UNIVERSITE DE
YAOUNDE II
UNIVERSITY OF YAOUNDE
II
FACULTE DES SCIENCES FACULTY
OF LAW AND
JURIDIQUES ET POLITIQUES
POLITICAL SCIENCE
DEPARTEMENT DE SCIENCE DEPARTMENT OF
POLITICAL
POLITIQUE
SCIENCE
L'IMPOSITION DES CULTURES DE RENTE DANS LE PROCESSUS DE
FORMATION DE L'ETAT AU CAMEROUN (1884-1914)
Mémoire présenté et soutenu publiquement
en vue de l'obtention du Master 2
en
Science Politique
Par
Carole Sandrine TAGNE KOMMEGNE
Sous la direction de
M. André TCHOUPIE
Docteur d'Etat en Science Politique
Chargé de cours
Année académique 2006 - 2007
Je dédie ce travail à :
- Mon père M. Tagne
- M a mère Mme Tagne Aunorine
- A mes frères et soeurs, Elvine, Sandra, Steve,
Thierry, Linda
Pour toute l'affectation et tous les sacrifices que vous avez
toujours déployés à mon égard.
Que ce travail soit pour vous un motif de fierté.
REMERCIEMENT
La réalisation d'un tel travail ne saurait s'effectuer
sans que des difficultés ne soient rencontrées. Plusieurs
personnes se sont investies dans la réalisation de ce travail.
J'exprime ma gratitude :
- Au Docteur André Tchoupié, chargé de
cours à la Faculté des sciences juridiques et politiques de
l'université de Dschang pour avoir accepté de diriger ce travail
et aussi pour sa patience, ses suggestions et le temps qu'il a bien voulu
consacré à mon égard ;
- Au Professeur Luc Sindjoun, enseignant à la
faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université de
Yaoundé 2- Soa et chef de département de Science Politique, pour
m'avoir prodigué ses conseils malgré ces multiples
occupations;
- A tous les enseignements de la faculté des sciences
juridiques et politiques de l'université de Yaoundé 2-Soa pour
leurs enseignements et leurs conseils durant mon parcours
académique ;
- Au Docteur Zacharie Saha, chargé de cours à la
faculté des lettres et des sciences humaines de l'université de
Dschang pour ses conseils et le temps qu'il m'a consacré ;
- A Mme Machikou pour sa disponibilité, sa patience et
la compréhension qu'elle a su faire à mon endroit.
C'est un grand plaisir pour moi de remercier ceux qui m'ont
apporté leur aide au cours de mes investigations sur le terrain. Je
pense au délégué de la culture de Buéa ainsi qu'au
responsable des archives de Buéa.
J'adresse également ma reconnaissance à mon
ainé, Tchuembou Eloys, pour son soutien, ses encouragements et son
affection.
A tous mes amis, Gisèle, Arlette, Gaby ainsi
qu'à tous mes camarades de classes. Je pense ainsi à
Séverin, Ruth, Diane, Wilfried, Romaric, Frank, Christelle.
A tous ceux qui de près ou de loin ont participé
d'une manière ou d'une autre à la réalisation de ce
travail.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
GENERALE....................................................................................7-27
CHAPITRE 1 : POLITIQUE AGRICOLE ALLEMANDE DU
XIXème SIECLE COMME RAISON DE L'INSTAURATION DE LA
SOUVERAINETE ALLEMANDE AU
CAMEROUN.....................................................................................................................28-52
SECTION I : L'INSTAURATION DE LA
SOUVERAINETE ALLEMANDE AU
CAMEROUN................................................................................................................................30-37
SECTION II : L'INSTAURATION DE LA
SOUVERAINETE ALLEMANDE AU CAMEROUN
........................................................................................................................................................38-52
CHAPITRE II : AUTORITES ALLEMANDES, DIVERSITE DES
POLITIQUES AGRICOLES ET PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE L'ETAT
CAMEROUNAIS...............................................................................................................53-85
SECTION I : LA LENTE CONSTRUCTION DU
MONOPOLE DES POLITIQUES AGRAIRES DANS LE TERRITOIRE DU CAMEROUN PAR LES
AUTORITES
ALLEMANDES.............................................................................................................................56-69
SECTION II : DES POLITIQUES AGRICOLES
ALLEMANDES OFFENSIVES A L'EMERGENCE PROGRESSIVE DE STRUCTURES GENERATRICE DES
SYSTEMES DE CONTRÔLE DES POPULATIONS
CAMEROUNAISES.........................................................70-85
CHAPITRE III : LA RECHERCHE D'UN EQUILIBRE ENTRE
POUVOIR POLITIQUE ALLEMAND ET SOCIETES POLITIQUES TRADITIONNELLES POUR LA
CONSTRUCTION D'UNE POLITIQUE AGRICOLE
EFFICACE..................................86-108
SECTION I : UNE CONJONCTURE LOCALE "
FAVORABLE" AU NOUVEL ORDRE
POLITIQUE..................................................................................................................................88-96
SECTION II : DE LA NEGOCIATION, DE
L'IMPOSITION D'UN ORDRE ALLEMAND AU PROCESSUS DE STABILISATION DU JEU
POLITIQUE...................................................96-108
CONCLUSION
GENERALE..........................................................................................109-112
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES........................................................................110-121
ANNEXES......................................................................................................................122-132
LISTE DES TABLEAUX ET DES
CARTES..........................................................................133
LISTE DES
ANNEXES.........................................................................................................134
TABLE DE
MATIERES..................................................................................................135-142
INTRODUCTION GENERALE
Le succès politique de l'Etat comme modèle
d'organisation sociale a constamment été à la mesure de
son succès scientifique en tant qu'objet d'étude. L'importance
prise par l'Etat dans les études politiques africanistes a
été à la hauteur du doute voire du scepticisme sur
l'existence d'Etats en Afrique. Les discours sur l'échec de l'Etat en
Afrique consécutifs aux différentes crises politiques que
traversent la plupart des Etats d'Afrique noire sont à l'ordre du jour
de la science politique : rejet de la greffe de l'Etat, Etat
néo-patrimonial, Etat raté etc. sont autant de concepts
opérationnels de l'analyse de l'incapacité des africains à
arrimer le modèle étatique occidental à leurs structures
politiques existant avant la colonisation.
Ces approches relèvent d'un certain
européocentrisme de la part des chercheurs occidentaux dès lors
qu'on considère l'Etat comme une configuration dynamique variant dans
l'espace et dans le temps. Dans une large mesure, l'Etat est fonction des
usages et des investissements des acteurs compte tenu des enjeux locaux. L'Etat
africain c'est-à-dire non occidental dérive à la fois de
l'imposition du « modèle occidental » et de sa traduction
locale par des acteurs politiquement intéressés. L'Etat africain
et plus particulièrement camerounais n'est pas un « Etat
importé » mais il a été exporté par
l'Allemagne, la France et l'Angleterre par le biais de la colonisation1(*) (Sindjoun 2002 : 2). Aussi,
nous appréhendons ici le colonialisme au sens de Hobson qui pense que
c'est une reproduction outre-mer de la métropole par le biais de
l'émigration. Seulement, cette exportation bien qu'ayant
déterminée la dynamique politique locale ne sera pas une
reproduction exacte du modèle d'Etat existant en Allemagne. A contrario,
tout en provoquant ces changements, la forme d'organisation qui verra le jour
sera le fruit d'une réinvention locale de l'Etat mais aussi, il y aura
un processus de socialisation de cet Etat en train de se faire. Nous pouvons
donc dire que l'expansion européenne est une exportation d'un nouveau
modèle de société, celui qu'on appellera `'l'Etat
moderne''. Seulement, la mise en administration de la population du Cameroun ne
sera pas une réplique exacte de celle existant en Allemagne. Cet Etat
camerounais en train de se faire n'est pas importé car il sera largement
reconfiguré par les acteurs locaux.
Par ailleurs, l'apparition d'une forme d'organisation
politique ne peut pas être expliquée par des conditions purement
internes à la société considérée
(Lagroye1991 : 59). En effet, nombre de sociologues tels Lagroye Jacques,
Braud Philippe et autres s'accordent sur le fait que l'émergence d'une
nouvelle organisation sociale est généralement due à un
phénomène de grande ampleur qui aboutit à une
spécialisation des rôles de gouvernants dans les
sociétés. Par spécialisation de rôle de
gouvernement, il faut comprendre la différenciation des rôles de
gouvernement et des règles qui s'y rapportent directement. Or la
dimension fondamentale de la différenciation est l'établissement
des rapports de domination entre les groupes (Lagroye 1991 : 53). Il se pose
donc le problème de l'origine du phénomène social ayant
favorisé la formation de l'Etat camerounais. Retenons que la
région de l'Afrique qui deviendra plus tard le « Cameroun »
n'existait pas avant l'arrivée des colons allemands. « C'est en
effet à partir de la période allemande que le Cameroun tel que
nous le connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire comme entité
territoriale, humaine et politique, ayant des contours et des frontières
bien définis, existe bel et bien en Afrique », (Owona 1996:
62). Les colonisateurs trouveront dans cette région d'Afrique une
multitude de sociétés politiquement organisées dont
certaines entretenaient des relations commerciales entre elles et d'autres
vivaient de manière isolées.
Nous pouvons donc affirmer que la colonisation est l'un des
phénomènes de grande ampleur ayant provoqué la mise en
administration de la société camerounaise, c'est-à-dire
la constitution d'un pôle unique de décision s'imposant à
l'ensemble des sociétés politiques précoloniales du
Cameroun. A travers l'imposition de nouvelles cultures dites de rente et la
prolifération de celles-ci sur l'ensemble du territoire de la colonie du
Cameroun, les Allemands vont participer au processus d'étatisation des
sociétés locales.
La présente étude entend partir de la
colonisation allemande pour identifier la relation qui existe entre les
cultures de rente et l'Etat camerounais et comprendre la place que les cultures
de rente occupent dans la dynamique politique de l'Etat camerounais. Cette
relation constitue un champ heuristique pour étudier la formation de
l'Etat camerounais dans la mesure où elle s'inscrit dans la perspective
d'une réflexion sur la transformation de l'ordre politique
précolonial local dans un contexte de complexité de
l'environnement.
I-LA CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ETUDE
Le fait scientifique tient sa singularité de ce qu'il
est tour à tour " conquis, construit et
constaté " (Bachelard 1934). Si la science
" réalise ses objets sans jamais les trouver tout
faits ", ajoutait-il, c'est précisément parce qu'elle
se fonde. Cela est particulièrement vrai dans les sciences sociales
lorsqu'elles se basent sur une démarche de reconstitution des
réseaux de relations explicatifs au-delà des structures
apparentes (Bachelard 1934). La construction de l'objet est donc l'un des
points essentiels de la recherche dans la mesure où la science
correspond à un monde à construire. Cette construction commence
par une rupture épistémologique. Par cette notion, Pierre
Bourdieu (parmi d'autres) entendait souligner la distanciation qu'il convient
de construire entre le savoir scientifique et la " sociologie
spontanée " des acteurs sociaux. L'une de ses exigences est la
rupture avec les ``prénotions'' (Durkheim 1967).
A-DEFINITIONS DES CONCEPTS
Il est important d'effectuer un travail de clarification des
concepts. Le fait étant conquis, construit et constaté, cette
définition des concepts éloigne le chercheur du sens commun et
des idées préconçues qui font parties du langage ordinaire
qu'il faut systématiquement critiquer pour ne retenir dans la poursuite
de la recherche que les mots dont le sens est suffisamment établi pour
permettre que tous s'accordent sur ce qu'il veut étudier et ce qu'il
veut dire. Il ne s'agit pas non plus de créer des concepts nouveaux,
mais de mettre en place des concepts préalablement soumis à la
critique et qu'une bonne définition aura rendu plus claires et plus
opératoires. C'est donc dans ce cadre que les concepts de cultures de
rente et formation de l'Etat seront définis en tant que concepts
fondamentaux de notre sujet, forgés et appliqués dans un contexte
différent de leur lieu d'origine.
1. Que sont les cultures de rente ?
Les cultures industrielles dites de « rente » sont
l'ensemble des produits agricoles cultivés dans des plantations. C'est
l'ensemble des produits qui a formé ce que l'on a appelé les
`'denrées coloniales'', c'est-à-dire celles que pour des raisons
climatiques, l'Europe ne pouvait pas produire. Dans le cadre de la colonisation
allemande, ce sont des cultures correspondant essentiellement à un
domaine spéculatif. Les cultures de rente sont
généralement insérées dans une économie de
plantation s'appuyant sur les propriétés du sol et du climat
tropical pour produire en masse des produits destinés au marché
international et quelquefois national.
Les principaux produits de rente sont soient des
denrées alimentaires (la banane, l'arachide, le café, le cacao,
les épices, l'huile de palme, etc.), soient des matières
premières (coton, caoutchouc, etc.). Elles sont exploitées dans
des plantations industrielles aux dimensions importantes, allant de centaines
d'hectares jusqu'à des milliers. Les plantations se concentrent sur
l'élévation permanente des rendements et l'optimisation des
techniques.
Les colons vont faire entrer les populations dans leur
système économique, en instaurant un système d'impôt
payable en numéraire grâce à l'introduction de ces cultures
de rente dites industrielles ou sous la forme de travail
rémunéré (le travail forcé) pour la construction
des infrastructures (routes, ponts, etc.). Les cultures de rente constituent
dans cette étude l'élément par lequel la transformation
des systèmes politiques traditionnels existant au Cameroun va
s'opérer. L'imposition de ces cultures par l'ordre allemand aura des
répercussions sur la formation de l'Etat camerounais.
2. La formation de l'Etat
Le mot `'formation'' indique que l'objet de cette étude
est un processus actif, mis en oeuvre par des agents tout autant que par des
conditions. Les populations camerounaises ont été parties
prenantes dans la construction de l'Etat par le biais de leur participation
à l'exploitation des cultures de rente.
D'après Kayo Sikombe (2007 :29), la formation est
une élaboration inconsciente et indéterminée contrairement
à la construction qui est un processus volontairement engagé pour
atteindre des fins biens déterminées à l'avance. En ce
qui concerne les politiques agricoles camerounaises de 1884 à 1914, si
au départ elles sont essentiellement le fait d'une construction
d'acteurs étrangers, elles deviennent de plus en plus une
opération mixte de formation-construction au fur et à mesure que
le local prend conscience de ses capacités d'action et de
réaction. Aussi, l'emploi du terme de formation ne doit-il pas occulter
le fait que des acteurs locaux vont influencer l'élaboration de ces
politiques agraires. C'est cette interaction entre gouvernants et
gouvernés qui marque dans une certaine mesure la
spécificité de l'Etat camerounais. Celui-ci ne sera pas une
réplique exacte de l'Etat allemand car chacun appartient à une
aire culturelle distincte et répond à une trajectoire historique
propre. L'Etat est une production historique c'est-à-dire que loin
d'être une forme d'organisation politique naturelle et inévitable,
il est avant tout le résultat d'une histoire complexe allant
généralement du système monarchique au pouvoir
institutionnalisé. L'étude de l'impact des cultures de rente dans
la formation de l'Etat camerounais est pertinente dans la mesure où, en
fonction des nécessités de l'administration allemande, le pouvoir
colonial établira un système d'exploitation au Cameroun. Celui ci
ignorait le plus souvent les réalités ethnoculturelles et
historiques du peuple camerounais.
La formation de l'Etat comprise comme la constitution d'une
organisation sociale et de domination politique reposant sur le monopole de la
violence légitime et la revendication de la souveraineté dans un
cadre territorial, est le résultat de la complexification de
l'environnement d'une société. L'introduction des cultures de
rente provoquera l'enchaînement des actions parfois planifiées
pour aboutir à la naissance de l'Etat camerounais.
L'introduction des cultures de rente en tant que facteurs de
transformation ayant affecté les formes politiques précoloniales
camerounaises est l'une des conditions de la spécialisation des
rôles politiques. « Parler d'une spécialisation des
rôles politiques, c'est considérer qu'en certaines circonstances,
voire de manière permanente, des individus ou des groupes accomplissent
des actions visant à diriger la vie en société, à
imposer des comportements à tous ses membres et à faire admettre
qu'ils ont autorités sur eux », (Lagroye 1991 : 26). Par les
cultures industrielles, les Allemands vont réussir à diriger la
vie des populations résidant sur le sol Camerounais et par là,
à leur imposer une orientation commune dans les techniques agricoles.
Ceci va favoriser la mise en place des institutions devant gérer
à la longue les Camerounais.
Dans le cadre de notre étude sur la logique de
changement du mode de production et construction de l'Etat, il s'agit de mettre
en relief le processus de centralisation d'un pouvoir, lequel est en même
temps un processus de construction du pouvoir politique au Cameroun.
B-
LA PROBLEMATIQUE DU CHANGEMENT DU MODE DE PRODUCTION COMME ENJEU CENTRAL DANS
LE PROCESSUS DE FORMATION DE L'ETAT
L'objet de la recherche se construit à travers une
problématique théorique qui permet de soumettre à
« une interrogation systématique les aspects de la
réalité mis en relation par la question qui leur est
posée », (Berger et Luckmann 1986). En définitive,
construire l'objet c'est « deviner sous les apparences les vrais
problèmes et poser de bonnes questions ». Ainsi, comme le disait
Arthur Schopenhauer cité par Grawitz, « la tâche n'est
point de contempler ce que nul n'a encore contemplé, mais de
méditer comme personne n'a encore médité sur ce que tout
le monde a devant les yeux ».
Il s'agit dans cette étude d'appréhender la
formation de l'Etat à partir de l'imposition des cultures de rente. La
problématique de changement du mode de production permet de
dégager les mécanismes et les enjeux de domination territoriale
légitime, ainsi que le contexte de lutte et de concurrence dans lequel
se construit l'ordre politique. En d'autres termes, au commencement de cette
recherche, il y a une interrogation que nous formulerons de la manière
suivante : comment appréhender la formation de l'Etat à
partir du changement du mode de production ? En clair, la question est de
savoir si, à partir de l'introduction de nouvelles cultures sur le sol
camerounais par les Allemands, on peut envisager les mutations politiques
camerounaises ayant posé certaines bases de l'Etat camerounais ?
Il s'agit d'une problématique qui s'inscrit dans un
processus politique évolutif qui marque les changements notables dans la
vie politique d'un Etat en train de se faire.
C- HYPOTHESE DE TRAVAIL
Sur la base de l'interrogation sus-présentée,
notre hypothèse principale est la suivante : le changement du mode de
production au Cameroun par l'imposition des cultures de rente est une
modalité de construction de l'Etat dans le cadre des relations de
pouvoir que différents acteurs entretiennent entre eux tantôt en
coopérant, tantôt en s'affrontant. Le changement du mode de
production est une politique dialectique : ici, s'interpénètrent
étatisation de la société par les autorités
allemandes et socialisation de l'Etat par les acteurs locaux. En d'autres
termes, l'imposition des cultures de rente est un moyen instrumentalisé
par les Allemands et une occasion de contrôle des populations et
d'affirmation des intérêts politiques et sociaux allemands. Cette
situation crée une certaine homogénéisation des
différentes composantes de la société.
D- INTERET DE L'ETUDE
Il y a un double intérêt à poursuivre
cette étude. D'une part, ce travail permet de renouveler l'étude
de la formation de l'Etat Camerounais en se situant sur le terrain des
changements des modes de production. D'autre part, par un matériau
inédit, il permet de rendre possible la mise en relation du poids des
cultures de rente dans le processus de formation de l'Etat.
1. Renouveler la connaissance de la formation de
l'Etat camerounais du point de vue de la sociologie historique de l'action
publique
L'intérêt premier de cette recherche est de faire
une sociologie historique de l'Etat camerounais par le biais des politiques
agraires en train de se faire. Elle veut penser la formation de l'Etat par le
biais de dispositifs d'action publique dans le domaine agricole, et c'est en
cela qu'elle est inédite. Dans cette optique, la relation des acteurs en
coprésence et les structures sociales sont indissociables. Que ce soit
les dominés ou dominants, ce sont ces acteurs qui actionnent en tant
qu'entités individuelles ou collectives l'institution.
Ces acteurs vont agir et réagir sur l'institution et
par rapport à l'institution qu'est l'Etat qui est un produit du temps et
des évènements. Comprendre donc le fonctionnement des Etats
africains actuels doit passer par l'étude des conditions ayant permis
son avènement c'est-à-dire qu'il faut employer une
démarche de reconstitution des réseaux de relations explicatifs
pour rendre compte des évènements sociaux ayant favorisés
l'émergence de ces Etats africains. Pour rendre compte de ces
évènements sociaux, il est nécessaire de remonter aux
raisons des actions individuelles comme le pense Max Weber dans
économie et société. Ces raisons répondent
aux questions qui font sens pour les individus c'est-à-dire qui donnent
une signification et une direction à leurs actions. L'émergence
d'une nouvelle forme d'organisation politique étant
généralement lié au changement du mode de production,
notre recherche s'inscrit dans l'étude de la mise en administration de
la société par le biais des politiques agricoles allemandes au
Cameroun. A travers celle-ci, la rationalisation de la société va
se répandre dans un grand nombre de domaine de la vie des Camerounais.
Parce que les Etats sont les produits de trajectoires toujours
singulières, encore moins comparables lorsqu'ils appartiennent à
des espaces culturels très éloignés les uns des autres,
les mêmes concepts n'y désignent jamais exactement les mêmes
réalités (Braud 1997 : 149). L'Etat en train de se faire au
Cameroun ne sera pas une copie exacte de celui existant en Allemagne. Avec
l'arrivée d'un nouveau système de production, les Camerounais
seront enrôlés dans un flot permanent et quotidien d'actions.
Actions qui vont engendrer des interactions avec d'autres acteurs et le nouveau
type d'organisation sociale. En agissant et interagissant, ces acteurs vont
produire trois propriétés structurantes : du sens, du
pouvoir et de la légitimité (Giddens 1987). La
légitimité doit être comprise ici comme la qualité
qui confère une valeur sociale à une action sociale et qui
justifie aux yeux de tous l'existence d'une activité (Weber 1971). La
routinisation des habitudes rend normal l'existence des institutions. Giddens
montre ainsi que la société " est un accomplissement
compétent de ses membres, mais qui prend place dans des conditions qui
ne sont ni totalement intentionnelles, ni totalement comprises de leur part.
(...) Malgré cela, les êtres humains (...) sont les seuls
créatures à faire leur propre histoire en sachant qu'ils ne
peuvent la contrôler, tentent sans cesse d'y parvenir " (Giddens
1987). Ceci montre que l'Etat est une production historique répondant
à des spécificités propres à chaque aire culturelle
et fait surtout ressortir l'importance de l'étude sociohistorique dans
la compréhension des Etats.
Dans cette optique, notre recherche est opposée
à la plupart des études faites sur les Etats Africains. Celles-ci
portent généralement sur des thèmes comme ceux du rejet de
la greffe, des Etats défaillants, des Etats néo patrimoniaux et
autres et sont développées par des auteurs comme Jean
François Bayart, Jean François Médard. Bayart explique
l'échec de la construction d'un Etat autonome au Cameroun par le poids
des groupes sociaux subordonnés tandis que Médard le fait par le
principe surdéterminant du néopatrimonialisme.
Loin d'être un modèle uniforme à
l'ensemble des sociétés politiques, la nouvelle forme
d'organisation sociale qui voit le jour avec les traités de Wesphalie
est une institution, un ensemble de pratiques propre à chaque aire
culturelle et influencé par l'évolution historique de chaque
société. Que ce soit les dominants ou les dominés, ce sont
eux qui vont participer à la mise en oeuvre des différentes
politiques agricoles concourant ainsi à l'étatisation de la
société camerounais. Ils ont leurs propres intérêts,
leurs stratégies, leurs buts, leurs expériences, leurs histoires
qui non seulement entrent en concurrence, mais surtout, vont agir et
réagir sur la mise en administration de la société
camerounaise. Aussi, tous ces éléments font que parler de rejet
de la greffe ou d'échec de l'Etat au Cameroun revient à remettre
en question les trajectoires spécifiques de formation de l'Etat ce qui
est loin du but de notre recherche.
2-Les politiques agraires et la formation de
l'Etat : une manière inédite de penser l'historicité
de l'Etat camerounais
Par le biais de matériaux inédits, il nous a
été possible de penser la formation de l'Etat au Cameroun par les
politiques agraires. Notre recherche se caractérise par l'exploitation
prioritaire des matériaux de première main, archivistiques et
documentaires. Ces matériaux permettent de penser et de suivre la mise
en administration progressive de la société camerounaise.
L'Etat étant une production historique suivant une
trajectoire spécifique à l'aire culturelle étudiée,
ces matériaux nous ont permis d'étudier l'historicité des
politiques agricoles au Cameroun et l'adaptation de celles-ci au contexte
prévalant dans le territoire durant sa mise en oeuvre. Ces
différentes politiques agraires permettent d'observer la conquête
du territoire camerounais et le contrôle des populations y
résidants.
II.
CADRE OPERATOIRE D'ANALYSE
Notre analyse se fait essentiellement dans un cadre
géographique et temporaire bien précis.
A- CADRE GEOGRAPHIQUE DE LA RECHERCHE
Notre étude prend pour cadre toute l'étendue du
territoire du Cameroun colonisé par les Allemands. Ceci dans la mesure
où cet espace a servi de cadre d'imposition des cultures de rente par le
pouvoir colonial allemand. Ceci veut dire que notre recherche débute
à la période où le territoire camerounais ne se
résumait qu'à la côte camerounaise (confère
carte 1) et va se poursuivre sur les espaces conquis plus
tard.
Les notions d'autorités politiques, de cultures de
rente et de terre sont des notions capitales dans notre analyse. En effet,
c'est en rapport à elles que la construction de l'Etat a un sens. A cet
effet, l'autorité politique rend compte de l'impact des
différentes politiques agraires sur le processus de formation de l'Etat
camerounais. Ces politiques agraires sont différentes d'une
autorité politique à une autre. Mais à défaut
d'étudier toutes les autorités politiques allemandes ayant
intervenus dans l'élaboration des différentes politiques
agraires, nous avons choisi les autorités les plus
représentatives des grandes lignes de la politique agraires et qui ont
marqué sérieusement les évènements saillants de la
construction de l'Etat camerounais.
B- BORNES CHRONOLOGIQUES
Nous travaillerons s'étend sur la période allant
de 1884 à 1914. Le contact de l'Afrique avec l'Europe se situe un peu
avant la période coloniale avec l'exploration des portugais et plus tard
avec la traite négrière. Mais c'est bien avec la signature du
traité germano-douala en 1884 (confère annexe 6)
que nous situons véritablement le début du
phénomène de formation de l'Etat camerounais. C'est à
cette date qu'officiellement le drapeau allemand est fixé sur le plateau
Joss à Douala pour matérialiser la présence d'un pouvoir
légitime, somme toute étranger, qui prend possession du
territoire et qui engage des mesures d'extension de son autorité
à l'intérieur du pays en créant des plantations pour la
cultures des produits de rente. Ces actions seront marquées par des
ruptures et des continuités occasionnées par des acteurs qui se
succèderont et se relayeront sur la scène politique locale.
L'une des dates significatives de la rupture politique
agricole au Cameroun est 1894 qui marque l'agressivité des politiques
agricoles allemandes au Cameroun et consacre la consolidation d'un pouvoir
central. Mais c'est bien en 1900 que les politiques agraires du Cameroun
deviendront une préoccupation politique allemande à travers la
conception et la mise en oeuvre des politiques scolaires adaptées au
besoin de main d'oeuvre des plantations allemandes.
Notre étude avant cette date consiste à
établir la genèse de l'introduction des cultures de rente
liées aux conjectures sociopolitiques allemandes. En effet, au
départ réticent à toute aventure coloniale, Bismarck alors
chancelier de l'empire allemand va brusquement se décider à
annexer quelques territoires en Afrique. Ce changement de cap dans la politique
de Bismarck a été dû aux pressions des hommes d'affaires
ayant investis en Afrique mais aussi par la prise de conscience que la
puissance d'un Etat repose désormais sur ses possessions coloniales.
Bismarck qui pensait qu'une aventure coloniale devait fragiliser la puissance
nouvellement acquise de l'empire et que cette dernière devait se
concentrer sur l'Europe afin d'assoir sa puissance va se retrouver hors du
contexte à partir des années 1890 lorsque l'empereur Guillaume II
attaché au développement de la puissance militaire et de la
richesse de l'empire allemand, va émettre des idées
expansionnistes. Après le départ de Bismarck en 1890, Guillaume
II s'engage dans une politique d'expansion commerciale, coloniale et
maritime2(*) et ceci
s'inscrit dans une lutte de leadership entre puissance car celui qui
contrôle désormais les transactions maritimes détient en
quelque sorte le pouvoir. Or, la Grande Bretagne et la France s'étaient
très tôt engagées dans les aventures coloniales. Ces
conjonctures participeront à la construction de l'enjeu sur lequel les
politiques agricoles qui vont s'appliquer au Cameroun vont justifier leur
existence. C'est pour cette raison que nous étudions tous les
évènements liés aux cultures de rente durant 1884 à
1914 et ayant permis l'émergence de certaines bases de l'Etat
camerounais.
Analyser tous les contours de la complexité de
l'environnement dans la construction de l'Etat camerounais nécessite un
outil méthodologique bien adapté.
III. PENSER L'EMERGENCE DE L'ETAT CAMEROUNAIS
Ce point rendra compte de notre démarche
méthodologique et analytique. La méthode renvoie à la
posture adoptée pour saisir un objet. C'est un ensemble concerté
d'opérations mises en oeuvre pour sélectionner et coordonner des
techniques et atteindre un objectif de recherche. La complexité du fait
social, noeud de relations, de représentations, de sens, évolue
et change dans le temps et dans l'espace et porte de ce fait plusieurs aspects
ou dimensions. Dans ce cas, une seule méthode ne peut rendre compte de
cette complexité. Le recours à plusieurs outils
méthodologiques aide à mieux cerner le réel et en rendre
compte de manière pertinente. Chaque technique contribuant à
élucider une dimension particulière de ce complexe social qui se
résume à chaque période dans les politiques agricoles,
nous mobilisons ici à la fois deux entrées disciplinaires (la
sociologie historique de l'Etat et la sociologie de l'action publique), une
posture méthodologique (le constructivisme) et un dispositif
empirique.
A. ENTRE LA SOCIOLOGIE HISTORIQUE DE L'ETAT ET LA
SOCIOLOGIE DE L'ACTION PUBLIQUE
Notre recherche s'appuiera sur la sociologie historique et la
sociologie de l'action publique. La perspective socio-historienne contribue
à imposer une nouvelle approche de l'étatisation de la
société camerounaise. La sociologie de l'action publique marque
le choix d'une approche où sont pris en compte à la fois les
actions des institutions publiques et celles d'une pluralité d'acteurs,
publics et privés issus de la société civile comme de la
sphère étatique, agissant conjointement, dans des
interdépendances multiples pour produire des formes de régulation
des activités collectives. Le choix de telles approches se justifie dans
la mesure où, ce ne seront pas uniquement les objets traditionnels de la
science politique (pouvoir, personnels étatiques, instances
gouvernementales, institutions étatiques, etc.) qui seront
concernés, mais surtout ce qui se passe au sein même de la
société dans les interactions multiples, diverses et complexent
qui les structurent.
1. Pour une sociologie historique de l'Etat
camerounais par les politiques agricoles
Ce travail entend opérer un renouvellement du
questionnement sur les termes de la formation de l'Etat camerounais et les
modalités de son action. Si la sociologie historique de l'Etat formule
de manière inédite des propositions pertinentes dans ce sens,
c'est précisément parce que, nous suivons en cela Yves Deloye
(1996). Elle rend compte des processus historiques de " mise en
administration " de la société. D'une manière
générale, le tournant socio-historique dans l'analyse de l'action
de l'Etat permet de " préciser le regard et d'entrer dans une
étude fine des types d'interactions qui sous-tendent les
formes-mêmes de l'action publique dans différents contextes
historiques de l'action publique " (Payre et Pollet 2006, 91). Theda
Skocpol fait des propositions intéressantes dans ce sens dans le cadre
de la sociologie américaine de l'Etat (Skocpol 1992).
