Une gestion des terres conflictuelle: du monopole foncier de l'état à la gestion locale des Mongo (territoire de Basankusu, République Démocratique du Congo).( Télécharger le fichier original )par Ulysse BOURGEOIS Université d'Orléans - Maà®trise de géographie 2009 |
Université d'Orléans - UFR des Lettres, Langues et Sciences Humaines Département de Géographie Une gestion des terres conflictuelle : du monopole foncier de l'Etat à la gestion locale des Mongo (Territoire de Basankusu, République Démocratique du Congo). MEMOIRE DE RECHERCHEMaster en Sciences Humaines et Sociales Mention: Géographie et Aménagement Spécialité : Territoires et développement durable dans les pays industrialisés, en développement ou en émergence. Présenté par : Sous la direction de : Ulysse BOURGEOIS M. Denis CHARTIER (Maître de conférences en Géographie) Membres du Jury :Pierre-Armand ROULET (chercheur en Géographie) Denis CHARTIER (professeur des université et chercheur à l'Institut de recherche pour le développement) 28/09/2009 Ce travail est bien évidemment dédié au lecteur, à mes proches, familiaux ou non, mais je le dédie particulièrement aux Mongo avec une pensée pour les paysans. Une gestion des terres conflictuelle : du monopole foncier de l'Etat à la gestion locale des Mongo (Territoire de Basankusu, RDC). Photographie 1 : Une parcelle de manioc et des arbres servant pour les limites de propriétés Présenté par : Sous la direction de : Ulysse BOURGEOIS M. Denis CHARTIER (Maître de conférences en Géographie) Mots clefs : Afrique centrale, appropriation, conflit foncier, droit coutumier, droit foncier, Etat, forêt tropicale, gestion foncière, histoire, propriété foncière, Mongo Résumé : Le propriété des terres en Afrique est marquée par des interactions entre deux manières de gérer les terres. D'après le droit juridique, l'Etat est le seul est le propriétaire foncier. Cependant, en zone rurale et forestière, il existe des pratiques foncières anciennes, et les population locales ont également des droits fonciers, indépendamment de l'Etat. Située au coeur des forêts du bassin du Congo, la République Démocratique du Congo est un pays où l'on observe des modes coutumiers de gestion des terres. De nombreuses populations dépendent de ces forêts pour leur survie. C'est le cas de la population Mongo vivant dans les forêts équatoriales au centre du pays. La gestion des terres de cette population est au coeur des enjeux que représentent les forêts. Entre un Etat aux multiples difficultés, et les populations Mongo, la gestion foncière est marquée par différentes manières de s'approprier la terre. D'où des tensions voire des conflits entre deux acteurs fonciers différents. Keywords : central Africa, appropriation, land conflict, customary law, land rights, State, tropical forest, land administration, history, landed property, Mongo. Abstract : The land property in Africa is marked by the interactions between two ways of land management. According to the legal right, the State is the only landowner. However, in rural and forestry areas, there are old land administrations and the local populations also have State-independent land rights. Located in the center of the Congo bassin forests, the Democratic Republic of Congo is a country with customary land administrations. Many populations depend on forest to survive. The way this population administrates the land is the stake which constitutes the forests. Between a numerous-problem State, after many years of political troubles, the landed property is marked by different ways of land appropriation . As a result we can notice tensions and conflits between two differents land players.
