba Kambemba
|
-
|
1999-2000
|
Bourgmestre
|
Kisangani
|
Maniema
|
Bompenda Bona
|
G3
|
1999-2001
|
Vice Maire de la ville en charge de
l'Economie et Finances
|
Ville de Kisangani
|
Equateur
|
Deuda Mamoko
|
L2
|
1999-2000
|
Bourg. Adjoint
|
Makiso
|
Haut-Uélé
|
Mabuse Ekila
|
-
|
1999-2000
|
Bourg. Adjoint
|
Kabondo
|
Tshopo
|
Bakoy Bakunguwo
|
D6
|
1999-2000-2005
|
Vice Maire (Adm.) et Maire de la Ville
|
Ville de Kisangani
|
Haut Uélé
|
Kambili Lofemba
|
G3
|
2005-2007
|
Maire de la Ville
|
Ville de Kisangani
|
Tshopo
|
Etula Libange
|
-
|
2005-2006
|
Maire de la Ville
|
Ville de Kisangani
|
Tshopo
|
Bosenge Akoko
|
L2
|
|
Maire Adjoint
|
Ville de Kisangani
|
Tshopo
|
Kanena Sawamunzila
|
L2
|
2002
|
Maire Adjoint
|
Ville de Kisangani
|
Sud Kivu
|
Tabey Ngbengo
|
L2
|
2003-2005
|
Bourgmestre
|
Commune de Kabondo
|
Bas Uélé
|
Bulaya Basong
|
G3
|
2001
|
B/Adjoint
|
Commune de Kabondo
|
Tshopo
|
Djasi Liandja B.
|
L2
|
1998-2005
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Selenge Sakina
|
D4
|
-
|
B/Adjoint
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Sikoti Katenga
|
G3
|
-
|
Bourgmestre
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Etukumalo Inola
|
L2
|
2002
|
B/Adjoint
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Okete Longe Watuku
|
L2
|
1998
|
Bourgmestre
|
Commune de la Makiso
|
Maniema
|
Mandjeku
|
L2
|
2002
|
B/Adjoint
|
Commune de la Makiso
|
Tshopo
|
Lomoyo Iteku
|
L2
|
1998
|
Bourgmestre
|
Commune de Mangobo
|
Tshopo
|
Lolesia Botalema
|
L2
|
1998
|
B/Adjoint
|
Commune de Mangobo
|
Tshopo
|
Benda Malio
|
D6
|
1998
|
Bourgmestre
|
Commune de la Tshopo
|
Equateur
|
Batululu Kalokola
|
PP4
|
1998
|
Chef de Collectivité
|
Lubuya-Bera
|
Tshopo
|
Bulu Bobina
|
L2
|
1998
|
CDD
|
District de la Tshopo
|
Tshopo
|
Bometo Bosukwa
|
L2
|
1998
|
CDD/Adjoint
|
District de la Tshopo
|
Tshopo
|
Uvon Opara
|
L2
|
1998-2001
|
Directeur de Province
|
Province Orientale
|
Ituri
|
Lokanzola Mbeyo
|
-
|
2003
|
Directeur de Province
|
Province Orientale
|
Tshopo
|
Mme Binti Darabu
|
-
|
1998-1999
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Saleh Museleya
|
L2
|
1999
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Kombozi Masua
|
-
|
1999-2000
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Mme Uzele
|
-
|
2000
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Ituri
|
Amundala Bulozi
|
-
|
1999-2000
|
B/Adjoint
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Ngongo Wazambila
|
-
|
1998-1999
|
B/Adjoint
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Djassi Liandja B.
|
L2
|
2002-2005
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Kamulete di Bolamba
|
-
|
2005
|
Bourgmestre
|
Commune de Kisangani
|
Tshopo
|
Ayaka
|
-
|
1998-1999
|
Bourgmestre
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Apatchakuwa Mikendi
|
-
|
1998-1999
|
B/Adjoint
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Limengo Liloa
|
-
|
1998-1999
|
B/Adjoint
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Sikoti Katenga
|
-
|
2000-2004
|
Bourgmestre
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Sikoti Katenga
|
-
|
2000-2005
|
Bourgmestre
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Mme Saile Selenge
|
L2
|
2005-2008
|
Bourgmestre
|
Commune de Lubunga
|
Tshopo
|
Poyo Poye
|
L2
|
2000-2002
|
Bourgmestre
|
Commune de la Makiso
|
Kasaï Occidentale
|
Mme Benda Malio
|
G3
|
2002-2005
|
Bourgmestre
|
Commune de la Tshopo
|
Equateur
|
Batumbu Mungamba
|
A1
|
1998
|
CDD/Adjoint
|
District de la Tshopo
|
Tshopo
|
Bofonda
|
G3
|
2003
|
CPEA
|
Bengamisa
|
Tshopo
|
Lihaha Mona
|
L2
|
2001
|
AT
|
Basoko
|
Equateur
|
Andefelo Yenga
|
L2
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Basoko
|
Tshopo
|
Saile Selenge
|
L2
|
1999
|
AT/Adjoint
|
Basoko
|
Tshopo
|
Akanis S.
|
L2
|
1999
|
AT
|
Opala
|
Tshopo
|
Olela Bolangi
|
PP5
|
1999
|
AT/Adjoint
|
Opala
|
Tshopo
|
Elembo Bonyangela
|
D6
|
2002
|
AT/Adjoint
|
Opala
|
Tshopo
|
Lombo Lilima
|
PP2
|
1999
|
CPEA
|
Lokito
|
Tshopo
|
Obendela Itondo
|
PP3
|
1999
|
CPEA
|
Mayoko
|
Tshopo
|
Okangola Ema
|
PP2
|
2002
|
CPEA
|
Mongo Likenge
|
Tshopo
|
Tabu Yeni
|
G3
|
2001
|
CPEA
|
Yatolema
|
Tshopo
|
Apachakua Makana
|
G3
|
1999
|
AT
|
Ubundu
|
Tshopo
|
Shokoto Mikaeli
|
G3
|
1999
|
AT/Adjoint
|
Ubundu
|
Tshopo
|
Asika
|
D4
|
1999
|
AT/Adjoint
|
Ubundu
|
Tshopo
|
Fundi Malanda
|
D4
|
1998
|
Chef de cité
|
Ubundu
|
Tshopo
|
Malungu Walipesi
|
D4
|
1999
|
CPEA
|
Kirundu
|
Tshopo
|
Tchoma Tchoma
|
PP3
|
1998
|
CPEA
|
Basusoko
|
Tshopo
|
Salumu Beki
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Lowa
|
Maniema
|
Masanza
|
L2
|
2002
|
CPEA
|
Wanierukula
|
Haut Uélé
|
Bokalanga Wya
|
G3
|
1998
|
AT
|
Yahuma
|
Tshopo
|
Liendo Monga
|
L2
|
1998
|
AT/Adjoint
|
Yahuma
|
Tshopo
|
Bitie Amundala
|
L2
|
2003
|
AT/Adjoint
|
Yahuma
|
Tshopo
|
Etsike Badjoko
|
L2
|
2003
|
Chef de Cité
|
Mosite
|
Tshopo
|
Topo Bombongo
|
L2
|
2003
|
CPEA
|
Buma
|
Tshopo
|
Yangelonge Losom
|
D4
|
2003
|
CPEA
|
Koret
|
Tshopo
|
Source Source : Nos enquêtes.
Il est remarquable de voir que le RCD-Goma a abondamment
utilisé les élites intellectuelles dans sa gestion des espaces
contrôlés. Nous remarquons aussi que la mobilité a
été très forte sous la gestion RCD-Goma. Dans un
intervalle de sept ans, six gouverneurs de province ont défilé
à la commande de la Province Orientale (du moins de la partie sous
contrôle du RCD-Goma) par exemple. Des tentatives de
démocratisation de l'espace politique par l'institution de
l'Assemblée provinciale. Le district de la Tshopo est majoritairement
servi par la rébellion du RCD-Goma, peut-être parce que ce
mouvement ne contrôle en fait que cette partie de la Province Orientale.
Ainsi se concrétise la permanence déjà observée qui
consiste à utiliser chacun chez soit. Les quelques cas de
présence des élites d'autres districts répondraient
certainement à une logique de camouflage de la part du mouvement
cherchant à se donner un semblant de cohésion provinciale, voire
nationale. La tendance régionaliste dans le choix des cadres par le
RCD-Goma n'a pas été si absolue. Plusieurs personnalités
des provinces autres que la Province Orientale ont été aussi
mobilisées dans la gestion de l'espace RCD-Goma.
Noms & Postnoms
|
Niveau d'étude
|
Période
|
Fonctions exercées
|
Juridiction
|
Observation
|
Mondenge Loota
|
PP5
|
2001
|
Administrateur de Territoire (AT)
|
Bafwasende
|
Tshopo
|
Ngomiandji Lengo
|
L2
|
2001
|
AT
|
Opienge
|
Tshopo
|
Alotadi Makindo
|
D6
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Bafwasende
|
Tshopo
|
Aloma Hopla
|
G3
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Bafwasende
|
Tshopo
|
Asango Komoy
|
L2
|
2001
|
AT/adjoint
|
Opienge
|
Tshopo
|
Mbolipasiko Dalungba
|
D4
|
1999
|
AT
|
Faradje
|
Haut Uélé
|
Makusudi
|
G3
|
2002
|
AT
|
Rungu
|
Tshopo
|
Fataki Androma
|
D6
|
2002
|
AT
|
Wamba
|
Haut Uélé
|
Kpoku Gbay
|
G3
|
2003
|
AT/Adjoint
|
Wamba
|
Haut Uélé
|
Abaina Mukumwana
|
D4
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Wamba
|
Haut Uélé
|
Azibi Mungu Kita
|
D6
|
2000
|
CPEA
|
Bobond
|
Haut Uélé
|
Mangole Mowale
|
PP4
|
2001
|
CPEA
|
Betongwe
|
Haut Uélé
|
Nganda Nzemen
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Ibambi
|
Haut Uélé
|
Ngamane Atinga
|
D6
|
1999
|
CPEA
|
Obongone
|
Haut Uélé
|
Kahia Madaku
|
D6
|
2001
|
AT
|
Watsa
|
Haut Uélé
|
Kwinza Dudu
|
PP2
|
2003
|
AT/Adjoint
|
Watsa
|
Haut Uélé
|
Agombe Lombondi
|
L2
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Watsa
|
Tshopo
|
Azima Ndima
|
D6
|
2001
|
Chef de Cité
|
Watsa
|
Haut Uélé
|
Akenani A.
|
D4
|
2002
|
CPEA
|
Duruma
|
Haut Uélé
|
Bochechele Baelo
|
A2
|
2003
|
CPEA
|
Gombari
|
Tshopo
|
Adamu Mungu
|
-
|
2001
|
CPEA
|
Mungbere
|
Haut Uélé
|
Awele Azapana
|
-
|
-
|
CPEA
|
Ngovera
|
Haut Uélé
|
Source Source : Nos enquêtes.
Il ressort de ce tableau que le RCD-N s'est aussi
préoccupé, dans sa gestion de l'espace, du recrutement d'une
«main d'oeuvre» politique locale. Car, Roger Lumbala devait faire
face à l'exigence des populations locales à gérer leurs
propres espaces, sa gestion étant déjà
récusée par les jeunes de Bafwasende qui se sont
constitués contre lui en milice d'autodéfense maï maï.
Nous retrouvons aussi parmi les élites mobilisées pour ce
mouvement, un ancien de l'AFDL à Kisangani qui revient dans la
scène politique après une éclipse dans son monde habituel
des affaires d'or et de diamant. Aussi, Monsieur Makusudi, un ancien
Administrateur de Territoire est gardé. Ceci témoigne d'une
certaine assimilation réciproque des élites que nous allons voir
dans les lignes qui suivent.
