A. DES EXEMPLES DE CRISES ET VIDES INSTITUTIONNELS
Après la chute du Président Jean-Claude DUVALIER
en Février 1986, il a fallu repenser le système politique
haïtien. Pour arriver à un système politique nouveau, il a
fallu d'abord l'adoption d'une nouvelle Constitution prenant en
considération les aspirations du Peuple. Donc, l'une des missions
essentielles du Conseil National de Gouvernement (CNG) était d'assurer
qu'une nouvelle Constitution soit adoptée en vue d'une nouvelle
réglementation de la vie politique.
Le 10 Mars 1987, soit un peu plus d'un an après le
départ du Président Jean-Claude DUVALIER, l'Assemblée
Nationale Constituante a voté le texte final de la
Constitution154
153 Le Président René PREVAL a dit constater la
caducité du Parlement le 11 Janvier 1999 dans un message adressé
à la population sur la Télévision Nationale d'Haïti,
pour justifier le renvoi des parlementaires dont le mandat devrait prendre fin
en Janvier 2001. C'est le départ des élus de Juin et Septembre
1995. Le Président de la République a annoncé le vide
institutionnel et a appris que Jacques E. ALEXIS allait former son
Gouvernement. Cf. Le Nouvelliste du Mardi 12 Janvier 1999,
no 35 632, page 16.
qui allait être soumis à référendum
le 29 Mars 1987155. Le Peuple a reçu favorablement la
nouvelle Constitution et elle a été tardivement
publiée156 dans le journal officiel de la République,
Le Moniteur, le Mardi 28 Avril 1987 par le CNG.
En dépit de l'adoption définitive par voie
référendaire de la nouvelle Constitution, le pays a du mal
à entrer dans la normalité institutionnelle.157 En
conséquence, le nouveau système politique qui devrait s'implanter
par la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution n'a pas pu atteindre son
stade de maturité et reste aujourd'hui encore à l'état
embryonnaire. Cela est dû au fait que l'instabilité politique
vient presque toujours, par intermittence, entrecouper les tentatives de mise
en oeuvre de la Constitution en vue de l'implantation du nouveau système
politique en créant presque constamment des crises et des vides
institutionnels.
Pour nous en convaincre, le Parlement occupe
l'épicentre du nouveau régime constitutionnel de 1987. Or, faute
de continuité institutionnelle, le Parlement n'a pas encore pris sa
place d'institution-clé dans la « pratique » du régime
et dans l'opinion. Sous l'égide de la Constitution de 1987, le pays a
trop fonctionné sans le Parlement. Quand ce dernier fonctionne, il reste
fort souvent en deçà de ses prérogatives
constitutionnelles, parfois même inopérant et les
législatures ne se succèdent pas dans la continuité
institutionnelle.
Sous l'égide de la Constitution de 1987, la
première tentative d'organisation d'élections
générales a eu lieu le 29 Novembre 1987. Ces élections
n'ont pas abouti158. De nouvelles élections ont
été organisées le 17 Janvier 1988. Ces élections
ont accusé un faible taux de participation de la population et ont
été, pour le moins, largement contestées par une bonne
partie de la classe politique159. Toutefois, elles ont eu le
mérite de donner au pays le premier Président élu sous
l'empire de la nouvelle Constitution. Du même coup, elles ont permis
l'avènement de la 44e Législature. D'où, le
début de la mise en place du nouveau système politique retenu.
154 Le Nouvelliste du Mardi 10 Mars 1987, no
32 848, page 1.
155 Le Nouvelliste du Lundi 30 Mars 1987, no
32 965, page 1. Plus de 99% de OUI au référendum sur la
Constitution.
156 L'article 298 de la Constitution dispose qu'elle devrait
être publiée dans la quinzaine de sa ratification par voie
référendaire.
157 En témoignent le livre de Claude Moise intitulé
« Une Constitution dans la tourmente » et celui de Pierre
Raymond Dumas intitulé « La transition qui n'en finit pas
».