Spécifiquement, dès la fin des années
80, l'on assiste à l'établissement de passerelles entre la
Science politique, les Sciences sociales et l'Histoire. Elles permettent de
penser autrement l'étatisation de la société. Les
processus présidant à la formation de l'Etat seront
examinés du point de vue des " pratiques, figures et usages
concrets " de la mise en administration de la société (Payre
et Pollet 2006 : 93). Dans le cadre de ce mémoire, nous ne faisons
pas une sociogenèse des politiques agricoles au Cameroun. Nous nous
proposons d'interroger la manière dont la mise en administration de la
société dans le domaine agricole forme l'Etat camerounais au
début du 20e siècle. Cette démarche va
permettre de regarder de près entre autres, la genèse de la
circulation d'hommes d'Allemagne au Cameroun et sur le territoire camerounais,
des pratiques de constitution et de mise à disposition de savoirs sur
l'agriculture que l'on dispensera aux locaux, les usages individuels et
collectifs des politiques agricoles en train de se faire, etc.
2. L'apport spécifique de la sociologie de
l'action publique
Les Politiques publiques et la sociologie de l'action publique
dans le champ agricole nous fournissent une gamme variée d'outils
permettant de penser la formation de l'Etat du point de vue de son action.
Cette approche nous permettra d'étudier ce qui se passe au sein
même de la société camerounaise par le biais des
interactions multiples, diverses et complexes qui la structure. L'Etat n'est
plus qu'un des partenaires participant à la construction de son action
publique (politiques agraires) dont le rôle spécifique est
difficile à analyser car il est lui-même agi par la
complexité et la différenciation de ces organisations
susceptibles de produire des contradictions internes au champ
étatique. " De ce constat découle celui d'un
déplacement d'une régulation centralisée vers une
régulation multipolaire, marquée par la démultiplication
et la polycentricité des niveaux d'action avec de fortes
interdépendances entre des acteurs nombreux et
différenciés, aux intérêts divergents sinon
antagonistes " (Commaille 2006 : 418). Dans la recherche de
politiques agricoles efficaces et ne maîtrisant pas toute les ressources
dont il a besoin, le pouvoir allemand se verra dans l'obligation de
coopérer au niveau local avec d'autres instances politiques
traditionnelles, de négocier avec ces pouvoirs locaux porteuses de
stratégies différentes et éventuellement fortement
contestataires.
Nous nous proposons dans le cadre de ce travail de faire
ressortir le fait que les politiques agricoles qui vont prévaloir seront
la résultante de stratégies enchevêtrées d'acteurs
et de systèmes d'action suivant un schéma décisionnel qui
relève d'une accumulation de régulations négociées.
Les politiques agricoles se sont aussi construites au coeur des interactions
sociales et pas seulement au sommet de l'Etat. Cette perspective aura des
conséquences sur les schémas d'analyses et les outils
théoriques susceptibles d'être mobilisés.
B.
APPORT DE L'ANALYSE NEO-INSTITUTIONNALISTE DANS L'ETUDE DE LA FORMATION DE
L'ETAT
Les institutions sont d'abord des pratiques pérennes
dans la durée et dans l'espace en tant que catégorie à la
fois géographique (référence au territoire) et sociale. La
routinisation des habitudes rend normal l'existence des institutions. En tant
que structures, c'est-à-dire ensemble des règles et des
ressources (Giddens 1987), les institutions existent de façon
latente dans les replis de la mémoire de la société. C'est
dans leur mobilisation pour orienter ou légitimer des conduites que les
institutions existent effectivement et deviennent des systèmes
structurant la société. L'institution parle et agit à
travers les acteurs, ces "agents compétents" dont parle Anthony Giddens
(1987). Elles désignent donc les acteurs qui participent aux
décisions politiques, leur rôle respectif et même la
façon dont ils doivent se comporter dans le processus politique (Steinmo
2006 : 293). Ceci signifie que les institutions peuvent modeler la
façon dont les acteurs perçoivent ou comprennent leurs propres
intérêts.
En mobilisant les institutions et les idées, notre
recherche a pour but d'interroger les contraintes que peut
générer le processus d'institutionnalisation mais aussi, de voir
si les comportements observés à cette époque ne sont pas
le fruit de nouvelles croyances. L'approche néo institutionnelle a pour
variables explicatives et clés les institutions, les normes, les
interactions et les interdépendances. Mais elle s'intéresse aussi
aux structures, à l'histoire, à la culture. Le versant historique
et sociologique de cette approche nous sera utile dans cette recherche3(*).
1.
Le néo-institutionnalisme historique
Ici, les institutions sont des variables structurantes par le
biais desquelles des batailles d'intérêts, d'idées, de
pouvoir se déroulent. Il s'agit de comprendre et d'expliquer les
évènements du monde réel. L'histoire permet d'expliquer le
processus par lequel les institutions naissent, se modifient et continuent
à exister. Dans la recherche du rôle joué par les cultures
de rente dans l'émergence de l'Etat camerounais, nous serons
amenés à rechercher les éléments pouvant expliquer
le processus par lequel la nouvelle institution (les différentes
politiques agricoles) s'étendra sur le territoire d'Afrique qui
deviendra Cameroun. Comment cette institution réussira t-elle à
s'imposer à presque toutes les populations du territoire du
Cameroun ? Comment la politique agricole va-t-elle modeler le discours et
l'action politique dans les sociétés camerounaises ?
Par le biais de diverses politiques agricoles, le pouvoir
central allemand au préalable présent uniquement dans la zone
côtière du Cameroun va s'introduire, se modifier, s'imposer et se
pérenniser dans l'espace camerounais. La mise en perspective historique
du processus de construction de l'Etat camerounais permet de restituer
l'étatisation des sociétés locales. Il s'agit de
considérer la colonisation comme l'évènement matrice car
« c'est l'insertion coloniale des divers groupes sociaux au sein du
même Etat, leur positionnement par rapport aux mêmes enjeux
politiques et leur mutation identitaire subséquente qui
déterminent la structuration des relations politiques »,
(Sindjoun 2002 : 8). D'où l'utilité du
néo-institutionnalisme sociologique.
2.
Le néo-institutionnalisme sociologique
Ici, nous sommes intéressés par la
création et le développement de modèle de pensée
chez des Camerounais membres des sociétés politiques
traditionnelles différentes. Nous serons amenés à
rechercher comment la culture, les habitus, la manière de faire des
Camerounais et celle des Allemands vont structurées les institutions qui
se mettront progressivement en place au Cameroun. Il est donc question ici des
dispositifs qui ont «vampirisé» les institutions et
réorganisés en sous main le fonctionnement du pouvoir. S'il est
vrai que la forme de la société détermine la forme de
l'Etat, il est tout aussi vrai que l'Etat transforme la société
(Mwayila Tshiyembe 1998: 129).
L'Etat et l'individu ne sont pas seuls dans la
société. Il existe d'autres pouvoirs sociaux à l'endroit
desquels l'homme est aussi débiteur d'obéissance et de services.
Comme toute puissance dans la société repose sur des
obéissances et des tributs, une lutte s'exerce naturellement entre les
puissances pour l'appropriation des obéissances et de tributs. Cette
lutte aidera au progrès de l'Etat au Cameroun. Par le biais des
différentes résistances engagées de manières
rationnelles par certains acteurs Camerounais comme Douala Manga Bell, Ngosso
Nding etc., des négociations seront menées entre eux et les
allemands.
Par ailleurs, certains aspects de la culture de certaines
sociétés camerounaises vont concourir à asseoir la
domination allemande. Certains camerounais verront dans la nouvelle institution
allemande une possibilité de s'enrichir et de se repositionner dans la
stratification sociale. Leur choix de collaborer avec les colonisateurs peut se
comprendre par le fait que l'insertion des groupes sociaux subordonnés
dans le champ politique se traduit souvent par l'adhésion au pouvoir par
le consentement des dominés à leur domination.
3. Au-delà de l'institution : penser les
acteurs dans les politiques agricoles
Dans cette perspective résolument sociologique, comment
penser l'acteur ? Pour être considérer comme un acteur dans
une politique publique, il faut que l'action engagée ait des
répercussions tangibles sur un processus de politique publique
donné (Grossman 2006 : 25). De l'extérieur, il s'agit de
déterminer la capacité de l'acteur à mobiliser les
ressources dont il dispose dans une action stratégique. Comment les
différents acteurs présents sur le sol camerounais vont-ils
oeuvrer dans le cadre des politiques agricoles ? Quels seront les
différents moyens employés par ces acteurs pour se positionner
dans le nouveau jeu politique au Cameroun ?
Dans le cadre notre travail, le néo-institutionnalisme
est centré sur les acteurs. Par l'interactionnisme qui s'établira
entre ces différents acteurs et le pouvoir politique, il se mettra
progressivement en place une nouvelle façon de faire le politique. Comme
le dit Bourdieu, s'il est vrai que l'acteur agit, il est tout aussi vrai que
l'acteur est agit. Dans ce jeu politique qui s'instaurera, les acteurs vont
intérioriser de nouvelles pratiques.
Toutefois, du fait que notre recherche porte sur une
institution en train de se faire, les acteurs tant allemands que camerounais
vont déployer des mesures leur permettant de profiter de la mise en
administration de la société. Ces moyens qu'ils vont
développer se ferra au niveau des acteurs locaux du moins de
façon incrémentale. Ils adapteront leurs choix et leurs
démarches au fur et à mesure que se feront les politiques
agricoles.
C-
APPORT DE L'APPROCHE CONSTRUCTIVISTE DANS L'ETUDE DE LA MISE EN ADMINISTRATION
DE LA SOCIETE CAMEROUNAISE
La démarche sociologique soutient que les politiques
publiques sont un jeu complexe d'acteurs multiples, dans des contextes
différents, l'Etat n'étant plus qu'un des partenaires. Elle remet
en cause l'idée du pilotage centralisé par le haut du pouvoir
politique et du fonctionnement de la société, du volontarisme
politique s'imposant unilatéralement du sommet vers la base. Cette
sociologie s'inscrit dans le courant du constructivisme.
Le constructivisme est un courant qui prône la
reconstruction de l'intérieur du processus, la logique propre des
situations telle qu'elle est perçue et vécue par les acteurs
eux-mêmes. Elle situe l'objet étudié dans une perspective
constructiviste qui affirme que la réalité sociale ou politique
est une construction des acteurs qui entretiennent des relations conscientes
pour obtenir des objectifs bien déterminés. Dans cette
perspective, l'Etat camerounais, produit d'une construction européenne
qui a commencé avec le changement du mode de production, mais aussi
produit d'une construction locale avec les stratégies
déployées par les acteurs Camerounais pour intégrer le
nouveau jeu politique sera analysé durant son processus de formation par
ce courant analytique.
L'historicité constitue un référent
majeur dans les travaux à tonalité constructiviste (Corcuff 2007
: 16) dans la mesure où l'institution est lié à l'histoire
en tant qu'elle est le résultat dans l'espace et avec le temps d'une
succession de forces travaillant tantôt dans le sens de
l'institutionnalisation, tantôt dans le sens de la
désinstitutionalisation. L'histoire fournit au sociologue des
matériaux concrets issus de la réalité (Grawitz 2001: 422)
et dans notre analyse, elle fournit les matériaux permettant d'analyser
la construction de l'Etat camerounais. Comme le disait Durkheim (1981:
109-112), la cause déterminante d'un fait social doit être
cherchée parmi les faits sociaux antécédents ;
l'origine première de tout processus social de quelque importance doit
être recherchée dans la constitution du milieu interne. Dans cette
optique, il était donc nécessaire de rechercher le
phénomène social de grande ampleur repérable dans
l'histoire camerounaise auquel on pourrait attribuer la formation de l'Etat
camerounais. L'un des facteurs de transformation ayant affecté les
formes politiques traditionnelles du Cameroun a été le changement
du mode de production. La nécessité d'intensifier la production
des cultures de rente et d'organiser un mode d'exploitation acceptable a
posé les fondations de l'Etat camerounais avec entre autres la
spécialisation des rôles de gouvernement.
Il s'agira pour nous de reconstruire ces politiques agricoles
à partir des liens, des interactions que les acteurs entretiendront avec
leur environnement. L'individu n'étant pas appréhendé
comme une entité extérieure à la société, ni
la société comme une entité extérieure aux
individus (Elias 1991 : 22), le tissu social sera traversé par de
nombreuses formes d'interrelations qui s'entrecroiseront. Les
interdépendances dans lesquelles seront pris les individus participeront
à la formation des structures intérieures de leur
personnalité. Cette formation demande un apprentissage de jeu nouveau
qui suppose une certaine rupture des cercles anciens et l'instauration de
nouveaux cercles. L'Etat transforme la société selon sa logique ;
celle-ci à son tour résiste et contraint l'administration
à s'adapter à la réalité. Du fait que la
construction d'un ordre social est toujours un processus d'accommodation, de
gestion des contradictions sociales et de réduction des conflits sociaux
(Commaille et Bruno 1998 : 123), il est donc nécessaire pour le pouvoir
politique de négocier avec les détenteurs des ressources
nécessaires à son action. Dans ce contexte naît une
multitude de stratégies déployées par les
différents acteurs pour se positionner comme acteur principal. La
négociation entre les différents acteurs légitimera
l'ordre allemand dont le but premier est de créer des conditions
favorables à l'exploitation des cultures de rentes.
D-LES TECHNIQUES DE COLLECTES DES DONNEES
Les techniques sont les moyens mis à la disposition du
chercheur pour la collecte et le traitement des données. Compte tenu de
leur diversité en sciences sociales, Madeleine Grawitz (1996: 442)
précise que c'est suivant l'objet auquel elles s'appliquent qu'il faut
savoir choisir la technique la plus adéquate et pouvoir l'utiliser
convenablement. Tout au long de cette recherche, nous ferons usage de
l'exploration documentaire à travers l'analyse des archives publiques,
des connaissances livresques. Nous montreront ici la façon dont nous
avons fait le terrain et les conditions dans lesquelles nous avons eu ces
données ; par la suite les raisons pour lesquelles nous avons
choisi les données utilisées dans ce travail.
1. Les raisons du choix des données
Dans une recherche, la nature même des informations
qu'il convient de recueillir pour atteindre l'objectif, commande les moyens
employés pour le faire (Grawitz 2001: 500). L'objectif détermine
le choix de la technique et en même temps décide de la population
à observer. Les hommes à étudier dans notre recherche
appartiennent à une époque, à une culture, à une
classe sociale précise.
Nous nous sommes intéressés aux individus qui
ont participé à la mise en oeuvre des politiques agricoles au
Cameroun d'où notre intérêt pour la personnalité de
ces acteurs. L'intérêt de l'étude la personnalité
vient du fait qu'il toute personnalité est en interaction avec son
milieu. L'attitude des individus dans le contexte de l'imposition des cultures
de rente au Cameroun sera pour certains influencée par leur vécue
et leurs origines sociales. Leurs choix dépendront aussi de leur
perception de l'objet en cause et ceci fera en sorte que des individus seront
prêts à répondre d'une certaine manière à une
certaine stimulation. Dans l'apprentissage de nouvelles techniques agricoles et
de nouveaux jeux sociaux, les populations Camerounaises vont apprendre de
nouveaux rôles mais surtout à s'intégrer et à
s'adapter à la nouvelle configuration sociale.
Etant donné que les individus sur lesquels nous
recherchions des informations appartenaient au XIXème
siècle, nécessité s'est donc fait sentir de se tourner
vers des documents traitant de cette époque. Ceci nous a conduits
à utiliser des documents en science politique en histoire, des sources
électroniques mais surtout à rechercher des informations dans les
archives portant sur les cultures de rente au Cameroun de 1884 à 1914.
La collecte de ces données par nous a suivi un schéma.
2. La collecte des données
Nous nous sommes en premier lieu tournées vers la
recherche des documents de science politique portant sur la formation de
l'Etat. Ceci nous a amené à lire des ouvrages de sociologie
politique traitant du pouvoir, des rapports de gouvernants-gouvernés,
des politiques publiques. Toutefois, la plupart de ces documents portaient sur
l'étude de la formation de l'Etat en Europe. Nous n'avons pas pu trouver
de document parlant spécifiquement de la formation de l'Etat au Cameroun
par le biais du changement du mode de production. C'est la raison pour laquelle
nous n'avons recherché dans ces documents que des données d'ordre
générales et théoriques. Par exemple, des données
sur les rapports entre l'individu et son environnement ou encore sur les
relations qui se tissent entre les gouvernants et les gouvernés, mais
surtout sur les conditions favorables au changement d'organisation sociale.
Dans la recherche des données sur l'introduction des
cultures de rente au Cameroun, nous avons été amenés
à consulter des ouvrages d'histoire. Ceux-ci nous ont permis d'enter en
possessions d'informations sur les techniques d'impositions des cultures de
rente et sur les bouleversements qu'ont occasionné l'entrée de
ces produits au Cameroun.
Toutefois, du fait que notre recherche se situait dans le
cadre de la science politique et que nous recherchions les moyens par lesquels
les Allemands vont réussir à légitimer leur pouvoir, il
fallait donc entrer en possession des différents décrets et lois
ayant sous tendu l'action allemande. C'est dans cette logique que nous nous
sommes tournés vers les archives. Après avoir consulté
ceux de Yaoundé, nous sommes allés à Buéa,
où nous sommes entrés en possession de certains documents.
Seulement, les informations sur les individus ont pu
être trouvées pour quelques uns dans des documents d'histoire mais
beaucoup plus dans des documents publiés dans des sites Internet.
3. Difficultés rencontrées au cours de
la collecte des données.
Au cours de la collecte des données, la première
difficulté rencontrée a été celle due à la
qualité des documents. A cause de l'ancienneté de certains
documents, nous avons eu de la difficulté à déchiffrer les
caractères écrits. Le type de papier mais aussi le type d'encre
utilisé ont contribué à cette difficulté. Tous ces
facteurs n'ont pas rendu aisé la photocopie de ces documents et nous
avons été dans l'obligation de recopier au stylo à bille
certains documents.
Par ailleurs, la langue allemande utilisée dans la
rédaction de la plupart de ces documents a été un handicap
pour nous qui n'avons quasiment aucune notion de cette langue. Non seulement la
plupart de ces documents ont été écrits à main
levée, mais aussi ils sont écrits en allemand gothique. Ceci a
orienté notre choix vers des documents traduits de l'allemand au
français nous permettant ainsi d'entrer en possession des
données.
Malgré l'existence de toutes ces difficultés,
nous nous sommes battues pour mener à bien ce travail, qui s'articule
autour de trois principaux points : d'abord les atouts économiques du
Cameroun comme raisons de la venue des Allemands qui ont besoin des ressources
pour leur agriculture ce qui aidera à observer comment s'introduit
l'Etat ou le pouvoir politique centralisé (chapitre 1), ensuite,
les différentes politiques agricoles comme ressource
d'étatisation de la société camerounaise ou comment se
répand ce pouvoir politique par l'action des autorités politiques
allemandes (chapitre 2) et enfin, la relative socialisation de l'Etat
consécutive à la recherche d'un équilibre entre le pouvoir
politique allemand et les sociétés politiques traditionnelles ou
encore comment les acteurs locaux s'approprient l'Etat en train de se faire
(chapitre 3).
PREMIER CHAPITRE:
POLITIQUE AGRICOLE ALLEMANDE DU
XIXème siècle
COMME RAISON DE L'INSTAURATION DE
LA
SOUVERAINETE ALLEMANDE AU CAMEROUN
L'Etat est "le droit gouvernement de plusieurs
ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine"
dira Jean Bodin. La souveraineté est un critère reconnu à
l'Etat; c'est le pouvoir suprême de l'Etat qui l'exerce par le biais du
gouvernement. Elle renvoie au principe de l'autorité suprême et en
matière de politique, elle est le droit absolu d'exercer une
autorité (législative, judiciaire, et/ou exécutive) sur
une région, un pays ou un peuple. Or, du fait que l'installation d'une
administration coloniale entraînait un transfert de souveraineté
au Cameroun, qu'il y ait eu traité de protectorat ou non, les dirigeants
camerounais ainsi que leurs populations se voyaient dessaisis de la
possibilité de déterminer leur propre destin et se voyaient dans
l'obligation de respecter les directives venant d'autorités jusque
là étrangères.
Ces dernières, par le biais de leurs politiques
agraires, vont réussir à travers des innovations sociales
à résoudre certain problème de l'intégration de
groupes humains camerounais jusque là isolés ou marginaux, dans
une nouvelle communauté politiquement organisée. Cette
évolution rejoint l'idée de Max Weber dont la définition
idéale typique de l'Etat est : "une entreprise politique de
caractère institutionnelle lorsque et tant que sa direction
administrative revendique avec succès, dans l'application des
règlements, le monopole de la contrainte physique légitime",
(Weber 1971 : 57).
Dans cette définition, se dégage une notion
fondamentale : celle de la monopolisation du pouvoir, c'est-à-dire une
activité que seul l'Etat peut exercer. C'est une ressource dont il est
le seul à pouvoir disposer et qu'aucun autre groupe n'est en mesure de
lui disputer. Or, l'émergence de l'Etat suppose la construction d'un
centre qui, progressivement, impose à tous ses rivaux son double
monopole : celui de prescrire le droit applicable et celui de recourir à
la contrainte pour en garantir l'effectivité (Braud 1997 : 106).
Dès lors, on s'interroge sur les mécanismes qui ont permis
à l'aboutissement de la légitimité de ce nouveau pouvoir
aux formes d'organisations sociopolitiques précoloniales camerounaises
auxquelles il devrait se substituer ? Quelles sont les raisons qui font
naître ce désir de possessions coloniales ? Par quels
procédés les Allemands vont-ils oeuvrer pour la restriction
progressive du nombre des unités politiques existant sur le territoire
camerounais ? Dans ce chapitre, notre souci est de montrer que la situation
économique allemande du 20ème siècle qui
dépendait énormément de l'agriculture est l'une des
raisons ayant motivé l'annexion du Cameroun qui présentait des
potentialités économiques favorables pour les investissements
allemands.
SECTION I : DE LA SITUATION AGRICOLE DE L'EMPIRE ALLEMAND A LA
NECESSITE DE POSSEDER LES RICHESSSES DU TERRITOIRE DU CAMEROUN
Il s'agit ici de voir la crise agricole sévissant en
Allemagne et son impact sur le plan économique et politique. Par
ailleurs, nous verrons les différentes solutions proposées par
les Allemands pour résoudre cette crise de même que les
potentialités économiques que présentait le Cameroun pour
résoudre cette crise.
I-
LA CRISE AGRICOLE DE L'EMPIRE ALLEMAND DU XIXème SIECLE
La crise agricole qui toucha durement l'empire allemand ne
naquit pas ex nihilo. Elle eut des causes et une série de mesures furent
initiées pour la résorber.
A.
LES MOBILES DE LA CRISE
Plusieurs facteurs ont contribué à
l'avènement de cette crise en Allemagne. La "mondialisation" du commerce
agricole et la révolution industrielle ont été parmi les
instigateurs de la crise de l'agriculture qui sévit en Allemagne.
1. La révolution industrielle
La révolution industrielle viendra avec le changement
dans les méthodes de production industrielle et bouleversera toute la
société allemande. Dans ce contexte, il y a une augmentation de
productivité agricole dans la longue durée. L'explosion de la
productivité apporte une surproduction.
En Allemagne, au début des années 1870,
intervient la grande dépression (de 1873 à 1896) provoquée
par des investissements au-delà de la demande. Cette dépression
est caractérisée par des surcapacités et une
déflation importante (Fark-Grüninger 1995 : 43). L'appareil
productif avait grandit trop rapidement dans un marché où
s'installait la concurrence internationale.
2. La «mondialisation» du commerce
Après la guerre de sécession aux Etats-Unis,
presque tout le nouveau monde était cultivé. Grâce au
perfectionnement des moyens de communication et de transport entraînant
une forte diminution des coûts, des grandes quantités de
blé et d'autres productions furent exportées vers l'Europe et
contribuèrent à la baisse des prix
(AldenhoffL-Hübinger : 2005).
Il est certain que ces importations n'étaient pas la
seule explication du phénomène, mais elles contribuèrent
et accentuèrent sans doute la diminution des prix des produits
agricoles, qui était déjà amorcée à cause de
la grande dépression.
De plus, la déflation alourdissait les dettes du
secteur agricole européen qui devait compenser cette dette par une
augmentation de la productivité.
Il n'est donc pas étonnant qu'à la fin des
années 1870, l'empire allemand ait abandonné le libre
échange pour freiner les importations. L'Allemagne fut la
première à introduire des tarifs douaniers protecteurs.
B-
DE LA PROLIFERATION DES EFFETS POLITIQUES DE LA CRISE AUX TENTATIVES DE SA
NEUTRALISATION
Face à la crise agricole, l'empire allemand introduit
à la fin du 20ème siècle un système
protectionniste. Les mesures prises auront des conséquences sur
l'orientation politique de même que sur les hommes politiques de
l'Allemagne.
1. La prolifération des effets politiques de la
crise
La démission de Caprivi à son poste de premier
ministre de la Prusse en 1892 et en 1894 de celui du chancelier du Reich est
l'un des exemples les plus probants.
Les organisations agricoles allemandes comme le Bund Der
Landwirte combattirent la politique commerciale de Caprivi en se
référant au tarif de Méline. En effet, la conclusion du
traité avec la Russie, premier exportateur mondial de seigle fut
durement critiqué. Le seigle était l'une des
céréales préférées des grands
propriétaires fonciers en Allemagne du nord-est et il jouissait d'un
quota extrêmement élevé, environ 46%.
Caprivi dû dédommager les agriculteurs par des
mesures non-tarifaires. Malgré cela, il fut obligé de
démissionner d'autant plus qu'une vague populiste rurale se
déchaîna contre les traités de commerce que Caprivi avait
signé. Le Bund Der Landwirte fut fondé en 1893 et mobilisa les
paysans contre la politique du chancelier Caprivi.
Les effets liés à la crise agricole ne vinrent
que renforcer l'opinion des gens convaincus que le seul moyen de sortir de la
dépression était pour l'Allemagne la conquête des colonies
à elle. Par la suite, ils renforcèrent l'idée selon
laquelle l'Allemagne devait plus s'investir dans l'exploitation de son
protectorat du Cameroun.
Devant une situation interne aussi explosive, il était
urgent de réagir, surtout face à des assertions comme celle de
Heinrich von Treitschke qui écrivait que « pour un peuple qui
souffre d'une surproduction persistante et dont 200.000 de ses enfants sont
année après année envoyés à
l'étranger, la colonisation devient un problème existentiel
». La colonisation devenait ainsi une réponse aux
problèmes naissants dans la société allemande,
problèmes qui risquaient de fragiliser ou de désagréger
l'empire allemand qui avait été chèrement acquis et qui
représentait beaucoup pour certains Allemands. Avant de s'engager dans
une possible course aux colonies, l'empire allemand, à travers le
protectionnisme va essayer d'endiguer la crise agricole qui sévissait
dans son territoire.
2. Le protectionnisme comme principale
stratégie de la neutralisation de la crise
Le protectionnisme vise à protéger le
marché intérieur en adoptant des mesures pour favoriser les
paysans et leur pouvoir d'achat. Avec une population active d'environ 35% dans
le secteur agricole, l'Allemagne avait tout intérêt à
protéger les agriculteurs afin d'éviter des crises sociales
d'autant plus que la nécessité d'unifier le territoire faisait
que les dirigeants politiques cherchaient à gagner l'appui du peuple qui
était à cette époque majoritairement rural. Malgré
la monarchie constitutionnelle, le suffrage universel avait renforcé le
poids politique du monde agricole. Les hommes politiques ne pouvaient plus
ignorer ce que la majorité des électeurs ruraux exigeaient : la
protection de leurs productions. C'est dans ce contexte que des mesures
douanières furent prises.
Les tarifs douaniers sur les produits industriels et agricoles
entrèrent en vigueur en 1880 et restèrent modérés.
En se référant au tarif de Méline (tarif français)
de 1892 qui introduisait des droits de douane sur les produits industriels et
augmentait les tarifs douaniers sur les produits agricoles, le Reich revint sur
sa politique douanière pour conclure des traités commerciaux.
Le chancelier Léo von Caprivi qui avait
succédé à Bismarck, conclut en 1892 et 1894 une
série de traités pour les exportations industrielles avec des
pays comme l'Autriche-Hongrie, l'Italie, la Belgique, la Suisse, la Roumanie,
la Serbie et la Russie. Ces traités furent en vigueur jusqu'à la
fin de 1903 et portaient principalement sur l'abaissement des droits sur le
blé et le seigle (de 5 marks à 3,50 marks pour 100
kilogrammes).
En 1906, de nouveaux tarifs entrèrent en vigueur,
accompagnés de nouveaux traités de commerce qui
remplaçaient le système de Caprivi. Ces nouveaux traités
de commerce allemands formèrent le cadre de la politique agricole. Ils
avaient été votés par le Reichstag en 1902 mais ne purent
entrer en vigueur qu'à partir de 1906 à cause de ceux
signés par Caprivi. Quel fut les conséquences que cette solution
provoquera ? Comment ces mesures protectionnistes favoriseront-elles la
colonisation du Cameroun ?
3. Penser les acteurs
privés allemands dans l'investissement des capitaux hors de
l'Allemagne
Ce protectionnisme va favoriser l'impérialisme allemand
car étant contraire aux intérêts des consommateurs et des
détenteurs des capitaux, il ne profite pas vraiment aux producteurs.
L'impérialisme est lié au protectionnisme et aux monopoles. En
effet, "le protectionnisme tend à défendre les secteurs les
moins développés de l'économie et pousse à la
formation des cartels et de trusts débouchant sur une politique
monopoliste des prix" (Laurens 2009 : 47). Quand les cartels se
forment avec une fusion de la haute finance et des grandes entreprises, c'est
en général dans un cadre protectionniste et au détriment
des `'capitalistes moyens''. Alors l'exportation des capitaux devient lucrative
pour une fraction de la société.
C'est ainsi qu'on observera une exportation des capitaux
privés allemand et ceci dans la recherche d'un `'superprofit''. Dans la
recherche de nouveaux territoires où investir leurs capitaux, des hommes
d'affaire Allemands seront amenés à installer quelques unes de
leurs firmes sur les côtes camerounaises. Loin d'être d'un
quelconque profit pour les Etats, l'impérialisme coûte très
cher en dépenses militaires pour des débouchés commerciaux
particulièrement médiocres4(*).
L'impérialisme est en général
l'expression non de l'évolution globale de l'économie, mais
plutôt celui d'intérêts sectoriels qui
bénéficient de cette expansion. Si leur part dans
l'économie globale est faible, leur capacité d'influencer la
décision politique est forte (Laurens 2009 : 23). En effet, parmi
les personnes dont l'influence pesa le plus sur l'annexion du Cameroun en ce
dernier quart du XIXème siècle furent des hommes
d'affaires ayant pour la plupart des intérêts économiques
dans la région. Il s'agit entre autre des hommes comme Adolphe Woermann,
Thormahlen, Jantzen etc. Woermann qui devient membre du Reichstag en 1884 fut
l'incarnation même du colonialisme étant donné que la
plupart des membres du Reichstag ne demandait qu'à voir toute tentative
de colonialisme sombrer dans un complet échec (Etoga Eily 1971 :
139). Malgré de nombreuses pétitions et incessantes demandes de
la part des commerçants allemands sollicitant la protection de l'empire
allemand et son soutien, Bismarck pour qui les colonies représentaient
un fardeau plutôt qu'une possibilité d'enrichissement, ne vit pas
l'intérêt d'engager l'empire dans les conquêtes coloniales
comme la Grande Bretagne. Ce n'est que plus tard qu'il jugera opportun pour
l'Allemagne de posséder des colonies. D'après Wolfgang J. Mommsen
(1986 : 24),
`'the test case for German views on government action in
colonial ventures came when a merchant from Bremen, F.E.A. Lüderitz,
approached the German government first in November 1882, repeatedly thereafter,
and definitely in august 1882, in order to be granted government protection for
a commercial settlement at Angra Pequena. Bismarck was not prepared to
antagonize Great Britain unnecessarily on such an issue''.
