Les enjeux géostratégiques de l'initiative pays pauvres très endettés (PPTE): le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Bruno ATANGANA Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2009 |
Chapitre IV
L'Initiative PPTE est un programme économique et financier qui fait apparaître un seul aspect. : en apparence, ce programme laissait penser qu'il ne s'agissait que d'un allègement de la dette à l'égard des pays pauvres. La réalité est que cet acte de générosité cache beaucoup de pièges et d'obstacles pour les pays concernés. Le caractère inéluctable des conditionnalités liées à ce programme complique davantage sa mise en oeuvre ; les obligations qui en découlent sont des contraintes qui s'étendent au - delà de la seule échéance du point d'achèvement. Avec le nouveau contexte de la crise économique mondiale, les perspectives de la conduite du programme à son terme, notamment à travers l'atteinte des objectifs du millénaire pour le développement, et les conditions de son financement, l'avenir de l'Initiative PPTE est de plus en plus remis en question. Le Cameroun qui se doit de sortir d'un contexte où ses intérêts se jouent à la fluctuation du contexte politico - économique mondial, doit élaborer une stratégie qui renforce son degré d'autonomie pour parer à l'éventualité d'une projection de puissance qui peut se jouer à ses dépens. L'objectif de ce chapitre est de préciser les obstacles qu'il doit franchir pour y parvenir (section I), et le type de stratégie qu'il peut élaborer (section II). Section I : Les obstacles à franchirLes principaux obstacles sont des contraintes qui s'étendent au de-là du point d'achèvement, dernière étape du programme d'allègement de la dette des pays pauvres très endettés. En effet l'Initiative PPTE est un programme dont le financement est assuré en partie par les pays créanciers, l'avènement de la crise financière mondiale est de nature à rendre hypothétique l'effectivité du financement ; le recours au réendettement pour compenser les baisses d'exportation contient le risque d'un statu quo ante du fait du surendettement ; l'avenir de l'Initiative PPTE est donc en question (§ 1). Le Cameroun devra également réévaluer la nature de ses relations avec les institutions de Bretton Woods (§ 2). Paragraphe 1 : l'avenir de l'initiative ppte en questionL'avenir de l'Initiative PPTE pose le problème des conditions de son financement (A), et du risque de surendettement des pays pauvres du fait de la crise financière mondiale (B). A) Les conditions de son financement
L'Initiative PPTE est financée à travers des modalités de compensations opérées par les pays donateurs, il est en effet ouvert un fonds dans lequel contribuent les pays riches engagés à l'annulation de la dette, et les institutions financières multilatérales. Les sommes ainsi collectées sont placées sur les marchés financiers dans le but de gonfler la bulle spéculative ; les bénéfices perçus sont destinés à financer les allègements de dette. Ainsi le mécanisme de financement du fonds est lié à la capacité de chaque partie prenante à contribuer. En principe les modalités de contribution ne sont pas déterminées, elles ne sont non plus contraignantes. Pour ce qui est des institutions financières multilatérales, notamment le FMI et la Banque Mondiale, le financement obéit à des modalités particulières. La Banque Mondiale et l'IDA d'une part ont créé le Trust Fund qui sert à financer l'Initiative PPTE ; il se caractérise de deux composantes : il rembourse l'IDA pour l'Initiative PPTE, ce qui consiste à réaliser des transferts à partir des revenus nets de la Banque mondiale. Le Trust Fund quant à lui, utilise les contributions de donateurs (bailleurs de fonds multilatéraux régionaux et sous-régionaux) pour financer l'Initiative. De son coté le FMI dispose d'un Fonds fiduciaire appelée FRPC-PPTE créé pour financer des allègements de dette au titre de l'Initiative PPTE et bonifier les taux d'intérêts des prêts FRPC pendant la période 2002-2005. Leurs ressources disponibles sont essentiellement constituées des dons et des dépôts de 93 pays membres, ainsi que des contributeurs de l'institutions même. La contribution du FMI provient pour l'essentiel des revenus de placement du produit net des ventes d'or hors marché effectuées en 1999-2000. Cependant ces conditions de financement débouchent sur deux obstacles : tout d'abord les pays créanciers contribuent de manière moins significative à l'Initiative PPTE, situation que le FMI attribue à des contraintes politiques et juridiques et à une méconnaissance du dispositif de l'Initiative PPTE. Dans le même temps les créanciers commerciaux ne sont pas toujours disposés à contribuer au financement de ce programme ; d'ailleurs nombre d'entre eux ont entamé des poursuites judiciaires contre certains pays pauvres très endettés au rang desquels le Cameroun, dans l'optique de réclamer le remboursement