COMMUNAUTE FRANÇAISE DE BELGIQUE
Faculté universitaire des Sciences agronomiques
de Gembloux
Unité de Zootechnie
TYPOLOGIE DES SYSTÈMES D'ÉLEVAGE BOVIN
LAITIER AU MAROC EN VUE D'UNE ANALYSE DE LEURS PERFORMANCES
Mohamed Taher SRAÏRI
Dissertation Originale présentée en vue de
l'obtention du grade de Docteur en sciences agronomiques et ingénierie
biologique
PROMOTEUR :
Professeur André
THÉWIS
- 2004 -
COMMUNAUTE FRANÇAISE DE BELGIQUE
Faculté universitaire des Sciences agronomiques
de Gembloux
Unité de Zootechnie
TYPOLOGIE DES SYSTÈMES D'ÉLEVAGE BOVIN
LAITIER AU MAROC EN VUE D'UNE ANALYSE DE LEURS PERFORMANCES
Mohamed Taher SRAÏRI
Dissertation Originale présentée en vue de
l'obtention du grade de Docteur en sciences agronomiques et ingénierie
biologique
PROMOTEUR :
Professeur André THÉWIS
- 2004 -
Copyright. Aux termes de la loi belge du 22 mars 1886 sur le
droit d'auteur, seul l'auteur a le droit de reproduire cet ouvrage ou d'en
autoriser la reproduction de quelque manière et sous quelque forme que
ce soit. Toute photocopie ou reproduction sous autre forme est donc faite en
violation avec la loi.
SRAÏRI Mohamed Taher (2004).
Typologie des systèmes d'élevage bovin laitier au Maroc
en vue d'une analyse de leurs performances (thèse de Doctorat).
Gembloux, Faculté universitaire des Sciences agronomiques. 200 pages, 45
tableaux, 29 figures.
Résumé :
Une grande diversité des types d'élevage bovin
laitier existe au Maroc. Afin d'en clarifier les performances zootechniques et
d'en saisir les performances économiques, une série de suivis
d'élevage a été mise en oeuvre, dans le cadre de
l'application d'une démarche de type systémique dans
différentes zones agro -écologiques du pays : la zone
suburbaine de Rabat - Salé et le périmètre irrigué
du Gharb. L'élaboration d'une typologie de fonctionnement des
étables a ainsi montré la grande similarité des classes
d'élevage par région : la présence de fermes de type
allaitant, suivie de nombreuses fermes déficitaires en raison de
gaspillages des ressources alimentaires, des concentrés notamment, de
fermes produisant du lait avec peu de concentrés se regroupant sous
l'appellation « élevage extensif » et de très
rares étables qui peuvent être considérées comme
spécialisées en lait. Paradoxalement, il a même
été démontré que l'élevage laitier semblait
plus intensif en zone suburbaine qu'en irrigué, dû aux
facilités financières des éleveurs citadins pour l'achat
d'aliments concentrés. Le détail des pratiques d'élevage
et de leurs incidences a révélé le caractère
singulier de la production laitière dans des étables
étatiques où le pic d'intensification atteint est
entièrement tributaire d'un milieu d'élevage entièrement
artificiel : concentrés et traitements vétérinaires. Dans
la région d'agriculture totalement pluviale de Ben Slimane, cette
logique d'intensification bute sur l'aléa climatique et rend les
résultats économiques très vulnérables, car pour
maintenir un niveau de rendement laitier élevé, il ne peut y
avoir d'autre voie que le recours aux concentrés. Enfin, en
région suburbaine, les données structurelles des étables
font qu'elles pratiquent dans leur majorité un élevage
« hors - sol », lui aussi très dépendant des
apports en concentrés. Les conséquences sur la qualité du
lait sont néfastes, puisque le taux butyreux est inférieur
à la norme minimale acceptable par les usines laitières au Maroc,
de 35 g/kg dans 2 des 5 fermes étudiées. La qualité
hygiénique du lait est mauvaise pour tous les échantillons
considérés, sans aucune exception. L'ensemble de ces
considérations imposent de penser à des stratégies d'appui
technique prenant en compte cette diversité d'étables et de
logiques d'élevage, même en proposant des rations riches en
concentrés, pour améliorer la productivité laitière
et la rentabilité du cheptel bovin.
SRAÏRI Mohamed Taher (2004). Typology of dairy
cattle systems in Morocco for the analysis of their performances (Ph. D.
thesis). Gembloux, Faculté universitaire des Sciences agronomiques. 200
pages, 45 tables, 29 figures.
Abstract :
A great diversity of cattle rearing practices prevails in
Morocco. In order to clarify their consequences on dairy farms technical
performances (milk yield and reproduction traits) and economic profitability, a
series of follow-up were achieved. This consisted in an application of a
systemic approach to dairy farms located in two different regions of the
country: Rabat - Salé as a suburban area and the Gharb plain as an
irrigated perimeter. The design of a typology of farms has revealed important
similarities between regions. There were farms with a beef orientation, and
numerous farms which could be qualified as concentrates wasters and who had
consequently negative profitability, and also farms who adopted extensive milk
production, mainly based on roughages. The last category gathered very few
farms which could be considered as dairy specialised units. Paradoxically, it
was shown that milk yield per cow was better in suburban zone than in the
irrigated plain because of farmers' abilities to purchase additional
concentrates. Whenever detailing rearing practices and their consequences, it
appears that state farms illustrate a singular way of dairying in Morocco, as
the peak of intensification they represent was totally linked to artificial
conditions: huge amounts of concentrates per cow and heavy veterinary
treatments. In the Ben Slimane rainfed agricultural plateau, this logics of
intensive dairy farming had a severe constraint: drought which affects
profitability per cow and induces purchases of concentrates as the only way to
maintain high milk yields (> 5 000 kg) per cow. Finally, in the
suburban area, it has been shown that milk production relies mainly on
concentrates purchases, as farms are generally suffering from limited forage
area. Consequences on milk quality are dramatic, as fat content does not
respect normal value of 35 g/kg in two out of five farms. On another hand, milk
hygienic quality can be described as very poor in all the studied farms. All
together, these conclusions dictate adapted development measures for each of
the identified groups, with a particular accent on equilibrated rations even
with high levels of concentrates. This would be compulsory to improve the
average milk yield per cow and to maintain profitable farms.
Le passé nourrit partout notre science. Dans la
grande vallée méditerranéenne, le rythme des
sécheresses est aussi ancien que l'araire et la chèvre et, les
années où l'herbe meurt jusqu'aux racines, le berger sait qu'il
doit sacrifier une partie de son troupeau - donc de son capital, de son outil
de survie ; les femmes salent alors la viande (très peu de viande
et beaucoup d'os) en prévision des mauvais jours qui viennent, car le
beurre manquera dans la soupe, car les enfants n'auront plus de lait, et les
maladies bénignes deviendront mortelles... Mais l'année suivante,
les chevrettes épargnées par le désastre se rassasient, se
gavent, se goinfrent dans les pâquis verts quasi vides, et elles donnent
tant de lait qu'il en reste même une écuelle pour le petit chien
qui vient de naître.
Germaine Tillion (2000)
Il était une fois l'ethnographie
Editions du Seuil
Paris, p. 118.
Table des matières
Introduction générale
|
p. 1
|
|
|
Partie I. Problématique et cadre
théorique des analyses systémiques
|
p. 9
|
|
|
I. 1 Problématique générale
|
p. 10
|
|
|
I. 2 Recherches systémiques et élevage bovin
laitier
|
p. 13
|
I. 2. 1 Introduction
|
p. 13
|
I. 2. 2 Terminologie et concepts des recherches sur les
systèmes agricoles
|
p. 15
|
I. 2. 3 Déterminisme et évolution des recherches
sur les systèmes agricoles
|
p. 19
|
I. 2. 4 Applications des recherches sur les systèmes
agricoles aux activités d'élevage
|
p. 20
|
I. 2. 5 Outils et méthodes des recherches sur les
systèmes d'élevage : cas des bovins laitiers
|
p. 24
|
I. 2. 6 Atouts et limites des recherches sur les
systèmes d'élevage laitier
|
p. 29
|
I. 2. 7 Conclusion
|
p. 32
|
|
|
Partie II. Evolutions des filières
laitières au Maghreb
|
p. 35
|
|
|
II. 1 Étude des filières laitières
maghrébines : introduction
|
p. 36
|
|
|
II. 2 Cadre naturel de l'agriculture et de l'élevage au
Maghreb
|
p. 38
|
|
|
II. 3 Politiques laitières dans les pays du Maghreb
|
p. 42
|
|
|
II. 4 Performances des filières laitières au
Maghreb
|
p. 46
|
|
|
II. 5 Développement des filières
laitières au Maghreb
|
p. 55
|
|
|
II. 6 Conclusions : perspectives des filières au
Maghreb
|
p. 57
|
|
|
Partie III. Etablissement de typologies
d'élevages de bovins au Maroc
|
p. 59
|
|
|
III. 1 Etablissement de typologies d'étables au
Maroc : hypothèses et modalités de travail
|
p. 60
|
|
|
III. 2 Typologies d'élevages bovins dans la zone
suburbaine de Rabat - Salé
|
p. 63
|
III.2.1 Introduction
|
p. 63
|
III.2.2 Présentation de la zone d'étude et
méthodologie
|
p. 63
|
III.2.2.a Zone d'étude
|
p. 63
|
III.2.2.b Méthodologie
|
p. 65
|
III.2.3 Résultats et discussion
|
p. 67
|
III.2.3.a Caractéristiques générales des
exploitations suburbaines
|
p. 67
|
III.2.3.b Analyses statistiques multidimensionnelles
|
p. 68
|
III.2.3.c Discussion
|
p. 73
|
III.2.4 Conclusion
|
p. 76
|
|
|
III. 3 Typologie d'élevages bovins dans le
périmètre irrigué du Gharb
|
p. 78
|
III.3.1 Introduction
|
p. 78
|
III.3.2 Présentation de la zone du Gharb et
méthodologie
|
p. 78
|
III.3.2.a La zone du Gharb
|
p. 78
|
III.3.2.b Méthodologie
|
p. 80
|
III.3.3 Résultats et discussion
|
p. 82
|
III.3.3.a Caractéristiques générales des
exploitations pratiquant l'élevage bovin dans le périmètre
du Gharb
|
p. 82
|
III.3.3.b Analyse de la diversité des exploitations
d'élevage bovin : la typologie
|
p. 83
|
III.3.3.c Les stratégies des éleveurs :
l'analyse des cas types
|
p. 88
|
III.3.3.d Lait et/ou viande ? Les perspectives
d'avenir
|
p. 92
|
|
|
III.4 Analyse comparative des systèmes d'élevage
bovin en zones irriguée et suburbaine
|
p. 95
|
III.4.1 Introduction
|
p. 95
|
III.4.2 Méthodes de travail
|
p. 95
|
III.4.2.a Echantillon d'étude
|
p. 95
|
III.4.2.b Comparaison intra et inter région
|
p. 96
|
III.4.3 Résultats et discussion
|
p. 97
|
III.4.3.a Aperçu général sur les
caractéristiques des exploitations et des performances
laitières
|
p. 97
|
III.4.3.b Evaluation des différences entre
régions de l'activité laitière des exploitations
agricoles
|
p. 99
|
III.4.3.c Résultats des analyses statistiques
multidimensionnelles
|
p. 100
|
IV.4.3.d Discussion des résultats de la typologie
comparative des étables laitières à Rabat - Salé et
dans le Gharb
|
p. 106
|
III.4.4 Conclusion
|
p. 108
|
|
|
III. 5 Synthèse générale des typologies
d'élevage bovin et implications pour des études de cas
|
p. 110
|
|
|
Partie IV. Etudes de cas d'élevages de bovins
laitiers au Maroc
|
p. 113
|
|
|
IV.1 Performances et modalités de l'élevage
laitier en étables étatiques : cas de six fermes de la
SODEA
|
p. 114
|
IV.1.1 Introduction
|
p. 114
|
IV.1.2 Méthodologie de l'étude
|
p. 114
|
IV.1.2.a Bilan de diagnostic de gestion
|
p. 114
|
IV.1.2.b Analyse des performances par les paramètres de
conduite
|
p. 116
|
IV.1.2.c Analyses statistiques
|
p. 117
|
IV.1.3 Résultats des étables laitières
étatiques
|
p. 117
|
IV.1.3.a Pratiques d'élevage et performances des vaches
sur les Unités de Production étudiées
|
p. 117
|
IV.1.3.b Performances de production et alimentation des vaches
laitières
|
p. 119
|
IV.1.3.c Performances de reproduction
|
p. 120
|
IV.1.3.d Performances économiques du cheptel bovin
|
p. 121
|
IV.1.3.e Facteurs explicatifs des performances des vaches par
unité de production
|
p. 122
|
IV.1.3.f Classement des unités de production
|
p. 125
|
IV.1.4 Conclusion
|
p. 127
|
|
|
IV.2 Résultats économiques et techniques d'une
unité de production laitière dans la région d'agriculture
pluviale de Ben Slimane
|
p. 128
|
IV.2.1 Introduction
|
p. 128
|
IV.2.2 Présentation générale de la
région de Ben Slimane et de l'exploitation étudiée
|
p. 128
|
IV.2.3 Analyse des paramètres de production et de
rentabilité de l'étable de la zone pluviale
|
p. 130
|
IV.2.4 Le troupeau bovin et les variations de ses performances
de production et de rentabilité
|
p. 131
|
IV.2.5 Conclusion
|
p. 136
|
|
|
IV.3 Suivi continu d'élevages laitiers suburbains :
résultats de sept étables
|
p. 137
|
IV.3.1 Introduction
|
p. 137
|
IV.3.2 Méthodologie de l'étude
|
p. 137
|
IV.3.3 Situation générale des exploitations et
de leurs moyens de production
|
p. 138
|
IV.3.4 Alimentation, production laitière et
reproduction du cheptel bovin des fermes suburbaines
|
p. 139
|
IV.3.5 Evaluation des résultats économiques des
fermes laitières suburbaines
|
p. 142
|
IV.3.6 Modélisation du rendement laitier moyen par
vache
|
p. 142
|
IV.3.7 Conclusion
|
p. 144
|
|
|
IV.4 Incidences des pratiques d'élevage sur la
qualité du lait dans cinq étables suburbaines de Rabat -
Salé
|
p. 145
|
IV.4.1 Introduction
|
p. 145
|
IV.4.2 Méthodologie de l'étude
|
p. 145
|
IV.4.3 Résultats et discussion
|
p. 147
|
IV.4.3.a Performances de production des fermes
étudiées et évaluation de la qualité du lait
|
p. 147
|
IV.4.3.b Pratiques d'élevage et qualité du
lait : établissement d'une typologie de laits au Maroc
|
p. 155
|
IV.4.4 Conclusion
|
p. 159
|
|
|
Partie V. Conclusion générale et
recommandations
|
p. 161
|
|
|
V.1 Conclusion générale
|
p. 162
|
|
|
V.2 Recommandations
|
p. 167
|
|
|
Publications en relation avec la thèse et
références bibliographiques
|
p. 177
|
|
|
VI.1 Publications en relation avec la thèse
|
p. 178
|
|
|
VI.2 Références bibliographiques
consultées
|
p. 181
|
Liste des tableaux
Tableau 1.
|
Quelques exemples de liens linguistiques entre les mots
« cheptel » et « richesse »
|
p. 15
|
|
|
Tableau 2.
|
Classification des interactions au sein d'un système de
production agricole
|
p. 16
|
Tableau 3.
|
Matrice pour la représentation des systèmes
d'élevage
|
p. 22
|
|
|
Tableau 4.
|
Caractéristiques schématiques de deux
démarches différentes pour la recherche et l'action
|
p. 27
|
|
|
|
Tableau 5.
|
Les composantes, éléments et paramètres
des systèmes d'élevage
|
p. 30
|
|
|
Tableau 6.
|
Implications des caractéristiques des élevages
sur les essais en milieu paysan
|
p. 32
|
|
|
Tableau 7.
|
Variations des précipitations au Maroc : cas des
stations de Rabat - Salé et de Béni Mellal
|
p. 40
|
|
|
Tableau 8.
|
Niveau d'importation des produits laitiers dans les pays du
Maghreb
|
p. 43
|
|
|
Tableau 9.
|
Evolution de l'importation de génisses laitières
au Maroc
|
p. 47
|
|
|
Tableau 10.
|
Evolution des importations de poudre de lait industriel au
Maroc
|
p. 48
|
|
|
Tableau 11.
|
Evolution de la consommation des produits laitiers au Maroc
|
p. 49
|
|
|
Tableau 12.
|
Ecarts entre les prix à la production et à la
consommation au Maroc
|
p. 50
|
|
|
Tableau 13.
|
Prix à la production et coûts de production de
denrées agricoles de base en Tunisie en dinars par tonne (année
1975)
|
p. 53
|
|
|
Tableau 14.
|
Variables décrivant les fermes laitières
suburbaines et leurs symboles
|
p. 66
|
|
|
Tableau 15.
|
Caractéristiques générales des
étables de la région de Rabat - Salé
|
p. 67
|
|
|
Tableau 16.
|
Résultats de l'ACP - Définition des axes :
Région de Rabat - Salé
|
p. 69
|
|
|
Tableau 17.
|
Eléments d'élaboration de la typologie des
étables laitières de la région de Rabat - Salé
|
p. 73
|
|
|
Tableau 18.
|
Contribution des variables aux axes de l'ACP :
région du Gharb
|
p. 83
|
|
|
Tableau 19.
|
Les différents types d'éleveurs de bovins dans
l'arrondissement de Sidi Allal Tazi (périmètre du Gharb)
|
p. 85
|
|
|
Tableau 20.
|
Caractéristiques des cas - types d'élevages
bovins du périmètre irrigué du Gharb
|
p. 92
|
|
|
Tableau 21.
|
Variables décrivant les fermes laitières des
zones suburbaine de Rabat - Salé et irriguée du Gharb et leurs
symboles
|
p. 97
|
|
|
Tableau 22.
|
Paramètres moyens de structure et de fonctionnement
décrivant les 118 fermes laitières étudiées dans
les zones suburbaine et irriguée
|
p. 98
|
|
|
Tableau 23.
|
Comparaison générale des fermes laitières
au périmètre irrigué du Gharb et dans la ceinture
suburbaine de Rabat - Salé
|
p. 99
|
|
|
Tableau 24.
|
Résultats de l'ACP intra région :
définition des axes
|
p. 103
|
|
|
Tableau 25.
|
Caractéristiques moyennes des types d'élevage
bovin identifiés par la classification ascendante
hiérarchique
|
p. 105
|
|
|
Tableau 26.
|
Valeurs énergétiques des aliments
utilisés et quantités moyennes ingérées par les
vaches
|
p. 116
|
|
|
Tableau 27.
|
Superficie et occupation du sol dans les six étables
étatiques étudiées
|
p. 118
|
|
|
Tableau 28.
|
Races et effectifs des vaches dans les six étables
étatiques étudiées
|
p. 118
|
|
|
Tableau 29.
|
Caractérisation de l'alimentation des vaches
laitières dans chaque unité de production (moyennes et
écarts types)
|
p. 119
|
|
|
Tableau 30.
|
Performances moyennes de reproduction du cheptel bovin dans
les six étables étatiques (écarts types)
|
p. 121
|
|
|
Tableau 31.
|
Performances économiques moyennes de la production
laitière dans les six étables étatiques (écart
type)
|
p. 122
|
|
|
Tableau 32.
|
Comparaison des étables étatiques par rapport
à leur productivité laitière et aux résultats de
reproduction des vaches
|
p. 126
|
|
|
Tableau 33.
|
Variations de l'assolement et de l'alimentation des vaches de
1994/95 à 1996/97 dans une exploitation laitière de Ben
Slimane
|
p. 132
|
|
|
Tableau 34.
|
Test d'indépendance statistique (÷²) de la
monte naturelle par rapport à l'insémination artificielle
|
p. 133
|
|
|
Tableau 35.
|
Rentabilité de la production laitière au cours
des trois années d'étude de l'élevage de Ben Slimane
|
p. 135
|
|
|
Tableau 36.
|
Paramètres structurels des fermes suburbaines
étudiées
|
p. 139
|
|
|
Tableau 37.
|
Paramètres d'alimentation des vaches dans les fermes
suburbaines étudiées
|
p. 139
|
|
|
Tableau 38.
|
Caractéristiques de la reproduction et rendement
laitier par vache des fermes suburbaines
|
p. 141
|
|
|
Tableau 39.
|
Performances économiques des vaches laitières
dans les fermes suburbaines
|
p. 142
|
|
|
Tableau 40.
|
Caractéristiques structurelles des élevages
suburbains étudiés pour leurs paramètres de qualité
du lait
|
p. 148
|
|
|
Tableau 41.
|
Caractérisation de l'alimentation et des performances
laitières des vaches en étables suburbaines
|
p. 151
|
|
|
Tableau 42.
|
Paramètres économiques de la production
laitière dans les étables suburbaines
|
p. 152
|
|
|
Tableau 43.
|
Caractéristiques des différentes classes de
qualité du lait en élevages suburbains
|
p. 154
|
|
|
Tableau 44.
|
Répartition des échantillons de lait
collectés par classe selon leur qualité physico-chimique
|
p. 157
|
|
|
Tableau 45.
|
Caractéristiques des différentes classes de
qualité du lait en étables suburbaines
|
p. 159
|
|
|
|
Liste des figures
Figure 1.
|
Représentation simplifiée des différences
entre les systèmes agricoles des pays développés et les
systèmes agricoles plus extensifs et multifonctionnels des pays en
développement
|
p. 24
|
|
|
Figure 2.
|
Evolution de la production laitière bovine dans les
pays du Maghreb
|
p. 46
|
|
|
Figure 3.
|
Evolution de la taille du cheptel bovin dans les pays du
Maghreb
|
p. 47
|
|
|
Figure 4.
|
Evolution des indices des prix unitaires du lait à la
production et de la poudre de lait importée en Algérie
|
p. 51
|
|
|
Figure 5.
|
Evolution des indices des prix de l'aliment pour vache
laitière et du lait à la production en Algérie
|
p. 51
|
|
|
Figure 6.
|
Evolution des indices de la production du lait de vache et du
prix du lait perçu par les éleveurs en Algérie
|
p. 52
|
|
|
Figure 7.
|
Localisation des zones d'établissement de typologies
d'élevages bovins au Maroc
|
p. 61
|
|
|
Figure 8.
|
Carte administrative de la région de Rabat -
Salé
|
p. 64
|
|
|
Figure 9.
|
Projection des variables techniques et économiques des
fermes laitières suburbaines sur les axes factoriels 1 et 2
définis par l'ACP
|
p. 69
|
|
|
Figure 10.
|
Projection des groupes de fermes laitières sur le plan
principal défini par l'ACP
|
p. 71
|
|
|
Figure 11.
|
Représentation synthétique de la typologie des
élevages laitiers suburbains
|
p. 72
|
|
|
Figure 12.
|
Carte administrative du périmètre irrigué
du Gharb
|
p. 80
|
|
|
Figure 13.
|
Cercle des corrélations des variables de l'ACP :
étables dans la zone irriguée du Gharb
|
p. 84
|
|
|
Figure 14.
|
Représentation schématique de la typologie des
élevages bovins dans le Gharb
|
p. 85
|
|
|
Figure 15.
|
Gradients de production de lait et de viande dans les
différents systèmes d'élevage bovin au Gharb
|
p. 88
|
|
|
Figure 16.
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Projection des variables sur l'axe factoriel issu de l'ACP
inter régions
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p. 101
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Figure 17.
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Projection des exploitations des régions suburbaine de
Rabat - Salé (R) et irriguée du Gharb (G) sur l'axe factoriel
issu de l'ACP intra régions
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p. 102
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Figure 18.
|
Projection des variables techniques et économiques
caractérisant les fermes laitières sur le plan principal
défini par l'ACP intra régions
|
p. 104
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Figure 19.
|
Localisation des UP laitières de la SODEA
étudiées
|
p. 115
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Figure 20.
|
Effets des quantités de concentrés par kg de
lait sur la moyenne économique dans les étables
étatiques
|
p. 122
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Figure 21.
|
Relation entre la moyenne économique et la consommation
moyenne annuelle de concentrés par vache dans les étables
étatiques
|
p. 123
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Figure 22.
|
Incidence de la consommation de concentrés par kg de
lait sur le bénéfice moyen par vache dans les étables
étatiques
|
p. 124
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Figure 23.
|
Effet de la durée du travail (en jours) par
Unité Gros Bétail bovine sur le bénéfice par vache
dans les étables étatiques
|
p. 125
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Figure 24.
|
Situation de l'exploitation laitière
étudiée en zone d'agriculture pluviale
|
p. 129
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Figure 25.
|
Structure du produit brut (A) et des charges d'élevage
bovin (B) dans une exploitation laitière de la zone pluviale de Ben
Slimane
|
p. 134
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Figure 26.
|
Corrélation entre le rendement laitier et la
consommation de concentrés par vache en étables suburbaines
|
p. 143
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Figure 27.
|
Calendrier fourrager des fermes laitières suburbaines
étudiées pour leurs paramètres de qualité du
lait
|
p. 149
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Figure 28.
|
Variations des taux butyreux et protéiques annuels
moyens en fonction des exploitations étudiées
|
p. 153
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Figure 29.
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Projection des variables de qualité du lait sur le plan
principal de l'ACP
|
p. 156
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Liste des abréviations
ACP : Analyse en Composantes Principales
APV : Age au Premier Vêlage
BV : Bénéfice par Vache
CAH : Classification Ascendante Hiérarchique
CAT : Charges Alimentaires par rapport aux charges
Totales (%)
CIHEAM : Centre International des Hautes Etudes
Agronomiques Méditerranéennes
CV : Coefficient de Variation
DH : Dirham marocain (au 1er novembre 2004,
1Euro = 11,22 Dirhams)
DPA : Direction Provinciale de l'Agriculture
FCC : Ratio Fourrages/Concentrés dans le bilan
énergétique global des vaches
FEZ : Fédération Européenne de
Zootechnie
FMAT : Flore Mésophile Aérobie Totale
IA : Insémination Artificielle
IVV : Intervalle vêlage - vêlage
j : jour
MADR : Ministère de l'Agriculture et du
Développement Rural
MADREF : Ministère de l'Agriculture, du
Développement Rural, des Eaux et Forêts
MAMVA : Ministère de l'Agriculture et de la Mise
en Valeur Agricole
MARA : Ministère de l'Agriculture et de la
Réforme Agraire
ME : Moyenne Economique
ORMVA : Offices Régionaux de Mise en Valeur
Agricole
PCC : Pourcentage des apports énergétiques
dus aux concentrés dans les rations de vaches laitières
PRK : Prix de Revient du kg de lait
PSB : Pulpe Sèche de Betterave
RSA : Recherches sur les Systèmes Agraires
RSE : Recherches sur les Systèmes d'Elevage
SAU : Superficie Agricole Utile
SFP : Surface Fourragère Principale
SODEA : Société du Développement
Agricole
UFC : Unités Formant Colonie
UFL cc/kg lait : Nombre d'UFL des concentrés par
kg de lait produit
UFL cc/v/an : Nombre d'UFL des concentrés par
vache et par an
UFL : Unités Fourragères Lait
UGB : Unité Gros Bétail
UP : Unité de Production
UTH : Unités de Travail Humain
VAL : Valeur des ventes d'Animaux (Bovins) par rapport
aux ventes de Lait (%)
VIR : Variation d'Inventaire Relative
VP : Vaches Présentes
VT : Vaches Traites
Dédicaces
A mes très chers parents, pour tous les efforts que
vous avez consentis pour mon éducation et ma formation.
A mon frère Ikbal et à ma soeur Selwa et aux
membres de leur petite famille respective. En témoignage de votre
constante attention à mon égard, moi l'aîné,
éternel égaré.
A ma grand-mère Aïcha, qui m'a inculqué
à un âge très sensible la recherche de la perfection et
dont la sagesse n'a d'égale que la gentillesse. Puisse Allah exaucer
toutes tes prières et t'accorder santé et longue vie.
A tous les membres de ma grande famille, pour vos
encouragements et votre présence aux moments les plus durs.
A tous mes amis et à ceux qui m'ont permis de
parachever ce travail sans jamais me décourager. Les citer
exhaustivement serait trop long. Ils se reconnaîtront.
Remerciements
Placée sous le sceau de ma responsabilité
personnelle, cette thèse doctorale n'en est pas moins le fruit
d'intenses collaborations. En premier lieu, je me dois d'exprimer ma profonde
gratitude à Monsieur le Professeur André Théwis,
responsable de l'Unité de Zootechnie de la Faculté universitaire
des Sciences agronomiques de Gembloux (FuSaGx), promoteur de cette
thèse, pour m'avoir accepté dans son laboratoire et pour la
confiance qu'il m'a accordée. Son soutien, tant moral que
matériel, continuel, même aux moments de doutes, ses lectures
critiques des travaux réalisés et ses qualités humaines
ont largement contribué à l'aboutissement de ce type de projet de
thèse.
Par ses conseils éclairés et le temps qu'il leur
a consacrées, Monsieur Rudy Palm a largement facilité les
interprétations statistiques des matrices de résultats
d'enquêtes. Je tiens à lui témoigner toute ma
reconnaissance pour l'initiation approfondie aux méthodes d'analyses
multidimensionnelles, et à leur exploitation dans mes travaux.
Ce travail est entièrement tributaire de la patience et
de la qualité de l'accueil que m'ont réservées les
éleveurs de bovins laitiers dans différentes régions du
Maroc (Ben Slimane, Gharb, Rabat - Salé). J'ai beaucoup appris en leur
compagnie, car ils ont su m'inculquer leurs considérations pour les
vaches et leurs productions. En outre, je suis particulièrement
redevable à Messieurs Mohammed Abidi et Mohammed Boukraj de la
Société du Développement Agricole, à Monsieur
Khalid Mékouar, éleveur privé à Ben Slimane,
à Messieurs Mohammed El Qsibate et Anass Elayachi et Madame Btissam
Kessab de la Société Centrale Laitière et aux
gestionnaires de différentes associations d'élevage (Rabat -
Salé, Gharb), pour l'aide qu'ils m'ont prodiguée.
Les enquêtes et les contrôles de performances
rapportés dans cette thèse et qui en constituent le fondement,
ont été accomplis en compagnie d'étudiants que j'ai
encadrés lors de leurs travaux de fin d'étude à l'Institut
Agronomique et Vétérinaire (IAV) Hassan II. Les remercier est
pour moi un immense plaisir, car j'ai le plus souvent éprouvé une
réelle satisfaction à leur faire partager les joies du dialogue
avec les éleveurs. Que Messieurs Issam Hasni Alaoui, Mounir El Khattabi,
Aziz Lahyani et Rachid Lyoubi, et Mesdames Najat Kiade et Jeanne Marie Leblond
trouvent ici une vraie reconnaissance pour leur labeur.
A cette occasion, je voudrais rendre hommage aux personnes
à l'IAV Hassan II, qui m'ont permis de mener à bien les nombreux
et nécessaires déplacements sur le terrain ainsi que les analyses
d'échantillons de lait et d'aliments de bovins. Que les chauffeurs qui
m'ont accompagné avec les étudiants, le staff administratif du
Département des Productions Animales et Madame Malika Bennani, et
Messieurs Mohammed Chichi et Ahmed Mourtaki, pour leur aide précieuse au
laboratoire, soient assurés de ma considération
sincère.
Je voudrais aussi exprimer mes sentiments les plus chaleureux
à tous les membres (enseignants, assistants de recherche,
étudiants et employés) de l'Unité de Zootechnie de la
FuSaGx pour l'accueil et pour les moments qu'ils ont bien voulu partager en ma
compagnie. Une pensée particulière à Mademoiselle
Geneviève Jean, pour les multiples coups de main (le masque sur
Powerpoint ! le Bricolage !), ô combien salutaires, relatifs
à mon installation, à mes petits ennuis, notamment informatiques,
et au suivi de l'acheminement du courrier.
Un grand merci à Mesdames Michelle Moreau Van
Marsenille et Françoise Strouven qui m'ont toujours gentiment accueilli
à Gembloux. De même, je ne pourrais oublier Madame Anne Willocq
qui m'a maintes fois, avec un sérieux et une gentillesse
inégalés, rendu service, des premiers pas menant à
l'inscription à Gembloux jusqu'aux démarches finales pour la
défense de ce travail.
L'aide octroyée par le Gouvernement belge
(Coopération Technique Belge, C.T.B.) sous forme d'une bourse
d'étude a été déterminante pour la
réalisation de ce travail. A cet égard, je voudrais remercier
plus particulièrement Madame Christine Leroy, Mademoiselle Amal Hadaj et
Monsieur Célestin Misigaro qui se sont occupés de mon
installation et des détails relatifs à mes séjours en
Belgique. Je voudrais aussi mentionner l'aide matérielle que m'a
prodiguée la Coopération Universitaire au Développement
(C.U.D.), sous forme d'un programme
« micro-réalisation » et qui a permis d'effectuer
les analyses relatives à la qualité du lait in situ.
Je dois aussi mentionner que ce travail n'aurait pu être
effectué sans les fréquentes autorisations de longs
séjours en Belgique que m'a délivrées le Directeur de
l'IAV Hassan II, le Professeur Fouad Guessous. Je lui suis aussi reconnaissant
pour ses encouragements.
Que Messieurs Yves Beckers, André Buldgen, Nicolas
Gengler, Jean Pierre Lambotte, Philippe Lebailly, Rudy Palm, Mohamed Raki et
André Théwis, membres de la Commission du suivi de cette
thèse, trouvent ici l'expression de mon profond respect pour leurs
remarques constructives et leurs critiques judicieuses de mes travaux. Je vous
suis redevable de l'amendement et de la bonification de cette thèse. Un
grand merci aussi à Messieurs Bernard Faye et Lebailly Philippe d'avoir
accepté d'être les rapporteurs de cette thèse.
Une pensée amicale pour mes collègues du
Département des Productions Animales, qui m'ont adopté dans leur
structure. De même, je voudrais ici témoigner de mon estime pour
mon collègue Abed Hamama, professeur à l'IAV Hassan II, pour
m'avoir aimablement permis d'utiliser l'infrastructure de son laboratoire de
recherche pour la caractérisation de la qualité hygiénique
du lait.
Finalement, je ne pourrais clore cette page sans remercier mes
collègues chercheurs Alain Bourbouze et Bernard Faye, en France, pour le
suivi et l'intérêt qu'ils ont accordé à mes travaux
et pour les collaborations fructueuses que nous avons
développées, afin de mieux comprendre les logiques et les
incidences des pratiques adoptées par les éleveurs de bovins
laitiers au Maroc.
Introduction générale
Il ne s'agit pas d'aller enseigner les paysans mais de se
rendre compte qu'on a tellement à apprendre auprès d'eux.
René Dumont (1974)
Agronome de la faim.
Coll. Un homme et son métier. Editions Robert Laffont
Paris, p. 394.
Le développement de l'espace rural et agricole au Maroc
a toujours été un défi pressant pour les pouvoirs publics,
constituant un pivot des politiques suivies par le pays, car il est le
principal garant de la cohésion et de la stabilité [LEVEAU,
1972]. A cet égard, dès l'Indépendance du pays en
1956, différents plans régionaux et sectoriels de promotion des
productions agricoles ont été conçus : projet DERRO
(Développement Economique et Rural du Rif Occidental), projet Sebou,
opération labour, plan sucrier, plan laitier... Outre la création
de richesses et de travail dans le monde rural, ces opérations
intensivement encadrées et subventionnées par l'Etat marocain
visaient aussi l'approvisionnement en denrées de première
nécessité d'une population jeune et en croissance
démographique accélérée, aspirant à
davantage de produits alimentaires de qualité et de haute valeur
nutritionnelle (protéines animales notamment).
L'agriculture marocaine a souvent été
décrite comme étant caractérisée par une
dualité flagrante opposant d'une part, une grande majorité de
petites exploitations de type vivrier avec des moyens de production sommaires
(plus de 80 % des agriculteurs, selon le dernier recensement
général de l'agriculture, RGA), à d'autre part, des
exploitations à caractères structurels (superficie, capitaux,
savoir-faire) nettement plus évolués [MADRPM, 1999]. C'est dans
ce genre de réalité que plusieurs auteurs [AKESBI, 1996 ; EL
KHYARI, 1985] trouvent une explication à son manque de
compétitivité, avec des bilans bien plus que mitigés
depuis l'Indépendance. S'il est clair que pour la majorité des
produits vitaux pour l'alimentation de la population et la balance des
paiements (céréales, viandes et lait, produits d'exportation tels
qu'agrumes et primeurs), des progrès en matière de couverture des
besoins ont été réalisés, il n'en demeure pas moins
que le pays reste très tributaire des importations de
céréales et de produits animaux, notamment après des
années de sécheresse. Pour les produits d'élevage, les
niveaux de consommation actuellement enregistrés sont de l'ordre de 12
kg de viande blanche per capita par an, 15 kg de viandes rouges (8 kg
de viandes ovines et caprines, 7 kg de viandes bovines) et 44
équivalents litres de lait. Ces chiffres ont connu des évolutions
divergentes, avec une augmentation marquée de la contribution des
viandes blanches, suite à un essor considérable du secteur de
l'aviculture industrielle (de 15 % de la production totale des viandes
blanches en 1968 à près de 82 % de cette production en 2003). En
parallèle à cette croissance soutenue du secteur de la production
avicole intensive, surtout liée à une volonté individuelle
d'investisseurs privés, l'Etat marocain a concentré ses efforts
sur la satisfaction des besoins de la population en protéines animales
d'origine laitière. En effet, juste après la décennie
1960, les autorités agricoles se sont penchées sur
l'élaboration d'un plan laitier, outil de base pour la promotion de la
production bovine au Maroc. A la clef, se profilait un projet d'envergure
puisque concernant la quasi totalité des exploitations agricoles du
pays, étant donné qu'elles possèdent dans leur immense
majorité quelques vaches. L'objectif principal visé était
d'assurer pour chaque Marocain un apport quotidien de 1/3 de litre de lait
à l'horizon 2000, à partir d'une situation initiale de 100 ml,
soit une augmentation de la production totale annuelle de 400 à plus de
2 000 millions de litres de lait [MADRPM, 1998b]. Il s'agissait, en fait,
de réaliser des objectifs directs d'accroissement de la production
laitière à un rythme de 6 % par an, et indirectement de
contribuer à l'amélioration des performances viandeuses du
cheptel, en favorisant les croisements avec les races à lait plus
efficaces en terme de croissance que les races locales. Pour la
concrétisation de ces objectifs, le plan laitier, dont le lancement
officiel a eu lieu en 1975, était intensément soutenu par
plusieurs mesures d'accompagnement, toutes fortement financées par les
bailleurs de fonds internationaux, à l'instar de nombreux autres projets
laitiers à travers le monde (opération Flood en Inde,
opération Milk Collecting Centres, MCC, en Malaisie...) [NESTEL, 1984].
Ainsi, en aval de la filière, l'Etat marocain, dans un souci de fournir
un débouché fiable au lait produit, a encouragé la
constitution d'un réseau de collecte très dense, et a
accompagné la construction d'usines laitières, tout comme il a
fortement taxé les importations de poudre de lait [BOURBOUZE, 2002]. Il
a aussi instauré le contrôle du prix du lait à la
production et à la consommation, en s'assurant d'éviter toute
distorsion des termes de l'échange qui serait fatale aux
éleveurs. Par ailleurs, en amont, tout un ensemble de décrets
pour l'aide aux producteurs a été adopté. L'importation de
génisses laitières gravides, la vulgarisation de
l'Insémination Artificielle (IA), la mise en place d'unités
d'élevage pépinières et l'ébauche du contrôle
laitier ont été autant d'opérations destinées
à créer rapidement un matériel génétique
bovin amélioré pour ses caractères laitiers (du moins, en
comparaison avec les populations bovines de type local), adapté aux
conditions d'élevage prévalant dans le pays. De plus, de
nombreuses interventions des services agricoles de l'Etat ont été
planifiées au niveau des étables, pour garantir la diffusion dans
le monde rural des techniques d'élevage laitier intensif. Ainsi,
l'ensilage de maïs, la vulgarisation de nouvelles cultures
fourragères (le sorgho, le ray-grass, la betterave...) et des techniques
culturales nécessaires à leur réussite, l'initiation
à la traite mécanique, la propagation de sous-produits agro -
industriels non conventionnels (pulpes d'agrumes, pulpes de caroube, tourteaux
de tournesol, urée...) ont été testés.
Il est vrai que l'ensemble de ces aides et interventions
étatiques a rapidement créé un engouement pour
l'élevage laitier. Celui-ci s'est fait ressentir non seulement dans les
zones irriguées où les autorités agricoles, au travers de
coûteux investissements en équipements hydrauliques (barrages,
adductions d'eau, stations de pompage), ont largement milité pour
l'implantation d'étables performantes, mais aussi dans les zones
d'agriculture pluviale favorables (plus de 400 mm de pluviosité par an,
ce qui est suffisant pour une production fourragère) et dans les abords
des grandes agglomérations urbaines. Ceci a engendré un
accroissement notable de la production laitière marocaine, dans des
proportions nettement supérieures aux résultats obtenus dans des
pays limitrophes [BOURBOUZE et al., 1988]. Toutefois, cet élan
vers la spéculation bovine a commencé à régresser
de manière notable à partir des années 1990, pour diverses
raisons, dont le désengagement de l'Etat et la diminution de la
protection de la filière laitière ne sont pas des moindres
[AKESBI, 1997]. En effet, plusieurs subventions à la production
(notamment pour l'importation de génisses, l'acquisition de
matériel de traite) ont été progressivement
supprimées. Par ailleurs, les termes mêmes de la commercialisation
du lait se sont détériorés, avec une augmentation de la
plus-value dégagée par les usines de transformation, au
détriment des éleveurs. De plus, l'avènement de nombreux
épisodes de sécheresse à partir des années 1980
[BARAKAT et HANDOUFE, 1998], a fortement pesé sur les capacités
de production fourragère. Un décalage perceptible des
performances du cheptel bovin par rapport aux prévisions du plan laitier
a lors commencé à se faire sentir. En effet, en l'an 1998, les
réalisations ne représentaient même pas 50 % du volume
projeté par les initiateurs de ce projet [MADRPM, 1998b].
Néanmoins, en raison des nombreux rôles, autres
que productifs (restitution de fertilité aux sols, emplois de
main-d'oeuvre, affirmation de statut social...), assumés par le cheptel
bovin, l'activité de production laitière avec des vaches de type
pie-noir, autrefois cantonnées aux seuls domaines de la colonisation et
chez les notables locaux, s'est définitivement ancrée dans le
paysage rural du Maroc. Ce constat de diffusion de bovins de races Frisonne et
Holstein directement issues de l'importation, auxquelles se mêlent les
populations locales et leurs nombreux croisements, contribue à
créer une réelle diversité génétique, dans
les nombreux agro - écosystèmes du pays. C'est ce qui nous a
interpellé, dans un contexte général de la filière
laitière mouvementé et en pleine évolution.
Aussi, pour étudier l'insertion des troupeaux de vaches
dans différents types de situations d'élevage au Maroc (zones
irriguées, zones d'agriculture pluviale, ceintures périurbaines),
et en vue d'analyser les performances tant techniques (valorisation des
aliments concentrés, intervalles entre vêlages,
productivité en lait par vache par an...) qu'économiques
(rentabilité par vache et coût de revient du litre de lait) du
cheptel bovin, avons-nous songé à appliquer des diagnostics
zootechniques. Ceci serait une première évaluation de la
durabilité de ce genre de systèmes de production, encore plus
menacés par l'option d'ouverture totale du marché marocain
prévue par les accords de libre-échange ratifiés par le
pays.
Une autre perspective dégagée par ce travail
serait de construire des références sur les modes de
fonctionnement et les performances techniques et économiques auxquelles
aboutissent les étables laitières, en conditions réelles,
dans un contexte dominé par le désengagement de l'Etat, et la
rareté pour ne pas dire l'inexistence de données fiables sur les
résultats des élevages. Il nous faut mentionner ici que moins de
5 % des vaches laitières de race Frisonne pie-noire et Holstein
sont soumis au contrôle laitier, et que de nombreux vices de forme
entachent cette opération. Par ailleurs, ce relevé des
performances reste cantonné aux seules « grandes »
étables, qui pour une affaire de prestige social et d'influence locale,
continuent de bénéficier des apports des services techniques de
l'Etat. Il va sans dire que l'écrasante majorité des
éleveurs n'en ont pas vent du tout, et dans pareilles circonstances,
cette opération ne saurait avoir un impact, même infime, sur
l'organisation de l'amélioration génétique bovine au Maroc
[SRAÏRI, 2002].
De plus, comme l'agriculture marocaine est officiellement
exonérée d'impôts sur la plus-value qu'elle dégage
depuis 1984, par une décision royale visant à se rapprocher des
masses paysannes, les agriculteurs, en grande partie illettrés, ne sont
pas contraints de tenir à jour des documents comptables dûment
certifiés. Aussi, les évaluations de rentabilité de leurs
activités demeurent-elles fort sommaires, souvent basées sur des
approximations.
Toutes ces carences structurelles de l'organisation de la
production laitière au sein des exploitations agricoles au Maroc, dans
les plus nanties comme dans les plus humbles, ô combien plus nombreuses,
plaident pour la constitution de références qui puissent
éclairer la recherche zootechnique et même les décideurs
sur la situation du secteur de l'élevage laitier au Maroc, sur les
niveaux de performances réalisées et sur la rentabilité
des étables. Un autre objectif majeur est de comprendre la
diversité des étables pour entreprendre sur le long terme des
actions de développement ciblées.
Comme de nombreux chercheurs [FAYE et ALARY, 2001 ;
ØRSKOV, 1999 ; BRADFORD, 1989] ont récemment mis en exergue
les limites de la zootechnie dans ses approches classiques (i.e. essais
monofactoriels de comparaison de rations alimentaires ou de races animales)
pour relever les défis du développement des élevages des
petites exploitations dans les pays du Tiers-Monde, nous avons opté pour
les méthodes de recherche systémique en tant qu'outil directeur
de ce travail. A cet égard, il faut mentionner que ces approches qui
consistent à travailler en concertation avec les éleveurs pour
identifier les contraintes de production inhérentes à leurs
exploitations agricoles et même influer sur les pratiques qu'ils
adoptent, sont devenues fort courantes [STüR et al., 2001 ;
ARRIAGA-JORDÁN et al., 2002]. Elles sont toutes du ressort de
la participation des chercheurs à l'amélioration des
résultats des élevages, dans une inédite tentative de la
recherche agronomique à s'impliquer concrètement dans le vif du
sujet qu'elle prétend dominer : les exploitations agricoles. Ceci est en
relation avec sa nature même de recherche de type systémique,
qu'ALRØE et KRISTENSEN [2002] définissent comme une recherche
dont la finalité est d'aboutir à l'amélioration de
l'état du sujet qu'elle étudie.
Par conséquent, ce travail de Doctorat se propose de
construire des typologies d'élevages de bovins laitiers au Maroc, selon
une conception qui voudrait trouver des solutions à chaque situation de
production ou même carrément à chaque exploitation
agricole, en application des préceptes de l'approche systémique
[KÖBRICH et al., 2003]. Ces outils synthétiques pourraient
servir de base pour la conception d'interventions ultérieures à
des fins de développement. En second lieu, il s'agit de décrire
et d'analyser plus en détail les pratiques adoptées par les
éleveurs de vaches laitières en matière d'affouragement et
d'exploitation de leurs troupeaux, d'évaluer les résultats
économiques que dégage le cheptel bovin et de procéder
à une analyse préliminaire des déterminants de la
qualité du lait et de ses variations mensuelles.
La présente étude se compose de cinq parties
distinctes. La première présente la problématique globale
dans laquelle s'insère la conception de ce projet de recherche et son
originalité par rapport aux études antérieures qui se sont
focalisées sur l'élevage bovin au Maroc. Elle est
complétée par un tableau exhaustif du cadre théorique
supportant ce travail, à savoir l'utilisation des méthodes dites
systémiques comme outil d'analyse des étables laitières.
Ainsi, dans un premier chapitre nous présentons les objectifs, les
intérêts et l'originalité de ce travail. Nous traitons
ensuite en détail dans le deuxième chapitre les aspects
sous-jacents à la problématique de la recherche et à ses
fondements théoriques et pratiques, à savoir l'application des
méthodes systémiques aux activités d'élevage,
principalement à la production bovine laitière.
La deuxième partie est consacrée au contexte
global de la filière laitière au Maroc, et à ses
évolutions comparées par rapport à celle des autres pays
maghrébins (Algérie et Tunisie). Dans cette partie, sont ainsi
détaillées toutes les péripéties qu'a connues la
filière lait, de l'amont (l'environnement des ateliers laitiers)
à l'aval (transformation et commercialisation des produits laitiers) au
Maroc, avec pour objet principal le plan laitier de 1975, ses
conséquences et ses remaniements.
Dans la troisième partie, nous entamons la
présentation des protocoles de recherche et des résultats obtenus
lors de l'élaboration de typologies d'élevages en tant qu'outil
synthétique décrivant la diversité des exploitations
agricoles à cheptel bovin laitier.
Un premier chapitre est consacré aux hypothèses
générales qui ont été prises en
considération pour l'élaboration de ces typologies
d'élevages, notamment en rapport avec la localisation
géographique des zones retenues et à leur analyse comparative. Le
deuxième chapitre présente les résultats relatifs à
la typologie d'élevages suburbains de la région de Rabat -
Salé, capitale du Royaume du Maroc. Les performances techniques de 48
étables et leur rentabilité durant la campagne agricole 2000/2001
sont analysées en fonction des autres variables sur lesquelles reposent
ces exploitations agricoles.
Le troisième chapitre traite des modalités
d'élevage bovin dans le périmètre irrigué du Gharb
(Nord Ouest du Maroc), en se focalisant sur 111 élevages de bovins
situés dans l'aire géographique de l'arrondissement de Sidi Allal
Tazi. La méthodologie d'enquête utilisée est beaucoup plus
ciblée sur les rôles assumés par les troupeaux de vaches,
et permet de définir différents « cas types »
révélateurs de la réalité de l'élevage de
bovins dans ce périmètre irrigué.
Le quatrième chapitre consiste en une analyse
comparative des modes d'élevage laitier dans les deux zones
citées précédemment (Rabat - Salé et Gharb). Les
exploitations retenues sont les 48 élevages suburbains
étudiés au chapitre 2 de cette troisième partie et 70
fermes d'élevage bovin dans la zone du Gharb, réparties à
travers l'ensemble de ce périmètre. Moyennant des analyses
statistiques multidimensionnelles poussées, nos investigations visent
à mettre en relief un éventuel effet de la localisation
régionale sur la dynamique de production laitière.
Dans le cinquième chapitre, une synthèse des
enseignements à tirer des typologies réalisées est
élaborée. Les implications de ces typologies pour la
délimitation de genres de fermes à étudier plus en
détail sont ensuite présentées.
La quatrième partie est donc dédiée
à des analyses plus poussées d'études de cas des
situations d'élevage identifiées lors de l'élaboration des
typologies. Tout en revenant sur les justificatifs des choix des situations
étudiées, nous présentons aussi la méthodologie
adoptée lors de chacun des cas analysés. Il s'agit ainsi de
détailler davantage les pratiques d'élevage en vigueur dans une
application directe des méthodes systémiques à
l'étude des étables laitières.
Sont ainsi analysées les pratiques d'élevage en
vigueur dans les étables laitières gérées par une
société étatique, la Société de
Développement Agricole (SODEA). Pour ce faire, les performances de six
étables de la SODEA spécialisées dans la production de
lait et réparties à travers différentes régions du
Maroc, ont été étudiées au cours de cinq campagnes
agricoles (de septembre 1991 à août 1996).
Par la suite, nous traitons des effets des aléas
climatiques sur la rentabilité et la productivité d'une
étable laitière privée, située dans la
région de Ben Slimane (zone d'agriculture pluviale), à laquelle a
été décerné le titre d'étable
pépinière par le Ministère de l'Agriculture
(c'est-à-dire qu'elle devrait être un pôle de fourniture de
matériel génétique laitier de qualité
supérieure aux éleveurs qui lui sont limitrophes). Dans le cadre
de l'approche de type systémique qui oriente ce travail, nous avons
analysé les pratiques en vigueur sur cette exploitation et les
performances du cheptel laitier de 1994 à 1997.
Nous exploitons les données d'un suivi rapproché
de sept étables suburbaines pendant deux campagnes agricoles (de
septembre 2000 à août 2002) afin d'élaborer des
monographies d'exploitations laitières. Ce suivi a donné lieu
à un essai de modélisation des performances de ces
étables, présenté au troisième chapitre de cette
quatrième partie.
Les facteurs affectant la qualité du lait ont ensuite
été précisés dans cinq étables suburbaines.
La qualité du lait a été appréhendée
à travers des critères physiques et chimiques (pH,
densité, taux butyreux, taux protéique) et hygiéniques
(Flore Mésophile Aérobie Totale, FMAT) durant l'année
agricole 2002/2003.
Nous clôturons ce travail par une conclusion
générale (cinquième partie) où nous faisons
ressortir, dans leur globalité, les principaux résultats
liés au fonctionnement des étables dans différents
environnements physiques et sociaux au Maroc, et les synthèses à
en déduire. Suite à quoi, une série de recommandations est
formulée pour que puisse se perpétuer au Maroc, une
filière laitière bovine durable, rentable et
bénéfique aux milliers d'éleveurs, petits et grands qui se
sont totalement investis dans cette activité.
I - Problématique et cadre théorique des
analyses systemiques
I.1 Problématique générale
I.2 Recherches systémiques et élevage bovin
laitier
A system is a big black box
Of which you can't unlock the locks
And all we can find out
Is what goes in and what comes out
Perceiving input-output pairs
Related by parameters
Permits us sometimes to relate
An input, output and a state
If this relation's good and stable
Then to predict we may be able
But if this fails us - heaven forbid!
We'll be compelled to force to lid!
Kenneth E. Boulding (1978)
Ecodynamics. A new theory of societal evolution
Sage. London. 193 p.
I - 1 Problématique générale
Les crises récentes de l'agriculture
(encéphalopathie spongiforme bovine, dioxine, organismes
génétiquement modifiés...) ont été à
l'origine d'un regain d'intérêt sociétal accru pour les
pratiques des agriculteurs. Par conséquent, les opinions publiques en
arrivent aujourd'hui à exiger d'avoir un droit de regard sur les
processus de production adoptés par les agriculteurs,
générant les concepts récents de traçabilité
des produits ou encore d'agriculture biologique.
L'élevage a certainement été
l'activité agricole la plus concernée par ces crises, à
tel point que l'évocation même du nom de ce secteur a acquis
aujourd'hui aux yeux du grand public une connotation négative,
étant donné la récurrence des scandales liés aux
productions animales : pollution des nappes phréatiques par les
effluents, encéphalopathie spongiforme bovine ou « vache
folle », fromages contaminés par la Listeria, boeuf aux
hormones, ou encore fièvre aphteuse ou grippe du poulet [VISSAC,
2002 ; KOHN et al., 1997 ; TAMMINGA, 1992]. Toutes ces
considérations constituent un défi certain pour l'avenir des
sciences animales et influencent même leurs perspectives de recherche.
ALRØE et KRISTENSEN [2002], dans un écrit consacré aux
rôles des recherches agricoles face à l'émergence de ces
crises, énoncent qu'il y a urgence à repenser la
méthodologie de ces investigations. Ces deux auteurs partent du constat
que ces sciences ont pour fondement d'influencer les objets qu'elles
étudient, en l'occurrence les modes d'exploitation des animaux par les
humains, et elles s'inscrivent donc dans la famille globale des disciplines
dites systémiques. En ce sens, ces sciences dépendent d'un
ensemble de valeurs sociales. Il s'agit donc d'étudier en premier lieu
à quel niveau et comment ces valeurs doivent être
intégrées dans la construction des objets d'étude
ultérieurs (valeurs dites de contexte). En deuxième lieu, il
faudrait s'intéresser aux types de relations entre cette nature
systémique des recherches agricoles et les critères
conventionnels scientifiques de qualité (valeurs dites constitutives).
Tout ceci leur ferait perdre leur caractère d'objectivité, selon
la définition traditionnelle de ce critère. En contrepartie,
ALRØE et KRISTENSEN [2002], s'inspirant des travaux de LUHMANN [1995],
proposent que les sciences agricoles adoptent une objectivité
réflexive comme principe pour accomplir des recherches
adaptées. Ceci suppose que les recherches agricoles, de par leur nature
systémique, adoptent comme méthodologie de base un cycle auto
réflexif qui incorpore simultanément une posture de chercheur
acteur et une position de chercheur « observateur
détaché ».
