INTRODUCTION GÉNÉRALE
Aux lendemains des indépendances, le Burkina Faso,
à l'instar des autres pays africains, est confronté à un
crucial problème de développement. La gestion centralisée
des affaires publiques héritée de l'état colonial a vite
montré ses limites. En effet, ni les aides, ni les subventions, ni les
prêts reçus par les gouvernants n'avaient permis
d'améliorer sensiblement les conditions socio-économiques des
populations. De même, les différentes coopérations
bilatérales et multilatérales avaient produit peu de
résultats. C'est pourquoi depuis l'application des Programmes
d'Ajustement Structurel (PAS), il est de plus en plus question du
désengagement de l'Etat. Le retrait de l'Etat offre donc
l'opportunité d'une nouvelle forme de gouvernance qui met les acteurs
locaux au coeur de la gestion des affaires publiques au niveau local. C'est
l'amorce du processus de décentralisation (Ouangré J. V. T.,
2006).
La décentralisation est un concept à divers
faciès encore insuffisamment maîtrisé par la plupart des
pays qui s'y aventurent. Elle est présentée comme la formule
idoine à même d'apporter une réponse institutionnelle
à cette revendication de démocratie de proximité et du
développement local. Les collectivités territoriales qui ont vu
le jour sont également confrontées à des
difficultés de développement. Beaucoup d'entre elles ont
perçu les partenariats avec des collectivités des pays du Nord
comme salutaires, en ce qu'ils constituent une source potentielle de
mobilisation de moyens matériels et financiers, nécessaires
à la réalisation d'infrastructures sociales et
économiques.
De ce fait, la décentralisation qui est en cours dans
le pays a donné un nouveau souffle, un nouveau cadre et de nouvelles
perspectives aux relations qui existaient entre les comités de jumelage,
les ONG, les collectivités du Nord et du Sud (CONACOD, 2002). Elle a
ouvert la voie au renforcement de l'action internationale des
collectivités territoriales, en leur permettant de renforcer leur
identité et d'assumer leur mission d'animation du développement
local.
La coopération décentralisée
caractérise désormais les relations entre les
collectivités territoriales burkinabé et leurs homologues du Nord
et du Sud, et se déroule dans un environnement favorable à la
promotion des dynamiques de développement local. Ce concept a plusieurs
définitions. Au Burkina Faso, il est selon la CONACOD (2000), l'ensemble
des relations non gouvernementales qui unissent les collectivités
locales, les communautés, les ONG, les associations, et les institutions
non gouvernementales du Nord et du Sud dans des actions
Nord/Sud ou Sud/Sud. Ainsi, de nombreuses collectivités
territoriales du Burkina Faso ont fait appel à leurs jumelles ou
cherchent à ficeler des jumelages pour aider au financement de plans ou
projets de développement. Elles y voient des possibilités de
pallier la faiblesse de mobilisation et l'insuffisance de transfert de
ressources par l'Etat. On est ainsi en train de passer du simple jumelage au
jumelage coopération grâce à la coopération
décentralisée, ce qui amplifie les pratiques partenariales
empreintes de réciprocité, même si elle n'est pas de
même nature (Gilles G., 2005).
Et pourtant, les mutations sur les anciennes formes de
jumelage et les acteurs s'effectuent encore péniblement. Avec les
réformes institutionnelles en cours, il y a nécessité pour
les collectivités d'institutionnaliser leur relation par la signature de
conventions (Code Général des Collectivités Territoriales,
article 9). Les Comités Locaux de Jumelage (CLJ) sont chargés de
l'animation des jumelages au niveau local. Ils opèrent sous la
supervision du Comité National de Jumelage (CNJ) qui joue un rôle
d'appui conseil.
De nos jours, de nombreux acteurs reconnaissent les
mérites de jumelage dans l'appui au développement local. Ainsi
selon Tulard M. (2006), les contributions des collectivités
françaises au développement de celles du Sud sont énormes.
Les partenariats doivent être perçus et bâtis sur la base
d'échanges d'expériences; et à cet effet José A.
(1997) parle de s'appuyer sur les compétences locales pour aider les
collectivités du Sud. Selon Quenum J. P. (2000), la coopération
décentralisée est le moteur du développement local. Elle
offre une réelle possibilité aux populations de prendre en main
leur destin.
Pourtant les partenariats de coopération
décentralisée ne sont pas exempts de toutes difficultés. A
ce sujet, Sembène M. (2002) évoque les limites des jumelages et
s'exprime sur les principaux enjeux auxquels doit faire face la
coopération décentralisée franco-burkinabé. Ces
insuffisances rendent les partenariats peu efficaces. Quant à Platteau
J. P. cité par Gilles G. (1999), il met en garde contre une pratique
dont les arguments semblent évidents, l'enthousiasme primant sur la
critique. Les aides sont le plus souvent détournées par des
élites locales. C'est pourquoi Danon J. (1999) parle de la
nécessité de remettre en cause les méthodes
employées jusque-là pour aider les collectivités; et
Kaboré M. (1998) d'évoquer la nécessité de
renforcer les capacités organisationnelles des populations avant
d'entamer des actions de développement.
