Les enjeux géostratégiques de l'initiative pays pauvres très endettés (PPTE): le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Bruno ATANGANA Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2009 |
Paragraphe 1: Le cadre d'élaboration et de mise en oeuvre des politiques.L'Initiative PPTE se situe dans le prolongement d'une politique d'ensemble pensée dans le cadre des institutions financières internationales et destinée à l'atteinte d'objectifs bien précis (A). Sa mise en oeuvre par le Cameroun fait l'objet d'un contrôle régulier et permanent de la part du FMI et de la Banque Mondiale (B). A) La définition et la conception du champ des réformes Pour bénéficier de l'allègement de dette promis dans le cadre de l'Initiative PPTE, un pays doit mettre en oeuvre un ensemble de mesures qui constituent des réformes applicables à des domaines précis. En théorie, chaque pays est chargé de la conception de sa stratégie de lutte contre la pauvreté contenue dans le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté. Il s'agit d'évaluer les besoins des populations ; c'est ce qui explique la nécessité pour le gouvernement de consulter la société civile. Selon le FMI et la Banque Mondiale, l'Initiative PPTE rompt avec la logique des Plans d'Ajustement Structurels qui consistaient à concevoir des politiques de développement à Washington et de les implémenter dans un pays sans tenir comptes de ses priorités de développement. Cet argument n'est pas pleinement justifié car la stratégie de développement est établie sous la conduite des institutions financières internationales, ensuite celle-ci n'est opérationnelle que dans un cadre bien déterminé. On ne peut donc pas affirmer que chaque pays élabore sa propre stratégie de développement. En effet en l'an 2000, la conférence des chefs d'Etats de la planète a adopté un Mémorandum fixant les Objectifs de Développement du Millénaire (OMD) et destiné à réduire la pauvreté de moitié d'ici 2015. Huit axes structurent les objectifs poursuivis: - réduire l'extrême pauvreté et la faim ; - assurer l'éducation primaire à tous ; - promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes ; - réduire la mortalité infantile ; - améliorer la santé maternelle ; - combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d'autres maladies ; - assurer un environnement durable ; - mettre en place un partenariat mondial pour le développement. A l'observation, la réduction de la pauvreté passe par l'amélioration des secteurs comme la santé, l'éducation et le bien-être des populations pauvres. L'Initiative PPTE représente ainsi le cadre adéquat de mise en oeuvre de ces objectifs. De ce point de vue, tout financement dans le cadre de ce programme est assujetti à la présentation d'un projet de développement dans les secteurs en relation avec la lutte contre la pauvreté. Le Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté n'est donc pas un cadre de conception de politique de développement; il s'agit plutôt d'identifier des Zones d'Education Prioritaire, de santé prioritaire etc., et de leur affecter des crédits subséquents. Ce qui précède permet de comprendre pourquoi le gouvernement camerounais a voulu renégocier l'usage des fonds PPTE à des fins plus en relation directe avec le « décollage » économique du pays. Ainsi affirme-t-on: « Parce que la circulation de la monnaie est un facteur de croissance, les autorités camerounaises souhaitent obtenir des pays riches et des institutions multilatérales qui contribuent à l'Initiative d'allègement de la dette, de réorienter l'utilisation des fonds PPTE dans quelques projets dits structurants. Il faut arrêter le saupoudrage actuel avec le financement de petits projets sans impact sur la pauvreté »28(*) Sur un tout autre plan, la stratégie de développement contenue dans le DSRP pose un problème de compatibilité avec la politique globale d'orientation économique d'un pays. Dans le cas du Cameroun, la question se pose de savoir si ce Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté est inféodé dans un cadre général déterminé par le programme politique, économique et culturel du gouvernement ou s'il vient en appui à ce programme. Selon le Rapport 200629(*) de la Caisse Autonome d'Amortissement, « les fonds générés par l'Initiative PPTE sont gérés comme si c'était le budget de l'Etat ». Cette affirmation peut paraître plausible si l'on tient compte du fonctionnement du compte BEAC, car le gouvernement camerounais y fait des versements dans la perspective du financement des projets de développement. L'argument retenu ici est qu' « une seule caisse gère et c'est le même