Bien qu'ayant établit un protectorat au Cameroun sous
prétexte de protéger les intérêts des
commerçants Allemands5(*), cette annexion a pu être le fruit d'une lutte
de pouvoir entre les différentes puissances d'autant plus que
`'l'impérialisme naît quasi naturellement d'une situation de
déséquilibre des forces, où le plus puissant a les moyens
de s'emparer des territoires des autres'' (Laurens 2009 : 33). En
tant que puissance émergente, l'empire allemand n'a-t-il pas voulu avoir
aussi son mot à dire dans l'organisation du monde ? Ne peut-on y
voir une tentative d'organiser le monde en fonction de ses
intérêts ? La situation prépondérante de la
Grande Bretagne dans les échanges et son attitude envers les
commerçants allemands ne sont-ils pas autant de facteurs ayant
contribué à l'aventure coloniale de l'Allemagne ? D'autant
plus que ce dernier va chercher à se rapprocher de la France,
peut-être dans le but de contrecarrer la puissance anglaise ?
Quelques soient les motifs pour lesquels Bismarck engagera
l'empire dans l'aventure coloniale, une constante demeure : les
potentialités d'enrichissement qu'offraient les côtes
camerounaises pour les hommes d'affaires allemands a été l'une
des raisons principales de cette annexion.
II-
LES POTENTIALITES ECONOMIQUES DU CAMEROUN COMME SOLUTIONS A CERTAINS PROBLEMES
AGRICOLES DE L'ALLEMAGNE
Il s'agit ici d'analyser les potentialités
économiques du Cameroun et les raisons qui ont poussé les
Allemands à en faire leur colonie. Mais de quel Cameroun parle t-on ?
A.
LE TERRITOIRE DU CAMEROUN DE 1884 A 1914 : UN ESPACE CONSTAMMENT REDEFINI
EN FONCTION DES ENJEUX ECONOMIQUES DE L'HEURE PAR LES ACTEURS
Quand nous parlons de la région de l'Afrique qui va
devenir le Cameroun, mais qui avant 1884, ne portait pas encore de nom,
n'oublions pas qu'elle a été le fruit de la colonisation. C'est
en effet à partir de la période allemande que le Cameroun tel que
nous le connaissons aujourd'hui c'est-à-dire comme entité
territoriale, humaine et politique ayant des contours et des frontières
bien définis, existe bel et bien en Afrique (Owona 1996 : 62).
Le terme «Cameroon» est d'abord entendu en 1884 pour
désigner une ville que les Allemands traduiront en « Kamerun
Stad » (Kum'a Ndumbe III 1986 : 44) et baptiseront en 1901 pour
l'appeler Douala. Ce pays appelé Cameroun se situait «on the
Cameroons river, between the River Bimbia on the North side, the River Qua-Qua
on the South side and up to 4°10 North Latitude».
Un territoire essentiellement limité aux
côtes camerounaises et aux dépendances des rois Doualas qui
exerçaient leur souveraineté ou leur influence de Douala à
Buéa et Manga d'une part et des pays Bassa de la côte
jusqu'à Yabassi d'autre part. Toutefois, après la signature du
traité germano-douala de 1884 (confère annexe
6), ce Cameroun ne correspondra plus à partir de février
1885, à l'issu de la conférence de Berlin, au Kameroun allemand.
En effet, ce vaste territoire de 520000 km2 en 1885
constituait un conglomérat de royaumes et principautés fort
disparates et indépendants les uns vis-à-vis des autres dans
leurs grands ensembles. Ils n'entretenaient parfois même pas de relations
suivies pour ne pas dire que certains s'ignoraient tout simplement.
Les frontières du Cameroun seront sans cesse
modifiées pendant la période allemande. Elles seront
définies avec précision entre 1884 et 1894. Par la suite, ces
frontières seront modifiées en 1908, 1911et 1913 où sera
établit la première carte géographique du Cameroun par Max
Moisiel. Les cartes 1 et 2 (annexe 1 et 2)
illustrent parfaitement l'évolution du tracé des
frontières camerounaises. La colonisation de la terre se ferra de
manière progressive entrainant ainsi l'extension des services
administratifs.
B.
LA FORTE ATTRACTION DES RICHESSES DU CAMEROUN SUR LES OPERATEURS ECONOMIQUES
ALLEMANDS
Les peuples Doualas détenaient le monopole du commerce
sur les côtes du Cameroun. Ils servaient d'intermédiaire entre les
populations de l'intérieur du Cameroun avec les Allemands. Devant
l'abondance des produits vendus par les Doualas et que ceux-ci supposaient
être récoltés à l'état sauvage, les Allemands
vont conclure que l'acquisition de la région s'imposait du fait que
celle-ci se prêtait fort bien à la création des
plantations. La richesse de la brousse en épices, caoutchouc, noix de
palme et autres fournissait un indéniable témoignage de la
fertilité des sols et montrait combien ces ressources pourraient
être accrues par la culture (Etoga Eily 1971 : 128). Le profit
réalisé par les Doualas grâce à ce monopole
était alors immense. Seulement des infiltrations des commerçants
à l'intérieur du pays étaient de plus en plus
fréquentes et elles devinrent irréversibles du jour où
Woermann obtint une très grande concession dans la région
d'Edéa et y fonda la première grande plantation de la colonie.
Grâce aux rapports des explorateurs, les richesses de
l'hinterland camerounais furent connues. Dès 1850, Barth avait pu
s'engager dans les régions du Nord-Cameroun. Son travail fut poursuivi
de 1869 à 1873 par Gustav Nachtigal. Un peu plus tard, de 1882 à
1883, Flegel qui était à la fois explorateur et
commerçant, pénétra dans l'Adamaoua par le Niger et la
Bénoué.
Par ailleurs les possibilités agricoles de la
région du Mont-Cameroun furent l'objet de nombreux rapports aussi bien
par des voyageurs que par des explorateurs. F.R. Burton, consul britannique
dans la baie de Biafra et à Fernando-Poo, ne signalait-il pas, bien
avant l'occupation allemande, que les basses pentes du massif du Mont-Cameroun
étaient favorables à la culture du café, du cacao et de la
canne à sucre ? Il regrettait même qu'un sol d'une telle
fertilité fut abandonné aux seules pratiques agricoles des
indigènes dont les méthodes étaient à la fois
inefficaces et destructives (Etoga Eily 1971 : 160).
On peut considérer que l'option pour une politique
coloniale n'était en fait rien d'autre qu'un combat de
répartition des ressources mondiales dans une phase de restructuration
du système économique allemand. La tendance principale dans la
politique coloniale fut donc d'offrir aux intérêts
économiques privés des conditions favorables à leurs
entreprises coloniales et cela sans participation financière de la part
de ces acteurs privés (Fark-Grüninger 1995 : 45). Ceux-ci
cherchaient au Cameroun des débouchés pour leur surproduction,
une amélioration de leur condition d'approvisionnement et cela à
des coûts aussi faibles que possible. L'attitude hostile du parlement
obligea l'administration allemande au Cameroun de se procurer une grande partie
des ressources nécessaires au Cameroun même. Ceci n'ira pas sans
conséquence sur l'organisation sociale du Cameroun. Il fallait donc
briser les monopoles des populations côtières et créer des
conditions nécessaires à la mise en place des plantations.
Comment se déroulera l'instauration du pouvoir politique allemand au
Cameroun ?
SECTION II : L'INSTAURATION DE LA SOUVERAINETE ALLEMANDE AU
CAMEROUN
D'Aristote aux auteurs les plus récents,
l'infériorisation des sociétés exotiques,
c'est-à-dire non européennes est devenue une tradition
intellectuelle. Aristote établissait déjà une
corrélation entre la servilité supposée des Asiatiques et
leur prédisposition naturelle à supporter le despotisme. De
telles incongruités se repèrent aux siècles des
lumières et même au 19ème siècle. Pour
l'attester, il n'y a qu'à lire Montesquieu : « la plupart des
peuples de la côte de l'Afrique sont sauvages ou barbares. Ils sont sans
industries, ils n'ont point d'art, ils ont en abondance les métaux
précieux qu'ils tiennent immédiatement de la nature ».
De même le 18 mai 1873, lors d'un banquet célébrant
l'abolition de l'esclavage, Victor Hugo prononça les mots suivants :
« Cette Afrique farouche n'a que deux aspects : peuplée, c'est
la barbarie ; déserte, c'est la sauvagerie ».
On assiste à une sorte d'abolition de l'histoire
africaine au profit d'un occidentalo-centrisme que Hegel érige en
paradigme. Seulement, à la différence des croyances et des
idéologies, nombre de recherches viendront démontrer que les
sociétés africaines précoloniales étaient
dotées d'un mécanisme de régulation propre leur permettant
de maintenir l'ordre dans la société. Pour être plus
précis, avant l'arrivée des Allemands dans cette région
d'Afrique qu'on nommera plus tard « CAMEROUN », il existait une
multitude d'unités politiques dans lesquelles les anthropologues
politistes verront des propriétés communes du politique avec
celles existants en occident. D'ailleurs, cette prétention
européenne à ne voir le politique que dans leurs
sociétés sous prétexte qu'elles sont civilisées, ne
remet-elle pas en cause la notion même de politique ? L'Etat ayant
apparut il n'y a pas longtemps, est-ce à dire qu'avant son apparition,
il n'y avait donc pas de manifestation politique ? L'institutionnalisation
progressive de la société camerounaise viendra se heurter
à un ensemble de systèmes politiques où existait
déjà un commandement social. Notre souci est de montrer qu'avant
l'arrivée des Allemands au Cameroun, il existait des unités
politiques bien organisées. Ensuite, nous essayerons de voir l'impact de
l'imposition de la souveraineté allemande sur les lois locales
organisant économiquement les sociétés
précoloniales camerounaises ; comment s'orienteront désormais les
sphères sociales ? En d'autres termes, nous verrons de manière
générale l'organisation de ces sociétés et par la
suite, nous verrons comment le droit nouveau s'y est introduit pour
gérer les terres et orienter le choix des populations locales.
I-
CONFIGURATIONS POLITIQUES ET ECONOMIQUES DE CERTAINES SOCIETES PRECOLONIALES
AVANT L'INSTAURATION DE LA SOUVERAINETE ALLEMANDE
Il est sans conteste vrai que l'unité politique que
forme aujourd'hui le Cameroun est le fait de la colonisation d'autant plus que
c'est ce mouvement occidental qui provoquera des bouleversements dans les
sociétés traditionnelles du Cameroun. Le changement de
l'organisation politique est le fait entre autre du changement du mode de
production. Naît alors une interrogation: comment étaient
organisées dans l'ensemble les sociétés traditionnelles
camerounaises ? L'importance ici est de saisir la nature des autorités
traditionnelles en tant que souverains dans leurs sociétés
respectives. Ceci nous permettra de voir les pierres d'attentes ou, les
fondements sociaux existants et ayant facilité l'instauration de cette
souveraineté allemande extérieure aux systèmes politiques
camerounais.
A.
LES SOCIETES PRECOLONIALES COMME ENTITES DISPOSANT D'UNE REELLE AUTONOMIE
POLITIQUE
Malgré toutes les assertions concernant
l'a-historicité des sociétés africaines et surtout du
manque de souveraineté des populations camerounaises, de nombreux
travaux anthropologiques montrent qu'il existait dans cette région
d'Afrique une multitude de sociétés politiques. Bien que toutes
ne possédaient pas des mécanismes de régulations
centralisées ou repérables au premier regard, beaucoup
étaient dotées d'institutions politiques. Dans le but de faire la
différence entre ces institutions locales et les institutions
européennes, nous désignerons les institutions africaines et
leurs systèmes politiques, d'institutions politiques traditionnelles.
Par institutions politiques traditionnelles, comprenons avec le Professeur
Aletum Tabuwe (2004 : 206) que ce sont ces corps traditionnels « dont
l'autorité à la compétence d'imposer la loi et l'ordre
dans une société traditionnelle particulière en usant
seulement des sanctions autorisées par les coutumes et les traditions
des peuples sur lesquels l'autorité est exercée ».
Prenant le cas des chefferies de l'Ouest-Cameroun,
Fark-Grüninger constate que le chef, juge suprême et responsable de
la chefferie est entouré d'un conseil de notables et d'une
société sécrète à fonction
régulatrice. Comme le nom l'implique, ces sociétés
secrètes sont des organisations traditionnelles dont les
activités ne sont pas facilement connues des membres non initiés.
Plusieurs de ces organisations régulatrices opèrent à
l'intérieur des institutions politiques traditionnelles comme des
organes exécutifs ou de supervision de la législation ou du
gouvernement traditionnel (Aletum Tabuwe 2004 : 221-222).
« Le `'Nda-Kwifor'' de Bafut et le `'Nwerong''
de Banso et le `'Ngumba'' comme on appelle à Bali-Nyonga et dans
d'autres chefferies sont les organes suprêmes de contrôle du
gouvernement dans leur institutions politiques respectives (...) Ils gardent
l'oeil sur la manière dont le chef exerce ses fonctions et dont les
citoyens reçoivent les décisions du gouvernement traditionnel
(...) Un bon exemple des fonctions de `'Ngwerong'' à Nso est
rapporté par P. N. Nkwi et J. P. Warner ;`' ses fonctions incluent
l'appréhension des malfaiteurs, la police des marchés et
l'application des peines imposées par le roi ou par son conseil''(...)
Le chef ne pouvait pas le déconsidérer sans courir de
sérieuses répercussions. Son indépendance
constitutionnelle lui permettait d'immortaliser le palais et de condamner le
chef pour négligence flagrante des coutumes ou ses interdits. Si le chef
rejette avec persistance le conseil de ses conseillers ou était absent
du palais sans une raison valable ou s'il met en péril le
bien-être du pays, le `'Ngwerong'' pouvait le priver de ses fonctions et
même l'isoler de son peuple ».
Comme nous le constatons, certaines sociétés
existant avant l'arrivée des Allemands possédaient leur
système d'organisation. L'une des dimensions fondamentales de la
différenciation n'est-elle pas l'établissement des rapports de
domination ? Au vu de l'organisation politique des sociétés sus
mentionnées, n'observons nous pas qu'il existe un rapport de
dominants-dominés dans ces structures ? Ne rejoint-on pas l'affirmation
de Georges Balandier (1967 : 62) selon laquelle « le pouvoir politique
organise la domination légitime et la subordination et crée une
hiérarchie qui lui est propre »? Même si elles
n'étaient pas identiques, ces structures du fait de leur
délimitation géographique fournissaient un cadre non seulement
pour l'organisation politique, mais aussi pour d'autres formes d'organisations
telle que l'économie.
B.
REPARTITION SPATIALE DE L'ACTIVITE ECONOMIQUE
Les systèmes d'exploitation économiques dans les
sociétés précoloniales du Cameroun variaient d'une
région à une autre. Basés essentiellement sur une
économie de subsistance, ceux-ci avaient, avant l'avènement de
l'impérialisme, pour activité principale l'agriculture. Ce
système traditionnel quoique très fermé dans certaines
régions, ne supposait pas un manque de notion d'accumulation chez les
populations. Bien au contraire, l'existence d'une stratification de la
société suppose déjà une différence au
niveau de la richesse. Ici nous verrons en quelque sorte comment était
organisée l'agriculture dans ces sociétés, ensuite la
dynamique de la notion d'accumulation dans celles-ci.
1.
Répartition spatiale des systèmes agricoles
La plupart des sociétés camerounaises
pratiquaient une économie de subsistance. Ce système était
caractérisé par une utilisation limitée de la monnaie. La
production dépendait plus de la demande que de l'appât du gain.
D'après Gwanfogbe Mathew Basung (1975: 22-24), que ce soit dans le
Cameroun précolonial ou colonial, la pratique de l'agriculture
était différente selon les régions à cause des
influences environnementales :
«The tropical forest area or southern sector of the
territory did little cultivation and more gathering, while the northern sector
or savannah zone of the same territory did a lot of cultivation. It is,
however, not too difficult to explain these differences. In the forests zone,
lots of fruits and root crops grew naturally uncultivated and not cartered for
anybody in the forests. The native of these areas, therefore, were used to
going round and gathering such crops. It would face enormous problems because
of the existence of thick forests (...) we cannot also ignore the habit that
has become part and parcel of some of the people. There are a number of these
people that have never had practise of farming and would not easily create
interest in farming (...) Thus cultivation was generally limited in scale and
scope (...) Cultivation was, however, the main activity of the grassland people
(...) a majority of the grassland inhabitants were engaged in cultivation,
especially, of cereals such as millet, maize and sorghum; other foodstuffs
grown were beans, rice, cocoyam and groundnuts».
Ainsi, du fait de la situation géographique, les
différentes sociétés présentes sur le territoire
camerounais avaient adopté des systèmes d'exploitation en
fonction de leur région. Il existait au Cameroun précoloniale une
soumission du territoire ainsi qu'un système politique favorisant la
mise en discipline des populations. Seulement, bien que présente dans
ces micros Etats, cette soumission du territoire et cette mise en discipline
des populations demeuraient partielles. Elles n'acquerront la globalité
actuelle que sous le joug colonial. Les colonisateurs auront une vision globale
du territoire d'autant plus qu'ils recherchaient à maximiser leur
investissement. C'est cette globalité qui posera les bases de la
société camerounaise actuelle.
En dépit de cette activité agricole et de
cueillette, les populations de certaines régions y avaient
associé d'autres activités économiques telles que le
commerce.
2.
Du rapport à la terre à la
densification des relations commerciales et à la transformation de la
notion de richesse avant l'avènement de la colonisation
Ici, notre souci est de montrer comment la
transformation de la notion de richesse va participer à la construction
de l'Etat camerounais. Pour cela, nous verrons le rapport à la terre de
certaines sociétés traditionnelles et comment il configurait les
strates sociales ; ensuite, nous allons faire ressortir le fait que le
commerce offrait une autre source de richesse et par là, un autre moyen
de se repositionner dans l'échiquier social. Cette organisation de la
société va pousser certains membres de ces sociétés
à pratiquer le commerce car étant dans la recherche des biens
pouvant leur permettre d'acquérir une meilleure position dans la
société. Cette situation va prédisposer certaines
populations à accepter l'ordre allemand.
a. Du rapport à la terre
à la densification des relations commerciales
« In the traditional system, land-tenureship was not
highly considered since production on a given terrain was seasonal and never as
long lasting or permanent as it is the case with the plantations»
pense Gwanfogbe Mathew. La terre était une propriété
commune dont la jouissance était régulée par les chefs.
Cette organisation de la terre était connue par les Allemands. Ceci est
clairement énoncé dans la circulaire du gouverneur Seitz touchant
la procédure à suivre dans la conclusion de contrat de vente et
de location de parcelles foncières du 18 avril 1910. En effet, il dit
ceci :
"J'indique à ce sujet que les indigènes ne
connaissent pas partout la propriété individuelle d'un
particulier sur le sol, mais beaucoup plus souvent la propriété
de la collectivité, et qu'il est donc en conséquence
recommandé, dans l'intérêt de l'affermissement
incontestable des circonstances de la propriété, de viser au
contrat, en outre du chef, les habitants du village considéré et
de les mentionner nommément au procès verbal. "6(*)
Ceci montre clairement que, bien que n'ayant pas la même
approche de la propriété que celle des Allemands, les terres du
Cameroun n'étaient pas des terres vacantes et sans maîtres. Le
nomadisme qui caractérisait certains de ces peuples relativisait
beaucoup leur attachement à un terrain donné. Même chez les
peuples sédentaires, l'agriculture de type itinérante ne
favorisait pas un attachement particulier à la terre. Celle-ci
n'était considérée que comme un facteur de production qui
existait en abondance. Toutefois, ceci ne signifie pas que ceux-ci ne
possédaient pas l'idée d'une propriété terrienne.
En effet, la terre « n'est ni la propriété, ni la
négation de la propriété. C'est autre chose »
dit P. DARESTE.
« Globalement, la terre n'était susceptible
d'appropriation individuelle. Elle était un bien collectif, la chose
d'un groupe social déterminé, et l'individu n'avait de droits sur
la terre que par son appartenance à ce groupe social »,
(Mbome 2000 : 58).
Bref, la terre, élément incontournable de la
richesse ou de la pratique de l'agriculture qui était l'activité
essentielle de certaines sociétés traditionnelles, reposait sur
une certaine organisation. Elle jouait un rôle essentiel dans la
stratification sociale. En effet, dans des sociétés
Bamiléké de l'ouest-Cameroun par exemple, l'unité de
production de base est l'exploitation familiale. L'exploitation familiale se
constitue à travers l'allocation des facteurs de production (terre) qui
est attribué par :
« Le chef ou un chef de la terre aux chefs de
lignage et par leur biais aux chefs de famille qui la redistribue au sein de
leur famille. L'accès à la terre dépend donc des relations
familiales avec le détenteur de la terre (...) En principe,
l'accès à la terre est libre et le chef de famille a l'obligation
d'attribuer la terre selon les besoins, ce qui signifie selon le type de
travail disponible. Il est cependant souvent coutume ou même obligation
de faire un don à la personne attribuant la terre »,
(Fark-Grüninger 1995 : 32).
Cette différenciation sociale fait que le chef de
lignage ou de famille, intermédiaire entre le roi distributeur des
terres et l'économie familiale, devient très influent sur la
prospérité familiale. Le contrôle de « l'allocation
» des terres est une question de pouvoir. On observe donc au sein de
l'exploitation familiale l'instauration d'un réseau de don et contre-don
qui s'étend.
Il existait bel et bien une stratification sociale
basée sur la richesse. Toutefois, bien que la position sociale soit en
partie déterminée d'avance héréditairement, cette
ascension est aussi possible grâce à un certain succès
économique d'où l'attrait du commerce. Cette situation
prédisposera certains acteurs locaux à accepter l'ordre allemand
car voyant un possible profit.
Le commerce obéissait à une logique. Comment
s'effectuera les relations commerciales ? Comment celles-ci
influenceront-elles la notion de richesse dans les sociétés
camerounaises ?
b. La transformation de la
notion de richesse dans les sociétés traditionnelles avant
l'arrivée des Allemands
Parmi les populations, certaines ont très vite
entretenues des relations commerciales qui ont influencé
l'évolution de leur économie. Dans les régions des
grassfields, on note l'existence d'un commerce régional. Dans le plateau
de Bamenda et dans le pays Bangang, on a la spécialisation de la
production de certains produits notamment la production de l'huile de palme ;
de même que dans la région bamiléké, il existe des
spécialisations locales telles la production des céréales
et celle des palmeraies dans la région de Bafang (Fark Grüninger
1995 : 35-36). Chaque région était en contact avec
l'extérieur. A partir de la vente des esclaves, certaines régions
étaient en contact avec l'extérieur et, même après
son abolition, ces régions ont continué à entretenir des
relations commerciales basées sur d'autres produits. Ainsi, le commerce
n'était pas uniquement l'apanage des peuples de la côte du
Cameroun. Elle concernait aussi les peuples de l'hinterland. A titre
illustratif, une partie du commerce de sel qui arrivait en pays Bamoun
transitait par Bafoussam, en provenance de Yabassi ou de la côte, via
Bagangté. L'homme Bamoun était également en rapport avec
des commerçants Haoussa depuis le règne de Fon Nsangu, entre 1870
et 1880, et peut-être beaucoup plut tôt (Etoga Eily 1971 : 110).
Bien plus, il existait un commerce à longue distance entre le pays
bamiléké et la côte notamment la région de
Calabar
Par ailleurs, ces rapports avec des peuples venus d'ailleurs
influenceront d'une part la notion de richesse. Les notions d'accumulations, de
profit et même de monnaie commencent à se répandre. En
effet, l'accroissement du commerce et l'installation de plus en plus croissante
des firmes européennes sur la côte du Cameroun
nécessitaient l'institution de moyens d'échanges commodes. C'est
ainsi qu'on aura le Kroo, les cauris, les perles comme monnaies
d'échange. Beaucoup plus présent à Douala, le
kroo servait d'unité d'échange (Etoga Eily 1971 : 88-91)
dans les relations commerciales des Doualas. Même si ces
différentes monnaies ne s'étendront pas à l'ensemble de la
population, nécessité s'est fait sentir d'établir une
sorte d'unité commune d'échange permettant de donner une valeur
quasi commune aux marchandises. Les prix étaient fixés en commun
accord entre acheteurs et vendeurs. En règle générale, les
intermédiaires Doualas, installés dans les localités de
brousse, se réunissaient et arrêtaient ensemble des mesures
valables sur toute l'étendue de la région (Etoga Eily 1971 :
93).
Il est donc clair que bien avant la pénétration
des Allemands, le système économique des populations vivant dans
cette région d'Afrique était en évolution notamment
à travers les contacts commerciaux avec les commerçants
européens et suite aux migrations internes. Ces peuples entretenaient
donc déjà des relations. Mais, il faut se poser ici la question
de la place du commerce dans cette économie qui a été
caractérisée d'autosubsistance. Comme on l'a si bien
observé, l'existence de monnaies et de courants commerciaux est
antérieure à la colonisation et n'a pas entraîné des
transformations profondes sur l'organisation politique de ces populations. Au
contraire, ces sociétés traditionnelles précoloniales ont
maintenu leur indépendance territoriale et politique tout en entretenant
des rapports commerciaux. Cette dynamique participe à la construction de
l'Etat dans la mesure où elle avait déjà posé
certaines pierres d'attente favorable à l'intégration des peuples
dans le système économique allemand. Toutefois, cette dynamique
s'est faite bien avant l'arrivée de la colonisation et n'a presque pas
eu d'impact car chaque souverain était jaloux de son autonomie.
Ce n'est qu'avec l'arrivée des Allemands que des
changements profonds surviendront. Qu'y aura-t-il de particulier dans le
système économique qu'introduiront les Allemands au Cameroun et
qui provoquera l'unification de ces nombreuses petites unités
territoriales et politiques reparties sur l'ensemble du territoire camerounais
?
II-
DE LA CONFRONTATION DES SYSTEMES POLITIQUES TRADITIONNELS AVEC LE DROIT NOUVEAU
A LA FIXATION DE NOUVELLES REGLES DANS LA COLONIE DU CAMEROUN
La raison principale de la colonisation allemande du Cameroun
était l'appât du gain. Comme l'a bien montré Léon
Kaptue (1986 : 10), les premiers colons qui arrivèrent au Cameroun
étaient en majorité des hommes d'affaires et comme tels, ils
voulaient placer leurs capitaux et réaliser des bénéfices.
Du fait de la grande dépression économique subsistant dans
l'Allemagne des années 1870-1880 et provoquée par des
investissements au-delà de la demande et une forte spéculation
boursière, les colonies semblaient ouvrir une porte de secours en
offrant non seulement des ressources bon marché mais aussi des
débouchés, d'où la nécessité d'un
contrôle des territoires coloniaux. La colonisation, basée
essentiellement sur l'économie de plantation, avait besoin, pour
être efficace, de posséder les terres. Non seulement
l'installation des colons nécessitait l'appropriation des terres, mais
de par son but, la question agricole était d'abord une question
foncière. Aussi, l'instauration de la souveraineté allemande au
Cameroun ira de pair avec une réorganisation des terres et provoquera un
changement des pôles de pouvoir.
A.
MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE ORGANISATION DES TERRES
La question agricole étant avant tout une question de
contrôle de terre, la préoccupation première des Allemands
sera de s'en accaparer. Ils mettront sur pied un ensemble de mesures juridiques
qui devront faciliter et légitimer cette appropriation des terres
camerounaises.
En fait, l'introduction des cultures de rente qui
entraînait le changement du mode de production locale nécessitait
une nouvelle organisation des terres. L'ordonnance souveraine du 15 juin 1896
sur la création, la prise de possession et l'aliénation des
terres de la couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres
dans le territoire du Cameroun est assez explicite sur l'organisation des
terres. Le paragraphe 1 stipule que,
«sous réserve des droits de
propriété ou d'autres droits réels que des particuliers ou
des personnes morales, que des chefs ou des collectivités
indigènes pourraient prouver de même que sous réserve des
droits d'occupation de tiers fondés sur des contrats passés avec
le gouvernement impérial, toute terre à l'intérieur du
territoire de protectorat du Cameroun est terre de la couronne comme
étant sans maître. Sa propriété échoit
à l'empire»7(*).
Un fait marquant se dégage de ce texte. On y observe
des termes comme droit de propriété, prouver,
terre de la couronne, sans maître. Au contraire des
allégations selon lesquelles ses terres soient sans maître, des
articles parus dans le « AMTSBLATT », bulletin officiel des
années 1910 semble prouver que les Allemands étaient parfaitement
au courant de l'existence des propriétaires de ces terres. En effet, les
propos du Docteur Berké dans son article sur l'organisation politique
des populations résidantes dans le district de Baré sont assez
explicites. Après avoir tracé un tableau détaillé
du fonctionnement de cette unité politique, fonctionnement qui
d'ailleurs permettait le maintien d'un ordre social, le Docteur Berké ne
manquera pas de souligner que :
«Le sentiment d'une connexion politique est
généralement peu développé, quelquefois même
transformé en hostilité farouche à l'intérieur de
l'unité tribale (...) La sphère de chaque chef s'étend
juste aussi loin qu'il lui est possible de faire valoir son influence
personnelle(... )le déplacement d'une borne n'était
considéré nulle part comme répréhensible ; on
se rend sur les lieux, en général sous la direction du chef et
rectifie la limite»8(*).
Seulement, quoique conscients de l'existence de ces
unités politiques, les colonisateurs dans le souci d'atteindre leurs
objectifs, mettront en place des instances de régulations leur
permettant de contrôler la plus part de ces sociétés. Les
politiques agraires seront l'une de ces institutions. La loi citée
ci-dessus marque l'avènement d'un changement dans l'organisation des
sociétés camerounaises surtout que ce décret devrait
s'appliquer sur l'ensemble du territoire.
Cette législation s'impose aux populations locales. Ces
dernières pour sauvegarder leur terre n'auront d'autre choix que de
s'aligner et d'observer ces lois. En effet, l'empereur d'Allemagne
précise bien dans cette loi que les terres à l'intérieur
du territoire du protectorat sont terre de la couronne sous réserve des
droits de propriété (...) que des chefs ou des
collectivités indigènes pourraient prouver. Comment prouver
la propriété d'une terre pour des populations qui jusqu'alors
n'avaient pas besoin de le faire ? Il est vrai qu'avant l'arrivée des
Allemands, la propriété du sol n'existait pas ; mais il
n'existait pratiquement pas non plus de terre n'appartenant à personne.
Il existait un système dans lequel un groupe d'individus pouvaient
revendiquer la propriété d'une terre notamment avec l'existence
d'unités politiques territorialement délimitées.
Seulement, l'établissement de la colonisation allemande introduira la
notion de propriété privée, de titre foncier etc. De
manière insidieuse mais efficace, une nouvelle organisation des terres
s'imposera à l'ensemble des populations du Cameroun. Cette organisation
ira de pair avec le changement des pôles de pouvoir.
B.
LE CHANGEMENT DES PÔLES DE POUVOIR
La nouvelle organisation des terres camerounaises aura des
incidences sur les pôles de pouvoir. En effet, on voit apparaître
des dirigeants allemands capables de faire accepter aux populations locales une
orientation mutuellement ajustée de leur comportement. Ces populations
pour posséder une terre qui leur appartenait d'ailleurs devraient
s'adresser aux responsables allemands.
Par ailleurs, même la cession des terres à un
tiers n'obéit plus aux logiques locales ; elle doit désormais
suivre une procédure définie par les Allemands. Le paragraphe 11
de l'ordonnance du 15 juin 1896 stipule que :
«La cession des parcelles urbaines qui ont une
superficie de plus d'un hectare, comme celle de toutes parcelles rurales, par
des indigènes à des non-indigènes, en
propriété ou en location d'une durée de plus de 15 ans, ne
peut être effectuée qu'avec l'autorisation du gouverneur. Les
contrats soumis à autorisation pour lesquels l'autorisation n'est pas
intervenue sont sans effet juridique»9(*).
Le chef ou le roi n'est plus le détenteur de la parole
suprême, mais plutôt les autorités allemandes. En effet,
puisque l'institution est un moyen de régulation des rapports sociaux,
l'institution politique existante avant l'arrivée des Allemands ne
pouvant plus assurer cette fonction, nombreuses seront les populations locales
qui se tourneront vers les autorités allemandes pour résoudre
leurs problèmes.
