UNIVERSITÉ D'ÉTAT
D'HAÏTI UEH FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES
ECONOMIQUES Port-au-Prince, Haïti Sujet
:
La puissance quasi-illimitée du Parlement et la
fragilité de la suprématie de la Constitution de
1987
Mémoire présenté et soutenu par
l'étudiant : Destin JEAN Pour l'obtention du grade de
licencié en droit Sous la direction du professeur : Camille Junior
EDOUARD Promotion CEDRUS 2004 -2008
« C'est une expérience éternelle que
tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il va
jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait ? La vertu même
a besoin de limites. »
Montesquieu, l'Esprit des lois.
« Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut
que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.
»
Montesquieu, l'esprit des lois.
« Toute société dans laquelle la garantie
des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de Constitution. »
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789, art. 16.
« L'ordre juridique n'est pas un système de
normes juridiques placées au même rang, mais un édifice
à plusieurs étages superposées, une pyramide ou une
hiérarchie formée d'un certain nombre d'étages ou couches
de normes successives. »
Théorie de la hiérarchie pyramidale des normes,
Hans KELSEN.
DEDICACE
Je fais hommage de ce travail de recherche académique
aux élites éclairées de ce pays et à tous les
juristes du monde entier, plus particulièrement, aux juristes
haïtiens qui, d'une façon ou d'une autre, font la promotion du
droit en Haïti.
REMERCIEMENTS
Qu'il me soit permis, in limine, d'exprimer toute ma
gratitude à l'endroit de l'Etre Suprême, l'avocat par excellence,
qui m'a tout donné et qui me promet de connaître encore des jours
plus heureux.
Je remercie tous mes parents qui, un jour ou l'autre, m'ont
aidé d'une quelconque manière. Mes remerciements vont
particulièrement à l'endroit de mon incomparable mère,
madame Raymonde CALIXTE, qui n'a jamais cessé de me chérir, de
m'encourager et de me soutenir à tous les points de vue. Elle n'a jamais
raté une occasion de me témoigner sa fierté ; c'est alors
pour moi une occasion de lui témoigner toute ma reconnaissance.
Mes remerciements vont également à l'endroit des
responsables de la FDSE, particulièrement au doyen, le professeur
Gélin Imanès COLLOT et le vice-doyen, chef du Département
des Sciences juridiques, le professeur Elie MEUS, qui ont compris la
nécessité de faciliter les étudiants
intéressés à trouver l'encadrement méthodologique
nécessaire en vue de la production de leur travail de 1er
cycle universitaire dans un délai plus ou moins acceptable.
Je tiens à remercier très chaleureusement mon
directeur de mémoire, professeur Camille Jr EDOUARD, qui a
accepté de m'encadrer le jour même de notre première
rencontre à la salle des Pas Perdus par le truchement de Gennifer
ALCERO. Il manque de disponibilité, mais il trouve toujours un moyen
pour me rencontrer. Sa rigueur, son esprit critique et son côté
intellectuellement exigeant m'ont aidé à préparer et
à présenter un travail académique d'une certaine facture.
Ses félicitations répétées et ses mots
d'encouragement ont renforcé mes convictions personnelles en ma
prédisposition à l'étude du droit et ma certitude de
vouloir aller jusqu'au bout de mes études de droit. Sans qu'il ne le
sache, il m'inspire. Qu'il en soit alors à nouveau remercié.
A l'avocate canadienne, Me Marie-Claude DESJARDINS, je
témoigne aussi ma reconnaissance. En dépit de la distance et de
ses préoccupations universitaires personnelles, elle ne se faisait pas
prier pour faire une analyse critique de mon travail. Ses précieux
conseils méthodologiques et ses compliments sur la qualité de mes
raisonnements et le niveau d'analyse ont porté à croire qu'elle a
indéniablement lu et scruté mon travail. J'ai utilisé
ses
remarques pour apporter de la valeur ajoutée à
mon travail. A l'instar de mon directeur de mémoire, elle m'a
encouragé à entreprendre des études supérieures de
droit. Qu'elle en soit fière lorsque, le moment venu, j'aurai
effectivement entamé lesdites études.
Nous remercions d'une façon spéciale professeur
Josué PIERRE-LOUIS qui, en dépit de ses multiples occupations, a
accepté volontiers de parcourir notre travail de recherche
académique.
Nos sincères remerciements vont aussi au professeur
Patrick PIERRE-LOUIS, mon professeur de droit constitutionnel. Il m'a
donné les premiers enseignements de cette matière que je
reconnais difficile. Malgré ses différentes occupations, dont la
production d'un nouveau livre, il a accepté de parcourir la substance de
mon travail.
Enfin, je remercie tous mes camarades de promotion avec qui
j'ai l'habitude de discuter passionnément des questions de pur droit.
Ils ont indirectement contribué à m'inciter à produire le
plus rapidement possible ce présent mémoire.
ABREVIATIONS ET SIGLES
al. alinéa
art. article
BEC Bureau électoral communal
c.-à-d. c'est-à-dire
C.C. Conseil constitutionnel
CEP Conseil électoral permanent
Cf. confer (se reporter à)
chap. chapitre
CNG Conseil national de Gouvernement
Const. Constitution
CSC/CA Cour supérieure des Comptes et du Contentieux
administratif
DUDH Déclaration universelle des droits de l'Homme (10
Décembre 1948)
éd. édition
ex. exemple
ERPI Editions du Renouveau pédagogique inc.
FDSE Faculté de Droit et des Sciences Economiques
GDF Gaz de France
HCJ Haute Cour de Justice
ibid. ibidem (au même endroit d'un texte)
id. idem (de même)
JO Journal officiel
L.G.D.J. Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence
OMIJ Observatoire des mutations institutionnelles et
juridiques
op. cit. opere citato (oeuvre déjà
citée)
p. page
P-A-P Port-au-Prince
P.U.F. Presses universitaires de France
sect. section
U.E.H. Université d'Etat d'Haïti
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE
Les Pouvoirs publics sous le régime
constitutionnel de 1987 : déséquilibre au profit
du Parlement
Chapitre premier
Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif :
fondements et organisation Section I.- Le Pouvoir
Législatif : composition, fonctions et privilèges
Section II.- Le Pouvoir Exécutif entre
légitimité populaire et consécration parlementaire
Chapitre 2
Le régime politique institué par la Constitution
de 1987 : mauvaise articulation du cadre constitutionnel et de la pratique
politique
Section I.- Des rapports
déséquilibrés entre les pouvoirs publics constitutionnels
Section II.- La nature et la « pratique » du
régime : controverses et dichotomie
DEUXIEME PARTIE
L'encadrement juridique insuffisant des pouvoirs du
Parlement : problématique de l'autorité de la Constitution de
1987
Chapitre 3 La puissance
législative quasi-illimitée du Parlement : causes et
implications
Section I.- Des prérogatives de
législation quasi-illimitées du Parlement
Section II.- Des risques de
dérèglement institutionnel et la fragilisation des
libertés fondamentales
Chapitre 4
La suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou
réalité ? Section I.- Quelques raisons de la
suprématie présumée de la Constitution de 1987
Section II.- L'autorité de la Constitution de 1987 :
une suprématie mal assurée
INTRODUCTION GENERALE
Traditionnellement, le système politique haïtien
porte la marque du présidentialisme. Ce présidentialisme
traditionnel consiste dans l'hégémonie du Président de la
République et l'affaiblissement corrélatif du Parlement. Donc, il
s'agit d'un système politique dans lequel l'équilibre politique
penche en faveur du Président de la République dont
l'hégémonie frise même souvent la dictature.
Après la chute du Président Jean-Claude DUVALIER
en Février 1986, il a fallu repenser le système politique
haïtien. Pour arriver à un système politique nouveau, il a
fallu d'abord l'adoption d'une nouvelle Constitution prenant en
considération les aspirations du Peuple. Dans cette optique, on l'aura
vitement compris, la Constitution de 1987 est établie dans une
perspective de rupture avec le régime présidentialiste. Dans le
contexte historique, ce qui importait, entre autres, c'est de forger un
Président de la République «
édenté1 ». Pour emprunter une phraséologie
chère à l'historien Claude Moise, il s'agissait d'une «
défiance constitutionnelle vis-à-vis du présidentialisme
traditionnel2 ». Pour renchérir, professeur
Mirlande MANIGAT avance qu' « en rejetant le présidentialisme
haïtien, la Constitution de 1987 permet d'éviter l'autocratie et le
pouvoir personnel3 ».
Par conséquent, la ratification du texte
constitutionnel par le Peuple haïtien le 29 Mars 1987 se veut avant tout
un acte de rejet. C'est le rejet d'un système politique qui a fait son
temps et que l'on croyait à jamais révolu. Vu la soif de
démocratie et le symbolisme de la chute de Février 1986, le
Peuple n'a pas voulu que soit possible la restauration du statu quo ante.
C'est le cas de dire que le régime de dictature des DUVALIER,
particulièrement, effrayait une bonne partie de la population et a
également laissé des souvenirs troublants.
Les constituants de 1987 étaient convaincus, à
juste titre, qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un
pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme, annihilant ainsi les
libertés
1 Se réjouissant d'avoir limité
excessivement le pouvoir du Chef de l'Etat, le constituant Louis ROY
déclare : « Nous avons enlevé les dents du
Président de la République de sorte qu'il ne puisse mordre
». Voir Georges MICHEL, Souvenir d'un constituant, page 138
(cité par Guichard DORE dans un article publié dans les colonnes
du journal « Le Matin » du Vendredi 06 Mars 2009,
no 34048).
2 Passage tiré de ses réflexions sur
la révision de la Constitution de 1987, disponible sur le lien
http://groups.google.com/group/soc.culture.haiti.
La page est consultée le 22 Juillet 2008.
3 Propos tenus lors d'un colloque international
organisé à l'Université Quisqueya les 28 et 29 Avril 1997
sous le thème : « La Constitution et les droits de l'homme
». Le texte du colloque est disponible sur le lien
http://www.un.org/rigths/micivih/renforfr.htm.
La page est consultée le 20 Juin 2008.
fondamentales. D'où, le fondement de leur
volonté de tenter d'éviter le retour au présidentialisme
traditionnel et renforcer corrélativement les pouvoirs du Parlement. Des
pouvoirs très étendus sont accordés au Parlement, alors
que l'Exécutif est complètement encadré en ce qu'il ne
constitue pas un contrepoids réel et efficace à la
toute-puissance du Parlement. L'organisation institutionnelle du nouveau
régime de 1987 fait du Parlement l'organe central du pouvoir politique
dans le système constitutionnel haïtien. D'où, un revirement
brutal venant bouleverser l'architecture institutionnelle traditionnelle
d'Haïti.
A. PROBLEMATIQUE ET CADRE THEORIQUE
A bien comprendre la tendance dominante de l'époque
après-1986 et les mécanismes institutionnels du nouveau
régime, l'on se demande à bon droit s'il ne s'agissait pas moins
d'instituer un régime efficace et plus démocratique que de
l'instituer contre le Président de la République4.
En effet, une analyse exhaustive des mécanismes
institutionnels du nouveau régime porte à comprendre, du moins
sur le plan théorique que le résultat est atteint en ce sens
qu'une application rigoureuse de la Constitution de 1987 aura
préservé le Peuple d'un éventuel retour au
présidentialisme traditionnel. Néanmoins, notre
préoccupation reste à savoir si des anomalies constitutionnelles
n'ont pas été tentées d'être corrigées par
d'autres anomalies constitutionnelles.
Selon les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER : «
Le droit constitutionnel a connu depuis le XVIIIe siècle une
évolution considérable. Il n'a plus seulement pour objet
l'organisation de l'Etat et n'a plus seulement pour fin la limitation du
pouvoir et la garantie de la liberté, mais concerne des domaines sans
cesse plus variés et plus nombreux. Cette évolution s'explique
aisément par la hiérarchie des normes : chaque norme trouve le
fondement de sa validité dans une norme supérieure, à
laquelle elle doit être conforme5. » Plus loin, ils
avancent : « Les hommes qui exercent le pouvoir politique n'exercent pas
un pouvoir
4 Pour ce questionnement spécifique, je me
suis inspiré du mémoire réalisé par
l'étudiant Garry Frantz Cy JEAN-PIERRE, intitulé : La
Constitution de 1987, une charte fondamentale contre le Président de la
République, no 001216 j, JEA, 2002.
5 HAMON, TROPER 2003, page 22.
propre, mais une compétence. [...] La Constitution est
alors l'organisation générale du pouvoir, qui résulte de
la répartition des compétences entre les organes6.
»
Donc, à bien comprendre cet enseignement, on peut
avancer que la Constitution, en tant que code des Pouvoirs publics et charte
des libertés, est placée au sommet de la hiérarchie des
normes juridiques de sorte qu'elle fonde la validité des autres normes
juridiques. Par ailleurs, une sanction de cette suprématie est mise en
place, car la garantie de la suprématie de la Constitution est
fondamentale à la formation de l'Etat de droit.
Ce travail de recherche académique s'inspire aussi des
techniques démocratiques de Séparation des Pouvoirs. Ces
techniques donnent naissance aux régimes de Séparation des
Pouvoirs découlant de la théorie de la Séparation des
Pouvoirs élaborée par les philosophes des Lumières,
inspirés à titre principal des travaux de John LOCKE.
L'objectif visé par la théorie est
d'éviter le retour à la concentration des pouvoirs dans les mains
d'un seul : « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par
la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir7.
»
La Séparation des Pouvoirs ne signifie pas leur
isolement. Montesquieu précise que le Législatif et
l'Exécutif ont la faculté d' « empêcher » et
celle de « statuer ». Donc, chaque instance titulaire d'un pouvoir
politique possède deux facultés : celle d' « agir » et
celle
d' « empêcher ». Ces instances sont ainsi
contraintes de collaborer pour travailler, tout en se contrôlant
mutuellement, ce qui réduit le risque d'abus. Finalement, la
Séparation des Pouvoirs postule l'équilibre des
pouvoirs8.
De plus, Carré de MALBERG eut à avancer : «
Tout pouvoir institué est par essence limité et ne
saurait être considéré comme souverain. » Plus loin,
il avance : « L'idée de la souveraineté nationale renferme
des règles qui déterminent et bornent la puissance des
Assemblées constituées9. »
Le rejet du système politique ancien, pour
éviter les éventuelles tentatives de dérive dictatoriale,
s'est formalisé par la ratification, le 29 Mars 1987, de la Constitution
de 1987.
6 Idem, page 22.
7 Montesquieu, l'Esprit des Lois.
8 COLLINET 1999, pages 17 et 18.
9 Contribution à la théorie
générale de l'Etat, page 616 in Chevalier, page 33
(cité par le professeur Monferrier DORVAL lors d'un colloque
international tenu à l'Université Quisqueya sous le thème
: « La Constitution de 1987 et les droits de l'homme » les
28 et 29 Avril 1997.
Cette dernière est affirmée comme la norme
suprême de l'Etat. Une sanction de cette suprématie est mise en
place. La Constitution de 1987, préserve-t-elle pour autant les citoyens
d'un accroissement des pouvoirs de leurs délégués ?
En tout état de cause, à bien cerner les
mécanismes institutionnels du nouveau régime et la substance de
la littérature juridique relative à cet objet d'étude, on
peut avancer que le régime est déséquilibré au
profit du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte
le propre des logiques institutionnelles du régime. Néanmoins,
à côté de ce état de fait, les pouvoirs du Parlement
peuvent aller grandissants. Il lui est loisible d'étendre sa
sphère d'influence et d'intervention. D'où, un déficit
d'encadrement juridique des pouvoirs du Parlement.
En effet, l'article 93 de la Constitution de 1987,
énumérant des attributions de la Chambre des
Députés, dispose in fine que « les autres
attributions de la Chambre des Députés lui sont assignées
par la Constitution et par la loi ». De son côté,
l'article 97, énumérant des attributions du Sénat, dispose
in fine qu'il peut « exercer toutes attributions qui lui sont
assignées par la présente Constitution et par la loi ».
Or, n'est-il pas de la compétence du Parlement de faire les lois ?
Jusqu'où peut-il aller dans l'élargissement de ses pouvoirs ?
Dans le régime constitutionnel de 1987, ne revient-il pas au Parlement
de s'imposer des limites hypothéquant ainsi la stabilité des
logiques institutionnelles du régime et favorisant la fragilisation des
libertés fondamentales ?
Cette faculté accordée implicitement au
Parlement d'étendre sa sphère d'influence et d'intervention est,
entre autres, une arme potentiellement utilisable contre les logiques
institutionnelles du régime. De surcroît, cette faculté
n'est pas tempérée par des contrepouvoirs réels et
efficaces. Or, selon le maître Montesquieu : « C'est une
expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est
porté à en abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des
limites10 ». Puisqu'il s'agit d'un pouvoir sans bornes,
rien n'empêche au Parlement de rendre le régime institué
encore plus déséquilibré en sa faveur. D'où, une
négation de la notion d'équilibre postulée par le principe
de la Séparation des Pouvoirs qui, pourtant, est consacré
solennellement à l'article 59 in fine de la Constitution de
1987.
Au lieu d'imposer lui-même les moyens et
mécanismes de la stabilité des logiques institutionnelles du
régime, le constituant a préféré s'en remettre
à la vertu présumée du
10 Passage tiré de son oeuvre magistral,
l'Esprit des Lois.
Parlement oubliant ainsi que cela n'est pas sans incidences
sur le niveau de protection des libertés fondamentales. Or, c'est, entre
autres, le propre de toute Constitution de limiter ou de contrebalancer les
prérogatives des Pouvoirs institués ; c'est une condition
essentielle et une garantie de protection des libertés fondamentales.
C'est d'ailleurs la substance même de l'article 16 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en
France.11
En définitive, les constituants de 1987, à trop
vouloir éviter le retour au présidentialisme traditionnel,
n'ont-ils pas accordé au Parlement une omnipotence qui compromet dans
l'oeuf le niveau de protection nécessaire aux libertés
fondamentales ? La protection des droits et libertés des citoyens
n'a-t-elle pas été toujours considérée comme un
acquis du nouveau régime institué par la Constitution ? Tout au
moins, le rejet du présidentialisme traditionnel pour éviter les
dérives dictatoriales, n'a-t-il pas eu pour fin ultime une meilleure
protection des libertés fondamentales ? Ainsi, n'est-on pas en
présence d'un paradoxe du régime ?
En souvenir de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen du 26 Août 178912 et de Carré de
Malberg13, on pourrait être tenté de faire valoir, avec
véhémence, que « la loi est l'expression de la
volonté générale ». Donc, n'importe quelle loi
adoptée par le Parlement, à la limite même liberticide, est
présumée refléter la volonté
générale. De plus, en l'espèce, c'est sur l'invitation du
constituant que la loi est appelée à accorder d'autres
attributions au Sénat et à la Chambre. A priori, cette
position paraît fondée, mais c'est là oublier que «
la loi n'est l'expression de la volonté générale que
dans le respect de la Constitution14 ».
Le Sénat et la Chambre des Députés
peuvent étendre leur sphère d'influence et d'invention, par voie
législative ordinaire, sur invitation du constituant. Par contre, la
Constitution de 1987 a affirmé sa suprématie en prévoyant
un contrôle de constitutionnalité des lois et ces dernières
fondent la validité des règlements de l'Exécutif et de
l'Administration. De plus, elle prévoit la constitutionnalité des
conventions, traités ou accords internationaux. Par conséquent,
d'aucuns pourraient être tentés d'avancer que les
débordements éventuels des pouvoirs du Parlement peuvent
être relégués au rang des abstractions. Puisque la
Constitution est la norme suprême de l'Etat, toutes les autres normes
11 L'article 16 dispose : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas
assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée,
n'a point de Constitution ».
12 Voir l'article 6 in limine.
13 « La loi, expression de la volonté
générale », Editions Sirey, Paris, 1931, page 215
(cité par Dominique TURPIN dans son ouvrage intitulé : «
Contentieux constitutionnel », 1ère
édition, P.U.F., Paris, 1986, page 15).
14 Conseil constitutionnel - Décision
no 85-197 DC du 23 Août 1985.
juridiques doivent lui être conformes. D'où,
l'organisation institutionnelle du régime sera préservée
et les libertés publiques sont efficacement protégées.
A cela, nous répondons que, certes, la
suprématie de la Constitution de 1987 est affirmée. Cependant, la
garantie de cette suprématie est-elle pour autant juridiquement
assurée ? Si la suprématie de la Constitution de 1987 est
consacrée, mais juridiquement mal garantie, le problème reste
entier. Toute l'organisation du pouvoir dans l'Etat peut être mise en
cause, la Constitution peut être vidée de son contenu et les
libertés fondamentales sont fragilisées. Dans ces conditions, la
Séparation des Pouvoirs et l'Etat de droit pourraient être
considérés comme de vains mots.
D'où, la formulation de notre question de départ
: «En encadrant complètement le Pouvoir Exécutif au profit
du Parlement pour éviter les dérives dictatoriales, les
constituants de 1987, n'ont-ils pas accordé à ce dernier des
pouvoirs illimités jusqu'à hypothéquer la
suprématie de la Constitution ? »
B. HYPOTHESE
Le souci d'encadrer complètement le Pouvoir
Exécutif au profit du Parlement, pour éviter les dérives
dictatoriales, a même conduit les constituants de 1987 à accorder
des pouvoirs illimités au Parlement jusqu'à mettre en
péril la suprématie de la Constitution.
C. CADRE METHODOLOGIQUE
Vu l'aspect qualitatif de notre objet d'étude, nous
entendons faire usage de la méthode comparative et de la méthode
dialectique pour la vérification de l'hypothèse qui pourra
être ou bien confirmée ou bien infirmée, sinon
nuancée.
La méthode comparative nous porte à nous
intéresser principalement à la doctrine constitutionnelle
française, sans toutefois négliger la jurisprudence
constitutionnelle française et américaine.
La doctrine constitutionnelle française aura permis de
faire des considérations académiques pour pouvoir asseoir notre
réflexion sur des bases théoriques et ainsi la
structurer. Le coup d'oeil sur la jurisprudence
constitutionnelle française et américaine aura permis de mieux
comprendre le rôle que peut être appelé à jouer le
Conseil Constitutionnel en France et la Cour Suprême des Etats-Unis
d'Amérique dans l'équilibre des Pouvoirs publics constitutionnels
et la protection de la suprématie de la Constitution. Pour nous en
convaincre, le rôle du Conseil Constitutionnel, en France, n'a
cessé de se développer depuis 1958 et le célèbre
arrêt Marbury v. Madison de 1803 dans lequel la Cour
Suprême des Etats-Unis d'Amérique s'est reconnue le rôle de
gardien de la suprématie de la Constitution est un tournant
historique.
Ce regard sur les systèmes constitutionnels
étrangers, notamment celui de la France et des Etats-Unis
d'Amérique, favorisera une meilleure compréhension du
système constitutionnel haïtien de 1987. De plus, cela servira,
à la longue et par une imitation intelligente, à
l'amélioration de ce dernier. C'est qu'à bien des égards,
plusieurs procédés existant sous la IIIe, ou la
IVe République, en France, ont été reproduits
dans la Constitution de 1987, alors qu'entre-temps, sous la Ve
République, le régime a été rationalisé et
« modernisé ».
Pour ce qui est de la comparaison avec le droit
américain, ce choix est surtout motivé par le fait que le
Président de la République, sous le régime constitutionnel
de 1987, est élu comme en régime présidentiel dont le
système constitutionnel américain est le prototype. Pourtant,
contrairement au système américain, ses pouvoirs ne font pas
chorus avec son mode d'élection. Les maigres pouvoirs reconnus au
Président de la République en réaction au
présidentialisme traditionnel font plutôt penser à un
Président de type parlementaire.
Pour ce qui est de la méthode dialectique, elle
permettra de saisir le paradoxe du régime par la démonstration
des contradictions. Le nouveau système politique a été mis
en place pour éviter les dérives dictatoriales, en vue de
protéger les citoyens contre l'arbitraire des gouvernants. Tout a
été mis en place pour empêcher la dictature de
l'Exécutif. Pourtant, les mécanismes du nouveau régime
n'empêchent pas une véritable dictature parlementaire.
Ensuite, comme instrument de collecte de l'information, nous
adoptons l'observation documentaire en utilisant les documents suivants
:
> 1) Ouvrages spécialisés
> 2) Périodiques spécialisés
> 3) Documents officiels
> 4) Sources Internet
De plus, la crédibilité de notre travail de
recherche académique a été pour nous un souci constant.
Dans cette optique, des renvois aux références bibliographiques
sont systématiques. Pour cela, nous avons utilisé l'exemple de
références « à l'ancienne » et l'exemple de
références avec la « formule codée
».15
Pour tous les documents figurant dans notre bibliographie, nous
utilisons comme référence la « formule codée »
dont la structure de base est : « Nom Année, page tant ».
Ex. GICQUEL 1997, page 269.
Quand nous évoquons ou citons une source que nous avons
choisi de ne pas faire figurer dans notre bibliographie, nous utilisons
l'exemple de références « à l'ancienne » en
donnant en note la référence précise.
Ex. François TERRE. Introduction
générale au droit, précis Dalloz, Paris,
7e éd.,
2006, page 194.
D. CADRE CONCEPTUEL
Ici, nous donnons la définition de certains termes
utilisés dans le cadre de ce travail de recherche académique pour
les fins de notre analyse.
Constitution
« Ensemble des règles suprêmes fondant
l'autorité étatique, organisant ses institutions, lui donnant ses
pouvoirs, et souvent aussi lui imposer des limitations, en particulier en
garantissant des libertés aux sujets ou citoyens16 ».
« Dans le cadre de ce travail de recherche
académique, la fragilisation de l'autorité de la Constitution
traduit un état de mise en péril de la suprématie de cette
dernière dans la hiérarchie des normes juridiques, en raison d'un
phénomène de puissance qui vient compromettre ou minimiser la
garantie de cette suprématie ».
15 Michel BEAUD. L'art de la thèse, La
Découverte, Paris, 5e éd., 2006, pages 129 à
134.
16 CORNU 2007, page 223.
Régime politique
Forme du Gouvernement d'un Etat. Mise en oeuvre, dans un Etat
déterminé, d'une certaine conception concernant la
souveraineté et les principes dont doit s'inspirer le Gouvernement, ou
les distinctions et relations entre gouvernants et gouvernés et entre
les divers Pouvoirs publics17.
Dans le cadre de ce travail, nous nous intéresserons
surtout aux éléments juridiques du concept de régime
politique. Donc, nous nous appuyons prioritairement sur le cadre
constitutionnel, sans toutefois négliger les éléments
extra-juridiques du concept comme le système de partis, la
personnalisation du pouvoir, l'idéologie, etc.18
De plus, les concepts régime politique et
régime constitutionnel sont considérés comme
interchangeables. Par contre, quand le premier est utilisé, l'accent est
mis sur l'analyse politique ; mais quand le second est utilisé, l'accent
est mis sur l'analyse juridique19.
Déséquilibre institutionnel
Dans le cadre de notre travail de recherche, nous entendons
par déséquilibre institutionnel, le déséquilibre
existant entre les institutions politiques (l'Exécutif et le
Législatif) du cadre constitutionnel proprement dit. Ce
déséquilibre se traduit par la prééminence
quasi-illimitée du Parlement et l'encadrement juridique et politique de
l'Exécutif.
Logiques institutionnelles
Parlant de logiques institutionnelles du régime
constitutionnel de 1987, nous faisons référence à
l'agencement institutionnel des rapports entre les Pouvoirs publics
constitutionnels tel que conçu à la fois dans la lettre et
surtout dans l'esprit de la Constitution.
En définitive, ce travail de recherche
académique comporte deux parties divisées en quatre chapitres.
Ces derniers sont divisés en sections qui, à leur tour, sont
subdivisées en paragraphes.
17 Idem, page 785.
18 Voir GUILLIEN, VINCENT 2001, page 473.
19 Ibidem, page 786.
PREMIERE PARTIE
LES POUVOIRS PUBLICS SOUS LE REGIME
CONSTITUTIONNEL DE 1987 : DESEQUILIBRE AU PROFIT DU PARLEMENT
Sous le régime constitutionnel de 1987, l'exercice du
pouvoir politique au plan national est confié à deux des trois
grands Pouvoirs de l'Etat. Il s'agit du Pouvoir Législatif et du Pouvoir
Exécutif. Il va sans dire que ces deux Pouvoirs publics constitutionnels
partagent la mission de la conduite de l'Etat haïtien.
Dans les régimes étrangers, il arrive que les
Constitutions accordent une certaine prépondérance à l'un
ou l'autre de ces deux Pouvoirs. En ce sens, dans le régime
constitutionnel de 1987, le système institutionnel retenu se
caractérise par la prééminence du Parlement. Il en est
ainsi en réaction au présidentialisme traditionnel dans le
système politique haïtien. Les constituants de 1987 ont
estimé qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un
pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme, annihilant ainsi les
libertés fondamentales. Donc, la prééminence
accordée au Parlement paraît comme un moyen de contourner les
éventuelles tentatives de dérive dictatoriale. Néanmoins,
cette prééminence accordée au Parlement ne favorise-t-elle
pas le phénomène de la paralysie parlementaire ou même
celui de la dictature parlementaire ?
Par ailleurs, la Constitution de 1987 traite en premier lieu
du Pouvoir Législatif et les deux organes de ce dernier sont issus du
suffrage universel direct. Au niveau du Pouvoir Exécutif, le
Président de la République est issu du suffrage universel direct,
alors que le Gouvernement est une émanation du Pouvoir
Législatif. Pourtant, dans le cadre du bicéphalisme
exécutif institué par la Constitution de 1987, des pouvoirs
importants sont accordés au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, pour
minimiser l'influence du Président de la République,
lui-même élu. Ce dernier a le même fondement
démocratique que les parlementaires. Toutefois, il ne peut pas mettre
fin à leur mandat, alors que le Sénat, érigé en
Haute Cour de Justice, peut mettre fin prématurément à ses
fonctions présidentielles, pour crime de haute
trahison, une notion juridiquement imprécise. De plus, les
principaux pouvoirs du Président de la République sont
teintés de l'influence et du contrôle du Parlement dont les
membres bénéficient des immunités pour le libre exercice
de leurs missions souveraines. En outre, ces derniers disposent de pouvoirs
très étendus pour le contrôle de l'action
gouvernementale.
En somme, le régime constitutionnel de 1987 institue un
Parlement puissant et un Exécutif « désarmé »,
plus particulièrement un Président de la République «
édenté ». D'où, le Parlement forme l'épicentre
du régime.
CHAPITRE PREMIER
Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir
Exécutif : fondements et organisation
Ce chapitre traite des deux (2) Pouvoirs de l'Etat auxquels
est dévolu l'exercice du pouvoir politique au plan national. D'une part,
le Pouvoir Législatif ou Parlement est analysé dans sa
composition, ses fonctions et par rapport aux privilèges de ses membres
(section I). D'autre part, une analyse est faite du Pouvoir Exécutif,
composé du Président de la République, issu du suffrage
universel direct, et du Gouvernement émanant du Parlement (section
II).
SECTION I.- LE POUVOIR LÉGISLATIF : COMPOSITION,
FONCTIONS ET PRIVILÈGES
Le Pouvoir Législatif20, un des trois (3)
grands Pouvoirs de l'Etat, forme avec le Pouvoir Exécutif les deux (2)
institutions politiques du régime constitutionnel de 1987. Il est
essentiellement l'organe de confection de la loi et de contrôle du
Gouvernement.
Le Pouvoir Législatif est un Pouvoir
bicaméral21 exercé par deux (2) Assemblées
élues au suffrage universel direct. D'une part, il s'agit du
Sénat, communément appelé Chambre Haute ou
Grand Corps et d'autre part, de la Chambre des Députés,
communément appelée Chambre Basse.22
Dans le cadre de l'exercice des fonctions législative
et de contrôle du Parlement, une certaine symétrie peut être
observée en ce sens que les deux Assemblées jouent quasiment le
même rôle et dans la même proportion.
20 Les expressions « Pouvoir
Législatif », « Corps Législatif »,
ou « Parlement » sont interchangeables. C'est qu'ici,
« Pouvoir Législatif » est synonyme d'organe.
21 Le bicaméralisme est inauguré par
l'élection des Députés le 26 Janvier 1817 et l'ouverture
de la première session le 22 Avril. Voir Mirlande MANIGAT,
Traité de Droit constitutionnel haïtien, 2000, p. 526.
22 Les deux (2) Assemblées siègent au
Palais Législatif.
En effet, en matière législative, contrairement
à ce qui se fait en France23, aucune des deux
Assemblées n'a le droit de dernier mot. En cas de désaccord
persistant entre les deux (2) Assemblées relativement à un projet
de loi ou une proposition de loi, celui-ci ou celle-ci sera retiré
(e)24.
De plus, le Gouvernement est responsable devant chacune des
deux (2) Assemblées. Le Gouvernement est en principe issu du parti
majoritaire au Parlement, mais ce parti doit être majoritaire dans
chacune des deux (2) Assemblées.
Pour pouvoir saisir l'essence de cette institution politique,
nous allons la considérer dans sa composition (§ 1), ses fonctions
générales et communes (§ 2), par rapport aux
privilèges de ses membres et aux mesures protectrices de
l'indépendance de ces derniers (§ 3).
§ 1.- LE PARLEMENT ET SES ORGANES
Le texte constitutionnel de 1987 indique clairement, en son
article 88, que le Pouvoir Législatif est exercé par le
Sénat et la Chambre des Députés. Donc, l'un et l'autre,
chacun de son côté, forme un corps, un organe, une branche du
Pouvoir Législatif.
Néanmoins, dans des circonstances bien
élucidées par la Constitution, le Parlement peut se réunir
en Assemblée Nationale.25 Cette dernière peut se
définir comme la réunion en une seule Assemblée des deux
(2) branches du Pouvoir Législatif (art. 98). Elle n'a ni les
mêmes pouvoirs ni la même composition que le Sénat ou la
Chambre des Députés. Donc, elle est un organe propre du Pouvoir
Législatif, quoique non-permanent.
D'où, le Pouvoir Législatif comporte deux (2)
organes permanents : la Chambre des Députés (A) et le
Sénat (B), puis un organe non-permanent : l'Assemblée Nationale
(C).
23 En France, s'il existe un désaccord entre
les deux Assemblées concernant le vote d'une loi, l'Assemblée
Nationale tranche en dernier recours sur la demande du Gouvernement. Voir
l'art. 20 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Ve République, puis
l'art. 45 de la Constitution française de 1958 (disposition
entrée en vigueur le 1er mars 2009).
24 Voir l'art. 111-4 de la Constitution de 1987.
S'il s'agit de la loi de finances, une Commission parlementaire mixte
résout en dernier ressort le désaccord. Voir l'art. 111-3 de la
Constitution de 1987.
25 Voir les articles 98 et 98-1 de la Constitution
de 1987. A ne pas confondre avec l'Assemblée Nationale en France. Cette
dernière pourrait être comparée, toutes proportions
gardées, à la Chambre des Députés en Haïti. En
France, l'organe résultant de la réunion des deux
Assemblées porte le nom de Congrès. Pourtant, c'est
l'ensemble des deux Assemblées qui forment le Congrès
dans le système constitutionnel américain ; le Parlement
fédéral porte le nom de Congrès des Etats-Unis. Donc, qui
dit Congrès aux Etats-Unis dit Parlement en
Haïti. Pourtant, qui dit Congrès en France dit
Assemblée Nationale en Haïti. Voir l'article 89, al. 3 de
la Constitution française de 1958, puis COLLINET 1999, Op. Cit.,
page 25 et GICQUEL 1997, page 269.
A. LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS
La Chambre des Députés forme avec le
Sénat les deux branches du Pouvoir Législatif. C'est donc l'une
des deux (2) Assemblées formant le Parlement. Elle assume conjointement
avec le Sénat le pouvoir législatif26 et
contrôle aussi l'action gouvernementale.
La Chambre des Députés est un Corps
composé de membres élus au suffrage universel direct à la
majorité absolue des suffrages exprimés. Elle est élue
pour quatre (4) ans et est renouvelée intégralement au terme de
son mandat.27
Les constituants de 1987 n'ont pas prévu un
système de remplacement automatique (par un suppléant)
contrairement à ce qui se pratique en France28. En cas de fin
prématurée du mandat du Député (mort,
démission, déchéance, interdiction judiciaire, raisons
d'incompatibilité), il est pourvu à son remplacement par une
élection partielle29 pour le temps qui reste à courir
(art. 130).
