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Une gestion des terres conflictuelle: du monopole foncier de l'état à  la gestion locale des Mongo (territoire de Basankusu, République Démocratique du Congo).

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par Ulysse BOURGEOIS
Université d'Orléans - Maà®trise de géographie 2009
  

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Chapitre 1

Les conflits fonciers

« On ne dispute pas la palmeraie avec le propriétaire d'un ancien emplacement. » 

Proverbe Mongo

« Les conflits sont inhérents à la vie sociale (...) : entre des désaccords et des litiges qui se règlent au sein du groupe familial, et des conflits violents, impliquant de nombreux acteurs et l'intervention de la force publique, il existe une large gamme de situation intermédiaires72(*) ».

Lavigne Delville P.

1. Les conflits à l'échelle du village : à l'intérieur de la société Mongo.

Le village est dans ce raisonnement le point de départ de la majorité des conflits qui touchent de près ou de loin la propriété de la terre. Etant donné que les terres rurales sont toutes sous la propriété d'un chef coutumier, on peut tout d'abord affirmer que les conflits sont particuliers, et qu'ils ne se règlent pas toujours selon les lois d'Etat, ainsi que par la justice des Provinces. L'échelle du village est pour autant un angle d'analyse qui semble restreint mais cela n'est pourtant pas forcément le cas dans la réalité. Il y a une grande variété de relations conflictuelles sur les terres.

a. La famille, le lignage.

Il serait illusoire de croire que parce que l'organisation sociale, et la propriété de la terre sont à certains égards solidaire et collective, cela empêche tout conflit d'émerger. La propriété des terres étant obtenue le plus souvent par l'héritage, les premiers types de conflits analysés ici vont être ceux présents au sein de la famille, étendu ou non.

L'héritage est générateur de conflits. Ainsi, il existe des rivalités entre héritiers pour la succession au rang de patriarche. Par exemple, un père de lignée (un patriarche) a trois fils. Selon la coutume, c'est l'aîné qui, à la mort du père, héritera du pouvoir. Seulement, si des jalousies existent, le second frère peut chercher à avoir la place d'héritier. Ces conflits sont de l'ordre de la succession, mais étant donné que cette transmission du pouvoir concerne les terres, les deux sont liés. De plus il est indéniable que le patriarche dispose d'un pouvoir important, tant sur la famille que sur la terre. Cela peut donner lieu à des rivalités pour l'obtention du pouvoir.

L'unité de la famille étant la plus petite possible en matière de conflit foncier, il convient donc d'élargir le cadre avec le lignage. Un lignage étant une famille au sens étendu, il peut exister des rivalités entre deux lignages voisins. Si deux lignages sont proches les uns des autres, et que l'un deux ne respecte pas les limites des propriétés, il va s'ensuivre des conflits, souvent de moindre gravité mais qui peuvent devenir de plus en plus fort avec le temps. Par exemple, si un lignage dispose de moins de terres que le lignage voisins. De plus, certaines terres sont moins bonne pour l'agriculture que d'autres. Le lignage ayant des terres de petites superficies peut avoir la volonté de s'étendre sur les terres d'un autre. Dans ce cas précis, il n'est pas évident d'obtenir de nouvelles terres, d'où, il peut ne pas être possible d'avoir d'autres terres pour pratiquer cette activité indispensable à l'heure actuelle : l'agriculture. Des conflits peuvent donc apparaître dans un contexte d'augmentation de l'activité agricole lié au déclin de la chasse et dans une moindre mesure de la pêche. Certains n'ont donc pas toujours la capacité d'obtenir la terre, tandis que le voisin peut en avoir en abondance.