SOMMAIRE Sommaire p. 04 Remerciements Introduction p. 07 PARTIE I Le rôle de l'Etat en matière foncière depuis la colonisation jusqu'à la République Démocratique du Congo p. 14 Chapitre 1. La propriété de la terre lors de la période coloniale: un autoritarisme foncier p. 15 1. La période pré-coloniale p. 16 2. La colonisation : les relations entre l'administration coloniale et les populations locales p. 17 Chapitre 2. Les différentes lois régissant le foncier en zone rurale p. 30 1. La nouvelle constitution et la gestion des terres coutumières p. 30 2. La loi de 1973 : une référence p. 33 3. La loi foncière de 1980 p. 36 Chapitre 3. Le code forestier de 2002 p. 39 1. Les grands ensembles forestiers selon le droit forestier p. 39 2. Les droits d'usage selon les différents types de forêts p. 41 3. L'aménagement des forêts p. 42 Synthèse p. 45 PARTIE II La population Mongo : l'imbrication entre la société et le domaine foncier p. 46 Chapitre 1. Une population au coeur du bassin du Congo. p. 48 1. Localisation au sein de la RDC p. 48 2. L'arrivée de la population Mongo dans la cuvette du bassin du Congo et en particulier dans le Territoire de Basankusu p. 49 3. Une culture très liée à la nature p. 53 Chapitre 2. Une société complexe et hiérarchisée p. 55 1. Les différenciations au sein de l'Ethnie Mongo p. 55 2. L'organisation sociale p. 56 3. L'organisation politique en zone rurale p. 58 Chapitre 3. La répartition des terres chez les populations Mongo p. 62 1. La propriété des forêts d'après les enquêtes p. 64 2. Les délimitations spatiales entre les différents propriétaires des forêts p. 70 3. Comment et pourquoi obtenir une portion de forêt selon la coutume Mongo ? p. 72 Chapitre 4. Les règles foncières selon les modes d'utilisations de l'espace : étude de cas à l'échelle d'un village p. 75 1. Les espaces anthropisés p. 76 2. Les espaces naturels : forêts et cours d'eau p. 81 3. Les limites entre les propriétaires p. 85 Chapitre 5. L'interdépendance entre les structures familiales et la gestion des terres p. 86 1. La généalogie et l'évolution du finage p. 86 2. La répartition des terres entre les lignées d'un clan p. 88 3. Un acteur prépondérant en matière foncière : le chef de lignée p. 93 Synthèse p. 95 PARTIE III : Les relations difficiles entre deux manières de gérer les terres p. 96 Chapitre 1. Les conflits fonciers p. 97 1. Les conflits à l'échelle du village : à l'intérieur de la société Mongo p. 98 2. Les conflits entre les chefs de terres et les concessions privées p. 104 3. Les tensions entre les terres urbaines et les propriétaires coutumiers p. 112 4. Les différentes manières pour résoudre juridiquement les conflits fonciers p. 114 Chapitre 2. Une gestion territoriale conflictuelle entre les populations et l'Etat p. 117 1. L'exercice de l'Etat en matière de foncier : un pouvoir à relativiser p. 118 2. Les acteurs fonciers dans le cas d'une cession de terre p. 120 3. La forêt limite-t-elle l'autorité de l'Etat ? p. 122 Chapitre 3. Les interactions entre la gestion coutumière et la conservation. p. 125 1. Modifier l'utilisation des forêts: le cas de la chasse p. 126 2. L'organisation foncière de l'espace: un atout pour la conservation? p. 129 Synthèse p. 132 Conclusion générale p. 133 Bibliographie p. 137 Liste des documents p. 141 Liste des entretiens p. 143 Annexe 1: Définitions p. 145 Annexe 2 : Entretien avec le Patriarche du clan Bafaka p. 148 Annexe 3 : Entretien avec le chef de la lignée Bokewa p. 159 Annexe 4 : Un titre foncier coutumier p. 161 Annexe 5 : Tableau récapitulatif sur l'évolution des principales activitées économiques et leurs droits d'usage p. 162 Ces recherches furent une expérience marquante. Je tiens à remercier le professeur Denis Chartier, sans qui ce stage n'aurait pas eu lieu. Je remercie les membres d'African Wildlife Foundation et particulièrement ma maître de stage : Florence Mazzocchetti pour avoir pris le temps de nous aider à faire ces recherches de terrain. Je remercie aussi Jef Dupain pour ses conseils prudents et pour cette opportunité de stage en République Démocratique du Congo. Je salue profondément le professeur Antoine Tabu pour m'avoir donné de grandes indications et des aides pour mes recherches, et aussi Théo Way Nana pour son aide et son amitié. Nombreuses sont les personnes qui ont contribué à ce travail, d'une manière