En principe, chaque Collectivité municipale forme une
circonscription électorale et élit un Député.
Toutefois, la Chambre comprend un nombre variable de sièges. Il en est
ainsi parce que c'est la loi qui fixe le nombre de Députés au
niveau des grandes agglomérations (art.90).
Les Députés siègent en deux (2) sessions
annuelles de durée inégale. Ce sont les sessions ordinaires. La
première session va du deuxième Lundi de Janvier au
deuxième Lundi de Mai (quatre mois). La deuxième session va du
deuxième Lundi de Juin au deuxième Lundi de Septembre (trois
mois).
Il s'ensuit que la Chambre30 siège
obligatoirement durant sept (7) mois nonconsécutifs au cours d'une
année civile (soit moins de 60% de l'année). Par contre, dans
l'intervalle des sessions ordinaires, cette Assemblée peut valablement
se réunir en session
26 Pouvoir législatif ici est synonyme de
fonction.
27 Chaque mandat forme une Législature (art.
92-1 de la Constitution de 1987).
28 Voir l'art. 10 de la LOI constitutionnelle
no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de
la Ve République ; l'art. 25 de la Constitution
française de 1958 ; les articles 2, 3 et 4 de la LOI organique no
2009-38 du 13 Janvier 2009 portant application de l'art. 25 de la Constitution
de 1958 (JORF no 0011 du 14 Janvier 2009). La plupart de ces
documents sont consultés sur le site du Journal officiel de la
République française :
http://
www.journal-officiel.gouv.fr le 26 Avril 2009.
29 L'élection partielle est organisée en
cours de Législature afin de pourvoir un ou plusieurs siège (s)
devenu (s) vacant (s).
30 En Haïti, qui dit la Chambre dit la
Chambre des Députés.
extraordinaire suite au message du Président de la
République convoquant le Corps Législatif en session
extraordinaire31.
La Chambre exerce, au nom des citoyens, les attributions du
Pouvoir Législatif de concert avec le Sénat (art. 89). Donc, les
principales fonctions dévolues au Sénat en tant que branche du
Pouvoir Législatif sont également dévolues à la
Chambre. Cependant, les deux restent et demeurent deux organes distincts. Une
certaine asymétrie peut même être observée dans
certains domaines.
Ainsi, revient-il exclusivement à la Chambre de
décider souverainement de l'opportunité de mettre en accusation
n'importe quel membre du Pouvoir Exécutif par-devant la Haute Cour de
Justice. Elle peut aussi décider d'engager la même
procédure contre les membres du Conseil Electoral Permanent (C.E.P.) et
ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif
(C.S.C. /C.A.), les juges de la Cour de Cassation de la République et
les officiers du Ministère public près cette Cour, et enfin
contre le Protecteur du citoyen.
« La Chambre des Députés, à la
majorité des deux tiers (2/3) de ses membres, prononce la mise en
accusation :
a) Du Président de la République pour crime de
haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de
ses fonctions ;
b) Du Premier Ministre, des Ministres et des
Secrétaires d'Etat pour crime de haute trahison et de malversations ou
d'excès de pouvoir ou tous autres crimes ou délits commis dans
l'exercice de leurs fonctions ;
c) Des membres du C.E.P. et de la C.S.C. /C.A. pour fautes
graves commises dans l'exercice de leurs fonctions ;
d) Des juges et officiers du Ministère public
près la Cour de Cassation pour forfaiture ;
e) Du Protecteur du citoyen. » 32
De plus, la Chambre est saisie la première du projet de
budget. C'est que les projets de loi de finances sont toujours soumis en
premier lieu à la Chambre33.
31 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de
1987.
32 Voir les articles 93 et 186 de la Constitution de
1987.
33 Article 111-2 de la Constitution de 1987.
B. LE SÉNAT
Le Sénat forme avec la Chambre des
Députés les deux (2) branches du Parlement34. Il
exerce conjointement avec la Chambre le pouvoir législatif et
contrôle aussi l'action gouvernementale.
Le Sénat est un corps composé de membres
élus au suffrage universel direct et à la majorité absolue
des suffrages exprimés (art. 94-2). Ses membres (les Sénateurs)
sont élus dans le cadre du département pour un mandat de six ans
(6 ans) indéfiniment renouvelable (art.95). Il est soumis à un
régime de renouvellement partiel. Ce renouvellement se fait par tiers
(1/3) tous les deux ans (art. 95-3). Donc, un tiers des Sénateurs est
renouvelé tous les deux ans (2 ans).
Le nombre de sièges au Sénat est fonction du
nombre de départements que compte le pays, à raison de trois (3)
Sénateurs par département géographique (art. 94-1).
Comme pour le Député, en cas de fin
prématurée du mandat du Sénateur (mort, démission,
déchéance, interdiction judiciaire, raisons
d'incompatibilité), il est pourvu à son remplacement par une
élection partielle pour le temps qui reste à courir (art.
130).
Si, comme on l'a vu, les Députés siègent
en deux sessions annuelles, le Sénat de son côté
siège en permanence (art. 95-1). En revanche, cette Assemblée
peut, au même titre que la Chambre, valablement se réunir en
session extraordinaire suite au message du Président de la
République (art. 106) convoquant le Corps Législatif en session
extraordinaire (art.105).
En aucun cas, le Sénat ne peut être
ajourné (art.111-8). Cependant, il peut lui-même s'ajourner (art.
95-2).35
De même que la Chambre, le Sénat exerce, au nom
des citoyens, les attributions qui lui sont inhérentes en tant que
branche du Pouvoir Législatif. Mais, en tant qu'organe distinct de la
Chambre, le Sénat exerce des attributions constitutionnelles qui sont
sans commune mesure aux fonctions séparées exercées par la
Chambre des Députés.
34 Le système législatif est
inauguré par le Sénat. Ce dernier est une création de la
Constitution de 1806.
35 Le Sénat peut valablement s'ajourner,
sauf durant la session législative. Toutefois, l'Exécutif peut le
convoquer avant la fin de l'ajournement dans les cas d'urgence. De plus,
lorsqu'il s'ajourne, il est tenu de laisser un comité permanent
chargé d'expédier les affaires courantes (art.95-2).
En effet, le Sénat de la République est
doté d'importants pouvoirs qui pourraient être qualifiés de
comparables, toutes proportions gardées, à ceux du Sénat
des Etats-Unis d'Amérique36.
Ainsi, le Sénat peut-il s'ériger en Haute Cour
de Justice après avoir été régulièrement
saisi par la Chambre pour juger des hauts personnages de
l'Etat37.
Nous rappelons que la Haute Cour de Justice (HCJ) est une
instance constitutionnelle spéciale non-permanente. Il s'agit d'une
juridiction politique répressive. Sa compétence s'exerce à
l'égard du personnel politique du Pouvoir Exécutif, des juges de
la juridiction suprême de l'ordre judiciaire et des officiers du
Ministère public près cette juridiction, puis de certains hauts
personnages de l'Etat.
Entre autres, cette formation spéciale permet au
Sénat de mettre fin prématurément, le cas
échéant, au mandat du Président de la République en
le destituant38.
De plus, il revient exclusivement au Sénat de la
République d'élire les dix (10) membres de la
C.S.C/C.A.39
Si la nomination des juges de la Cour de Cassation est du
ressort du Président de la République, il revient toutefois au
Sénat de limiter sa liberté de choix en faisant la
présélection.40
Toujours est-il, dans le cadre de la fonction sélective
du Sénat, son approbation est requise pour la nomination du Commandant
en Chef des Forces Armées, celui de la Police, les Ambassadeurs et les
Consuls généraux, puis des Conseils d'Administration des
Organismes autonomes41.
36 Surtout en ce qui concerne la procédure
de contrôle parlementaire sur certaines nominations relevant du
Président de la République. Avec son pouvoir d'approbation de
certaines nominations décidées par ce dernier, le Sénat
dispose d'une « faculté d'empêcher » à
l'égard du Président de la République.
37 Voir les articles 93 et 97 de la Constitution de
1987.
38 Article 189-1 de la Constitution de 1987.
39 Article 200-6 de la Constitution de 1987.
40 Voir les articles 97 et 175 de la Constitution
de 1987. Nous rappelons du même coup que le Sénat des EtatsUnis
d'Amérique donne son accord à la nomination des juges à la
Cour Suprême fédérale. Voir PACTET 2001, page 234, puis
GICQUEL 1997, op. cit., p. 276.
41 Rappelons ici encore que le Sénat des
Etats-Unis d'Amérique donne son accord à la nomination des
Ambassadeurs et des hauts fonctionnaires fédéraux. Voir PACTET
2001, op. cit., p. 234.
C. L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Exceptionnellement, Députés et Sénateurs
peuvent siéger ensemble formant ainsi une seule Assemblée. Alors,
il convient de dire, suivant l'expression juridique consacrée, que le
Parlement se réunit en Assemblée Nationale42. Donc,
l'Assemblée Nationale n'est ni la Chambre des Députés ni
le Sénat. Il s'agit d'une formation spéciale du Parlement
dotée d'attributions propres.
L'Assemblée Nationale, l'organe non-permanent du
Parlement, se réunit essentiellement pour l'ouverture et la
clôture de chaque session. A l'ouverture de la session, elle
reçoit le bilan des activités du Gouvernement43. En
outre, elle est dotée de pouvoirs considérables.
> Sur le plan militaire, c'est le
Président de la République qui dispose de la compétence
constitutionnelle pour déclarer la guerre à une puissance
étrangère ennemie44. Toutefois, cette
déclaration de guerre ne peut intervenir qu'après l'approbation
de l'Assemblée Nationale. Cette dernière donne son approbation
par ratification de la décision du Chef de l'Etat de déclarer la
guerre45. De plus, l'Assemblée Nationale, a le pouvoir et
surtout le devoir de vérifier que toutes les tentatives de conciliation
ont échoué avant de pouvoir ratifier la décision du Chef
de l'Etat.
Le Président de la République ne peut signer ni
même négocier les traités de paix sans l'approbation de
l'Assemblée Nationale46.
En temps de crises exceptionnelles (guerre civile, invasion de
la part d'une force étrangère), il lui revient d'apprécier
et donc de statuer sur l'opportunité de l'état de siège
voulu, le cas échéant, par le Pouvoir Exécutif. Elle
décide conjointement avec ce dernier des garanties constitutionnelles
à suspendre pour éviter que les libertés individuelles
soient à la merci du Pouvoir Exécutif. De plus, c'est
l'Assemblée Nationale qui décide, le cas échéant,
en dernier ressort du renouvellement de l'état de siège
après sa caducité47.
42 Historiquement, l'Assemblée Nationale est
créée pour la 1ère fois par la Constitution de
1843. Voir Manigat 2000, op. cit., page 526.
43 Voir les articles 98-1 et 98-3 de la Constitution
de 1987.
44 Article 140 de la Constitution de 1987.
45 Article 98-3 de la Constitution de 1987.
46 Article 140 de la Constitution de 1987.
47 Voir les articles 98-3, 278 à 278-4 de la
Constitution de 1987.
> Sur le plan diplomatique, il revient
à l'Assemblée Nationale d'approuver ou de rejeter les conventions
et traités internationaux48. De ce fait, on comprend bien que
la compétence constitutionnelle pour obliger «
définitivement » et solennellement l'Etat49 sur la
scène internationale est dévolue à cette formation
spéciale du Parlement.
> En matière de révision de la
Constitution, le pouvoir constituant lui est formellement et
exclusivement reconnu. Certes, le Pouvoir Exécutif ou l'une ou l'autre
des deux Assemblées parlementaires peut proposer
l'amendement50, mais il revient exclusivement au Pouvoir
Législatif de déclarer qu'il y a lieu d'amender la Constitution.
De plus, c'est l'Assemblée Nationale qui statue définitivement et
souverainement sur l'amendement proposé51.
En effet, la Constitution de 1987, en son article 284-3,
interdit tout référendum constituant. En revanche, le Peuple
haïtien est appelé à se prononcer en cette matière
seulement en décidant de reconduire la majorité ayant
déclaré qu'il y a lieu d'amender la Constitution, ou encore de
conduire une nouvelle majorité au Parlement, pour manifester son accord
ou son désaccord.
> Par ailleurs, dans le cadre de la fonction
sélective de l'Assemblée Nationale, cette dernière
concourt à la formation du C.E.P. en choisissant trois (3) de ses neuf
(9) membres52.
> Enfin, c'est aussi l'Assemblée Nationale qui
reçoit le serment constitutionnel du Président de la
République élu. Cette affirmation solennelle faite devant
l'Assemblée Nationale consacre son entrée en fonction. C'est
à cet instant que le Président élu se trouve investi de sa
charge et des pouvoirs qui l'accompagnent. Donc, à compter de cette
prestation de serment, il cesse d'être un simple Président de la
République élu pour devenir un Président de la
République en exercice. C'est le cas de dire que les deux
Assemblées réunies en Assemblée Nationale constituent le
témoin privilégié de la prise en charge des fonctions
présidentielles du nouveau élu.
48 Article 98-3 de la Constitution de 1987.
49 « La ratification est l'acte par lequel
l'autorité étatique la plus haute, détenant la
compétence constitutionnelle de conclure des traités
internationaux, confirme le traité élaboré par ses
plénipotentiaires, consent à se qu'il devienne définitif
et obligatoire et s'engage solennellement au nom de l'Etat à
l'exécuter ». Voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international
public, 7e édition, L.G.D.J., Paris, 2002, p.138.
50 Article 282 de la Constitution de 1987.
51 Voir les articles 98-3 et 283 de la Constitution de
1987.
52 Article 192 de la Constitution de 1987.
§ 2.- LE PARLEMENT ET SES FONCTIONS
GÉNÉRALES ET COMMUNES
Mises à part les fonctions spéciales de
l'Assemblée Nationale, les fonctions séparées du
Sénat et de la Chambre des Députés, le Parlement exerce
ordinairement trois (3) fonctions principales. Il s'agit de la fonction
législative (A), de la fonction de contrôle (B) et de la fonction
d'enquête (C).
Par conséquent, les trois (3) principales fonctions
susmentionnées sont communes aux deux Assemblées composant le
Parlement haïtien. Une certaine symétrie peut même être
observée entre le Sénat et la Chambre quant à l'exercice
desdites fonctions.
Nous allons brièvement exposer une à une les
trois (3) fonctions précitées pour essayer d'en saisir les
grandes lignes.
A. LA FONCTION LÉGISLATIVE
La Constitution de 1987, en son article 111, accorde
compétence au Parlement pour faire des lois « sur tous les
objets d'intérêt public ». Élaborer et voter des
lois constituent l'essence même de la fonction législative. Donc,
légiférer est une compétence constitutionnelle du
Parlement. En d'autres termes, la loi est essentiellement l'oeuvre du
Parlement, puisque ce dernier est l'organe de confection de la loi.
Comme on l'a vu plus haut, il est de la responsabilité
du Parlement de faire des lois. Toutefois, le pouvoir d'initiative
législative est partagé entre le Pouvoir Exécutif et
chacune des deux Assemblées composant le Parlement.53
Si le texte proposé est à l'initiative du
Pouvoir Exécutif, on parle de projet de loi. Mais si le texte
proposé est d'initiative parlementaire, on parle de proposition de loi.
Par voie de conséquence, la loi, avant d'être juridiquement
qualifiée telle, a été primitivement un projet de loi ou
une proposition de loi.
La loi est adoptée selon la procédure
législative, c'est-à-dire l'examen et le vote du texte par chaque
Assemblée. Qu'il soit d'origine gouvernementale54 ou
d'origine
53 L'initiative législative reste et demeure
une compétence partagée du Pouvoir Législatif et du
Pouvoir Exécutif. Cependant, dans le souci d'éviter toute
dérive éventuelle, l'article 111-2 spécifie qu'en ce qui a
trait à la loi de finances, l'initiative de la loi appartient, en
dépit de l'article 111, en propre au Pouvoir Exécutif.
54 Le qualificatif est ici pris au sens large ; il
implique l'ensemble de l'Exécutif.
parlementaire, le texte est examiné puis voté
par les deux Assemblées. C'est que chacune des deux (2)
Assemblées, avant de passer au vote, a le droit de discuter du contenu
du texte qui lui est soumis. D'ailleurs, c'est au moment des discussions sur le
texte que les Assemblées exercent leur droit d'amendement.
Il peut donc arriver que les deux Assemblées soient en
désaccord sur le texte en discussion, puisque nous sommes en
régime bicaméral. Or, pour devenir loi, le texte doit avoir
été voté « dans la même forme par les deux
(2) Chambres »55. D'où, un va- et- vient, la
navette, du texte en discussion entre les deux (2) Assemblées du
Parlement jusqu'à ce qu'elles se soient mises d'accord sur un texte
identique.
En Haïti, le bicaméralisme est égalitaire
en matière législative.56 Donc, en cas de
désaccords incessants entre les deux (2) Assemblées sur un texte,
aucune d'entre elles n'a la « vertu » de statuer
définitivement. En d'autres termes, ni le Sénat ni la Chambre n'a
le droit de dernier mot.
> 1- Suite à un premier désaccord entre les
deux (2) Assemblées sur le texte, celui-ci est ajourné
jusqu'à la session suivante.
> 2- A la plus prochaine session, le texte est mis en
discussion à nouveau, au niveau des deux (2) Assemblées.
> 3- Si le désaccord persiste, une Commission
parlementaire (mixte et paritaire) est formée en vue de préparer
un texte « définitif » pour être soumis aux deux (2)
Assemblées.
> 4- Si là encore le désaccord perdure,
« le texte est retiré ».57
Enfin, une fois votée, la loi est promulguée par
le Président de la République, après avoir
éventuellement usé de son droit d'objection, et publiée
dans le journal officiel de la République, Le Moniteur, pour que nul
n'en prétexte l'ignorance.58
55 Voir l'article 120 in fine de la
Constitution de 1987.
56 Toutefois, la Constitution marque sur un point la
spécificité de la Chambre des Députés : les projets
de loi de finances sont soumis en premier lieu à la Chambre (art.
111-2).
57 Voir l'article 111-4 de la Constitution de 1987.
58 C'est qu'en principe, « nemo censetur
ignorare legem ». La loi prend date du jour de son adoption
définitive par les deux Assemblées (art. 126). Cependant, c'est
à partir de sa publication que la loi devient opposable à tous
(art. 125).
B. LA FONCTION DE CONTRÔLE
Sous le régime constitutionnel de 1987, le Gouvernement
est une émanation du Parlement. Le premier tient son investiture du
second. Puisque le Gouvernement procède du Parlement, il est
politiquement responsable devant ce dernier. Donc, le Gouvernement doit
à tout instant, pour subsister, bénéficier de la confiance
de la majorité parlementaire. Sa légitimité réside
dans cette confiance et le principe de responsabilité du Gouvernement
est une technique permettant de vérifier la confiance des
Assemblées dans le Gouvernement.
D'une part, le Président de la République
symbolise et représente l'Etat en tant qu'entité juridique
abstraite. D'autre part, le Parlement en tant qu'organe collégial assure
la représentation du Peuple. Quid du Gouvernement ?
Puisque le Gouvernement ne bénéficie pas de
consécration populaire et puisqu'il tient son existence et son pouvoir
du Parlement, ce dernier dont les membres sont les représentants du
Peuple doit être en mesure de contrôler son action.
Pour contrôler efficacement le Gouvernement, le
Parlement doit être en mesure de disposer des informations sur son
action59 : c'est la condition sine qua non du
contrôle. Les informations permettent d'engager éventuellement la
responsabilité politique du Gouvernement.
C'est dans cette perspective que la Constitution va
jusqu'à accorder à tout parlementaire le droit de questionner et
le droit d'interpeller l'ensemble du Gouvernement ou un ou plusieurs de ses
membres60. Donc, les Secrétaires d'Etat, membres du
Gouvernement, peuvent aussi être interpellés.
Ce droit de questionner et d'interpeller peut s'étendre
« sur tous les faits et actes de l'Administration ». Le
Gouvernement, de son côté, est tenu d'y répondre ; il a un
devoir de reddition de comptes aux Assemblées
parlementaires61.
59 Les parlementaires recherchent et recueillent les
informations par le biais des questions et des Commissions d'enquête.
60 Article 129-2 de la Constitution de 1987.
61 Le droit de décharge du Parlement selon les
prescriptions de l'article 233 de la Constitution de 1987 est un corollaire de
ce devoir de reddition de comptes.
Si une demande d'interpellation doit être appuyée
par cinq (5) membres au moins du corps intéressé, la Constitution
laisse supposer qu'un parlementaire peut prendre seul l'initiative de
questionner un Gouvernement en entier.62
Comme étant donné que le Gouvernement est
politiquement responsable devant les Assemblées parlementaires, sa
responsabilité peut être mise en cause par un vote. Si en France
la responsabilité politique du Gouvernement peut être mise en
oeuvre par deux (2) voies63 ; en Haïti, la mise en oeuvre de
cette responsabilité se fait seulement par l'interpellation. Donc, cette
dernière est le seul procédé de mise en jeu de la
responsabilité gouvernementale sous le régime constitutionnel de
1987.
L'interpellation donne lieu à un débat
« sur une question se rapportant au programme ou à une
déclaration de politique générale du Gouvernement »
au niveau de l'Assemblée l'ayant provoquée. A l'issue de ce
débat, intervient un vote : c'est la sanction du débat. Si le
débat aboutit à un vote de confiance, on dit que
l'Assemblée renouvelle sa confiance au Gouvernement. Si, au contraire,
il aboutit à un vote de censure, on dit que l'Assemblée
désavoue le Gouvernement64.
Par suite, la mise en cause de la responsabilité
politique du Gouvernement par le vote de la motion de censure entraîne
ipso facto la démission en bloc de ce dernier. C'est que cette
décision souveraine de l'Assemblée met le Premier Ministre en
demeure de remettre la démission du Gouvernement au Président de
la République qui ne peut que l'accepter, sous peine de se rebeller
contre la Constitution et donc provoquer une crise politique
grave65.
62 Or, le droit de questionner implique des
questions écrites et orales. Donc, il suffit qu'un seul parlementaire
veuille se renseigner sur un fait ou un acte quelconque de l'Administration
pour faire descendre l'ensemble du Gouvernement au Parlement en vue de le
mettre en face de l'Assemblée pour le questionner.
63 L'une laisse l'initiative à
l'Assemblée Nationale, l'autre laisse l'initiative au Gouvernement. Dans
cette deuxième voie, il existe deux (2) procédés. D'abord,
le Premier Ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement
devant l'Assemblée Nationale sur un programme ou sur une
déclaration de politique générale : C'est la question de
confiance. Ensuite, le Premier Ministre peut aussi, après
délibération du Conseil des Ministres, engager la
responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée Nationale sur
le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la
sécurité sociale. On parle alors de motion de censure
provoquée. Donc, deux voies et trois procédés de mise en
jeu de la responsabilité gouvernementale en France. Voir l'art. 24 de la
LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Ve République et l'art.
49 de la Constitution française de 1958 (disposition entrée en
vigueur le 1er mars 2009).
64 Article 129-3 de la Constitution de 1987.
65 Article 129-4 de la Constitution de 1987.
C. LA FONCTION D'ENQUÊTE
En plus de la fonction législative et de la fonction de
contrôle comme fonctions générales et communes aux deux (2)
Assemblées, la Constitution de 1987 accorde un très large pouvoir
d'enquête aux Assemblées parlementaires. Ainsi, la Constitution
dispose t- elle en son article 118 : « Chaque Chambre a le droit
d'enquêter sur les questions dont elle est saisie. »
D'une part, il est à faire remarquer que la formulation
dudit article ne permet nullement de présumer une limitation de la
nature ni de l'étendue des questions dont elle peut être saisie.
D'autre part, les conditions ou modalités de la saisine ne sont
guère précisées. Par conséquent, il suffit que le
Sénat ou la Chambre soit touché (e) d'un fait quelconque pour
pouvoir déclencher une enquête. Du reste, puisqu'il s'agit d'une
compétence constitutionnelle, aucune institution ou personnalité
ne pourra prétendre faire obstruction à l'enquête sans
s'exposer juridiquement. D'où, un pouvoir sans bornes des
Assemblées.
§ 3.- LES IMMUNITÉS PARLEMENTAIRES ET LES
INCOMPATIBILITÉS
Le Parlement doit être efficace dans l'exercice de ses
missions souveraines. Une première condition de cette efficacité
est la protection de ses membres contre des poursuites judiciaires qui
pourraient être en réalité la traduction de pressions
politiques.66
C'est dans cette perspective que des immunités sont
accordées au parlementaire. Leur objet est permettre au parlementaire le
libre exercice de son mandat en lui assurant une protection contre les actions
judiciaires intentées contre lui67 (A).
Une autre condition non moins importante de cette
efficacité est la protection des parlementaires contre l'exercice de
certaines fonctions qui pourraient compromettre leur indépendance en
tant que parlementaires. D'où, le régime des
incompatibilités (B).
66 La situation du parlementaire est
caractérisée par un statut. Il vise à garantir la
liberté de l'exercice du mandat et l'indépendance du
parlementaire.
67 Voir GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit. page
468.
A. LES IMMUNITÉS PARLEMENTAIRES
La Constitution de 1987 accorde aux parlementaires des
prérogatives qui les mettent à l'abri des poursuites judiciaires,
en vue d'assurer le libre exercice de leur mandat : ce sont les
immunités parlementaires68. Elles incluent
l'irresponsabilité parlementaire (1) et l'inviolabilité (2).
1.- L'IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE
Le privilège de l'irresponsabilité parlementaire
est accordé par la Constitution de 1987 en son article 114-1 : «
Ils ne peuvent être en aucun temps poursuivis et attaqués pour
les opinions et votes émis par eux dans l'exercice de leur fonction.
»
Le fondement de cette immunité est de garantir la
liberté d'expression des parlementaires. Donc, le parlementaire est
appelé à parlementer et à voter sans avoir à
craindre des poursuites judiciaires.
Le texte constitutionnel précise expresis verbis
qu' « ils ne peuvent être en aucun temps
poursuivis et attaqués ». Cela montre bien le caractère
absolu de cette immunité. Elle est perpétuelle et doit suivre
à l'expiration du mandat. De plus, elle couvre tous les actes de la
fonction parlementaire (les rapports, les discours, les votes).69
2.- L'INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE
« L'inviolabilité parlementaire est un
privilège qu'ont les parlementaires d'échapper aux poursuites
intentées pour des actes étrangers à l'exercice de leur
mandat : poursuites pénales pour crimes et délits.
»70
Ce privilège est accordé par la Constitution de
1987 en ses articles 114 et 115. L'inviolabilité constitue moins un
privilège personnel dont bénéficient les parlementaires
qu'une protection assurée au Parlement pour assurer son bon
fonctionnement. Le
68 Il faut aussi faire remarquer que les
immunités parlementaires assurent aux membres du Parlement un
régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports
avec la Justice. Or, la Justice devrait être le garant de
l'égalité de tous devant la loi.
69 Mais eux seuls à l'exclusion des actes et
paroles qui ne sont pas liés à l'exercice direct de cette
fonction.
70 Idem, page 317.
fonctionnement normal du Parlement risquerait d'être
entravé par des poursuites abusivement engagées contre ses
membres par le Pouvoir Exécutif ou par des particuliers.
Le régime de l'inviolabilité est plus restrictif
que celui de l'irresponsabilité. Les parlementaires sont en principe
inviolables jusqu'à l'expiration de leur mandat71.
Néanmoins, une dérogation majeure vient tempérer la
rigueur de ce principe. L'engagement des poursuites est toujours possible pour
délits de droit commun même lorsque le Parlement est en session.
Toutefois, l'autorisation de l'Assemblée à laquelle appartient
l'intéressé constitue un préalable nécessaire
à toute mesure d'arrestation. En revanche, il n'y a pas lieu à
soumettre la mesure d'arrestation à l'autorisation de l'Assemblée
à laquelle appartient l'intéressé seulement en
matière de flagrance pour faits emportant une peine afflictive et
infamante72.
B. LE RÉGIME DES INCOMPATIBILITÉS
Les incompatibilités constituent, aux
côtés des immunités, une modalité de protection du
mandat parlementaire. On pourrait même avancer qu'elles constituent un
gage d'indépendance. Elles permettent, entre autres, d'empêcher
que les parlementaires soient sous le contrôle direct du Pouvoir
Exécutif ou encore de l'Administration qui se situe d'ailleurs dans le
prolongement de ce dernier.
A la différence de l'inéligibilité,
l'incompatibilité joue après l'élection.
L'inéligible ne peut pas être candidat,73 alors que
l'incompatibilité ne vicie pas l'élection. Toutefois, elle impose
dans un délai relativement court un choix74, par l'élu
lui-même, entre le mandat parlementaire et la fonction
déclarée incompatible.
71 Article 114 de la Constitution de 1987.
72 Article 115 de la Constitution de 1987.
73 Les constituants de 1987 ont commis l'erreur de
regrouper, sous la rubrique «des incompatibilités»
des cas d'inéligibilité. Voir les articles 131 et 132 de la
Constitution. « L'inéligibilité c'est une situation qui
entraîne l'incapacité d'être élu. » Voir
GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 302.
74 L'article 25 de la Constitution française
du 4 Octobre 1958 réfère à une loi organique pour le
régime des inéligibilités et des incompatibilités.
Voir l'art. 10 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet
2008 de modernisation des institutions de la Ve République ;
la LOI organique no 2009-38 du 13 Janvier 2009 portant application
de l'art. 25 de la Constitution de 1958 (JORF no 0011 du 14 Janvier
2009).
En Haïti, mises à part quelques dispositions
constitutionnelles éparses relativement aux inéligibilités
et aux incompatibilités, aucune loi n'est venue fixer, jusqu'ici, le
régime des incompatibilités et des inéligibilités.
Donc, le délai pour choisir n'est pas fixé en Haïti,
contrairement au cas français.
En Haïti, le mandat parlementaire est incompatible avec
toute autre fonction rétribuée par l'État,
nonobstant celle d'enseignant75. C'est que la fonction
d'enseignant, même lorsque rétribuée par l'Etat,
échappe à la suspicion de dépendance à
l'égard du Pouvoir Exécutif.
De plus, à l'article 164, les constituants de 1987 ont
jugé utile de rajouter : « La fonction de Premier Ministre et
celle de membre du Gouvernement sont incompatibles avec tout mandat
parlementaire. Dans un tel cas, le parlementaire opte pour l'une ou l'autre
fonction. » Cela, comme pour marquer leur attachement au principe de
droit public de la Séparation des Pouvoirs.
SECTION II.- LE POUVOIR EXÉCUTIF ENTRE
LÉGITIMITÉ POPULAIRE ET CONSÉCRATION
PARLEMENTAIRE
Le Pouvoir Exécutif est l'un des trois (3) grands
Pouvoirs de l'Etat et l'une des deux institutions politiques instituées
par la Constitution de 1987. En grosso modo, il est chargé de
faire exécuter les lois délibérées et votées
par le Pouvoir Législatif.
Depuis l'institution de la Constitution de 1987, le Pouvoir
Exécutif est organiquement constitué du Président de la
République et du Gouvernement : c'est le bicéphalisme
exécutif. Par voie de conséquence, le Pouvoir Exécutif est
exercé à la fois par le Président de la République
et par le Gouvernement comme organe collégial et solidaire ayant
à sa tête un Premier Ministre.76
Le Président de la République est le Chef du
Pouvoir Exécutif.77 Mais, cela n'implique pas la
subordination entre les deux branches de l'Exécutif. A bien comprendre
l'esprit du régime constitutionnel de 1987, l'on se demande même
s'il n'en est pas le Chef seulement de nom78.
75 Article 129-1 de la Constitution de 1987.
76 Article 133 de la Constitution de 1987.
77 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de
1987.
78 Le titre de Chef du Pouvoir
Exécutif est octroyé au Président de la
République peut-être pour rester fidèle à une
vieille tradition constitutionnelle en Haïti qui considère presque
toujours le Président de la République comme le Chef du Pouvoir
Exécutif (en ayant même presque toujours seul l'exercice).
Autrement, est-ce une simple question de préséance ? Si oui, nous
rappelons que le Président de la République est
déjà élevé au rang de Chef de l'Etat dans
le nouveau régime. Nous comprenons et nous avons rappelé le sens
du titre de Chef de l'Etat du Président de la
République. Cependant, nous avouons ne pas saisir l'opportunité
du titre de Chef de l'Exécutif accordé au
Président de la République.
Le Pouvoir Exécutif est certes divisé, mais de
façon déséquilibrée entre le Chef de l'Etat et le
Chef du Gouvernement. En effet, les mécanismes institutionnels au niveau
de la Constitution de 1987 sont montés de manière à
organiser le transfert du pouvoir réel au Premier Ministre, Chef du
Gouvernement. Cependant, depuis l'institution de la Constitution de 1987, la
« pratique » du régime n'a pas semblé illustrer cet
aspect du système politique théoriquement posé.
De plus, les deux branches du Pouvoir Exécutif ne
jouissent pas du même mode d'accession au pouvoir. D'un coté, le
Président de la République est électif, car il est pourvu
par élection79 ; d'où, sa légitimité
populaire. De l'autre, le Gouvernement procède du Parlement. Donc, le
Gouvernement ne jouit pas de la légitimité populaire, mais
reçoit la bénédiction des élus du Peuple, plus
particulièrement de la confiance des Assemblées parlementaires
élues.
Un regard sur les deux composantes du Pouvoir Exécutif,
en l'occurrence le Président de la République (§ 1) et le
Gouvernement (§ 2), aura permis de saisir cette institution politique dans
son essence.
§ 1.- LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE :
UN ARBITRE OU UN CHEF DE CABINET ?
Sous le régime constitutionnel de 1987, le
Président de la République est le premier personnage de l'Etat.
D'ailleurs, le texte constitutionnel consacre solennellement cette
préséance protocolaire du Président de la
République en le surnommant expresis verbis « Chef de
l'Etat ».80 Il représente l'Etat et l'engage. Il a la
responsabilité de l'Etat et de ses intérêts
supérieurs. De plus, il incarne l'Etat dans son existence, sa
continuité et sa permanence. Sa fonction a donc pour fondement l'Etat.
C'est si vrai que l'art. 136 de la Constitution de 1987 précise qu'il
« assure la continuité de l'Etat ».
79 Avec l'élection au suffrage universel
direct du Président de la République, le Parlement n'a plus
l'exclusivité de la représentation du Peuple. De plus, cela
renforce le caractère républicain de l'Etat. C'est que dans un
Etat républicain, le pouvoir politique y est nécessairement issu
de l'élection.
80 Voir l'art. 133 de la Constitution de 1987.
C'est pour la première fois, dans l'histoire constitutionnelle
haïtienne, qu'on élève le Président de la
République à la dignité de « Chef de l'Etat ».
Voir MANIGAT 2000, op. cit., p. 430.
Une prise en compte de son mode d'accession au pouvoir, de son
autorité politique (A) et de ses principales compétences (B) aura
permis de le situer brièvement dans le système institutionnel mis
en place par la Constitution de 1987.
A. DISPROPORTION ENTRE SON ÉLECTION ET SON
AUTORITÉ POLITIQUE
Le régime constitutionnel de 1987 emprunte au
régime présidentiel l'institution d'un Président de la
République élu au suffrage universel direct. Ce mode de scrutin
pour l'élection du Président de la République est
fixé à l'art. 134 : « Le Président de la
République est élu au suffrage universel direct à la
majorité absolue des votants. Si celle-ci n'est pas obtenue au premier
tour, il est procédé à un second tour. »
Son mode d'élection lui assure, sans conteste, un
fondement démocratique et une légitimité populaire au plan
national :
> 1- Il n'est pas élu par un collège
électoral mais directement par le Peuple.81
> 2- Le corps électoral82 n'est pas
défini d'une manière restrictive : Tout Haïtien ayant
atteint sa majorité électorale peut, en principe, se
prononcer.
> 3- Pour être élu, la majorité
absolue des suffrages exprimés (soit plus de la moitié des
suffrages exprimés) est nécessaire, majorité exigeant des
conditions plus difficiles à réunir que la majorité
simple. Si cette majorité n'est obtenue par aucun candidat à
l'issue du premier tour, il y a ballottage et il est procédé
à un second tour. Donc, le Président de la République est
élu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Ce mode de désignation, par son caractère
largement représentatif, devrait lui conférer une autorité
politique considérable. Il reçoit la consécration
populaire, alors que le Premier Ministre reçoit la confiance des
Assemblées élues. C'est ce qui fait du Chef de l'Etat
l'élément politiquement irresponsable de l'Exécutif.
