Les voies d'exécution OHADA et le droit à un procès équitable( Télécharger le fichier original )par Alain Brice FOTSO KOUAM Université de Dschang/ Cameroun - DEA 2009 |
§.2- L'INCIDENCE DE L'OUVERTURE DES PROCEDURES COLLECTIVES : LA SUSPENSION DES POURSUITES INDIVIDUELLESLa décision qui prononce l'ouverture d'une procédure collective quelle qu'elle soit emporte de nombreux effets. Vis-à-vis des créanciers notamment, elle instaure une discipline collective en constituant les créanciers en une masse représentée par le syndic qui seul, agit en son nom et dans l'intérêt collectif, arrête le cours des inscriptions de toutes sûretés mobilières ou immobilières, mais surtout, et cette solution est la même qu'il s'agisse du règlement préventif, du redressement judiciaire ou de la liquidation des biens, elle arrête ou interdit toutes les poursuites individuelles325(*). Ce qui constitue une véritable restriction aux droits individuels que chaque créancier était en droit d'exercer pour obtenir le paiement de ce qui lui revient. Il s'agit, et c'est une règle d'ordre public, d'une suspension automatique326(*). Ainsi, lorsque les poursuites ne sont pas exercées, elles ne pourront plus l'être et lorsqu'elles l'ont été, elles sont tout simplement interdites. C'est en ce sens que sont interdites toutes les actions en justice exercées par les créanciers tendant à la reconnaissance des droits et des créances à l'issue de la décision d'ouverture des procédures collectives327(*), et ce, sans qu'il y ait lieu à distinguer suivant que les poursuites sont engagées avant ou après la décision de suspension ; il suffit qu'elles n'aient pas encore produit un effet définitif328(*). Tous les créanciers antérieurs subissent la règle de la suspension des poursuites. Aucune exception n'est prévue en faveur ni des titulaires de sûretés réelles, ni des titulaires des privilèges comme le trésor ou le fisc329(*). Aux termes des articles 9 et 75 de l'AUPC, la suspension s'applique également aussi bien aux demandes en paiement qu'à l'exercice des voies d'exécution. Particulièrement dans le cadre des voies d'exécution, deux questions font leur apparition dans l'esprit du juriste. Quelles voies d'exécution sont concernées par la suspension ? Le souci des créanciers étant de recouvrer rapidement leurs créances, combien de temps va durer cette suspension ? La réponse à ces deux questions nécessite que soient successivement examinés le domaine (A) et la durée (B) de la suspension des poursuites. A- LE DOMAINE DE LA SUSPENSION DES POURSUITES INDIVIDUELLES Postérieurement au jugement d'ouverture d'une procédure collective, les voies d'exécution sont suspendues. Elles subissent pour ainsi dire la procédure collective. Outre l'idée qu'une procédure dite collective ne peut s'accommoder de l'exercice désordonnée ou anarchique des poursuites individuelles, l'esprit du législateur est d'éviter la paralysie du processus d'assainissement et de redressement envisagée par la mise en oeuvre des voies d'exécution pouvant aboutir à la vente des biens nécessaires à la continuation de l'activité de l'entreprise. Car cette dernière a besoin de toutes ses ressources pour espérer un éventuel sauvetage. Ainsi, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toutes les voies d'exécution de la part des créanciers antérieurs tant sur les meubles que sur les immeubles. Toutes les voies d'exécution restent soumises à la rigueur de la suspension ou de l'interdiction, peu importe leur nature ou qu'elles aient été introduites après le jugement d'ouverture. Dans cette logique, sont donc concernées les saisies conservatoires tant qu'elles n'ont pas été transformées en saisie-vente ou en saisie- attribution. Les tribunaux font bonne application de la norme. Ils décident notamment qu'une saisie conservatoire non convertie à la date du jugement d'ouverture doit faire l'objet d'une mainlevée330(*). De même, sont également suspendues les saisies-ventes et ce, tant qu'elles n'ont pas conduit à la vente des biens. La jurisprudence considère en effet que « la procédure de saisie-vente ne s'achève que par la vente des biens saisis qui fait sortir ces biens du patrimoine du débiteur » et ajoute que « la règle d'ordre public de l'arrêt des poursuites individuelles s'applique