Noms et Post-
noms
|
Niveau d'études
|
Période
|
Fonctions exercées
|
Juridiction
|
District d'origine
|
Kwanza Bambe
|
L2
|
2002
|
CDD
|
Bas Uélé
|
Bas Uélé
|
Sende Nange
|
L2
|
2002
|
CDDA
|
Bas Uélé
|
Bas Uélé
|
Mokoto
|
G3
|
1999
|
AT
|
Aketi
|
Bas Uélé
|
Lovo
|
G3
|
1999
|
ATA
|
Aketi
|
Bas Uélé
|
Kalonda
|
D6
|
1999
|
Chef de cité
|
Aketi
|
Bas uélé
|
Litefanye Mosomali
|
D6
|
2002
|
CPEA
|
Bunduki
|
Bas Uélé
|
Kompanye Mosowali
|
PP4
|
2002
|
CPEA
|
Dulia
|
Bas Uélé
|
Mbeu
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Likati
|
Bas Uélé
|
Motyobe
|
D6
|
2002
|
CPEA
|
Muma
|
Bas Uélé
|
Mamuzi Lani
|
L2
|
1999
|
AT
|
Ango
|
Bas Uélé
|
Lemalema Kisisa
|
L2
|
1999
|
ATA
|
Ango
|
Bas Uélé
|
Zanga Baye
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Api
|
Bas Uélé
|
Kele Belo Kana
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Bweli
|
Bas Uélé
|
Segwele
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Dakwa
|
Bas Uélé
|
Dula Kaba
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Dingba
|
Bas Uélé
|
Badele Bapage
|
G3
|
1999
|
AT
|
Bambesa
|
Bas Uélé
|
Kabemole Ngoto
|
PP5
|
1999
|
ATAt
|
Bambesa
|
Bas Uélé
|
Kanako Alula
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Bambili
|
Bas Uélé
|
Motangba
|
D6
|
1999
|
CPEA
|
Ganga
|
Bas Uélé
|
Tongo Bandamali
|
G3
|
2002
|
AT
|
Banalia
|
Tshopo
|
Ramazani Bin Hasan
|
PP5
|
2002
|
ATA
|
Banalia
|
Maniema
|
Bambe wa Mambo
|
D4
|
2002
|
ATA
|
Banalia
|
Tshopo
|
Lokando Ankole
|
PP4
|
2003
|
CPEA
|
Kole
|
Tshopo
|
Lomaliza wa Lomaliza
|
PP3
|
2003
|
CPEA
|
Panga
|
Tshopo
|
Ogibo Sasa
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Makongo
|
Bas Uélé
|
Bamwingamela Mbali
|
L2
|
1999
|
CPEA
|
Maleke
|
Bas Uélé
|
Epebato
|
L2
|
2001
|
CPEA
|
Zobia
|
Bas Uélé
|
Gasao Yangume
|
L2
|
2001
|
AT
|
Bondo
|
Bas Uélé
|
Ngbondo Nbgonda
|
G3
|
2001
|
ATA
|
Bondo
|
Bas Uélé
|
Bosila
|
G3
|
2000
|
CPEA
|
Bili
|
Bas Uélé
|
Soto Ganga
|
G3
|
1999
|
CPEA
|
mangoli
|
Bas Uélé
|
Londo Kito
|
G3
|
2003
|
CPEA
|
Monga
|
Bas Uélé
|
Isungila Selenge
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Ndu
|
Bas uélé
|
Ngbelo Baobia
|
L2
|
1997
|
CPEA
|
Bambili
|
Bas Uélé
|
Lomaliza Aligane
|
L2
|
1997
|
AT
|
Buta
|
Bas Uélé
|
Lokundo Komba
|
G3
|
1996
|
ATA
|
Buta
|
Tshopo
|
Gwaso Poka Lingi
|
A1
|
1999
|
Chef de Cité
|
Buta
|
Bas Uélé
|
Nenga Lisasi
|
-
|
2001
|
CPEA
|
Kumu
|
Bas Uélé
|
Mogoya Molangi
|
A1
|
2000
|
CPEA
|
Buta Sud
|
Bas Uélé
|
Abadiponi
|
G3
|
2001
|
CPEA
|
Titule
|
Bas Uélé
|
Tutu Kendeza
|
A2
|
1999
|
AT
|
Poko
|
Bas Uélé
|
Bwana Tule
|
D6
|
1999
|
ATA
|
Poko
|
Bas Uélé
|
Kopeya
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Hamadi I
|
Bas Uélé
|
Betima Etitule
|
D6
|
1999
|
CPEA
|
Hamadi II
|
Bas Uélé
|
Muhamed Kileta
|
-
|
1999
|
CPEA
|
Mawa/Gare
|
Bas Uélé
|
Molinga N.
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Teli
|
Bas Uélé
|
Tepatondele Nzai
|
PP5
|
1999
|
CPEA
|
Viadana
|
Bas Uélé
|
Movari M'avoba
|
PP2
|
1999
|
CDD (Front de
Libération du Congo)
|
Haut Uélé
|
Haut Uélé
|
Sangba Lanzi
|
G3
|
1999
|
CDDA (Front de
Libération du Congo)
|
Haut Uélé
|
Haut Uélé
|
Kpakwo Tungalani
|
A1
|
1999
|
CDD (Front de
Libération du Congo)
|
Dungu
|
Haut Uélé
|
Source : Nos enquêtes.
La lecture de ce tableau nous renseigne que le mouvement
rebelle MLC a procédé de la même manière que les
autres dans la gestion des entités conquises. Ils ont massivement
nommé des auxiliaires de leurs administrations respectives. C'est
effectivement ces nominations qui ont généré la
circulation des élites politiques locales. Il est remarquable de
signaler que des 52 personnalités retenues, 12 ont fini les
études universitaires (dont 9 licenciés et 3 Ingénieur
A1), 10 personnalités ont un niveau de gradué dont 1 personne le
grade de A2, 12 autres personnalités sont d'un niveau de D6. Les autres
personnalités ont un niveau scolaire qui varie entre le D4 et le PP2 en
passant par le PP3, le PP4 et le PP5. Aussi, l'appartenance régionale
est capitale dans la distribution des postes aux acteurs. Chacun est
nommé chez lui, sauf quelques rares cas observés notamment
à Banalia et à Buta.
Nous remarquons ici le rôle déterminant de
l'instruction ou niveau d'étude dans la distribution des postes pendant
les guerres. Ceci témoigne bien de ce que Pierre Bourdieu a écrit
: «le rôle de l'école est déterminant dans la
perpétuation des
inégalités sociales.»182 On
remarque en outre que les élites retenues dans ce tableau ont
été mobilisées dans leurs terroirs d'origine
respectifs.
Tableau 7 : Quelques élites dominantes de l'Ituri
en temps de guerre
Noms et Postnoms
|
Niveau d'étude
|
Période
|
Fonctions exercées
|
Juridiction
|
Pouvoir de
nomination
|
Observation
|
Kamara Rwakaikara
|
Dr
|
1997
|
CDD
|
Ituri
|
AFDL
|
Hema/Irumu
|
Dheju Mugenyi
|
-
|
1997
|
CDD/Kamara
|
Ituri
|
AFDL
|
Hema/Djugu
|
Uringi Padolo
|
-
|
1998 et
2000-2001
|
CDD
|
Ituri
|
RCD-Goma & RCD-K
|
Alur/Mahagi
|
Lotsove Mugisa
|
-
|
1998
|
Gouverneur de la
Province du Kibali- Ituri183
|
Kibali-Ituri
|
Le général
ougandais Kazini
|
Hema/Djugu
|
Bule Ngbangolo Mohamed
|
-
|
2001- 20002
|
Gouverneur de la
Province du Kibali-Ituri
|
Kibali-Ituri
|
Bemba/FLC
|
Boa/Bas-Uélé
|
Ruhigwa Baguma
|
-
|
2002-2003
|
Gouverneur de la
Province du Ituri
|
Ituri
|
Bemba/FLC
|
Hema/Irumu
|
Molondo Lobondo
|
-
|
2003
|
Gouverneur de la
Province du Ituri
|
Ituri
|
Bemba/FLC
|
Luba/Kasaï Orientale
|
Eneko Ngwanza
|
-
|
2003
|
Gouverneur de la
Province du Ituri
|
Ituri
|
Lubanga/UPC
|
Lugbara/Aru
|
Mileyo Lotiyo
|
-
|
2003
|
Gouverneur de la
Province du Ituri
|
Ituri
|
Lubanga/UPC
|
Kakwa/Aru
|
Leku Apuobo
|
-
|
2003-2004
|
CSA II
|
Ituri
|
AS II
|
Lese/Mambasa
|
Vwaweka Petronille
|
-
|
2004
|
CDD
|
Ituri
|
Gouvernement central
|
Alur/mahagi
|
Mbitso Joas
|
-
|
2004
|
CDDA
|
Ituri
|
AS II
|
Lendu/
|
Germain Katanga
|
-
|
1999-2004
|
Seigneur de la guerre, nommé général des
FARDC en 2004184
|
Ituri
|
FRPI
|
Ngiti (Lendu) il
est le leader de FRPI
|
Jérôme Kakwavu Bukande
|
-
|
1999-2004
|
Chef des FAPC nommé général des FARDC en
2004
|
Aru
|
FAPC
|
Tutsi du Masisis au Nord Kivu
Ancien sergent des FAZ
|
Floribert Ndjabu Ngabu
|
D6
|
1999-2004
|
Commandant des FNI
|
Djugu-Irumu
|
FNI
|
Lendu
|
182 P., Bourdieu cité par M. De Coster, B.,
Bawin-Legros et M., Poncelet, Introduction à la sociologie,
Bruxelles, De Boeck & Larcier, 6ième édition,
2006. p. 229. Lire aussi dans le même registre A., Prost,
L'enseignement s'est-il démocratisé ?, Paris, PUF,
1986.
183 Le Kibali-Ituri est l'ensemble du District de l'Ituri plus
le Territoire de Faradje qui lui est une entité du District du
Haut-Uélé. Le fait d'incorporer ce Territoire dans la juridiction
de l'Ituri a toujours provoqué de vives réactions de la part de
nombreux natifs du Haut-Uélé qui n'apprécient pas voir
leur terre, donc eux aussi être placés sous tutelle des ituriens.
Par contre, certaines élites du Haut-Uélé ont tiré
profit de cette situation en participant activement dans les différents
gouvernements de fait de cette configuration.
184 Le 11 décembre 2004, le Président Joseph
Kabila a signé un décret nommant six chefs de groupes
armés de l'Ituri au rang de généraux dans les FARDC. Ce
décret assurait également la nomination de trente-deux autres
personnes à des postes de responsabilité.
Kahwa Panga Mandro
|
D4
|
1999-2004
|
Leader du PUSIC
|
Djugu-Irumu
|
PUSIC
|
Hema. Chef de la chefferie Bahema
Banywagi
|
Bosco Taganda
|
-
|
1999-2004
|
Chef d'opérations
militaires de UPC/L.
Nommé au rang de Général des FARDC en
2004.
|
Ituri
|
Lubanga/UPC
|
Tutsi (Munyamulenge)
|
Thomas Lubanga Dylo*185
|
L2 en
Psychologie
|
1998-2004
|
Seigneur de la guerre et Leader de l'UPC, UPC/L
|
Ituri
|
UPC
|
Hema-Gegere de Djugu
|
Source : Nos enquêtes.
Ce tableau reflète l'Ituri de la guerre et exprime les
tendances des étapes successives de la violence politique
manifestée dans ce district/province entre 1997 et 2003. Nous remarquons
premièrement l'ascendance Hema sur les autres groupes ethniques de
l'Ituri. Deuxièmement, nous assistons à l'irruption des nouvelles
élites politiques dans la gestion politique des entités. Car,
sauf Uringi Padolo et Mbitso Joas ont des passés de territoriaux. Les
autres sont des produits des guerres en politique. Nous retrouvons des
militaires (Molondo Lobondo et Bule Ngbangolo Mohamed) exercer les fonctions
politiques. Ceci exprime le radicalisme ethnique qui s'y était
développé à travers un clivage identitaire Bantou/Non
Bantou importé à celui Tutsi/Hutu du Rwanda et qui raviva les
anciens ressentiments communautaires préexistants. Un clivage
alimenté du reste par un complot mythologique de l' « empire
Hima-Tutsi» aux allures du prétendu « Protocole de sages de
Sion » juif.
Quant à la diversité d'appartenance
régionale ou territoriale, ceci se justifie par le fait que la
«province d'Ituri» a connu plusieurs procurateurs
«suprêmes» qui ont à leur tour procédé aux
nominations. Ainsi, quand c'est Jean Pierre Bemba Gombo qui contrôle
l'Ituri sous le girond du FLC, il nomme, outre un Hema, un Kasaïen et un
Boa. Le seul Lendu ayant gravi le sommet de la gouvernance locale de l'Ituri
est Mbitso Joas. Sans crainte d'être contredit, nous observons que les
leaders majeurs (seigneurs de guerre ou leaders communautaires) de la violence
en Ituri ont peu ou prou fait des
185 Thomas Lubanga Dylo est détenu par la Cour
Pénale Internationale pour crimes de guerres et crimes contre
l'humanité.
longues études. Sur ce tableau, seules deux
personnalités ont un niveau universitaire. Tableau 8 : Quelques
autres élites des guerres de l'Ituri
Noms et Postnoms
|
Niveau d'étude
|
Période
|
Fonctions exercées
|
Juridiction
|
Pouvoir de
nomination
|
Observation
|
Adheribo Pete
|
L2
|
2001
|
AT
|
Aru
|
FAPC
|
Ituri
|
Batamoko
|
G3
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Aru
|
FAPC
|
Ituri
|
Amadri
|
G3
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Aru
|
FAPC
|
Ituri
|
Mateso Bamarake
|
D6
|
2001
|
AT
|
Djugu
|
UPC
|
Ituri
|
Ndjonji Lossa
|
PP5
|
2000
|
CPEA
|
Blukwa
|
UPC
|
Ituri
|
Lolo
|
L2
|
1999
|
CPEA
|
Libi
|
UPC
|
Ituri
|
Walo Kpodda
|
D6
|
2000
|
CPEA
|
Nizi
|
UPC
|
Ituri
|
Bahimuka
|
PP5
|
2001
|
AT
|
Irumu
|
FNI
|
Ituri
|
Silbilio Duaka
|
L2
|
2000
|
Chef de Cité
|
Bunia
|
CPI
|
Ituri
|
Alezu Bakati
|
D6
|
2001
|
CPEA
|
Boga
|
FNI
|
Ituri
|
Sambo Avetsu
|
L2
|
1997
|
CPEA
|
Geti
|
FNI
|
Ituri
|
Musafiri Gbongo
|
PP3
|
2001
|
CPEA
|
Kasenyi
|
FNI
|
Ituri
|
Lobisobo Makanagwa
|
PP4
|
2001
|
CPEA
|
Komanda
|
FNI
|
Ituri
|
Kerali
|
L2
|
2004
|
AT
|
Mahagi
|
FAPC
|
Ituri
|
Udaga Njoozo
|
G3
|
2001
|
AT/Adjoint
|
Mahagi
|
FAPC
|
Ituri
|
Matata Makalamba
|
D4
|
1983
|
AT/Adjoint
|
Mahagi
|
FAPC
|
Ituri
|
Tumba Djaloi
|
D4
|
2003
|
Chef de Cité
|
Mahagi
|
FAPC
|
Ituri
|
Ukumu Lungee
|
D6
|
2002
|
CPEA
|
Djalasiga
|
FAPC
|
Ituri
|
Ucoum Nican
|
G3
|
2001
|
CPEA
|
Nioka
|
FAPC
|
Ituri
|
Urombi
|
G3
|
2001
|
CPEA
|
Niarambe
|
FAPC
|
Ituri
|
Lusenge
|
L2
|
1998
|
AT
|
Mambasa
|
RCD-K/ML à
Biakata
|
Nord Kivu
|
Sinani Bin Masudi
|
D6
|
2000
|
AT
|
Mambasa
|
UPC à Mambasa
|
Ituri
|
Golu Sinde
|
L2
|
2003
|
AT/Adjoint
|
Mambasa
|
RCD-K/ML à
Biakata
|
Ituri
|
Ndua Magaa
|
PP4
|
2003
|
AT/Adjoint
|
Mambasa
|
UPC à MAmbasa
|
Ituri
|
Molemba Kapinga
|
PP5
|
2002
|
CPEA
|
Bela
|
RCD-K/ML
|
Tshopo
|
Tolingani Baelo
|
PP5
|
2001
|
CPEA
|
Lulivu
|
RCD-K/ML
|
Tshopo
|
Kazoka Abatia
|
PP5
|
2000
|
CPEA
|
Nioka
|
RCD-K/ML
|
Ituri
|
Duduniabo Seliabo
|
D6
|
2002
|
CPEA
|
Ndue
|
RCD-K/ML
|
Ituri
|
Source : Nos enquêtes.