En plus, la preuve de l'appartenance d'une terre aux
populations locales n'est obtenue que par l'approbation des autorités
allemandes. Compte tenu de l'importance de la terre dans les exploitations
familiales surtout pour les peuples sédentaires, il n'est plus besoin de
détails pour comprendre les bouleversements que ces lois ont
engendré. L'obtention de cette approbation étant
nécessaire, il était donc nécessaire de suivre les
nouvelles lois. Le paragraphe 1 du règlement du chancelier de l'empire
du 17 octobre 1896, soit quatre (4) mois après l'ordonnance souveraine
du 15 juin 1896 et concernant l'exécution de celle-ci, précise
que :
«(...) la prise de possession des terres
présumées sans maître doit être
précédée d'une enquête qui doit établir que
des revendications de l'espèce mentionnée au paragraphe 1 de
l'ordonnance souveraine du 15 juin de la présente année ne s'y
oppose pas. L'enquête doit en cas de nécessité être
faite sur les lieux même et les personnes qui sont installées ou
qui habitent dans les environs doivent autant que possible être entendue.
Procès verbal de cette enquête doit être dressé
».
Le paragraphe 2 poursuit en ses termes :
« S'il se produit des revendications de chefs de
village ou d'autres communautés indigènes sur des terrains
déterminés, basées, soit sur une prétendue
souveraineté, soit sur ce que ces terrains appartiendraient aux
chefs ou aux villages, il devra en être tenu compte autant que possible
lorsque ces prétentions auront été reconnues
légitimes ....»10(*).
Ici, transparaît le fait qu'aucune souveraineté
et qu'aucun pouvoir de décision n'est reconnu aux autorités
traditionnelles. Ces derniers doivent se référer aux Allemands
pour faire valoir leur parole qui ne recèle plus aucune autorité.
Il est donc clair qu'il y a eu un transfert du pouvoir de décision.
Celui-ci est désormais entre les mains des Allemands et ceci n'ira pas
sans conséquence sur la perception du pouvoir chez les populations.
Désormais, bien que venant de plusieurs unités politiques
traditionnelles différentes, ces populations se voient dans l'obligation
de se soumettre et d'adopter un comportement commun, de prêter
allégeance à une autorité politique commune et de
respecter ses directives.
De ce qui précède, nous pouvons dire que la
nécessité de posséder les terres pour la culture des
produits de rente va pousser les Allemands à prendre une série de
mesures qui auront des conséquences énormes sur
l'émergence d'une nouvelle organisation politique au Cameroun. Non
seulement toutes ces nombreuses unités politiques seront amenées
à s'unir territorialement, mais elles seront dans l'obligation de
prêter allégeance à un même centre de pouvoir,
à pratiquer la culture des mêmes types de produits, à
cohabiter. Cette situation ou cette dynamique illustre parfaitement les propos
de Jean William Lapierre (1971 : 172-173) lorsqu'il affirme que :
" les sociétés dont le système
politique est spécialisé, différencié,
compliqué, sont celles qui, à un moment donné de leur
histoire, ont eu à répondre à un défi d'innovation
sociale. J'entend par là que, soit par un processus d'acculturation
dû aux échanges avec l'étranger, soit par un processus de
migration qui a fait cohabiter des groupements de cultures différentes
sur un même territoire, soit par un processus de différenciation
sociale, interne, le problème de l'intégration des groupes
jusqu'alors isolés ou marginaux, ou encore de strates sociales
nouvelles, dans une communauté politiquement organisée qui les
englobe, s'est historiquement posé..." .
Le changement du mode de production au Cameroun notamment avec
l'imposition de nouvelles cultures destinées à l'exportation
provoquera l'intégration des populations jusqu'alors isolés. La
nécessité d'organiser l'exploitation de la colonie du Cameroun
fait émerger une spécialisation du politique et une
différenciation de plus en plus marquée des rôles de
gouvernement. Cette formation de l'Etat camerounais s'effectuera de
manière progressive et ceci du fait des acteurs politiques allemands et
de l'environnement dans lequel chacun évoluera. On verra donc que chaque
acteur disposera d'une marge de manoeuvre différente et ils
obéiront à des logiques propres. Ceci n'ira pas sans
conséquences sur la formation de l'Etat camerounais qui verra selon les
dirigeants, l'affermissement de plus en plus progressif des politiques
agricoles sur le contrôle des populations.
En définitive, nous pouvons affirmer que les raisons
qui ont sous-tendus la colonisation du Cameroun par les Allemands sont
intrinsèques à la société allemande. Quoiqu'ait pu
écrire les chefs Doualas aux autorités anglaises, quoiqu'aient pu
être les traités signés entre les autorités
politiques camerounaises et occidentales et qui aient pu faire croire que
ceux-ci désiraient l'instauration de ce protectorat, force est de
constater que la volonté allemande s'imposera à eux. Aussi, les
conséquences politiques immédiates dans la situation coloniale au
Cameroun seront entre autres :
- la dénaturation des unités politiques
traditionnelles : Comme on l'a vu plus haut, du fait de l'importance
de la terre dans l'application des politiques agricoles, les Allemands
élaboreront des lois qui vont entièrement bouleverser les
organisations territoriales et politiques qu'ils vont trouver au Cameroun ;
- la dégradation par dépolitisation
: l'unité politique traditionnelle sera réduite à
une existence conditionnelle. Perdant leurs repères, ces
sociétés vont voir émerger une nouvelle stratification
sociale. « C'est par la modification des stratifications sociales que
le processus de modernisation, ouvert au moment de l'intrusion coloniale,
affecte indirectement l'action politique et ses organisations »
(Balandier 1984: 196).
Tel qu'il fut délimité à Berlin,
l'Allemagne ne pouvait prétendre que sur une infime partie du territoire
dont la souveraineté lui avait été
transférée. Il s'agissait de quelques possessions à la
côte (Confère annexe 1) ; nous pouvons donc
affirmer qu'en février 1885, c'est-à-dire au début de la
conférence de Berlin, la souveraineté allemande était
réduite à peu de chose dans la réalité. Comment
l'Allemagne va-t-il s'organiser pour étendre sa domination sur
l'ensemble du territoire qui deviendra Cameroun ? Quel rôle jouera
les politiques agricoles dans cette mise en administration de la
société camerounaise ? Dans le chapitre qui suit, notre
objectif sera de faire ressortir les processus par lesquels ces
différentes politiques agraires vont contribuer à la construction
de l'Etat camerounais.
DEUXIEME CHAPITRE :
AUTORITES ALLEMANDES,
DIVERSITE DES POLITIQUES AGRICOLES ET PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE L'ETAT
CAMEROUNAIS
En l'espace d'une trentaine d'années, le Cameroun,
région d'Afrique divisée territorialement et politiquement, verra
son organisation spatiale changer. Ceci du fait de l'effort conjugué de
plusieurs administrateurs allemands. L'insistance de notre analyse sur les
personnes qui ont contribué à la mise en discipline des
populations camerounaises a pour but de mieux comprendre certains aspects de la
colonisation allemande. D'autant plus que le mot formation indique un processus
actif mis en oeuvre par des agents tout autant que par l'existence de
conditions particulières.
Par ailleurs, « l'impérialisme peut
être interprété de façon différente selon
qu'on mette l'accent sur les mécanismes qui l'ont sous tendu en Europe
ou que l'on se concentre plutôt sur ceux ayant contribué à
son maintien dans le pays colonisé », (Gomsu 1986 : 120).
Aussi, lorsqu'on observe attentivement les différentes politiques
agricoles mises en oeuvre au Cameroun durant cette période, nous sommes
tout de suite frappés par la discontinuité qui caractérise
celles-ci. On se rend compte que la colonisation allemande a été
marquée par des politiques agricoles variées de 1884 à
1914 et cette absence de continuité « tenait essentiellement
à l'attitude des chefs de gouvernement successifs vis-à-vis de ce
qui n'était pour certains, qu'une folle aventure et pour d'autres, une
raison d'espérer devant les rudes problèmes auxquels le peuple
allemand et son gouvernement devaient faire face », (Etoga Eily 1971
: 179).
Dans l'optique de comprendre cette rupture, l'accent sera mis
ici sur le choix de chaque chancelier allemand11(*). L'Allemagne, pays colonisateur, a durant sa
période coloniale au Cameroun connu l'avènement de cinq
chanceliers. Ces derniers, par leurs décisions additionnées aux
ambitions des gouverneurs et hommes politiques ayant un quelconque
intérêt dans l'exploitation agricole de la colonie du Cameroun,
ont modelé les populations du Cameroun afin d'obtenir d'eux une
soumission nécessaire pour la croissance économique de leur
empire. Chacun d'eux va imposer sa marque sur les politiques agricoles. Ils ont
usé de politiques différentes, qui n'étaient que le reflet
de la vision politique de chacun. L'analyse de ces différentes
politiques nous permettra de retracer le processus de formation de l'Etat
camerounais. Aussi, la compréhension des rapports qu'ont eu ces
politiques sur cette formation doit passer par la compréhension de la
situation des acteurs ayant eu une influence particulière sur ces
diverses politiques. Le changement des politiques agraires coloniales en
fonction des hommes à la tête de la chancellerie allemande nous
montre que ces politiques ont été des constructions qui ont
été influencées autant par leur contexte
d'émergence que par les hommes qui l'ont mises en oeuvre. Or comme le
disent si bien Peter Berger et Thomas Luckmann (1996 : 79):
« Il est impossible de comprendre correctement une
institution sans comprendre le processus historique à l'intérieur
duquel elle a été formée. Les institutions par le simple
fait de leur existence, contrôlent la conduite humaine en
établissant des modèles prédéfinis de conduite, et
ainsi la canalisent dans une direction bien précise au détriment
de beaucoup d'autres directions qui seraient théoriquement possibles. Il
est important de souligner que cette fonction de contrôle est
inhérente à l'institution en tant que telle, avant ou en dehors
de tout mécanisme de sanction établi spécifiquement dans
le but de soutenir une institution (...) le contrôle social fondamental
repose sur l'institution en tant que telle. Dire qu'un segment de
l'activité humaine a été institutionnalisé revient
déjà à déclarer que ce segment a été
ordonné par le contrôle social ».
Il en résulte qu'une institution n'a de raison
d'être que par rapport à un objectif à atteindre.
«Il est donc normal que les institutions naissent, changent,
évoluent en fonction des buts que s'assignent une société
tout au long de son histoire. Ce dynamisme est la condition sine qua non de la
survie d'une institution. Aussi bien est-il rare qu'une institution
n'échappe pas au contrôle de ses fondateurs », (Ngongo
1987 : 4). A ceci, Jacques Chevalier ajoute que « chaque institution
est amenée sans cesse à définir sa zone de
compétence, à restructurer son organisation, à
réactualiser son discours »
Puisque l'institution est un processus d'auto-création
continue et un moyen de régulation des rapports sociaux,
nécessité se fait sentir pour nous de déterminer comment
les différentes politiques agraires mises en oeuvre au Cameroun
réussiront par poser certains fondements de l'Etat camerounais actuel.
L'atteinte de cet objectif devra suivre le schéma suivant :
premièrement, nous verrons que de 1884 à 1900, la
régulation des populations du Cameroun est encore à sa phase
balbutiante du fait d'une quasi inexistence de politiques agricoles. Mais par
la suite, c'est-à-dire de 1900 à 1914, cette régulation
sera plus marquée du fait d'une présence politique allemande plus
effective mais aussi du fait de l'arrivée au pouvoir d'hommes favorables
à une expansion coloniale. Ces différentes politiques agricoles
doivent être appréhendées dans le sens de
l'incrémentalisme. Ceci dans la mesure où elles évolueront
le plus souvent de façon graduelle. Les politiques agricoles seront
fortement orientées par le contexte politique prévalant en
Allemagne. Aussi, les décisions prises par ces différents
chanceliers provoqueront plutôt des petits ajustements visant à
améliorer la politique agricole existante sans réellement la
remettre en question.
SECTION I : LA LENTE CONSTRUCTION DU MONOPOLE DES POLITIQUES
AGRAIRES DANS LE TERRITOIRE DU CAMEROUN PAR LES AURORITES ALLEMANDES
De 1884 à 1900, l'engagement des Allemands dans leur
protectorat du Cameroun est à ses débuts. Cette période a
connu le règne de trois chanceliers à savoir : Otto von BISMARCK
de 1871 à 1890 ; Léo CAPRIVI de 1890 à 1894 ; Chlodwig zu
HOHENLOHE-SCHILLINGSFÜRST de 1894 à 1900.
C'est sous le règne de ces trois leaders que commencera
le façonnage des populations du Cameroun. Seulement les méthodes
employées divergeront d'un acteur à un autre, d'où
l'importance de la connaissance de la situation sociale des acteurs. Cette
connaissance est importante du fait qu'elle permet de comprendre comment chacun
d'eux a pu appréhender et utiliser les ressources dont il disposait pour
atteindre ses objectifs (Crozier et Friedberg 1977 : 64).
Quels sont les éléments propres à chacun
de ces trois personnages ayant eu des répercussions sur leur politique
coloniale? De Bismarck à Caprivi, on aura un engagement minimum dans le
protectorat du Cameroun ; mais avec le chancelier
Hohenlohe-Schillingsfürst, l'exploitation de la colonie du Cameroun
prendra une marche plus agressive.
I-
ENGAGEMENT PARTIEL DE L'EMPIRE ALLEMAND DANS LA PRODUCTION DES CULTURES DE
RENTE : DE L'ENGAGEMENT MINIMUM A L'INTERVENTIONNISME RELATIF DES AUTORITES
POLITIQUES ALLEMANDES
Que ce fut sous le règne du chancelier Bismarck ou
celui de Caprivi, la soumission des populations du Cameroun n'était pas
régie par des règles strictes. Ce qui n'a pas facilité
l'intégration de celles-ci. Ceci du fait que les chanceliers n'avaient
pas adopté une politique offensive qui aurait permis une mise au pas
effective des Camerounais. Néanmoins, quoique ce contrôle ne
fût pas poussé, il existait quand même une certaine
différence avec l'époque où les allemands n'étaient
pas encore présents sur le sol camerounais. Ici, nous verrons l'impact
de la vision de l'exploitation agricole de ces chanceliers,
c'est-à-dire Bismarck et Caprivi, sur la formation de l'Etat
camerounais
.
A.
LA MANIFESTATION D'UN CERTAIN DESINTERET POUR L'ENTREPRISE COLONIALE PAR
BISMARCK ET CAPRIVI
Bien qu'identique sur plusieurs aspects, la politique
coloniale des deux chanceliers comportait de légères
différences. Ces politiques étaient influencées par la
vision de ces acteurs. Quelles étaient donc leurs visions ?
1.
Le désintérêt de Bismarck (1871-1890) pour l'entreprise
coloniale
Premier chancelier de l'empire allemand, Bismarck avait une
idée particulière de la colonie. Après une période
marquée par de nombreuses guerres, Bismarck suivait une politique
d'équilibre, laquelle pouvait être mise en danger par les
conquêtes coloniales. De plus, à son avis, les coûts d'une
colonisation dépassaient largement les bénéfices et ne
valaient donc pas la peine (Fark-Grüninger 1995 : 43-44). Pour lui, la
gestion des colonies devait être laissée aux commerçants
qui les avaient créées et non aux bureaucrates. Cette
façon de penser se matérialise avec les signataires du
traité du 12 juillet 1884 où les chefs Doualas, King Bell et King
Akwa ne cédaient pas leur droit de souveraineté à
l'Allemagne, mais à des firmes allemandes représentées par
leurs gérants à Douala (confère annexe
6). Ce n'est que par la suite qu'il y eut une appropriation par le
gouvernement allemand. En effet, bien que les chefs Doualas aient
cédé leurs droits sur le territoire désigné
Cameroun à la maison Woermann, cette dernière avait l'intention
de la rétrocéder au Reich et à l'empereur. «
Cette rétrocession se matérialise par une convention
signée le 12 juillet par les commerçants Allemands et le
commissaire impérial Nachtigal et légalisée par le consul
d'Allemagne au Gabon, Emil SCHULZE » (Nkot 2001 : 24).
L'idée de Bismarck était d'appliquer le
système des compagnies à charte tel qu'il était
pratiqué par l'Angleterre au Nigéria et en Rhodésie.
« Dans un tel système, des firmes commerciales
réunies en compagnie sont chargées de maintenir l'ordre et
d'assurer le gouvernement dans les territoires où elles ont des maisons
de commerce (...) il permettrait à Bismarck d'éviter de lourdes
dépenses qu'occasionneraient l'envoi outre-mer de nombreux
fonctionnaires et surtout de ménager la susceptibilité de
l'Angleterre avec qui il n'entend pas entrer en conflit. Mais nulle part ce
système de compagnie à charte ne donne satisfaction, surtout
quand il s'agit d'appliquer la doctrine de l'hinterland et de délimiter
les frontières des pays. La formule est donc abandonnée »,
(Ngongo 1987 : 45-46).
Par la suite, Bismarck s'est vu contraint d'engager
l'administration allemande dans la gestion des colonies. La politique qui
prévalut fut alors une orientation purement mercantile et le
gouvernement se limita à la protection des nationaux et de leurs
intérêts. Ceci se note dans le comportement du gouverneur par
intérim nommé par Nachtigal, Max Büchner qui, fidèle
à la politique de Bismarck « croyait encore que la colonie
pouvait être efficacement administrée avec 10 ou tout au plus 20
agents et quelques indigènes pour le maintient de l'ordre »
(Etoga Eily 1971 : 151). Seulement, cette politique de l'engagement minimum de
Bismarck qui était soucieux de préserver la puissance
nouvellement acquise de l'Allemagne, rencontrera de farouches oppositions
notamment chez les commerçants installés sur le territoire,
engagés dans les plantations coloniales.
Face à ces diverses pressions, le chancelier nomme le
3 juillet 1885 Julius von Soden comme gouverneur du Cameroun. Ce dernier
répondait au profil d'administrateur des colonies à la
différence de Max Büchner. Toutefois, les élections de 1890
qui voient percer les sociaux-démocrates et le centre catholique
longtemps combattus par Bismarck poussent ce dernier à
démissionner. Guillaume II, attaché au développement de la
puissance militaire et de la richesse de l'empire allemand, va s'engager
après le départ de Bismarck en 1890, dans une politique
d'expansion commerciale, coloniale et maritime. Il nomme le comte Léo
Von CAPRIVI pour le remplacer
2. Un intérêt mitigé de Léo
von CAPRIVI (1890-1894) pour l'entreprise coloniale
Le général Caprivi symbolise l'orientation
nouvelle imprimée à la politique allemande à
l'intérieur et à l'extérieur. Avec lui, on en vint
à admettre de moins en moins de réserve devant l'idée de
la mise en valeur du territoire colonisé. Après avoir
succédé à Bismarck, Caprivi a mené une politique de
« continuité dans le changement ». Ce que Bismarck avait
amorcé sur le plan colonial, Caprivi l'achève avec peu
d'enthousiasme. N'étant pas un fervent partisan de l'expansion
coloniale, il a préféré gérer les acquis.
Lui-même disait en 1894 en ironisant sur son enthousiasme
modéré pour l'expansion coloniale ceci :
« Je crois que j'éprouve pour les colonies la
chaleur que m'impose ma charge et qui me paraît souhaitable pour la
prospérité de nos colonies, dans l'intérêt de
l'Allemagne. Mais je crains de ne pouvoir jamais parvenir au degré de
chaleur qui me ferait souhaiter de transformer toute l'Afrique en une
possession allemande même si je me trouvais dans un état de
chaleur fébrile ».
Comme on le constate, ces deux chanceliers ne voyaient pas
l'importance d'une prise de possession plus poussée de la colonie du
Cameroun. Que ce fut Bismarck qui n'avait au départ aucune envi
d'engager l'empire dans la course aux colonies, ou Caprivi qui s'y est
engagé bien que modérément, la politique des deux
chanceliers n'a pas favorisé l'émergence d'une exploitation
économique poussée du protectorat du Cameroun. Ce laxisme peut
être expliqué par le fait que tous les deux étaient des
militaires mais surtout par le fait que le véritable problème
d'une organisation effective de la colonie ne s'était pas encore
posé. Ceci à cause de la pacification du pays par les forces
armées allemandes.
Ne peut-on pas aussi voir cette timide imbrication de l'Etat
dans les affaires coloniales comme le manque d'intérêt de celui-ci
pour les préoccupations coloniales ? Ce manque
d'intérêt peut être expliqué par la situation
agricole prévalant en Allemagne. Dans le souci de résorber les
effets de la crise, l'Allemagne avait mis sur pied une politique
protectionniste et ne pouvait pas dans ce contexte chercher à investir
ces capitaux hors du contexte national. Cette situation peut donc expliquer
dans une certaine mesure la raison pour laquelle se sont d'abord les acteurs
privés qui se sont intéressés à l'aventure
coloniale car le protectionnisme était néfaste pour les
investissements comme on l'a vu au chapitre précédent. Coloniser
supposait engager des capitaux pour mettre sur pied une administration
coloniale. Comment se ressentira donc ces hésitations dans le processus
de construction étatique ?
B.
LE BALBUTIEMENT SUBSEQUENT DE L'ENGAGEMENT DE BISMARCK ET DE CAPRIVI DANS LES
CONQUETES COLONIALES
Parlant de l'exploitation des terres du Cameroun, Harry RUDIN
dit «that in 1884 the exploitation of the country by plantations had
not been the primary intention of the Germans», (Ardener E., Ardener
S., Warmington 1960: 30). En effet, durant le règne de Bismarck, il
n'existait presque pas d'instruments juridiques, politiques, administratifs
démontrant un engagement du pouvoir allemand au Cameroun. Ceci ne veut
pas dire que les Allemands n'entreprenaient aucune oeuvre garantissant leur
pouvoir. Au contraire, on note qu'en 1889, un jardin botanique avait
été crée sur l'initiative du gouverneur Julius von Soden
pour soutenir l'aménagement des plantations de cacao, et étendre
ainsi, peu à peu, le champ des expériences agricoles (Etoga Eily
1971 : 191).
Par ailleurs, quoiqu'ayant un enthousiasme
modéré, la gestion du protectorat du Cameroun sera
différente sous le chancelier Caprivi. Toutefois, les deux règnes
seront marqués par une politique non agressive de l'empire dans ses
colonies. Cette quasi absence eut des répercussions sur l'acquisition
des terres, une centralisation du pouvoir de la part des autorités de
Berlin.
1. La centralisation du dispositif institutionnel
Les fonctions du gouverneur des colonies étaient
très limitées. Dès 1886, la «constitution
coloniale» stipule que « le gouverneur signe des ordonnances pour
organiser l'administration générale. Mais pour être
promulguées, ces ordonnances doivent être soumises à
l'approbation du chancelier » (Ngongo 1987: 47). Cette limitation du
pouvoir des autorités coloniales qui devaient généralement
attendre les ordres de l'Allemagne a contribué à
l'ineffectivité du pouvoir politique allemand au Cameroun. Cette
centralisation a eu des conséquences sur les décisions des
gouverneurs comme ce fut le cas de von Soden, gouverneur du Cameroun de 1885
à 1891. En effet, voulant que l'administration intervienne dans la
gestion des programmes scolaires, Von Soden avait essayé dans les
années 1890, de faire admettre un programme uniforme par toutes les
sociétés missionnaires en présence. La tentative buta
à la volonté unanime des missions d'éviter toute
ingérence administrative dans l'enseignement de l'instruction religieuse
(Essiben 1980 : 37). L'administration ne fit rien pour régler le
problème. Il faudra attendre les années 1900 pour que cette
dernière, dans le souci de se procurer une main-d'oeuvre
qualifiée, trouve cette ingérence indispensable. Du fait que le
langage est un élément primordial dans la socialisation des
populations, cette absence de soutien aux initiatives du gouverneur montre bien
que sous les règnes de Bismarck et Caprivi, il n'existait pas encore de
véritable volonté politique allemande de posséder des
colonies et encore moins de s'y engager financièrement. Cette situation
va influencer la mise en place d'une administration effective au Cameroun.
La présence des décideurs étant moindre,
certaines populations du territoire n'étaient pas encore entrées
en contact direct avec l'administration allemande. Ceci fait qu'on se retrouve
avec des pans du territoire où les institutions politiques
traditionnelles ont encore tout leur pouvoir et par conséquent avec des
micros Etats. Ce laxisme eut des conséquences sur l'acquisition des
terres à cette époque.
2. L'abandon progressive de la spéculation
foncière et l'acquisition des plantations par les Allemands
Sous le gouverneur von Soden qui a servi sous les ordres de
Bismarck et Zimmerer (1891-1895) qui a servi sous le chancelier Caprivi, il
n'existe pas de système défini pour l'acquisition des terres
(Ardener et al 1960 : 311). L'acquisition des terres se négociait
directement avec les autochtones. Ces derniers ne maîtrisant pas le
système monétaire allemand se faisaient tromper. Il va falloir
attendre les années 1896 pour voir l'institution de la commission
foncière qui régira les transactions concernant les terres entre
les populations natives et non-natives. Avant l'arrivée de celle-ci, les
abus étaient tellement exagérés qu'en
«1889, Gustav MEINECKE, qui assurait depuis 1884 le
Secrétariat général de la Ligue Coloniale et la
rédaction de son organe officiel de presse, la «Deutsche
Kolonialzeitung«, démissionna de son poste et entama un combat
à peine voilé contre les mandarins de la ligue. Dans son ouvrage:
Wirtschaftliche Kolonialpoloti, publié en 1900, il
porta des attaques directes contre ses anciens patrons, et proposa une
réforme profonde de toute la gestion coloniale ».
C'est durant cette époque où régnait les
spéculations foncières que certains opérateurs
économiques allemands vont acquérir d'immenses espaces. Ce sera
le cas d'Adolph Woermann, homme d'affaire, membre du Reichstag et grand
investisseur dans le territoire du Cameroun, qui va créer la
Gesellschaft sud-kamerun. Il siégeât au Reichstag de 1884
à 1890 et sa seule préoccupation fut « de dégager
ses affaires de tout frein législatif, étant donné
qu'à cette époque, le grand nombre des membres du Reichstag ne
demandaient qu'à voir toute tentative de colonisation sombrer dans un
complet échec », (Etoga Eily 1971 : 139). C'est ainsi que ceux
qui avaient des profits dans les colonies faisaient partie pour la plupart de
la Ligue Coloniale12(*)
comme:
* Wohltmann, Expert agricole, éditeur du magazine
Der Tropenpflanzer et parmi les membres influents du conseil
économique de la Deutsche kolonialgesellschaft, il acquit en
1885 les terres des natifs de Bimbia (Gwanfogbe 1975 : 28) ;
* Docteur Julius Scharlach, avocat, membre influent du conseil
économique de la Deutsche kolonialgesellschaft, actionnaire
dans plusieurs sociétés coloniales telle la Gesellschaft
sud-kamerun ;
* Thormählen, commerçant bien connu, membre du
comité économique de la Deutsche kolonialgesellschaft et
propriétaire des terres de la côte de Bakoko en 1885(Gwanfogbe
1975: 28).
Toutefois, avec l'arrivée du chancelier Chlodwig zu
Hohenlohe-schillingsfürst en 1894, on passe à une politique
coloniale plus agressive qui s'observe par le biais des initiatives coloniales.
En effet, en 1894, le gouverneur Zimmerer commence une supervision stricte des
transactions terriennes (Ardener et al 1960 : 312). Le règne de ce
nouveau chancelier ira de pair avec ceux d'hommes politiques et administrateurs
coloniaux partisans de sa vision tel Jesko von PUTTKAMER, qui sera plus tard
gouverneur. C'est sous le chancelier HOHENLOHE-SCHILLINGSFÜRST que
l'empire allemand commencera à édicter des règles
juridiques organisant l'exploitation des cultures de rente au Cameroun. Nous
verrons donc comment son arrivé permettra aux Allemands d'instaurer leur
pouvoir politique et d'assurer la régulation sociale de ce vaste
espace.
II-
DE L'INTERVENTIONNISME RELATIF DANS L'EXPLOITATION ECONOMIQUE DU CAMEROUN A LA
VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE
Avec l'arrivée du chancelier Chlodwig zu
Hohenlohe-Schillingsfürst en 1894, l'exploitation du territoire du
Cameroun passe de sa phase passive à une phase plus agressive.
Toutefois, une bonne exploitation des potentialités qu'offrait le
territoire du Cameroun étant dépendante de l'établissement
d'une politique stable et régulier, nécessité se faisait
donc sentir à partir de cette période d'instaurer des
règles juridiques observables par toutes les populations qu'elles soient
blanches ou noires vivant sur le territoire du Cameroun. Le besoin de
régulation appelle donc à l'instauration des règles qui
deviendront une manière légitime de penser et de faire chez les
populations locales. Cette institution qui, du fait de sa
régularité deviendra normale dans la vie quotidienne des
populations noires résidant sur le territoire camerounais subira
plusieurs rebondissements. Pour comprendre le changement radical apporté
par ce nouveau chancelier, nous devons au préalable chercher à
répondre à la question : qui est-il ? De même qu'à
comprendre le contexte de son règne.
A.CHLODWIG ZU HOHENLOHE-SCHILLINGSFÜRST
(1894-1900)
A Caprivi modérément pro-colonial, va
succéder le chancelier Hohenlohe-schillingsfurst, un homme parfaitement
acquis à la cause coloniale. En effet, proche parent du président
de la ligue coloniale allemande, le prince Hohenlohe-Langenburg, le nouveau
chancelier s'était déjà montré ardent partisan de
la colonisation allemande dès 1880 en défendant devant le
Reichstag les premiers dossiers coloniaux allemands (Oloukpona 1986 : 104).
C'est sous son règne que fut crée le slogan expansionniste
allemand « nous voulons notre place au soleil » ; c'est
aussi à cette époque que l'empereur Guillaume II déclarait
publiquement ses ambitions mondialistes. L'avènement de
Hohenlohe-Schillingsfurst comme chancelier du Reich ne pouvait ne pas apporter
un changement décisif dans la politique coloniale de l'Allemagne.
La première conséquence d'un chancelier
expansionniste fut un nouveau dynamisme dans la conquête territoriale.
Avec lui, on aura le décret impérial de juin 1896 portant sur la
création, la prise de possession et l'aliénation des terres de la
couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le
territoire du Cameroun et qui peut être considérée comme la
loi de la politique terrienne de base.
Ce souci de conquête territoriale entraîne la
deuxième conséquence. On voit émerger une nouvelle
conception de la gestion économique des colonies, notamment avec
l'avènement des grandes sociétés concessionnaires. Or,
étant donné que l'accroissement de l'activité
économique allait de pair avec l'extension du service administratif,
cette dynamique va profondément modifier l'environnement camerounais.
Cet aspect contribue à la mise en administration de la
société camerounaise dans la mesure où « la
modification de l'environnement contribue à une spécialisation
poussée des gouvernants et des mécanismes de gouvernement
» (Lagroye 1991 : 45). Dans ce contexte, on va assister à
l'instauration d'un centre de décision qui établira son
hégémonie sur l'ensemble du territoire. Les pouvoirs du
gouverneur seront accrus et la mise en valeur des colonies sera amorcée
de façon ferme.
Bref, la nomination en 1894 de ce chancelier a
constitué un revirement colonial radical dont les conséquences
furent presque immédiates dans les territoires sous domination allemande
dont le Cameroun. Avec ce chancelier, on notera une floraison de textes
juridiques et une réorganisation de la configuration sociale.
B.HOHENLOHE, LA VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE ET
LA REGULATION SOCIALE AU CAMEROUN
Cette régulation va s'observer avec les mesures
juridiques pour l'organisation des terres, notamment avec la
nécessité pour les colons de se procurer de la main d'oeuvre. La
réquisition de ces ouvriers des plantations eut des conséquences
sur la cohésion sociale ou sur la naissance d'une nation
camerounaise.
1. L'apprentissage de la culture de nouvelles plantes
par les ouvriers Camerounais des plantations allemandes
L'agressivité des nouvelles politiques agricoles du
Cameroun va créer un besoin urgent des ouvriers-autochtones pour les
plantations européennes. Ceci aura pour conséquence
l'apprentissage de la culture de nouveaux produits agricoles par les
camerounais mais surtout, cet apprentissage poussera les camerounais à
se conformer aux normes législatives allemands régulant
l'exploitation de ces cultures.
a. De la nécessité de la main-d'oeuvre
indigène pour les plantations allemandes (....)