tant que cette procédure d'exécution n'a pas par la vente produit ses effets »331(*). La suspension s'applique également à la saisie-attribution ou à la saisie immobilière. L'essentiel est qu'aucune voie d'exécution ne peut plus être entreprise et que celles déjà entreprises ne pourront plus prospérer après l'ouverture de la procédure collective332(*). A dire vrai, la règle de la suspension des poursuites individuelles n'est pas absolue333(*). En ce qui nous concerne précisément, certaines voies d'exécution admettent des aménagements. Ainsi en est-il de la règle de l'effet immédiat de la saisie-attribution sur laquelle la survenance ultérieure d'un jugement de redressement ou de liquidation judiciaire n'a aucune influence, fut-il prononcé le jour même où la voie d'exécution est exercée334(*). En effet, cette règle peut faire échec à la suspension des poursuites d'autant plus que « même si le débiteur saisi a élevé une contestation dans le mois de la dénonciation de la saisie et qu'un jugement de redressement judiciaire est prononcé dans ce délai, le créancier pourra conserver le profit de la saisie si cette contestation est par la suite rejetée... »335(*). Bien plus, certaines voies d'exécution ne sont pas atteintes par la suspension. Dans ce cas, l'article 75 alinéa 6 prescrit qu'elles ne peuvent plus être exercées ou poursuivies au cours de la procédure collective qu'à l'encontre du débiteur assisté ou représenté du syndic selon qu'il s'agit du redressement judiciaire ou de la liquidation des biens. C'est le cas par exemple des actions en revendication des propriétaires prévues aux articles 101 à 106 de l'AUPC. Cela peut s'expliquer par le fait que leur but est de réclamer moins un droit de créance qu'un droit de propriété. Il s'agit pour l'essentiel d'actions portant sur des valeurs qui se trouvent encore dans le portefeuille du débiteur ou sur des marchandises consignées et des objets mobiliers remis au débiteur. Enfin, seules les voies d'exécution exercées par les créanciers antérieurs sont arrêtées. Les créanciers dits postérieurs n'auront pas à subir la suspension pour le recouvrement de leurs créances nées régulièrement de la continuation de l'activité postérieurement au jugement d'ouverture. Cette solution qui s'induit aisément de l'article 117 de l'AUPC se justifie par la nécessité de maintenir le crédit de l'entreprise afin de s'assurer la sauvegarde de l'activité. L'entreprise doit se procurer du crédit, il faut rassurer les partenaires. Dès lors, seuls les créanciers postérieurs impayés peuvent agir en paiement de leurs créances et ce, en usant des voies d'exécution, le cas échéant. Heureusement pour les autres, la suspension des poursuites individuelles présente un caractère temporaire. B- LA DUREE DE LA SUSPENSION DES POURSUITES INDIVIDUELLES Si la solution quant à la suspension des poursuites individuelles est commune à toutes les procédures collectives, sa durée pourtant diffère en fonction de la procédure ouverte à l'encontre du débiteur. Dans le règlement préventif, l'objectif est d'éviter la cessation des paiements ou la cessation d'activité de l'entreprise et à permettre l'apurement du passif au moyen d'un concordat préventif déposé en même temps que la requête ou dans les trente jours qui suivent. La durée de la suspension sera fonction de la décision de la juridiction compétente au vu du rapport de l'expert désigné. Trois situations sont à distinguer. La juridiction compétente estime que la situation du débiteur ne relève d'aucune procédure collective ou elle rejette le concordat préventif. Dans ce cas, elle annule la décision de suspension des poursuites336(*) qui n'aura en somme duré que quelques mois. Cela étant, il aura existé une sorte de délai de grâce de fait337(*) à l'issue duquel les créanciers pourront à nouveau poursuivre individuellement le débiteur en règlement de leurs dettes. Lorsque par contre la juridiction compétente estime que la situation du débiteur le justifie, elle rend une décision de règlement préventif et homologue le concordat. A l'occasion, les poursuites seront suspendues pendant toute la durée des délais consentis par les créanciers, sans que ces délais n'excèdent trois ans pour l'ensemble des créanciers et un an pour les créanciers de salaires. C'est