de leur crédit. Le deuxième obstacle est lié à la conjoncture ; en effet le financement de l'Initiative PPTE dépend en grande partie de la contribution des Etats créanciers, elle-même liée à la situation économique. Selon le rapport 2008 de l'OCDE, plusieurs pays européens sont entrés en récession en 2008 ou vont l'être au courant de l'année 2009 ; c'est le cas de la France, l'Allemagne, la Grande Bretagne, l'Espagne etc. Cette récession touche également les Etats-Unis et le Japon55(*). La situation économique désastreuse que connaissent ces pays depuis la chute du crack boursier aux USA et la propagation de la crise financière au niveau mondial56(*), amène à s'interroger sur les chances d'un financement continu de l'Initiative PPTE et la capacité des créanciers à honorer leurs engagements. Le Cameroun comme certains autres pays pauvres très endettés a signé des accords d'annulation de dette avec les pays créanciers, mais cette annulation n'est pas automatique ; elle est assujettie aux mécanismes de compensation décrit plus haut. Pour que les pays pauvres aient la pleine mesure de ces allègements de dette, il faut que les mécanismes de compensation soient complétés. B) Le risque de réendettement et de surendettement Dans le Mémorandum de Politique Economique et Financière marquant la cinquième revue du FMI, il est prescrit au Cameroun un endettement à des conditions concessionnelles. Selon le FMI, il s'agit d'une technique qui permet de contrôler le niveau de la dette du pays pour éviter le surendettement. En réalité le fondement du problème est ailleurs : en effet le surendettement survient lorsque le pays devient incapable d'assurer le service de sa dette. D'après les modalités d'évaluation du surendettement prévu dans le cadre de l'Initiative PPTE, le niveau de la dette est fonction des recettes budgétaires (ratio dette / recettes budgétaires) ou en fonction des exportations (ratio dette/recettes d'exportation). A partir de la deuxième modalité, on peut évaluer la capacité du Cameroun à maintenir un service de la dette continu sur le moyen terme57(*), du fait du risque de la chute de ses exportations. Le niveau des exportations est fonction de la capacité industrielle du pays et du contexte du marché mondial. L'économie camerounaise repose essentiellement sur l'exportation des matières premières ; il s'agit notamment de l'exportation de la banane du riz, du bois du cacao, du café. Le pays est aussi producteur de pétrole moyen, c'est d'ailleurs à partir des recettes pétrolières qu'il doit rembourser sa dette intérieure et sa dette extérieure. Or depuis l'avènement de la crise financière mondiale, les produits des matières premières ont connu une chute exponentielle. En ce qui concerne les cours du pétrole, ils ont chuté de 147,27 dollars le 11 Juillet 2007 à 40,50 dollars le 16 décembre 200858(*). Cette chute brutale des cours aura des effets sur les budgets des producteurs de pétrole ; le déficit ainsi créé entraînera des recours à un endettement pour combler le manque à gagner. De plus la perspective d'une application des Accords de Partenariat Economique aura pour conséquence la réduction des recettes douanières de l'Etat, la fragilisation des entreprises locales, le chômage etc. même si les projections de croissance de l'économie camerounaise s'établissent autour de 4% au cours des trois prochaines années59(*), le risque de réendettement est fort probable. Toute chose étant égale, les mêmes causes produisent les mêmes effets ; la crise des années 1980 consécutive à la détérioration des termes de l'échange et celle des années 1990 liée à la dévaluation du Fcfa, ont toutes entraîné un surendettement du Cameroun. De la même manière, avec la crise financière mondiale actuelle, le risque de surendettement est élevé. En fin de compte, il est fort possible que l'Initiative PPTE ne produise pas l'effet escompté sur le moyen terme, à savoir le désendettement des Pays Pauvres Très Endettés ; son effet ne pourrait donc être que de courte durée. L'autre obstacle est l'emprise que les institutions de Bretton Woods exercent sur le Cameroun depuis que le pays a été mis sous ajustement structurel à la fin des années 80' ; le spectre de l'aide-crédit concessionnel en constitue la principale modalité. * 55 Voir les données de la Réserve Fédérale américaine et de la Banque du Japon * 56 Le FMI table sur une croissance mondiale de 0,5`% en 2009. Voir rapport 2008 du FMI sur l'état de l'économie mondiale en 2009. * 57 Il faut remarquer que toute la dette du Cameroun n'est pas annulée dans le cadre de l'Initiative PPTE. Ce programme représente juste une mesure de souplesse qui, mal gérée, peut conduire à un surendettement. * 58 Voir Jeune Afrique N 2502-2503 du 21 Décembre au 3 Janvier 2009 * 59 Voir rapport du FMI sur le Cameroun in Mémorandum de Politique Economique et Financière |
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