Puisqu'il est titulaire d'un mandat politique qu'il tient directement du
Peuple, il n'a à répondre de l'exercice de ce mandat ni devant le
Parlement ni devant une instance juridictionnelle. Ainsi, n'a-t-il pas besoin
de la
81 Il n'en a pas été toujours ainsi.
Le premier Président de la République à être
élu au suffrage universel direct est le Général Paul
MAGLOIRE le 8 Octobre 1950 en vertu du décret du 3 Août 1950. La
Constitution de 1950 (art. 88) allait ratifier cette élection et
entériner le principe. Idem., p.444.
82 Le corps électoral peut se définir
comme l'ensemble des personnes qui bénéficient juridiquement du
droit de vote, c'est-à-dire du droit de participer aux élections
à la fois au plan national et au plan local. Voir HAMON, TROPER 2003,
op. cit., page 461.
confiance du Parlement pour garder son poste et demeurer en
fonction pour la durée de son mandat.
En effet, la Constitution de 1987 admet le principe de
l'irresponsabilité du Président de la République, mais il
s'agit d'une irresponsabilité politique. C'est cette
irresponsabilité du Chef de l'Etat qu'exprime la procédure du
contreseing dans le cas de l'exercice des pouvoirs partagés du
Président de la République. Par la formalité du
contreseing, le Premier Ministre et les Ministres responsables endossent la
responsabilité des actes du Chef de l'Etat devant les Assemblées
parlementaires.83
Si, comme on vient de le voir, le Président de la
République est irresponsable politiquement, sa responsabilité
pénale n'est, par contre, guère discutable. En effet, en
matière pénale, le Président de la République ne
bénéficie pas plus qu'un simple privilège de juridiction.
C'est ainsi que le Président de la République est passible de la
Haute Cour de Justice « pour crime de haute trahison
ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions
».84 Or, la notion de haute trahison est
une notion juridiquement fluctuante. En conséquence, les parlementaires
peuvent lui attribuer un contenu largement politique.
De plus, le Président de la République n'en est pas
moins responsable civilement, puisque la Constitution ne le fait pas
bénéficier d'une immunité civile.
En clair, de ce point de vue, le Président de la
République n'est pas un personnage intouchable. Son
irresponsabilité politique est une conséquence logique de sa
légitimité populaire, du fait qu'il incarne et représente
l'Etat85 et du fait de sa faible participation à l'exercice
du pouvoir réel. Cependant, il reste et demeure pénalement et
civilement responsable.
Par ailleurs, lors des élections
présidentielles, les votants ne font qu'investir le candidat à la
présidence de leur choix d'un mandat. En Haïti, la durée du
mandat présidentiel est de cinq ans (5 ans). Dans l'esprit de
réduire la tentation de garder le pouvoir, le mandat
83 Article 163 de la Constitution de 1987.
84 Art. 186, al. 1er de la Constitution de 1987.
85 Donc, il doit être tenu à
l'écart des luttes politiques.
présidentiel est renouvelable une seule fois et
après un intervalle de cinq ans (5 ans) au moins.86
Encore en réaction au présidentialisme
traditionnel, le calendrier des échéances électorales est
chaotique, c'est-à-dire que le cycle électoral est
irrégulier en ce sens que le Président de la République,
les Sénateurs et les Députés ne sont pas élus pour
la même durée. Qui plus est, la Chambre des Députés
est renouvelée intégralement chaque quatre ans (4 ans), alors que
le renouvellement du Sénat se fait par tiers (1/3) tous les deux ans.
D'où, une véritable « arythmie électorale
»87.
Tout l'enjeu politique réside dans le fait que cette
« arythmie électorale » laisse place à de forts risques
de non-concordance entre les majorités parlementaire et
présidentielle. Or, en cas de cohabitation, l'influence du
Président de la République va être davantage
tempérée ou simplement minimisée par la
prépondérance du Premier Ministre.
B. SES COMPÉTENCES ET LEURS LIMITES
Contrairement aux Assemblées parlementaires, les
attributions du Président de la République sont limitativement
fixées par la Constitution.88 Sans toutefois négliger
quelques prérogatives spéciales que lui accorde la Constitution,
nous nous en tenons ici, prioritairement, à ses compétences
politiques, diplomatiques et militaires.
Ses compétences
politiques
Le Président de la République choisit le Premier
Ministre. Néanmoins, il est tenu de le choisir au sein du parti de la
majorité, c'est-à-dire un membre du parti de la majorité
parlementaire.89 Donc, si celle-ci relève d'un autre courant
politique que celui auquel appartient le Président de la
République, ce dernier peut être obligé de choisir comme
Premier Ministre une personnalité dont la vision se trouve aux antipodes
de la sienne, surtout dans l'éventualité où cette
majorité serait homogène. A ce moment, le Premier Ministre serait
le
86 Donc, il n'est pas immédiatement
rééligible, c'est-à-dire qu'il ne peut pas se porter
candidat à sa propre succession. Et, il est de la sorte, en
réaction au présidentialisme traditionnel et cela favorise
également l'alternance politique.
87 Cette notion est empruntée à Olivier
DUHAMEL. Voir Olivier DUHAMEL 1991, p. 135.
88 Article 150 de la Constitution de 1987.
89 Constitution de 1987, art. 137.
chef d'une majorité parlementaire hostile à la
politique souhaitée par le Chef de l'Etat.90 En un mot, c'est
la majorité qui impose au Président de la République un
Premier Ministre.
Toutefois, il peut arriver qu'aucun parti n'ait la
majorité au Parlement. A ce moment, le Président de la
République est tenu de choisir un Premier Ministre « en
consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre
des Députés ». Ici, le Président de la
République paraît disposer d'une plus grande marge de manoeuvre.
Mais, dans la pratique, et surtout si la configuration du Parlement
présente la réalité d'une mosaïque, le
Président de la République devra s'assurer que le Premier
Ministre choisi dispose de la confiance du Parlement. Or, dans cette situation,
le Président de la République devra montrer toute sa mesure dans
l'art difficile de la négociation, vu la multiplicité et la
divergence des intérêts politiques.
Dans les deux cas susmentionnés, le choix doit
être ratifié par le Parlement. Ce qui met le Parlement au centre
du choix du Premier Ministre. Le Président de la République n'a
que le pouvoir de lui proposer le nom d'une personnalité.91
Qui plus est, constitutionnellement, le Président de la
République n'est pas autorisé à révoquer le Premier
Ministre qu'il a pourtant « choisi »92.
Le Chef de l'Etat participe au choix des membres du Cabinet
ministériel du Premier Ministre.93 Il assure la
présidence du Conseil des Ministres.94 Il dispose d'un droit
de message au Parlement.95 Il dispose d'un droit d'objection, un
droit très limité.96 Il peut convoquer le Parlement en
session extraordinaire.97 Enfin, il dispose d'un droit d'amnistie en
matière politique.98
90 Cependant, pour ne pas seulement
considérer le simple cadre constitutionnel du régime, nous devons
faire remarquer, vu le multipartisme en Haïti, qu'il devient difficile
pour un parti de disposer de la majorité parlementaire. Depuis
l'institution de la Constitution de 1987, quand une majorité arrive
à être dégagée, elle est composite, hormis le cas de
la 47e Législature. Or, ce statu quo tend à
relativiser les risques de cohabitation au sens propre du terme. D'ailleurs,
les élections de Mai 2000 ont été largement
contestées par la majeure partie de la classe politique. « A
quelques heures du dépouillement, les bulletins se ramassent
déjà à la pelle près du BEC de la rue Pavée.
» Voir Le Nouvelliste du Lundi 22 Mai 2000, no 35 960
et celui du Mardi 23 Mai, no 35 961.
91 Cependant, quand il y a concordance entre les deux
majorités -ce qui est difficile vu le multipartisme- le Président
de la République joue un rôle plus actif.
92 Art. 137-1, Constitution de 1987.
93 Article 158 de la Constitution de 1987.
94 Art. 154, Constitution de 1987.
95 Art. 151, Constitution de 1987.
96 Voir les articles 121, 121-4, 144 de la
Constitution de 1987.
97 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de
1987.
98 Art. 147, Constitution de 1987.
Ses compétences diplomatiques et
miitaires
La Constitution reconnaît au Chef de l'Etat le pouvoir
spécial (treaty making power) de négocier99
et de signer les traités internationaux100. Cependant,
l'organe interne investi souverainement de l'autorité pour s'engager
définitivement et solennellement au nom de l'Etat à les
exécuter c'est l'Assemblée Nationale. D'où le pouvoir
d'approbation ou de rejet de cet organe en cette matière. Le
Président de la République soumet les traités à la
ratification de l'Assemblée Nationale et l'instrument de ratification,
le cas échéant, se présente sous la forme de «
décret de ratification »101.
Le Chef de l'Etat dispose du droit de
légation.102 Mais pour la nomination des Ambassadeurs et
Consuls généraux, l'arrêté de nomination est pris en
Conseil des Ministres et après approbation du Sénat.
Le Président de la République est le Chef
nominal des Forces armées et participe au choix du Commandant en Chef
des Forces armées. « Il déclare la guerre,
négocie et signe les traités de paix », mais il lui
faut préalablement l'approbation de l'Assemblée Nationale.
Des prérogatives
spéciales
Le Président de la République, aux termes de
l'article 136 de la Constitution de 1987, veille au respect de la Constitution,
mais il ne pas saisir, en cette qualité, le juge constitutionnel pour
lui demander de statuer sur la conformité d'une loi ou d'un
traité international à la Constitution. Cet article fait de lui
un gardien de la Constitution, mais cette dernière ne lui en donne pas
les moyens.103
99 Donc, «le pouvoir de désigner les
plénipotentiaires et leur délivrer les pleins pouvoirs».
Voir Nguyen Quoc Dinh 2002, op. cit., page 128.
100 Art. 139, Constitution de 1987.
101 Voir les articles 139 et 276-1 de la Constitution.
102 Droit pour un Etat d'envoyer auprès d'autres Etats
ou de recevoir de ceux-ci des représentants diplomatiques ; dans le
1er cas, on parle de droit de légation actif, dans le second
de droit de légation passif .Voir CORNU 2007, op. cit., page
539.
103 Toutefois, d'aucuns diraient que le Président de la
République joue son rôle de gardien de la Constitution à
travers son droit d'objection, puisque, entre autres, la promulgation atteste
que la loi a été régulièrement
délibérée et votée. Donc, si le Chef de l'Etat
estime que la loi est inconstitutionnelle, il a le droit de demander une
nouvelle délibération de cette loi. Ce raisonnement est
très logique, mais, comme il a été déjà
indiqué, le droit d'objection du Président de la
République est un droit très limité.
Il veille également à la stabilité des
institutions, mais il ne dispose pas du droit de dissolution même en cas
de conflits irréductibles entre le Gouvernement et les Assemblées
parlementaires.
De plus, comment assure-t-il le fonctionnement régulier
des Pouvoirs publics ? A ce sujet, nous faisons observer qu'en France, lorsque
le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics constitutionnels est
interrompu, le Président de la République dispose des pouvoirs
exceptionnels de l'article 16 de la Constitution de 1958 et du recours au
référendum.104
§ 2.- LE GOUVERNEMENT : RESPONSABILITÉ ET
INSTABILITÉ
Le Gouvernement forme avec le Président de la
République les deux composantes du Pouvoir Exécutif. Cet organe
collégial et solidaire dont la mission est de « conduire la
politique de la Nation » procède du Parlement et le Conseil
des Ministres est sa principale instance de réunion politique. Il est
composé du Premier Ministre dont l'influence politique est à
géométrie variable (A), des Ministres et des Secrétaires
d'Etat (B).
A. LE PREMIER MINISTRE ET DES VARIATIONS DE SON INFLUENCE
POLITIQUE
Le Premier Ministre105 est le Chef du Gouvernement
dont il dirige l'action. Or, c'est le Gouvernement qui conduit la politique de
la Nation. En conséquence, le Premier Ministre occupe, sans conteste,
une place d'importance dans le système institutionnel mis en place par
la Constitution de 1987.
Le bicéphalisme exécutif institué par la
Constitution de 1987 a pour principal objectif le transfert du pouvoir
réel au Premier Ministre placé à la tête du
Gouvernement dont le fonctionnement est orienté vers l'action.
Cependant, l'influence qu'il exerce dépend du contexte politique.
104 Toutefois, le Comité de réflexion et de
proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des
institutions de la Ve République, appelé Comité
« Balladur », constatant l'insuffisance des mécanismes de
contrôle en cas de mise en oeuvre de l'art. 16 de la Constitution de
1958, a proposé d'encadrer cette procédure. Cette proposition a
été partiellement suivie par les Pouvoirs Exécutif et
Législatif. Cf. Proposition no 11 du Comité
« Balladur », rapport consulté le 19 Décembre 2008 sur
le site officiel de l'Elysée :
http://www.elysee.fr ; art. 6 de la
LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Ve République.
105 Historiquement, la fonction de Premier Ministre
est introduite en 1985 dans le système politique haïtien en
vertu des amendements apportés à la Constitution de 1983.
Toutefois, pour répéter le professeur Mirlande Manigat, il ne
s'agit qu'une simple antériorité normative. C'est qu'il
a fallu attendre le nouveau régime constitutionnel de 1987 pour sa
première mise en oeuvre. Voir MANIGAT 2000, op. cit., page
511.
Le Premier Ministre joue pleinement son rôle directeur
dans la détermination et la conduite de la politique de la Nation quand
il est issu et donc soutenu par une majorité politiquement hostile
à l'orientation du Président de la République. C'est
l'hypothèse classique de la cohabitation et c'est dans cette
hypothèse que le Premier Ministre exerce effectivement la fonction de
Chef de Gouvernement qui lui est théoriquement dévolue :
1- Il a une liberté certaine dans le choix des membres de
son Cabinet ministériel.
2- Il a la possibilité d'imposer sa volonté en
s'assurant que ses Ministres, à la tête des différents
départements ministériels, mettent effectivement en oeuvre la
politique gouvernementale.
3- Le budget106 est préparé sur ses
instructions, voté par sa majorité, et c'est le Gouvernement
qu'il dirige qui l'exécute.
4- Il peut librement exercer son pouvoir de nomination et de
révocation des fonctionnaires publics107.
5- Il pourra faire voter par sa majorité les projets de
loi reflétant les grandes orientations de la politique
gouvernementale.
6- En tant que coresponsable de la défense
nationale108, sa vision en cette matière peut relativement
être privilégiée.
7- Il pourra librement exercer le pouvoir réglementaire
qu'il tient en application de l'art. 159 en adoptant des règlements
d'application pour assurer l'exécution des lois.
Les constituants de 1987 semblent prioriser ce cas de figure,
car le cadre constitutionnel place le Parlement au centre du choix du Premier
Ministre et « l'arythmie électorale » imposée par la
Constitution laisse place à de forts risques de divergence entre les
majorités parlementaire et présidentielle.
Par contre, le fait majoritaire peut considérablement
empêcher au Premier Ministre de contrebalancer l'influence du
Président de la République. Lorsque la majorité
parlementaire
106 Précisément, en dehors de ce moyen financier
qu'est le budget l'exercice du pouvoir ne peut se concevoir.
107 C'est un moyen de contrôle de l'Administration
publique. Puisque cette dernière se situe en quelque sorte dans le
prolongement du Pouvoir Exécutif, or c'est précisément le
Chef du Gouvernement qui mène la politique de la Nation. En ce sens, il
peut être aussi considéré comme chef de
l'Administration.
108 Art. 159-1 de la Constitution de 1987.
est en concordance d'orientation avec le Président de
la République, le Premier Ministre cesse d'être le Premier
Ministre de la majorité pour devenir le Premier Ministre du
Président de la République. Le Premier Ministre peut alors jouer
un rôle effacé en assurant la mise en oeuvre de la politique
présidentielle, surtout si le Chef de l'État
bénéficie du soutien fidèle de la majorité au
Parlement. Il est vrai que dans cette hypothèse, les deux sont issus du
même parti ou de la même coalition, mais le Président de la
République a un plus de quoi imposer sa vision : La consécration
populaire dont il bénéficie109.
De plus, quand le Premier Ministre n'est issu d'aucune
majorité, sa marge de manoeuvre est davantage réduite. S'il n'est
issu d'aucune majorité, il ne pourra donc compter sur le soutien
d'aucune majorité. Or, pour pouvoir conduire efficacement la politique
de la Nation, voire même subsister, il doit à tout instant
bénéficier de la confiance des deux (2) Assemblées formant
le Parlement. Ainsi, le Premier Ministre issu des tractations du
Président de la République avec les forces en présence au
niveau du Parlement devra-t-il se débrouiller pour se construire une
majorité (composite, donc faible) pour soutenir sa politique, assurer sa
subsistance et sa stabilité. Cependant, il n'y arrivera pas facilement
tenant compte de la multiplicité des divergences d'opinions et
d'intérêts politiques au sein des Assemblées avec une
pareille configuration.
Ce dernier cas de figure ne fait l'affaire ni du
Président de la République ni du Premier Ministre qui doivent
constamment « négocier » pour que ce dernier puisse arriver
à gouverner dans une relative stabilité.
B. LES MINISTRES ET LES SECRÉTAIRES D'ETAT :
EFFECTIF ET RESPONSABILITÉ
Les Ministres et les Secrétaires d'Etat forment avec le
Premier Ministre les trois (3) composantes du Gouvernement.
Un Gouvernement dispose d'un nombre variable de Ministres, la
Constitution se contentant de fixer le plancher à dix.110
L'effectif des Ministres sans portefeuille dépend du Premier Ministre et
dans une mesure moindre du Président de la République. Mais
l'effectif des Ministres à portefeuille dépend du
Législateur qui fixe le nombre des ministères.111
109 Sans oublier les séquelles du présidentialisme
traditionnel qui continuent à jouer en sa faveur, ne serait-ce qu'au
niveau de l'imaginaire collectif.
110 Art. 166, Constitution de 1987.
111 Art. 167, Constitution de 1987.
En ce qui a trait au nombre des Secrétaires d'Etat du
Gouvernement, le Premier Ministre dispose d'un véritable pouvoir
discrétionnaire.112
Le Secrétaire d'Etat, membre du Gouvernement, vient
après le Ministre dans la hiérarchie ministérielle. Il
assiste le Ministre auquel il est adjoint et participe certaines fois aux
réunions du Conseil des Ministres. Par contre, le Ministre participe de
plein droit aux réunions du Conseil des Ministres.
La responsabilité politique du Ministre est à la
fois individuelle et collective :
> Primo, le Ministre doit d'abord
bénéficier de la confiance du Premier Ministre. Autrement, il
peut perdre son poste suite à un remaniement ministériel.
Ensuite, individuellement, la responsabilité politique d'un Ministre
peut être mise en cause par un vote de censure à l'occasion d'une
séance d'interpellation provoquée par l'une ou l'autre des deux
Assemblées.113
> Secundo, chaque Ministre est responsable de la
politique générale du Gouvernement en tant que membre de ce
dernier : c'est la solidarité gouvernementale. Par voie de
conséquence, si la censure est infligée au Premier Ministre, tous
les Ministres, entre autres, sont obligés de quitter le pouvoir.
En outre, chacune des deux Assemblées peut aussi, dans
les mêmes conditions, infliger la censure au Secrétaire d'Etat,
membre du Gouvernement.
Enfin, mise à part l'existence des membres du
Gouvernement, ce dernier est doté d'une existence propre, distincte de
celle des ses membres et qui se traduit dans l'institution du Conseil des
Ministres : c'est le principe de la collégialité. Il s'ensuit le
principe de la solidarité ministérielle : « Les
décisions importantes étant délibérées en
commun par les Ministres, chacun d'eux supporte la responsabilité des
décisions arrêtées par le Gouvernement...
».114
112 Art. 166, al. 2 de la Constitution de 1987.
113 Art. 172, Constitution de 1987.
114 GUILLIEN, VINCENT 2002, op. cit., p. 519.
CHAPITRE 2 Le régime politique
institué par la Constitution de 1987 : mauvaise articulation du cadre
constitutionnel et de la pratique politique
Ce chapitre traite de l'agencement institutionnel des rapports
entre les Pouvoirs publics (section I). De plus, des considérations
d'ordre théorique sont faites sur la nature du régime sans
toutefois négliger la « pratique » dudit régime,
quoique marquée par une discontinuité institutionnelle,
résultante de l'instabilité politique et de la faiblesse des
institutions (section II).
SECTION I.- DES RAPPORTS
DÉSÉQUILIBRÉS ENTRE LES POUVOIRS PUBLICS
CONSTITUTIONNELS
Sous le régime constitutionnel de 1987, les rapports
entre les Pouvoirs publics115 sont pour le moins
aménagés de manière à empêcher le retour au
présidentialisme traditionnel en affaiblissant le Pouvoir
Exécutif, particulièrement le Président de la
République, et en renforçant de manière
quasi-exagérée le Parlement. Le Président de la
République est élu au suffrage universel direct à la
majorité absolue des votants. Pourtant, ce mode d'accession au pouvoir
ne fait pas chorus avec les prérogatives constitutionnelles qui lui sont
reconnues.
Au sein de l'Exécutif, le Premier Ministre, Chef du
Gouvernement qui conduit la politique de la Nation, vient concurrencer
son autorité, alors que le Gouvernement est en principe une
émanation du Parlement. Or, le Président de la République
n'a aucun moyen d'action décisif sur l'action du Parlement qui le
contrôle dans ses moindres pouvoirs. D'ailleurs la primauté de
l'institution parlementaire est assurée du fait de l'absence de
contrepoids constitutionnels propres à l'empêcher.
115 Parlant ici de Pouvoirs publics, nous faisons
référence aux organes et autorités les plus importants de
l'Etat, c'est-à-dire ceux qui participent à l'exercice du Pouvoir
Législatif et du Pouvoir Exécutif. Voir CORNU 2007, op.
cit., page 700.
Par voie de conséquence, dans l'agencement
institutionnel des rapports entre les Pouvoirs publics constitutionnels, on
décèle un net déséquilibre au profit du Parlement
(§1). D'où, un Parlement puissant et un Exécutif «
désarmé » (§ 2).
§ 1.- DÉSÉQUILIBRE AU PROFIT DU
PARLEMENT
A bien cerner les tenants et les aboutissants des
mécanismes institutionnels du nouveau régime de 1987, l'on peut
avancer que le système politique institué, pour le moins, est
déséquilibré. Les deux (2) institutions politiques ne sont
pas également armées pour se faire contrepoids et ainsi assurer
un certain équilibre du régime.
Le Parlement, pour sa part, est très fort et
paraît sans limites, alors que le Pouvoir Exécutif est
complètement encadré. Donc, le régime est
déséquilibré au profit du Parlement. C'est presqu'une
évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques
institutionnelles du régime.
Pour mieux faire ressortir ce déséquilibre, nous
allons d'abord analyser l'organisation de la responsabilité politique du
Gouvernement (A). Ensuite, nous analyserons quelques méfaits de
l'absence de l'arme de riposte qu'est le droit de dissolution des
Assemblées (B). Finalement, nous essayerons de faire ressortir certaines
faiblesses du système institutionnel de règlement de conflits,
entre les deux (2) Pouvoirs politiques, mis en place par le régime
(C).
A. LA DOUBLE RESPONSABILITÉ POLITIQUE DU
GOUVERNEMENT
Le principe de la responsabilité politique du
Gouvernement traduit l'obligation pour ce dernier de jouir de la confiance du
Parlement qui, en la lui refusant, le contraint à démissionner.
Donc, lorsque Premier Ministre, Ministres et Secrétaires d'Etat n'ont
plus la confiance du Parlement, ils doivent quitter le
pouvoir116.
En effet, dans le régime constitutionnel de 1987, le
Gouvernement procède du Parlement dont il reçoit
l'investiture.117 Le Gouvernement reçoit,
séparément, l'investiture des deux (2) Assemblées par un
vote de confiance qui sanctionne favorablement la déclaration de
116 Voir idem, page 822, puis GUILLIEN, VINCENT 2001,
op. cit., page 489.
117 Voir les articles 137 et 158 de la Constitution.
politique générale du Premier Ministre. Par voie
de conséquence, les articles 129-2, 129- 3, 129-4 et 156 de la
Constitution organisent la responsabilité du Gouvernement devant les
Assemblées parlementaires. En d'autres termes, le cadre constitutionnel
fait dépendre des Assemblées l'existence et la survie du
Gouvernement. En outre, on comprend bien que la responsabilité, comme
moyen de contrôle, constitue une technique de sanction pour les
Assemblées.
Comme le prévoit la Constitution dans sa lettre et son
esprit, le Gouvernement est responsable à la fois devant le Sénat
et devant la Chambre. Donc, il doit s'assurer d'avoir une majorité de
soutien à la fois au Sénat et à la Chambre. En un mot, le
Sénat, comme la Chambre des Députés, peut engager la
responsabilité politique du Gouvernement par la motion de censure pour
le faire chuter. C'est le cas de dire que le Gouvernement est doublement
responsable sur le plan politique. Dans ces conditions, il est ici question
d'une arme politique redoutable dont dispose le Parlement sur l'action
gouvernementale.
En effet, il n'est pas facile qu'un même parti politique
soit majoritaire à la fois au Sénat et à la Chambre. Il
peut donc arriver que le parti majoritaire au Sénat diffère du
parti majoritaire à la Chambre. Or, la majorité parlementaire
doit soutenir l'action du Gouvernement pour que ce dernier puisse subsister.
C'est cette évidence qui a conduit l'historien Claude MOISE à
avancer : « Quiconque a lu cette Constitution doit savoir qu'on ne
peut gouverner sans une majorité parlementaire.
»118 Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où
le Gouvernement s'assure du soutien de la majorité à la Chambre
et fait face, en cours de route119, à une majorité
hostile au Sénat ?
La réponse est presqu'évidente. Il est
théoriquement possible et constitutionnellement correcte que la
responsabilité du Gouvernement soit mise en cause par la majorité
hostile au Sénat. Donc, quoique soutenu par une majorité
numériquement plus forte à la Chambre, la Constitution ne
l'empêche pas de tomber par la seule volonté de la majorité
numériquement plus faible au Sénat. En clair, il peut arriver que
le Gouvernement soit soutenu par le parti le mieux représenté au
Parlement (parti majoritaire à la Chambre) et fait face en même
temps à l'hostilité d'un parti moins bien
représenté qui peut le faire chuter. Or, les deux
Assemblées ont la même légitimité
démocratique. Peut-on permettre à une minorité de
parlementaires
118 Claude MOISE, Le Pouvoir Législatif dans le
système politique haïtien, 1999, page 121.
119 Suite à un renouvellement partiel du Sénat, par
exemple.
d'imposer sa volonté à une majorité quand
pourtant cette minorité et cette majorité ont le même
fondement démocratique ?
Nous devons aussi faire remarquer que même dans
l'hypothèse où le parti majoritaire au Sénat serait le
même à la Chambre, les jeux ne seraient pas pour autant faits pour
le Gouvernement. C'est que ce parti majoritaire dans chacune des deux (2)
Assemblées devrait faire montre d'une cohésion et d'une
discipline éprouvées.120
Au cas où aucun parti ne disposerait de la
majorité ni au Sénat ni à la Chambre, il peut être
très difficile de doter le pays d'un Gouvernement. Pour être
investi, le Gouvernement devra bénéficier de la confiance d'une
majorité ou coalition composite au Sénat et à la Chambre.
Or, toute majorité composite est, par essence, faible121.
Dans ces conditions, le Gouvernement n'est pas certains de pouvoir «
conduire la politique de la Nation » sans être sans cesse
inquiété par la menace d'interpellation. D'où, sa
responsabilité politique peut être facilement engagée pour
n'avoir pas pu satisfaire aux intérêts divergents et multiples des
partis desquels il tient son investiture.
Qui plus est, une majorité composite ou de circonstance
peut être dégagée, suite à des tractations
politiques, au niveau de l'une ou l'autre des deux Assemblées, sans
qu'on ne puisse arriver à persuader les deux Assemblées de voter
en faveur du choix ou de la politique générale du Premier
Ministre et de son Cabinet. Pour ainsi dire, dans le cas où aucun parti
ne disposerait de la majorité ni au Sénat ni à la Chambre,
le Premier Ministre désigné par le Président de la
République ainsi que ce dernier devront montrer toute leur mesure dans
l'art difficile de la négociation pour arriver à faire en sorte
que le Gouvernement soit mis en place.
Quant à présent, considérons
l'hypothèse dans laquelle un Gouvernement serait soutenu par un parti
majoritaire à la Chambre et qu'aucun parti ne disposerait de la
majorité au Sénat. Dans ce cas de figure, la minorité peut
encore « imposer sa loi » à la majorité. C'est qu'en
dépit du soutien du parti majoritaire à la Chambre, le
Gouvernement devra constamment faire face aux exigences des différents
courants politiques -avec des intérêts divergents-
représentés au Sénat pour pouvoir subsister. En un mot, le
Gouvernement devra constamment négocier.
120 Or, pour ne pas tenir compte uniquement du cadre
constitutionnel, Haïti est jusqu'ici une démocratie
émergente. C'est pourquoi nous n'avons pas encore une culture de parti.
Disons que notre réflexe institutionnel n'est pas encore parvenu
à un stade très développé. Alors, il peut
paraître normal, au stade où nous en sommes, que la discipline et
la cohésion à l'intérieur des partis politiques ne soient
pas une évidence.
121 Voir LEROY 1992, page 51.
En définitive, toutes ces hypothèses montrent bien
la fragilité de la stabilité ministérielle et le poids
réel du Parlement en matière de contrôle de l'action
gouvernementale.
B. L'ABSENCE CONCOMITANTE DU DROIT DE DISSOLUTION DES
ASSEMBLÉES
Sous le régime constitutionnel de 1987, la dissolution
du Parlement ou de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées est
prohibée.122 Donc, Députés et Sénateurs
sont assurés de demeurer en fonction jusqu'à la fin de leur
mandat, nonobstant les cas de cessation anticipée de mandat
limitativement fixés par la Constitution.123
En effet, d'un côté, chacune des deux
Assemblées peut prendre l'initiative de renvoyer le Gouvernement. Le
vote de la motion de censure au niveau d'une des deux Assemblées sur une
question se rapportant au programme ou une déclaration de politique
générale du Gouvernement entraîne, ipso facto, la
démission en bloc de ce dernier. De l'autre côté, aucune
des deux Assemblées n'a à craindre la menace de la dissolution.
Comment alors empêcher les cas de renvoi fantaisiste de Gouvernement ? La
question de la stabilité ministérielle a-t-elle été
une préoccupation pour les constituants de 1987 ?
Les régimes dans lesquels l'Assemblée qui peut
renvoyer le Gouvernement peut aussi être dissoute assurent une certaine
stabilité du Gouvernement. C'est que face à la peur de voir la
responsabilité politique du Gouvernement engagée, le Chef de
l'Etat, membre de l'Exécutif, peut menacer la dissolution sinon pour
freiner, du moins pour limiter les cas de renvoi fantaisiste de
Gouvernement.
Tenant compte de ce qui précède, l'on peut
avancer que le droit de dissolution détenu par le Chef de l'Etat ferait
contrepoids au pouvoir de renvoi du Gouvernement que détient chacune des
deux (2) Assemblées. Donc, à défaut de cette
réciprocité de moyens de pression, on est en plein dans un
déséquilibre monumental entre les deux Pouvoirs politiques du
régime.
Une Assemblée parlementaire sur laquelle le Chef de
l'Etat dispose d'un droit de dissolution réfléchira à deux
fois avant de prendre la décision de renvoyer le
122 Art. 111-8.
123 Art. 130.
Gouvernement124. Autant dire qu'elle devra faire
preuve d'une extrême prudence dans le maniement de l'arme politique de la
censure, sous peine d'être dissoute. A contrario, rien
n'empêche à une Assemblée parlementaire, sur laquelle ne
pèse pas cette pression politique, d'exiger « du n'importe quoi
» au Gouvernement en le menaçant d'interpellation. Dans ces
conditions, n'est-on pas en droit de parler d'une certaine dictature
parlementaire en Haïti ?
C. L'INEFFICACITÉ DES MÉCANISMES
INSTITUTIONNELS DE RÈGLEMENT DE CONFLITS
Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif
sont les deux Pouvoirs politiques du régime constitutionnel de 1987.
D'une manière générale, le Parlement
délibère et contrôle des actes très souvent
préparés et exécutés par le Pouvoir
Exécutif. Ces deux Pouvoirs de l'Etat sont donc distincts l'un de
l'autre et sont chargés de fonctions différentes. Ils sont «
indépendants » l'un par rapport à l'autre ; pourtant, ils
sont appelés à collaborer l'un et l'autre en vue de la bonne
marche de l'Etat. D'où, des risques de conflits entre les deux Pouvoirs
politiques de l'Etat. Quand ces conflits surviennent, comment les
résoudre de manière institutionnelle ?
Le régime politique institué par la Constitution
de 1987 laisse place à des risques de conflits assez
élevés entre les Pouvoirs Législatif et Exécutif.
Pourtant, les mécanismes institutionnels de règlement de conflits
mis en place par la Constitution de 1987 laissent à désirer.
L'article 206 de la Constitution de 1987 accorde à une
institution dénommée « Commission de Conciliation » le
pouvoir de trancher, entre autres, les différends opposant le Pouvoir
Législatif et le Pouvoir Exécutif. Néanmoins, cette
même institution appelée à trancher les différends
ne juge pas, puisque ce n'est pas l'adoption d'un acte d'autorité qui
consacre son dessaisissement. Ce n'est qu'une commission de conciliation
comme son nom l'indique. Elle est une institution ad hoc
appelée, entre autres, à aider les deux Pouvoirs politiques
à trouver une entente en cas de différends et dans
l'éventualité où elle est saisie. Il
124 A ce sujet, nous rappelons que la dissolution d'une
Assemblée parlementaire fait provoquer des élections
anticipées. Donc, l'enjeu politique est de taille.
revient à la Cour de Cassation de la République
de résoudre le différend par une décision
d'autorité.125
Dans un premier temps, nous examinons la composition de la
Commission de Conciliation, car cela peut aider à évaluer son
degré d'indépendance par rapport aux parties qu'elle
prétend aider à trouver une entente. Ainsi, l'article 206 de la
Constitution donne-t-elle sa composition.
> 1- Le Président de la Cour de Cassation fait
office de Président de la Commission de Conciliation. Nous rappelons que
ce dernier est avant tout un juge de ladite Cour. Or, c'est le Sénat,
Corps du Pouvoir Législatif, qui est chargé de la
présélection des juges à la Cour de
Cassation.126
> 2- Le Président du Sénat et celui de la
Chambre des Députés, en principe deux membres influents du
Parlement, sont respectivement vice- président et membre de ladite
Commission.
> 3- Le Président du C.E.P. ainsi que le vice-
président de la même institution sont membres de ladite
Commission. Nous rappelons que l'Assemblée Nationale, organe non
permanent du Parlement, concourt à la formation du C.E.P. en choisissant
trois de ses neuf membres.
> 4- Enfin, deux Ministres- membres du Gouvernement
procédant du Parlement- désignés par le Président
de la République font office de membres de la Commission de
Conciliation.
En somme, on comprend bien que la probabilité d'avoir
une Commission de Conciliation indépendante du Parlement est
mince127.
Dans un second temps, nous pouvons nous questionner sur le choix
de la Cour de Cassation de la République comme institution
chargée d'adopter, le cas échéant, une décision
125 Art. 111-7, Constitution de 1987.
126 Art. 175.
127 Quand les membres de la Commission de Conciliation ne sont
pas des membres très influents du Parlement, ils tiennent leur pouvoir,
dans une certaine mesure, du Parlement. On peut donc présumer sinon des
conflits d'intérêts, du moins une tendance à se croire
redevable. Cette analyse peut toutefois ne pas être exacte pour ce qui
concerne les deux membres du C.E.P. représentés à ladite
Commission, puisque ces derniers pourraient ne pas être ceux
préalablement choisis par l'Assemblée Nationale.
souveraine pour mettre fin « définitivement »
aux différends opposant Pouvoir Législatif et Pouvoir
Exécutif.