Par essence, la philosophie des recherches systémiques
a pour vocation d'influer sur l'objet qu'elles étudient. Aussi, les
recherches systémiques zootechniques auraient-elles pour objectif de
contribuer au développement des exploitations agricoles investies dans
la production animale. Cette attitude de recherche fait
irrémédiablement évoluer la zootechnie de son cadre de
discipline basée sur des sciences « exactes », avec
pour fondement des expérimentations en milieu contrôlé,
vers une discipline en évolution perpétuelle, apte à
être influée par le milieu social et l'évolution
historique. Ceci a amené certains chercheurs comme LANDAIS et BONNEMAIRE
[1996] à écrire « quoi qu'en pensent certains
chercheurs, la science n'est ni hors du temps, ni hors de la
société. L'histoire de la zootechnie montre qu'elle
n'échappe pas à cette règle. C'est pourquoi il a
été jugé nécessaire, pour développer cette
analyse, de ne pas s'en tenir à un point de vue
épistémologique uniquement centré sur les
caractéristiques des connaissances produites, mais de considérer
aussi les acteurs concernés, leur insertion institutionnelle et leurs
stratégies d'utilisation de la connaissance ». Ce genre de
réflexion a donné lieu, par analogie au Maroc, à la
confrontation des motivations de ces corpus distincts que sont les acteurs des
recherches en sciences animales et les éleveurs, qui se rejoignent dans
ce qu'il convient d'appeler « l'interface zootechnique »
[SRAÏRI, 2002]. Le constat qui en a découlé est bien celui
d'un décalage évident entre les recherches actuellement
entreprises sur les productions animales et les attentes des éleveurs,
qui continuent pour la plupart à ignorer même les attributions des
zootechniciens et leurs statuts et fonctions, à la différence du
corps des vétérinaires. Dans le même ordre d'idées,
mais en Europe, HODGES et BOYAZOGLU [2002] énoncent que l'enjeu
réel pour les zootechniciens d'aujourd'hui est de se pencher sur le sens
de leurs travaux, de s'interroger sur leurs objectifs professionnels, sur leur
éthique et sur leur rôle dans la société. Ils
écrivent ainsi que « cette démarche est sans nul doute
difficile ; il est bien plus aisé de ne pas regarder en face les
problèmes posés par la société et de
s'établir dans un réductionnisme douillet ». Et
d'ajouter que « nous (les zootechniciens) partons du principe que la
zootechnie telle que nous la pratiquons et l'enseignons est automatiquement
bénéfique à la société ; est-ce
vrai ? » Finalement, ils concluent que ces considérations
sur le rôle du zootechnicien, de la portée de ses travaux par
rapport aux exigences de la société, à un moment de crises
répétées, « place la crédibilité
de la profession au sein du débat » et met « ce
monde de spécialistes au pied du mur ».
C'est par rapport à ces considérations
épistémologiques, liées à la
« philosophie des sciences », ou en d'autres termes
à la méthodologie à aborder pour formuler et entamer un
projet de recherches zootechniques, que s'insère la problématique
générale de l'approche systémique en élevage. Comme
le faisait remarquer BOURDIEU [1997], il s'agit de « faire savoir ce
que l'univers du savoir ne veut pas savoir, notamment sur
lui-même ». Ce genre de recherche vise à dépasser
le réductionnisme imposé par des disciplines plus fondamentales
en relation avec les productions animales (nutrition, génétique,
éthologie...) pour proposer ultérieurement l'amélioration
et le développement des objets étudiés. Il a dès
lors comme fondement scientifique la multicompétence, en guise d'autre
forme de pluridisciplinarité [FAYE et BARNOUIN, 1996]. A cet
égard, PLUVINAGE [2002], dans un hommage à l'agronome
français René Dumont et à ses approches
méthodologiques pour le développement rural, énonce que la
richesse des disciplines scientifiques mobilisées (appliquer la science
économique à l'agriculture tout en utilisant d'autres
enseignements telles les sciences agronomiques, la géographie et
l'histoire), « un peu tout le contraire que l'on conseillerait
à un jeune scientifique aujourd'hui, est extrêmement
efficace ; elle ne prétend pas poser de développements
théoriques nouveaux, mais servir à résoudre des
problèmes de développement agricole, sur la base d'un examen de
pratiques observées et d'enquêtes auprès des
agriculteurs ». Pareillement, en analysant les fondements
scientifiques des doctrines des vétérinaires français en
Afrique subsaharienne et leurs évolutions historiques, LANDAIS [1990]
énonce que leurs travaux n'ont pu réaliser les ambitieux desseins
qu'ils projetaient. En effet, ils n'ont pas suffisamment intégré
d'approches pluridisciplinaires et ont dédaigné les sciences
humaines pour traiter la complexité des affaires liées au monde
de l'élevage. Ce même auteur rajoute que l'irruption des sciences
humaines (sociologie et économie) dans les domaines du technique est
plus que nécessaire pour l'étude des élevages et qu'elle
demeure, même aujourd'hui, fort timide.
Sur un registre similaire, COLEOU [1994], dans une tentative
de définir les champs de compétence de l'ingénieur en
productions animales au 21ème siècle, s'arrête
sur la notion d'ingénieur zootechnicien « grand
généraliste », comme « acteur d'interfaces,
capable de dépasser la compréhension de la conduite des
productions et des mécanismes biologiques » pour
« appréhender la complexité de tout système et
être préparé à une vision stratégique dans
l'espace et dans le temps ». Selon ce même auteur, les
zootechniciens devraient pouvoir « organiser, de
préférence de manière pluridisciplinaire, les
activités centrées sur l'observation, la compréhension du
fonctionnement de systèmes complexes que sont les exploitations
d'élevage, les systèmes d'élevage ».
Aussi, en réaction à ces constats
généraux qui visent à donner à la science
zootechnique et à ses dépositaires et autres détenteurs,
dans l'acceptation la plus large qui peut lui être imaginée, un
rôle actif au sein des sociétés humaines où elle
évolue, ce travail de doctorat se propose-t-il d'élaborer des
références sur la diversité des élevages laitiers
au Maroc. Par la mobilisation d'outils relevant de disciplines diverses
(zootechnie classique, économie rurale et statistique), il vise la
description et l'analyse de la multitude des pratiques mises en jeu, dans un
contexte d'absence de données fiables. Il s'apparente de fait à
la démarche de « recherche citoyenne » qu'a
développée VISSAC [2002], dans ses objectifs de créer de
la connaissance zootechnique qui puisse être directement accessible aux
éleveurs à partir de leurs pratiques quotidiennes et de leurs
incidences : contribuer à connaître la diversité des
élevages, dans leur larges déclinaisons, pour proposer, sur des
bases réalistes, des voies de leur amélioration.
I - 2 Recherches systémiques et élevage
bovin laitier
I-2-1 Introduction
La zootechnie a été définie vers le
milieu du XIXème siècle comme « une doctrine
nouvelle de la production animale basée sur les sciences
expérimentales et dont le caractère fondamental consiste
précisément dans la manière de considérer le
bétail en économie rurale » [DE GASPARIN, 1843].
L'ambition était alors de grouper, sous une seule branche scientifique,
toutes les formes du savoir dont les retombées contribueraient à
l'amélioration des performances des élevages. Si à
l'origine, la zootechnie reposait principalement sur les sciences de la vie et
les sciences humaines (sociologie, géographie, économie), ces
dernières années elle s'est focalisée peu à peu
exclusivement sur les disciplines biotechnologiques, n'échappant pas au
mouvement de spécialisation qui marque l'époque [LATOUR, 1995].
Ce développement n'est pas fortuit mais traduit les avancées de
la recherche agronomique dans des domaines telle que la
génétique, la nutrition, la biologie de la reproduction ou la
médecine vétérinaire. Cette tendance a aussi
été massivement soutenue par les impératifs productivistes
de l'après - guerre [BOSERUP, 1990]. Néanmoins, les
conséquences de cette orientation ont rapidement détourné
l'agronomie de sa fonction à appréhender les déboires de
l'agriculture, et partant de la société, car SÉBILLOTTE
[1996] affirme que « plus un seul des problèmes de
l'agriculture ne saurait être isolé du reste de la
société ». Dans le domaine des productions animales, et
de façon similaire, le type de savoirs et de recherches qui devait a
priori aider à en démêler les énigmes,
c'est-à-dire la zootechnie, a été éloigné de
ses préoccupations initiales, à savoir les questions des
élevages et de leur gestion [LANDAIS, 1996a]. Par conséquent,
dans leur majorité, les thèmes de recherche ne proviennent plus
du terrain, mais sont formulés de manière autonome dans les
laboratoires. Ceci a progressivement débouché sur une
incapacité de la zootechnie à synthétiser et à
résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les
acteurs des productions animales et à générer des
solutions en rapport avec leurs pratiques, leurs stratégies et leur
organisation [BÉRANGER et VISSAC, 1993].
De ce fait, récemment, de nombreux chercheurs à
travers le monde ont souligné les échecs des approches de la
zootechnie, dans ses méthodes actuelles, pour résoudre les crises
du secteur de l'élevage, aussi bien dans les pays
développés [VISSAC, 1994 ; LANDAIS, 1996b] que dans les pays
en développement [SCHIERE, 1995 ; GRYSEELS, 1988 ; LE GRAND et
HOCHET, 1998]. Dans ces dernières contrées, de manière
encore plus pressante, la diversité et la complexité des
rôles assumés par les animaux domestiques (épargne, outils
de production, statut social, impact religieux...) rendent encore plus
inadaptés les résultats des dispositifs conventionnels des
sciences animales [ØRSKOV, 1993 ; BRADFORD, 1988] et imposent
l'adoption d'une approche systémique aux questions de l'élevage
[SPEDDING, 1988 ; RUTHENBERG, 1980]. D'ailleurs, de nombreux projets de
développement qui ont fait abstraction de ce type de méthodes, et
qui se sont contentés d'importer des pays tempérés des
modèles de développement « clés en
main » se sont soldés par des échecs [ZWART et DE JONG,
1996]. RUTHENBERG [1980] justifie le recours aux méthodes
systémiques pour l'étude des productions animales en zones
tropicales en invoquant qu'elles représentent bien plus qu'une simple
somme de leurs différentes composantes (animaux, plantes, environnement
social, économique et politique...), étant donné les
nombreuses interactions qui s'établissent entre elles.
De manière plus spécifique, l'élevage
laitier est certainement le type de productions animales où l'approche
systémique est la plus recommandée, en raison de la
diversité des domaines d'intervention des éleveurs de vaches
laitières (production fourragère, élevage, gestion de
différents types d'animaux...) et surtout à cause de l'ampleur de
la filière laitière, de la biomasse végétale
jusqu'aux consommateurs [MEYER et DENIS, 1999]. Par ailleurs, dans les pays en
développement, comme les races locales ont généralement
des aptitudes laitières fort limitées [SYRSTAD, 1990], que la
sélection classique serait trop lente à améliorer [MC
DOWELL, 1981], et face à l'augmentation des besoins en lait, le seul
moyen rapide d'accroître la production est l'importation de vaches des
régions tempérées avec les « paquets
technologiques nécessaires à leur acclimatation »
[CUNNINGHAM et SYRSTAD, 1987 ; FLAMANT, 1991]. Cette option rend encore
plus délicate l'analyse des systèmes de production
laitière [EDDEBBARH, 1991], avec la diversité du matériel
animal qu'elle génère (vaches locales, vaches importées et
leurs différents niveaux de croisements) et qui se traduit par
l'émergence de plusieurs options pour la production [MC INTIRE et
GRYSEELS, 1987] et d'objectifs variables pour les éleveurs, qui
induisent de nouveaux horizons pour la recherche [OLESEN et al.,
2000]. Ceci, dans un contexte d'incertitude pour le maintien d'une agriculture
paysanne dans les pays en développement, notamment la production
laitière qui est généralement entre les mains de petits
éleveurs au sein d'unités familiales, et qui risquent de ne pas
faire le poids face à la libéralisation totale des
échanges de produits agricoles à travers le monde [HAUBERT,
1999].
A la lumière de ces éléments, la
présente synthèse vise en premier lieu à exposer les
champs d'application des recherches sur les systèmes agricoles (RSA),
avec une référence spéciale aux concepts et à la
terminologie en vigueur dans cette discipline, avant de rappeler son
déterminisme historique et ses évolutions. Par la suite, les
applications des RSA aux études sur les productions animales seront
passées en revue, pour évoquer les outils et méthodes des
recherches sur les systèmes d'élevage (RSE), plus
particulièrement sur la production laitière bovine. En dernier
lieu, les atouts et limites de cette discipline pour l'analyse des
systèmes d'élevage laitier seront détaillés.
I.2.2 Terminologie et concepts des recherches sur les
systèmes agricoles
Dans toutes les sociétés humaines, les animaux
domestiques représentent richesse et / ou pouvoir. La relation
étymologique entre les termes « animaux »,
« capital » et « épargne » a
été relevée dans plusieurs langues [RENFREW, 1994] comme
le montre le tableau 1. Ces similitudes linguistiques peuvent être
expliquées par le rôle fondamental des herbivores dans la
transformation de la biomasse végétale issue de l'énergie
solaire en produits de haute valeur ajoutée pour la
société [ODUM, 1971], quel que soit son niveau de
développement.
Malgré la large gamme de systèmes agricoles qui
se sont constitués à travers le monde, les animaux domestiques y
représentent le plus souvent un atout, plus particulièrement pour
les agriculteurs ayant accès à de vastes superficies leur
procurant des ressources fourragères pour leurs troupeaux. Cependant,
avec l'accroissement continu des mises en culture, explosion
démographique oblige, une forte pression sur les terres à
pâturage, communautaires comme privées, s'est manifestée
[JODHA, 1986 ; HARDIN, 1968]. Dès lors, les éleveurs ont
compensé ce manque en intégrant de plus en plus de résidus
de cultures dans les rations de leur bétail [SCHIERE, 1995]. De ce fait,
une multiplicité de systèmes d'élevage s'est
constituée, tant par la diversité des modes d'affouragement des
animaux que par la quantité d'espèces exploitées et des
niveaux d'intensification [SPEDDING, 1988].
Tableau 1. Quelques exemples de liens linguistiques entre
les mots « cheptel » et
« richesse ».
Cheptel (Français)
|
Dérive du latin « caput »
qui veut dire tête, c'est-à-dire nombre d'animaux
|
Cattle (Anglais)
|
Lié au mot capital à travers la racine latine
« caput »
|
Kassiba (Arabe)
|
Du verbe « kassaba » qui veut
dire thésauriser, gagner
|
Ganado (Espagnol)
|
Participe du verbe «
ganar » qui veut dire gagner,
|
Vieh (Allemand)
|
En relation avec « fehu » en
Vieux Saxon qui suggère richesse et bétail
|
Byoto (Polonais)
|
A partir du vieux slave « bydo »
qui veut dire posséder. La relation entre la possession et le troupeau
est typique dans différentes langues slaves
|
Définie comme étant « une combinaison
raisonnée d'éléments ou de parties interdépendantes
et interactives qui se comportent de manière à réaliser un
objectif précis via la transformation d'intrants en produits
terminaux », la notion de système de production agricole a
été récemment adoptée par les agronomes [MIRHAM,
1972 ; LE MOIGNE, 1984]. Cependant, cette définition, avec tous ses
corollaires, n'a pas arrêté précisément l'objet
d'étude des RSA, qui seraient plus une attitude ou une perspective de
recherche qu'un type d'investigations [BYERLEE et TRIPP, 1988]. Ce domaine
d'études scientifiques continue donc de souffrir d'un étalage
confus de définitions, de méthodologies et d'objectifs, qui
justifient de maintes tentatives de formalisation [MERRILL-SANDS, 1986 ;
FRESCO et WESTPHAL, 1988]. Néanmoins, d'un avis commun, les RSA ont pour
point de départ une vision similaire à celle que se ferait un
agriculteur en essayant d'améliorer ses résultats :
compréhension de ses pratiques et action à un niveau concret et
multidisciplinaire, au niveau de l'exploitation agricole [LANDAIS, 1996a ;
BYERLEE et al., 1982]. NORMAN [1980], et plus tard TRIPP [1991] vont
au delà de cette considération pour mentionner que face à
l'urgence d'améliorer les résultats des petites exploitations,
notamment dans les pays en développement, les RSA ont eu le
mérite d'entamer leurs investigations en postulant que « tout
changement agricole planifié doit être organisé autour de
la compréhension des conditions et des priorités des
agriculteurs ». Pour cet auteur, il est plus qu'important de se
focaliser sur l'exploitation agricole en tant qu'objet d'études, ce qui
impose de considérer la totalité des interactions qui lient ses
différentes composantes (Tableau 2).
Tableau 2. Classification des interactions au sein d'un
système de production agricole.
Type d'interaction
|
Exemples
|
|
|
Interactions entre cultures
|
|
Interaction dans l'espace
|
Interactions liées aux associations de cultures
|
Interaction dans le temps
|
Effets des précédents culturaux liés aux
résidus, à la fertilité et aux mauvaises herbes
|
|
|
Interactions entre cultures et élevages
|
Utilisation des ressources fourragères et des
résidus par les animaux
|
|
Recyclage des effluents d'élevage comme fertilisants des
cultures
|
|
Utilisation des animaux pour la traction
|
|
|
Compétition et
synergie des ressources
|
Conflits pour l'utilisation de la force de travail entre
cultures, élevage et activités non - agricoles
|
|
Compétition pour l'utilisation de l'eau entre fourrages et
cultures vivrières
|
|
|
Atteinte des multiples objectifs des foyers ruraux
|
Choix entre types de cultures et d'élevage et
itinéraires techniques pour gérer le risque
|
|
Production et stockage de grains et de denrées animales
pour contrebalancer les effets des carences saisonnières
|
D'après BYERLEE et TRIPP [1988]
Au préalable d'une recherche sur les systèmes
agricoles et d'élevage, il faut clarifier la terminologie en vigueur et
les concepts de cette discipline [HART, 1982]. Ainsi, le mot
« système » peut renvoyer simultanément
à l'énumération des unités (composantes) qui le
constituent [ODUM, 1971 ; SHANER et al., 1982], tout comme il
peut désigner les modes d'interaction de ces parties [RUTHENBERG, 1980].
Par ailleurs, l'adjectif « agricole » véhicule avec
lui toute la diversité des activités du monde de l'agriculture,
comme l'horticulture, la foresterie, l'aquaculture, le maraîchage ou
l'élevage. C'est pourquoi, les chercheurs sur les systèmes
agricoles sont contraints de s'imposer des limites, constituant un
réductionnisme qui va à l'encontre de la vision globale
prônée par la RSA. L'urgence d'établir ces limites comporte
alors deux inconvénients : le danger de sous-estimer les
retombées d'un système donné sur les autres, ce qui
empêche d'appréhender ses réalisations globales [CONWAY et
BARBIER, 1990], et la difficulté de se fixer un
référentiel d'étude aussi bien dans l'espace que dans le
temps. Par exemple, pour les études sur les systèmes
d'élevage, plusieurs chercheurs considèrent le troupeau comme
unité de base [ROELEVELD et VAN DEN BROEK, 1999], mais rien
n'empêche de reporter l'effort d'analyse au cheptel d'une région
ou d'un pays [HART, 1982]. L'agrégation de systèmes peut aller au
point extrême où toute la planète Terre peut être
représentée sous forme d'un seul système [HOPKINS et
WALLERSTEIN, 1992].
Avec les considérations précédentes, les
RSA se posent comme un agrégat d'une gamme d'études
multidisciplinaires relatives aux systèmes de production agricole.
SIMMONDS [1986], en essayant de dresser une classification des voies
empruntées par la RSA, distingue les RSA au sens strict du terme (RSA
sensu stricto), des RSA pour le développement et la
vulgarisation, et de la recherche pour le développement de nouveaux
systèmes de production. La première, dont le but est une analyse
profonde des systèmes agricoles à des fins académiques
(SIMMONDS [1986] pense qu'elle sert surtout de contexte à des
doctorats), consiste en une compilation des informations et données
issues du terrain [MERRILL-SANDS, 1986] suivie d'une phase de
développement de concepts et de méthodologies de recherche.
L'objectif est alors de comprendre les systèmes de manière
induite, puisqu'à partir d'un grand nombre d'observations, des lois
générales sont élaborées. En revanche, les deux
autres visent, en plus d'une phase de description grâce à
l'utilisation d'enquêtes [LABE et PALM, 1999], la modélisation des
systèmes pour la compréhension de leur organisation, suivie
parfois du test de nouvelles hypothèses pour leur évolution.
SIMMONDS [1986] soutient que ces deux genres d'approche des
RSA sont un moyen pratique de tester la viabilité
socio-économique des hypothèses de la recherche avant de
recommander leur vulgarisation. TRIPP [1991] en rappelant les priorités
des RSA pour la diffusion de méthodes pour le développement des
petites exploitations du tiers-monde estime que celles-ci doivent
nécessairement emprunter le protocole suivant :
- diagnostic des pratiques des exploitations agricoles et de
leurs problèmes ;
- planning d'un programme expérimental ;
- test de technologies alternatives ;
- évaluation des résultats ;
- développement et vulgarisation de
recommandations.
Une des principales finalités des RSA est de
préparer minutieusement le terrain au développement de leur objet
d'étude. Or, le développement des systèmes agricoles est
globalement déterminé par les relations y liant demande et offre
de biens matériels. Elles expriment l'accès à la
technologie et aux valeurs fondant un système [HARRIS, 1988]. Aussi, le
développement peut-il se présenter sous diverses apparences,
résultat de changements combinés des ressources disponibles ou de
la demande. Le mot « développement » se
définit comme une évolution vers une croissance naturelle avec
différenciation et passage par différentes étapes. Il
n'implique donc pas nécessairement une direction irréversible
vers un but plus évolué [CROTTY, 1980]. Les ressources
impliquées dans un processus de développement agricole sont
généralement de trois ordres : la terre, le travail et le
capital [BONNEVIALE et al., 1989]. Elles induisent des
phénomènes d'offre et de demande qui se concrétisent dans
les termes du marché. Ceux-ci déterminent l'accès aux
ressources. Par ailleurs, l'évolution d'un système est aussi
conditionné par les innovations qui peuvent s'y exercer et qui
génèrent des changements dans ces modes de régulation,
notamment technologiques et institutionnels.
L'ajustement des fonctionnements des systèmes suite
à une perturbation dans les termes de l'offre ou de la demande en
intrants a été largement documenté par GRIGG [1982]. Cet
auteur impute à trois principales causes les évolutions des
systèmes agricoles :
- l'accroissement de l'exploitation des ressources en sols,
soit par intensification des pratiques ou par la recherche de nouveaux espaces
pour l'agriculture ;
- les changements dans les habitudes de consommation, qui
induisent aussi des modifications dans les modes de production ;
- l'introduction de technologies et d'innovations qui sont
porteuses de changements.
Des réflexions précédentes
découlent les nombreuses tentatives de classer les systèmes
agricoles [RUTHENBERG, 1980]. Généralement, les classifications
retiennent deux types de critères, qui sont les variables qui
déterminent le comportement du système (variables de structure
tels que le climat, les types de sol) et les variables qui montrent les choix
stratégiques des acteurs qui y évoluent (pratiques
d'élevage, type d'agriculture...).
I.2.3 Déterminisme et évolutions des
recherches sur les systèmes agricoles
Les RSA couvrent un vaste éventail d'activités
du monde rural. Elles induisent donc qu'elles sont implicitement au centre des
préoccupations des agronomes depuis les débuts de l'agriculture.
PONTING [1991] rapporte ainsi que 3000 ans av. J.C., les Sumériens
avaient déjà pris l'habitude de noter tous les changements
liés aux pratiques d'exploitation de leurs systèmes agricoles.
Sous l'Empire romain, des auteurs comme Cato ou Columella s'étaient
aussi livrés à des travaux sur les systèmes de production
de céréales et d'huile d'olive en vigueur dans les
différentes régions [WHITE, 1970]. En Andalousie, l'occupation
arabe a aussi permis d'élaborer toute une documentation en rapport avec
les systèmes agricoles irrigués [GLICK, 1970]. Plus
récemment, lors du XIXème siècle en Europe, les
travaux de Tchayanov en Russie, de Von Liebig et Von Wulffen en Allemagne, ou
de Bakewell et de Young en Grande Bretagne se sont tous basés sur une
approche de type RSA pour analyser les possibilités d'améliorer
la productivité de l'agriculture [HAYAMI et RUTTAN, 1985]. Ces travaux
se justifiaient d'autant plus que des cycles de famine sévissaient alors
et qu'il fallait nécessairement hausser la condition des agriculteurs.
Par la suite, l'expansion coloniale vers les zones tropicales et
tempérées chaudes a eu pour corollaire d'ouvrir de nouveaux
champs d'application aux RSA, dans un esprit fondamentalement dominé par
les grandes écoles de pensée du XIXème
siècle [DE WIT, 1992].
La majorité des travaux des XVIIIème
et XIXème siècles qui ont utilisé une approche
de type RSA ont mis l'accent sur une « vision globale de
l'unité de production agricole », qui sous-entend une
étude holiste de l'exploitation fermière. Ce genre de
démarche s'applique lorsque « le tout est bien plus qu'une
simple addition des parts » [SCHIERE, 1995]. A ce stade, ce concept
s'oppose au réductionnisme des recherches actuelles [LANDAIS, 1996a].
BEETS [1990] mentionne que les pionniers des RSA, au XIXème
siècle, étaient pour la plupart issus du monde agricole, et que
dans leur travaux, ils conciliaient agronomie et économie. SHANER et
al. [1982] ajoutent à ce propos que pour la réussite des RSA
l'intégration des considérations économiques est
primordiale. Ceci conforte donc l'approche multidisciplinaire qu'adoptent les
RSA.
Un autre point central des RSA est la participation des
agriculteurs à ses visées et objectifs. Comme déjà
vu, les premiers défenseurs de ce type de méthodes étaient
pour la plupart eux-mêmes agriculteurs. Par exemple, Young, au Royaume
Uni, avait tracé pour cible à ses travaux la détermination
de la taille optimale pour la viabilité d'une exploitation agricole
[LORD ERNLE, 1961]. De même, les principales avancées dans
l'amélioration génétique des bovins ont été
dues à Bakewell, qui était avant tout éleveur [TROW-SMITH,
1958]. La vision globale de ce genre de travaux n'échappait pas à
leurs réalisateurs puisque, par exemple aux Pays-Bas, l'utilisation de
l'azote en élevage bovin laitier ou encore les premiers essais de
vaccination contre la fièvre aphteuse, ont été
initiés par des éleveurs travaillant en communauté.
Ultérieurement, la participation des éleveurs - agriculteurs aux
programmes de RSA est devenue une des modalités les plus courantes de ce
genre de travaux, dont de multiples aspects ont été
rapportés par FARRINGTON et MARTIN [1988] et par MERRILL-SANDS et
al. [1991]. Ces auteurs mettent l'accent sur la complexité de ce
type d'investigation, notamment en raison du paradigme qui la
précède : aucun développement de ces méthodes
ne peut se faire sans que les concernés y perçoivent un
intérêt, et par essence les intérêts des agriculteurs
sont divergents. Même l'acceptation d'une innovation technologique par un
groupe d'agriculteurs peut se solder par la mise à l'écart d'un
autre groupe encore plus important [BROMLEY, 1992]. Ainsi, en terme de
productions animales, que ce soit pour des techniques d'alimentation du
bétail ou même pour l'amélioration génétique,
les attentes des éleveurs aux ressources en terres limitées
seront totalement différentes de celles des éleveurs disposant
d'un vaste accès aux superficies fourragères ; tout comme
pour les motifs derrière l'importation de vaches laitières des
pays tempérés [SRAÏRI et BAQASSE, 2000]. Par ailleurs, la
notion de durabilité spatiale et temporelle peut aussi totalement
modifier l'évaluation des situations [POSNER et GILBERT, 1991], car le
plus souvent l'agriculteur raisonne à très court terme et
à l'échelle de sa parcelle, ou tout au plus de son exploitation,
tandis que le chercheur en RSA tend à travailler à long terme et
sur des niveaux régionaux [VAVRA, 1996]. Dans le processus de
participation des agriculteurs aux projets de RSA, d'inévitables
interactions et échanges entre chercheurs et agriculteurs
s'établissent, et elles sont primordiales pour définir les
orientations du développement [SCHIERE, 1995]. GRYSEELS [1988] et
LANDAIS [1983] mentionnent à ce sujet que plusieurs choix de leurs
études étaient directement inspirés de discussions avec
les éleveurs et autres acteurs impliqués dans les productions
animales.
I.2.4 Application des recherches sur les systèmes
agricoles aux activités d'élevage
La majorité des études des RSA ont
été appliquées ces dernières années aux
systèmes de cultures dans les pays en développement,
initiées par des organismes internationaux tels que l'IRRI
(International Rice Research Institute), le CIMMYT (International Maize and
Wheat Improvement Center), l'ICARDA (International Center for Agricultural
Research in the Dry Areas), le CIAT (Centre International d'Agronomie
Tropicale) ou l'IPGRI (International Plant Genetic Resources Institute),
à un moment où les recherches sur les productions animales sont
restées à un stade moins avancé [ZWART et DE JONG, 1996].
Néanmoins, dans les pays développés, les
préoccupations des zootechniciens et vétérinaires
commencent à se focaliser sur ce type de recherches, face aux crises
récentes du secteur des productions animales (maladies
« technogènes », telles que l'encéphalopathie
spongiforme bovine, manipulations hormonales, surplus de production...) comme
le rapporte LANDAIS [1996b]. Dans les pays en développement, ce genre de
recherche a été mené dès les premières
implantations de colonisation, et visaient pour la plupart à
décrire les systèmes d'élevage et leurs rôles dans
l'organisation sociale de ces régions [COULEAU, 1968 ; LANDAIS,
1990] et à tester les possibilités d'adaptation d'espèces
et de souches plus productives des pays tempérés, notamment les
races laitières [DE JONG, 1996 ; JASIOROWSKI, 1991]. A cet
égard, des écrits récents font état, sans aucune
équivoque, de l'inadaptation des transferts de race allochtones vers des
environnements d'élevage difficile et incitent à focaliser plus
les efforts de développement vers une conduite plus rationnelle des
animaux d'origine locale [AYALEW et al., 2003]
Par rapport aux concepts et objectifs des RSA
précédemment cités, les Recherches sur les Systèmes
d'Elevage (RSE) conservent exactement la même vision globale et le
même souci d'adopter une méthode pluridisciplinaire pour
appréhender le fonctionnement des filières animales [NESTEL,
1984]. Certes, des différences peuvent néanmoins surgir, et elles
sont pour la plupart dues aux caractéristiques propres des animaux et
des modes de leur exploitation. En effet, leur mobilité, leurs multiples
rôles (prestige social, statut religieux, outil de production,
épargne...), la diversité de leurs productions (produits
principaux tels que lait, viandes,... et produits secondaires, tels que fumier
et excréta, abats, peaux...), et les problèmes
d'échantillonnage au sein des unités d'étude, et de
durée des investigations sont autant de points qui peuvent
séparer les approches conventionnelles des RSA des méthodes
à utiliser en RSE [GRYSEELS, 1988 ; AMIR et KNIPSCHEER, 1989].
Néanmoins, les interrelations entre ces deux volets d'étude des
questions agricoles sont trop nombreuses pour justifier de les mener de front
plutôt que de rechercher à les dissocier. C'est ainsi qu'en
élevage de bovins laitiers plus particulièrement, DOBREMEZ et
BOUSSET [1996] insistent sur l'inévitable prise en compte des
résultats globaux de l'atelier des vaches et des cultures, ainsi que de
leur interaction, pour pouvoir effectuer une analyse d'un système de
production laitière. Ceci est valable quel que soit le contexte et
justifie davantage les difficultés des RSE, eu égard à la
parcimonie de la collecte de l'information dans plusieurs régions en
développement [ANDERSON, 1992]. Cet auteur prévoit aussi une
nette amélioration économique des revenus agricoles, si
l'épargne pouvait être réinvestie dans le
développement des ressources fourragères et la santé
animale pour favoriser une interaction dans la valorisation des ressources
produites sur l'exploitation (animales et végétales). Par
ailleurs des similarités peuvent lier élevage et cultures,
puisque les parcelles plantées peuvent aussi assumer une multitude de
fonctions [WILLIAMSON et PAYNE, 1965].
La volonté de développer les systèmes
d'élevage s'est appuyée sur les outils de classification pour
appréhender les leviers d'action afin d'en améliorer les
performances [FRESCO et WESTPHAL, 1988]. Comme déjà
mentionné, les modes de classification considèrent surtout les
accès aux ressources et leurs éventuels changements [HAYAMI et
RUTTAN, 1985]. Dans ce sens, SCHIERE et DE WIT [1993] proposent sur la base
d'une abondante bibliographie, un exemple de classification, sous forme de
matrice à deux dimensions, où la disponibilité en
ressources pour les éleveurs est exprimée relativement par
rapport à un état optimal grâce aux signes
« plus » + et « moins » -, et
représente un premier axe, et où la place de l'élevage est
comparée aux cultures sur le deuxième axe. Par ailleurs, ils
distinguent, pour des raisons de commodité de classement et selon des
travaux antérieurs [BROMLEY, 1992], deux types de systèmes
d'élevage : à haut et à bas niveau d'utilisation
d'intrants exogènes.
Avec ces hypothèses, SCHIERE et DE WIT [1993]
aboutissent à une représentation globale des systèmes
d'élevage, avec des exemples caractéristiques à travers le
monde, tels que figurés dans le tableau 3.
De cette matrice, il apparaît que la tendance à
l'expansion, terme consacré dans la terminologie adoptée par ces
auteurs pour désigner l'investissement de nouvelles terres, est la
caractéristique des zones à fortes disponibilités en
terres, peu productives en l'état, où les formes d'élevage
les plus communes sont la transhumance et à un degré
extrême le nomadisme [BERNUS, 1990].
Tableau 3. Matrice pour la représentation des
systèmes d'élevage.
Tendance
|
Accès aux ressources
|
Importance relative de l'élevage et des cultures
|
|
Terre
|
Travail
|
Capital
|
Elevage
|
Mixte
|
Cultures
|
Expansion
|
+
|
-
|
-
|
Trans-humance
Nomadisme
|
Elevage pastoral : Maghreb
|
Céréales extensives
|
Bas Niveau
|
-
|
+
|
-
|
Hors-sol Achats d'aliments réduits
|
Dehesa espagnole
Elevage montagnard
|
Riziculture
Horticulture
|
Intermédiaire
|
-
|
-/+
|
-/+
|
Embouche
Elevage laitier extensif
|
Traitement des pailles
Ley-farming
|
Agro
foresterie
Agriculture biologique
|
Haut Niveau
|
-
|
-
|
+
|
Production laitière intensive
|
Production périurbaine
Production avicole
|
Plantations industrielles
|
D'après SCHIERE et DE WIT [1993]
Les systèmes d'élevage à bas niveau
d'intrants exogènes sont surtout en vigueur dans les régions
carencées en sols fertiles ou dans les zones marginales, notamment
montagneuses. Dans ces types d'élevage une attention toute
particulière est réservée au travail, qui compense en
quelque sorte le faible niveau de capitalisation. ZWART et DE JONG [1996]
mentionnent que la majorité des unités d'élevage dans les
pays en développement, surtout celles détenues par de petits
producteurs, peut être classée dans cette catégorie.
Les systèmes intermédiaires s'érigent
comme une sorte d'alternative aux manques d'intrants dans les exploitations
à niveau d'investissement réduit. Ils s'appuient sur une
thèse d'équilibre des bilans de fertilité au sein de ces
entités [HAYAMI et RUTTAN, 1985]. En d'autres termes, même le
recours à des intrants externes à l'exploitation doit être
considéré comme un transfert de capital qu'il faut neutraliser
par une certaine production. L'un des points de départ du fonctionnement
de ces systèmes est la limitation des facteurs exogènes et
donc l'ajustement des besoins en fonction des ressources disponibles. C'est
dans ce type de système qu'un vaste transfert de technologie, notamment
de biotechnologies [SCHIERE, 1995], a été tenté dans les
élevages laitiers des pays en développement (traitement à
l'urée des résidus de culture, croisements avec des races
locales, micro-irrigation de fourrages...). Néanmoins, les attitudes des
éleveurs des pays en développement vis-à-vis du recours
à ces rudiments de technologie restent fort mitigées, car ils
doivent constamment intégrer dans leur calcul la gestion du risque
économique [COUTY, 1989].
Les systèmes d'élevage à haut niveau
d'inputs exogènes sont par essence les élevages laitiers des pays
développés. Ils compensent la rareté des terres de
pâturage par le recours forcé aux fertilisants, aux
médicaments et même aux aliments pour le bétail. La valeur
monétaire de ces intrants est généralement basse par
rapport à celle des produits et du travail, ce qui explique souvent leur
sur-utilisation, allant même jusqu'à compromettre la
viabilité de ces systèmes (pollution par les nitrates,
excédents de production...).
Pour conclure sur l'opposition latente qui sépare les
systèmes d'élevage laitiers en pays développés
à ceux des pays en développement, BRAND et al. [1996]
ont proposé un schéma récapitulatif et simplifié
qui permet de mieux appréhender les niveaux où interviennent ces
différences (figure 1).
* Contraintes religieuses, culturelles et
socio-économiques
|
C
|
* Population humaine
|
*Gestion A
|
|
* Superficie agricole
|
* Disponibilité des intrants
|
* Obligations de travaux en commun
|
*Maladies
|
* Associations paysannes (coopératives)
|
*Disponibilité
alimentaire
|
|
* Taille du groupe familial
|
* Productivité Type de fermes
|
|
|
* Accès aux bois de chauffe
|
Lait, viande
Animaux de renouvellement
|
|
?
|
* Besoins en combustibles
|
* Flux monétaires, Revenus
|
|
|
* Accès aux pâturages communautaires
|
* Demande du consommateur B
|
|
* Taxes et intérêts
|
* Force de traction, fumier
|
* Accès aux marchés
|
|
* Prix en post - récolte
|
|
|
* Conditions climatiques
|
* Stabilité politique
|
* Qualité et type de cultures et de sols
|
|
D'après BRAND et al. [1996]
Figure 1. Représentation simplifiée des
différences entre les systèmes agricoles monofonctionnels des
pays développés (parties A et B) et les systèmes agricoles
plus extensifs et multifonctionnels des pays en développement (partie C
à ajouter à A et B).
I.2.5 Les outils et méthodes des recherches sur les
systèmes d'élevage : cas des bovins laitiers
Les RSE ont, à l'instar des RSA, toujours
privilégié la vision globale pour appréhender un objet
d'étude aussi complexe que l'élevage de bovins laitiers. Il est
d'ailleurs révélateur à ce sujet que ce soit ce type
d'élevage qui ait été le plus souvent utilisé pour
illustrer une approche systémique appliquée aux productions
animales, en comparaison à d'autres types de spéculations
[CHATELLIER et al., 1997 ; DOBREMEZ et BOUSSET, 1996 ; VISSAC,
1994]. Néanmoins, la plupart des auteurs ayant conduit ce type
d'investigations s'accordent sur l'ampleur des méthodes à mettre
en oeuvre, tant pour la collecte d'une information fiable qui puisse servir de
base à l'analyse [DE JONG, 1996] que pour les procédures à
appliquer [CORDONNIER, 1986]. Par ailleurs, une des limitations réelles
aux études sur le bétail laitier dans les pays en
développement est la difficulté d'y appliquer des protocoles
d'étude qui ont fait leurs preuves dans les pays
développés [JASIOROWSKI, 1991].
BRAND et al. [1996], dans leur ouvrage
consacré à l'appréhension des résultats des
élevages laitiers, mettent l'accent sur cinq principaux points qu'il
convient de développer :
- l'élevage des animaux de remplacement ;
- le contrôle des performances de lactation avec comme
outil d'étude principal les modalités d'alimentation des
vaches ;
- le contrôle de la reproduction et ses effets sur le
troupeau ;
- le contrôle des incidents sanitaires, notamment les
mammites et les boiteries ;
- les résultats économiques et leur
optimisation.
D'autres auteurs tels que CORDONNIER [1986], LHOSTE et
al. [1993] ou MEYER et DENIS [1999] reprennent sensiblement un cheminement
similaire pour ce genre d'analyses, avec des différences dans les
parties les plus détaillées, puisque le premier auteur
s'intéresse surtout aux résultats économiques, tandis que
MEYER et DENIS [1999] mettent en exergue l'étude du processus de
production en zone tropicale. Toutefois, dans ce genre de démarche qui
consiste à scinder l'exploitation de vaches laitières selon ses
composantes principales, certains auteurs [SCHIERE, 1995 ; LANDAIS, 1996a]
mettent en garde contre la primauté des questions particulières
(qu'ils dénomment recherches des composantes) par rapport à une
vision synthétique. C'est pourquoi, si le recours à ces approches
localisées, dans un but de diagnostic et de caractérisation des
performances des étables laitières est devenu très
courant, il ne constitue pas une fin en soi [ROELEVELD et VAN DEN BROEK,
1999].
De nombreux travaux récents se sont
focalisés sur la description et l'analyse des systèmes de
production laitière, afin de saisir la variabilité spatiale de ce
genre d'activités. Dans les pays en développement, ce genre
d'activités a souvent pour justification le diagnostic de l'efficience
technico-économique de production des systèmes [LHOSTE, 1984],
l'étude de l'acclimatation des races exotiques en conditions tropicales
chez de petits éleveurs, ainsi que l'analyse de l'approvisionnement des
centres urbains [SRAÏRI et BAQASSE, 2000 ; MSANGA et al., 2000 ;
HANYANI - MLAMBO et al., 1998 ; LOSADA et al., 1998 ; METZGER et
al., 1995 ; HOLMAN et al., 1992 ; MBAP et NGERE, 1989]. En pays
développés, au delà des objectifs
précédents, c'est aussi la caractérisation des variations
régionales et leurs effets sur les politiques d'aménagement du
milieu qui sont visés dans ces travaux [REINHARD, 1999 ; BONNEVIALE
et al., 1989]. La méthodologie retenue varie énormément en
fonction du matériel de base disponible, à savoir la
quantité de données relatives au fonctionnement des
étables laitières et leurs relations avec leur environnement
économique et social.
Ainsi, il est possible de remarquer que dans les pays
développés ou dans des projets de promotion agricole dans les
pays du Tiers-Monde, l'existence de bases de données du genre RICA
(Réseau d'Information Comptable Agricole) en France, ou du type DHI
(Dairy Herd Improvement) aux Etats-Unis, ou encore SCB (Statistical Central
Bureau) en Suède, ou Baobab au Sénégal [LANCELOT et al.,
1988], qui comportent toutes les observations issues des recensements agricoles
et du contrôle laitier, permet de se livrer à des analyses
statistiques poussées et régulières sur cette somme
d'informations, moyennant les méthodes d'analyse des données
multidimensionnelles. Le but est d'exploiter la diversité et le nombre
d'informations brassées au cours d'un diagnostic des élevages
laitiers [BONNEVIALE et al., 1989], pour ressortir les facteurs qui influent
significativement sur leurs performances. Ceux-ci peuvent être aussi bien
liés au milieu (effet étable), à la
génétique (race) ou même aux caractéristiques
sociales des éleveurs [CHATELLIER et al., 1997 ; LEDIN et LEMA,
1996]. Parfois, l'analyse de type systémique basée sur
l'exploitation d'une base de données peut être combinée
à une expérimentation chez les éleveurs pour tester
l'effet d'un paramètre d'élevage (alimentation notamment) sur les
caractéristiques des produits, surtout en zone AOC (Appellation
d'Origine Contrôlée) [COULON et al., 1988]. De même, ce
genre de travaux peuvent être l'occasion de se pencher sur
l'évolution de certaines tendances des élevages laitiers, comme
par exemple les taux butyreux et protéiques du lait [SARGEANT et al.,
1999]. Dans ces études, BONNEVIALE et al. [1989] affirment qu'il est
nécessaire d'analyser les pratiques des éleveurs,
c'est-à-dire leur manière de gérer au jour le jour leurs
troupeaux, car comme l'a rappelé BROSSIER [1973], « les
agriculteurs, comme tous les individus, ont un comportement rationnel,
c'est-à-dire qu'il y a cohérence entre les objectifs qu'ils
cherchent à atteindre et les moyens mis en oeuvre». Cette nouvelle
dimension acquise par les actions entreprises par les éleveurs,
puisqu'ils deviennent objet d'étude et non pas seulement d'analyse,
n'est pas sans bouleverser de manière radicale le comportement du
chercheur en sciences animales [LANDAIS et DEFFONTAINES, 1988]. Le tableau 4
reprend de manière détaillée les différences
fondamentales qui distinguent l'approche systémique de l'approche
conventionnelle pour l'étude des élevages.
Tableau 4. Caractéristiques schématiques de
deux démarches différentes pour la recherche et l'action.
Démarche analytique
|
Démarche systémique
|
|
|
Seul le résultat compte. Des solutions sont
recherchées en priorité aux problèmes
|
C'est le processus qui est important. Il faut bien poser le
problème
|
Le complexe est décomposé en
éléments qu'il faut analyser
|
Articulation et relation des éléments entre
eux et avec le tout
|
Supériorité de l'expert qui sait (schéma
descendant de la connaissance)
|
Humilité de l'expert qui cherche à comprendre
et qui apprend des choses et des gens
|
L'expert croit à la meilleure solution
|
Il pense qu'il y a plusieurs solutions satisfaisantes
|
Construction d'une théorie fondée sur les
mathématiques : priorité donnée au quantitatif.
|
Construction d'un modèle que l'on sait
réducteur.
|
Validation par la preuve expérimentale.
|
Validation par l'efficacité dans la transformation du
réel.
|
Enseignement disciplinaire (juxtaposition).
|
Transdisciplinarité.
|
Linéarité, monorationalité,
monocritère dans la décision
|
Plurirationalité, pluricritère.
|
Indépendance des fins et des moyens.
|
Récursivité des fins et des moyens.
|
Les connaissances sont la découverte de ce qui
préexiste (univers câblé).
|
Les connaissances sont construction du réel, elles
agissent sur lui.
|
Mise à l'écart des contradictions pour rendre la
réalité conforme au schéma.
|
Prise en compte des conflits et des contradictions.
|
L'expert est comme une « abeille » pour
laquelle tout est codé. Auguste Comte est la référence
historique et épistémologique de cette conception.
|
L'homme est un « architecte » libre qui
construit. Léonard De Vinci semble être le référence
adéquate.
|
Adapté de LE MOIGNE [1984]
Dans leur travail de caractérisation des
différences entre exploitations de bovins laitiers, DOBREMEZ et BOUSSET
[1996], en rappelant que cette hétérogénéité
n'a jamais été souhaitée par les décideurs [COLSON,
1985], insistent sur l'importance des analyses factorielles qui peuvent
restituer l'extraordinaire richesse de l'information issue des RSE. Ils
soulignent aussi qu'une des finalités de ces analyses est de dresser une
typologie des exploitations étudiées, ce qui représente
une tendance fort récente des méthodes d'étude des
systèmes d'élevage [LANDAIS et BONNEMAIRE, 1996]. L'objectif est
de répondre à la question : qui produit du lait et selon
quelles modalités ? La résolution de cette
problématique est importante, car au-delà de la simple
classification, elle pose tout un ensemble de questionnements sur l'avenir des
interventions des décideurs dans le domaine laitier [PERROT,
1990].
Dans le contexte des pays en développement où de
telles bases de données sont rarement disponibles, par manque de
l'infrastructure nécessaire à la collecte de l'information et
aussi en raison des craintes des éleveurs à se voir appliquer de
nouvelles taxes [DE JONG, 1996], les chercheurs sont le plus souvent
contraints d'aller chercher eux-mêmes les caractéristiques des
élevages laitiers sur le terrain. LHOSTE [1984] rapporte qu'avant
d'entamer la collecte et l'analyse de données, il faut tout d'abord
commencer par se renseigner sur les niveaux d'organisation influant sur les
résultats des élevages. Cet auteur propose un organigramme
général déterminant le fonctionnement des systèmes
de productions animales, qui constitue comme un inventaire exhaustif des objets
d'étude du chercheur intéressé par ces entités
(Tableau 5). A travers cette représentation simplifiée à
l'extrême du fonctionnement des systèmes d'élevage, il est
clairement affirmé que leur compréhension va bien au-delà
de la seule connaissance du cheptel bovin.
C'est seulement en se fixant un objectif de collecte
des informations, qu'il faut ensuite réfléchir aux voies d'y
parvenir, surtout lorsque peu de moyens sont disponibles [LABE et PALM, 1999].
A ce niveau, ROELEVELD et VAN DEN BROEK, [1999] distinguent deux types
d'approche : l'enquête informelle et le suivi d'élevage. Pour
ces auteurs, ces deux volets du travail sont complémentaires et le choix
de privilégier l'un par rapport à l'autre est nécessaire
lorsque les moyens matériels ne suffisent pas à les assumer
pleinement. Un survol de la bibliographie disponible sur les études de
systèmes laitiers en zone tropicale montre que les travaux adoptent
généralement les deux démarches, allant d'abord d'une
description générale des modalités de production
basée sur une enquête rapide ou informelle [HANYANI - MLAMBO et
al., 1998 ; LOSADA et al., 1998], à une phase plus
détaillée avec un formulaire d'enquête plus
élaboré et permettant d'avoir une vision plus
détaillée du fonctionnement des systèmes laitiers.
Tableau 5. Les composantes, éléments et
paramètres des systèmes d'élevage.
Composantes
|
Éléments
|
Paramètres
|
Territoires villageois et
|
Structuration
|
· Composition du fourrage
|
systèmes de cultures
|
|
· Répartition - surface
|
|
Production primaire
|
· Phytomasse
|
|
|
· Composition chimique
|
|
|
· Valeur nutritive
|
|
Utilisation par le bétail
|
· Accessibilité
|
|
|
· Appétibilité et ingestibilité
|
|
Evolution dans le temps
|
· Variations saisonnières
|
|
|
· Variations interannuelles
|
|
|
· Reproduction
|
Interface
|
Comportement alimentaire
|
Bilans
|
Bilan fourrager
|
|
|
- Matière organique
|
|
|
|
- Fertilité et système de culture
|
|
Troupeau
|
Structure (statistiques)
|
· Espèces, races et effectifs
|
|
|
· Composition
|
|
Dynamique
|
· Reproduction et mortalité
|
|
|
· Exploitation et croît
|
|
Animal
|
· Age, et état sanitaire
|
|
|
· Stade physiologique
|
|
|
· Performances individuelles
|
|
Conduite
|
· Du troupeau
|
|
|
· De l'alimentation
|
|
|
· De la reproduction
|
|
Production
|
· Viande, lait, laine,...
|
|
|
· Fumier, traction,...
|
Interface
|
Pratiques
|
Soins
Conduite
Savoir-faire
|
Rôle du bétail (économique et
socio-culturel)
|
Modes de valorisation
du bétail
|
Eleveur
|
Ethnie, famille, histoire
|
|
|
Projets
|
|
|
Organisation du secteur
|
|
|
Besoins / revenus
|
|
|
Relations avec la communauté
|
|
|
Services de l'élevage
|
|
Interface
|
Organisation foncière
|
Gestion des pâturages
|
Stratégie : transhumance
|
D'après LHOSTE [1984]
La part de l'analyse économique est
prépondérante dans ce genre d'études car elle renseigne
sur la viabilité de cette activité et sur les options de
production retenues par les éleveurs [DEBRAH et al., 1995].
Généralement, elle consiste surtout en un calcul de la marge
brute des élevages laitiers qui, selon JOHNSON [1985], représente
« la différence entre la valeur du chiffre d'affaires,
à savoir la totalité des ventes de tous les produits, tels que le
lait, les animaux, et le fumier, et l'ensemble des coûts inhérents
au processus de production ». Une autre préoccupation des
chercheurs sur les systèmes d'élevage laitier dans les pays en
développement revient à s'intéresser aux
répercussions de l'aval de la filière laitière sur la
structuration des étables laitières [MEYER et DENIS, 1999]. A
l'opposé de la situation en pays développés, où
l'organisation des droits à produire (quotas en Europe) garantit des
possibilités certaines de commercialisation du lait, la majorité
des producteurs des pays en développement écoulent leurs
productions selon des canaux aléatoires et non pérennes. Ainsi,
ALARY [1999] rappelle la fragilité du système coopératif
laitier en Inde face à l'épreuve de la libéralisation,
dans un contexte où le gouvernement indien a fortement
protégé cette filière, et pose la question de l'avenir des
producteurs. Ces derniers s'étaient accoutumés à ce
protectionnisme et avaient adapté leurs modes de production en
conséquent, optant pour des systèmes très peu
intensifiés. Au Maroc, il a aussi été clairement vu que
les effets des possibilités d'accéder au marché du lait
étaient variables selon les saisons, notamment à cause des
changements climatiques et des périodes de célébrations
religieuses (mois du Ramadan), et ceci induisait des ajustements certains au
niveau de l'organisation de la production [SRAÏRI et MEDKOURI, 1999].
L'étude des systèmes de production
laitière, dans les pays en développement, est donc une condition
préalable à l'amélioration de l'auto - approvisionnement
local [MEYER et DENIS, 1999]. Elle suppose la prise en compte de toutes les
caractéristiques du milieu, qu'elles soient techniques (races animales,
climat, savoir-faire...) mais aussi économiques et politiques [ROELEVELD
et VAN DEN BROEK, 1999]. La complexité de ce type d'études ne
peut que revêtir des atouts certains, mais elle comporte aussi des
limites.
I.2.6 Atouts et limites des recherches sur les
systèmes d'élevage laitiers
Le récent engouement pour les recherches sur les
systèmes d'élevage a suscité tout un ensemble
d'études pour cerner la durabilité des filières animales
à travers le monde [GIBON et al., 1999 ; HEITSCHMIDT
et al., 1996]. De manière plus spécifique aux
élevages de bovins laitiers, de nombreuses méthodologies
d'approche ont été proposées pour en évaluer la
réussite économique [CORDONNIER, 1986], pour en identifier les
acteurs les plus dynamiques, à travers des typologies d'exploitation
[DOBREMEZ et BOUSSET, 1996], ou pour en analyser les ateliers techniques
défaillants [BRAND et al., 1996]. Ces méthodes ont
été appliquées dans divers environnements et ont
même été ajustées selon les contraintes de
disponibilité de l'information et de possibilités d'analyse, ce
qui fait qu'actuellement plusieurs résultats sur les systèmes
d'élevage laitier à travers le monde ont été
publiés [MEYER et DENIS, 1999]. L'approche système
appliquée aux productions animales semble être devenue une voie
classique pour l'étude des élevages en raison des nombreux atouts
prêtés aux RSA, notamment leur vision globale des problèmes
des entités de production [OLTJEN et BECKETT, 1996 ; RUTHENBERG,
1980]. En ces moments de doutes pour les filière bovines
laitières, tant des pays développés, à cause de la
crise productiviste et de ses effets sur l'environnement [KOHN et al.,
1997 ; DEMEYER et FIEVEZ, 2000 ; PEYRAUD, 2000], que pour les pays
sous-développés, en raison de la mondialisation et de la
croissance démographique, les études systémiques des
élevages ont pour rôle de dresser un diagnostic complet des modes
de production et surtout d'orienter la recherche ultérieure et d'en
fixer les priorités [ROELEVELD et VAN DEN BROEK, 1999]. Ainsi,
après les écrits des années 80 qui expliquaient les
échecs des projets de développement des productions animales en
zone tropicale par l'absence de vision systémique [GRYSEELS, 1988],
plusieurs auteurs retracent plus récemment des expériences
d'amélioration des performances des systèmes d'élevage
grâce à une approche globale [ZWART et DE JONG, 1996 ;
SCHIERE, 1995 ; VISSAC, 1994].
Par exemple, même dans le contexte des pays à
fort potentiel de production laitière, les chercheurs essaient d'isoler
les facteurs autres que techniques (conduite alimentaire et patrimoine
génétique des vaches) qui peuvent influer sur les
résultats des systèmes laitiers [LEDIN et LEMA, 1996]. Certes,
ces méthodologies sont complexes, car elles requièrent souvent un
travail de longue haleine relativement coûteux et qui nécessite la
participation de compétences diverses pour garantir la
pluridisciplinarité, mais elles sont une garantie pour éviter de
ne pas gaspiller tout simplement les deniers de la recherche, surtout lors de
transfert de technologies ou de matériel animal (vaches laitières
et leurs produits ou paillettes de spermes ou embryons) des pays
développés vers des pays plus démunis [DE JONG,
1996 ; JASIOROWSKI, 1991].
Néanmoins, l'approche systémique est loin
d'être une panacée aux problèmes des systèmes
d'élevage. Outre les besoins en temps et en moyens nécessaires,
ce genre d'approche souffre de la diversité des approches et surtout des
difficultés à enchaîner sur un processus de
développement [GRYSEELS, 1988]. Dans les pays du tiers-monde, la
diversité et parfois l'antagonisme des caractéristiques des
élevages [AMIR et KNISPSCHEER, 1989] font que les essais zootechniques
qui devraient être menés en milieu paysan pour valider une
approche de type recherche - développement ont peu de chances d'aboutir
(Tableau 6). De ce fait, les objectifs globaux de la recherche risquent de ne
pas être totalement concrétisés.
Des observations précédentes, il apparaît
que les RSE appliquées aux bovins laitiers sont un outil d'étude
dont les résultats peuvent être très avantageux pour
caractériser les modes de production de lait dans un pays ou une
région donnés. Au delà du simple intérêt
académique de ce genre de travaux, ils peuvent se justifier par le fait
qu'ils constituent, selon plusieurs auteurs [MEYER et DENIS, 1999 ;
SIMMONDS, 1986], une étape de description et d'analyse indispensable
avant d'entamer un quelconque processus de développement des
élevages laitiers à grande échelle.
Tableau 6. Implications des caractéristiques des
élevages sur les essais en milieu paysan.
Facteur
|
Caractéristiques des élevages
|
Implications pour les essais zootechniques en milieu
paysan
|
Mobilité
|
Elevée
|
Difficulté des mesures et du contrôle des
facteurs non expérimentaux
|
Durée du cycle
|
Généralement plus d'un an
|
Augmentation des coûts et perte possible de
l'unité expérimentale
|
Synchronisation du cycle
|
Unités peu synchronisées
|
Difficulté de trouver des unités comparables
|
Unités multiples
|
Viandes, peaux, lait, fumier, trait
|
Difficultés d'estimer l'effet du traitement
|
Intrants
|
Plusieurs types
|
Difficultés de mesure
|
Taille des unités expérimentales
|
Grande et indivisible
|
Augmentation des coûts et du risque pour les
collaborateurs
|
Attitudes du producteur
|
Tabous personnels
|
Difficultés de marquer les bêtes ou d'en
réduire le nombre
|
Variabilité dans la gestion
|
Elevée
|
Difficulté d'isoler l'effet du traitement
|
Unités à observer
|
Peu nombreuses
|
Grande variabilité statistique
|
Propriété
|
Souvent partagée
|
Gestion conjointe
|
Ressources
|
Souvent terres communales
|
Motivation réduite
|
Audience cible
|
Famille paysanne, communauté
|
Plus grande variabilité dans la gestion
|
D'après GRYSEELS [1988]
I.2.7 Conclusion
Après la Révolution verte, paroxysme de la
vision technicisée et uniformisée pour augmenter la
productivité de l'agriculture dans les pays en développement, et
son bilan plus que mitigé, l'approche systémique a certainement
conquis du terrain comme nouvelle voie d'investigation pour l'agronomie, si ce
n'est rien que pour son aspect séduisant d'influer sur les objets
étudiés (exploitations agricoles). A cet égard, les
études sur les systèmes d'élevage connaissent un regain
d'intérêt certain et s'érigent comme outil indispensable
pour la constitution de filières animales durables, fournisseurs de
produits de qualité, créatrices de travail et de plus-value et
permettant de gérer et de préserver l'environnement physique.
Leur application à l'élevage bovin laitier est à plus d'un
titre nécessaire et commence à se généraliser dans
divers types d'écosystèmes, car ce type de production est
certainement l'élevage le plus complexe en raison de la longueur de la
filière traitant un produit périssable comme le lait. Au
delà des différences entre régions et entre groupes
d'éleveurs, la formalisation d'une méthodologie pour
l'étude des étables laitières et de leur insertion dans
leur milieu humain et physique semble être devenu l'objectif prioritaire
des équipes de chercheurs s'intéressant à ce type de
problématiques. A ce niveau, si la prise de conscience de la
nécessité de penser à des filières animales
durables est actuellement établie et implique une orientation
précise aux objectifs des chercheurs, la variabilité entre
régions développées et pays en développement, et
surtout la disparité des objectifs des éleveurs entravent la
constitution d'une approche de recherche qui soit uniforme avec des
méthodes universelles. Les perspectives de recherche demeurent donc
largement ouvertes et intiment à tous les concernés par l'avenir
de la production bovine laitière, aussi bien les chercheurs que les
éleveurs, les pouvoirs publics et les organismes internationaux en
charge de la recherche animale, à davantage d'efforts pour arriver
à mettre sur pied des réseaux de compétence
s'intéressant à ce vaste domaine.
II - Evolution des filieres laitières au
Maghreb
II.1. Étude des filières laitières
maghrébines : introduction
II.2. Cadre naturel de l'agriculture et de l'élevage au
Maghreb
II.3. Politiques laitières dans les pays du Maghreb
II.4. Performances des filières laitières au
Maghreb
II.5. Perspectives des filières laitières au
Maghreb
II.6 Conclusions
L'implantation d'usines sucrières dans le pays
permettait d'espérer une baisse de son prix. La nourriture du pauvre
devait donc, logiquement, descendre au niveau des petites bourses. Or, en
l'espace de quelques années, son prix allait connaître des hausses
vertigineuses. Et Sid El Haj demandait à ton père de boire
beaucoup de thé.
Dans bien des foyers, la consommation de la boisson
nationale avait dû être restreinte parce qu'on fabriquait le sucre
dans le pays.
Abdelhak Serhane (1986)
Les enfants des rues étroites
Editions du Seuil,
Paris, p. 55
II - 1 Étude des filières
laitières maghrébines : introduction
Le Maghreb se présente comme un ensemble
géopolitique important de la rive Sud de la mer
Méditerranée. Au seuil de l'Europe, les trois pays constituant ce
groupe territorial, à savoir le Maroc, l'Algérie et la Tunisie,
forment une transition entre le monde tempéré et le monde
tropical. D'ailleurs, certains géographes désignent le Maghreb
comme la zone la plus méridionale de la région
tempérée, tandis que d'autres le situent dans la sphère
subtropicale [PONCET, 1962 ; BALTA, 1990 ; DURAND-DASTES et MUTIN, 1995].
En dépit de son ancrage africain, la Méditerranée reste le
véhicule des civilisations qui ont fleuri sur les rives du Maghreb.
L'agriculture et l'élevage représentent des
activités essentielles de la vie au Maghreb, par leur rôle
d'aménagement du territoire et surtout de régulation sociale
[COULEAU, 1968], et une majorité de projets de développement et
les réformes sociales dans ces trois pays s'articulent
inévitablement autour d'eux [LERY, 1984]. L'agriculture au Maghreb, avec
sa composante élevage, est une, dans la mesure où elle est
méditerranéenne, et elle est aussi multiple étant
donné la disparité des milieux géographiques et aussi pour
des raisons structurelles de différences entre régions [TULLY,
1990]. L'élevage laitier intensif, malgré ses aspects novateurs
pour le paysage agricole traditionnel des trois pays (aucun n'a de culture
laitière originellement établie et encore moins de races bovines
ou de pratiques agricoles orientées spécifiquement vers la
production laitière et sa transformation), constitue un axe important
des interventions des pouvoirs publics dans le domaine agricole. En effet, pour
une meilleure valorisation des maigres ressources fourragères
disponibles, des politiques d'élevage privilégiant le secteur
laitier ont été instaurées [BOURBOUZE et al.,
1989]. Ces expériences de développement de la production locale
sont actuellement en cours, et elles connaissent diverses fortunes, et de
nombreux réajustements par rapport aux prévisions initiales, tant
pour des raisons endogènes (stabilité sociale, équilibres
financiers...) [BETHEMONT, 2000], que pour des facteurs liés à la
conjoncture mondiale du marché du lait et des produits d'exportation de
ces pays [GEORGE, 1991].
Dans les trois pays, l'exiguïté des surfaces
agricoles utiles, le poids des aléas climatiques et des habitudes
héritées de l'histoire agraire conjugués à une
croissance démographique soutenue créent des impératifs
analogues de résolution des problèmes d'approvisionnement
alimentaire des populations [ABAAB et ELLOUMI, 1997 ; AKESBI, 1997 ;
CHAULET, 1991]. Ainsi, au Maroc, la population a crû entre 1960 et 1995
à un rythme de près de 2,3 % par an pour plus de 2,7 % en
Algérie et 2,0 % en Tunisie. Les pouvoirs publics ont tenté par
plusieurs moyens d'initier des politiques à même de pallier les
insuffisances structurelles et les variations annuelles des productions,
notamment pour les produits de base dans les us alimentaires : les
céréales, et le lait comme principal fournisseur de
protéines animales. Mais ce défi reste d'actualité et se
pose avec de plus en plus d'acuité dans un contexte où les trois
pays ont entamé des réformes de leurs finances, dans le cadre de
ce qui est communément appelé programme d'ajustement structurel
[TALHA, 1994], et dont les répercussions sur l'essor économique
est plus que négatif, car certains jugent que ces types de programmes
ont détruit les économies nationales, et donc avili le secteur
productif, dont l'agriculture n'est pas des moindres [CHOSSUDOVSKY, 1998].
Dans cette revue bibliographique, une synthèse globale
de l'état actuel et des perspectives de développement de la
production laitière dans les pays du Maghreb sera
présentée. Pour ce faire, le cadre naturel de l'agriculture et de
l'élevage maghrébins sera détaillé (partie II-2),
puis les politiques laitières dans les trois pays seront exposées
(partie II-3). Ensuite, les performances des filières laitières
seront abordées, en mettant l'accent plus particulièrement sur
l'amont de ces filières, à savoir les élevages laitiers et
leur environnement (partie II-4). Pour conclure, les perspectives de
développement de ces filières laitières seront
passées en revue, à la lumière de la conjoncture
économique interne et aussi en relation avec le marché
international du lait (partie II-5).
II - 2 Cadre naturel de l'agriculture et de
l'élevage au Maghreb
LERY [1984] distingue, dans les trois pays du Maghreb, deux
grands ensembles géographiques, mais dont l'étendue est
très variable :
- la partie nord, qu'il dénomme Maghreb proprement dit
et qui est méditerranéenne et subtropicale, représentant
le « pays utile ». Elle couvre près de 8 millions de
ha au Maroc et constitue 9 % de la superficie totale de ce pays, pour 6,5
millions de ha et 2,7 % de la superficie de l'Algérie, et pour 3,2
million de ha soit 18 % de la superficie totale en Tunisie ;
- au Sud, le Sahara, ou vaste étendue
désertique, pratiquement impropre à l'agriculture
intensive ; domaine quasi-exclusif des élevages nomades, à
l'exception de rares îlots de verdure représentés par les
oasis.
D'un point de vue du relief, le Maghreb est essentiellement un
pays de hautes terres qui s'abaisse progressivement vers l'Est. Les plaines
sont généralement encadrées par des chaînes
montagneuses (Rif, Moyen Atlas et Haut Atlas au Maroc, Hodna et Nememcha en
Algérie et montagnes de Gafsa en Tunisie). Le relief est, en Afrique du
Nord, un facteur fondamental des diversités régionales et des
contrastes qui opposent parfois des pays voisins [BALTA, 1990]. Les montagnes
jouent ainsi un rôle essentiel dans la répartition des
activités agricoles et pastorales, et donc dans l'organisation sociale
et même politique du territoire [COULEAU, 1968]. Ce sont aussi des
réservoirs d'eau, car elles alimentent les sources et surtout elles
envoient dans les plaines les eaux de ruissellement. A cet égard, le
Maroc est particulièrement favorisé avec les chaînes de
l'Atlas exposées aux pluies atlantiques [AZZAM, 1990].
Globalement, il est donc possible de distinguer trois grands
types de régions géographiques, potentiellement utilisables
à des fins agricoles, dans les trois pays du Maghreb :
- les plaines et collines telles les plaines atlantiques
au Maroc (Gharb, Doukkala, Loukkos), avec une intense activité agricole
surtout depuis le Protectorat français, les plaines continentales du
Maroc délimitées par le Moyen Atlas (Tadla) le Rif (Saïss)
et le Haut Atlas (Haouz), et les plaines du Maroc oriental qui
représente le 1/8ème de la superficie du pays mais qui
ne nourrissent que le vingtième de sa population en raison de la
sécheresse chronique qui y sévit, ou encore en Algérie,
les plaines du Hodna, les hautes plaines de l'Ouest,
caractérisées par de la céréaliculture extensive,
les hautes plaines constantiniennes, le Tell occidental sec, les plaines du
Chélif, la plaine de Annaba, et en Tunisie, le Tell du Nord Est, et le
pays de la Medjerdja ;
- les zones montagneuses et de piémont, qui au Maroc
se résument principalement aux chaînes de montagne du Rif, des
Moyen et Haut Atlas et de l'Anti Atlas, et qui correspondent en Algérie
à l'Atlas saharien de l'Ouest, les monts des Ksour, le Djebel Amour, les
monts des Ouled Naïl, les monts du Hodna, de l'Aurès et des
Nememcha et le Tell occidental et à l'extrême est, l'Atlas tellien
de Annaba, tandis qu'en Tunisie il s'agit du Tell et à un degré
moindre du domaine de la Haute Steppe ;
- les zones d'agriculture oasienne, qui constituent de
véritables systèmes agricoles intensifiés, mais
très vulnérables [FLORET et PONTANIER, 1982], dont la
participation à la valeur ajouté du secteur primaire reste
faible, notamment eu égard à leur éloignement des grands
centres de consommation, mais qui peuvent être de véritables
pôles de développement locaux [CLOUET et DOLLE, 1998] .
Le climat, au Maghreb, est un des facteurs clé pour
saisir l'évolution des systèmes agraires et leur adaptation aux
contraintes environnementales. Etant donné les larges variations intra
et inter annuelles du climat que les trois pays connaissent, les
résultats du secteur agricole sont très contrastés
d'année en année, et ceci induit une forte dépendance du
secteur agricole vis-à-vis des caprices climatiques [BEDRANI et
al., 1997 ; AMRI, 1991]. Ceci se répercute même sur les
équilibres financiers de ces pays, plus particulièrement le
Maroc, et le rend à la merci des aléas climatiques [AKESBI,
1991]. L'Afrique du Nord est en effet une zone de contact et de lutte entre les
masses d'air d'origine arctique et les masses d'air tropicale, ce qui se
traduit par une pluviosité très intermittente [ISNARD, 1978].
Ainsi, les années se suivent sans se ressembler et les moyennes des
températures et surtout des précipitations n'ont pas de
signification (Tableau 7). Or, le climat domine tout, commandant le
régime des cours d'eau, et surtout le type et le rythme de vie agricole.
Malheureusement, jusqu'ici, cette variabilité du climat a très
peu été prise en compte dans les planifications des
schémas de développement agricole, tout comme elle a largement
été occultée des préoccupations de la recherche
agronomique. PLUVINAGE [2002], écrit à juste titre qu'au Maghreb,
« la question de fond de la science agronomique, c'est que les
manières de raisonner issues de l'agriculture des pays
tempérés sous-estiment très largement l'aléa
climatique ».
Tableau 7. Variations des précipitations au
Maroc : cas des stations de Rabat et de Beni Mellal.
Année
|
90-91
|
92-93
|
94-95
|
96-97
|
98-00
|
02-03
|
Moyenne (90-03)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Précipitations (mm)
|
|
|
|
|
|
|
|
Rabat - Salé
|
566
|
313
|
337
|
728
|
462
|
503
|
469 124
|
Béni - Mellal
|
403
|
188
|
143
|
479
|
359
|
379
|
336 186
|
|
Source : MADRPM [2003]
C'est pourquoi, face à la variabilité
climatique, notamment des régimes pluviaux, les trois pays du Maghreb se
sont lancés dans des programmes d'irrigation. En effet, au Maghreb,
l'eau est de loin l'agent de fertilité numéro un, quelle que soit
la nature des sols [CORBEELS, 1997]. Et même dans les régions
où il pleut assez, il a fallu aménager des ouvrages d'art pour
parer à l'irrégularité des eaux, car le Maghreb ne dispose
pas de fleuve, comme le Nil en Egypte, et souvent le débit de ses cours
d'eau se réduit à presque rien en période estivale, au
moment où les besoins d'irrigation sont à leur niveau maximal
[BOUZAIDI, 1991 ; DURAND-DASTES et MUTIN, 1995].
Les politiques d'irrigation au Maghreb revêtent
généralement deux aspects distincts :
- petite et moyenne hydraulique qui consiste à
lutter contre les eaux nuisibles et à construire des barrages
d'épandage des eaux de crue ;
- grande hydraulique, consacrée à
l'édification de barrages, de réservoirs, et d'installations de
transport et de distribution d'eau dans les périmètres irrigables
ou dans les agglomérations urbaines.
Ainsi, au Maroc, la politique dite du « million
d'hectares irrigués », initiée à
l'Indépendance du pays en 1956, a permis d'équiper près de
1 004 000 ha en près de 30 ans. En Tunisie, près de 250 000 ha
sont actuellement irrigués, et en Algérie les terres
irriguées occupent près de 449 000 ha.
Dans une telle conjoncture, l'élevage au Maghreb est
très vulnérable, surtout lors des grandes périodes de
sécheresse estivale [LERY, 1984]. Certes la mobilité est alors un
moyen de contrer les effets néfastes des sécheresses par
l'investissement de nouveaux espaces [BOURBOUZE, 1982]. Mais les
récentes crises des domaines de parcours, liées aux fortes
pressions qui s'y exercent et à leurs politiques de gestion encore mal
définies [ALLALI, 2000], rendent improbables le seul recours aux terres
à pâturages comme facteur de développement d'un
élevage intensif à même de répondre aux besoins sans
cesse croissants d'une population en essor et dont les modes de consommation
évoluent. Dans cette région, les impératifs vivriers ont
toujours fait que les ruminants ont été confinés aux
seules zones impropres à la mise en culture
céréalière, ou à la valorisation des résidus
des cultures, notamment des pailles de céréales [CHERMITTI,
1994]. Il s'ensuit qu'il est impossible actuellement de concevoir des plans de
développement des productions animales uniquement basés sur de
plus intenses prélèvements sur les parcours, tout comme il est
encore plus improbable de compter sur une augmentation des effectifs pour
atteindre une satisfaction des besoins des populations [EDDEBBARH, 1991].
Aussi, l'augmentation des apports fourragers à partir du domaine
irrigué et des sous-produits industriels est-elle devenue
impérative [GUESSOUS, 1991]. Mais l'usage est lorsqu'on parle de
l'élevage au Maghreb, d'insister d'une part sur la rareté des
productions irriguées, dont le résultat est garanti, et d'autre
part sur la faible valeur vénale d'un cheptel trop nombreux et mal
soigné [INRA, 1965]. Ainsi, KHETTOUCHE [1994] énonce que les
obstacles au développement des fourrages au Maroc sont surtout dus
à un milieu humain non favorable. Selon cet auteur, l'agriculteur
marocain considère encore son troupeau comme un moyen d'épargne
qu'il ne songe pas à exploiter intensivement pour en tirer un revenu
régulier. Ce même auteur soutient la thèse que les
pâturages naturels sont peu productifs, car situés sur des sols
pauvres peu arrosés et surpâturés. Or, le
développement des cultures fourragères, en dépit des
rôles cruciaux qu'elles pourraient assurer pour relever le niveau de
performances des élevages, reste entravé par l'état
d'esprit des agriculteurs maghrébins : d'abord assurer les
récoltes de grains, à la base de l'alimentation du groupe
familial [RONDIA et al., 1985].
Dans les plans de développement des zones
irriguées du Maghreb, un intérêt tout particulier a
été voué aux cultures fourragères pour une
valorisation des atouts agronomiques présentés par ces
régions (intégration agriculture - élevage,
amélioration de la fertilité des sols, diversification des
sources de revenus,....) et, surtout, pour contribuer à augmenter les
productions locales en lait [BOURBOUZE et al., 1989]. Par ailleurs,
outre cette amélioration des disponibilités fourragères,
les pouvoirs publics des trois pays ont visé à créer un
noyau de bovins aux potentialités laitières confirmées,
soit par la multiplication de croisements entre bovins locaux et des bovins de
type laitier des pays tempérés, dans le cadre de programme
appelés « croisement d'absorption des bovins de type
local », mais dont les résultats ont été
très controversés [FALAKI, 1995 ; SLIMANE et OUALI, 1991],
soit carrément par l'importation de vaches laitières
réalisant toutes leurs carrières au Maghreb [DJEMALI et BERGER,
1992 ; SRAÏRI et BAQASSE, 2000]. Malgré les multiples mises en
garde récentes relatives aux périls que constituent de telles
politiques quant à la survie des races locales originelles [RODRIGUEZ et
PRESTON, 1997], sans omettre les bilans plus que mitigés des
importations de bétail [ØRSKOV, 1993], ces mesures constituent
actuellement le principal volet d'action des pays maghrébins pour
rehausser le potentiel de production laitière local et essayer d'assurer
un tant soit peu l'autosuffisance en produits lactés. Elles visent aussi
en parallèle à créer de l'emploi en milieu rural et
stabiliser des sources de revenus pour les milliers de foyers qui exploitent
des bovins.
II - 3 Politiques laitières dans les pays du
Maghreb
Les Etats du Maghreb appliquent tous depuis
l'indépendance une politique agricole à multiples
visées :
- sociales et économiques, en faisant de l'agriculture
un volet de croissance et de création d'emplois et de richesse ;
- politiques en s'assurant la fidélité des
populations paysannes qui pourraient être facteur d'instabilité
[WOLFE, 1975 ; LEVEAU, 1972] ;
- nutritionnelles en essayant de produire localement les
biens nécessaires à la satisfaction des besoins de la
population.
Certes, même si l'agriculture ne représente pas
plus de 20% de la Production Intérieure Brute (PIB) dans les trois pays,
il n'en demeure pas moins que les pouvoirs publics lui accordent une attention
particulière. En effet, en raison du poids des affaires du monde rural,
les problématiques de développement qui interpellent cette
région du monde sont fort complexes [SETHOM, 1991 ; EL KHYARI,
1985]. Les politiques agricoles qui se sont succédées dans les
trois pays, en plus de leurs très fortes corrélations aux choix
de politique générale adoptés par les dirigeants locaux
ont généralement fait une place belle à deux types de
denrées : les aliments de première nécessité,
tels les céréales et le lait et les produits agricoles
destinés à l'exportation, tels que les primeurs, les fruits et
légumes ou même le vin [EL KHYARI, 1985]. Si des succès
incontestables ont été réalisés, après que
de gros efforts financiers aient été consentis, il n'en demeure
pas moins que le bilan reste alarmant notamment pour les produits vivriers de
base [BENCHARIF et al., 1996 ; TALHA, 1994]. De plus, la
situation est loin d'être homogène pour les trois pays
considérés.
En effet, si en Algérie, les options de
développement retenues ont privilégié le secteur
industriel par rapport à l'agriculture, l'Etat a pris sur lui d'assurer,
via d'importants achats sur le marché international, l'approvisionnement
de la population locale [DUFUMIER, 1996]. Aujourd'hui encore, en dépit
de la crise financière aigüe l'Algérie demeure un des
principaux importateurs mondiaux de lait et de céréales [CHALMIN,
1999 ; BENCHARIF et al., 1996]. Ainsi, les niveaux d'importation
en lait dans ce pays ont été plus de 8 fois supérieurs
à ceux du Maroc, pour des populations humaines sensiblement
égales (Tableau 8).
Tableau 8. Niveau d'importation de produits laitiers dans les
pays du Maghreb.
Année
|
Algérie
|
Maroc
|
Tunisie
|
|
T eq. lait
|
kg/hab/an
|
T eq. lait
|
kg/hab/an
|
T eq. lait
|
kg/hab/an
|
|
|
|
|
|
|
|
1992
|
1 721 437
|
66,2
|
298 319
|
12,6
|
236 742
|
24,2
|
1994
|
1 880 468
|
72,3
|
311 327
|
12,9
|
142 976
|
15,0
|
1996
|
1 618 486
|
62,7
|
301 432
|
12,3
|
145 674
|
15,4
|
1998
|
1 786 790
|
65,5
|
209 262
|
9,4
|
72 089
|
7,5
|
2000
|
1 814 625
|
66,0
|
245 256
|
10,2
|
63 125
|
6,4
|
2002
|
1 765 482
|
65,1
|
250 145
|
10,4
|
71 452
|
7,0
|
D'après FAO [2003]
En dépit de toutes les ressources dont dispose ce pays,
peu d'efforts de promotion de la production agricole locale ont
été réalisés, comme cela aurait pu être
possible pour la production céréalière [BAGHDALI, 1990].
CHAULET [1991] s'interroge sur les limites de cette politique agricole des
pouvoirs publics algériens qui continuent à être peu
sensibles aux dimensions nutritionnelles et sociales de l'agriculture. Elle
énonce qu'en maintenant une telle approche, le monde rural risque de
devenir un véritable foyer d'agitation, que seules des mesures radicales
de réforme agraire pourraient apaiser.
Dans cet ordre d'idées, le secteur local
d'élevage laitier en Algérie a ainsi été quelque
peu délaissé par les politiques de développement
[BOURBOUZE et al., 1989]. Les performances des vaches laitières
sont modestes et MADANI et FAR [2002] dans une étude récente
consacrée à l'élevage bovin dans ce pays, énoncent
que « même dans des conditions d'offres fourragères
acceptables, il y a une dégradation du potentiel de production
laitière ». Ils citent des lactations standard de 305 j
évaluée à 2 579 kg pour des vaches de type
Montbéliarde. Et d'ajouter que ce genre de conclusions
« milite en faveur du changement des choix techniques et plus
particulièrement du type d'animaux et des systèmes
d'élevage implantés ». De toutes les manières,
avec les récents problèmes financiers que connaît le pays,
les pouvoirs publics ont été contraints de songer à
stimuler la production laitière [BEDRANI et al., 1997].
Néanmoins, les prévisions de la Fédération
Internationale Laitière (FIL) attestent que l'Algérie restera un
des principaux importateurs mondiaux de produits laitiers [GRIFFIN, 1997], car
dans ce pays une importante capacité industrielle de reconstitution du
lait entier à partir de poudre de lait importé a
été installée. Actuellement, l'Algérie
achète près du tiers des quantités mondiales de lait
commercialisé (31 %).
Au Maroc, la situation est bien plus contrastée, car ce
pays a retenu l'agriculture comme vecteur principal de développement
[SWEARINGEN, 1986], avec, dès l'Indépendance en 1956, une
tentative de rééquilibrer l'ancienne approche politique de la
puissance colonisatrice aux problèmes agricoles, vers une distribution
plus équitable des fruits de la croissance [EL KHYARI, 1985]. A la
différence de l'Algérie, dotée d'importants gisements
pétroliers et de gaz naturels, et qui en font sa principale pour ne pas
dire unique ressource d'exportation [AÏT AMARA, 1990], le Maroc a
tenté d'exploiter les avantages comparatifs que lui octroient son climat
et ses richesses hydrauliques pour développer son agriculture. Outre
l'installation de cultures de rente spécialisées pour
l'exportation, que certains auteurs critiquent, car ils y voient beaucoup plus
une agriculture dévoyée au service d'une clientèle
étrangère et qui n'a pas réellement profité
à l'ensemble de la paysannerie [PASCON, 1979 ; AKESBI, 1997],
d'importants plans de développement de cultures vivrières et de
productions animales ont été instaurés : plan
sucrier, plan laitier, plan moutonnier... Dans le domaine de la production
laitière, une nette amélioration de l'offre a été
réalisée, notamment à travers l'application de mesures de
protection des prix des intrants et d'appui technique aux éleveurs.
Néanmoins, le rythme d'augmentation de la production a quelque peu
fléchi ces dernières années, car d'importants cycles de
sécheresse ont sévi sur le pays [BARAKAT et HANDOUFE, 1998], et
les protections sur les prix des intrants utilisés en production
laitière ne sont plus aussi nettes [AKESBI, 1997]. Par ailleurs,
même en zones irriguées, il a été
démontré que la production laitière restait
inféodée aux variations climatiques [SRAÏRI et ILHAM, 2000],
ce qui montre que les éleveurs de ces régions où a
été mis en oeuvre un processus d'intensification de la conduite
du cheptel bovin (races importées, fourrages irrigués,...),
continuent néanmoins de considérer leur troupeau avant tout comme
un moyen de diversification de leurs activités. Il s'ensuit des
performances du cheptel laitier en zone irriguée insatisfaisantes par
rapport aux potentialités des bovins, avec des manques à gagner
considérables [SRAÏRI et BAQASSE, 2000].
En Tunisie, une évolution intermédiaire entre
celles du Maroc et de l'Algérie en matière de politique
laitière est à distinguer. En effet, jusque vers le milieu des
années 1980, ce pays était très fortement tributaire des
importations en lait pour l'approvisionnement de la population, mais depuis, un
ambitieux programme de production laitière locale a été
initié, faisant la part belle à une protection des prix du lait
et à l'encouragement de systèmes très adaptés aux
conditions locales : faibles productions fourragères et utilisation
de concentrés. De même, de vastes mesures de protection de la
filière laitière ont été adoptées, en
matière d'appui financier aux éleveurs (crédits à
l'investissement), en relation à l'élevage local de
génisses de type laitier, et aussi en liaison à la production
fourragère (prime aux multiplicateurs de semences, à
l'irrigation...) et aux bâtiments d'élevage [BRAHMIA et
al., 2003]. De nombreuses situations de production laitière
« hors-sol » se sont même instituées, dans les
ceintures urbaines et dans les régions oasiennes [SALEM et al.,
1998]. Il va sans dire que dans un tel contexte, l'Etat tunisien continue
à assurer l'importation de concentrés pour les éleveurs
à des prix intéressants. Les résultats de cette politique
font que la Tunisie est devenue totalement autosuffisante en lait (des
exportations sporadiques en produits laitiers ont même eu lieu vers la
Libye en 1997 et 1998), et que ces dernières années, les pouvoirs
publics ont commencé à cibler leur attention beaucoup plus vers
une amélioration de la qualité du lait que vers l'augmentation
des quantités produites [DJEMALI et KAYOULI, 2003].
À l'analyse de la dynamique des filières
laitières au Maghreb, il est évident que pour les trois pays, la
caractéristique commune dans le domaine de l'élevage laitier
intensif d'après Indépendance (des années 1960 à
aujourd'hui), reste ce que BOURBOUZE [2002] dénomme les
« temps longs » du développement. Selon cet auteur,
tous les changements qui ont été enregistrés ont
finalement nécessité bien plus de temps que ne l'ont
imaginé les experts qui les ont planifiés. Ce même
chercheur insiste finalement sur les conséquences de cette lenteur par
rapport à l'efficience des programmes qui les sous-tendent, et surtout
par rapport aux impératifs urgents des besoins de populations en
croissance démographique rapide.
II - 4 Performances comparées des
filières laitières dans les pays du Maghreb
Le secteur laitier constitue un pôle important pour
l'industrie agroalimentaire au Maghreb. Par exemple au Maroc, il
représente près de 25 % de la valeur ajoutée des
industries liées à l'agriculture, sans parler de sa participation
à la création de travail et à l'approvisionnement de la
population en une denrée stratégique [MADR, 2003]. La production
laitière dans les trois pays a connu un net accroissement (figure 2),
qui reflète surtout une intensification plus poussée, liée
à des mesures d'encouragement souvent issues de décisions
étatiques productivistes et volontaristes [BOURBOUZE et al.,
1988]. Au même moment, les effectifs sont restés globalement
stables (figure 3).
Source : FAO [2003]
Figure 2. Évolution de la production laitière
bovine dans les pays du Maghreb (en millions de litres).
Source : FAO [2003]
Figure 3. Évolution de la taille du cheptel bovin
dans les pays du Maghreb (en milliers de têtes).
Au Maroc, ce mouvement d'intensification initié par le
lancement d'un plan laitier en 1975 s'est réalisé surtout
à travers l'amélioration génétique du cheptel et
l'artificialité du milieu d'élevage, dans un pays où les
pratiques d'affouragement des bovins étaient surtout dominées par
le pâturage extensif. Ainsi, la part des bovins de race locale a
chuté de près de 90 % des effectifs totaux en 1970 à moins
de 60 % en 1998, grâce aux progrès de l'insémination
artificielle et après une importation massive de génisses
laitières pleines (Tableau 9), largement supérieure aux
5 000 génisses prévues par le plan laitier. Toutefois,
à partir de novembre 2000, avec la recrudescence des cas
d'Encéphalopathie Spongiforme Bovine en Europe, les pouvoirs publics ont
définitivement interdit toute importation de génisses, de peur de
ne porter préjudice à un secteur de l'élevage
déjà fortement ébranlé par plusieurs années
de sécheresse. En effet, une éventuelle apparition de cas d'ESB
au Maroc aurait définitivement discrédité le secteur de
l'élevage bovin.
Tableau 9. Évolution de l'importation de
génisses laitières au Maroc (en milliers).
Année
|
80
|
90
|
94
|
95
|
96
|
97
|
98
|
Génisses importées
|
7
|
5
|
25
|
17
|
37
|
11
|
28
|
Source : MADRPM [1999]
Par ailleurs, les mises à l'eau dans les
périmètres irrigués ont fait accroître la superficie
emblavée en fourrages, ce qui explique que de majoritairement pastoral
au début des années 70, le bilan fourrager est devenu
dominé par les fourrages et les co-produits agro-industriels [GUESSOUS,
1991]. Par exemple de 1992 à 1998, la superficie totale en fourrages
dans le pays est passée de 167 700 à 220 200 ha. Malgré
ces évolutions, les caractéristiques structurelles de
l'élevage bovin au Maroc montrent qu'il s'agit encore en priorité
d'une spéculation entre les mains des petits éleveurs (moins de
10 ha et une moyenne de 2 vaches par étable) qui accaparent plus de 74
% des effectifs sur moins de 45 % de la superficie totale exploitée
[MADRPM, 1998]. D'ailleurs, la moyenne de production par vache laitière
reste très faible, de l'ordre de 600 litres par an, témoignant de
la prépondérance des femelles de type local peu allaitant et
aussi du caractère globalement extensif de la production. Ceci montre,
si besoin en est, que l'élevage bovin est avant tout une source de
revenus complémentaires, dans un environnement économique et
social instable, caractérisé par une pluviosité
capricieuse qui remet souvent en cause les semailles vivrières annuelles
de céréales [AMRI, 1991]. Ceci se présente avec une
acuité encore plus pressante en zones d'agriculture totalement pluviale,
sans possibilité d'irrigation, qui continuent d'assurer en moyenne plus
de 40 % de la production laitière marocaine, mais avec des performances
économiques très variables selon les années [SRAÏRI
et EL KHATTABI, 2001]. C'est pourquoi dans ce contexte, les performances de
toute la filière laitière restent limitées par cette
réalité et fortement tributaires des aléas climatiques
à l'image de la productivité des vaches chez les petits
éleveurs dont l'assise financière ne permet pas d'envisager une
intensification du système de conduite [SRAÏRI et MEDKOURI, 1999].
Aussi, pour pallier le manque de production, les unités industrielles de
transformation du lait sont obligées de recourir à des
importations de lait en poudre, dont les quantités annuelles sont
très variables selon la production locale de lait frais (Tableau 10).
Tableau 10. Évolution des importations de poudre de lait
industriel au Maroc (en tonnes).
Années
|
1980
|
1990
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
2002
|
Poudre de lait
|
2 521
|
10 079
|
12 517
|
18 445
|
9 241
|
9 199
|
7 112
|
8 124
|
Source : MADR [2003]
Une des grandes réalisations du plan laitier marocain a
été de permettre à des centaines de milliers
d'exploitations agricoles, souvent situées en marge du réseau
routier national, de commercialiser des quantités dérisoires de
lait, leur garantissant un revenu stable et quotidien [BOURBOUZE, 2002]. Ceci a
été rendu possible par la constitution d'une infrastructure de
collecte du lait, sous forme de centres coopératifs
disséminés à travers le territoire marocain. En une
vingtaine d'années, le nombre de ces centres est passé de moins
de 30 en 1970 à près de 950 en 1998 [MADRPM, 1998a].
Simultanément, la capacité de transformation industrielle du lait
est passée de 700.000 à 2.000.000 de litres par jour entre 1983
et 1998. Cette politique de collecte fait qu'aujourd'hui près de 60 % de
la production de lait du Maroc est usinée contre moins de 4 % en 1970.
Malgré ces acquis, la consommation per capita de produits
laitiers au Maroc demeure très faible et n'a pas connu
d'amélioration sensible, car les gains de productivité
réalisés ces dernières années suivent à
peine la croissance démographique (Tableau 11).
Tableau 11. Évolution de la consommation des produits
laitiers au Maroc (kg/hab/an).
Année
|
1980
|
1990
|
1994
|
1996
|
1998
|
2000
|
2002
|
Lait et dérivés
|
38
|
40
|
36
|
37
|
39
|
40
|
41
|
Beurre
|
2
|
1
|
2
|
1
|
1
|
1
|
2
|
Source : MADR [2003]
Ces niveaux de consommation restent d'ailleurs très
inférieurs aux normes nutritionnelles de la FAO et de l'OMS qui
préconisent près de 90 kg de lait par habitant par an, ce qui
revient à dire que la production nationale du début des
années 90 devrait se multiplier par près de 3 pour assurer une
telle offre, et même par près de 6, si en plus elle doit tenir
compte de l'accroissement démographique prévu d'ici à l'an
2025. Un autre point clé pour cerner les performances de la
filière laitière au Maroc est la politique des prix. A cet
égard, le tableau 10, montre clairement une dégradation du prix
offert au producteur, tandis que la marge à la transformation a
évolué à la hausse. Un phénomène similaire
caractérise aussi des filières clé comme le sucre et les
céréales, et KYDD et THOYER [1993] reconnaissent que cette
propension, directement issue du désengagement de l'Etat suite à
l'ajustement structurel, a clairement remis en cause les lignes directrices
originelles des plans de développement de l'agriculture marocaine. Ceci
est allé à l'encontre de la réalisation de toutes les
ambitions du plan laitier, et cet écart est devenu tellement flagrant
que dans les zones limitrophes aux grands centres de consommation urbaine, les
producteurs commencent à contourner les usines de transformation pour se
livrer à la vente directe aux consommateurs, via des points de vente
surnommés « laiteries traditionnelles ». En effet,
le lait y est vendu plus cher que ce que peut en escompter le producteur
lorsqu'il le cède aux collecteurs industriels, et moins cher pour le
consommateur que le litre de lait « industriel ». Dans ce
genre de laxisme vis-à-vis de la loi, qui prévoit que tout le
lait doit nécessairement transiter dans des unités de
pasteurisation, chacun (éleveur et petite transformation) pense retirer
un bénéfice, mais en faisant fi des précautions sanitaires
les plus élémentaires, car ce type de produits sont très
peu concernés par les inspections des services d'hygiène
[SRAÏRI, 1999b]. Néanmoins, les pouvoirs publics se doivent de
composer avec un pareil secteur laitier informel, car il draine de grosses
quantités de lait et il crée de nombreux emplois en zone urbaine
et suburbaine [LETHEUIL, 1999].
Tableau 12. Écarts entre le prix perçu par le
producteur de lait et le prix à la consommation au Maroc (en DH
marocains).
Année
|
1980
|
1990
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
2003
|
Prix au producteur (1)
|
1,27
|
2,62
|
2,94
|
3,00
|
3,00
|
3,00
|
3,00
|
Prix au consommateur (2)
|
1,70
|
4,10
|
5,00
|
5,00
|
5,20
|
5,40
|
5,80
|
(1) / (2) x100
|
74,7
|
63,9
|
58,8
|
60,0
|
57,7
|
55,6
|
51,7
|
Source : MADR [2003]
Pour conclure sur la situation de la production
laitière au Maroc, il est possible de retenir avec AKESBI [1997] que la
« rupture intervenue au milieu des années 80 avec la mise en
oeuvre de la politique d'ajustement structurel » a eu pour
conséquence d'amplifier les tares des modes de production existants,
car la logique « d'augmenter les revenus plus que les
rendements » s'est trouvée plus exacerbée dans un
environnement où « la libéralisation des prix des
intrants a surtout induit leur augmentation, alors que les conditions de
commercialisation ne permettent pas toujours l'ajustement conséquent des
prix de vente ». Mais en fait, il est logique à ce stade de se
poser la question de savoir si finalement le caractère extensif de la
production, malgré l'instauration d'une coûteuse infrastructure
destinée à la rendre plus intensive, est une cause ou
plutôt une conséquence de l'actuelle conjoncture des prix. En
d'autres termes, les éleveurs préfèrent-ils ne pas trop
s'aventurer vers une recherche de productivité maximale qui pourrait
être nuisible à leur économie de production, ou
plutôt est-ce que ce sont les données de l'élevage
(éparpillement des producteurs, faiblesse des productions
individuelles...) qui font que le marché n'est pas forcément en
leur faveur ? De telles problématiques sont aujourd'hui au coeur
des réflexions sur l'avenir des systèmes d'élevage,
même dans les pays développés où l'extensification
s'érige en alternative pour préserver les marges
d'activité [BÉRANGER, 1993].
En Algérie, la situation est relativement
différente, car l'approvisionnement de ce pays en produits laitiers
reste fortement dépendant des importations. La consommation en produits
laitiers y est d'ailleurs relativement plus élevée qu'au Maroc.
Ainsi, en 1992, l'Algérien moyen consommait près de 119 litres
par an, ce qui le place nettement en accord avec les recommandations de la FAO.
Mais près de 85% de cette quantité de lait provient de lait
reconstitué importé et subventionné par l'Etat
algérien, dont le prix est nettement inférieur au litre de lait
frais localement produit : 1,30 dinars par rapport à 5,00 dinars en
1990, selon AÏT AMARA [1991]. Après la détérioration
des prix des hydrocarbures sur le marché international, et suite
à l'application des mesures d'ajustement structurel qui prévoient
une restriction des dépenses, les pouvoirs publics ont tenté de
revoir à la baisse leur niveau de subvention des produits laitiers,
notamment en encourageant le prix du lait produit localement [BEDRANI et
al., 1997], ou tout au moins en essayant de réduire l'écart
entre le prix du lait importé
et le prix du lait frais produit en Algérie (figure 4). Ceci a
été largement facilité par la forte dévaluation de
la devise algérienne, le dinar.
Source : BEDRANI et al. [1997]
Figure 4. Évolution des indices (100 en 1980) des prix
unitaires du lait à la production (en dinars constants 1989) et de la
poudre de lait importée (prix en US $) en Algérie.
Pour BEDRANI et al. [1997], un changement de
politique est intervenu dans les moyens d'approvisionner la population. Ils
estiment ainsi que « la politique des bas prix à la production
pour maintenir tout aussi bas les prix à la consommation a
été supplantée par une politique de hausse des prix
à la production locale pour essayer d'entraîner un accroissement
des rendements et des productions et, ainsi, diminuer la facture
alimentaire ; la subvention à la consommation n'étant plus
supportée par les producteurs mais par la rente
pétrolière ». Le soutien des prix à la
production prend ici la forme d'une prime incitatrice en sus du prix à
la production. Ainsi, le prix du lait de vache évolue plus favorablement
que le prix du kg d'aliment composé pour vache, jusqu'à 1994,
date à laquelle la trop forte dévaluation du dinar, devient
préjudiciable pour les éleveurs algériens (Figure 5).
Néanmoins, en dépit de ce retournement de
politique, en faveur d'un encouragement à la production laitière
locale, il apparaît que la hausse des prix à la production n'est
pas encore suffisante pour entraîner, même à moyen terme, la
hausse de la production (figure 6). Aussi d'autres contraintes continuent-elles
de s'opposer au développement d'une forte activité de production
laitière locale en Algérie, notamment l'insuffisance des
fourrages irrigués nécessaires à l'élevage laitier
intensif.
A la lueur de ces éléments, il est
légitime de se préoccuper de savoir si la politique de
vérité des prix en Algérie aboutira à une meilleure
utilisation des ressources en capital, notamment pour la production
laitière intensive. Il convient à ce niveau de préciser
qu'en 1996, seul le prix du lait importé continuait de faire l'objet
d'une
subvention à la consommation,
à la différence des céréales, mais avec une nette
dimension des niveaux de subvention par rapport à la fin des
années 80. Ceci s'est traduit par une chute des niveaux d'importation de
lait et surtout de consommation per capita de 119 à 95 kg/an
entre 1988 et 1996 [BEDRANI et al., 1997].
Source : BEDRANI et al. [1997].
Figure 5. Évolution des indices (100 en 1980) des
prix (dinars constants 1989) de l'aliment pour vache laitière et du lait
à la production en Algérie.
Source : BEDRANI et al. [1997]
Figure 6. Évolution des indices (100 en 1980) de
la production du lait de vache et du prix du lait perçu par les
éleveurs (dinars constants 1989) en Algérie.
En Tunisie, jusqu'à la fin des années 80, une
forte dépendance de l'agriculture à l'égard de
l'étranger était observée, et surtout pour les
denrées de première nécessité (huiles
végétales, sucres et produits laitiers représentaient
alors respectivement 29, 21 et 18 % des importations agricoles totales). Ceci
s'est répercuté par l'adoption par les pouvoirs publics d'un
certain nombre de mesures, basées sur cinq instruments de politique
économique, qui sont i) le développement
d'infrastructures agricoles, ii) la mobilisation des ressources
naturelles, iii) la formation des agriculteurs, iv) le contrôle
des prix des produits, des intrants aux prix à la consommation ; v)
la protection du marché intérieur vis-à-vis des
concurrents étrangers [CHEMINGUI et DESSUS, 1999]. Cette volte-face de
politique agricole est intervenue après trois décennies au cours
desquelles l'agriculture et l'élevage ont été
utilisés, selon BEN ROMDHANE [1991], comme un large réservoir
d'où a été extrait un surplus de capital destiné
à financer des activités extra - agricoles. Aussi, avec une
politique des prix nettement défavorable à la production agricole
locale, c'est tout juste si certains économistes ne parlent pas
d'extorsion de fonds à partir de l'agriculture tunisienne, extorsion
totalement assumée par la paysannerie tunisienne, et en partie à
ses détriments (Tableau 13).
Tableau 13. Prix à la production et coûts de
production de denrées agricoles de base en Tunisie en dinar par tonne
(année 1975).
Produits
|
Coûts de production
|
Prix des produits
|
Différence
|
|
|
|
|
Blé dur
|
75,0
|
66,0
|
9,0
|
Blé tendre
|
71,5
|
60,0
|
11,5
|
Orge
|
61,0
|
45,0
|
16,0
|
Viande ovine
|
750,0
|
617,0
|
133,0
|
Viande bovine
|
550,0
|
490,0
|
60,0
|
Huile d'olives
|
119,0
|
83,0
|
36,0
|
Lait frais
|
120,0
|
65,0
|
55,0
|
BEN ROMDHANE [1991]
Cependant, ce type de pratique de distorsion des prix
agricoles ne pouvait pas se maintenir indéfiniment, car elle a
entraîné une marginalisation importante du point de vue
économique des exploitations agricoles de type familial, mais n'a pas
pour autant eu pour conséquence leur disparition totale [GANA, 1991].
Aussi, dès le début des années 80, et en
particulier vers 1985, des réajustements de politique sont
opérés, au titre notamment de la garantie de la stabilité
sociale, après les émeutes dites de la faim [SETHOM, 1992]. En
rapport avec le secteur de l'élevage, ceci se concrétise par un
ambitieux projet de développer la production laitière locale,
à travers les prestations de l'Office de l'Elevage et des
Pâturages (OEP). Toutefois, au niveau des prix du lait à la
production aucun changement réel n'est à signaler [ABAAB ET
ELLOUMI, 1997]. Une augmentation conséquente de la production de lait
est cependant enregistrée entre 1980 et 1998, puisqu'elle passe de
245.000 à 670.000 tonnes, obtenue notamment par une intensification des
importations de vaches laitières. Ceci a permis de créer des
noyaux de bovins dans des étables spécialisées où
les performances de lactation sont proches de celles obtenues en pays
tempérés [DJEMALI et BERGER, 1992]. Néanmoins, ces auteurs
réaffirment que les niveaux de production des bovins restent
généralement bien en deçà en petits
élevages, hors des stations de recherche, et des grands troupeaux
étatiques. Malgré cette tendance, les importations
laitières sont allées en déclinant, et la Tunisie a
atteint aujourd'hui une situation d'autosuffisance en lait frais, grâce
à des importations de concentrés. Par ailleurs, le rôle
social assuré par les structures coopératives ont imprimé
à la production laitière avec des bovins importés une
image d'une innovation technique positive, recherchée même par les
éleveurs des régions les moins favorables [ABAAB, 1999].
II - 5 Développement des filières
laitières dans les pays du Maghreb
Dans les trois pays du Maghreb, les filières
laitières sont aujourd'hui plus que jamais soumises à des
impératifs d'approvisionnement des populations et surtout à des
contraintes macro-économiques liées aux programmes d'ajustement
structurel qui y sont appliqués. Il s'ensuit que nombre des mesures
initialement prévues, à l'instar de celles pour toutes les autres
filières des produits alimentaires de première
nécessité, sont en voie d'être relativisées et
même les objectifs initiaux corrigés [KYDD et THOYER, 1993 ;
CHEMINGUI et DESSUS, 1999]. Mais c'est surtout au Maroc et en Tunisie, qui se
sont les plus résolument engagés dans un processus de production
locale de lait, que les répercussions de l'ajustement structurel
risquent d'être les plus ressenties, puisqu'en Algérie la
politique d'importations va se poursuivre.
Au Maroc, les pouvoirs publics, en accord avec les principales
parties concernées par la production bovine (associations
d'éleveurs et les transformateurs du lait) ont déjà
entamé une phase de réflexion sur l'avenir du secteur laitier,
à la lueur des derniers développements évoqués plus
haut, dans ce qui a été appelé « nouveau plan
laitier », et dont les grandes lignes devraient orienter la
filière jusqu'à 2020 [MADRPM, 1998b]. Ainsi, à l'horizon
2020 et sur la base d'une estimation de la demande en produits laitiers
déterminée par les prévisions de croissance
démographique et de variation des habitudes alimentaires, il est attendu
d'avoir un besoin de près de 3,7 milliards de litres par an, soit 3,7
fois plus que le niveau de production actuel. Ceci serait nécessaire
pour satisfaire les besoins d'une population de 40 millions d'individus pour
moins de 30 millions en 1999. La production marocaine devrait ainsi
connaître un rythme d'accroissement annuel de plus de 6 % alors
qu'elle n'a crû qu'à un rythme de 2,3 % de 1975 à
1998, à l'époque de la pleine apogée des mesures
prévues par le plan laitier, avant l'application des mesures de
désengagement de l'Etat, prévues par le programme d'ajustement
structurel. Néanmoins, les décideurs tablent sur une nouvelle
dynamique qui serait due à une politique plus ciblée vers
l'intensification de la production en régions propices à
l'élevage (surtout les périmètres irrigués et
à un degré moindre les zones d'agriculture pluviale
« favorables »). Ceci passerait par la concentration des
efforts financiers vers les zones laitières, afin de garantir l'adoption
par les éleveurs de tout le bagage technique nécessaire à
l'extériorisation du potentiel des vaches importées, telles
l'insémination artificielle, la rationalisation de l'affouragement des
bovins, l'amélioration génétique... Toutefois, il est
légitime à ce stade de se questionner sur la réelle
portée de ces prévisions, lorsqu'en parallèle les pouvoirs
publics ont gelé leur niveau d'intervention dans le secteur de
l'élevage bovin, et surtout lorsqu'à partir de 2010, les
protections tarifaires relatives aux produits agricoles seront levées
[KYDD et THOYER, 1993]. En fait, il semblerait qu'à l'instigation des
bailleurs de fonds internationaux, l'Etat prône une politique de
compétitivité de l'élevage, à l'image de la
révision globale de la politique agricole antérieure qui
consistait à garantir la paix sociale parfois au prix de subventionner
l'inefficacité. Cette tentative, certes louable, car visant à
lutter contre les manques à gagner, risque cependant de rester lettre
morte, si elle demeure uniquement liée au domaine du technique et si
elle ne s'appuie pas sur une « réforme des affaires du monde
rural plus drastique » [AKESBI, 1997].
En Tunisie, ce sont de mêmes déterminants de
politique économique qui conditionnent le devenir du secteur agricole.
Sur la base des recommandations des bailleurs de fonds pour plus de
libéralisation et d'ouverture de l'économie du pays [CHEMINGUI et
DESSUS, 1999], la production laitière est appelée à se
professionnaliser et à devenir plus compétitive. Des
avancées significatives ont été accomplies à ce
niveau, notamment par le fait que des élevages d'élite aient
été constitués. Ainsi, DJEMALI et BERGER [1992] citent
l'expérience tunisienne d'étables spécialisées en
lait qui ont été créées et qui atteignent des
niveaux de production nettement plus élevés que ceux des petits
éleveurs. De même, RONDIA et al. [1985] relatent
l'exemple d'une expérience menée dans le Nord de la Tunisie pour
implanter, moyennant tout un arsenal de techniques importées, un atelier
laitier intensif exploitant près de 100 vaches. Après plus de 10
ans d'expérience, ce projet démontre la viabilité
économique de la production laitière, mais il dévoile
surtout que cette spéculation est très vulnérable face aux
variations climatiques et qu'avec un laisser-aller même temporaire, les
fruits de plusieurs années de capitalisation peuvent être perdus.
Par rapport à la situation marocaine, un net clivage
entre le Nord de la Tunisie aux potentialités de production
fourragère et le Sud aride a favorisé la spécialisation en
élevage laitier dans la partie Nord, à l'exception de quelques
ateliers laitiers qui se sont développés dans les oasis pour
répondre à une demande locale. Mais la forte dépendance
des élevages vis-à-vis des aléas climatiques et surtout
face aux variations des prix des intrants (aliments concentrés
importés surtout !) reste la caractéristique principale des
élevages tunisiens. Elle pose de sérieuses questions quant
aux perspectives de ce type d'élevage, surtout dans un contexte
où les pouvoirs publics négocient l'ouverture du marché
aux marchandises importées, et aussi dans une conjoncture où,
après les efforts productivistes, la recherche d'un lait de
qualité est devenue un objectif affiché [ABAAB, 1999].
II - 6 Conclusions : perspectives des
filières laitières au Maghreb
La présente synthèse bibliographique a permis de
voir que les filières laitières des trois pays du Maghreb sont
à une sorte de croisée des chemins en ce début de
troisième millénaire. Ce travail a montré que la
réflexion sur le développement des systèmes
d'élevage dans cette région du monde ne peut que s'inscrire sur
une longue durée, à l'image de ce que BOURBOUZE [2002] intitule
« les temps longs du développement ». En effet, les
trois filières du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie sont
assujetties au défi de l'approvisionnement en lait de populations en
plein essor, et ont à composer avec un environnement économique
différent selon les options de politique générale
poursuivie par les trois pays. Ceci a bien sûr des répercussions
fort marquées sur l'amont de ces filières, notamment sur les
performances des étables. Ainsi, au Maroc, avec le début du
programme d'ajustement structurel, la remise en cause de l'intervention
multiforme de l'Etat dans le processus irrémédiable de
« vérité des prix », a quelque peu
modifié les termes de l'échange pour les éleveurs. Il
s'ensuit que la croissance de la production laitière bovine s'est
essoufflée et les acteurs de la filière lait essaient de
différentes manières de composer avec la conjoncture
actuelle : les industriels amplifient les importations de poudre de lait
après une année délicate, les éleveurs tentent
d'écouler leurs produits à travers d'autres canaux, comme les
points de vente de proximité où ils évitent de donner aux
intermédiaires ce qu'ils considèrent comme le fruit de leur
travail. L'avenir est donc pour le moins incertain, avec en arrière plan
l'éternel poids de l'aléa climatique auquel s'est
juxtaposé ce que d'aucuns n'hésitent plus à qualifier
d'aléa économique [CHICHE, 1995]. Ceci rend donc encore plus
actuelle une évaluation précise des modes de production
laitière en milieu paysan, avec une analyse et une
hiérarchisation des facteurs tant techniques qu'anthropiques qui
affectent les résultats des élevages de bovins laitiers au Maroc,
et que nous nous proposons de mener dans le cadre de ce travail. Cette
tentative interviendrait à un moment crucial où les pouvoirs
publics ont fait part de leurs intentions d'intensifier davantage la production
en ciblant leurs interventions aux seules régions favorables, et il
n'est pas exclu que les résultats de notre travail ayant à la
base une approche de type systémique, puissent contribuer à faire
« remonter vers les décideurs les doléances des
éleveurs, et rapprocher ainsi les sphères de décision de
la réalité du terrain » [LHOSTE et al.,
1993].
En Algérie, sans pour autant être caricaturale,
la situation est nettement plus contrastée, avec à la base le
choix politique des pouvoirs publics de recourir en priorité aux
importations de lait pour satisfaire la demande en produits lactés.
Certes, dans une conjoncture dominée par les variations des prix des
hydrocarbures, l'Etat algérien a aussi initié des projets de
développement de la production laitière locale, pour essayer de
diminuer ce lourd fardeau économique, notamment en tentant
d'égaliser le prix du lait frais avec celui du lait reconstitué.
Mais les derniers déboires financiers de ce pays, dont les exportations
continuent à être dominées par les seuls hydrocarbures,
font que le démarrage d'une production laitière locale
significative dans la couverture des besoins reste hypothétique.
En Tunisie, une évolution comparable à la
situation marocaine a été observée, avec toutefois une
différence notable, en ce sens que ce pays est devenu autosuffisant pour
les niveaux de consommation affichés actuellement per capita.
Là aussi, les interventions de l'Etat ont été capitales,
fondamentalement en rapport avec la mise à la disposition des
éleveurs de concentrés peu onéreux et la définition
d'une politique laitière privilégiant les zones du Nord où
la pluviosité moyenne permet encore une production fourragère
pouvant servir de support à des ateliers laitiers. Toutefois, la
négociation de l'ouverture du marché tunisien aux produits
agricoles étrangers, notamment européens, et la recherche de lait
de qualité, sont autant de facteurs de doute quant à la
réussite des éleveurs laitiers tunisiens à maintenir le
même niveau de croissance de la production.
En définitive, les filières laitières,
avec en amont les éleveurs de vaches, constituent un pan
d'activité agricole fort stratégique au Maghreb, à cause
de la valeur nutritionnelle que revêt le lait et ses
dérivés pour des populations dont les niveaux de consommation
moyens sont encore loin des normes nutritionnelles internationales. Par
ailleurs, l'élevage de bovins laitiers assume dans les trois pays des
rôles de création d'emplois et de revenus très importants
pour la stabilité sociale. C'est dire que, si les bouleversements
macro-économiques qui concernent ces pays ne peuvent qu'induire des
variations des termes de l'échange, il est clair que celles-ci auront
des répercussions directes sur l'organisation de la production. Ainsi,
si au début des années 80, le secteur laitier représentait
une aubaine pour les investisseurs au Maroc, à cause des niveaux de
protection assurés par la politique des prix, ce qui a même
engendré une certaine gabegie [EL KHYARI, 1985], tout tend à
prouver qu'aujourd'hui ce n'est plus le cas. Dans cette évolution, en
partie due aux mesures de l'ajustement structurel, mais aussi à d'autres
causes plus liées au milieu de production (faiblesse et aléa des
précipitations, niveau sommaire de formation des éleveurs,
absence de chaîne du froid...), les éleveurs laitiers au Maroc,
qui ne sont pas moins de 770 000, se doivent de réagir pour survivre.
C'est leur manière de s'adapter face à ce changement de
conjoncture, et ses conséquences sur l'organisation de l'élevage
que nous nous proposons d'étudier au Maroc, dans trois systèmes
agro écologiques représentatifs de la diversité des
situations d'élevage : le système irrigué, à
vocation laitière, le système pluvial favorable, dont les
performances sont liées à la variabilité climatique, et le
système suburbain qui se développe suite à une
augmentation de la demande en lait par les couches urbaines au pouvoir d'achat
plus élevé.
III - Etablissement de typologies d'elevages de bovins
au Maroc
III.1. Etablissement de typologies d'étables au
Maroc : hypothèses et modalités de travail.
III.2. Typologie d'étables laitières dans la
zone suburbaine de Rabat - Salé.
III.3. Production de lait et/ou de viande :
étude de la diversité des stratégies des éleveurs
de bovins dans le périmètre irrigué du Gharb.
III.4. Analyse comparative des systèmes
d'élevage laitier dans la zone suburbaine de Rabat - Salé et dans
le périmètre irrigué du Gharb.
III.5. Synthèse générale des
résultats des typologies d'étables au Maroc
One of the most highly developed skills in contemporary
Western civilization is dissection: the split-up of problems into their
smallest possible components. We are good at it. So good, we often forget to
put the pieces back together again.
The skill is perhaps most finely honed in science. There,
we not only routinely break problems down into bite-sized chunks and
mini-chunks, we then very often isolate each one from its environment by means
of a useful trick. We say ceteris paribus - all other things being equal. In
this way we can ignore the complex interactions between our problem and the
rest of the universe.
Alvin Toffler (1985)
Foreword (page XI) of Ilya Prigogine and Isabelle Stengers
"Order out of Chaos : Man's new dialogue with Nature".
Flamingo, London
III - 1 Etablissement de typologies d'étables
laitières au Maroc : hypothèses et modalités de
travail
La conduite de méthodes d'analyses systémiques
relatives aux élevages de bovins laitiers au Maroc requiert la prise en
compte d'une multitude de variables, à commencer par la diversité
des situations de production qui se matérialisent à travers le
pays. C'est pourquoi, au départ de ce travail, une série
d'hypothèses visant à en assurer la faisabilité a
été élaborée. Elle a orienté nos
investigations, en premier lieu, vers la distinction puis la
caractérisation des différences entre catégories
d'éleveurs, notamment sur la base des particularités de conduite
des troupeaux et aussi sur les variables structurelles (patrimoine foncier et
effectifs animaux).
Les travaux ont principalement porté sur des suivis
annuels des résultats d'élevage (lactation, reproduction,
alimentation et économie). Il fallait ainsi au départ se rendre
à l'évidence de l'obligation de récolter par nos
propres moyens les données sur les performances du cheptel bovin et sur
les choix de conduite adoptés par les éleveurs, en l'absence de
base de données préalablement établies par les organismes
censés assurer l'encadrement de ces troupeaux. Les protocoles de suivi
des exploitations choisies ont été effectués dans deux
zones différentes du pays : la région suburbaine de Rabat -
Salé, capitale du Royaume du Maroc, en tant qu'illustration de la
dynamique des élevages bovins à l'abord des villes, et la plaine
irriguée du Gharb, exemple témoignant des types
d'étables qui se sont développés sous l'impulsion des
investissements de l'Etat pour l'aménagement hydro agricole du monde
rural. Ces deux genres de situations d'élevage retenues correspondent
aux zones identifiées par les pouvoirs publics comme dotées de
potentialités certaines pour l'élevage bovin laitier intensif au
Maroc [MADRPM, 1998b]. Ceci est lié à leur localisation
géographique favorable, d'un point de vue des précipitations
annuelles, ou en raison de l'irrigation et / ou de la
proximité des consommateurs et des intrants d'élevage.
Après ces clarifications relatives aux choix des
régions d'étude de l'élevage bovin laitier au Maroc, nous
avons entamé l'analyse des systèmes bovins à proprement
parler par des constitutions de groupes d'étables, dans une tentative de
dévoiler les grandes stratégies retenues par les éleveurs,
et de repérer les similitudes et différences entre régions
et fermes. Ceci a donné lieu à la constitution de deux typologies
régionales (une dans la zone suburbaine de Rabat - Salé et
l'autre dans le périmètre irrigué du Gharb). La
première étude régionale (Rabat - Salé) est
rapportée dans le deuxième chapitre de cette troisième
partie, tandis que la deuxième (périmètre du Gharb) en
représente le troisième.
La figure 7 illustre la localisation
géographique au Maroc des deux zones ayant fait l'objet de ces
études de typologie des systèmes d'élevage bovin.
MAROC
Espagne
Ouest
Nord
Rabat - Salé
Kénitra .
Mer Méditerranée
Océan Atlantique
Maroc
Echelle : 1/20 000 000
Figure 7. Localisation des zones d'établissement de
typologies d'élevages bovins au Maroc.
Périmètre irrigué du Gharb
Région suburbaine de Rabat - Salé
Ces typologies peuvent être considérées
comme des outils synthétiques permettant de porter un jugement global
sur les modes de production laitière en vigueur dans les deux
régions. En effet, PETIT [1985] rappelle que les typologies
d'exploitations agricoles dans une région donnée, basées
sur des analyses statistiques multidimensionnelles, permettent d'esquisser une
image fidèle de la réalité des pratiques qui y sont
adoptées.
Aussi, dans ce travail, avons-nous adopté une
démarche similaire, à savoir l'usage des méthodes
d'analyses statistiques multivariées (des analyses en composantes
principales et la classification ascendante hiérarchique) pour
décrire au mieux les données collectées et identifier les
diverses tendances de l'élevage laitier pratiqué dans les deux
zones.
Suite à l'établissement de ces typologies
d'étables pour chacune des régions, il nous a semblé
judicieux d'expliciter davantage les similitudes et différences entre
les deux types de localisation géographique, afin de bien mettre en
relief les variables les plus influentes qui déterminent les
résultats des élevages de bovins. Ceci a donné lieu
à une analyse comparative des deux zones qui fait l'objet du
quatrième chapitre de cette partie III.
Cette partie se clôt par une synthèse
générale des enseignements qui peuvent être tirés de
ces typologies d'élevage de bovins au Maroc. En effet, dans le
cinquième chapitre sont présentées les conclusions
globales en rapport avec les différents types d'étables
distingués et les conséquences que nous en tirons pour la
sélection d'objets d'études à approfondir dans la suite de
ce travail de doctorat.
III - 2 Typologie d'élevages bovins dans la zone
suburbaine de Rabat - Salé
III-2-1 Introduction
De nombreuses publications récentes insistent sur les
rôles clés appelés à être assumés par
l'élevage dans le développement agricole des pays du Tiers-Monde
[DELGADO et al., 1999 ; FAYE et ALARY, 2001]. A cet égard,
DELGADO et al. [1999] parlent même de révolution au sein
du secteur des productions animales, notamment à l'abord des villes,
pour accompagner la croissance démographique et encore plus
l'urbanisation des populations. Plusieurs travaux se sont focalisés sur
les difficultés d'installation de systèmes d'élevage
performants dans les ceintures urbaines, comme le manque de terrains agricoles
ou les aléas liés à la gestion des effluents
[CENTRÉS, 1996 ; BEN SALEM et al., 1998]. En revanche,
d'autres recherches ont mis en exergue les avantages comparatifs offerts par la
proximité de la ville pour l'émergence d'ateliers de vaches
laitières, telles que la présence de marchés porteurs pour
l'écoulement des produits ou la disponibilité des intrants et
services d'élevage (circuits d'insémination artificielle,
aliments concentrés...) [DE BOER, 1985 ; METZGER et al.,
1995].
Dans cette optique, l'élaboration d'une typologie
d'étables suburbaines serait un outil intéressant pour le
développement de l'élevage laitier. Elle permettrait de dresser,
un premier état des lieux du fonctionnement des exploitations agricoles
productrices de lait dans un contexte dominé par l'absence de
références fiables et actualisées (pas de bases de
données sur les performances des vaches étant donné la
rareté du contrôle laitier). Par ailleurs, pareille typologie
constituerait aussi un moyen de cibler les interventions ultérieures du
développement agricole en adaptant les mesures à chaque mode
d'élevage dûment identifié.
III-2-2 Présentation de la zone d'étude
et méthodologie
III-2-2-a Zone d'étude
La zone suburbaine de Rabat - Salé couvre une
superficie de 161 225 ha. Elle groupe une population de 1 667 000 personnes
dont à peine 1 % (17 000) peut être considéré comme
rural, tandis que le reste se concentre dans la grande conurbation
s'étendant du Nord au Sud, de Salé à Rabat et
Témara.
La zone jouit d'un climat de type méditerranéen
à influence océanique, avec deux grandes saisons :
- une saison sèche et chaude, estivale qui
s'étend de mai à octobre, caractérisée par
l'absence de précipitations ;
- une saison humide hivernale, de novembre à avril,
avec la concentration de la majorité des précipitations.
Sur les dix dernières années, la
pluviosité moyenne annuelle a été de 469 mm
Au niveau de la pédologie, la zone est
caractérise par des sols sableux sur sa frange littorale et des sols
argilo-limoneux à l'intérieur des terres. La région
suburbaine de Rabat - Salé est réputée pour sa vocation
horticole, principalement le maraîchage de saison qui repose sur
l'utilisation des eaux à partir d'une nappe phréatique abondante
[DPA, 2003].
Les exploitations agricoles sont au nombre de 10 390 et
reposent sur une SAU totale de 68 800 ha (60 100 ha sous le régime
pluvial et à peine 8 700 ha irrigués). Comme dans de nombreuses
autres régions du Maroc, les fermes de moins de 10 ha sont les plus
fréquentes : 87 % du total. Elles n'exploitent cependant que 18 680
ha soit à peine 27 % de la SAU.
Dans le secteur des productions animales, outre une aviculture
industrielle qui a vu son essor aux débuts des années septante du
siècle dernier, l'élevage bovin laitier est traditionnellement
bien représenté. Les effectifs bovins se chiffrent à 63
000 têtes dont 5 700 représentés par les bovins de type
laitier de race importée : la Frisonne pie-noire et la Holstein. Le
reste est constitué d'animaux de race locale faiblement laitière
et de ses nombreux degrés de croisement avec les bovins
importés.
La figure 8 illustre la situation administrative de la zone
de Rabat - Salé.
Ouest
Nord
Echelle : 1 / 2 000 000
Figure 8. Carte administrative de la région de Rabat -
Salé.
III-2-2-b Méthodologie
Collecte des données
Une enquête détaillée des modes
d'élevage laitier suburbain a été conduite dans le
périmètre suburbain de Rabat - Salé, capitale du Royaume
du Maroc. Ce travail s'est basé sur un suivi de 48 étables et a
visé la caractérisation des pratiques de conduite du cheptel
bovin et des performances technico-économiques qui lui sont
associées. Les élevages ont été
sélectionnés en coordination avec l'association locale des
éleveurs (Association Chellah des Eleveurs de Bovins, ACEB). L'objectif
principal était d'avoir simultanément un nombre conséquent
de types différents de fermes laitières en relation avec les
paramètres de taille (nombre de vaches, superficie agricole utile,...)
et qui soient représentatifs de la variabilité régionale.
Les données relatives à la taille de ces ateliers laitiers,
à leur gestion technique (alimentation des vaches, reproduction,
performances laitières,...), et à leurs résultats
économiques (bénéfice à l'issue de l'exercice
agricole) ont été déterminées. Un formulaire de dix
pages spécifique à chaque exploitation a été
élaboré. Il a été complété en
effectuant quatre contrôles par ferme, séparés d'environ 80
jours afin de déterminer au bout du compte les revenus et les
dépenses liées au cheptel bovin à l'issue de la campagne
agricole 2000/2001.
Analyse des données
Une typologie des systèmes d'élevage laitier
suburbain de Rabat - Salé a été élaborée
à partir des données collectées. Elle a
considéré tous les éléments définissant un
système d'élevage à savoir l'éleveur (revenus,
patrimoine et historique), le cheptel bovin (composition et résultats
technico-économiques) et les ressources mobilisées dans le
processus productif [GIBON et al., 1999]. Les analyses statistiques
ont été effectuées par le logiciel SAS [1998], par le
recours aux procédures PROC FACTOR, PROC PRINCOMP et PROC CLUSTER. Un
ensemble de dix variables quantitatives a été retenu pour la
description des étables et de leurs activités (Tableau 14). Une
analyse en composantes principales (ACP) été appliquée aux
données, préalablement centrées et réduites, pour
détecter les variables les plus déterminantes pour l'explication
des activités des exploitations retenues. Ensuite, une classification
ascendante utilisant le critère de Ward pour l'analyse
hiérarchique a été effectuée afin d'aboutir
à la typologie globale des exploitations laitières suburbaines.
Une partition en quatre classes d'éleveurs a été retenue
pour synthétiser la diversité des situations d'élevage
rencontrées. En effet, le passage à cinq classes
n'améliore le coefficient de détermination R² que de 8 % (de
53,1 à 61,3 %), et en outre cette cinquième classe n'est autre
que la scission du groupe 3 (celui qui comporte le moins d'étables) en
deux classes peu intéressantes pour la synthèse des tendances
observées.
Tableau 14. Variables décrivant les fermes
laitières suburbaines et leur symbole.
Variables
|
Symbole
|
|
|
Surface Agricole Utile
|
SAU
|
Effectifs des vaches présentes
|
VP
|
Variation d'inventaire Relative (en UGB)
|
VIR
|
Moyenne économique (kg de lait par vache par an)
|
ME
|
Unités Fourragères Lait des Concentrés
par kg de lait
|
UFL cc/kg lait
|
Unités Fourragères Lait des Concentrés
par vache par an
|
UFL cc/v/an
|
Fourrages /concentrés dans le bilan
énergétique (%)
|
FCC
|
Valeur des Animaux par rapport au Lait (% des ventes)
|
VAL
|
Charges Alimentaires sur Total des Intrants
|
CAT
|
Bénéfice par vache
|
BV
|
|
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio
Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL
cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de
lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des
Concentrés par vache et par an ; VAL : Vente des Animaux par
rapport au Lait ; VIR : Variation d'Inventaire Relative.
Les variables précédentes ont été
retenues afin de rendre compte des principales options retenues par les
éleveurs pour la conduite de leur cheptel bovin et leurs
répercussions sur les performances technico-économiques :
- modes d'affouragement des troupeaux et valorisation de
l'énergie des concentrés, traduits par les variables UFL cc/kg
lait, UFL cc/v/an et FCC ;
- performances laitières du troupeau,
illustrées par la variable ME ;
- choix de production entre lait et viande et effets sur
l'économie de la production bovine, illustrés par les variables
CAT, VAL, VIR et BV.
Ces différentes variables ont été
déterminées comme suit :
- Vaches Présentes, VP = VPcontrôle, i
/ 4 (i variant de 1 à 4 : 4 passages/ferme/an) ;
- Variation d'Inventaire Relative, VIR =
UGBinitiales - UGBfinales/ VP ;
- Moyenne Economique, ME = (Production laitière
annuelle Totale, PLT)/VP ;
- UFL cc/v/an = apports énergétiques des
concentrés/VP ;
- UFL cc/kg lait = apports énergétiques des
concentrés/PLT ;
- Valeur des animaux/lait, VAL = (Ventes bovins/Ventes Lait) x
100 ;
- Charges Alimentaires/Totales, CAT = (dépenses
alimentaires/dépenses) x 100 ;
- Bénéfice par Vache, BV = [Ventes (bovins +
lait)]/ VP].
Ce sont ces mêmes variables qui serviront à la
caractérisation du fonctionnement et des performances des étables
laitières dans tous les autres travaux ultérieurs.
III-2-3 Résultats et discussion
III-2-3-a Caractéristiques
générales des exploitations suburbaines
Les paramètres moyens décrivant les
étables retenues sont résumés au tableau 15. Il est
possible de voir que pour les variables structurelles, l'écart type est
supérieur à la moyenne, traduisant une dispersion fort
importante. Ainsi, la superficie agricole utile (SAU) moyenne est de 18,4 ha,
variant de moins de 1 ha pour des unités de petite taille à 386
ha pour une ferme étatique établie sur un domaine
récupéré des terres de la colonisation. La superficie
réservée aux fourrages ne représente que 31,7 % de la
superficie total et elle est principalement emblavée en avoine, orge et
lupin (cultures pluviales) et en luzerne et maïs (cultures
irriguées estivales).
L'effectif moyen de vaches par étable était de
12,6 #177; 15,6 vaches, démontrant la présence dans
l'échantillon de travail d'étables très diverses (petits
élevages, fermes privées spécialisées et ferme
étatique). La structure génétique du cheptel bovin
était dominé par les vaches de type Holstein (98 % de l'effectif
total) suivi des vaches de type croisé (locales x Holstein). Le
rendement laitier moyen par vache était de 3 218 #177; 1 087
kg. L'analyse quantitative du bilan fourrager montre que les aliments grossiers
ne représentent que 46,3 % de la valeur de l'énergie
dérivée des concentrés. Les dépenses relatives
à l'alimentation du cheptel bovin constituent en moyenne 81 % des
dépenses totales. L'excès de concentrés est la
caractéristique principale des bilans alimentaires des étables
suburbaines en raison des carences en fourrages combinées à
l'absence de rationnement.
Tableau 15. Caractéristiques générales
des étables de la région de Rabat - Salé.
Paramètres
|
Minimum
|
Moyenne (écart-type)
|
Maximum
|
|
|
|
|
SAU (ha)
|
0,0
|
18,4 (61,4)
|
386
|
VP
|
1
|
12,6 (15,6)
|
90
|
VIR (UGB)
|
-3,02
|
- 0,22 (0,85)
|
1,53
|
ME (kg)
|
1 130
|
3 218 (1 087)
|
6 602
|
UFL cc/v/an
|
711,4
|
2 209 (758)
|
3 857
|
UFL cc/kg lait
|
0,39
|
0,83 (0,28)
|
1,58
|
FCC (%)
|
8,9
|
46,3 (40,2)
|
95,0
|
VAL (%)
|
0,0
|
0,52 (0,86)
|
4,06
|
CAT (%)
|
47,8
|
81,0 (15,1)
|
100,0
|
BV (DH)*
|
- 8 706
|
1 553 (4 287)
|
12 133
|
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio
Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL
cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg de
lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des
Concentrés par vache et par an ; VAL : Vente des Animaux par
rapport au Lait ; VIR : Variation d'Inventaire Relative.
DH* : Dirham marocain : 1 Dh 0,09 Euro
Les performances de reproduction du cheptel bovin,
calculées pour 45 vaches seulement, car la majorité des fermes ne
tiennent pas de registres actualisés des données de la
reproduction, étaient médiocres avec un intervalle
vêlage-vêlage moyen de 429 jours. En effet, même si
l'insémination artificielle (IA) est très fortement
implantée dans la région (46 des 48 fermes retenues y ont
exclusivement recours sans présence de taureaux), rares sont les fermes
à procéder à une évaluation régulière
de ce service. La multitude des stratégies de gestion du stock animal
(ventes ou rétention de bovins) résultent en une large gamme de
performances économiques, de situations rentables avec un
bénéfice par vache maximal de 12 133 DH par vache
à des fermes déficitaires (perte de 8 706 DH par vache). Avec
pareil type de situations, seul un traitement multidimensionnel des
observations peut clarifier les corrélations entre variables et
restituer une hiérarchisation des fermes.
III-2-3-b Analyses statistiques
multidimensionnelles
L'objectif principal des analyses statistiques
multidimensionnelles est de mettre en relief les liens entre les variables
descriptives caractérisant les résultats techniques et
économiques des étables et de créer ultérieurement
des groupes homogènes d'étables. Les ACP ont été
effectuées dans un processus à deux étapes. Dans un
premier temps, une ACP initiale a montré que deux étables parmi
les 48 retenues étaient totalement « hors-norme »,
en raison de paramètres structurels très différents de la
moyenne enregistrée (il s'agissait en fait de l'étable
étatique avec 386 ha de superficie agricole et un cheptel de 90 vaches,
et d'une étable privée totalement « hors
sol », constituée d'une vache dans une maison). Par
conséquent, les axes factoriels obtenus étaient liés aux
variables structurelles (superficie arable et effectifs de bovins), ne
permettant pas de discerner des classes d'étables selon les pratiques
d'élevage qui y sont adoptées. C'est pourquoi, ces deux fermes
ont été mises à l'écart de l'échantillon
général et une deuxième ACP a été
effectuée. Les résultats montrent que les trois premiers axes
factoriels expliquent 81,3 % de la variabilité totale et qu'ils sont
surtout corrélés aux variables traduisant les pratiques
d'alimentation des vaches (allocation en concentrés par vache par an,
part des fourrages par rapport aux concentrés dans le bilan
alimentaire), les ventes de bovins et leurs incidences sur le rendement laitier
(Tableau 16). La projection des variables quantitatives sur le plan principal
(défini par les axes 1 et 2) est reportée dans la figure 9.
Tableau 16. Résultats de l'ACP -
Définition des axes : Région de Rabat - Salé.
Axe
|
Définition de l'axe
|
Proportion
|
Variation cumulée
|
|
Variables
|
Corrélation à l'axe
|
(%)
|
(%)
|
|
|
|
|
|
|
UFL cc/kg lait
|
0,89
|
|
|
1
|
CAT
|
0,73
|
33,3
|
|
|
FCC
|
- 0,79
|
|
|
|
|
|
|
|
2
|
BV
|
0,86
|
25,5
|
47,3
|
|
VIR
|
- 0,69
|
|
|
|
|
|
|
|
|
VAL
|
0,74
|
|
|
3
|
ME
|
- 0,71
|
22,5
|
81,3
|
|
UFL cc/v/an
|
- 0,65
|
|
|
BV : Marge Brute par Vache ; CAT : Charges
Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio
Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL
cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg
de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des
Concentrés par vache ; VAL : Vente des Animaux par rapport au
Lait ; VIR : Variation d'Inventaire Relative.
Le premier axe explique 33,3 % de la variation totale et il
est corrélé positivement aux variables UFL cc/kg lait (r = 0,89),
CAT (r = 0,73) et négativement à FCC (r = - 0,79). Ce premier axe
peut ainsi être interprété comme un témoin
de la valorisation de l'énergie des concentrés
en lait et de la part des aliments par rapport aux charges totales. Il
illustre aussi le ratio d'utilisation de l'énergie des fourrages par
rapport à l'énergie issue des concentrés.
Le deuxième axe de l'ACP explique 25,5 % de la
variation totale et il est corrélé positivement à la
variable BV (r = 0,86) et négativement à la variable VIR
(r = - 0,69). Il oppose les fermes rentables à variation
d'effectifs négatives (qui ont perdu du matériel animal), aux
fermes déficitaires qui ont conservé du matériel
animal.
Il peut être considéré comme l'axe
distinguant les fermes rentables des fermes déficitaires, en
partie du fait des dynamiques de variations d'inventaires.
Le troisième axe (22,4 % de la variation totale)
distingue les fermes avec ventes d'animaux importantes par rapport au lait,
avec faibles utilisations de concentrés par vache et un rendement
laitier réduit, des fermes avec les caractéristiques
opposées.
Il peut être considéré comme l'axe
distinguant les exploitations laitières des exploitations
à vocation de production de viande.
La classification réalisée sur les 48 moins les
2 exploitations excentrées, c'est-à-dire sur 46 observations, a
été conçue pour faire ressortir 4 groupes
d'élevage. La projection des 4 groupes d'exploitations est
reportée sur la figure 10.
Axe 2
Axe 1
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio
Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne
Economique ; UFL cc/kg lait : Unités Fourragères
des concentrés par kg de lait ; UFL cc/v/an : Unités
Fourragères des Concentrés par vache ; VAL : Vente des
Animaux par rapport au Lait ; VIR : Variation d'Inventaire Relative.
Figure 9. Projection des variables techniques et
économiques des fermes laitières suburbaines sur les axes
factoriels 1 et 2 définis par l'ACP.
Groupe 4
Axe 2
*20
3 à
* 19
* 40
Groupe 2
2
* 15
* 22
* 2
Groupe 3
* 36 * 48
* 38
1
* 39
* 33 * 37
* 4 25
* 35
* 10 * 1
* 46
Axe 1
* 47
* 43
3 * * 12
* 32 * 45
* 34
0
-----11---------------------------------------------------------*-26
* 16
*31 *
24 *41
* 44
* 30
* 27
* 7
-1 * 8
* 18 * 21
* 13
* 28
* 6
* 29
-2
Groupe 1
* 14
-3
* 9
* 5
* 17
-----------------------------------------------------------------------------------------------
-4 -3 -2 -1 0 1 2
Figure 10. Projection des groupes de fermes laitières
sur le plan principal défini par l'ACP.
Le groupe 1 correspond à 17 exploitations,
classées en majorité en valeurs négatives sur l'axe 2 avec
des valeurs moyennes proches de zéro pour les projections sur les axes 1
et 3. Ce groupe est celui des fermes d'élevage bovin déficitaires
qui ont tendance à privilégier une légère
rétention de matériel animal (variation d'inventaire positive de
0,2 UGB par vache présente). La conduite alimentaire et la
productivité en lait peuvent être qualifiées de moyennes
par rapport à l'échantillon d'étables
enquêté. Le résultat économique est négatif,
de - 1 704 DH par vache.
Le groupe 2 rassemble 12 exploitations ayant en
majorité des valeurs de projection positives sur l'axe 2 et
négatives sur l'axe 3, avec des valeurs dispersées autour de
l'axe 1. Ce sont donc des exploitations laitières strictement positives
au niveau de la rentabilité par vache. Cette rentabilité est
globalement due à des rendements importants de lait par vache (4 231
kg). C'est le groupe qui correspond à un début de
spécialisation laitière due à de plus fortes consommations
de concentrés que dans le groupe 1.
Le groupe 3 est composé de 8 exploitations. Leur
caractéristique majeure est d'être projetées
négativement sur l'axe 1 et presque toutes positivement sur les axes 2
et 3. C'est donc le groupe des exploitations à résultats
économiques positifs (4 488 DH par vache), grâce à un prix
de revient du kg de lait maîtrisé, issu d'une part importante
d'aliments grossiers (fourrages auto produits) dans le bilan alimentaire global
des vaches. Ainsi, les fourrages constituent 98,4 % de l'énergie
apportée par les concentrés. Toutefois, le rendement laitier
annuel par vache est limité à 3 310 kg.
Le groupe 4 est constitué de 9 exploitations ayant
toutes une projection positive sur les axes 1 et 2 et dispersées autour
de l'axe 3. Ce sont par conséquent les élevages qui abusent de
concentrés (2 826 UFL par vache et par an), sans véritablement en
tirer profit au niveau de la productivité laitière (2 852 kg par
vache). La rentabilité qui est observée est totalement due
à la décapitalisation avec la perte de 1,20 UGB par vache
présente comme variation d'inventaire sur l'exercice agricole 2000/2001.
C'est donc le groupe qui illustre la situation des étables
« hors - sol », dont le seul moyen d'assurer un semblant
d'équilibre économique repose sur une vente massive d'animaux. La
figure 11 résume les éléments saillants de la typologie
établie.
Groupe 3
Groupe 2
Groupe 1
Elevages "hors-sol"
Abus de concentrés
Gain par vache (3 218 DH) dû aux ventes de
bovins
Spécialisation laitière
Rendements laitiers élevés (4 231
kg/v)
Rentabilité de 2 256 DH par vache
Fermes déficitaires
Rendements laitiers moyens (2 579 kg/v)
Pertes de 1 704 DH par vache
Groupe 4
Alimentation basée sur les
fourrages
Fermes rentables (4 488 DH par vache).
Figure 11. Représentation synthétique de la
typologie des élevages laitiers suburbains.
Le tableau 17 récapitule, par classe d'élevages,
les valeurs des variables les plus influentes et leurs incidences sur les
résultats techniques et économiques des étables
laitières suburbaines.
Tableau 17. Eléments d'élaboration de la
typologie des étables laitières de la région de Rabat -
Salé.
Groupe ou élevage
|
1
|
2
|
3
|
4
|
SODEA
|
|
|
|
|
|
|
Nombre d'étables
|
17
|
12
|
8
|
9
|
1
|
VIR (UGB/vache)
|
0,20
|
0,04
|
-0,17
|
-1,20
|
-0,17
|
ME (kg de lait)
|
2 579
|
4 231
|
3 310
|
2 852
|
6 602
|
UFL cc/v/an
|
1 873
|
2 582
|
1 651
|
2 826
|
3 857
|
UFL cc/kg lait
|
0,85
|
0,73
|
0,55
|
1,23
|
0,58
|
FCC (%)
|
40,9
|
23,7
|
98,4
|
6,3
|
22,0
|
CAT (%)
|
90,6
|
76,3
|
59,3
|
91,9
|
75,5
|
VAL (%)
|
16,6
|
22,7
|
62,6
|
114,6
|
53,1
|
CTL (DH)
|
4,32
|
2,63
|
2,54
|
4,60
|
2,54
|
BV (DH)
|
- 1 704
|
2 256
|
4 488
|
3 218
|
6 093
|
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; FCC : ratio
Fourrages/Concentrés ; ME : Moyenne Economique ; UFL
cc/kg lait : Unités Fourragères des concentrés par kg
de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des
Concentrés par vache ; VAL : Vente des Animaux par rapport au
Lait ; VIR : Variation d'Inventaire Relative.
III-2-3-c Discussion
Les systèmes d'élevage sont
généralement définis par les interactions qui
s'établissent entre éleveurs et leurs troupeaux, conditions
environnementales et ressources [LHOSTE, 1984]. Dans ce travail, il s'est
avéré que les variables reflétant les pratiques
d'élevage, par exemple, l'alimentation et les ventes de bovins,
étaient prédominantes dans la définition de
systèmes laitiers différents.
Aussi, l'accent doit-il être mis sur les
résultats généraux issus de la typologie établie,
qui a pris en compte tous les paramètres décrivant les
élevages laitiers suburbains, notamment ceux de tailles
différentes. Selon une méthodologie assez proche, KAMINIECKI
et al. [1999] ont mis en exergue des différences notables dans
les systèmes d'élevage laitier familiaux en Pologne. De
même, LAVAL et al. [1998] ont aussi eu recours aux
méthodes multidimensionnelles pour évaluer la diversité
des élevages de camélidés au Rajasthan, en Inde.
La typologie montre quatre groupes d'élevages avec des
dynamiques de production bovine différentes. Les exploitations du groupe
n°1 sont très différentes du reste,
caractérisées par la faiblesse de l'utilisation des
concentrés (1 873 UFL par vache par an à comparer aux 2 209 UFL
en moyenne pour les vaches des 48 exploitations impliquées dans cette
typologie). En conséquence, le rendement laitier moyen par vache y est
aussi inférieur à la moyenne générale (2 579 kg
à comparer à 3 218 kg). Ce genre d'exploitations laitières
souffre du manque de moyens financiers pour l'achat de concentrés afin
de pallier l'exiguïté des surfaces fourragères, ce qui
affecte négativement le rendement laitier et partant, les
résultats économiques par vache. Aussi, les résultats
économiques y sont négatifs, car dans l'absolu, la faible
productivité laitière ne permet pas de compenser les charges
fixes d'entretien du cheptel.
Les exploitations des groupes 2 et 3 représentent 20
des 48 exploitations retenues et ont pour caractéristiques saillantes
une marge brute positive combinée à des performances
laitières moyennes supérieures à la moyenne
générale de 3 218 kg par vache par an. En fait, c'est
surtout la contribution des fourrages aux apports énergétiques
totaux qui varie d'un groupe à l'autre (ratio
fourrages/concentrés respectivement de 23,7 et 98,4 %). Dans le groupe
n°2, on remarque que ces rendements laitiers supérieurs à la
moyenne sont principalement générés par une valorisation
efficiente des concentrés alimentaires, tandis que dans le groupe
n°3, la rentabilité économique est surtout liée
à d'importantes allocations de fourrages par vaches. Le groupe n°2
reflète ainsi un début de spécialisation laitière
marquée (rendements laitiers par vache supérieurs à
4 000 kg avec les plus importantes consommations de concentrés, et
des ventes de bovins réduites).
L'étable étatique de la SODEA qui a
été mise de côté pour réaliser les analyses
multivariées, compte un effectif de 90 vaches, qui produisent une
moyenne de 6 602 kg, sur 386 ha de superficie agricole. Elle peut
être considérée comme illustrant un pic de
spécialisation laitière dans les conditions marocaines, et en
comparaison aux autres étables étudiées en zone
suburbaine. Dans une étude antérieure d'étables
laitières appartenant à la même société, des
pratiques similaires de conduite du cheptel bovin (rendement de l'ordre de
6 000 kg de lait par vache, utilisation excessive de concentrés par
vache...) avaient été identifiées [SRAÏRI et KESSAB,
1998].
Dans le groupe n° 4, il y a 8 élevages de bovins
qui sont certes excédentaires (bénéfice moyen de 3 218 DH
par vache), mais dont les performances économiques ne reflètent
nullement un savoir - faire en termes d'élevage laitier. En dépit
d'une consommation de concentrés supérieure à la moyenne
de toutes les étables étudiées, le rendement laitier moyen
par vache y est inférieur à ce qui est observé pour
l'ensemble des étables sélectionnées dans ce travail
(2 852 et 3 218 kg respectivement). Dans cette catégorie
d'élevages, des gaspillages d'énergie issue des concentrés
sont apparents, puisque pour chaque kg de lait produit, il faut 1,23 UFL issues
des concentrés. Ceci traduit la participation des concentrés dans
la couverture des besoins d'entretien des vaches, tendance exacerbée par
des rations déséquilibrés en azote total et en
minéraux [INRA, 1988].
Considérés de manière globale, ces
résultats démontrent la faiblesse des rendements laitiers dans
des étables pourtant dotées dans leur écrasante
majorité de vaches de type laitier (Holstein et Frisonne pie-noire). Au
delà de la diversité des stratégies d'élevage
identifiées, c'est l'adaptation même de ces bovins au contexte
suburbain au Maroc qu'il convient d'analyser, sans parler des innombrables cas
de carrières de vaches écourtées par manque de savoir -
faire, comme nous l'avons rapporté dans d'autres régions du pays
[SRAÏRI et BAQASSE, 2000]. A l'instar des résultats de nombreuses
autres publications [MADANI et FAR, 2002 ; DEBRAH et al.,
1995 ; ØRSKOV, 1993], l'option même de femelles à
hautes potentialités laitières importées de pays
tempérées et insérées dans des environnements
d'élevage contraignants est remise en question par nos observations de
terrain et par les suivis de performances. En effet, seules les 8 exploitations
du groupe n°3 que nous avons qualifié de spécialisées
et auxquelles il faudrait ajouter l'étable étatique de la SODEA
peuvent être considérées comme tirant profit du potentiel
laitier des vaches importées. Le reste, pour des raisons très
diverses (manque de technicité, absence de facilités de
trésorerie, visées viandeuses plutôt que
laitières...), aurait très bien pu s'accommoder de bovins avec
des aptitudes laitières moindres et disposant de meilleurs
facultés d'engraissement que les races Holstein et Frisonne pie-noire.
Ces observations convergent vers les recommandations de FAYE et ALARY [2001],
à propos de l'émergence de systèmes d'élevage
durables et compétitifs dans les pays en développement. Ces
auteurs indiquent que le nécessaire accroissement de la production
laitière dans les pays du Sud « ne peut pas se faire par une
simple adaptation des méthodes d'élevage des pays du Nord, mais
doit intégrer les enjeux sociaux et environnementaux particuliers et
s'inscrire dans un objectif de développement durable ».
Pour des perspectives de développement de
l'élevage laitier dans la zone suburbaine de Rabat-Salé, il est
évident que la mise en oeuvre de programmes de recherches et d'appui
technique adaptés aux contraintes typiques à ces régions
(rareté des fourrages et importante charge animale par ha) est urgente
au Maroc. Le conseil technique dans le domaine de l'alimentation du cheptel
bovin laitier, à travers la vulgarisation du rationnement, en utilisant
des quantités appropriées de fourrages de bonne qualité et
avec les concentrés disponibles localement, devrait avoir des
répercussions plus que positives. De même, la
généralisation des méthodes d'exploitation rationnelle des
fourrages et de conservation des excédents saisonniers par l'ensilage ou
le fanage pourrait constituer une autre voie prometteuse de
développement des performances des étables laitières. Du
fait de la très vaste adoption de rations riches en concentrés,
c'est principalement leur intégration dans des formules adaptées
aux divers fourrages qui fait encore défaut. D'autre part, les
traitements hormonaux des vaches à problème de reproduction et la
généralisation de l'évaluation de l'insémination
artificielle peuvent aussi représenter des voies d'action prioritaires
pour augmenter l'efficacité reproductive du cheptel bovin, dans un
contexte où très peu d'exploitations possèdent des
documents actualisés en rapport avec la reproduction des vaches. De
manière similaire, les traitements prophylactiques des affections
parasitaires devraient être conçus et appliqués à un
moment où peu d'élevages adoptent des programmes prophylactiques
raisonnés.
En définitive, la majorité des éleveurs
chez lesquels s'est déroulé ce travail éprouvent un besoin
d'appui technique rapproché, notamment les 36 étables
détenues par des structures de taille réduite sur moins de 5 ha,
et qui représentent plus des ? des exploitations visitées.
Toutefois, les mesures en faveur des élevages laitiers doivent
être ciblées pour éviter les échecs de transferts de
technologie ayant eu lieu au préalable avec les traitements des pailles
à l'urée [WANAPAT et al., 1998 ] ou avec la
technique du ley farming [AMINE, 1993 ; CHRISTIANSEN et
al., 2000]. Ainsi, dans un premier temps, les techniques
nécessitant des moyens en capitaux importants devraient être
évitées et réservées uniquement aux exploitations
agricoles ayant les moyens de s'en accommoder. En effet, il s'avère en
fin de compte que les pratiques d'élevage les plus communes
privilégient la contribution maximale du pâturage et des fourrages
spontanés (en cas de pluies) conjuguée à la mobilisation
des réserves corporelles des femelles ; pratiques ne
nécessitant aucun investissement monétaire, et en partie
imposées par l'état général de la trésorerie
des éleveurs [SRAÏRI, 2002]. Il faut mentionner que des travaux de
recherche à philosophie similaire sont actuellement en cours pour
favoriser le développement d'élevages laitiers, par des
formulations alimentaires équilibrées pour des exploitations
agricoles de type traditionnel, sans bouleverser l'organisation
générale qui y prévalait. C'est le cas au Mexique,
où ARRIAGA-JORDAN et al. [2002] ont mesuré l'impact de
trois niveaux de complémentation en concentrés sur les
performances laitières en élevages bovins de petite taille. Mais
il faudrait, pour en garantir le succès, sélectionner les
exploitations les plus réceptives (éleveurs instruits et
motivés) tels que l'ont mentionné ROELEVELD et VAN DEN BROEK
[1996]. Par la suite, ces éleveurs pourraient servir de courroie de
transmission de ces techniques à leur entourage. Dans pareil contexte,
les typologies d'élevage suivies d'actions de développement
ciblées qui valorisent au mieux les moyens disponibles sont
indispensables. Elles garantissent la viabilité et la durabilité
de cette activité qui représente à l'heure actuelle une
voie prometteuse pour améliorer les revenus des agriculteurs suburbains
[DIEYE et al., 2002]. Ceci devrait être considéré
à sa juste valeur par les organismes de développement et par les
décideurs en charge du secteur de l'élevage bovin au Maroc.
III-2-4 Conclusion
Ce suivi de 48 étables laitières dans la
ceinture suburbaine de Rabat - Salé, capitale du Royaume du Maroc, a
confirmé l'existence d'une large variété de modes
d'élevage bovin. Ceci peut être expliqué en partie par la
diversité des statuts conférés par les éleveurs
à leur troupeau (laitier spécialisé, allaitant et/ou
mixte), aux différents modes d'alimentation du cheptel, et aux poids des
ventes de bovins dans le chiffre d'affaires total. Même si 98 % des
vaches sont de génotype laitier (Holstein Friesian et croisées
Holstein Friesian x locales), le rendement laitier moyen par vache demeure
faible (3 218 kg) avec d'amples variations, de 1 130 à 6 602
kg, et les bénéfices dégagés par vache fluctuent de
situations positives à d'autres négatives. Les analyses
statistiques multidimensionnelles ont permis d'identifier quatre groupes
distincts d'élevages, sur la base de variables tels que le rendement
laitier par vache, les modes d'alimentation du cheptel bovin et les ventes de
bovins, sans aucun lien avec les paramètres de taille. Par
conséquent, cette typologie préliminaire pourrait servir de base
de réflexion pour la promotion des performances du secteur bovin
suburbain, notamment par l'adoption de mesures adaptées aux besoins des
différentes catégories d'éleveurs. Une large frange
d'élevages est groupée dans des catégories
caractérisées par une relative rentabilité de
l'activité laitière (groupes 2, 3 et 4, ce qui représente
29 fermes), mais pourrait aboutir à de meilleures productivités
et à des résultats économiques accrus par des techniques
favorables à l'intensification (alimentation, traite, accouplements
raisonnés...). Comme les résultats montrent que les variables
liées aux modes d'alimentation des vaches sont déterminantes pour
distinguer les types d'étables, toute mesure ultérieure de
développement devrait se focaliser en priorité à
l'amélioration des pratiques actuelles des éleveurs,
caractérisées par l'absence de rationnement, et l'usage
irraisonné de concentrés. En définitive,
l'élaboration suivie de la vulgarisation des tables alimentaires des
matières premières les plus usitées (fourrages et
concentrés) et la conception de rations propices à l'augmentation
de la production laitière, semblent être des leviers d'action
prioritaires. La validation de leurs effets par des essais dans des
élevages privés en garantirait la diffusion.
III - 3 Typologie d'élevages bovins dans le
périmètre irrigué du Gharb
III-3-1 Introduction
La politique laitière au Maroc a
privilégié les zones irriguées comme principaux centres de
production. En effet, étant donné les garanties de
disponibilités en eau, dans un pays aride avec des aléas
climatiques pesants, les étables laitières auraient une base
fourragère pérenne dans ces périmètres dotés
d'équipements hydrauliques coûteux. D'ailleurs, les
réalisations convergent vers ces hypothèses, puisque près
de 70 % de la production annuelle du Maroc en lait émanent des
périmètres irrigués qui ne représentent que 13 % de
la SAU totale du pays [MADR, 2003].
A cet égard, le périmètre du Gharb
a été identifié depuis longtemps comme le plus favorable
à l'implantation de projets d'élevage laitier intensif de par sa
localisation géographique au Nord du Maroc, le faisant
bénéficier d'une pluviométrie suffisante pour les cultures
fourragères, et aussi en raison de ses ressources hydrauliques (barrages
en amont de la plaine) et en sols [PROJET SEBOU, 1961].
Par conséquent, l'objectif de cette étude
est de caractériser les systèmes d'élevage qui se sont
implantés dans cette région et de vérifier si
l'intensification laitière qui devrait découler de ces facteurs
favorables s'est réellement uniformisée à tous les
élevages bovins de la zone.
III-3-2 Présentation de la zone du Gharb et
méthodologie
III-3-2-a La zone du Gharb
La région du Gharb se situe dans la partie Nord-Ouest
du Royaume du Maroc. Elle est limitée à l'Ouest par
l'Océan atlantique, au Nord par la région de
Tanger-Tétouan, à l'Est par les deux régions de Taza - Al
Hoceima -Taounate et de Fès - Boulemane, et au Sud par les
régions de Meknès - Tafilalet et de Rabat - Salé - Zemmour
- Zaër.
Elle s'étend sur environ 8 805 km², soit
près de 1,23 % de la superficie du Maroc.
Le périmètre du Gharb se présente sous
forme d'une large cuvette très basse, bordée de hauteurs la
privant de tout exutoire naturel (collines prérifaines, plateau de la
Maâmora, dunes du Sahel). Il affiche la plupart des
caractéristiques classiques des régions deltaïques : reliefs
très plats, sols argileux, excès d'eau en hiver et
fréquentes inondations.
Cette région se caractérise par un climat
méditerranéen tempéré. Les précipitations
annuelles moyennes sont de 600 mm dans les zones côtières et
montagneuses, et diminuent à mesure qu'on se dirige vers le Sud-Est,
où elles ne dépassent guère 450 mm. Les pluies
enregistrées sont concentrées dans la période allant de
fin novembre à fin mars.
Les températures sont tempérées par le
voisinage maritime et varient, en moyenne, de 13°C en hiver à
26°C en été. Durant les périodes du chergui (vent
chaud de Sud-Est d'origine saharienne), des valeurs proches de 50°C
peuvent être enregistrées.
Dans le cadre de la politique marocaine des barrages, la
région du Gharb constitue de loin l'élément le plus
important [POPP, 1984]. Elle représente près du quart de la
surface du million d'ha destinée à être irriguée.
Elle dispose de ressources hydriques considérables, estimées
à 6,75 milliards de m3, dont la près de la
moitié (3,5 milliards de m3) est réservée
à l'irrigation. Les eaux de surface sont constituées par le
fleuve Sebou et ses affluents (Beht, Ouergha, Rdom, Fouarat, Oued Tiflet ). Les
ressources des nappes phréatiques sont évaluées à
900 millions de m3 ; elles sont accessibles à des
profondeurs se situant entre 5 et 30 m. Ces eaux se caractérisent par
leur bonne qualité, à l'exception de celles des zones de Mograne
et Sidi Allal Tazi, affectées par la salinité.
Les données démographiques disponibles montrent
que la population de la région est estimée à 1 744 000
habitants dont 700 000 urbains (40,1 %) et 1 044 000 de ruraux (59,9 %).
Des terres fertiles, un climat tempéré humide,
ainsi que des ressources en eaux abondantes, font de la région du Gharb,
une zone agricole de première importance à l'échelle du
Maroc. Sans omettre des conditions écologiques favorables
(précipitations, types de sols...) et une déclivité minime
qui la rendent adapté à un haut degré à
l'aménagement hydroagricole. C'est pourquoi, dès les premiers
temps de la colonisation française au Maroc, son potentiel agricole
prometteur était reconnu : MICHAUX-BELLAIRE [1912] affirmait que
« le Gharb est un pays de plaine, riche et fertile ».
Les terres à vocation agricole couvrent une superficie
de 603 000 ha, dont 130 000 sont irrigués. Un total de 145 000 autres ha
est aussi identifié pour être équipé en moyens
d'irrigation dans les futurs plans de mise en valeur.
L'agriculture, l'exploitation des forêts ainsi que la
pêche, constituent la locomotive du développement régional.
Ces secteurs emploient 53,3 % de la population active.
Au niveau du secteur des productions animales, le
périmètre du Gharb se caractérise par un cheptel bovin de
222 720 têtes. Les bovins de type amélioré (Holstein et pie
noir) ne représentent que 27 % du total en dépit des
potentialités intéressantes qu'offre la zone pour l'affouragement
de vaches à hautes capacités laitières [ORMVAG, 2003]. La
production laitière annuelle dans le périmètre du Gharb
est de 105 millions de litres (10,4 % de la production du Maroc).
La figure 12 montre la situation géographique du
périmètre du Gharb.
Echelle : 1 / 1 000 000
Fleuve Sebou
Ouest
Nord
Figure 12. Carte administrative du périmètre
irrigué du Gharb.
III-3-2-b Méthodologie
Collecte des données
Dans un premier temps, confrontés à
l'imprécision des statistiques disponibles auprès de l'Office
Régional de Mise en Valeur Agricole du Gharb (ORMVAG), entité
administrative qui coordonne les efforts de développement agricole
à l'échelle du périmètre irrigué, nous avons
mis en place une enquête auprès de 111 éleveurs de
l'arrondissement de Sidi Allal Tazi, qui ont été visités
de mars à juin 2001. Ils ont été choisis de manière
aléatoire en veillant à couvrir les différentes zones,
avec le souci d'élargir le plus possible l'échantillon sur des
types variés. Une seule condition a donc été portée
sur le choix des éleveurs enquêtés : pratiquer la
traite, quelle que soit la quantité de lait obtenu, quels que soient le
but (autoconsommation ou vente) et le mode de commercialisation. Le
questionnaire, volontairement succinct, comportait quatre types d'informations
à collecter : (i) les structures d'élevage (SAU, effectifs
bovins, matériel d'élevage), (ii) les grands traits de la
conduite du troupeau (modes de reproduction, cultures fourragères,
apports en compléments...), (iii) les quantités et le devenir des
produits animaux, lait et viande, (iv) la composition de la famille et la main
d'oeuvre. Un guide d'entretien complémentaire permettait par des
questions ouvertes d'analyser les problèmes plus
généraux, tels que les contraintes, les projets, et les
fonctions du cheptel.
Analyse des données
Pour élaborer une typologie et mettre en relation les
différentes variables décrivant chacune des 111 exploitations
agricoles, les données collectées ont fait l'objet d'un
traitement par ACP, sur des variables par conséquent quantitatives sur
des valeurs centrées réduites. Dix variables ont
été sélectionnées : les éléments
structurels de base (SAU, nombre de vaches laitières et nombre
d'Unités de Travail Humain d'origine familiale, et UTH salariée),
les éléments de diversification des activités agricoles
(Pourcentage des surfaces allouées aux fourrages par rapport aux autres
cultures, pourcentage des Unités Gros Bétail de bovins par
rapport aux autres espèces), les critères techniques permettant
de juger les stratégies alimentaires en lien direct avec la production
laitière (nombre de mois de distribution de fourrages en vert et nombre
de mois de distribution de concentrés aux vaches), et la
régularité et les revenus issus de la vente du lait
(quantités de lait commercialisé, nombre de mois de livraison par
année).
Dans un second temps, afin de restituer l'ensemble des
itinéraires techniques en vigueur sur les exploitations,
d'évaluer les contraintes techniques, économiques et sociales, et
comprendre les stratégies des éleveurs dans ces systèmes
dits « pilotés », nous sommes revenus enquêter
deux à trois éleveurs pour chacun des sept types
identifiés, en sélectionnant les individus qui nous paraissaient
les plus représentatifs et les plus coopératifs de leur classe.
L'objectif de cette enquête approfondie était de cerner tous les
aspects liés à l'élevage (conduite des cultures
fourragères, conduite des troupeaux, analyse économique succincte
par le calcul de la marge brute générée par le troupeau
bovin) et aux stratégies familiales. Type par type, nous avons alors
tracé un profil moyen (que nous appelons un
cas-type) sur des critères autant sociaux
qu'économiques ou techniques. Le cas-type n'est donc ni un
modèle, ni le résultat d'une analyse statistique fondée
sur des calculs de moyenne, mais la recherche d'une explication
cohérente d'un système complexe - le système
d'élevage - autour d'une représentation fabriquée à
partir de deux ou trois exemples concrets.
III-3-3 Résultats et discussion
III-3-3-a Caractéristiques
générales des exploitations pratiquant l'élevage bovin
dans le périmètre du Gharb
La SAU des exploitations est comprise entre 0 et 275 ha avec
une moyenne de 17,5 ha. Ce résultat, nettement supérieur aux
données de toute la plaine du Gharb, s'explique par notre
décision de faire représenter dans l'échantillon de
grosses étables (privées ou étatiques), ce qui tire les
résultats vers des moyennes plus élevées. Au total, 63 %
des éleveurs ont une SAU inférieure à 10 ha et 43 %
à 5 ha. Le mode d'appropriation privée,
« melk », et le collectif sont les statuts fonciers les
plus représentés, mais on rencontre également des
agriculteurs établis sur des lots étatiques de la réforme
agraire. Dans 56 % des cas, la main d'oeuvre est essentiellement familiale,
sans embauche de salariés permanents. Environ 30 % des exploitations ont
une main-d'oeuvre mixte (familiale et salariée) et 14 % des
exploitations ont une main-d'oeuvre d'origine exclusivement salariée.
L'agriculture familiale (2,6 UTH par exploitation) est largement
représentée dans cet échantillon. Les exploitations
étant faiblement mécanisées, les travaux d'entretien sont
réalisés manuellement ; les gros travaux de mise en cultures
sont effectués soit par traction animale ou de façon
mécanique (location de matériel).
La part des cultures fourragères au sein de
l'assolement varie de 0 à 100 %. On relève à ce propos
trois grandes tendances pour caractériser cette variation , (i) une
spécialisation en élevage, avec 26 éleveurs ayant
100 % de leur SAU réservés aux cultures fourragères,
(ii) une diversification de type polyculture/élevage pour 41
exploitations très diversifiées avec moins de 20 % de
Surface Fourragère Principale (SFP) au sein d'un assolement en
général très complexe, car les potentiels (irrigation,
climat, sols) de la zone ont favorisé l'émergence d'une multitude
de systèmes de cultures de type industriel (canne à sucre,
betterave, riz...), maraîchères ou plus extensives
(céréales ou oléagineuses), et (iii) un système
extensif pour 8 exploitations qui ne disposent d'aucune culture
fourragère, les aliments grossiers provenant de la vaine pâture,
ou étant totalement achetés.
Les origines des troupeaux sont très diverses. On
trouve des troupeaux de races pures importées (principalement Holstein
et Frisonne Pie Noire), des vaches de type croisé issues des
innombrables croisements et métissages entre des bovins de populations
locales et des bovins de race pies noires, et enfin des vaches locales. La
présence de grands troupeaux de race locale a été
relevée dans les zones plus reculées et moins mises en valeur de
l'arrondissement. La taille des troupeaux varie entre 1 et 81 vaches
laitières, 58 éleveurs (52 %) possèdent des troupeaux de
moins de 6 vaches. Plusieurs fermes élèvent aussi un troupeau
d'ovins. Mais en terme d'Unités Gros Bétail (UGB), les bovins
représentent plus de 84 % des effectifs, ce qui prouve l'importance des
vaches dans le système global des productions animales dans un
périmètre irrigué tel le Gharb.
Toutefois, face à
l'hétérogénéité des données
collectées issues de la diversité des exploitations agricoles, un
traitement statistique multidimensionnel s'impose.
III-3-3-b Analyse de la diversité des
exploitations d'élevage bovin : la typologie
Après un premier traitement ACP, 4 individus qui
représentent de très gros élevages laitiers, sont apparus
comme très fortement excentrés sur le plan des axes 1 et 2, et
déviaient la signification de l'ACP vers des axes de taille
(corrélé uniquement aux variables de structure, telles que Vaches
présentes et Superficie Agricole Utile). Un deuxième traitement,
portant sur 107 individus, s'est donc révélé
nécessaire en excluant ces 4 premiers pour affiner l'analyse. Quatre
autres types ont alors été identifiés à partir de
l'analyse des 3 premiers axes qui expliquent 73 % de la variance (Tableau 18).
Tableau 18. Contribution des variables aux axes de
l'ACP : région du Gharb
Axe
|
Définition de l'axe
|
Proportion
|
Variation cumulée
|
|
Variables
|
Corrélation à l'axe
|
(%)
|
(%)
|
|
|
|
|
|
|
LL
|
- 0,83
|
|
|
|
PL
|
- 0,79
|
39,3
|
|
1
|
MC
|
- 0,77
|
|
|
|
SFP
|
- 0,65
|
|
|
|
FV
|
- 0,57
|
|
|
|
|
|
|
|
|
SAU
|
- 0,71
|
|
|
2
|
UGBb/UGBt
|
0,61
|
21,1
|
60,4
|
|
UTH F
|
- 0,56
|
|
|
|
|
|
|
|
|
NVL
|
- 0,72
|
|
|
3
|
UTHS
|
- 0,56
|
12,3
|
72,6
|
FV : Mois avec distribution de fourrages verts aux vaches, LL
: Mois avec livraison de lait, MC : Mois avec distribution de concentrés
aux vaches, PL : Production laitière de l'étable, SAU :
Superficie Agricole Utile, SFP: Surface fourragère principale, UGBb/UGBt
: ratio UGB bovines/UGB totales, UTHS : Unités de Travail Humain
Salariées, UTH F : Unités de Travail Humain Familiales,
VL : Nombre de Vaches Laitières.
Le plan principal (défini par les axes 1 et 2) permet
notamment une bonne discrimination graphique (figure 13) : en abscisse le
degré d'intensification (variables explicatives : l'importance du
fourrage, de la complémentation en concentrés, de la production
laitière livrée), en ordonnée la
diversification/spécialisation (variables explicatives : SAU, ratio
UGBb/UGBt qui évoque la présence d'un troupeau ovin en
général). Nous identifions ainsi finalement cinq types : les
grands élevages spécialisés en lait (i) ou petits
troupeaux avec intensification laitière (ii), les systèmes
polyculture-élevage livrant du lait toute l'année (iii) ou de
manière saisonnière (iv) et les élevages extensifs viande
ne produisant du lait que pendant quelques semaines (v). La figure 14
résume les grands traits distinctifs des cinq types d'élevage
bovin identifiés.
Nous avons ensuite souhaité valider cette typologie en
la soumettant à un groupe de neuf experts1(*) qui ont suggéré après discussion
de distinguer des sous types importants qui n'étaient pas perçus
dans l'analyse. Ce genre de méthodologie pour l'affinage des
résultats de typologies d'exploitations agricoles est recommandé
lorsque les expertises locales permettent de cerner davantage les
réalités des pratiques en vigueur, surtout en cas
d'enquêtes rapides, telles que nous les avons effectuées. Parfois,
l'élaboration de typologies de fermes peut même se dispenser
d'enquêtes longues et reposer uniquement sur les avis des techniciens
locaux : c'est la typologie « à dires
d'experts » [PERROT, 1990]. Dans ce travail en particulier, en tenant
compte de l'avis des experts de l'élevage du périmètre
irrigué du Gharb, dans le type (iv) est apparu la
nécessité de différencier le système riz - bersim
où le fourrage est produit en dérobé. Dans le type (v), le
cas des élevages extensifs de petite taille, propres aux éleveurs
sans terre ayant des revenus extra agricoles, a aussi été
retenu.
Axe 2
Axe 1
LL : Mois avec livraison de lait, PL : Production
laitière de l'étable, MC : Mois avec distribution de
concentrés aux vaches, SFP : Surface fourragère principale, FV :
Mois avec distribution de fourrages verts aux vaches, SAU : Superficie Agricole
Utile, BOV T : Nombre d'UGB bovines totales, UTH F : Unités de Travail
Humain Familiales
Figure 13. Cercle des corrélations des variables de
l'ACP : étables dans la zone irriguée du Gharb.
Figure 14. Représentation schématique de la
typologie des élevages bovins dans le Gharb.
Sept types distincts sont ainsi retenus, correspondant
à des éleveurs dont le profil sociologique est assez facile
à caractériser (tableau 19).
Tableau 19. Les différents types d'éleveurs de
bovins dans l'arrondissement de Sidi Allal Tazi (périmètre du
Gharb).
TYPES
|
Eleveurs laitiers spécialisés
|
Eleveurs en systèmes de polyculture /
élevage
|
Eleveurs extensifs sur parcours
|
Grand cheptel
|
Petit cheptel
|
Lait permanent
|
Lait de saison
|
Riz-bersim Lait saison
|
Elevage allaitant
|
Hors sol
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Identité
|
Grand laitier
(GL)
|
Petit laitier
(PL)
|
Cultures et lait
(PLP)
|
Cultures et lait
( PLS)
|
Riz/bersim Lait
(RBLS)
|
Grands allaitants
(GA)
|
Sans terre
(ST)
|
Effectif enquêté
|
4
|
31
|
22
|
43
|
11
|
Le type GL correspond aux gros
élevages laitiers de la zone côtière dont les
paramètres de structure (SAU, effectifs en vaches laitières) sont
largement supérieurs à la moyenne. Tous leurs bovins sont
d'origine importée de race Holstein. La SFP occupe une place
prédominante sur ces exploitations (82 % de la SAU). Les fourrages
sont distribués toute l'année soit en vert soit sous forme
d'ensilage, et les vaches sont supplémentées en concentrés
durant toute la lactation. Le zéro-pâturage est de rigueur dans
ces exploitations, à l'instar de la majorité des systèmes
intensifiés d'élevage bovin au Maroc. La productivité
moyenne est de 4 300 kg de lait par vache laitière
présente/an. Enfin, la main d'oeuvre est exclusivement d'origine
salariée. Trois de ces exploitations appartiennent à des
industriels détenteurs de capitaux qui ont fait le choix d'investir dans
l'agriculture, bénéficiant ainsi de l'exonération
d'impôts. Mais leur souci majeur est la rentabilité
économique qu'ils tentent d'atteindre en visant l'intensification
maximale du rendement laitier par vache. La quatrième exploitation est
une ferme expérimentale étatique d'où la présence
importante de main d'oeuvre (38 salariés).
Le type PL, petit laitier
spécialisé, comprend 31 individus, et se caractérise par
une SAU moyenne de 6 ha par exploitation dont plus de 80 % sont
réservés aux cultures fourragères, un troupeau de 9 vaches
laitières en moyenne, une distribution tout le long de l'année
de fourrages verts aux vaches, et par la mise à disposition des vaches
de concentrés durant toute leur lactation. Le rendement laitier moyen
est de 2 900 kg par vache présente/an. La livraison de lait n'est
pas saisonnière, étalée sur toute l'année. La main
d'oeuvre est d'origine familiale et/ou salariale. Plus de ? de ces
éleveurs, dont certains sont des bénéficiaires de
l'opération « jeunes promoteurs », embauchent des
salariés permanents. Ce type peut ainsi être
considéré comme celui des éleveurs aux moyens de
production plus modérés mais qui accordent à
l'élevage laitier une place privilégiée dans leur
système de production.
Le type PLP, polyculture-élevage et
production laitière permanente, est composé de 22 individus qui
se caractérisent par une SAU moyenne de 39 ha, nettement
supérieure à la moyenne générale et par un troupeau
moyen de 8,5 vaches laitières. Cette classe présente tous les
aspects de la diversification des activités aussi bien au niveau de
l'élevage que des cultures. Ainsi, un troupeau ovin est présent
chez tous les éleveurs et il peut parfois être plus important que
le troupeau bovin lui même (en terme d'Unités Gros Bétail).
Au niveau des productions végétales, moins de 30 % de
l'assolement est réservé aux cultures fourragères, le
reste étant occupé par des productions telles que le
maraîchage de plein champ, les céréales, les
oléagineux, et la betterave sucrière. Au niveau de la conduite
alimentaire des vaches, les fourrages sont distribués en vert de
décembre à juillet, déterminant de ce fait une
période difficile dite de « soudure » d'août
à novembre, où seules de la paille et les chaumes de
céréales sont disponibles pour le cheptel bovin.
Néanmoins, les concentrés sont distribués toute
l'année chez la majorité des éleveurs. Les niveaux de
production de lait sont de 1 800 kg par vache laitière
présente/an.
Le type PLS, polyculture-élevage et
production laitière saisonnière, est le plus important et il se
compose de 43 éleveurs. Ces exploitations se distinguent par
l'exiguïté des superficies (4,6 ha en moyenne) et par des troupeaux
bovins de 4,5 VL en moyenne. Les productions agricoles sont plus ou moins
diversifiées et la part réservée aux cultures
fourragères est inférieure à 40 % de l'assolement. Les
autres productions végétales sont le blé et le
maraîchage. L'alimentation du troupeau est déficiente pendant
près de la moitié de l'année. Il en résulte une
livraison de lait très saisonnière, qui s'arrête de juin
à novembre, moment où sont exploitées massivement les
chaumes de blé. Celles-ci, beaucoup d'éleveurs aimeraient les
ériger en transition vers les futurs fourrages verts de la fin de
l'automne. Cette période est malheureusement trop longue, et il s'ensuit
d'inévitables carences, d'abord protéiques, puis
énergétiques et minérales [OUTMANI et al., 1991].
C'est le temps des « vaches maigres », où il faut
puiser sur d'hypothétiques et rares stocks de paille ou de foin, ce qui
compromet, dans bien des cas, aussi bien les lactations en cours que les
fonctions biologiques du troupeau (la reproduction en premier lieu). Cette
classe est donc typiquement celle des éleveurs de bovins pour lesquels
la production laitière est reléguée au second plan, les
vaches étant d'abord à vocation allaitante.
Le type RBLS, très proche du
précédent, et que nous n'avions pas identifié dans un
premier temps, correspond aux exploitations des coopératives de la
réforme agraire dont l'assolement est fondé sur la succession riz
- bersim. Le bersim (trèfle d'Alexandrie), qui est difficile à
conserver du fait de sa haute teneur en eau, assure un affouragement en vert de
novembre à mai. Les vaches sont nourries le reste de l'année d'un
peu de mauvais foin de bersim, de paille et de concentrés
achetés. La production laitière est de ce fait très
saisonnée (de novembre à mai).
Les types GA (grands troupeaux à
tendance allaitante) et ST (éleveurs sans terre et
petits troupeaux), exploitent des troupeaux de race locale menés sur
parcours, et sont représentés dans notre enquête par 11
individus qui se caractérisent par une SAU inférieure à 1
ha. Mais les effectifs en vaches sont très variables, allant de 3
à 50. Aucune culture fourragère n'est pratiquée, et les
éleveurs mènent leur troupeau sur des pâturages
tantôt à proximité de leurs lieux de résidence,
tantôt sur les pâturages collectifs de la forêt domaniale. La
distribution de concentrés se fait de manière très
sporadique, à l'occasion de l'engraissement d'un bovin destiné
à la commercialisation, ou pour une utilisation marginale du lait
produit dans les semaines qui suivent un vêlage. Ce lait
réservé à l'autoconsommation familiale est destiné
exceptionnellement à la vente, mais certains éleveurs, se
référant à la coutume, refusent de vendre le lait.
Remarquons pour conclure provisoirement que ces
différents types d'éleveurs ne sont pas répartis au hasard
dans l'espace : les « grands laitiers » sont
installés dans la bande côtière, les « jeunes
promoteurs » de type PL, plus exigeants sur les conditions de vie,
sont proches de la ville de Kénitra, les systèmes
« riz - bersim » sont dans les
périmètres proches de Sidi Allal Tazi, les systèmes
allaitants sont plus à la périphérie et proches de la
forêt. Par ailleurs, un gradient de la part du lait dans les recettes
totales d'élevage a été mis en évidence et il
confirme l'extrême hétérogénéité des
stratégies des éleveurs d'un type à l'autre (figure
15).
Figure 15. Gradients de production de
lait et de viande dans les différents systèmes d'élevage
bovin au Gharb.
III-3-3-c Les stratégies des
éleveurs : l'analyse des cas types
Les enquêtes approfondies menées auprès de
quelques éleveurs représentatifs de chaque type nous ont donc
permis de dessiner sept « profils » qualifiés de
« cas - types ». Pour chacun d'eux, nous expliciterons les
enjeux et les objectifs au travers de quelques indicateurs, notamment
économiques. Les bénéfices dégagés par vache
sont calculés par différence entre les produits bruts et la somme
des charges opérationnelles, frais d'irrigation et salariat
compris2(*). Le tableau 20
résume ces différents points.
Le cas type GL (grand troupeau laitier) est
une exploitation privée de 20 ha, avec un élevage de 74 vaches
laitières de type Holstein (le propriétaire engage par ailleurs
des investissements dans d'autres unités agricoles spéculatives
telles que bananes, fraises, avocats...). La main-d'oeuvre est exclusivement
salariée (9 travailleurs permanents). L'exploitation dispose
d'importants investissements en bâtiments et en ateliers relatifs
à une conduite intensive du cheptel (salle de traite, annexes de
stockage...). L'exploitant recherche une forte productivité. Il applique
l'insémination artificielle (IA) dans la mesure du possible mais, par
sécurité, s'assure le concours d'un bon taureau. Toute la SAU est
réservée aux cultures fourragères. L'assolement comprend
une culture associée de lupin et triticale, suivie d'un maïs
d'été. Ces fourrages se conservent facilement en ensilage,
assurant une couverture en fourrages pour le cheptel toute l'année. Le
rationnement des vaches laitières est calculé en fonction de leur
niveau de lactation, ce qui n'est pas fréquent. Les vaches sont
conduites en trois lots : les hautes, moyennes et faibles productrices.
Les concentrés sont tous achetés de l'extérieur. Leur part
dans le rationnement est élevée (64 % de la MS
ingérée), soit 14 kg/jour/pour une vache laitière
produisant plus de 20 kg de lait/jour. Il est vrai que le chargement animal,
près de 4 VL par ha de SFP, impose cette pratique. Le
bénéfice par vache est de 4 228 DH, soit environ 420 €,
le lait représentant 75 % des recettes totales de l'élevage. Le
propriétaire étant par nécessité un
absentéiste, le problème essentiel est lié à la
technicité des ouvriers et du gérant. L'avenir de ces
unités étant très lié à leur
rentabilité, elles sont menacées de disparaître car la
conjoncture ne leur est pas favorable : stagnation du prix du lait,
intrants coûteux, blocage des importations de génisses.
Le cas type PL (petit troupeau laitier
spécialisé) est constitué d'une exploitation de 10 vaches
laitières reposant sur 3 ha loués au domaine de l'Etat. La
production est de 5 220 kg de lait par lactation. L'exploitation est entre
les mains d'un « jeune promoteur » qui, faute de trouver du
travail diplômé dans d'autres secteurs d'activités, s'est
lancé dans l'élevage laitier. La présence de
salariés permanents est systématique, le promoteur s'occupant
beaucoup plus des aspects d'approvisionnement et de gestion technique de
l'étable. Toute la SAU est réservée aux cultures
fourragères. Leur conduite est intensive afin de combiner un maximum de
rendement pour l'affouragement en vert (bersim) et le stockage sous forme
d'ensilage (maïs). Les vaches sont toutes d'origine Prim'Holstein,
importées par l'intermédiaire d'une usine laitière. Ce
choix représente un gros investissement pour l'éleveur,
(170 000 DH à rembourser) assuré à la fois par un
prêt à court terme consenti par l'usine (remboursement par
déduction sur le paiement du lait) et par endettement personnel
(prêts familiaux). L'éleveur mesure la production
régulièrement afin d'ajuster les rations. Celles ci sont
calculées par ses soins après information et même formation
auprès de voisins (type GL). C'est le seul groupe où de
réelles demandes techniques sont réclamées. Le lait
constitue près de 72 % des recettes globales d'élevage.
Cependant, l'exploitation continue d'être sévèrement
endettée, ce qui interdit tout investissement complémentaire
(élevage de taurillons). De plus, elle repose sur des facteurs de
production aléatoires (notamment foncier avec la location du
terrain).
Le cas type PLP est illustré par une
exploitation de 45 ha de SAU, avec 20 vaches laitières, produisant
chacune 2 800 kg de lait. Sur les 5 ha de SFP irrigables, on trouve une
rotation bersim - maïs grain, menée sans grande
technicité. L'objectif de l'éleveur est de privilégier les
cultures de rente irriguées, ce qui fait que la SFP n'occupe que 11 % de
la SAU. Le cheptel bovin laitier est issu à l'origine de génisses
d'importation, remplacées progressivement par les produits nés
sur place en utilisant l'IA, avant l'arrêt récent de ce service.
L'alimentation est basée sur une succession de fourrages en vert ou
ensilé mais aussi sur tous les résidus de cultures (collets de
betteraves) les adventices de toutes les cultures de rente et le pâturage
des chaumes de céréales. Les aliments concentrés sont
distribués durant toute la lactation des vaches. La quantité de
concentrés et les proportions du mélange restent identiques quels
que soient les fourrages distribués. La culture de betteraves permet
d'avoir accès à de la pulpe à prix réduit (0,90
DH/kg). La paille est un produit spéculatif sur ces exploitations et on
l'utilise au minimum afin d'en vendre le plus possible. Sur place, elle est
donnée broyée avec les concentrés et très peu
utilisée en litière. Le bénéfice est de 3 844 DH
par vache. Le lait n'assure plus que 54 % des recettes d'élevage
car ces éleveurs accordent une certaine importance à
l'engraissement des mâles sans en faire une priorité. La
complémentarité entre élevage et culture, par les flux
qu'elle permet, est ici à son optimum.
Le cas type PLS, très largement
représenté dans la zone, correspond au profil d'une exploitation
traditionnelle à faible technicité de 4,0 ha, de type familial
(famille nombreuse, plus de dix personnes), disposant d'une moto pompe et
pratiquant un système de polyculture - élevage sur des collectifs
partagés (2,5 ha de blé, 0,5 ha de maraîchage et 1 ha de
cultures fourragères). L'élevage bovin y est
représenté par 3 vaches laitières croisées. La
saillie est assurée par un taureau croisé choisi pour sa bonne
conformation et non pour ses antécédents laitiers
supposés. L'alimentation s'appuie sur les cultures fourragères,
mais les résidus des cultures maraîchères et du
désherbage sont distribués au fur et à mesure de leur
récolte. Deux phases de transition sont critiques pour l'alimentation du
cheptel, (i) entre la culture du bersim et la culture du maïs (de fin mai
à juillet) où l'apport en aliments grossiers se fait par la
pâture des chaumes de blé, de résidus maraîchers et
par la vaine pâture sur les bas côtés des routes, et (ii)
entre le maïs et le bersim. (de fin septembre à début
décembre) où l'alimentation est assurée essentiellement
par la paille et par des résidus divers. Les concentrés sont
distribués seulement pendant ces deux phases de transition afin de
freiner l'amaigrissement des vaches. La quantité est estimée
à 200 kg par VL d'un mélange de pulpe
déshydratée de betterave et de son de blé. Ce type
d'alimentation n'est pas adapté aux exigences quantitatives et
qualitatives liées à la production laitière qui chute
fortement lors des phases de transition. La production laitière par
vache est de 750 kg par lactation, soit à peu près 500 kg par an,
avec un intervalle entre vêlage estimé à 18 mois. Le
bénéfice dégagé par ce type d'élevage est de
2 075 DH par vache. Le lait, vendu à des colporteurs, ne
représente plus que 37 % des recettes, la préférence
allant au veau (sevrage tardif, deux quartiers étant
réservés à l'allaitement), puis à l'engraissement
des génisses et des taurillons. La contrainte en trésorerie
impose souvent des ventes hâtives de bovins, décidées
à contrecoeur.
Le cas-type RBLS ou
« riz-bersim » est un système de
polyculture-élevage, décrit par une exploitation reposant sur un
lot de 5 ha appartenant à une coopérative de la réforme
agraire. Ces exploitations sont tenues de cultiver du riz, étant
donné la nature hydromorphe des sols, la sole fourragère
s'insère idéalement en dérobé par rapport au cycle
du riz (de mai à octobre). A partir du mois de novembre les terres sont
semées en blé pour la moitié de la surface et en bersim
pour l'autre. L'origine du troupeau est composite avec des vaches
croisées et des vaches Pie Noires importées par
l'intermédiaire des centres de collecte du lait. La conduite des deux
types génétiques étant la même, le potentiel Pie
Noire est sous exploité. L'alimentation est typique de ce
système : du bersim à volonté pendant six mois, de la
paille et des concentrés les six autres mois. La flambée des prix
de la paille après une année de sécheresse a obligé
l'éleveur à acheter une coupe de bersim dans l'attente de sa
propre récolte. Le foin, malgré sa faible qualité, se
développe aussi dans ce but, alors que les essais de vulgarisation de
l'ensilage du bersim n'ont pas porté leurs fruits (coût trop
important, conservation difficile en raison de la teneur en eau proche de 90
%). Le bénéfice n'est que de 2 055 DH par vache. Seuls 34 % des
recettes proviennent du lait.
Le cas type GA correspond à un
éleveur du type allaitant. Le cheptel bovin est constitué de 50
vaches de race locale (250 kg de poids vif, 450 kg de lait dont 200 à
250 sont traits). L'exploitation est de type familial et repose sur une SAU de
10 ha. Aucune culture fourragère n'est pratiquée, et le troupeau
est essentiellement nourri sur parcours forestier, vaine pâture et sur
chaumes et jachères. Les vaches prêtes à vêler ou
remises en état pâturent les parcelles privées de
proximité, mais en général, les zones de pâturage
sont éloignées des lieux d'habitation (10 jusqu'à 50 km)
et un des membres de la famille est mobilisé pour assurer le gardiennage
du troupeau. Les vaches qui mettent bas ne sont traites sur place que durant
les deux premières semaines et rejoignent ensuite le troupeau principal.
Le lait qui n'est pas autoconsommé par la famille est livré aux
centres de collecte et non aux colporteurs peu intéressés par ces
producteurs occasionnels. L'orientation de ce système est ainsi
complètement tournée vers la viande (93 % des recettes). Les
charges sont réduites au minimum pour les animaux, et le
bénéfice par vache est faible, de l'ordre de 890 DH, mais la
forte taille du troupeau permet de dégager un revenu correct pour la
famille.
Le dernier cas-type, ST, est celui des
paysans « sans-terre ». L'exploitation agricole, issue de
morcellements successifs suite aux héritages, est fortement exportatrice
de main-d'oeuvre mais élève quelques vaches sur des terrains de
proximité. Le troupeau est constitué de 4 vaches dont
l'alimentation est totalement basée sur des ressources gratuites. Un
enfant non scolarisé se consacre totalement à la tâche de
leur trouver un lieu de pacage entre pâturage en forêt et chaumes
accordés par d'autres agriculteurs. Si le pâturage ne suffit pas,
les femmes vont ramasser des herbes en forêt ou sur le bas
côté des routes qui seront distribuées le soir au troupeau.
Aucun achat extérieur de fourrages, de paille ou de concentrés
n'est prévu pour le troupeau sauf pour les cas exceptionnels (maladie).
Les années de très fortes sécheresses, quand les parcours
sont improductifs, le troupeau est vendu. Bien que les vaches soient traites
pendant les deux à trois premiers mois de lactation, le lait est en
totalité utilisé pour les besoins de la famille. Le
bénéfice obtenu est de 1 684 DH par vache, la part du lait
produit est insignifiante (3 %).
III-3-3-d Lait et/ou viande ? Les perspectives
d'avenir
Cette analyse de la diversité des élevages
bovins confirme l'extrême
hétérogénéité des choix et des pratiques des
éleveurs et devrait inciter les pouvoirs publics, les organisations
professionnelles d'élevage et les transformateurs de produits animaux
à la prise en compte de cette variabilité pour l'instauration de
programmes d'encadrement des éleveurs adaptés à leurs
multiples attentes.
La typologie établie confirme la multiplicité
des rôles du cheptel bovin et la diversité des systèmes
d'élevage en vigueur dans le périmètre du Gharb. Il se
dégage aussi que l'élevage bovin est avant tout entre les mains
de petites exploitations tant par la taille que par le degré de
capitalisation [AURIOL, 1989]. Par ailleurs, la spécialisation en
élevage laitier, tant prônée par les concepteurs du
« Plan laitier », est loin de s'être imposée
et les niveaux moyens de production demeurent très en deçà
des potentialités génétiques des vaches et des atouts de
la région (irrigation, disponibilité des nombreux sous-produits
agricoles...).
Tableau 20. Caractéristiques des cas - types
d'élevages bovins du périmètre irrigué du Gharb.
TYPES
|
Eleveurs laitiers spécialisés
|
Eleveurs en systèmes
polyculture-élevage
|
Troupeaux extensifs sur parcours
|
Grandes étables (GL)
|
Petit effectif (PL)
|
Laitier permanent (PLP)
|
Lait de saison (PLS)
|
Riz/bersim Lait saison
(RBLS)
|
Elevage allaitant (GA)
|
Sans terre (ST)
|
SAU (ha)
|
20
|
3
|
45
|
3,5
|
5
|
10
|
0,5
|
Vaches
|
74
|
10
|
20
|
3
|
4
|
50
|
4
|
Type de bovins
|
Pie noire
|
Pie noire
|
Pie Noire
|
Croisé
|
Croisé
|
Brune d'Atlas
|
Brune d'Atlas
|
F/SAU* %
|
100
|
100
|
22
|
14
|
25
|
100
|
0
|
Concentrés
|
Continus
|
Continus
|
Continus
|
5 mois
|
6 mois
|
1 mois
|
Rares
|
Concentrés / charges (%)
|
75
|
72
|
62
|
73
|
39
|
22
|
13
|
Lait / produits (%)
|
75
|
72
|
54
|
37
|
34
|
7
|
3
|
Bénéfice par vache (DH)
|
4 228
|
3 630
|
3 844
|
2 075
|
2 055
|
896
|
1 644
|
* F/SAU : fourrages par rapport à la SAU
En fait, comme le fait remarquer BOUSLIKHANE [1998, dans la
plaine du Gharb, une grande majorité d'étables n'a pas de
véritable ambition de spécialisation laitière, notamment
en l'absence du savoir-faire technique. Seuls les deux premiers types
répondent aux attentes des décideurs en obtenant des
résultats tant techniques qu'économiques assez proches de ce qui
a été relevé dans d'autres régions du pays
[LAKHDISSI et al., 1985 ; SRAÏRI et KESSAB, 1998 ;
SRAÏRI et EL KHATTABI, 2001]. En revanche, pour les autres types, la
production de viande s'impose comme une activité concomitante, parfois
même dominante, le lait devant même parfois être
considéré comme un sous-produit. Les responsables des usines
laitières sont donc en droit de se poser la question de la
durabilité et des perspectives de la production laitière.
Le premier phénomène à considérer
avec attention est lié au fait que, en dehors des élevages
laitiers spécialisés (GL et PL), le troupeau bovin des autres
systèmes est typiquement polyfonctionnel, c'est-à-dire (i)
très complémentaire des activités proprement agricoles
(utilisation des fourrages et sous produits, producteur de fumier notamment
pour les parcelles en maraîchage intensif) (ii) assurant les besoins
laitiers familiaux (lait, petit lait fermenté ou l'ben,
beurre), (iii) valorisant la main d'oeuvre familiale sous employée,
(iv) assurant les à-coups de la trésorerie (vente de lait, des
veaux), et (v) appuyant les investissements lourds par la vente des vaches,
taurillons ou génisses au moment opportun.
L'autre problème d'importance concerne la mise en
marché du lait et le recul général de la collecte
industrielle de lait dans le périmètre du Gharb, exacerbé
par l'amplification du phénomène de colportage. Les centres de
collecte coopératifs, qui ont joué un rôle clef dans
l'émergence de la filière lait, marquent en effet le pas.
N'étant que peu éligibles aux crédits bancaires, ces
coopératives ne disposent que de capitaux limités pour
développer d'autres activités au profit de leurs adhérents
et peu réussissent à s'affranchir de l'administration. Un autre
dysfonctionnement concerne la régularité des apports et le
degré de fidélité des éleveurs vis-à-vis de
ces coopératives, à l'image de ce qui a été
relevé dans la région limitrophe de Tiflet [SRAÏRI et
MEDKOURI, 1999]. Les usines laitières insuffisamment
équipées en matériel de stockage et de transformation
(poudre de lait notamment) gèrent difficilement les excédents
laitiers du printemps et ont pour habitude de refouler sans préavis les
apports en provenance des centres de collecte qui bloquent à leur tour
les livraisons des producteurs...contraints de passer par les colporteurs. De
nombreux éleveurs, face à ces incertitudes, manifestent leurs
réticences à produire davantage de lait s'ils sont si mal
récompensés de leurs efforts : pas de prime à la
qualité, pénalités d'origine douteuse et prix n'ayant pas
évolué depuis plus de 10 ans [SRAÏRI et ILHAM, 2000].
Certains en viennent à créer leur propre mini-laiterie pour
garantir un débouché fiable et rémunérateur. Depuis
une dizaine d'années, on voit ainsi monter en puissance des circuits
parallèles dits « informels » dans certaines
régions, mais en vérité fort bien équipés
(camionnettes, bacs réfrigérateurs, boutiques pour la vente en
direct de produits transformés...) et organisés pour la collecte
directement auprès des producteurs. Incapables de faire face à
cette concurrence, certains centres de collecte ont fermé et la
principale usine laitière du Gharb (coopérative Colait-Extralait)
s'en est trouvée fortement fragilisée, outre ses problèmes
de gestion interne. La ville de Kénitra est à présent
approvisionnée à hauteur de 25 % par des colporteurs
organisés, efficaces et, pour une partie d'entre eux, respectueux de
l'hygiène.
Lait et viande peuvent donc être en situation de
concurrence et ce n'est pas le moindre paradoxe de voir ces éleveurs,
dotés en troupeaux de races laitières spécialisées,
accorder de plus en plus d'intérêt à la production de
viande. On a vu que dans la plupart des troupeaux (hors GL), les veaux sont
tous conservés. Toutefois, seuls les mâles sont engraissés,
selon un même modèle (5 mois en stabulation, paille et
concentrés) pour dégager une marge brute d'environ 500
DH/taurillon. D'un type à l'autre on note des stratégies un peu
différentes : les jeunes promoteurs (PL) n'engraissent au mieux
qu'un à deux mâles par an, les systèmes
agriculture-élevage (types PLP) gardent toutes leurs génisses et
vendent quelques mâles maigres pour assurer l'engraissement des autres
sans trop prélever dans le disponible fourrager, tout en
préservant le potentiel laitier de leur unité...ce que les
élevages PLS et RBLS (riz - bersim) ne font plus, en
privilégiant la viande. En système allaitant, le choix se porte
évidemment sans concurrence possible vers la production de viande.
La mise sur pied d'un programme d'appui technique aux
éleveurs doit donc nécessairement tenir compte de ces
différences entre types. Compte tenu de la priorité
affichée par les services techniques pour une production laitière
destinée à l'industrie, il est clair que les types GL et PL sont
les plus susceptibles de s'accaparer l'aide technique. Celle-ci devrait se
concrétiser par l'affectation d'agents sur le terrain en phase avec les
éleveurs, car pour l'heure ces derniers sont rares à signaler des
visites de techniciens du développement. Cet encadrement
rapproché doit s'intéresser en premier lieu à la conduite
alimentaire des vaches laitières, puisqu'à l'instar de ce qui est
rapporté dans d'autres régions du pays, les périodes de
soudure et la méconnaissance des méthodes de rationnement et de
conservation des fourrages continuent de générer des manques
à gagner importants [GUESSOUS, 1991]. A cet égard, le Gharb
étant un important pôle de production agroalimentaire (sucreries,
conserveries...), une valorisation plus importante des sous-produits
industriels devrait être favorisée.
En revanche, il faut que ces mêmes services techniques
chargés de la vulgarisation agricole reconnaissent à la
production de viande une totale légitimité. Les
périmètres irrigués de cette zone ont permis
l'émergence d'un système d'élevage bovin de type mixte et
non pas « laitier intensif » qui, dans un certain nombre de
systèmes, profite de la complémentarité entre agriculture
et élevage. Les élevages concernés, les plus nombreux
comme on l'a vu, réclament donc une aide et des conseils
spécifiques pour gérer au mieux cet équilibre lait/viande
qui est véritablement la marque de ces systèmes qui pour survivre
doivent être d'une grande adaptabilité. Rien ne s'oppose en
vérité à ce que les élevages laitiers intensifs
spécialisés et les élevages mixtes associés
à l'agriculture se partagent harmonieusement l'espace agraire...et les
aides.
III - 4 Analyse comparative des systèmes
d'élevage bovin en zones irriguée et suburbaine
III-4-1 Introduction
La politique poursuivie par les pouvoirs publics en
matière d'élevage bovin au Maroc a toujours
considéré les périmètres irrigués comme le
fer de lance de toute amélioration de la production laitière,
tant il est vrai que l'irrigation devrait permettre d'amenuiser les effets des
épisodes de sécheresse que connaît le pays
fréquemment et de favoriser la constitution de stocks de fourrages.
Toutefois, depuis le lancement du Plan laitier, en 1975, et plus
récemment, aucune étude sérieuse n'a mis l'accent sur la
spécificité comparée de la production laitière en
zones irriguées par rapport aux régions pluviales et suburbaines
du pays. A cet égard, le présent travail vise ainsi à
établir une comparaison entre des étables communes dans le
périmètre irrigué du Gharb par rapport à leurs
homologues dans la ceinture suburbaine de Rabat - Salé. Il s'agira en
fin de compte d'identifier si les similarités observées lors de
l'établissement de typologies d'étables dans chacune des deux
zones considérées distinctement sont réelles ou si elles
sont approximatives. En d'autres termes, cela revient à évaluer
la pertinence du discours technique des planificateurs de l'élevage
laitier par rapport aux atouts supposés de l'irrigation en
matière de promotion de production bovine intensive en conditions
marocaines. A l'opposé, il se pourrait que des pratiques
d'élevage issues des périodes antérieures au lancement du
Plan laitier, à un moment où seule une culture d'élevage
allaitant était fortement présente dans tout le pays, aient eu
une forte rémanence et qu'elles se soient érigées en
obstacle majeur à l'efficience de la production laitière,
même en zones irriguées réputées favorables.
III-4-2 Méthodes de travail
III-4-2-a Echantillon d'étude
Un ensemble de 118 éleveurs de bovins (70 dans le
périmètre irrigué du Gharb et 48 dans la région
suburbaine de Rabat - Salé) ont été
sélectionnés d'un commun accord avec les associations
régionales des éleveurs laitiers. La seule condition
considérée pour ce choix était la production de lait sans
prendre en compte la structure du cheptel ou le niveau d'intensification
laitière. Les proportions par type d'élevage (taille du cheptel
et superficie agricole exploitée) ne reflètent pas la
réalité, puisque délibérément, un nombre
important d'étables de grande taille (plus de 10 ha et plus de 20
bovins) a été retenu, dans les deux régions, afin de
disposer d'un nombre suffisant d'individus représentatifs de la
diversité des situations d'élevage. Toutefois, sur le terrain, il
est évident que les grandes étables étaient nettement
moins bien représentées que ce qui est décrit dans ce
travail. En conséquence, les résultats de cette étude
pourraient ne pas respecter la distribution proportionnelle des
différentes tailles d'exploitations, particulièrement en relation
avec les paramètres de structure (superficie et effectifs animaux). En
fait, les données récentes provenant du dernier recensement
général de l'agriculture au Maroc montrent que 84 % des
bovins sont détenus par de petites structures, avec moins de 3 bovins
évoluant sur moins de 5 ha de superficie agricole [MADRPM, 1998a].
D'un commun accord avec les éleveurs retenus, un suivi
d'étable a été instauré. Les données
relatives au fonctionnement de l'atelier laitier (alimentation des vaches, type
de traite, traitements vétérinaires et reproduction du cheptel)
et leurs répercussions sur l'économie d'élevage ont
été collectées. Un questionnaire de 10 pages a
été rempli pour chaque élevage suite à 4 passages
de travail par exploitation. Ces visites étaient séparées
d'environ 90 jours pour l'évaluation des résultats globaux des
élevages tant sur le plan de la production laitière que de la
reproduction et des résultats économiques (bénéfice
par vache à l'issue de la campagne agricole).
Dans une étape préliminaire du traitement des
données obtenues, nous avons procédé à une analyse
de la variance testant l'effet fixe de la région par rapport aux
paramètres de productivité et de rentabilité des
élevages. A cet égard, le logiciel Minitab a été
utilisé [MINITAB, 2002].
III-4-2-b Comparaison intra et inter région
Une typologie générale des systèmes
d'élevage laitier prévalant dans les deux régions a
été établie. Elle a pris en compte les
éléments fondateurs d'un système d'élevage,
à savoir l'éleveur (ses revenus, son patrimoine et son
historique), le cheptel (sa composition, sa dynamique et ses performances), et
les ressources mobilisées pour la production laitière. Les
analyses statistiques ont été effectuées grâce au
logiciel SAS [SAS, 1998]. En premier lieu, un total de 12 variables
quantitatives ont été identifiées pour la description des
fermes laitières et de leurs activités durant la campagne
agricole 2000/2002. Des analyses en composantes principales ont alors servi
à détecter les variables qui caractérisaient le mieux les
échantillons d'étables dans chaque région. A ce stade, il
est alors apparu que deux fermes dans chaque région présentaient
des caractéristiques structurelles nettement différentes de la
moyenne, résultant en un axe de taille à intérêt
synthétique limité, puisque discriminant entre grandes fermes et
étables entre les mains de petites structures,
généralement paysannes. Par conséquent, nous avons
décidé de mettre à l'écart ces 4 exploitations, et
nous avons de nouveau effectué une ACP. Il est alors devenu
évident que les variables principales expliquant le comportement des
exploitations laitières n'avaient plus aucune relation avec les
paramètres de taille, mais qu'elles étaient liées au mode
d'alimentation du cheptel bovin, au rendement laitier et au poids des ventes de
bovins par rapport au chiffre d'affaires global. Un groupe de 10 variables a
été finalement adopté, pour la caractérisation
définitive de la diversité des pratiques d'élevage
rencontrées (Tableau 21).
Tableau 21. Variables décrivant les fermes
laitières des zones suburbaine de Rabat - Salé et irriguée
du Gharb et leurs symboles
Variables
|
Symbole
|
Charge Bovine (ha de fourrages/vache)
|
Charge
|
Variation d'inventaire Relative (en UGB)
|
VIR
|
Moyenne économique (kg de lait par vache par an)
|
ME
|
Unités Fourragères Lait des Concentrés
par kg de lait
|
UFL cc/kg lait
|
Unités Fourragères Lait des Concentrés
par vache et par an
|
UFK cc/v/an
|
Fourrages /concentrés dans le bilan
énergétique (%)
|
FCC
|
Valeur des Animaux par rapport au lait (% des ventes)
|
VAL
|
Charges Alimentaires sur Total des Intrants
|
CAT
|
Prix de Revient du kg de lait
|
PRK
|
Bénéfice par Vache
|
BV
|
Il s'est alors avéré que les axes factoriels
obtenus pour les deux régions avaient sensiblement la même
signification, nous incitant à effectuer une ACP globale qui permettrait
d'obtenir une vision générale relative aux 114 exploitations
situées tant en périmètre irrigué qu'en zone
suburbaine. Par la suite, afin de mieux expliquer l'effet éventuel de la
situation géographique (suburbain par rapport irrigué), nous
avons appliqué une ACP inter région grâce au logiciel
spécifique aux analyses multidimensionnelles, ADE-4 [THIOULOUSE et
al., 1997]. A l'issue de cette étape, nous avons
éliminé l'effet de la région en utilisant une ACP intra
région [DOLÉDEC et CHESSEL, 1997]. En fin de compte, nous avons
réalisé une classification ascendante hiérarchique
générale (critère de Ward pour l'analyse
hiérarchique) sur les scores des 114 exploitations issues de l'ACP intra
région (sans effet région). L'objectif était
d'établir une typologie dénuée de tout biais lié
à la situation géographique. Quatre classes d'exploitations
agricoles pratiquant l'élevage laitier ont alors été
définies.
III-4-3 Résultats et discussion
III-4-3-a Aperçu général sur les
caractéristiques des exploitations et des performances
laitières
Les paramètres moyens décrivant les
exploitations agricoles retenues dans ce travail sont rapportés dans le
tableau 22. En raison de la présence dans l'échantillon
étudié de fermes à paramètres structurels
très dispersés, la moyenne pour les paramètres de taille
(effectifs bovins et superficie agricole) était supérieure
à l'écart - type. Par exemple, il y avait 16,3 #177; 52,8 ha de
superficie arable par exploitation agricole avec plus de 80 % des fermes
utilisant moins de 25 % de la surface agricole totale. Dans le
périmètre irrigué du Gharb, la sole fourragère
représentait 18 % de la surface totale et était
emblavée principalement en bersim (Trifolium alexandrinum)
qui occupe 60 % de la superficie fourragère, suivi de la luzerne et
du maïs (tous trois bénéficiant d'irrigations d'appoint).
Dans la zone suburbaine de Rabat - Salé, les fourrages
représentent 31,7 % de la superficie totale et étaient à
base de cultures pluviales telles que l'avoine, l'orge et les lupins, avec un
complément de cultures irriguées estivales (luzerne et maïs)
dans 32 exploitations.
Il y a en moyenne 9,6 #177; 14,3 vaches par ferme
étudiée. Comme pour la superficie arable, il est possible de
constater une importante variabilité dans les effectifs de vaches en
raison du choix dans l'échantillon de fermes de situations très
diverses (fermes spécialisées, fermes étatiques, petites
exploitations...). La structure génétique du cheptel bovin est
dominé par les vaches des races Holstein et Frisonne (77 % des effectifs
totaux), suivies des vaches de type croisé « locales x
Holstein ou Frisonne » (21 %) et des vaches des populations locales
(2 %). Le rendement laitier moyen par vache était de 2 844 #177; 1 105
kg. L'analyse de l'alimentation des vaches a montré que les fourrages ne
représentaient que 59,7 % de l'énergie dérivée des
concentrés.
Tableau 22. Paramètres moyens de structure et de
fonctionnement décrivant les 118 fermes laitières
étudiées dans les zones suburbaine et irriguée.
Variables
|
Minimum
|
Moyenne #177; é.t.
|
Maximum
|
|
|
|
|
Superficie agricole utile, SAU (ha)
|
0,0
|
16,3 #177; 52,8
|
388
|
Superficie fourragère, SF (ha)
|
0,0
|
4,38 #177; 4,07
|
20,8
|
Charge (ha de fourrage/vache)
|
0,0
|
0,38 #177; 0,42
|
3,4
|
Effectifs de vaches
|
1
|
9,6 #177; 14,3
|
106
|
Moyenne économique, ME (kg/vache)
|
727
|
2 844 #177; 1105
|
6 602
|
Concentrés/kg de lait, UFL cc/kg lait
|
0,09
|
0,70 #177; 0,55
|
2,3
|
Concentrés/vache/an, UFL cc/v/an
|
159,6
|
1 734 #177; 757
|
3 959,1
|
Ratio Fourrages/Concentrés FCC (%)
|
12,2
|
59,7 #177; 50,2
|
83,3
|
Ratio Bovins/Lait, VAL (% de ventes)
|
8,3
|
62,0 #177; 71,3
|
76,9
|
Aliments/Charges totales, CAT (%)
|
44,1
|
80,4 #177; 14,7
|
98,9
|
Prix de revient du kg de lait, PRK (DH)
|
1,6
|
3,6 #177; 1,9
|
11,2
|
Bénéfice par vache, BV (DH)
|
- 9 652
|
1 611 #177; 2584
|
12 522
|
L'importance quantitative des concentrés
combinée à leur diversité qualitative (son de blé,
pulpes déshydratées de betterave et d'agrumes, orge grain,
maïs, tourteaux de tournesol et de soja) dans des formules alimentaires
très variables, a souvent résulté en des rations
alimentaires déséquilibrées. Les concentrés
servaient alors beaucoup plus d'aliments de base plutôt que de
compléments aux fourrages et contribuaient alors plus à la
satisfaction des besoins d'entretien des vaches plutôt qu'à la
production laitière à proprement parler, surtout dans les
situations (fermes à fortes charges animales à l'hectare et
saisons défavorables) de carences chroniques en fourrages. Le lait est
principalement vendu à travers un réseau de colportage local au
prix moyen d'environ 3,2 DH par litre dans l'environnement suburbain, tandis
qu'au Gharb, du fait de l'absence de marchés potentiels à
proximité, il est écoulé en majeure partie à
travers les centres de collecte coopératifs au prix moyen de 2,8 DH.
Les performances de reproduction du cheptel n'ont pu
être calculées que pour 117 vaches, en raison de l'absence de
fichiers de données régulièrement tenus sur les
exploitations. Ces performances étaient quelque peu décevantes,
avec un intervalle moyen entre vêlages de 429 jours. Le
bénéfice par vache était très variable, de positif
(12 522 DH) à déficitaire (- 9 650 DH), avec une moyenne de 1 610
DH. Les charges liées à l'alimentation du cheptel
représentaient 78,6 % des charges totales, témoignant de
l'importance des pratiques alimentaires, non seulement sur les résultats
économiques globaux mais aussi par rapport à la stratégie
générale d'élevage adoptée par les gestionnaires
d'étables.
III-4-3-b Evaluation des différences entre
régions de l'activité laitière des exploitations
agricoles
Une comparaison générale des statistiques
élémentaires décrivant les étables de Rabat -
Salé et celles du Gharb est représentée au tableau 23.
Elle montre de prime abord, que les variables liées à
l'intensification de la production laitière (rendement par vache,
allocation en concentrés par vache, effectifs de vaches par troupeau et
ratio des ventes du lait par rapport aux ventes totales) sont plus
élevées dans la région de Rabat - Salé par rapport
au périmètre du Gharb. Ce résultat semble paradoxal par
rapport aux atouts que présente le Gharb, puisque ce
périmètre, avec son infrastructure d'irrigation, devrait
être plus propice à la production de fourrages et donc garantir de
meilleures conditions pour un élevage laitier intensif.
Tableau 23. Comparaison générale des fermes
laitières au périmètre irrigué du Gharb et dans la
ceinture suburbaine de Rabat - Salé.
Paramètres
|
Moyenne #177; écart type
|
|
Rabat - Salé
|
Gharb
|
|
|
|
Charge (ha de fourrages/vache)
|
0,53 #177; 0,67
|
0,47 #177; 0,42
|
Variation d'inventaire Relative, VIR (%)
|
-0,22 #177; 0,85
|
-0,06 #177; 0,52
|
Moyenne Economique, ME (kg/vache)
|
3 219 #177; 1 087a
|
2 588 #177; 1 121b
|
Concentrés/kg de lait, UFL cc/kg lait
|
0,73 #177; 0,28a
|
0,59 #177; 0,38b
|
Concentrés/vache/an, UFL cc/v/an
|
2 209 #177; 758a
|
1 187 #177; 760b
|
Ratio Fourrages/Concentrés, FCC (%)
|
60,6 #177; 63,1b
|
116,0 #177; 126,2a
|
Ventes de bovins/ ventes de lait, VAL (%)
|
52,2 #177; 86,3
|
73,0 #177; 81,9
|
Charges alimentaires/charges totales, CAT (%)
|
81,0 #177; 15,1
|
77,8 #177; 14,5
|
Prix de revient du kg de lait, PRK (DH)
|
3,8 #177; 1,8
|
3,4 #177; 1,9
|
Bénéfice par vache, BV (DH)
|
1 553 #177; 4 287
|
1 777 #177; 3 472
|
a,b Les moyennes avec des lettres
différentes sur la même ligne sont significativement
différentes (P<0,05).
Au contraire, les étables du périmètre du
Gharb semblent adopter des pratiques d'élevage plus extensives que
celles de Rabat - Salé, avec des ventes de bovins plus importantes
(73 % de la valeur du lait vendu par rapport à 52,3 % à
Rabat - Salé), une moindre utilisation de concentrés alimentaires
par vache (1 188 UFL contre 2 209 UFL à Rabat - Salé),
et des rendements laitiers par vache inférieurs (2 588 kg contre
3 218 kg à Rabat - Salé). De plus amples analyses des
pratiques adoptées par les éleveurs montrent que dans 45
étables du Gharb, un arrêt total de la distribution de
concentrés aux vaches a été observé dès que
le fourrage principal (bersim) devient disponible (du mois de novembre à
la fin du mois de mai). Ceci y résulte en une contribution plus
importante des fourrages à l'apport énergétique global
(ratio Fourrages/Concentrés de 116,0 contre 60,6 % à Rabat -
Salé). Dans la zone de Rabat - Salé, de telles pratiques
étaient totalement absentes, puisque toutes les étables ont
distribué des concentrés, tout le long de l'année, en
quantités variables.
Il n'y avait pas d'écarts importants entre les deux
régions vis-à-vis du bénéfice moyen
dégagé par vache (1 553 DH à Rabat - Salé et 1 777
DH au Gharb). Les deux régions ont présenté des valeurs de
rentabilité par vache très variables, avec pour les deux des
écart - types supérieures au double de la moyenne. Les
résultats économiques moyens par vache sensiblement plus
élevés au Gharb pourraient être expliqués par les
ventes plus intensives de bovins dans les étables de cette
région.
Cette comparaison préliminaire des styles
d'élevage entre les deux régions n'est cependant basée que
sur une analyse de moyennes générales. Or, comme tous les
paramètres décrivant les fermes sélectionnées sont
caractérisés par une ample variabilité (moyenne
généralement inférieure à l'écart type), des
analyses statistiques complémentaires seraient nécessaires pour
ordonner les observations par rapport aux groupes de variables les plus
déterminantes et pour se focaliser concrètement sur l'effet
éventuel de la région. Ceci affinerait les comparaisons et
permettrait ensuite de se débarrasser des effets liés à la
région afin d'entreprendre une classification non biaisée des
élevages laitiers.
III-4-3-c Résultats des analyses statistiques
multidimensionnelles
A l'issue de la mise à l'écart des 4 fermes aux
caractéristiques de taille trop écartées du reste, une ACP
générale a été appliquée aux 114
étables restantes. Les trois premiers axes factoriels obtenus ont ainsi
expliqué 69,9 % de la variation totale.
.
L'axe 1 avec 29,4 % de la variation totale
caractérise concrètement les pratiques d'alimentation du
cheptel bovin sur les exploitations. Il est fortement
corrélé aux variables « Concentrés par kg de
lait , UFL cc/kg lait» et « Ratio Fourrages sur
Concentrés dans le bilan alimentaire global, FCC ». Cet axe va donc
différencier les exploitations à fortes consommations de
concentrés par kg de lait et à faibles utilisation de fourrages
dans l'alimentation des vaches, de celles à caractéristiques
opposées.
L'axe 2 représente 21,7 % de la variation totale.
Il peut être considéré comme un axe reflétant
l'intensification laitière, puisque uniquement corrélé
à la variable « Moyenne Economique, ME ». Il va donc
opposer les fermes avec un important rendement laitier par vache à
celles avec des vaches moins productives.
L'axe 3 constitue 18,7 % de la variation totale. Il est
surtout corrélé aux variables reflétant le poids des
ventes de bovins dans les fermes étudiées, telles que
« valeur des animaux par rapport au lait, VAL » et
« Variation d'Inventaire Relative, VIR ». Par
conséquent, cet axe discrimine les élevages avec d'importantes
ventes de bovins et des variations de stock négatives des fermes avec
des caractéristiques orientées vers l'augmentation de stocks
animaux et la réduction des ventes de bovins.
Cette ACP globale sur les 114 étables des deux
régions ne permet pas de différencier les étables selon
leurs performances économiques. C'est pourquoi, nous avons opté
pour un approfondissement de l'étude des différences
régionales par la mise en oeuvre d'analyses inter et intra
régionales, afin de clarifier, d'une part, l'ampleur de cet effet de la
région, et d'autre part, d'éliminer cet effet de la
région.
Une ACP inter régions a été
appliquée au jeu de données en vue de mettre en relief un
éventuel impact de la région sur les caractéristiques
d'élevage laitier. Un seul axe factoriel en est résulté,
avec un test de Mantel très significatif (P < 0,05). L'illustration
graphique de cette ACP inter région est représentée dans
les figures 16 et 17.
UFL cc/
kg lait
UFL cc/
v/an
Charge
PRK
BV
VIR
VAL
FCC
ME
CAT
Axe factoriel 1
- +
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; Charge :
Charge bovine exprimée en ha de fourrages par vache ; FCC : Rapport
Fourrages sur Concentrés dans le bilan alimentaire ; ME :
Moyenne Economique ; PRK : Prix de revient du kg de lait ; UFL
cc/ kg lait : Unités Fourragères Lait par kg de lait ; UFL
cc/v/an : Unités Fourragères Lait des concentrés par
vache et par an ; VAL : Valeur des ventes d'animaux par rapport au
lait ; VIR : Variation d'inventaire Relative.
Figure 16. Projection des variables sur l'axe factoriel issu
de l'ACP inter régions.
Il apparaît de ces deux figures que les exploitations de
la région du Gharb sont liées à toutes les variables
retenues pour caractériser le fonctionnement des élevages
laitiers, ce qui confirme que cette région groupe une plus large gamme
de types d'élevages bovins par rapport à la zone suburbaine de
Rabat - Salé. Cette dernière, comme nous l'avions
déjà évoqué à l'analyse des moyennes par
zone, semble au contraire plus liée aux variables reflétant
l'utilisation des concentrés et leurs effets sur la production
laitière (moyenne économique), ce qui constituerait une
indication préliminaire sur une intensification relative de la
production laitière dans cette zone.
Ces résultats impliqueraient que la
spécialisation laitière souhaitée par les organismes de
développement après le lancement des mesures du « Plan
Laitier » est loin d'avoir été atteinte. En fait, la
production laitière semblerait plus intensive dans la ceinture
périurbaine de Rabat - Salé, même avec moins de fourrages
de bonne qualité par vache.
Axe factoriel 1
- +
Figure 17. Projection des exploitations des régions
suburbaine de Rabat - Salé (R) et irriguée du Gharb (G) sur l'axe
factoriel issu de l'ACP intra régions.
L'ACP intra région a été effectuée
en vue d'éliminer les effets liés à la localisation
géographique. Les résultats qui en découlent montrent que
les trois premiers axes représentent 68,3 % de la variabilité
totale (Tableau 24). L'interprétation de la signification de ces trois
axes peut être obtenue à partir des corrélations qui les
lient aux variables (figure 18).
Tableau 24. Résultats de l'ACP intra
région : définition des axes.
Axe
|
Corrélation des variables aux axes
|
Proportion
|
Variation cumulée
|
|
Variables
|
Corrélation à l'axe
|
(%)
|
(%)
|
|
|
|
|
|
1
|
UFL cc/kg lait
|
0,71
|
|
|
|
PRK
|
0,62
|
29,0
|
29,0
|
|
|
|
|
|
2
|
VIR
|
0,66
|
|
|
|
BV
|
0,53
|
21,0
|
50,0
|
|
|
|
|
|
3
|
UFL cc/v/an
|
0,48
|
|
|
|
ME
|
0,46
|
18,3
|
68,3
|
BV : Bénéfice par Vache ; ME : Moyenne
Economique ; PRK : Prix de Revient du kg de lait ; UFL cc/kg
lait : Unités Fourragères Lait des concentrés par kg
de lait ; UFL cc/v/an : Unités Fourragères des
concentrés par vache et par an ; VIR : Variation
d'inventaire.
L'axe 1, avec 29,0 % de la variation totale, reflète
l'efficience économique de valorisation des concentrés
alimentaires en lait (corrélé fortement aux variables
« Prix de Revient du kg de lait, PRK » et
« Unités Fourragères issues des concentrés par
kg de lait, UFL cc/kg lait »). Cet axe va logiquement opposer les
fermes qui gaspillent des concentrés et auront par conséquent des
prix de revient du kg de lait élevés, à d'autres qui
extériorisent de meilleures valorisations métaboliques de
l'énergie des concentrés en lait avec des prix de revient du lait
limités.
L'axe 2 (21,0 % de la variation globale) est encore plus
lié à l'économie de l'élevage
laitier, puisque corrélé aux variables Variations
d'Inventaire Relative « VIR », et
Bénéfice par Vache « MBV ».
Axe 2
Finalement l'axe 3 (18,3 % de la variation) est liée
à l'intensification laitière, à travers
sa liaison à la variable Unités Fourragères des
Concentrés consommées par vache et par an « UFL
cc/v/an », et ses conséquences sur le rendement laitier par
vache ou Moyenne Economique « ME ». Aussi, cet axe est-il
caractéristique des fermes avec des rendements laitiers moyens par vache
élevés et des consommations de concentrés
supérieures à la moyenne.
Axe 1
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; Charge :
Charge bovine exprimée en ha de fourrages par vache ; FCC : Rapport
Fourrages sur Concentrés dans le bilan alimentaire ; ME :
Moyenne Economique ; PRK : Prix de revient du kg de lait ; UFL
cc/kg lait : Unités Fourragères Lait par kg de lait ; UFL
cc/v/an : Unités Fourragères Lait des concentrés par
vache et par an ; VAL : Valeur des ventes d'animaux par rapport au
lait ; VIR : Variation d'inventaire Relative.
Figure 18. Projection des variables techniques et
économiques caractérisant les fermes laitières sur le plan
principal défini par l'ACP intra régions.
Ainsi, il apparaît qu'avec la mise à
l'écart de l'effet région, à travers l'ACP
intra région, l'interprétation des axes a
évolué pour rassembler toutes les caractéristiques des
étables, notamment les aspects de rentabilité qui se trouvent mis
en exergue. En effet, avec l'ACP globale, qui ne tenait pas compte des
différences entre régions, la rentabilité de
l'élevage laitier n'était pour ainsi dire pas prise en compte.
La dernière étape de cette série
d'analyses multidimensionnelles a visé la constitution d'une typologie
générale de ces 114 exploitations étudiées,
à travers les scores obtenus par l'ACP intra-régions. Quatre
groupes d'exploitations laitières ont été définis.
Les résultats de la classification ascendante hiérarchique
établie sont reportés au tableau 25.
Tableau 25. Caractéristiques moyennes des types
d'élevage bovin identifiés par la classification ascendante
hiérarchique.
Groupe
|
a
|
b
|
c
|
d
|
|
|
|
|
|
Nombre de fermes
|
41
|
40
|
26
|
7
|
Charge (ha fourr./v)
|
0,4 #177; 0,4
|
0,4 #177; 0,4
|
0,4 #177; 0,5
|
1,7 #177; 1,0
|
VIR (%)
|
- 0,6 #177; 0,7
|
0,1 #177; 0,3
|
0,3 #177; 0,5
|
0,3 #177; 0,6
|
ME (kg de lait/vache)
|
2 334 #177; 805
|
3 731 #177; 888
|
2 163 #177; 681
|
2 655 #177; 825
|
UFL cc/kg lait
|
1,54 #177; 0,74
|
0,97 #177; 0,29
|
1,08 #177; 0,48
|
0,45 #177; 0,44
|
UFL cc/v/an
|
2 819 #177; 1 150
|
3 148 #177; 1 355
|
2 117 #177; 1 316
|
988 #177; 1 134
|
FCC (%)
|
98,4 #177; 87,5
|
98,6 #177; 86,3
|
167,4 #177; 158,2
|
685,4 #177; 425,2
|
VAL (%)
|
122,6 #177; 94,0
|
24,3 #177; 20,5
|
11,7 #177; 22,4
|
116,1 #177; 71,2
|
CAT (%)
|
83,3 #177; 14,5
|
73,7 #177; 11,9
|
86,7 #177; 11,5
|
60,2 #177; 15,8
|
PRK (DH/kg de lait)
|
4,3 #177; 2,1
|
2,4 #177; 0,5
|
4,0 #177; 1,5
|
2,5 #177; 0,9
|
BV (DH/vache)
|
2 289 #177; 4 143
|
2 489 #177; 2 261
|
- 2 311 #177; 2 790
|
4 684 #177; 2 728
|
BV : Bénéfice par Vache ; CAT :
Charges Alimentaires par rapport aux charges Totales ; Charge :
Charge bovine exprimée en ha de fourrages par vache ; FCC : Rapport
Fourrages sur Concentrés dans le bilan alimentaire ; ME :
Moyenne Economique ; PRK : Prix de revient du kg de lait ; UFL
cc/kg lait : Unités Fourragères Lait par kg de lait ; UFL
cc/v/an : Unités Fourragères Lait des concentrés par
vache et par an ; VAL : Valeur des ventes d'animaux par rapport au
lait ; VIR : Variation d'inventaire Relative.