toujours dévouée. Je pense ainsi aux gardiens de AWF qui nous ont beaucoup appris sur les coutumes et les usages de mise auprès des Mongo : Pitchou, Antonio, Anifa, Cobra, Guyguy et les autres. Je pense également à Maoua et sa précieuse expérience. Mes recherches avec les habitants du village de Boondjé, sont dues non pas à AWF, mais au Président Daniel Likemba Bokoto. Je peux affirmer sans le moindre doute que sans lui, ce travail de recherche aurait été incomplet et insuffisant. Je suis dans ce sens reconnaissant auprès de la Prodaelpi et d'Acebo1(*). Je pense à Valentin, Secrétaire de la Prodaelpi, et à Pierre Bokewa, Président d'Acebo. L'accueil qui nous a été réservé au village grâce à eux, et grâce aux habitants a été des plus chaleureux. Merci à Jean-Robert et Pierre de nous avoir offert un toit, et d'avoir pris soin de nous comme un père pour ses fils. Merci également à mes compagnons de travail : Luyéyé, l'Agronome, le chef de localité de Boondjé, et aussi Daniel Likemba Botoko. Ce travail est pour une bonne partie aussi le leur. Je les remercie pour tout cela. De la même manière que l'Equateur et les Mongo furent pour moi une découverte, la géographie en fût une aussi pour les personnes citées précédemment. Ma dernière reconnaissance s'adresse à cette science : la géographie, qui apprécie les voyages. Introduction L'homme ne peut vivre sans la terre. Les ressources fournies par la nature sont indispensables à sa survie, qu'il s'agisse des activités de chasse, de cueillette ou de l'agriculture. La terre est un des biens le plus précieux des sociétés humaines. Elle est source de richesses autant que de rivalités. Chaque société a besoin de terres pour vivre, et de la même manière qu'il existe une grande variété de sociétés, il existe presque autant de type d'occupation de l'espace. A l'échelle mondiale, l'histoire montre bien que les conquêtes militaires sont la plupart du temps liées à la volonté de s'approprier tel ou tel territoire. Pour des ressources par exemple, ou pour des stratégies politiques. Les conflits fonciers ont parfois des répercutions sur la géopolitique de certaines régions. Les exemples de telles tensions ne manquent pas en Afrique, entre des populations d'éleveurs et d'agriculteurs. Certains problèmes locaux peuvent se transformer en conflits régionaux plus graves comme des affrontements armés. Ces tensions sont très fréquemment analysées comme des conflits ethniques alors qu'ils concernent souvent des conflits d'usages sur les terres. Cubrilo M. et Goislard C. donnent l'exemple de la région des Grands Lacs : « les affrontements des dernières années de l'Afrique des grands lacs ne peuvent pas être analysés sous le seul angle des rivalités inter-ethniques. La dimension foncière paraît constituer un élément explicatif important 2(*) ». Les migrations (une des plus importantes dans l'histoire) qui ont eut lieu suites aux conflits et aux massacres dans cette région très instable de l'Afrique, entre le Rwanda, l'Ouganda le Burundi et la République Démocratique du Congo, posent à n'en pas douter de très graves tensions autour de l'accès à la terre. Le continent africain est un exemple particulier des jeux d'échelles à propos de la question foncière. Au niveau national, l'Etat est l'acteur foncier principal, mais contrairement à l'Europe, d'autres types de gestions foncières existent selon les régions. En Afrique, l'Etat a été mis en place suite à l'implantation européenne lors de la période coloniale. Le rôle juridique et l'organisation des pouvoirs politiques sont hérités du droit européen. Pourtant d'autres maîtrises foncières existent, principalement en zone rurale. Anciennement, le foncier africain était marqué par des formes collectives de propriétés, interdépendantes de l'organisation sociale. La terre était perçue différemment par rapport à la conception des Etats coloniaux. Dans la gestion traditionnelle, la terre n'appartenait pas à l'homme, mais c'est l'homme qui appartenait à la terre. La maîtrise foncière