Pour ce tableau, la même régularité, en
terme de niveau d'études, d'appartenance régional et de
militantisme, a primé dans le choix des élites de soutien que
sont les administrateurs de territoires, les chefs de postes d'encadrement
administratif et autres retenus ici.
Nous notons que toutes les personnalités
présentées dans le tableau ci-haut ne sont pas des
«parvenus». Nombreux sont d'anciens administratifs
récupérés par les mouvements rebelles ou les milices.
Nous observons la même récurrence que dans
d'autres contextes analysés ci-haut. Le niveau d'étude semble
avoir une importance dans le choix des élites politiques aux postes de
responsabilités. Ainsi par exemple, douze personnalités sur
vingt-huit retenues ont un diplôme d'université ou d'enseignement
supérieur, six sont diplômées d'Etat, deux n'avaient pas
obtenu leur diplôme d'Etat et les restes sont des
«primairiens.»186
Aussi, il est remarquable de constater que l'appartenance au
district de l'Ituri a servi les élites pour bénéficier des
postes de commande au niveau local. Seules trois personnalités sur les
vingt-huit ne sont autochtones de l'Ituri. Ceci est l'image de l'ethnicisation
des rapports aux politiques et de la compétition politique
caractéristiques de l'Ituri de la période en étude. C'est
justement l'application de la triste vieille recette de «kila mamba na
kifuku yake» des années 1992-1996 appliquée par les
élites mobutistes en déclin (Cf. infra).
Les élites politiques en Province Orientale n'ont pas
profité que de la guerre. Certaines ont aussi profité de la
Transition dite 1+4 issue des négociations politiques qui ont mis fin
à la situation générale de guerre. A titre indicatif,
Médard Autsai Asenga député national de la Transition se
voit nommé Vice-gouverneur en charge des questions économiques et
financières, John Tibasima Atenyi est nommé Ministre de
l'Urbanisme et Habitat, etc.
De celles-ci, il faut compter les personnalités issues
des milieux de la Société Civile. De ce nombre nous pouvons par
exemple citer Blaise Baise Bolamba qui devient député national,
Mgr Marini Bodho préside le sénat de la transition 1+4, Faustin
Toengaho Lokundo est sénateur, Béatrice Lomeya Atelite est
cooptée député nationale,
Pierre-Hubert Moliso Nendolo de la magistrature est nommé
Vice-gouverneur en charge de l'administration et politique, etc.
Par ailleurs, au même moment que certaines élites
locales restées sur place profitaient de la guerre sous occupation du
RCD/Goma, du MLC, du RCD-N, etc., certaines autres élites politiques de
la Province Orientale bénéficiaient du pouvoir national à
Kinshasa en représentation de la province occupée. Nombreuses ont
été nommées « députés »,
ministres, conseillers du Président de la République,... Nous
citons par exemple à titre purement illustratif: François Alauwa
Lobela, ancien Maire de la ville de Kisangani (en fuite à Kinshasa
à l'entrée du RCD-Goma) est nommé
«député»187 par Laurent-Désiré
Kabila, Marie Moke Mambangu de même est nommée
«député», Jean Yagi Sitolo devient Ministre des Travaux
Publics, ...
Ce chapitre nous a permis de comprendre comment les acteurs
politiques en Province Orientale ont profité de la violence politique
locale profondément enraciné autour de l'accès à la
terre188, aux ressources économiques. Le désordre,
l'insécurité et l'état général de
l'impunité ont encouragé ainsi la formation de réseaux
nouveaux et militarisés pour l'extraction (et l'accumulation) des
bénéfices économiques, en référence à
la propriété ethnique comme étant partie intégrante
et centrale des tactiques de contrôle et de la «redistribution»
des ressources politiques et économiques.
Il nous reste, pour bien mener à bout cette
étude sur les guerres et la circulation des élites politiques en
Province Orientale, de découvrir quelles ont été les
modalités et tactiques de ces acteurs dans leurs actions de recherche
hégémonique et comment l'espace socio-économique et
politique a été réorganisé par la violence
politique au point de générer une nouvelle
génération des élites politiques.
187 Ils sont nommés députés de
l'Assemblée Constituante-Parlement de Transition (ACPT) qui
siégeait à Lubumbashi.
188 K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, Op. Cit. pp.
209-210
CHAPITRE TROISIEME : LA MOBILITE DES ELITES
POLITIQUES : MODALITES ET TACTIQUES
La circulation des élites politiques congolaises
pendant la guerre sort de l'acception traditionnelle de mobilité telle
que l'attend, par exemple, Raymond Aron où les élites au pouvoir
elles-mêmes organisent la circulation en leur sein dans une : «[...]
société à régime autoritaire dont la
minorité gouvernante assure une suffisante mobilité
ascensionnelle mais maintient en même temps un large intervalle entre le
grand nombre des travailleurs et le petit nombre, savants ou hommes de parti
qui manipulent les machines et les hommes»189.
Nous voulons comprendre quelles sont les modalités de
la circulation des élites, en dégager une certaine typologie et
relever les tactiques utilisées par les élites politiques en
Province Orientale pour leur mobilité pendant la guerre. Il ne s'agit
nullement de dresser une typologie des élites politiques de la Province
Orientale - ce qui n'est pas notre propos ici- car intéressant une autre
étude que nous nous proposons de mener sur la survivance des
élites politiques de la Province Orientale. Il est plutôt question
à ce stade d'oser la typologie des modalités de circulation des
élites politiques de la Province Orientale telles que ces
dernières les ont actionnées et pratiquées.
Pour le cas particulier de la RDC et des Etats africains en
général, se trouver une place sous le soleil qu'est l'espace
politique se décline selon différentes modalités et
tactiques. Les élites politiques se regroupant, comme par enchantement,
au sein des constellations identitaires et partisanes190des plus
nombreuses et opportunes.
189 R., Aron, La lutte des classes : nouvelles leçons
sur les sociétés industrielles, Paris, Gallimard, 1964, p.
275 Notons aussi que Raymond Aron est l'un des théoriciens
élitistes qui a planché sur la pluralité des élites
politiques.
190 Lire à cet effet, Rezsohazy, R., Op. Cit.
III. 1. Tactiques d'action des élites
politiques en Province Orientale pendant les guerres
L'analyse des tactiques adoptées par les élites
politiques pour conquérir le pouvoir, le capter ou le subvertir à
leurs seuls profits ou au profit de leurs réseaux, appelle la
réflexion autour des divers scénarios de reproduction, de
renversement ou de cohabitation des élites des générations
différentes et des clivages différents. Il est question de
réfléchir sur les scénarios de la quête
hégémonique191 ayant caractérisé la
mobilité des élites politiques en Province Orientale pendant la
guerre avant de dégager d'autres tactiques sous-jacentes.
La violence politique, la politique du ventre192 ou
pour citer ce néologisme de « ventrocratie »193, la
marginalisation voire l'automarginalisation, la haine, la ruse, la
xénophobie (définie par le Nouveau Larousse194 comme
la haine des étrangers. S'exprimant par les intimidations, le rejet,
l'exclusion de tout ou partie de celui qui est considéré comme
allogène) se sont manifestées comme des tactiques
exploitées à la fois par les élites politiques entre elles
dans leurs actions de recherche hégémonique et à travers
les différents mouvements rebelles et les milices qui ont marqué
l'histoire de la Province Orientale entre 1997 et 2003. Et que dire des
alliances matrimoniales? Cette autre «ressource politique»
exploitée pour acquérir le pouvoir ou s'y maintenir. Etre
beau-frère, «gendre», allié d'un acteur étranger
ou local majeur était une garantie du pouvoir ou de la maîtrise de
l'espace selon le cas.
191 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique. La politique du
ventre... pp.157-226 traite de trois hypothèses de ces
scénarios d'actions des élites politiques dont deux
extrêmes : la révolution et la modernisation conservatrice et, un
médian : l'assimilation réciproque des élites.
192 Passim, J.F., Bayart, L'Etat en Afrique. La
politique du ventre,... (surtout les pp. 251-257 ; 281-315) Qui est donc
cette forme de prédation de l'Etat et de ses richesses et ressources au
profit des intérêts particuliers et/ou personnels. [...Mais les
stratégies des patrons des réseaux ont trait au captage des
richesses, à leur accumulation ou à leur redistribution
partielle. Comme telle, elles ne sont guère dissociables du processus de
la recherche hégémonique.]
193 Mot forgé par les chercheurs politologues de
l'Université de Kisangani pour signifier le fait des acteurs d'avoir la
satisfaction de leur ventre, entendre ici de leur faim comme seul leitmotiv et
levier d'actions politiques.
194 Nouveau Petit Larousse, Dictionnaire
encyclopédique pour tous, Paris, librairie Larousse, 1971, p. 1088. Ce
mot (xénophobie) évoque, pour nous, entre ces lignes le sens du
mot étranger, qui ne signifie pas seulement celui qui vient d'une
province ou pays, mais aussi celui avec qui l'on ne partage pas les mêmes
valeurs linguistiques, identitaires,... même si issu de la même
province que soi.
Les alliés étrangers, ont eux aussi,
manipulé ces tactiques dans leurs recherches diverses
d'hégémonie et de contrôle de l'espace. Ceci a
alimenté l'instabilité politique observée dans la gestion
des espaces rebelles en termes de nominations et changements quasi
réguliers des «gouvernements» et administrateurs. Pour une
période de cinq ans, par exemple, le RCD-Goma procède à
six nominations des gouverneurs de Province. On observe la même
récurrence195 en Ituri et dans d'autres zones où le
RCD-N, le RCD-K/ML, etc. ont eu à gérer.
III.1.1. Scénarios d'émergence des
élites politiques. La Province Orientale entre révolution sociale
et assimilation réciproque
La guerre de l'AFDL inaugure une ère nouvelle pour
l'espace politique de la Province Orientale. Cette province étant
reconnue comme bastion du mobutisme avec son nombre élevé
d'auxiliaires mobutistes, «patrons ou barons» locaux du
système clientéliste mobutien a subi un choc historique. Car les
potentats du mobutisme : Victor Nendaka Bika, Marcel Lengema Dulia, Florentin
Mokonda Bonza, Duga Kugbetoro, Zamundu Agenong'Ka, Bangala Otowangama, Likulia
Bolongo, Eugène Lombeya Bosongo, Jacques Mozagba Ngbuka, Bernard
Kasusula Juma Lukali, Babia Zongbi Malobya, Antoine Akafomo Lionga, D'zbo
Kalogi, Jean-Baudouin Idambituo Bakaato, Simon-Pierre Mendela Kikola Batangwe,
etc. sont mis hors jeu et aucun d'eux ne revient en scène sous Mzee
Laurent-Désiré Kabila. Ils sont remplacés par de nouvelles
élites.
Les nouvelles élites «majeures» de la
Province observées sont par exemple : Walle Lofungola, Jean Yagi Sitolo,
Augustin Kamara Rwakahikara. Cette révolution se justifie aussi par la
perte, pendant cette période, du rôle «dominant» des
élites de la Province Orientale sur la scène politique nationale.
Par exemple, de tous les gouvernements de Laurent-Désiré Kabila,
seuls Augustin Kamara Rwakahikara et Jean Yagi Sitolo peuvent être
cités comme des élites recrutées en Province Orientale
alors que du temps de Mobutu nombreuses étaient les élites de
cette province promues à travers gouvernements et autres sphères
de contrôle du pouvoir.
195 Les Tableaux 4 à 8 prouvent ces propos.
Cependant, cette phase peut tromper certains observateurs
bayartiens moins avertis et penser qu'il s'est agi réellement de la
matérialisation du scénario extrême de la révolution
sociale. Or, il est intéressant de nuancer un tel propos. Car, notons
avec Jean-François Bayart196 que, « la césure
révolutionnaire ci-haut observée se nuançaient de
compromis substantiels avec les catégories qu'ils semblaient vouer
à l'exclusion. Virtuellement, les deux dynamiques, celle de la
divergence et celle de l'assimilation réciproque, coexistent
toujours.» car, des nouveaux acteurs politiques émergent et
investissent l'espace politique. Mais, ils n'ont pas réussi à
supplanter les anciens acteurs qui font preuve d'une capacité de
rebondissement. Ces anciens acteurs demeurent actifs bien qu'ils soient
contraints de s'adapter ou de se reconvertir pour survivre197.
Monsieur Raymond Mokeni Ekopi Kane, homme d'affaires, représente la
grande panoplie de ces élites au niveau local qui ont été
d'abord très proche du MPR parti-Etat, de l'AFDL et du RCD.
Les conflits armés de l'Ituri ont actionné la
même réalité d'assimilation réciproque des
élites anciennes et nouvelles dans la circulation des élites
locales. Car, la milicianisation de la lutte politique amplifiée par la
recherche hégémonique des différentes élites
politiques locales, la tactique des alliés étrangers à
«diviser pour mieux régner» ainsi que l'ethnicisation du champ
politique et les recrutements interminables de la diaspora battent le rappel
des anciennes élites. A chaque bataille et chaque fois que Bunia, par
exemple, était conquis par un groupe armé, la tactique
combinaison entre acteurs nouveaux et anciens s'observe198.