La Cour de Cassation de la République, en dépit
de son prestige et de la place dominante qu'elle occupe dans le système
judiciaire haïtien, reste et demeure une juridiction du Pouvoir
Judiciaire. Alors, comment demander à une partie d'un des trois grands
Pouvoirs de l'Etat d'adopter une décision sans appel qui s'appliquera
aux deux autres grands Pouvoirs de l'Etat en cas de conflit ? Ce
mécanisme, est-il en concordance avec le principe de la
Séparation des Pouvoirs consacré par la Constitution en son
article 59 ?
Prenons l'hypothèse dans laquelle une décision
finale est prise par la Cour de Cassation en vue de résoudre le conflit.
Comment alors s'assurer de son exécution ? Et dans
l'éventualité où aucun des deux Pouvoirs politiques ne
déciderait de saisir la Commission de Conciliation, que risquerait-il de
se passer ?
En effet, la Commission de Conciliation n'est pas le seul
mécanisme institutionnel de règlement de conflits entre le
Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif. Aussi, la
responsabilité politique du Gouvernement permet-elle, classiquement,
d'apporter une solution aux conflits susceptibles de survenir entre le
Gouvernement et la majorité parlementaire128. Toutefois, dans
le régime constitutionnel de 1987, cette méthode institutionnelle
de résolution d'un conflit politique crée plus un
déséquilibre monumental entre le Pouvoir Législatif et le
Pouvoir Exécutif que d'éviter le blocage des institutions.
La responsabilité politique du Gouvernement serait
d'une efficience à toute épreuve pour le règlement des
conflits entre les Pouvoirs politiques en vue de la bonne marche des
institutions politiques du régime, si elle était
contrebalancée par le droit de dissolution des Assemblées. C'est
que cet équilibre exigerait sinon une certaine prudence, du moins une
prudence certaine dans le maniement de l'arme politique de la censure.
En cas de conflit, le Gouvernement saurait que sa
responsabilité politique peut être mise en cause. Le cas
échéant, cela conduirait à la formation d'un nouveau
Gouvernement bénéficiant de la confiance de la majorité.
En même temps, l'Assemblée ayant voté la motion de censure
ou qui projette de le faire saurait qu'elle peut être dissoute. Le cas
échéant, une nouvelle majorité pourrait
éventuellement être dégagée. Ainsi, la
décision de renvoyer un Gouvernement ferait-elle automatiquement penser
au verdict des urnes.
128 Voir PACTET 2001, op. cit., p.145.
Puisque les constituants de 1987 n'ont pas cru utile
d'instaurer cette réciprocité de moyens de pression entre les
Pouvoirs politiques, la responsabilité politique du Gouvernement perd
beaucoup de son importance comme méthode institutionnelle efficace de
règlement de conflits. C'est que l'utilisation de cette arme politique
peut ne pas viser la bonne marche de l'Etat, puisque les parlementaires n'ont
pas à craindre un éventuel arbitrage populaire. Cette situation
peut encore favoriser un bras de fer entre la majorité
présidentielle et la majorité parlementaire ; d'où, un
terrain fertile à crises institutionnelles.
De plus, seulement la menace du vote de la motion de censure
peut conduire un Gouvernement ou un de ses membres à avoir une certaine
propension à oeuvrer dans le sens des intérêts politiques
d'un groupe de parlementaires influents. Or, parallèlement, le
Gouvernement peut éventuellement être soutenu par une
majorité plus forte dans l'autre Assemblée129.
§ 2.- UN PARLEMENT PUISSANT ET UN EXÉCUTIF
« DÉSARMÉ »
A la chute du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986,
dominait une tendance au chambardement dans le pays. Le gros du Peuple voulait
tout chambarder. Vu la soif de démocratie et le symbolisme de la
chute130, le Peuple n'a pas voulu que soit possible la restauration
du statu quo ante. C'est le cas de dire que le régime de
dictature des DUVALIER effrayait une bonne partie de la population et a
également laissé des souvenirs troublants.
C'est dans cette perspective que les constituants de 1987 ont
cru devoir, par tous les moyens, tenter d'éviter le retour au
présidentialisme traditionnel dans le souci d'éviter toute
dérive dictatoriale. Dans cette optique, des pouvoirs très
étendus sont accordés au Parlement, alors que le Pouvoir
Exécutif est complètement encadré. La Constitution accorde
des pouvoirs considérables au Gouvernement, branche du Pouvoir
Exécutif, mais elle en fait également le
129 Dans ces conditions, que faire ? D'une part, le
Gouvernement ne peut pas se permettre d'oublier qu'il est soutenu par une
majorité dans une Assemblée. D'autre part, le Gouvernement ne
peut non plus négliger le poids du groupe de parlementaires hostiles
dans l'autre Assemblée, en dépit de leur
infériorité numérique par rapport à sa
majorité de soutien. Il risque donc de balloter, alors que le pays va
mal.
130 La chute du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986
n'est pas simplement la chute d'un Président de la République.
Elle a mis fin à une trentaine d'années de dictature des
DUVALIER. De plus, ce devrait être la chute d'un système
politico-idéologique.
Gouvernement du parti majoritaire au Parlement. De plus,
l'esprit du texte constitutionnel trahit une méfiance à
l'égard de la fonction présidentielle.
En somme, le Parlement est sinon le véritable lieu de
pouvoir, du moins l'épicentre du pouvoir politique (A). Or, le Pouvoir
Exécutif, en tant qu'organe du pouvoir politique, ne semble pas
constituer un contrepoids réel et efficace à la toute-puissance
du Parlement (B).
A. LE PARLEMENT : L'ÉPICENTRE DU POUVOIR
POLITIQUE
Tenant compte de l'organisation institutionnelle du nouveau
régime constitutionnel de 1987, on peut avancer que le Parlement est
sinon une institution-clé, du moins l'organe central du pouvoir
politique dans le système constitutionnel haïtien.
En effet, le cadre constitutionnel confère au Parlement
un rôle de premier plan dans l'exercice du pouvoir politique. Il demeure
entendu que, pour réduire l'influence du Président de la
République et ainsi faire échec au présidentialisme
traditionnel, des pouvoirs importants sont accordés au Gouvernement dans
le cadre du bicéphalisme exécutif institué par la
Constitution de 1987. Toutefois, il n'en demeure pas moins vrai que tout
Gouvernement est en principe celui du parti de la majorité parlementaire
dans le régime constitutionnel de 1987.
Par conséquent, le Gouvernement n'est que le reflet de
la configuration du Parlement. Un Parlement dominé par un parti
disposant de la majorité dans chacune des deux Assemblées pourra
facilement accorder sa confiance pour l'investiture d'un Gouvernement. Dans ces
conditions, le programme politique du Gouvernement aura été celui
du courant majoritaire au Parlement. A contrario, un Parlement «
mosaïque », au sein duquel aucun parti ou groupe ne dispose de la
majorité, accordera plus aisément sa confiance à un
Gouvernement de coalition reflétant les courants divergents et multiples
qui s'affrontent aux Assemblées. En peu de mots, le Gouvernement, quel
que soit le cas de figure considéré, procède du Parlement
dont il reçoit également l'investiture.
En plus de faire procéder le Gouvernement du parlement,
la Constitution de 1987 accorde à ce dernier des pouvoirs
quasi-illimités en vue de contrôler minutieusement l'action
gouvernementale :
> 1- Il contrôle l'exécution du programme
politique pour lequel il a accordé sa confiance ;
> 2- Il peut même questionner ou encore interpeller le
Gouvernement en entier ou un des ses membres sur les faits et actes de
l'Administration131 ;
> 3- Il contrôle l'exécution du budget qu'il a
voté ;
> 4- Il dispose d'un pouvoir général
d'enquête.
Par suite, pour rendre effectives les compétences
susmentionnées, l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées
parlementaires peut valablement renverser le Gouvernement si celui-ci ne
disposerait plus de sa confiance.
Quant au Président de la République, son pouvoir
de nomination, en majeure partie, est teinté de l'influence et du
contrôle du Parlement. C'est le cas dans la procédure de
nomination des juges de la Cour de Cassation ; sa liberté de choix est
limitée par le Sénat. Le Président de la République
est le Chef nominal des Forces Armées132, coresponsable avec
le Premier Ministre de la défense nationale133 et joue un
rôle d'importance dans la diplomatie haïtienne. Toutefois, ce n'est
qu'après l'approbation du Sénat que le Président de la
République est habilité à nommer le Commandant en Chef des
Forces Armées, celui de la Police, les Ambassadeurs et les Consuls
Généraux. Ajouter à cela, il faut aussi l'approbation du
Sénat pour nommer les Conseils d'Administration des Organismes
autonomes.
De plus, il lui faut l'approbation de l'Assemblée
Nationale pour déclarer la guerre à une puissance
étrangère ennemie. Même en temps de crise grave, il ne peut
pas décider de l'opportunité de l'état de siège. Il
dispose, certes, d'une compétence constitutionnelle exclusive pour
négocier et signer les traités, conventions ou accords
internationaux ; mais, un dernier examen, par l'Assemblée Nationale, de
ces instruments juridiques internationaux est constitutionnellement
nécessaire avant que l'Etat soit juridiquement et «
définitivement » engagé.
Le Président de la République ne peut, en aucune
façon, mettre fin, avant son terme normal, au mandat des parlementaires.
Or, le Sénat, érigé en Haute Cour de Justice, peut,
131 Art. 129-2, Constitution de 1987.
132 Art. 143, Constitution de 1987.
133 Art. 159-1, Constitution de 1987.
éventuellement, mettre fin prématurément
au mandat du Président de la République en le destituant. C'est
qu'en dépit de son irresponsabilité politique, le
Président de la République encourt une responsabilité
pénale « pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou
délit commis dans l'exercice de ses fonctions » et est
passible de la Haute Cour de Justice. La procédure de mise en
accusation, procédure d'impeachment dans le système
américain, est engagée par la Chambre des Députés.
Le Sénat, de son côté, érigé en H.C.J.,
après avoir été régulièrement saisi, statue
sur les faits reprochés au Président de la République.
De surcroît, on peut même présumer une
responsabilité du Président de la République en dehors de
l'exercice de ses fonctions. La Constitution n'empêche pas qu'il puisse
être librement poursuivi devant les tribunaux ordinaires pour les actes
ne relevant pas de l'exercice de ses fonctions. Le régime de la
responsabilité pénale du Président de la République
devant la H.C.J. prend en considération seulement les actes accomplis
dans l'exercice de la fonction présidentielle. Le Président de la
République ne bénéficie pas d'une immunité
juridictionnelle concernant les actes accomplis hors de l'exercice de la
fonction présidentielle. Donc, constitutionnellement, il peut être
attaqué devant une juridiction ordinaire pendant le cours du mandat
présidentiel pour les actes ne relevant pas de l'exercice de ses
fonctions. Or, quoi que les parlementaires soient passibles des tribunaux de
droit commun, il faut quand même, nonobstant les cas de flagrance,
d'abord engager la procédure de la levée des immunités.
En dernier lieu, le champ d'action du Parlement, dans le cadre
de l'exercice de sa fonction législative, ne fait quasiment pas l'objet
de limitations. Le constat est le même tant au niveau du domaine
législatif qu'au niveau de la procédure législative.
Tenant compte de tout ce qui précède, il va sans
dire que le Parlement est un véritable lieu de pouvoir, sinon le
siège réel du pouvoir. Pourtant, il souffre d'une carence
d'encadrement juridique.
B. L'ABSENCE DE CONTREPOIDS CONSTITUTIONNELS EFFICACES
Dans le régime constitutionnel de 1987, le
système institutionnel retenu se caractérise par la
prééminence du Parlement. A la vérité, il arrive
que les Constitutions accordent une certaine prépondérance
à l'un ou l'autre des organes qu'elles instituent. Néanmoins,
dans les régimes démocratiques dits de Séparation des
Pouvoirs, les compétences accordées aux
Pouvoirs institués sont limitées voire
même contrebalancées. Or, dans la Constitution de 1987, le
Parlement détient des pouvoirs très étendus, voire
illimités, qu'il exerce, pourtant, sans un contrôle efficace.
En fait, il n'y-a pas de drame à accorder des pouvoirs
considérables au Parlement au détriment du Pouvoir
Exécutif, comme moyen de contourner les éventuelles tentatives de
dérive dictatoriale. C'est qu'il est plus facile à un seul homme,
doté d'un pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme annihilant
ainsi les libertés fondamentales. Cependant, à trop vouloir
coincer le Pouvoir Exécutif, particulièrement le Président
de la République, les constituants de 1987 donnent l'impression d'avoir
oublié, entre autres, les méfaits du phénomène de
l'obstruction parlementaire, de celui de la paralysie parlementaire ou de celui
de la dictature parlementaire.
Le problème réel résulte du fait qu'en
dépit de l'immensité des pouvoirs accordés au Parlement,
les bornes de ces derniers ne sont pas bien connues. De plus, ils ne sont ni
efficacement contrôlés ni contrebalancés comme le veut la
théorie de la Séparation des Pouvoirs qui postule
l'équilibre des Pouvoirs134, alors que le principe de la
Séparation des Pouvoirs est consacré solennellement par la
Constitution. Comment alors contrebalancer l'influence du Parlement en cas de
dérive ? Peut-on se contenter d'une « vertu »
présumée des élus du Peuple ou doit-on se confier
uniquement à la morale politique ? Dans ces conditions,
l'institutionnalisation du pouvoir politique en Haïti ne perd-t-elle pas
de son sens ?
En effet, les pouvoirs les plus importants et redoutables du
Parlement n'ont pas de contrepartie et ne sont pas rationalisés. Nous
pensons tout de suite au droit de censure des Assemblées parlementaires,
aux prérogatives de législation illimitées du Parlement,
à son pouvoir d'enquête, à la procédure de mise en
accusation du Président de la République ou de tout autre membre
du Pouvoir Exécutif, au pouvoir de contrôle sur nombre de
nominations faites par le Président de la République,
etc.
Pour l'essentiel, au droit de censure ne correspond pas le
droit de dissolution dans le système institutionnel retenu. De plus, en
matière de législation, le Parlement est incontournable.
Pourtant, le Pouvoir Exécutif, quoique ne disposant pas de la
compétence pour adopter des règlements autonomes, ne
contrôle pas la procédure législative.
134 Selon le professeur émérite Pierre PACTET,
il devait résulter de la théorie de la séparation des
pouvoirs un équilibre institutionnel qui constituait le fond même
de la théorie et sa raison d'être. Voir, PACTET 2000, op.
cit., page 114.
Par esprit de synthèse, nous avançons qu'au
regard de la Constitution de 1987, le Parlement peut être
considéré comme l'organe central du pouvoir politique dans le
système constitutionnel haïtien, sinon l'épicentre du
régime. Cependant, en dépit de cette place dominante qu'il occupe
dans l'organisation institutionnelle du nouveau régime, il souffre d'un
déficit à peine voilé d'encadrement juridique.
SECTION II.- LA NATURE ET LA « PRATIQUE » DU
RÉGIME : CONTROVERSES ET DICHOTOMIE
A la lumière des typologies classiques des
différents régimes contemporains, nous faisons des
considérations d'ordre théorique sur la nature du régime
politique institué par la Constitution de 1987 pour essayer de le situer
dans les courants théoriques connus. De plus, dans le cadre de la «
pratique » du régime, nous abordons le problème de la
discontinuité institutionnelle qui, fondamentalement, est la
conséquence de l'instabilité politique et de la faiblesse des
institutions de l'Etat. D'ailleurs, cette absence de continuité
institutionnelle empêche de dire gros sur la « pratique » du
régime en termes de ses apports au cadre constitutionnel proprement dit.
Toutefois, nous avons jugé intéressant d'en parler quand
même, dans la mesure où l'on pourrait se demander si cette
discontinuité institutionnelle ne serait pas aussi une
conséquence d'une éventuelle inadaptabilité ou d'une
éventuelle inapplicabilité du régime.
Pour ce qui concerne la nature du régime, il demeure
entendu que l'on doit se garder de se fermer dans des carcans théoriques
schématisant un idéal type modélisé à partir
de la forme de gouvernement pratiquée en Grande-Bretagne et un
idéal type modélisé à partir du système
constitutionnel américain, puisqu'en effet chaque régime
politique paraît unique135. Toutefois, pour bien poser les
logiques institutionnelles du régime constitutionnel de 1987, nous avons
jugé opportun de faire des considérations académiques pour
pouvoir asseoir notre réflexion sur des bases théoriques et ainsi
la structurer.
Dans cette perspective, nous tâcherons de faire des
considérations d'ordre théorique sur la nature du régime
(§ 1) et nous effleurerons la « pratique » du régime
à travers le problème de la discontinuité institutionnelle
(§ 2).
135 Voir HAMON, TROPER 2003, op. cit., pages 112
à 116, puis ARDANT 2002, page 593.
§ 1.- LA NATURE DU RÉGIME :
AMBIGUÏTÉS ET CONTROVERSES
Parmi les techniques d'organisation des pouvoirs, on distingue
sommairement les régimes de concentration des pouvoirs d'inspiration
totalitariste et les régimes de séparation des pouvoirs
d'inspiration démocratique. La Constitution de 1987, pour sa part,
consacre solennellement le principe de la Séparation des Pouvoirs en son
article 59. Donc, cette disposition constitutionnelle, prise au pied de la
lettre, nous porte à considérer que les constituants de 1987 ont
opté pour un régime démocratique dit de Séparation
des Pouvoirs.
En effet, dans les régimes démocratiques, on
distingue classiquement et à titre principal le régime
parlementaire avec ses diverses modalités ou variantes et le
régime présidentiel. En ce qui a trait au régime
constitutionnel de 1987, force est de constater qu'il s'apparente à un
cocktail ayant cumulé des emprunts au régime présidentiel
et au régime parlementaire. Donc, le nouveau régime de 1987,
n'échappe-t-il pas à la typologie classique des différents
régimes démocratiques ?
Il va sans dire que le régime de 1987 tire une certaine
originalité du fait de son caractère hybride. Pour faire
ressortir cette originalité, nous allons présenter ses
principales particularités (A). De plus, des controverses
relevées dans la doctrine et dans la documentation relative à cet
objet d'étude auront permis de faire la preuve de cette
originalité (B).
A. DES PARTICULARITÉS DU RÉGIME
L'organisation institutionnelle du régime
constitutionnel de 1987 ne crée pas les conditions d'un régime
parlementaire classique. En outre, le régime s'est aussi
éloigné, à bien des égards, du schéma
classique d'un régime présidentiel. D'où, son
caractère hybride et le signe de son originalité. On pourrait
même tenter d'affirmer qu'il s'agit, dans une certaine mesure, d'un
régime sui generis.
Le régime parlementaire organise l'équilibre des
Pouvoirs Exécutif et Législatif en organisant leur collaboration
et en dotant le Gouvernement et les Assemblées de moyens d'action
réciproques dans le souci d'être toujours en accord étroit.
Si, chemin faisant, cet
accord vient à manquer, il peut être rapidement
rétabli par modification de la composition politique des
Assemblées ou du Gouvernement136.
De son côté, le régime présidentiel
organise l'équilibre entre les deux grands Pouvoirs politiques de l'Etat
en cantonnant les deux organes dans l'exécution de leurs tâches
spécifiques. Ils sont assurés de demeurer en fonction pendant
toute la durée préfixée de leurs mandats en évitant
qu'ils ne disposent, les uns par rapport aux autres, des moyens d'action
décisifs137.
La Constitution de 1987 a institué un Pouvoir
Exécutif bicéphale, composé d'un Gouvernement
collégial et solidaire, et d'un Président de la République
avec dissociation entre la fonction de Chef de l'Etat et celle de Chef de
Gouvernement. Le Président de la République fait office de Chef
de l'Etat, alors que le Premier Ministre fait fonction de Chef de Gouvernement.
Ce schéma paraît correspondre aux canons classiques du
régime parlementaire. Cependant, le Président de la
République est en même temps élu au suffrage universel
direct. Or, cette modalité est une caractéristique fondamentale
du régime présidentiel.
Du reste, on a pu constater que le régime
constitutionnel de 1987 établit un Gouvernement de type parlementaire et
un Président de type présidentiel sans, pour autant, lui accorder
les pouvoirs considérables généralement
conférés à un Président dans ce type de
régime138. Son mode d'accession au pouvoir lui garantit une
légitimité populaire au plan national et un fondement
démocratique sans conteste. Pourtant, la capacité de jouissance
et d'exercice du pouvoir réel lui échappe au profit d'un Chef de
Gouvernement qui vient concurrencer son autorité.
L'initiative des lois appartient concurremment au Pouvoir
Exécutif et à chacune des deux (2) Assemblées. Le Premier
Ministre et les Ministres bénéficient du droit d'entrée
aux Assemblées pour venir soutenir les projets de lois et les objections
du Président de la République.139 Cependant, le champ
d'action du Parlement dans la procédure législative paraît
sans bornes. En conséquence, la collaboration constante du Gouvernement
avec les
136 Voir PACTET 2000, op. cit., page 142.
137 Idem, p. 142.
138 Prenons en exemple le système constitutionnel
américain, prototype du régime présidentiel. Le
Président des Etats-Unis détient des pouvoirs
considérables sans commune mesure à ceux conférés
au Président de la République dans le système
constitutionnel de 1987.
139 Art. 161, Constitution de 1987.
Assemblées sur le plan législatif, trait
distinctif du régime parlementaire, est juridiquement mal
assurée.
Comme il a été susmentionné, en
régime parlementaire, quand l'accord étroit devant exister entre
le Gouvernement et les Assemblées vient à manquer, il peut
être rapidement rétabli par modification de la composition
politique des Assemblées ou du Gouvernement. Or, de ce point de vue, on
a pu constater un déséquilibre flagrant dans le régime
constitutionnel de 1987. L'Exécutif et le Parlement, à proprement
parler, ne disposent pas de moyens d'action réciproques. L'une ou
l'autre des deux (2) Assemblées peut renverser le Gouvernement par le
vote de la motion de censure, alors que le Président de la
République est démuni de l'arme de riposte de la dissolution.
Donc, en cas de conflit irréductible entre la majorité au niveau
de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées et le Gouvernement, les
constituants de 1987 ont proposé la voie « royale » de la
modification de la composition politique du Gouvernement pour rétablir
l'accord entre les deux (2) organes.
Selon le professeur émérite Pierre PACTET :
« Tout régime parlementaire peut être défini, pour
l'essentiel, comme un régime dans lequel le Gouvernement doit disposer
à tout moment de la confiance de la majorité parlementaire
»140. Toutefois, il a pris le soin d'ajouter un peu plus
loin141 que « la dissolution constitue une contrepartie
nécessaire à la possibilité qu'a l'Assemblée de
mettre en cause la responsabilité politique du Gouvernement et, par
conséquent, un facteur précieux de l'équilibre des
pouvoirs recherché par le régime parlementaire ».
D'ailleurs, à ce propos, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
ont dit constater une divergence doctrinale142.
Tenant compte de tout ce qui précède, on peut
admettre que le régime constitutionnel de 1987 comporte beaucoup
d'éléments de rattachement au régime parlementaire au
point qu'on ne puisse penser qu'il s'agit d'un régime
présidentiel. Néanmoins, s'il se rapproche beaucoup plus du
régime parlementaire que du régime présidentiel, on ne
peut pas d'emblée, avec véhémence et d'un ton doctoral,
avancer que le régime en question répond bien à
l'orthodoxie du régime parlementaire classique. Donc, c'est le cas de
dire que l'agencement institutionnel du régime ne conduit pas
automatiquement à le considérer ni comme un régime
parlementaire classique ni comme un régime présidentiel. C'est
d'ailleurs cette difficulté pour
140 Ibidem, P. 144.
141 Ibidem, P.145.
142 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 105.
le classer dans l'un ou l'autre schéma classique qui
explique autant de controverses dans la littérature juridique se
rapportant à cet objet d'étude.
B. DES CONTROVERSES RELEVÉES SUR LA NATURE DU
RÉGIME
Depuis l'adoption de la Constitution de 1987, elle n'a
guère cessé de faire l'objet de commentaires et critiques. Pour
l'essentiel, historiens s'intéressant à l'histoire
constitutionnelle du pays, hommes politiques, constitutionnalistes et
étudiants en droit ne cessent de confronter leurs points de vue
relativement au régime politique institué par la Constitution.
Elle est comme un laboratoire intéressant où s'affrontent les
curiosités des initiés. En ce qui a trait à la nature du
régime, les opinions sont largement partagées à telle
enseigne que personne ne peut prétendre faire l'unanimité autour
de sa position.
Le professeur Mirlande MANIGAT trouve « une
imprécision originelle quant au type de régime politique voulu,
ce qui a engendré une voie intermédiaire entre le système
présidentiel et le système parlementaire
».143
Pour sa part, professeur Monferrier DORVAL144 pense
que le régime politique institué par la Constitution de 1987 est
un régime parlementaire dénaturé.
Quant au professeur Patrick PIERRE-LOUIS,145 le
régime politique institué par la Constitution de 1987 est un
régime parlementaire déséquilibré.
L'historien Claude MOISE eu à avancer : « La
Chambre des Députés et le Sénat sont dotés de
pouvoirs étendus comparables à ceux d'un régime
parlementaire renforcé146. »
De son côté, l'historien Georges MICHEL pense qu'il
s'agit d'un régime semiparlementaire147.
143 Voir Traité de Droit constitutionnel haïtien,
op. cit., P. 516.
144 Monferrier DORVAL est professeur de droit constitutionnel
à la l'U.E.H., tirée de ses notes de cours de droit
constitutionnel à la FDSE.
145 Patrick PIERRE-LOUIS est professeur de droit constitutionnel
à l'U.E.H., tirée de ses notes de cours de droit constitutionnel
à la FDSE.
146 Le Pouvoir Législatif dans le système
politique haïtien, 1999, op. cit., Page 126.
147 Le Nouvelliste du Lundi 4 Février 1991,
no 33 996.
Selon Lyn FRANÇOIS148 : « Le
régime constitutionnel haïtien n'a de parlementaire que le nom ou
l'apparence tant il est vrai que l'omnipotence du Parlement fait plutôt
penser à la consécration d'un régime directorial ou
d'Assemblée ».
En ce qui me concerne, le régime politique
institué par la Constitution de 1987 ne peut pas être
assimilé, à mon humble avis, à un régime
parlementaire classique, et encore moins, à un régime
présidentiel, parce qu'il participe à la fois du régime
parlementaire et du régime présidentiel. Au premier abord, si
l'on s'en tient uniquement à l'agencement institutionnel des rapports
entre les Pouvoirs publics constitutionnels, on peut être tenté
d'avancer qu'il s'agit simplement d'un régime mixte à forte
dominante parlementaire. Néanmoins, si l'on veut associer ce premier
élément d'analyse aux prérogatives de législation
illimitées accordées au Parlement,149 on pensera
plutôt à l'organisation d'un régime d'Assemblée
assoupli.
Toutefois, le Parlement n'arrive pas encore à prendre
la place qui lui revient dans la « pratique » du régime, en
raison de l'instabilité politique provoquant la discontinuité
institutionnelle. Ce phénomène récurrent empêche de
voir toutes les manifestations de la toute-puissance du Parlement.
§ 2.- LA « PRATIQUE » DU RÉGIME :
DISCONTINUITÉ INSTITUTIONNELLE ET
CONTRADICTIONS
La Constitution de 1987, comparée à la
Constitution américaine de 1787 ou à la Constitution
française de 1958, est relativement jeune. Peut-être même
trop jeune pour écrire un traité sur la pratique du régime
qu'elle a institué. D'autant que l'instabilité politique vient,
par intermittence, rompre l'expérience de la démocratie dans
laquelle le pays dit s'engager et qui est, aujourd'hui encore, à une
phase émergente.
148 Lyn FRANCOIS est maître de conférences
à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Limoges
(France) et Membre de l'Observatoire des Mutations Institutionnelles et
Juridiques (OMIJ). Cette position est tirée dans un article soumis
à Alter presse le 12 Février 2004. La page est
consultée le 12 novembre 2008 sur le réseau alternatif
haïtien d'information, cf.
http://www.alterpresse.org.
149 Ici, nous pensons tout de suite aux articles 93, in
fine, et 97-3 de la Constitution de 1987 référant à
la loi pour fixer d'autres attributions à la Chambre et au Sénat.
Or, la loi est fondamentalement l'oeuvre de ces deux organes institués
par la Constitution. Donc, cela revient à leur accorder implicitement la
compétence d'étendre leurs attributions. Jusqu'où
peuvent-ils aller dans l'élargissement de leurs pouvoirs ? Le
libellé de cet article fait problème.
Il n'en demeure pas moins que, depuis 1987, on a
enregistré des tentatives de mise en oeuvre de la Constitution de 1987.
Ces moments d'essai ont permis de déceler des survivances du
présidentialisme traditionnel dans le comportement des Chefs d'Etat qui
se croient obligés de se battre sur tous les fronts.
Ajouter à cela, le gros du Peuple ne semble pas encore
intérioriser le nouveau système constitutionnel
caractérisé essentiellement par la prédominance du
Parlement. Dans l'idiosyncrasie de l'homme de la rue et peut-être
même de la plupart de nos hommes politiques, le Président de la
République reste et demeure un papa150, sinon le chef, alors
que le parlementaire est généralement considéré
comme un discoureur ou tout simplement un élément de blocage dans
le sens péjoratif du terme. Cela est d'autant plus vrai que le gros de
la population à tendance à transformer le parlementaire en «
agent de développement » auquel on demande, lors des campagnes
électorales, de promettre routes, électricité, ponts,
écoles nationales, emplois, etc., au lieu de s'assurer que le
candidat en face aura pu faire bonne figure au Parlement en jouant pleinement
son rôle législatif et sa fonction de contrôle de l'action
gouvernementale.
En effet, on peut facilement avancer que cette situation
résulte du déficit d'information ou du faible niveau
d'instruction de la population haïtienne. En fait, cette lecture ne se
détourne pas de la réalité. Cependant, l'absence de
continuité institutionnelle, conséquence de l'instabilité
politique et de la faiblesse des institutions, n'en est pas moins une variable
explicative du phénomène.
Depuis l'institution de la Constitution de 1987, cinq (5)
législatures ont vu le jour. Cependant, elles ne se sont pas
succédées dans le cadre d'une continuité institutionnelle.
Les élections n'ont pas toujours lieu à temps pour pourvoir aux
sièges devenus vacants au Sénat ou en vue du renouvellement
intégral de la Chambre. Il arrive même que le Parlement soit
devenu inopérant151 ou qu'une Législature
entière soit emportée par un coup d'Etat152. De plus,
le Peuple a déjà vu un Président de la République
en fonction qui dit « constater la
150 L'on n'oubliera pas l'expression «Papa Vincent» ou
celle de «Papa Doc» pour designer respectivement le Président
Sténiot VINCENT et le Président François DUVALIER. Or, la
tradition a la vie dure.
151 Le cas de la 45e Législature,
particulièrement au cours de la période du coup d'Etat de
1991.
152 Le cas de la 44e Législature qui n'a pas
tenu six (6) mois. Après l'échec des élections de novembre
1987, le Conseil National de Gouvernement (CNG) a organisé des
élections en janvier 1988 desquelles sortirent un Président de la
République, Lesly F. MANIGAT et une nouvelle Législature. En juin
de la même année, un coup d'Etat militaire a emporté le
Président de la République élu ainsi que le Parlement.
caducité du Parlement »153 et
renvoyer le reste des parlementaires dont le mandat n'était pas pour
autant arrivé à terme.
Parallèlement, la Constitution prévoit un
mécanisme de rechange relativement facile à mettre en oeuvre en
cas de vacance présidentielle. Même lorsque la voie
constitutionnelle tracée n'est pas toujours respectée, la
fonction présidentielle est toujours occupée. Or, à
plusieurs reprises, le pays a fonctionné sans le Parlement. D'où,
le citoyen ordinaire ou le non-initié en droit ou à la science
politique peuvent en déduire que le Parlement n'a pas grande importance
; s'il doit exister, ses membres feraient mieux de jouer le rôle de relai
du Pouvoir Exécutif, notamment dans les provinces. D'où, on peut
considérer la discontinuité institutionnelle comme une cause
possible de la perception du parlementaire comme « agent de
développement » et comme une explication possible aux survivances
du présidentialisme traditionnel décelées dans le
comportement des Chefs d'Etat ; tandis que le cadre constitutionnel fait du
Parlement l'épicentre du régime.
Cette discontinuité institutionnelle qui marque la
« pratique » du régime et qui tend à affaiblir le
Parlement, va être abordée à la lumière des exemples
de crises et vides institutionnels (A) sans oublier l'épineux
problème de l'instabilité politique et celui de la faiblesse des
institutions (B).
A. DES EXEMPLES DE CRISES ET VIDES INSTITUTIONNELS
Après la chute du Président Jean-Claude DUVALIER
en Février 1986, il a fallu repenser le système politique
haïtien. Pour arriver à un système politique nouveau, il a
fallu d'abord l'adoption d'une nouvelle Constitution prenant en
considération les aspirations du Peuple. Donc, l'une des missions
essentielles du Conseil National de Gouvernement (CNG) était d'assurer
qu'une nouvelle Constitution soit adoptée en vue d'une nouvelle
réglementation de la vie politique.
Le 10 Mars 1987, soit un peu plus d'un an après le
départ du Président Jean-Claude DUVALIER, l'Assemblée
Nationale Constituante a voté le texte final de la
Constitution154
153 Le Président René PREVAL a dit constater la
caducité du Parlement le 11 Janvier 1999 dans un message adressé
à la population sur la Télévision Nationale d'Haïti,
pour justifier le renvoi des parlementaires dont le mandat devrait prendre fin
en Janvier 2001. C'est le départ des élus de Juin et Septembre
1995. Le Président de la République a annoncé le vide
institutionnel et a appris que Jacques E. ALEXIS allait former son
Gouvernement. Cf. Le Nouvelliste du Mardi 12 Janvier 1999,
no 35 632, page 16.
qui allait être soumis à référendum
le 29 Mars 1987155. Le Peuple a reçu favorablement la
nouvelle Constitution et elle a été tardivement
publiée156 dans le journal officiel de la République,
Le Moniteur, le Mardi 28 Avril 1987 par le CNG.
En dépit de l'adoption définitive par voie
référendaire de la nouvelle Constitution, le pays a du mal
à entrer dans la normalité institutionnelle.157 En
conséquence, le nouveau système politique qui devrait s'implanter
par la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution n'a pas pu atteindre son
stade de maturité et reste aujourd'hui encore à l'état
embryonnaire. Cela est dû au fait que l'instabilité politique
vient presque toujours, par intermittence, entrecouper les tentatives de mise
en oeuvre de la Constitution en vue de l'implantation du nouveau système
politique en créant presque constamment des crises et des vides
institutionnels.
Pour nous en convaincre, le Parlement occupe
l'épicentre du nouveau régime constitutionnel de 1987. Or, faute
de continuité institutionnelle, le Parlement n'a pas encore pris sa
place d'institution-clé dans la « pratique » du régime
et dans l'opinion. Sous l'égide de la Constitution de 1987, le pays a
trop fonctionné sans le Parlement. Quand ce dernier fonctionne, il reste
fort souvent en deçà de ses prérogatives
constitutionnelles, parfois même inopérant et les
législatures ne se succèdent pas dans la continuité
institutionnelle.
Sous l'égide de la Constitution de 1987, la
première tentative d'organisation d'élections
générales a eu lieu le 29 Novembre 1987. Ces élections
n'ont pas abouti158. De nouvelles élections ont
été organisées le 17 Janvier 1988. Ces élections
ont accusé un faible taux de participation de la population et ont
été, pour le moins, largement contestées par une bonne
partie de la classe politique159. Toutefois, elles ont eu le
mérite de donner au pays le premier Président élu sous
l'empire de la nouvelle Constitution. Du même coup, elles ont permis
l'avènement de la 44e Législature. D'où, le
début de la mise en place du nouveau système politique retenu.
154 Le Nouvelliste du Mardi 10 Mars 1987, no
32 848, page 1.
155 Le Nouvelliste du Lundi 30 Mars 1987, no
32 965, page 1. Plus de 99% de OUI au référendum sur la
Constitution.
156 L'article 298 de la Constitution dispose qu'elle devrait
être publiée dans la quinzaine de sa ratification par voie
référendaire.
157 En témoignent le livre de Claude Moise intitulé
« Une Constitution dans la tourmente » et celui de Pierre
Raymond Dumas intitulé « La transition qui n'en finit pas
».