de l'Etat sur les populations africaines est passée par la modification de gestions des terres dites traditionnels ou coutumiers. Au niveau local, le domaine foncier était régit par les sociétés présentes sur des terres qu'elles considéraient légitimement comme leurs propriétés. Considérée avec mépris par les administrations coloniales, la gestion coutumière a été volontairement réorganisée et modifiée pour assurer la mainmise de l'Etat sur les ressources naturelles et sur les populations locales. Aux yeux de la majorité des européens, elle semblait « primitive » dans un contexte où la civilisation était signe de modernité et de nouveauté. Il existe encore en Afrique des modes de gestion hérités de traditions anciennes. On utilise alors le terme coutumier. Il désigne la manière dont une population gère localement ses territoires, avec des règles et des traditions anciennes. Qui plus est, ce sont des règles antérieures à la création des Etats-nations. La présence de systèmes fonciers anciens et de la maîtrise foncière de l'Etat rend la gestion territoriale complexe. Une grande variétée de systèmes fonciers agissent sur l'espace. Selon les échelles, la terre va être appropriée de différentes manières avec des interactions et parfois des divergences sur la façon dont on considère l'espace. La terre se retrouve donc au coeur de nombreux conflits liés à différentes conceptions du foncier. Présentation de la République Démocratique du Congo. Située en Afrique centrale, la République Démocratique du Congo est un pays où la diversité ethnique se traduit par une grande variétée de systèmes fonciers, dont certains sont « coutumiers ». Ce pays d'Afrique centrale dispose d'un territoire national très vaste : la troisième superficie des pays d'Afrique, soit 2 345 000 km². La population n'est pas importante, la densité de population est en effet d'environ 27 hab./km². La majorité de la population vit en zone rurale (68 % de la population totale3(*)) et dépend du travail de la terre et des ressources forestières. Le territoire national de la RDC est composé de nombreuses forêts dont le rôle est primordial pour la survie des populations. La pauvreté étant très importante, l'agriculture ainsi que les forêts sont bien souvent les seules richesses dont disposent les populations vivant en zone rurale. La RDC est située sur une partie du bassin du Congo que l'on nomme la cuvette centrale. Celle-ci se situe dans le vaste bassin versant du fleuve Congo. Ce bassin couvre une surface d'environ 750 000 km², et se trouve sur 9 pays d'Afrique Centrale (RDC, République du Congo, Angola, Zambie, Tanzanie, Rwanda, Burundi, République Centrafrique et Cameroun). Le bassin est localisé entre les parallèles 9°N et 14°S et entre les méridiens 11°E et 34°E. Le réseau hydrographique est plus important que la cuvette sédimentaire, et le fleuve Congo est le second fleuve au monde de part son débit, ainsi que le cinquième concernant la longueur de son cours (4700 kilomètres). Du fait de ces caractéristiques, ce bassin sédimentaire est « l'archétype africain du climat dit « équatorial », ou forestier 4(*)». Cet ensemble forestier dispose d'une biodiversité d'intérêt mondial. On y trouve des espèces endémiques comme certaines espèces de primates (le bonobo par exemple). Le pays dispose dans certaines régions, d'un environnement naturel encore préservé. La conservation de la nature par African Wildlife Foudation. C'est dans ce contexte que l'ONG African Wildlife Foundation a décidé d'agir dans la Province de l'Equateur. AWF est une ONG internationale qui oeuvre dans la conservation d'espaces naturels. De nationalité kenyane, elle a été créée en 1961 à l'initiative d'un groupe de chasseurs influents. Elle a pour rôle la protection d'espaces écologiques à haute valeur en biodiversité afin de rendre écologiquement, économiquement et socialement viable certaines zones forestières. Le rôle d'AWF vise à assurer la sauvegarde d'espèces animales emblématiques telles que les bonobos, les