Avec Hohenlohe-Schillingsfürst, c'est l'avènement
dans la colonie du régime des grandes concessions. Il va donc se poser
le problème de main d'oeuvre agro-commerciale surtout dans la
région du Mont-Cameroun (Buéa, Victoria, Bibundi, Debundscha).
Les plantations ont des proportions géographiques immenses et elles
regroupent en leurs seins plusieurs villages locaux (voir cartes en annexe 3 et
4). On aura entre autres des plantations comme la West Afrikanische
Pflanungs Gesellschaft Victoria en abrégé W.A.P.V,
fondée en 1897. Elle avait une superficie de 15000 hectares. Celle-ci
pratiquait la culture du cacao et du caoutchouc ; elle avait 4000 hectares pour
la culture du cacao. Ces proportions illustrent la nécessité de
la main d'oeuvre locale pour les allemands
Ceci d'autant plus que le taux de mortalité des
Européens dans les tropiques fit comprendre aux administrateurs
allemands qu'il fallait intégrer, pour les services de l'économie
coloniale, le colonisé dans l'appareil de production (Kaptue 1986 : 23).
En effet, le docteur Frédéric Plehn, premier officier
médical du gouvernement dans le protectorat, avait effectué des
recherches spéciales sur la mortalité des Blancs au cours de la
première décennie de l'occupation allemande. Le docteur Plehn
établira donc le taux de mortalité occidentale comme suit :
Tableau 1 : Pourcentage
des décès des populations blanches de 1890 à 1894 dans le
territoire du Cameroun
Année
|
Nombre de décès
|
Pourcentage
|
1890 - 1891
|
18 décès sur 170 Européens
|
Soit 10,6%
|
1891 - 1892
|
25 décès sur 166 Européens
|
Soit 15%
|
1892 - 1893
|
17 décès sur 220 Européens
|
Soit 8%
|
1893 - 1894
|
25 décès sur 215 Européens
|
Soit 11,4%
|
Source : Etoga Eily, Sur le
chemin du développement, CEPMAE, Yaoundé, 1971, p.251
Sur 100 fonctionnaires du gouvernement envoyés au
Cameroun, 17 étaient en service au début de l'année 1884,
23 étaient rentrés chez eux en bonne santé, 18 morts de
malaises climatiques et 6 de mort violente ; quant aux 8 qui restaient, ils
avaient été licenciés prématurément pour
diverses raisons. La mission de Bâle avait envoyé 30 missionnaires
au Cameroun entre 1886 et 1893 ; de cet effectif, on enregistra 10
décès dont 8 de malaria et 2 par noyade. Enfin, 5 avaient
été évacués pour des raisons de santé (cf.
Amtsblatt für Kamerun du 15 mai 1909, p.83).
Il devenait donc nécessaire de recruter la
main-d'oeuvre locale et bon marché. RUDIN H. résume bien la
situation lorsqu'il affirme que:
«Worked were needed for the plantation, for the
transportation of traders goods, and for the clearing of jungle for railrood.
The employment of large numbers of white men for such task in tropical Africa
was unthinkable. Very early the Germans realized that the best asset they had
for the exploitation of the ressources of the Cameroons was the native, for
without his labour nothing could be done », (Kaptue 1986 : 21).
Devant ce besoin de travailleurs des plantations, les
propriétaires terriens allemands vont se mettre à la recherche de
travailleurs. Comme le note Zacharie Saha (1993 : 81),
«De nombreuses firmes agro-commerciales se sont
installées dans la région. Depuis la création de la
concession la Gesellschaft Nordwest-kamerun en 1899, toute la région des
Grassfields était l'objet d'un vif intérêt chez les
agriculteurs et les commerçants. Les explorations commerciales de
Zintgraff à Bali surtout et celles de Conrau en pays Bangwa ont ouvert
la région aux appétits des colons. Les conditions naturelles
ainsi que la forte concentration humaine, constituaient un facteur
économique attrayant ».
De ce qui précède, on note que le système
capitaliste commence à être appliqué. Or, les plantations
capitalistes par définitions âpres au gain, on observera la mise
sur pied pour le recrutement de la main d'oeuvre locale d'un ensemble de
mesure. De la razzia à la réquisition, ce recrutement
s'effectuera aussi par le biais des contrats de travail13(*). Ces mesures contribueront
à l'apprentissage par les Camerounais de nouvelles techniques agricoles.
Ce besoin de main d'oeuvre participe à la mise en discipline des
populations camerounaises dans la mesure où ce sont les Allemands qui
détermineront les méthodes de recrutement.
b-(...) à l'apprentissage de la culture des
nouvelles plantes par les Camerounais
Cet apprentissage ira de pair avec l'encouragement des
Allemands et favorisera par la même occasion la vulgarisation des
techniques agricoles.
Le palmier à huile était déjà
exploité par les indigènes pour l'huile de palme. Les noyaux durs
étaient jetés. Ces pratiques étaient
dénoncées par le Docteur Preuss et on pouvait évaluer
à 23 millions les sommes ainsi gaspillées pour l'économie
camerounaise. Après que le Docteur Haake eut inventé une machine
permettant une meilleure exploitation du palmier à huile, les
résultats apparurent particulièrement réconfortants (Etoga
Eily 1971 : 163). Les populations camerounaises apprenaient ainsi de nouvelles
techniques agricoles.
Toujours dans le souci de faire participer les Camerounais au
développement des cultures de rente, l'assistant agronome Berger ira
encourager la culture du cacao par les indigènes dans la région
du Mungo14(*). En plus, en
1913, un "guide pour la culture du cacao par les indigènes " produit par
le centre d'essais agricoles de Victoria sera mis en projet par les
Allemands15(*).
Les cultures les plus en vogue étaient le cacao et le
caoutchouc. Le docteur Preuss, alors directeur de la station scientifique de
Barombi, dénonça en 1889 les méfaits des méthodes
indigènes d'exploitation car elles pouvaient à la longue
entraîner la destruction des arbres. A cela s'ajoutait le fait que le
caoutchouc indigène inspirait d'autant moins confiance qu'il
était souvent additionné de sable destiné à
renforcer le poids de la vente (Etoga Eily 1971 : 214). Le problème de
fond restait lié à la formation des producteurs indigènes
mais aussi à la construction des routes en vue de faciliter
l'évacuation du caoutchouc en Europe.
Le domaine de la production indigène s'était
élargi de façon sensible dans les dernières années
du protectorat allemand et ceci peut se comprendre par l'accroissement du
nombre de producteur indigène formé par les Allemands.
L'apprentissage de la culture de nouvelles plantes participe
à la construction de l'Etat camerounais dans la mesure où c'est
une même autorité administrative qui décide des acteurs
devant cultiver un produit ou encore de quelle façon ces plantes
devrontt être cultivées. Or comme construire l'Etat suppose
soumettre le territoire mais aussi mettre en discipline la population, nous
pouvons dire de ce qui précède que le changement de mode de
production par l'apprentissage de nouvelles techniques agricoles participe
à l'émergence de l'Etat camerounais.
2. L'émergence d'une cohésion
sociale
Le regroupement de plusieurs villages dans un même
espace agricole appartenant à un propriétaire allemand va
contribuer à la cohabitation forcée des populations de ces
unités politiques. Le découpage des plantations ne respectait pas
toujours les frontières des unités traditionnelles
présentes dans cet espace. En effet, l'observation de la carte 3
et 4 montre comment les villages qui se trouvaient
dans une même concession étaient regroupés pour former des
réserves. L'appartenance à un même espace
géographique participera à la naissance d'une identité
commune et ces frontières définissent « l'unité
politique des frontières identitaires des nations, celles d'un
«nous« dont le contenu est marqué par des pratiques nationales
nourries d'expériences historiques » (Kastoryano 2005 :
14).
Par ailleurs, comme nous l'avons vu au chapitre
précédent, les lois foncières qui seront
promulguées pour la première fois au Cameroun seront suivies par
les populations locales au risque de voir considérer leurs terres comme
étant sans maître. Ces lois auront le mérite de diminuer
les spéculations foncières et les populations locales y
trouveront un moyen de protéger un espace dont l'appartenance n'avait
pas encore été remise aussi rudement en question. Le fait
d'obéir aux mêmes lois, et de vivre sur un espace territorial
désormais définit par une autorité politique qui s'impose
à tous va forcément créer des liens entre des populations
qui jusque là entretenaient pour la plupart soit des relations
conflictuelles, soit des relations de bon voisinage, chacun respectant le
territoire de l'autre.
En plus, l'organisation de l'écoulement des produits de
rentes va contribuer à la naissance de cette cohésion. En effet,
l'acheminement de ces produits vers les ports qui devaient les conduire aux
lieux de distribution nécessitait toute une organisation. A titre
illustratif, l'exploitation du caoutchouc sylvestre cultivé dans la
région de l'Est est révélatrice à ce sujet.
Récolté par la Gesellschaft Sud-Kamerun, dans la circonscription
de Yokadouma et acheminé principalement dans les circonscriptions de
Lomié, Doumé, Ebolowa et Yaoundé, le caoutchouc sylvestre
est acheminé par porteurs vers le port de Kribi (Etoga Eily 1971 : 364).
Ces longs trajets ne manquaient pas de créer des contacts entre des
populations qui venaient d'origine diverse et qui jusqu'alors ne se
côtoyaient pas pour la plupart. On voit en quelque sorte le passage de la
communalisation à la sociation car, n'ayant plus uniquement en commun
leur origine, leur histoire, ces contacts font naître des
intérêts autres qui lient ces personnes entre elles. La
société n'existant pas en soi, ce n'est que l'agrégation
d'intérêts, la naissance d'un intérêt commun qui
favorise son existence. Ceci s'accentuera dans les années 1900 avec
l'essor économique du territoire du Cameroun.
SECTION II: DES POLITIQUES AGRICOLES ALLEMANDES OFFENSIVES A
L'EMERGENCE PROGRESSIVE DES STRUCTURES GENERATRICES DES SYSTEMES DE CONTROLE
DES POPULATIONS CAMEROUNAISES
La période allant de 1900 à 1914 marque l'essor
économique de la colonie du Cameroun. Avec l'avènement des hommes
politiques tels le chancelier von BÜLOW en 1900 et celui du
secrétaire d'Etat aux colonies en la personne de Bernhard DERNBURG en
1906, l'exploitation économique du Cameroun prend un tournant
décisif. Etait-ce dû à la victoire de la
société coloniale lors des élections de 1906 ? Ou
était-ce dû à la création d'un ministère des
colonies ? Toujours est-il qu'on va assister à l'instauration d'un
système de grandes plantations, mais aussi à une
décentralisation de l'administration. En effet, avec l'avènement
des ordonnances du 10 septembre 1900, on verra se préciser les
attributions du gouverneur. Ceci va s'observer avec l'efficacité du
gouverneur Puttkamer (1895-1907) qui est celui qui a le plus oeuvré pour
la mise au pas des populations locales. On verra ici la réorientation
des modes d'exploitation et la socialisation des populations locales par le
biais de l'école.
I-
L'AVENEMENT D'UNE POLITIQUE AGRICOLE ALLEMANDE PLUS AGRESSIVE
Le Cameroun étant une colonie d'exploitation, la
rentabilité des investissements exigeait une intégration rapide
du colonisé dans les circuits de production. Cet objectif sera
mené à bien par les nouveaux dirigeants. Qui sont-ils ?
A.VON BÜLOW, BERNHARD DERNBURG, Theobald von
BETHMANN-HOLLWEG ET L' INTERVENTIONNISME DE L'EMPIRE ALLEMAND DANS
L'EXPLOITATION ECONOMIQUE DU CAMEROUN
Bülow sera chancelier de l'empire allemand de 1900
à 1909, B. Dernburg sera secrétaire d'Etat des colonies de 1906
à 1910 et Théobald von Bethmann-Hollweg sera chancelier de
l'empire allemand de 1909 à 1914. C'est sous le règne de ce
dernier que l'empire allemand va de plus en plus investir ses capitaux dans la
colonie du Cameroun. Les acteurs privés se trouvent maintenant
concurrencés par l'Etat qui n'assume plus seulement le rôle de
protecteur des intérêts privés allemands, mais qui devient
désormais aussi un agent économique. Nous verrons ici comment
à partir de ces trois acteurs, l'Allemagne va de plus en plus
s'installer au Cameroun et dans le souci de rendre plus lucratif leur
investissement, l'Allemagne va participer à la mise en discipline des
Camerounais.
1. Bülow, Dernburg et
l'avènement d'une politique agricole plus agressive au Cameroun
Avec des parents familiarisés aux fonctions politiques,
son grand oncle, Heinrich von Bülow était ambassadeur de Prusse en
Angleterre de 1827 à 1840 et son père, Bernhard Ernst von
Bülow, diplomate et secrétaire d'Etat au ministère des
affaires étrangères de Prusse, il semble évident
qu'après avoir servi dans la guerre Franco-Prussienne de 1870, Bernhard
von Bülow choisisse une carrière dans la fonction publique
prussienne et la diplomatie. Attaché à l'ambassade allemande de
Paris dès 1876, il fut nommé second secrétaire à
l'ambassade en 1880, puis premier secrétaire en 1884. En 1897, il fut
nommé secrétaire d'Etat du Prince Hohenlohe au Ministère
des affaires étrangères prussien. Après la
démission de Hohenlohe en 1900, il fut désigné chancelier
de l'Empire et Premier ministre de la Prusse. C'est sous le chancelier
Bülow que l'ordonnance impériale concernant les droits fonciers
dans les protectorats allemands du 21 novembre 1902 sera adoptée. Par
ailleurs, l'ordonnance du 1er février 1905 imposant
officiellement le mark au Cameroun est arrêté et en 1902, une
véritable législation du travail est mise sur pied. C'est lui qui
nommera B. Dernburg à la tête du secrétariat d'Etat.
Initiateur de plusieurs réformes qui permettront une
gestion saine des colonies, Dernburg est considéré comme celui
qui a rendu les colonies économiquement prospères.
Issu d'une grande famille juive allemande, Bernhard Dernburg
(1865-1937) se lança pleinement dans la politique après une
première et brillante carrière de banquier. Il devint
secrétaire d'Etat puis ministre au bureau des Colonies, puis enfin, sous
Weimar, ministre des finances. Dès sa nomination en tant que
secrétaire d'Etat, Dernburg manifeste un premier souci :
"Tirer les leçons de l'expérience coloniale
anglaise pour l'ensemble des colonies britanniques d'Afrique, les offices de
Londres, les Etats-Unis d'Amérique où se cultive le coton. Il
prend ainsi conscience du fait que l'intérêt de l'économie
allemande est lié à l'amélioration des conditions de vie
des indigènes et des fonctionnaires allemands des colonies" (Ngongo
1987 : 54).
On remarque que se sont désormais des hommes politiques
qui prennent les rênes de l'administration allemande. Ces deux hommes
à travers des politiques diverses vont asseoir le pouvoir allemand dans
les régions du Cameroun que contrôlait l'empire. Que se soit
Bülow ou Dernburg, les deux sont des hommes d'expérience dans la
gestion des colonies. Surtout que, Bülow a travaillé avec le
chancelier Hohenlohe qui a été comme on l'a vu celui qui a
mené le premier une politique économique offensive. Mais surtout,
le règne des deux coïncidera avec la victoire aux élections
de 1906 de la société coloniale qui était l'une des
ferventes partisanes de l'engagement de l'empire allemand dans l'exploitation
économique de ces territoires d'outre-mer. Tout ceci aura une influence
sur la réglementation du travail au Cameroun et sur les investissements
publics de l'Allemagne.
2. Théobald von
Bethmann-Hollweg (1909-1914) et l'investissement des capitaux publiques de
l'empire allemand
Sous son règne, on observera de plus en plus une
franche intervention de l'Etat allemand dans la mise en valeur du territoire du
Cameroun. Sa politique s'inscrira dans la continuité de celle de von
Bülow car c'est sous son règne que le gouvernement allemand
initiera des mesures afin d'améliorer les conditions de vie des
autochtones essayant de limiter ainsi les taux de mortalité des
ouvriers. De nombreux investissements initiés par le gouvernement
allemand vont s'effectuer sans laisser indifférents les acteurs
privés surpris de ce nouvel état de chose.
En effet, dans la lecture des échanges de
correspondance qui eut lieu entre des commerçants et le gouvernement, on
note une certaine surprise des acteurs privés. La première lettre
date du 11 mars 1914 et est adressée au gouverneur du Cameroun
(Ebermaier) et est signée du directeur de la westafrikanische
Pflanzungsgasellschaft. En voici le contenu tel que reproduit par
Etoga Eily (1971: 293) :
" Notre succursale de Campo nous apprend, par la
dernière occasion que le poste de Campo fait depuis longtemps
pêcher ses prisonniers et vend le poisson aux indigènes à
très bon marché. Ces agissements du poste paralysent à peu
près complètement le commerce du stockfish pour les factoreries
de la localité : les stocks se gâtent et il en résulte
pour les firmes représentées des pertes considérables. Une
démarche auprès du chef de poste est restée sans
résultat. C'est pourquoi nous prenons la liberté de demander au
gouvernement impérial si le poste de Campo a le droit de se livrer
à ce commerce du poisson. Telle étant l'affaire, nous prions le
gouvernement impérial d'interdire au chef de poste de Campo la vente de
poissons aux indigènes. Nous serions reconnaissants d'obtenir une
réponse rapide sur le présent cas, etc.... "
W. VAN DE LOO
Mais la réponse du gouvernement ne fut pas aussi rapide
comme le souhaitait le commerçant car elle n'intervint que le 22 mai
1914. Bien plus, loin de faire droit aux revendications des commerçants,
le gouvernement ne cacha pas l'intérêt qu'il portait à
cette activité. Voici le texte de cette réponse (Etoga Eily
1971 : 294) :
" Je ne puis faire aucune opposition à l'exercice
de cette pêche. Je me félicite au contraire de ce que le poste
s'efforce d'assurer à la population de la colonie un aliment frais, peu
coûteux et produit naturellement. Il est absolument de
l'intérêt de la colonie d'utiliser les richesses naturelles. Je
considérerais comme l'effet de vues étroites de négliger
cet intérêt général uniquement pour soutenir
artificiellement un commerce qui fournit à la population une
alimentation à la fois chère et plus mauvaise. La poste n'a eu en
vu que cet intérêt général, sans viser à
créer une concurrence pour les factoreries : preuve en soi que la
poste a proposé aux factoreries la vente de l'excédent du
poisson ; mais, les factoreries ont décliné cette
proposition. L'entreprise du poste, d'autre part, est absolument dans la
direction des efforts réalisés par l'administration,
spécialement dans ces derniers temps, pour intensifier la pêche
dans la colonie. Je voudrais profiter de cette occasion pour faire comprendre
aux entreprises de la colonie, qu'elles devraient seconder ces efforts et
établir des exploitations analogues. A cette fin, j'envoie copie de la
présente lettre à la chambre de commerce du Sud-Cameroun et
à l'Association des commerçants du Nord et du centre-Cameroun,
sans nommer de firme",
Par délégation : Kundt D.
Ces textes traduisent les divergences de vues qui avaient
toujours opposés les commerçants et le gouvernement pour
l'application dans le protectorat d'une politique économique
idéale. Quoiqu'il en soit, l'intervention effective du gouvernement
allemand dans l'exploitation du Cameroun aura comme conséquence un
accroissement du contrôle des populations. Ceci parce que dans l'optique
de pourvoir le besoin de plus en plus croissant des plantations en
main-d'oeuvre, les autorités politiques de la décennie 1900-1914,
s'étaient très vite rendu compte qu'il fallait améliorer
les conditions de vie des autochtones afin d'accroître leur rendement.
Cet interventionnisme se ressentira au niveau des institutions
foncières afin de limiter la spéculation et de rendre plus
efficace la gestion administrative du territoire.
B-
ACCELERATION DE L'EXPLOITATION AGRICOLE ET REGLEMENTATION DU TRAVAIL DANS LA
COLONIE DU CAMEROUN : DE LA COMMISSION FONCIERE A L'INSTAURATION DE
L'IMPÔT
Le changement de politique d'exploitation des produits de
rente dans les colonies allemandes s'observera non seulement à travers
l'amélioration des conditions de vie des populations blanches et
africaines mais aussi par une série de mesures telle que l'instauration
de l'impôt. Le premier signe du changement de politique est la mise sur
pied en 1902 de la commission foncière. Après avoir vu ce qu'il
en est de cette commission, nous nous attarderons par la suite sur l'impact
qu'aura l'impôt sur le contrôle des populations locales.
1.
Le renforcement des capacités institutionnelles à travers la
création de la commission foncière
L'instauration d'une commission foncière était
due aux problèmes de spéculation des terres. Malgré
l'ordonnance souveraine du 15 Juin 1896 et l'arrêté du chancelier
Hohenlohe-Schillingsfürst du 17 Octobre 1896, les spéculations
foncières dans le territoire du Cameroun allaient bon train. Afin de
limiter les contestations entre établissements européens et
indigènes relativement aux terrains réservés à ces
derniers, le gouverneur du Cameroun promulguera un arrêté le 10
octobre 1904 portant sur les terres de la couronne. Le paragraphe 1 de cet
arrêté précise qu'il sera désormais institué
dans chaque circonscription administrative une commission foncière.
« La commission foncière se compose du chef de la
circonscription ou suivant le cas du chef de poste ou de leur remplaçant
et d'au moins deux assesseurs ». Pour le gouverneur Puttkamer qui
était en poste au Cameroun, les assesseurs devront être choisis
d'abord parmi les missionnaires, les planteurs ou les commerçants
à défaut parmi les fonctionnaires résidant dans le
voisinage du terrain à incorporer au domaine de la couronne. On voit
donc que loin d'être une mesure favorable aux indigènes, la
commission foncière est plutôt nécessaire pour les besoins
de la colonisation. En effet, le paragraphe 5 de ce même
arrêté stipule que,
« Lors de la détermination des terres de la
couronne il y a lieu de laisser aux indigènes, en outre des terrains
bâtis et habités par eux, une surface d'au moins six hectares par
case. Si cela paraît insuffisant à cause de la nature du sol ou
à cause de l'activité économique des indigènes ou
pour d'autres raisons, ou bien si cette surface ne permet pas d'atteindre une
limite naturelle, la surface à laisser aux indigènes sera
augmentée en conséquence »16(*).
Cette commission s'ajoutait sur la longue liste des
instruments dont disposaient les Allemands pour contrôler les ressources
disponibles au Cameroun. Cette loi spécifiait de manière claire
qui était désormais les nouveaux maîtres de la terre
puisque ce sont les Allemands qui décidaient des parcelles de terres
à laisser aux « indigènes ». On assiste à une
subordination des chefs locaux car les nouveaux textes les inféodent. En
effet, il est clairement noté au paragraphe 2 que seront invités
à assister aux séances les chefs des villages
intéressés ; en plus, pour la protection des droits des
indigènes, un tuteur leur sera assigné. Seulement, la fonction du
tuteur est honorifique et la dernière parole revenait au gouverneur.
Tout ceci montre la dépossession des biens des autochtones.
Par ailleurs, cette commission était bien
organisée car après chaque séance était
dressé un procès verbal. Au procès verbal était
joint un croquis aussi exact que possible des terres prises. Les procès
verbaux étaient numérotés et réunis en un dossier
spécial. Sur demande, toute personne avait la possibilité de
prendre connaissance de ces actes et une copie de chaque procès verbal
était envoyée aussitôt au gouverneur pour approbation.
Bien que ceci puisse faire croire en une protection des droits
des autochtones, il était plutôt question ici «
d'éviter que par suite d'aliénation répétées
de la part des indigènes il soit empiété d'une
façon indésirable sur les terrains du domaine devant faire
l'objet de concession ». Ce gouverneur, qui n'était autre que
Jesko von Puttkamer, affirmait que le but recherché dans la
délimitation aussi rapide que possible des terrains qui devaient
être considérées comme faisant partie du domaine et de ceux
qui devaient être réservés aux indigènes est en
premier lieu d'éviter les contestations entre les établissements
des deux groupes.
Cette commission bien que nécessaire aux Allemands
contribuera à travers l'organisation de la possession des terres
à la mise en discipline des populations. Notamment avec l'institution
d'un canevas pour la possession des terres s'adressant autant aux autochtones
qu'aux populations blanches résidant sur le territoire. A coté de
cette commission, s'ajoutera l'impôt.
2.
L'instauration de l'impôt et son impact sur le contrôle des
populations camerounaises
Le colonisateur n'a pas débarqué au Cameroun
avec de la main d'oeuvre. L'une des méthodes de recrutement de la main
d'oeuvre était l'imposition. L'impôt de capitation (kopfsteuer) ou
par tête a été expérimenté pour la
première fois chez les doualas en 1903. Malgré la vive
résistance qu'il rencontrera chez ce peuple, on assiste à
l'avènement de l'impôt de case appelé Huttensteuer (Saha
1993 : 62). En 1907, cet impôt s'étendra à tout le
territoire. Toutefois, l'imposition ne fut formellement instituée que
par un décret du 20 octobre 1908. Notre objectif ici est de voir les
montants exigés, les modes de payement et comment l'instauration de
l'impôt participe à la mise en discipline des populations.
a. Le taux d'imposition comme stratégie de
subordination des Camerounais
Après la législation du travail de 1902, le mark
est imposé officiellement comme monnaie unique sur le territoire
camerounais par l'ordonnance du 1er février 1905. Le
décret de 1908 avait fixé le taux d'imposition à 6 marks
et en 1913, l'administration l'éleva à 10 marks par l'ordonnance
du 26 Juin 1913. Ceci est justifié par les nombreux textes existant
à ce sujet. D'après un rapport fait en 1916 sur la collection des
taxes dans la division d'Ossindinge, il est écrit que :
«Under the Germans the division was divided into 3
districts: 1- Ossindinge, 2- Assumbo, 3- Menka, of which all the Ossindinge,
halft the Assumbo, an 4 villages of the last German report for the financial
year 1913-1914 there were collected from the Ossindige District including the 4
villages of the Menka district 7.300.000 and from the Assumbo district, 710000
or a total of 8.010.000, representing 8010 male adults paying 10 marks
each»17(*).
Les populations étaient obligées de payer ces
taxes sous peine d'être emprisonnées ou recrutées pour les
travaux forcés. La nécessité de la main d'oeuvre a
poussé les allemands à mettre sur pied des techniques leur
permettant d'obliger les autochtones à travailler pour eux et surtout
dans les plantations. Comment oeuvraient donc les autorités pour
recruter ces populations ?
b. Le mode de payement comme stratégie de
recrutement des ressources humaines du Cameroun pour la culture des produits de
rente dans les plantations allemandes
L'une des intentions de l'instauration de ces
différents types d'impôts surtout l'impôt par le travail
(steuerarbeit) était en réalité un mode de recrutement de
la main-d'oeuvre. Officiellement, les imposables pouvaient s'acquitter de leur
devoir fiscal, exceptionnellement en offrant 30 journées de travail
gratuit à l'administration. Le souci de vulgariser l'emploi du mark pour
faire échec au troc et aux monnaies non allemandes justifiait ces modes
de payement. Mais c'est surtout l'intérêt de recruter sous la
forme de l'impôt prestataire l'indispensable main-d'oeuvre qui
prédominait.
L'un des moyens de recrutement de la main d'oeuvre se faisait
chez les prisonniers. En fait, d'après la circulaire provinciale
concernant le règlement des prisons allemandes, il est prescrit ce qui
suit:
«Reference to circular 15 of 7 th under this heading
amend para 1 by adding to end of it the following: - this applies only to
prisoners who are in a position to pay but do not do so. In such cases if
neither food is supplied nor cash for its cost is paid the prisoner is liable
to the obligation of working off its value in labour for the government (see
abstrack of german law of 14 th august section B para 4).
2- Add as para 4: - where tax-labour is available these
men should be employed on prison farms, or else instructed to bung in food for
the prisons up to the value of their tax. This does not mean that taxes in cash
are refused but that their value in labour or kind may be accepted in those
cases where it is impossible to cash»18(*).
Par ailleurs, à travers les expéditions
militaires, ou les conquêtes de «pacification », la
schutztruppe recruta par voie de contrainte, de nombreux travailleurs. C'est
ainsi qu'en mars 1905, le lieutenant Rausch fit une incursion dite punitive
dans la chefferie Bamundu en pays bamiléké et en ramena 61
travailleurs. Le chef Foentu avait été défait par une
armée de 47 soldats noirs et 2 officiers blancs. Ensuite, Rausch exigea
l'envoi par an de 200 autres travailleurs dans les plantations de la
côte. Ce fut là, le plus important point de ce qui se passait pour
un traité de paix. Les autorités de Bamendu durent accepter cette
grave clause sous la contrainte des armes (Saha 1993: 82).
En plus, l'administration allemande procédait par
réquisition. En effet, l'administration avait réussit à
faire en sorte que fournir de la main-d'oeuvre à l'administration
était devenu un devoir pour les autorités traditionnelles au
même titre que la perception d'impôts. Cette réquisition
consistait à exiger des autorités traditionnelles de mettre
à la disposition de l'administration, un certain nombre de travailleurs
destinés en principe aux chantiers publics. Seulement, l'administration
fournissait également aux entreprises privées de la main-d'oeuvre
; il s'agissait surtout des firmes agro-commerciales de la côte (Saha
1993 : 83).
Tout ceci contribue à la naissance d'une
société où des populations à l'origine
étrangères seront forcées d'entretenir des liens. Les
mouvements migratoires se vérifient si on tient compte du fait que dans
la zone de prédilection des grandes plantations, c'est-à-dire les
pentes du mont Cameroun, la situation n'était guère encourageante
pour les coloniaux désireux d'avoir à leur disposition une
main-d'oeuvre capable de mettre en valeur leurs plantations. En effet,
Léon Kaptue (1986 : 22) affirme que le chiffre des populations locales
(Bakweri, Isubu, Balon etc. environ 32000 âmes) était faible par
rapport aux besoins par ailleurs illimités des plantations en
main-d'oeuvre. Les agriculteurs rechercheront alors des travailleurs hors de la
région. Ce qui occasionnera d'importantes migrations. Ici, l'exode
«rural» dans lequel on reconnaît une conduite politique ne
témoigne t-il pas d'abord de la capacité à agir des
acteurs locaux ? Toujours est-il que ces flux migratoires vont favoriser
les contacts entre les populations résidant sur le territoire du
Cameroun et on peut affirmer qu'ils poseront les jalons de la naissance de la
nation camerounaise.
A coté de toutes ces mesures, les colons avaient aussi
besoin d'une main d'oeuvre de qualité. En dehors de la quantité,
se posait désormais un problème de qualité.
II-
LA REINTERPRETATION APPROPRIANTE DE LA POLITIQUE D'ENSEIGNEMENT PAR LES ACTEURS
ALLEMANDS
Poser le problème qualitatif de la main-d'oeuvre,
« c'est poser celui connexe de la formation technique et
professionnelle » et par conséquent l'amélioration des
capacités techniques et professionnelles de l'autochtone (Kaptue 1986 :
12). C'est donc dire le caractère égoïste de
l'activité scolaire qui a été reconnu publiquement au
congrès colonial de 1910.
«Il y fut en effet officiellement
déclaré que les écoles publiques n'étaient point
faites pour servir les intérêts des colonisés, mais pour
former des employés subalternes qui seraient le joint entre
l'administration coloniale et les populations indigènes»,
(Essiben 1980 : 32).
Afin de déterminer l'impact qu'a eu l'école dans
le processus de mise en discipline des populations locales, nous verrons ici
les raisons qui ont poussé les allemands à scolariser les
autochtones ; ensuite, nous verrons le processus de scolarisation.