Les épisodes des guerres de l'AFDL, du RCD-Goma, du
MLC, du RCD-N, etc. sont des configurations remarquables de l'assimilation
réciproque des élites anciennes et nouvelles en Province
Orientale. Car par exemple, malgré le fait que les urnes de la guerre
ont occasionné l'arrivée massive des jeunes et nouvelles
élites politiques en Province Orientale, il n'a pas été
étranger de voir la réintroduction dans les espaces du
196 J.-F., Bayart, Op. Cit., p. 195.
197 Maindo Monga Ngonga, «Les violences au Congo-Kinshasa :
héritages du Passé et pesanteur des représentants» in
Maindo Monga Ngonga, Des conflits locaux..., Op. Cit., pp. 21-22.
198 Les différents tableaux dans le chapitre II sur les
élites de l'Ituri témoigne de ce scénario
révolutionnaire.
pouvoir des nouveaux régimes successifs, des
personnalités anciennes un moment « éclaboussées par
les soubresauts de la transition (des guerres
ajoutons-nous).»199 Cette réintroduction se passe
inévitablement par le blanchiment politique que Bayart nomme, lui,
« automutation et renaissance. Une démarche qui postule [...] la
possibilité de rachat, de repentir. »200
Les guerres ont favorisé la fusion des anciennes
élites mobutistes et les nouvelles élites opportunément
entrées en politique par la conjoncture de la violence politique. Cette
cohabitation étant entretenue par le «vivre ensemble», que
Maffersoli analyse dans une sociologie du «local», à travers
lequel les gens cherchent à tempérer la brutalité des
contraintes de la vie moderne, d'une part, et à affronter la froideur
d'une société de masse à travers les interstices d'une
convivialité retrouvée dans des réseaux d'amis, de cercles
ou de clans, (ou encore les bars, les boîtes de nuit, les stades, les
églises, les cérémonies funéraires, et des choses
semblables) d'autre part201. Vivre ensemble que Bayart exploite
aussi lors qu'il dit « pour avoir grandi dans le même village ou le
même quartier, pour avoir partagé un dortoir d'internat ou une
chambrée d'école militaire, pour avoir philosophé des
nuits entières dans une cité universitaire britannique ou
française, les membres de la sphère du pouvoir et de la richesse
se connaissent personnellement, et ce parfois depuis fort longtemps. La
dynamique de l'assimilation prend ainsi un caractère
intimiste.»202
III.1.2. Formes des tactiques violentes d'émergence
politique
La violence, «une force de toute nature exercée
par un individu contre un autre.»203, revêt plusieurs
acceptions : elle peut être verbale, physique, psychologique,
individuelle, collective, etc. De par sa destination et son essence, elle peut
être:
199 Maindo Monga Ngonga, Op. Cit., p. 194.
200 Idem.
201 M., Maffersoli, Le temps des tribus. Déclin de
l'individualisme dans les sociétés de masse, Paris,
Méridiens, 1988, cité par M., De Coster, B., Bawin-Legros &
M., Pncelet, Op. Cit., p. 94.
202 J.-F., Bayart, Op. Cit. pp. 200-201.
203 Lexique des politiques, 7ième
édition, Paris, Dalloz, 2001, p. 444, cité par Remo-lo- Lozube
Poru Andu, Op. Cit., p. 61.
passionnelle, instrumentale et identitaire204
(à ce stade la violence s'attaque si brillamment aux symboles de l'autre
et de l'existant communautaire de l'autre et du soi) adressée contre un
individu, l'Etat, un groupe particulier, etc. Elle peut aussi avoir pour
origine des facteurs divers et diversifiés, allant de problème
foncier à la recherche hégémonique en passant par les
rivalités personnelles, la jalousie, le malentendu, ...La violence peut
être larvée ou cachée, ouverte ou explosive ou encore
brutale.
Philippe Braud pense que : «le recours aux
méthodes violentes constitue l'aveu d'un échec ou d'un refus. Un
moyen d'accéder à l'existence politique en s'imposant comme
interlocuteur aux différents acteurs du jeu
institutionnel».205 C'est là la portée que
revêt la violence articulée en Province Orientale pendant les
périodes observées. La violence est à la fois
réactionnaire et affirmative ou conservatoire.
Réactionnaire, elle évoque l'idée de
l'appropriation ou de la recherche de réappropriation par des
élites d'un droit (ici le pouvoir et ses avantages) usurpé ou
dépouillé. En ce sens, elle permet à ceux des acteurs
(élites) qui ne sont pas aux commandes de la chose publique de marquer
leurs présences et de se frayer une place sous le soleil.
Affirmative ou conservatoire, la violence sert de bouclier
protecteur aux élites qui ont le contrôle et la possession du
pouvoir. Nous comprenons ici le «Kila mamba na kivuko yake» (entendez
par ce swahili de Kisangani : A chaque caïman son marigot) cher aux
élites de la Province Orientale comme un appel (une vigilance) à
la protection
de ses «acquis», le pouvoir ne devant revenir qu'aux
autochtones et non aux venants
(bakuyakuya). Ceci dénote de l'usage de la violence
verbale et de la justification de la violence affirmative ou de la violence
conservatoire.
204 Dictionnaire de Sciences politiques et sociales,
Paris Dalloz, 2004, p. 404
205 P., Braud, Sociologie politique,
7ième édition, Paris, LGDJ, 2004, p. 408.
A Kisangani, seules les élites de la Tshopo veulent
diriger la Province (du moins la seule partie206 de celle-ci sous
contrôle du RCD-Goma). Au Haut-Uélé, de la même
manière, les élites des autres Territoires grognent contre
l'hégémonie de celles de Faradje qui semblent «tout»
contrôler207.
En Ituri c'est la chasse aux
«djadjambo»208 et une âpre lutte meurtrière
entre élites de différentes ethnies locales qui s'observent avec
virulence.
La violence sous toutes ses formes a caractérisé
l'agir des politiques en Province Orientale, nous l'avions déjà
dit plus haut. Cette violence manipulée à la fois par des acteurs
extérieurs et locaux, a servi (et sert encore) d'un acte d'appropriation
de l'Etat.
A Kisangani, à l'époque de la bipolarisation du
RCD/RCD-K, c'est-à-dire sous le RCD-Goma soutenu par le Rwanda et le
RCD-Kisangani de Wamba dia Wamba patronné par l'Ouganda, nous avons
assisté aux épreuves de force pendant lesquelles les
élites faisaient preuve de leur éloquence et verve violentes les
unes contre les autres. Le Gouverneur du RCD-Goma, Théo Baruti
Ikumaiyete, un Lokele s'est vu opposé un Gouverneur factice Topoke,
Walle Sombo Bolene, qui criait à qui voulait l'entendre qu'il
était le Gouverneur magnifique et plus intelligent que l'autre du
RCDGoma. Et à l'autre de rétorquer que ce dernier était
opportuniste et un politicien de mauvais goût. Que des insultes et des
diatribes enflammées ont servi la rigolade populaire pendant cette
période. Ici se manifestèrent du même coup la
violence affirmative et la violence conservatoire.
Si à Kisangani, la violence physique n'a pas
opposé les élites politiques entre elles, dans d'autres
entités (l'Ituri, le Haut-Uélé et le
Bas-Uélé) de la Province Orientale par contre, les élites
politiques se sont à plusieurs reprises empoignées et ont
directement pris part à la commission de la violence organisée
contre d'autres groupes
206 Le Bas-Uélé et une partie du Territoire de
Banalia est sous contrôle du MLC, le Hau-Uélé passe tour
à tour entre les mains du RCD-Goma, du RCD-K/ML, du RCD-N, l'Ituri est
d'abord sous contrôle du RCD-Goma puis s'enlise dans la barbarie à
passant successivement sous la gestion du RCD-K, de l'UPC,...
207 Source : Entretien avec un journaliste de la Radio Nava
d'Isiro à Kisangani, le 2 décembre, 2008.
208 Entendre ici, les venants ou les non originaires de
l'Ituri.
politiques et identitaires.
Le fait de ne pas participer aux opérations militaires
de sape ou de destruction de l'autre est un acte de déloyauté et
par conséquent de non ascension politique. Il faut faire preuve de
capacité de nuisance contre l'autre pour protéger son poste ou
prétendre à un poste politique intéressant.
Par exemple, il nous a été rapporté que
Monsieur Yogbaa Litanondoto Bazono aurait perdu le poste de Gouverneur de la
Province Orientale sous le RCDGoma pour les seules deux raisons qu'il
n'était pas de la Tshopo et était très mou
c'està-dire ne servait pas violemment la cause du
mouvement209.
Les élites politiques remarquées au
Bas-Uélé, au Haut-Uélé et en Ituri, ont
été quasiment aussi des chefs d'opérations militaires ou
ont purement et simplement été des animateurs de certains groupes
armés ethniques. Mohamed Bule Ngbangolo est par exemple à la fois
gouverneur de la «Provincette» du Bas-Uélé plus le
Territoire de Banalia, appelée Haute Autorité du
Bas-Uélé et de Banalia, et dirige les opérations dans ces
contrées avec les troupes de l'UPDF et celles de l'Armée
Nationale Congolaise (ANC) du MLC.
Ce dernier s'était fait remarquer par sa
«terreur» et a été nommé Gouverneur de l'Ituri
par Jean Pierre Bemba et élevé au rang de Général
dans les Forces armées du MLC.
Les élites qui émergent en Ituri sont aussi
à la fois cadres politiques et chefs de guerre. Citons à titre
illustratif, John Tibasima, Yves Khawa Panga Mandro, Thomas Lubanga, Kisembo,
etc.
La violence politique n'a pas été
adressée que contre l'Etat ou contre les institutions, elle a, de
manière significative, servi de ressource utile pour accéder au
pouvoir ou se faire accepter au pouvoir et à le capter. Surtout que ce
pouvoir lui-même est le produit de la violence dans laquelle elle baigne
d'ailleurs.
La longue durée semble avoir transformé les
imaginaires des élites de la Province Orientale face à la
politique. En effet, avant le déclenchement des guerres en Province
Orientale et du fait du lourd héritage macabre de cette province
après les périodes troubles de 1961 à 1964, la politique a
été considérée comme une mauvaise chose et une
entreprise risquée. Ayant découvert qu'elle (politique) paie, ces
élites se sont ruées sur tout mouvement qui venait210.
Même contre la volonté de ce qu'elles prétendent être
leur base, la population.
Certaines élites, en étude, ont motivé
leur engagement dans les différents mouvements rebelles par le souci
d'éviter de subir la loi des plus forts. Ainsi, il est observable que la
violence est banalisée et assimilée comme facteur
d'«existence» et d'émergence politiques.
III.1.3. Politique du ventre ou « ventrocratie » :
le pouvoir pour la survie
Le paradigme de la politique du ventre rime avec celui de la
recherche hégémonique. Car, les tactiques des patrons de
réseaux ont trait au captage des richesses, à leur accumulation
ou à leur redistribution partielle. [...] Redistribuées, les
ressources amassées fournissent du prestige à l'homme de pouvoir
et font de lui un «homme d'honneur» (mobali ya lokumu ou un homme de
valeur). Sous cette condition, la prospérité matérielle
résultant de la prédation est une éminente vertu
politique, au lieu d'être un objet de blâme211. Il
s'agit ici de manger, s'enrichir pour soi, se parer d'auréoles par le
pouvoir. Une manducation qui devient intéressante car ayant
l'épithète politique. Souvenons-nous à ce propos de «
Wandugu yangu hii ni fashi ya franga », (ce swahili du Katanga rendu en
français signifie, Mes frères, ceci est un poste enrichissant,
rémunérateur, payant ; un poste qui a de l'argent), que
lançait en 1992 Nguz-a-Karl-iBond pour signaler à ces
frères Katangais qu'il ne pouvait laisser la primature à
quelqu'un d'autre (Etienne Tshisekedi).
Cette interprétation n'avait pris aucune ride dans
l'imaginaire collectif des
210 Lire pour cette question de vagabondage politique, les
travaux de Mamiki Ke'Bongo Bongo, Op. cit.
211 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique..., Op. Cit.,
p. 279-296.
élites politiques en Province Orientale pendant les
guerres. La lutte pour le contrôle de l'espace socio-politique se confond
avec les visées économiques d'accumulation et d'enrichissement
facile.
L'entreprenariat politique se confond avec l'affairisme
économique. Les politiques se distinguent ainsi par la course à
l'enrichissement facile. Les élites politiques, sitôt au pouvoir,
exercent du commerce par leurs épouses ou concubines212.
L'argent du contribuable de la Province Orientale sert les affaires des
épouses des élites au pouvoir. Les frais de titres de voyage
qu'elles utilisent pour leurs voyages d'affaires privés sont
déduits des créances dues à la province dans les cadres
des taxes provinciales.
Les bons officiels sont utilisés pour alimenter en
boissons les bistrots (nganda, débits de boisson) et en tissus wax de la
Sotexki surtout les magasins des épouses et/ou concubines des
élites promues.
Même l'aide humanitaire destinée aux victimes des
guerres est détournée et vendue au marché pour le compte
de certaines autorités. Rappelons l'affaire de l'aide envoyée en
2002 par le gouvernement de Kinshasa en solidarité avec les victimes des
guerres de Kisangani dans le cadre de l'ONG Paix Sur Terre sous la supervision
de Maître Firmin Yangambi qui fut disputée et vendue finalement
avec la complicité de l'autorité provinciale : des centaines de
tonnes de ciment, de tôles ondulées et autres matériaux de
construction n'ont jamais atteint les destinataires.
Nous avons des témoignages de certains diamantaires qui
ont reconnu avoir travaillé avec l'argent des politiques. L'homme
politique est dans tous les coups susceptibles de procurer du
bénéfice. Les élites politiques sont mêlées
dans le trafic de faux billets de francs congolais213.