158 Le Nouvelliste du Lundi 30 Novembre 1987,
no 33 142 (29 Novembre : Dimanche d'horreur et de terreur). Ce, en
dépit du fait que le Général REGALA a promis que
l'Armée aura garanti l'ordre au cours des opérations
électorales (Le Nouvelliste du Vendredi 27 Novembre 1987,
no 33 141). Le CNG dissout le CEP. Voir Le Moniteur du
Dimanche 29 Novembre 1987, no 97.
159 Faible taux de participation aux élections du 17
Janvier (Le Nouvelliste du Lundi 18 Janvier 1988, no 33
175)
En revanche, l'instabilité politique allait tout
gâcher. Le Président de la République, Lesly F. MANIGAT, et
la 44e Législature n'ont pas tenu six (6) mois, car
emportés par un coup d'Etat du Général Henri NAMPHY en
Juin 1988160. En Septembre de la même année, on a
enregistré un coup d'Etat, dirigé par le Général
Prosper AVRIL, dans le coup d'Etat161. Ainsi, de Juin 1988 à
Janvier 1991, le pays a connu le vide institutionnel ; il a fonctionné
sans le Parlement.
Le 16 Décembre 1990, de nouvelles élections
générales ont été organisées dans le pays.
Elles ont permis l'accession au pouvoir de Jean-Bertrand ARISTIDE et
l'avènement de la 45e Législature162.
Un bras de fer allait opposer le Président de la
République et le Parlement sur la personne de René PREVAL comme
Premier Ministre. Alors que le cadre constitutionnel proprement dit fait du
Parlement l'épicentre du nouveau régime, la 45e
Législature n'a pas pu permettre déjà à
l'institution parlementaire de prendre cette place dominante dans la «
pratique » du régime et dans l'opinion. Depuis le départ du
Président Jean-Claude DUVALIER en 1986, le Peuple a toujours vu les
organes exécutifs de l'Etat occupés, mais la coutume
parlementaire fait défaut. Donc, à ce moment, la majeure partie
de la population a perçu le Parlement plus comme un organe de «
blocage » que toute autre chose. Qui plus est, le Président de la
République, Jean-Bertrand ARISTIDE, a été pratiquement au
sommet de sa gloire.
En dépit de tout, le Parlement a voulu exercer sa
fonction de contrôle de l'action gouvernementale. En effet, suite
à une série de mécontentements, le Premier Ministre
René PREVAL a été interpellé le 13 Août 1991
par la Chambre des Députés. Cependant, la Chambre a dû
reculer en ajournant le vote sur la motion de censure. Or, à l'issu de
toute interpellation, doit intervenir un vote ; elle aboutit à un vote
de confiance ou de censure.163 Donc, le bras de fer entre
l'Exécutif et le Parlement a amené ce dernier à passer en
marge de la Constitution pour éviter le « Coup d'Etat du Peuple
».164
160 Dans la nuit de Dimanche, l'Armée renverse le
Président Lesly MANIGAT et constitue un Gouvernement militaire (Le
Nouvelliste du Mardi 21 Juin 1988, no 33 289). Proclamation du
Lieutenant-Général Henri NAMPHY, Président du Gouvernement
militaire et décret portant dissolution du Sénat et de la Chambre
(Le Moniteur du Lundi 20 Juin 1988, no 54).
161 Proclamation du 17 Septembre 1988 du Gouvernement militaire,
Lieutenant-Général Prosper AVRIL, Président (Le
Nouvelliste du Mardi 20 Septembre 1988, no 33 352).
162 Le Nouvelliste du Vendredi 14 au Dimanche 16
Décembre 1990, no 33 959).
163 Art. 129-3, Constitution de 1987.
164 Claude MOISE, Le Pouvoir Législatif dans...op.
cit., page 121.
Par suite, le 30 Septembre 1991 un coup d'Etat militaire a
emporté le Président Jean-Bertrand ARISTIDE. La 45e
Législature est restée en place, mais on l'aura compris, cette
dernière est restée pendant longtemps inopérante.
Entre Juin et Septembre 1995 des élections ont
été organisées ; la Chambre est renouvelée et le
Sénat est complété. Le Parlement rentre en fonction
à la fin de l'année 1995. C'est le début de la
46e Législature.
Par la suite, des élections n'ont jamais pu être
organisées. En Janvier 1999, le Président de la République
René PREVAL a dit constater la caducité du Parlement dans un
message adressé à la population sur la chaîne publique et
en a profiter pour renvoyer le reste des parlementaires dont le mandat
n'était pas pour autant arrivé à terme. Donc, un nouveau
vide institutionnel en a découlé. Entre-temps, le pays fonctionne
sans Premier Ministre depuis Juin 1997, suite à la démission du
Gouvernement de Rosny SMARTH, fatigué de gérer les affaires
courantes. En peu de mots, le régime a plongé dans un
véritable désordre institutionnel et cette situation ne tend
guère à renforcer l'institution parlementaire. Elle donne de
préférence libre cours à des élans de
présidentialisme que l'on croyait à jamais révolu.
Il a fallu attendre 21 Mai 2000 pour voir de nouvelles
élections organisées dans le pays. Elles ont permis, entre
autres, l'avènement de la 47e Législature.
Entre-temps, le Sénat n'a jamais pu être renouvelé.
Les événements du 29 Février 2004 ont
emporté le Président de la République, Jean-Bertrand
ARISTIDE, ainsi que la 47e Législature. De Mars 2004 à
Avril 2006, le pays a de nouveau fonctionné sans le Parlement. Le
Président de la Cour de Cassation, Me Boniface ALEXANDRE, a passé
plus de 90 jours à occuper provisoirement la fonction
présidentielle. De son côté, le Premier Ministre
Gérard LATORTUE a fonctionné sans le Parlement pour
contrôler l'action de son Gouvernement.
Le 7 Février 2006, de nouvelles élections
générales ont été organisées. Elles ont
permis l'accession au pouvoir de René PREVAL une nouvelle fois et
l'avènement de la 48e Législature. Après les
élections générales de 2006, il a fallu attendre Avril et
Juin 2009 pour l'organisation des élections sénatoriales
partielles en vue du renouvellement du tiers du Sénat et l'on s'achemine
tout droit vers l'amputation d'un nouveau tiers des membres de ladite
Assemblée. D'où, un nouveau vide institutionnel pointe à
l'horizon et on peut craindre le pire si de nouvelles élections ne sont
pas organisées dans les mois qui viennent.
On l'aura compris, des crises et vides institutionnels
constituent le lot quotidien de la « pratique » du régime,
fortement marquée par la discontinuité institutionnelle. Cette
situation contribue à affaiblir l'institution parlementaire et à
donner libre cours à des élans de présidentialisme en
dépit du cadre constitutionnel qui fait du Parlement l'épicentre
du régime.
Certains observateurs pourraient avancer que, depuis 1987, le
régime a du mal à fonctionner dans la continuité
institutionnelle, parce qu'il est tout simplement inadaptable sinon
inapplicable.
Sans pour autant prendre d'emblée le contre-pied de ce
point de vue, nous avançons de préférence qu'on ne peut
pas encore tester de l'inadaptabilité ou de l'inapplicabilité du
régime puisqu'il n'a jamais été mis en place totalement.
D'ailleurs, la Constitution de 1987 a su s'imposer dans la
durée.165 Nous trouvons qu'il est plus judicieux de voir dans
l'épineux problème de l'instabilité politique et celui de
la faiblesse des institutions des variables explicatives du
phénomène de la discontinuité institutionnelle
plutôt que de considérer que le régime est inadaptable ou
inapplicable avant même de le tester au moyen de sa mise en oeuvre
complète.
B. L'INSTABILITÉ POLITIQUE ET LA FAIBLESSE DES
INSTITUTIONS
La ratification du texte constitutionnel par le Peuple
haïtien le 29 Mars 1987 se veut avant tout, un acte de rejet. C'est le
rejet d'un système politique qui a fait son temps et que l'on croyait
à jamais révolu. Le Peuple voulait faire l'expérience de
la démocratie après plusieurs décennies de dictature,
particulièrement le régime des DUVALIER. Cela pourrait
s'expliquer par une soif de liberté, liberté que le Peuple
croyait garantie par l'institution de la Constitution de 1987.
Cependant, seulement la ratification de la Constitution de
1987 ne suffit pas à permettre au Peuple d'instaurer la
démocratie, car nulle part ailleurs, la démocratie ne se «
décrète » pas ; c'est un processus. On pourrait même
l'envisager comme une construction permanente. L'adoption de la Constitution de
1987 était la première étape, très significative
d'ailleurs sur le plan de pur droit, mais ce n'était qu'une
première étape.
165 Une Constitution dure en moyenne neuf (9) ans en Haïti.
Or, on a déjà commémoré les 21 ans de la
Constitution de 1987.
Si l'on veut arriver à l'instauration du nouveau
système politique, encore faudrait-il imposer l'application continue de
la Constitution, pour permettre au régime de fonctionner dans la
continuité institutionnelle. La continuité institutionnelle
voudrait dire mettre effectivement en place les institutions
créées par la Constitution, leur donner les moyens de leur
fonctionnement, les renouveler, le cas échéant, à temps
pour permettre au nouveau régime de fonctionner sans être
saccadé.
Pourtant, on l'aura vitement compris, la première
tentative de mise en oeuvre du nouveau régime en Février 1988 n'a
pas duré six (6) mois. Depuis lors, le pays s'enlise dans une
instabilité politique dont il a du mal à s'en sortir. Les
tentatives de mise en oeuvre du nouveau régime sont entrecoupées
de coups d'Etat. Il va sans dire que cette situation ne favorise guère
le renforcement des institutions de l'Etat. D'ailleurs, jusqu'à
présent, le Conseil Electoral Permanent (CEP) n'a pas pu être mis
en place. Or, il devrait jouer un rôle moteur dans la continuité
institutionnelle du régime.
C'est le cas de dire que l'instabilité politique et la
faiblesse des institutions sont étroitement imbriquées. Les deux
(2) expliquent la discontinuité institutionnelle qui caractérise
la « pratique » du régime et l'on pourrait même se
demander si l'une n'engendre pas l'autre et vice versa.
La Constitution de 1987 place le CEP au rang des institutions
indépendantes. Elle le charge de l'organisation des élections
dans tout le pays et fait de lui en même temps le juge du contentieux
électoral.166 De plus, ses membres jouissent de
l'inamovibilité en vue de garantir leur indépendance
vis-à-vis du pouvoir politique. Or, précisément, la
discontinuité institutionnelle est due au fait que les élections
ne sont jamais organisées à temps. Pour que l'on puisse arriver
à avoir dans le pays régulièrement l'organisation
d'élections, le CEP doit être mis en place et il doit avoir les
moyens de son fonctionnement. C'est ce qu'a empêché
l'instabilité politique. La mise en place du nouveau système
politique est entrecoupée de périodes de « transition
».
Depuis l'institution de la Constitution de 1987, le Pouvoir
Exécutif a toujours eu à intervenir et même à
décider de l'organisation d'élections dans le pays. Or, les
premières élections de Novembre 1987 devraient permettre la
formation du CEP qui est précisément
166 Toutefois, l'on se demande à bon droit si le
pouvoir de validation des Assemblées, notamment l'Assemblée des
Sénateurs, ne leur permet pas de jouer un rôle déterminant
en matière de contentieux électoral. L'on pourrait même se
demander si elles ne peuvent pas ignorer le choix du peuple lors des
élections législatives.
l'organe chargé d'organiser en toute
indépendance, suivant le cycle électoral fixé par la
Constitution, les élections en vue du renouvellement du personnel du
pouvoir politique.
Le Conseil Electoral Permanent, doté de moyens qu'il
faut et soucieux de remplir sa mission en toute indépendance, aura
permis au régime de fonctionner dans la continuité
institutionnelle, moyennant qu'un nouveau coup d'Etat ne vienne pas perturber
l'expérience de la mise en place du nouveau système politique de
1987. De cette continuité institutionnelle, aura découlé
le renforcement de l'institution parlementaire dans la pratique du
régime et dans l'opinion. De plus, cela aura permis de couper court aux
élans de présidentialisme, car une application rigoureuse de la
Constitution de 1987 aura empêché le retour au
présidentialisme traditionnel.
En revanche, si le régime arrive à fonctionner
dans la continuité institutionnelle, on peut doublement craindre des
dérives dictatoriales du Parlement qui peuvent, d'ailleurs, prendre des
proportions alarmantes. A ce moment, on aura vu toutes les manifestations de sa
toute-puissance. Il n'y-a pas que l'Exécutif à pouvoir instaurer
la dictature. Le phénomène de la dictature parlementaire existe.
Un Parlement sans bornes peut tout aussi être nocif pour la
stabilité et le fonctionnement régulier des institutions, sans
oublier les libertés fondamentales qui peuvent être sans cesse
bafouées. D'où, un dilemme : que faire ? S'efforcer de faire
fonctionner le régime tel quel dans la continuité
institutionnelle, pour respecter la Constitution, ou encore amender la
Constitution pour borner les pouvoirs du Parlement avant de prôner la
continuité institutionnelle ?
DEUXIEME PARTIE
L'ENCADREMENT JURIDIQUE INSUFFISANT DES POUVOIRS
DU PARLEMENT : PROBLEMATIQUE DE L'AUTORITE DE LA CONSTITUTION DE 1987
Dans la première partie de ce travail de recherche
académique, nous avons essayé de démontrer qu'il existe,
sous le régime constitutionnel de 1987, un déséquilibre
entre les Pouvoirs publics au profit du Parlement. C'est presqu'une
évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques
institutionnelles du régime. Néanmoins, à
côté de ce état de fait, les pouvoirs du Parlement peuvent
aller grandissants, sans que pour autant l'autorité de la Constitution
soit préservée.
En effet, la Constitution de 1987 accorde des
prérogatives de législation illimitées au Parlement. Son
champ d'action, en matière législative, ne fait quasiment pas
l'objet de limitations tant au niveau du domaine de la loi qu'au niveau de la
procédure législative. Ses prérogatives de
législation sont illimitées à telle enseigne qu'il lui est
loisible d'étendre sa sphère d'influence et d'intervention par la
voie législative ordinaire. D'où, un déficit d'encadrement
juridique des compétences du Parlement et une condition de fragilisation
des libertés fondamentales. Il s'ensuit que le
déséquilibre constaté risque d'être accentué
; donc des risques de dérèglement institutionnel du
régime.
Les risques de débordements éventuels des
pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des
abstractions à condition que la Constitution de 1987 soit la norme
suprême de l'Etat et que tout à la fois cette suprématie
soit garantie par un contrôle efficace de constitutionnalité
empêchant qu'un acte du Parlement puisse s'écarter du texte et de
l'esprit de la Constitution. Or, à ce propos, la suprématie de la
Constitution de 1987 oscille entre mythe et réalité. Plusieurs
raisons permettent de présumer sa suprématie, mais plusieurs
failles au niveau des mécanismes de garantie de cette suprématie
viennent l'hypothéquer. La suprématie matérielle de la
Constitution est épinglée par la puissance de la loi. La
Constitution institue la constitutionnalité de la loi, mais la garantit
inefficacement. Elle institue la constitutionnalité des conventions,
traités ou accords internationaux, mais ne la garantit pas. De plus, les
constituants de 1987 n'ont pas jugé utile d'instituer la
constitutionnalité du règlement intérieur des
Assemblées. Par conséquent, la Constitution de 1987 institue des
limites et permet en même temps au Parlement de les dépasser.
Au contraire, historiquement, le rôle premier d'une
Constitution est de limiter les prérogatives des gouvernants et ainsi
préserver la liberté des citoyens. Donc, si la suprématie
de la Constitution est juridiquement mal assurée, on peut craindre,
à bon droit, l'arbitraire des gouvernants. En ce sens, le principe de la
Séparation des Pouvoirs, consacré par la Constitution de 1987,
est-il garanti ? L'Etat de droit, est-il juridiquement bien assis ?
CHAPITRE 3 La puissance législative
quasi-illimitée du Parlement : causes et implications
Ce chapitre met en lumière le déficit
d'encadrement constitutionnel des compétences des représentants
du Peuple au Parlement. Cette situation résulte des prérogatives
de législation illimitées du Parlement (section I) et laisse
place à de forts risques de dérèglement institutionnel du
régime en plus de fragiliser les libertés fondamentales (section
II).
SECTION I.- DES PRÉROGATIVES DE
LÉGISLATION ILLIMITÉES DU PARLEMENT
Le champ d'action du Parlement, dans le cadre de l'exercice de
sa fonction législative, ne fait quasiment pas l'objet de limitations
tant au niveau du domaine législatif qu'au niveau de la procédure
législative. Du reste, il va sans dire que le domaine de la loi est
très étendu, voire sans limites (§ 1) sans que pour autant
la procédure législative soit l'objet de contrôle (§
2).
§ 1.- LE DOMAINE DE LA LOI EST
ILLIMITÉ
Le domaine de la loi ou domaine législatif est le domaine
sur lequel le Parlement peut légiférer, c'est-à-dire,
élaborer, discuter et voter des lois.
Dans la Constitution de 1987, le domaine de la loi est
très étendu, voire sans limites. Donc, les constituants de 1987
n'ont pas limité la portée des prérogatives de
législation des deux (2) Assemblées législatives.
La portée du domaine de la loi conduit à faire
deux (2) observations : D'une part, le caractère illimité du
domaine de la loi ne laisse place qu'à un pouvoir réglementaire
complètement encadré sinon subordonné (A). D'autre part,
le domaine de la loi est illimité à
un point tel qu'il est même permis subtilement au Parlement
d'étendre ses attributions par voie législative ordinaire (B).
A. LE DOMAINE DE LA LOI ET LE POUVOIR
RÉGLEMENTAIRE
Si le domaine de la loi est le domaine sur lequel le Parlement
peut légiférer ; en revanche, le pouvoir réglementaire est
le pouvoir d'édicter des règlements, c'est-à-dire des
actes de portée générale et impersonnelle
édictés par les autorités exécutives
compétentes167.
La Constitution française de 1958 a limité le
domaine de la loi à certaines matières ; l'article 34
énumère les matières où la loi peut intervenir.
D'où, la loi se voit cantonnée dans un domaine d'attribution.
L'article 37, de son côté, institue un pouvoir
réglementaire autonome. Par conséquent, la délimitation du
domaine de la loi crée une place qu'occupe un nouveau type d'acte, le
règlement autonome.
De ce point de vue, la Constitution de 1958 introduit un
moment de rupture. Certains auteurs n'hésitent même pas à
parler de « révolution juridique ». Avant 1958 en France, la
loi n'avait pas de bornes en ce sens qu'elle pouvait intervenir dans tous les
domaines. Le pouvoir réglementaire, quant à lui, n'avait qu'une
fonction d'exécution. Il n'existait pas de pouvoir réglementaire
autonome. Ainsi, un décret était toujours un décret
d'application d'une loi.
A partir de la Constitution de 1958, tracée dans ces
grandes lignes par le Général Charles de Gaulle avec la
principale contribution du juriste de grand talent, Michel Debré, le
Gouvernement dispose non seulement d'un pouvoir réglementaire
d'application de la loi, mais encore d'un pouvoir réglementaire autonome
dans toutes les matières qui ne sont pas attribuées à la
loi. Les règlements autonomes sont subordonnés à la
Constitution et aux traités, alors que les règlements
d'application doivent être directement subordonnés à la
loi.
On observera au passage que les constituants haïtiens de
1987 n'ont pas suivi l'exemple de la France relativement au cas
précité et dans bien d'autres cas, bien que l'on ait tendance
à répéter trop souvent que le droit haïtien est un
calque du droit français, comme pour faire référence
à un phénomène de mimétisme juridique.
Par voie de conséquence, il est à peine besoin
de souligner que le Parlement haïtien n'a pas à respecter, dans le
cadre de l'exercice de sa fonction législative, un domaine
167 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., pages 426, 475.
d'attribution qui serait fixé par la Constitution. Le
domaine de la loi n'a pas de bornes en ce sens que la loi peut intervenir dans
toutes les matières.
En revanche, le Premier Ministre, en Haïti, dispose du
pouvoir réglementaire selon les prescriptions de l'article 159 de la
Constitution de 1987. Toutefois, il s'agit d'un pouvoir réglementaire
d'application. Il doit se contenter d'édicter les mesures permettant
l'application effective des lois. Par conséquent, le Parlement vote les
lois et le Gouvernement prend des règlements d'application. Il n'y a pas
d'une part, le domaine de la loi et de l'autre, le domaine
réglementaire. Tous les règlements sont subordonnés
à la loi.
Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où le
Législateur s'abstient de légiférer ? Nous ne devons pas
perdre de vue que les constituants français de 1958 ont limité le
domaine de la loi pour mettre fin, entre autres, à une paralysie
parlementaire existant sous la IVe République. C'est le cas
de dire que le caractère illimité de la loi est vecteur de
paralysie parlementaire.
B. LE DOMAINE DE LA LOI ET LE CHAMP DE COMPÉTENCES
DU PARLEMENT
Le Sénat et la Chambre des Députés sont
les deux (2) composantes du Parlement. Or, ce dernier est une création
de la Constitution. En conséquence, il va de soi que le Sénat et
la Chambre sont deux (2) organes institués par la Constitution.
La doctrine constitutionnelle française retient l'Etat
et les limites de son pouvoir comme objet de la Constitution et du droit
constitutionnel168. Par contre, dans la Constitution de 1987, les
pouvoirs du Parlement, un organe de l'État, ne lui sont pas
comptés.
En effet, l'article 93 de la Constitution de 1987,
énumérant des attributions de la Chambre des
Députés, dispose in fine que « les autres
attributions de la Chambre des Députés lui sont assignées
par la Constitution et par la loi ».
On en déduit que l'énumération de cette disposition
constitutionnelle n'est pas limitative, puisque d'autres attributions
éparses de la Chambre des Députés peuvent être
trouvées dans l'ensemble du texte constitutionnel et dans la loi. Donc,
toutes les attributions de la Chambre ne sont pas contenues dans l'article 93
de la Constitution de 1987. Elle est fondée à exercer valablement
toutes autres compétences que lui confèrent la
Constitution et la loi.
168 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 22.
De plus, l'article 97 de la Constitution de 1987,
énumérant des attributions du Sénat, dispose in fine
qu'il peut aussi « exercer toutes autres attributions qui lui
sont assignées par la présente Constitution et
par la loi ». On en déduit que pareillement
à la Chambre des Députés, le Sénat est fondé
à exercer valablement toutes autres compétences que lui
confèrent la Constitution et la
loi.
Le terme loi doit être pris, ici, au
sens organique et formel (stricto sensu), c'est-à-dire le texte
émanant du Pouvoir Législatif. Il ne doit pas être compris
comme englobant, ut universi, toutes les règles à valeur
juridique (Constitution, loi ordinaire, règlements, principes
généraux du droit, coutume...). Il y a plusieurs raisons à
cela :
D'abord, le terme loi, en
général, est compris au sens organique et formel, par opposition
aux règlements, mais aussi à la Constitution. C'est en ce sens
que l'on entend en général le mot loi dans la
pratique. En d'autres termes, c'est son sens juridique usuel169.
Ensuite, les articles 93 et 97 in fine
précisent : « par la Constitution et par la
loi ». Par conséquent, s'il s'agissait de la
loi lato sensu, il serait inutile d'invoquer la Constitution, car la
loi au sens large englobe aussi la Constitution170. De plus, la
conjonction de coordination et n'aurait pas sa place.
Par ailleurs, il n'y a pas un problème juridique
particulier le fait que les dispositions des articles 93 et 97 in fine
de la Constitution de 1987 réfèrent à l'ensemble du texte
constitutionnel pour rechercher d'autres attributions du Sénat et de la
Chambre. En ce sens, ces dispositions constitutionnelles invitent à
observer que les attributions du Sénat et de la Chambre sont
éparses, donc non regroupées sous une rubrique
particulière de la Constitution.
Cependant, les deux dispositions constitutionnelles en
question font problème en référant aussi à la
loi pour rechercher d'autres attributions du Sénat et
de la Chambre. Si le Sénat et la Chambre peuvent valablement exercer
toutes attributions que leur assignent la loi, comme le
veulent les articles 93 et 97 de la Constitution, cela suppose
évidemment que la loi peut accorder de nouvelles
compétences au Sénat et à la Chambre. D'où, une
extension du domaine de la loi. En plus de pouvoir mettre en oeuvre la
Constitution, la loi peut aussi étendre les
compétences des organes qu'elle institue, en l'occurrence le
Sénat et la Chambre.
169 Voir CORNU 2007, op. cit., page 560, puis
François TERRE, Introduction générale au Droit,
Précis Dalloz, Paris, 7e éd., 2006, p. 194.
170 Idem, p. 194.
A ce propos, nous rappelons qu'il est de la compétence
du Parlement de faire les lois. Or, le Parlement est composé du
Sénat et de la Chambre des Députés. D'où, la
loi qui peut venir étendre les attributions du
Sénat et de la Chambre aura été votée par ces deux
organes.
Par voie de conséquence, on peut avancer qu'en plus des
attributions expressément constitutionnelles qui leur sont
dévolues, la Constitution de 1987 leur reconnaît implicitement le
pouvoir d'étendre le champ de leurs attributions, donc de leurs
compétences, par voie législative ordinaire. N'est-ce pas leur
accorder la « compétence de leur compétence » ? Pour
l'assignation d'attributions au Sénat et à la Chambre,
y-aurait-il lieu de parler de compétence concurrente du constituant et
du Parlement ? Peut-on véritablement parler de prééminence
hiérarchique de la Constitution sur la loi ? En pouvant élargir
ses attributions, le Législateur paraît être l'égal
du constituant.
D'aucuns pourraient faire valoir que les dispositions
constitutionnelles en question ne concernent que le Sénat et la Chambre
des Députés séparément, mais ne concernent pas le
Parlement comme organe et que l'on n'encoure donc aucun danger puisqu'aucune
des deux Assemblées ne vote seule la loi.
Nous répondons que les deux Assemblées
participent, sur un pied d'égalité, à l'élaboration
et au vote de la loi. Un projet de loi ou une proposition de loi devient loi
quand il ou elle est voté (e) en termes identiques par les deux (2)
Assemblées.171 Elle est ensuite adressée au
Président de la République pour promulgation.172 De
plus, le Sénat et la Chambre sont deux organes d'un même Pouvoir,
en l'occurrence, le Pouvoir Législatif ou Parlement. D'ailleurs, c'est
l'addition du Sénat et de la Chambre qui donne le Parlement. Donc,
accorder un pouvoir extensif à la fois au Sénat et à la
Chambre revient encore à l'accorder au Parlement. C'est ainsi que l'on
admet que le Parlement exerce un contrôle sur l'action gouvernementale,
alors que ce pouvoir de contrôle est accordé au Sénat et
à la Chambre séparément.
Par voie de conséquence, les deux (2) Assemblées
du Parlement peuvent toujours s'arranger pour voter un texte173 en
termes identiques qui aura devenu ipso facto loi, puis
171 Art. 120, Constitution de 1987.
172 Art. 121, Constitution de 1987.
173 Une sorte de proposition de loi
d'auto-habilitation dans laquelle elles se distribuent des pouvoirs,
surtout en cas de vide juridique.
l'adresser au Président de la République qui,
après avoir éventuellement usé de son droit d'objection,
se trouvera dans l'obligation constitutionnelle de la
promulguer.174
De plus, l'initiative de la loi appartient concurremment
à chacune des deux Assemblées et au Pouvoir Exécutif.
Néanmoins, la Constitution, en son article 111-2, met une sourdine
à la portée du droit d'initiative législative
accordé au Parlement en ce sens qu'elle prescrit que l'initiative des
lois de finances est de la compétence exclusive du Pouvoir
Exécutif. Par contre, les constituants de 1987 n'ont pas jugé
utile d'empêcher que l'une et l'autre des deux Assemblées puissent
avoir l'initiative de la loi qui aurait pour vocation de leur donner des
pouvoirs. La Constitution a seulement prescrit que la Chambre et le
Sénat peuvent exercer également les attributions qui leur sont
dévolues par la Constitution et par la
loi.
Bien qu'il ne soit pas évident d'avoir un projet de loi
(donc, d'initiative gouvernementale) prévoyant d'accorder de nouvelles
attributions à la Chambre ou au Sénat, ces derniers peuvent
toujours se proposer un texte en ce sens pour être adopté comme
loi. D'ailleurs, la proposition pourra facilement devenir loi puisque le
Pouvoir Exécutif ne dispose d'aucun moyen de pression effectif sur le
Parlement en matière législative.
En effet, il n'est pas sans intérêt de faire
remarquer que les constituants de 1987 ont accordé uniquement au
Sénat et à la Chambre des Députés ce pouvoir
d'étendre leurs compétences.
D'abord, cette prescription constitutionnelle exorbitante est
rencontrée en deux (2) occasions et en deux (2) endroits
différents.175 La Constitution dresse une liste
d'attributions de la Chambre et du Sénat et précise, expresis
verbis, qu'ils peuvent aussi exercer toutes autres attributions qui leur
sont assignées par la Constitution et par la
loi. Par contre, les constituants ont bien pris le soin de
limiter singulièrement les attributions de l'Assemblée Nationale,
l'organe non-permanent du Parlement, avant même d'en dresser la liste.
C'est l'objet même de l'article 98-2 de la Constitution : « Les
pouvoirs de l'Assemblée Nationale sont limités et ne peuvent
s'étendre à d'autres objets que ceux qui lui sont
spécialement attribués par la Constitution. »
Ensuite, seul le Parlement, c.-à-d. le Sénat et
la Chambre, jouit de cette prérogative d'élargir le champ de ses
attributions par voie législative ordinaire. En effet, il est
clairement
174 Art. 121-4, Constitution de 1987.
175 Voir les articles 93 et 97-3 de la Constitution de 1987.
indiqué dans la Constitution que le Président de
la République n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la
Constitution.176 D'où, un obstacle à
l'équilibre institutionnel et démocratique du régime.
En somme, le pouvoir constituant originaire a accordé,
par sa ratification du texte le 29 Mars 1987, à un pouvoir
constitué, le Parlement, des prérogatives de législation
illimitées jusqu'à lui permettre de se donner des pouvoirs.
L'effectivité des prérogatives de
législation illimitées du Parlement est assurée, car des
faibles moyens d'action sont accordés au Pouvoir Exécutif sur la
procédure législative.
§ 2.- DES FAIBLES MOYENS D'ACTION DE
L'EXÉCUTIF SUR LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE
La loi est adoptée selon la procédure
législative, c'est-à-dire, l'examen et le vote du texte par
chaque Assemblée.177 Nous retenons cinq (5) étapes
principales dans la procédure d'élaboration de la loi (A). En
outre, la procédure législative ne fait quasiment pas l'objet de
contrôle dans la Constitution haïtienne de 1987. Cette
dernière n'accorde que des faibles moyens d'action à
l'Exécutif sur la procédure législative (B).
A. LE SOMMAIRE DE L'ITINÉRAIRE DE LA LOI
1. L'initiative
législative
La loi, avant d'être juridiquement qualifiée
telle, a été initialement un projet de loi ou une proposition de
loi. Le projet de loi émane du Pouvoir Exécutif, alors que la
proposition de loi est d'origine parlementaire. Par conséquent,
l'initiative législative est l'acte par lequel on propose l'adoption
d'un projet de loi ou d'une proposition de loi.178 On peut aussi en
déduire que le droit d'initiative législative est reconnu
concurremment au Pouvoir Exécutif et aux
parlementaires.179
176 Art. 150, Constitution de 1987.
177 C'est la définition retenue par Pierre PACTET (voir
Droit constitutionnel Institutions politiques, op. cit., page 470).
178 CORNU 2007, op. cit., p. 492.
179 Voir, l'art. 111-1 de la Constitution de 1987.
2. Les discussions
La discussion est une étape importante de la
procédure législative. Chacune des deux (2) Assemblées a
le droit de discuter du contenu du texte qui lui est soumis. La discussion
permet d'évaluer la valeur du texte ainsi que l'opportunité de
son adoption avant le passage au vote. D'ailleurs, c'est au moment des
discussions sur le texte que les Assemblées exercent leur droit
d'amendement.
3. Le vote et la navette
législative
Le Parlement est l'organe de confection de la loi. Ainsi, la
loi est-elle votée par le Parlement. Le texte proposé doit
être voté par chacune des deux Assemblées avec, le cas
échéant, les amendements. Le principe est qu'on vote sur chaque
article et chaque amendement ; c'est le principe de la spécialité
du vote.180 Le texte proposé ne devient loi «
qu'après avoir été voté dans la même
forme par les deux Chambres ». 181
La navette législative est une locution couramment
employée pour désigner la suite de « va et vient d'un projet
ou d'une proposition de loi d'une Assemblée à l'autre en
régime bicaméral, tant que subsiste entre elles un
désaccord sur le texte en discussion.» 182
4. La promulgation
La promulgation est l' « acte par lequel le Chef de
l'Etat constate officiellement l'existence de la loi et la rend
exécutoire ».183 Le professeur émérite
Gérard CORNU, de son côté, précise que cet acte
« préside à l'insertion du texte dans l'ordre juridique et
conditionne son entrée en vigueur sous réserve de la
publicité à intervenir. »184
5. La publication
La publication c'est l'action de porter la loi à la
connaissance du public par son insertion dans le journal officiel de la
République, Le Moniteur. Le professeur émérite
Gérard CORNU précise que la publication est une « mesure de
publicité destinée à rendre l'acte opposable à tous
et qui constitue l'une des conditions de l'entrée en vigueur de l'acte.
»185
180 Art. 119, Constitution de 1987.
181 Voir l'art. 120 in fine de la Constitution de
1987.
182 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., p. 374.
183 Idem, p. 445.
184 CORNU 2007, op. cit., p. 732.
185 Idem, p. 742.
De plus, nul n'est recevable à faire valoir son
ignorance d'un texte de loi. Ainsi l'a voulu la sagesse romaine : «
nemo censetur ignorare legem ». Or, cette maxime,
qualifiée de vénérable par le professeur
émérite François TERRE186, est toujours
d'actualité. D'où, la toute importance de la publication de la
loi.
B. LES FAIBLESSES DE L'EXÉCUTIF ET LES FORCES DU
LÉGISLATIF
En principe, la loi est l'oeuvre du Parlement. D'ailleurs,
celle-ci ne doit pas être définie matériellement, mais de
préférence organiquement, par le seul fait que le domaine de la
loi, en Haïti, n'a pas de bornes. En conséquence, le pouvoir de
faire les lois est une prérogative constitutionnelle du
Parlement.187
En revanche, « légiférer est une
nécessité pour les exécutifs contemporains
».188 Ce n'est pas sans raison qu'il y a toujours plus de
projets de loi déposés que de propositions de loi. De plus, c'est
le Gouvernement qui « conduit la politique de la Nation
».189 Sous le régime constitutionnel de 1987, le
Président de la République est élu au suffrage universel
direct. De ce fait, ce dernier a, sans conteste, un fondement
démocratique et une légitimité populaire au plan national.
Par conséquent, la vision pour laquelle il a été
voté, les engagements qu'il a pris lors de sa campagne
électorale, le programme ou la politique du Premier Ministre doivent
être traduits dans des textes de lois. C'est que les grandes orientations
de la politique gouvernementale sont en principe traduites dans des textes de
lois. C'est ainsi que chaque Gouvernement a en principe son programme
législatif.
Or, tenant compte des faibles « prérogatives
positives » et « prérogatives négatives »
reconnues à l'Exécutif sous le régime constitutionnel de
1987 sur l'activité législative, le Parlement a un champ d'action
très étendu dans le cadre de l'exercice de sa fonction
législative. Le Pouvoir Exécutif ne prend pas une part notable
à l'activité législative.
Telle que tracée dans ses grandes lignes par la
Constitution, la procédure législative n'est pas encadrée.
Les maigres prérogatives reconnues à l'Exécutif
résident surtout dans le droit d'initiative législative de
l'Exécutif, notamment en matière de loi de finances, dans le
régime des sessions et dans le droit d'objection du Président de
la République.
186 François TERRE, Introduction
générale au Droit, 2006, Op. cit., p. 377.
187 Art. 111.
188 PACTET 2001, op. cit., p. 236.
189 Voir l'art. 156 in limine de la Constitution de
1987.