Souvent ces types de conflits sont aussi liés à de mauvaises relations de voisinage. Les raisons peuvent être variés. Par exemple, untel n'apprécie pas le fils d'untel car il n'aurait pas toujours des relations honnêtes avec les autres. Comme il l'a déjà été précisé, les bonnes relations sont importantes pour qui cherche à s'implanter. Souvent, les gens qui disposent de petites surfaces ne sont pas des autochtones, mais des venants. Ils ont moins de droit sur la terre que les autres. Leurs ancêtres ont été accueilli pour leur permettre de vivre avec leurs familles. Cela leur a conféré certains droits sur leur terres. Ils exploitent la terre, et cette dernière leur est acquise par le travail. Cependant, des cas plus complexe s'observent avec les plantations. Elles génèrent des revenus non-négligeables pour les propriétaires. Cela peut attirer des convoitises, surtout que la création d'une plantation nécessite un apport financier important, que tout paysan ne peut s'offrir. Un cas existe dans le village de Boondjé : un père de famille est venu demander l'hospitalité d'un clan. Celui-ci lui a accordé des terres de petites superficies, mais suffisantes pour la famille. De bonnes relations ont été instaurées entre les deux voisins. Des terres, pour faire des palmeraies, ont été cédés sans problème. Mais avec le temps, les deux chefs sont morts, et il est toujours possible pour le propriétaire de demander des droits d'usages. C'est ce qui se passe : les relations entre les voisins sont devenues mauvaises (liés à des conflits d'ordre religieux par exemple), et les ayant droits n'ont pas redonné l'autorisation au descendant de la famille venante pour la création d'une palmeraie. La création d'une palmeraie nécessite de plus en plus un contrat écrit entre les propriétaires et la personne qui désire obtenir une palmeraie. Il faut préciser que s'intégrer dans un village n'est pas chose facile dans la mesure où l'on est considéré comme un étranger. Néanmoins, les exemples ne manquent pas de gens venus de l'extérieur et qui se sont très bien intégrés avec les voisins et plus largement, avec le village. A noter également que les gens qui quittent leur terres pour en chercher de nouvelles, le font parfois à cause de conflits qu'ils peuvent avoir avec certains voisins, ou même le village.

b. Le rôle de la sorcellerie dans les conflits.

Ainsi, il existe quelques cas de migrants qui se sont fait chassés pour des accusations de sorcellerie. Ces accusations n'étant pas majoritairement rationnelles, il n'est pas facile de connaître la vérité car les rumeurs peuvent aussi être puissantes, d'autant plus que la sorcellerie est elle aussi très puissante. Les Mongo lui portent une attention très forte. Certaines personnes moins que d'autres, mais c'est un fait à ne pas sous-estimer dans les conflits fonciers. En effet, la sorcellerie est une manière de régler les conflits, ou de les aggraver selon le point de vue. La sorcellerie n'est pas une pratique comme les autres. Pris dans le sens d'une intervention magique elle est toujours un moyen de nuire à autrui. Il ne s'agit pas ici de parler de la magie en général. La sorcellerie est souvent considérée comme très dangereuse, et beaucoup de suspissions existent à son égard. Elle intervient beaucoup dans les conflits de terre. A tout les niveaux de conflit, et même lorsqu'ils concernent l'Etat, la sorcellerie intervient pour régler certains problèmes. Ce sont des méthodes illégales en théorie, mais bien réelles dans la pratique. On parle de magie noire, d'empoisonnements, etc. et cela de manière très récurrente quand on parle de conflits fonciers. Dans tout les cas c'est le point le plus grave des conflits car ils peuvent rapidement conduire à la mort. La mort est la manifestation la plus grave en ce qui concerne les rivalités de terres. Voici un exemple raconté par Daniel Likemba Bokoto :

« Je connais dans mon village [Boondjé], un chef de terre et là il a eu des problèmes avec quelqu'un d'autre. Et celui-là a utilisé des enfants la nuit qui sont venus brûler la maison. Lui et ses enfants à l'intérieur. Heureusement, il n'y a pas eu de dégâts mortels mais tout les objets ont été brûlés et il s'est vite avisé. Il voit qu'il est danger. Il ne peut pas rester habiter ici. Il s'est déplacé, éparpillé. Lui, il est maintenant à Kinshasa et on a reconnu que sa maison a été brûlée par son ennemi. L'enfant qu'il a envoyé a révélé. Au début ce n'était pas connu mais cet enfant commence maintenant à dévoiler. Dans ce sens, il cherche le pardon ; il a dit aux enfants de celui-ci qui est parti :'escuser moi, l'acte qui a été commis, c'est moi. J'ai été utilisé par celui qui voulait votre terre et il m'a dit de faire cet acte.' Le monsieur [l'avoueur] est devenu en danger. Donc être propriétaire des terres, ou bien gérer des biens cela comporte tout ce qui est risques 73(*) ».

