A.
LA MANIFESTATION D'UN CERTAIN DESINTERET POUR L'ENTREPRISE COLONIALE PAR
BISMARCK ET CAPRIVI
Bien qu'identique sur plusieurs aspects, la politique
coloniale des deux chanceliers comportait de légères
différences. Ces politiques étaient influencées par la
vision de ces acteurs. Quelles étaient donc leurs visions ?
1.
Le désintérêt de Bismarck (1871-1890) pour l'entreprise
coloniale
Premier chancelier de l'empire allemand, Bismarck avait une
idée particulière de la colonie. Après une période
marquée par de nombreuses guerres, Bismarck suivait une politique
d'équilibre, laquelle pouvait être mise en danger par les
conquêtes coloniales. De plus, à son avis, les coûts d'une
colonisation dépassaient largement les bénéfices et ne
valaient donc pas la peine (Fark-Grüninger 1995 : 43-44). Pour lui, la
gestion des colonies devait être laissée aux commerçants
qui les avaient créées et non aux bureaucrates. Cette
façon de penser se matérialise avec les signataires du
traité du 12 juillet 1884 où les chefs Doualas, King Bell et King
Akwa ne cédaient pas leur droit de souveraineté à
l'Allemagne, mais à des firmes allemandes représentées par
leurs gérants à Douala (confère annexe
6). Ce n'est que par la suite qu'il y eut une appropriation par le
gouvernement allemand. En effet, bien que les chefs Doualas aient
cédé leurs droits sur le territoire désigné
Cameroun à la maison Woermann, cette dernière avait l'intention
de la rétrocéder au Reich et à l'empereur. «
Cette rétrocession se matérialise par une convention
signée le 12 juillet par les commerçants Allemands et le
commissaire impérial Nachtigal et légalisée par le consul
d'Allemagne au Gabon, Emil SCHULZE » (Nkot 2001 : 24).
L'idée de Bismarck était d'appliquer le
système des compagnies à charte tel qu'il était
pratiqué par l'Angleterre au Nigéria et en Rhodésie.
« Dans un tel système, des firmes commerciales
réunies en compagnie sont chargées de maintenir l'ordre et
d'assurer le gouvernement dans les territoires où elles ont des maisons
de commerce (...) il permettrait à Bismarck d'éviter de lourdes
dépenses qu'occasionneraient l'envoi outre-mer de nombreux
fonctionnaires et surtout de ménager la susceptibilité de
l'Angleterre avec qui il n'entend pas entrer en conflit. Mais nulle part ce
système de compagnie à charte ne donne satisfaction, surtout
quand il s'agit d'appliquer la doctrine de l'hinterland et de délimiter
les frontières des pays. La formule est donc abandonnée »,
(Ngongo 1987 : 45-46).
Par la suite, Bismarck s'est vu contraint d'engager
l'administration allemande dans la gestion des colonies. La politique qui
prévalut fut alors une orientation purement mercantile et le
gouvernement se limita à la protection des nationaux et de leurs
intérêts. Ceci se note dans le comportement du gouverneur par
intérim nommé par Nachtigal, Max Büchner qui, fidèle
à la politique de Bismarck « croyait encore que la colonie
pouvait être efficacement administrée avec 10 ou tout au plus 20
agents et quelques indigènes pour le maintient de l'ordre »
(Etoga Eily 1971 : 151). Seulement, cette politique de l'engagement minimum de
Bismarck qui était soucieux de préserver la puissance
nouvellement acquise de l'Allemagne, rencontrera de farouches oppositions
notamment chez les commerçants installés sur le territoire,
engagés dans les plantations coloniales.
Face à ces diverses pressions, le chancelier nomme le
3 juillet 1885 Julius von Soden comme gouverneur du Cameroun. Ce dernier
répondait au profil d'administrateur des colonies à la
différence de Max Büchner. Toutefois, les élections de 1890
qui voient percer les sociaux-démocrates et le centre catholique
longtemps combattus par Bismarck poussent ce dernier à
démissionner. Guillaume II, attaché au développement de la
puissance militaire et de la richesse de l'empire allemand, va s'engager
après le départ de Bismarck en 1890, dans une politique
d'expansion commerciale, coloniale et maritime. Il nomme le comte Léo
Von CAPRIVI pour le remplacer
2. Un intérêt mitigé de Léo
von CAPRIVI (1890-1894) pour l'entreprise coloniale
Le général Caprivi symbolise l'orientation
nouvelle imprimée à la politique allemande à
l'intérieur et à l'extérieur. Avec lui, on en vint
à admettre de moins en moins de réserve devant l'idée de
la mise en valeur du territoire colonisé. Après avoir
succédé à Bismarck, Caprivi a mené une politique de
« continuité dans le changement ». Ce que Bismarck avait
amorcé sur le plan colonial, Caprivi l'achève avec peu
d'enthousiasme. N'étant pas un fervent partisan de l'expansion
coloniale, il a préféré gérer les acquis.
Lui-même disait en 1894 en ironisant sur son enthousiasme
modéré pour l'expansion coloniale ceci :
« Je crois que j'éprouve pour les colonies la
chaleur que m'impose ma charge et qui me paraît souhaitable pour la
prospérité de nos colonies, dans l'intérêt de
l'Allemagne. Mais je crains de ne pouvoir jamais parvenir au degré de
chaleur qui me ferait souhaiter de transformer toute l'Afrique en une
possession allemande même si je me trouvais dans un état de
chaleur fébrile ».
Comme on le constate, ces deux chanceliers ne voyaient pas
l'importance d'une prise de possession plus poussée de la colonie du
Cameroun. Que ce fut Bismarck qui n'avait au départ aucune envi
d'engager l'empire dans la course aux colonies, ou Caprivi qui s'y est
engagé bien que modérément, la politique des deux
chanceliers n'a pas favorisé l'émergence d'une exploitation
économique poussée du protectorat du Cameroun. Ce laxisme peut
être expliqué par le fait que tous les deux étaient des
militaires mais surtout par le fait que le véritable problème
d'une organisation effective de la colonie ne s'était pas encore
posé. Ceci à cause de la pacification du pays par les forces
armées allemandes.
Ne peut-on pas aussi voir cette timide imbrication de l'Etat
dans les affaires coloniales comme le manque d'intérêt de celui-ci
pour les préoccupations coloniales ? Ce manque
d'intérêt peut être expliqué par la situation
agricole prévalant en Allemagne. Dans le souci de résorber les
effets de la crise, l'Allemagne avait mis sur pied une politique
protectionniste et ne pouvait pas dans ce contexte chercher à investir
ces capitaux hors du contexte national. Cette situation peut donc expliquer
dans une certaine mesure la raison pour laquelle se sont d'abord les acteurs
privés qui se sont intéressés à l'aventure
coloniale car le protectionnisme était néfaste pour les
investissements comme on l'a vu au chapitre précédent. Coloniser
supposait engager des capitaux pour mettre sur pied une administration
coloniale. Comment se ressentira donc ces hésitations dans le processus
de construction étatique ?
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