rhinocéros et d'autres. Cette ONG est présente dans toute la partie sud de l'Afrique (Afrique du Sud, Botswana, Zambie, Zimbabwe, Mozambique, Tanzanie, Kenya), et depuis 2006, elle a étendu son action à la RDC. Depuis 2002, la RDC a établi un agenda prioritaire avec comme volonté du pouvoir congolais en place, de faire passer la superficie nationale des aires protégées de 8% à 15%. C'est pour répondre à ces objectifs chiffrés que l'ONG est en charge de l'aménagement de la Réserve de Lomako Yokokala. D'une superficie de 3600 km², elle s'inscrit dans une région plus vaste appelée Maringa-Lopori-Wamba. Elle se situe dans la Province de l'Equateur. Cet ensemble écologique a été délimité par le Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo (PFBC) qui regroupe une trentaine d'OG et d'ONG dont le but premier est de mettre en place des programmes de conservation et de gestion durable des forêts du bassin du Congo. AWF est chargée de coordonner les actions dans le paysage M.L.W., avec des partenaires tels que USAID avec le programme Central Africa Regional Programme for Environment (CARPE), ou encore avec l'Agence Française de Développement (FFEM). Le tout sous contrôle de l'Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). La totalité du paysage est concernée par les programmes de conservation, avec la réalisation de mosaïques de conservation, avec des zones de chasses communautaires, ou encore avec la mise en place de forêts communautaires. D'une manière générale, il ne s'agit pas de faire de la conservation strictement in situ. Les besoins en développement économique sont importants pour les populations, et les acteurs environnementaux en ont conscience Comment affirmez vous ça (source de l'info). . Cela concerne par exemple le rétablissement des échanges commerciaux. En effet, l'impact des problèmes politiques des dernières guerres a bouleversé les activités et la pression sur les milieux forestiers. Ainsi, avec les difficultés de transport, les filières agricoles ont été stoppées lors des guerres, et il y a depuis cette période une forte prédominance de la chasse, qui concerne la totalité de la région. D'où la volonté de développer des infrastructures et des mesures économiques pour rétablir et réactiver les anciennes structures économiques. De nombreuses populations se trouvent dans la Province de l'Equateur. La plus importante est la population Mongo. Issue du grand groupe Bantou, elle représente la grande majorité du peuplement de la région. En terme de population, c'est la troisième ethnie de la RDC. La conservation nécessite de prendre en compte la manière dont les populations locales perçoivent et utilisent leurs territoires. Le foncier est donc un domaine à intégrer dans la mise en place de zones protégées et de politiques de développement. Entre la gestion des terres par l'Etat et les pratiques foncières locales, comment est géré le domaine foncier ? Quel est l'intérêt de comprendre le domaine foncier pour la conservation ? Nous essayerons de répondre à ces questions dans ce mémoire. Cette étude s'articule en trois grands axes. Tout d'abord, l'analyse va concerner les outils juridiques nationaux mis en place dans la gestion foncière des terres sur une échelle de temps large, allant de la période pré-coloniale jusqu'à aujourd'hui. Puis, après une présentation de l'ethnie Mongo, nous allons voir comment sont gérées les terres à une échelle locale, et dans quelle mesure ce système foncier est interdépendant de l'organisation sociale des populations Mongo. Puis, une troisième partie va décrire les tensions relatives à la terre, avec des exemples détaillés. Les relations antagonistes entre les deux systèmes fonciers seront analysées. Nous verrons également comment la conservation s'intègre dans ce contexte foncier, et en quoi les pratiques foncières locales sont importantes à connaître pour mettre en place des politiques de conservation efficaces ? Méthodes de recherche. Ces questions font suites à une demande d'AWF consistant