212 Loin de nous l'idée de blâmer le commerce
fait par les épouses des hommes politiques si ce dernier ne se confond
pas avec les ressources publiques ou n'est alimenté par elles et le
statut politique des élites. Les convois aériens gratuits
organisés par les alliés rwandais et ougandais vers leurs
capitales respectives suscitent des tensions et l'on a vu l'ampleur de
l'implication des autorités et de leurs épouses dans le
commerce.
213 En 2001 l'un de ces réseaux est démasqué
par l'arrestation de monsieur Claude (Phoenix), un commerçant de
Kisangani et la saisie de plusieurs millions de francs congolais.
Quand le levier de l'action politique est la satisfaction des
besoins existentiels personnels de l'acteur politique, la politique devient
bien sûr une entreprise de manducation et d'enrichissement à la
limite de l'illicite et du licite, mais facile.
La facilité d'enrichissement en politique provoque un
effet de mode et d'engouement des élites à la politique. Ce
processus de conquête et consolidation de contrôle du pouvoir
politique et d'accumulation des richesses révèle au grand jour la
diversité des politiciens de toute espèce : occasionnels, des
amateurs de la politique. Ceux qui vivent «pour» la politique et ceux
qui vivent «de» la politique.
Comme nous venons de le dire tantôt, la politique a
aidé les élites politiques à satisfaire leur
«ventre». Ici, le ventre est pris symboliquement pour signifier
l'enrichissement personnel. Ceci se justifie, par exemple, par cette petite
phrase de Walle Sombo Bolene, alors qu'il disputait le pouvoir au gouverneur du
RCD-Goma, nous l'avions déjà dit, qui rappelle effectivement la
recherche hégémonique pour le ventre : «Ndugu yangu
acha na miye nikule lituma na samaki ». Cette phrase quasi
rigolote du swahili de Kisangani (Mon frère, laisse-moi aussi manger du
lituma [pâte de manioc et/ou de banane) au poisson] est porteuse d'une
signification symbolique intéressante ; surtout qu'elle provient d'une
élite en quête de pouvoir. Elle témoigne même de
manière inconsciente, que le ressort de la politique de cet (ces)
acteur(s) est, sans doute, manger.
Ceci s'est remarqué par l'ostentation insolente de
l'enrichissement facile: achat de voitures, achat des maisons pour les plus
«sages», début de plus d'un chantier immobilier à la
fois (lesquels restent inachevés dès que ces élites
quittent le pouvoir), changement vertigineux de la garde-robe et des habitudes
alimentaires, changement radical de train de vie ... Car, comme le dit Jean
François Bayart, «[...], les dominants autochtones n'ont jamais
eu à leur disposition autant de ressources politiques,
économiques et miitaires pour contraindre les
dominés et assurer l'autonomie de leur pouvoir. Jamais le spectre de la
stratification sociale n'a été virtuellement aussi large.
[...]»214
III.1.4. Marginalisation /automarginalisation. Quand
l'exclusion fait le politique
La notion de « marginalité » peut s'appliquer
à des milieux très différents les uns des autres, mais qui
ont cependant ceci en commun qu'ils se situent à la
périphérie de ce qu'on peut appeler la structure sociale globale
de la société215. Tant par leur mode de vie que par
leur culture (au sens anthropologique du terme), les marginaux n'appartiennent
que partiellement à la société dont ils sont membres. Ceci
se fait par la lutte effrénée à «participer»
à la gestion de la «chose publique».
Séverin-Carlos Versele et Dominique Van De
Velde-Graff216 disaient : « partout où les hommes
s'organisent pour vivre ensemble, des échelles de valeurs et les gens
sont traités en fonction de leur adhésion à ces valeurs,
de leur conformité aux normes qui les sanctionnent... ». Pour le
cas présent de la Province Orientale, nous observons que les
élites, à travers leurs regroupements locaux (associations,
mutuelles, «réseaux»,...) ont, soit adhéré, soit
résisté aux nouveaux «seigneurs» et maîtres des
lieux. Cette attitude a été diversement considérée
par les occupants.
Ceci s'observe surtout pendant la période des
rébellions et conflits interethniques des années 1997-2003. Car,
moins on participe aux valeurs, moins on a des chances d'être entendu.
Ces valeurs sont en fait des exigences des mouvements rebelles et groupes
armés interethniques (et milices ethniques) à se faire accepter
et à asseoir leur pouvoir. Il s'agit entre autres des exigences de
participation/adhésion de facto ou de jure obligatoire au(x)
mouvement(s), de non «collaboration» avec l' «ennemi», du
militantisme, imposition de codes symboliques, la délation, etc.
214 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique, Op.
Cit.,p. 147.
215G., Rocher, «La marginalité sociale. Un
réservoir de contestation», 1968, p.7, in Cl., Ryan (sous la dir.
de), Le Québec qui se fait, Montréal, Les
Éditions Hurtubise, HMH ltée, 1971,
pp.41-47.
www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales. Consulté à
Kisangani, le 21 mars 2009 à 18 heures 37'.
216 S.-C., Versele & D., Van De Velde-Graff, «
Marginalité ou marginalisation ? Accident ou fonction ? », in
Revue de l'Institut de Sociologie, n° 1-2, Bruxelles, Editions de
l'Université de Bruxelles, 1976, p. 23
Ce phénomène de la marginalité se
présente sous deux formes principales. Il peut être d'abord le
fait des couches sociales depuis longtemps exclues de toute participation
réelle aux avantages et aux activités de la
société: c'est la marginalité socio-économique,
dont les racines tiennent aux structures de production et à
l'organisation politique de la société. La seconde forme de
marginalité se manifeste par un refus volontaire et explicite
d'intégration à la société qu'on rejette : c'est la
marginalité socio-culturelle, qui résulte de
l'élaboration d'une sorte de sous-culture parallèle, plus ou
moins en opposition à la culture dominante.
Ceci s'est remarqué surtout à l'entrée du
RCD avec le refus de la population de Kisangani d'y adhérer. Les
communes de Mangobo et Kabondo qui ont semblé être plus virulentes
contre ce mouvement en affichant plutôt leur attachement au gouvernement
de Kinshasa ont vu nombre de leurs élites promues aux différents
postes de gouverneur, maire de la ville, bourgmestres, etc.217.
Ces différentes formes de marginalité ont
été observées, comme nous venons de l'illustrer, lors de
la période et dans les pratiques des acteurs en étude. Elles ont
été des tactiques des élites à se faire remarquer
par le pouvoir pour une éventuelle acceptation et assimilation, et les
acteurs externes ont vivement manipulé ces formes de marginalité
dans les différents choix opérés pour le positionnement
des «pions» en Province Orientale.
Dans un contexte généralisé de
«privatisation de la violence» et voire d'intériorisation
/banalisation de celle-ci218, prendre les armes devient une affaire
juteuse, surtout quand on sait les dividendes politiques, sociales et
économiques que revêt une telle entreprise ainsi que l'implication
des forces étrangères dans l'accentuation des antagonismes locaux
préexistants et larvés. Une réalité
justifiée par la «faillite», la «faiblesse»,
l'«absence», la «fragmentation» de l'Etat, etc.
217 Bene Kabala, Théo Baruti Ikumaiyete, Willermi
Tchoko Lisungi, Bosenge Akoko, par exemple sont de Mangobo. Justin Yogba
Litanondoto Bazono, Pierre Bakoy Bakunguo sont de Kabondo. Notons ici que nous
ne prétendons pas que seules les «ressortissants» de ces
communes ont été servis.
218 Lire à propos de la banalisation de la violence avec
beaucoup d'intérêt Maindo Monga Ngonga, L'Etat à
l'épreuve de la guerre : violence [...], Thèse
déjà citée, surtout les pages 300-306.
La milicianisation/militarisation a marqué l'espace
politique de la Province Orientale (surtout en Ituri avec les milices ethniques
et à Bafwasende, l'élan maï maï) entre 1999-2003. Il
s'agit en fait de la constitution des bandes armées
«désorganisées», disons plutôt sans respect des
structures, de la discipline et des exigences de respect des Droits de l'homme,
à base identitaire et aux revendications localistes et protectionnistes
au sens territorial du terme.
Précisons tout de même ici que si le
phénomène milicien est répandu et enraciné dans la
région du Kivu (comprendre le Kivu à ce niveau par l'ensemble des
trois provinces : Nord et Sud Kivu ainsi que le Maniema.), il est à la
fois un phénomène nouveau, une importation de la violence pour
justifier le crime organisé, une exacerbation (surtout avec
l'implication extérieure) des ressentiments communautaires vivaces et
tenaces en Province Orientale. La Province (les zones affectées et
touchées directement par ce phénomène) est machinalement
plongée, avec la complicité de ses élites de tout bord,
dans le stéréotypique «Heart of
darkness».219
Prétendant sécuriser220 et
protéger les siens et son terroir contre d`éventuelles agressions
de l'autre groupe ethnique, la milicianisation/militarisation en Province
Orientale a vraisemblablement commencé, du moins pendant la
période en étude, avec la guerre du RCD/Goma et de ses expansions
tentaculaires.
Prendre les armes est devenu une forme de marquage de son
identité, de son espace et de son leadership. Une arme est à la
fois un moyen d'enrichissement et une ressource politique. Ce
phénomène a largement contribué à
l'émergence des élites politiques nouvelles dans l'arène
du pouvoir. Elles (élites politiques) ont suffisamment profité de
la violence pour émerger. Du jour au lendemain, des personnes inconnues
acquièrent des fonctions et grades importants dans l'armée ou
dans le gouvernement de la Province et du pays.
219 Lire avec intérêt K., Vlassenroot et T.,
Raeymaekers, Remo Lo Lozube Poru Andu, Maindo Monga Ngonga, et autres, Op.
Cit., pour une meilleure appréhension du phénomène
milicien et de la violence dans la Région.
220 Passim, Heri Baraka, Op. Cit.
III.1.5. L'ethnopolarité, l'ethnie au service de
l'action politique
La compétition politique a toujours été,
en Province Orientale, comme le soulignait Bongeli Yeikelo Ya Ato221
« une des réalités les plus marquantes dans la vie sociale
des villes africaines. C'est dans le contexte urbain que le ferment de la
modernisation apporté par le système colonial fit naître un
esprit de rivalité qui rendît les divers groupes ethniques
particulièrement sensibles aux différences de possibilités
d'épanouissement qu'il pouvait y avoir entre eux».
Car, il a été surprenant de constater au cours
de la période en étude que, même entre ceux qui devraient
être considérés comme natifs et/ou originaires de la
Province Orientale, des tendances xénophobes ou du moins exclusivistes
ont été récurrentes.
C'est ici le lieu de parler de cette notion
d'originaire -comme pour se différencier des autres venants ou
« Kuya kuya » à Kisangani, « Djadjambo » à
Bunia - qui se décline en plusieurs variantes : originaire proche,
originaire lointain, originaire de la périphérie et originaire du
centre, l'ethnicité/tribalisme. Rien ne se fait, du moins dans le
jeu de captage du pouvoir ou de recherche hégémonique, sans
référence à l'ethnie, à ses origines tribales et
à ses ressorts identitaires. Le langage du politique est à la
fois : camouflage, instrumentalisation, manipulation, justification.
A la lumière de K. Vlassenroot et T.
Raeymaekers222 « l'ethnicité devient donc facilement une
excuse pour l'action et la violence politique ».
L'ethnopolarité223 est devenue cette modalité d'action
politique profondément ancrée sur le levier tribal et ethnique de
sorte que le jeu du politique et la politique en dépendent.
221 Bongeli Yeikelo Ya Ato, « Les Bambole à Kisangani
» in B., Verhaegen et Lokomba Baruti, Kisangani 1876- 1976, histoire
d'une ville, Tome 1, Kinshasa, CRIDE, PUZ, 1979, p. 121.
222 K. Vlassenroot et T. Raeymaekers, « Conflit en
Ituri » in L'Afrique des Grands lacs.
Annuaire 2002-2003, p. 209.
223 Nous forgeons ce concept pour signifier comment les
regroupements politiques en Province Orientale se sont faits en fonction des
attractions fondées sur l'ethnie, la tribu. Le levier ethnique, tribal,
voire de réseautage, n'est pas qu'une excuse ; il guide des conduites
d'acteurs et justifie certaines attitudes adoptées.
C'est à travers la manipulation de l'ethnicité
que les acteurs politiques et militaires locaux et régionaux essaient de
couvrir leurs vrais agendas politiques et économiques. Pour ceux qui
nomment (les mandants) ou ceux qui sont nommés, les agents politiques
(les mandatés) en compétition, tout se fait sur base des
clichés ethniques.
C'est par les ethnies ou en leur nom et pour leur compte que
se justifient les actions politiques de toutes parts (la population est ainsi
manipulée et participe au nom de l'éventail ethnique au jeu des
politiques).
L'exclusion, le clientélisme, le militantisme,...
devenant des tactiques évidentes de cette circulation politique qui
obéit à des permanences critiques toutes particulières.
Ceci est d'ailleurs confirmé par le rapport du Programme d'Action de la
Commission de Pacification de l'Ituri : «les sentiments des intellectuels
trouvent de l'espace et font écho dans la masse paysanne qui se
réfère à ses intellectuels politiciens. Le leadership
devient plus «ethnique» qu'idéologique et charismatique car
les leaders se replient sur les membres de leur ethnie et leur
«capital-tribu» pour se positionner politiquement. Un climat de
tension s'ensuit et dégénère en conflit même
armé»224.
Le pouvoir politique étant resté / devenu le
seul domaine d'enrichissement facile, la brutalité de la violence a
conféré au déploiement/redéploiement une forme
particulière de mobilité. Celle où il faut être du
côté des gagnants, donc tout faire pour que son mouvement
l'emporte.