De nombreux exemples existent sur les pratiques de sorcelleries en liens avec la propriété des terres. Comme par exemple, faire en sorte que sur deux fils héritiers du lignage, l'un des deux devienne stérile, ce dernier aura ainsi de grandes difficultés pour être mis à la place de chef de terre dans la mesure où être stérile, est très mal considéré par la population (accusation une nouvelle fois de sorcellerie ). Il ne pourra pas non plus avoir des descendants, et donc cela limite la transmission du pouvoir s'il n'a pas d'héritiers.

On peut également citer l'exemple de trois fils. L'un d'eux peut décider de faire fuir les autres car il est le dernier fils. Il ira voir un sorcier (nkanga) pour qu'il soit l'héritier et donc le chef des terres. C'est ce qu'explique Bangundu Luyéyé, chef de lignage, âgé de 59 ans :

« si celui-là [le chef] ne s'occupe pas [des terres], l'autre peut être jaloux et veut s'approprier les terres. Et parfois, il y a même des difficultés et les autres s'empoisonnent et tout consort 74(*)».

En effet, la sorcellerie est avant tout utilisée pour faire fuir une personne ou une famille. Cela consiste en des menaces qui vont d'une intensité faible à forte. Elle peut juste faire peur, elle peut détruire des récoltes, rendre malade ou bien tuer des individus. Les puissances naturelles par exemple peuvent être selon les Mongo des forces que le sorcier se met à profit. Par exemple, les catastrophes naturelles vont trouver leurs explications dans des sorts jetés par quelqu'un qui cherche à obtenir des terres. Il faut convenir qu'il n'est pas important de prendre un parti pris, ou de porter des jugements sur la sorcellerie qui sait aussi entretenir tout ces mystères. Pour autant, la sorcellerie doit être prise dans un sens large, et aussi comme une perception des populations elles mêmes. En effet, les populations villageoises sont rares à douter de ces pratiques. Même la christianisation a peu de poids face à la tradition de la sorcellerie, et des pratiques magiques. De nombreux aspects de la vie quotidienne peuvent se référer à la sorcellerie car le sentiment religieux est très fort chez les Mongo.

c. Le clan.

Concernant les conflits liés aux clans, ils semblent ne pas être très différents de ceux que nous venons de décrire. Ainsi, les conflits sont toujours liés à une volonté d'expansion des propriétés foncières. Cette extension étant le plus souvent obtenue en défaveur d'un propriétaire. Il existe donc également des conflits entre les clans lorsqu'il y a un non-respect des droits coutumiers de propriétés. Et les conséquences sont les mêmes. Nous verrons plus tard comment sont réglés par le droit coutumiers ces différents. Un cas particulier est celui de la proximité des activités agricoles ou des habitations. Si l'espace agricole est restreint, deux clans peuvent entrer en conflit si les limites ne sont pas respectées. C'est le cas entre deux clans de la localité de Boondjé. Une famille a donc dû chercher un nouvel emplacement pour vivre et travailler la terre. En effet, si les lieux d'habitations sont très rarement la cause de conflits, l'agriculture est bien plus sujette à des tensions. C'est la principale conséquence pour expliquer l'importance croissante que revêt l'agriculture liée à la modification des pratiques et des besoins des habitants.

d. Conflits de propriétés liés aux rivalités de pouvoir au sein des chefferies.