Des insuffisances aux mérites, de nombreuses
études ont été menées sur la coopération
décentralisée mais ont peu abordé l'expérience des
collectivités locales, notamment celles du Burkinabé.
C'est pourquoi l'étude que nous entreprenons sur
les expériences de coopération
décentralisée dans 3 communes se veut une
appréciation du phénomène au Burkina Faso, dans des
contextes urbain, semi-urbain et rural en vue de mettre à la disposition
des acteurs des ressources dont ils peuvent s'inspirer.
1. La problématique
Les difficultés qui entravent les pratiques de
coopération décentralisée sont nombreuses : la faiblesse
organisationnelle de certains comités de jumelage et de pilotage, la
persistance du caractère personnel et affectif de certaines relations de
partenariat, les problèmes de coordination et de mise en
cohérence des actions à l'échelle locale, l'absence
d'évidence aux yeux des citoyens sur les motifs de coopérer et
les difficultés pour certains acteurs de s'adapter au contexte
institutionnel actuel. A cela s'ajoutent des indélicatesses dans la
gestion des fonds mobilisés à cet effet, l'instrumentalisation
des actions de coopération décentralisée par certains
leaders politiques locaux et des tentatives de récupération
politique des actions de coopération décentralisée.
Malgré tout, de nombreuses collectivités en
proie aux problèmes de développement continuent de s'engager dans
le jumelage-coopération.
Quelles sont les raisons qui les amènent à s'y
engager? Sous quelles stratégies et démarches ces relations
s'opèrent-elles? Comment des apports exogènes peuvent-ils
s'associer à des démarches endogènes dans le processus du
développement d'un territoire? C'est pour chercher des réponses
à ces préoccupations que nous avons initié cette
étude.
2. Les hypothèses de recherche
Au regard de la problématique posée, nous
formulons l'hypothèse que les pratiques de jumelage coopération
ne contribuent pas efficacement au processus de développement local des
communes.
De cette hypothèse principale, découlent trois
hypothèses spécifiques:
- les populations et leurs organisations ne sont pas suffisamment
impliquées dans les actions de jumelage coopération;
- la gestion des fonds mobilisés pour des actions de
jumelage coopération manque de transparence du fait qu'ils ne sont pas
inscrits dans des dispositifs adaptés au financement local;
- les jumelages coopération entretenus par les communes
n'apportent pas de soutiens aux élus locaux dans le sens du renforcement
des capacités de gestion communale.
3. Les objectifs de la recherche
Cette étude a pour principal objectif d'analyser les
expériences de coopération décentralisée dans le
processus du développement local. Spécifiquement, elle
s'attellera à:
- appréhender le degré d'implication des
populations et de leurs organisations dans les actions de jumelage
coopération;
- étudier l'efficacité des systèmes de
mobilisation et de gestion des ressources de jumelage coopération;
- analyser l'apport du jumelage coopération au
renforcement des capacités des élus locaux dans la gestion
communale.
4. La méthodologie
Pour atteindre ces objectifs, la méthodologie a
consisté à identifier trois communes et à y administrer un
guide d'entretien à quatre « focus groups ». Un « focus
group » est constitué de 6 à 12 personnes réunies
pour échanger sur un thème précis. Des guides d'entretien
ont également été administrés aux présidents
des Comités Locaux de Jumelage, aux maires, ainsi qu'au
Secrétaire Permanent du Comité National de Jumelage. Les
données collectées ont ensuite été traitées
et analysées.
4.1. L'échantillonnage spatial
Pour apprécier les expériences de
coopération décentralisée dans le contexte ci-dessus
présenté, nous avons mis l'accent sur une analyse multiscalaire
selon les critères suivants:
- être une commune urbaine ou rurale,
- avoir un lien de jumelage coopération Nord/Sud,
- entretenir une relation de jumelage coopération
Sud/Sud.
Au vu de la diversité des situations, il a
été nécessaire de considérer une commune rurale et
deux communes urbaines. Selon le CGCT (2005), la commune urbaine compte au
moins 25 000 habitants et peut mobiliser 25 millions de recettes propres dans
l'année; par contre, la commune est dite rurale si elle compte au moins
5000 habitants et est capable de mobiliser 5 millions de recettes propres par
an. En outre, les chefs lieux de province ou de département sont
respectivement considérés comme des communes urbaines et
rurales.
Ouahigouya, Ziniaré et Tanghin-Dassouri ont
été choisis pour les raisons suivantes : - Ouahigouya entretient
un jumelage avec Chambéry en France et Banfora au Burkina Faso ; -
Ziniaré est en relation avec la Région du Limousin ;
- Tanghin-Dassouri entretient un jumelage avec le Territoire de
Belfort.
Ces jumelages ont permis aux communes de capitaliser des
expériences intéressantes à étudier. En outre, des
besoins d'appréciations d'expériences de coopération
décentralisée dans des collectivités territoriales aux
réalités sociales, économiques et potentialités
différentes ont guidé notre choix.