Certes, l'Exécutif a le droit d'initiative
législative. Cependant, sa marge de manoeuvre est négligeable,
quant à faire en sorte qu'un de ses projets de loi devienne loi. Quand
l'Exécutif ait fini de faire le dépôt d'un projet de loi au
Parlement, le Premier Ministre et les Ministres peuvent seulement aller le
« soutenir » aux Assemblées.190 Or, il n'y
a aucun moyen de contourner le Parlement.
Le Président de la République, notamment en cas
d'urgence, peut convoquer le Parlement en session extraordinaire.191
L'Assemblée Nationale, l'organe non-permanent du Parlement, peut
être convoquée à l'extraordinaire par le Pouvoir
Exécutif, notamment en cas d'urgence.192
De plus, le Président de la République
détient un droit d'objection qu'il est à même d'exercer
quand le Parlement lui soumet un texte de loi pour promulgation. Cependant, ce
droit d'objection est très limité. Si le Président de la
République fait des objections à une loi qui lui est
adressée pour être promulguée, les Assemblées
doivent délibérer à nouveau. Néanmoins, ce droit
d'objection doit être exercé dans les huit (8) jours francs
à partir de la réception de la loi par le Président de la
République.193 Par contre, si les objections sont
rejetées par les Assemblées, le Président de la
République n'y peut rien. En pareille hypothèse, il est tenu de
la promulguer en dépit de son désaccord, sous peine de se
rebeller contre la Constitution.194
Aux Etats-Unis d'Amérique, en dépit du
régime présidentiel, le Président de la République
détient, en addition à son droit de veto, du « pocket
veto ». Il consiste à refuser de signer un bill qui
lui a été transmis dans les dix (10) jours
précédant l'ajournement du Congrès, ce qui met fin
à la procédure législative. Le bill devient alors
caduc sans que son veto puisse être renversé195.
En effet, sous le régime constitutionnel de 1987, les
maigres prérogatives reconnues à l'Exécutif sur la
procédure législative ne facilitent pas la traduction des grandes
orientations de la politique gouvernementale dans des textes de loi. Ainsi, le
Gouvernement peut-il avoir beaucoup de difficultés pour faire passer ses
projets de loi même dans des domaines très prioritaires.
190 Art. 161, Constitution de 1987.
191 Art. 105, Constitution de 1987.
192 Art. 101, Constitution de 1987.
193 Art. 122, Constitution de 1987.
194 Art. 121-4, Constitution de 1987. Ce, sans préjudice
des dispositions de l'art. 123 de ladite Constitution.
195 Voir GICQUEL 1997, op. cit., page 292.
1) Pas d'adoption de texte sans
vote
L'article 49, troisième alinéa, de la
Constitution française de 1958 met en place une procédure
d'engagement de responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée
Nationale, par le Premier Ministre, après délibération du
Conseil des Ministres, sur le vote d'un projet de loi de finances ou de
financement de la sécurité sociale196. La
procédure de l'art. 49, al. 3 permet de considérer ce projet
comme présumé adopter par l'Assemblée Nationale sans qu'il
n'y ait vote sur le projet. Il suffit, pour cela, que le Premier Ministre,
après délibération du Conseil des Ministres, lie le sort
du Gouvernement à celui du projet. Alors, pour empêcher l'adoption
automatique du projet, il faut qu'une motion de censure soit
déposée à temps et qu'elle soit votée. Elle ne peut
être adoptée qu'à la majorité des membres composant
l'Assemblée. Si les Députés ne veulent pas du projet, il
leur faut donc renverser le Gouvernement.
Cette procédure permet au Gouvernement d'obtenir le
vote d'un projet d'une extrême importance pour lui en faisant peser une
forte pression politique sur l'Assemblée Nationale et en contournant, du
même coup, le principe de la spécialité du vote.
En revanche, le Gouvernement, en Haïti, ne peut pas
engager sa responsabilité politique devant les Assemblées sur un
projet par lui soumis. La responsabilité politique du Gouvernement est
mise en cause seulement par l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées
à l'occasion d'une interpellation soldée par le vote de la motion
de censure.
Néanmoins, on pourrait faire remarquer que la
procédure précitée existant en France n'aurait pas grand
intérêt en Haïti vu qu'aucune des deux (2) Assemblées
ne peut être dissoute par le Président de la République.
Toutefois, un Gouvernement très populaire aurait pu exercer cette forte
pression politique sur le Parlement quand il s'agit de faire voter rapidement
un projet de loi très important pour lui. De plus, cette
procédure pourrait se révéler une arme très
précieuse pour un Gouvernement qui fait face, en cours de route,
à l'hostilité de la majorité dans l'une ou l'autre
Assemblée et qui voudrait seulement ne pas accorder au Gouvernement les
moyens (la loi) de sa politique, sans vouloir nécessairement le
renverser.
196 Le Comité « Balladur » a proposé,
dans son rapport remis au Président Nicolas SARKOZY (Proposition no
23,
http://www.elysee.fr), de
limiter la portée de l'art. 49, al. 3 aux seules lois de finances et de
financement de la sécurité sociale. Cette proposition a
été suivie par les Pouvoirs publics. Voir l'art. 24 de la LOI
constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des
institutions de la Ve République et le nouvel
énoncé de l'art. 49, al. 3 de la Constitution de 1958
entré en vigueur le 1er Mars 2009.
2) Pas de « vote bloqué
»
L'article 44, troisième alinéa, de la
Constitution française de 1958 permet au Gouvernement d'écarter
le principe de la spécialité du vote. Il peut à tout
moment de la procédure demander un vote unique sur tout ou partie du
texte. Pour le Gouvernement, l'objectif est d'éviter la
dénaturation de son texte par des flux d'amendements. Donc, le «
vote bloqué » se révèle un instrument utile pour
assurer la cohérence du texte.
De son côté, l'article 119 de la Constitution
haïtienne de 1987 prescrit : « tout projet de loi doit être
voté article par article ». Même le
budget de chaque ministère doit être voté article
par article.197 Par conséquent, la procédure
du vote unique, communément appelée « vote bloqué
», n'est pas admise sous le régime constitutionnel de 1987.
3) Pas de « substitut » au
Législateur
En France, la loi est en principe votée par le
Parlement198. Toutefois, la Constitution de 1958 prévoit
qu'il peut être exceptionnellement écarté.
En effet, l'article 11 de la Constitution française de
1958 prévoit le référendum législatif. Ce
procédé de la démocratie semi-directe permet au Peuple de
collaborer à l'élaboration de la loi199.
Nous devons faire remarquer au passage qu'aux Etats-Unis
d'Amérique, il est possible de recourir au référendum dans
trente neuf (39) Etats200.
De son côté, l'article 16 de la Constitution
française de 1958 accorde au Président de la République
des prérogatives hors du commun dans les situations de crise. Ledit
article est très extensif dans sa formulation. Il dispose : «
...le Président de la République prend les mesures
exigées par ces circonstances... ». D'où, les pleins
pouvoirs, y compris la plénitude du Pouvoir Législatif, sont
accordés au Président de la France en période de
crise201.
197 Voir l'art. 227 de la Constitution de 1987.
198 Cf. art. 9 de la LOI constitutionnelle no
2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve
République ; l'art. 24 de la Constitution française de 1958.
199 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 470.
200 BARILARI, GUEDON 1994, page 71.
201 Toutefois, le nouvel énoncé de l'art. 16 de
la Constitution de 1958, après la reforme de Juillet 2008, permet au
Conseil constitutionnel de vérifier si les conditions de mise en oeuvre
des pouvoirs exceptionnels de l'art. 16 demeurent réunies.
Pour sa part, l'article 38 de la Constitution française
de 1958 permet au Gouvernement, « pour l'exécution de son
programme », de recevoir, par délégation du Parlement,
le pouvoir d'intervenir dans le domaine législatif : c'est
l'hypothèse classique de l'habilitation législative. Le
Gouvernement agira alors au moyen de normes réglementaires, les
ordonnances202.
De plus, l'article 47, troisième alinéa, de la
Constitution française de 1958 permet au Gouvernement, dans des
circonstances bien élucidées, de prendre des ordonnances
budgétaires en éludant le Parlement. L'article 47-1, de son
côté, permet au Gouvernement de prendre des ordonnances sociales
en éludant le Parlement.
Alors, on comprend bien que les dispositions
constitutionnelles évoquées plus haut permettent de sanctionner
l'inaction du Parlement dans des domaines stratégiques et prioritaires
comme, par exemple, le domaine budgétaire.
Au contraire, le Parlement haïtien est incontournable ;
lui seul peut légiférer et ce, dans tous les domaines. La
Constitution haïtienne de 1987 ne prévoit pas la procédure
de soumission, par l'Exécutif, d'un projet de loi au
référendum. Donc, pas de provision constitutionnelle pour le
référendum législatif ; le Parlement ne peut pas
être court-circuité. De plus, le Gouvernement n'a aucun recours,
pour l'exécution de son programme, en cas d'inaction du Parlement. Cette
inaction éventuelle n'est pas sanctionnée même dans un
domaine très stratégique et prioritaire qu'est le domaine
budgétaire. La Constitution de 1987, en ses articles 231 et 231-1
respectivement, se contente de préciser :
« Au cas où les Chambres législatives
pour quelque raison que se soit, n'arrêtent pas à
temps le budget pour un ou plusieurs Départements ministériels
avant leur ajournement, le ou les budgets des Départements
intéressés restent en vigueur jusqu'au vote et adoption du
nouveau budget. »
« Au cas où, par la faute de
l'Exécutif, le budget de la République n'a pas
été voté, le Président de la République
convoque immédiatement les Chambres législatives en session
extraordinaire à seule fin de voter le budget de l'Etat. »
Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où la faute
invoquée dans l'article précédent serait imputable au
Parlement ? Considérons toute même le principe de la convocation
en session extraordinaire comme acquis, que risquerait-il de se passer si les
deux (2) Assemblées
202 Les ordonnances de l'article 38 sont l'équivalent des
décrets-lois des IIIe et IVe Républiques.
n'arrivent pas à s'entendre sur le texte ?
Considérons que la procédure tracée à l'article
111-3 est d'application pour le cas visé à l'article 231-1, la
République devrait-elle attendre pendant tout ce temps ?
4) Le Parlement est totalement maître de
son ordre du jour
L'ordre du jour est un élément crucial du cadre
dans lequel s'inscrit l'activité de l'Assemblée pour l'exercice
de sa fonction législative. En Haïti, le Gouvernement n'a aucune
maîtrise sur l'ordre du jour des Assemblées. Par contre, en
France, la prérogative de fixation de l'ordre du jour des
Assemblées est partagée entre le Gouvernement et lesdites
Assemblées, quoique ces dernières bénéficient d'une
priorité certaine en cette matière.203 Cette
prérogative permet au Gouvernement non seulement de faire passer
très rapidement, certaines fois, les textes qui lui conviennent, mais
encore de retarder l'examen d'autres textes.204
5) Le droit d'amendement des Assemblées
est quasi-ilimité
L'article 228-1 de la Constitution de 1987 dispose : «
...aucun amendement ne peut être introduit au budget à l'occasion
du vote de celui-ci sans la prévision correspondante des voies et
moyens. »
L'article susmentionné est la seule limite au droit
d'amendement des Assemblées. Et, comme on l'aura bien compris, elle ne
joue que lors du vote du budget général de
l'Etat.205
Il n'est pas ici inopportun de rappeler qu'en France, le
phénomène de l'obstruction parlementaire a pris la forme de
« bataille d'amendement ». De plus, la procédure du vote
bloqué, en France, permet, entre autres, à l'Exécutif de
contrebalancer le droit d'amendement des Assemblées.
203 Cf. art. 23 de la LOI constitutionnelle
no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de
la Ve République ; art. 48 de la Constitution française de
1958.
204 Voir PACTET 2001, op. cit., p. 505.
205 La Constitution haïtienne de 1987 ne limite pas les
risques que la tactique de dépôt multiple d'amendements soit
utilisée à des fins de blocage. Il est ici utile de rappeler
qu'en France, en dépit des limitations apportées au droit
d'amendement des Assemblées, les Députés ont pu
déposer 137000 amendements au projet de loi de privatisation de GDF en
1980. Cette dernière information a été consultée
sur le site officiel de l'Assemblée Nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr
le 3 Juin 2008.
6) Entorse aux tours de
navette
En Haïti, l'Exécutif engage et nourrit les
débats par les objections du Président de la République et
par le dépôt de projets de lois en vertu de son droit
d'initiative. De leur côté, les parlementaires peuvent se perdre
dans des interminables débats.206 Dans une certaine mesure,
la navette dure tant qu'il n'y a pas accord sur un texte final entre les deux
(2) Assemblées. Le bicaméralisme est égalitaire en
matière législative. Par conséquent, en cas de
désaccords incessants entre les deux (2) Assemblées sur un texte,
aucune d'entre elles n'a la « vertu » de statuer
définitivement207 et le Gouvernement n'a aucun recours.
De plus, l'article 120-1 de la Constitution dispose : «
Tout projet peut être retiré de la discussion tant qu'il n'a
pas été définitivement voté ». Cette
disposition constitutionnelle prête à confusion. A mon sens,
l'esprit de cette disposition est que l'Exécutif peut, lui-même,
se rétracter et retirer le texte de la discussion. Si on essaye de la
comparer au schéma tracé à l'article 111-4, l'on
comprendra toute la justesse de ce point de vue, car autrement, il y aurait
contrariété de dispositions. Cependant, prise au pied de la
lettre, elle traduit toute autre chose : « tout projet peut être
retiré... » ; par qui ? La formulation du texte
n'empêche pas au Parlement de l'interpréter à son profit
pour ne pas faire son travail. C'est que le libellé de l'article fait
problème.
En conséquence de tout ce qui précède, le
Gouvernement peut se retrouver dans l'impossibilité de faire passer ses
projets. Pourtant, c'est lui qui « conduit la politique de la
Nation ». Or, cette politique doit se traduire, à titre
principal, dans des textes de loi. De plus, le Gouvernement n'a pas d'autres
moyens pour exécuter son programme législatif, puisque le
Parlement est incontournable ; même le référendum
législatif n'est pas autorisé par la Constitution de 1987.
En définitive, puisque les prérogatives de
législation du Parlement sont d'une telle ampleur, qu'est-ce qui
garantit la protection du schéma institutionnel tracé par la
Constitution ? Quid de la protection des libertés fondamentales
des citoyens ?
206 Cela peut se révéler une tactique pour les
parlementaires de l'opposition, en principe minoritaires, dans le dessein
d'éviter qu'un texte qui ne rencontre pas leur adhésion soit
adopté. Dans le meilleur des cas, elle peut aussi se
révéler une technique utile pour provoquer un débat public
et contraindre le Gouvernement à discuter.
207 (Voir supra, chap. 1er, sect. I, §
2, A).
SECTION II.- DES RISQUES DE DÉRÈGLEMENT
INSTITUTIONNEL ET LA FRAGILISATION DES LIBERTÉS
FONDAMENTALES
On vient de voir que la Constitution de 1987 accorde des
pouvoirs de législation illimités au Parlement tant sur le plan
du domaine de la loi que sur le plan de la procédure législative.
Le constituant originaire confère aux deux composantes du Parlement, des
pouvoirs spécifiques et ajoute paradoxalement qu'elles peuvent aussi
valablement exercer toutes autres attributions qui leur sont assignées
par la loi. En même temps, le constituant originaire
leur a aussi donné la compétence exclusive de voter la loi sans
l'influence décisive du Pouvoir Exécutif qui jouerait en ce sens
le rôle de contre-pouvoir pour empêcher les dérives
éventuelles du Parlement.
De ce qui précède, on en déduit que les
pouvoirs du Parlement souffre d'un déficit d'encadrement juridique. Or,
il revenait au constituant originaire de fixer limitativement les
compétences des gouvernants dans la Constitution ; c'est une condition
sine qua non du respect des droits et libertés des citoyens.
En outre, cette situation traduit un manque
d'institutionnalisation du pouvoir politique sous le régime
constitutionnel de 1987. En effet, selon le professeur Pierre PACTET,
l'institutionnalisation du pouvoir politique veut dire « qu'il s'est
dissocié de la personne des gouvernants pour se reporter sur une
entité qui lui sert de support. » Plus loin, il avance que les
gouvernants, « bien loin d'être maîtres de leurs pouvoirs,
ils ne sont, en principe, que les dépositaires provisoires, les agents
d'exercice des compétences qui leur sont confiées208.
»
Par ailleurs, cela nous conduit à nous questionner sur
les éventuelles différences entre les attributions
constitutionnelles et les attributions légales du Parlement, et aussi
sur la portée réelle de ses pouvoirs (§ 1).
De plus, on l'aura vitement compris, la liberté
d'action du Parlement est garantie. Cependant, en même temps, cette
liberté n'est pas restrictive. D'où, des risques réels de
débordements des pouvoirs du Parlement (§ 2).
208PACTET 2001, op. cit., page 17
§ 1.- LES ATTRIBUTIONS CONSTITUTIONNELLES ET LES
ATTRIBUTIONS LÉGALES DU PARLEMENT : PORTÉE ET DIFFÉRENCES
?
Les attributions des Pouvoirs institués par une
Constitution sont en principe contenues dans la Constitution elle-même.
C'est que la Constitution assure l'encadrement juridique du pouvoir politique
pour éviter l'arbitraire des gouvernants. La Constitution fixe les
règles de dévolution et d'exercice du pouvoir politique. Elle
identifie les pouvoirs des organes qu'elle institue et en fixe les
limites209. Il en est ainsi puisque la Constitution est tout
à la fois un code des Pouvoirs publics et une charte des
libertés.
Or, en plus des attributions expressément
constitutionnelles dévolues au Parlement, la Constitution lui
reconnaît subtilement la faculté d'élargir le champ de ses
attributions par voie législative ordinaire. En conséquence,
toutes les attributions du Parlement ne devraient pas être
recherchées uniquement dans la Constitution, puisqu'il peut aussi
exercer des attributions en vertu de la loi qu'il est pourtant chargé
d'élaborer.
D'une part, cette situation amène à rechercher
les différences entre les compétences constitutionnelles et les
compétences légales du Parlement (A). D'autre part, elle
amène à s'interroger sur la portée réelle des
pouvoirs du Parlement (B).
A- QUELLES DIFFÉRENCES ENTRE LES
COMPÉTENCES CONSTITUTIONNELLES ET LES COMPÉTENCES LÉGALES
DU PARLEMENT ?
Les attributions du Parlement sont en principe
définies, quoique de manière non restrictive, dans la
Constitution de 1987 au titre V, chapitre II. Ce sont, à proprement
parler, les attributions constitutionnelles du Parlement. Ici, le constituant
est la source de ses compétences.
Néanmoins, la Chambre des Députés et le
Sénat, les deux (2) composantes du Parlement, peuvent aussi exercer
d'autres attributions qui leur sont assignées par la
loi. Par conséquent, les attributions que le Parlement
exercerait en vertu de la loi pourraient être qualifiées de
légales, puisqu'elles découleraient de la loi. Ici, sur
invitation implicite du
209 Voir HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 53 à
58.
constituant, le Parlement peut aussi se donner des
compétences. D'où, il peut être aussi sa propre source de
compétences.
Selon le schéma tracé plus haut, les
attributions contenues expressément dans la Constitution sont
constitutionnelles, alors que celles que le Parlement exercerait en vertu de la
loi seraient des attributions légales. Or, c'est la Constitution
elle-même qui précise, expresis verbis, que la Chambre et
le Sénat peuvent aussi exercer des attributions qui leur sont
assignées par la loi. De plus, ce sont précisément ces
deux Assemblées qui sont chargées de l'élaboration de la
loi sans aucun moyen d'action décisif du Pouvoir Exécutif sur la
procédure législative. Par voie de conséquence, dans
l'éventualité où le Parlement voterait une loi pour
augmenter le champ de ses attributions, ne serait-il pas là encore dans
le cadre de l'exercice de ses attributions constitutionnelles ? En d'autres
termes, les attributions qui découleraient de cette loi pourraient-elles
être qualifiées de légales, alors qu'elles sont
assignées en vertu d'une habilitation constitutionnelle ?
A supposer que l'on ait accepté l'idée qu'il n'y
aurait pas de différences entre les attributions expressément
listées dans la Constitution et les attributions qui
découleraient d'une loi votée par le Parlement, nous
répondons qu'il n'en est pas tout à fait exact. La
procédure d'amendement de la Constitution de 1987 en fait une
Constitution rigide. D'où, sa modification devrait obéir à
une procédure différente de la procédure
législative ordinaire. Par conséquent, les attributions qui
découleraient de la loi seraient plus attaquables que les attributions
expressément listées dans la Constitution. Les premières
peuvent être supprimées ou modifiées seulement par
l'adoption d'une nouvelle loi comportant des dispositions qui leur sont
contraires. Par contre, pour supprimer les secondes, il aurait fallu engager la
difficile procédure d'amendement de la Constitution. D'où, une
différence fondée sur la valeur juridique.
De plus, il s'agit aussi d'une question de sémantique.
Les attributions figurant clairement dans la Constitution sont des attributions
constitutionnelles. Alors, puisque la Constitution dispose que le Sénat
et la Chambre peuvent aussi exercer les attributions qui leur sont
assignées par la loi, si le Parlement entend faire usage de cette
prérogative et vote une « loi d'auto-habilitation », les
attributions qui découleraient de cette loi seraient qualifiées,
ipso facto, de légales.
En revanche, nous devons reconnaître tout de même,
pour des raisons d'ordre pratique et d'efficacité, que la
frontière n'est pas aussi bien établie entre les deux groupes
d'attributions, puisque le contrôle de
constitutionnalité des lois se fait a posteriori, à
l'occasion d'un procès et il y a autorité relative de la chose
jugée210. D'où, la primauté attachée,
à première vue, aux attributions constitutionnelles sur les
attributions légales est juridiquement mal assurée.
De plus, cette situation permet de susciter d'autres
questionnements. Une Constitution devrait-elle renvoyer à la loi pour
assigner d'autres attributions à l'organe pourtant chargé de la
voter ? N'est-ce pas confier à un pouvoir constitué la latitude
de s'octroyer des pouvoirs ; donc « la compétence de sa
compétence » ? Par suite, n'est-on pas fondé à
parler d'un certain légicentrisme en Haïti ?
Puisque les pouvoirs du Parlement peuvent aller grandissants
et à son gré, c'est à bon droit que l'on se questionne sur
sa sphère d'influence et d'intervention.
B- QUELLE EST LA VÉRITABLE PORTÉE DES
POUVOIRS DU PARLEMENT ?
Les pouvoirs du Parlement doivent s'entendre des attributions
que lui assigne la Constitution. Toutefois, les deux composantes du Parlement
peuvent aussi exercer les attributions que leur assigne la loi. Or, ce sont
elles qui sont chargées, par la Constitution, de l'élaboration de
la loi, alors que l'Exécutif n'a aucun moyen d'action décisif
dans la procédure législative. Quelle est alors la
véritable portée des pouvoirs du Parlement ?
On a vu, dans la première partie de ce travail de
recherche, que le régime est déséquilibré au profit
du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte le
propre des logiques institutionnelles du régime. D'ores, on aura compris
que ce déséquilibre peut davantage être accentué par
le seul fait du Parlement, puisque les pouvoirs de ce dernier peuvent aller
grandissants et à son gré. La Constitution accorde subtilement au
Parlement la prérogative de s'octroyer des pouvoirs. De surcroît,
cette faculté n'est pas tempérée par des contre-pouvoirs
réels. Or, selon Montesquieu : « C'est une expérience
éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. »211
A en croire le maître Montesquieu, ne devrait-on pas
commencer à s'inquiéter et emprunter la voie tracée au
titre XIII de la Constitution de 1987 pour enlever cette prérogative
exorbitante au Parlement ? Or, comment demander, classiquement, à un
organe politique de
210 Voir infra, chap. 4, sect. II, § 1.
211 De l'Esprit des lois, op. cit., livre XI,
1748.
s'autolimiter ? L'intervention directe du pouvoir constituant
originaire, qui est par essence souverain, n'est-elle pas ici nécessaire
pour jeter les bases d'un édifice institutionnel nouveau ?
En somme, les pouvoirs du Parlement ne sont pas quantifiables,
puisque les bornes de ces derniers ne sont pas bien connues. On peut lister les
attributions assignées par la Constitution, mais on ne peut pas, a
priori, préciser le champ des attributions que le Parlement peut
être appelé à exercer. La raison en est simple : la
Constitution dresse
séparément une liste d'attributions
assignées au Sénat et à la Chambre, puis elle
réfère à la loipour
l'assignation d'autres attributions, sans même préciser leur
objet. Or, le Parlement est
précisément l'organe de confection de la loi. En
conséquence, la Constitution de 1987 ne permet pas de se rendre compte
de la véritable portée des pouvoirs du Parlement, puisqu'elle
laisse subtilement à ce dernier la latitude de s'autolimiter.
Qu'adviendrait-il, alors, dans l'hypothèse où le Parlement
entendrait user de cette prérogative exorbitante ?
§ 2.- DES DÉBORDEMENTS DE POUVOIRS SONT
POSSIBLES
On a vu que le champ d'action du Parlement est illimité
tant au niveau du domaine législatif qu'au niveau de la procédure
législative. Le domaine de la loi est illimité à un point
tel que la loi peut même assigner de nouvelles attributions au
Sénat et à la Chambre, deux organes pourtant institués par
la Constitution. Qui plus est, l'objet de ces attributions n'est guère
précisé, alors que la loi est fondamentalement l'oeuvre du
Parlement. Donc, cela revient à accorder au Parlement la
compétence constitutionnelle pour s'attribuer des pouvoirs et ainsi
élargir le champ de ses attributions comme bon lui semble, puisque
l'Exécutif ne dispose d'aucun moyen d'action décisif dans la
procédure législative. Jusqu'où le Parlement peut-il aller
dans l'élargissement de ses pouvoirs ?
Nous pouvons croire qu'Haïti se veut une
démocratie constitutionnelle. Le pouvoir y est nécessairement
issu de l'élection. Le Peuple est le seul souverain ; il ne
délègue que l'exercice de la souveraineté à trois
Pouvoirs.212 De plus, l'article 183 de la Constitution organise le
contrôle de la constitutionnalité des lois. Par conséquent,
cela fait présumer la suprématie de la Constitution, sa
supériorité sur les autres normes juridiques.
212 Art. 58 et 59 de la Constitution de 1987.
Cependant, les constituants de 1987 accordent en même
temps à la loi une portée telle qu'elle puisse être
à la base de profonds bouleversements du système institutionnel
que la Constitution a établi. Qui plus est, les mécanismes de
contrôle de constitutionnalité des lois établis par la
Constitution n'auront pas empêché, le cas échéant,
que ces bouleversements aient amplement le temps de produire les effets
recherchés. Alors, si une loi ordinaire peut compléter la
Constitution, voire altérer le schéma institutionnel du
régime qu'elle a établi, en accordant d'autres attributions
à des organes qu'elle a pourtant institués, peut-on parler de
subordination véritable de la loi à la Constitution ? N'est-on
pas en droit de parler d'un paradoxe du régime, puisque cette loi qui
viendrait éventuellement altérer le schéma institutionnel
du régime aurait été prise sur invitation du constituant
originaire ?
A considérer uniquement l'agencement institutionnel des
rapports entre les institutions politiques du nouveau régime, on
pourrait être légitimement tenté d'avancer qu'il s'agit
d'un régime mixte à forte dominante parlementaire.
Néanmoins, le régime peut être dénaturé par
le seul fait du Parlement. C'est que cette prérogative exorbitante
accordée au Sénat et à la Chambre d'accroître leurs
attributions par voie législative ordinaire a tout gâché.
En fait, si le Parlement entend faire usage de cette prérogative, l'on
peut se retrouver pratiquement face à un régime
d'Assemblée assoupli.
En effet, si une loi ordinaire peut varier le schéma
institutionnel du régime, on peut conclure que ce dernier est
très instable, puisque la loi peut être facilement
modifiée. Alors que la Constitution organise l'agencement institutionnel
des rapports entre les institutions politiques du nouveau régime, elle
n'empêche pas en même temps que cet agencement puisse être
modifié par une loi ordinaire. Par conséquent, a-t-on besoin
d'engager la contraignante procédure d'amendement de la Constitution de
1987 pour modifier certains de ses aspects ?
Si, par exemple, une loi ordinaire vient accorder au
Sénat ou à la Chambre des attributions qui relèvent
déjà du Pouvoir Exécutif, comment empêcher que cette
loi rentre en vigueur sans qu'il n'y ait une crise institutionnelle ? Un
procès est-il envisageable dans ce cas, pour pouvoir avoir au moins la
chance de soulever l'inconstitutionnalité de la loi ? De plus, qu'est-ce
qui empêche au Parlement de s'octroyer compétence en cas de vide
juridique ? Jusqu'où peut-il aller dans l'extension de sa sphère
d'influence et d'intervention ?
Il est donc clair que le régime peut être
dénaturé à chaque instant ; il suffit que le Parlement le
veuille. Cela peut amener à questionner la suprématie de la
Constitution et à se demander s'il n'existe pas un certain
légicentrisme en Haïti.
Par ailleurs, puisque la dimension de la sphère
d'influence et d'intervention du Sénat et de la Chambre des
Députés dépend de leurs caprices, l'accroissement de leurs
attributions peut atteindre un seuil critique. En votant une loi pour octroyer
de nouvelles attributions au Sénat et à la Chambre, le Parlement
peut ne pas enfreindre la Constitution, si cette loi ne porte pas atteinte aux
autres dispositions constitutionnelles. Or, depuis l'enseignement de
Montesquieu dans l'Esprit des lois, chacun sait que « si le
pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Par
conséquent, la situation contraire est aussi envisageable. D'où,
la protection des libertés fondamentales des citoyens est juridiquement
mal assurée.
Puisque l'objet des attributions légales que le
Sénat et la Chambre des Députés sont appelés
à exercer n'a pas été précisé, le Parlement
pourrait se croire libre de toute contrainte juridique. En ce sens, les
nouvelles attributions en question pourraient être contraires à
l'esprit de la Constitution. Notamment, cette loi venant leur accorder de
nouvelles attributions pourrait être liberticide, c'est-à-dire
attentatoire aux libertés fondamentales des citoyens. Par
conséquent, nous nous retrouvons face à une situation
juridiquement réalisable et politiquement grave.
En outre, il a été enseigné que,
traditionnellement, les libertés fondamentales « sont liées
à l'idée de limitation de l'Etat. D'ailleurs, à l'origine,
les libertés fondamentales sont un moyen de limiter le pouvoir
des gouvernants213. » Il a été aussi
démontré que « le souci d'organiser la limitation du pouvoir
des gouvernants est à l'origine de ce que l'on appellera le
constitutionnalisme qui n'est que la traduction de la philosophie
libérale dans sa dimension politique214. » De
plus, « le fond de la pensée libérale tient le pouvoir de
l'Etat pour un mal nécessaire. Ainsi, pour les libéraux, limiter
le pouvoir des gouvernants, c'est préserver la liberté des
gouvernés. »215
En conséquence, on peut être légitimement
tenté d'affirmer que le fait que le champ des compétences du
Sénat et de la Chambre n'est pas restrictif, cela ne favorise pas la
protection des libertés fondamentales des citoyens. De plus, le principe
de la Séparation des
213 DUBOUIS, PEISER 2007, page 98.
214 Michel CLAPIE, Droit Constitutionnel - théorie
générale, 2007, Ellipses, Paris, page 108.
215 Idem, page 107.
Pouvoirs consacré par la Constitution de 1987 est mal
garanti. D'où, on pourrait conclure que sous le régime
constitutionnel de 1987, l'Etat de droit est juridiquement mal assis.
Cependant, les débordements éventuels des
pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des
abstractions à une condition : Il faudrait que la Constitution de 1987
soit la norme suprême de l'Etat et que tout à la fois cette
suprématie soit effectivement garantie par l'existence d'un
contrôle de constitutionnalité efficace, empêchant qu'un
acte du Parlement non conforme à la Constitution puisse être
publié.
En ce sens, plusieurs arguments juridiques de taille peuvent
conduire à affirmer que les constituants de 1987 ont voulu que la
Constitution soit la norme suprême de l'Etat. D'ailleurs, cette
suprématie a même a été consacrée dans la
Constitution de 1987. Or, la garantie de cette suprématie est-elle, pour
autant, juridiquement bien assurée ? Si la suprématie de la
Constitution est consacrée, mais juridiquement mal garantie, le
problème reste entier.
CHAPITRE 4
Suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou
réalité ?
Ce chapitre pose la problématique de l'autorité
de la Constitution de 1987. Cette autorité oscille entre mythe et
réalité. Dans un premier temps, nous donnons quelques raisons
permettant de présumer la suprématie de la Constitution (section
I). Dans un deuxième temps, nous essayons de démontrer que cette
suprématie est hypothéquée, car juridiquement mal
assurée (section II).
SECTION I.- QUELQUES RAISONS DE LA SUPRÉMATIE
PRÉSUMÉE DE LA CONSTITUTION DE 1987
Une Constitution est en quelque sorte un code des Pouvoirs
publics et une charte des libertés. De ce point de vue, Louis DUBOUIS et
Gustave PEISER ont rappelé que « la Constitution est la
Loi suprême de l'État216. » D'ailleurs,
Georges BURDEAU a estimé : « Que la Constitution soit écrite
ou qu'elle soit coutumière, elle demeure la Loi suprême de l'Etat.
»217
Un peu plus loin, Georges BURDEAU a aussi fait valoir que
« la force qui s'attache aux dispositions constitutionnelles doit
être envisagée à un double point de vue : elle leur vient
en effet toujours de leur contenu et parfois de la forme dans laquelle elles
sont édictées218. »
Dans cette perspective, au regard de son contenu, la
Constitution de 1987 paraît être la norme suprême de l'Etat.
Cela permet de présumer sa suprématie matérielle (§
1). De plus, son mode d'adoption et surtout sa procédure d'amendement
consacrent une rigidité de la norme constitutionnelle. Cette
rigidité permet de présumer une suprématie formelle de la
Constitution (§ 2).
216 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 2.
217 BURDEAU 1977, page 80.
218 Idem, page 80.
Par ailleurs, on a pu identifier une consécration
implicite du principe de la hiérarchie des normes juridiques dans la
Constitution de 1987. Au sommet de cette hiérarchie, les constituants de
1987 ont placé la Constitution. Cette dernière prescrit le
principe de la légalité des règlements de
l'Exécutif et de l'Administration et le principe de la
constitutionnalité des lois, des conventions, traités ou accords
internationaux (§ 3).
En conséquence, toutes ces raisons concourent à
faire présumer l'autorité, donc la suprématie de la
Constitution de 1987 sur les autres normes juridiques.
§ 1.- LE CONTENU DE LA CONSTITUTION
Selon les professeurs Louis DUBOUIS et Gustave PEISER : «
La raison profonde de la supériorité de la Constitution tient
à l'importance du contenu des règles constitutionnelles :
organisation du pouvoir, consécration des droits et libertés
fondamentales du citoyen219. »
De son côté, le professeur Georges BURDEAU
précise : « La Constitution doit sa supériorité
surtout à son contenu220. »
Pour sa part, le professeur Philippe ARDANT, faisant
référence au contenu d'une Constitution a fait la remarque que
voici : « La diversité est reine, mais un fonds commun aux
Constitutions existe221. » Pour lui, dans une
Constitution, on trouve généralement et fondamentalement une
Déclaration des droits, des principes d'organisation économique
et sociale, des règles d'organisation et des procédures de
fonctionnement des institutions, puis des dispositions diverses.
En effet, la Constitution de 1987 a un contenu similaire sinon
identique au contenu indiqué par Philippe ARDANT :
> D'abord, la Constitution de 1987 s'ouvre par un
Préambule et comporte une Déclaration des droits. D'ailleurs, la
Constitution fait référence à la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme de 1948 (DUDH) à la fois dans son
Préambule et dans ses dispositions222. De plus, elle fixe les
droits civils et politiques du citoyen sans
219 DUBOUIS, PEISER, 2007, op. cit., page 2.
220 BURDEAU 1977, op. cit., pages 80 et 81.
221 ARDANT 2002, op. cit., pages 69 à 72.
222 Art. 19, Constitution de 1987.
négliger les droits économiques et sociaux. De
ce point de vue, la Constitution de 1987 peut être
considérée comme une charte des libertés. Selon Philippe
ARDANT : « Ces textes formulent la philosophie politique du régime,
les valeurs dont il se réclame, et énoncent les droits et
libertés des citoyens que le pouvoir s'engage à
respecter223. »
> Ensuite, les principes d'organisation économique
et sociale dont parle Philippe ARDANT sont inscrits dans la Constitution de
1987 et prennent place prioritairement dans son Préambule.