La violence est banalisée et légitimée par
la société qui construit et véhicule les imaginaires
symboliques tels que:
- Olali balaleli yo ! Ce lingala se traduit en français :
Si tu dors, on se couche sur toi ! Pour pousser les hommes en
compétition à toujours plus de « bravoure » et
de violence pour survivre dans cette jungle qu'est l'espace
politique Province Orientale sous la guerre ;
- Moninga alekela yo te ! Aussi symbolique, ce lingala veut dire
: Ne te laisse pas
doubler par l'autre ! Ici, doubler signifie tout simplement que
l'autre veut prendre
tout le pouvoir à son profit propre et à celui de
siens ; tu dois l'en disputer ;
- Usi ji hachiliye ! Ce swahili de Kisangani est un appel
à la vigilance et à ne pas se
laisser faire. Donc, à combattre/batailler avec les
autres225.
L'ethnie, manipulée bien sûr, a joué un
rôle important dans la reconfiguration et la mobilité des
élites politiques en Province Orientale entre 1997 et 2003. Seulement,
nous aimerions dire que l'ethnie n'a pas façonné les
élites politiques dans l'espace politique. Au contraire, les
élites politiques ont «fait» les ethnies, c'est-à-dire
elles les ont, dans leur course effrénée au pouvoir, fait
(re)connaître, en les associant dans leurs oeuvres de conquête
hégémonique.
Ceci s'explique par le fait qu'aucune ethnie n'a eu,
d'après nos informations, un agenda purement politique ou de marketing
politique en faveur de ses membres. Les élites ayant profité d'un
pouvoir naturellement instable et trouble, ont fait recours à elles afin
de rechercher du soutien et de l'assise. L'ethnopolarité devient ainsi
une ressource politique dans un marché où l'«assise
populaire» ou du moins l'appartenance à une ethnie
«forte» sociologiquement confère une opportunité
d'accession et d'ascension politique.
Par contre, l'état général de
désordre a généré une mobilité dont la
propriété ethnique est devenue comme trait d'union des
réseaux d'élites politiques diverses et prétexte apparent
de la lutte.
L'espace politique clientélisé engendre des formes
prédatrices de manipulation/ instrumentalisation/soumission de l'ethnie
ou de la tribu en faveur des
225 Ces appels à la virilité sont produits en
Province Orientale par l'imaginaire populaire et sont exploitées par les
élites au travers leurs configurations de lutte pour le pouvoir. Nous
les avons écoutés et avons assisté à leur
production. Cette transcription est le fruit de notre expérience
d'acteur de la société.
intérêts personnels. La «masse
tribale/ethnique», ignorante, s'extasie par et sur une reconnaissance
illusoire de leur présence ou de son (ses) fils. Nous aurions dû
plutôt dire que les élites politiques se sont servies de la
violence politique pour assouvir leurs ambitions personnelles comme l'avaient
déjà fait remarquer Koen Vlassenroot et Tim Raeymaekers en
épluchant les différentes approches développées
dans l'analyse de la crise en Ituri «c'est à travers la
manipulation de l'ethnicité que les acteurs politiques et militaires
locaux et régionaux essaient de couvrir leurs vrais agendas politiques
et économiques »226.
L'ethnopolarité n'a pas concerné que les
individus isolés opposés les uns contre les autres; elle a aussi
touché des ensembles culturels. Les associations de la
société civile227 (les associations mutualistes,
culturelles, de jeunes, les ONGDH, les Eglises,...) ont été aussi
exploitées par les élites dans leurs quêtes de
mobilité. Les assises culturelles, les réseaux d'amis et
d'intérêts ont été exploités par les
élites politiques. Par exemple : les ASBL mutualistes Isonga songa,
Lisungameli, Visa Province Orientale, le Club de la Tshopo, ADBU (Association
pour le Développement du Bas-Uélé), etc.
Déjà en 2000, Likunde Bosongo Bernard nous renseignait par
rapport au fait que les cadres mutualistes ou les regroupements à base
régionale et autres (districts, de Territoires, clubs d'amis) jouaient
un rôle désintégrateur parmi les élites en Province
Orientale.228
Les pratiques socio-spatiales se multiplient pour avoir une
portion de ce pouvoir émietté par la violence ; pouvoir qui
devient, nous l'avions déjà dit, une
226 K., Vlassenroot et T., Raeymaekers, Art.
Déjà cité, p. 209.
227 Messieurs Pierre-Hubert Moliso Nendolo Bolita et
Christophe Baelongandi Twaotulo membres de Visa Provinciale Orientale
interviewés à Kisangani, le 25 mai 2005 et le 24 juillet 2005
nous ont confirmé ces dires. Ils nous ont dit que à chaque
préparation de nomination des autorités provinciales ou autres,
les autorités du RCD-Goma ne manquaient d'approcher Visa Province
Orientale pour soit proposer des candidats à la nomination ou confirmer
la qualité de personnalité des candidats en vue. Nous en sommes
d'ailleurs nous même témoin de ce type de manipulation, car au
mois de juin 2002, à Kisangani même, nous l'avions vécu, en
pleine réunion de l'Association pour le Développement de Banalia
(ADEBAN). Le RCD-Goma envoya l'un des membres de cette association recruter
quelques natifs de Banalia pour faire partie de l'Assemblée Provinciale
de ce mouvement. Le refus des membres de cette association justifie le fait que
le Territoire de Banalia n'eu qu'un seul «représentant» en la
personne du membre envoyé pour le recrutement.
228 Notre entretien avec Monsieur Bernard Likunde Bosongo,
Notable de la Province Orientale, à Kisangani, le 07 décembre
2000.
ressource communautaire et collective, du moins dans
l'illusion de la satisfaction qu'il donne. Ces pratiques nous plongent au coeur
de l'ambivalence fondamentale de l'interaction sociale telle que l'entend
Goffman229 à la suite de Parsons, le pari et le repli.
L'interaction est un pari dans la mesure où l'on risque
à chaque fois de perdre la face, en blessant autrui ou en commettant un
impair. Nous vivons toutes nos interactions comme des hypothèses, et
dans cette mesure, toute interaction est également un repli, dès
lors que l'on va réprimer ses sentiments profonds immédiats pour
exprimer un point de vue de la situation que l'on pense acceptable, du moins
provisoirement. Le maintien de ce double accord de surface pari/repli se trouve
facilité par le fait que, selon Goffman230, on vit dans un
monde de valeurs, de normes et que celles-ci sont omniprésentes. La
nécessité et l'intérêt de sacrifice aux apparences
de la normalité (moralité) la plus irréprochable impose
à l'individu d'avoir, pour survivre dans le monde social, la plus grande
expérience possible des techniques de la mise en scène.
L'ensemble des relations entre acteurs est réglé
par des rites qui sont logés au coeur des interactions les plus
quotidiennes (le petit déjeuner, etc.), ceux -ci en organisent la
cohérence et prouvent que le moi social (self) peut être un lieu
de sacralité qu'on ne peut violer impunément. Erving
Goffman231 renforce cette intuition par un recours à
l'analogie avec l'éthologie animale. Chaque individu possède un
territoire, une niche, un espace personnel dont la légitimité
varie en fonctions de justifications locales : il est évident que venir
s'asseoir à côté d'un inconnu dans un lieu pratiquement
vide (restaurant, métro, train) est davantage vécu comme une
intrusion qu'en période d'affluence où le coude à coude se
justifie plus facilement.
229 E. Goffman, La mise en scène de la vie
quotidienne, T1, traduit de l'anglais par A., Accardo et A., Kihm, Paris,
Editions de Minuit, coll. «sens commun», 1973, p. 255, cité
par M., De Coster, B., Bawin-Legros, M., Poncelet, Op. Cit., 93-94
230 Ibidem, p. 255.
231 Idem.
III.1.6. La Ruse
Comprise comme « procédé habile dont on se
sert pour parvenir à ses fins »232, la ruse est aussi
synonyme d'habileté, de fourberie ou de roublardise. Nous la comprenons
comme dissimulation et tromper pour faire triompher ses
intérêts.
Maindo Monga Ngonga233 avait déjà
observé le rôle important qu'a joué et joue jusqu'à
présent la ruse dans la politique congolaise. Celle-ci s'est
enracinée dans les pratiques des acteurs politiques de la Province
Orientale. Elle est comprise ici comme un art de parvenir à ses fins par
des moyens habiles et trompeurs.
Par rapport à cette tactique et au nom de la
conquête/consolidation du pouvoir politique, il est remarqué des
pratiques diverses de dissimulation de la vérité pour soit
justifier certaines actions ou camoufler les effets d'une mauvaise politique.
Ceci dans le but vraisemblablement de maintenir son poste. La ruse a surtout
été combinée à la rumeur, la propagande et les
préjugés.
A Kisangani, des centaines de personnes sont amenées au
Rwanda en formation para-militaire avec comme prétexte de mobilisation,
un voyage touristique offert par le RCD-Goma et son allié Rwandais pour
découvrir le Rwanda et bénéficier d'une formation
politique en 1999, 2000 et 2001. En réalité, il s'agissait des
recrutements militaires orchestrés par les autorités du RCD-Goma
pour alimenter les rangs de leurs troupes et des cadres, surtout jeunes,
commençant à faire défaut. Ainsi périrent plusieurs
jeunes cadres universitaires au cours des années 2001-2002.
Aussi, il est observé que certaines personnalités
ont mérité leur ascension du fait de cette ruse. La science a
été même sacrifiée au pilori de la
politique234.
232
http://thefreedictionary.com/ruse
233 Maindo Monga Ngonga, Op. Cit., pp. 5-6
234 Par exemple, des thèses du genre, les Tutsi sont
originaires du Congo ont été véhiculées par
certaines élites intellectuelles et en ont
bénéficié nominations et considérations de la part
de l'allié Rwandais.
Human Right Watch a mieux analysé l'instrumentalisation
de la ruse pour l'Ituri en ces termes : «Alors que le conflit entre les
Hema et les Lendu s'étendait et devenait plus radical, chaque groupe a
eu recours à la propagande et aux mythes pour justifier sa cause. Les
intellectuels Hema comme Lendu ont déformé l'histoire à
des fins politiques, fabriquant de nouveaux récits pour appuyer leur
point de vue235. »
III.2. Typologie des modalités
d'émergence des élites politiques de la Province
Orientale
La mobilité politique féconde en Province
Orientale pendant la guerre a connu plusieurs modalités, par les actions
des élites politiques, inhabituelles observées parmi lesquelles
nous avons isolé grosso modo et de manière non exclusive : les
« élections » en temps de guerre, les nominations, la
milicianisation/militarisation selon les périodes et les groupes
armés dominants. Les groupes armés (AFDL et MLC en l'occurrence)
ont, de manière opportuniste, profité de cet intermède
temporaire, lié aux premières heures (mieux jours), pour mettre
en place leur organisation des territoires conquis et de l'instauration du
nouvel ordre politique taillé sur la mesure des
«libérateurs».
Précisons ici tout de même en passant que la
«démocratie dans la guerre» (ou les «urnes dans la
guerre») à laquelle nous faisions allusion dans les lignes
précédentes est à la fois anachronique, extrêmement
originale et atypique. Herbert Weiss236 dit de ces élections
en préfaçant Maindo Monga Ngonga, qu'elles «ont
été tout à fait légitimes car les gens
étaient libres de leur choix et ils ont clairement usé de ce
235
www.hwr.org/ituri consulté
à Kisangani, le 06 septembre 2009. Et d'ajouter : Un porte-parole Hema a
affirmé aux chercheurs de Human Rights Watch: «Nous savons qu'il y
a un génocide contre les Hema mais on a été ignoré
pendant longtemps.» D'autres Hema ont évoqué un lien avec
les Tutsi du Rwanda et ont affirmé que les Lendu accompagnés des
Interahamwe et des rebelles ougandais, l'ADF, perpétraient un
génocide comme celui de 1994 au Rwanda. Ces Hema font entrer dans
l'appellation «forces négatives» les Lendu. L'expression avait
auparavant été utilisée pour décrire les
Interahamwe et l'ADF. Des déclarations officielles Hema affirment que
ces «forces négatives» sont hostiles à la paix et
doivent être éliminées. Certains Hema ont parfois
décrit les Lendu comme des «terroristes». Certains Lendu et
Ngiti qui leur sont alliés cherchent à raviver la colère
contre le Rwanda, l'Ouganda et leurs alliés locaux. Le groupe
armé ngiti, le FRPI a publié un pamphlet accusant les
Présidents Kagame et Museveni de chercher à établir un
empire Hima-Tutsi. Ils ont affirmé que les Hema, soutenus par l'Ouganda
et le Rwanda allaient procéder à une «purification
ethnique» et éliminer les peuples Lendu (y compris les Ngiti) de
l'Ituri. Ils ont vivement encouragé à une «résistance
féroce» contre les agresseurs extérieurs et contre ces
groupes qui sont leurs complices.
236 H., Weiss, préface à Maindo Monga Ngonga,
Voter en temps de guerre. Op. Cit.
droit. [...] ».
III.2.1. Les urnes dans la guerre, une démocratie
atypique 237
Pendant l'odyssée militaire de l'AFDL à travers
le pays, les sphères du pouvoir ont été mises en
compétition par le jeu «démocratique», car il s'est agi
des élections avec pour règlementation qu'un code minimum; dans
l'absence totale d'une préparation, pas de règlement
électoral , pas de restriction sur les éligibles et les
électeurs, pas de secret de vote, la campagne électorale
préalable n'est que minimale et dépend de l'initiative de chaque
candidat et de sa «base» (qui conduirait à un choix judicieux
des électeurs suivant les programmes d'action présentés
par les candidats), pas de pluralisme politique (tout le monde devait se
dépouiller de son ancienne appartenance politique et devenir, de facto
et ex officio, membre du seul mouvement détenteur du pouvoir, l'AFDL ou
le MLC, selon le cas.)238, etc.