L'interprétation des résultats de la
classification ascendante hiérarchique montre que le groupe (a) est
constitué de 40 exploitations pour lesquelles les variables Prix de
Revient du kg de lait « PRK » et Unités
Fourragères des concentrés par kg de lait « UFL
cc/kglait » sont largement supérieures à la moyenne. Ce
sont aussi des exploitations qui affichent des valeurs supérieures
à la moyenne pour la variable Variation d'Inventaire Relative
« VIR ». Par conséquent, les exploitations de ce
groupe (a) seront projetées principalement sur la partie négative
des deux axes 1 et 2 de l'ACP intra-régions. Ces fermes laitières
peuvent ainsi être considérées comme gaspilleuses
de concentrés avec des ventes massives de bovins pour
réaliser l'équilibre économique, sans aucune
spécialisation en lait.
Le groupe (b) rassemble 41 fermes. Leur caractéristique
principale est la recherche de rendement laitier (3 731
kg/vache) par rapport à une moyenne générale de 2 844
kg/vache. Les consommations de concentrés par kg de lait sont
réduites. Ces exploitations seront donc principalement projetées
positivement sur les axes 1 et 3 de l'ACP intra-régions. Toutefois, la
rentabilité moyenne par vache demeure modérée en raison de
ventes de bétail moins importante que dans le premier groupe.
Le groupe (c), avec 26 fermes, représente les
fermes déficitaires. Toutes les fermes le constituant sont
projetées exclusivement sur la partie positive de l'axe 2, tandis que
leurs autres caractéristiques sont proches de la moyenne
générale pour tout l'échantillon de fermes
étudiées. Ce groupe rassemble donc les fermes déficitaires
eu égard à l'atelier d'élevage laitier.
Le groupe (d) est constitué de 7 fermes
d'élevage bovin qui peuvent être qualifiées de
mixtes extensives. Il présente des ateliers de vaches
tous projetés positivement sur l'axe 1 et négativement sur l'axe
3. Il représente donc les fermes avec une importante valeur pour la
variable « Charge » (superficie fourragère par vache
laitière) mais un rendement laitier limité par vache
présente. Le ratio Charges alimentaires par rapport au total des charges
est en conséquent réduit. Les fourrages représentent
près de sept fois (685 %) les allocations en concentrés, dans le
bilan énergétique global. C'est pourquoi ces exploitations
peuvent être davantage considérées comme productrices
extensives de viande bovine que laitières, à l'instar du groupe
des éleveurs extensifs avec un penchant vers la production de viande
distingué dans la typologie effectuée dans le
périmètre irrigué du Gharb.
En analysant la répartition par région des
fermes au sein des groupes identifiés par la classification ascendante
hiérarchique, il s'avère que seul le groupe (d) est typiquement
lié à la région du Gharb, avec six des sept fermes qu'il
contient étant situé dans ce périmètre
irrigué. Les groupes a) (19 étables au Gharb, 21 à
Rabat -Salé), b) (26 du Gharb, 15 de Rabat - Salé) et c) (17
du Gharb, 9 de Rabat - Salé), présentent la
caractéristique commune de rassembler des étables des deux
régions.
IV-4-4-d Discussion des résultats de la
typologie comparative des étables laitières à Rabat -
Salé et dans le Gharb
L'ACP inter régions a mis en exergue des
différences quant aux pratiques d'élevage, principalement
liées à l'usage des concentrés, entre la région
suburbaine de Rabat - Salé et le périmètre irrigué
du Gharb. Une tendance similaire a été rapportée par
EDDEBBARH [1986] lorsqu'il a comparé des étables du Gharb
à des élevages laitiers de la ville de Fès, au Maroc. Cet
auteur a aussi trouvé des rendements laitiers annuels par vache plus
élevés en zone suburbaine (2 525 kg) par rapport à ceux
enregistrés en périmètre irrigué (1 654 kg),
notamment grâce à un usage plus important de concentrés.
En éliminant l'effet région, grâce
à une ACP intra région, il apparaît que toutes les
variables caractérisant les exploitations sont bien
représentées (rendement laitier par vache, rentabilité et
pratiques alimentaires). La typologie réalisée par une
classification hiérarchique montre que les fermes des trois premiers
groupes constituent 105 des 114 exploitations étudiées. Ces trois
groupes illustrent des échantillons très divers de
stratégies d'élevage laitier : des fermes qui gaspillent des
concentrés et qui ont recours à des ventes de bovins pour
accéder à l'équilibre économique (groupe a), des
fermes qui réalisent des rendements laitiers élevés par
vache et se dispensent de ventes d'animaux (groupe b) et enfin des fermes avec
un important déficit économique par vache (groupe c). Il n'a pas
été noté de lien spécifique entre un groupe
donné et une location géographique, ce qui confirme les
assertions de MEYER et DENIS [1999] à propos de la diversité des
systèmes d'élevage laitier en pays du Sud. Selon ces auteurs,
cette variabilité des performances et des modes d'élevage bovin
est bien plus en relation avec l'efficience de conversion des aliments
plutôt qu'avec la disponibilité des aliments ou les
facilités d'irrigation des fourrages.
En fait, avec un rendement moyen en lait de 3 218 kg par
vache, la région de Rabat -Salé réalise une performance
bien meilleure que celle du périmètre irrigué du Gharb.
Toutefois, cette intensification est totalement due à des consommations
plus élevées de concentrés par vache à Rabat -
Salé (2 210 UFL) qu'au Gharb (1 188 UFL). Ce début
d'intensification de la production laitière en zone suburbaine n'est
cependant pas synonyme de spécialisation en lait [SRAÏRI et LYOUBI,
2003]. En effet ces fermes conservent toutes de jeunes mâles à
l'engraissement. L'intensification semble en revanche plus liée aux
facilités de commercialisation du lait dans cette zone. En effet, dans
le périmètre du Gharb, avec les centres de consommation
éloignés des fermes, le lait ne peut être vendu qu'au
travers de centres de collecte collectif à un prix inférieur de
près de 15 % à celui qui est offert par les réseaux de
collecte privée (colporteurs) dans les abords des grandes villes. Ce
genre de situations est très commun dans les pays en voie de
développement et implique l'émergence de « bassin
laitier » dans les banlieues de nombreuses agglomérations
[DEBRAH et al., 1995 ; LOSADA et al., 2000]. Par
conséquent, et même paradoxalement, la production bovine
laitière de type « hors-sol » basée sur des
apports massifs de concentrés, semble économiquement plus
efficace en zones urbaines que dans les périmètres agricoles
irrigués, même si dans ces derniers les fourrages sont plus
abondants. Les exploitations étatiques qui ont été
ôtées des analyses multivariées pour des raisons de taille
du cheptel et de superficie, représentent le pic de cette
intensification laitière reposant sur des quantités massives de
concentrés (3 908 UFL par vache).
Par ailleurs, les exploitations caractérisées
par un rendement laitier très réduit et une orientation
allaitante (groupe d) sont quasi exclusivement situées dans la
région du Gharb (6 sur 7). Ce résultat est en accord avec les
observations précédentes relatives aux différences du prix
du lait à la ferme entre zones rurales, mêmes irriguées, et
ceintures urbaines. Il peut aussi être attribué à des prix
du lait offerts aux éleveurs par les industriels en stagnation depuis
plus de 10 ans [AKESBI, 1997], et aussi par les fréquentes
pénalités, souvent non justifiées, qu'appliquent les
usines laitières aux centres de collecte collectifs [SRAÏRI et
MEDKOURI, 1999]. Toutefois, cette orientation viandeuse d'étables
dotées de vaches de type Holstein, et qui est passible de se renforcer
si les termes du marché du lait frais demeurent tels qu'ils sont,
nécessite des mesures d'accompagnement ciblées (non des moindres,
la constitution d'un cheptel de races à caractères viandeux
meilleurs que la Holstein). En effet, au Maroc, la production de viande
continue d'émaner de troupeaux considérés à tort
comme laitiers, dans un contexte d'absence d'importations de races bovines
à viande.
Dans une optique de développement, il est
évident que des recherches et la vulgarisation adaptées à
la réalité de l'élevage bovin intensif avec des vaches de
type Holstein sont nécessaires. Ceci pour tirer efficacement profit des
populations bovines importées massivement depuis le début des
années septante. A un moment où le conseil technique est rare
pour les éleveurs, en raison du manque de moyens dans les services
d'encadrement zootechnique, des actions à travers des
démonstrations de rationnement même avec des fourrages de
piètre qualité, pourraient être très fructueuses.
Comme les concentrés sont très largement usités, c'est
principalement l'amélioration de l'efficience de leur valorisation en
lait qui demeure la clé de tout progrès. Comme l'a fait remarquer
EDDEBBARH [1986], l'émergence d'une infrastructure de collecte du lait
(centres coopératifs) a déjà stimulé, même
les élevages aux dimensions les plus modestes, à livrer
quotidiennement leur production. Ces mêmes centres pourraient constituer
une plate-forme propice à toute action de vulgarisation ciblée,
pour peu qu'un choix politique clair soit effectué en direction d'une
augmentation de la production laitière locale. Dans le contexte
suburbain, des initiatives privées se sont manifestées pour
un rendement laitier accru et certaines exploitations s'acheminent vers la
spécialisation [SRAÏRI et LYOUBI, 2003]. Cette tendance pourrait se
renforcer pour les fermes qui s'investiraient davantage dans l'augmentation du
prix auquel elles commercialisent leur lait cru, en le transformant en
dérivés (fromages, beurre, petit lait fermenté...), comme
le mentionne DE BOER [1985] dans son analyse des évolutions possibles de
l'élevage bovin dans les pays en développement.
III-4-4 Conclusion
Cette série de suivis d'élevage bovins laitiers
dans deux sites agricoles du Maroc foncièrement différents, a
confirmé la prééminence des facteurs de conduite des
troupeaux sur les paramètres de taille quant à l'efficience
économique et les performances techniques par vache. Elle a aussi
dévoilé que la présence de moyens d'irrigation, avec ce
qu'il en était supposé de bienfaits pour la production
fourragère, n'était pas synonyme d'augmentation de la
rentabilité et encore moins des rendements laitiers par vache. Au
contraire, c'est dans l'abord de l'agglomération urbaine que se
retrouvent les étables les plus productives, stimulées par des
approvisionnements bien plus réguliers et massifs en
concentrés.
Pareils résultats suggèrent que les habituelles
typologies esquissées et qui sont uniquement fondées sur des
paramètres de taille (nombre de vaches et superficie totale de
l'exploitation) sont erronées et incomplètes pour
appréhender la complexité de l'élevage bovin au Maroc. En
outre, ces typologies de taille ne peuvent en aucun cas embrayer sur des
actions efficaces de développement au niveau des élevages bovins,
car elles butent immédiatement sur la réalité crue :
plus de 85 % des vaches sont situées dans des étables de
moins de cinq vaches. Au contraire, en s'intéressant aux pratiques
d'élevage et à leurs incidences, il est alors possible
d'identifier des genres différents de stratégies. Celles-ci
nécessitent des actions ciblées et spécifiques pour
rehausser la rentabilité et la productivité en lait et même
en viande des fermes, étant donné la proportion fort importante
d'élevages mixtes rencontrés. C'est là une condition
sine qua non pour assurer le maintien, voire l'essor, de
l'élevage bovin et de canaliser à bon escient les faibles moyens
encore investis dans la vulgarisation agricole.
III - 5 Synthèse générale des
typologies d'élevage bovin et implications pour des études de
cas
Les trois études précédentes relatives
à l'établissement de typologies d'élevages de bovins dans
deux zones agroécologiques du Maroc ont permis de dresser une image
réelle de la situation du secteur de la production laitière dans
ce pays.
L'idée première était avant tout de
rassembler des données fiables à même de
générer une vision précise des performances de
l'élevage bovin dans deux zones agricoles aux caractéristiques
a priori très différentes. Ceci a permis de
dépasser l'absence de références sur les
réalités de la production bovine au Maroc.
Un deuxième objectif a été d'ordonner et
de hiérarchiser les données ainsi obtenues pour mieux comprendre
les options de production retenues par les éleveurs. Il est ainsi
apparu, de manière synthétique, que l'analyse des modes de
production bovine (lait en intensif, lait à base de fourrages, mixte,
allaitant...) et des objectifs des éleveurs, qui transparaît
à travers les variables d'affouragement, d'intensification et de ventes
des bovins, est bien plus importante que les considérations liées
à la taille des exploitations agricoles. Il en découle que,
quelle que soit la zone considérée, quatre grands groupes
d'élevage ont pu être distingués :
1) un premier groupe constitué d'étables qui
commencent à se spécialiser en production laitière,
à travers des rendements laitiers par vache et par an supérieurs
à 4 000 kg, et qui ne s'appuient que très peu sur les ventes des
bovins pour atteindre des seuils de rentabilité
intéressants ;
2) un deuxième groupe rassemblant des étables
déficitaires en raison d'une insuffisante maîtrise technique des
fondamentaux de la production bovine laitière (rationnement notamment)
conjuguée à la rareté de capitaux ;
3) un troisième groupe qui consiste en des fermes avec
une stratégie de production bovine bien plus extensive que celles du
premier groupe, tant sur le plan du rendement laitier que sur le plan de
l'affouragement (plus d'aliments grossiers et plus d'ha de fourrages par vache
et moins de concentrés), mais avec pour souci des performances
économiques positives par vache ;
4) un quatrième groupe représenté par
des étables qui peuvent être qualifiées de « hors
- sol », qui gaspillent des aliments onéreux (les
concentrés) sans avoir de résultats de productivité
laitière par vache intéressants et dont l'équilibre
économique ne repose que sur les ventes de bovins.
Un autre constat qui ressort de nos investigations sur le
terrain est lié à la proportion d'étables qui peuvent
être considérées comme ayant franchi le pas vers un
début de spécialisation laitière : à peine 25
% en zone suburbaine de Rabat - Salé pour un ratio assez proche (28 %)
en ce qui concerne les fermes du périmètre irrigué Gharb.
Cette répartition en quatre groupes présente de
la similitude frappante dans les deux régions, irriguée du Gharb
et suburbaine de Rabat - Salé, ce que confirme nettement l'étude
comparative qui leur est consacrée. Ce résultat mérite
d'être souligné puisqu'il va à l'encontre des
hypothèses généralement admises lors de la discussion des
voies d'évolution de l'élevage laitier au Maroc. En effet, il est
généralement entendu, notamment dans le discours officiel, que
l'élevage bovin laitier est bien plus intensif en zones irriguées
que dans les régions à la merci des aléas
climatiques ; hypothèse qui est largement contredite par les
résultats de notre travail.
Il faut aussi à ce stade rappeler que certains types
d'étables, fort accessibles et où des collectes de données
sur le fonctionnement se font de manière régulière, ont
dues être mises à l'écart lors de l'établissement
des typologies. Il s'agit notamment des étables étatiques de la
SODEA, qui, en raison de leurs paramètres structurels fort
différents des élevages usuels, constituaient des observations
qui amenuisaient l'intérêt des analyses statistiques
effectuées. Ces étables, mériteraient toutefois une
étude approfondie de leurs modes de fonctionnement, car
représentatives d'une voie d'intensification poussée de la
production bovine laitière en tenant compte de la
spécificité du milieu d'élevage au Maroc.
Aussi, pour étudier plus en détail des
situations d'élevage laitier au Maroc, et pour mieux comprendre les
incidences des choix des éleveurs sur les performances des vaches, nous
avons songé à appliquer à la suite de ces typologies, une
série d'études de cas représentatifs. C'est ce qui fera
l'objet de la quatrième partie de ce doctorat.
Le choix s'est d'abord porté sur les étables de
la SODEA, où une masse de données permettait de se livrer
à une analyse plus fouillée des modes d'élevage intensif
dans ce type de fermes. Les résultats de ces recherches sont
présentés dans le premier chapitre de la quatrième
partie.
Dans le deuxième chapitre, nous avons reporté
notre attention sur une étable spécialisée, située
en zone d'agriculture pluviale (province de Ben Slimane) pour illustrer les
variations de ses performances en relation avec les fluctuations annuelles du
climat.
Dans les deux chapitres qui suivent, nous avons opté
pour cibler nos efforts de recherche sur le cas des étables suburbaines,
tant il est vrai que les typologies ont confirmé que les grands groupes
distingués étaient similaires entre les deux
régions, suburbaine et irriguée. Ainsi, pour éviter
de se dissiper dans de longs et coûteux déplacements que supposent
des suivis rapprochés et afin d'aboutir à des études de
cas plus pertinentes, basées sur une collecte d'informations plus denses
(jusqu'à un passage mensuel par étable), nous nous sommes
limités aux étables limitrophes à notre lieu de travail,
à savoir les élevages suburbains de Rabat - Salé.
Dans le troisième chapitre, un suivi longitudinal de
sept de ces fermes a été réalisé sur deux
années agricoles successives (2000/2001 et 2001/2002), grâce
à la description des variations annuelles de leurs performances et
à l'analyse de la corrélation entre la productivité
laitière et les consommations de concentrés.
Dans le quatrième et dernier chapitre, une ouverture
sur les aspects de la qualité du lait et ses relations aux modes
d'élevage des vaches a été envisagée. Il s'agit de
caractériser la situation actuelle de la qualité du lait à
la sortie des étables, et ses évolutions tout le long de
l'année. L'objectif est d'identifier, après le diagnostic
technique et économique des élevages laitiers suburbains, les
principales failles liées à la qualité du lait.
Ces études de cas se veulent ainsi comme un
approfondissement de l'analyse des grandes tendances de l'élevage bovin
laitier au Maroc, en vue d'en cerner davantage les modalités et les
performances. Elles permettraient alors de mieux cibler les axes prioritaires
de développement de ces structures de production à l'issue de
l'affinage de leur diagnostic. Ce serait en pleine conformité avec la
philosophie globale de recherche systémique qui sous-tend ce travail.
IV - Etudes de cas d'elevages de bovins laitiers au
Maroc
IV.1. Performances et modalités de l'élevage
laitier en étables étatiques : cas de six fermes de la
SODEA
IV.2. Résultats économiques et techniques
d'une unité de production laitière dans la région
d'agriculture pluviale de Ben Slimane
IV.3. Evaluation des résultats de sept élevages
de bovins laitiers dans la zone suburbaine de Rabat - Salé à
travers un suivi régulier
IV.4. Incidences des pratiques d'élevage sur la
qualité du lait : étude dans cinq étables suburbaines
de Rabat - Salé
Le problème du Maroc, c'est le greffage des
modèles et l'absence d'innovations.
Paul Pascon (1980).
Études rurales.
Société Marocaine des Editeurs Réunis,
Rabat, 158 p.
.
IV - 1 Performances et modalités de
l'élevage laitier en étables étatiques : cas de six
fermes de la SODEA
IV-1-1 Introduction
L'étude des performances techniques des étables
laitières étatiques (étables de la SODEA) se justifie par
leurs caractéristiques singulières par rapport à la
majorité des élevages de bovins, caractérisées par
l'exiguïté de l'assise foncière et la parcimonie des moyens
financiers pour l'acquisition des intrants. En revanche, les unités de
production (UP) ou étables de la SODEA, entreprise étatique
à vocation de développement agricole, ont pour objectif principal
l'exploitation intensive de vaches à hautes potentialités
génétiques. Le but de cette étude consiste ainsi à
présenter et à analyser les résultats de la conduite
technique de six étables étatiques spécialisées
dans la production de lait, réparties à travers
différentes régions du Maroc au cours de cinq campagnes
agricoles.
Les six UP ont été sélectionnées
en accord avec les responsables de ladite société. Elles ont
été choisies sur la base de la stabilité de
l'activité laitière et la disponibilité des données
relatives au fonctionnement des étables, au cours de cinq campagnes
agricoles successives de 1991 à 1996. Les étables étaient
situées dans les zones suivantes : Béni - Mellal,
Fès, Larache, Marrakech, Méknès et Rabat - Salé
(Témara).
La figure 19 montre la situation géographique des six
étables de la SODEA.
IV-1-2 Méthodologie de l'étude
IV-1-2-a Bilan de diagnostic de gestion
Un bilan de diagnostic de gestion technique de l'atelier des
vaches laitières a été établi pour chacune des six
UP étudiées, et durant chaque campagne agricole, selon la
méthode proposée par CORDONNIER [1986]. La surface agricole utile
(SAU) et la surface fourragère ont été
déterminées. La composition des troupeaux bovins dans chaque
étable, au cours des cinq campagnes, a été
évaluée par l'effectif moyen de vaches présentes (EMVP =
jours de présence/365), et le pourcentage de vaches (PV) dans l'ensemble
du troupeau a été appréhendé par le ratio PV =
Unités Gros Bétail vache laitière/ Unités Gros
Bétail bovins totaux. L'évolution des troupeaux a
été étudiée par le calcul des taux de
renouvellement (TRN) et de réforme (TRF) au sein de chaque atelier
laitier et par an. La caractérisation des performances de production
laitière issues des résultats de 1 415 lactations, a
été évaluée par les indicateurs suivants :
- la durée de lactation (DLACT), exprimée en
jours (j)
- le moyenne économique ou ME = Production
Laitière Totale/ j de présence) x 365
Kénitra .
Echelle : 1 / 20 000 000
Nord
Ouest
Rabat - Salé
Mer Méditerranée
Océan Atlantique
Larache
Rabat - Salé
Fès
Meknès
Marrakech
Béni Mellal
Maroc
UP :
1)Béni Mellal
2) Fès
3) Larache
4) Marrakech
5) Meknès
6) Rabat - Salé
Figure 19. Localisation des UP laitières de la SODEA
étudiées.
Toutes les étables étudiées pratiquent le
zéro-pâturage, et tous les aliments distribués
étaient pesés. Les quantités consommées d'aliments
concentrés ont été converties en Unités
Fourragères Lait (UFL), sur la base des valeurs nutritionnelles de ces
aliments [INRA, 1988]. Pour les fourrages, les valeurs tabulées par le
CIHEAM [TISSERAND, 1996] et correspondant aux aliments grossiers de la zone
méditerranéenne ont été utilisées (Tableau
26). Les données brutes ont permis de déterminer la
quantité d'UFL issues des concentrés consommée par vache
et par an (UFL cc/v/an), et le pourcentage d'inclusion des concentrés
(PCC) dans les rations pour vache laitière, sur la base de leur
contribution à l'apport énergétique total. De même,
le nombre d'UFL apportées par les concentrés pour chaque kg de
lait a été calculé (UFL cc/kg lait).
Deux critères d'appréciation des performances de
la reproduction ont été retenus :
- âge au premier vêlage (APV) exprimé en j
(387 primipares) ;
- l'intervalle entre deux vêlages (IVV) exprimé
en j (1 023 données).
IV-1-2-b Analyse des performances par les
paramètres de conduite
Un deuxième volet de ce travail a visé à
expliquer les résultats des étables, en termes de
productivité laitière (Moyenne Economique, ME) de reproduction
(APV, IVV) et de rentabilité (Bénéfice par Vache, BV),
grâce à la détermination des facteurs de conduite (EMVP,
PV, TRN, TRF, DLACT, UFL cc/v/an, PCC, UFL cc/kg lait) auxquels ils
étaient les plus corrélés. Les UP ont ensuite
été classées en fonction de leurs performances de
production et de reproduction.
Tableau 26. Valeurs énergétiques des aliments
utilisés et quantités moyennes ingérées par les
vaches.
Aliments
|
Valeur énergétique
|
Quantité ingérée
|
|
(UFL/kg MS)
|
(kg MS/vache/an)
|
|
|
|
Fourrages
|
|
|
Luzerne verte
|
0,81
|
418,3
|
Sorgho fourrager
|
0,72
|
266,2
|
Trèfle d'Alexandrie (Bersim)
|
0,75
|
214,3
|
Foin de luzerne
|
0,65
|
126,3
|
Foin de vesce-avoine
|
0,58
|
752,6
|
Paille de blé
|
0,42
|
815,0
|
Paille d'orge
|
0,44
|
223,4
|
|
|
|
Total fourrages
|
-
|
2816,1
|
|
|
|
Concentrés
|
|
|
Orge grain
|
1,12
|
764,2
|
Maïs grain
|
1,27
|
835,6
|
Son de blé
|
0,84
|
261,3
|
Pulpes sèches de betterave
|
1,01
|
638,5
|
Pulpes sèches d'agrumes
|
1,11
|
674,6
|
Mélasse de betterave
|
1,03
|
275,2
|
Mélasse de canne
|
0,91
|
58,2
|
Tourteau de tournesol
|
0,81
|
452,4
|
Tourteau de colza
|
1,06
|
68,5
|
Farine de poisson
|
0,95
|
53,2
|
Aliment composé
|
0,85
|
150,6
|
Complément minéral et vitaminé
|
-
|
32,3
|
|
|
|
Total concentrés
|
-
|
4 264,6
|
|
|
|
Total aliments
|
-
|
7 080,7
|
IV-1-2-c Analyses statistiques
Afin de caractériser le fonctionnement des
étables laitières, la moyenne et son écart type pour la
caractérisation de la variation inter annuelle pour une même UP,
ont été calculés pour toutes les variables. L'analyse
statistique des résultats déterminant le fonctionnement des
étables (APV, IVV, MBV et ME) a été effectuée
à l'aide du logiciel SAS [1998], en utilisant le modèle GLM pour
l'analyse de la covariance, car le modèle inclut des facteurs
explicatifs qualitatifs (UP et année) et quantitatifs (EMVP, PV, TRN,
TRF, DLACT, UFL cc/v/an, PCC, UFL cc/kg lait).
Un classement des UP a été effectué par
un test de Newman et Keuls [SAS, 1998] afin de déterminer les plus
performantes en termes de productivité laitière, de reproduction
des vaches et de rentabilité. Dans toutes ces analyses, les seuils de
signification sont fixés à 0,05.
Par ailleurs, afin de mieux clarifier les relations entre
les variables de conduite du cheptel (UFV, UFK et Jours de travail par
UGB) et les performances techniques (ME) et économiques (Marge Brute par
vache), des équations de régression liant ces paramètres
ont été établies. Le logiciel utilisé est Minitab
[MINITAB, 2002].
IV-1-3 Résultats des étables
laitières étatiques
IV-1-3-a Pratiques d'élevage et performances des
vaches sur les Unités de Production étudiées
La SAU moyenne était de 245 ha, variant de 76 à
397 ha. Les UP retenues représentent des exploitations agricoles de
grande taille par rapport à la moyenne du pays. En effet, AURIOL [1989]
a mentionné que moins de 10 % des exploitations marocaines avaient une
assise foncière supérieure à 50 ha. Les plantations
occupent plus de 55 % de la SAU. Elles sont essentiellement composées
d'agrumes, d'oliviers, de rosacées et de vigne. En moyenne, les surfaces
fourragères principales occupent moins de 8 % de la SAU, soit
près de 19,6 ha (Tableau 27). Cette tendance de la faiblesse des
superficies réservées aux cultures fourragères, a priori
contradictoire avec la vocation laitière de ces UP, trouve son
explication dans les pratiques agricoles en vigueur dans des régions
à agriculture pluviale. Ainsi, JOUVE [1993] a montré qu'au Maroc
plusieurs obstacles continuent à s'opposer à l'extension des
fourrages, notamment la priorité accordée aux cultures
vivrières (les céréales principalement), l'absence de
maîtrise de leurs itinéraires techniques ou encore l'ignorance des
meilleures conditions de leur utilisation et stockage.
Tableau 27. Superficie et occupation du sol dans les six
étables étatiques étudiées.
Unité de production
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
Moyenne
|
|
|
|
|
|
|
|
|
SAU (ha)
|
264
|
203
|
76
|
397
|
143
|
386
|
245
|
Plantations (%)
|
71,5
|
47,8
|
18,3
|
58,1
|
66,5
|
66,6
|
54,8
|
Nu emblavé (%)
|
28,5
|
52,2
|
81,7
|
30,7
|
27,9
|
30,9
|
42,0
|
Fourrages (%)
|
15,0
|
2,1
|
12,2
|
11,4
|
6,7
|
4,9
|
7,9
|
Les vaches appartiennent à trois catégories
génétiques différentes. Les vaches frisonnes pie noires
sont exploitées dans quatre UP (1, 2, 5 et 6), tandis qu'au niveau de
l'UP 4 se trouve le seul noyau Holstein. Enfin, un noyau pie rouge Fleckvieh
est élevé dans l'UP 3. L'Effectif Moyen des Vaches
Présentes (EMVP) dans l'ensemble des UP est de 53,1 (CV = 22,7 %), ce
qui montre l'ampleur des effectifs par rapport au troupeaux moyens du pays
[AURIOL, 1989]. Ce chiffre enregistre une variation allant de 28,4
jusqu'à 73,9 vaches présentes par UP. La proportion des vaches
laitières est en moyenne de 58,5 % avec un CV de 10,5 % (Tableau 28). La
valeur la plus élevée enregistrée au niveau des UP 5 et 6
(68,0 % en 1995-1996) s'explique par le fait qu'à partir de cette
campagne, les produits mâles de ces deux UP ont commencé à
être envoyés pour engraissement intensif vers d'autres
étables de la SODEA non intégrées dans cette
étude.
Tableau 28. Races et effectifs des vaches dans les six
étables étatiques étudiées.
Unité de production
|
Racea
|
Nombre de vachesb
|
% de vaches dans l'effectifb
|
|
|
|
|
1
|
PN
|
68,0 (5,3)
|
68,0 (2,2)
|
2
|
PN
|
57,0 (4,7)
|
51,8 (8,6)
|
3
|
Fleckvieh
|
68,0 (9,0)
|
58,4 (4,6)
|
4
|
Holstein
|
59,2 (12,4)
|
52,4 (3,5)
|
5
|
PN
|
63,2 (3,0)
|
63,2 (6,2)
|
6
|
PN
|
63,1 (3,3)
|
63,1 (1,3)
|
a : PN : Pie Noire d'origine
européenne ; Holstein : vaches importées du Canada
b : moyenne (écart - type correspondant à
la variation inter annuelle par UP)
Le taux moyen de renouvellement est de 20,1 %. Quant au taux
moyen de réforme, il est de 23,3 %. Ainsi les taux moyens des mouvements
des animaux observés au niveau de ces UP restent faibles par rapport aux
recommandations pour un gain génétique maximal en élevage
bovin laitier intensif. Ceci traduit une évolution lente de l'effectif
et une prolongation de la vie des vaches. La politique poursuivie au niveau de
ces UP vise ainsi beaucoup plus la valorisation du potentiel disponible que sa
modification [CORDONNIER, 1986].
IV-1-3-b Performances de production et alimentation des
vaches laitières
Les indicateurs relatifs aux performances de production
montrent que la durée moyenne de la lactation obtenue est de 304,8 jours
avec un CV de 4,1 %. Cette valeur oscille entre 264,4 j enregistrée au
niveau de l'UP 4 en 1995-96, et 330 j obtenue au de l'UP 2 durant la même
année. Ces résultats moyens concordent parfaitement avec les
normes de l'élevage bovin laitier intensif [JORDAN et FOURDRAINE,
1993].
La productivité moyenne en lait enregistrée au
niveau des UP correspond à une ME de 6 016 kg/vache/an, avec un CV de
13,9 %. Si on compare cette performance à celle des élevages
concernés par le contrôle laitier officiel marocain, nous
constatons qu'elle les dépasse de loin, puisque LAKHDISSI et
al. [1988] ont trouvé que les performances de production y
étaient inférieures à 3 350 kg/vache/an. Ces
résultats montrent que les élevages de la SODEA sont
placés dans des conditions permettant aux animaux d'exprimer leur
potentiel génétique. Les performances obtenues sont d'ailleurs
proches de celles des vaches dans leur pays d'origine [JASIOROWSKI et
al., 1988]. La quantité moyenne de concentrés
consommée par vache et par an est de 4 484 UFL avec un CV de 12,1 %
(Tableau 29).
Tableau 29. Caractérisation de l'alimentation des
vaches laitières dans chaque unité de production (moyennes et
écarts types).
UP
|
kg MS/vache/an
|
UFL cc/v/an
|
UFL cc/kg lait
|
PCC : UFL cc/ UFL totales (%)
|
|
|
|
|
|
1
|
6 752 (662)
|
4 365 (249)
|
0,70 (0,04)
|
74,4 (3,5)
|
2
|
7 867 (756)
|
5 312 (120)
|
0,83 (0,04)
|
85,0 (5,1)
|
3
|
6 158 (805)
|
4 091 (450)
|
0,88 (0,10)
|
71,4 (7,3)
|
4
|
7 975 (718)
|
4 179 (322)
|
0,60 (0,04)
|
68,9 (6,2)
|
5
|
6 433 (878)
|
4 614 (293)
|
0,81 (0,09)
|
75,0 (9,2)
|
6
|
7 389 (563)
|
4 343 (670)
|
0,70 (0,11)
|
64,1 (9,6)
|
Moyenne
|
7 081 (856)
|
4 484 (543)
|
0,75 (0,12)
|
73,1 (11,0)
|
Les quantités les plus importantes sont relevées
au niveau de l'UP 2 (5 312 UFL), où les cultures fourragères sont
les moins pratiquées. Cette logique d'intensification laitière
par le recours à davantage de concentrés s'accorde avec les
options définies par CODONNIER [1986], qui cite que cette tendance
s'accompagne par un « alourdissement de la dépense
d'aliments ». La valeur moyenne pour les unités SODEA (4 484
UFL) dépasse de loin celles obtenues pour d'autres étables
marocaines. Ainsi, nous avions trouvé une moyenne de 2 236 UFL/vache/an
(CV=33,1 %), pour une moyenne économique de 3 437 kg de lait par vache
et par an, dans des élevages suburbains de la zone de Rabat
[SRAÏRI, 1999a].
La part des concentrés dans l'apport
énergétique total (PCC) pour les vaches laitières est en
moyenne de 73,1 % (CV de 15,1 %). Les ratios les plus élevés sont
observés au niveau de l'UP 2 (91 %), qui présente toutes les
caractéristiques de l'élevage laitier totalement
« hors-sol ». Cette valeur moyenne d'utilisation des
concentrés à la SODEA demeure largement supérieure
à ce que rapportent d'autres études réalisées dans
des étables laitières. Théoriquement, DELABY et
al. [2003] rappellent que la supplémentation en concentrés
pour des vaches laitières au pâturage sur de l'herbe ne s'impose
théoriquement que pour des niveaux de production supérieurs
à 25 kg/jour. Au Maroc, dans une étude antérieure dans des
étables laitières moins productives, nous avions trouvé
que les concentrés représentent 55 % de l'apport
énergétique total [SRAÏRI, 1999a].
Les UFL cc/kg lait varient de 0,54 (UP 4 en 1991/1992)
à 1,01 (UP 3 en 1995/1996). La valeur moyenne est de 0,75 UFL/kg de lait
produit avec un CV de 15,9 %. Il ne fait donc pas de doute que les
concentrés ingérés par les vaches couvrent aussi une
partie de leurs besoins d'entretien [CORDONNIER, 1986]. Ceci illustre
pleinement que face à une faible tendance d'extension des fourrages en
zone maghrébine, exacerbée par la médiocrité des
rendements [JOUVE, 1993 ; AMEZIANE, 1979], la production laitière
intensive dans cette région reste souvent assurée à
« coups de concentrés » [SUSMEL et al.,
1989].
IV-1-3-c Performances de reproduction
L'analyse des performances de reproduction montre que l'APV
moyen est de 919 #177; 56 j (Tableau 30), soit l'équivalent de
30,2 mois. Ce paramètre a varié de 772 à 1 127 j (25,7
à 37,6 mois). Comparées aux recommandations faites par HEINRICHS
[1993] pour un élevage rentable des génisses, les valeurs
obtenues au niveau des élevages de la SODEA traduisent un retard de
maturité sexuelle des génisses ou une mise à la
reproduction tardive. Une tendance similaire se confirme lorsqu'on compare ces
performances à celles obtenues dans d'autres travaux
réalisés au Maroc [SRAÏRI, 1999a ; LAKHDISSI et
al., 1988]. Ces résultats montrent clairement qu'il existe des
marges de progrès à réaliser durant la phase
d'élevage des génisses de la SODEA, afin de mieux dominer leur
croissance et les acheminer vers un APV plus précoce [PECSOK et SPAIN,
1992].
L'IVV moyen est de 391,0 j avec un CV de 4,8 %, traduisant
l'homogénéité de ce paramètre. Cette valeur varie
cependant entre 346,9 j et 442,8 j. Comparée aux normes couramment
admises, cette moyenne représente l'IVV optimal en terme de production
et de rentabilité [FOOTE, 1996, NEBEL et MC GILLIARD, 1993]. Par
ailleurs, l'étude de ce paramètre complétée par les
différentes fréquences des IVV selon 3 plages de variation
(IVV<345j ; 345<IVV<390j ; IVV>390j) montre que plus de
60 % des IVV durent moins de 390 j : les techniques de reproduction sont
efficacement appliquées grâce à une bonne détection
des chaleurs relayée par la maîtrise de l'IA.
Tableau 30. Performances moyennes de reproduction du cheptel
bovin dans les six étables étatiques (écarts types).
Unité de production
|
Intervalle vêlage - vêlage (j)
|
Age au premier vêlage (j)
|
|
|
|
1
|
378 (22)
|
859 (23)
|
2
|
408 (18)
|
946 (45)
|
3
|
379 (22)
|
929 (23)
|
4
|
418 (24)
|
1011 (38)
|
5
|
371 (11)
|
863 (14)
|
6
|
393 (34)
|
906 (25)
|
Moyenne
|
391 (19)
|
919 (56)
|
IV-1-3-d Performances économiques du cheptel
bovin
Cette étude confirme l'importance
prépondérante des facteurs de conduite du cheptel laitier pour
expliquer la variabilité du bénéfice moyen par vache,
à l'image des conclusions rapportées par GLEN [1987.
Le bénéfice moyen vache et par an est de 8 242
3 364 DH (Tableau 31), enregistrant des fluctuations très
marquées, de 776 (UP 3 en 1991) à 14 532 DH (UP 4 en 1993).
Ces résultats économiques sont largement
supérieurs à ceux affichés par le groupe de pointe des
étables suburbaines (3 152 DH de bénéfice par vache) qui
ont entamé un début de spécialisation laitière
[SRAÏRI et LYOUBI, 2003. Cette supériorité s'explique aussi
bien par l'intensification laitière qui permet de diluer au maximum les
charges fixes d'entretien du bétail par rapport aux charges de
production [WOLTER, 1994 ; CORDONNIER, 1986, que des avantages certains
dont bénéficient les étables étatiques pour
l'accès à certains intrants d'élevage (prix promotionnels
sur les pulpes de betterave et d'agrumes, moindre coût de
l'insémination artificielle...) par rapport aux étables plus
conventionnelles. Il faut ici mentionner que la SODEA est actionnaire
principale dans plusieurs unités agro-industrielles (industrie
sucrière, production de jus de fruits...) et elle a de facto
accès aux sous-produits de ces usines avec des facilités
réelles de paiement.
Tableau 31. Performances économiques moyennes de la
production laitière dans les six étables étatiques
(écart type).
Unité
|
Bénéfice moyen/vache (DH)
|
Bénéfice/kg de lait (DH)
|
|
|
|
1
|
9 846 (2 756)
|
1,59 (0,45)
|
2
|
6 294 (2 071)
|
0,98 (0,30)
|
3
|
6 113 (3 583)
|
1,31 (0,77)
|
4
|
9 660 (3 513)
|
1,38 (0,45)
|
5
|
7 856 (4 394)
|
1,37 (0,77)
|
6
|
8 868 (2 998)
|
1,42 (0,43)
|
Moyenne
|
8 242 (3 364)
|
1,34 (0,54)
|
IV-1-3-e Facteurs explicatifs des performances des
vaches par unité de production
L'analyse de la covariance a confirmé l'effet
prédominant des facteurs de conduite des vaches laitières sur les
variations de leurs performances, comme cela a déjà
été mis en évidence par AGABRIEL et al.
[1993].
Ainsi, l'analyse statistique a révélé que
les vaches de la SODEA les plus fortes productrices exigent au litre de lait
moins d'UFL des concentrés par rapport aux mauvaises laitières.
Ce résultat concorde parfaitement avec les observations de WOLTER [1994]
qui indique une dilution des frais fixes d'élevage et d'entretien
rapportés au kg de lait chez les vaches fortes productrices (figure
20).
Figure 20. Effets des quantités de concentrés
par kg de lait sur la moyenne économique dans les étables
étatiques.
Dans ce même ordre d'idées, nous avons pu
observer que lorsque la ME évolue de 4 650 (UP 3) à
6 942 kg/v/an (UP 4), il apparaît une baisse des UFL cc/ kg lait de
0,28. Toutefois, cette affirmation doit être nuancée par la
remarque suivante : les moyennes économiques de 4 650 kg/v/an et de
6 943 kg/v/an correspondent respectivement aux vaches de race Fleckvieh et
Holstein. Or, les vaches de race Fleckvieh ont de moins bonnes aptitudes de
production laitière que les vaches de PN ou des vaches croisées
PN X H, mais en contrepartie elles présentent une meilleure
qualité bouchère [TOUCHBERRY, 1992].
A l'opposé de l'UFL cc/kg lait, le critère UFL
cc/v/an évolue dans le même sens que la ME (fig. 21). Des apports
annuels par vache plus élevés en énergie issue des
concentrés sont donc associés à des performances plus
importantes (P = 0,001). Ces résultats rejoignent nos observations dans
d'autres étables marocaines, où la faiblesse des apports en
fourrages conjuguée au zéro-pâturage, font que les
performances des vaches sont tributaires de leurs consommations en
concentrés [SRAÏRI, 1999a]. Toutefois des tendances contradictoires
ont pu être observées (UP 2 et 4), comme le montre la figure 20,
ce qui a pour conséquence un coefficient de détermination faible
(7%). Ceci pourrait être mis en relation avec la nature et la
qualité du fourrage et des concentrés [COULON et al.,
1989], ou avec les variations des niveaux d'apports azotés qui exercent
des effets prépondérants sur les performances de production
laitière [CLARK et DAVIS, 1980].
Figure 21. Relation entre la moyenne économique et la
consommation moyenne annuelle de concentrés par vache dans les
étables étatiques.
Quant à la corrélation établie entre la
ME et l'UP, elle peut être expliquée par le fait qu'il existe des
facteurs propres à l'UP (race animale, technicité de la
main-d'oeuvre,...) qui font que les potentiels génétiques
s'expriment différemment d'une UP à une autre.
Conditionnée par un ensemble de facteurs liés à l'individu
(sens de responsabilité, conscience professionnelle, savoir-faire...) et
à l'environnement (installations d'élevage qui sont à la
fois le cadre et le support de l'activité animale...), la manière
d'opérer et de conduire le troupeau est à l'origine des
différences de la ME.
Concernant la reproduction, l'analyse statistique a
révélé qu'elle n'était significativement
liée qu'à l'année (P = 0,0108). Ceci rejoint les
observations de BERBIGIER [1988] qui a indiqué qu'en élevage
bovin laitier dans des zones à aléa climatique prononcé
(sécheresse, stress thermique estival), les performances de reproduction
sont liées au climat et à ses variations annuelles, de par leurs
effets directs sur l'animal et indirects sur la production
fourragère.
Lors de l'analyse des facteurs de variation des performances
économiques, il s'est avéré que l'effectif moyen de vaches
présentes et le pourcentage de vaches dans l'effectif étaient
corrélés positivement au bénéfice par vache. Par
ailleurs, la marge brute par vache décroissait avec l'augmentation de la
consommation de d'énergie issue des concentrés par kg de lait
comme le montre la figure 22.
UP 4
UP 1
UP 6
UP 5
UP 3
UP 2
Ces résultats rejoignent ainsi les recommandations de
WOLTER [1994 qui prônent de satisfaire au moins les besoins d'entretien
des vaches laitières par des fourrages produits sur l'exploitation.
Figure 22. Incidence de la consommation de concentrés
par kg de lait sur le bénéfice moyen par vache dans les
étables étatiques.
De plus, une diminution de marge brute moyenne par vache
s'observe lorsque le nombre de jours de travail par UGB augmente (fig. 23), ce
qui concorde avec les résultats de LIGERO-TORO et al. [1990 qui
ont affirmé que la gestion de la main-d'oeuvre constitue l'un des
problèmes les plus épineux à résoudre dans un
atelier laitier. Plusieurs autres auteurs ont relevé cette même
corrélation négative entre durée du travail et
rentabilité par vache [NOTT et al., 1981.
Figure 23. Effet de la durée du travail (en jours) par
Unité Gros Bétail bovine sur le bénéfice par vache
dans les étables étatiques.
IV-1-3-f Classement des unités de production
Sur la base de la productivité laitière des
vaches (ME), il a été possible de distinguer cinq
différents groupes d'UP. Le premier se compose de l'UP 4 avec une valeur
moyenne de la ME de 6 943 kg/v/an, tandis que le dernier groupe comprend l'UP
3 avec une ME de 4 650 kg/v/an. Ainsi, la valeur la plus élevée
de la ME a été observée au niveau de la seule UP
exploitant des vaches Holstein. En parallèle, les plus faibles valeurs
ont été affichées dans l'UP où les vaches sont de
type Fleckvieh. Nous pouvons conclure que ces différences peuvent
être liées à l'effet de la race bovine exploitée
[TOUCHBERRY, 1992]. Toutefois, nous avons pu observer que pour une même
race (PN), il existe des différences entre UP. Celles-ci peuvent
s'expliquer, comme nous l'avons relevé dans la partie
précédente, par des différences au niveau des
paramètres qui ont un effet direct sur la ME telles que l'UFL cc/kg
lait et les UFL cc/v/an.
Pour ce qui est des résultats de reproduction, lorsque
la comparaison se fait sur la base de l'IVV, ce sont les UP 1, 5 et 3, avec
respectivement des valeurs de 370,5, 377,5 et 378,5 j qui se placent en
tête. L'UP 4 aux meilleurs résultats de ME arrive en
dernière position, avec une valeur moyenne de l'IVV de 418,5 jours
(Tableau 30). Il se pourrait que la meilleure productivité
laitière des vaches y ait induit une dépréciation du
statut reproductif, comme cela a été noté par
différents auteurs [VAN ARENDONK et al., 1989, MARTI et FUNK,
1994].
Le tableau 32 indique aussi les différentes classes
d'UP élaborées sur la base de l'APV. Le premier groupe englobe
les UP 1 et 5 avec des valeurs respectives de l'APV de 28,4 et 28,2 mois. Le
second groupe se compose des UP 2 (31,0 mois), 3 (30,5 mois) et 6 (29,7 mois),
et le dernier groupe comprend l'UP 4 avec une valeur moyenne de 33 mois. Il
ressort que les génisses Holstein de l'UP 4 sont les plus tardives au
premier vêlage. Or, les génisses Holstein sont pubères
à un âge plus jeune que les autres races laitières (9-10
mois), comme l'ont indiqué D'HOUR et al. [1995]. Par
conséquent, il apparaît que l'APV dans ces unités de la
SODEA n'est pas lié à l'effet génétique, mais
principalement aux facteurs du milieu, plus particulièrement à la
restriction alimentaire durant la phase d'élevage [HEINRICHS, 1993].
Tableau 32. Comparaison des étables étatiques
par rapport à leur productivité laitière et aux
résultats de reproduction des vaches.
Unité
|
Moyenne économique (kg lait/vache/an)
|
Intervalle vêlage - vêlage, IVV (j)
|
Age au premier vêlage, APV (j)
|
|
|
|
|
1
|
6 209 352c
|
378 22c
|
859 23b
|
2
|
6 374 251b
|
408 18ab
|
946 45ab
|
3
|
4 650 242e
|
379 22c
|
929 23ab
|
4
|
6 943 431a
|
418 24a
|
1011 38a
|
5
|
5 704 431d
|
371 11c
|
863 14b
|
6
|
6 217 831c
|
393 34bc
|
906 25ab
|
a, b, c, d, e : pour une même colonne,
les valeurs affectées de lettres identiques ne différent pas
significativement (P<0.05)
Finalement, le classement n'a pas permis de distinguer
d'unités différentes par rapport à la marge brute par
vache, confirmant la relative homogénéité
générale des pratiques adoptées au sein des
étables, puisqu'elles ne sont que la traduction des recommandations
techniques édictées à partir du siège de la
société SODEA. Ainsi, les variations annuelles prononcées
de bénéfice par vache, pour les cinq étables sur les six
années de l'étude, reflètent surtout les décisions
de vente de bétail. A à un degré moindre les choix de
production de viande dans ces élevages bovins, pourtant
spécialisé en lait, interviennent aussi, mais en fin de compte en
des résultats économiques par vache assez stables.
IV-1-4 Conclusion
Caractérisées par l'importance de la superficie
disponible (244,8 ha de SAU) et l'ampleur des effectifs exploités (53,1
vaches présentes en moyenne), les six UP laitières de la SODEA
étudiées affichent des résultats de production (ME de
6 016,2 kg/vache/an sur cinq campagnes) et de reproduction (IVV de 391,0
j) honorables, très supérieurs à ceux des élevages
laitiers communs marocains. Ceci traduit un ensemble de pratiques proches des
recommandations actuelles en élevage laitier intensif (durée de
lactation de 304,8 j, application du rationnement alimentaire). Cependant, les
modalités de cette production sont remarquables, étant
donné l'ampleur de la consommation des concentrés (73,1 %
dans l'apport énergétique total), et l'aspect quasiment
« hors-sol » de ces élevages laitiers, en
dépit de l'importance de leur assise foncière. Cette pratique
constitue d'ailleurs un facteur fondamental pour expliquer les
différences de productivité par vache. Ainsi, il s'est
avéré que la quantité d'UFL des concentrés
consommée par vache était positivement corrélée
à la moyenne économique réalisée. Ceci rend compte
logiquement de la conduite alimentaire basée principalement sur les
concentrés et le « zéro-pâturage ». En
revanche, la quantité d'UFL issues des concentrés par litre de
lait affecte négativement la ME. Ces deux résultats convergent
vers l'impératif de revoir l'organisation de l'alimentation du cheptel
bovin, si un jour venaient à disparaître les multiples avantages
dont dispose la SODEA pour l'acquisition des concentrés (achats aux
moindres coûts de sous-produits agricoles telles les pulpes de betterave,
ou les pulpes d'agrumes, car la Société est actionnaire principal
dans diverses unités agro-industrielles). L'analyse des performances de
reproduction a monté que l'IVV était lié à l'effet
de l'année, en raison des conséquences du climat sur les vaches
et la production de fourrages. Une mauvaise conduite des génisses a
aussi été identifiée, illustrée par leur âge
moyen tardif à la première mise - bas (30,2 mois), et surtout du
fait que les génisses de race précoce (Holstein d'origine
canadienne) sont celles qui présentent les moins bon résultats.
Enfin, il faut mentionner que dans la méthode du calcul des
bénéfices par vache, ne sont pas comptabilisées les
charges liées à la gestion centrale des étables (salaires
des cadres techniques et comptables, frais de déplacement...) , à
partir du siège de la SODEA, à Rabat. Si ces dernières,
ainsi que les frais financiers inhérents au fonctionnement de ces
étables devaient être comptabilisés, il est clair que le
bénéfice calculé serait amoindri sérieusement.
IV - 2 Résultats économiques et
techniques d'une unité de production laitière dans la
région d'agriculture pluviale de Ben Slimane
IV-2-1 Introduction
L'engouement pour la production laitière intensive qu'a
généré le Plan Laitier de 1975 s'est aussi
manifesté dans les zones d'agriculture pluviale avec des étables
qui s'y sont installées bénéficiant d'une conjoncture
économique favorable. Près de 25 ans plus tard, la situation
économique au Maroc a évolué, ajustement structurel
oblige. Et les aides à l'agriculture ont été revues
à la baisse, voire supprimées. Dans ce nouveau contexte, il est
intéressant d'étudier les pratiques adoptées par les
éleveurs de bovins laitiers dans les zones non irriguées,
à la merci des aléas climatiques, afin de situer leur niveau de
production et leurs résultats économiques. C'est l'objectif du
présent travail, réalisé sur trois campagnes agricoles
(septembre 1994 - août 1995, jusqu'à septembre 1996 - août
1997), dans une unité de 70 vaches Holstein dans la province de Ben
Slimane (centre-ouest du Maroc).
IV-2-2 Présentation générale de la
région de Ben Slimane et de l'exploitation étudiée
Limitrophe à la Wilaya du Grand Casablanca,
première concentration urbaine du Royaume du Maroc, la province de Ben
Slimane a été depuis longtemps associée à
l'approvisionnement alimentaire des citadins de la mégalopole de
Casablanca (5 millions d'habitants) [FOSSET, 1968]. Le climat y est de type
méditerranéen semi-aride à hiver tempéré et
doux et à été chaud et sec. Les températures
moyennes oscillent de 10,3°C en hiver à 23,7°C en
été. La pluviosité connaît des
irrégularités inter et intra-annuelles prononcées. La
moyenne est de 397 mm par an depuis la campagne agricole 1978/1979, et les
années étudiées au cours de ce travail ont affiché
419 ; 147 et 515 mm respectivement en 1993/1994, 1994/1995 et 1995/1996. Les
précipitations des années précédant la
période d'étude ont été rapportées, car dans
ces régions d'agriculture pluviale, les stocks de foin engrangés
au cours d'une année déterminent largement les performances du
cheptel lors de la campagne qui suit [AMINE et BAGHATI, 1997].
La situation géographique de cette exploitation est
rapportée dans la figure 24.
L'élevage étudié, classé par les
pouvoirs publics dans la catégorie des unités
pépinières, constitue un modèle pour les agriculteurs de
la région, en tant que pôle régional d'amélioration
génétique. A cet égard, il est intensivement
associé à la diffusion de bovins de type laitier auprès
des petits éleveurs proches. L'analyse sur une période de trois
années se justifie par l'intérêt des bilans de longue
durée pour porter un jugement fiable sur un système
d'élevage [BEBIN et al., 1995]. Les données relatives
à l'activité quotidienne de l'unité de production
(production par vache, actes d'insémination, vêlages,
mortalités, achats d'aliments, emblavures en cultures
fourragères...) ont été saisies dans les fiches internes
tenues par l'éleveur, ainsi que dans les documents officiels du
contrôle laitier et de l'unité industrielle preneuse du lait.
Nord
Ouest
Rabat - Salé
Province de Ben Slimane
Rabat - Salé
Kénitra .
Mer Méditerranée
Océan Atlantique
Echelle : 1/20 000 000
Figure 24. Situation de l'exploitation laitière
étudiée en zone d'agriculture pluviale.
L'exploitation, avec une superficie de 100 ha, se situe dans
l'ensemble des exploitations agricoles de très grande taille au Maroc
(moins de 5 % des exploitations marocaines ont une assise foncière
supérieure à 50 ha) [MADRPM, 1999]. Les productions
végétales sont basées essentiellement sur les cultures
fourragères (vesce-avoine, maïs, orge) et les
céréales dont les résidus (paille) sont destinés
à l'alimentation du bétail. La place réservée
à chaque catégorie diffère d'une année à une
autre, en relation avec l'ampleur des premières pluies d'automne,
garantes des possibilités d'installation avec succès des cultures
fourragères [JOUVE, 1993]. Le maïs, tenté à titre
expérimental (3,1 ha, en 1996/1997) pour disposer d'un fourrage de
qualité lors de la soudure estivale, n'a pas donné le
succès escompté, en raison du stress hydrique qui l'a
affecté conjugué à l'impossibilité de l'irriguer
à cause de l'absence d'une nappe phréatique accessible.
IV-2-3 Analyse des paramètres de production et
de rentabilité de l'étable de la zone pluviale
L'exploitation des données brutes a fait ressortir les
principaux indicateurs techniques de cette étable laitière, la
production laitière totale (PLT), la moyenne économique (ME) :
ME = (PLT / jours de présence des vaches) x 365, et les unités
fourragères lait (UFL) issues des concentrés par vache et par an.
Les quantités d'aliments consommés par les
vaches ont été saisies et converties en UFL sur la base des
valeurs nutritionnelles des aliments utilisés, à partir des
tables publiées par l'INRA [INRA, 1988]. Ceci a été rendu
possible par l'absence de pâturage dans cette exploitation, et par la
disponibilité de documents montrant les consommations de
concentrés durant chaque mois, qui a permis de déterminer le taux
d'inclusion des aliments concentrés dans la ration totale
consommée par les vaches. Le diagnostic de la reproduction a
concerné l'APV et l'IVV moyens.
Comme l'éleveur dispose d'un géniteur, avec
lequel il entend pallier les échecs répétitifs de
l'insémination artificielle, il a été
procédé à un test statistique 2 de Pearson
[DAGNELIE, 1975] pour la comparaison des proportions de réussite de la
monte naturelle et de l'insémination artificielle. Les données
traitées ont concerné 332 actes d'insémination
artificielle et 263 saillies.
Une analyse économique de l'activité de
production laitière a été réalisée durant
chaque campagne agricole, grâce à la détermination du
bénéfice d'élevage dégagé par vache, afin de
préciser une éventuelle relation entre les critères de
conduite technique et les résultats économiques.
IV-2-4 Le troupeau bovin et les variations de ses
performances de production et de rentabilité
Toutes les vaches exploitées sont de race Holstein.