à comprendre les pratiques foncières des populations Mongo. C'est par l'intermédiaire d'un stage de terrain que les recherches présentes dans ce travail ont pu être réalisées. AWF a demandé que des recherches soient entreprises en zone forestière pour mieux comprendre les règles coutumières encadrant la gestion des terres et les droits d'usages des populations Mongo. C'est suite à cela que ces recherches ont été entreprises. Les données ont été obtenues par le biais d'entretiens et d'observations auprès de la population Mongo. L'analyse des différents outils législatifs concernant la propriété de la terre a été un préalable aux recherches de terrain avec la population locale, tout comme la littérature concernant les Mongo. C'est donc en partant d'une approche nationale que le champ d'étude s'est ensuite centré sur une zone précise : le territoire de Basankusu. Cela a permis d'avoir une vision plus générale de la gestion foncière pour ensuite la confronter à la réalité vécue par la population. Les observations ont été obtenues avec la participation des habitants d'un village, tant pour la réalisation de cartes participatives que pour la compréhension de l'organisation sociale. Cela a nécessité la collaboration d'un interprète originaire du village dans la mesure où il n'est pas évident de se faire accepter sans avoir le soutien d'une personne qui connaisse la population locale. C'est par cet interprète (M. Daniel Likemba Botoko) que le village de Boondjé a été choisi. Des raisons techniques ont également été prises en compte pour ce choix, telles que la proximité d'un centre urbain, l'accès par une route en bonne état, ou de la bonne réputation du village dans la région. Lors de ces recherches de terrain, l'approche a consisté à rencontrer les acteurs en matière foncière : aussi bien les ayant droit coutumiers que les personnes en charge du domaine foncier dans les administrations de l'Etat. Cette approche par le droit a pour but de confronter une réalité législative à la pratique locale. L'approche juridique a donc été complétée par une approche sociologique pour comprendre le niveau local, lié à l'imbrication entre la société et la propriété de la terre. De nombreuses autres données ont été obtenues lors des recherches de terrain, par exemple, celles relevant de l'histoire. Etat de la littérature. Le foncier en zone rurale africaine est un domaine où de nombreux travaux de recherches ont été effectuées. La littérature est donc abondante. On trouve par exemple les publications des éditions Karthala : avec Le Roy E., Le Bris E., ou encore Karsenty A.. Cependant, elles concernent très souvent l'Afrique de l'ouest (pour la littérature en langue française). Peu de recherches récentes concernent la République Démocratique du Congo, particulièrement, sur le domaine foncier et sur la gestion des terres coutumières. Cela peut en partie s'expliquer par les différents conflits armés qui ont concerné la région depuis plus de dix ans. Une littérature abonde sur la population Mongo, liée essentiellement aux travaux des pères missionnaires Hustaert G. et Boelaert E. et à des recherches effectuées lors de la période coloniale, et après l'indépendance. Ces recherches sont cependant anciennes et à l'heure actuelle, le foncier des populations Mongo n'a pas vraiment fait l'objet de recherches. Il existe une littérature abondante sur les écosystèmes forestiers, et d'une manière générale sur la faune et la flore de cette partie du bassin du Congo, mais concernant les populations, il semble y avoir un déficit. Définitions des principaux termes utilisés. Par définition, la société est une collectivité régit par des institutions, ce qui renvoie à des liens de solidarités, des échanges, et à une organisation spécifique. Pris dans sa généralité, le foncier peut être défini comme les rapports entre une société et l'espace. Le foncier est interdépendant de l'organisation sociale. En effet, il est avant tout un « fait social » qui traduit comment les populations