Car, pour le MLC à Buta et à Banalia où
il organisa le même type d'élections mais, pour ce dernier, il
emprunta à son parrain ougandais l'élection à la file
indienne «queuing system239»... (par laquelle les
électeurs devraient s'aligner derrière le candidat de leur choix
et après le «bureau de vote» devrait compter les
électeurs, de sorte qu'était élu, le candidat qui avait
plus des personnes à sa suite). Un mode d'élection
qualifié de «à la queue leu leu» par les habitants des
zones sous contrôle MLC.
Nous notons avec François Jean et Jean-Christophe Rufin
que ces mouvements, comme du reste ceux ployant dans les mêmes contextes
et poursuivant les objectifs similaires de lutte contre le pouvoir, sont
confrontés à plusieurs contraintes
237 Les électeurs composites regroupés dans des
enceintes des municipalités pour les élections des bourgmestres
de communes et au stade Lumumba pour ce qui est de l'élection des
gouverneur, vice-gouverneur et maire, vice-maire opèrent leurs choix en
mains levées. Les candidats sont placés en face des
électeurs.
238 Car, l'activité des partis politiques est
suspendue, disons, interdite, dans toutes les zones conquises ; Kisangani
n'aurait pu faire l'exception.
239 Le queuing system (tous derrière et moi devant),
donc «file indienne» où les électeurs sont
alignés derrière le candidat de leur choix est un
procédé de vote habituellement d'usage en Ouganda, au Kenya.
Lire les ouvrages ci-après pour mieux comprendre la
question : G., Prunier & B., Calas, dir., L'Ouganda contemporain,
Paris-Nairobi, Karthala-IFRA, 1994, D., Bourmaud, Les élection
au Kenya : Tous derrière et moi devant..., Politique Africaine,
La corruption au quotidien : Ben Laden, l'Afrique et les Etats-Unis. Les
secrets de l'isoloir, Paris, Karthala, n° 83, octobre 2001.
«les mouvements armés doivent en effet
résoudre une série de problèmes matériels qui sont
pour eux autant de contraintes économiques. [...] lorsque la
rébellion s'étend et se perpétue, les acteurs politiques
et militaires doivent organisés des circuits économiques pour
financer leur lutte et contrôler les populations. [...] Pour atteindre
ses objectifs politiques, un mouvement armé cherche, de façon
pragmatique, les formes d'organisation qui lui permettent de tirer le meilleur
parti des conditions locales et internationales»240.
Ainsi, les élections organisées par l'AFDL en
mars 1997 et le MLC en novembre 1999 n'ont pas, comme le penseraient d'autres
analystes, constitué un moment régulateur et
fédérateur de la société civile et des politiques.
Loin s'en faut, il nous semble que ces élections ont, par contre,
révélé la fracture qui a toujours existé entre ces
deux groupements de la société congolaise. Elles ont aussi
traduit les appétits de certains acteurs de la société
civile à l'affût d'un pouvoir politique qui s'auréolait de
légitimité, d'ambitions développementalistes, et sans
compter l'enrichissement facile tel observé chez les
«aînés». Ces élections semblent avoir
été fondatrices d'un nouveau «contrat social». Car
source de légitimité politique pour des nouvelles élites
politiques et un nouveau régime qui se réclamait
révolutionnaire.
Ceci est prouvé par les nombreuses candidatures des
membres de la société civile ainsi que leur élection
massive. Car, à Kisangani par exemple, sur les 16 élus de mars
1997, 13 sont issus de la société civile et n'ont pas eu à
pratiquer de manière active la politique. Leur activisme étant
plutôt avéré et notoire au sein des associations de la
société civile.
A Banalia, à Buta et à Bunia, la même
régularité s'est observée. Les «hommes du
peuple»241 prennent le pouvoir. C'est-à-dire, ces hommes
frais, qui sont
240 J., François & J.-C., Rufin, (dir.), Economie
des guerres civiles, Paris, Hachette, 1996, Passim
241 La société civile est du reste
considérée comme alternative à ce pouvoir corrompu et
abject du MPR et de Mobutu. Ses auxiliaires sont conspués par la
population et les acteurs de la société civile semblent
être les personnalités politiquement vierges et intègres.
Et surtout, elles habitent, vivent avec la population et connaissent leurs
problèmes de tous les jours contrairement à ces barrons du
régime décadent et rebuté. Lors des élections,
coutume a été, pour la population, de scander
frénétiquement « Mouvancier, mouvancier,
mouvancier,...» si tôt
toujours dans le peuple, qui vivent et connaissent les
réalités de ce peuple «abandonné» à se
prendre en charge et vivant de la solidarité mécanique. Ceux qui
n'ont jamais trempé leurs mains dans la saleté de la politique de
la Deuxième République honnie et exécrée par la
population.
Nous l'avons déjà dit, les urnes dans la guerre
postulent d'une forme atypique et originale des élections (Tous les
processus devant se dérouler et se terminer en quelques heures seulement
et dans une impréparation qui frise la
légèreté,...). Il nous a été
rapporté242 que cela fut ainsi fait aux motifs
d'éviter des fraudes et manipulations des électeurs par certaines
personnes ou organisations. Ce qui se lit comme improvisation répondait
par contre à l'exigence sécuritaire. La ville venant
fraîchement d'être conquise, il y avait de crainte de sabotage ou
d'infiltration des éléments ex FAZ.
Malgré tout, les résultats de ces
élections ont été un camouflet pour ces élites
bannies. Une revanche de la population sur ses affameurs et ceux qui lui ont
toujours refusé l'opportunité de se prononcer et de se choisir
ses propres dirigeants de manière libre, démocratique et simple.
Le choix du peuple a été plus tranchant et a corrigé
toutes les prévisions «géopolitiques» possibles par
rapport à la «force de conscience du peuple de la Province
Orientale de contrôler son espace» tant clamée par les
propagandistes du MPR défunt.
qu'un candidat ancien gouvernant ou membre du MPR ou encore
reconnu pour ses accointances avec le régime du MPR et certains clients
métayers locaux. Cela fut une sorte de disqualification implicite de la
course et, il nous semble, une forme de délation collective ou
d'information aux nouveaux venus de qui était qui.
Précisons aussi que les acteurs de l'AFDL n'avaient
aucunement fait de l'appartenance au MPR un motif d'incompatibilité ou
d'inéligibilité. Tout le monde pouvait se présenter devant
l'agora et seul le choix du «peuple» tranchait. Et le peuple a
tranché : il a, en bloc, rejeté les acteurs du pouvoir
défait mobutiste. Sauf une exception confirme cette règle. Il
s'agit de monsieur Lokinda, Bourgmestre adjoint du précédent
régime à la Makiso qui a gardé son poste dans la
même commune. Et à Banalia, Monsieur Lioke Balebandja,
Secrétaire Administratif du Territoire de son état qui est
placé AT après les élections. Car, nous confiera Exy
Bayabo, ATA en Charge de l'Administration et des Finances à l'issue de
cette compétition électorale : «Les responsables de l'AFDL
ont préféré le Vieux Lioke Balebandja à moi
à cause justement de son expérience. Mais, aux élections,
c'est moi qui étais plébiscité par le peuple.» Notre
entretien avec ce dernier à Kisangani, le 09 septembre 2007.
242 Avant les consultations populaires à la commune de
la Tshopo, nous avions demandé à monsieur Mwenze Kongolo, qui
dirigeait le Bureau de vote chargé du scrutin dans cette commune,
pourquoi les choses ont été ainsi précipitées sans
préparation. Nous nous souvenons nous être frotté à
l'un des candidats «mouvancier» concernant cette question. Il pensait
que moins les consultations étaient préparées, plus ils
(anciens du MPR et hérauts du mobutisme) avaient la chance de
l'emporter. Encore, la population a prouvé son attachement ou engagement
au changement.
Par ailleurs, nous avons aussi remarqué des tentatives
de manipulation des résultats de vote par certaines
«élites» en leur faveur. Car, la tendance de la victoire des
jeunes «élites» et des allogènes se profilait
déjà à l'horizon. Les autchtones de Buta, par exemple,
insistent auprès du Chairman du MLC, Jean-Pierre Bemba Gombo,
pour insérer, sur la liste des candidats, le nom d'un des leurs
(Monsieur Lumaliza) qu'ils voulaient comme Administrateur de Territoire.
A Banalia aussi, nous pouvons citer l'implication de la
notabilité locale pour éviter non seulement la présence,
mais aussi l'élection des allogènes. Les creuseurs ont
été mobilisés dans les différentes carrières
florissantes243 du territoire pour venir au secours de certains
candidats soutenus par les «barrons locaux» maîtres des
carrières. Ceci a valu en 1999 l'élection de Monsieur Jean Tongo
Bandamali comme Administrateur de Territoire, en 2003 Monsieur Picoro Monewiya
Malanga comme Député National pour le compte du MLC. A Bafwasende
aussi, la même réalité a été observée.
Monsieur Michel Botoro Bodias bénéficia efficacement de la
participation des creuseurs des certains foyers miniers (carrières) de
Bafwasende pour être élu Administrateur de Territoire.
Les urnes dans la guerre ont favorisé la
mobilité ascendante des nouvelles élites issues de la
«pluralité géographique, sociologique et historique de
l'élite sociale ; qu'ils en soient le reflet et, simultanément,
le dépassement »244. Mais, ces consultations en
temps de guerre n'ont pas, partout où elles furent organisées
(Kisangani, Bunia, Banalia, Buta, Bafwasende, etc.), permis ce que Bayart
appelle «la résurgence, à l'occasion des consultations
électorales, des sédiments anciens de la classe politique [...]
».245 Pour ces anciens agents et clients du pouvoir
mobutiste, la mobilité a été donc descendante.
243 Les carrières Lolima B de Monsieur Picoro Monewiya
Malanga et Lolima A de Monsieur Sébastien Mabulunga Ponea, Maï ya
Tshopo (Ma Tshopo) de Monsieur Consman Madoli Ndjale. Ces différentes
carrières ont été les véritables Etats dans l'Etat
avec «lois» et formes d'organisation sociale et furent aussi des
réservoirs électoraux intéressants. Des cités
surpeuplées et où l'argent et sa poursuite son roi et reine.
Ainsi, le mot d'ordre du PDG (Président Délégué
Général, qui n'est autre que le propriétaire de la
carrière) de la carrière semble être parole
d'évangile et suivi à la lettre au risque de se voir, soit
refuser d'accès à la carrière, soit bannir de la
carrière.
244 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique [...] Op. Cit.,
p. 211.
245 Idem.
Les élections organisées par les groupes
rebelles ont eu une particularité commune : le principe de non
exclusivité des candidats, «l'impréparation», absence
de restriction aux électeurs quant à leurs qualités. Et,
en un certain point de vue, il partage les traits du sens
commun.246
Par ailleurs, nous avons décelé à travers
ce processus électoral l'intense activisme247 de la Jeunesse
de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (J/UDPS) et
des autres partis de l'opposition politique de la Transition de 1990-1996,
d'ailleurs, dans la victoire de certains candidats à Kisangani surtout
et dans une certaine mesure à Bunia et à Buta. Peut-être,
c'est ces apports non négligeables de l'opposition et de la
société civile (surtout des églises) qui ont
influencé la mobilité ascendante/descendante observée lors
des élections dans la guerre. La notabilité due à
l'activisme social ou politique au bénéfice de la population
semble aussi avoir une incidence dans les résultats observés des
élections en temps de guerre.
III.2.2. La nomination : art de contrôle/occupation
de l'espace politique
Pour placer leurs auxiliaires, les mouvements rebelles, les
groupes armés ethniques et les milices ont, avec une prévalence
extrême sur le recrutement démocratique, abondamment nommé
les élites autochtones de la Province Orientale. La nomination a
joué un rôle important dans la circulation des élites
politiques et a modelé la compétition politique. Le fait pour le
mouvement détenteur du pouvoir de procéder au remplacement ou au
recrutement de ses auxiliaires par nomination a accentué l'expression
des tactiques observées antérieurement ; notamment :
l'ethnicité, la ruse, la marginalité /
automarginalité...Car, la nomination dépendant aussi des humeurs
et attitudes des hommes du pouvoir (c'est-à-dire, des détenteurs
de ce dernier) et non des hommes au pouvoir (une catégorie
composée des auxiliaires locaux).
246 I246 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique [...]
Op. Cit., p. 211.
247 La lutte pour la démocratisation dans la vie
politique de la Province Orientale était déjà, avant le
surgissement des rébellions, milices et autres groupes armés,
policé par les luttes de partis politiques d'opposition menés par
l'UDPS. Aussi, le rôle de la société civile dans
l'éveil de la conscience politique collective est très important
à souligner ici. Et, la mobilisation de ses acteurs lors de ces
élections a été très bénéfique pour
certaines élites avec lesquelles elle entretenait des accointances
fonctionnelles. Il n'est point surprenant après cette explication, de
découvrir l'appartenance de plusieurs des élites élues
à l'issue de ces élections aux associations de la
société civile.
Dans un contexte de crise et de violence politique
caractéristique de la période de guerre, la gouvernance a
été sujette à des tâtonnements et des tiraillements.
La recherche hégémonique en ce temps de guerre où les
alliés étrangers s'opposent et se combattent se
révélant aussi concurrentielle et conflictuelle.
L'émergence des élites politiques a aussi suivi la même
modalité. C'est dans cette configuration que les détenteurs du
pouvoir politique, surtout pendant la période de 1998-2003, ont
massivement usé de la technique de nomination.
Parce que la «promotion» politique se fait
désormais à l'aune du militantisme, de la ruse, des accointances
mystiques, etc., les élites ont déployé ce qu'elles
avaient de plus séculier, en terme de ressource, le sexe. Il nous a
été révélé248 que la
majorité des cadres du RCD/Goma ont eu, pour conserver et/ou se voir
promettre un poste politique supérieur, à entretenir chacun une
seconde femme Tutsi rwandaise. La promotion du canapé ou du lit n'est
plus seulement l'affaire des femmes249. Il faut être
allié du détenteur de pouvoir étranger pour
prétendre au pouvoir politique ou le conserver.