Il existe également certains conflits liés au pouvoir, mais dont le « théâtre des tensions » se déroule au sein de la famille. Souvent cela concerne la famille régnante. Le cas le plus fréquent à lieu au sein de la famille qui dirige un groupement. Nous avons vu précédemment que l'héritage du pouvoir de chef de groupement est différent de ce qui se passe au sein d'une lignée ou d'un clan. L'héritier n'est pas choisit de la même manière. C'est le vieux chef qui choisit lui même (par exemple par un testament ou par la remise personnelle du titre écrit de la chefferie) l'héritier de la chefferie. Il peut s'agir d'un neveu. Ce système peut parfois générer des conflits au sein de la famille régnante. La jalousie débouche ainsi sur des rivalités qui peuvent être fortes. L'organisation familiale rendant du plus en plus large généalogiquement les familles peut aussi entraîner ce type de conflits. Au sein d'une même famille il peut y avoir des personnes ayant des origines proches extérieures aux villages du groupement. Ce cas entraîne des conflits, qui commencent à l'échelle de la famille pour concerner le village lui-même. Les habitants ne préfèrent pas exclusivement les familles originaires depuis longtemps du village, mais lorsque la chefferie ne pratique pas une gestion appréciée des habitants, cela peut rapidement être une justification. Le pouvoir d'une chefferie appartenant à un clan, il est obligatoire que ce pouvoir change à chaque génération de lignage. D'où des oppositions se créent et cela peut empêcher la chefferie de diriger comme elle le doit. Des rivalités peuvent exister également entre le chef de la localité et la chefferie. Dans ce cas, en l'absence du chef de groupement, certains contrats de cession de terre peuvent être conclu avec le chef de village.

Le choix de l'héritier peut de plus, être lié à des manoeuvres d'ordre politique, c'est-à-dire que le chef peut être illégitime pour une majorité d'habitants du groupement, mais des appuis politiques rendent la chefferie légitime au niveau territorial, régional, voire national. Pour illustrer un exemple à l'échelle nationale, le cas du groupement de Bongilima où la chefferie a des difficultés pour régner efficacement car le pouvoir auparavant était au sein d'une autre famille. Le pouvoir est donc passé au sein d'une autre famille, et le pouvoir est en place du fait de liens avec les autorités politiques nationales. Pour le Territoire cela vient par exemple des possibles recommandations de l'Administrateur du Territoire pour qu'une personne soit nommé plutôt qu'une autre.

Les conflits présent à cette échelle locale peuvent dans certains cas avoir des conséquences graves, mais la plus part du temps ce n'est pas le cas. Ces sont des conflits inhérents à la société Mongo. Nous allons donc nous pencher maintenant sur les conflits qui concernent les populations locales avec des acteurs extérieurs à la société Mongo. Ces conflits sont en général plus lourd de conséquences. En effet, l'espace est utilisé de manière différente par certains acteurs fonciers étrangers aux populations locales.

2. Les conflits entre les chefs de terres et les concessions privées.

Dans ce type de conflit, deux échelles sont concernés. Les jeux d'échelle sont importants car selon qu'il s'agisse de conflits entre des lignées (ou des familles) et d'une entreprise privée qui pratique l'exploitation vivrière, cela va induire des disproportions en matière de pouvoir et donc de droits fonciers. On entend ici par concession privée, une entreprise ( il s'agit d'une entreprise internationale, de nationalité américaine) installée sur les terres de différents groupements (le groupement de Bongilima majoritairement, mais aussi de Bomaté, et Lisafa). La société GAP dispose de deux sites d'exploitations : la plus importante et la plus ancienne à Lisafa, et la seconde plus récente à Ndeke. Toutes les deux se trouvent sur le Territoire de Basankusu, et la superficie des terres de la société se situe autour de 17 000ha. Cette société appartient à une multinationale : le Groupe Blattner International. De nationalité américaine, ce groupe est un des plus important en RDC de part le nombre d'employés qui est d'environ 6000 personnes. Cette multinationale est propriétaire de 22 sociétés dans des domaines divers tels que l'industrie (pneumatiques, scieries) mais aussi les transports (compagnie aérienne, installations portuaires, transport fluvial, etc.) ou encore le tertiaire (informatique, assurances). Neanmoins, le secteur primaire (agriculture et élevage) semble être le plus important secteur d'activité du groupe. On trouve ainsi des plantations pour le caoutchouc, l'huile de palme, le café, le cacao et l'élevage de bétail.