158 Le Nouvelliste du Lundi 30 Novembre 1987,
no 33 142 (29 Novembre : Dimanche d'horreur et de terreur). Ce, en
dépit du fait que le Général REGALA a promis que
l'Armée aura garanti l'ordre au cours des opérations
électorales (Le Nouvelliste du Vendredi 27 Novembre 1987,
no 33 141). Le CNG dissout le CEP. Voir Le Moniteur du
Dimanche 29 Novembre 1987, no 97.
159 Faible taux de participation aux élections du 17
Janvier (Le Nouvelliste du Lundi 18 Janvier 1988, no 33
175)
En revanche, l'instabilité politique allait tout
gâcher. Le Président de la République, Lesly F. MANIGAT, et
la 44e Législature n'ont pas tenu six (6) mois, car
emportés par un coup d'Etat du Général Henri NAMPHY en
Juin 1988160. En Septembre de la même année, on a
enregistré un coup d'Etat, dirigé par le Général
Prosper AVRIL, dans le coup d'Etat161. Ainsi, de Juin 1988 à
Janvier 1991, le pays a connu le vide institutionnel ; il a fonctionné
sans le Parlement.
Le 16 Décembre 1990, de nouvelles élections
générales ont été organisées dans le pays.
Elles ont permis l'accession au pouvoir de Jean-Bertrand ARISTIDE et
l'avènement de la 45e Législature162.
Un bras de fer allait opposer le Président de la
République et le Parlement sur la personne de René PREVAL comme
Premier Ministre. Alors que le cadre constitutionnel proprement dit fait du
Parlement l'épicentre du nouveau régime, la 45e
Législature n'a pas pu permettre déjà à
l'institution parlementaire de prendre cette place dominante dans la «
pratique » du régime et dans l'opinion. Depuis le départ du
Président Jean-Claude DUVALIER en 1986, le Peuple a toujours vu les
organes exécutifs de l'Etat occupés, mais la coutume
parlementaire fait défaut. Donc, à ce moment, la majeure partie
de la population a perçu le Parlement plus comme un organe de «
blocage » que toute autre chose. Qui plus est, le Président de la
République, Jean-Bertrand ARISTIDE, a été pratiquement au
sommet de sa gloire.
En dépit de tout, le Parlement a voulu exercer sa
fonction de contrôle de l'action gouvernementale. En effet, suite
à une série de mécontentements, le Premier Ministre
René PREVAL a été interpellé le 13 Août 1991
par la Chambre des Députés. Cependant, la Chambre a dû
reculer en ajournant le vote sur la motion de censure. Or, à l'issu de
toute interpellation, doit intervenir un vote ; elle aboutit à un vote
de confiance ou de censure.163 Donc, le bras de fer entre
l'Exécutif et le Parlement a amené ce dernier à passer en
marge de la Constitution pour éviter le « Coup d'Etat du Peuple
».164
160 Dans la nuit de Dimanche, l'Armée renverse le
Président Lesly MANIGAT et constitue un Gouvernement militaire (Le
Nouvelliste du Mardi 21 Juin 1988, no 33 289). Proclamation du
Lieutenant-Général Henri NAMPHY, Président du Gouvernement
militaire et décret portant dissolution du Sénat et de la Chambre
(Le Moniteur du Lundi 20 Juin 1988, no 54).
161 Proclamation du 17 Septembre 1988 du Gouvernement militaire,
Lieutenant-Général Prosper AVRIL, Président (Le
Nouvelliste du Mardi 20 Septembre 1988, no 33 352).
162 Le Nouvelliste du Vendredi 14 au Dimanche 16
Décembre 1990, no 33 959).
163 Art. 129-3, Constitution de 1987.
164 Claude MOISE, Le Pouvoir Législatif dans...op.
cit., page 121.