A. L'ADMINISTRATION, LES MISSIONS ET L'ENSEIGNEMENT
DANS LES COLONIES
Jusque là, tout était concentré sur les
profits à tirer des colonies. Le rôle des populations locales
comme moteur de l'économie avait été
négligé. On ne le découvrit qu'à partir des
années 1907. En effet, lors d'une discussion sur la conception d'une
politique coloniale B. Dernburg disait :
«Colonisation, peu importe qu'elle soit de peuplement
ou d'exploitation, veut dire utilisation du sol... et surtout de ses ressources
humaines au profit de la nation colonisatrice. Celle-ci est tenue, en retour,
au don de la culture supérieure, de ses concepts moraux et de ses
meilleures méthodes de travail. Or l'indigène est l'objet
primordial de la colonisation, plus particulièrement dans nos colonies
d'exploitation. Puisque l'esclavage a été aboli, les ouvriers
aptes au travail ne peuvent plus être obtenus que par contrat soit de
notre propre colonie, soit des colonies voisines. Il y a donc là un
problème éminemment important, puisque le travail des
indigènes constitue l'actif le plus sérieux» (Essiben
1980).
Par la création des instituts agricoles, la
nécessité de rendre aisé l'exploitation économique
de leur colonie poussera les Allemands à élaborer un dispositif
éducatif pour se fournir en main-d'oeuvre de qualité. Cela se fit
après plusieurs débats.
1. Les programmes scolaires et la socialisation des
colonisés
Le développement de l'économie engendrait une
demande toujours plus forte d'auxiliaires de l'administration et le
problème de leur formation se posait avec acuité. Pour la
résoudre, l'administration ne disposait que de deux écoles
publiques en 1897. L'école publique de Douala et une école
d'agriculture à Victoria. L'enseignement était laissé
entre les mains des missionnaires qui enseignaient pour la plupart en langue
locale. Leurs enseignements étaient tournés pour la plupart vers
la religion. C'est d'ailleurs pour cela que face aux pressions des
missionnaires pour la fermeture des écoles publiques, le gouverneur
Puttkamer faisait remarquer qu'il n'était pas opportun de fermer
l'école publique de Douala car « les établissements
confessionnels n'étant pas encore en mesure de former le personnel
subalterne nécessaire » (Essiben 1980 : 36).
Par ailleurs, le rôle aussi bien politique
qu'économique des écoles directement contrôlées par
le gouvernement avait fait son chemin. Les écoles représentaient
un moyen essentiel d'éduquer les indigènes dans
l'intérêt colonial. Seulement, les écoles étant dans
les mains des missionnaires, il fallait trouver un moyen d'orienter le
programme de celles-ci dans l'intérêt de l'administration. Alors,
par l'octroi des subventions aux écoles confessionnelles,
l'administration allemande allait réussir à faire accepter aux
missionnaires un programme se concentrant sur l'enseignement de l'allemand.
Ceci aboutira à l'établissement de la loi scolaire de 1910 dont
l'article premier conférait au gouvernement la surveillance
générale de toutes les institutions scolaires du territoire. Pour
s'assurer de l'application intégrale des programmes, une commission des
examens présidée par un fonctionnaire de l'administration
coloniale serait formée chaque année dans chaque district. Les
examens de fin d'année se feraient en sa présence et la
commission déterminerait, d'après les résultats obtenus,
le montant des subventions à allouer à chaque
société missionnaire. Lorsqu'on regarde la répartition des
horaires des enseignements dispensés, on voit la direction dans laquelle
l'administration orientait l'enseignement. Comme le montre le tableau suivant,
l'enseignement était essentiellement orienté vers l'apprentissage
de la langue allemande :
Tableau 2 : Horaires des cours
dispensés par les Allemands
|
Première année
|
Deuxième année
|
Troisième année
|
Quatrième année
|
Cinquième année
|
allemand
|
2 h
|
3 h
|
4 h
|
4 h
|
4 h
|
observation
|
2 h
|
2 h
|
2 h
|
|
|
calcul
|
2 h
|
3 h
|
3 h
|
3 h
|
3 h
|
géographie
|
|
|
1 h
|
1 h
|
1 h
|
histoire
|
|
|
|
1 h
|
|
Sciences naturelles
|
|
|
|
1 h
|
1 h
|
Total
|
6 h
|
8 h
|
10 h
|
10 h
|
10 h
|
Source : Essiben Madiba,
Colonisation et évangélisation en Afrique, l'héritage
scolaire du Cameroun (1885-1956), p. 39.
L'enseignement de la langue allemande à des personnes
issues de contrées différentes et ayant chacunes sa propre langue
constitue une étape importante dans le processus de construction de
l'Etat du Cameroun. Désormais, des personnes appartenant à des
espaces géographiques différents pouvaient communiquer sans
difficulté. Naitra alors des valeurs reconnues et partagés par
tous.
Avec ce système d'enseignement, le gouvernement avait
réussi à mettre un frein à l'expansion des langues
indigènes qu'utilisaient au départ les missionnaires pour
l'enseignement. En mettant l'accent sur l'allemand, le gouvernement atteignait
son but qui était l'expansion de la culture allemande.
« La mémorisation de chants et poèmes
patriotiques donnait aux élèves l'occasion de s'identifier avec
la puissance coloniale. Avec l'étude des membres de la famille
impériale, de la guerre franco-prussienne de 1870/1871, avec la
connaissance des empereurs allemands depuis le 18 Janvier 1871, l'histoire
apportait sa contribution à l'expansion de l'amour de la patrie. La
géographie enfin permettait aux enfants de connaître non seulement
l'Allemagne, mais aussi ses possessions outre-mer » (Essiben 1980 :
39-40).
Par le biais de l'école, les autorités
politiques allemandes vont inculquer des principes et des valeurs
partagées par des populations jusque là disparates. Par
l'acquisition de ces connaissances partagées par des populations jusque
là disparates, mais aussi par la normalisation de cette nouvelle
institution qui s'impose à tous, les Camerounais vont acquérir
des habitudes telles que celle d'avoir une autorité administrative
commune décidant pour l'ensemble. Ceci va favoriser en quelque sorte la
construction de l'Etat.
2. La création des instituts
agricoles
Le principal artisan de l'essor des plantations situées
sur les pentes du Mont-Cameroun fut l'institut d'expérimentation
agricole installé à Victoria. Il contribua de manière
concluante au perfectionnement de l'agriculture tropicale et à
l'introduction de nouvelles cultures dans le territoire du Cameroun.
Dès 1889, un jardin botanique avait été
fondé sur l'initiative du gouverneur von Soden pour soutenir
l'aménagement des plantations et étendre ainsi peu à peu
le champ des expériences agricoles. Dans la même lancée, il
devait former des indigènes pour les seconder. Seulement, la politique
agricole prévalant à cette époque ne permit pas
l'aboutissement du projet et ce malgré la proposition du Professeur Hass
relative à la création à Victoria d'une école
d'agriculture destinée aux indigènes19(*). En 1914, ce jardin se divisa
en deux sections, l'une botanique et l'autre biochimique. Il était
orienté vers l'amélioration des cultures existantes, la
fourniture des semences et des plants et enfin, la recherche des moyens de
lutter contre les parasites (Etoga Eily 1971 : 191).
D'autres jardins d'essais de moindre envergure furent
aménagés à Buéa et à la Maison
Musaké. Ces petits jardins s'occupaient à peu près
exclusivement de la culture des plantes tropicales de montagne et de leur
adaptation aux diverses altitudes.
Tout ceci eut un impact sur les populations concernées.
Les missionnaires recoururent à plusieurs artifices pour pousser les
indigènes à travailler pour les allemands. Comment
réussirent-ils à faire en sorte que les Camerounais travaillent
non seulement des terres qui leurs étaient prises mais surtout au profit
de ceux qui les avaient spoliés ? Comment l'institution de
l'école participera t-elle au contrôle des populations ?
B.
LA CONTRIBUTION DES ENSEIGNEMENTS AU CONTRÔLE DES POPULATIONS
CAMEROUNAISES ET A LA NAISSANCE D'ACTEURS LOCAUX POUVANT NEGOCIER LEUR STATUT
AVEC LES AUTORITES ALLEMANDES
Par la recherche d'une main-d'oeuvre scolarisée pour
leurs plantations, les allemands ont de façon volontaire ou pas,
contribué à l'homogénéisation des peuples
résidants sur le territoire du Cameroun.
Même si la notion de leur droit était encore flou
pour certain, il est tout de même juste de dire que certains pouvaient
confusément percevoir dans ce nouveau système éducatif un
moyen de changer de statut social. En effet, Joseph Mbassi (1986 : 264) montre
dans une enquête qu'il a effectuée auprès d'anciens
élèves de la période allemande que certains
espéraient obtenir un travail rémunéré après
leurs études. Sur les huit personnes interrogées et ayant
fréquentées une école, cinq ont pu trouver un travail
auprès des européens ; un comme instituteur, deux comme
infirmier, deux comme agents agricoles auxiliaires. Même si la garantie
de l'emploi n'était pas assurée, il faut remarquer que beaucoup
d'élèves du primaire trouvaient alors plus facilement un travail
rémunéré que ceux n'ayant pas été à
l'école.
A travers la création d'écoles d'agricultures et
la formation d'indigènes dans l'agriculture, les Allemands vont
réussir peu à peu à inculper de nouvelles habitudes aux
Camerounais.
Par une politique agraire timide au départ, les
Allemands vont progressivement adapter celle-ci aux besoins de leur
économie. C'est ainsi que la mise en administration de la
société camerounaise se fera de manière progressive mais
certaine. Ceci s'observera par l'accroissement des pouvoirs des administrateurs
locaux. Par ailleurs, on note ici un renforcement des pouvoirs des gouverneurs.
En effet, dans la circulaire du gouverneur du 18 avril 1910, touchant la
procédure à suivre dans la conclusion de contrat de vente et de
location de parcelles foncières, le gouverneur Seitz stipule
que :
" Si le prix d'achat est déjà payé,
le vendeur doit être rappelé à l'obligation de le restituer
dans le cas de refus de mon autorisation. Surtout, toutes les parties doivent
être instruites de ce que le contrat n'a pas de force juridique ni ne
donne aucune garantie tant que je n'ai pas donné mon autorisation. Si le
tuteur ou quelques indigènes ne sont pas d'accord sur le contrat et si
l'on n'a pas réussi à amener une entente, il y a lieu de clore la
tractation et, dans la cas où une partie le requiert, ou si cela
paraît exigé pour d'autres motifs, de me le soumettre."20(*)
Dans le souci de pouvoir revendiquer des droits et justifier
certaines de leurs actions, les populations locales se voient dans l'obligation
d'apprendre la langue des Allemands pour pouvoir communiquer avec ces derniers.
Ceci marque le changement de régime dans la colonie du Cameroun. Loin de
toujours en référer aux autorités politiques de l'empire,
les autorités allemandes présentes au Cameroun jouissent
désormais d'une certaine marge de manoeuvre. Ceci va concourir à
la spécificité de la mise en administration de la
société camerounaise car ces autorités vont parfois
adapter leurs décisions au contexte local.
Aussi, par l'apprentissage d'une langue commune, des
Camerounais qui jusqu'alors ne se connaissaient pas et ne pouvaient pas pour la
plupart communiquer entre eux vont apprendre à se connaître
à travers la cohabitation dans les plantations. La naissance d'un
intérêt commun va favoriser la naissance d'une
société camerounaise.
Loin d'être passif, les Camerounais vont essayer de
tirer profit du système. Par ailleurs, la force n'étant pas le
seul mode de domination, les autorités allemandes, dans la recherche
d'un équilibre favorisant une politique agricole efficace, vont essayer
d'amadouer les autochtones.
TROISIEME CHAPITRE :
LA RECHERCHE D'UN EQUILIBRE
ENTRE POUVOIR POLITIQUE ALLEMAND ET SOCIETES POLITIQUES TRADITIONNELLES POUR
LA CONSTRUCTION D'UNE POLITIQUE AGRICOLE EFFICACE
Gouverner, c'est structurer le champ d'action éventuel
des autres. Dans le souci de mettre en valeur le territoire du Cameroun, les
acteurs politiques Allemands seront en quête de moyens. Dans cette
quête de moyens, le pouvoir allemand se heurtera aux princes sociaux qui
avant lui les avaient capté. Ceci d'autant plus que le mot richesse
évoque généralement une armée de serviteurs et
celui de puissance une suite de soldats. Or partout et toujours, le travail
humain a été exploité, les forces humaines
domestiquées. De là, le pouvoir allemand dans sa croissance aura
pour victimes prédestinées et pour opposants naturels les
puissants, les chefs de files, ceux qui exerçaient une autorité
et possédaient une puissance dans la société avant son
arrivée (Jouvenel 1972 : 260-261).
Alors, s'établira une relation de pouvoir dans
laquelle autant les gouvernants que les gouvernés disposeront de
ressources qui feront d'eux des acteurs pertinents. En fait, au sein d'une
organisation, les individus possèdent une part de pouvoir liée
à leur position qui leur confère la maîtrise de «zones
d'incertitudes» c'est-à-dire des fonctions (noeuds de communication
par exemple) qu'eux seuls possèdent. Et " plus la zone
d'incertitude contrôlée par un individu ou un groupe social sera
cruciale pour la réussite de l'organisation, plus celle-ci disposera de
pouvoir " (Crozier et Friedberg 1977 : 66). Ceci ferra en
sorte que la conservation du monopole par le pouvoir allemand s'avérera
extrêmement difficile à toutes les étapes du
déroulement de sa politique agricole. Surtout que la terre et les
hommes, principaux éléments de la richesse dans la plupart des
sociétés traditionnelles camerounaises, seront arrachés
aux Camerounais.
Or du fait que la transformation globale de la
société " entraîne une lente diminution de pouvoir
entre les groupes dominants et les couches sociales " (Elias 1991 :
77-78), on verra la réduction et même la disparition des champs
d'action et par la même, la diminution du potentiel de pouvoir de
certains groupes sociaux. Dans le souci de ne pas perdre leur statut
antérieur, les anciens détenteurs de pouvoir se verront dans
l'obligation soit de collaborer, soit de résister dans l'espoir de
maintenir, d'accroître ou de ne pas perdre leur statut antérieur.
Face à des acteurs déterminés à conserver une
parcelle de leur pouvoir et mobilisant pour cela des ressources dont ils
avaient besoin pour asseoir leur domination, les Allemands intègreront
des acteurs locaux dans leur politique. Seulement, chaque individu poursuivra
des objectifs et des stratégies propres et qui se trouveront
éventuellement décalés par rapport à la
scène politique centrale (Bayart, Mbembe et Toulabor 1992 : 11).
Toutefois, la nécessité d'intégrer les
colonisés dans le processus d'exploitation se faisait sentir dans la
mesure où " la construction d'un ordre social est toujours un
processus d'accommodation incertain de gestion des contradictions sociales et
de réduction des conflits sociaux " (Commaille et Bruno 1998 :
123). Les stratégies coloniales allemandes d'extraction des richesses du
Cameroun ne vont pas seulement modifier les règles préexistantes
qui commandaient l'accès aux ressources productives. Elles leur en
superposeront d'autres ainsi que de nouvelles modalités de les
appliquer. Du coup, l'économie juridique précoloniale, avec ses
dispositifs d'incitation et de sanction, ne fut ni entièrement
détruite, ni entièrement intacte.
L'objectif ici est de voir dans quelle mesure l'introduction
de nouvelles cultures et par conséquent d'un nouveau pouvoir politique
nécessitant l'accord tacite des dominés débouchera sur une
nouvelle configuration sociale. Par la collaboration des populations et aussi
par les résistances aux nouvelles techniques agricoles, les Allemands
vont réussir à forcer une cohabitation entre les
différents groupes sociaux existant sur le territoire camerounais.
SECTION I : UNE CONJONCTURE LOCALE
" FAVORABLE " AU NOUVEL ORDRE POLITIQUE
Comment l'ordre colonial, représenté par un
personnel aussi réduit, s'est-il si longtemps imposé aux
Camerounais ? Etait ce dû à un «désir de
pouvoir»21(*) ?
Interrogation cruciale d'autant plus qu'affirmer qu'un individu désire
le pouvoir qui s'exerce sur lui, veut simplement dire qu'il en perçoit
confusément le caractère bénéfique (Lagroye 1991 :
392). En même temps que les institutions s'imposent à nous, nous y
tenons ; elles nous contraignent et nous trouvons notre compte à
leur fonctionnement et à cette contrainte même (Durkheim
1967 : XX-XXI). Par ailleurs, les institutions déterminent en
grande partie les cadres mentaux des participants, elles établissent les
conditions pour l'obtention de la docilité et donc de la
rationalité dans la société (Meny et Thoenig 1989 : 78).
Or, la plupart des théories politiques distinguent deux types de rapport
au pouvoir chez les individus : le rapport de sujétion ou
d'obéissance subie et le rapport de consentement ou d'obéissance
volontaire c'est-à-dire l'acquiescement des individus, une acceptation
du pouvoir et de ces manifestations (Lagroye 1991 : 390). Ici, c'est le
deuxième type qui nous intéresse et nous analyserons les
dispositifs sociaux qui ont réorganisé en sous main le
fonctionnement de la société camerounaise.
I- L'ADHESION VOLONTAIRE DES POPULATIONS INDIGENES AU
NOUVEL ORDRE SOCIO-POLITIQUE INSTITUE PAR LES ALLEMANDS
Aussi longtemps que les routines de la vie quotidienne
continuent à exister sans interruption, elles sont perçues comme
non problématiques. Mais même le secteur non-problématique
de la réalité quotidienne n'est pas interrompu par l'apparition
d'un problème. Quand celui-ci apparaît, la réalité
de la vie quotidienne cherche à intégrer le secteur
problématique à ce qui est déjà
non-problématique (Berger et Luckmann 1996 : 38). L'introduction des
cultures de rente comme nouvelle problématique devra être
intégrée par les populations dans les routines de leur vie
quotidienne. La routinisation de cette nouvelle vision de la vie quotidienne
sera pour certain un moyen de changer de classe sociale ou bien
d'accroître leur puissance.
En effet, la stratification de certaines
sociétés traditionnelles va favoriser en quelque sorte
l'enracinement du pouvoir allemand au Cameroun dans la mesure où
l'organisation sociale existant favorisait certains au détriment des
autres. Aussi, certaines populations désireuses de s'enrichir
accueilleront-ils favorablement ce nouvel ordre. Après avoir vu les
fondements sociaux ayant favorisé le contrôle des populations
camerounaises, nous verrons par la suite l'impact de la possibilité de
s'enrichir sur la cohésion nationale.
A. DE L'IMPOSITION DES CULTURES DE RENTE A LA
TRANSFORMATION DE LA NOTION DE RICHESSE ET DE PUISSANCE
L'avènement des Allemands au Cameroun et l'imposition
de leur pouvoir par le biais des cultures de rente a trouvé un terrain
propice. En effet, l'organisation sociale de certaines unités politiques
peut expliquer la présence de ces désirs inavoués des
populations qui voyent dans ce nouveau pouvoir un moyen de s'enrichir.
L'insertion des groupes sociaux subordonnés dans le champ politique peut
parfois se traduire par l'adhésion au pouvoir par le consentement des
dominés à leur domination. «Ceux-ci poursuivent en fait
des objectifs et des stratégies qui leur sont propres et qui
éventuellement se trouvent décalés par rapport à la
scène politique centrale», (Bayart, Mbembe et Toulabor 1992 :
11).
Cette attitude favorable à l'ordre allemand peut
s'expliquer par l'organisation de la production et de la distribution des biens
au sein de l'exploitation familiale. Cette organisation suivait une logique
bien définie. A l'Ouest-Cameroun par exemple, l'exploitation familiale
suit des règles sociales qui prescrivent les droits et les obligations
de chacun selon sa position au sein des structures de parenté. Le chef
de famille prend les décisions de production pour tous les hommes sous
sa responsabilité. Les ressources accumulées par les hommes non
mariés reviennent au chef de famille et en contrepartie, il a obligation
de pourvoir à leurs besoins quotidiens. La stratification sociale joue
un rôle important et les cadets (hommes célibataires) sont
intégrés aux mécanismes de l'économie de
subsistance et du commerce. Ne possédant pas de capital, les cadets
dépendent entièrement du chef de famille et ont une forte
motivation à s'engager dans l'économie familiale pour
accélérer l'accumulation de la dot de leur première femme
pour pouvoir devenir indépendants et eux-mêmes chef de famille.
Les femmes, éléments fondamentaux dans l'exploitation familiale
car formant la main-d'oeuvre principale et permettant d'accroître le
poids démographique d'une famille, sont importantes dans le statut
social (Fark-Grüninger 1995 : 32). La recherche du prestige social qui ne
peut se réaliser que dans une situation de chef de famille ne peut
s'obtenir que par le mariage pour les cadets. Or, c'est le chef de famille qui
contrôle l'allocation des femmes à travers les modalités de
mariages. Il y a donc un conflit latent entre eux (Fark-Grüninger 1995 :
41). Soucieux de rassembler rapidement la dot de leur première
épouse, certains cadets sociaux s'initieront au commerce avant
l'arrivée des Allemands. Cette envie d'acquérir des biens peut
expliquer la prédisposition favorable de certains Camerounais à
l'instauration de l'ordre allemand.
Or du fait qu' « il n'y a de chance pour le
nouveau pouvoir que s'il répond à des dispositions et à
des désirs souvent inavoués du peuple» (Freund
2004: 219), les Allemands trouveront dans ces désirs une courroie de
transmission pour l'imposition des nouvelles cultures. L'introduction d'un
nouveau système économique au Cameroun va s'appuyer sur ces
populations. Quel sera l'impact de l'arrivée des Allemands ?
B. IMPACT DE L'ATTRAIT DES NOUVELLES POSSIBILITES
D'ENRICHISSEMENT SUR LA COHESION NATIONALE
Dans une certaine mesure, le désir de certaines
populations de changer de statut va les pousser à se mettre au service
du pouvoir allemand. Le mouvement vers les plantations provoquera un exode
rural qui favorisera le brassage des populations. Cet exode rural dans lequel
on reconnaît une conduite politique dénote dans une certaine
mesure de la capacité à agir des acteurs locaux et de leur
capacité de décider d'accepter le pouvoir allemand dans lequel
ils sentent une possibilité d'en tirer profit. Loin d'avoir toujours
été le fruit de la peur de la répression des forces
allemandes, ne pouvons-nous pas penser que certaines populations ont
opté de manière volontaire de composer avec le pouvoir
externe ?
Par ailleurs, l'envoi volontaire des enfants dans les
écoles allemandes a été un élément
constitutif de la participation des populations. Par le biais de
l'école, certaines couches sociales vont espérer changer leur
statut social. Comme le démontre les études de Gomsi, la plupart
des élèves espéraient travailler pour les Allemands. Ces
fonctions devaient leur permettre d'avoir des moyens financiers pour payer
leurs taxes. On peut donc dire avec Jaffrelot et Dieckhoff (2006 : 49)
que,
« L'entrée dans le système
éducatif des populations de plus en plus éloignées des
grands centres, qui comprennent qu'apprendre la langue dominante et
posséder une instruction minimale sont les conditions nécessaires
de leur ascension sociale et de leur capacité à défendre
leurs droits vis-à-vis de l'administration de l'Etat-nation en
construction », a été une des stratégies
adoptées par les acteurs locaux.
Au delà de ceci, les Allemands avaient besoin de la
collaboration des autorités politiques traditionnelles. En fait, l'Etat
ou les formes officielles chargées d'exercer une domination et de
revendiquer le monopole de la violence organisée, ne sont pas les seuls
acteurs producteurs de normes sociales et politiques. Mieux, l'Etat ne dispose
pas du monopole de la production des normes légales et politiques.
D'autres acteurs officiels ou non étatiques interviennent directement
dans cette production. Ces groupes peuvent produire leurs propres
systèmes de normes sociales et légales - voire politiques -
susceptibles d'être compatibles ou non avec l'ordre étatique et
d'entrer en compétition avec lui.
Nécessité s'est donc fait sentir d'utiliser les
chefs locaux comme courroie de transmission de l'ordre politique allemand.
II-L'INTEGRATION DES CHEFS TRADITIONNELS DANS LA STRATEGIE
HEGEMONIQUE DU CENTRE
Le pouvoir allemand avait besoin de médiation, de
collaboration. Si on considère la colonisation comme une domination
étrangère dont le but était d'établir un
système, d'en assurer la pérennisation en éliminant les
foyers de résistances et en mettant en place des mécanismes
débouchant sur un exercice exclusif de l'autorité et du pouvoir
de décision, l'installation du pouvoir colonial supposait une
redistribution des rôles et une intrusion dans la société
africaine. La captation des structures traditionnelles par l'inféodation
des chefs à l'administration a été un moyen de mieux
atteindre la population. La soumission des chefs traditionnelles à
permis de transcender les micros Etats et d'aller vers la construction de
l'Etat.
Quelles sont les raisons pouvant avoir poussé les
chefs traditionnels à collaborer avec le nouveau pouvoir ?
Était ce dû à un désir de pouvoir ? Quels
profits en tiraient-ils ? Comment ont-ils aidé à la
vulgarisation des cultures de rente et par conséquent du pouvoir
allemand ? La participation des chefs traditionnels à l'imposition
des cultures de rente dans le territoire du Cameroun s'est faite à
travers le recouvrement des impôts fixés par les Allemands. Ils
seront aussi des pourvoyeurs de main d'oeuvre pour les plantations
allemandes.
A. LE RECOUVREMENT DES IMPÔTS ET CONTRÔLE
FINANCIER DES AUTORITES POLITIQUES TRADITIONNELLES PAR LE POUVOIR
COLONIAL
Du fait des moyens financiers limités, il
n'était pas question pour les Allemands d'entretenir dans le territoire
du Cameroun une administration purement européenne. Par ailleurs, il
fallait également épargner les européens des maladies
tropicales du fait du taux de mortalité élevé chez la
population blanche comme l'ont montré les travaux du Docteur Plehn. En
plus, étant donné que pour bien administrer il vaut mieux
connaître le pays et les hommes, l'emploi des chefs traditionnels
s'avérait nécessaire pour les colons car pratique et peu
coûteux. La collaboration de certains chefs sera spontanée et la
peur des représailles guidera d'autres. La collaboration est comprise
ici comme une acceptation volontaire ou non, intéressé ou non de
l'influence étrangère. L'une des fonctions essentielles des chefs
sera le recouvrement des impôts de leurs sujets très enclin
à se soulever. Ils leur revenaient donc la charge de discipliner leurs
sujets.
Moyennant une commission, les chefs furent appelés
à faire rentrer l'impôt. La commission des chefs étaient de
10% des sommes versées avant le 1er Octobre et de 5% de
celles remises après cette date (Gomsu 1986 : 138). Ceci est
confirmé par la lettre de l'officier divisionnaire de Bamenda
écrite le 9 avril 1916 à son supérieur. Il dit ceci:
Sir,
I have the honour to inquire whether the chief receives
ten per cent of the amount collected whatever that may be or only if he
collects the sum at which his village is assessed. Thus if a village is
assessed at 500 Marks and the full sum is collected the chief received 50
Marks. If he collects 480 Marks does he receive 48 Marks or 30 Marks (450 Marks
being the share of the government if the full sum had been collected), and does
he receive 43 Marks if he collects 430 Marks, or nothing at all because the
full government share has not been collected. I imagine that he receives his
10% on whatever sum he collects but should like to have a ruling on the point
as early as possible.
I have the honour to be,
Sir,
Your obedient servant,
Divisional officer
The resident,
At Bamenda.
P.S .In translations of German law n°3 para 9, it
reads «the chiefs entrusted with the collection of taxes can be reserved
up to 10% of these taxes with the consert of the governor» but in Mr.
STOBART's memorandum para. 5 (under cover of provincial circ. n°16), the
chief appears to receive the 10% as a matter of course22(*).
De ceci, il ressort que les chefs percevaient bel et bien une
ristourne qui était proportionnelle à la somme globale remise
à l'administration. Il était donc dans l'intérêt des
chefs que ces sommes fussent les plus importantes possible. Aussi, leur
collaboration était d'autant plus facilement acquise qu'ils y trouvaient
leurs intérêts. Non seulement la collaboration des chefs
contribuaient à la mise en discipline des Camerounais, mais en plus,
cette acceptation et cette soumission au pouvoir allemand suppose la
reconnaissance d'un pouvoir unique de décision par l'ensemble des
autorités traditionnelles collaborateurs. Plus, la collaboration marque
le passage d'une société composé de `'micro Etat''
à une vision plus globale de la société camerounaise.
Cette collaboration s'étendait aussi dans la réquisition de la
main-d'oeuvre.
B. COLLABORATION DES CHEFS TRADITIONNELS ET
VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE
L'approvisionnement en main-d'oeuvre des différents
secteurs de l'économie coloniale a été l'un des
rôles des chefs traditionnels qui collaboraient avec les autorités
allemandes. Gomsu Joseph (1986: 139) dit qu'au début de
l'aménagement des grandes plantations sur la côte, les
colonisateurs concluaient des traités avec les chefs qui se montraient
matériellement intéressés pour trouver les travailleurs
nécessaires. A cette fin, il existait entre le chef Galega de Bali et
les dirigeants de la WAPV (Westafrikanische Pflanzungsgesellschaft Victoria) un
accord pour livraison de 2000 travailleurs par an. Concernant cet accord, le
témoignage du journal Deutsche Reichs-Post dans une
enquête du 15/8 au 12/9/1900 dit que " depuis la mort du Dr.
Zintgraff, la société de plantation ouest africaine, Victoria
(WAPV) est approvisionnée en travailleurs par le Roi Galega de
Bali ; en contrepartie Galega reçoit chaque année pour 300
marks de cadeaux et la visite d'un dirigeant de la société "
(Gomsu 1986 : 140).
Par ailleurs, lorsque certains chefs refusaient de passer ce
genre d'accord, les colonisateurs employaient un mode de recrutement
particulièrement coercitif. En fait, la contraindre à la
collaboration par la force peut légitimer un pouvoir,
c'est-à-dire peut faire en sorte que ce nouveau pouvoir soit tacitement
reconnu. Le seul bénéfice que peut retirer celui qui subit la
contrainte est alors la suspension temporaire des effets des plus coercitifs de
celle-ci ; s'établit alors une sorte de relation. Dans cette
optique, le gouverneur von Puttkamer va décréter que tout village
dont les habitants s'enfuiraient à l'approche des agents de recrutement,
serait réduit en cendre (Gomsu 1986 : 140). Les troupes coloniales
étaient en effet là pour persuader les chefs de collaborer mais
participèrent aussi à l'approvisionnement des plantations en main
d'oeuvre. Au cours des campagnes militaires, la schutztruppe recruta par voie
de contrainte, de nombreux travailleurs. C'est ainsi qu'en mars 1905, le
lieutenant Rausch fit une incursion dite punitive dans la chefferie de Bamendu
en pays Bamiléké et en ramena 61 travailleurs. Ensuite, Rausch
exigea l'envoi par an de 200 autres travailleurs dans les plantations de la
côte (Saha 1993 : 83). Ce fut là le plus important point de ce qui
passait pour un traité de paix.
La collaboration des chefs fut décisive dans
l'introduction et la vulgarisation des cultures de rente. Les colons se
servaient de l'influence des chefs pour promouvoir les cultures d'exportation
dans la mesure où lorsque les chefs acceptaient de cultiver le
café ou le cacao, les sujets suivaient généralement
l'exemple. Ceci était d'autant plus nécessaire qu'on avait
découvert avec l'arrivée de Bernhard Dernburg au
secrétariat d'Etat aux colonies que les colonisés constituaient
un élément dynamique dans l'exploitation des colonies.
Le recouvrement des impôts et la vulgarisation des
cultures de rente par les chefs traditionnels camerounais participent à
la reconnaissance d'une autre autorité politique au dessus d'eux. Cette
attitude a favorisé dans une large mesure la mise en place d'une
entité étatique au Cameroun dans la mesure où ces
autorités politiques traditionnelles appartenaient à des espaces
différents. Malgré leur disparité, tous ces chefs
prêtaient allégeance au même pouvoir politique dont ils
reconnaissaient la supériorité.
La collaboration volontaire des chefs a contribué
à la construction de l'Etat dans la mesure où en intégrant
la logique coloniale, ils abandonnent leur souveraineté et oeuvrent
ainsi à la fin des micros Etats. La soumission marque l'acceptation de
cette globalité ce qui contribue à la construction de l'Etat car
tous adhèrent désormais à une même vision de la
société.
Toutefois, la collaboration des chefs ne manquait pas de
révéler quelques velléités d'opposition, opposition
qui se traduisait souvent par la désobéissance civile. Tant qu'il
y a régime d'oppression, la résistance à l'oppression
existe. Comment les Allemands vont-ils réussir à imposer leur
ordre politique à travers les résistances ? Comment cela
va-t-il contribuer à la naissance de l'Etat camerounais ?
SECTION II : DE LA NEGOCIATION, DE L'IMPOSITION D'UN
ORDRE ALLEMAND AU PROCESSUS DE STABILISATION DU JEU POLITIQUE
Le pouvoir politique est confronté au dilemme de
négocier avec les détenteurs de ressources, et donc avec les
groupes dominants, l'extraction des ressources nécessaires à son
action. Le politique ne maîtrise pas totalement la production des
ressources nécessaires à son action même s'il dispose de
capacité de contrainte pour les obtenir. «Il en résulte
une incitation forte à construire des régulations
systématique qui menacent les positions sociales de ceux qui dominent
les sous systèmes», (Commaille et Bruno 1998 : 124). De
ceci, naîtra donc dans la société camerounaise des tensions
entre les anciens groupes dominants et le nouvel ordre qui s'installe.
Certaines populations ainsi que certaines autorités politiques
traditionnelles vont résister à ces changements. Par le biais de
ces résistances, nous verrons ici comment les Allemands vont
réussir à poser les prémisses de l'Etat camerounais.
I-
LA RESISTANCE COMME MOYEN FAVORISANT LA NAISSANCE D'UNE UNITE NATIONALE
L'imposition d'un ordre politique suppose l'existence d'une
capacité de violence physique conséquente permettant à une
direction administrative de revendiquer avec succès dans l'application
du règlement, le monopole de la contrainte organisée. Ce nouvel
ordre politique ne sera pas accepté sans résistance car,
là où existe un régime d'oppression, existe aussi une
résistance à l'oppression. "C'est la conquête qui
permet de définir la disproportion des rapports de force, puisqu'elle
indique qui est le plus puissant et qui est le moins puissant" (Laurens
2009 : 44). Nous verrons ici le refus de l'acceptation de l'ordre allemand
et l'impact de la soumission forcée dans le processus de formation de
l'Etat camerounais.
A.
LES CHEFS TRADITIONNELS, LES POPULATIONS CAMEROUNAISES ET LE REFUS DE
L'ACCEPTATION DE L'ORDRE ALLEMAND
Le pouvoir en quête de moyens se heurte aux princes
sociaux qui avant lui les avaient captés (Jouvenel 1972 : 260). Or,
ceux-ci vont essayer de conserver leurs acquis. Le pouvoir allemand qui
s'installe dans le territoire du Cameroun n'est pas le seul acteur producteur
de norme sociale et politique. Il s'ensuit que d'autres pouvoirs sociaux
existent et à l'endroit desquels les hommes sont aussi débiteurs
d'obéissance et de services. Certains de ces groupes qui avaient produit
leurs propres systèmes de normes sociales entreront en
compétition avec l'ordre allemand. Parmi les grandes résistances,
le Cameroun a connu celles engagées contre la pénétration
allemande et celles liées au refus de certains abus du pouvoir
allemand.
1. Les résistances à la
pénétration allemande
Ces résistances furent nombreuses mais la plupart
était due à la résistance au changement. Le refus de la
transformation du système d'action, le refus de l'apprentissage de
nouveau rapport sociaux et la volonté de conserver les zones
d'incertitudes que certains acteurs locaux contrôlaient sont autant de
facteurs qui ont conduit certaines populations à résister. Les
acteurs vont « chercher à orienter le changement de telle
sorte qu'ils puissent maintenir, sinon renforcer la zone d'incertitude qu'ils
contrôlent » (Crozier et Friedberg 1977 : 334).
La résistance Bangwa et celle des peuples Mbo sont
parmi les plus connues. La conquête de Bangwa (1899-1903) intervient au
moment où le gouverneur von Puttkamer opte pour une occupation
énergétique (Saha 1993 : 25). Le besoin croissant de
main-d'oeuvre pour les plantations allemandes qui se développaient
rapidement autour du mont Cameroun ainsi que la mort controversée de
Conrau sont tant de facteurs qui vont concourir à la déclaration
de guerre au peuple Bangwa. Sur la mort de Conrau, Victor Julius NGOH dit que
Conrau avait été capturé par les Bangwa qui l'accusaient
de trafic d'esclaves. En effet, en 1898, des porteurs Bangwa avaient
été engagés dans des travaux de plantation malgré
eux. Et quand Conrau était revenu à Fontem en 1899 sans eux, les
Bangwa conclurent à l'esclavage et le firent prisonnier. C'est durant
une tentative infructueuse de fuite que Conrau trouva la mort. Après
plusieurs expéditions menées par le capitaine von Besser et par
la suite par Pavel et enfin par le capitaine Langheld en 1903, Bangwa finit
par rendre les armes.
Quand aux peuples Mbo, ils étaient opposés
à toute influence européenne. D'après Zacharie Saha, les
Mbo entretenaient des foyers de troubles. L'insécurité
était généralisée et les routes
désertées. C'était une situation périlleuse dans
laquelle la construction du Nordbahn aurait été impossible de
même que le recrutement de la main-d'oeuvre pour les plantations
côtières. En août 1905, une campagne
énergétique sera engagée contre les Mbo sous la
supervision du Capitaine Schniewindt. Ce n'est qu'en 1906 que celle-ci prit fin
avec une résistance remarquable de la part des peuples Mbo qui par leurs
contacts commerciaux avec les tribus côtières avaient très
vite appris le maniement des armes européennes telles que les fusils
à poudre à feu (Saha 1993 : 42).
Bien d'autres résistances de ce type eurent lieu. Mais
à côté de ce genre, il y a eu des résistances face
aux abus de pouvoir allemand.
2. Les résistances aux abus du pouvoir
allemand
La résistance la plus connue est celle des peuples
Doualas face à l'expropriation des populations Doualas. Mais à
côté, il y a celle de Martin Paul Samba. Nous allons faire
ressortir ici l'historique de ces deux résistances et analyser l'impact
qu'elles ont eut sut la constitution de la société
camerounaise.
a. Des règles
générales concernant l'expropriation dans les colonies allemandes
à la résistance des Doualas
Dans le souci de pouvoir disposer des terres de la colonie
à tout moment, les Allemands vont élaborer des textes juridiques
pour légitimer l'expropriation des anciens propriétaires de la
terre convoitée pour cause d'utilité publique. Ici, il s'agira
d'analyser les textes règlementant l'expropriation dans les colonies
allemandes et par la suite, comment ces textes seront appliqués dans le
cas des doualas.
i. Règles
générales concernant l'expropriation dans les territoires
allemands d'Afrique et de la mer du Sud
C'est l'ordonnance impériale concernant l'expropriation
de bien fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du Sud du 14
février 1903 qui organise les mesures d'expropriation. Les
autorités administratives pouvant décider si la procédure
d'expropriation pouvait être faite étaient en règles
générales le gouverneur ou le chef administratif d'une province.
Mais de manière plus précise, le paragraphe 31 de ladite
ordonnance précise que :
" La procédure d'expropriation est de la
compétence du chef administratif du district dans lequel se trouve le
terrain qui doit être expropriée ou auquel est lié le droit
atteint par l'expropriation. Si le terrain est situé dans les districts
de plusieurs administrations, le gouverneur désigne alors
l'administration compétente, il peut aussi ordonner le partage de la
procédure d'après les districts.
Le chancelier fixe quelle administration doit prendre en
main les attributions accordées dans cette ordonnance au chef de
district pour les territoires qui n'appartiennent à aucun bureau de
district (Ministère des affaires étrangères, section
coloniale).
Il est aussi autorisé à régler la
compétence des administrations pour la procédure d'expropriation
dans certains protectorats par dérogation à cette ordonnance."
23(*)
C'est ainsi qu'en cas d'utilité publique, comme le
mentionne le paragraphe 1 de la même ordonnance, des
propriétés deviennent terres de la couronne. Le passage de ces
terres à la couronne suit une procédure détaillée
par les allemands dans cette ordonnance. En effet, l'ordonnance énonce
clairement les trajectoires à suivre.
"Si l'ouverture de la procédure est accordée, le
gouverneur doit publier une description de l'entreprise (...) pendant un
certain délai, pour que chacun puisse prendre connaissance ; le
délai doit être d'un mois au moins. Début, durée et
lieu de la publication doivent être communiqués avant le
début du délai conformément à l'usage local.
(Paragraphe 5)
Pendant le délai prévu au paragraphe 5, chaque
intéressé peut faire des objections par écrit ou par
procès verbal à l'administrateur du district. (Paragraphe 6)
A l'expiration du délai, l'administrateur doit fixer
une réunion pour y discuter des objections. (Le compte rendu) de la
réunion doit être publié officiellement conformément
à l'usage local. Le preneur et les intéressés connus
doivent être convoqués à la réunion. (...) Le soin
d'inviter des témoins et experts de prendre part à la
réunion incombe à l'administrateur. L'administrateur doit faire
remarquer qu'un accord concernant l'indemnité doit être pris en
même temps dans cette réunion. (Paragraphe 7)
Après clôture des discussions
(négociations), l'administrateur doit soumettre au gouverneur avec son
avis si le droit d'expropriation peut être décerné.
Celui-ci prend la décision si et dans quelle mesure le droit
d'expropriation sera décerné (...). La décision doit
être rédigée par écrit munie de motifs et être
expédiée aux intéressés, et outre cela, être
publié conformément à l'usage local. (Paragraphe 8)
La décision d'expropriation doit être
communiquée à la personne ayant droit à l'indemnité
et au preneur. Aussitôt après remise faite, l'administrateur doit
instruire le bureau du cadastre de la décision. (Paragraphe 17)
Par la remise de la décision d'expropriation à
la personne ayant droit à l'indemnité, le preneur acquiert la
propriété, (Paragraphe 19)."
Ce qui précède concerne de manière
générale les propriétés acquises par les
européens. Ces mesures concernaient aussi les mines. Pour ce qui
concerne l'expropriation des droits des indigènes, le paragraphe 24 de
la même ordonnance précise que :
" Dans la mesure où le droit contre lequel
s'adresse l'expropriation, appartient à un indigène, c'est
l'administrateur sur demande du preneur qui décide après avoir
pris des renseignements (...) Il fixe donc le délai pour faire valoir la
manière et l'importance de l'indemnité à
accorder."
Par ailleurs, des précisions seront apportées
plus tard à cette ordonnance impériale. C'est ainsi que dans
l'ordonnance du chancelier du 12 novembre 1903 pour l'exécution de la
section IX de l'ordonnance impériale concernant l'expropriation des
biens fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14
février 1903, des éclaircissements sont apportés sur la
procédure d'expropriation. Il est noté au paragraphe 5
que :
" Si la procédure d'expropriation est introduite,
l'établissement des surfaces à exproprier se fait alors par la
commission territoriale (ou foncière) en application conforme au sens
des prescriptions contenues aux paragraphes 324(*) et 425(*) de l'ordonnance domaniale pour le Cameroun du 15 juin
1896 en ce qui concerne la séparation de surfaces en faveur des
indigènes lors de la prise de possession du terrain de la couronne et de
la formation des commissions territoriales pour détermination et la
recherche du terrain de la couronne.
La décision concernant l'indemnité à
accorder à l'actuel propriétaire se fait sur rapport du
gouverneur après l'audition des intéressés par le
chancelier. "26(*)
Comme on le constate, les Allemands avaient mis sur pied un
véritable instrument juridique réglementant l'expropriation dans
leurs colonies. Comment celles-ci seront-elles appliquées dans le cas de
l'expropriation dont sera sujette les populations doualas ?
ii. De la résistance
des Doualas à leur expropriation
Dans le souci de détenir le territoire de la ville de
Douala, le gouvernement va entreprendre une procédure d'expropriation
des populations des peuples Doualas du plateau Joss en 1910. Le gouvernement
voulait devenir entièrement maître du territoire de la ville de
Douala dans un délai de cinq ans. Etant donné que ledit
territoire était encore propriété des Camerounais, les
Allemands entreprirent une mesure visant à indemniser les Doualas. Les
intéressés devaient recevoir en contrepartie 40 pfennigs par
m2 en plus d'un dédommagement supplémentaire pour
leurs maisons situées sur le plateau Joss (Ruger 1986 : 147). L'une des
raisons du gouvernement allemand était de vouloir "empêcher
les indigènes de tirer profit de la vente de leur sol et de l'utiliser
eux-mêmes dans l'avenir, de sorte que l'augmentation de sa valeur profite
au trésor et non aux indigènes comme ce fut le cas
jusqu'alors", (Ruger 1986 : 149). Le secrétaire d'Etat aux
colonies approuva le plan et fit débloquer par le gouvernement du Reich,
dans le cadre de l'exercice budgétaire de l'année 1911, les
moyens nécessaires pour le financement du projet.
Seulement, les populations Doualas furent contre.
Malgré les deux réunions qui eurent lieu les 24 et 30 octobre
1911 et où les chefs Doualas furent informés du projet
d'expropriation, aucun d'eux ne manifestera une disponibilité à
livrer volontairement leur territoire. Devant la détermination du
gouvernement allemand de concrétiser leur projet, ils
élèveront leur protestation de manière formelle dans un
télégramme le 30 novembre 1911. C'est Rudolph Manga Bell qui
avait succédé à son père en 1908 qui fut
chargé d'envoyer ce télégramme au Reichstag. Cependant, le
Reichstag laissa le soin de décider au Bureau colonial du Reich. Le
secrétaire d'Etat aux colonies, qui devait être Wilhelm Heinrich
SOLF, ordonna au nouveau gouverneur Ebermaier l'exécution dans le plus
bref délai du plan d'expropriation entre 1912 et 1913. C'est dans cette
mesure que Manga Bell envoya un télégramme le 15 Avril 1913 ayant
la teneur suivante : " malgré la plainte fondée,
les travaux d'expropriations suivent leurs cours. Demande que le gouvernement
veuille télégraphier pour ordonner l'arrêt "
(Ruger 1986 : 153).
En décembre 1913, le processus d'expropriation
commença. Le district ordonna la destruction des maisons de la
cité de Joss et le déménagement. Jusqu'en fin janvier
1914, toutes les maisons de Bonanjo avaient été rasées,
Bonapriso et Bonaduma ainsi qu'une partie du plateau de Bali devaient
être aplanis jusqu'en début mars. Les "dédommagements" que
le district offrait aux expropriés oscillaient entre 2,10 marks et 2
pfennigs le m2 ou encore entre une moyenne de 1,1 marks à
Bonanjo, 47 pfennigs à Bonapriso et 45 pfennigs à Bonaduma,
(Ruger 1986 : 163).
Tel fut de manière générale les
trajectoires de la résistance Douala. A côté, il y a la
résistance de Martin Paul Samba, d'abord collaborateur des Allemands
avant de devenir plus tard résistant.
b. Mebenga m'Ebono dit Martin
Paul Samba et la résistance au abus de la colonisation
allemande
Mebenga m'Ebono dit Martin Paul Samba est né vers 1875.
Il appartenait au clan Yéméméma, de l'ethnie boulou (Mbono
Samba Azan 1976 : 13). Il est envoyé en Allemagne en 1891 dans le
cadre du projet des Allemands de former de jeunes noirs qui reviendront dans
leur pays pour participer à la réalisation de son unité et
son futur développement. Il suivra une formation militaire et à
son retour à Douala, il aidera les Allemands à briser les
résistances. La carrière militaire de Samba se fait sous
l'autorité de gouverneur Puttkamer.
En 1900, Samba s'établit comme commerçant et
s'installe à Olama où il demeurera 10 ans, de 1902 à 1912.
Les excès des Allemands le pousseront à monter des réseaux
de résistances mais aussi d'aider d'autres résistants. En effet,
le comble de ces excès est atteint lorsque Hans Dominik et un certain
Hagen dit Mendom, en mal de divertissement se rendent avec une escouade de la
schutztruppe sur la grande plage de Kribi et jettent à la mer des
dizaines d'enfants qui finissent par se noyer. Les parents assistent au drame
et sont tenus en respect par les miliciens. Ce fut l'une des causes ayant
décidé Samba à réagir. Il aurait été
instructifs pour nous de consulter les ouvrages de la bibliographie de Mbono
Samba Azan Madeleine afin de pouvoir les exploiter. Cette bibliographie se
trouve en annexe 5.
Son entreprise commerciale va lui servir de couverture pour
son activité clandestine. Il rencontrera à plusieurs reprises le
chef Manga Bell à Douala, le chef Edandé Mbita, chef de Nkomakak
près de Kribi et le chef Madola aux pays Bakoko. Cette résistance
à un même problème fait naître une communauté
d'interêt entre ces différents personnages qui dans un autre
contexte n'auraient pas été alliés.
En définitive, ces résistances ont eu des effets
indéniables dans le processus de formation de l'Etat camerounais.
B.LA NAISSANCE D'UNE COHESION SOCIALE
Comme le dit si bien Georges Simmel, le conflit est un
instrument de régulation sociale. Il rétablit l'unité et
renforce la cohésion interne d'un groupe en accroissant sa
centralisation. L'exemple du peuple Douala est instructif dans ce cas. En
effet, les résistances pacifiques eurent pour conséquences
indirectes que toute la tribu Douala prit plus conscience de ses
intérêts commun, que les membres se rapprochèrent
étroitement et qu'une personnalité liée au peuple
émergea parmi eux. Au début, R. Manga Bell jouissait à
peine d'autorité que ne lui conférait sa qualité de chef
supérieur. Mais par l'acquisition d'un grand crédit auprès
de sa tribu, il fut désigné comme porte parole (Ruger 1986 :
154-155).
Par ailleurs, le succès de la pétition au
Reichstag que les Doualas avaient entrepris se répandit dans
l'arrière-pays du territoire camerounais. Il y aura un rapprochement
entre des tribus Doualas et Bassa alors que leurs relations étaient
assez hypothéquées pour des raisons historiques. L'opposition
commune à la puissance coloniale favorisera l'unité d'action des
différentes tribus et c'est dans ce cadre qu'interviendra Martin Paul
Samba. Dans son souci de mettre fin à cette expropriation, Rudolph Manga
Bell et ses compagnons mettront tout en oeuvre pour élargir et
approfondir leur champ d'action, mobiliser le plus de gens et de tribus et
canaliser les efforts de tous.
En plus, la lutte pour l'hégémonie est un moment
crucial de la régulation politique. En effet, " la formation
des acteurs, leurs affrontements et leur alliance incorporent
immédiatement des schémas cognitifs, des symboles et des valeurs
(...) de plus, la conduite de toute négociation implique la construction
d'un langage commun, d'une définition partagée de la situation
sociale entre les protagonistes " (Commaille et Bruno 1998 : 134).
Les tentatives des deux parties en conflits de trouver une solution au
problème ont favorisé la naissance d'une communauté de
politique publique. S'instaure alors la conduite des débats et des
controverses entre les différents réseaux de politiques
publiques.
L'ordre politique n'est pas une donnée naturelle. C'est
un processus de construction permanent qui pèse sur l'orientation de la
régulation politique. La recherche des compromis entre les parties
montre déjà la reconnaissance de l'autre et son acceptation
devient plausible. La violence s'accroît et devient plus saillante
là où surgit généralement l'incertitude sur les
frontières c'est-à-dire lorsque les règles
généralement acceptées, ces lignes de partages qui
enseignent à chacun des rôles et des droits définis dans
l'ordre domestique sont transgressées (Braud 2004 : 16-17).
La lutte contre un ennemi commun a fait naître une
certaine unité entre les groupes sociaux camerounais. Des populations
qui n'avaient parfois aucun lien commun s'organisent de façon
cohérente afin de formuler de façon claire leurs demandes. En
demandant des comptes au pouvoir allemand, les Camerounais reconnaissent tous
la suprématie du pouvoir allemand sur leurs autorités politiques.
Par ailleurs, la demande d'institution provenant de l'intérieur,
c'est-à-dire des populations, on assiste à la construction d'un
Etat-nation.
Toutefois, par le biais de leurs forces armées, les
Allemands vont réussir à imposer de nouvelles praxis sociales et
les populations camerounaises seront dans l'obligation de se mettre à
l'école de l'apprentissage de jeux nouveaux.
II - LES RESISTANCES COMME PASSERELLE D'IMPOSITION DE
L'ORDRE POLITIQUE EXTERNE
La nouvelle praxis sociale exprime et induit à la fois
" une nouvelle structuration du champ, ce qui signifie non seulement
d'autres méthodes mais aussi d'autres problèmes et d'autres
résultats, en même temps qu'un nouveau système d'action
différent se régulant autrement " (Crozier et Friedberg
1977 : 341-342). Beaucoup de périodes de changement rapide,
c'est-à-dire d'apprentissage de jeux nouveaux, ont été
effectivement des périodes d'effervescence dans lesquelles les conflits
se sont souvent exacerbés et la violence à un moment donné
a régné. Par le biais des résistances, les
autorités allemandes vont réussir à imposer leur ordre
politique à travers le dépouillement des chefs traditionnels
récalcitrants et par la restauration de l'ordre.
A.
LE DEPOUILLEMENT DES CHEFS TRADITIONNELS RECALCITRANTS DE LEURS COMPETENCES
Avec leurs troupes armées, les Allemands dans le but de
mettre au pas les chefs traditionnels réticents au nouvel ordre
politique vont soit dépouiller ceux-ci de leurs compétences, soit
les emprisonner.
Cette limitation des pouvoirs des chefs traditionnels
s'observe par l'accroissement des compétences de certains chefs. Notons
que certains chefs virent dans le pouvoir allemand un moyen d'augmenter leur
territoire mais aussi leur influence. En retour, ils servaient de courroie de
transmission entre les autorités Allemandes et les Camerounais. Ces
chefs virent leurs prérogatives augmenter tandis que ceux qui
résistaient virent soit leur territoire annexé par ces chefs
collaborateurs, soit leur pouvoir de juridiction annulé. Le cas de Bali
sous Fon Galega est un exemple patent. En effet, à travers la
collaboration de Galega et plus tard celle de son fils Fonyonga
l'autorité Bali s'élargit. Plusieurs chefferies furent
placées sous l'autorité directe de Bali telle la chefferie Batebe
qui fut soustrait de l'autorité Bali par le gouvernement impérial
en 1912 sous prétexte qu'elle y fut placée de force, (Gomsu 1986
: 129-130).
Ce type de pratique s'observera aussi dans les lamidats.
Lé préambule du traité du 11 septembre 1899 de Tibati est
un bel exemple de la destitution d'un chef au profit d'un autre
désigné par les Allemands. En effet, " une fois le
Sultan Mohamma, destitué après sa capture parce qu'il n'a pas
rempli les conditions de paix et qu'en outre son autorité sur la
population à complètement diminué, j'installe au nom de sa
majesté l'empereur et roi d'Allemagne le Yerima Chiroma comme Sultan au
Royaume de Tibati ", (Kum'a Ndumbe III 1986 : 67).
Par ailleurs, avec l'emprisonnement de certains chefs, les
Allemands vont consolider leur ordre. Chez les Doualas, des peines de
déportation prononcées contre certains de leurs membres influents
furent suspendues à des conditions expresses dont la principale
était la reconnaissance de l'autorité coloniale et la soumission
à cette même autorité. Manga Bell fut exilé au Togo
de novembre 1888 à janvier 1890 et Manga Bell, frère de King Akwa
fut condamné à la déportation jusqu'en 1886, ceci
après le soulèvement de décembre 1884 (Gomsu 1986 : 129).
Par les contestations, l'exploitation du territoire du
Cameroun n'était plus aisée. Il fallait donc la restauration de
l'ordre comme voulue par les Allemands.
B. LA RESTAURATION DE L'ORDRE PAR
LES AUTORITES ALLEMANDES COMME L'UNE DES ETAPES FONDAMENTALES DU PROCESSUS DE
CONSTRUCTION DE L'ETAT CAMEROUNAIS
Par des répressions brutales, les forces armées
allemandes rétabliront l'ordre souhaité par eux. Les chefs qui ne
voudront pas se soumettre seront exécutés. On a le cas de
Simeko'o, chef Yezum de Lembé qui fut empoisonné. En effet,
après que von Kruezzo et ses troupes aient réussit à
briser sa résistance, il laissa non seulement la vie sauve à
Simeko'o mais il lui promit également qu'il le reconnaissait comme le
chef de tous les Yezum ; pour fêter cette réconciliation, von
Kruezzo lui fat parvenir de nombreux cadeaux parmi lesquelles une caisse de gin
dont une bouteille de qualité supérieure est
réservé à Simeko'o en sa qualité de chef, (Mbono
Samba Azan 1976 : 74-75). C'est ainsi que ce vin empoisonné
consumera Simeko'o qui mourra de mort lente.
Les traités de paix seront des moyens
d'assujettissement de certains chefs récalcitrants.
Rédigés en allemand, ils imposent la reconnaissance de la
souveraineté allemande et les autorités traditionnelles
signataires acceptent de se soumettre à l'autorité du Reich
(Kum'a Ndumbe III 1986 : 65). A titre illustratif, le traité de
Ngaoundéré du 20 Septembre 1901 signé par le Lamido Maii
du royaume de Ngaoundéré est un exemple patent de l'acceptation
de l'ordre allemand. Ce lamido promet entre autres : de toujours se
soumettre au gouvernement allemand et d'exécuter sans faute les
directives de ce dernier ; de s'engager en outre à ne pas mener
indépendamment une guerre c'est-à-dire sans l'accord de
l'autorité allemande. Il s'engage cependant à " assurer la
sécurité des routes commerciales", (Kum'a Ndumbe III 1986 :
65). La défaite militaire se traduit ainsi par la soumission politique
sans conditions.
Le Lamido Abo (de Yoko) s'engage non seulement à
construire de bonnes routes commerciales de Tibati à Banyo et
Ngaoundéré mais le vaincu doit aussi payer des dommages de guerre
et fournir une main d'oeuvre gratuite à l'autorité allemande.
Le Lamido de Lombel s'engage à fournir 20 travailleurs
au gouvernement impérial chaque mois contre une
rémunération de 6 Mark, à fournir sur demande des
travailleurs au poste allemand de Garua, poste à construire.
Au centre et au sud, la résistance des chefs comme
Siméko'o, chef Yezum de Lembé, le chef Ntonga dans la
région du sud-Cameroun va être brisée (Mbono Samba Azan
1976 : 62-64).
Il arrivait souvent qu'après ces victoires, les
Allemands se montrent magnanimes à l'égard des vaincus. Ce fut le
cas des chefs rétablis dans toutes leurs prérogatives comme se
fut le cas de Ntonga.
Par ces traités, les dirigeants locaux conservent une
partie de pouvoir sur leurs sujets puisque les Allemands n'abolissent pas le
royaume ou la principauté car ils installeront même de nouveaux
chefs dociles là où besoin est. Mais ces princes perdront
cependant leur souveraineté et leur autonomie d'action car ils se
soumettront à l'autorité allemande qui deviendra vers 1907
l'autorité réelle sur l'ensemble du territoire.
La colonisation ne fut acceptée avec contentement nulle
part. Les acteurs locaux essayèrent uniquement de composer avec elle.
Certains préférèrent la collaboration et d'autres,
plutôt la résistance. Que se soit l'un ou l'autre, les Allemands
utiliseront tout cela pour imposer leur autorité. Tout ceci contribua
à la mise en place de certains fondements ayant contribué
à la formation de l'Etat camerounais. Il y a eu construction parce que
le rapport de force a été favorable aux Allemands. Ceux-ci ont
transcendé les multiples clivages sociaux et ont brisé les micros
Etats en les insérant dans un processus global.
Conclusion
générale
L'objectif principal de cette recherche a été de
comprendre comment la mise en administration de la société dans
le domaine agricole a formé l'Etat camerounais au début du
20ème siècle. Cette réflexion s'est construite
autour la l'hypothèse centrale suivante : le changement du mode de
production au Cameroun par l'imposition des cultures de rente est une
modalité de construction de l'Etat dans le cadre de relation de pouvoir
que différents acteurs entretiennent entre eux tantôt en
coopérant, tantôt en s'affrontant. La conclusion
générale reprend les idées transversales de cette
recherche, ce qui amène à se prononcer sur ses apports et les
nouvelles questions suscitées par l'analyse des politiques agricoles
dans la mise en administration de la société camerounaise.
Afin d'appréhender les effets du changement de mode de
production sur l'émergence de l'Etat camerounais, cette recherche repose
sur l'étude du changement de mode de production dans le territoire du
Cameroun. Ce territoire offre un panel d'acteurs et de situations permettant
d'analyser les impacts de l'application des politiques agricoles allemandes sur
la formation de l'Etat camerounais. Cette recherche permet de valider les
assertions de certains sociologues (Lagroye, etc.) en articulant la
réflexion sur la complexification de l'environnement, les acteurs et le
territoire. Afin de synthétiser les apports essentiels de ce travail,
les idées fortes et transversales qui en émergent sont
présentées dans les paragraphes qui suivent, ce qui permet ainsi
de valider l'hypothèse.
Concernant les causes de la complexification de
l'environnement interne du Cameroun, il a tout d'abord été
vérifié que la situation économique et agricole de
l'Allemagne a été l'élément clé ayant
motivé l'annexion du Cameroun. La crise agricole que connu l'empire
allemand au 20ème siècle provoquera des troubles dans
le jeune Etat constitué pour la grande part par Bismarck. C'est tout
naturellement que dans la recherche des solutions pour résorber les
effets de cette crise, les Allemands vont se tourner vers les
potentialités économiques qu'offraient les côtes
camerounaises. Dans le souci de générer des profits, les
Allemands vont rechercher des terres pour la culture de certains produits, mais
aussi, rechercher des débouchés pour l'excédant de leur
produits. Seulement, loin de rencontrer des populations vivant de
manière `'sauvage'' comme voulait bien le faire croire certains
chercheurs européens (Victor Hugo, Montesquieu, Voltaire etc.), les
Allemands vont trouver sur place des sociétés camerounaises
politiquement organisées. Leur arrivée va provoquer des
changements, remettant ainsi en question l'ordre préexistant. On
assistera au changement des pôles de pouvoir et à une
réorganisation des terres. Cette réorganisation des terres et
cette introduction de nouveaux produits et technique agricoles ne suivront pas
une seule logique.
Les notions d'autorités allemandes, de diversité
des politiques agricoles permettent donc de prendre en compte à la fois
l'impact des contraintes environnementales sur les politiques agraires mises en
oeuvre au Cameroun afin de répondre aux nouvelles attentes de la
société. Ainsi, la diversité des politiques agricoles
permet une étatisation progressive de la société
camerounaise. Cette étatisation peut se suivre en fonction des
période d'application de chaque politique. C'est ainsi que du chancelier
Bismarck à Hohenlohe, c'est-à-dire de 1884 à 1900, les
politiques agricoles appliquées au Cameroun répondront plus aux
intérêts des particuliers allemands et recevront un appui
mitigé de l'empire. Seulement, on assiste à un changement radical
de politique à partir de 1900. A la différence de leurs
prédécesseurs, ces nouvelles politiques agricoles vont donner une
place prépondérante aux populations locales. C'est ainsi qu'on
assistera à une scolarisation des colonisés ce qui permettra une
communication plus aisé entre des populations jusqu'alors
étrangères les unes des autres pour la plus part. Par ailleurs,
l'augmentation du recrutement de la main-d'oeuvre locale occasionne un brassage
des populations posant ainsi des bases de la nation camerounaise.
Loin d'être passive, on va assister au cours de cette
étatisation à l'élaboration par les Camerounais d'une
logique locale, soit pour maintenir les anciens acquis sociaux, soit pour se
positionner sur le nouvel échiquier national. Par le biais de la
collaboration et des résistances aux différents bouleversements
occasionnés par l'introduction des nouvelles politiques agricoles, les
Allemands vont réussir à forcer une cohabitation entre les
différents groupes sociaux camerounais, mais aussi, à
contrôler à partir d'un centre unique la plus part des populations
résidants sur le territoire camerounais.
Les nombreux documents archivistiques consultés
permettent de comprendre se processus d'étatisation du Cameroun.
Seulement, notre incapacité à entrer en possession de certains
documents a quelque peu limité nos investigations. Parmi ces documents,
nous avons cité quelques uns dans les annexes 5 et 7.
Malgré ces difficultés, cette recherche nous a
appris qu'on ne peut comprendre les politiques agricoles du Cameroun actuel
sans un retour dans la pratique de celles-ci durant la période
coloniale. Nous avons pu constater que par le biais des politiques agricoles,
l'Etat autorégule et autocontrôle les populations résidants
sur son territoire. Puisque la construction de l'Eta suppose une colonisation
de la terre et une mise en discipline des populations, l'étude de
l'imposition des cultures de rente au Cameroun nous a permis de rendre compte
de l'émergence de l'Etat camerounais. Ceci parce qu'au cours de nos
investigations, nous avons pu constater que par le biais des politiques
agricoles, les Allemands vont non seulement réussir à
contrôler et réguler les populations résidents sur le
territoire camerounais, mais en plus, ils vont devenir les maîtres de la
terre.
A la fin de cette recherche, sont nées plusieurs
préoccupations. Etant actuellement un Etat souverain et
indépendant,
- Comment l'Etat camerounais s'est-il approprié ces
cultures ?
- Comment ces cultures peuvent-elles être des moyens
pour les Etats africains de faire naître une cohésion sociale
pouvant contribuer à des régimes politiques stables ?
Autant de questions qui mérite une recherche
approfondie et pouvant contribuer à la compréhension des Etats
africains.
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Amtsblatt, organisation politique des indigènes et son
emploi dans l'administration et la juridiction du protectorat du Cameroun.
Ø ANY, TA 22 et bis, 1896
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la création, la prise de possession et l'aliénation des terres de
la couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le
territoire du Cameroun du 15 juin 1896.
Ø ANY, TA 22 et bis, 1896
Législation pour le Cameroun, règlement du
chancelier d'Empire concernant l'exécution de l'ordonnance souveraine du
15 juin 1896 sur la création, la prise de possession etc. des terres de
la couronne et sur l'acquisition etc. des parcelles foncières au
Cameroun, du 17 octobre 1896.
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régime foncier, Arrêté du gouverneur touchant les
terres de la couronne du 10 Octobre 1904.
Ø ANY, TA 22 et bis,
Extrait de la circulaire du Gouverneur du 10 Octobre 1904 sur
l'exécution
de l'ordonnance sur le domaine de la couronne.
Ø ANY, TA 22 et bis,
Circulaire du Gouverneur touchant la procédure
à suivre dans la conclusion de contrat de vente et de location de
parcelles foncières du 18 avril 1910.
Ø ANY, TA 22 et bis,
Ordonnance impériale concernant l'expropriation de bien
fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février
1903.
Ø ANY, TA 22 et bis,
Ordonnance du Chancelier pour l'exécution de la section
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dans les protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février 1903,
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Ø ANB, Pf/h/1916/1,
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Ø ANB, 22/17-KCG/1916/1,
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Source: NKOT Pierre Fabien (2001),
«Perversion politique du droit et construction de l'Etat unitaire au
Cameroun», université de Laval, thèse présenté
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l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D), p. 315.
Annexe 2 : Carte du Cameroun avant 1911.
Source : NKOT Pierre Fabien
(2001), «Perversion politique du droit et construction de l'Etat unitaire
au Cameroun», université de Laval, thèse
présenté à la faculté des études
supérieures pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D), p.
316.
Annexe 3 : Carte des plantations et des
réserves de la division de Victoria de 1897 à 1899
Source: ARDENER Edwin, ARDENER
Shirley, WARMINGTON W. A. (1960), Plantation and village in the Cameroons,
some economics and social studies, Oxford University press, p. 313.
Annexe 4: Carte des plantations et des réserves de
la division de Victoria en 1914
Source: ARDENER Edwin, ARDENER
Shirley, WARMINGTON W. A. (1960), Plantation and village in the Cameroons,
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janvier 1960, p. 12), " Quelques grands anciens ".
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p.3), rubrique "contribution à l'histoire de demain" : "
Aperçu sur la bibliographie de Paul-Martin Samba ", par un capitaine
d'infanterie allemande.
- Revue Afrique, mon pays (revue mensuelle n°25,
spécial Cameroun, p. 7).
- L'évolution coloniale : Samba
Martin-Paul, traduction française (épuisé).
- Von Hans Dominik : Kameroun (p. 148).
- Curt von Morgen : A travers le Cameroun du sud au
nord (traduction française).
- Curt von Morgen : A travers le Cameroun du sud au
nord (commentaires).
- Curt von Morgen, bibliographie, index, de Philippe
Laburthe-Tolra.
- Dossier de l'enquête sur l'histoire " vraie " du
Cameroun, de 1860 à 1884.
- Fiche de Zollo Charles, instituteur en service à
l'inspection de l'enseignement primaire d'Ebolowa, (bureau pédagogique,
Ebolowa, 14 juin 1967).
- Relations orales recueillies par Mme Mbono Samba Azan
Madeleine, professeur de géographie et d'histoire au lycée
générale Leclerc à Yaoundé.
- Archives privées familiales de m. Samba Ndutum'Obam
Martin Akok Kribi.
- Manuscrit divers sur la tribu boulou de M. Nlem
Ntem-Moïse Yaoundé.
- Hermann Ntonga Menye : Samba Martin-Paul (en
boulou, imprimerie d'Etat, Ebolowa ; épuisé).
Annexe 6 : Le traité germano-douala du 12
juillet 1884
Nous soussignés, rois et chefs du territoire
nommé Cameroun, situé le long du fleuve Cameroun, entre les
fleuves Bimbia au Nord et Kwakwa au Sud, et jusqu'au 4°10'
dégré de longitude Nord, avons aujourd'hui, au cours d'une
assemblée tenue en la factorerie allemande sur le rivage du roi Akwa,
volontairement décidé que :
- Nous abandonnons totalement aujourd'hui nos droits
concernant la souveraineté, la législation et l'administration de
notre territoire,
- A MM. Edouard Schmidt, agissant pour le compte de la firme
C. Woermann, et Johaness Voss, agissant pour le compte de la firme Jantzen et
Thormanlen, toutes deux à Hambourg et commerçants depuis des
années dans ces fleuves,
- Nous avons transféré nos droits de
souveraineté, de législation et d'administration de notre
territoire aux firmes susmentionnées avec les réserves
suivantes :
Article 1er : Le territoire
ne peut être cédé à une tierce personne.
Article 2 : Tous les traités
d'amitié et de commerce qui ont été conclus avec d'autres
gouvernements étrangers doivent rester pleinement valables.
Article 3 : Les terrains cultivés
par nous et les emplacements sur lesquels se trouvent des villages, doivent
rester la propriété des possesseurs actuels et de leurs
descendants.
Article 4 : Les péages doivent
être payés annuellement comme par le passé, aux rois et aux
chefs.
Article 5 : Pendant les premiers temps
de l'établissement d'une administration ici, nos coutumes locales et nos
usages doivent être respectés.
Cameroun, le 12 juillet 1884.
Ont signé : Ed. Woermann Ont signé :
Roi Akwa
Témoins :
Témoins :
O. Busch David Meato Johannes V j
Endene Akwa King Bell
Ed. Schniidt Joe Garaer
Coffer Angwa Big Jini Akwa
John Angwa William Akwa
Manga Akwa Jirn Joss
Scott Jost Matt Joss
Lorten Akwa David Jo83
Ned Akwa London Bell
Jacco Esqre Elame Joss
Barrow Peter Black Akwa
Lookmgglass Bell
Annexe 7 : Côte documents en allemand aux
archives nationales de Yaoundé
1. FA 1/818, agriculture et plantation en pays tropical :
le mais (généralités) 1895-1913.
2. FA 1/820, effort en vue de développer la culture de
riz dans les protectorats allemands et en particulier au Cameroun :
1885-1914.
3. FA 1 /790, proposition du Professeur HASS de Victoria
relative à la création dans cette ville d'une école
d'agriculture destinée aux indigènes, 1906.
4. FA 1/791, création d'écoles d'agriculture et
formation d'indigènes dans l'agriculture, 1908-1914.
5. FA 1/796, entrée des élèves à
l'école d'agriculture du centre d'essais de victoria et placement
à l'issue de leurs études, 1910-1914.
6. FA 1/774, arrêtés, ordonnances et
décisions relatifs à l'agriculture et aux essais agricole au
Cameroun (généralités), 1891-1914.
7. FA 1/777, création et activité du centre
d'essais agricoles de Victoria, ex-jardin botanique
(généralités), 1889-1914.
8. FA 1/846, mesures destinées à
développer la culture de la banane dans le protectorat du Cameroun et
informations générales sur le rapport de cette culture dans les
pays producteurs, 1901-1914.
9. FA 1/808, effort de la Kamerun-kakao-gesellschaft mbh de
Hambourg pour assurer la récolte de cacao du protectorat en vue de
créer un produit de marque « cacao du Cameroun »,
1896.
10. FA 1/807, mémoire accompagnant le budget 1912-1913
et traitant de l'état et du développement de l'agriculture du
Cameroun, 1911.
11. FA 1/807, mesures destinées à faire
participer les missions à l'expansion de la culture du cacao dans le
protectorat du Cameroun, 1913.
12. FA 1/808, « guide pour la culture du cacao par
les indigènes » produit par le centre d'essais agricoles de
Victoria (projet), 1913.
13. FA 1/864, rapport de l'assistant agronome BERGER sur la
mission dans la région du Mungo en vue d'encourager la culture du cacao
par les indigènes.
14. FA 1/810, développement de la culture du coton
dans le protectorat du Cameroun, 1908-1913.
15. FA 1/810, rapport d'activité de la station
d'essais agricoles de Pitoa, près de Garoua en particulier sur les
essais de la culture du coton, 1912.
16. FA 1/813, développement de la culture du
café par l'ancien jardin botanique devenu centre d'essais agricoles de
Victoria, 1896-1912.
17. FA 4/184, prises de position du gouverneur SEITZ et du
secrétaire d'Etat DERNBURG au sujet de la culture expérimentale
du tabac dans la région du Mungo et de la formation de la main d'oeuvre
indigène par la plantation que la Tabakversuchsgesellschaft des
Deutschen Tabakverins envisage de créer dans la région de
Mémé, 1908-1909.
18. FA 1/798, rapport sur l'expédition envoyée
au Cameroun et au Congo par la Kolonial-wirtschaftliches komitee de Berlin pour
prospecter les régions productrices de caoutchouc (confidentiel),
1899.
19. FA 1/802, effort de réorganisation du commerce du
caoutchouc et rapports sur la préparation du caoutchouc dans le
protectorat du Cameroun, vol.3 :1914.
20. FA 1/684, rapport du gouvernement du Cameroun sur la
situation économique dans le sud du protectorat (crise de caoutchouc,
construction des routes, question ouvrière), 1913.
21. FA 1/787, activité agricole et essais agronomiques
et botaniques dans le district de Bamenda, 1904-1914.
22. FA 1/963, rapport sur l'avancement des travaux
d'élevage des palmiers dans la région de Dibombari, 1914.
23. FA 1/849, prospectus et autres documents sur les machines
et installations permettant l'extraction de l'huile de palme, 1909-1914.
24. FA 1/826, culture expérimentale de l'arachide dans
le protectorat du Cameroun, 1914.
25. FA 1/853, essais de culture de froment de l'Adamaoua et
de céréales d'Allemagne (blé, seigle, orge) dans le
protectorat du Cameroun, 1909-1914.
26. FA 1/756, rapport du capitaine ADAMETZ de l'armée
coloniale du Cameroun au sujet d'une expédition d'information
économique menée dans le district de Bamenda et destinée
à évaluer la rentabilité du projet de prolongement du
Nordbahn de Nkongsamba à Foumban par Dschang.
27. FA 4/328, état des propriétés
foncières indigènes à Bibundi (district de Victoria) et
à Douala, 1901-1910.
28. FA 4/329, dispositions, ordonnances et décisions
générales concernant les propriétés
foncières indigènes, 1898-1912.
29. FA 4/330, prise de position du Dr MEYER, chef du district
de Victoria au sujet des droits fondamentaux des indigènes à la
propriété foncière.
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Pourcentage des décès des
populations blanches de 1890 à 1894 dans le territoire du
Cameroun...............................................................................................66
Tableau 2 : Horaires des cours dispensés par les
Allemands dans les écoles du
Cameroun....................................................................................................................81
LISTES DES
ANNEXES
Annexes 1 : Carte du Carte du Cameroun de 1885 à
1895.....................................123
Annexe 2 : Carte du Cameroun avant
1911.............................................................124
Annexe 3 : Carte des plantations et des réserves
de la division de Victoria de 1897 à
1899...........................................................................................................................125
Annexe 4 : Carte des plantations et des réserves
de la division de Victoria en
1914...........................................................................................................................126
Annexe 5 : Bibliographie de l'ouvrage d'Azan Mbono Samba
Madeleine portant sur Martin Paul Samba face à la
pénétration allemande au Cameroun.........................127
Annexe 6 : Traité germano-douala du 12 juillet
1884.............................................128
Annexe 7 : Côte documents en allemand aux archives
nationales de Yaoundé......130
TABLE DES MATIERES
DEDICACE..............................................................................................................................2
REMERCIEMENT...................................................................................................................3
SOMMAIRE.............................................................................................................................5
INTRODUCTION GENERALE
7
I-LA CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ETUDE
10
A-DEFINITIONS DES CONCEPTS
10
1. Que sont les cultures de rente ?
10
2. La formation de l'Etat
11
B- LE CHANGEMENT DU MODE DE PRODUCTION COMME ENJEU
CENTRAL DANS LE PROCESSUS DE FORMATION DE L'ETAT
12
C- HYPOTHESE DE TRAVAIL
13
D- INTERET DE L'ETUDE
14
1. Renouveler la connaissance de la formation de
l'Etat camerounais du point de vue de la sociologie historique de l'action
publique
14
2-Les politiques agraires et la formation de
l'Etat : une manière inédite de penser l'historicité
de l'Etat camerounais
16
II. CADRE OPERATOIRE D'ANALYSE
16
A- CADRE GEOGRAPHIQUE DE LA RECHERCHE
16
B- BORNES CHRONOLOGIQUES
17
III. PENSER L'EMERGENCE DE L'ETAT CAMEROUNAIS
18
A. ENTRE LA SOCIOLOGIE HISTORIQUE DE L'ETAT ET LA
SOCIOLOGIE DE L'ACTION PUBLIQUE
18
1. Pour une sociologie historique de l'Etat
camerounais par les politiques agricoles
19
2. L'apport spécifique de la sociologie de
l'action publique
20
B. APPORT DE L'ANALYSE NEO-INSTITUTIONNALISTE DANS
L'ETUDE DE LA FORMATION DE L'ETAT
20
1. Le néo-institutionnalisme historique
21
2. Le néo-institutionnalisme sociologique
22
3. Au-delà de l'institution : penser les
acteurs dans les politiques agricoles
22
C- APPORT DE L'APPROCHE CONSTRUCTIVISTE DANS L'ETUDE
DE LA MISE EN ADMINISTRATION DE LA SOCIETE CAMEROUNAISE
23
D-LES TECHNIQUES DE COLLECTES DES DONNEES
25
1. Les raisons du choix des données
25
2. La collecte des données
26
3. Difficultés rencontrées au cours de
la collecte des données.
26
PREMIER CHAPITRE: POLITIQUE AGRICOLE ALLEMANDE
DU XIXÈME SIÈCLE COMME RAISON DE L'INSTAURATION DE LA
SOUVERAINETE ALLEMANDE AU
CAMEROUN........................................................................
28
SECTION I : DE LA SITUATION AGRICOLE DE L'EMPIRE ALLEMAND
A LA NECESSITE DE POSSEDER LES RICHESSSES DU TERRITOIRE DU CAMEROUN
...............................................................................................................
30
I- LA CRISE AGRICOLE DE L'EMPIRE ALLEMAND DU
XIXème SIECLE
30
A. LES MOBILES DE LA CRISE
30
1. La révolution industrielle
30
2. La «mondialisation» du commerce
31
B- DE LA PROLIFERATION DES EFFETS POLITIQUES DE LA
CRISE AUX TENTATIVES DE SA NEUTRALISATION
31
1. La prolifération des effets politiques de la
crise
31
2. Le protectionnisme comme principale
stratégie de la neutralisation de la crise
32
3. Penser les acteurs privés allemands dans
l'investissement des capitaux hors de l'Allemagne
33
II- LES POTENTIALITES ECONOMIQUES DU CAMEROUN COMME
SOLUTIONS A CERTAINS PROBLEMES AGRICOLES DE L'ALLEMAGNE
35
A. LE TERRITOIRE DU CAMEROUN DE 1884 A 1914 : UN
ESPACE CONSTAMMENT REDEFINI EN FONCTION DES ENJEUX ECONOMIQUES DE L'HEURE PAR
LES ACTEURS
35
B. LA FORTE ATTRACTION DES RICHESSES DU CAMEROUN SUR
LES OPERATEURS ECONOMIQUES ALLEMANDS
36
SECTION II : L'INSTAURATION DE LA SOUVERAINETE ALLEMANDE
AU CAMEROUN
38
I- CONFIGURATIONS POLITIQUES ET ECONOMIQUES DE
CERTAINES SOCIETES PRECOLONIALES AVANT L'INSTAURATION DE LA SOUVERAINETE
ALLEMANDE
39
A. LES SOCIETES PRECOLONIALES COMME ENTITES DISPOSANT
D'UNE REELLE AUTONOMIE POLITIQUE
39
B. REPARTITION SPATIALE DE L'ACTIVITE ECONOMIQUE
41
1. Répartition spatiale des systèmes
agricoles
41
2. Du rapport à la terre à la
densification des relations commerciales et à la transformation de la
notion de richesse avant l'avènement de la colonisation
42
a. Du rapport à la terre à la densification
des relations commerciales
42
b. La transformation de la notion de richesse dans les
sociétés traditionnelles avant l'arrivée des
Allemands
44
II- DE LA CONFRONTATION DES SYSTEMES POLITIQUES
TRADITIONNELS AVEC LE DROIT NOUVEAU A LA FIXATION DE NOUVELLES REGLES DANS LA
COLONIE DU CAMEROUN
46
A. MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE ORGANISATION DES
TERRES
46
B. LE CHANGEMENT DES PÔLES DE POUVOIR
48
DEUXIEME CHAPITRE : AUTORITES ALLEMANDES,
DIVERSITE DES POLITIQUES AGRICOLES ET PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE L'ETAT
CAMEROUNAIS
53
SECTION I : LA LENTE CONSTRUCTION DU MONOPOLE DES
POLITIQUES AGRAIRES DANS LE TERRITOIRE DU CAMEROUN PAR LES AURORITES ALLEMANDES
56
I- ENGAGEMENT PARTIEL DE L'EMPIRE ALLEMAND DANS LA
PRODUCTION DES CULTURES DE RENTE : DE L'ENGAGEMENT MINIMUM A
L'INTERVENTIONNISME RELATIF DES AUTORITES POLITIQUES ALLEMANDES
57
A. LA MANIFESTATION D'UN CERTAIN DESINTERET POUR
L'ENTREPRISE COLONIALE PAR BISMARCK ET CAPRIVI
57
1. Le désintérêt de Bismarck
(1871-1890) pour l'entreprise coloniale
57
2. Un intérêt mitigé de Léo
von CAPRIVI (1890-1894) pour l'entreprise coloniale
59
B. LE BALBUTIEMENT SUBSEQUENT DE L'ENGAGEMENT DE
BISMARCK ET DE CAPRIVI DANS LES CONQUETES COLONIALES
60
1. La centralisation du dispositif institutionnel
60
2. L'abandon progressive de la spéculation
foncière et l'acquisition des plantations par les Allemands
61
II- DE L'INTERVENTIONNISME RELATIF DANS L'EXPLOITATION
ECONOMIQUE DU CAMEROUN A LA VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE
63
A.CHLODWIG ZU HOHENLOHE-SCHILLINGSFÜRST
(1894-1900)
63
B.HOHENLOHE, LA VULGARISATION DES CULTURES DE RENTES
ET LA REGULATION SOCIALE AU CAMEROUN
64
1. L'apprentissage de la culture de nouvelles plantes
par ouvriers Camerounais des plantations allemandes
65
a. De la nécessité de la main-d'oeuvre
indigène pour les plantations allemandes (....)
65
b-(...) à l'apprentissage de la culture des
nouvelles plantes par les Camerounais
67
2. L'émergence d'une cohésion sociale
68
SECTION II: DES POLITIQUES AGRICOLES ALLEMANDES
OFFENSIVES A L'EMERGENCE PROGRESSIVE DES STRUCTURES GENERATRICES DES SYSTEMES
DE CONTROLE DES POPULATIONS CAMEROUNAISES
70
I- L'AVENEMENT D'UNE POLITIQUE AGRICOLE ALLEMANDE PLUS
AGRESSIVE
70
A.VON BÜLOW, BERNHARD DERNBURG, Theobald von
BETHMANN-HOLLWEG ET L' INTERVENTIONNISME DE L'EMPIRE ALLEMAND DANS
L'EXPLOITATION ECONOMIQUE DU CAMEROUN
70
1. Bülow, Dernburg et l'avènement d'une
politique agricole plus agressive au Cameroun
71
2. Théobald von Bethmann-Hollweg (1909-1914) et
l'investissement des capitaux public de l'empire allemand
72
B- ACCELERATION DE L'EXPLOITATION AGRICOLE ET
REGLEMENTATION DU TRAVAIL DANS LA COLONIE DU CAMEROUN : DE LA COMMISSION
FONCIERE A L'INSTAURATION DE L'IMPÔT
74
1. Le renforcement des capacités
institutionnelles à travers la création de la commission
foncière
74
2. L'instauration de l'impôt et son impact sur
le contrôle des populations camerounaises
76
a. Le taux d'imposition comme stratégie de
subordination des Camerounais
76
b. Le mode de payement comme stratégie de
recrutement des ressources humaines du Cameroun pour la culture des produits de
rentes dans les plantations allemandes
77
II- LA REINTERPRETATION APPROPRIANTE DE LA POLITIQUE
D'ENSEIGNEMENT PAR LES ACTEURS ALLEMANDS
79
A. L'ADMINISTRATION, LES MISSIONS ET L'ENSEIGNEMENT
DANS LES COLONIES
79
1. Les programmes scolaires et la socialisation des
colonisés
80
2. La création des instituts agricoles
82
B. LA CONTRIBUTION DES ENSEIGNEMENTS AU
CONTRÔLE DES POPULATIONS
83
TROISIEME CHAPITRE : LA RECHERCHE D'UN EQUILIBRE
ENTRE POUVOIR POLITIQUE ALLEMAND ET SOCIETES POLITIQUES TRADITIONNELLES POUR LA
CONSTRUCTION D'UNE POLITIQUE AGRICOLE EFFICACE
86
SECTION I : UNE CONJONCTURE LOCALE
" FAVORABLE " AU NOUVEL ORDRE POLITIQUE
88
I- L'ADHESION VOLONTAIRE DES POPULATIONS INDIGENES AU
NOUVEL ORDRE SOCIO-POLITIQUE INSTITUE PAR LES ALLEMANDS
89
A. DE L'IMPOSITION DES CULTURES DE RENTE A LA
TRANSFORMATION DE LA NOTION DE RICHESSE ET DE PUISSANCE
89
B. IMPACT DE L'ATTRAIT DES NOUVELLES POSSIBILITES
D'ENRICHISSEMENT SUR LA COHESION NATIONALE
91
II-L'INTEGRATION DES CHEFS TRADITIONNELS DANS LA
STRATEGIE HEGEMONIQUE DU CENTRE
92
A. LE RECOUVREMENT DES IMPÔTS ET CONTRÔLE
FINANCIER DES AUTORITES POLITIQUES TRADITIONNELLES PAR LE POUVOIR COLONIAL
92
B. COLLABORATION DES CHEFS TRADITIONNELS ET
VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE
94
SECTION II : DE LA NEGOCIATION, DE L'IMPOSITION D'UN
ORDRE ALLEMAND AU PROCESSUS DE STABILISATION DU JEU POLITIQUE
96
I- LA RESISTANCE COMME MOYEN FAVORISANT LA NAISSANCE
D'UNE UNITE NATIONALE
96
A. LES CHEFS TRADITIONNELS, LES POPULATIONS
CAMEROUNAISES ET LE REFUS DE L'ACCEPTATION DE L'ORDRE ALLEMAND
97
1. Les résistances à la
pénétration allemande
97
2. Les résistances aux abus du pouvoir allemand
98
a. Des règles générales concernant
l'expropriation dans les colonies allemandes à la résistance des
Doualas
98
i. Règles générales concernant
l'expropriation dans les territoires allemands d'Afrique et de la mer du
Sud
99
ii. De la résistance des Doualas à leur
expropriation
101
b. Mebenga m'Ebono dit Martin Paul Samba et la
résistance au abus de la colonisation allemande
103
B.LA NAISSANCE D'UNE COHESION SOCIALE
103
II - LES RESISTANCES COMME PASSERELLE
D'IMPOSITION DE L'ORDRE POLITIQUE EXTERNE
105
A. LE DEPOUILLEMENT DES CHEFS TRADITIONNELS
RECALCITRANTS DE LEURS COMPETENCES
105
B. LA RESTAURATION DE L'ORDRE PAR LES AUTORITES
ALLEMANDES COMME L'UNE DES ETAPES FONDAMENTALES DU PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE
L'ETAT CAMEROUNAIS
106
CONCLUSION GÉNÉRALE
109
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
113
ANNEXES
122
LISTES DES TABLEAUX
133
LISTES DES ANNEXES
134
TABLE DES MATIERES
135
* 1.Tocqueville dans son
étude sur l'Algérie rédigée en 1841, marque la
différence entre domination et colonisation. La colonisation vise
à remplacer les anciens habitants par la race conquérante.
Différente de la domination qui consiste à mettre les habitants
sous sa dépendance et à les gouverner directement ou
indirectement, la colonisation du Cameroun ne fait pas ici
référence à une colonie de peuplement. Bien au contraire,
il s'agit plutôt d'une combinaison entre une domination totale et une
colonisation partielle car, l'étude de la soumission du territoire et la
mise en discipline des populations du Cameroun par les politiques agricoles
allemandes suivront cette combinaison.
* 2 URL :
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr
du 10 septembre 2008.
* 3. Nous avons
préféré ces deux approches (néo-institutionnalisme
historique et sociologique) au néo-institutionnalisme du choix
rationnel. Du fait que notre travail se situe dans une perspective
essentiellement constructiviste bien que centré sur les acteurs, le
choix rationnel ne nous sera pas d'une grande utilité car, notre
recherche porte sur une institution en train de se faire.
* 4. Les populations doualas
détenaient le monopole du commerce ce qui rendait difficile les
transactions entre les commerçants allemands et les populations de
l'arrière pays. Par ailleurs, la qualité du sol aux abords du
mont-Cameroun qui a d'abord rendu enthousiaste les colons s'est
révélée très vite pauvre en calcaire et en potasse.
Ce qui faisait que beaucoup de plantes que les Allemands voulaient acclimater
telles le cacaoyer et le palmier à huile ne pouvaient pas y être
cultivé car elles avaient précisément besoin pour leur
croissance d'une quantité importante de chaux et de potasse, Etoga
Eily, Sur les chemins du développement, CEPMAE, Yaoundé,
1971, p. 162
* 5. Le 13 septembre 1884,
Bismarck dira que `'the extension of our colonial possessions is not an object
of our policies. We are interested only to secure access to Africa for German
trade at those points which up to now are not subjected to the rule of other
powers''.
* 6. ANY, TA 22 et bis,
Circulaire du Gouverneur touchant la procédure à suivre dans la
conclusion de contrat de vente et de location de parcelles foncières du
18 avril 1910.
* 7. ANY, TA 22 et bis,
Circulaire souveraine sur la création, la prise de possession et
l'aliénation des terres de la couronne et sur l'acquisition et
l'aliénation des terres dans le territoire du Cameroun du 15 juin
1896.
* 8. ANY, TA 23, 1910,
Amtsblatt, l'organisation politique des indigènes et son emploi dans
l'administration et la juridiction du protectorat du Cameroun
* 9 ANY, TA 22 et bis, 1896,
Législation pour le Cameroun, circulaire souveraine sur la
création, la prise de possession et l'aliénation des terres de la
couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le
territoire du Cameroun du 15 juin 1896.
* 10. ANY, TA 22 et bis,
Législation pour le Cameroun, règlement du chancelier d'Empire
concernant l'exécution de l'ordonnance souveraine du 15 juin 1896 sur la
création, la prise de possession etc. des terres de la couronne et sur
l'acquisition etc. des parcelles foncières au Cameroun, du 17 octobre
1896.
* 11. Il est à noter
que la politique agricole de chaque chancelier sera influencée par le
poids politiques des hommes d'affaires allemands mais aussi par la situation
économique interne de l'Allemagne. On peut par exemple remarquer que le
chancelier Hohenlohe (1896-1900) sous lequel les lois les plus importantes pour
l'acquisition des terres au Cameroun ont été promulguées,
avait pour oncle le président de la ligue coloniale. Par ailleurs, il
devient chancelier à une époque où les allemands ont
commencé à découvrir les possibilités agricoles que
leur offre le Cameroun. Aussi, pouvons-nous dire que dans une certaine mesure,
ce contexte à faciliter en quelques sortes les décisions de
Hohenlohe à la différence du chancelier Bismarck (1870-1890) qui
règne dans un contexte où les socialistes montants militent pour
un investissement des capitaux à l'intérieur du pays.
* 12 Défendant
l'idée d'une unité culturelle allemande transcendant les
frontières, cette ligue contribuera dans une certaine mesure à
une croissance du pourcentage des populations allemandes dans le protectorat du
Cameroun.
* 13. Ce dernier aspect ne
sera effectif que sur le règne du chancelier von Bülow.
* 14 . ANY, FA 1/864, rapport
de l'assistant agronome BERGER sur la mission dans la région du Mungo en
vue d'encourager la culture du cacao par les indigènes.
* 15. ANY, FA 1/808,
« guide pour la culture du cacao par les indigènes »
produit par le centre d'essais agricoles de Victoria (projet), 1913.
* 16. ANY, TA 22 et bis,
Extrait de la circulaire du Gouverneur du 10 Octobre 1904 sur
l'exécution de l'ordonnance sur le domaine de la couronne.
* 17. ANB,
22/17-KCG/1916/1, Taxation Ossindige.
* 18 ANB, Pf/h/1916/1,
German prison laws-Victoria division
* 19. ANY, FA 1 /790,
proposition du Professeur HASS de Victoria relative à la création
dans cette ville d'une école d'agriculture destinée aux
indigènes, 1906.
* 20. ANY, TA 22 et bis,
Circulaire du Gouverneur touchant la procédure à suivre dans la
conclusion de contrat de vente et de location de parcelles foncières du
18 avril 1910.
* 21. Parler de désir
pouvoir ici fait référence aux mutations économiques
qu'ont connues certaines sociétés traditionnelles avant
l'arrivée des Allemands. Par le biais du commerce, certaines populations
dans le souci de se repositionner dans l'échiquier social verront dans
l'ordre allemand un moyen de s'enrichir.
* 22 ANB, Oa/a-1916/12,
Travelling allowance for non officials employed on the plantations 1916
Victoria division; Report on the collection of taxes in the Ossindinge
division, Cameroon province for the year 1916-17.
* 23 ANY, TA 22 et bis,
Ordonnance impériale concernant l'expropriation de bien fonds dans les
protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février 1903.
* 24 Le paragraphe 3 de cette
ordonnance stipule : " Lors de la prise de possession des terres de la
couronne dans les environs de l'installations indigènes existantes, des
terrains sont à réserver dont la construction ou l'utilisation
assure l'existence des indigènes, en tenant compte de l'augmentation
future de la population. "
* 25 Le paragraphe 4 quant
à lui dit : " La recherche et la détermination des
terres sans maîtres (terres de la couronne) seront effectuées par
le Gouverneur et dont fera partie le personnel de géomètres
nécessaires. Ces commissions statueront sur les prétentions
éventuelles des particuliers. Il pourra être appelé de ces
décisions. "
* 26. ANY, TA 22 et bis,
Ordonnance du Chancelier pour l'exécution de la section IX de
l'ordonnance impériale concernant l'expropriation de bien fonds dans les
protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février 1903, du 12
novembre 1903.
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