La conversion de la loyauté sociale en atouts
politiques exigeant le renouvellement régulier de l'élite locale,
en application de la proverbiale tactique de «diviser pour
régner». Ainsi s'est manifestement opéré la
mobilité/mobilisation des élites politiques en Province Orientale
de la période étudiée. Nous pouvons ici relever quelques
exemples de ce propos : les nominations des gouverneurs de la Province
Orientale (Jean Pierre Lola Kisanga, Théo Baruti Amisi Ikumaiyete, Walle
Sombo Bolene, Mathias Decuvi Dz'x,...) entre 1998 et 2003 et de toutes les
élites nommées gouverneurs/commissaires de district de l'Ituri
suivent la même logique.
248 Par plusieurs personnalités membres du RCD/Goma
interrogées sur l'implication de donation/offre des femmes (ou seulement
des mariages de fait) tutsi («congolaises»/rwandaises).
249 Les stéréotypes sociaux et les pratiques
réelles justifient le fait que certaines femmes doivent leurs promotions
du fait des facilités sexuelles qu'elles accordent à certaines
autorités. Nous retrouvons ici la résurgence des alliances
matrimoniales comme vecteur de relation politique.
136 CONCLUSION
Comprendre comment s'est fait la circulation des élites
politiques pendant les différents guerres et conflits armés
récurrents qui ont marqué l'histoire politique nous a
amené à centrer notre travail autour de l'intitulé
«Guerres et circulation des élites politiques en
Province Orientale de la République Démocratique du Congo. 1997-
2003».
Nous avons tenté de cerner les contours
socio-historiques et politiques de la mobilité /circulation des
élites politiques en Province Orientale avec comme
révélateur principal la violence politique. Une violence
alimentée par l'instrumentalisation de l'ethnie, l'intervention des
forces externes et la collusion des intérêts et tactiques des
acteurs locaux à l'assaut du pouvoir politique et à la captation
de l'Etat ainsi que du contrôle des ressources économiques. Cette
violence n'est pas absurde ni même gratuite. « Elle suit les
logiques des acteurs et de ce fait, elle est porteuse de messages sociaux et
politiques250. »
Les élites politiques, nous l'avons vu, forment un
ensemble d'agents particulièrement actifs dans le fonctionnement de la
société, surtout dans le domaine du politique. Leurs diverses
contributions à l'action historique peut revêtir plusieurs formes
(violentes, douces quant elles appliquent la ruse et la fourberie, ethniques et
ethnopolaires, etc.). Il a fallu les analyser dans les contextes de la violence
politique pour s'imprégner de leurs capacités à
s'approprier l'espace politique et les privilèges que ce dernier
procure.
D'où notre préoccupation à
procéder à une relecture de la quotidienneté de l'action
politique par les acteurs agissant dans leurs rapports internes et externes
verticaux et horizontaux sous-tendus par l'histoire. Nous nous sommes
penché à
déceler le rôle structurant de cette violence
politique à l'espace politique Province Orientale.
L'hypothèse principale de cette étude est que la
violence politique contribuerait à la circulation des élites
politiques en Province Orientale.
Au lieu de ne voir que destructions, déchirements et
bilans macabres dans la géochronologie251 locale de la
violence politique caractéristique de la Province Orientale de la
période observée (1997-2003), tous ces maux en étant bien
sûr les conséquences patentes, nous y avons décelé
le déploiement/redéploiement des élites politiques en
Province Orientale. Car, les nouveaux acteurs entrent en jeu sans pourtant
effacer ou éliminer totalement les anciens de la scène politique.
Quelques allers-retours des acteurs d'hier et d'aujourd'hui dans l'occupation
de l'espace local252 sont observés dans la mobilité
des élites politiques en Province Orientale.
Nous avons recouru à la sociologie historique. Car, il
nous a fallu découvrir les «corrélations qui permettent
davantage de comprendre les comportements des acteurs chargés de valeurs
et de culture»253. Le recours à l'histoire n'a pas ici
consisté à établir l'authenticité des faits
marquants de l'existence d'un personnage; mais plutôt, comme le
précisent Michel De Coster, Bernadette Bawin-Legros et Marc Poncelet,
«de lire et d'apprécier, à travers de simples récits
de vie de personnes, les facteurs qui ont empêché, freiné
ou, au contraire, favorisé leur ascension à des positions
sociales (politiques ajoutons-nous) diverses254. Il a fallu
considérer les événements dans leur temporalité
respective mais liée ; afin de repérer, d'une part, les
éléments structurant les crises et d'autre part, la
continuité sans perdre de vue les ruptures et les
changements255 intervenus dans la géochronologie de ces
événements.
L'analyse de contenu nous était d'un louable soutien
dans le traitement des données
251 Nous empruntons ce concept de C., Thibon, Art.
déjà cité, p. 3
252 Maindo Monga Ngonga « Par-delà les crises et les
guerres, réinventer le quotidien » in Maindo Monga Ngonga, Des
conflits locaux à..., Op. Cit., p. 291.
253 G., Hermet et alii. Op. Cit. 261
254 M. De Coster, B., Bawin-Legros et M., Poncelet, Op.
Cit., p. 224.
255 Maindo Monga Ngonga, Des conflits locaux à..., Op.
Cit., p. 294.
récoltées par la documentation, l'interview non
directive et l'observation participante.
Nous avons été obligé de faire recours au
pluralisme théorique pour l'analyse des données. Que cela ne
donne, en effet, l'impression d'un certain amalgame
épistémologique dans la connaissance scientifique
développée tout le long de cette réflexion. Loin de
là aussi toute tendance de « cacophonie scientifique », la
pluralité paradigmatique et théorique dans notre étude
procède de la nécessité de répondre à la
complexité du politique dans un univers émaillé par la
violence politique tel que le notent Michel De Coster, Bernadette Bawin-Legros
et Marc Poncelet : « aucun paradigme en soi ne peut avoir le
privilège de tout expliquer.256 De ces paradigmes et
théories nous pouvons relever : les théories élitistes, le
paradigme de la quotidienneté emprunté à Michel De Certeau
et Erwin Goffman, celui de l'habitus de Bourdieu, etc.
Il est intéressant de remarquer qu'il nous a
été indispensable de trancher entre les tenants de
l'homogénéité de l'élite politique et ceux de
l'hétérogénéité/pluralité des
élites. Une controverse déjà ancienne, a permis de
formuler les enjeux les plus fondamentaux de ce problème notamment du
point de vue de la logique démocratique. A la vision dite polyarchique
(ou pluraliste), soucieuse de souligner les spécificités de
chaque composante s'oppose une thèse moniste qui postule la convergence
profonde d'intérêts de toutes les fractions dirigeantes
associées à l'exercice du pouvoir257. Notre choix
était plutôt porté sur la pluralité des
élites politiques258.
Les urnes en temps de guerre par lesquelles le suffrage
universel d'une démocratie atypique a été exercé,
les nominations nombreuses et permanentes des autorités auxiliaires
(élites politiques en Province Orientale) ont servi des modalités
par lesquelles les mouvements rebelles et groupes armés divers ont
été mobilisées à l'aune des multiples tactiques
exploitées à la fois par les alliés et les élites
politiques locales. Ces tactiques ont été nombreuses ; celles
retenues dans cette étude pour les illustrer sont : La violence
politique, la politique du ventre/«ventrocratie », la
256 M. De Coster, B., Bawin-Legros et M., Poncelet, Op.
Cit., p.102.
257 P., Braud, Sociologie politique (manuel de),
7ième édition, Paris, LGDJ, 2004, p. 567.
258 Cf. infra.
marginalité/automarginalité,
l'ethnopolarité, la haine, la ruse, la xénophobie. Aussi, le sexe
comme ressource politique a été épinglé comme
tactique politique.
Ces tactiques exploitées à la fois par les
élites politiques entre elles dans leurs actions de recherche
hégémonique et à travers les différents mouvements
rebelles et les milices qui ont marqué l'histoire de la Province
Orientale entre 1997 et 2003.
Nous avons fourni, à travers les lignes qui
précèdent, moult efforts pour comprendre, analyser,
découvrir et expliquer les relations causales existant entre les guerres
et la circulation des élites politiques en Province Orientale.
Dès lors, il a été judicieux de voir qui ont fait
l'histoire, comment ils l'ont faite et comment ils se sont mobilisés.
Nous nous sommes aperçu, dans notre étude, de la pesanteur de la
violence politique dans la reconfiguration de l'espace politique Province
Orientale. Cette
259
dynamique illustre l'analyse de Mark Duffield et d'autres,
selon laquelle les nouvelles guerres en Afrique ne devront pas être
comprises tant comme une marche en arrière vers une sorte de barbarisme
ou un chaos destructeur, mais également comme des occasions pour des
élites locales et des seigneurs de la guerre de relier leurs entreprises
« au centre technologique de la société
métropolitaine ». Le commerce des diamants, de l'or et des autres
ressources naturelles par des réseaux criminels a aussi contribué
à un repositionnement des acteurs politiques et économiques sur
le plan global. Ainsi, la guerre en Ituri semble avoir contribué au
développement de ce que Duffield appèle un « emerging
political complex.»
Tout au long de ces pages nous avons vu les élites
politiques se redéployer et circuler du fait de la violence politique.
Certaines élites politiques ont profité de la guerre et d'autres
non, les anciennes élites reviennent en scène le temps d'une
éclipse. Ainsi, nous pouvons dire que nos hypothèses de
départ ont été confirmées. Cette circulation s'est
faite à travers des guerres civiles internes (celles opposant les
factions rebelles ou les groupes armés interethniques entre eux) et des
guerres extérieures (c'est-à-dire
impliquant certains Etats de la région contre la RDC) avec
des repliements identitaires, ethniques ou régionalistes
manipulés par les acteurs en compétition.
Cette étude, qui s'insère dans l'ordre de
l'inachevé, est perfectible et ne prétend en rien avoir
analysé avec exhaustivité la question de la violence politique et
de la mobilité des élites politiques en Province Orientale.
Certains aspects aussi intéressants non élucidés par nous,
méritent de l'être par des recherches ultérieures. Il
s'agit entre autres des aspects touchant au réseautage entre les acteurs
locaux et les acteurs étrangers, la communication politique ou les
liturgies politiques des élites politiques pendant les guerres, la
survivance ou la capacité de se maintenir en politique des élites
politiques (analyse de la longévité des élites en
politique) ainsi que l'analyse des facteurs d'enrichissement des élites
de la guerre (une sociologie des élites basée sur les
trajectoires socio-économiques).
Ce travail a certes bénéficié, de
près ou de loin, de l'apport de plusieurs savants et personnes de bonne
foi ; à eux tout le mérite qu'il porte. Nous en sommes nous
même comptable des faiblesses et insuffisances.
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politiques, 7ième édition, Paris, Dalloz,
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V. Autres documents
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148 TABLES DES MATIERES
00. INTRODUCTION : 01
0. 1. Etat de la question : 01
A. Quelques études congolaises sur les
élites politiques : 04
B. Quelques études sur la période de
guerre en RDC : 07
0.2. Cadre théorique : 09
A. Quelques réflexions sur la guerre :
09
B. Réflexions sur les élites :
12
1° Les auteurs de la circulation des élites :
12
2° Quelques théories de la stratification des
élites : 14
3° La multiplication des élites : 15
4° Le renouvellement des élites : 17
C. Clarification du concept élites politiques :
18
0.3. Problématique : 21
A. Question centrale : 22
B. Questions secondaires : 22
0.4. Hypothèses : 22
A. Hypothèse centrale : 22
B. Hypothèses secondaires : 22
0.3. Cadre méthodologique :
25
A. De la méthode : 25
B. Les Techniques : 27
1° Techniques de récolte : 27
Technique documentaire : 27
Technique d'interview non directive :
28
2° Technique de traitement : 30
0.4. Intérêt et objectif de
l'étude : 30
0.5. Délimitation du champ d'étude :
31
0.6. Difficultés rencontrées :
31
0.7. Plan du travail : 32
Chapitre premier : conflits armes et crises politiques :
33
I.1. Province Orientale dans la guerre :
33
I.1.1. Une trajectoire historique sur fond des violences :
34
I.1.2. La guerre de 1996, l'Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération du
Congo (AFDL) : 38
I.1.3. 1997-2003 : La Province Orientale à
l'ère des guerres dans la guerre : 43
I.2. Les zones de turbulence en Province Orientale :
50
I.2.1. Ituri : 51
I.2.1.1. Brève historique du conflit : 51
I.2.1.3. Identification des forces en
présence : 54
I.2.2. Bafwasende : 64
I.2.2.1.. Brève historique des conflits armés
à Bafwasende : 65
I.3.2.3. Principaux acteurs impliqués : 68
Chapitre deuxième : redéploiement des
élites politiques et recomposition de l'espace politique en province
orientale : 73
II.1. Profils et trajectoires sociales des
élites : 74
II.2. Elites politiques : redéploiement et
rapport aux autres acteurs : 82
Chapitre Troisième : La mobilité des
élites politiques : Modalités et
Tactiques : 107
III. 1. Tactiques d'action des élites
politiques de la Province Orientale pendant
les guerres : 108
III.1.1. Scénarios d'émergence des
élites politiques. La Province Orientale entre révolution sociale
et assimilation réciproque : 109
III.1.2. Formes des tactiques violentes d'émergence
politique : 111
III.1.3. Politique du ventre ou « ventrocratie » :
le pouvoir pour la survie : 115
III.1.4. Marginalisation /automarginalisation. Quand
l'exclusion fait le politique : 118
III.1.5. L'ethnopolarité, l'ethnie au service de
l'action politique : 121
III.1.6. La Ruse : 126
III.2. Typologie des modalités
d'émergence des élites politiques de la
Province Orientale : 127
III.2.1. Les urnes dans la guerre, une démocratie
atypique : 128
III.2.2. La nomination : art de contrôle/occupation de
l'espace politique : 132
Conclusion : 134
Bibliographie : 139
ANNEXES
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