ce qui résulte d'une lecture analytique de l'article 15-2 de l'AUPC. A l'opposé, la juridiction compétente peut constater, malgré la requête du débiteur, la cessation des paiements. Dans ce cas de figure, elle prononce d'office et à tout moment le redressement judiciaire ou la liquidation. Dans le redressement judiciaire, l'accent est plutôt mis sur le sauvetage de l'entreprise qu'il faut préserver en tant qu'unité économique et sociale. Dès lors, tous les créanciers, chirographaires ou titulaires de sûretés, subissent la suspension des poursuites individuelles jusqu'à la résolution ou l'annulation du concordat de redressement. Toutefois, en attendant cette issue, le concordat peut être l'objet d'homologation. Celle-ci a pour effet de suspendre les poursuites dans les délais consentis par les créanciers. A cet effet, un délai de deux ans peut leur être imposé si le concordat en comporte qui n'excèdent pas ces deux ans. C'est dire que le délai minimum déterminé par la loi est de deux ans durant lesquels seront restreints les doits des créanciers, sous réserve comme cela a été évoqué de la résolution ou alors de l'annulation du concordat. La liquidation des biens, quant à elle, doit aboutir à l'apurement du passif. Le paiement des créanciers est l'objectif premier de la procédure à l'issue des opérations de liquidation de l'actif mobilier et immobilier. En principe, c'est le syndic seul qui est chargé de l'ensemble des opérations. Et dans l'optique de faciliter ces opérations, les droits individuels des créanciers sont suspendus jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la décision de liquidation. Si dans ce délai, le syndic n'a pas initié la procédure de liquidation des meubles ou des immeubles, les créanciers reprennent l'exercice de leurs droits de poursuites individuelles338(*). Mais dans bien des hypothèses parfois, ils peuvent le perdre définitivement. SECTION II- LES LIMITES DEFINITIVES A côté des délais de grâce ou encore des procédures collectives qui en réalité n'ont d'autre but que d'arrêter ou du moins d'empêcher l'exécution des décisions de justice avant l'expiration d'un certain temps, il est des évènements qui réfutent l'idée même qu'une telle exécution puisse avoir lieu. Ces évènements susceptibles d'entraver ainsi de manière définitive l'exécution d'un jugement, restreignant par là le droit à l'exécution, donc le droit à un procès équitable, sont multiples. Mais le plus souvent, ces évènements seront orientés soit vers les biens, soit vers les personnes. On parlera dans le premier cas d'insaisissabilité et dans le second, d'immunités d'exécution. L'une et l'autre limitent le droit à l'exécution en ce qu'elles empêchent le créancier d'aller jusqu'au bout de son droit en faisant échapper un bien de l'assiette de la saisie ou en mettant simplement le débiteur à l'abri de toute mesure de contrainte. En clair, ces limites sont tantôt objectives (§.1), tantôt subjectives (§.2). * 325 Cf. art. 8 et 75 al. 1 de l'AUPC. * 326 KANTE (A), Réflexion sur le principe de l'égalité entre les créanciers dans le droit des procédures collectives d'apurement du passif (OHADA), EDJA n° 56, www.ohada.com/ohadata D-06-47. * 327 Dans le règlement préventif, il s'agit des créances désignées par le débiteur dans la requête au moment de l'introduction de l'instance. Art 9 de l'AUPC. * 328 SAWADOGO (F.M), OHADA. Droit des entreprises en difficulté, coll. Droit Uniforme, Bruylant, Bruxelles, 2002, n° 72 et s., p. 63. * 329 FOSSO (Y.R), op cit., p. 15. * 330 Cass. Com., 31 mars 1998, Rev. Proc.1998, n°139, obs. PERROT ; 2 février 1999, Dalloz, 1999, IR, 63 cités par SAWADOGO (F.M), op. cit., n°210, p .207. * 331 Cass. civ. 2e , 19 mai 1998, Dalloz 1998, p.405, conclusions TATU. * 332 KANTE (A), op. cit. * 333 Sur les limites et tempéraments à la règle, cf. SAWADOGO (F.M), op. cit., n°211, p. 207 et s. ; art. 9, 75, 95 et 96 AUPC. * 334 CA de Caen, 10 octobre 1995. * 335 DERRIDA (F) cité par FOSSO (Y.R), op. cit., p.30. Dans le même sens, CA de Lyon, 8 février 1995. * 336 Art. 15-3 de l'AUPC. * 337 MARTOR (B) et autres, Le droit uniforme africain des affaires issu de l'OHADA, Litec, 2004, n° 804, p. 164. * 338 Cf. art. 149 et 150 de l'AUPC. |
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