perçoivent l'espace. Toute société est installée sur un territoire et ce sont les interactions entre l'homme et l'environnement qui permettent de comprendre une organisation foncière. Cette organisation se traduit par des rapports sociaux, par une structure sociale ou encore par des règles précises. Le domaine foncier renvoie à la propriété de la terre. Ce domaine étant très large, il ne se limite pas à la sociologie. D'autres aspects sont importants tels que les aspects juridiques, politiques, ou encore économiques. Il est donc nécessaire d'avoir une approche pluri-disciplinaire pour mettre en évidence la manière dont les hommes vivent avec leur environnement, ainsi que la répartition des terres. L'histoire est également une discipline à intégrer dans une étude sur le foncier, car la propriété des terres n'est jamais figée. Elle s'adapte et s'intègre à un contexte précis. La manière dont chaque société, ou chaque communauté utilise la terre est appelée l'appropriation. De racine latine, cette notion traduit l'action de rendre propre à un usage (cf. Annexe 1, Définitions des termes clefs, p. 145-148). Il va donc exister des règles précises pour encadrer l'accès à la terre. Ces règles sont juridiques et elles sont gérées par certaines autorités. La maîtrise de la terre est très souvent le rôle de l'Etat. Cependant, il existe différentes échelles d'analyse du foncier. A l'échelle locale, la gestion des terres peut être pratiquée de manières différentes. La compréhension du foncier est toujours difficile car elle englobe de nombreux domaines. Ces recherches ne sont donc qu'un aperçu du foncier chez les populations Mongo. Ce travail ne prétend pas décrire une situation homogène, notamment car les situations varient d'une région à une autre, et aussi parce que la diversité ethnique au sein des Mongo est importante. Selon les groupes sociaux, la gestion foncière peut être différente. Certains aspects liés au foncier ne sont donc qu'abordés brièvement, comme le droit juridique coutumier. PARTIE I: Le rôle de l'Etat en matière foncière depuis la colonisation jusqu'à la République Démocratique du Congo Le terme foncier est étymologiquement lié au domaine juridique. La gestion des terres est en effet toujours mis en relation avec le droit. Il peut y avoir différents types de droit pour encadrer le foncier. L'Afrique dans son ensemble a été marquée dans son histoire par des apports voulu ou non, entre un droit dit traditionnel et le droit européen (à l'origine) sur la propriété des terres. Comment la propriété de la terre a-t-elle été gérée de l'arrivée des européens jusqu'à aujourd'hui ? Quelle est la coexistence du droit écrit et du droit oral ? Nous allons donc nous pencher sur la gestion coloniale de la propriété de la terre, puis nous verrons la législation contemporaine concernant le foncier en RDC. D'abord avec les lois foncières et le code forestier ensuite, en analysant les rapports entre la législation et les terres rurales. Chapitre 1 La propriété de la terre lors de la période coloniale : Un autoritarisme foncier La colonisation du Congo débute officiellement le 1er août 1885, date où Léopold II de Belgique devient roi et seul propriétaire de l'Etat Indépendant du Congo et elle prend fin le 30 juin 1960. Cela marque la création de la première République du Congo. Cette période de 75 ans donne naissance à de nombreuses modifications. Ce sujet étant vaste, l'analyse ne va concerner que le domaine du foncier, de l'appropriation des terres, et la manière dont l'administration coloniale va considérer les « indigènes », que l'on pourrait appeler aujourd'hui les « autochtones », ou les congolais. Il est également important de préciser que l'Etat Indépendant du Congo n'est pas sous l'autorité de l'Etat belge, mais il est l'entière propriété privée de Léopold II. Il faudra attendre l'année 1908 pour que l'Etat Indépendant du Congo soit remplacé par le Congo Belge. 1. La période pré-coloniale. L'organisation politique des populations avant la période coloniale est marquée par une ancestralité forte. Les pratiques semblent pour le colonisateur exister depuis des temps très anciens, et elles se reproduisent sur un schéma hérité de la tradition. Cette vision d'une « stagnation » n'est pourtant pas exacte dans la mesure où de nombreuses études postérieures montrent les évolutions de peuplement pour la seule province de l'Equateur 5(*). Néanmoins, le rôle des traditions est très fort : il organise les rapports sociaux, les rapports avec la terre, avec le domaine religieux, etc. Le village est selon les traditions l'unité politique très prédominante, « et chaque village est indépendant » selon C. Ibañez de Ibero. Il ajoute aussi que l' « on rencontre parfois une sorte de fédéralisme « anarchique » assez curieux, quand plusieurs agglomérations se rattachent entre elles pour des objets divers et par accords volontaires 6(*)». L'autorité à l'échelle du village est représentée par un patriarche, qui est la personne dont l'autorité est la plus forte. C'est lui le garant du respect de la coutume. « Il exerce la police et en qualité de représentant de la communauté est propriétaire du sol non bâti dont les familles ne sont que les usufruitières. Il a parfois comme sanction de ses pouvoirs, le droit de vie ou de mort 7(*)». Néanmoins, l'autorité du chef, bien que située en haut de la hiérarchie se voit tout de même « limitée par une assemblée à laquelle tous les hommes libres [surtout les notables] peuvent prendre part et qu'on appelle palabre 8(*)». Concernant l'organisation du foncier par rapport aux coutumes, la terre appartient à l'autorité la plus forte du village. Les terres peuvent être allouées ensuite aux familles, ou à d'autres entités. Mais elles n'en sont pas les propriétaires exclusives. Ce système doit permettre une gestion conforme aux coutumes, et donc, conforme également aux pratiques des ancêtres. En effet, les ancêtres ont une forte importance dans la vie religieuse, et comme le fait religieux est un élément lui aussi très important dans les coutumes, et dans la vie de ces populations, cela peut expliquer certains rapports à l'espace, à la terre, aux fleuves et aux cours d'eau, aux forêts. 2. La colonisation : les relations entre l'administration coloniale et les populations locales. * 1 La PRODAELPI est une association à but non lucratif intitulé: Projet de Développement Agricole, Elevage et Pisciculture. Elle fonctionne comme une plate-forme qui regroupe différentes associations d'agriculteurs, de planteurs et d'éleveurs de différents endroits du Territoire de Basankusu. Association dont fait partie ACEBO pour le village de Boondjé. La Prodaelpi est un partenaire d'ICRAF et d'AWF pour le soutien à la paysannerie et au développement rural. * 2 Cubrilo M., Goislard C., Association pour la promotion des recherches et études foncières en Afrique (1998). Bibliographie et lexique du foncier en Afrique Noir. Paris, p. 5 * 3 D'après l'INSEE, source Internet pour l'année 2007: http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=98&ref_id=CMPTEF01105 * 4 Veyret Y.& Vigneau J.-P. (sous la dir.)(2002). Géographie physique. Milieux et environnement dans le système terre. Armand Colin, Paris, p. 282 * 5 Van Der Kerken détaille bien les nombreuses migrations à l'intérieur de l'ethnie Mongo, liées à des guerres de possession de la terre, mais aussi liées à des impératifs comme la proximité de telle ou telle ressources (un cour d'eau fertile par exemple pour les ethnies qui pratiquent principalement la pêche et la chasse comme les Ngombé). VAN DER KERKEN G. (1944). L'Ethnie Mongo Volume 1 Livre I. Bruxelles, 512 p. * 6 Ibañez de Ibero C. (1913). La mise en valeur du Congo belge; étude de géographie coloniale. Paris, p. 75. * 7 Ibañez de Ibero C., op. cit., p. 76. * 8 Vauters A.-J. (1899). L'Etat Indépendant du Congo ; historique, géographique, physique, ethnographique, situation économique, organisation politique. Bruxelles, p. 292. |
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