L'analyse de la dynamique des animaux dans les différents ateliers a
permis de décrire la stratégie de l'éleveur. Ainsi, la
vente des mâles est presque totale, à l'exception d'un
géniteur choisi parmi les veaux nés sur l'exploitation. Les
veaux, vendus généralement juste après sevrage,
représentent en moyenne 30 % du total des ventes d'animaux vifs. Les
génisses sont gardées pour le renouvellement du troupeau, leur
vente ne concernant que celles ayant des problèmes de reproduction ou de
conformation. En moyenne, 14 % des femelles sont vendues en gestation et 13 %
sont commercialisées pendant la phase d'élevage de 3 à 12
mois, le reste étant vendu comme vaches de réforme.
Les taux moyens annuels de renouvellement et de réforme
des vaches sont respectivement de 24,0 11,3 % et de 21,4 7,2 %. Il s'ensuit
une légère décapitalisation du cheptel, liée
à une vente plus intense de vaches lors de la campagne agricole à
faibles stocks fourragers, en 1995/1996. Les taux moyens de renouvellement et
de réforme restent en deçà des recommandations pour un
gain génétique maximal en élevage bovin laitier intensif
[ENEVOLDSEN et al., 1996]. Au niveau de cette étable, les
mammites, l'insuffisance de production et les boiteries sont les principaux
critères de réforme (avec respectivement 31,6 ; 24,6 et 21,1
% des cas), suivis des problèmes de reproduction (17,5 %) et des
métrites (5,3 %).
Le travail est entièrement réalisé par
des ouvriers masculins permanents, dont le nombre (10) est resté
constant durant la période d'étude, soit une moyenne de 46 jours
de travail par unité zootechnique et par an, valeur assez semblable
à celle retrouvée dans les étables laitières
étatiques, avec traite mécanique [SRAÏRI et KESSAB,
1998].
La moyenne économique pour l'ensemble de la
période est de 4 916 403 kg de lait par vache et par an, avec un
accroissement constant, témoignant d'une volonté
d'intensification de la production (Tableau 33). La valeur atteint un maximum
en 1996/1997 (juste après la bonne campagne agricole de 1995/1996) avec
5 461 kg. La production annuelle totale est passée de 366 933 kg
(1994/1995) à 397 095 kg (1996/1997), reflètant les nouvelles
options d'intensification (rations alimentaires conformes aux besoins,
sélection plus rigoureuse des génisses de renouvellement). Cette
moyenne est supérieure aux résultats obtenus dans d'autres
élevages intensifs au Maroc (tels que ceux de la frange suburbaine de la
ville de Rabat), car les consommations en concentrés dans ces
dernières sont moins importantes [SRAÏRI, 1999a]. Toutefois, elle
est nettement inférieure aux 6 016 kg de lait par vache par an de
moyenne économique enregistrée dans les élevages de la
société étatique (SODEA), plus intensivement
encadrés et bénéficiant de facilités d'achats de
concentrés [SRAÏRI et KESSAB, 1998].
L'alimentation en concentrés est basée
essentiellement sur la distribution de grains de céréales
(maïs et orge), du gros son de blé, de la pulpe sèche de
betterave, du tourteau de tournesol et accessoirement d'aliments
composés. En moyenne, chaque vache reçoit 4 032 605 UFL
issues de concentrés par an. Les quantités les plus
élevées ont été enregistrées durant
l'année 1995/1996 (4 859 UFL), tandis que la valeur la plus faible a
été observée en 1994/1995 (3 440 UFL). Ces
résultats attestent de la forte influence du climat sur les pratiques
d'alimentation des vaches. Le déficit pluviométrique de 1994/1995
s'est répercuté sur les disponibilités fourragères
durant l'exercice suivant, ce qui explique la valeur maximale de 4 860 UFL
issues des concentrés par vache en 1995/1996.
Chaque kg de lait produit correspond à 0,82 0,15 UFL
issues des concentrés (minimum de 0,67 UFL/kg de lait en 1996/1997 et
maximum de 1,02 UFL/kg de lait en 1995/1996). Ces valeurs illustrent la
très forte dépendance de cette étable laitière
vis-à-vis les achats des concentrés ; la ration à
base de fourrages ne permettant pas de couvrir les besoins d'entretien qui,
d'un point de l'économie de la production, gagneraient à
être couverts par les fourrages grossiers [METGE, 1990].
La proportion des concentrés dans la fourniture
d'énergie dans le bilan fourrager est en moyenne de 72,9 3,5 % (soit
environ ¾ de la consommation énergétique des vaches), ce qui
s'explique en partie par la rémanence d'anciennes pratiques
d'élevage, du temps où l'on subventionnait la production
laitière au Maroc [EL KHYARI, 1985 ; SRAÏRI et KESSAB, 1998].
D'un point de vue financier ces pratiques constituent un très lourd
fardeau pour l'éleveur, mais l'absence d'alternative valable pour
alléger les charges alimentaires (absence de l'irrigation), et surtout
le prestige social conféré par l'élevage de grands
effectifs de bovins laitiers [SRAÏRI et MEDKOURI, 1999] ont pour l'instant
reporté toute réforme des modes de production sur cette
exploitation.
Tableau 33. Variations de l'assolement et de l'alimentation
des vaches de 1994/95 à 1996/97 dans une exploitation laitière de
Ben Slimane.
|
1994/95
|
1995/96
|
1996/97
|
Moyenne
|
|
|
|
|
|
Cultures (ha)
|
|
|
|
|
Vesce-avoine
|
53,7
|
41,6
|
47,0
|
47,4
|
Orge
|
31,4
|
38,4
|
33,9
|
34,6
|
Maïs
|
-
|
-
|
3,1
|
1,0
|
Total
|
85,0
|
80,0
|
84,0
|
83,0
|
Alimentation des vaches
|
|
|
|
|
Moyenne économique
|
4497
|
4789
|
5461
|
4916
|
UFLcc/v/ana
|
3440
|
4859
|
3796
|
4032
|
UFLcc/kg laitb
|
0,77
|
1,02
|
0,67
|
0,82
|
UFLcc/UFLtotalc (en %)
|
68,2
|
73,7
|
76,8
|
72,9
|
a UFL cc/v/an : Nombre d'UFL issues des
concentrés par vache par an.
b UFLcc/kg lait : Nombre d'UFL issues des
concentrés pour chaque kg de lait produit.
c UFLcc/UFL total : Part des concentrés dans
la consommation totale d'énergie.
L'âge moyen au premier vêlage,
déterminé chez 288 primipares, est de 935,3 97 jours (31,2
mois), avec des variations individuelles importantes (de 768 à
1 123 jours). Ces écarts peuvent être dus à
l'alimentation, témoignant d'une mauvaise conduite des génisses
pendant la phase d'élevage et traduisant la priorité
accordée à l'atelier des vaches laitières aux
détriments des autres animaux [HEINRICHS, 1993]. L'alimentation des
génisses devrait être améliorée afin de mieux
dominer leur croissance. L'intervalle entre vêlages (calculé sur
120 observations) est de 405 89 jours (13,5 mois), moyenne qui
concorde avec celle observée dans d'autres étables
laitières spécialisées du Maroc, mais qui reste
supérieure aux recommandations pour un bénéfice par vache
maximal [SCHMIDT, 1989].
Par ailleurs, un test d'indépendance 2
appliqué aux données de la reproduction (comparaison des
résultats de la monte naturelle par rapport à
l'insémination artificielle) a montré que les taux de
réussite de ces deux modes de saillie n'étaient pas
significativement différents (45,6 et 40,9 % respectivement) (tableau
34).
Tableau 34. Test d'indépendance statistique
(2) de la monte naturelle par rapport à l'insémination
artificielle.
Mode d'insémination
|
Fécondation
|
Non Fécondation
|
Total
|
|
|
|
|
Insémination artificielle
|
136
|
196
|
332
|
Saillie
|
120
|
143
|
263
|
Total
|
256
|
339
|
595
|
2obs = 1,30 ;
2théorique, 1 d.l = 3,84 Pas de
différence significative entre mode de saillie
L'arrêt de l'insémination artificielle n'est pas
justifié, même si l'éleveur affirme avoir de
fréquents différends avec les inséminateurs, notamment
suite à leurs nombreux retards et absences. Les échecs des
inséminations artificielles comme des saillies doivent être
plutôt expliqués par des erreurs de détection des chaleurs,
de choix des horaires d'accouplement, ou encore des mortalités
embryonnaires [NEBEL et MC GILLIARD, 1993].
Sur la période d'étude, le taux annuel de
mortalité des veaux est de 9,6 % en moyenne (compris entre 5,7 % en
1995/1996 et 14,8 % en 1996/1997). Ce paramètre est nettement
supérieur au seuil toléré en élevage laitier, qui
ne devrait pas dépasser 6,0 % et constitue un sérieux frein
à la rentabilité de cet élevage [WOLTER, 1994].
Les proportions du lait (50,5 à 58,5 % du chiffre
d'affaires annuel), des ventes de bovins (veaux, génisses et
réformes) (37,3 %) et du fumier (7,4 %) ont été
relativement constantes sur les trois campagnes étudiées (fig.
25).
Lait
56 %
Bétail
37 %
Fumier
7%
A)
Frais vétérinaires
3 %
Main-d'oeuvre
16 %
Carburant
8 %
Aliments
73 %
B)
Figure 25. Structure du produit brut (A) et des charges
d'élevage bovin (B) dans une exploitation laitière de la zone
pluviale de Ben Slimane.
L'exploitation étudiée, productrice intensive de
lait, est donc également un important pôle de production de
bovins. En dépit de son statut d'étable pépinière
de la province de Ben Slimane, pourvoyeuse en gènes de qualité
pour les exploitations avoisinantes, elle se distingue des étables plus
intensives (SODEA) par une stratégie de diversification des produits
(lait et viande). Ceci est caractéristique d'une adaptation aux risques
de l'aléa climatique, dans la zone de son implantation.
Le chiffre d'affaires total annuel a été peu
affecté (de 1 770 859 à 2 005 805 DH) entre les campagnes
agricoles de 1994/1995 à 1996/1997, les variations enregistrées
étant surtout dues aux ventes de bovins, alors que la production
laitière totale est relativement stable (Tableau 35).
Tableau 35. Rentabilité de la production
laitière au cours des trois années d'étude de
l'élevage de Ben Slimane.
Campagnes Agricoles
|
1994/95
|
1995/96
|
1996/97
|
|
en DH
|
en %
|
en DH
|
en %
|
en DH
|
%
|
|
|
|
|
|
|
|
CHARGES
|
|
|
|
|
|
|
Alimentation
|
1 058 528
|
71,5
|
1 411 677
|
74,7
|
1 231 754
|
72,4
|
Main d'oeuvre
|
264 000
|
17,8
|
264 000
|
14,0
|
264 000
|
15,5
|
Frais vétérinaires
|
18 625
|
1,2
|
56 395
|
3,0
|
25 450
|
1,5
|
Inséminations
|
11 050
|
0,8
|
35 955
|
1,9
|
33 000
|
1,9
|
Carburant et lubrifiants
|
127 777
|
8,7
|
120 661
|
6,4
|
147 515
|
8,7
|
|
|
|
|
|
|
|
CHARGES TOTALES
|
1 479 981
|
100,0
|
1 888 688
|
100,0
|
1 701 719
|
100,0
|
|
|
|
|
|
|
|
PRODUITS
|
|
|
|
|
|
|
Lait
|
1 036 214
|
58,5
|
1 013 255
|
50,5
|
1 110 936
|
56,9
|
Bovins
|
576 245
|
32,6
|
867 750
|
43,3
|
703 050
|
36,0
|
Fumier
|
158 400
|
8,9
|
124 800
|
6,2
|
139 200
|
7,1
|
|
|
|
|
|
|
|
PRODUITS TOTAUX
|
1 770 859
|
100,0
|
2 005 805
|
100,0
|
1 953 186
|
100,0
|
|
|
|
|
|
|
|
Bénéfice total (DH)
|
290 878
|
117 117
|
251 467
|
|
|
|
|
Nombre de vaches
|
82
|
66
|
73
|
|
|
|
|
Bénéfice/vache (DH)
|
3547
|
1761
|
3445
|
La structuration des charges montre une stabilité des
postes de dépenses, avec en moyenne 72,9 % des charges totales pour
l'alimentation des vaches, chiffre très proche de celui des
unités laitières étatiques au Maroc [SRAÏRI et
KESSAB, 1998], dont le niveau de production est nettement plus
élevé. Ces valeurs différent de ce qui est
généralement trouvé en zone tempérée (Europe
plus particulièrement) dans les élevages laitiers (50 à 55
%) [WOLTER, 1994], car les aliments concentrés sont plus onéreux
que les fourrages. La main-d'oeuvre (15,8 %), le carburant et les lubrifiants
(7,9 %) et les frais d'insémination et soins vétérinaires
(3,4 %) représentent les autres charges de production.
Le bénéfice par vache reflète
intensément les variations du bénéfice global, les
effectifs de vaches ne subissant pas de grands changements. Les ventes de
bovins et surtout les intrants mobilisés (aliments) affectent le plus le
bénéfice par vache (2 971 DH en moyenne), ce qui le
place très en deçà des performances de rentabilité
affichées par les étables étatiques (8 242 DH par
vache).
IV-2-5 Conclusion
La production laitière intensive d'une étable
laitière spécialisée de 70 vaches Holstein en zone
pluviale présente une grande variation annuelle de ses résultats
économiques (bénéfice annuel par vache variant du simple
au double). Ces changements reflètent principalement les effets des
fluctuations climatiques, du moment que le rendement moyen annuel en lait par
vache s'est accru régulièrement (de 4 497 à
5 461 kg vache). En effet, suite à un épisode de
sécheresse marqué, les stocks fourragers engrangés sont
médiocres, et la production laitière affiche des résultats
économiques décevants, suite aux achats massifs de
concentrés pour pallier les manques de fourrages. Dans le cas d'une
très forte sécheresse (1994/1995), l'éleveur peut
même être amené à décapitaliser son cheptel,
pour sauvegarder ses vaches les plus performantes et maintenir le niveau de
production par vache. D'où la relative indépendance de la
productivité du troupeau (moyenne économique) vis-à-vis de
la variabilité annuelle du climat, au prix d'un sacrifice
économique très pesant. Ainsi, l'aléa climatique exacerbe
les carences d'élevage (dépendance vis-à-vis des
concentrés, intervalle vêlage-vêlage supérieur
à 390 jours, mortalité des veaux supérieure à
10 %,...) habituellement rencontrées dans d'autres ateliers
laitiers du Maroc, ce qui rend les éleveurs très
vulnérables. L'ensemble de ces facteurs remet en question le
schéma global de développement de la production laitière
intensive en zone pluviale au Maroc. La situation devrait être encore
plus délicate pour les plus petits élevages (moins de 5 vaches),
en raison de leurs moyens de trésorerie limités pour faire face
au déficit de pluviosité, et qui sont majoritaires dans la
structure du cheptel bovin. Ces considérations devraient interpeller les
décideurs à repenser la vocation d'élevage laitier des
régions d'agriculture pluviale, et d'y envisager de nouveaux
systèmes de production plus adaptés à cette
variabilité climatique, afin de conserver une activité agricole
génératrice d'emplois et parer aux risques d'un exode rural
massif.
IV - 3 Suivi continu d'élevages laitiers
suburbains : résultats de sept étables
IV-3-1 Introduction
Un approfondissement des modes d'élevage laitier
suburbains a été mené dans la région de
Rabat-Salé, en poursuivant pendant deux années agricoles
(2000/2001 et 2001/2002) des suivis d'étables dans 7 fermes
représentatives de la région. Ces unités laitières
ont été sélectionnées à partir des
catégories distinguées au cours de l'établissement de la
typologie des élevages suburbains (Partie III.2). Le suivi a
délibérément été étendu sur plus
d'une seule campagne agricole, dans une application directe des
préceptes de l'approche systémique : disposer de valeurs
relatives à plusieurs exercices pour affiner le diagnostic et tenir
compte de la variabilité annuelle des performances [BÉBIN et
al., 1995].
IV-3-2 Méthodologie de l'étude
Les sept étables retenues illustrent le cas de fermes
d'élevage bovin aux caractéristiques fort disparates, à
l'image des résultats obtenues à l'issue de
l'établissement de la typologie des étables suburbaines :
- une ferme appartenant au groupe gaspillant des aliments
concentrés sans gain économique, avec un rendement laitier moyen
inférieur à 2 750 kg par vache (groupe 1 de la
typologie de Rabat - Salé) ;
- deux étables du type spécialisé et qui
se caractérisent par un rendement laitier par vache supérieur
à 4 000 kg et une bonne valorisation des aliments concentrés
conjugués à des ventes de bovins réduites (groupe 2
de la typologie des étables de Rabat - Salé) ;
- une ferme qui relève du groupe dont les
résultats économiques étaient excédentaires
grâce à une alimentation des bovins basés sur les
fourrages (groupe 3 de la typologie de Rabat - Salé) ;
- deux exploitations appartenant au groupe avec des
résultats économiques par vache tout juste positifs grâce
à une distribution de intensive concentrés alimentaires, mais
avec un rendement laitier inférieur à 3 500 kg de
lait (groupe 4 de la typologie).
La dernière exploitation de l'échantillon
consistait en une étable étatique de la SODEA qui avait
été exclue de l'élaboration de la typologie
d'étables, en raison de ses paramètres tant techniques
qu'économiques largement décalés par rapport au reste des
fermes. Toutefois, en raison de ses caractéristiques frappantes de
conduite du cheptel bovin, nous l'avons maintenue dans le suivi annuel, car
elle illustre un modèle de production laitière intensive
singulier par rapport aux réalités de l'élevage au Maroc
(variabilité climatique, absence de « culture »
fourragère - le mot culture devant être considéré
ici dans sa dimension humaine et non seulement agricole -, longue tradition
d'élevage bovin allaitant plutôt que laitier...). Dans le premier
chapitre de cette quatrième partie du doctorat, un large aperçu
sur les pratiques en vigueur et les performances qui en sont issues, dans ce
type d'étables, a été présenté.
Au cours des deux campagnes agricoles où le suivi s'est
déroulé, une visite mensuelle a été
réalisée afin de noter les éléments liés aux
changements de rations alimentaires, aux ventes et achats d'animaux, aux
rendements laitiers globaux de l'étable, aux évènements de
la reproduction et aux pratiques culturales appliquées aux
différents fourrages.
Par la suite, les résultats économiques par
vache et par campagne agricole ont été déduits.
Une monographie d'étable a été
élaborée pour chaque exploitation, en veillant à consigner
les évènements les plus saillants pour en comprendre le
fonctionnement : paramètres structurels, calendrier alimentaire,
main-d'oeuvre employée, type de gestion ...
En vue de mieux exploiter les résultats issus de la
diversité des exploitations suivies, il a été
procédé à la détermination d'un modèle de
prédiction du rendement moyen annuel en lait par vache pour chaque ferme
par rapport aux variables reflétant l'alimentation du cheptel.
L'idée est de créer un outil prédictif fiable de la
productivité moyenne par vache et par étable en conditions
suburbaines. Ceci pourrait pallier l'actuelle carence en données issues
du terrain (rareté du contrôle de performances) et d'aider par
conséquent à planifier des programmes d'appui technique pour les
éleveurs.
IV-3-3 Situation générale des
exploitations et de leurs moyens de production
Deux des sept étables sont détenues par des
agriculteurs n'exerçant pas d'autres activités. Les cinq
restantes sont gérées par des salariés du secteur
privé (médecin, ingénieur) ou par des fonctionnaires de
l'Etat. Ceci confirme les observations de travaux antérieurs en relation
avec l'élevage suburbain où les citadins investissent le plus
souvent le champ de la production agricole en mobilisant une part de leurs
revenus afin de générer davantage de richesses [CENTRÈS,
1996 ; MOUSTIER et PAGÈS, 1997].
La superficie moyenne par ferme était de 186 286 ha,
caractérisée par une ample variation de 3 à 386 ha. Deux
fermes représentaient plus de 90 % de la superficie totale et
détenaient près de 36 % des vaches (Tableau 36).
Tableau 36. Paramètres structurels des fermes
suburbaines étudiées.
|
Minimum
|
Moyenne #177; écart type
|
Maximum
|
|
|
|
|
Superficie arable (ha)
|
3
|
186 #177; 101
|
386
|
Superficies fourragères (ha)
|
5
|
23,4 #177; 24,7
|
75
|
Effectif en vaches
|
16
|
31,4 #177; 18,6
|
67
|
Chargement (ha de fourrage/vache)
|
0,16
|
0,38 #177; 0,69
|
0,83
|
Après plus de 10 années de sécheresse
relative, les potentialités d'irrigation étaient
sérieusement diminuées et ceci a affecté la
disponibilité en fourrages. Par conséquent, les fourrages
correspondaient principalement à des cultures pluviales telle que la
triticale ou l'orge, l'avoine et le mélange avoine-vesce à
l'automne et en hiver. Trois exploitations avec des investissements
coûteux dans les moyens d'irrigation (motopompe et système
d'aspersion) pratiquaient en plus des cultures fourragères estivales
tels le maïs et le sorgho pour disposer de verdure aux moments de soudure.
Ces fourrages sont le plus souvent ensilés. De manière
générale, le chargement animal était très
élevé, puisqu'il n'y avait que 0,38 ha de fourrages par vache.
Au niveau de l'étable étatique (SODEA), ce paramètre
affichait une valeur minimale de 0,16 (6,5 vaches à l'ha de fourrages),
révélant que l'assise foncière de cette ferme est en
priorité dévolue à des cultures de rente et non pas aux
fourrages, tel que ça a été observé dans d'autres
études vouées à ces mêmes étables
[SRAÏRI et KESSAB, 1998].
IV-3-4 Alimentation, production laitière et
reproduction du cheptel bovin des fermes suburbaines
Face aux contraintes climatiques et à
l'exiguïté des parcelles (même quand le terrain est
disponible les agriculteurs déclarent le réserver en
priorité à des cultures de rente plutôt qu'aux fourrages),
le bilan fourrager des vaches repose en grande partie sur les achats de
concentrés. C'est ce qui ressort de manière claire du tableau
37.
Tableau 37. Paramètres d'alimentation des vaches dans
les fermes suburbaines étudiées.
Paramètre
|
Minimum
|
Moyenne #177; écart type
|
Maximum
|
|
|
|
|
UFL cc/v/an
|
1 367
|
2 924 #177; 1 237
|
4 834
|
UFL cc/kg lait
|
0,48
|
0,63 #177; 0,25
|
1,29
|
Ratio Fourrages / Concentrés (%)
|
12
|
25 #177; 11
|
41
|
La quantité moyenne d'énergie issue des
concentres par vache était de 2 924 #177; 1 237 UFL, avec une
variation très intense entre étables avec des modes
d'élevage extensif (1 367 UFL dans l'étable n°5) et
étables spécialisées en lait avec recours
systématiques aux concentrés (4 834 UFL dans l'étable
étatique de la SODEA). Cette tendance se retrouve aussi dans
l'efficience de conversion des concentrés en lait qui a affiché
une très large variabilité. Ainsi, une valeur moyenne de 0,63 UFL
issues des concentrés par kg de lait a été trouvée.
Elle variait de 0,48 à 1,29 UFL respectivement dans les étables
n° 6 et 5. Ces chiffres montrent que l'usage des concentres alimentaires
était associé à la satisfaction des besoins
énergétiques d'entretien des troupeaux, du moment que les
consommations en énergie issue des concentrés dépassent le
besoin unitaire de production d'un litre de lait (0,43 UFL) lorsque les
fourrages assurent l'entretien [INRA, 1988]. Ces données
démontrent de manière très claire la rareté des
fourrages et aussi l'ampleur des erreurs de rationnement, sachant que dans six
des sept étables, les fermiers n'avaient pas recours à une
confection de rations équilibrées. En fait les carences
minérales et encore plus protéiques ne peuvent qu'altérer
l'efficience de conversion de l'énergie des concentrés en lait
comme le souligne WOLTER [1995].
Par conséquent, les fourrages ne représentaient
que 25 % de la valeur de l'énergie issue des aliments
concentrés. Dans quatre des sept fermes, la gamme de concentrés
utilisés était très étroite : orge grain,
pulpe sèche de betterave (PSB) et son de blé. L'association
« galactogène », qui pourrait être
qualifiée de miracle selon le jargon des éleveurs, entre la
PSB et le son de blé provient de l'énergie hautement
digestible des fibres de la PSB conjuguée aux matières
azotées totales du son de blé. Elle ne peut qu'avoir un effet
bénéfique pour rehausser la valeur d'un fourrage pauvre et
même d'une paille, que d'ailleurs beaucoup d'éleveurs
considèrent comme un fourrage. Mais la synergie issue de cette
association alimentaire, certes efficace pour des vaches rustiques faiblement
laitières, telles que les croisées et les locales, montre des
limites évidentes lorsqu'il s'agit de nourrir des bovins à
très fort potentiel laitier : insuffisance quantitative
azotée, déséquilibre en acides aminés limitant et
risques d'acidose [SRAÏRI et FAYE, 2004]. De plus, la propagation
généralisée de cette ration modèle « son
de blé + PSB » en constitue paradoxalement le facteur limitant
principal, tant ces matières premières connaissent des
fluctuations de prix au moindre soubresaut du marché
(renchérissement poussé en début de sécheresse,
dépréciation importante après des pluies, dès que
le disponible herbager peut dispenser d'acheter de coûteux aliments, de
surcroît pour des éleveurs aux moyens de trésorerie
limités)
La ferme étatique de la SODEA et deux autres fermes
avaient accès à d'autres types de concentrés, telles les
pulpes d'agrumes déshydratées, les tourteaux de soja et de
tournesol et de la luzerne déshydratée importée ;
cette dernière assumant un rôle de fibres additionnelles hautement
digestibles pour les vaches laitières.
La reproduction des vaches
laitières était exclusivement assurée par
l'insémination artificielle. En fait, l'intervalle moyen entre
vêlages était de 399,1 #177; 10,6 jours (Tableau
38). Cette valeur était proche des recommandations pour une
rentabilité optimale sur les fermes laitières [NEBEL et MC
GILLIARD, 1993]. Elle est aussi sensiblement similaire aux 397,6 jours
d'intervalle entre vêlage trouvés par BENAICH et al.
[1999] dans des élevages laitiers de la même région sous la
coupe des mêmes inséminateurs. Ceci illustre la réussite
des interventions des inséminateurs, et aussi des détections de
chaleur. Ces résultats peuvent être expliqués par les
conditions favorables qu'offre l'environnement périurbain pour la
pratique de l'IA : facilités de communications grâce aux
téléphones portables, bonne infrastructure routière et
distances courtes entre exploitations. Ce genre de causes est à
l'origine de circuits d'IA performants, selon BASTIAENSEN [1997]. En revanche,
l'âge moyen au premier vêlage était en retard par rapport
aux recommandations, puisqu'il atteignait 917 jours, soit environ 30 mois. Ceci
renseigne sur des vitesses de croissance des génisses inadaptées
et illustre une tendance très fréquente dans les fermes
laitières des pays en voie de développement : une maturité
sexuelle retardée des génisses Holstein due à une
ingestion d'énergie insuffisante au cours de la croissance [DE JONG,
1996; HEINRICHS et HARGROVE, 1987]. Il faut d'ailleurs mentionner à cet
égard que les veaux en croissance, étant le plus souvent
refoulés à un rôle de compétiteur vis-à-vis
des vaches, ils se trouvent relégués à consommer les refus
et à faire les frais des périodes de disette, avec ce que
ça sous-entend de retards de croissance, et même de
mortalité. Les jeunes femelles sont sûrement celles qui paient les
tributs les plus élevés à ces limitations, et il n'est pas
rare de remarquer que des élevages laitiers de taille imposante ne
disposent d'aucune stratégie pour le renouvellement, quand ils n'ont pas
vendu toutes leurs génisses. Quant à parler des
spécificités des pratiques destinées aux jeunes femelles
pour les préparer à une longévité maximale et
amortir par conséquent le coût de revient de leur élevage
est utopique, tant les jeunes veaux femelles et les génisses sont
considérées comme un « mal »
encombrant [SRAÏRI et FAYE, 2004].
Le rendement moyen en lait par vache était de
4 179 #177; 1 943 kg. Il a varié de 1 036 à
5 994 kg. Les valeurs maximale et encore plus moyenne montrent que le
potentiel laitier de la race Holstein n'est pas atteint. Ceci peut être
expliqué par les limitations d'ordre environnemental, notamment au
niveau de l'alimentation des vaches. Des rations riches en concentrés et
rarement équilibrées, avec une part ridicule de fourrages de
qualité, ont en effet été observées tout le long du
suivi d'élevage et dans la majorité des étables.
Tableau 38. Caractéristiques de la reproduction et
rendement laitier par vache des fermes suburbaines
Paramètre
|
Minimum
|
Moyenne #177; écart type
|
Maximum
|
Intervalle entre vêlage (jours)
|
384
|
399,1 #177; 10.6
|
415
|
Age au premier vêlage (jours)
|
880
|
917,2 #177; 25,7
|
944
|
Rendement laitier par vache (kg)
|
1 036
|
4 179 #177; 1943
|
5 994
|
IV-3-5 Evaluation des résultats
économiques des fermes laitières suburbaines
Les achats d'aliments représentent 66,8 % des
charges totales. Un extremum de 87,5 % a même été
calculé pour la ferme n°2, montrant sa dépendance totale
vis-à-vis des ressources externes. Le prix moyen de revient d'un kg de
lait sans la prise en considération des ventes de bovins était de
3,1 #177; 0,7 DH, alors que le prix moyen de vente du lait était de 3,0
DH/kg. Ceci correspond à une perte de 0,1 DH par litre de lait, que
compensent les ventes de bovins (veaux et vaches de réforme). En fait le
bénéfice d'exploitation par vache était de 6 212
#177; 2 420 DH, variant de 2 561 DH dans l'exploitation n°4
à 11 185 DH dans la ferme n°6. Ces variations étaient
expliquées par le poids des ventes d'animaux et par les fluctuations des
coûts de production par ferme. Ceci transparaît visiblement
à partir des données consignées dans le tableau 39.
Même si la vaste majorité des fermes utilise des concentrés
pour compenser le manque de fourrages, c'est bien plus l'efficience de
valorisation en lait de ces concentrés qui marque la différence
en termes de rentabilité. Ainsi, si certaines fermes ont clairement
affiché l'ambition d'une spécialisation laitière, comme
c'est le cas pour les fermes 3, 4 et 7, d'autres étables, telles que la
1, la 2 et la 6 pratiquent plutôt un élevage bovin mixte (lait et
viande simultanément), tandis que l'étable n° 5 est
plutôt portée sur l'élevage allaitant exclusif, même
si elle a des vaches Holstein. En fait, comme le rapporte EDDEBBARH [1986], au
Maroc, la production de viande bovine demeure largement dépendante des
étables classées comme laitières, dans un contexte
d'absence d'importations de races à viande
spécialisées.
Tableau 39. Performances
économiques des vaches laitières dans les fermes suburbaines
Paramètre
|
Minimum
|
Moyenne #177; écart type
|
Maximum
|
|
|
|
|
Coût de production du lait (DH/kg)
|
2,2
|
3,1 #177; 0,7
|
3,9
|
Ventes de bovins/Ventes totales (%)
|
18,8
|
29,9 #177; 12,6
|
56,3
|
Aliments/Charges totales (%)
|
39,6
|
66,8 #177; 17,0
|
87,5
|
Bénéfice par vache (DH)
|
2 561
|
6212 #177; 2420
|
11185
|
IV-3-6 Modélisation du rendement laitier moyen
par vache
Cette étape a été conçue afin de
prédire les variables les plus significatives en relation avec
l'activité des fermes laitières suburbaines, et dont le rendement
laitier et le bénéfice par vache ne sont pas des moindres.
Les résultats montrent qu'une fonction linéaire
relie le rendement laitier moyen par vache à la consommation annuelle
d'énergie issue des concentrés (figure 26). L'équation de
prédiction ainsi obtenue était significative (P = 0,05)
expliquant 86,2 % de la variation totale du rendement laitier par
vache.
Cette équation montre qu'en zone suburbaine au Maroc,
le rendement laitier annuel par vache est expliqué par la consommation
en concentrés. Ceci rejoint les affirmations de SUSMEL et al.
[1989] selon lesquelles dans de nombreuses régions de la rive Sud de la
Méditerranée, la production bovine laitière est le plus
souvent assurée à « coups de
concentrés ».
Les conséquences de cet état de fait font que
les mesures d'appui technique ont tout intérêt à assimiler
ces excès de concentrés dans leur manière d'agir
plutôt que de s'échiner à vulgariser uniquement les
fourrages pour augmenter la production laitière par vache. C'est
plutôt vers un équilibre de ces rations riches en
concentrés et par la diminution de leurs coûts en jouant sur des
matières alternatives qu'il faudrait se diriger.
Exp 3
Exp 2
Exp 1
Exp 4
Exp 7
Exp 6
Exp 5
Figure 26. Corrélation entre le
rendement laitier et la consommation de concentrés par vache en
étables suburbaines.
En essayant de déterminer les facteurs
influençant la rentabilité par vache, il s'est
avéré qu'il était impossible d'aboutir à une
équation de corrélation significative pour modéliser ce
paramètre. En fait, les valeurs de rentabilité par vache
étaient très variables entre les exploitations et par
année, affectées par une diversité de paramètres,
tels les volumes de ventes de bovins, le savoir-faire en terme de
commercialisation (termes de la vente), le rendement laitier et les modes
d'alimentation par vache. Ces considérations appellent donc à
davantage de recherche pour une meilleure maîtrise de l'économie
des fermes laitières.
IV-3-7 Conclusion
Cette étude a confirmé la grande
diversité des types d'élevage bovin dans les conditions
suburbaines au Maroc. Même si le type génétique Holstein
est exclusif dans les fermes étudiées, la spécialisation
laitière est loin d'être généralisée et les
performances de production laitière et la rentabilité par vache
reflètent des objectifs voire des stratégies d'élevage
très variables. Toutefois, cette diversité ne peut occulter une
tendance générale très forte : la dépendance des
fermes vis-à-vis de l'achat d'aliments concentrés pour la
production. En témoigne les chargements en vaches par ha très
élevés et encore plus la corrélation hautement
significative entre le rendement laitière par vache et la consommation
en concentrés. La production laitière suburbaine jouit
néanmoins d'avantages comparatifs par rapport à celle en zones
irriguées, à commencer par sa proximité vis-à-vis
des grands centres de consommation et aussi son implantation dans des zones
où les services et intrants d'élevage sont plus
disponibles : aliments concentrés importés et services
d'insémination artificielle, de prophylaxie sanitaire et d'appui
zootechnique. C'est pour ces raisons que des actions de promotion du secteur
laitier suburbain devraient prendre en compte beaucoup plus la vulgarisation de
rations adaptées, même à base de forts niveaux d'apports de
concentrés, pour récupérer les manques à gagner
identifiés. Par la suite pourraient intervenir les actions sur
l'amélioration fourragère, que, visiblement, la majorité
des fermes continue de dédaigner. La diversité des types
d'élevage est aussi impérative à considérer
plutôt que de vouloir imposer un schéma de production
laitière intensive, alors que certaines étables adoptent
clairement des stratégies vers des types d'élevage mixte voire
même allaitant.
IV - 4 Incidences des pratiques d'élevage sur la
qualité du lait dans cinq étables suburbaines de Rabat -
Salé
IV-4-1 Introduction
L'impératif d'augmentation de la quantité du
lait est indéniable au Maroc et a été à l'origine
de l'instauration du « Plan laitier » de 1975. Toutefois,
à l'image de la situation en Tunisie, les critères relatifs
à la qualité du lait acquièrent une importance
incontestable avec l'accroissement des exigences du consommateur et de
l'industrie laitière [DJEMALI et KAYOULI, 2003]. Or, actuellement,
très peu de références à l'échelle du Maroc,
font le bilan de l'évolution au cours de l'année de la
qualité du lait en étables, étant donné la
rareté des élevages soumis au contrôle laitier officiel. Le
peu de travaux disponibles ne se sont intéressés qu'à la
qualité du lait de mélange en centres de collecte
coopératifs, ou à l'aspect hygiénique des laits et des
dérivés laitiers les plus usuels au Maroc [HAMAMA et
al., 1998].
Aussi cette partie du travail vise-t-elle à
établir à l'extrême amont de la filière
laitière, c'est-à-dire à la sortie de l'étable,
l'évolution annuelle de la qualité du lait et ses relations avec
les paramètres zootechniques induits par la conduite du cheptel. Cette
méthodologie de travail pour appréhender la diversité des
laits produits dans une région donnée est d'ailleurs devenue
courante [COULON et al., 2003 ; AGABRIEL et al.,
2001].
Ce genre d'étude permettrait ainsi d'affiner les
diagnostics antérieurs relatifs aux performances des étables
laitières au Maroc, en précisant les termes de la qualité
du lait et ses évolutions mensuelles.
IV-4-2 Méthodologie de l'étude
La méthodologie adoptée a consisté en une
série de douze sorties mensuelles sur cinq des étables
suburbaines préalablement étudiées. Ces exploitations ont
été choisies de manière à refléter les
principaux types d'élevage laitiers identifiés au cours de
l'étude typologique des étables de la région. Ont donc
été choisies une étable étatique (n°4)
spécialisée en production laitière, deux étables
illustrant une production bovine mixte (lait et viande) avec un système
d'alimentation à base de concentrés (étables n°3 et
5) et deux étables à base de davantage de fourrages dans le bilan
énergétique (fermes n° 1 et 2).
Les passages ont débuté en septembre 2002 et se
sont achevés vers la fin du mois de juillet 2003. Douze
échantillons ont été finalement collectés pour
chaque exploitation, à raison d'un échantillon par mois.
Afin de faciliter l'accès à une information
fiable relative à la conduite du cheptel et aux performances techniques
et économiques, un questionnaire a été établi et
rempli à chaque contrôle. Il s'intéressait aux
différentes activités de l'élevage bovin laitier, à
savoir :
- les variables de structure regroupant la surface agricole
utile (SAU), la sole fourragère, les bâtiments, l'effectif, la
structure génétique et la composition du troupeau et le mode de
traite ;
- les variables de conduite, qui rapportent les modes
d'alimentation du cheptel bovin, telles que les quantités d'aliments
concentrés, et de fourrages consommées par vache, et les
performances de la reproduction ;
- les variables de production, représentées par
les productions laitières enregistrées à chaque passage
à partir desquels a été déterminée la
production annuelle totale.
La collecte des échantillons pour la
détermination de la qualité du lait se faisait juste
après la traite matinale. Deux échantillons ont été
prélevés à chaque passage :
- le premier concernant l'aspect physico-chimique, consistait
en 0,5 litre de lait de mélange ;
- le deuxième pour la détermination de la
qualité hygiénique consistait à prendre dans des flacons
en verre de 100 ml, déjà stérilisés dans un
autoclave à 120°C et à une pression de 2 bars pendant 30
minutes et fermés hermétiquement, 90 ml de lait de mélange
par une louche enflammée par de l'alcool à brûler pour
éviter toute contamination externe à l'échantillon.
Les critères physico-chimiques analysés sont les
suivants :
- le pH et la température à la ferme
(pH-thermomètre de type WTW inolab, pH level 1) ;
- la densité à 20°C, en utilisant un thermo
lactodensimètre de type Dornic ;
- le taux butyreux, selon la méthode de Gerber
appliquée au lait en utilisant une centrifugeuse de marque Gerber
Instruments (Gerber Instruments, Micro II, CH 8307, Effretikon,
Confédération Helvétique) ;
- le taux protéique, selon la méthode de
Kjeldahl appliquée au lait (protéines totales = N total x
6,38 ; soit 15,67 % d'azote dans les protéines du lait), selon la
méthode proposée par AFNOR [1977].
La température et le pH du lait sont mesurés sur
place et l'échantillon est réfrigéré dans une
glacière de terrain à 6°C pour éviter l'effet de la
température ambiante lors du transport vers le laboratoire. A ce niveau,
sont déterminés dans les 24 heures, la densité, le taux
butyreux et le taux protéique.
La présence de résidus d'antibiotiques dans les
échantillons de lait est aussi vérifiée en laboratoire par
le test Delvotest®, méthode officielle utilisée dans les
pays de l'Union européenne pour détecter la présence
d'inhibiteurs de la flore du lait. Elle est corroborée par des
enquêtes orales auprès des éleveurs pour s'assurer de la
présence ou non de vaches traitées aux antibiotiques le jour des
prélèvements d'échantillons de lait.
Le dénombrement de la FMAT (Flore Mésophile
Aérobie Totale) a été réalisé sur une
gélose pour numération (Plate Count Agar, PCA, fournie par Biokar
Diagnostics, France) à 30°C pendant 72 h, selon la méthode
standard pour les produits laitiers [INTERNATIONAL DAIRY FEDERATION, 1987].
Les analyses statistiques ont été
réalisées en deux étapes complémentaires :
- analyses descriptives pour le calcul des moyennes, des
écart types, des maxima et des minima des paramètres
étudiés.;
- analyses multivariées visant à mettre en
relation une typologie des laits et les pratiques d'élevage, à
savoir, une Analyse en Composantes Principales (ACP) sur les variables de la
qualité du lait centrées et réduites, suivie d'une
Classification Ascendante Hiérarchique (CAH) en utilisant le
critère de Ward pour l'analyse hiérarchique.
Ultérieurement, la comparaison des moyennes des
paramètres de qualité du lait par rapport à des valeurs
considérées comme normales a été
réalisée par le test T. de Student [DAGNELIE, 1975].
Le logiciel statistique utilisé est SAS [SAS, 1998].
IV-4-3 Résultats et discussion
IV-4-3-a Performances de production des fermes
étudiées et évaluation de la qualité du lait
Sur les cinq exploitations étudiées, seule la
première est dirigée quotidiennement par le propriétaire
des lieux qui est lauréat de la faculté des sciences de Rabat.
Les autres éleveurs sont des fonctionnaires, des commerçants, ou
carrément salariés d'une entreprise étatique dans le
domaine de l'agriculture (SODEA). Seules les fermes avec de grandes superficies
(> 100 ha) ont des techniciens d'élevage (cas de l'exploitation
n°3 et de la SODEA), les autres étant gérées par des
salariés sans formation supérieure. Ceci peut nuire à la
qualité de la prise de décision pour la gestion quotidienne des
étables. Les superficies totales et précisément celles des
fourrages concrétisent l'aspect de conduite «hors sol» des
élevages périurbains des différentes unités
étudiées. Ainsi on remarque que la charge animale atteint une
moyenne de 0,33 ha de fourrage par vache, avec un cas extrême de 0,14 ha
par vache : cas de la ferme étatique de la SODEA (tableau 40).
Tableau 40.
Caractéristiques structurelles des élevages suburbains
étudiés pour leurs paramètres de qualité du
lait.
|
Exp. 1
|
Exp. 2
|
Exp. 3
|
Exp. 4
|
Exp. 5
|
Moyenne
|
|
|
|
|
|
|
|
SAU (ha)
|
14
|
29
|
260
|
386
|
11
|
140,2
|
SF (ha)
|
11
|
23
|
75
|
8
|
9
|
24,8
|
Effectif en vaches
|
16
|
38
|
57
|
59
|
16
|
37,2
|
ha fourrage/vache
|
0,69
|
0,61
|
1,32
|
0,14
|
0,58
|
0,33
|
La stabulation dans la majorité des exploitations est
semi entravée à l'exception de la SODEA où elle est de
type entravé. La traite se fait deux fois par jour sauf pour la SODEA
avec trois traites quotidiennes.
La pluviosité importante qu'a connue la région
de Rabat - Salé lors de l'année de l'étude (2002/2003), a
permis aux différentes fermes de bénéficier des repousses
d'herbe, ce qui a amené certaines exploitations à réduire
les apports en concentrés.
Les cultures fourragères emblavées au niveau des
exploitations étudiées correspondent à six espèces
différentes : l'orge (déprimage), le mas, le bersim, la luzerne,
le triticale et l'avoine (figure 27). L'utilisation de la paille comme autre
source d'aliments grossiers a été constatée dans la
totalité des exploitations, mais avec des quantités
différentes et à des niveaux de distribution très
variables.
Mois
|
Sep
|
Oct
|
Nov
|
Déc
|
Jan
|
Fév
|
Mar
|
Avr
|
Mai
|
Jui
|
Juil
|
Aoû
|
Exploitation 1
Paille
Orge (déprimage)
Chaumes céréales
Pâturage d'avoine
Concentrés
|
|
Exploitation 2
Paille
Bersim en vert
Orge (déprimage)
Triticale ensilage
Pâturage / chaumes
Concentrés
|
|
Exploitation 3
Paille
Luzerne en vert
Concentrés
|
|
Exploitation 4
Paille
Herbe en vert
Ensilage avoine
Foin vesce-avoine
Concentrés
|
|
Exploitation 5
Paille
Luzerne
Mas en vert
Repousses d'herbe
Concentrés
|
|
Figure 27. Calendrier
fourrager des fermes laitières suburbaines étudiées pour
leurs paramètres de qualité du lait.
Les concentrés les plus utilisés dans les
différentes fermes sont l'orge, la pulpe sèche de betterave, le
tourteau de soja et de tournesol, la luzerne déshydratée, son de
blé, le screening (résidus de meunerie) ainsi que l'aliment
composé de l'ACEB (Association Chellah des Eleveurs de Bovins) dit
Aliment de l'Unité d'Alimentation du Bétail (UAB).
En analysant le tableau 41, on constate l'importance de
l'utilisation des concentrés dans ces élevages et aussi la
variabilité de leur distribution, qui est due aux différences des
stratégies alimentaires adoptées. La quantité moyenne
d'UFL issues des concentrés par vache et par an de tous les
élevages étudiés est de 3 082, valeur
légèrement supérieure à celle trouvée par
SRAÏRI et LYOUBI [2003] lors de l'établissement d'une typologie de
fonctionnement d'étables suburbaines, qui était de 2 924
UFL.
Le rapport exprimant la valorisation métabolique des
concentrés est de 0,72 UFL par kg de lait. Il illustre un gaspillage des
concentrés dans la couverture des besoins d'entretien et/ou des erreurs
de rationnement [INRA, 1988], puisque largement supérieur au besoin
énergétique correspondant à 1 kg de lait, lorsque les
besoins d'entretien sont satisfaits par les aliments grossiers (0,43 UFL).
La moyenne des différents paramètres
rapportés dans le tableau 39 montre une dépendance flagrante de
ces exploitations vis-à-vis des concentrés provenant de
l'extérieur de la ferme, afin de combler l'insuffisance des fourrages.
Ceci réaffirme le type d'élevage «hors sol» qui
caractérise ces exploitations suburbaines. Les variations de ces
paramètres entre les différentes fermes sont expliquées
par les stratégies de production adoptées pour chaque
exploitation ainsi que les objectifs poursuivis par chaque éleveur.
Certains semblent privilégier une production maximale de lait avec la
diminution des dépenses en concentrés en tablant sur la
production endogène de fourrages (exploitations 1 et 2) tandis que
d'autres visent un rendement laitier peu important et en se reportant sur le
veau comme produit terminal (fermes 3 et 5). Finalement, l'étable
étatique (ferme 4) est plus particulièrement portée sur un
rendement maximal sans considération pour les dépenses en
concentrés. La production laitière totale annuelle par
étable est en moyenne de 171 320 litres mais avec un écart
type de 87 114 litres. La production la plus faible est de 61 164 litres
affichée par l'exploitation n°5 et la plus importante est celle de
la SODEA avec 389 057 litres. Le rendement laitier moyen par vache par an pour
toutes les exploitations est de 4 338 kg. Cette valeur est
supérieure à celle déterminée lors de
l'établissement de la typologie d'élevage en zone
suburbaine : 3 218 kg en moyenne pour les vaches de 48 exploitations
avec des stratégies d'élevage très diverses [SRAÏRI
et LYOUBI, 2003]. Ceci confirme le choix, dans ce suivi, d'étables
à vocation plus intensive en matière de production
laitière que la moyenne régionale. Toutefois cette performance
moyenne reste très en deçà des potentialités des
vaches (toutes de race Holstein) et témoigne des erreurs de conduite,
notamment en matière de rationnement.
Tableau
41. Caractérisation de l'alimentation et des performances
laitières et de reproduction des vaches en étables
suburbaines.
|
Exp. 1
|
Exp. 2
|
Exp. 3
|
Exp. 4
|
Exp. 5
|
Moyenne
|
|
|
|
|
|
|
|
UFLcc/kg lait
|
0,59
|
0,51
|
0,96
|
0,74
|
0,82
|
0,72
|
UFLcc/v/an
|
2 968
|
2 467
|
2 701
|
4 280
|
3 011
|
3 082
|
ME (kg lait/v/an)
|
4 667
|
4 509
|
2 813
|
6 592
|
3 823
|
4 338
|
IVV* (j)
|
417
|
404
|
408
|
387
|
397
|
402,6
|
IVV : Intervalle vêlage - vêlage.
La reproduction du cheptel bovin, appréhendée
à partir de l'intervalle moyen entre vêlage, était
sensiblement bien maîtrisée. Cet intervalle était de
l'ordre de 402 j ; valeur très proche de ce qu'ont trouvé
BENAICH et al. [1999], lors d'une étude sur des étables
laitières de la même région de Rabat - Salé. Les
étables étudiées par ces auteurs étaient, comme les
nôtres, toutes soumises à un suivi régulier par des
inséminateurs.
Les charges liées à l'alimentation sont
élevées dans la majorité des exploitations,
représentant en moyenne près de 64,4 #177; 7,43 % des
charges totales. Par conséquent, pour produire un kg de lait il faut en
moyenne 2,86 DH, ce qui ne laisse pas une marge importante de gain au litre du
lait en comparaison avec son prix de vente. Pour certaines exploitations
(SODEA), les charges de production laitière (3,97 DH/kg)
dépassent le prix de vente du lait (3 DH/kg), et seules les ventes de
bovins (veaux et vaches de réforme) permettent de rétablir
l'équilibre (Tableau 42).
L'étude des niveaux de mortalité des bovins
révèle que dans l'unité étatique pas moins de 13
vaches et 7 jeunes animaux sont morts au cours de cette campagne agricole
2002/2003. Ceci représente 22 % de l'effectif total des vaches et 16 %
des jeunes. Ces taux de mortalité sont bien plus élevés
que ce qui est relevé dans les autres fermes (entre 0 et 3 %) et surtout
par rapport aux normes d'élevage [METGE, 1990]. Les causes directes,
telles qu'apparaissant dans les documents tenus par cette exploitation (rapport
d'autopsies), sont réparties entre des diarrhées aiguës,
les renversements de la matrice... Le statut étatique
de cette exploitation et le style intensif d'élevage basé sur les
concentrés expliquent aussi l'ampleur des mortalités
dénombrées, du moment que les bovins n'appartiennent pas à
ceux qui en assurent les soins.
Tableau 42. Paramètres
économiques de la production laitière dans les étables
suburbaines
Paramètre
|
Moyenne
|
Minimum
|
Maximum
|
|
|
|
|
PML (DH/l)
|
3,16 #177; 0,13
|
3,0
|
3,5
|
PRK (DH/l)
|
2,86 #177; 0,82
|
1,05
|
3,97
|
VA/T (%)
|
38,5 #177; 10,6
|
21,4
|
55,2
|
CAT (%)
|
64,4 #177; 7,43
|
54
|
78
|
MBV (DH/v)
|
8 316 #177; 2 146
|
4 401
|
13 109
|
BV : bénéfice par vache
présente ; CAT : charges alimentaire par rapport aux charges
totales ; PML : prix moyen de vente du litre de lait ;
PRK : prix de revient du kg de lait ; VA/T : rapport entre les
ventes des animaux et les ventes totales ;.
Le bénéfice d'exploitation par vache est
affecté par les charges importantes liées à
l'alimentation, elles mêmes issues des superficies fourragères
minimes dans ces exploitations. Il est aussi très fortement lié
aux ventes d'animaux le long de l'année. Le bénéfice moyen
par vache a été de 8 316 #177; 2 146 DH par vache
contre 6 212 DH par vache l'année précédente. Ce
résultat est expliqué par les ventes massives d'animaux dans
certaines exploitations, suite à une conjoncture de marché
favorable. En effet, avec une meilleure pluviosité, les prix des bovins
s'accroissent en réponse à la spéculation sur le
bétail : la profusion d'herbe encourage plusieurs opérateurs
à investir sur de jeunes bovins [COULEAU, 1968].
Lors de l'étude des paramètres de
qualité, seuls les laits des trois premières fermes ont
affiché des taux butyreux moyens supérieurs (P < 0,05) aux
normes en deçà desquelles les usines laitières sont
supposées appliquer des pénalités (35 g/kg).
Dans la quatrième étable (ferme étatique
de la SODEA), la faiblesse du taux butyreux moyen peut être
expliqué par l'effet dilution du lait [LABARRE, 1994], dû à
un rendement laitier moyen par vache important (6 592 kg par vache). Ce
facteur « dilution » est bien sûr aggravé par
un bilan énergétique dominé principalement par les
concentrés. Dans l'exploitation n° 5, le taux butyreux moyen ne
dépasse pas 32,2 g/kg et cette valeur ne peut être
imputée qu'aux erreurs de rationnement (aliment composé UAB riche
en concentrés de type « amidon »,
céréales), puisqu'il n'y a pas à ce niveau d'effet
dilution (le rendement laitier par vache n'est que de 3 823 kg).
L'évolution annuelle des taux butyreux et
protéique des laits collectés dans les cinq étables est
illustrée dans la figure 28. Elle montre l'ampleur des variations du
taux butyreux en comparaison au taux protéique, nettement plus stable.
En effet, le taux butyreux est cité par divers auteurs comme très
fortement influencé par les facteurs impliqués en élevage
laitier : animaux, rations, climat... [MARTIN et al., 2003 ;
LABARRE, 1994].
Figure 28. Variations des taux butyreux et protéiques
annuels moyens en fonction des exploitations étudiées
Le taux protéique moyen par exploitation a
été conforme à la norme de 30 g/kg (P
< 0,05). En accord avec les résultats d'autres
études, des apports massifs en concentrés dans les rations de
vaches laitières constituent un facteur stabilisant du taux
protéique [COULON et RÉMOND, 1991].
Les températures des différents
échantillons mesurées à la ferme, montrent que les laits
des fermes n°3 et 4 (ferme étatique) ont des moyennes qui ne
dépassent pas les 9°C. Ceci résulte en des pH moyens de 6,83
et 6,80, relativement supérieurs aux pH des laits des autres
exploitations (1, 2, 5) qui varient entre 6,67 et 6,69. Ce résultat est
expliqué par la présence dans ces deux exploitations (les
n°3 et 4) des conditions de réfrigération du lait
après la traite. Le lien est fait aussi avec le comptage cellulaire par
ml de lait (FMAT). On remarque ainsi que les deux exploitations disposant de
moyens de réfrigération (la 3 et la 4) ont les taux de FMAT les
plus bas par rapport au reste. Toutefois, tous les laits collectés (les
60 échantillons), sans aucune exception, peuvent être
qualifiés de très mauvaise qualité hygiénique
puisqu'ils dépassent les 106 UFC/ml [PLUSQUELLEC, 1991]. Il
peut être conclu de ces chiffres que même des conditions
avantageuses d'entreposage du lait dans les fermes
(réfrigération), jusqu'à son écoulement, ne peuvent
en aucun cas voiler les pratiques générales d'hygiène fort
décevantes qui caractérisent l'ensemble des étables,
même les plus intensives dans la production laitière. Par
ailleurs, pareils comptages cellulaires moyens ne peuvent que témoigner
d'un insuffisante maîtrise de l'hygiène, que ce soit lors de la
traite principalement, mais aussi dans l'environnement global des
bâtiments d'élevage et des aires de repos [MICHEL et al.,
2001].
La détection des inhibiteurs de croissance de la flore
microbienne du lait par la méthode du Delvotest® a
révélé une moyenne pour toutes les fermes de 3
résultats positifs sur 12 contrôles (tableau 43), avec une
supériorité de traitement dans l'unité de la SODEA :
5 sur 12. Ce résultat exprime l'ampleur de l'utilisation des
antibiotiques dans cette ferme. Dans les autres élevages, la
contamination affectait 2 à 4 prélèvements sur 12. On peut
en déduire qu'il n'y a pas d'élimination ou d'isolement du lait
des vaches traitées avec des antibiotiques. Les laits contaminés
sont mélangés avec les laits sains et avec d'autres laits
d'autres fermes pendant la collecte au niveau du camion de l'usine ou par le
colporteur. Ceci engendrerait par la suite des problèmes lors de la
transformation (inhibition de fermentations lactiques) ou même à
la consommation.
Tableau 43. Caractéristiques générales de
la qualité du lait dans les fermes suburbaines.
|
Exp. 1
|
Exp. 2
|
Exp. 3
|
Exp. 4
|
Exp. 5
|
Moyenne
|
|
|
|
|
|
|
|
Taux butyreux, g/kg
|
40,7
|
41,5
|
41,5
|
29,7
|
32,2
|
37,1
|
Taux protéique, g/kg
|
32,6
|
31,8
|
32,7
|
30,8
|
31,6
|
31,9
|
pH
|
6,67
|
6,83
|
6,69
|
6,80
|
6,69
|
6,74
|
Température, °C
|
25,2
|
8,8
|
17,6
|
7,7
|
29,1
|
17,7
|
Acidité Dornic
|
16,4
|
16,3
|
16,5
|
16,3
|
16,7
|
16,5
|
Antibiotiques
|
2/12
|
2/12
|
4/12
|
5/12
|
3/12
|
3/12
|
Densité à 20°C
|
1,0290
|
1,0281
|
1,0285
|
1,0286
|
1,0280
|
1,0284
|
FMAT, UFC/ml
|
2,5x107
|
1,5x107
|
5,4x106
|
4,8x106
|
1,3x107
|
1,2 x 107
|
IV-4-3-b Pratiques d'élevage et qualité
du lait : établissement d'une typologie de laits au
Maroc
Une analyse en composantes principales sur les
caractéristiques de qualité du lait a été
effectuée. Les trois premiers axes factoriels de l'ACP rapportent 74,0 %
de la variabilité totale.
La projection des variables caractérisant la
qualité des échantillons de lait collectés sur le plan
principal (axes 1 et 2) issu de l'ACP est rapportée dans la figure
29.
L'interprétation statistique de la signification des
axes est la suivante :
L'axe 1 explique 34,6 % de la variation totale. Il est
lié aux variables « taux protéique »,
« taux butyreux » et « densité »
qui sont des variables de matières utiles. Les laits projetés sur
le sens positif de cet axe, ont des valeurs du taux butyreux et
protéique et de la densité inférieures à leurs
moyennes, tandis que des laits projetés sur le sens négatif ont
des valeurs supérieures à la moyenne pour ces taux et pour la
densité. On peut considérer qu'il s'agit de l'axe
"matières utiles dans le lait".
L'axe 2 représente 22,9 % de la variation totale.
Il est lié à la variable pH, qui traduit les conditions
de conservation du lait à la ferme. Les laits projetés
positifs sur cet axe ont un pH au départ de la ferme
élevé, tandis que les laits projetés négatifs ont
un pH départ inférieur à la moyenne.
Quant à l'axe 3, il constitue 17,5 % de la variation
totale. Cet axe étant lié à la variable Log FMAT, il
traduit les conditions générales d'hygiène
à la ferme. Les laits projetés positifs sur cet axe ont
des valeurs de FMAT supérieures à la moyenne et ceux
projetés négativement auront des valeurs inférieures
à la moyenne.
Ainsi, les trois principaux groupes de variables traduisant la
qualité du lait dans un pays chaud et à chaîne du froid
vacillante, à savoir les matières utiles (graisses et
protéines), la conservation par la réfrigération et
l'hygiène générale des étables [MEYER et DENIS,
1999] se trouvent très bien représentées dans cette
analyse multidimensionnelle.
Axe 2
TB
D20
pH
p
TB
TP
Axe 1
TB
TB : Taux Butyreux, TP : Taux Protéique,
D20 : Densité à 20°C, pH : pH
Figure 29. Projection des variables de qualité du lait
sur le plan principal de l'ACP
A l'issue de la classification hiérarchique ascendante,
une partition en quatre classes distinctes de lait a été
adoptée (58,5 % de la variation totale). A cinq classes, la
précision n'augmentait pas sensiblement (62,4 %) et surtout la
cinquième classe ne correspondait qu'à la scission du groupe 3 en
deux groupes peu intéressants pour la synthèse des données
sur la qualité du lait.
La première classe qui contient 21 des 60 laits
collectés le long de l'année, a pour caractéristiques
principales : un faible taux protéique (29,7 g/kg), et un taux
butyreux réduit (32,4 g/kg), associés aux comptages de FMAT (Log
FMAT = 6,39) les plus faibles.
Ce sont des laits à une hygiène relativement
meilleure et qui correspondent à un rendement moyen par vache,
supérieur à la moyenne enregistrée. Ceci explique la
faiblesse des taux protéique et butyreux par l'effet de dilution. Les
laits de cette classes proviennent des étables intensives (10 des 12
laits de la ferme étatique SODEA) ou des étables qui ont un pic
de production spontané (5 laits de l'étable n°5). En
effet, ce sont des laits qui correspondent à une production moyenne
quotidienne par vache de 17,7 kg, supérieure aux 15,5 kg
enregistrés comme moyenne générale. Le pH au départ
est de 6,71 et la température de 15,6°C. L'exploitation n°1
n'a aucun lait qui appartient à cette classe vu que le comptage de la
flore totale y est le plus élevé en raison de l'absence de
réfrigération et des conditions de la traite manuelle qui ne
respecte pas les normes d'hygiène.
Le tableau 44 montre la répartition des laits de cette
classe entre fermes. Ainsi on remarque que 10 des 12 échantillons
annuels de lait prélevés de la 4ème ferme
(étatique) et 5 échantillons de la ferme n°5 appartiennent
à cette première classe. L'exploitation n°1 n'a aucun lait
qui appartient à cette classe vu que le comptage de la flore totale y
est le plus élevé. Ceci est expliqué par l'absence de
réfrigération dans cette exploitation et par la traite manuelle
qui y est pratiquée et qui ne respecte pas les normes
d'hygiène.
Tableau 44. Répartition des échantillons de lait
collectés par classe selon leur qualité physico-chimique
|
Exp.1
|
Exp.2
|
Exp.3
|
Exp.4
|
Exp.5
|
Total
|
|
|
|
|
|
|
|
Classe 1
|
0
|
2
|
4
|
10
|
5
|
21
|
Classe 2
|
2
|
3
|
8
|
0
|
1
|
14
|
Classe 3
|
2
|
3
|
0
|
0
|
5
|
10
|
Classe 4
|
8
|
4
|
0
|
2
|
1
|
15
|
Total
|
12
|
12
|
12
|
12
|
12
|
60
|
La deuxième classe contient 14 échantillons de
lait. Il sont caractérises par des taux butyreux et protéique les
plus élevés (respectivement 45,9 et 33,7 g/kg), associés
à un comptage moyen de FMAT relativement faible (Log FMAT = 6,88 <
7,00).
Les laits de cette classe proviennent des périodes
où les productions laitières moyennes par vache sont les plus
faibles (PL/vache traite = 12,5 kg), accompagnés d'une utilisation
massive de concentrés avec un rapport de consommations de
concentrés par kg de lait produit (UFL des concentrés/kg de lait
= 0,87) le plus élevé par rapport aux autres périodes.
Cette classe contient 8 laits de l'exploitation n°
3, vu que ses laits sont caractérisés par des taux
protéiques et butyreux plus élevé par rapport à la
moyenne (respectivement 33,3 et 43,2 g/kg de lait) et un rendement laitier par
vache d'à peine 10,4 litres (absence totale d'effet dilution dans cette
ferme). Les laits de l'exploitation n° 4 (SODEA) ne figurent pas dans
cette classe malgré l'utilisation importante de concentrés. Ceci
est justifié par le rationnement strict, et donc l'absence de gaspillage
de concentrés.
La troisième classe contient 10 des 60 laits
collectés. Elle est caractérisée par des laits au pH moyen
le plus faible (6,67), associés à une température moyenne
au départ de la ferme la plus élevée (28,4°C) et les
taux butyreux et protéique les plus faibles (32,1 g/kg et 31,6 g/kg
respectivement). Leur contamination microbienne est la plus
élevée par rapport aux autres laits (Log FMAT = 7,37). Ce sont
donc les échantillons de lait de plus mauvaise qualité, tant sur
le plan hygiénique que physico-chimique. Les conditions d'appartenance
à cette classe sont remplies par 5 laits de l'exploitation n° 5, vu
que les taux protéique et butyreux y sont faibles à cause de
l'alimentation pauvre en fourrage et une gestion alimentaire non
adéquate. La contamination importante de ces laits en micro-organismes
se fait lors de la traite, puisque il n'y a pas de pratiques d'hygiène
adéquates des mamelons avant la traite et la litière est dans un
état souillé. Les températures élevées sont
expliquées par l'absence de réfrigération.
Les laits des exploitations n° 3 et 4 ne figurent pas
dans cette classe puisque ces deux fermes disposent de moyens de
réfrigération adéquats. Ceci explique bien les
températures inférieures par rapport aux laits des autres fermes
et les contaminations moins importantes en flore mésophile
aérobie totale.
La quatrième classe compte 15 des 60 laits
collectés. Elle est caractérisée principalement par des
laits qui correspondent aux meilleures valorisations de concentrés
(UFLcc/kg de lait = 0,68 par rapport à une moyenne de 0,76). Le pH moyen
est de 6,74 et la température moyenne de 18,59°C. Ces deux
paramètres semblent les plus proches des moyennes
générales des laits de collecte à la ferme. Mais le
comptage cellulaire (FMAT) est plus élevé par rapport aux autres
classes, car le Log FMAT est toujours supérieur à 7,00. En
moyenne, il est de 7,24 ce qui correspond à une moyenne d'UFC par ml de
lait supérieure à 107.
Cette classe est dominée par les laits de la ferme
n°1, puisque 8 laits sur les 12 collectés le long de l'année
ont toujours une meilleure valorisation du concentré utilisé par
rapport aux autres laits. Mais ils sont aussi caractérisés par
des comptages de flore plus élevés par rapport autres fermes
puisque la litière est dans un état critique, la traite est
manuelle, les pratiques d'hygiène lors de la traite sont
désastreuses (les pots de traite ne sont pas assez nettoyés pour
garantir une hygiène propice) et finalement il n'y a pas de
réfrigération pour la conservation du lait.
La ferme n° 2 contribue avec 4 laits des 12
collectés le long de l'année. Ceci est dû principalement
aux conditions alarmantes de la litière et du paddock emboué en
hiver après les pluies, qui mettent les vaches dans un état
hygiénique très sale. Ceci se répercute
négativement sur le comptage des germes qui sont très
élevés dans ces laits. Les autres laits proviennent des fermes
n° 4 et 5.
Le tableau 45 résume les différentes
caractéristiques des types de laits distingués par les analyses
multidimensionnelles.
Tableau 45.
Caractéristiques des différentes classes de qualité du
lait en étables suburbaines.
|
|
Classe 1
|
Classe 2
|
Classe 3
|
Classe 4
|
|
|
|
|
|
|
Moyenne (écart - type)
|
n
|
21
|
14
|
10
|
15
|
pH
|
6,71 (0,17)
|
6,82 (0,12)
|
6,67 (0,08)
|
6,74 (0,12)
|
Temp. (°C)
|
15,6 (10,6)
|
12,3 (8,0)
|
28,4 (2,9)
|
18,6 (8,6)
|
UFLcc/kg lait
|
0,76 (0,19)
|
0,78 (0,42)
|
0,70 (0,23)
|
0,68 (0,02)
|
TB (g/kg)
|
32,4 (6,2)
|
45,9 (5,6)
|
32,1 (5,0)
|
37,7 (5,3)
|
TP (g/kg)
|
29,7 (3,0)
|
33,7 (2,3)
|
31,6 (3,1)
|
32,7 (2,1)
|
Log FMAT
|
6,39 (0,29)
|
6,88 (0,45)
|
7,37 (0,14)
|
7,24 (0,27)
|
TB : Taux Butyreux, TP : Taux Protéique,
Temp. : Température.
IV-4-4 Conclusion
Ce suivi des performances et de la qualité du lait
d'élevages bovins suburbains confirme la prédominance des
concentrés comme base des bilans fourragers. Le diagnostic de la
valorisation de ces concentrés alimentaires en lait démontre
clairement l'insuffisance des fourrages et dans certains cas, un gaspillage
flagrant, dû principalement à l'absence de stratégies de
rationnement du cheptel.
Toutefois, les répercussions économiques sont
très diverses, atténuées par le poids des ventes de bovins
et aussi par la productivité en lait des vaches. Ainsi, dans
l'étable étatique de la SODEA où les consommations en
concentrés sont les plus importantes, le niveau de rendement laitier par
vache permet d'obtenir des bénéfices par vache très
importants.
En revanche, les paramètres de qualité du lait
sont très variables et dans l'ensemble peu satisfaisants. Ainsi, aussi
bien sur les taux butyreux que sur les conditions de stockage du lait à
la ferme et encore plus sur l'hygiène générale du lait,
les paramètres obtenus laissent à désirer. Dans deux des
cinq exploitations le taux butyreux moyen est inférieur à une
norme de 35 g/kg. Les taux butyreux, les conditions de stockage du lait
à la ferme et de façon encore plus marquée
l'hygiène générale du lait ne correspondent pas aux
caractéristiques générales de la culture laitière
spécialisée qu'aurait laissé supposer le recours à
la race Holstein. Seul le taux protéique affiche des valeurs moyennes
acceptables pour les cinq exploitations, témoignant de l'effet des
apports massifs et réguliers en concentrés.
La typologie des échantillons de lait, a permis de
tracer un canevas descriptif de la diversité des variations que peut
subir cette matière dans un environnement d'élevage en pays
chaud fondé sur les variations des teneurs en matières
utiles (TB et TP) et les fluctuations de la flore totale (FMAT) qui
reflètent l'hygiène générale et les conditions de
stockage. Cette typologie pourrait ainsi servir d'outil pour procéder
à l'évaluation rapide d'autres échantillons de lait
collectés dans des conditions similaires à travers le Maroc. Les
résultats confirment par ailleurs, les incidences directes des pratiques
d'élevage (alimentation à « coups de
concentrés », absence du rationnement, hygiène globale
défectueuse à la traite et dans les bâtiments
d'élevage...) sur la qualité du lait. Ils ne peuvent que
renforcer la conviction de l'urgence d'un appui technique individuel dans ce
domaine, couplé aussi à la révision du mode du paiement du
lait : la prise en compte quotidienne de critères aussi
élémentaires que les taux protéique et butyreux et la
contamination par les microorganismes. Il y va sûrement de la
durabilité au Maroc d'une filière laitière qui soit apte
à distinguer les diverses déclinaisons d'un produit aussi
variable et périssable que le lait.
V - Conclusion générale et
recommandations
V.1. Conclusion générale
V.2. Recommandations
Society has problems; universities have
departments.
Philip H Abelson (1997)
Science 277, Number 5327,
Issue of August 8th ,1997, p. 747
V - 1 Conclusion générale
Au tout début de ce travail de doctorat, nous nous
étions assignés pour objectifs de clarifier les termes de la
production bovine laitière au Maroc, sur les plans des performances
techniques et de la rentabilité et d'en identifier des voies de
développement. A l'issue de cette série d'investigations sur le
fonctionnement d'étables bovines laitières, nous avons pu trouver
plusieurs tendances communes. Ceci a été réalisé
malgré le grand nombre de situations étudiées et quoique
la constellation des cadres d'action et des contextes joue de façon
individuelle. En dépit d'un environnement général flou,
marqué par l'absence du contrôle de performances des vaches et la
rareté des données chiffrées à propos de la
rentabilité des élevages, nos travaux attestent de la
présence de types et de comportements de production en élevage
bovin laitier très nets, au Maroc.
Tout d'abord, la caractérisation de la grande
diversité des situations de production de lait a
révélé l'existence de groupes stables et homogènes
sans lien avec la localisation géographique. Ainsi, que ce soit en
périmètre irrigué ou à l'abord des villes, une
gradation dans la spécialisation laitière est remarquée.
Elle s'étend de situations d'élevage où la conduite des
troupeaux est beaucoup plus portée sur la production de viande et
où le lait est plutôt un co-produit, avec des rendements moyens
par vache n'atteignant pas les 2 000 kg, à de rares situations de
spécialisation laitière où les vaches dépassent les
5 000 kg de moyenne économique. Deux autres types peuvent
être qualifiés d'intermédiaires et ils se distinguent soit
par une production extensive de lait (moins de 3 500 kg par vache)
beaucoup plus basée sur les fourrages ou alors par une mauvaise
maîtrise de l'alimentation des vaches qui résulte en un gaspillage
des concentrés et le plus souvent en des résultats
économiques négatifs.
En mettant l'accent sur les différences
régionales, il apparaît que les modes d'élevage dans le
pourtour suburbain sont bien plus intensifiés en lait que dans le
périmètre irrigué. Sont en cause, aussi bien les
disponibilités financières qui permettent de recourir plus
massivement aux achats de concentrés, puisque de nombreux
éleveurs en zone suburbaine sont le plus souvent fonctionnaires ou
commerçants, que les différences de prix du lait, vendu plus cher
à l'abord des villes. En revanche, dans le périmètre
irrigué, les éleveurs sont le plus souvent des agriculteurs
exclusifs, sans autres sources de revenus et sont contraints d'écouler
leur lait à travers les centres de collecte coopératifs. La
conséquence de ces observations et qui transparaît de
manière indubitable à travers les analyses statistiques, est de
retrouver plus de situations d'élevage bovin laitier extensif,
basé sur les seuls fourrages, en périmètre irrigué
qu'en zone suburbaine. Ce résultat est fort singulier, voire même
paradoxal, et mérite d'être considéré à sa
juste valeur dans les prochaines réflexions sur l'avenir de
l'élevage laitier au Maroc. En effet, il ne suffit pas de mettre
à disposition des agriculteurs de l'eau d'irrigation pour penser
à l'introduction immédiate et à grande échelle du
bétail laitier spécialisé. L'expérience, le
savoir-faire et les disponibilités en capitaux semblent être aussi
des pré-requis tout aussi indispensables, ce qui pour l'instant a
été occulté par rapport au saut quantitatif de production
escompté par l'option de races bovines plus productives.
L'ensemble de ces constats intime de prendre en compte la
diversité de ces élevages afin de concevoir un appui technique,
ciblé pour chaque type d'éleveurs, principalement basé sur
le rationnement équilibré selon les objectifs affichés. Il
y va de l'efficience de valorisation des subsides encore disponibles pour le
développement de l'élevage. Ce sera aussi crucial pour
l'efficience de transformation des ressources fourragères
aléatoires que produisent les exploitations du monde rural.
En détaillant les pratiques d'élevage dans des
fermes bovines plus spécialisées en lait, il est apparu que les
étables de type étatique appartenant à la
Société du Développement Agricole (SODEA) constituaient un
mode de production laitière très distinct du reste. Le recours
massif aux concentrés et des performances laitières intensives,
dépassant les 6 000 kg par vache et par an, sont certes les
caractéristiques les plus saillantes de cette entreprise. Mais à
y voir de plus près, la rentabilité est affectée par des
carrières écourtées et des taux de mortalité de
vaches issus justement de cette intensification forcée. De même,
les génisses de remplacement qui constituent la voie de
perpétuation de ce système sont loin d'afficher la
précocité qui devrait caractériser un élevage
laitier intensif. Aussi, l'expérience de la SODEA peut-elle servir de
référence pour l'éleveur qui ne domine aucun des aspects
techniques de l'élevage bovin intensif, notamment la confection de
rations équilibrées avec des apports importants en
concentrés, mais elle ne peut être qualifiée de
modèle.
L'analyse des performances d'une étable laitière
spécialisée en zone d'agriculture pluviale sans
possibilité d'irrigation d'appoint a prouvé l'extrême
vulnérabilité de ce genre d'élevages par rapport à
la variabilité climatique. Le fait que le bénéfice par
vache soit réduit de plus de 50 % après un épisode de
sécheresse et que la dépendance vis-à-vis des aliments
concentrés soit totale montrent bien que l'élevage laitier
intensif ne sied pas à ce genre d'environnement. Aussi, en zone
d'agriculture totalement pluviale, les efforts de promotion du secteur bovin
auraient ainsi bien plus d'opportunités à investir le champ de
l'élevage mixte ou carrément allaitant, avec ce que cela comporte
comme mise en oeuvre de choix de races et de vulgarisation de méthodes
de conduite.
Par ailleurs, un suivi de longue durée
d'élevages laitiers suburbains a montré la variabilité de
leurs résultats de production. La seule certitude à l'issue des
nombreux contrôles de performances est la corrélation frappante
entre la consommation en aliments concentrés et le rendement en lait par
vache. Ce constat atteste de la conduite des vaches « à coups
de concentrés » et pèse de tout son poids sur leur
rentabilité. Cette dernière ne retrouve des valeurs positives
dans bien des cas que grâce aux ventes d'animaux. Par conséquent,
l'appellation d'étables laitières doit être plus que
nuancée, l'élevage de bovins, même exclusivement de type
Holstein étant le plus souvent à finalité mixte :
lait et viande.
Enfin, le suivi de la qualité globale du lait dans cinq
exploitations suburbaines a montré que les pratiques d'élevage et
leurs variations temporelles avaient des incidences marquées sur les
taux butyreux et protéique du lait. Il a aussi
révélé que dans deux des cinq étables, le taux
butyreux moyen était en deçà de la valeur minimale
acceptable de 35 g/kg, affecté par les abus de concentrés, les
erreurs de rationnement (concentrés dominés par les
céréales, distribution massive en une seule fois quotidienne) et
l'effet « dilution » (lorsque la moyenne de production par
vache est supérieure à 25 kg par jour). En revanche, le taux
protéique était, sans aucune exception, supérieur à
la valeur normale de 30 g/kg, témoignant justement de la
régularité des apports en concentrés le long de
l'année.
Sur un autre registre, tous les échantillons de lait
collectés étaient de qualité très mauvaise d'un
point de vue hygiénique avec des comptages moyens supérieurs
à 106 UFC par ml. Ceci est symptomatique d'une
hygiène générale à la traite et dans les
bâtiments fort délétère qui est loin de correspondre
aux normes en vigueur pour un élevage bovin laitier
spécialisé. Une conséquence logique à ces
dépassements en matière d'hygiène est le recours aux
traitements aux antibiotiques, puisque 25 % des échantillons
contrôlés se sont avérés positifs. Dans
l'étable étatique de la SODEA, cette proportion se montait
même à plus de 40 %, révélant que le pic
d'intensification de la production laitière qui y est en vigueur est
avant tout lié à la création d'un milieu d'élevage
artificiel basé sur l'utilisation de concentrés et de traitements
vétérinaires.
Tous ces résultats considérés dans leur
intégralité montrent qu'au Maroc, les pratiques les plus usuelles
adoptées par les éleveurs, notamment en matière
d'alimentation du cheptel et d'hygiène générale des
bâtiments et à la traite, sont loin de correspondre aux exigences
de races laitières spécialisées. Aussi bien les
résultats économiques que les performances de production et
parfois de reproduction laissent à désirer et sont très
variables, témoignant d'accumulation d'erreurs de conduite, dont les
plus flagrantes sont d'ordre alimentaire. Car, dans la totalité des
situations suivies, il est un caractère incontournable :
l'éleveur gère la parcimonie fourragère, sur laquelle se
greffent les difficultés de trésorerie. Ces conditions, issues
d'une tradition d'élevage beaucoup plus allaitante que laitière,
font que les vaches n'extériorisent pleinement leur potentiel que lors
des rares moments d'abondance alimentaire, c'est-à-dire durant les mois
où les fourrages ne sont pas trop lignifiés (de janvier à
mars). En outre, ceci ne se vérifie qu'en cas d'année climatique
favorable où le couvert végétal est suffisant pour
satisfaire les besoins quantitatifs du cheptel. Et même à ce
moment, les logiques de production, issues de siècles de savoir-faire,
demeurent façonnées par le concept « d'élevage
loterie » : l'éleveur « considère qu'il
doit avoir en permanence sous la main le nombre de têtes de bétail
nécessaire à utiliser à plein les pâturages
pléthoriques des années exceptionnelles » [COULEAU,
1968]. Avec pareil schéma de pensée, le bétail laitier
importé n'a aucune faculté d'adaptation aux disettes, et ne sied
pas au « risque du manque à gagner », si d'aventure,
en cas de mauvaise année, l'herbe venait à manquer, comme le
mentionne ce même auteur.
Par ailleurs, même les éventuels stocks
d'excédents de fourrages qui pourraient se constituer en cas
d'année faste, et dont l'usage allègerait le poids des
périodes sèches, demeurent fort aléatoires. En effet, au
delà de l'inconnue climatique et de ses répercussions sur les
disponibilités de céréales vivrières,
l'éleveur en est encore à considérer que le bétail,
quel qu'il soit, est tout juste relégué à être un
élément de valorisation des terrains incultes ou encore des
résidus de culture, car la surface agricole utile est en priorité
dévolue aux besoins alimentaires du groupe familial [SRAÏRI, 2002].
C'est dire que le rôle des cultures fourragères est loin
d'être considéré à sa juste valeur, quand elles ne
sont pas reléguées à de la simple figuration, comme en
témoigne leurs parts dérisoires dans l'assolement, même
dans des exploitations à larges surfaces agricoles.
Et même le savoir-faire technique et la maîtrise
des façons culturales à appliquer aux fourrages demeurent
sommaires, ce qui explique leur rendement en matière sèche
à l'ha réduit et encore plus leur exploitation à des
stades qui ne correspondent pas aux besoins d'un cheptel exigeant comme des
vaches laitières. Ces dysfonctionnements d'utilisation des fourrages se
trouvent malheureusement amplifiés par un climat
caractérisé par des coups de chaleur au moment de la croissance
maximale des cultures (au printemps), qui les lignifient rapidement et en
altèrent les rendements en nutriments à l'ha. De plus, le manque
de sélection de variétés fourragères
adaptées aux nombreux écosystèmes de production animale
qui existent au Maroc, retarde les progrès de la production de
fourrages, qui demeure, d'ailleurs même dans le discours officiel,
appréhendée uniquement à travers l'évolution des
superficies emblavées.
Aussi, ce que les zootechniciens nomment le plus souvent avec
euphémisme « entretien », mais qui dans la logique
des éleveurs consiste tout simplement à maintenir la survie des
animaux jusqu'à une éventuelle abondance du couvert herbager au
Maroc, est-il en total porte-à-faux avec la régularité des
apports alimentaires et des rythmes d'élevage que supposent le recours
aux races bovines spécialisées en lait.
Ce large tour d'horizon des pratiques les plus usitées
par les éleveurs de bovins laitiers au Maroc et de leurs
répercussions sur le fonctionnement des troupeaux prouvent donc la
consistance des écrits actuels qui considèrent que les races en
élevage ne sont pas seulement des ensembles d'animaux de la même
espèce avec des caractéristiques phénotypiques communes.
Ce sont bien plus les reflets d'ensembles homogènes intégrant
gestion du terroir, produits animaux typés et références
culturelles du groupe humain en charge d'un espace. L'introduction massive de
races allochtones, par croisements avec les animaux d'origine locale et surtout
par importation de contingents entiers d'individus étrangers, doit donc
au préalable donner lieu à l'étude de la mise en place de
ces facteurs. Malheureusement, jusqu'ici, ce qui a prévalu dans nombre
d'expériences en pays en développement, comme le Maroc, ce sont
la rapidité et les facilités octroyées par les croisements
avec des races bien plus performantes issues des pays tempérés,
encouragées il est vrai par les subventions et autres appuis des lobbies
exportateurs. Et la Holsteinisation en est bien le symbole globalisant le plus
représentatif. Ont été tues dans pareil schéma de
pensée toutes les réflexions sur l'assimilation par les
éleveurs des bagages techniques et culturels nécessaires à
l'exploitation de pareilles races. Même l'indispensable confrontation
entre les connaissances théoriques des techniciens d'élevage
censés encadrer les fermes laitières et les pratiques
quotidiennes des agriculteurs n'a jamais lieu. C'est ce qui pousse, de
manière globale, certains chercheurs à se pencher sur la question
de l'adéquation des technologies ou du matériel
génétique supposés améliorer les productions
agricoles par rapport aux réalités des paysans du Tiers-Monde.
POPP [1984], formule ce souci par la simple question :
« technologies modernes pour des sociétés
traditionnelles ? »
A cet égard, nos résultats convergent pleinement
vers les observations de PLUVINAGE [2002 relevées en Algérie au
cours de la décennie des année nonante, qui rapportent qu'il a pu
« constater l'émergence d'une production de lait en
élevage bovin, en zone sèche, à condition que l'on puisse
stocker des fourrages sur plusieurs années (au minimum deux) et que l'on
s'en tienne à des races bovines mixtes, pour tenir compte des fortes
valorisations des animaux vendus pour la viande, et à des
quantités et durées de lactation calées sur les
périodes de relative abondance fourragère ». Et cet
auteur de conclure que « c'est une toute autre perspective de
production laitière tentée par la planification socialiste, avec
des animaux très performants (de race Holstein), des fourrages
irrigués et des concentrés ».
Cet ensemble de recherches ne peut toutefois s'achever sur ces
simples constats de difficultés d'adaptation des bovins laitiers
à la réalité du milieu physique et humain au Maroc. Tout
observateur attentif du paysage rural ne peut qu'être marqué par
la généralisation des bovins de type pie noire et pie rouge.
Peut-être, est-ce là une raison de tempérer les conclusions
précédentes, notamment si la voie s'ouvre pour des mesures de
développement adaptées à chacune des situations
distinguées. Et à y voir de plus près, la présence
des vaches de type laitier étant devenue pérenne, tant les
effectifs importés ont été massifs, leurs rôles
dépassent de loin leur simple rentabilité et productivité.
A l'échelle macro-économique il faut y voir aussi un palliatif
aux inévitables importations de poudre de lait subventionné.
C'est pourquoi, les opérations d'appui technique prennent toute leur
importance : mettre à disposition de groupes d'élevages
ayant des caractéristiques de fonctionnement similaires un paquet
technologique adapté et accessible. Aussi, pour finir et en reprenant
les idées de VISSAC [2002], relatives à l'instauration d'une
nouvelle approche de recherche en sciences animales, qu'il qualifie de
citoyenne, « la voie est tracée pour nous permettre de relever
ce défi à la fois nécessaire et raisonnable de la gestion
de l'espace rural qui alimente les rapports entre la Recherche et la
Société. Mais il reste des étapes à franchir :
intégrer toutes ces typologies de fonctionnement et les mettre à
l'épreuve des projets de développement ».
V - 2 Recommandations
Nos travaux de recherche se sont inscrits fondamentalement
dans une perspective de développement, puisque comme nous le
mentionnions au début de cette thèse, l'approche
systémique a pour ambition première d'assister les exploitations
agricoles à améliorer leurs résultats techniques et
économiques.
C'est pourquoi, les résultats auxquels nous avons
abouti devraient permettre de baliser le chemin vers un début
d'intervention technique au niveau des fermes d'élevage bovin au
Maroc.
La première constatation générale qui
émane des résultats obtenus est la très grande
diversité des situations d'élevage ; diversité
à prendre en considération de manière urgente plutôt
que de persister à ne porter attention qu'aux étables dites
grandes soit par la taille ou les effectifs. En effet, nos recherches montrent
sans équivoque que la différenciation entre types
d'élevage n'est pas liée à la triviale opposition entre
« petites » et « grandes »
structures. Au contraire, elle repose sur le mode de fonctionnement des
ateliers laitiers, sur leurs logiques et objectifs de production. Ceci intime
de revoir de fond en comble les modes de perception des performances des
étables, et de penser à des mécanismes de collecte de
données fiables sur le terrain, qui renseignent sur les niveaux
techniques des élevages bovins.
Le deuxième constat évident est l'absence, chez
la plus grande majorité des éleveurs, d'une orientation
laitière spécialisée ; les étables ayant
franchi cette étape ne représentant qu'une portion congrue.
Les raisons de ce choix d'un élevage plutôt
mixte, où viande et lait coexistent toujours et sont même parfois
antagoniques vis-à-vis des ressources alimentaires, tiennent à
plusieurs raisons fondamentales. La première est sûrement d'ordre
culturel, liée à l'histoire du pays et aux expériences des
hommes. En effet, dans beaucoup d'étables, des pratiques
d'élevage aux antipodes des exigences de vaches de races
laitières spécialisées continuent de se maintenir :
traite en présence du veau, usage d'effluents d'élevage à
l'issue de la traite pour badigeonner les pis des vaches et éviter ainsi
que le veau ne revienne téter le lait résiduel...
Une deuxième raison est d'ordre environnemental,
liée aux contraintes imposées par le milieu physique, notamment
le climat, et la rareté des terres arables par rapport à la
population paysanne. En effet, même dans les étables qui ont fait
le choix d'un début d'intensification laitière, voire même
de spécialisation, les fourrages ne représentent en termes de
nutriments (énergie principalement) qu'un complément aux
concentrés. D'ailleurs, c'est cette logique qui explique que les
éleveurs énumèrent systématiquement, avant les
fourrages, les concentrés utilisés, lorsqu'ils sont
questionnés à propos des rations qu'ils distribuent aux vaches.
En fait, avec les aléas climatiques et les réductions volontaires
des superficies emblavées en fourrages, tout se passe comme si
l'élevage laitier était relégué à une
position où il doit mettre en valeur prioritairement des
concentrés alimentaires. De plus, les savoir-faire en termes de
production fourragère demeurent limités, ce qui ne permet pas de
valoriser les hypothétiques surplus de fourrages en cas d'années
fastes.
Avec pareil tableau, les axes d'intervention pour
améliorer la situation, tout en étant très nombreux, vont
sûrement tous nécessiter un travail de longue haleine. Si nous
devions hiérarchiser ces voies d'intervention, selon leur niveau de
priorité, nous aurions à les classer comme suit :
- le choix de races bovines adaptées à la
diversité des situations de production ;
- la vulgarisation de rations complètes
(concentrés + fourrages) adaptées aux différents contextes
de production ;
- le recentrage des logiques de production intensive de lait
sur les cultures fourragères quantitativement et qualitativement
réussies;
- le nécessaire dimensionnement des projets
d'élevage laitier, quelle que soit leur taille, par rapport aux
potentialités offertes par la zone où ils vont
s'implanter ;
- le maintien et le renforcement de la couverture sanitaire
du cheptel en production ;
- le raisonnement sur les aspects des termes de la
commercialisation et de la qualité du lait.
En détaillant ces différents points un à
un, nous pouvons tout d'abord constater que la généralisation de
la race Holstein dans le paysage rural du Maroc, par des importations massives
(plus de 270 000 vaches gravides de 1970 à 2000) n'a pas permis
« d'absorber » la race locale. En d'autres termes, cela
signifie que la race locale continue de s'ériger comme le seul type
bovin adapté aux zones agricoles peu mises en valeur et souffrant de
sécheresse chronique (le Sud et l'Est du Maroc). Ce qui est encore plus
remarquable, c'est la réminiscence de ces bovins de race locale
même dans des zones plus favorables (irriguées par exemple) et
surtout la forte présence de bovins croisés « local x
Holstein ». Ces tendances montrent bien que beaucoup de fermes
d'élevage n'ont pas tiré pleinement profit du potentiel laitier
des races importées et qu'elles préfèrent se reporter sur
les bovins croisés moins exigeants. Et même pour celles qui optent
pour des vaches de type Holstein, nos résultats confirment que plus des
? n'en exploitent pas les facultés productives, avec des rendements en
lait par vache inférieurs à 3 000 kg par an. De plus, cette
même proportion affiche une stratégie de production bien plus
viandeuse que laitière, ce qui nous mène à nous interroger
sur l'intérêt de la race Holstein face à de tels
comportements de production.
C'est ce qui motive notre opinion de proposer de tester
d'autres races au Maroc, moins laitières que les Holstein, et avec plus
de caractères de rusticité et de facilités
d'engraissement.
L'idée première serait de privilégier les
souches locales dont certaines (cas du noyau Tidili des zones oasiennes)
affichent des niveaux de production laitière intéressants, avec
des caractères de rusticité très prisés. Mais un
effort de repérage et de sélection risque de rendre
l'opération trop lente, face à l'urgence des mesures à
prendre. Sinon, il faut se reporter sur les importations de bétail ou de
semences dans le cadre de programmes de croisements. La vague d'ESB qui frappe
les principaux pays (Union Européenne et Etats-Unis d'Amérique)
exportateurs de bétail vers le Maroc, fait qu'il est risqué de
miser exclusivement sur cette voie. Nous pouvons toutefois penser à des
vaches du rameau pie rouge, mais qui n'ont pas encore été, dans
leur pays d'origine, intensément croisées avec du sang Holstein.
C'est le cas par exemple des animaux de type Jersey, Simmenthal ou Fleckvieh
dont les potentiels moyens de production en lait ne dépassent pas les 4
500 à 5 000 kg par vache et par an, avec des possibilités
bouchères attestées. Mais pour rendre ces propositions
effectives, il est bien entendu obligatoire de tester sur le terrain, et avant
tout en stations expérimentales, dans différentes régions
du Maroc, le comportement de ces animaux et les caractéristiques de
leurs carrières de production.
Par ailleurs, rien ne s'oppose à ce qu'en
parallèle à ces bovins de moindres capacités
laitières, et adaptées à la réalité de la
grande majorité des éleveurs du Maroc, persistent des
expériences de production avec les animaux de type Holstein et pie noir.
Mais à la condition expresse que ces bovins disposent des conditions,
notamment alimentaires, nécessaires pour remplir à bien leur
mission de production intensive de lait dans les fermes qui les adoptent.
Un dernier point relatif à ce volet du choix de races
adaptées à la multitude des situations d'élevage bovin au
Maroc est la mise en place de schémas de sélection de bovins.
Ceci doit être une priorité dans la politique laitière du
Maroc. En premier lieu, pour s'affranchir des éternelles importations de
bovins dont la valeur d'adaptation aux conditions d'élevage locales est
souvent une énigme malgré les pedigrees et autres documents les
accompagnant. D'autre part, surtout pour instaurer le contrôle de
performances, ou contrôle laitier officiel, seule voie vers le diagnostic
rapide et régulier de l'état des étables laitières.
De plus, ces programmes de sélection sont indispensables pour enclencher
un renouvellement endogène par des génisses adaptées aux
conditions de production au Maroc, car une des aberrations de
l'élevage bovin dans ce pays est de compter sur des apports
réguliers de vaches importées pour en assurer la
continuité. Pareille mesure pourrait être instaurée en
promulguant des subventions conséquentes sur l'élevage des
génisses avec une ascendance affichant des caractères laitiers
avérés.
Le deuxième volet de ces recommandations est lié
à la vulgarisation de rations complètes avec des
concentrés. Il est remarquable en effet que tous nos diagnostics
confirment la prééminence des consommations de concentrés
dans les bilans fourragers des fermes laitières et leur relation
très claire avec les rendements laitiers. Ce constat de production de
lait « à coups de concentrés » est à
prendre en compte très sérieusement à l'heure actuelle par
tout discours technique responsable. A notre sens, il constitue la
première entrée privilégiée pour influer sur les
termes de la production : vulgariser pour chaque région, voire
même pour chaque ferme qui en émettrait le souhait, une ration,
même riche en concentrés, mais qui soit équilibrée.
Ceci pourrait se faire à l'occasion des grands changements de fourrages
(à la fin de l'automne et au milieu du printemps) que connaissent les
différentes régions du pays. Les chances de réussite
semblent importantes, du moment que la quasi totalité des fermes sont en
zéro-pâturage, ce qui permet de préciser exactement les
quantités de concentrés et de fourrages
ingérées.
Pareille action, même si elle a une portée
réduite vis-à-vis d'une amélioration nette des
résultats économiques, car les concentrés sont par essence
onéreux, permettrait toutefois de récupérer les manques
à gagner issus de la méconnaissance des besoins des vaches par
les éleveurs. En effet, ils continuent d'ignorer pour la plupart la
différence entre besoins d'entretien et de production ou encore besoins
en énergie et en protéines totales, ce qui résulte en des
gaspillages fréquents de nutriments. Elle ouvrirait ensuite des
perspectives de travailler sur le plus long terme, notamment sur la composante
fourrages des rations.
La troisième proposition pour l'amélioration des
performances des élevages est justement l'action dans le domaine des
cultures fourragères. A ce niveau, un très important effort de
vulgarisation du rôle de ces cultures dans la production de lait et
même dans la gestion de la fertilité des sols est à
entreprendre. Dans ce volet de l'amélioration de la production
laitière par l'intensification fourragère, deux alternatives
complémentaires sont à mentionner. La première
consisterait à augmenter les rendements à l'ha en nutriments
(UFL) par des cultures adaptées aux aléas climatiques et surtout
par une conduite culturale qui sache trouver le bon compromis entre stade de
coupe (quantité de MS/ha) et qualité nutritive (UFL/kg de MS) du
fourrage. En effet, dans un pays caractérisé par des coups de
chaleur importants, notamment au printemps, la lignification est très
rapide et il importe de bien suivre la croissance des fourrages pour en
optimiser l'utilisation. C'est ce qui justifie le recours à des essais
de variétés fourragères, de préférence
à exploiter en zéro-pâturage, puisque la majorité
des fermes utilisent ce système alimentaire, en raison de
l'exiguïté des surfaces. Pour les types de fourrages à
tester, il convient de se focaliser sur les différences
régionales, sur les possibilités d'irrigation, sur les habitudes
culturales les plus communes propres à chaque zone et aux
expériences fourragères tentées dans des pays à
conditions climatiques similaires au Maroc (cas de la Tunisie où le
projet Frétissa s'est surtout intéressé aux fourrages pour
l'amélioration de la productivité laitière des vaches
[RONDIA et al., 1985], ou du Sud de la France ou des zones semi-arides
de l'Australie).
Pour les régions irriguées, de meilleurs
rendements en vert à l'ha doivent être visés notamment par
une valorisation optimale de l'eau d'irrigation en biomasse
végétale. Il faudrait donc viser à diminuer les pertes et
les gaspillages hydriques dus à des plans d'irrigation mal conçus
et surtout garantir, en plus de l'eau, les nutriments et autres intrants
nécessaires (fertilisants et pesticides) pour une croissance
végétale maximale. Pour les espèces fourragères qui
mériteraient un effort de vulgarisation plus intense en zone
irriguée, nous pouvons citer le ray-grass, le maïs et à un
moindre degré, la betterave fourragère.
Pour les zones d'agriculture pluviale, les choix
variétaux sont encore plus importants pour rehausser les rendements en
nutriments à l'ha. Le testage d'associations fourragères
graminées/légumineuses, comme l'avoine/pois fourrager ou encore
orge/vesce sont à vulgariser plus intensivement, tout en insistant sur
les bienfaits de ce type de mélange (amélioration de la
fertilité des sols par la fixation symbiotique de l'azote, et
augmentation de la valeur nutritive du fourrage produit induite par une
meilleure teneur en protéines). Des espèces fourragères
comme le lupin en sols sableux, le sainfoin, le sulla, l'avoine ou encore les
vesces sont à tester et à adapter selon les potentialités
agronomiques de chaque zone.
La deuxième alternative susceptible d'améliorer
le disponible en nutriments issus des fourrages est liée aux conditions
même de leur exploitation, car même quand ces derniers seraient
produits, il faut en garantir une fauche, un stockage et une valorisation bien
réalisés. Or, beaucoup de fermes, notamment celles aux moyens de
trésorerie les plus limités, ne disposent pas déjà
des quantités d'herbe nécessaires, ni du savoir-faire, pour
justifier le stockage des excédents de fourrages. De même, elles
n'ont presque pas accès aux machines nécessaires (faucheuses,
ensileuses...) pour ce genre de chantier. Ne leur reste plus que le recours
à la facilité : faucher uniquement des fourrages
lignifiés, souvent plus proche d'un point de vue de la qualité
à de la paille, et qui sont de surcroît faciles à stocker,
car secs. La conséquence est alors de pénaliser fortement les
vaches laitières qui devront s'accommoder de ces fourrages pauvres.
Des techniques pour un ensilage approprié (type de
silo, date de coupe, réglages des machines pour une taille des brins
adaptée, additifs à rajouter, matériaux de couverture...)
afin de stocker les excédents de fourrages sont à vulgariser. De
même, la fenaison des fourrages et les pratiques à adopter pour
limiter les pertes de nutriments pour la constitution de stocks de foin de
bonne qualité sont primordiales à prendre en compte pour
favoriser les compensations des années difficiles par les
excédents des années favorables. Pour ce faire, le choix de
variétés fourragères adaptées à la fenaison
est à promouvoir. De même, la promotion du savoir-faire technique
pour un foin réussi (date de coupe, modes de stockage, type de
séchage...) est à encourager chez les éleveurs, notamment
chez ceux aux moyens les plus dérisoires.
C'est pourquoi, cette composante des cultures
fourragères, même si elle est évidente pour
améliorer les rendements, le bien-être des vaches et même la
qualité du lait, n'en demeure pas moins la plus complexe à
traiter, à cause des caractéristiques intrinsèques du
milieu agricole marocain.
La quatrième proposition pour rehausser les
performances de production laitière des troupeaux bovins est liée
à de nécessaires études d'ajustements entre leurs besoins
quantitatifs et leurs évolutions au cours de l'année et les
potentialités agronomiques réelles des exploitations et des
régions où ils se localisent. Ce genre de logiques a
déjà été avancé, aux tous débuts des
études de faisabilité de projets d'élevage laitier au
Maroc. En effet, les concepteurs du projet Sebou, précurseurs de la mise
en valeur du périmètre du Gharb [PROJET SEBOU, 1961], insistaient
sur la nécessaire sélection des éleveurs disposant des
conditions adéquates, en termes de superficies fourragères
notamment, avant de leur allouer des vaches laitières importées.
Malheureusement, cette philosophie ne semble pas avoir été
respectée. Les précautions qui auraient dû être
adoptées par les organismes censés encadrer les élevages
pour en assurer la rentabilité n'ont pas été efficaces. Il
faut dire que l'insistante pression des lobbies exportateurs de bovins en
Europe et en Amérique du Nord, et celle des importateurs de
génisses au Maroc étaient aussi dans la balance. Par ailleurs,
l'éleveur aussi a facilement succombé à l'attrait
indéniable pour ces vaches, qui confèrent et renforcent le statut
social de leurs détenteurs, par un effet ostentatoire largement
établi dans les campagnes marocaines. Mais le prix à payer a
été tellement fort, que des volte-faces sont désormais
nécessaires.
C'est semble-t-il une voie nécessaire qui permettrait
de mettre à contribution les zootechniciens du pays : dimensionner
les élevages sur le point de s'établir ou ceux qui souffriraient
de problèmes économiques. Car, dans le domaine de la production
bovine laitière, il n'est pas de miracle ou d'inconnue, encore moins
pour des niveaux de production modérés dans l'absolu (5 000 kg
par vache par an) : schématiquement, il faut disposer de suffisamment
d'énergie nette pour éviter la sous-nutrition, et ensuite viser
l'équilibre des rations d'un point de vue de leur teneur en
protéines brutes puis en minéraux et
oligo-éléments. S'imposent alors dans le discours technique les
considérations liées aux bâtiments d'élevage, aux
conditions sanitaires du cheptel ou encore à la stabilité des
marchés du lait et du bétail.
Concrètement, cela reviendrait à vérifier
pour différentes étables, l'adéquation entre les
possibilités fourragères et les besoins des vaches à un
niveau de production donné. Par exemple, dans le cas du
périmètre irrigué du Gharb, l'ha de bersim peut produire
jusqu'à l'équivalent de 4 400 UFL, en cinq coupes d'octobre
à juin [GUESSOUS, 1991]. Si l'hypothèse de nourrir des vaches
laitières convenablement avec un minimum de fourrages retient un ratio
fourrages/concentrés de 50/50, alors il faudrait pour une vache
laitière à 5 000 kg de lait environ, 2 500 UFL provenant du
bersim : 50 % d'un besoin total annuel de 5 000 UFL, comprenant aussi bien
les besoins d'entretien, de production, de gestation de la vache à
proprement parler et les besoins inhérents à sa suite, à
savoir les veaux mâles et femelles et génisses. Ceci
équivaudrait à un minimum de 0,65 ha de bersim bien conduit par
vache. Or, nos chiffres (0,5 ha/vache) montrent bien que ce ratio est bien loin
d'être respecté, tout comme ne sont pas respectés les
stades optimaux d'exploitation du bersim et encore moins les itinéraires
techniques pour un rendement maximal d'UFL à l'ha. C'est ce qui explique
tous les manques à gagner que nous avons identifiés, tant sur le
plan de la production laitière que sur le croît des veaux et des
génisses.
Pareils calculs devraient bien entendu tenir compte des
références régionales existantes et pourraient être
enrichis des résultats de la recherche agronomique dans le domaine de
l'amélioration des productions de fourrages.
Se pose bien sûr avec acuité à ce stade,
le problème du financement des salaires et prestations de ces
ingénieurs et autres techniciens du secteur des productions animales, et
du cadre statutaire de leur emploi, surtout que l'Etat marocain est en plein
processus de désengagement de toute activité d'encadrement de la
production. La seule voie qui se profile et qui devrait inciter à former
puis à évaluer les cadres de l'élevage, est celle de la
récupération des manques à gagner dans le domaine
agricole, en l'occurrence l'élevage laitier. Par exemple, un saut de la
productivité par vache de 3 000 à 5 000 kg de lait par an
dans une ferme 40 vaches Holstein, équivaudrait à un surplus de
revenus de plus de 240 000 DH (environ 21 500 Euros), ce qui permettrait de
financer les prestations d'un ingénieur, à temps partiel, sans
difficulté, en sus des intrants supplémentaires (aliments). Mais
pour ce faire, il faut que des associations privées d'éleveurs
ambitieux, clairvoyants se constituent, en l'absence de l'Etat. Elles devraient
être prêtes à consentir l'effort de se concentrer sur des
objectifs de production, et de se donner les moyens matériels et surtout
humains d'y parvenir. Ceci semble tarder à se concrétiser,
notamment à cause d'enjeux autres que productivistes qui sont du ressort
du secteur de l'élevage et des associations qui s'y investissent.
Sur la question de la couverture sanitaire du cheptel laitier,
il est plus que flagrant que la privatisation rapide de la médecine
vétérinaire au Maroc, a entraîné un déclin
des prestations dans les étables. En effet, sur le seul registre du
dépistage des maladies réputées légalement
contagieuses, telle que la brucellose ou la tuberculose, le mandat sanitaire
délivré aux vétérinaires privés ne prend pas
en compte ces zoonoses. Or, les techniciens de l'Etat, faute de moyens,
n'effectuent plus ces opérations annuellement. Au delà de ces
répercussions inconnues sur la santé humaine, cet arrêt de
la tuberculination et du dépistage de la brucellose constitue une
énigme sur l'état de santé du cheptel. Il peut aussi
être en partie incriminé dans les contre-performances de
production laitière qui ont été observées au cours
de ce travail. Aussi, pour s'assurer que les améliorations de
performances escomptées de la participation des zootechniciens au choix
de la race ou à la confection de rations équilibrés, se
concrétisent, il faut impérativement un cheptel bovin indemne de
toute maladie. Pour cela, le rôle de l'Etat est encore plus que
crucial.
Finalement, un dernier volet d'action qui a un poids
indéniable sur le secteur de l'élevage bovin, et qui va prendre
davantage d'importance dans les années à venir est lié
à la politique des prix et à la qualité des produits. En
effet, nos résultats démontrent sans ambiguïté que le
prix du lait payé à l'éleveur est un facteur primordial
pour sa compétitivité. Les 15 % en plus par kg de lait expliquent
l'émergence de filières laitières plus intensives à
l'abord des villes en comparaison aux zones rurales, même
irriguées. Car, il est actuellement une constatation forte,
qu'illustrent nos travaux, dans le secteur de la production bovine
laitière au Maroc : les bénéfices sont tellement
ténus que la moindre augmentation du prix du lait pour les
éleveurs leur est vitale.
Il n'est pas dans nos propos de proposer une augmentation du
prix du kg de lait payé à l'éleveur, prix qui n'a plus
évolué depuis 1995. Mais, ce qu'il est possible de remarquer dans
les faits, est justement une défection de nombre d'éleveurs
vis-à-vis de toute tentative d'intensification, arguant que le prix
actuel du lait ne couvre plus les charges nécessaires à la
production. Nos résultats de terrain convergent vers cette observation
puisque, pour de nombreuses fermes, l'équilibre économique ne se
concrétise que grâce à d'irrémédiables ventes
de bovins. En revanche, ce qu'il est possible de suggérer est la
nécessaire mise à niveau du prix du lait au départ de la
ferme en fonction de sa qualité. Ceci permettrait alors de rehausser les
revenus des éleveurs qui s'investissent dans ce créneau et de
pénaliser carrément tous les fraudeurs et autres ignorants des
principes de base pour un lait sain et contenant assez de matière utile,
et non pas de l'eau.
Mais encore une fois, comme pour les essais de races, la
vulgarisation de fourrages, ou encore l'assistance pour le dimensionnement de
projets d'élevage par rapport à leurs besoins en nutriments, une
grande inconnue entoure la nature des organismes chargés d'appliquer ces
mesures. Dans un contexte dominé par l'extrême rareté du
contrôle laitier, il est difficile d'imaginer une mise en chantier rapide
et généralisée des contrôles de la qualité du
lait, pour un paiement sur laquelle le prix serait indicé. En fait,
seule la constitution d'une interprofession laitière compétente,
juste, défendant les intérêts de tous (des milliers
d'éleveurs aux consommateurs en passant par les industriels du lait),
disposant de moyens conséquents (des prélèvements par kg
de lait pour financer ses activités, par exemple) peut faire l'affaire.
Mais encore une fois, il y a au préalable la nécessité
d'une volonté politique générale, notamment de l'Etat
marocain, pour que ces recommandations puissent être testées sur
le terrain. Or, actuellement, la tonalité qui émane de l'Etat et
de ses politiques d'élevage plus exactement, semble être à
l'opposé de ce schéma global. La cessation récente
(janvier 2004) des activités de la SODEA, dont celles de son pôle
« vaches laitières », en conformité à
la politique de désengagement, confirme bien que l'Etat est en phase de
démissionner de toute responsabilité de production dans le
domaine de l'élevage. En plus de la dispersion du legs technique de la
SODEA (savoir-faire des ouvriers et techniciens) et du noyau
génétique qu'elle détenait, cela témoigne encore
plus de l'arrêt définitif de l'expérience étatique
dans le domaine de la production laitière. S'y ajoute la suspension des
campagnes systématiques et annuelles de tuberculination du cheptel bovin
et de dépistage de la brucellose, depuis le début des
années nonante et l'aspect sporadique des campagnes de vaccination
contre la fièvre aphteuse. Tout cet abandon sur le terrain, que souligne
aussi la chute palpable du nombre des étables soumises au contrôle
laitier officiel ces dix dernières années (de 398 en 1994
à 167 en 2002, selon MADR [2003]), ne peut que laisser sceptique tout
observateur du secteur de l'élevage sur les possibilités de sa
reprise en main. Car, si l'Etat marocain ne semble pas prêt à s'y
investir pour en assurer la continuité et pour en réguler le
fonctionnement, il est illusoire de penser que des associations privées
y parviendront seules. Surtout qu'elles souffrent par essence de la
multiplicité des intérêts de leurs acteurs et encore plus
de la faiblesse de leurs moyens financiers et humains.
Car finalement, l'élevage laitier et son
développement au Maroc sont bien plus importants que la simple
considération du type génétique ou de la conduite
alimentaire des vaches. Son devenir est dépendant des choix de politique
générale qui seront effectués, notamment sur la question
sensible du sort de milliers d'exploitations agricoles, certes aux moyens de
production dérisoires, mais qui continuent d'employer tant bien que mal
plus de 50 % de la population du Maroc. Si on s'achemine vers un
scénario visant le maintien de ces structures, il est alors
évident que des moyens et des efforts importants doivent être
mobilisés en leur faveur, en termes de transferts de technologies (cf.
les propositions par rapport aux races, aux fourrages, aux rations
équilibrées, à la guidance sanitaire...). Car, pour
l'instant elles continuent pour la plupart à naviguer à vue, sans
véritable objectif de production ni de durabilité
économique. Et surtout elles ne bénéficient d'aucune
expertise technique ni de conseil de vulgarisation. Sinon, si une option de
reconversion de ces exploitations vers d'autres types d'activités extra
agricoles (scénario à « l'européenne »
où les campagnes marocaines seraient dépeuplées) est
retenue, il faudrait alors songer dès à présent aux
mesures nécessaires pour y arriver (reconversion des paysans, structures
d'accueil dans d'autres secteurs d'activités...).
Dans les deux cas, il ne fait pas de doute que
l'élevage bovin au Maroc est à une sorte de phase cruciale de son
évolution : ou bien il se structure, devient performant,
crée des emplois, des produits de qualité et il assure sa
pérennité, finançant de lui -même, par la
récupération de ses manques à gagner, les salaires et
rémunérations des personnes qui veillent sur son bon
fonctionnement. L'autre éventualité, est celle où, sous la
pression des contraintes endogènes (sécheresse, manque de
capitaux, savoir-faire négligés, énergies
dilapidées...) et exogènes (ouverture totale des
frontières aux produits importés), l'élevage bovin laitier
n'arrive plus à être compétitif. Dans ce cas, il n'est pas
exclu que les mouvements d'extensification de la production, tels
qu'observés même en périmètre irrigué
(allaitant avec aucune charge) se renforcent, tandis que le marché
marocain du lait serait alors quasi exclusivement dominé par des
importations de produits lactés. Ce genre d'éventualité
sonnerait alors le glas de l'expérience initiée par le Plan
laitier pour assurer l'approvisionnement du marché local en produit
frais, sans être à la merci des fluctuations mondiales des prix.
Bien entendu, ce cas extrême peut être évité. En
mobilisant les expertises, en formant les éleveurs, et en
édictant des normes de travail rationnelles qui s'éloignent de la
simple logique de marché (achats d'animaux importés, transactions
sur les concentrés importés, marges sur le lait entre
l'éleveur et le consommateur...) pour accompagner la paysannerie
marocaine et tout le monde rural dans la recherche de mieux-être
économique. Faute de quoi, c'est à un exode rural massif, avec
pour corollaire l'insécurité et aussi l'immigration clandestine,
qu'il faudra faire face.
Références Bibliographiques
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* 1 Le chef d'arrondissement,
le chef de l'appui technique, deux vétérinaires, trois
inséminateurs, un technicien et un contrôleur laitier
* 2 le coût des
fourrages est basé sur les prix de revient de production, la paille et
les concentrés sont comptés au prix d'achat, la main d'oeuvre
familiale est gratuite. Le lait trait auto consommé par la famille
est comptabilisé dans les produits.
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