Ce cas va être étudier en détails car il est révélateur de beaucoup de tensions liées à la terre. Tensions qui peuvent être variées, et qui ont une histoire. C'est également un exemple qui illustre la difficulté que peuvent connaître les populations locales vis-à-vis d'acteurs extérieurs venu pratiquer des activités économiques.

a. Les plantations de la société Groupe Agro-Pastoral (GAP) : des conflits déjà anciens.

 

Photographie 15 Photographie 16

Plantations de G.A.P. En premier plan ; une caféraie, Chemin séparant deux plantations.

en second plan ; une palmeraie, et plus loin dans A gauche ; R4, et à droite ; R19.

le paysage ; des forêts.

D'après les riverains, cette compagnie fût vraisemblablement crée en 1909 par des colons de nationalité belge. Le nom de cette entreprise semblait être la C.C.B75(*). L'exploitation ne commença que deux années plus tard : en 1911, toujours selon les habitants. Les plantations sont en grande majorité des palmiers à huile (le liya en lomongo, et scientifiquement Elaeis guineensis,), mais le café semble occuper de plus en plus de parcelles, et cela depuis le rachat de la compagnie. Le contexte de cette période est bien évidemment lié à la domination coloniale. Les terres où se situe les palmeraies ont été cédés par les propriétaires de l'époque. Il n'y a pas de précisions sur la manière dont on été obtenues ces terres. On peut supposer en toute logique, que cela s'est fait au prix d'avantages économiques. Les chefs et les notables coutumiers auraient ainsi perçus « quelques sacs du sel et un montant insignifiant soit 200 F.C. de l'époque 76(*)». Il ne faut pas non plus négliger le fait que le colons étaient perçu comme dominants les habitants de l'époque, et ceux-ci avaient souvent peur des européens à cause des guerres, et de l'esclavage très marqué dans cette région de la RDC. Cette société sera ensuite renommé comme la Compagnie de Commerce et des Plantations (CCP). Compte tenu de l'organisation foncière, et de la répartition plus ou moins homogène des familles sur les terres et les forêts, l'arrivée d'une entreprise qui utilise les terres à grande échelle, va générer des tensions pour l'utilisation du sol. Des anciens témoignages obtenus par Boelaert E. en 1954 dans la province de l'Equateur témoigne déjà de ce phénomène. Voici les mots de Nkoi J., recueillit à Lisafa dans le Territoire de Basankusu :

« Nous sommes très mécontents, Père, pour nous c'est le comble du malheur car notre village est à proximité d'une certaine compagnie dénommée C.C.B . Lisafa. Ils nous ont ravi toutes nos terres ils ont construit de longues routes à partir de nos maisons jusqu'aux lieux où ils ont indiqué les distances en kilomètres soit 20 ou 15 km sur les routes. Toutes ces bornes ne sont là que pour dire aux étrangers Blancs, qui vont venir nous ravir notre village. Pourquoi doivent-ils se permettre d'organiser une dispute de nos forêts? Tout cela parce que nous sommes des Noirs? Ainsi soit-il 77(*) ».

Ces mots traduisent bien les problèmes auxquels sont confrontés les populations par rapport aux palmeraies. On constate une domination des exploitants étrangers sur l'espace, et cela ne va pas sans poser des problèmes pour les villages et les populations qui se situent dans la zone de culture ou dans un périmètre autour des plantations. Cela semble être perçut par les populations comme une spoliation de leurs terres. Voici ce que rajoute Nkoi J. :

« Ce que l'Etat et la Compagnie ont fait sur nos terres ne nous plaît pas. Lorsque nous allons terminer nos études; lorsque ceux qui étaient partis ailleurs vont revenir au village, où construiront-ils leurs maisons? Iront-ils de nouveau acheter les terres auprès de l'Etat ? »

Le besoin en terres est très important pour les populations villageoises. L'Etat et la compagnie agissent d'une manière coordonné pour réaliser l'appropriation des terres en vue de l'exploitation des plantations. La période coloniale en RDC est marquée par de nombreux conflits fonciers entre les populations rurales et l'Etat Belge. Les chefs de terres ne sont pas tous concernés par les cessions de terres. Certains cèdent aux compagnies des terres pour bénéficier des avantages économiques qu'apportent les européens, d'autres ont certainement refusés de céder leur terres, tandis que certains chefs y ont été contraint. En effet, la coutume dans son sens traditionnel autorise difficilement ce processus de cessions de terres car ces mêmes terres sont aussi perçus comme un espace vital pour les vivants et pour les enfants, petits-enfants, et ainsi de suite.