Par suite, le 30 Septembre 1991 un coup d'Etat militaire a
emporté le Président Jean-Bertrand ARISTIDE. La 45e
Législature est restée en place, mais on l'aura compris, cette
dernière est restée pendant longtemps inopérante.
Entre Juin et Septembre 1995 des élections ont
été organisées ; la Chambre est renouvelée et le
Sénat est complété. Le Parlement rentre en fonction
à la fin de l'année 1995. C'est le début de la
46e Législature.
Par la suite, des élections n'ont jamais pu être
organisées. En Janvier 1999, le Président de la République
René PREVAL a dit constater la caducité du Parlement dans un
message adressé à la population sur la chaîne publique et
en a profiter pour renvoyer le reste des parlementaires dont le mandat
n'était pas pour autant arrivé à terme. Donc, un nouveau
vide institutionnel en a découlé. Entre-temps, le pays fonctionne
sans Premier Ministre depuis Juin 1997, suite à la démission du
Gouvernement de Rosny SMARTH, fatigué de gérer les affaires
courantes. En peu de mots, le régime a plongé dans un
véritable désordre institutionnel et cette situation ne tend
guère à renforcer l'institution parlementaire. Elle donne de
préférence libre cours à des élans de
présidentialisme que l'on croyait à jamais révolu.
Il a fallu attendre 21 Mai 2000 pour voir de nouvelles
élections organisées dans le pays. Elles ont permis, entre
autres, l'avènement de la 47e Législature.
Entre-temps, le Sénat n'a jamais pu être renouvelé.
Les événements du 29 Février 2004 ont
emporté le Président de la République, Jean-Bertrand
ARISTIDE, ainsi que la 47e Législature. De Mars 2004 à
Avril 2006, le pays a de nouveau fonctionné sans le Parlement. Le
Président de la Cour de Cassation, Me Boniface ALEXANDRE, a passé
plus de 90 jours à occuper provisoirement la fonction
présidentielle. De son côté, le Premier Ministre
Gérard LATORTUE a fonctionné sans le Parlement pour
contrôler l'action de son Gouvernement.
Le 7 Février 2006, de nouvelles élections
générales ont été organisées. Elles ont
permis l'accession au pouvoir de René PREVAL une nouvelle fois et
l'avènement de la 48e Législature. Après les
élections générales de 2006, il a fallu attendre Avril et
Juin 2009 pour l'organisation des élections sénatoriales
partielles en vue du renouvellement du tiers du Sénat et l'on s'achemine
tout droit vers l'amputation d'un nouveau tiers des membres de ladite
Assemblée. D'où, un nouveau vide institutionnel pointe à
l'horizon et on peut craindre le pire si de nouvelles élections ne sont
pas organisées dans les mois qui viennent.
On l'aura compris, des crises et vides institutionnels
constituent le lot quotidien de la « pratique » du régime,
fortement marquée par la discontinuité institutionnelle. Cette
situation contribue à affaiblir l'institution parlementaire et à
donner libre cours à des élans de présidentialisme en
dépit du cadre constitutionnel qui fait du Parlement l'épicentre
du régime.
Certains observateurs pourraient avancer que, depuis 1987, le
régime a du mal à fonctionner dans la continuité
institutionnelle, parce qu'il est tout simplement inadaptable sinon
inapplicable.
Sans pour autant prendre d'emblée le contre-pied de ce
point de vue, nous avançons de préférence qu'on ne peut
pas encore tester de l'inadaptabilité ou de l'inapplicabilité du
régime puisqu'il n'a jamais été mis en place totalement.
D'ailleurs, la Constitution de 1987 a su s'imposer dans la
durée.165 Nous trouvons qu'il est plus judicieux de voir dans
l'épineux problème de l'instabilité politique et celui de
la faiblesse des institutions des variables explicatives du
phénomène de la discontinuité institutionnelle
plutôt que de considérer que le régime est inadaptable ou
inapplicable avant même de le tester au moyen de sa mise en oeuvre
complète.
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