gérant ». Mais cet argument ne résiste pas dans le cas du refinancement par don préconisé dans le cadre du D. Dans un premier temps, le trésor français perçoit le remboursement de la part des autorités camerounaises; ce n'est qu'ensuite qu'il le reverse au compte BEAC. Cette opération pour le moins complexe, recèle une caractéristique: c'est la France qui juge de l'opportunité du refinancement. L'arrimage des fonds PPTE au budget de l'Etat, s'il est avéré, participe donc d'une construction asymétrique de la dépendance, car l'exécution du budget est conditionnée à l'éventualité d'un refinancement par don du trésor français. Cette expression du déficit d'autonomie politique du Cameroun est renforcée par la main mise de l'ensemble de ses créanciers sur l'application des réformes macro-économiques et structurelles. B) La mise en oeuvre des réformes sous la conduite des bailleurs de fonds De l'élaboration à sa mise en oeuvre, les bailleurs de fonds sont impliqués dans le programme d'Initiative PPTE. L'impact de leur intervention dans le processus de prise de décision renforce la négation de l'idée d'une autonomie de gestion par les autorités camerounaises, d'un programme sensé épouser les contours d'une réelle stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. En pratique les réformes préconisées sont mises en oeuvre sur la base d'une promesse de financement; c'est un gage qui donne des marges de manoeuvre aux bailleurs de fonds dans le suivi des projets qu'ils sont appelés à financer. En tant qu'organisations multilatérales, le FMI, le Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement interviennent pour évaluer l'effectivité des réformes; cette intervention se traduit par des missions de surveillance et de contrôle sous forme de revue. Ainsi la crédibilité du Cameroun tient à la validation par ces institutions financières de son programme de réformes macro-économiques et structurelles; il existe à cet égard des baromètres de suivi et d'évaluation. Du coté des autorités camerounaises, il est requis la présentation d'un Mémorandum de Politique Economique et Financière qu'accompagne une lettre d'intention du gouvernement. Ils permettent d'évaluer les progrès accomplis sur le plan économique et structurel, ainsi que les dysfonctionnements à corriger. Ce cadre d'évaluation soumet le Cameroun à l'obligation de rendre compte; cette contrainte est toutefois de nature à produire des effets pervers et à engendrer des postures d'extraversion. A titre d'exemple, le Cameroun veut toujours soigner son image à l'approche d'une mission d'évaluation du FMI soit par une intensification de la lutte contre la corruption, soit par la mise en avant des progrès accomplis, en prenant soin de mâtiner ce qui « fâche ». Cette attitude de diversion cache en réalité des vices de fonctionnement profonds30(*) qui ne contribuent pas à l'effectivité de la bonne gouvernance. Les bailleurs de fonds bilatéraux quant à eux interviennent dans le cadre du Comité Consultatif et du Suivi des ressources PPTE. Créé par décret du 1er décembre 2000, le Comité CCS-PPTE est chargé d'orienter et d'évaluer l'efficacité et l'action de l'Etat en matière de dépense PPTE. Ce qui est significatif ici est le rôle d'ordonnateur de dépense que joue la communauté des bailleurs de fonds dans le décaissement des fonds PPTE. Pourtant en matière budgétaire, seul le ministre des Finances a autorité sur l'ordonnancement budgétaire; c'est lui l'ordonnateur principal, les autres ministres ne le sont qu'à titre secondaire. L'idée que des bailleurs de fonds étrangers donnent leur avis sur le décaissement de fonds convertis en devises nationales, milite en faveur de la thèse du déficit d'autonomie politique des autorités camerounaises; et ce d'autant plus que le septième point du MPEF, consécutif à la troisième revue du FMI en 2007, intègre ces bailleurs aux discussions menées dans le cadre des conférences budgétaires. L'avidité d'obtenir un financement sur fonds D et PPTE, pousse donc les autorités camerounaises à faire des compromissions, qui creusent leur déficit d'autonomie politique, économique et stratégique. * 28 Voir Richard Touna, in dossier: « Cameroun-Fmi, politique de croissance: le Cameroun renégocie l'usage des fonds PPTE »,29/09/2007. Online http://www.cameroonlink.net/fr/dossiers.php * 29 Voir online http://:www.CAA.cm * 30 Il arrive parfois que le Cameroun dresse des rapports sur la situation macro-économique qui n'ont rien à voir avec la réalité. Voir Mutations, « le Cameroun a communiqué de fausses données au Fmi... » |
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