Dans le Préambule de la Constitution de 1987, il est
clairement indiqué : « Le Peuple haïtien proclame la
présente Constitution. [...] Pour constituer une nation haïtienne
socialement juste, économiquement libre et politiquement
indépendante. [...] Pour fortifier l'unité nationale, en
éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des
campagnes, par l'acceptation de la communauté de langues et de culture
et par la reconnaissance du droit au progrès, à l'information,
à l'éducation, à la santé, au travail et au loisir
pour tous les citoyens. »
> Pour ce qui concerne les règles d'organisation et
les procédures de fonctionnement des institutions dont fait mention le
professeur ARDANT, elles forment en quelque sorte la toile de fond de la
Constitution de 1987.
La Constitution de 1987 crée trois Pouvoirs dans l'Etat
: le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir
Judiciaire224. L'article 59-1 précise : « L'ensemble de
ces trois (3) Pouvoirs constitue le fondement essentiel de l'organisation de
l'Etat qui est civil. » De plus, à l'article 59, la Constitution
dit consacrer le principe de la Séparation des trois Pouvoirs.
En outre, sur le plan local, la Constitution de 1987
crée des collectivités territoriales et en fait le cadre
fondamental de la décentralisation qu'elle prône.
> En dernier lieu, pour le professeur ARDANT, les «
dispositions diverses » que contient la Constitution
précisent certains attributs de l'Etat et proclament des principes
variés comme le nom de l'Etat, des dispositions relatives au drapeau,
les langues, etc.
223 idem, page 70.
224 Voir les chapitres II, III et IV du titre V de la
Constitution.
Là encore, la Constitution de 1987 donne le nom de
l'Etat : « République d'Haïti » qu'elle veut être
d'ailleurs démocratique225. Elle donne les couleurs du
drapeau : « le bleu et le rouge », le décrit et en fait
l'emblème de la Nation226. Elle fixe le Créole et le
Français comme les deux langues officielles de la
République227. Elle donne l'hymne nationale (La
Dessalinienne), l'unité monétaire (La Gourde)228,
etc.
En somme, on vient de voir que la Constitution de 1987, vu son
objet, correspond bien à ce « fonds commun aux Constitutions
» qui a pu être identifié par le professeur Philippe
ARDANT.
Par conséquent, en raison de l'importance du contenu de
ses règles, on peut déjà présumer une
suprématie de la Constitution de 1987. D'ailleurs, les professeurs Louis
DUBOUIS, Gustave PEISER et Georges BURDEAU ont estimé que le
critère profond de la suprématie de la Constitution doit
être recherché dans son contenu.
D'aucuns diraient qu'il s'agit d'une suprématie
matérielle. Toutefois, le mode d'adoption et la procédure
d'amendement de la Constitution de 1987 permettent encore de présumer sa
suprématie formelle.
§ 2.- LE MODE D'ADOPTION ET LA PROCÉDURE
D'AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION
Selon le professeur Georges BURDEAU229 : «
L'autorité renforcée que la Constitution doit à son
contenu appelle logiquement à une consécration formelle. En ce
sens déjà, la rédaction de la Constitution
extériorise la puissance particulière qui s'attache à ses
dispositions. » Plus loin, il avance que « pour rendre cette garantie
plus efficace, on subordonne aussi sa modification au respect de certaines
conditions de forme. »
Tenant compte de ce qui précède, il est à
peine besoin de souligner que les conditions qui ont présidé
à l'adoption de la Constitution de 1987 et celles exigées pour sa
modification en font une Constitution rigide. D'ailleurs, à en croire
Raymond GUILLIEN et Jean
225 Art. 284-4.
226 Art. 3.
227 Art. 5.
228 Art. 4-1 et 6.
229 BURDEAU 1977, op. cit., page 82.
VINCENT, ce formalisme confère en principe à la
norme constitutionnelle une force juridique qui la situe à la
première place dans la hiérarchie des règles de
droit230.
En effet, la forme dans laquelle la Constitution de 1987 a
été élaborée et adoptée obéit
à une procédure différente de la procédure
législative ordinaire. D'où, un critère permettant de
présumer sa suprématie formelle.
En premier lieu, la Constitution de 1987 a été
élaborée par un organe spécial : l'Assemblée
Nationale Constituante. En second lieu, le texte constitutionnel a
été soumis à référendum pour que le Peuple
haïtien puisse le sanctionner. Effectivement, le Peuple l'a
approuvé ; ce qui, en fin de compte, fait de la Constitution de 1987
l'oeuvre du Peuple luimême. Or, le Peuple est le Souverain. Il est le
pouvoir constituant originaire. Comment ne pas parler de la suprématie
de l'oeuvre du Peuple par rapport aux normes édictées par des
organes qu'il institue ?
En outre, la rigidité de la norme constitutionnelle ne
tient pas uniquement à sa procédure d'élaboration. Encore
faut-il que sa modification obéisse à une procédure
spéciale, plus rigoureuse que la procédure législative
ordinaire.
En ce sens, la Constitution de 1987 prévoit
elle-même, aux articles 282 et suivants, les modalités en vue de
lui apporter des amendements. Cela laisse présager qu'elle
prévoit sa modification par la mise en oeuvre de la procédure
spéciale qu'elle renferme. Par conséquent, cette procédure
spéciale exigée par la Constitution pour sa modification peut
être envisagée comme une conséquence de sa
supériorité sur les autres normes juridiques.
Par ailleurs, la rigidité de la norme constitutionnelle
comporte des degrés qui sont fonction de la plus ou moins grande
difficulté de la procédure qui doit être suivie pour sa
modification. Or, à ce sujet, on a déjà entendu plus d'une
fois que la Constitution de 1987 est « verrouillée » tant il
paraît difficile de la modifier par la mise en oeuvre de la
procédure spéciale qu'elle renferme.
En effet, les modalités suivantes sont fixées aux
articles 282 et suivants de la Constitution de 1987, pour sa modification :
230 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 147.
a) Le pouvoir de révision
Ce sont les parlementaires qui sont investis du pouvoir
constituant dérivé encore appelé « pouvoir de
révision ». Néanmoins, pour amender la Constitution, les
parlementaires siègent dans une formation différente de celle
prévue pour le vote des lois ordinaires : « ...les Chambres se
réunissent en Assemblée Nationale et statuent sur l'amendement
proposé231. »
b) Les étapes de la procédure
1. L'initiative
L'initiative constitutionnelle est partagée. Elle
appartient concurremment au Pouvoir Exécutif et à chacune des
deux Assemblées. Donc, un projet d'amendement peut être
déposé au Parlement par le Pouvoir Exécutif. Sous
l'impulsion de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées, une proposition
d'amendement peut être aussi déposée.
2. La déclaration
La déclaration qu'il y a lieu d'amender la Constitution
est faite par le Pouvoir Législatif, avec motifs à l'appui.
Le libellé de l'article 282 paraît donner un
caractère discrétionnaire à cette prérogative du
Parlement. En effet, ledit article dispose : « Le Pouvoir
Législatif, sur la proposition de l'une ou l'autre des deux (2) Chambres
ou du Pouvoir Exécutif, a le droit de déclarer
qu'il y a lieu d'amender la Constitution, avec motifs à l'appui.
»
On en déduit que même sur la proposition du
Pouvoir Exécutif, par exemple, le Parlement pourrait décider de
ne pas tenir compte de la saisine. En d'autres termes, le Parlement pourrait ne
pas statuer sur le projet d'amendement de l'Exécutif à la
dernière session ordinaire de la Législature, puisqu'il n'est pas
tenu de le faire.
Par ailleurs, pour que la déclaration puisse être
faite, l'adhésion de la majorité qualifiée (2/3) est
exigée au niveau de chacune des deux (2) Assemblées. De plus,
elle peut être faite uniquement au cours de la dernière session
ordinaire de la Législature. Encore, fautil qu'elle soit publiée
sur toute l'étendue du territoire.232
231 Voir l'article 283 de la Constitution.
232 Art. 282-1.
De surcroît, la déclaration du Pouvoir
Législatif n'est qu'une déclaration d'intention233,
car on n'en est pas encore arrivé à l'amendement. Il y a
nécessité de votes renouvelés et cela permet de provoquer
des débats au niveau de la population. De plus, cela permet au Peuple de
se prononcer en décidant de reconduire la majorité ayant fait la
déclaration ou en votant une nouvelle majorité pour manifester
son accord ou son désaccord.
En somme, la déclaration exige la volonté du
Parlement, une majorité qualifiée, une période
précise et une publication immédiate.
3. La décision
La décision d'amender la Constitution suppose que des
élections législatives aient été
préalablement organisées, puisque la Constitution, en son article
283, fait obligation aux Assemblées de se réunir en
Assemblée Nationale pour statuer sur l'amendement proposé
dès la première session de la Législature suivante,
c'est-à-dire la Législature ayant suivi celle qui a fait la
déclaration.
Pour l'adoption de la décision d'amender la
Constitution, il est prévu : - Une période
spécifique : la première session de la Législature.
- Une formation spéciale : l'Assemblée Nationale.
- Un quorum précis : la présence des deux
tiers (2/3) des membres de chacune des deux Assemblées.
- Un type de majorité : la décision
d'adopter l'amendement proposé est prise par un vote à la
majorité qualifiée (2/3) des suffrages exprimés.
c) Les limitations et les interdictions
L'article 284-2 de la Constitution de 1987 dispose : «
L'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après
l'installation du prochain élu. En aucun cas, le
Président sous le gouvernement de qui l'amendement a eu lieu ne peut
bénéficier des avantages qui en découlent. »
233 C'est en quelque sorte un voeu d'amendement.
L'article précité fixe le moment de la mise en
oeuvre de l'amendement obtenu. Cependant, qu'adviendrait-il si le Chef de
l'Etat sous la présidence de qui l'amendement a eu lieu redevient
Président cinq (5) ans ou dix (10) ans après, par exemple ?
Va-t-on suspendre l'amendement précédemment obtenu et mis en
vigueur, puisqu'en aucun cas, le Président en question
ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ? Nous
voulons croire que le libellé de l'article en cause paraît avoir
un caractère ambigu.
Par ailleurs, en plus du fait que le Peuple ne dispose pas de
l'initiative constitutionnelle, l'article 284-3 de la Constitution interdit
formellement tout référendum constituant.
Enfin, des limitations sont apportées à l'objet
de l'amendement, en ce sens qu' : « aucun amendement à la
Constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et
républicain de l'Etat234. »
§ 3.- LA CONSÉCRATION IMPLICITE DU PRINCIPE
DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES
Un système juridique est un ensemble organisé de
règles de droit régissant une société. Elles ne se
retrouvent pas sur le même plan. Par conséquent, elles ne se
voient pas attachées la même valeur juridique. D'où, une
subordination entre normes supérieures et normes inférieures. Les
normes inférieures doivent être conformes aux normes
supérieures235.
La hiérarchie des normes juridiques est une vision
synthétique du droit mise au point par Hans KELSEN. Il s'agit d'une
vision hiérarchique des normes juridiques. Selon cette théorie,
toute règle de droit doit respecter la norme qui lui est
supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé.
Il est admis que la Constitution écrite est la source
première du principe de la hiérarchie des normes. C'est le cas de
dire que ce principe trouve son fondement juridique dans la Constitution d'un
Etat donné. Pourtant, si on cherche les termes « hiérarchie
des normes juridiques » dans la Constitution de 1987, on ne les retrouvera
point. Donc, le texte
234 Voir l'article 284-4 de la Constitution de 1987.
235 ARDANT 2002, op. cit., p. 99.
constitutionnel ne fait pas textuellement
référence au principe de la hiérarchie des normes
juridiques. Néanmoins, le principe en question est consacré
implicitement dans la Constitution.
Comme on l'a vu un peu plus haut, le principe de la
hiérarchie des normes juridiques suppose une différenciation de
ces normes. Il aboutit à une suprématie de la Constitution et
cette suprématie est garantie par un contrôle de
constitutionnalité, c'est-à-dire, une vérification de
conformité ou tout au moins de compatibilité des normes
inférieures à la Constitution. C'est que cette hiérarchie
n'a de sens que si son respect est contrôlé par un juge. En
d'autres termes, le principe est mis en oeuvre par un contrôle de
conformité. Or, c'est précisément l'objet des articles 183
et 183-2 de la Constitution de 1987.
Par voie de conséquence, on peut avancer que le
principe de la hiérarchie des normes juridiques n'est pas posé
textuellement dans le texte constitutionnel de 1987. Toutefois, sa mise en
oeuvre est organisée par les dispositions des articles 183 et 183-2 de
la Constitution. D'où, sa reconnaissance et sa consécration
tacite.
L'article 183 de la Constitution dispose : « La Cour
de Cassation à l'occasion d'un litige et sur le renvoi qui lui en est
fait, se prononce en sections réunies sur l'inconstitutionnalité
des lois. »
On en déduit l'institution d'un contrôle
juridictionnel de conformité des lois ordinaires à la
Constitution. Donc, de toute évidence, cela suppose aussi que ledit
article prescrit que les lois ordinaires doivent être conformes ou tout
au moins compatibles à la Constitution. D'où, l'on peut supposer
la supériorité de la Constitution sur la loi ordinaire. En
d'autres termes, si l'on veut prendre ledit article au pied de la lettre, on
peut avancer que la norme législative occupe un rang inférieur
par rapport à la norme constitutionnelle.
De son côté, l'article 183-2 de la Constitution
de 1987 dispose : « Les tribunaux n'appliquent les
arrêtés et règlements d'Administration publique que pour
autant qu'ils sont conformes aux lois. »
Ici, on en déduit l'institution d'un contrôle
juridictionnel de conformité des règlements aux lois ordinaires.
Donc, de toute évidence, ledit article prescrit que les
règlements adoptés par le Pouvoir Exécutif ainsi que ceux
adoptés par l'Administration publique236 doivent
être
236 Que ce soit l'Administration publique centrale ou
l'Administration publique locale.
conformes ou tout au moins compatibles aux lois ordinaires. De
là, on peut valablement supposer la supériorité des lois
ordinaires sur lesdits règlements. En d'autres termes, la norme
réglementaire occupe un rang inférieur par rapport à la
norme législative.
Cela paraît d'autant plus vrai que la Constitution ne
fait aucune place aux règlements autonomes, puisque la loi peut
intervenir dans tous les domaines. Donc, les règlements auxquels fait
référence le paragraphe précédant sont toujours des
règlements d'application. Ils tirent leur fondement de la loi ; comment
alors ne pas être conformes ou ne pas être compatibles à la
norme à laquelle ils doivent leur fondement ?
D'ores, il est à peine besoin de préciser que le
contrôle de constitutionnalité des lois organisé par
l'article 183 de la Constitution de 1987 et le contrôle de
légalité des règlements organisé par l'article
183-2 de ladite Constitution font tout de suite penser à une
hiérarchie entre la norme constitutionnelle, la norme législative
et la norme réglementaire. Dans la hiérarchie instituée
entre ces trois (3) catégories de normes juridiques, la norme
constitutionnelle est supérieure à la norme législative et
cette dernière est supérieure à la norme
réglementaire.
De plus, l'article 276 de la Constitution de 1987 dispose :
« L'Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun traité,
convention ou accord internationaux comportant des clauses contraires à
la pressente Constitution. »
Le libellé de cet article montre bien le souci de
préserver la supériorité de la Constitution même sur
les instruments juridiques internationaux par la ratification desquels l'Etat
décide de s'engager au plan international. C'est le cas de dire, suivant
l'expression juridique consacrée, que les traités, conventions ou
accords internationaux sont infraconstitutionnels.
Plus loin, la Constitution, en son article 276-2,
précise : « Les traités ou accords internationaux, une
fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par
la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent
toutes les lois qui leur sont contraires. »
On en déduit que la Constitution de 1987 accorde aux
traités ou accords internationaux une valeur juridique égale
à la norme législative. Il y a plusieurs raisons à cela
:
> 1- D'abord, les traités ou accords internationaux
ainsi que les lois ordinaires ont la même norme de
référence : la Constitution. Les deux (2) groupes de normes
juridiques doivent leur validité directement à la
Constitution.
> 2- Ensuite, on ne peut pas se fonder sur le fait que
l'article 276-2 de la Constitution précise que les traités ou
accords internationaux ratifiés par Haïti abrogent toutes
les lois qui leur sont contraires pour justifier leur
supériorité prétendue sur les lois ordinaires. Cet
argument n'est pas tenable, puisqu'en principe la loi nouvelle abroge la
loi ancienne237. D'aucuns diraient même qu'il s'agit
là d'un principe cardinal en droit. En ce sens, même la loi
ordinaire nouvelle abroge la loi ordinaire ancienne en cas de
contrariété. Par conséquent, le pouvoir d'abrogation de la
norme nouvelle n'est pas un critère de supériorité.
> 3- De surcroît, les traités ou accords
internationaux ne sont pas supra-légaux, parce qu'il n'est
indiqué nulle part dans la Constitution de 1987 que les lois ordinaires
doivent leur être conformes. D'ailleurs, il n'est pas prévu un
contrôle de conventionalité des lois, c'est-à-dire de
conformité des lois ordinaires aux règles conventionnelles de
droit international. Or, comme pour marquer une hiérarchie entre la
Constitution, les lois ordinaires et les règlements, il est prévu
un contrôle de constitutionnalité des lois et un contrôle de
légalité des règlements.
En somme, même si on ne serait pas d'avis que le
traité international est assimilé à la loi ou encore a
même valeur juridique que la loi, on ne saurait toutefois nier
l'affirmation de la supériorité de la Constitution sur la norme
conventionnelle de droit international.
Or, pour l'essentiel, nous avons voulu surtout
démontrer que la Constitution de 1987 institue tant soit peu une
hiérarchie entre les normes juridiques et la Constitution est
présentée comme la norme occupant le sommet de la « pyramide
». Elle est donc posée comme la norme suprême. La
Constitution ne nie pas le principe de la hiérarchie des normes
juridiques. Elle l'a même consacré, ne fût-ce
qu'implicitement. Le souci a été d'ériger la Constitution
en norme suprême.
Cependant, un écart est observé entre la norme
constitutionnelle et la pratique politique. En effet, la discontinuité
institutionnelle qui marque la « pratique du régime »
237 François TERRE, Introduction
générale au droit, 2006, op. cit., page 397.
apporte une douche froide au principe de la hiérarchie
des normes juridiques par la pratique des décrets.
La Constitution de 1987 ne prévoit pas des cas
où le Parlement ne fonctionnerait pas. En revanche, comme on l'a
déjà vu dans ce travail, la réalité politique
montre toute autre chose. C'est qu'en l'absence du Parlement, le Pouvoir
Exécutif est bien obligé de gouverner le pays ; il le fait par
décret. Par contre, les décrets adoptés paraissent avoir
valeur législative, puisque dans leurs dispositions abrogatoires, ils
indiquent avoir abrogé les lois qui leur sont contraires238.
Or, les constituants de 1987 ont vite fait d'éliminer le
procédé des décretslois239. Par voie de
conséquence, sous le régime constitutionnel de 1987, le Pouvoir
Exécutif n'est pas autorisé à adopter des normes à
valeur législative. Seul le Parlement est appelé à voter
la loi ; même le référendum législatif n'est pas
prévu par la Constitution de 1987. Le Pouvoir Exécutif n'a le
pouvoir d'adopter que des normes réglementaires d'application de la loi,
donc subordonnées à la loi.
A la lumière de ce qui précède, quand le
Pouvoir Exécutif adopte des décrets qui indiquent avoir
abrogé les lois qui leur sont contraires, on peut avancer qu'il s'agit
là d'un accroc à la hiérarchie des normes juridiques
reconnue et consacrée par la Constitution de 1987. D'autant que la
Constitution prévoit un contrôle de légalité des
règlements ; ce qui place les règlements de l'Exécutif
à un rang inférieur par rapport à la loi. Comment alors un
règlement de l'Exécutif pourrait-il avoir la « vertu »
d'abroger une norme qui lui est supérieure ? N'est-ce pas
déjà ébranler la hiérarchie des normes de droit
interne ?
Le problème est d'autant plus épineux que ces
décrets n'ont pas toujours été rapportés par le
Pouvoir Exécutif pour être par la suite présentés
sous forme de projets de loi au Parlement quand celui-ci arrive à
fonctionner. Au contraire, bien souvent, ils restent toujours d'application. De
plus, cette situation devient tellement courante que l'on accuse une certaine
propension à la considérer comme normale. D'où,
déjà, un ébranlement, dans la pratique politique, de la
hiérarchie des normes juridiques posée dans la Constitution de
1987.
238 Prenons en exemple le décret du 22 Août 1995
relatif à l'organisation judiciaire abrogeant la loi du 18 Septembre
1985 sur l'organisation judiciaire.
239 La Constitution de 1987 a accordé le droit
exceptionnel de gouverner par décret uniquement au CNG. Voir l'article
285-1.
SECTION II.- L'AUTORITÉ DE LA CONSTITUTION DE
1987 : UNE SUPRÉMATIE MAL ASSURÉE
On a vu dans la première section de ce chapitre des
raisons permettant de présumer la suprématie de la Constitution
de 1987. On a également fait observer, à la fin de ladite
section, un écart entre la norme constitutionnelle et la pratique
politique qui apporte déjà une douche froide, par la pratique des
décrets, à la hiérarchie des normes juridiques au sommet
de laquelle est placée la Constitution.
Cependant, la Constitution de 1987 comporte en elle-même
des failles qui viennent compromettre, dans une certaine mesure, sa propre
suprématie, puisque cette dernière est juridiquement mal
assurée. Il ne suffit pas de clamer la suprématie de la
Constitution, ni même de l'instituer. Encore faut-il que cette
suprématie soit efficacement protégée.
En effet, la Constitution de 1987 accorde une puissance
illimitée à la loi jusqu'à lui permettre de la
concurrencer matériellement. Cette situation vient en quelque sorte
épingler la suprématie matérielle de la Constitution
(§ 1). De plus, on a pu constater l'inefficacité de la sanction de
la suprématie de la Constitution à un triple point de vue (§
2).
§ 1.- LA PUISSANCE DE LA LOI ET LA SUPRÉMATIE
MATÉRIELLE DE LA CONSTITUTION
Si une Constitution tient sa supériorité
formelle à son mode d'élaboration et à sa procédure
de révision ; elle doit, en revanche, sa suprématie
matérielle à son contenu, c'est-àdire, son objet.
Dans cette perspective, on a déjà
démontré que le mode d'adoption et la procédure
d'amendement de la Constitution de 1987 consacrent sa suprématie
formelle. De plus, il a été aussi démontré que le
contenu de la Constitution de 1987 correspond bien, d'une manière
générale, à ce qu'on trouve dans une Constitution. Donc,
à lire même cursivement la Constitution de 1987, on peut
être légitimement tenté d'affirmer avec
véhémence et d'un ton doctoral qu'au regard de son objet, elle
est la norme suprême de l'Etat.
En réalité, on ne peut pas d'emblée
prendre le contre-pied d'une telle affirmation, car effectivement l'ensemble de
la matière qui est abordée par la Constitution de 1987 est
retrouvée, d'une manière générale, dans quasiment
toutes les Constitutions écrites. En revanche, on ne peut non plus,
d'emblée, abonder dans le sens de l'affirmation en question. En d'autres
termes, il paraît risquer de se fonder sur la matière
traitée par la Constitution de 1987 pour affirmer sa
suprématie.
En effet, tout le problème réside dans le fait
que la loi jouit d'une puissance illimitée. La Constitution de 1987
accorde à la loi une puissance telle que celle-ci peut
matériellement concurrencer la Constitution.
Selon le professeur Philippe FOILLARD : « La Constitution
est l'ensemble des règles qui définissent le statut des
gouvernants (désignation et compétences) et les rapports des
gouvernants et des gouvernés. »240
Pour leur part, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
avancent : « La Constitution rigide a toujours pour objet et pour contenu
minimum d'instituer des autorités ou organes ou encore pouvoirs
constitués et de répartir entre eux des
compétences241. » De ce point de vue, il revient
à la Constitution d'instituer des autorités et de leur fixer des
compétences. D'ailleurs, le professeur Georges BURDEAU n'a pas
enseigné autrement lorsqu'il a avancé qu' « il appartient
à la Constitution de fixer les compétences des
personnalités ou collèges auxquels il appartiendra de
décider pour l'Etat. »242
Or, la Constitution de 1987 a, certes, mis en place des «
pouvoirs constitués » auxquels elle a normalement accordé
des attributions. Cependant, comme on l'a déjà vu dans ce
travail243, elle réfère en même temps à
la loi pour étendre les attributions des organes qu'elle institue. Ce
procédé fait problème, en ce sens que la loi peut venir
interférer dans un domaine relevant normalement de la Constitution. S'il
revient en principe à la Constitution de fixer limitativement les
compétences des organes qu'elle institue pour éviter l'arbitraire
des gouvernants, la Constitution de 1987 a étrangement innové en
accordant à la loi ordinaire, en ses articles 93 et 97-3, le pouvoir de
prolonger les attributions du Sénat et de la Chambre, deux organes
pourtant chargés de voter la loi et institués par la Constitution
elle-même. D'où,
240 FOILLARD 1997, page 29.
241 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 42.
242 BURDEAU 1977, op. cit., p. 69.
243 Voir supra, chapitre 3, section I.
la suprématie matérielle que la Constitution
doit, en principe, à son contenu est épinglée par cette
puissance illimitée de la loi qui peut venir la concurrencer.
Il paraît utile ici de faire remarquer que ce type
d'intervention du Législateur dans le domaine constitutionnel n'est pas
sans danger. Sous prétexte d'accroître ses attributions, il peut
être tenté de modifier, voire dénaturer la Constitution
sans passer par les procédures contraignantes de l'amendement.
Néanmoins, le professeur Philippe ARDANT a fait la
remarque que voici : « la Constitution ne peut régler tout ce qui
concerne les Pouvoirs publics. A côté de la Constitution, on
trouve donc souvent des lois qui la complètent, la précisent, la
prolongent. » Un peu plus loin, il a également fait
observer qu'en France, « c'est dans cette optique que la Constitution
prévoit que des lois spéciales, dites lois organiques,
interviendront pour la compléter, pour développer les
règles d'organisation et de fonctionnement des Pouvoirs publics.
»
Par contre, le professeur Philippe ARDANT a tout aussi fait
remarquer que la Constitution prévoit limitativement les domaines dans
lesquels une loi organique peut intervenir. De plus, il a avancé :
«La loi organique ne doit pas réaliser une révision
constitutionnelle déguisée, on ne doit pas utiliser cette
procédure dans l'intention de tourner la Constitution.
»244 D'où, la saisine obligatoire du Conseil
constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité de la loi
organique avant sa promulgation.
A ce sujet, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
font aussi observer que les lois organiques, en France, sont adoptées ou
modifiées selon une procédure particulière. Cette
dernière est plus contraignante que la procédure
législative ordinaire. Selon eux : « Le trait le plus marquant de
cette procédure est l'examen par le Conseil constitutionnel de la
conformité à la Constitution de tout projet ou proposition de loi
organique, c'est-à-dire sans qu'il ait été
nécessaire de le saisir. Il s'agit évidemment d'empêcher
que la loi organique, sous prétexte de compléter la Constitution,
n'en remette en cause les principes. »245
En dépit des garde-fous mentionnés plus haut, la
Constitution française de 1958 ne prévoit pas qu'une loi
organique puisse venir prolonger la liste des attributions des organes du
pouvoir politique, par exemple. Or, la Constitution haïtienne de 1987, en
ses articles 93 et 97- 3, prévoit que la loi peut accorder de nouvelles
attributions aux organes qui sont pourtant
244 ARDANT 2002, op. cit., p. 59 à 61.
245 HAMON, TROPPER 2003, op. cit., p. 49.
chargés de la voter. Qui plus est, l'objet desdites
attributions n'a guère été précisé et aucune
procédure spéciale n'est prévue à cet effet. Or, le
parlement a une parfaite maîtrise sur la procédure
législative ordinaire. Par voie de conséquence, les deux (2)
dispositions constitutionnelles en question n'ont rien à voir à
la loi organique en France.
En effet, le professeur Philippe ARDANT a fait la remarque que
voici : « Sur le plan de la philosophie politique, se donner une
Constitution, c'est admettre que le pouvoir n'est pas illimité, ses
détenteurs acceptent de lui fixer des bornes. L'idée de
limitation du pouvoir est à l'origine de l'élaboration des
Constitutions. »246
De leur côté, les professeurs Francis HAMON et
Michel TROPER ont fait valoir que « la Constitution est le fondement de la
légitimité des gouvernants. Ceux-ci peuvent justifier leur
pouvoir et leurs décisions par le fait qu'ils ont été
désignés conformément à la Constitution et qu'ils
exercent des compétences qui leur ont été
attribuées par la loi fondamentale.»247
A bien comprendre les remarque et position
évoquées aux deux (2) précédents paragraphes, la
Constitution haïtienne de 1987 paraît faire fi des grands canons
classiques du droit constitutionnel en référant à la
loi pour fixer de nouvelles attributions à deux (2)
organes du pouvoir politique qu'elle institue. Ce faisant, en plus de permettre
à la loi d'empiéter sur son domaine sans même l'exigence
d'une procédure spéciale, la Constitution de 1987 permet aussi
à certains gouvernants de se fixer des compétences, or c'est la
Constitution qui devrait fixer limitativement les pouvoirs des organes
institués. Au lieu d'énumérer limitativement les
compétences du Parlement, elle lui accorde « la
compétence de sa compétence »,248
c'est-àdire la faculté de déterminer l'étendue et
les limites de sa propre compétence.
Finalement, on l'aura vitement compris, cette puissance
illimitée de la loi a fortement épinglé la
suprématie matérielle de la Constitution de 1987, quand bien
même que la loi ordinaire au contenu matériellement
constitutionnel dont on parle aura été prise sur invitation du
constituant. De ce point de vue, c'est le cas de dire que le critère
matériel n'est plus un élément distinctif permettant de
différencier la norme constitutionnelle et la loi ordinaire. Ajouter
à cela, la sanction de la suprématie de la Constitution de 1987
se révèle inefficace à un triple niveau.
246 ARDANT 2002, op. cit., p. 54.
247 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 45.
248 Termes empruntés à JELLINEK, cité par
André BARILARI et Marie-José GUEDON dans leur ouvrage
intitulé « Institutions politiques », 3e
édition, 1994, Sirey, France, page 19.
§ 2.- L'INEFFICACITÉ DE LA SANCTION DE LA
SUPRÉMATIE DE LA CONSTITUTION
La sanction de la suprématie de la Constitution de 1987
est inefficace. La Constitution institue la constitutionnalité des lois,
mais la garantit inefficacement. Elle institue la constitutionnalité des
conventions, traités ou accords internationaux, mais ne la garantit pas.
De plus, la constitutionnalité du règlement intérieur des
Assemblées n'est pas instituée, donc non garantie.
En effet, la Constitution de 1987 institue, à l'article
183, un contrôle de constitutionnalité des lois. Cependant, les
mécanismes du contrôle n'empêchent pas qu'une loi du
Législateur soit susceptible d'application même lorsque
déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel. Il
revient uniquement à l'auteur de la loi déclarée
inconstitutionnelle par le juge, en l'occurrence le Parlement, de la faire
disparaître de l'ordre juridique. Or, la primauté de la
Constitution sur la loi suppose que cette dernière tire le fondement de
sa validité dans la Constitution (A).
En outre, la Constitution de 1987 prescrit sa primauté
sur les normes conventionnelles de droit international. Par contre, elle ne
garantit aucunement cette primauté. En conséquence elle donne
libre cours au Parlement qui peut sans contrainte ratifier une convention ou un
traité international comportant des clauses contraires à la
Constitution, puisque le juge constitutionnel n'est pas fondé à
vérifier la constitutionnalité de ces normes (B).
De plus, les constituants de 1987 n'ont pas cru utile
d'instituer et de garantir le principe de la constitutionnalité du
règlement intérieur des Assemblées. Or, il s'agit d'un
instrument juridique d'une très grande importance qui, dans une certaine
mesure, complète la Constitution. En ce sens, rien n'empêche aux
parlementaires de défier la norme constitutionnelle et même de
s'octroyer des pouvoirs que la Constitution ne leur avait pas accordés
comme cela a pu être d'ailleurs constaté en France, sous la
IIIe République notamment249 (C).
249 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 759 ; ARDANT
2002, op. cit., page 62.
A. L'INEFFICACITÉ DU CONTRÔLE DE
CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS
La constitutionnalité des lois c'est
l'adéquation de la loi votée par le Parlement avec la
Constitution du pays. Donc, le contrôle de constitutionnalité de
la loi c'est la vérification de sa conformité ou de sa
compatibilité à la Constitution.
Historiquement, c'est aux Etats-Unis d'Amérique que fut
institué pour la première fois un contrôle de
constitutionnalité, à la suite de la célèbre
affaire Marbury v. Madison (1803). A cette occasion, la Cour
Suprême des Etats-Unis statua incidemment sur la
constitutionnalité d'une loi à propos d'un litige et
décida de ne pas appliquer cette loi dans le procès en cours
d'instance, puisque son absence de conformité avec la Constitution
américaine de 1787 était établie.
Sous le régime constitutionnel de 1987, les lois
votées par le Parlement peuvent faire l'objet d'un contrôle de
constitutionnalité. Par contre, ce contrôle se
révèle amplement inefficace. C'est que l'objectif de
l'institution d'un contrôle de constitutionnalité des lois est de
garantir la supériorité de la Constitution sur les lois. Une loi
doit être conforme à la norme constitutionnelle car elle trouve le
fondement de sa validité dans la Constitution. Une loi contraire
à une disposition de la Constitution est irrégulière et
n'a pas sa place dans l'ordre juridique hiérarchisé. Or, le type
de contrôle institué par la Constitution de 1987 n'empêche
nullement qu'une loi inconstitutionnelle fasse partie de l'ordre juridique. En
conséquence, la Constitution de 1987 et les éventuelles lois
inconstitutionnelles sont condamnées à cohabiter, nonobstant
l'abrogation des lois dites inconstitutionnelles par le Parlement. D'où,
l'autorité de la Constitution de 1987 sur les lois paraît un vain
mot.
En effet, le régime constitutionnel de 1987 n'institue
pas de Cour constitutionnelle non intégrée dans l'ordre
judiciaire, contrairement à ce qui se fait en France, en Allemagne
fédérale ou en Italie, par exemple250. En Haïti,
le contrôle de conformité d'une loi à la Constitution est
réalisé par la Cour de Cassation selon les dispositions de
l'article 183 de la Constitution et les articles 141 et suivants du
décret du 22 Août 1995 relatif à l'organisation judiciaire,
abrogeant étrangement la loi du 18 Septembre 1985 portant sur
l'organisation judiciaire.
En vertu de ce qui précède, on l'aura vitement
compris, le contrôle de constitutionnalité des lois, en
Haïti, est concentré, puisque la Cour de Cassation est le seul
250 PACTET 2001, op. cit., page 82.
juge constitutionnel ; elle juge en premier et dernier
ressort. Le contrôle de constitutionnalité des lois est de type
juridictionnel en ce sens que le recours en inconstitutionnalité est
formé devant un organe juridictionnel, mais les tribunaux ordinaires ne
sont pas pour autant compétents pour vérifier la
constitutionnalité des lois.
En outre, le contrôle est concret. Le contrôle par
voie d'action n'est pas prévu par la Constitution. Donc, un
requérant ne peut pas directement demander à la Cour de Cassation
de vérifier la conformité d'une loi à la Constitution ; il
faut qu'il y ait un procès. Lors de ce procès, un
requérant soulève l'inconstitutionnalité,
c'est-à-dire le fait qu'il prétend qu'une loi est contraire
à la Constitution et ne doit donc pas lui être
appliquée.
Du reste, comme étant donné que, contrairement
au modèle américain, le contrôle de
constitutionnalité des lois n'est pas diffus, le tribunal saisi du
litige principal ne statue pas luimême sur l'inconstitutionnalité
soulevée. Il sursoit à statuer et renvoie les parties par-devant
les sections réunies de la Cour de Cassation. D'où, la Cour de
Cassation, juge constitutionnel, fait le contrôle de
constitutionnalité des lois par le biais du renvoi
préjudiciel.