Selon les entretiens réalisés, la gestion par les Belges qui s'est prolongée jusqu'en 1990 permettait d'obtenir des avantages et des « aides » telles que la possibilité de faire des études en ville pour les enfants des ayant droits concernés, ou encore des matériaux tels que des tôles pour les toitures, mais aussi du ciment pour les construction d'habitation. Il y avait aussi des pratiques d'échanges : les produits agricoles et de la forêt obtenu par les villageois contre des produits importés des pôles urbains, voire même de l'extérieur de la région. Le rachat des plantations et de l'usine par des américains a modifié ces relations. La dégradation de la situation politique et économique depuis le début les émeutes nationales du début de la décennie 1990 jusqu'à aujourd'hui tend a augmenter de plus en plus les conflits entre les ayant droits et la compagnie.

De nombreux conflits ont eu lieux vers les années 2005. Des cas de violences perpétrées à l'encontre de chefs coutumiers : « inquiet du mouvement Insurrectionnel du Mlc78(*) qui, à en croire certaines sources, se seraient rendus sur les lieux. Conséquence de cette épreuve punitive les soldats ont pillé et saccagé tous les biens et maisons de toute la population et cela, au vu et au su de tout le monde. Scènes macabres : deux chefs coutumiers furent dénudés, molestés, flagellés et arrêtés. Jusqu'au moment où nous couchons ces lignes, ces deux grands chefs se trouvent encore détenus par les éléments de la police locale 79(*)».

La compagnie employait dans le passé proche de nombreux hommes des villages environnants, mais les conditions de travail, et les salaires sont deux raisons qui ont fait que de très nombreux travailleurs ont quitté la compagnie pour retourner travailler la terre dans leurs propriétés ancestrales. Il n'y a plus que deux personnes de Boondjé qui sont engagés pour travailler dans la société, les autres sont souvent des journaliers. La saison agricole, mais aussi de pêche n'étant pas régulière tout le long de l'année, les besoins conduisent parfois certains hommes à travailler pour la compagnie. Les salaires sont plus bas qu'auparavant.

Les salaires :

Selon le type de travail, le salaire va être de plus ou moins élevé, avec des disparités fortes. Une sentinelle des plantations dispose d'un salaire d'environ 0,5 dollars par jour, tandis qu'un ramasseur de noix de palme peut gagner autour de 1,6 dollars par jour, et c'est un des travaux manuel dans les plantations les mieux payer. Il faut noter aussi que les payes ne sont pas régulières. Ainsi, il y a des périodes parfois longues où les salaires ne sont pas versés. C'est devenu très fréquent depuis 2007-2008, et cela continue encore actuellement. Par exemple, au mois de mai, les salaires des mois de février, mars et avril n'étaient pas encore arrivés aux travailleurs.

Toutes ces difficultés conduisent de nombreuses populations à quitter les terres de la plantation pour retourner cultiver leurs propres terres. En effet, la compagnie étant la seule dans tout le Territoire, les populations arrivent de très loin, parfois, de plus de 150 km. Les migrants quittent souvent des zones exclusivement forestières (exemple du Territoire de Befale) à cause des conditions de vie difficiles et du fort enclavement.

Ce contexte est important pour comprendre ensuite les rivalités et les conflits qui découlent de la politique de la compagnie.

b. GAP et les ayants droits coutumiers : des relations conflictuelles.