4.2. L'échantillonnage
démographique
L'échantillon démographique comprend l'ensemble
des personnes et des structures impliquées dans des actions de
coopération décentralisée. Afin de mener à bien nos
enquêtes, un état des lieux a permis d'identifier la population
cible. A cet effet, le répertoire des acteurs de la coopération
décentralisée franco-burkinabé établi par la
CONACOD a guidé le choix des personnes ressources. Au total 50 acteurs
par commune ont été interrogés. Ils se composent des
membres d'associations et d'ONG, de conseillers municipaux, d'agents des
services techniques (santé, éducation), des maires et
d'opérateurs (bureau d'étude et cellule d'appui technique). En
outre, le séjour sur ces sites a offert
l'opportunité d'apprécier le niveau d'information en
coopération décentralisée de la population cible.
4.3. Le traitement et l'analyse des
données
Le traitement des données s'est effectué
à partir du dépouillement des questionnaires et des guides
d'entretien administrés.
L'analyse des données s'est basée sur une grille
d'appréciation des expériences de coopération
décentralisée. Cette grille est inspirée de la toile
d'araignée (outil d'animation, de collecte et d'analyse). Elle a permis
d'évaluer la durabilité des actions en mettant la commune dans
une position centrale par rapport à quatre variables: le niveau
d'implication des populations, la gestion des ressources financières, la
planification et la maîtrise d'ouvrage et le renforcement des
capacités des élus locaux. Chaque variable
considérée comme un axe est notée sur 4 sur la base d'une
série d'indicateurs.
A la fin, il s'agit de positionner sur un diagramme
étoilé à quatre branches représentant les scores
moyens obtenus par chaque axe. En joignant les points, on obtient une forme
équilibrée ou pas qui traduit un potentiel orienté ou
pondéré des expériences de coopération
décentralisée.
4.4. Les difficultés
rencontrées
Les difficultés rencontrées sont relatives
à l'éloignement des sites, le refus de certains acteurs de se
prononcer sur la gestion des fonds. A cela s'ajoute la difficulté pour
rencontrer certains responsables (maire, président du CLJ,
président du comité de pilotage) et des mutations continuelles
dont certains partenariats sont l'objet.
Néanmoins, les données collectées ont
permis de produire un document composé de 4 chapitres regroupés
en 2 parties. La première partie présente un aperçu du
milieu humain et des contraintes et potentialités au
développement des communes de Ouahigouya, Ziniaré et Tanghin
Dassouri. Elle aborde également les différents concepts et enjeux
relatifs à la coopération décentralisée. La
deuxième partie traite des expériences de coopération
décentralisée.
PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE
L'ÉTUDE
Les communes de Ouahigouya, de Ziniaré et de Tanghin
Dassouri sont situées respectivement dans les Régions du Nord, du
Plateau central et du Centre. Ouahigouya fait partie de la province du Yatenga,
Ziniaré et Tanghin Dassouri font respectivement partie de celle de
l'Oubritenga et du Kadiogo.
Carte n°1 : Situation des sites
d'étude
Source BNDT et BDOT 2002
CHAPITRE I : LES DONNÉES HUMAINES, LES CONTRAINTES
ET POTENTIALITÉS DU MILIEU
Ce chapitre présente les données
sociodémographiques, l'organisation sociale et administrative et les
activités socioéconomiques. Ensuite, il décrit le contexte
dans lequel s'inscrit la coopération décentralisée.
I- La présentation de la zone d'étude
Cette section présente les situations géographiques
des communes de Ouahigouya, Ziniaré et Tanghin Dassouri.
I-1- La commune de Ouahigouya
Ouahigouya correspond aux coordonnées
géographiques 2°30 de longitude Ouest et 13°35 de latitude
Nord et est située à environ 180km de Ouagadougou. La commune de
Ouahigouya est reliée à l'armature urbaine nationale par les
routes nationales la reliant à Ouagadougou, Bobo Dioulasso et la
frontière du Mali, les routes départementales la reliant à
Kaya et Dori.
Ouahigouya a été érigée en
commune en 1958, puis commune de plein exercice en 1984. Elle est à la
fois le chef lieu de la province du Yatenga et de la région du Nord
depuis 2001. (cf. carte n°1).
I-2- La commune de Ziniaré
Commune urbaine à la faveur des élections de
1995, Ziniaré est aujourd'hui à la fois le chef lieu de la
province de Oubritenga et de la région du Plateau central. Elle est
située à 35km de Ouagadougou sur la route nationale N°3
reliant Ouagadougou à Kaya.
La commune de Ziniaré est limitée par :
- la commune de Zitenga et la province du Sanmentenga au nord
;
- la province du Bazéga au sud;
- la commune de Absouya et la province du Ganzourgou à
l'est;
- les communes de Dapélogo et de Loumbila à
l'ouest. (cf. carte n°2).
Carte n°2 : Situation géographique de la
commune de Ouahigouya
Source BDOT et BNDT 2002
|