Puisque le contrôle de constitutionnalité des
lois, en Haïti, est toujours concret, cela autorise n'importe quel
justiciable, lors d'un procès, d'exciper que les dispositions que l'on
entend lui appliquer ne sont pas conformes à la Constitution. En
revanche, ce procédé est par essence aléatoire, puisqu'il
ne peut pas être mis en oeuvre en dehors d'une instance judiciaire. Or,
la Constitution de 1987 dispose en même temps que la loi peut accorder
des attributions au Sénat et à la Chambre. Est-il toujours
possible d'avoir un procès permettant aux organes du Pouvoir
Exécutif, par exemple, de contester la constitutionnalité d'une
loi attribuant des compétences au Sénat ou à la Chambre et
qui ont été déjà attribuées au Pouvoir
Exécutif ? Le citoyen qui n'est pas partie à un procès en
instance, comment pourra-t-il avoir la possibilité d'échapper
à une loi liberticide ?
Par suite, il va sans dire que le contrôle de
constitutionnalité des lois, en Haïti, se fait a posteriori,
c'est-à-dire en aval de la promulgation ; d'où, une
insécurité juridique. Le citoyen est exposé. Il risque de
voir appliquée contre lui une loi inconstitutionnelle si son
défenseur en Justice, le cas échéant, n'a la moindre
intelligence de soulever l'inconstitutionnalité de la loi. En ce sens,
tous les problèmes contentieux ne sont pas réglés avant
l'entrée en vigueur de la loi.
En outre, le problème majeur résulte du fait que
la loi déclarée inconstitutionnelle par la Cour de Cassation
n'est pas pour autant rayée de l'ordre juridique. Cette loi sera
seulement déclarée inapplicable au litige
considéré, puisque l'arrêt de la Cour produit un effet
inter pares, c'est-à-dire entre les parties. Le juge
constitutionnel ne fait qu'écarter l'application de la loi dans un cas
précis. Il s'ensuit qu'elle est toujours d'application dans tous les
autres cas, si aucune inconstitutionnalité n'aura été
soulevée.
Puisque le contrôle de constitutionnalité des
lois, en Haïti, n'empêche pas qu'une loi inconstitutionnelle fasse
partie de l'ordre juridique, l'on peut se demander à bon droit si la
suprématie de la Constitution n'est pas un vain mot. D'autant que l'on
sait qu'une loi ordinaire peut accroître les attributions du Sénat
ou de la Chambre, les deux organes pourtant chargés de la voter.
En somme, l'article 183 de la Constitution de 1987 instituant
le contrôle de constitutionnalité des lois vise à garantir
la suprématie de la Constitution. C'est en quelque sorte une limite
apportée à la loi. Cependant, le modèle de contrôle
institué n'empêche pas en même temps que cette limite soit
dépassée, puisque même lorsque déclarée
inconstitutionnelle par un arrêt de la Cour de Cassation, la loi reste
encore en vigueur autant que le Parlement le veuille. Par conséquent,
elle est toujours susceptible d'être appliquée.
La Constitution permet au Parlement d'accroître ses
pouvoirs par la loi, alors que même si cette loi arrive à
être déclarée inconstitutionnelle par le juge
constitutionnel, elle continuera à s'imposer erga omnes
jusqu'à ce que ce même Parlement décide
éventuellement de faire cesser ses effets en l'abrogeant. En d'autres
termes, l'arrêt du juge constitutionnel, le gardien de la
suprématie de la Constitution, produit un effet inter pares,
alors que la loi inconstitutionnelle du Parlement s'impose erga omnes.
Ainsi, n'est-ce pas permettre au Parlement d'élargir par la loi sa
sphère d'influence tout en l'autorisant à défier
l'autorité de la Constitution ?
B. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
DES TRAITÉS, CONVENTIONS OU ACCORDS INTERNATIONAUX
L'article 276 de la Constitution de 1987 pose en termes clairs
la supériorité de la Constitution sur les traités,
conventions ou accords internationaux dans la hiérarchie des normes
juridiques. Ces instruments juridiques internationaux sont
infra-constitutionnels et doivent donc être conformes à la norme
constitutionnelle. C'est tout au moins ce qui est posé comme principe
à l'article en question.
En fait, l'article 276 de la Constitution de 1987 ne fait que
poser une interdiction. On pourrait même avancer qu'il s'agit d'une
simple mise en garde, puisque le respect du principe en tant que tel n'est pas
garanti par la Constitution.
La meilleure façon de garantir la
supériorité de la norme constitutionnelle sur la norme
conventionnelle de droit international c'aurait été d'instituer
un contrôle de constitutionnalité des traités, conventions
ou accords internationaux. Cela aurait permis au juge constitutionnel, gardien
de la suprématie de la Constitution, de vérifier la
conformité des instruments juridiques internationaux à la norme
constitutionnelle. Donc, s'il n'existe pas un contrôle de
conformité, l'Assemblée Nationale peut ne pas se sentir
obligée de respecter l'interdiction posée à l'article 276
de la Constitution. Comment d'ailleurs empêcher qu'un traité
international inconstitutionnel puisse être ratifié par
l'Assemblée Nationale ?
Sous le régime de la Ve République en
France, le traité ou l'accord international est supra-légale,
donc de valeur juridique supérieure à la loi, mais
infra-constitutionnel. Cette primauté de la Constitution sur le
traité ou l'accord international est garantie par l'institution d'un
contrôle, a priori, de constitutionnalité des engagements
internationaux par le Conseil constitutionnel.251
En effet, l'article 54 de la Constitution française de
1958 dispose : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le
Président de la République, par le Premier ministre, par le
président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante
députés ou soixante sénateurs, a déclaré
qu'un engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution,
251 Voir les articles 52 et suivants de la Constitution
française de 1958 ; François TERRE, Introduction
générale au droit, 2006, op. cit., p. 208 ; David
RUZIE, Droit international public, 16e édition,
Dalloz, Paris, 2002, page 23 ; PACTET 2001, op. cit.,page 526.
l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement
international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de
la Constitution. »
De son côté, la Constitution haïtienne de
1987 s'est contentée de poser le principe de sa primauté sur le
traité ou l'accord international, sans que pour autant le respect de ce
principe soit garanti.
La Cour de Cassation, en Haïti, est le juge
constitutionnel, c'est-à-dire le gardien de la suprématie de la
Constitution. Or, la Constitution de 1987 l'autorise seulement à
vérifier, selon les dispositions de l'article 183, la
constitutionnalité des lois. Quid des conventions,
traités ou accords internationaux ?
Là encore, la Constitution de 1987 pose une limite et
permet en même temps de la dépasser. En prescrivant à
l'article 276 que « l'Assemblée Nationale ne peut ratifier
aucun traité, convention ou accord internationaux comportant des clauses
contraires à la présente Constitution », elle pose une
limite au pouvoir de ratification du Parlement. Par contre, en ne
prévoyant aucun mécanisme de contrôle de
constitutionnalité de ces instruments juridiques internationaux, la
Constitution de 1987 permet de dépasser la limite qu'elle a
posée.
Or, le Peuple, auteur de la Constitution, est le seul
Souverain. En conséquence, le justiciable devrait pouvoir exciper de
l'inconstitutionnalité d'un instrument juridique international
ratifié par ses délégués au Parlement. Imaginer le
contraire aboutirait à ruiner la hiérarchie des normes juridiques
telle que posée dans la Constitution de 1987.
Finalement, cette attitude ambiguë des constituants de
1987 permet à l'Assemblée Nationale de ratifier impunément
des engagements internationaux comportant des dispositions contraires à
la Constitution de 1987. D'où, la suprématie de la Constitution
de 1987 en prend un nouveau coup.
C. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DU
RÈGLEMENT INTÉRIEUR DES ASSEMBLÉES
PARLEMENTAIRES
Pour l'adoption du règlement intérieur des
Assemblées, plusieurs systèmes sont concevables, selon le
degré d'autonomie que la Constitution entend laisser aux
Assemblées.
D'abord, il est un système dans lequel il revient au
Pouvoir Exécutif d'adopter le règlement intérieur des
Assemblées. Ce système n'offre aucune autonomie aux
Assemblées relativement à l'adoption du règlement
intérieur devant régir leur organisation interne et le travail
parlementaire. La France a connu ce système sous le Consulat et
l'Empire.252
Ensuite, un autre système accorde aux Assemblées
le pouvoir d'adopter leur règlement intérieur respectif sans le
moindre contrôle. C'est le système qui offre la plus grande
autonomie aux Assemblées parlementaires. Le régime
constitutionnel de 1987 retient ce système.
En dernier lieu, un autre système, dit
intermédiaire, accorde aux Assemblées le pouvoir d'adopter leur
règlement intérieur respectif, mais sous le contrôle du
juge pour éviter qu'elles ne portent atteinte aux principes
constitutionnels. La France, sous le régime de la Ve République,
connaît ce système.253
En effet, selon les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
: « Les règlements des Assemblées parlementaires
complètent la Constitution pour tout ce qui concerne l'organisation
interne des assemblées et le travail parlementaire. »254
Pour leur part, les professeurs André BARILARI et
Marie-José GUEDON ont avancé : « Le règlement
intérieur d'une Assemblée a une influence très grande sur
les modalités d'exercice des pouvoirs et donc sur les rapports avec le
Gouvernement. Une liberté totale en la matière peut au fait
donner aux Assemblées la possibilité de modifier le
fonctionnement d'un régime politique. »255
En vertu de tout ce qui précède, on comprend
bien que le système retenu par le régime constitutionnel de 1987
et qui laisse la plus grande autonomie aux Assemblées parlementaires
252 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 51.
253 Idem, page 51 ; PACTET 2001, op. cit.,
pages 497 et 498.
254 Ibidem, page 50.
255 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., page 235.
relativement à leur règlement intérieur
respectif n'est pas sans danger. Puisque la Constitution haïtienne de 1987
ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de conformité
du règlement intérieur des Assemblées à la
Constitution, qu'est-ce qui rassure que cet instrument juridique d'une aussi
très grande importance ne comportera pas des dispositions
inconstitutionnelles ?
D'ailleurs, il a été fait observer qu'en France,
« l'expérience de la IIIe et de la IVe
République avait montré que, par le biais de son
règlement, une Assemblée parlementaire pouvait parfois s'octroyer
des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas accordés. C'est pour
éviter une telle dérive que les règlements des
Assemblées sont désormais obligatoirement soumis, avant leur mise
en application, au contrôle du Conseil constitutionnel. »256
Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'en
France, sous le régime da la Ve République, le
contrôle de la constitutionnalité des lois parlementaires par le
Conseil constitutionnel n'est pas obligatoire. Il est plutôt facultatif ;
il peut être demandé par le Président de la
République, par le Premier Ministre, par le Président de
l'Assemblée Nationale ou de celui du Sénat, par soixante
Députés ou soixante Sénateurs. Pourtant, au même
titre que les lois organiques et les propositions de loi mentionnées
à l'art. 11 avant qu'elles ne soient soumises au
référendum, le règlement intérieur des
Assemblées est soumis obligatoirement au contrôle de
constitutionnalité avant leur promulgation257.
C'est le cas de dire que les constituants français de
1958 ont bien compris la nécessité d'encadrer juridiquement les
Assemblées parlementaires dans l'adoption de leur règlement
intérieur respectif, ayant tiré leçon de
l'expérience de la IIIe et de la IVe
République258.
En revanche, avec l'absence de contrôle de
constitutionnalité du règlement intérieur des
Assemblées parlementaires sous le régime constitutionnel de 1987,
la suprématie de la Constitution de 1987 prend encore un nouveau coup,
puisqu'on ne peut pas empêcher ni même sanctionner la violation de
la Constitution par les Assemblées parlementaires dans leur
règlement intérieur respectif.
256 Ibidem, page 759 ; ARDANT 2002, op. cit.,
page 62.
257 Cf. art. 28 de la LOI constitutionnelle
no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de
la Ve République ; le nouvel article 61 de la Constitution
française de 1958 ; COLLINET 1999, op. cit., page 92 ; PACTET
2001, op. cit., page 497.
258 « Anodin en apparence, le règlement se
présentait comme une véritable machine infernale contre
l'Exécutif et la Constitution. Les constituants de 1958 ne s'y sont pas
trompés en soumettant obligatoirement sa conformité à
l'appréciation du Conseil constitutionnel (art. 61 in limine)
». Voir GICQUEL 1997, op. cit., page 130.
En somme, la Constitution est affirmée comme la norme
suprême de l'Etat, mais cette suprématie est juridiquement mal
assurée, car les actes du Parlement, quand ils ne sont pas soumis
à un régime de contrôle inefficace, ne font l'objet d'aucun
contrôle. En d'autres termes, la Constitution fixe des limites et permet
en même temps au Parlement de les dépasser.
CONCLUSION GENERALE
L'abrogation d'une Constitution est toujours
considérée comme un acte fort259. C'est tout à
la fois le rejet d'un système politique et la manifestation d'un
désir de changement. D'où, l'abrogation d'une Constitution est un
phénomène de rupture.
La République d'Haïti n'échappe pas
à cette réalité. La plupart de nos Constitutions ont
été abrogées. A titre indicatif, après la chute du
régime des DUVALIER, en Février 1986, la majeure partie de la
population n'a pas voulu que soit possible la restauration du statu quo
ante, vu la haute portée symbolique de la chute et la soif de
démocratie. Ainsi, fallut-il marquer, par un signe fort, cette
volonté de rupture. La ratification d'une nouvelle Constitution en Mars
1987 a été l'expression formelle de cette volonté de
rupture.
Voulant tenir compte des aspirations légitimes de la
majorité de la population, les constituants de 1987 ont cru devoir, par
tous les moyens, tenter d'éviter le retour au présidentialisme
traditionnel pour éviter toute dérive dictatoriale. Donc,
à l'origine, l'intention est bonne. Cependant, la manière de
procéder pose problème. Des anomalies ont été
tentées d'être corrigées par d'autres anomalies.
En effet, au lieu de chercher les équilibres manquants
dans les régimes antérieurs, les constituants de 1987 ont
préféré quitter un extrême pour se diriger vers
l'autre. Ils ont instauré un parlementarisme absolu, s'appuyant sur le
fait qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un pouvoir
fort, d'instituer le despotisme. C'est là oublier les méfaits du
phénomène de l'obstruction parlementaire, de celui de la
paralysie parlementaire ou encore de celui de la dictature parlementaire.
Le système institutionnel retenu sous le régime
constitutionnel de 1987 se caractérise par la prééminence
du Parlement et l'esprit du texte constitutionnel trahit une méfiance
à l'égard de la fonction présidentielle. D'une
façon ou d'une autre, les pouvoirs les plus importants du
Président de la République sont teintés de l'influence et
du contrôle du Parlement, alors que les deux sont issus du suffrage
universel direct. D'ailleurs, on pourrait même présumer une plus
forte légitimité du Président de la République, par
rapport aux parlementaires, puisque celle du Président de la
République a une portée nationale. De plus, le
bicéphalisme exécutif est organisé de manière
à transférer le pouvoir réel au Premier Ministre. En
même temps, le Gouvernement, dirigé par le Premier Ministre, est
mis sous tutelle des
259 Philippe ARDANT parle d' « événement
exceptionnel », Institutions politiques Droit constitutionnel, op.
cit., page 97.
Assemblées parlementaires qui peuvent le faire et le
défaire sans s'inquiéter d'une possible dissolution.
Comme si tout cela n'était pas suffisant, les
constituants de 1987 ont accordé une puissance législative
illimitée au Parlement, jusqu'à lui permettre implicitement
d'étendre le champ de ses attributions par la voie législative
ordinaire, alors qu'il a une bonne maîtrise de la procédure
législative.
L'absence de moyens d'action décisifs de
l'Exécutif sur la procédure législative favorise le
phénomène de la paralysie parlementaire et celui de l'obstruction
parlementaire. En effet, la procédure législative, telle que
tracée dans ses grandes lignes par la Constitution, ne permet pas au
Gouvernement d'écarter le principe de la spécialité du
vote, même dans le cas d'un projet de loi d'une extrême importance
pour lui. L'hypothèse classique de l'habilitation législative est
inenvisageable, même pour permettre au Gouvernement d'exécuter son
programme. L'inaction du Parlement n'est pas sanctionnée même dans
un domaine très stratégique et prioritaire qu'est le budget
national. Pourtant, le Législateur est incontournable en matière
législative ; même le Peuple n'est pas appelé à
collaborer à l'élaboration de la loi.
Le nouveau régime institué devait servir de
repoussoir aux visées totalitaires du Président de la
République, pour protéger les libertés fondamentales, la
démocratie, l'alternance politique, le pluralisme politique et
idéologique que l'on entendait instituer. Il faut reconnaître, par
souci d'objectivité, que la toute-puissance accordée au Parlement
ne met pas en cause, a priori, l'alternance politique, le pluralisme
politique et idéologique. Cependant, elle paraît attentatoire
à la démocratie libérale. Le Peuple participe peu à
la vie politique et le niveau de protection des libertés fondamentales
laisse à désirer.
Une protection assurée de la Constitution de 1987, en
tant que code des Pouvoirs publics et charte des libertés, constituerait
« un minimum démocratique vital ». Se hissant au sommet de la
hiérarchie des normes juridiques, son règne devrait
succéder à celui de la loi. Or, la souveraineté
parlementaire débouche sur la mise sous tutelle de la Constitution.
Cette souveraineté parlementaire trouve,
essentiellement, son expression dans la non limitation des attributions du
Sénat et de la Chambre des Députés, dans
l'inefficacité du contrôle de constitutionnalité des lois,
dans l'absence de contrôle de constitutionnalité des
traités internationaux et dans le non encadrement de
l'organisation et du fonctionnement des Assemblées.
Le régime constitutionnel de 1987 fait du Parlement
l'épicentre du régime et lui accorde, en quelque sorte « la
compétence de sa compétence ». En plus de pouvoir se donner
compétence en cas de vide juridique, rien ne l'empêche
d'empiéter sur les pouvoirs de l'Exécutif, puisqu'aucune sanction
du partage des compétences entre les Pouvoirs publics n'est
instituée. Donc, le principe de la Séparation des Pouvoirs
consacré par la Constitution de 1987 paraît un vain mot. Pour
qu'il y ait Séparation des Pouvoirs, il faut que les compétences
des divers Pouvoirs publics soient fixées et que le partage des
compétences soit sanctionné. Or, dans le régime actuel, il
revient au Parlement de s'autolimiter. A fortiori, il paraît
inconcevable de parler de sanction de partage des compétences. En ce
sens, le Parlement détient la clé de la stabilité du
schéma institutionnel du régime.
Les débordements éventuels des pouvoirs du
Parlement pourraient être relégués au rang des abstractions
si le contrôle de constitutionnalité des actes du Parlement
était d'une efficacité à toute épreuve. Or,
à ce sujet, la Constitution a fixé des limites et permet en
même temps au Parlement de les dépasser. Par conséquent, le
problème reste entier. La Constitution de 1987 est affirmée comme
la norme suprême de l'Etat, mais les mécanismes de garantie de
cette suprématie laissent à désirer. Dans ces conditions,
la hiérarchie des normes juridiques est sinon tombée, du moins
ébranlée.
Pourtant, l'importance réelle des droits fondamentaux
se mesure à travers l'efficacité du contrôle de
constitutionnalité et l'existence d'un Etat de droit s'accompagne
obligatoirement d'une hiérarchie des règles
juridiques260. « L'Etat de droit implique l'existence d'un
ordre juridique hiérarchisé au sommet duquel se trouve la
Constitution (...) et l'existence d'un système de contrôle
garantissant le respect de cet ordre juridique par toutes les autorités
de l'Etat »261. Par voie de conséquence, l'Etat de
droit, en Haïti, est sinon un projet, du moins une construction
inachevée.
En outre, on a vu que si le régime arrive à
fonctionner dans la continuité institutionnelle, on peut doublement
craindre des dérives dictatoriales du Parlement. D'ailleurs, à ce
moment, on aura vu toutes les manifestations de sa toute-puissance. Par voie de
conséquence, le choix n'est pas facile entre faire fonctionner le
régime tel quel dans la
260 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., pages 37 et 57.
261 Idem, page 20.
continuité institutionnelle pour respecter la
Constitution, et attendre que la Constitution soit amendée pour borner
les pouvoirs du Parlement avant de prôner la continuité
institutionnelle.
A priori, on ne peut pas avoir l'audace de se
prononcer contre le respect de la Constitution, en dépit de ses failles.
Par contre, on ne peut non plus faire l'autruche. La Constitution de 1987 a
besoin d'être amendée pour corriger ses faiblesses, notamment, la
portée illimitée des pouvoirs du Parlement et la quasi-absence de
contrôle de ses actes, causant ainsi la fragilisation de
l'autorité de la Constitution, donc de l'Etat de droit.
C'est le cas de dire que le vers est dans le fruit. La chute
du Président Jean-Claude DUVALIER, en 1986, devrait être la chute
d'un système idéologico-politique. La majorité du Peuple
aspirait à l'Etat de droit pour ne plus avoir à subir
l'arbitraire des gouvernants. Le Peuple a ratifié massivement le texte
constitutionnel, le 29 Mars 1987, dans l'espoir de voir instaurer à
jamais dans le pays un Etat de droit. Cependant, vu la toute-puissance
accordée au Parlement, le régime constitutionnel de 1987
paraît plus instaurer un Etat légal qu'un Etat de droit ou, plus
précisément, un Etat de droit constitutionnel.
La toute-puissance accordée au Parlement empêche
la réalisation de l'Etat de droit. On pourrait même
s'intéresser spécifiquement, dans le cadre d'un travail de
recherche, à la question de savoir si la souveraineté du Peuple
n'est pas confisquée par ses délégués au
Parlement.
Nous ne sommes pas d'avis que le choix du parlementarisme
absolu soit la meilleure façon de contourner les dérives
dictatoriales. Certes, il a fallu couper court au présidentialisme
traditionnel, car l'omnipotence du Président de la République
frisait souvent la dictature. Cependant, l'omnipotence accordée au
Parlement jusqu'à fragiliser la suprématie de la Constitution,
n'en est pas moins compromettante.
Quoi qu'il soit difficile de demander à un Pouvoir
politique de réviser une Constitution pour limiter, voire encadrer ses
pouvoirs, nous proposons un déclenchement rapide de la procédure
d'amendement fixée dans la Constitution de 1987 en vue de parvenir
à l'améliorer. Dans cette démarche, on devrait
s'intéresser en premier lieu à instaurer effectivement un Etat de
droit, au sens plein du terme ; quitte à mettre en oeuvre, par la suite,
dans la pratique politique, le cadre constitutionnel proprement dit.
Cela passe par des mécanismes effectifs de garantie de
la suprématie de la Constitution dans la hiérarchie des normes
juridiques. Pour arriver à cela, il aura fallu instituer une Cour
constitutionnelle non intégrée dans l'ordre
judiciaire. Nous rappelons que le juge constitutionnel est le gardien de la
suprématie du Peuple sur ses délégués. Il est
déjà très difficile, sur le plan théorique,
à classer le juge constitutionnel dans l'un ou l'autre des trois grands
Pouvoirs de l'Etat, ou encore à le situer par rapport aux trois
Pouvoirs. Comment juger concevable qu'une juridiction de l'ordre judiciaire
puisse faire office de juge constitutionnel ?
Cette Cour constitutionnelle aura exercé son
contrôle de constitutionnalité a priori. Elle devra
être obligatoirement saisie, avant la promulgation de la loi, avant la
publication du règlement intérieur respectif des
Assemblées et avant l'adoption du décret de ratification des
traités, par le Président de la République ou le
Président du Sénat ou encore celui de la chambre des
Députés suivant les modalités qu'une loi d'application
viendra fixer.
Les juges qui devront siéger à cette Cour
doivent être recrutés par la voie de concours et
présélectionnés parmi les avocats et les juges ayant
marqué leur passage dans le métier du droit tant par leur
dextérité que par leur probité tout au long de leur longue
carrière de professionnels du droit.
De plus, nous proposons ardemment que le régime soit
rationalisé, pour que le Parlement ne puisse pas empêcher au
Gouvernement de gouverner sans qu'il ne gouverne à sa place. Ainsi, on
aura mis fin à la puissance législative du Parlement. Par
ailleurs, les compétences des Pouvoirs institués auront
été limitativement fixées et le partage des
compétences entre les Pouvoirs publics constitutionnels aura
été sanctionné.
Le Peuple devra participer plus activement à la vie
politique, notamment, par le référendum législatif, le
référendum constituant et en pouvant trancher les conflits
irréductibles entre les Pouvoirs publics constitutionnels.
Loin de prétendre avoir souligné tout ce qui
devrait être fait pour avoir un régime plus démocratique et
libéral ; et très loin de prétendre que la position
suivante reflète une doctrine unanime, nous avons jugé quand
même utile de rappeler que le professeur Monferrier DORVAL a fait valoir
: « L'omnipotence parlementaire est incompatible avec les fondements de
l'ordre juridique et peut se révéler dangereuse pour les
libertés262 ». Ce point de vue fait chorus avec
l'ensemble de ce qui a été démontré dans ce travail
de recherche académique. C'est le cas de dire que l'hypothèse de
départ est bel et bien confirmée.
262 Propos tenus lors d'un colloque international organisé
à l'Université Quisqueya les 28 et 29 Avril 1997 sous le
thème la Constitution et les droits de l'homme.
Une meilleure protection des libertés fondamentales
contre l'arbitraire des gouvernants passe par l'institution de
mécanismes effectifs de garantie de la suprématie de la
Constitution, mais non par un sur-encadrement de l'Exécutif au profit
d'un Parlement tout-puissant.
TABLE DES MATIERES
Dédicace ( ii)
Remerciements ... (iii)
Abréviations et sigles (v)
Sommaire (vi)
Introduction générale 1
PREMIERE PARTIE
Les Pouvoirs publics sous le régime
constitutionnel de 1987 : déséquilibre au profit du Parlement
10
Chapitre premier
Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif :
fondements et organisation
|
12
|
Section I.- Le Pouvoir Législatif :
composition, fonctions et privilèges
|
.....12
|
§ 1.- Le Parlement et ses organes
|
13
|
A. La Chambre des Députés
|
14
|
B. Le Sénat
|
.16
|
C. L'Assemblée Nationale
|
..18
|
|
§ 2.- Le Parlement et ses fonctions
générales et communes
|
20
|
A. La fonction législative
|
20
|
B. La fonction de contrôle
|
22
|
C. La fonction d'enquête
|
24
|
|
§ 3.- Les immunités parlementaires et les
incompatibilités
|
24
|
A. Les immunités parlementaires
|
25
|
1. L'irresponsabilité parlementaire
|
25
|
2. L'inviolabilité parlementaire
|
25
|
B. Le régime des incompatibilités
|
26
|
Section II.- Le Pouvoir Exécutif entre
légitimité populaire et consécration parlementaire .27
§ 1.- Le Président de la République : un
arbitre ou un chef de Cabinet ? 28
A. Disproportion entre son élection et son
autorité politique ...29
B. Ses compétences et leurs limites ..31
- Ses compétences
politiques............................................................
31
- Ses compétences diplomatiques et
militaires.................................... 33
- Des prérogatives spéciales 33
§ 2.- Le Gouvernement : responsabilité et
instabilité .34
A. Le Premier Ministre et les variations de son influence
politique .34
B. Les Ministres et les Secrétaires d'Etat : effectif et
responsabilité 36
Chapitre 2
Le régime politique institué par la Constitution de
1987 : mauvaise articulation du cadre constitutionnel et de la pratique
politique 38
Section I.- Des rapports
déséquilibrés entre les Pouvoirs publics
constitutionnels..............38
§ 1.- Déséquilibre au profit du Parlement
39
A. La double responsabilité politique du Gouvernement
39
B. L'absence concomitante du droit de dissolution des
Assemblées ...42
C. L'inefficacité des mécanismes institutionnels
de règlement de conflits 43
§ 2.- Un Parlement puissant et un Exécutif «
désarmé » 46
A. Le Parlement : l'épicentre du pouvoir politique
..47
B. L'absence de contrepoids constitutionnels efficaces 49
Section II.- La nature et la « pratique
» du régime : controverses et dichotomie 51
§ 1.- La nature du régime : ambigüités et
controverses 52
A. Des particularités du régime .52
B. Des controverses relevées sur la nature du
régime 55
§ 2.- La « pratique » du régime :
discontinuité institutionnelle et contradictions 56
A. Des exemples de crises et vides institutionnels 58
B. L'instabilité politique et la faiblesse des
institutions 62
DEUXIEME PARTIE
L'encadrement juridique insuffisant des pouvoirs du
Parlement : problématique de
|
|
l'autorité de la Constitution de 1987
|
65
|
Chapitre 3
|
|
La puissance législative quasi-illimitée du
Parlement : causes et implications .....
|
67
|
Section I.- Des prérogatives de
législation quasi-illimitées du Parlement
|
..67
|
§ 1.- Le domaine de la loi est illimité
|
..67
|
A. Le domaine de la loi et le pouvoir réglementaire
|
68
|
B. Le domaine de la loi et le champ de compétences du
Parlement
|
69
|
§ 2.- Des faibles moyens d'action de l'Exécutif sur
la procédure législative
|
..73
|
A. Le sommaire de l'itinéraire de la loi
|
73
|
B. Les faiblesses de l'Exécutif et les forces du
Législatif
|
75
|
|
Section II.- Des risques de
dérèglement institutionnel et la fragilisation des
libertés fondamentales
|
.82
|
§ 1.- Les attributions constitutionnelles et les
attributions légales du Parlement : Portée et différences
?
|
83
|
A. Quelles différences entre les compétences
constitutionnelles et les compétences légales
du Parlement ?
|
83
|
B. Quelle est la véritable portée des pouvoirs du
Parlement ?
|
85
|
§ 2.- Des débordements de pouvoirs sont possibles
|
.86
|
Chapitre 4
La suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou
réalité ?
|
90
|
Section I.- Quelques raisons de la
suprématie présumée de la Constitution de 1987
|
.90
|
§ 1.- Le contenu de la Constitution
|
..91
|
§ 2.- Le mode d'adoption et la procédure
d'amendement de la Constitution
|
..93
|
§ 3.- La consécration implicite du principe de la
hiérarchie des normes juridiques
|
97
|
|
Section II.- L'autorité de la
Constitution de 1987 : une suprématie mal assurée
|
.102
|
§ 1.- La puissance de la loi et la suprématie
matérielle de la Constitution
|
102
|
§ 2.- L'inefficacité de la sanction de la
suprématie de la Constitution
|
..106
|
|
A. L'inefficacité du contrôle de
constitutionnalité des lois
|
107
|
B. Le problème de la constitutionnalité des
conventions, traités ou accords internationaux
|
.110
|
C. Le problème de la constitutionnalité du
règlement intérieur des Assemblées parlementaires
|
112
|
|
Conclusion générale
|
115
|
Bibliographie générale
|
.125
|
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
Manuels généraux et ouvrages de
droit constitutionnel
ARDANT, Philippe. Institutions politiques et Droit
constitutionnel, 14e édition, L.G.D.J., Paris, 2002, 608
pages.
BARILARI, André ; GUEDON, Marie-José.
Institutions politiques, 3e édition, Sirey, France,
1994, 326 pages.
BURDEAU, Georges. Droit constitutionnel et Institutions
politiques, 18e édition, L.G.D.J., Paris, 1977, 690
pages.
COLLINET, Sophie. Droit constitutionnel, 3e
édition, Vuibert, Paris, 1999, 216 pages. CORNU, Gérard.
Vocabulaire juridique, 8e édition, P.U.F., Paris,
2007, 986 pages.
DEBBASCH, Charles ; PONTIER, Jean-Marie. Introduction
à la science politique, 3e édition, Dalloz, Paris, 1991, 421
pages.
DUBOUIS, Louis ; PEISER, Gustave. Droit public,
18e édition, Dalloz, Paris, 2007, 271 pages.
DUVERGE, Maurice. Institutions politiques et Droit
constitutionnel, 15e édition, Thémis, Paris,
1978, 603 pages.
FOILLARD, Philippe. Droit constitutionnel et Institutions
politiques, année universitaire 1997-1998, Centre de Publications
Universitaires, Paris, 1997, 312 pages.
GICQUEL, Jean. Droit constitutionnel et Institutions
politiques, 15e édition, Montchrestien, Paris, 1997, 799
pages.
GICQUEL, Jean ; AVRIL Pierre. Droit parlementaire,
2e édition, Montchrestien, Paris, 1996, 346 pages.
GUILLIEN, Raymond ; VINCENT, Jean. Lexique des termes
juridiques, 13e édition, Dalloz, Paris, 2001, 592
pages.
HAMON, Francis ; TROPER, Michel. Droit constitutionnel,
28e édition, L.G.D.J., Paris, 2003, 824 pages.
JEANNEAU, Benoit. Droit constitutionnel et Institutions
politiques, 3e édition, Dalloz, Paris, 1972.
LEBRETON, Gilles. Libertés publiques et droits de
l'homme, 5e éd., Armand Colin, Paris, 2001, 527
pages.
LEROY, Paul. Les régimes politiques du monde
contemporain, tome I, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 1992,
179 pages.
MANIGAT, Mirlande. Traité de droit constitutionnel
haïtien, tomes I et II, L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2000, 786
pages.
- Entre les normes et les réalités. Le
Parlement haïtien (1806-2007), L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2007,
540 pages.
MARSHALL, Terence. Théorie et pratique du Gouvernement
constitutionnel, les Editions de l'Espace Européen, La
Garenne-Colombes, 1992, 406 pages.
MOISE, Claude. Constitutions et luttes de pouvoir en
Haïti, tome I, CIDIHCA, Port- au- Prince, 1997, 339 pages.
- Le Pouvoir Législatif dans le système
politique haïtien, CIDIHCA, Montréal, 1999, 180 pages.
PACTET, Pierre. Institutions politiques Droit
constitutionnel, 20e édition, Armand Colin, Paris, 2001,
637 pages.
RIVERO, Jean. Le Conseil constitutionnel et les
libertés, 2e édition, Presses Universitaires
d'Aix-Marseille, 1987, 192 pages.
TURPIN, Dominique. Contentieux constitutionnel,
1ère éd., P.U.F., Paris, 1986, 346 pages.
Revues et journaux
Le journal officiel « Le Moniteur ».
Le quotidien «Le Matin »
Le quotidien « Le Nouvelliste »
Revue du droit public et de la science politique (France)
Revue française de droit constitutionnel
Revue internationale de droit comparé (France)
Documents officiels
Deux siècles de Constitutions haïtiennes,
tomes I et II, Les Editions Fardin, P-A-P, 1998. Le texte constitutionnel
du 29 Mars 1987.
Le texte constitutionnel du 04 Octobre 1958, révisé
en 2008 par la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Ve République.
Manuels de
méthodologie
BEAUD, Michel. L'art de la thèse, 5e
éd., La Découverte, Paris, 2006, 202 pages.
GINGRAS, François-Pierre. Guide de rédaction
des travaux universitaires,
http://aix1.uottawa.ca/~fgingras/metho/guide-fr.pdf,
16 mars 2008.
GIROUX, Sylvain. Méthodologie des sciences humaines,
ERPI, Québec 1998, 266 pages.
LANI-BAYLE, Martine. Ecrire une recherche, 2e
éd., Chronique Sociale, Lyon, 2002, 148 pages.
MACE, Gordon ; PETRY, François. Guide
d'élaboration d'un projet de recherche, 2e éd.,
Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2000, 134 pages.
PIARD, Frantz. Construire le mémoire de sortie,
Les Editions Duvalsaint, P-A-P, 2004, 300 pages.
PINTO, Roger ; GRAWITZ, Madeleine. Méthodes des
sciences sociales, 3e éd., Dalloz, Paris, 1969, 940
pages.
VAILLANCOURT, Louis ; SNYDER, Patrick ; BARIL, Audrey. La
méthodologie apprivoisée, Les Editions GGC ltée,
Québec, 2001, 146 pages.
Sources Internet
http://www.alterpresse.org
http://www.elysee.fr
http://www.senat.fr
http://www.assemblee-nationale.fr
http://www.lematinhaiti.com
http://www.journal-officiel.gouv.fr
http://www.conseil-constitutionnel.fr
|