La surface exploitée par la compagnie est très majoritairement située sur le groupement de Bongilima comme il l'a été précisé ci-dessus. Pour observer ceci, il est nécessaire d'utiliser des photographies satellites pour constater ces jeux d'échelles. Avant tout, il faut préciser que la délimitation du groupement n'est pas la même selon les cartes officielles de l'Atlas de l'organisation administrative de la RDC80(*). Il n'est pas aisé de connaître précisément ces limites. Pourtant, il semblerait que le tracé effectué avec les habitants du groupement soit plus proche de la réalité administrative que la cartographie de l'Atlas. En effet, les délimitations ont surtout été réalisées d'après les éléments hydrographique : des cours d'eau et des ruisseaux, ce que traduit la cartographie participative (en rouge).

Figure 13.

On constate dans les deux cas, que les plantations (de formes géométriques, et de teintes de couleurs d'un vert plus clair que les forêts primaires) occupent une partie importante de la partie nord du groupement. La localité de Boondjé est le village le plus proche des plantations, et la partie sud des plantations est située sur les terres d'ancêtres du village.

Pour illustrer ce type de conflit, nous allons nous focaliser sur un chef de terre en particulier. Les terres ancestrales de ce lignage sont très vastes et les ancêtres du propriétaire actuel ont réalisé des contrats avec la société. Ce sont donc les descendants qui héritent de cette situation. Chaque palmeraie nécessite tous les 25 ans un nouveau contrat entre les ayants droits qui possèdent coutumièrement la terre et la compagnie. Auparavant, les démarches nécessaires pour obtenir des terres en vue de les exploiter étaient plus faciles à obtenir. Cette duré de contrat sur 25 ans vient de l'exemple efficace de l'ancienne CCP. Ce cas est celui de la palmeraie R4 qui comprend 294 ha. Lorsqu'un contrat est passé, c'est la chefferie du groupement qui fait l'intermédiaire entre ces deux groupes. Chaque contrat nécessite un cahier des charges, avec donc une négociation. Un cahier des charges contient un certains nombre de « doléances » qui se matérialisent le plus généralement par des politiques ponctuelles de développement. Cela peut être la construction de ponts, de routes, de structures de santé, mais aussi d'écoles, ...La plupart du temps, le cahier des charges a pour but de répondre aux besoins de la population (un lignage, un clan) concernée. Cette négociation n'a pas toujours lieu, c'est-à-dire que le contrat de cession de terre n'est pas réalisé avec les ayants droits. Cela donne lieu -évidemment- à des conflits. Sur ce sujet, voici quelle est la situation d'un chef de terre vis-à-vis de GAP et de l'ex-CCP, selon les mots d'un voisin :

« En ce qui concerne les terres que nous venons de visiter : les terres qui ont été vendu à la CCP, c'est bien les terres du village Boondjé. Mais il y a quand même le clan qui a la propriété de cette terre. Donc ces terres là ce sont des terres propres aux ancêtres et ce sont les lignages (...) qui sont les autochtones. Bien que le groupement ait eut les droits de jouissances coutumières, mais ils doivent songer d'abord aux autochtones : les propriétaires des terres. Mais la chose ne se fait pas parce que nous voyons comme on avait dit l'autre fois que le groupement n'a pas vraiment eut les jouissances coutumières pour la replantation de R4. Hors selon les conventions, chaque 25 ans, on doit renouveler le contrat, et pour renouveler le contrat on doit venir ici voir les notables, et faire un cahier des charges et voir les besoins de la population. Mais cela ne se fait pas. Les autorités sont à Kinshasa, et ici au village, personne n'est contacté ».

Un autre problème émerge de cet entretien : le groupement ne contacte pas toujours les ayants droits. Ce cas précis rend les droits des propriétaires coutumiers inexistants, et cela n'est pas synonyme de paix sociale. En effet, le groupement dispose d'une autorité plus importante aux yeux de l'Etat que ne peut l'être un chef de lignage ou un chef de clan. Dans ce cas précis, voici les difficultés que rencontre un chef de terre pour faire valoir ses droits :

« ...Chez nous, quand nous écrivons des pétitions, cela va créer des conflits. Entre nous et le chef. Nous n'avons pas mot à dire. Nous n'avons pas de moyens. La société est plus forte. Elle peut nous combattre de toutes les façons. Plus, nous n'avons pas moyen de parler, même pas mot à leurs oreilles. (...) Ce n'est pas réveiller les morts, c'est bien nous : moi et mon frère ici ! Surtout les problèmes d'R4. On avait renouvelé des conventions, on a vu que la société apporte des briques et d'autres histoires. Est-ce que lui il est au courant ? Est-ce que moi je suis au courant ? Nous ne sommes plus que les deux ! ».

Cet exemple traduit bien l'impuissance que peut avoir un propriétaire coutumier pour faire valoir une certaine justice. Un autre cas est le dépôt d'une plainte du chef du groupement de Lisafa, M. Thy René Essolomwa Nkoy ea Linganga contre le Gouvernement Belge. Il cherche à rappeler que la chartre qui régit cette société est toujours liée à une charte écrite lors de la colonisation. Par ailleurs, il réclame la saisie de la société ainsi que des dommages et intérêts d'un millions de dollars pour les préjudices concernant les ayants droits coutumiers. Etant donné la pauvreté très importante dans cette région de la RDC, des arrangements vont donc avoir lieu pour bénéficier soit d'argent, soit de biens matériels. Certaines chefferies sont parfois très pauvres, et le contexte d'après-guerre étant très difficile pour la population dans son ensemble, des cas de corruptions peuvent être fréquents, et ils peuvent parfois être généralisés comme une règle. L'appropriation de terres peut donc être réalisée facilement plus la pauvreté des ayants droits est forte. Certaines familles et lignages n'ont donc pas d'autre alternative que de vendre leur terres à la compagnie. La dernière vente de terre, au village de Bosulu (un des trois village du groupement) s'est passé en 2008. La vente concernait 50 ha au sud des propriétés de GAP. Ces 50 ha étaient des forêts primaires, et la vente a été réalisée pour une somme d'environ 600 dollars. Il y a eu des plaintes des membres de la famille pour augmenter le prix de vente mais elles n'ont pas abouti. Le chef de terre ne voulait pas vendre ces terres, mais la compagnie a longtemps insisté, et il a donc décider de faire cette cession. Certaines ventes de terres se font pour des sommes inférieures à celles cité ci-dessus. La pauvreté est donc un facteur de vente, mais certains refusent désormais toute cession à des personnes étrangères. On préfère ainsi être pauvre sur ses terres que riche sur une faible superficie. En effet, il est est très difficile, voire impossible financièrement de s'approprier à nouveau une terre auparavant cédée.

* 72 Lavigne Delville P. (2002). « Le foncier et la gestion des ressources naturelles ». in,

ANONYME (2003). Mémento de l'agronome. GRET & Editions Quae, Paris, 1692 p.

Source internet  http://www.foncier-developpement.org/analyses-et-debats/enjeux-de-methode/gretpublication.2007-10-02.7281890893/view:

* 73 Entretien réalisé dans la localité de Boondjé (avril 2009) avec Bangundu Luyéyé et D. Likemba

Bokoto.

* 74 Entretien réalisé dans la localité de Boondjé (avril 2009) avec Bangundu Luyéyé et D. Likemba

Bokoto.

* 75 Vinck H. . op. cit. Enquête menée par Boelaert en 1954 sur la propriété foncière chez les Mongo dans

le contexte colonial.

* 76 Selon un article journalistique de Digitalcongo.net (2005). Basankusu en ébullition !

Kinshasa : http://www.digitalcongo.net/article/26703 

* 77 Vinck H., op. cit., Entretien n°38 :Jean Nkoi, C.C.B., Lisafa, Elongo-Kombe, Basankusu. Daté du 25

juillet 1954.

* 78 M.I.C. :Mouvement de Libération du Congo. Ce groupe armé fût crée lors de la seconde guerre (1998-

2003), à l'initiative de J.-P. Bemba en 1998, et soutenu par l'Ouganda.

* 79 Op. Cit. Digitalcongo.net (2005). Basankusu en ébullition !

Kinshasa : http://www.digitalcongo.net/article/26703 

* 80 De Saint Moulin L.& Kalombo Tshibanda J.-L. (2005). Atlas de l'organisation administrative de la

République Démocratique du Congo. Kinshasa, p. 54

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard