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La conférence de rédaction comme outil d'auto-régulation et espace de communication organisationnelle

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par Anicet Laurent QUENUM
Université Cheickh Anta Diop de Dakar - UCAD - DESS 2004
  

Disponible en mode multipage

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Centre d'Etudes des Sciences et Techniques de l'Information

Université Cheikh Anta Diop de Dakar - UCAD
.............................................................

MEMOIRE POUR L'OBTENTION DU DIPLOME D'ETUDES SUPERIEURES SPECIALISEES
En

SCIENCES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

Theme

LA CONFERENCE DE REDACTION

COMME OUTIL D'AUTO-REGULATION ET

ESPACE DE COMMUNICATION ORGANISATIONNELLE

Cas de Radio-Bénin (1990 - 2000)

Préparé et soutenu par

Anicet Laurent QUENUM

Sous la direction de

Oumar DIAGNE
Professeur titulaire des universités
Directeur du CESTI

Mes remerciements à

> Oumar Diagne, sociologue, directeur du Centre d'Etudes des Sciences et Techniques de l'Information (CESTI)

> Jacques Philippe da MATHA, journaliste, ancien Directeur Général de l'Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB), ancien Directeur Général du Centre inter-Etats de radio rurale de Ouagadougou (CIERRO)

> Mahamoudou OUEDRAOGO, journaliste, enseignant des Sciences et Techniques de l'Information, ancien ministre burkinabè des Arts et de la Culture

> Serge Mathias TOMONDJI, journaliste, rédacteur en chef du quotidien burkinabè « 24 heures »

DEDICACE

Cette oeuvre est dédiée a :

Marie, Raïssa et Bérénice

Ma défunte mère, en souvenir de ce jour de novembre 1985 où ton
geste a valu son pesant d'or dans ma destinée professionnelle.

AVANT- PROPOS

Faut-il faire et le faire savoir ou faut-il plutôt faire et attendre que les contingences le fassent savoir aux autres ? Dans l'éventail des réponses possibles, Talleyrand nous en propose une à travers sa formule incitative : « si cela va sans dire, ça ira encore mieux en le disant ».

Seulement, jusqu'où le professionnel de l'information doit-il communiquer sans verser dans le travers de ceux qui prétendent rester à leur fenêtre pour se voir passer. Parallèlement, jusqu'où peut-il pousser la circonspection sans courir le risque de laisser les autres reconstituer sa propre mémoire, sa propre histoire ; sans courir aussi le risque de laisser aux autres le privilège de dire les choses en son nom, lui qui passe pourtant toute une carrière à vendre la parole des autres. Va-t-il s'oublier et se laisser prendre au dépourvu par la fugacité du temps?

Pourquoi et comment les maîtres de la plume ou / et du micro doivent-ils abdiquer devant le devoir d'écriture qui est censé leur offrir le moyen de capitaliser tant d'aventures inédites, tant d'enseignements précieux, tant d'expériences si édifiantes, mais aussi de démocratiser tant de savoirs et de savoirs-faire. Une façon, parmi tant d'autres d'aider les nouveaux venus et les aspirants au journalisme à commettre moins d'erreurs que leurs aînés, même s'il est bien utile qu'ils en fassent quelques unes afin de se forger une bonne carapace et être plus tard de bons témoins.

Mais au-delà du témoignage, ce livre est aussi la manifestation d'une auto-interpellation
et d'une introspection. Un double exercice qui pourrait déboucher sur une remise en
cause professionnelle des acteurs du métier. Quant à ceux qui n'ont pas d'autre choix

que de juger la profession de l'extérieur, ce livre pourrait les aider, un tant soit peu, à démythifier certaines réalités souterraines de la vie des Rédactions.

A quoi ressemble une journée de travail dans une Rédaction ? Que se passe-t-il dans le secret des « services-Information » des organes de presse ? Du fait brut à l'information traitée et consommable à travers les ondes, quelle est la partition jouée au quotidien par les hommes des médias, journalistes et techniciens ? A quelles joies et peines les expose ce métier à la fois prenant et exaltant ?

Les réponses qu'apporte ce livre ne sont pas exhaustives encore moins définitives. Elles n'ont pas valeur d'oracle. Tout au plus, c'est une lucarne ouverte sur un couvent ; celui des Rédactions de presse. Possiblement, nombre de professionnels de l'information et de la communication, notamment ceux de la radio, s'y reconnaîtront peu ou prou. Davantage les professionnels de l'Audiovisuel public que ceux du privé. D'aucuns -sait-on jamais- pourraient en rougir ou être tentés d'en faire une affaire personnelle. Mais non! A ceux-là, nous tenons à donner l'assurance que les expériences évoquées dans ce document ne sont exclusives à aucune Rédaction, à aucune direction ou à un pays. Si les témoignages recueillis auprès de confrères de la sous-région ouest-africaine, notamment béninois, burkinabè et sénégalais ne sont pas en tous points identiques, force est de reconnaître qu'en revanche, ils sont très voisins voire similaires. Du bien comme du mal, nul n'en a le monopole.

INTRODUCTION

On n'y pense pas et pourtant ! La Rédaction de presse est une communauté d'hommes et d'intérêts ; c'est une société en miniature et comme telle, elle est le lieu d'expression d'intérêts et parfois d'ambitions antagonistes. C'est alors que son fonctionnement requiert un effort de socialisation, car la cohabitation entre confrères n'est pas toujours sans histoire. C'est le potentiel communicationnel et organisationnel de cet ensemble d'acteurs en interactions et dans leurs stratégies d'auto-détermination qui retient ici notre attention.

Toute l'activité de la Rédaction de presse s'exerce à travers un enchaînement de processus d'interactions et de communications. C'est l'orchestration d'un système complexe composé d'acteurs exerçant des rôles et des activités différenciées tout en étant fonctionnellement reliés autour d'une même obligation de résultats. Que des conflits surgissent à l'occasion de leurs rapports professionnels semble relever d'un principe naturel d'affirmation de l'acteur par rapport au système. Le reste ne serait alors qu'une question de management de la ressource humaine dans un contexte où les conflits professionnels ne sont souvent pas si loin des problèmes de personnes.

En nous intéressant au fonctionnement de la Rédaction de presse de la Radiodiffusion nationale du Bénin, c'est pour analyser divers types d'enjeux : enjeux relationnels, enjeux d'influence et enjeux de positionnement. Plus intéressant, chacun y va de son éthique, de ses aspirations et ambitions, avouées ou non ! Plus celles-ci sont divergentes et plus les risques de conflits sont élevés. Mais, cela n'est-il pas plutôt dans la nature des organisations humaines ? A ce sujet, nous tenterons d'ailleurs de montrer

à quel point les antagonismes, les contradictions sont pour la Rédaction de presse source de vitalité. C'est à certains égards une école du vivre ensemble et ce que Claude JAMEUX dit de l'entreprise à ce sujet reste valable pour la Rédaction de presse : « les acteurs participant à l'entreprise ont des traits originaux : leur histoire, leur culture, les valeurs auxquelles ils aspirent, les intérêts qu'ils défendent. Ils sont donc porteurs d'objectifs qui ne sont pas nécessairement convergents... »1

Mais loin de s'en émouvoir, il semble bien que l'absence de conflits dans une communauté d'hommes est devenue aujourd'hui trop flatteuse pour être considérée comme un signe de sérénité et un véritable témoignage de cohésion et de réussite. Seule la capacité des Rédactions à dépasser leurs conflits internes pourrait conférer à celles-ci du mérite. Et de là naît la plus grosse curiosité de ce travail, disons le plus grand questionnement de cette oeuvre : comment les journalistes s'y prennent pour aplanir les conflits professionnels ? De quels outils de médiation et d'arbitrage disposent-ils pour laver le linge sale en famille ? Quel est le secret de ces armes qui leur permettent de contenir certains débordements professionnels ou comportementaux dans les limites des quatre murs de la Rédaction et de parvenir à dédramatiser les «gaffes» les plus grossières ? Ont-ils vraiment les moyens coercitifs ou pédagogiques pour « dompter les appétits de leurs membres les plus transgressifs et pour mettre à leur place, ceux d'entre eux qui bafouent le plus ouvertement la morale professionnelle ? »2

Evidemment, nous ne répondrons pas à ce faisceau de questions sans avoir
préalablement identifié la typologie et les sources de conflits et des sujets qui fâchent le

1 C. JAMEUX, Sciences de la société - les organisations au risque de l'information, Presses Universitaires du Mirail, octobre 1994, p 43

2 C. LEMIEUX, Mauvaise presse, Editions Métailié, 2000, p.88

plus au sein des Rédactions de presse et en quoi ils affectent le fonctionnement de ces Rédactions voire l'image du métier?

Notre intention est justement de révéler ces Rédactions sous leurs facettes d'espaces de dialogue professionnel, de solidarité et de fraternisation plutôt que de lieux d'affrontement. Même si l'intensité des jeux de pouvoir frise parfois le « sauve qui peut ! ».

Aussi, voudrions-nous mettre en évidence la forte parenté existant entre la Rédaction de presse et l'espace public qui se nourrissent tous deux de contradictions, d'intrigues, mais aussi de rivalités dans l'argumentation et surtout dans la recherche de l'argument meilleur selon le concept de Jürgen HABERMAS3. Ce qui finirait de nous convaincre de ce que les Rédactions de presse sont, quelque part, des écoles de démocratie où se cultivent aussi bien des valeurs de discipline, de responsabilité, d'amour du travail, d'émulation, de tolérance voire de citoyenneté. A cet égard, Radio-Bénin reste un cas intéressant en raison d'un contexte institutionnel caractérisé par une libération quasitotale de la parole et de l'initiative. Plutôt que de confier à un pouvoir, fût-il démocratique, la réglementation de la pratique journalistique dont on ne sait jamais à quel point elle sera contraignante, les journalistes n'ont-ils pas raison de vouloir autoadministrer leur profession, tout au moins en ce qui concerne l'honneur professionnel ?

Par ailleurs, la perspective d'une capitalisation de toute la somme d'enseignements et d'outils que la communication organisationnelle peut apporter au management des Rédactions de presse nous paraît digne d'intérêt. Notamment, pour celles qui ambitionnent de renforcer leur potentiel d'autorégulation que nous définissons ici en rapport avec l'accès des professionnels de l'information à des niveaux supérieurs de

3 Philosophe allemand, théoricien de l'Espace public

maturité discursive, professionnelle, intellectuelle et humaine. Derrière cette exigence, se trouve en filigrane, le souci d'une autorégulation qui tienne compte des intérêts des tiers, notamment des consommateurs. Car, si l'on est mieux servi que par soi-même, l'on est pas toujours suffisamment exigeant envers soi-même.

Cette approche de l'autorégulation nous paraît d'autant plus essentielle qu'elle nous met en garde contre toute tentation des Rédactions de presse à se barricader derrière de nouvelles déontologies taillées à leur propre mesure. Toutefois, si l'autorégulation n'autorise pas à être moins légaliste, il n'est non plus totalement exclu qu'une Rédaction puisse développer un style moral propre censé influencer ses choix éditoriaux mais également ses mécanismes / modèles spécifiques de médiation et de cohésion interne.

En définitive, cette autorégulation, comment la définir : un raccourci ? Une alternative? Une chance? Un exutoire ? Une appropriation de pouvoir ? Une quête d'autonomie ? Une arme protectionniste ?

Les prochaines lignes nous le diront, peu ou prou !

Clarification de concepts

Conférence de rédaction

Espace professionnel au sein duquel s'organisent la vie et le fonctionnement de la Rédaction. A ce titre, la conférence de rédaction est une instance de débat et de délibération sur diverses questions professionnelles : menus des éditions du Journal, appréciation des prestations de ses membres, organisation d'échéances importantes (couverture médiatique de grands événements), médiation interne en cas de différends, rappels à l'ordre face à d'éventuelles atteintes aux normes déontologiques ou éthiques, etc. Elle est aussi un lieu d'évaluation et d'auto-évaluation des prestations des journalistes ; d'où son allure de cuisine interne.

Conflit

La notion de conflit telle que utilisée dans ce Mémoire n'a aucun rapport avec l'affrontement physique ou un éventuel bellicisme. Il ne s'agit nullement dans le contexte des rédactions de presse d'un « conflit à mort », mais plus exactement de rivalités d'intérêts, de querelles de clochers, de tiraillements, ou de stratégies de positionnement. Plus prosaïquement, on pourrait également entendre ici la notion de conflit par rapport à tout ce qui est source potentielle de mésentente, de dysfonctionnement professionnel et de rupture de cohésion du groupe.

Autorégulation

Entendue dans l'esprit de ce travail comme un ensemble de dispositions contribuant à un mécanisme de police interne. Il pourrait s'agir aussi d'un état d'esprit favorable à une gestion confraternelle des conflits plutôt que toute autre forme de recours aux procédures judiciaires.

Acteurs

Nous privilégions dans le cadre de ce Mémoire les catégories d'acteurs ci-après :

- Le rédacteur en chef

- Le secrétaire de rédaction

- Les rédacteurs

- Les « fossoyeurs » de la Rédaction - Le directeur

Contexte

Le contexte visé est celui de Radio-Bénin (organe d'Etat) à l'ère du pluralisme, soit au lendemain de la Conférence Nationale de Février 1990 et couvrant la première décennie du Renouveau démocratique. On a donc affaire à des journalistes épris de liberté et d'indépendance et donc déterminés à tourner la page de l'autocensure, du bâillonnement, de l'inféodation et à renouer avec une pratique plus professionnelle du métier. Ils sont aidés en cela par l'avènement d'un cadre institutionnel plus démocratique (HAAC4, ODEM5...)

Les caractéristiques de contexte étant, entre autres :

- le regain de professionnalisme

- la libération des initiatives

- l'innovation ou la tendance à s'affranchir des anciens schémas de travail - la liberté de ton des journalistes au sein des Rédactions

- une nouvelle approche (horizontale) des rapports avec l'autorité

4 Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication

5 Observatoire de l'éthique et de la déontologie dans les médias. L'ODEM a conduit le processus ayant abouti à l'adoption, en septembre 1999, d'un Code de déontologie pour la presse béninoise.

- une quête de transparence dans la gestion des avantages matériels/ financiers et autres enjeux professionnels, etc.

Question de terminologie

Retenons que « Radio-Bénin » est utilisée dans l'ensemble du document pour désigner, en plus bref, la Radiodiffusion nationale du Bénin. Il s'agit donc de termes synonymes tout comme « service de l'information » et « Rédaction » désignent la même réalité.

SECTION I

LES ACTEURS

SPECIFICITES ET INTERACTIONS

CHAPITRE 1

I. LE JOURNALISTE DE RADIO-BENIN DANS LA MOUVANCE PLURALISTE

1.1 Genèse et évolution de Radio-Bénin

La Radiodiffusion du Bénin (Radio-Dahomey à l'origine) a vu le jour le 07 mars 1953 dans un local des PTT6 avec un petit effectif de cinq (05) personnes dont un directeur et sa secrétaire, un technicien locuteur en langue nationale Fon7. Le programme quotidien à l'époque était de 75 minutes.

La Radiodiffusion nationale va connaître une évolution grâce au développement spectaculaire de la radio rurale. D'une seule langue nationale au départ, elle est passée progressivement à six (06) langues à douze (12) et enfin à dix-huit (18) en 1977, année au cours de laquelle le gouvernement révolutionnaire d'alors a eu recours aux langues nationales pour populariser la loi fondamentale.

Les programmes de la Radiodiffusion du Bénin tiennent compte du caractère de service public de l'organe. Avec l'avènement de la démocratie, la liberté de l'information y a atteint un niveau appréciable. Beaucoup d'émissions traduisent dans les faits la pluralité des courants d'opinions et l'accès équitable des partis politiques, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition.

Radio-Bénin promeut les valeurs culturelles nationales. De par son statut de d'organe de service public, elle appartient à tous et est au service de tous : Etat (gouvernement, institutions républicaines), partis politiques, société civile, paysans, éleveurs, pêcheurs, hommes, femmes, enfants, etc. Ce qui rend indispensable la recherche constante d'un certain équilibre dans le traitement de l'information.

6 Postes, Téléphone et Télécommunications

7 Langue la plus parlée au Sud du Bénin

1.2 Radio - Bénin dans le paysage radiophonique

Au Bénin, la libéralisation très tardive de la radio (seulement en 1997) a placé ce média du service public au coeur du débat politique avec la revendication de l'accès à ses micros, de toutes les tendances politiques. Au sein de l'ORTB, Office de radiodiffusion et télévision du Bénin, réorganisé en décembre 1991, il y a six directions dont les directions techniques et relations publiques communes et les deux directions de Radio-Cotonou et Radio Parakou.

Radio-Cotonou8 avec son centre émetteur d'Abomey-Calavi9, couvre tout le territoire national grâce à deux émetteurs en ondes courtes, deux en ondes moyennes et deux en FM.

La station régionale de Parakou10 créée le 1er avril 1983 fonctionne avec deux émetteurs ondes moyennes et deux émetteurs ondes courtes. Elle a une section rurale importante qui produit 50% des émissions. Elle diffuse le journal parlé de 20 h de Radio-Cotonou. Elle émet en Français et dans différentes langues africaines.

Le vote en juillet 1997 de la loi sur la libéralisation de l'Audiovisuel a ouvert les vannes du pluralisme radiophonique au Bénin. En application de cette loi, la HAAC a autorisé l'implantation de neuf (09) radios commerciales et de dix-sept (17) radios noncommerciales. C'est donc dans ce contexte d'émulation et pour faire face à la concurrence que l'ORTB crée en 1995 une station en FM, Atlantic FM émettant à Cotonou11. Selon une étude réalisée sur l'état des médias au Bénin, trente-cinq (35)

8 98.2 Mhz

9 Localité à la périphérie de Cotonou, située à une vingtaine de kms du centre ville

10 92.5 Mhz

11 92.2 Mhz

stations de radios avaient pignon sur rue en Juin 2001. Evidemment, depuis lors, ce chiffre est allé crescendo.

C'est aussi dans cet environnement compétitif que la Rédaction de Radio-Bénin se bat pour garder la tête haute tant du point de vue de la qualité de ses prestations que de la préservation de son image d'aînée, respectueuse de la déontologie et capable de montrer l'exemple. Elle s'emploie à atteindre cet idéal grâce à un personnel d'une vingtaine de professionnels dont la moyenne d'âge est de 35 ans. La plupart d'entre eux côtoient les quinze années d'expériences avec un niveau de qualification qui oscille entre le Baccalauréat et le Diplôme d'études approfondies (DEA).

1.3 Le nouvel environnement institutionnel : source de contraintes professionnelles

Le Bénin est ce petit pays d'Afrique occidentale qui a inauguré, en février 1990, la valse des Conférences nationales en Afrique, amorçant du coup une expérience démocratique qui a fait beaucoup d'émules. En effet, le Bénin a connu à deux reprises (1991 et 1996) des alternances au terme d'élections pacifiques (de Kérékou à Soglo, puis de Soglo à Kérékou). On considère par ailleurs que « la présence active de la société civile dans le forum public et les alternances successives à la tête de l'Etat n'ont permis à aucun gouvernement de contrôler la presse ou de la soumettre »12. Mieux, ce contexte a favorisé un bouillonnement médiatique inattendu avec, bien entendu, ses exigences en termes de savoir-faire et de professionnalisme.

Certes, aujourd'hui comme hier, le journaliste ne cesse pas d'être un médiateur entre le
pouvoir et le peuple, mais le pluralisme lui commande d'être un observateur loyal et
fidèle de la vie citoyenne et un serviteur impartial de l'opinion publique dans toutes ses

composantes. Cela appelle de la part du journaliste davantage de discernement et de dépassement personnel en même temps qu'il lui faudra se départir des schémas d'appréciation officiels du fait politique. En conséquence, c'est toute la philosophie même du traitement de l'information qui est en cause.

Ainsi, le discours officiel prononcé solennellement par le président de la République ou le président de l'Assemblée nationale n'est plus forcément applaudi à l'unisson. Mais au contraire, il était devenu tout à fait concevable qu'un tel discours puisse faire l'objet de contradictions, de critiques de la part des médias et des citoyens qui ont le droit d'y relever des contre-vérités. Cela est même souhaitable pour la vitalité de la démocratie. Il n'y avait donc plus rien d'étonnant à ce qu'un journaliste tende son micro à un leader de l'opposition ou à un syndicaliste qui trouve à redire sur les déclarations d'un ministre. Fini, le monopole de la vérité, d'où qu'elle vienne !

1.4 Rapport médias-gouvernants : le temps des désillusions

C'est par pure illusion que l'on a pu penser dans certains milieux que c'est le parfait amour qui caractériserait les relations entre les médias et les gouvernants à l'avènement du pluralisme et de la démocratie. Les médias béninois, très jaloux de la liberté retrouvée, n'ont pas hésité à utiliser cette nouvelle arme contre les anciensnouveaux maîtres, donnant ainsi l'impression qu'ils n'ont fait que changer le fusil d'épaule pour dénoncer les abus du pouvoir. Cela aussi est dans l'ordre normal des choses quand on sait que, même dans un régime démocratique, qui détient le pouvoir, a une tendance naturelle à en abuser. D'où le rôle de garde-fou dévolu à la presse.

Si à l'inverse de la presse privée, la presse officielle est souvent mal lotie pour assumer

autre pouvoir qui n'est autre que l'exécutif. A preuve, c'est au niveau de la presse indépendante que ce rôle de contre-pouvoir a été véritablement assumé avec courage pendant que la presse officielle voyait se resserrer par moments, l'étau de la liberté d'expression. Simple désillusion : le voeu secret de tout pouvoir est d' « apprivoiser » la presse. Jean-Louis Servan-Schreiber ne le pense pas moins: « dans la plupart des démocraties, les rapports de force entre l'Etat et la presse sont aussi feutrés que permanents. Le pouvoir exécutif juge indispensable l'existence du quatrième pouvoir comme courroie de transmission entre lui-même et l'opinion. Mais, le droit d'enquête et d'interrogation que s'attribuent les médias gène et irrite tous les gouvernements sans exception »13.

Il n'est pas si rare que le pouvoir emprunte la manière forte contre ses adversaires pour faire triompher ses vues et tenter à coups d'intimidations et de pressions de faire rentrer dans les rangs certains journalistes trop frondeurs. A ce propos, on n'oubliera pas les mésaventures de ce confrère béninois, alors rédacteur en chef d'un organe de presse officielle autour des années 1991-1992, qui s'est fait limoger pour avoir osé braver le pouvoir en s'insurgeant contre les intrusions de l'autorité politique dans la vie rédactionnelle de cet organe.

A bien y regarder, c'est finalement un leurre que d'avoir cru que la démocratisation effacerait toutes les servitudes et vicissitudes du journaliste béninois. Aujourd'hui, avec un peu de recul, bien des journalistes ont le sentiment que la démocratie, en tant que système politique ou modèle institutionnel, n'incarne pas un espoir absolu pour la presse et que, mieux vaudrait travailler continuellement à l'émergence d'une réelle culture démocratique à tous les paliers de la vie sociale.

13 SERVAN-SCHREIBER (Jean-Louis), Le pouvoir d'informer, éditions Robert Laffont, p. 334

A l'évidence, la Rédaction de Radio-Bénin a fait, à la faveur du Renouveau démocratique, un progrès notable en matière de gestion plurielle de l'information. Sauf, qu'à certaines occasions, des relents de censure et d'autocensure, entretenus par des journalistes trop frileux, zélés ou partisans, ont eu raison de la recherche de la vérité et du professionnalisme. Ainsi, à un moment ou à un autre de sa carrière, tout journaliste est amené à mesurer le caractère appauvrissant et frustrant de cette forme de censure qui inhibe toute motivation et étouffe toute initiative professionnelle pour peu qu'elle soit osée voire innovante. A tout cela, s'ajoute la gestion pas aisée des communiqués et contre-communiqués engagés qui « atterrissent » dans les Rédactions des organes de presse officielle, in extremis, à quelques minutes du journal parlé ou télévisé et dont la diffusion n'est pas négociable.

Là réside en effet l'hypocrisie et la duplicité de régimes dits démocratiques qui, tout en clamant urbi et orbi leur attachement à la liberté d'expression, sont foncièrement mus par l'intention inavouée d'avoir la main haute sur les médias officiels. Juste une manière subtile et insidieuse de récupérer par la main droite ce qu'ils ont concédé par la main gauche. Ce qui a pu laisser craindre, à tort ou à raison, la résurgence d'un certain dirigisme dont l'une des manifestations les plus courantes est la tendance à confondre le statut du journaliste exerçant dans un média d'Etat avec celui de journaliste du gouvernement.

En tout état de cause, il n'appartient pas au journaliste d'étouffer, d'immerger le message du gouvernement dans toute la rhétorique politique nationale où foisonnent et s'entrechoquent les discours les plus contradictoires. Dans certains organes, ce risque est quelque peu pallié par la diffusion hebdomadaire dans les organes officiels d'un commentaire exposant les vues du gouvernement sur des aspects brûlants de la vie

sociale et politique nationale. De la même manière, le pouvoir a tout à fait raison d'être sur le qui-vive pour veiller à ce que les libertés retrouvées au sortir des conférences nationales ne soient pas interprétées comme devant réduire le gouvernement au silence ou le reléguer à un rôle de figurant sur la scène politique nationale. Il ne saurait non plus être question d'ériger, en principe, l'idée déjà controversée d'une prépondérance de la voix du gouvernement dans les médias officiels ; ce qui ne ferait qu'aggraver le caractère suspect de l'information officielle. Rien ne vaut la vérité qui équivaut ici à une restitution fidèle des faits, non pas tels qu'on souhaite les voir mais plutôt comme ils se présentent.

En clair, on ne cesse pas d'être journaliste crédible lorsqu'on s'applique à rapporter fidèlement les actions et les performances du gouvernement et que l'on se fait le devoir d'expliquer à l'opinion publique les intérêts et les objectifs poursuivis. Honnêteté oblige, à défaut de l' «impossible» objectivité qui est pourtant perçue sous certains cieux (Etats-Unis d'Amérique), comme la marque du journaliste compétent et expérimenté.

Pour avoir oeuvré, parmi tant d'autres acteurs, au difficile accouchement de la démocratie, l'on comprend que les journalistes béninois veuillent bien être les témoins de sa gestion et de sa croissance. Car, dans le processus de démocratisation, forcément progressif et continu, où rien n'est définitivement acquis, les journalistes plus exposés que d'autres, savent qu'ils n'ont pas intérêt à ce que les choses s'arrêtent en si bon chemin.

Heureusement qu'avec liberté d'expression, la presse ne se fait pas prier pour forcer la
main à un pouvoir qui ne prend presque jamais tout seul l'initiative du changement,
même parfois lorsqu'il s'agit de prescriptions constitutionnelles. On retiendra par

exemple que l'installation, le 07 juin 1993, au Bénin, de la Cour constitutionnelle est, dans une certaine mesure, le résultat d'un battage médiatique auquel s'est livrée la presse, s'illustrant ainsi dans son rôle de relais et de porte voix de la volonté populaire. Aussi, s'est-elle impliquée dans la campagne de harcèlement politique ayant conduit au remaniement du 07 septembre 1993.

Autant de raisons de penser que la presse est un élément régulateur de la démocratie. De la qualité de la presse, dépendent la qualité et l'avenir de la démocratie, qui à son tour est également tributaire de la liberté d'expression et de la faculté des journalistes à en jouir de façon responsable.

CHAPITRE II

II. LES ACTEURS ET LEURS SPECIFICITES

2.1 La Rédaction en chef

La Rédaction est dirigée par un rédacteur en chef, désigné parmi ses pairs selon des critères objectifs ou non, mais qui varient généralement entre la confiance, l'ancienneté et l'expérience. Ce dernier est aidé dans ses oeuvres par un rédacteur en chef adjoint qui peut aussi assurer concomitamment les charges de secrétaire de rédaction comme c'est le cas depuis 1996 au niveau de la Rédaction du Journal Parlé de Radio-Bénin.

A priori, le rédacteur en chef est un homme censé inspirer respect. A défaut d'avoir de l'autorité, il doit, ou du moins, il est souhaitable qu'il ait quelque chose de plus que ses confrères: l'âge par exemple qui, dans la culture africaine, est source de sagesse et de respectabilité. Et si ce n'est l'âge, au moins l'expérience, le savoir-faire et un professionnalisme qui en imposent. Car les jeunes confrères sous ordre ont grandement besoin de modèles. Plus de modèles que de chantres et de théoriciens. Il n'y a rien de plus insupportable qu'un chef qui n'est fort qu'en instructions et qui s'illustre peu en pratique.

Le Journal Parlé de Radio-Bénin a profité, autour des années 1997-1999, de l'expérience d'un rédacteur en chef dont le trait dominant était sa grande sérénité14. Pendant deux années et demie, on ne l'a presque jamais vu paniquer. A défaut d'être craint, il était respecté. A défaut d'être forcément aimé, il était admiré pour sa maturité, ses propos rassurants, son élocution mûrement calculée et son self-control désarmant.

14 Ce confrère a poursuivi sa carrière de 1999 à 2004 à la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC) en qualité de conseiller.

Poste combien stratégique : le rédacteur en chef a plus de notoriété qu'un directeur. Carrefour où il reçoit toutes les personnalités du pays, du responsable d'ONG au chef de l'Etat, en passant par les syndicalistes en colère. Mais, en est-il toujours conscient ?

Il n'y aurait qu'à faire le compte du nombre de personnes qui frappent à sa porte en l'espace d'une journée. C'est à la fois passionnant et ennuyeux. Ce qui est vrai, c'est qu'en réalité, le rédacteur en chef détient la clé de nombreuses situations d'ordre professionnel dans un organe de presse. Il est d'ailleurs très courant que le directeur lui-même s'en remette au rédacteur en chef en détournant vers son bureau une partie de ses visiteurs ou interlocuteurs. Pour toutes ces raisons, il est un personnage très courtisé. Les politiciens et autres leaders d'opinions savent ce qu'ils gagnent en l'ayant avec eux. Raison de plus pour que la rédaction en chef soit confiée à une personne mûre.

2.1.1 Rédacteur en chef: une aspiration légitime

C'est une aspiration tout à fait légitime que de « convoiter » le poste de rédacteur en chef lorsqu'on approche les quinze années d'ancienneté. Cette estimation est purement arbitraire, car en fait, il n'existe pas de loi écrite en la matière. Chacun fait son chemin, court pour les uns, long pour d'autres. Les rédacteurs en chef de Radio - Bénin qui se sont succédé à ce poste depuis 1990 ont tous entamé la dernière décennie de leur carrière.

Un avertissement : l'euphorie peut être malheureusement de courte durée, si l'on se retrouve à la tête d'une troupe démotivée et si l'on doit se sentir obligé d'entrer en conflit avec ses pairs pour faire triompher les règles du métier. De même, si l'on doit consacrer le plus clair de son précieux temps de rédacteur en chef à régler les

problèmes matériels (acquisition d'outils informatiques, de bandes, amorces, scotchs, bobines, papier) et à gérer les humeurs humaines au détriment du travail de réflexion et de conception, il y a fort à parier que l'entrain des premiers instants fera long feu. Pis, l'on s'expose à une usure précoce.

Plutôt qu'une qualité, la rédaction en chef est une fonction. Généralement, elle intervient comme une promotion, rarement comme une rétrogradation. Seulement, les prérogatives afférentes à cette fonction ne sont pas toujours à la dimension de sa grande notoriété et de son caractère stratégique. C'est en effet le lieu de signaler que les perspectives de promotion ne sont pas très étendues dans ce métier à moins d'emprunter le raccourci de la politique.

Retenons en tout cas que c'est un poste de commandement qui n'est pas aisé, ni au plan professionnel, ni au plan humain. Il faut avoir de l'étoffe pour ne pas se laisser ébranler par la première secousse pouvant venir aussi bien de la confrérie que du pouvoir. En cela, c'est un excellent poste d'apprentissage de la responsabilité. Ce que confirme les propos de Mme Magatte Diop, chef de station de la Radio-télévision sénégalaise (RTS) à Kaolack15 : « le rédacteur en chef coordonne, harmonise et réglemente la rédaction, mais chacun est responsable là où il est ».

2.1.2 La Rédaction en chef: objet de convoitises

Comme tous les postes de responsabilité, celui de rédacteur en chef ne laisse pas indifférents les journalistes. Même s'il ne procure pas beaucoup d'autorité, c'est tout de même un poste enviable et envié. Pour les besoins d'une carrière bien remplie, il sied de passer par-là. Le jeu en vaut la chandelle si l'on ne veut pas terminer trente années

15 Ville du Sénégal, située à 192 kms de Dakar

d'une carrière de journaliste en pointillés. A moins d'emprunter d'autres trajectoires moins professionnelles mais dont toutes ne sont pas « orthodoxes ». Contre toute obsession du poste de rédacteur en chef, il est bon de rappeler que quelques-uns, sans manquer totalement de mérite, sont demeurés simples journalistes - dans les rangs - jusqu'au moment de faire valoir leurs droits à la retraite.

Dans la corporation, nombreux sont par ailleurs les journalistes qui ne gardent du poste de rédacteur en chef que le souvenir d'une responsabilité trop lourde de privations, ingrate et peu rentable, du moins pour ceux qui s'en sont acquittés avec droiture et probité. Rien qu'à voir le rédacteur en chef se démener dans ses multiples responsabilités, ces collègues le prennent plutôt en pitié et n'hésitent pas, sur un ton narquois, à lui faire savoir qu'eux autres, préfèrent de loin, disposer du répit dont le prive cette charge pour monnayer leurs talents ailleurs. Sont-ils sincères ? Peut-être que oui et peut-être que non! Et pourtant, pour un seul poste de rédacteur en chef vacant, le nombre des candidats à la succession est presque toujours multiplié par cinq ou dix.

Fait inévitable: la rédaction en chef est un poste éjectable au gré des mouvements de personnel, des redéploiements techniques et même des remaniements ministériels qui induisent des bouleversements en chaîne du sommet à la base. C'est à ce dernier niveau que peuvent jouer les colorations partisanes. Et cela n'a rien d'inédit dans un contexte où chacun attend que son soleil brille pour assouvir ses convoitises. Seulement, ce risque est désormais amoindri dans les organes de presse du service public du Bénin où, ni le ministre, ni le directeur Général de l'Office, ni aucun conseiller n'est assez souverain pour dicter et imposer leur choix au directeur de la radio16.

En cas de profonds désaccords entre ces différents acteurs, le scandale est vite arrivé. Mais mieux vaut ne pas être le journaliste par qui ce genre de scandale survient. Car, un rédacteur en chef mal nommé en portera durablement les stigmates.

Alors, il ne reste plus qu'à expérimenter la formule de la désignation du rédacteur en chef par mode électif. Fait plutôt rarissime ! Auquel cas, le corps électoral ne serait rien d'autre que le collectif des rédacteurs constituant l'équipe de la rédaction. Pour parfaire le système, on y ajouterait le principe de la rotation à échéance fixe (deux ans par exemple).

A première vue, l'idée peut paraître démocratique puisque les journalistes pourront déléguer en toute liberté leur pouvoir à un confrère de leur choix. Mais elle a la faiblesse de ne pas offrir des garanties suffisantes de compétence lorsqu'on sait que la loi du plus grand nombre qui caractérise la démocratie peut, dans ce cas précis, agir dans le sens du rejet d'un confrère réputé pour sa rigueur extrême et à qui l'on préférerait un autre plus conciliant.

Naturellement, les rédacteurs en chef les plus craints ne sont pas les plus populaires ; mais qu'à cela ne tienne : la popularité n'est pas la finalité de ce genre de responsabilité. Mieux, la rançon payée à la rigueur professionnelle, quelle qu'en soit le prix, a plutôt valeur de trophée. Néanmoins, rien de tout cela n'empêche de reconnaître qu'il y a un réel avantage pour un rédacteur en chef à être désigné par les siens ; le cas échéant, il tiendrait sa légitimité de ses pairs et ce n'est pas rien ! Certes, le moment venu, ces mêmes confrères ne manqueront pas d'arguments pour lui retirer leur confiance. Là au moins, ce serait de bonne guerre!

2.1.3 Le Rédacteur en chef: le confrère et l'homme du patronat

Fondamentalement, le rédacteur en chef est un confrère, un camarade surtout dans cette corporation où l'on s'accommode très mal du culte de la tutelle et où l'on est allergique au carcan hiérarchique ou administratif et aux procédures alambiquées. Personne ne s'imagine qu'un rédacteur en chef puisse être un homme distant ou outrecuidant vis-à-vis de ses confrères. Les plus expansifs ne se gênent pas pour faire quotidiennement les « quatre cents coups» avec leurs collègues. Mais encore faut-il savoir jusqu'où ne pas aller trop loin...Trop de familiarité peut nuire à l'autorité du chef. Cela est d'autant plus vrai que très peu de personnes sont disposées à faire la démarcation pourtant indispensable entre les relations de travail et les affinités privées.

Les seuls jours où on le méconnaît, c'est en période de crise. Cas par exemple d'un mouvement de grève touchant le personnel de sa Rédaction. Assis entre deux chaises, tiraillé entre deux pôles d'intérêts, il est avant tout le prolongement de l'autorité de la direction et doit s'employer à sauvegarder les intérêts du patronat. Ce faisant, c'est dans cette posture délicate qu'il devient le suspect numéro 1, « l'empêcheur de tourner en rond ». Selon qu'il est futé, zélé ou non, il s'en sort avec tact, sinon qu'il y laisse luimême des « plumes » et grille sa crédibilité.

Il tient son honneur de ses collègues, mais tient sa légitimité de ses supérieurs hiérarchiques qui l'ont nommé. C'est le cas de le dire: généralement, le rédacteur en chef est bel et bien nommé et à ce titre, l'on comprend humainement, qu'il se sente redevable de ceux qui l'on fait « roi ». Mû par le réflexe de la reconnaissance, il peut être amené malgré lui à piétiner de façon passagère quelques intérêts professionnels voire corporatistes. Preuve justement qu'il ne peut servir, avec une égale dévotion,

deux maîtres : il aimera l'un et haïra l'autre. Mais une lecture intelligente de tels enjeux et conflits d'intérêts démontrerait aisément que si le patronat fait office de maître par rapport au rédacteur en chef, ses collègues eux peuvent se réserver le droit d'être son censeur le moment venu. Et ce n'est pas moins redoutable !

Si devant un débrayage qui dure et qui perdure, il joue la carte de l'apaisement, ses pairs lui feront un procès de lâcheté et de trahison. Si à l'inverse, il joue les frondeurs, il se fera taper sur les doigts par la hiérarchie qui lui rappellera qu'il est en mission.

En la matière, il n'y a pas un code de conduite invariable à prescrire. C'est davantage une question de discernement entre la pertinence du mouvement de ses collègues et le souci de ne pas jeter en pâture le patronat qui voit en lui un des siens. Le lâchage en pareille circonstance est une attitude lourde de conséquences. Mais tout dépend en fait de l'attachement de chacun à ses convictions et jusqu'où l'on entend les défendre. Retenons qu'il n'y a vraiment aucun confort à s'asseoir entre deux chaises étant entendu que l'équilibrisme est un jeu plutôt périlleux et haïssable.

2.1.4 Rapports entre le red'chef17 et le directeur : l'arbre et l'écorce

Au-delà des rapports de travail, ils entretiennent bien souvent des rapports de complicité. Le rédacteur en chef est en principe l'oreille du directeur qu'il rencontre souvent en fin de journée. Il est le canal de transmission des directives ou messages émis au sommet, agissant justement comme une courroie de transmission entre le directeur et les journalistes qui harcèleront par exemple leur rédacteur en chef pour faire aboutir une revendication ou pour s'enquérir des échos d'un conseil de direction.

17 Dimunitif de « Rédacteur en chef », très usité dans les Rédactions

Au plan professionnel, ils abordent des questions de ligne éditoriale. Un débat assez complexe, du reste, notamment lorsque des considérations politiques s'en mêlent. Mais quelles concessions ne se ferait-on pas entre vieux complices ? La partie est plus facilement jouable lorsque l'un et l'autre sont des journalistes. Il y a davantage de chances qu'ils fondent leur raisonnement sur des repères communs pour rechercher des terrains d'entente.

Mais attention, quand bien même le rédacteur en chef et le directeur auraient réussi à pousser très loin leurs rapports de « copinage », cela ne devrait pas pour autant tuer chez le premier tout esprit critique et aliéner sa faculté d'objection. Aussi, devrait-il pouvoir, quand cela s'impose, refuser ou émettre tout au moins des réserves face à une matière rédactionnelle suspecte ou tendancieuse fournie par la Direction centrale ou les services éditoriaux. Mais, à la vérité, cela est bien plus difficile à dire qu'à faire...

Si au pire, le directeur venait à perdre la confiance de son collaborateur immédiat qu'est le rédacteur en chef, ce sera forcément le début d'une crise. Dans le cas inverse, ce sont les jours du rédacteur en chef, qui sont peut-être comptés à ce poste. Mais cela est vite dit. En réalité, tout dépend de l'ouverture d'esprit et de la clairvoyance du patron qui peut aussi négocier jusqu'au dernier argument ou faire l'option de ménager le chou et la chèvre. Mais l'idéal voudrait que ces deux acteurs travaillent en bonne intelligence à travers des rapports tout à fait respectables. C'est l'image de l'arbre et l'écorce qui leur conviendrait le mieux pour une gestion harmonieuse des rédactions et pour le crédit de leur mandat respectif.

2.1.5 Rapports journalistes / techniciens : la dent et la langue

Ces rapports ne sont pas toujours des meilleurs ! Il y a comme une sourde rivalité entre ces deux corps qui se haïssent tendrement. D'un côté comme de l'autre, chaque camp semble développer un complexe de supériorité ou d'infériorité. A quelles fins? A des fins de leadership? Peut-être ! Même si ces deux corps suivent des plans de carrière assez démarqués ou spécifiques.

Apparemment, à l'origine de ces clivages, il y a beaucoup de non-dit et c'est à force d'insister que l'on vous révélera l'existence de conflits d'intérêts souterrains mais combien sévères entre journalistes et techniciens. Les seconds accusant souvent les premiers de se prendre pour le nombril de la presse, et surtout d'être déloyaux et de manquer d'équité dans le partage de certains « butins de guerre ».

Un fait demeure patent: les relations entre journalistes et techniciens souffrent trop souvent d'un manque d'esprit de solidarité et de complémentarité. Difficile de ne pas être choqué par certains refus catégoriques de coopérer et certaines obstructions flagrantes au travail du journaliste qui parfois essuie des rebuffades humiliantes de la part des services techniques. Si l'on veut jouer les philosophes, l'on se bornerait à imputer ce phénomène à la complexité de la nature humaine.

Un point de vue largement partagé en revanche, c'est que les meilleures missions à l'intérieur comme à l'extérieur sont celles où le journaliste a eu le bonheur d'avoir à ses côtés, un technicien coopératif, studieux et sérieux et non pas un technicien capable d'abandonner le journaliste à son sort à la première épreuve. Cette même préoccupation vaut pour le journaliste contre qui les techniciens ont aussi souvent la dent dure.

Ces différents conflits mettent ainsi à nu les difficultés de gestion collégiale des éditions du journal parlé entre journalistes et techniciens. C'est le cas notamment lorsque les uns et les autres tiennent à trouver un bouc émissaire dans les situations du genre: conducteur décousu ou parvenu en retard à la régie, mauvais réglage du son, mauvaise coordination des musiques de transition, excès de « blancs » à l'antenne, intrusion d'éléments parasites en plein journal, inversion de l'ordre de passage des éléments sonores, etc. En pareilles circonstances, l'excitation et la colère sont presque toujours mauvaises conseillères. Mieux vaut leur préférer l'humilité, la patience, la sérénité et le sang-froid. Ces qualités ont parfois un pouvoir désarmant insoupçonné.

Il reste fondamentalement que les clivages entre ces deux acteurs peuvent être exacerbés dans les circonstances où l'un et l'autre ne relèvent pas d'une même autorité hiérarchique comme ce fut le cas à Radio-Bénin jusqu'en 1999 : le directeur de la radio pour le journaliste et éventuellement, le directeur technique pour le technicien.

Une situation qui crée non seulement des cloisonnements administratifs, mais ne favorise pas non plus une bonne coordination des responsabilités ; chacun agissant un peu comme s'il n'avait qu'à cultiver son propre jardin. Vivement qu'advienne ce jour où journalistes et techniciens comprendront qu'ils représentent en fait l'avers et l'envers d'une même étoffe et qu'ils sont condamnés donc à cohabiter comme la dent et la langue dans la bouche. Ceci, au nom de l'esprit d'équipe !

La télévision est justement de loin, la plus grande illustration de cet esprit d'équipe. Mais, à l'épreuve du terrain, l'on se rend bien compte que cet esprit d'équipe n'est qu'une réalité de façade puisque l'harmonie n'est pas toujours au rendez-vous dans la coordination des tâches entres les acteurs en présence. Ainsi, pour un cordon égaré ou pour une cassette introuvable, l'un des intervenants de la chaîne impose son régime à

toute l'équipe. Si à cela, l'on ajoute l'indisponibilité des moyens roulants et les caprices de quelques chauffeurs, la cause est entendue...

Si le travail en équipe est une stratégie à encourager, il a cependant, comme toutes les médailles, son revers, notamment lorsque la discipline de groupe, la conscience professionnelle et le sens des responsabilités ne sont pas les qualités premières des co-équipiers. Là-dessus, les confrères de la Presse Ecrite sont, semble-t-il, les mieux lotis avec leurs équipes légères et leur arsenal de travail plus léger et plus discret.

2.1.6 Le red'chef : une poubelle ?

Tout ce qui va mal dans une Rédaction lui est imputé, sinon qu'il en est tenu responsable. On pourrait dire que cela est normal puisqu'il répond du fonctionnement de la rédaction. Mais sa responsabilité va bien au-delà et il doit pour cela avoir le dos large. Il subit tous les procès imaginables pour des motifs tout aussi imprévisibles pouvant aller de la mauvaise couverture en direct des manifestations commémoratives de la fête de l'indépendance aux dérapages d'un stagiaire programmé trop tôt à l'antenne pour la présentation du journal, en passant par un retard dans le démarrage des éditions du JP ou encore une pénurie de fongibles à la Rédaction.

C'est en effet là le lot quotidien du rédacteur en chef et son adjoint contraints à gérer, à temps et à contre-temps, le dénuement matériel qui se caractérise par des ruptures chroniques de stocks de fongibles (bandes magnétiques, bobinots, amorces, skothes) qui affectent la qualité des prestations et sapent le moral des éléments les plus consciencieux de la troupe. Quant aux autres, partisans du moindre effort, l'échappatoire est tout trouvée : «point de mission et de résultats sans moyens ». Et c'est derrière cet argument que se réfugient la plupart des rédacteurs chaque fois que

la Rédaction, pour des raisons qui tiennent tantôt aux finances, tantôt à la technique, n'est plus desservie en dépêches. Plus d'une fois, le Journal Parlé même de la Radiodiffusion Nationale s'est retrouvé dans ce type de conjoncture. Le cas échéant, les plus volontaristes alimentent la page <<inter» de leurs éditions en << scriptant » des nouvelles glanées sur des chaînes de radios étrangères. D'autres par contre, sans état d'âme face à ce genre de situation, n'éprouvent aucune gêne à produire un journal réduit à sa plus simple expression et amputé de l'actualité internationale. En réponse à d'éventuels reproches, ils réussissent sans grand mal à se dédouaner grâce à la formule toute faite : << à l'impossible, nul n'est tenu ».

Certes, tous ces griefs ne manquent pas de fondement sauf qu'il se ferait lui-même encore plus de tort s'il est frileux pour un rien ou s'il se comporte comme le chauffeur trop préoccupé à regarder dans le rétroviseur de son véhicule.

Rédacteur en chef et rédacteur en chef adjoint, eux aussi, peuvent et doivent être aussi complices que des larrons en foire et aussi soudés que l'arbre et l'écorce. Auquel cas, la cohésion au sommet de la rédaction fonctionne comme un rempart contre toute velléité subversive ou destructrice. N'oublions pas que la moindre fissure dans le mur de la Rédaction en chef sert plutôt les intérêts des détracteurs à l'affût d'une éventuelle crise pour pêcher en eau trouble. Ainsi, pour rien au monde, la Rédaction en chef n'a intérêt à étaler au grand jour ses dissensions internes.

Pourtant, cette poubelle remplit une fonction de régulation : les journalistes administrés en ont besoin pour se << soulager », se décharger ou encore pour se défouler. D'aucuns iront jusqu'à mettre à prix le << strapontin » du rédacteur en chef pour de banales questions tel le sous-équipement informatique de la Rédaction, une suspicion de

corruption fondée ou non ou tout simplement pour des émoluments que tarde à verser l'administration.

2.2 Le secrétaire de rédaction

Pratiquement, tous les journaux du monde utilisent les services d'un secrétaire de rédaction. Dans la presse audiovisuelle, le terme consacré est celui de chef d'édition qui joue presque le même rôle que le secrétaire de rédaction. Il assure la collecte et le planning, l'examen critique et le traitement des informations, le classement et la hiérarchisation desdites informations. La principale différence, selon Louis Guéry18, réside dans le fait qu' « au lieu de faire tenir l'ensemble des informations dans un espace comme son confrère de la presse écrite, il aura à les contenir et à les organiser dans un temps donné. Alors que le premier mesure en centimètres/colonnes, le second va compter en minutes et en secondes... Le chef d'édition doit avoir, lui aussi, comme son confrère secrétaire de rédaction de la presse écrite, une très bonne connaissance des techniques et moyens matériels propres aux médias audiovisuels ».

Redouté des uns, flatté par les autres, carrément boudé ailleurs, le secrétaire de rédaction est inconnu du public et pourtant son rôle est capital dans la confection du journal. Il s'agit donc d'une activité hautement créatrice qui exige à la fois des qualités professionnelles et une certaine fibre artistique. On le saura à travers l'originalité de ses maquettes et le "look" du journal dans son ensemble. Car, de bons journaux, ce ne sont pas seulement de bons articles. Certes, ce sont d'abord des articles à la portée du lecteur, mais ce sont aussi - et c'est important - des supports bien présentés et

agréablement illustrés. Un minimum de sens de l'esthétique est donc nécessaire au journaliste pour être un bon secrétaire de rédaction.

Si l'on compare la publication a un orchestre, le rôle du secrétaire de rédaction s'apparente a celui du chef d'orchestre ou a celui d'un metteur en scène si on la compare a une pièce de théâtre ou a un film. Professionnellement, il est donc supposé être un journaliste complet dont le profil n'a rien a voir avec celui d'un(e) secrétaire de direction. Pas d'amalgame possible. Sans les opposer, il n'est pas superflu d'insister ici sur l'énorme fossé qui sépare ces deux fonctions que certains esprits, de bonne ou mauvaise foi, ont tenté de loger a la même enseigne. Erreur, sous-information ou méprise ? Quoi qu'il puisse en être, il apparaît en tout cas plus simple de donner a César ce qui est a César et a Dieu...

2.2.1 Le métronome

Si l'on est d'accord sur ce qu'il n'est pas, il convient a présent d'aller plus franchement a la découverte de cet acteur de l'ombre. En somme, le secrétaire de rédaction a pour fonction d'animer et de coordonner les services de rédaction suivant les directives du rédacteur en chef. Il assure la production et la réalisation du journal. Il est responsable du montage (la mise en page) et du respect du deadline (délai butoir de remise des copies).

Mieux, le secrétaire de rédaction est présent sur l'ensemble du processus conduisant de la conférence de rédaction a la parution du journal ; ce qui fait de lui un interlocuteur privilégié de l'imprimerie qu'il arpente a longueur de journée et où il lui arrive de s'attarder parfois a des heures très avancées de la nuit. Aussi longtemps que le journal n'a pas paru, il est condamné a rester au front ou a défaut sur le qui-vive : un coup de fil

peut à tout moment l'arracher des bras de Morphée pour une multitude de raisons : un communiqué officiel de dernière minute, une information sensationnelle à vérifier, un « blanc » à combler, une illustration indécente à remplacer, une panne technique devant entraîner des retards de diffusion ou tout autre imprévu, etc.

Toutes ces responsabilités font de lui un acteur central de la Rédaction et lui confèrent en principe un pouvoir de choix et de décision. Et c'est justement fort de ce pouvoir qu'il peut balancer à la poubelle un article décousu qui ne répondrait pas à un minimum de normes professionnelles. En réalité, rares sont les secrétaires de rédaction qui adoptent ce genre de méthodes cavalières si ce n'est, à la limite, vis-à-vis des stagiaires. Autrement, le secrétaire de rédaction est généralement un confrère écouté de ses pairs et qui en retour a lui-même de réelles capacités d'écoute.

Ainsi, devant le "chef-d'oeuvre le plus minable", face encore à un article ou à un extrait sonore exagérément long (audiovisuel), il alliera délicatesse et fermeté pour convaincre son collègue à remettre la main sur l'ouvrage. La pilule passera dix fois mieux que s'il se mettait sur de grands chevaux tel un redresseur de torts. Les secrétaires de rédaction qui ne sont généralement pas les derniers venus dans les Rédactions, sont bien placés pour savoir qu'ils ont à charge le commandement d'une troupe foncièrement réfractaire au dirigisme et au discours impératif. Ils sont alors fort bien avisés de ce qu'il faut savoir alterner le chaud et le froid. Pour la paix confraternelle, on leur suggère généralement de préférer le scalpel aux ciseaux. Ce qui n'empêche pas qu'ils soient souvent à couteaux tirés avec leurs collègues lors du calibrage d'un dossier ou du réaménagement d'un article. C'est ainsi qu'il est arrivé en 1996 qu'un journaliste de Radio-Bénin désappointé et frustré par la sévérité avec laquelle son reportage avait été « charcuté », n'a pas trouvé mieux à faire que d'exiger l'effacement pur et simple de

sa signature par laquelle on pouvait identifier l'auteur de l'oeuvre enregistrée. C'était pour ce journaliste, une manière de signifier qu'il ne se reconnaissait plus dans ce qui restait de son reportage.

L'admiration que l'on peut avoir pour ce journaliste dit complet, manager incontournable des Rédactions, n'est pas sans rapport avec le caractère ingrat de ce poste. Que d'abnégation ! Alors qu'il se décarcasse pour donner au journal écrit ou parlé une allure professionnelle, alors qu'il se déploie corps et âme et se dépense comme un beau diable pour minorer voire réparer les lacunes de ses collègues, il n'en récolte qu'adversités, ennuis et inimitiés. Or, l'expérience a prouvé que les partisans du moindre effort s'acquitteraient de leurs devoirs à la légère dans l'intention que le secrétaire de rédaction est là pour endosser et pour assumer. Ainsi, sans le vouloir, une trop grande serviabilité du secrétaire de rédaction pourrait encourager des fuites de responsabilité chez les partisans du moindre effort.

Par ailleurs, il lui faut souvent se battre pour changer son statut de sédentaire qui le prive des joies mais surtout des expériences des missions « fructueuses » sur le terrain. Mais, il est clair que ce sont les contraintes de sa responsabilité qui hélas peuvent faire oublier à certains moments qu'il est aussi et avant tout journaliste. Et même un journaliste complet ! C'est d'ailleurs de sa compétence qu'il tire son autorité.

La fonction a sûrement son côté exaltant. Mais attention : il faut s'attendre à être mal remercié plutôt que d'espérer se voir tresser une couronne de félicitations ou de gratitude.

2.2.2 Les « dinosaures » : l'usure

Si ce n'est une simple question de terminologie, la nuance n'est pas fondamentale entre ceux que l'on a coutume de désigner sous les diverses appellations de «doyens », «anciens », «vétérans » ou «dinosaures ». Ce sont des mines d'expériences, des recours sûrs pour reconstituer certains pans de l'histoire des services de l'information. On gagne beaucoup à les écouter et les jeunes ont bien tort de penser qu'ils n'ont plus rien à apprendre d'eux. Mais au-delà de toute complaisance, c'est selon qu'ils inspirent respect ou mépris qu'on les traitera, en bien ou en mal, en modèles ou en contre-modèles.

Une grosse tare les guette tout de même : la tendance au dilettantisme, conséquence d'une certaine usure pour les uns et d'un manque de perspectives pour d'autres. Vraisemblablement, l'administration semble avoir trop longtemps abusé de leur zèle et de leur serviabilité des premières années de travail qu'ils donnent souvent l'impression d'avoir tout vu et de ne plus rien avoir à prouver. Blasés et démotivés, ils sont aussi difficiles à bousculer qu'un cocotier. Il faut autant de délicatesse que de bravoure pour les manager. Certains cachent à peine leur aigreur devant l'autorité incarnée par la jeune génération.

Et pourtant, l'exception faisant la règle, quelques-uns sont restés fidèles au poste jusqu'à leur retraite. Leur engagement et leur sens du devoir sont demeurés intacts jusqu'en fin de carrière. Evidemment, ils constituent une espèce rarissime et même en voie de disparition.

Toujours est-il que, moins il y en a dans une Rédaction, mieux cela vaut étant donné

certaines urgences. Mais, sans être forcément des empêcheurs de tourner en rond, c'est le rédacteur en chef lui-même qui se gêne et qui éprouve des scrupules à les soumettre au régime général.

Curieusement, cette politique du « deux poids, deux mesures » est souvent mal comprise et mal vue par les plus jeunes qui en font tout un grief au rédacteur en chef, soi-disant que le bon exemple doit venir des aînés. Mais à quelque chose près, ce genre de dualité fait plutôt penser à l'histoire de la truie et du porcin19 ou plus pudiquement encore, celle de la cendre et du charbon.

Qu'on le veuille ou non, le dynamisme des Rédactions est assuré par les jeunes. Ce sont eux, par leur fraîcheur et leur entrain débordant mais aussi leur anticonformisme qui donnent de la vitalité aux Rédactions. Ils ont tout à prouver et ne reculent devant rien. Cette réserve d'énergies aurait juste besoin de la bénédiction et de l'accompagnement des anciens pour produire les meilleurs résultats.

2.3 Les « fossoyeurs » de la Rédaction 2.3.1 Les absentéistes

L'éventail des motifs d'absence est très large. Les unes sont justifiées, d'autres non ou carrément fantaisistes. Il arrive que ce soient les mêmes qui s'abonnent aux absences. Ce qui devient intrigant ! Leur comportement produit l'effet désagréable de perturber la programmation des reportages et des présentations des journaux parlés. Ils laissent le plus gros du boulot à leurs collègues qui s'épuisent et s'échinent à faire le travail à leur place, déplore Maurice Mahounon de Radio-Bénin. Et puisqu'il faut leur trouver des remplaçants coûte que coûte, il arrive qu'en désespoir de cause, le rédacteur en chef

ou/et son adjoint aillent eux-mêmes au charbon au milieu de mille et une sollicitations. Incontestablement, ils donnent du fil à retordre à la rédaction en chef et n'oeuvrent donc pas pour la paix des Rédactions.

2.3.2 Les abonnés aux retards

Dans une Rédaction, à l'instar de toute communauté, il n'est pas possible de réunir chez un même confrère toutes les qualités du bon journaliste. Il faut plusieurs mondes pour faire un monde. Ce ne sont pas forcément les plus compétents qui sont des exemples de ponctualité. De même, ce ne sont pas les plus ponctuels qui offrent les meilleures prestations. Il faut faire avec ce que l'on a, sauf à stigmatiser la mauvaise foi et cette tendance au sophisme qui consistent à justifier le retard par l'inadaptation des conditions de travail. Quoiqu'il puisse en être, il n'y a aucune gloire à porter l'étiquette d'un éternel retardataire. Autant l'on peut être tolérant dans certains cas passagers, autant le retard poussé à l'extrême, même chez le journaliste le plus compétent est finalement perçu comme une infirmité professionnelle. D'ailleurs, aux yeux de certains confrères, les abonnés au retard sont logés à la même enseigne que les absentéistes : ils constituent tous des sources de stress pour les secrétaires de rédaction et les rédacteurs en chef.

2.3.3 Les partisans du moindre effort

Ils sont légion et regimbent devant la charge de travail. Leur attitude a été stigmatisée
d'une façon virulente par le professeur Roger Gbégnonvi à l'occasion des états
généraux de la presse béninoise tenus à Cotonou du 18 au 23 novembre 2002 : « la

paresse qui mène à l'appât du gain, du gain facile et illicite, est à la base de toute dépravation, y compris dans la presse »20.

Allergiques à la notion d'heure supplémentaire (sans rémunération), les partisans du moindre effort disparaissent sitôt fini leur travail. Il est ainsi difficile de négocier avec eux un compromis sur leur calendrier de travail. C'est oublier que la vie d'une rédaction est aussi faite d'impondérables et que le rédacteur en chef et son adjoint ne peuvent tout faire. Leur attitude plaide en faveur de la nécessité de congratuler les plus dévoués et les plus serviables à qui l'on oublie souvent de témoigner sa gratitude. D'où le bienfondé de cette notion de <<sanction positive» qui devrait permettre de rétablir une certaine équité. Et quant aux partisans du moindre effort, il ne serait peut-être pas si injuste de les rémunérer à la mesure de leurs maigres rendements...

2.3.4 Les taupes et les courtisans : oreilles des officines politiques

L'expression <<taupe » est entrée dans le vocabulaire de la Rédaction de Radio-Bénin à un moment où les journalistes ont eu le sentiment que les délibérations de la conférence de rédaction transpiraient au travers des quatre murs du service de l'Information. Certaines immixtions de l'autorité paraissaient trop directes pour ne pas éveiller des soupçons sur ce qu'elles sont en réalité : des répliques à des prises de positions internes de la Rédaction.

Les taupes, puisqu'il faut les appeler ainsi, ont cette redoutable manie de vendre le contenu du journal avant sa diffusion. En le faisant, ils travaillent en réalité pour leur propre compte : celui d'entrer et de demeurer dans les bonnes grâces du patron. La délation demeure leur sport favori et il faut une bonne hauteur de vue pour ne pas se laisser prendre à un leur piège. Plus grave, les taupes, de part leur accointances avec

les officines politiques, permettent à ces dernières de régenter à distance la vie rédactionnelle et de mettre certains journalistes dans leur ligne de mire.

Quant aux courtisans, ils ne prospèrent que par la volonté de ceux qui prêtent flanc à leurs manèges. Dans les rédactions, on les tient généralement à rebrousse poil.

2.3.5 Les alcooliques

Il semble que le phénomène soit assez marginal du point de vue du nombre mais redoutable dans ses effets sur la vie des Rédactions. Les chers confrères atteints par ce vice ne sont pas forcément les plus nuls sauf que l'étiquette d'alcoolique est très nuisible à leur image de professionnel de l'information. De quoi battre en brèche toute prescription de l'alcool comme palliatif à l'émotion et au trac.

S'il fallait les baptiser, on les ferait appeler, par euphémisme, les « incontrôlables » tellement il est risqué de miser sur eux pour la couverture d'un reportage. A son corps défendant, le rédacteur en chef a plutôt intérêt à les ignorer, surtout lorsqu'il s'agit d'un reportage politiquement sensible pour lequel il aurait à rendre des comptes.

Curieusement, c'est dans le métier-même que certains ont appris à « pinter ». En effet, les occasions de beuveries ne manquent pas dans la pratique professionnelle. Ainsi, les spécialistes de dîners de presse et autres publi-reportages ne chôment pas longtemps. Entre deux clôtures de séminaires, deux célébrations d'anniversaires ou encore deux opérations-marketing, un cocktail est généralement au rendez-vous. Cela fait évidemment partie du métier. Seulement, rien n'oblige le journaliste à faire comme tout le monde. Plus que d'autres, il a un devoir de retenue afin de ne pas se laisser aller à un verre de trop. Il se réservera encore plus si, dans les heures qui suivent un cocktail,

il doit assurer la présentation du journal parlé. Un présentateur saoul court, dans deux cas sur trois, le risque de « dérailler » et de toutes les façons, l'auditeur saura et jugera.

Certes, les « alcoolo » ne sont pas nombreux, mais dans leur individualité, ils causent un tort souvent irréparable à leur Rédaction et à leurs confrères, ne serait-ce que par les excès de langage et les écarts de comportement, les accès de violence qui les caractérisent. Sous l'effet de l'alcool, ils n'ont pas froid aux yeux et sont capables de confondre un supérieur hiérarchique à un essuie-pieds et de mêler vie privée et vie professionnelle. L'un d'eux a eu un jour assez de toupet en allant, au moyen d'un insoutenable rôt, vider les effluves de ses beuveries au visage de son rédacteur en chef. Ecoeurant ! Mais, à l'égard de cette espèce de confrères, plutôt que de les prendre en aversion, ils doivent plus exactement inspirer pitié et commisération. On se gardera donc de désespérer trop vite des confrères alcooliques et mieux vaut croire et espérer en leur perfectibilité, d'autant que, heureusement, ils sont un certain nombre à se distinguer par une double qualité : le remords facile et le courage du pardon.

Manifestement, cette catégorie d'acteurs font figure de « parias » et leurs propres collègues sont ces mieux placés pour mesurer à quel point ils sont la cause de nombreux ratages dans la couverture des événements ». Le réquisitoire est sans complaisance chez Serge Mathias Tomondji21 qui accuse: «les absentéistes et les retardataires font perdre un temps fou à la production journalistique. Fossoyeurs du dead-line22, ils tuent plus sûrement qu'une hache la dynamique de groupe et la célérité obligatoire qui rythme le quotidien des Rédactions de presse ».

22 journaliste au quotidien béninois « Adjinakou » paraissant à Porto-Novo

22 dernier délai de remise des articles ou des productions audiovisuelles. Il peut vouloir dire aussi dernier de bouclage.

2.4 Les acteurs externes

Ils sont légion et se bousculent dans l'espace public sous les étiquettes très à la mode de «chefs de partis politiques » et d' « acteurs de la société civile ». A la faveur de la liberté retrouvée en 1990, ils ont appris à connaître et à user des modes de sollicitation et de revendication de leur droit d'accès aux médias.

Sans être membres de la Rédaction, ils exercent de l'extérieur une forte influence sur le fonctionnement de la Rédaction en ce qui concerne notamment certains choix rédactionnels. Ils déterminent, de par leurs activités et leurs sollicitations quotidiennes, la programmation, l'objet et le contenu des débats internes à la Rédaction. Ils interfèrent bien souvent dans la vie de la Rédaction par le biais de leurs accointances avec le pouvoir ou autres réseaux relationnels pour faire passer des messages, des opinions, pour réclamer des droits de réponse, ou encore, pour revendiquer plus de visibilité ou d'écho pour leurs formations politiques ou structures associatives.

Tel un mal nécessaire, certains acteurs externes aux profils de techniciens se sont rendus indispensables de part leur disponibilité de tous les instants. En s'acquittant à merveille de leur fonction de « personnes-ressources », ils parviennent à gagner la confiance de la Rédaction qui, à l'épreuve, se passe difficilement de leurs services de techniciens tout en sachant qu'au-delà des apparences, tous ne sont pas si neutres, politiquement. La seule consigne qui vaille, le cas échéant, est finalement celle d'une impartialité sans complaisance afin que ces derniers n'aient pas à revendiquer un jour un statut de « privilégiés » de la Rédaction.

Quant au journaliste, qu'il ne s'y trompe pas; à vouloir pousser trop loin ses

financières, il en fera fatalement les frais au risque même de devenir l'otage voire l'objet d'un système...

SECTION II

DYSFONCTIONNEMENTS, SOURCES DE CONFLITS

ET

MANAGEMENT ORGANISATIONNEL

L'exercice de recensement des sujets qui fâchent, des facteurs de mésentente et des sources potentielles de conflits au sein des Rédactions s'est révélé très éloquent et édifiant, apportant ainsi la preuve qu'au-delà des apparences, le ciel des relations professionnelles n'est jamais totalement bleu. La cohésion affichée semble être bien souvent le produit d'un effort de tolérance et surtout d'un apprentissage de la démocratie qui pend ici tout son sens de gestion des tensions. Cela dit, examinons maintenant de plus près les facteurs qui perturbent la paix d'une Rédaction comme celle de Radio-Bénin où, il sied de le rappeler, l'on cultive allègrement la liberté de ton et une inclination à la critique à l'image même de la température de l'espace public national.

Après recoupement d'une dizaine de réactions et commentaires recueillis auprès des journalistes de Radio-Bénin et de quelques uns de la Presse Ecrite, ces facteurs de mésentente et sources potentielles de conflits se déclinent globalement comme suit:

- programmation du service de travail

- la programmation des reportages au détriment des critères de compétence et sur la base des accointances politiques ou du copinage

- complaisance dans la nomination du rédacteur en chef ou de son adjoint (exemple : nomination d'un cadre jeune et non expérimenté en lieu et place des aînés pétris d'expériences et de savoir-faire

- les promotions fantaisistes : nomination de journalistes à des postes de responsabilité en raison de leur coloration politique

- les censures non justifiées ou abusives (embargo sur certains sujets sensibles) de la part du Rédacteur en chef

- les prises de décisions autoritaires par la Rédaction en chef

- Les sanctions injustifiées

- L'absence d'équité dans la gestion des intérêts de la Rédaction

- La politique de deux poids deux mesures dans la gestion de la ressource humaine et la gestion des avantages

- Désignation des mêmes journalistes pour assurer la couverture des reportages les plus prestigieux aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur

- La gestion autocratique des conflits nés au sein de la rédaction

- le refus d'acceptation des critiques

- les intérêts pécuniaires et la question des perdiems

- la question des attachés de presse (cumul avec les fonctions de journaliste) - les « guerres » d'écoles de formation

Dans cet éventail de facteurs porteurs de mésentente et de conflits, on retrouve aussi des problèmes d'ordre organisationnel que déontologique sans compter que certaines situations décrites s'apparentent tout simplement à un déficit de management, de probité et d'équité.

CHAPITRE I

I. LES SOURCES DE CONFLITS D'ORDRE ORGANISATIONNEL

1.1 La censure et le stress des ciseaux

L'un des usages malencontreux du son est de s'en servir comme un moyen de remplissage pour allonger un reportage pauvre en texte. Cette solution de facilité propre aux reporters peu inspirés ou un peu <<pompés » explique pour une large part les problèmes de longueur et de calibrage que gèrent au quotidien les secrétaires de rédaction dont certains finissent par développer une sorte de << stress des ciseaux ».

Certes, il est de leur devoir, chaque fois que cela s'impose, de ramener des éléments sonores trop longs à des proportions raisonnables en référence à des critères professionnels de clarté, de concision et de pertinence. Mais c'est aussi une responsabilité qui exige un certain sens de la mesure et de la perspicacité au risque de verser dans une gestion trop mécanique du calibrage qui ne saurait se résumer à un simple exercice de << compression » de bandes.

En principe, le montage va bien au-delà pour prendre en compte des éléments de fond qui recommandent une écoute intelligente des bandes proposées à la diffusion pour en retenir l'essentiel. Car, une lecture linéaire et trop sommaire d'une bande peut entraîner une mauvaise évaluation de l'intérêt de certains propos ou une mauvaise identification des passages inutiles à expurger. Le contraire est aussi possible.

Autrement, il va de soi qu'au terme de ce nettoyage, les longueurs, les redites, les
circonlocutions soient passées à la trappe, mais - et c'est là l'enjeu - sans que le produit
issu de ce montage ne perde sa cohérence. Il s'agit de le contracter sans le dénaturer,

de le rendre plus intelligible sans le biaiser. Une performance que ne pourra atteindre un secrétaire de rédaction obnubilé par le seul souci de faire respecter la durée affectée à chaque reportage en conférence de rédaction.

Il faut autant que faire se peut respecter le style et le "feeling" du reporter. Le secrétaire de rédaction et le rédacteur en chef doivent se comporter comme des arrangeurs et non comme des destructeurs. Pour minorer les risques de tensions inhérents à leurs fonctions de relecture, de correction et de calibrage, ils éviteront d'être trop royalistes et rigoristes sur certaines questions qui relèvent davantage de la sensibilité personnelle que des principes professionnels. Du moins, il y a un équilibre à rechercher entre les deux.

Seulement, il est bon de souligner que le secrétaire de rédaction, dans ses oeuvres, n'est souvent pas aidé par le temps. Ainsi, il faut admettre que la pression du temps et autres déterminants subjectifs peuvent avoir raison de ses facultés de discernement. Lequel discernement voudrait que la «loi des ciseaux » ne soit pas appliquée indifféremment et à l'aveuglette au motif d'avoir à résoudre le genre d'équation qui consiste, par exemple, à ramener à 30 secondes un élément de deux minutes. La manoeuvre est toujours possible mais ce qui est moins garanti, c'est la qualité du résultat. Autant, il peut être merveilleux en termes de concision et de pertinence, autant il peut être désagréable comme cela arrive par moments avec certains types d'extraits sonores sans tête ni queue. Le cas échéant, on a tôt fait de frustrer l'auteur du reportage ainsi massacré qui n'y va pas par quatre chemins pour affronter la rédaction en chef. Peut-être devra-t-on se faire à l'idée que le reportage radiophonique est un genre frustrant. La consolation aurait pu venir de la Production qui est de nature à favoriser une plus large possibilité d'expression du journaliste ; mais hélas, le

dénuement matériel et la détresse psychologique et qui y règnent, sont plus que dissuasifs pour les potentiels candidats.

1.2 Le management du personnel

Homme de tous sans être l'homme de personne, le rédacteur en chef doit se comporter comme une mère de jumeaux, le rédacteur en chef doit se distinguer dans l'art de se coucher sur le dos. Les bons, les moins bons, les mauvais attendent de lui un traitement égal qu'il ne peut d'ailleurs pas leur concéder au nom de l'équité.

Les éléments les plus dévoués se plaignent d'être logés à la même enseigne que les paresseux, les tireurs au flanc et les improductifs. Seulement là, le problème devient très délicat lorsque, les premiers trop conscients de leur force de nuisance en arrivent à menacer de paralysie le fonctionnement de la rédaction. Leur menace est loin d'être banale ou virtuelle, dans la mesure où, au regard de leur disponibilité, de leur efficacité, de leur générosité dans l'effort et de leur conscience professionnelle, l'on est tenu de reconnaître qu'ils constituent ce qu'il convient d'appeler les « indispensables » de la rédaction.

1.3 L'affectation des reportages

Voilà un exercice bien difficile qui démontre toute la complexité de la gestion des hommes et de leurs intérêts dans une rédaction de presse. Trop de calculs sont échafaudés dans le dos du « patron ». Mais, qu'on ne s'y trompe pas ; ces calculs sont sous-tendus par des motivations que l'on qualifierait pudiquement de pécuniaires mais qui n'en sont pas moins alimentaires. Surprise : des groupes de pression se constituent

autour de cet enjeu pour revendiquer un accès égalitaire de tous aux reportages et autres missions.

L'enjeu, puisqu'il faut appeler un chat par son nom, est moins l'amour du travail que le souci de tirer profit des nombreux «communiqués finaux » qui sanctionnent les séminaires et congrès d'ONG ou meetings de partis politiques. Nul ne s'en prive et ne souhaite en être privé. A vouloir régir ce genre de pratiques, on y laisse forcément quelques plumes. Ces per-diems sont de réels compléments de revenus pour le journaliste qui mise énormément sur cette rentrée financière pour gérer le quotidien et pouvoir terminer le mois avec moins de douleur. Un reporter consciencieux ayant le sens de l'épargne serait capable de tirer de l'accumulation mensuelle de ces per-diems un revenu égal à 75 % de son salaire. Ce n'est pas rien !

D'ailleurs, ceci explique en partie les ennuis du rédacteur en chef dont l'impartialité est mise en cause; lui qui est pourtant animé par un souci d'efficacité dans la programmation et l'affectation des reportages. S'il cède aux pressions ou si simplement, il se montre très accommodant sur cette question, il finira par être l'otage du clan des courtisans avec le risque dans ce cas d'affronter en permanence le groupe des mécontents qui généralement ne s'en font pas conter. Le moins qu'on puisse dire est que l'arbitrage n'est pas aisé.

1.4 Les candidats aux commentaires

Les journalistes ne se bousculent pas pour ce genre journalistique. Parmi eux, se trouvent quelques esprits critiques qui tournent en dérision cet exercice au prétexte que la somme des commentaires faits en plusieurs années sont restés sans impact sur le comportement des dirigeants, des pouvoirs publics. Un peu comme de l'eau versée sur

le dos du canard. Tout bien pensé, ils ont raison. Mais l'on ne peut pour autant étouffer la passion que quelques rares collègues ont pour ce genre. Et, n'oublions pas que c'est aussi une affaire de mérite, car, en plus d'être un réservoir d'idées, le commentateur est censé avoir une bonne maîtrise de la langue française et de ses divers artifices et sinuosités.

Heureusement, les détracteurs du commentaire n'en sont pas moins friands. En tout cas, il est établi que la côte de la Rédaction et même de la radio est souvent proportionnelle à la fréquence et à la qualité des commentaires proposés aux auditeurs qui affectionnent bien ce genre. Mais la rédaction la plus généreuse du monde ne saurait donner plus qu'elle n'en a. A défaut de servir à son auditoire un commentaire par jour, pourquoi ne ferait-on pas en revanche l'option des commentaires épisodiques dictés par certains événements hors du commun. Hélas, à l'épreuve, le décalage est souvent déroutant entre la fréquence de tels événements et la disponibilité des commentateurs.

1.5 La revue de presse : parent pauvre

Exercice difficile pour un genre journalistique pourtant très valorisant. A tort ou à raison, une frange non négligeable des rédacteurs, les débutants notamment, en ont une peur bleue. Il est trop exigeant en termes de temps. Beaucoup y voient une corvée qui vous prive d'une partie de votre week-end s'il s'agit de la revue de presse hebdomadaire. Rappelons ici la réaction de ce confrère, d'une certaine ancienneté dans le métier, que l'on venait de soulager de la « corvée » de la revue de presse et qui s'est empressé de déclarer « cela ne m'arrivera plus jamais... ».

Cela en rajoute forcément au mérite des Rédactions et des rédacteurs qui en assurent une animation quotidienne grâce à un système de rotation qui permet de démocratiser l'exercice. Bon an mal an, de gré ou de force, chacun se met à l'épreuve et se perfectionne, à l'image du forgeron qui ne s'affirme qu'en forgeant et du vin qui ne se bonifie qu'en vieillissant. Ainsi, la leçon est bien connue : la revue de presse est davantage l'affaire des journalistes épris de culture et d'intellectualisme que celle des mordus des chiens écrasés ou des routiniers des reportages classiques. Tout comme le commentaire, il est clair que la revue de presse a un effet dopant incontestable sur l'audimat. Mieux, elle représente un atout différentiel dans un paysage médiatique pluriel.

L'expérience a par ailleurs prouvé que les réalisateurs de revues de presse sont très courtisés par les directeurs de publication de journaux. A chaque fin de semaine, ces derniers entrent en pourparlers avec les animateurs de revues de presse pour négocier l'exploitation ou la citation de leurs articles ou signatures. Venant des confrères, ce genre de sollicitations mettent le réalisateur de la revue de presse dans une situation embarrassante. Généralement, l'esprit de confraternité l'incite, à son corps défendant, à prendre les choses au sentiment plutôt qu'à opposer à ses courtisans une fin de non recevoir.

Puisqu'il ne peut faire plaisir à tous, le réalisateur de la revue de presse s'époumone parfois à vouloir démontrer à ses vis-à-vis qu'il ne suffit pas qu'un article soit publié dans un journal pour être exploitable dans une revue de presse. Ainsi, il n'y a aucun intérêt à faire écho des chrysanthèmes dans une revue de presse. Une appréciation valable également pour toute information qui n'alimente pas un débat d'actualité (de

préférence contradictoire) ou une réflexion d'une certaine portée politique, économique, culturelle, etc.

L'affirmation de ce principe est souvent très mal comprise, mais vaille que vaille, le journaliste doit tenir bon, quitte à être taxé de « vendu ». Qu'importe, si tel est vraiment le prix à payer pour ne pas dé-professionnaliser ou prostituer sa revue de presse.

On n'aura pas tout dit de la revue de presse tant qu'on n'aura pas souligné qu'il s'agit d'un genre particulièrement sensible. Il requiert de son réalisateur beaucoup de doigté et un sens élevé de la responsabilité sociale. Certes, la sélection des faits qu'il rapporte dans sa revue de presse ne sera jamais neutre et totalement désincarnée, mais tout au moins, il devra pratiquer le culte de la vérité. Aussi doit-il se garder de servir de boucs émissaires à des querelles de clochers par médias interposés.

A l'évidence, il y a là un gros risque de dérapage qui fonde d'ailleurs la décision de certaines instances africaines de régulation de la presse de suspendre la diffusion de la revue de presse en période électorale. Une mesure ponctuelle d'assainissement destinée à ne pas en rajouter à la surenchère politique et d'assurer une équité des médias vis-à-vis de toutes les sensibilités politiques nationales.

1.6 Les audiences..., corvée de toutes les corvées

La couverture des audiences présidentielles. Faites-en l'objet d'un sondage et à l'unanimité, l'on vous dira combien cet exercice est cassant, déprimant. A la limite, on peut s'en servir comme punition envers journalistes paresseux et grincheux. C'est aussi le lot souvent réservé aux stagiaires. On y perd énormément de temps sans y apprendre grand-chose avec deux gros désagréments au bout du rouleau : la fatigue et la faim. Professionnellement, c'est un gâchis et les Rédactions gagneraient à

réorganiser le mode de couverture de cette activité assez spécifique. Déjà, l'idée de faire assurer cette tranche par les attachés de presse fait son chemin. Et ceci, pour la bonne raison, qu'il est plus juste que celui qui s'échine à la tâche, ne soit pas différent de celui qui poussera le cri de la victoire.

1.7 La préparation des éditions du journal

On ne saura jamais quelle est la durée moyenne requise pour préparer un bon journal. La gestion du temps reste la chose la moins bien partagée dans les rédactions. De la conférence de rédaction tenue généralement entre 8h30 et 9h, à la présentation du journal en studio autour de 13 h, le temps paraît a priori serré pour sélectionner les dépêches du jour, les traiter, faire certains enregistrements (interviews, commentaires ou revues de presse), vérifier quelques informations au téléphone ou sur le terrain, assurer le montage des duplex, discours et autres déclarations recueillis à l'occasion des séminaires, relire les reportages, calibrer l'ensemble du journal, établir le conducteur, rédiger et fignoler les titres.

Cet enchaînement d'étapes laisse penser à une masse énorme de travail. Et c'est bien le cas de le dire. Ce qui en principe ne devrait laisser le moindre répit aux équipes du journal. Mais c'est mal connaître les journalistes que de vouloir les astreindre à un régime ou à une posture de bureaucrate. C'est dans leurs va-et-vient intempestifs, dans leurs chahuts intermittents et dans leur fébrilité contagieuse qu'ils confectionnent leurs journaux. Une aventure où le temps n'est souvent pas leur ami. N'empêche, dans une bonne rédaction, il y aura toujours dans la tranche de préparation du journal, assez de place pour l'animation, la rigolade, l'évasion et la bouffe.

Les uns, rodés par l'expérience s'y prennent très tard et s'en sortent à merveille sans que l'auditeur n'ait à douter de quoi que ce soit. Par contre, il arrive bien souvent que la qualité ne soit pas au rendez-vous, faute d'un travail soigné imputable à une mauvaise gestion du temps. Les esprits avisés et peut-être pas seulement eux, peuvent s'apercevoir par moments de certains problèmes de finition du journal à travers des démarrages difficiles à l'antenne, des cafouillages, des pédalages répétés, des inversions dans l'ordre de passage des extraits sonores, des lancements incohérents ou sans suite logique, etc. Mais l'étape la plus sacrifiée semble être celle des titres. Là aussi, les titres sans relief, écrits à main levée et restitués sans conviction ne trompent pas et renseignent presque toujours sur les conditions de préparation du produit.

En fait, deux journaux parlés ne se ressemblent jamais et chaque directeur de journal y va de son tempo et y imprime aussi bien sa personnalité que son savoir-faire. Alors, autant ne pas succomber vaille que vaille au charme des modèles ou des idoles. A chacun son rythme ! A chacun son style! Il est plutôt normal que se côtoient dans une même rédaction, ceux qui, d'un côté aiment marcher comme sur des oeufs et de l'autre, les adeptes des sensations fortes : des journalistes pour qui la pression de l'urgence est un facteur d'incitation. Ils ne sont inspirés que lorsque le temps presse et qu'ils ont le feu aux fesses. A la Rédaction de Radio-Bénin, quelques uns éprouvaient un réel plaisir à défier le temps parce que capables de commencer et de boucler une revue de presse à 30 minutes du journal. En plus de leur compétence, ils avaient un grand atout : la sérénité et un sang-froid olympien. Quand, ils sont aux commandes du journal, eh bien, ils font figure d'artistes !

En règle générale, les cinq dernières minutes précédant le journal sont infernales et

fermeture de ses guichets. Autrement dit, de tous les médias, la radio est celui où la dictature de l'urgence est la plus insupportable. Et il y a bien de quoi prendre peur pour les cardiaques et les hypertendus. Une réalité que confirme l'enseignant et chercheur en sociologie Alain Accardo : « les journalistes de radio sont des gens pressés car ils ont pour obligation de produire à des échéances fixes et impératives, souvent très courtes »23 Raison de plus pour apprendre à compter avec les surprises qui savent être désagréables envers ceux qui se plaisent à jouer avec le temps et à ruser avec les principes. Une confusion qui s'installe dans les dossiers à l'antenne, un journal qui s'emballe, des éléments sonores qui ne répondent pas à l'appel, un montage approximatif, un dossier mal paginé, un invité parachuté in extremis dans le journal comme un cheveu sur la soupe, des titres égarés...

Voilà autant de situations aussi imprévisibles que chaotiques susceptibles d'ébranler un directeur de journal et de conduire l'édition en cours à la catastrophe. Le cas échéant, on en sort tout petit, tout déprimé et même prêt à s'autoflageller pour la bonne raison qu'en radio, une erreur commise à l'antenne est multipliée par n millions de paires d'oreilles d'auditeurs.

La leçon ? Eh bien, un journal, mieux vaut y consacrer du temps, y mettre du coeur et de la rigueur. Plutôt s'abstenir si l'on n'est pas fait pour ou encore si cela devait devenir un forcing. L'expérience aura prouvé que la présentation du journal, un exercice très passionnant et très exaltant en début de carrière peut devenir au fil des ans lassant et peu engageant à force de répéter les mêmes gestes et de reproduire les mêmes réflexes. Il n'est donc pas exclu, si cela s'impose, de rompre momentanément la monotonie quitte à rebondir plus tard.

23 A. ACCARDO, les journalistes au quotidien, Le Mascaret, Bordeaux, 1995, p.199

Par conséquent, la créativité et le sens de l'initiative sont des qualités que doivent s'approprier et renouveler chaque jour, toute Rédaction de presse afin de ne pas s'enliser dans les sentiers battus et les lieux communs. A la presse écrite comme dans l'audiovisuel, les meilleures parutions ou éditions sont celles où l'initiative, le punch de journalistes motivés et le réflexe de l'investigation ont pris le pas sur l' «officialite » avec son cortège de chrysanthèmes et autres séminaires-ateliers et colloques sur des thèmes tout aussi éculés et mille fois ressassés. Mais, à l'évidence, ce n'est pas avec des disques aussi rayés que les Rédactions de presse peuvent prétendre doper leur audimat ; ce n'est non plus avec des articles rédigés dans un style stéréotypé et écrits à main levée qu'elles pourront soutenir la concurrence et décrocher éventuellement des palmes de professionnalisme.

1.8 Les éditions dites extrêmes

On rencontre dans les rédactions de la région ouest africaine une organisation quasi identique des éditions du journal parlé. En dehors des flashes d'information, la Rédaction de Radio-Bénin a quatre principaux rendez-vous quotidiens avec le public. Ceux de 13 heures et de 20 heures considérés comme des éditions-phares dépassent en importance et en audience les « extrêmes » (7 heures et 22 heures) en raison même des heures de diffusion et des contenus. En réalité, de toutes ces éditions, il y en a une qui ravit généralement la vedette aux trois autres. Immanquablement, il s'agit de celle de la mi-journée (12h30 ou 13 h selon les organes) et dont la préparation mobilise le maximum d'énergies physiques et de ressources intellectuelles. Chose d'autant plus normale qu'elle alimente toutes les éditions suivantes de la journée jusqu'à celle du lendemain à 7h ou 7h 30 selon les cas.

Traditionnellement, le << 13 heures » est la mère nourricière de tout ce qui suit dans la journée comme bulletins d'informations. Mais dans la pratique, il arrive que le << 20 heures » prenne admirablement sa revanche sur le << 13 heures » chaque fois que les contingences de l'actualité inscrivent au programme de l'après-midi, des événements aussi croustillants qu'exceptionnels tels qu'une escale dans la capitale du Souverain Pontife, l'ouverture d'un sommet régional ou international, une conférence de presse du collectif de l'opposition, une déclaration de candidature aux élections présidentielles, une annonce de démissions en cascade au sein de l'Exécutif ou encore un remaniement-surprise, etc. Le cas échéant, il est nécessaire qu'une conférence de rédaction soit convoquée en début d'après-midi pour fixer quelques attributions essentielles pour la réussite de l'édition de 20 heures pour laquelle tout un peuple aura pris rendez-vous. C'est dire à quel point une inversion des priorités est toujours possible au gré des événements pour faire passer le << 20 heures » du statut d'édition secondaire à celui d'édition-phare. Et seules les capacités d'organisation interne et le degré de souplesse dans la gestion des équipes permettent à une Rédaction de s'en tirer à bon compte. Autrement, bonjour les tensions!

En fait, à bien y regarder, c'est au niveau du contenu que s'arrête la concurrence entre le << 13 » heures et le << 20 heures » dans la mesure où les équipes de présentation sont souvent partiellement voire entièrement reconduites en ce qui concerne ces deux tranches d'actualité. Il faut attendre les extrêmes à 22 heures et 7 heures pour observer une variation de style et de ton. Et de ce point de vue, on a souvent eu tort de vouloir faire de ces extrêmes de simples éditions de rattrapage. Car, il s'agit moins de réchauffer des informations refroidies que de relancer l'intérêt de l'auditoire à travers un style plus captivant.

Là réside le plus grand défi pour le présentateur des éditions dites extrêmes qui doit faire peau neuve en renouvelant la forme et en enrichissant, au besoin, le fond. A condition, bien entendu, que l'évolution de l'actualité lui en donne l'opportunité. En revanche, par rapport à l'actualité internationale, il y arrivera plus aisément en gardant un oeil rivé sur le téléscripteur ou le serveur de dépêches. En clair, tout nouveau présentateur des extrêmes doit aborder sa nouvelle responsabilité dans une dynamique qui devrait apporter un démenti à tous ces préjugés défavorables qui véhiculent, à tort ou à raison, le sentiment hélas largement partagé que les extrêmes n'ont pas d'identité propre et ne seraient qu'une pâle copie des éditions précédentes. L'argument qui consiste à présenter ces éditions extrêmes comme des synthèses ou des résumés ne résiste pas à l'accusation.

L'autre responsabilité que sont amenés à assumer les présentateurs des extrêmes, c'est de se retrouver parfois confronté à des dilemmes, c'est-à-dire à des prises de décision qui ne relèvent pas en temps ordinaire de leurs compétences. Exemple, pour ne citer que celui-là, d'un groupe parlementaire qui, sans crier gare, se pointe à dix (10) minutes de l'édition de 22 heures au motif d'avoir un communiqué urgent à y présenter en direct. La gestion d'une telle contingence requiert à la fois, du métier, du tact, de la jugeote et beaucoup d'autorité pour trancher.

1.9 Les missions: monopole ou démocratisation ?

Pour une question d'équité, il convient de donner à chacun sa chance. Le principal critère de désignation à une mission devrait se rapporter à l'aptitude professionnelle à répondre aux attentes de sa rédaction en termes de collecte et de diffusion de l'information la plus pertinente. A cette condition de bonne tenue professionnelle,

pourraient s'ajouter des considérations d'ordre moral. Une tête bien pleine n'est pas toujours bien faite et c'est un drame que de ne s'en apercevoir qu'une fois en mission, en territoire étranger. Pour une mission avec le chef de l'Etat, il est plutôt normal que le rédacteur en chef soit assez regardant sur le profil du reporter pressenti.

Les missions à l'étranger constituent l'une des rares sollicitations pour lesquelles les journalistes se font le moins prier. Sinon, presque pas. En effet, ce sont des occasions rêvées de sortir du train-train habituel et d'aller à la découverte de nouveaux horizons, de nouer des relations tous azimuts et de se remettre en cause. Professionnellement, les missions à l'étranger sont dignes d'intérêt. C'est une autre dimension du métier au moyen de laquelle le journaliste acquiert ou aiguise ses réflexes de célérité, de curiosité et d'ouverture.

Autant le dire, les retombées d'une mission à l'étranger ne sont pas que professionnelles. Si les candidats à ces missions font des coudes et des mains, rivalisent d'intrigues et de grenouillages pour être positionnés à la bonne heure et sur la meilleure opportunité, ce n'est évidemment pas pour les beaux yeux du ministre ou du chef de l'Etat. Le journaliste sait qu'il y trouvera son compte, financièrement parlant. Et pour cause: les frais de mission d'un seul séjour de dix jours de voyage en Amérique ou aux Emirats arabes sont parfois sans commune mesure avec l'équivalent de trois mois de salaires au pays. De quoi faire pâlir de jalousie ceux qui n'y ont pas droit. Or, chacun sait que la sédentarité est l'une des choses dont s'accommode très mal un journaliste.

On comprend dès lors pourquoi la course aux missions a toujours eu de nombreux
adeptes, chacun attendant son tour, calendrier et calculette à la main. D'où la nécessité
pour la rédaction en chef de tenir à jour un agenda des sorties. Un agenda qu'il

respectera dans la mesure du possible. Seulement dans la mesure du possible si l'on sait que l'affectation des missions est l'une des prérogatives que la rédaction en chef préfère gérer souverainement. Ce faisant, il s'attire bien des foudres et inimitiés.

1.10 A qui le tour ?

Ainsi, pour diverses raisons objectives ou subjectives, on pourra constater que dans l'intervalle d'une même année, tel collègue vient de s'envoler dans une délégation présidentielle pour sa troisième mission à l'étranger pendant que tel autre en est encore à négocier son premier voyage. Devant cette politique de « deux poids, deux mesures », la réaction naturelle des journalistes lésés est de crier à l'injustice et à l'exclusion et sont de ce fait peu disposés à comprendre, comme s'efforce de l'expliquer le rédacteur en chef, que les choix portés sur certains reporters sont dictés par des critères de compétence, d'expérience et d'efficacité.

Face à de telles exigences, il va de soi que le principe de la rotation mécanique a ses limites. A quoi bon confier la couverture d'un périple économiquement stratégique du chef de l'Etat à un collaborateur si l'on sait qu'il ne sera pas à la hauteur de la tâche ? Si l'on sait par exemple qu'il ne sera pas en mesure de câbler sa rédaction pour un minimum d'une retransmission par jour. En clair, l'obligation de résultats que l'on a vis-à-vis de sa rédaction et encore plus le devoir d'information vis-à-vis du public priment de loin sur le plaisir d'aller en mission. Il reste toutefois qu'un effort mérite d'être fait dans la recherche du meilleur équilibre possible entre les abonnés aux missions et ceux qui ne demandent qu'à faire leur preuve, sinon leur coup d'essai. Ne faut-il pas leur donner une chance?

De toutes les façons, le jeune journaliste ne tardera pas à comprendre que les missions

pleinement rempli que lorsqu'il a pu marquer sa présence dans les principaux rendezvous d'information de sa rédaction, et ceci, de façon régulière. Or, cet objectif parfois difficile à atteindre est sujet à une série d'aléas : accès au téléphone, fonctionnalité des liaisons téléphoniques, décalages horaires, etc. Et quand bien même toutes ces conditions seraient réunies, l'envoyé spécial devrait en plus avoir la chance de pouvoir faire enregistrer ses duplex (correspondances) par sa rédaction ou les services techniques de son organe. Car, en la matière, la célérité relève généralement de l'exception.

Rien n'est donc gagné d'avance dans cette épreuve de nerf où il arrive malheureusement que le journaliste soit maintenu en ligne depuis l'Europe, par exemple, pendant quinze bonnes minutes. Un délai que ses collègues, de l'autre côté passent presque entièrement à rechercher dans un premier temps, un bobinot, un bout de bande magnétique, à courir ensuite après la clé d'un studio ou un studio disponible et à faire décoller enfin un technicien pour l'enregistrement proprement dit.

De nombreux journalistes ouest-africains interrogés sur ces moments de leur carrière, gardent un très mauvais souvenir de ce genre d'expériences aussi stressantes que démotivantes. Toutefois, ces dernières années, le niveau d'équipement de la Rédaction de Radio-Bénin permet désormais d'enregistrer directement ses envoyés spéciaux à partir de matériels adéquats installés dans l'environnement immédiat des journalistes pour plus d'autonomie. Pour Radio-Bénin, le meilleur est à venir !

1.11 La gestion des compétences

La compétence du journaliste se mesure moins à son profil intellectuel qu'à son savoir-

titulaire du diplôme le plus élevé en Droit qui verrait automatiquement sa candidature validée pour la couverture au quotidien des travaux de la Cour d'Assises. Ainsi, il n'est pas étonnant qu'un excellent théoricien de la Communication soit un piètre reporter.

Heureusement, dans ce métier, la compétence est l'une des rares choses qu'on ne peut décréter ; elle intervient généralement au bout d'une pratique continue, soutenue, assidue et rigoureuse. Il reste que les critères d'appréciation de la compétence ne sont pas standards. Dans une rédaction, on frustrerait facilement un collaborateur en l'excluant de certaines activités au motif qu'il n'est pas compétent. Par contre, on édulcorerait la sentence en précisant qu'il est compétent pour une telle prestation de service ou dans tel genre journalistique et qu'il l'est moins ou pas du tout dans tel autre.

Chose d'autant plus normale qu'aucun rédacteur en chef ou directeur d'organe ne s'attend à voir un même rédacteur traiter tous les dossiers de la rédaction avec une égale perfection. Une Rédaction n'a pas de compétences en dehors de la somme et surtout de la diversité des compétences de ses animateurs. C'est d'ailleurs dans un tel esprit qu'il devient possible de suppléer les compétences des uns aux limites des autres. S'il est vrai comme nous l'enseigne l'Ecriture Sainte que tout homme est pourvu d'un talent, on devrait être en droit d'en déduire que toute Rédaction est un concentré ou une mosaïque de compétences.

Seulement, une chose est d'être nanti de compétences ou d'en avoir à sa disposition de par sa qualité de chef de service ou de responsable et une autre est de savoir en faire bon usage. Une manière de dire que la gestion des compétences dans une Rédaction requiert aussi des compétences, du moins un certain sens de l'équilibre doublé d'une réelle capacité d'évaluation des prédispositions, des qualités professionnelles, des centres d'intérêt mais aussi des points faibles des individualités qui composent la

rédaction. Pour la méthode, il serait indiqué d'envisager la tenue d'un fichier individuel de suivi des rédacteurs. Pourvu qu'il soit utilisé comme un réel outil de travail et géré sans complaisance.

Sans complaisance, cela signifie qu'il n'y ait aucune place pour les combines et les grenouillages que multiplient les courtisans à l'endroit du rédacteur en chef pour se faire programmer sur certains types de reportages convoités pour leur caractère prestigieux ou juteux en termes de retombées financières.

Tel journaliste n'ayant jamais manifesté ni de près ni de loin le moindre intérêt pour les questions environnementales affiche subitement sa volonté d'assurer la couverture à l'étranger, d'un Forum mondial des ONG engagées dans la lutte contre le réchauffement de la planète. De même, il est inconséquent qu'un journaliste qui ne s'est jamais intéressé aux questions économiques se mette à battre campagne pour se voir affecter la couverture, à Seattle, d'un sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la mondialisation des échanges commerciaux. On peut en dire autant d'un journaliste qui serait réputé pour être un tireur au flanc et qui en veut à son rédacteur en chef de l'avoir tenu à l'écart de l'équipe des envoyés spéciaux devant assurer la couverture des élections présidentielles.

Ce sont là autant de domaines de souveraineté du rédacteur en chef qui ne doivent pas lui échapper même si dans certains cas, son intransigeance peut l'exposer à des campagnes de sabotage et à des pressions multiformes. L'essentiel est qu'il soit convaincu de la pertinence de ses choix qui doivent concourir à maximiser les rendements de sa Rédaction.

CHAPITRE II

II. SOURCES DE CONFLITS / DYSFONCTIONNEMENTS D'ORDRE

DEONTOLOGIQUE

2.1 L'attaché de presse en question

2.1.1 Attaché de presse du ministre ou du ministère ?

L'exercice de la fonction d'attaché de presse donne parfois lieu à des dérapages dommageables à l'image du journaliste lui-même et à sa profession. Hormis le fait que l'opinion au sein de sa propre corporation lui est largement défavorable, l'attaché de presse doit aussi affronter et démentir par son comportement professionnel, les nombreuses idées reçues qui font de lui un banal valet du ministre. C'est dire à quel point l'on ne vend pas cher l'étoffe de l'attaché de presse dans l'environnement des médias africains. Et il y a bien une cause à cela...

En réalité, le mal provient de ce que, un certain goût immodéré de l'affairisme, l'arrivisme, la vénalité, l'immaturité, la légèreté, la faiblesse de caractère, le manque de personnalité, ont contribué à dévoyer une fonction qui, comme toutes les autres, ne vaut que ce que valent ceux qui l'exercent.

Alors, il est évident qu'un excès de servilité et de courbettes ne peuvent qu'à terme, fragiliser et crétiniser l'attaché de presse. Le cas échéant, le journaliste y perd toute autonomie de pensée et d'action, à la limite prêt à s'effacer devant la volonté de son maître. C'est cette déviance poussée à l'extrême qui a engendré au sein de la corporation, la race des attachés de presse -coursiers et porteurs de valisettes. Bref, des journalistes à tout faire qui poussent si loin leur degré de soumission à leur ministre

ou président (d'institution) au point que l'on en vient à se demander s'ils sont « attachés à la personne » de ce dernier ou s'ils sont au service du ministère qui les emploie. Dans certains cas, la nuance n'est pas évidente ; il y a comme une confusion délibérément entretenue par quelques attachés de presse qui y trouvent leur compte.

Curieusement, dans l'euphorie de la jouissance des avantages, les AP ont tendance à oublier que leur prospérité est éphémère est surtout tributaire de la longévité ou non du patron. Qu'il s'agisse d'un ministre ou de tout autre haut fonctionnaire de l'Etat, rien n'est éternel et son fauteuil éjectable peut basculer le temps d'un revers électoral, et du jour au lendemain, l'AP pourrait se retrouver sans attache. Et justement, cette incertitude du lendemain, cette angoisse de l'infortune peut faire de l'AP, un homme trop pressé ou carrément arriviste selon les cas.

De cela peuvent découler les pires excès qui donnent à penser que les chances d'exercer honnêtement, en toute droiture et dans les règles de l'art, la fonction d'attaché de presse relève d'une gageure. Seulement, la tendance un peu facile à fulminer sans discernement contre les AP et à les loger tous à la même enseigne est préjudiciable à ceux qui ont peut-être encore la faiblesse de croire à la pureté de cette fonction qui relève fondamentalement des relations publiques. Sa pratique éveille moins de polémiques, de suspicions et de malaises lorsqu'elle est exercée en dehors du cadre des rédactions de presse.

2.1.2 Ce qu'on y gagne : les privilèges, l'ouverture au monde...

Il est clair que le journaliste qui accepte la responsabilité d'attaché de presse ne le fait
pas pour les beaux yeux de son maître. Toute peine mérite salaire dit-on. Mais c'est
moins le salaire que les faveurs et les largesses d'un patron généreux qui font les

beaux jours d'un attaché de presse. Selon l'humeur du ministre ou du président, l'attaché de presse est gratifié de divers biens, à commencer par les fameux ticketsvaleur ou bons d'essence et Dieu sait que ça dépanne !

Autres avantages : les missions et les voyages qui représentent le moyen par lequel un journaliste devenu attaché de presse, peut multiplier par dix ou vingt ses chances de visiter les cinq continents de la planète. Alors, ce serait à peine exagérer que de percevoir la fonction d'attaché de presse comme une porte d'entrée du journaliste dans la mondialisation. Car, par-delà les considérations matérielles, il y a le niveau de culture qui s'en porte mieux pour peu que l'on sache s'ouvrir à l'essentiel. Un attaché de presse passionné de best-sellers sur la littérature moderne ou friand de bouquins scientifiques rares saura faire de ces voyages une aubaine pour étoffer et garnir à l'envi sa bibliothèque. Pour un journaliste, cela a du prix!

Par ailleurs, à force d'arpenter les couloirs des grands centres de décision, mais aussi à force de tutoyer les hommes politiques, l'attaché de presse devient le témoin d'une foule de situations qui lui permettent de mieux appréhender la réalité du pouvoir et se faire une opinion sur ceux qui nous gouvernent. Autant de choses qui peuvent contribuer à son mûrissement personnel. Aussi, faut-il ajouter que l'attaché de presse, à travers ses pérégrinations, a la latitude d'enrichir admirablement son carnet d'adresses et même de pouvoir serrer la main à quelques « grands » de ce monde. C'est une belle manière de faire oeuvre utile : entretenir un réseau de relations, précieuse richesse qui peut servir au-delà de la carrière.

2.1.3 Ce qu'on y perd : la dignité

L'attaché de presse est en principe un acteur incontournable dans l'action promotionnelle des ministères et institutions. Son utilité devient plus visible à l'occasion des tournées et missions de son patron mais aussi chaque fois que ce dernier doit intervenir dans les médias. L'attaché de presse joue les médiateurs en période de crise en négociant l'accès de son patron aux médias. Les moins chanceux ou les plus zélés sont en plus appelés à rédiger des communiqués, contre-communiqués et droits de réponse et même à rédiger et à proposer au ministre, une revue de presse quotidienne. Ainsi, les périodes d'effervescence politique ou de crise sociale sont très éprouvantes pour l'attaché de presse qui n'a droit au répit que lorsque l'orage est passé. En attendant que son ministre se décide à sortir de sa réserve pour répondre officiellement aux éventuelles attaques de la presse, l'attaché de presse est parfois contraint d'aller au charbon avec ce que cela implique comme risques de compromission pour un journaliste.

Bon an mal an, il est du ressort de l'attaché de presse de rechercher en permanence les moyens par lesquels il doit réussir à projeter l'image la plus reluisante possible du ministère ou de l'institution qu'il sert. Et c'est malheureusement cette « obsession de l'enjoliver » qui l'éloigne des principes éthiques du journalisme. Car, dans un dossier qui engage la crédibilité de « son » ministère, il est plutôt rare qu'un attaché de presse se démène particulièrement pour rechercher l'équilibre entre plusieurs vérités. Généralement, c'est celle de son ministre qui fait foi et autorité. Il est donc clair qu'un attaché de presse ne pourra jamais avoir la confiance de son rédacteur en chef quand il s'agira du traitement d'un dossier dans lequel son ministre est trempé.

Les risques de manipulation et de partialité sont immenses et apportent de l'eau au moulin des partisans de la thèse de l'incompatibilité entre journalisme et fonction d'attaché de presse. Et si, le souci d'un traitement équitable de l'information a amené par exemple, la Haute Autorité de l'Information et de la Communication du Bénin (HAAC)24 à exclure les attachés de presse de la couverture médiatique des campagnes électorales de 1999 et 2001, ces derniers ne devraient pas en rougir. Bien au contraire, cette précaution les préserve d'une occasion de chute professionnelle. A signaler d'ailleurs que la mesure concernait notamment les attachés de presse dont les ministres ou patrons étaient candidats à la députation ou à la magistrature suprême.

En vérité, la difficulté, c'est moins la connaissance de la loi que son respect. Et de ce point de vue, combien d'attachés de presse se sont fixé des limites dans la défense des intérêts de leurs maîtres ? Combien d'entre eux ont assez de maturité et de témérité pour dire non à un ministre ou un responsable d'institution qui tenterait de faire d'eux les boucs émissaires d'un montage de contre-vérités à des fins de manipulation de l'opinion publique ? Certes, il y en a, mais trop peu nombreux pour justifier l'exception, pour donner de la voix et faire école. Et pourtant, il suffira au moins une fois, si cela s'impose, de pouvoir et d'oser dire ce « non» catégorique qui valorisera sa propre personne et son métier et bien plus, pour s'offrir l'occasion de donner à un responsable politique, une leçon d'honneur et de dignité.

Mieux, c'est encore à l'attaché de presse lui-même de faire comprendre à ses
employeurs que son rôle ne saurait se limiter à déambuler dans les allées des
séminaires pour la gestion des perdiems, encore moins pour n'assurer que le suivi des

24 La Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication instituée par les articles24, 142 et 143 de la Constitution du 11 décembre 1990 veille au respect des libertés. Elle a pour mission de garantir et d'assurer la liberté et la protection de la presse, ainsi que tous les moyens de communication de masse dans le respect de la loi. Elle veille au respect de la déontologie en matière d'information et d'accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d'information et de communication

photocopies de documents et la ventilation des discours. Ce n'est point valorisant pour un journaliste. N'empêche, beaucoup de doyens sont passés par-là et ne le regrettent pas forcément en faisant la balance entre les servitudes subies et les intérêts engrangés. C'est à croire que la fonction semble toujours avoir de longs jours devant elle. Surtout que - et il est bon de le savoir- ce n'est pas sous tous les cieux que l'attaché de presse est perçu comme un suspect et traité comme la cinquième roue du carrosse.

2.2 L'attaché de presse et sa Rédaction

Les Rédactions de la radio et de la télévision nationales sont les principales pourvoyeuses d'attachés de presse. C'est dans ce vivier que viennent puiser la quasitotalité des institutions, les ministères et même la présidence de la République. Cela suffit à donner de la légitimité aux attachés de presse qui sont surtout conscients d'être, après tout, en mission pour l'Etat. Cette tutelle qui ne dit pas son nom n'en constitue pas moins un bouclier contre les offensives peu amènes de ceux qui brandissent la menace de dégager les « AP » de l'effectif des organes de presse pour les reverser à l'administration à laquelle ils sont « attachés ». C'est dire à quel point la controverse est vive entre partisans et adversaires du cumul des genres; la tension se ravive lorsqu'en période électorale, interdiction est faite aux « AP » d'en assurer la couverture.

Dans de nombreux cas, la mise à exécution d'une telle menace enlèverait à ces AP leur pouvoir d'action, leur opérationnalité, leur efficacité, voire leur raison d'être. Car, n'oublions pas que c'est leur appartenance aux Rédactions, leur capacité à influencer certains choix, leur capacité à tirer profit du pouvoir d'information des médias auxquels ils appartiennent, qui justifient leur utilité et déterminent la portée de leurs prestations.

Seulement, plus une Rédaction réunit d'attachés de presse, plus ces derniers sont en mauvaise posture. Il ne se passera pas un seul jour sans que le rédacteur en chef n'ait à se plaindre de leur extrême mobilité dans la mesure où ils sont appelés presque quotidiennement à répondre à l'appel sur deux fronts: la Rédaction et le ministère. Deux obligations qui se concurrencent au détriment des Rédactions déjà mal loties du point de vue des effectifs. Plus des deux tiers des journalistes officiant à la Rédaction de la Radio nationale portent cette casquette d'attaché de presse cumulativement avec leurs activités de journaliste. Et si l'on en croit Godefroy Chabi, « cette situation est source de piétinements faits de partis pris et de coloration dans le travail des intéressés ».

Manifestement, leur situation ambivalente donne du fil à retordre à la rédaction en chef qui se trouve contrainte d'assumer les défaillances qui en découlent et de gérer les perturbations que cette même situation engendre au niveau de la programmation. Evidemment, dans cette gestion des impondérables, il ne manquera pas de battre campagne pour trouver un remplaçant ou un suppléant. Mais en cas d'échec, il assumera lui-même et cela est monnaie courante dans les rédactions à effectif réduit.

Tel attaché de presse, initialement programmé à la présentation du journal se retrouve en mission avec son ministre, tel autre en position de reportage est finalement retenu dans une session à l'Assemblée Nationale...Voilà autant d'équations à résoudre de la meilleure façon par la rédaction en chef, qui, il faut le dire, éprouve beaucoup de peine à maîtriser cette catégorie de collaborateurs. Et pourtant, les mêmes rédacteurs en chefs savent que ces attachés de presse ne sont pas capables que du pire. Ils sont capables d'user de leurs relations au sommet de l'Etat pour aider les Rédactions à ouvrir des portes qui se ferment habituellement sous le nez des journalistes. Ils sont

capables de donner un coup de main à un collègue qui se plante dans une enquête politiquement sensible. Ils sont en outre capables de mettre la puce à l'oreille à leurs confrères dans une situation de rétention de l'information. Alors, est-ce possible que tout cela n'ait pas un prix?

Nuance tout de même, car si ce mode de fonctionnement de l'attaché de presse ainsi décrit est très proche de la réalité béninoise par exemple, il en va autrement dans d'autres pays de la sous-région comme le Burkina Faso et le Sénégal où l'attaché de presse n'a pas toujours pour cadre de travail la Rédaction. Telle semble d'ailleurs la meilleure formule pour éviter le piège de la duplicité.

Quoiqu'il en soit, on remarque le souci de plus en plus manifeste chez les confrères de Radio-Bénin de ne pas laisser confondre le journalisme avec les métiers de la communication et que Alain ACCARDO dans son ouvrage journalistes au quotidien 25 qualifie de « nébuleuse allant des attachés de presse aux publicitaires en passant par les dircom26 et les journalistes d'entreprise ».

2.3 Le journaliste, la politique et la carte du parti

Peut-on servir deux maîtres avec une égale fidélité ? Non, nous répond l'Evangile arguant que l'un sera aimé et l'autre haï (Mt. 6 / 24). Il en va également ainsi du journalisme et de la politique qui constituent deux univers inconciliables. Mieux, nos maîtres nous ont enseigné que les deux options étaient incompatibles. Mais, ça c'est pour les théories d'école. Nos organes de presse nous font découvrir chaque jour d'autres réalités. L'expérience du terrain n'arrête pas de contrarier cette leçon des

25 Accardo (Alain), les journalistes au quotidien, Editions Le Mascaret, Bordeaux, 1995, p.29

26 Dimunitif de « directeur de la communication»

puristes de la profession. Est-ce pour autant qu'elle n'a pas été assimilée ? Non, apparemment, la raison ou les raisons seraient ailleurs.

La sagesse recommande que le détenteur de la carte d'un parti n'en fasse pas un secret, un jeu de cache-cache au point d'abuser de la bonne foi de sa Rédaction et de ses confrères. C'est une responsabilité qu'il faut plutôt assumer avec toutes les implications professionnelles qui en découlent, à commencer par l'incapacité temporaire à couvrir les activités du parti politique dont on est membre. Il serait en tout cas plus responsable de prendre de la distance par rapport aux événements auxquels se trouve mêlé son parti politique. Godefroy Chabi de Radio-Bénin ne le pense pas moins lorsqu'il suggère une alternative qui consisterait à « isoler momentanément tout journaliste reconnu sous l'influence des milieux politiques en le destinant à une autre tâche au sein de la Rédaction de presse ».

Abondant dans le même sens, Serge Tomondji, précédemment commentateur à Radio Pulsar de Ouagadougou, propose ce qui lui semble être la solution de sagesse : « mieux vaut ne confier à cette catégorie de journalistes que des comptes-rendus qui n'ont pas de grandes conséquences sur la ligne éditoriale de l'organe ».

Loin de jeter l'anathème sur le journaliste militant politique, les journalistes interrogés sur cette question conçoivent qu'au nom de la liberté d'association reconnue à tout citoyen, le journaliste, lui aussi, puisse s'en prévaloir pour s'affilier à un courant politique. « Chacun est libre de militer où il veut, mais que cela ne se reflète pas dans le traitement de l'information » concède Mme Magatte Diop, chef de station de la Radiotélévision sénégalaise à Kaolack, comme pour dire que le cas de la presse béninoise n'est pas isolé.

Mais, là où le bât blesse et là où naissent les conflits, regrette Emmanuel Sotinkon, c'est que < le journaliste membre d'un parti politique est souvent enclin à prendre parti dans ses analyses, commentaires, reportages, ce qui altère son obligation de neutralité et d'objectivité ». Et à Claude Agossou de Radio-Bénin d'ajouter que le vice vient de ce qu' < il confond l'information et la voix de son maître ». Or, ce genre de situations, très inconfortables pour l'image des Rédactions, finissent toujours par mettre le journalistemilitant à mal avec ses confrères et sa Rédaction qui ne lui pardonnent pas de leur faire endosser des opinions et des commentaires partisans. Et c'est peut-être ce genre de déconvenues qui justifient la fermeté de Jacques Philippe da Matha qui n'y va pas du dos de la cuillère pour trancher le sort des journalistes-militants-partisans : < ils trahissent la profession. Ils sont en porte à faux avec la déontologie et l'éthique de la profession et n'ont pas leur place au sein des Rédactions ».

Une chose paraît désormais sûre, c'est que <face à l'essor des radios privées, la direction des radios d'Etat a besoin de professionnels de valeur plus que de militants politiques »27.

En revanche, s'il doit y avoir pour le journaliste, un défi encore plus grand que la < neutralité » politique, cela résiderait certainement dans sa capacité de réaction professionnelle sous l'emprise des sollicitations partisanes. Ce qui nous conduirait à partager avec la Société Radio Canada cette réflexion selon laquelle < ... Le professionnalisme, pour un journaliste, ce n'est pas tant l'absence d'opinions ou d'émotions que la capacité de les reconnaître et de s'en distancier, pour présenter l'information objective» (Société Radio Canada / Normes et pratiques journalistiques). Et comme pour dire que le débat sur l'objectivité n'est pas si simple, Henri Assogba de

27 A.J. TUDESQ, l'Afrique parle, l'Afrique écoute - Les radios en Afrique subsaharienne, Karthala 20002, p.90

Radio-Bénin interpelle en ces termes : qui nous dit que le journaliste qui n'affiche pas ouvertement son appartenance politique traite « objectivement > l'information ?

2.4 Les journalistes partisans : taupes des Rédactions

Cette étiquette de «taupe> n'est malheureusement pas un produit de l'imagination ou une simple boutade pour enquiquiner les journalistes partisans. Dans la corporation, certains ont fait de la délation un fond de commerce dans l'unique dessein de gravir au plus vite les marches de la hiérarchie. Et la condition pour y arriver, c'est d'être nécessairement à la solde de quelques patrons influents. Ce qui pourrait laisser croire, à tort ou à raison, qu'ils n'ont aucun autre atout de réussite, aucune chance d'émergence professionnelle en dehors de l'allégeance ou du militantisme politique.

Cette réalité n'est pas propre au journaliste. On la rencontre dans toute l'administration, mais dans une rédaction de presse, le phénomène prend une autre dimension. Car, hormis le fait d'être de véritables empêcheurs de tourner en rond, ils contribuent à rétrécir le champ d'expression, de critique et d'action de leurs collègues au sein de la rédaction. Mais il en sera ainsi aussi longtemps que l'on comptera dans l'effectif des rédactions des « protégés> ou des «valets> de ministres, de leaders politiques ou de responsables d'institutions.

Entre deux maux, le bon sens recommande de choisir le moindre. Ainsi, les journalistes auraient de loin préféré une menace à leur liberté d'expression venant de forces exogènes plutôt que cela soit en sous-main l'oeuvre de délateurs tapis dans leurs rangs. C'est hélas la preuve que l'on n'est trahi que par les siens. Et en fait de trahison, c'est en réalité un sacrilège quand on sait à quel point les journalistes, par essence, sont jaloux du secret de certaines de leurs conférences de rédaction qui prennent des

allures de conclave. Alors qu'ils tiennent leurs conférences de rédaction pour un couvent, on comprend que toute fuite de décision stratégique de ce forum soit de nature à fragiliser leur pouvoir. Raison pour laquelle les visiteurs et autres allogènes qui ont tendance à confondre Rédaction et salle des pas perdus sont vigoureusement rappelés à l'ordre.

En clair, les journalistes ont encore un long chemin à parcourir pour atteindre l'idéal d'unité et de solidarité capable de résister à l'épreuve des tentations pécuniaires, des querelles de clochers, et des rivalités partisanes avouées ou non. Mais au fond, il s'agit aussi bien d'une question d'éthique que de maturité et là il convient de ne pas loger à la même enseigne tous les journalistes partisans.

2.5 La course aux cabinets ministériels

Les lendemains de scrutins présidentiels ou de remaniements ministériels sont souvent pénibles pour les rédactions. En effet, c'est le moment où il faut s'attendre à une hémorragie du fait de la course aux nominations dans les cabinets ministériels. Le phénomène est général et s'observe avec la même acuité dans la plupart des pays de la sous-région. Les journalistes sont à l'affût, prêts à mettre en branle leurs réseaux de relations politiques et d'affinités ethniques pour se faire hisser à la tête d'un service de communication au sein d'une entreprise.

C'est aussi la période où la chasse au poste d'attachés de presse devient très féroce. Mais, l'alternance à ces postes se fait souvent dans le ressentiment et l'inimitié lorsque tel confrère doit succéder à un autre dans un ministère. Cela est perçu comme une manière de torpiller ses intérêts. Il n'est d'ailleurs pas si rare d'entendre dire que tel a suscité l'éviction d'un collègue dans le dessein de pouvoir accéder lui aussi à sa part de

délices ». Il n'en faut pas plus pour se convaincre de l'immense enjeu que constitue pour les journalistes, l'accès aux cabinets ministériels. Mais en réalité, le phénomène est diversement apprécié d'un pays à un autre. Il est plus dramatisé et décrié au Bénin qu'au Burkina Faso par exemple où le secteur de la communication dans la plupart des ministères, est érigé en direction, à la charge d'un journaliste officiellement nommé en Conseil des ministres.

2.6 La désaffection des Rédactions et le rétrécissement des effectifs

Dans l'ensemble des structures qui composent les organes de presse, les Rédactions passent souvent pour des lieux stratégiques en raison du pouvoir qui s'y exerce : celui de l'information. De l'extérieur, ces Rédactions jouissent d'une auréole de prestige. Mais rares sont les journalistes d'une certaine ancienneté qui se déclarent volontaires pour y servir. On y consent trop de sacrifices; on est trop exposé à la sanction professionnelle et publique. D'où la tentation de passer de l'autre côté de la rive, non pas seulement par souci d'altérité mais aussi pour échapper à l'emprise de la rigueur de fer des rédactions. D'où cette hémorragie qui caractérise de façon cyclique les services de l'information et où l'on assiste à la « fuite des doyens ».

Lorsqu'on a traîné sa « bosse » pendant vingt (20) ans dans une ou plusieurs Rédactions, il y a un fort risque de saturation et de démotivation. Pis, la sclérose est là, ce mal qui affecte les finissants, condamnés à ronger leurs freins dans un environnement peu incitatif. Cette situation provient de l'inexistence d'un réel plan de carrière pour les journalistes dans les administrations qui les emploient. Ainsi, la peur de finir comme l'on a commencé amène la plupart des anciens à se frayer une porte de sortie au soir de leur carrière.

Certes, il y en a qui ont fait toute leur carrière dans les Rédactions mais il est difficile de dire s'ils l'ont fait par amour du métier, par passion, par résignation ou à défaut d'un exutoire prometteur. Toujours est-il qu'il est devenu un fait rarissime de voir des têtes grisonnantes présenter assidûment les journaux parlés et télévisés. D'aucuns préfèrent se retirer dans le cadre plus douillet des cabinets ministériels en attendant que la retraite vienne les y trouver. Les plus chanceux peuvent avoir comme point de chute des institutions plus honorables telles que les instances de régulation de la presse, les commissions électorales, les représentations d'agences non gouvernementales.

A certains égards, leurs aspirations paraissent bien légitimes et leur démarche tout à fait compréhensible dans la mesure où il n'est pas aisé de demeurer sous ordre jusqu'en fin de carrière. A cette situation, les doyens préfèrent de loin le refuge ou la consolation d'un poste de direction parfois même sans aucune visibilité. L'essentiel étant de trouver l'échappatoire qui permette de tirer son épingle du jeu. Et entre autres schémas possibles, cela peut passer par la nomination à un poste de conseiller technique qui donnerait enfin l'occasion de faire valoir ses expériences et où l'on peut également espérer détenir tout au moins, un pouvoir de proposition. De là à rebondir pour un portefeuille ministériel, ce n'est pas loin tant il est vrai que le journalisme mène à tout: directeur de cabinet, ministre de la défense, homme d'affaires... Et peut-être prochainement, chef d'Etat. Pourquoi pas? Mais, attention à l'arrivisme : l'expérience des ascensions trop fulgurantes n'est pas toujours enthousiasmante quand l'on songe à certains retours de manivelles très fâcheux. Evidemment, c'est le prix à payer par tous ceux qui affectionnent les hauteurs; ils ne peuvent indéfiniment échapper au risque de se brûler les ailes.

Seulement, de plus en plus, la tendance évolue dans le sens de l'auto-valorisation à travers des prestations parallèles. Ainsi, dans les Rédactions, plus grand'monde ne vit de l'exercice exclusif du métier de journaliste. Au moins 70% des journalistes, surtout ceux ayant acquis une certaine ancienneté, monnayent, à coeur joie, leurs talents à travers des consultations privées, des activités de formation ou de relations publiques. On n'y gagne pas une fortune, mais tout au moins, de quoi atténuer la précarité et le malaise des fins de mois difficiles Mieux, ces activités parallèles ont eu chez certains, un effet thérapeutique et psychologique salutaire en les mettant à l'abri du désoeuvrement et d'une mise en quarantaine professionnelle très nocifs à la santé psychologique d'un journaliste. Bref, c'est une alternative pour journalistes en mal de valorisation professionnelle. Mais, bien évidement, un tel filon n'est porteur et profitable qu'à ceux qui, professionnellement, ont véritablement quelque chose (des compétences) à vendre.

2.7 Les pressions et tentations politiques

«Toute forme de censure, directe ou indirecte, est inacceptable. Toute loi ou pratique limitant la liberté des organes de presse dans la collecte et la diffusion de l'information doit donc être abolie. Les autorités gouvernementales, nationales ou locales, ne doivent pas intervenir dans le contenu des journaux, écrits ou audiovisuels, ni restreindre l'accès aux sources d'information ».

Cette disposition de l'article 4 de la Charte pour une Presse Libre approuvée en janvier 1987 à Londres à l'occasion de la Conférence mondiale sur la censure démontre assez clairement à quel point la liberté de presse est partout en danger. Et cela est vrai sous toutes les latitudes, tropicales et occidentales où le voeu secret de tout pouvoir est de contrôler la presse et d'exercer une emprise sur ceux qui font et défont l'opinion.

Certes, dans la plupart des pays de la sous-région, les espaces de libertés se sont élargis à la faveur du courant démocratique des années 90. Même les organes d'Etat jadis inféodés, dociles et entièrement dévoués à la cause de leurs maîtres, ont acquis une liberté de ton enviable. Evidemment, les conférences nationales qui ont fait le deuil du dirigisme de l'information sont passées par-là. Résultat heureux : au Bénin comme au Burkina Faso et au Mali, on a tourné la page des commentaires dithyrambiques et des pamphlets révolutionnaires à la gloire des partis uniques et des « leaders bien aimés ». Le parachutage entre les mains d'un journaliste d'un réquisitoire politique rédigé dans le salon du ministère de l'information est aussi une pratique désormais éculée.

Il n'y a qu'à observer ce regain de professionnalisme qui permet aujourd'hui à des reporters de résumer voire de réduire à leur plus simple expression, certaines interventions « fleuves » du chef de l'Etat. De la même manière, le mythe qui entourait les audiences du président de la République est progressivement tombé dans quelques rédactions de la sous-région ouest-africaine où l'on se contente parfois de légers commentaires sur images. Ce qui, il y a quelques années, serait passé pour un délit de lèse-majesté et blâmé en conséquence. Mais attention, prenons garde de pavoiser et de tenir pour acquis définitifs ces demi-victoires qui sont trompeuses et qui cachent souvent la vraie nature de ceux qui goûtent à l'élixir du pouvoir.

La démocratie a incontestablement rendu à la presse une part appréciable de liberté. Mais, l'on ne saurait en conclure que pour autant, le réflexe de la tutelle d'un côté et le complexe de l'obédience de l'autre ont disparu. A défaut d'avoir disparu, les pressions politiques se sont faites plus feutrées mais non moins vicieuses. Les plus flagrantes sont celles qui émanent de la présidence de la République via le ministère de

l'Information, la Direction générale et les directions techniques des organes de presse pour terminer leur course et s'abattre telle une épée de Damoclès, sur la tête du rédacteur en chef. Il en va de même de certains ordres pressants mais anonymes - on en connaît rarement les véritables instigateurs - que le rédacteur en chef se doit de faire respecter sans protocole. Et que dire de ces nombreuses injonctions on ne peut plus officielles qui prennent parfois l'allure de véritables mises en demeure d'embargo sur la diffusion de telle déclaration d'opposant gênante pour le pouvoir ou de telle autre révélation de malversations économiques mettant à mal son image.

Plusieurs journalistes rencontrés ces dernières années déclarent avoir été fortement marqués par un certain type de censure édictée du sommet et appliquée sans concession pour surseoir impérativement à la diffusion d'une interview obtenue de haute lutte ou d'un reportage / une enquête sur laquelle le reporter s'est échiné plusieurs jours durant. Dans de telles situations, on peut facilement imaginer la frustration du journaliste ; elle est d'autant plus grande qu'il n'a droit à la moindre explication.

Certains confrères ne sont pas près d'oublier le coup de fil qu'ils ont reçu de la part de hautes autorités politiques à la fin du journal. Non pas pour les congratuler mais plutôt pour les tancer à propos d'un commentaire osé. Ce qui n'est pas plus anodin que l'abus de pouvoir ou la frilosité qui poussent certains ministres ou hauts responsables politiques à exiger d'un directeur d'organe la disqualification d'un journaliste au profit d'un autre pour la couverture d'un événement lié à leurs intérêts.

La pression politique, c'est aussi lorsque le directeur, sous la pression du ministre,
cherche à connaître les noms des invités au débat contradictoire que s'apprête à
animer un journaliste. Le comble est qu'il arrive que cette forme d'immixtion dans la vie

des rédactions se solde par une modification in extremis et sans fondement objectif, de la configuration du plateau des invités.

Chaque journaliste sait que toutes ces pratiques sont contraires aux normes professionnelles. Mais en fait, que peut-il bien rester du professionnalisme lorsque la raison d'Etat s'introduit dans une Rédaction par la grande porte ?

Dans ce métier où l'on a facilement la chance de voir la même chose et son contraire, le journaliste doit s'attendre à rencontrer des hommes politiques qui se dédisent du jour au lendemain. Une interview enregistrée aujourd'hui dans l'euphorie peut devenir caduque le lendemain simplement parce que l'interviewé, pour des raisons souvent inavouées, aura décidé de se rebiffer et parfois prêt à tout donner pour obtenir du journaliste et de sa Rédaction un embargo sur ladite interview.

En pareille circonstance, que faire? S'accrocher mordicus au devoir d'informer au nom de l'intérêt public ou faut-il consentir à faire la volonté de son invité d'infortune. A l'épreuve, ce genre de dilemme conduit à une double interrogation. Que gagne-t-on en diffusant et que perd-on en ne diffusant pas une émission dans de telles conditions? , La plupart des journalistes Interpellés sur ce cas de conscience ont concédé que « si les risques de la non diffusion ne sont pas supérieurs au préjudice causé à l'opinion publique et aux ennuis qui pourraient en découler pour le journaliste lui-même, autant faire, la mort dans l'âme, le choix de l'embargo ». Seulement, de ce point de vue, chaque situation sera traitée comme un cas spécifique. Au besoin, cet embargo pourrait s'assimiler à une mise au frigo en attendant une circonstance plus propice. Preuve que dans ce métier, c'est parfois une qualité que de savoir attendre.

En réalité, cette situation n'est pas différente du comportement de certains interlocuteurs (hommes politiques, hommes d'affaires, responsables d'institutions) qui se sont laissés interviewer allègrement, qui se sont exprimés passionnément pour ensuite revenir quelques instants après harceler de coups de fils le journaliste ou son rédacteur en chef en vue de négocier des arrangements au sujet du contenu de leurs déclarations. En fait d'arrangements, il s'agit souvent de « sucrer » quelques extrapolations malheureuses, quelques excès ou encore certains passages où la langue serait peut-être allée plus loin que le coeur.

Il est évident que si le journaliste veut à tout prix servir l'intérêt public, il s'entêtera à diffuser ou à publier cette interview. Mais si en revanche, il choisit de jouer les « PoncePilatistes », il n'en fera pas davantage que de hausser les épaules en signe de résignation tout en sachant qu'il pourrait subir le procès de la compromission. Mais il ne faudra non plus écarter l'hypothèse du soulagement et de la sécurité que pourrait lui procurer l'option de la non-diffusion si tant est son souci de faire l'économie d'une inimitié ou d'une adversité dont les répercussions sont souvent insoupçonnées ; les politiciens, dit-on ont la rancune tenace. Mais alors, on peut comprendre sans forcément cautionner, que le journaliste, citoyen comme tout autre, père de famille éventuellement, ait lui aussi parfois envie de mener une vie tranquille, à l'abri de toute entourloupette.

Dans un tel cas de figure, les choses paraissent bien plus faciles à gérer que si l'on a affaire à un journaliste frondeur sur les bords et réfractaire à toute forme de pression politique d'où qu'elle vienne. Il en existe, heureusement pour la sauvegarde et l'avancée des libertés chèrement conquises ! Seulement, il n'est pas évident que dans de tels bras de fer avec la hiérarchie ou le pouvoir, les rapports de force soient à

l'avantage du journaliste résistant. S'il parvient à faire triompher les intérêts du métier et obtenir gain de cause avec ou sans le soutien de ses pairs, sa victoire sera saluée comme un acte de courage et d'affirmation de l'indépendance du quatrième pouvoir. Mais côté carrière, l'expérience a prouvé que ce genre de victoires sont aussi éclatantes que lourdes de conséquences. Autrement dit, c'est une médaille qui a son revers en termes de représailles directes ou indirectes, immédiates ou ajournées, brutales ou assénées à froid, frontales ou insidieuses.

Ces représailles sont multiformes mais faciles à répertorier : affectations, rétrogradations, mise en quarantaine, etc. Mais la plus courante prend souvent la forme de ce qui est désigné dans le jargon journalistique sous le terme de « mise au placard ». Jean-Marc CHARDON et Olivier SAMAIN, auteurs du livre le journaliste de radio ont réussi à décrire le phénomène dans ses implications administratives : « ... Il est alors très facile de prendre prétexte d'une expression malheureuse dans un journal, ou d'une vérité inopportune, pour neutraliser, le moment venu, n'importe quel journaliste. Dans le service public, où les organisations syndicales dénoncent périodiquement ces pratiques, les journalistes concernés ont vu parfois leur mises au placard s'accompagner de l'octroi d'un titre ronflant, à l'image d'un cache-misère, voire d'une augmentation pécuniaire pour compenser le préjudice. Dans le pire des cas, il n'y a ni l'un ni l'autre. Du coup, la rétrogradation qui s'ensuit n'est pas forcément visible.

En revanche, le journaliste qui en est victime voit bien la différence. Il est toujours, soit évincé de l'antenne, soit remisé dans une plage horaire à faible écoute... A lui de se soumettre, de se démettre ou d'attendre des jours meilleurs... ».

2.8 Les pressions et tentations financières

En conquérant à la faveur de l'ouverture démocratique de réels espaces de liberté et une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, les médias africains n'ont fait que remporter une bataille. La guerre d'affranchissement vis-à-vis des lobbies financiers, elle, est plus actuelle que jamais et risque d'être plus longue à gagner. Et voilà remise en selle toute la question des pressions financières. Elles sont insidieuses et émanent généralement des pouvoirs d'argent, intellectuels ou non. Dans l'un et l'autre des cas, ceux-ci s'en servent à des fins de marchandage, de domination et d'asservissement. Mais il n'est pas rare non plus que ces pressions financières soient aussi le fait de parfaits illettrés, en mal de considération qui n'ont pour tout moyen de pression que leur fortune pour en imposer à des journalistes, même les plus respectables et les plus huppés.

Quels que soient leur origine et leurs auteurs ou protagonistes, les pressions financières sont condamnables au regard de l'éthique journalistique. Elles ne sont pas plus tolérables que les pressions politiques. Bien au contraire, il est établi que la dépendance économique est la pire des dépendances. Car, qui vous tient par le ventre, contrôle votre souffle et vous régentera à loisir.

2.8.1 Le perdiem ou « communiqué final »

Dans la pratique courante des journalistes ouest-africains rencontrés, la forme de libéralités la plus connue est le perdiem, désigné sous les noms de «communiqué final» au Bénin et de « gombo » au Burkina Faso. Il est rentré dans le quotidien de 90 % de journalistes et techniciens qui n'ont aucune gêne à émarger sur un bout de papier à la fin d'un reportage pour se faire gratifier de quelques coupures. La pratique a fini par

légaliser un comportement pourtant contraire à l'éthique journalistique. Mais gare à vous si, par manque de tact, vous les affrontez sur ce terrain en donneur de leçon ; les plus sages vous répondront tout bonnement, à la suite de Saint-Augustin, qu'il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu.

D'aucuns considèrent le per-diem comme un dû dès lors qu'ils se rendent compte que l'événement dont ils assurent la couverture est financé à travers une rubrique dite «communication ». Par nature, les journalistes et les techniciens sont réfractaires à l'idée qu'on se joue d'eux. Ils se battront becs et ongles pour se faire restituer un droit injustement confisqué. La conviction que quelques uns, dans la chaîne de l'organisation, se sont sucrés sur le dos de la presse renchérit chez cette dernière le sentiment qu'elle a aussi droit à sa part. Mais, malgré tout, cette presse doit encore parfois revendiquer, tempêter pour rentrer dans ses supposés « droits ». D'où cette formule empruntée à un confrère qui demeure convaincu que « la bouche de celui qui ne parle pas, sentira ». Une manière de rappeler que, celui qui ne risque rien n'a rien et qu'il suffit simplement parfois d'oser demander pour être servi.

Bref, il n'est pas conseiller de gruger les techniciens et les journalistes. D'ailleurs, les attachés de presse et autres organisateurs de séminaires ou de tournées qui se sont risqués à ce genre d'escroquerie l'ont appris à leurs dépens.

Ce qui est moins compréhensible et franchement détestable, c'est de tendre la main ou de faire du per-diem un objet de chantage en brandissant la menace d'un compte-rendu sommaire ou bâclé. Malheureusement, cette pratique existe et c'est en connaissance de cause que le code de déontologie de la presse béninoise en fait mention à travers son article 5 : « En dehors de la rémunération qui lui est due par son employeur dans le cadre de ses services professionnels, le journaliste doit refuser de toucher de l'argent

ou tout avantage en nature des mains des bénéficiaires ou des personnes concernées par ses services, quelle qu'en soit la valeur et pour quelque cause que ce soit. Il ne cède à aucune pression et n'accepte de directive rédactionnelle que des responsables de la rédaction. Le journaliste s'interdit tout chantage par la publication ou la non-publication d'une information contre rémunération. ».

Au-delà du principe ainsi joliment libellé, mais qui n'émeut pas grand monde, force est de reconnaître que la pratique des per-diems a encore de vieux jours devant elle, non pas seulement par la volonté des journalistes, photographes et techniciens mais aussi par le souci des demandeurs de services (ONG, partis politiques, institutions officielles et privées, etc.) de structurer et de fidéliser leurs relations avec ceux-là qui sont capables de faire et de défaire leur image. Une ONG, un ministère qui n'a pas de bonnes relations avec les organes de presse en souffrira car, entre deux demandeurs de services qui sollicitent la presse dans une même tranche horaire, le critère de préséance ou même de choix risque fort d'être guidé par l'intérêt. Et là-dessus, les journalistes et techniciens ne se trompent pas. Si vous les privez de per-diems, ils finiront par vous coller l'étiquette de « radins » et vous faire de la mauvaise publicité. Si vous mégotez sur le montant des per-diems, ils vous déclasseront régulièrement au profit des partenaires les plus généreux.

Il en découle d'ailleurs que ce ne sont pas toujours les entreprises les plus performantes, les gestionnaires les plus orthodoxes ou les hommes d'affaires les plus irréprochables encore moins les hommes politiques les plus éclairés ou les plus probes qui ont les faveurs des échos de la presse, mais plutôt ceux qui, simplement, connaissent le mode d'emploi du pouvoir de la presse.

Chose humaine, le reportage le plus bref ou le plus banal qui s'est soldé par une distribution d'enveloppes portera ombrage au tournage le plus pressant qui n'aurait pas eu de retombées pécuniaires. De même, il est à peine exagéré de dire qu'avec un budget communication imposant, il est possible pour le plus impopulaire des dictateurs de mieux faire médiatiser sa cérémonie d'investiture que celle du démocrate le plus authentique. Ainsi vont les relations avec la presse et la meilleure des solutions ne consiste pas forcément à jouer les Saints. Il s'agit dans bien des cas de jouer utile.

Mais quelle que soit la bouée de sauvetage financière qu'il apporte, on ne peut occulter le fait que le perdiem dévalorise énormément le journaliste. Les acteurs de la vie politique et même ceux de la société civile s'en servent comme instrument de domination et d'assujettissement du journaliste. Et quand l'on réalise qu'en fait, ces per-diems ne représentent parfois que des sommes ridicules, on comprend que la profession ne soit pas respectée. Mais hélas, tout se passe comme dirait l'autre : « qui a bu boira ».

2.8.2 Les dons et libéralités : faut-il prendre ?

Question combien sensible! Elle recommande beaucoup de discernement et de sérénité de la part de ceux qui ont le courage de l'aborder. Or, j'ai plutôt souvent eu le sentiment qu'on l'abordait avec hypocrisie et cela ne fait nullement avancer le débat.

L'argent, les cadeaux et les dons en nature sont les plus grandes sources de suspicion pour un journaliste. Ils constituent de graves entraves au professionnalisme et à l'impartialité et représentent très souvent la porte d'entrée du discrédit et de toutes les crises de confiance au sein des Rédactions.

C'est un leurre et une fausse manière de se faire bonne conscience que de penser qu'accepter les cadeaux constitue un moindre mal par rapport à l'argent que l'on reçoit. Dans l'un et l'autre des cas, l'éthique est en cause et rien ne fonde le raisonnement qui voudrait que si la compromission par l'argent conduit en enfer, celle par les cadeaux et autres libéralités conduise au purgatoire. La question de fond étant celui du risque d'aliénation de la liberté d'expression et de la marge de manoeuvre du journaliste qui se sent redevable de son bienfaiteur, fut-il de circonstance. A ce sujet, le Code éthique des Etats-Unis, adopté en 1926 est sans appel, en son article 1 : «les cadeaux, les voyages gratuits, privilèges ou les traitements de faveur peuvent compromettre l'intégrité des journalistes et de leurs employeurs. Il ne faut accepter aucun cadeau de valeur »

Mais, en pratique, combien de journalistes seraient en mesure de faire fi du devoir de reconnaissance vis-à-vis du politicien ou de l'homme d'affaires qui l'aura aidé à obtenir une bourse d'études, à acquérir un véhicule ou à construire sa villa.

Ces exemples peuvent paraître extrêmes, mais ont l'avantage de nous transposer du terrain de l'abstrait vers celui du vécu. En clair, et à moins de vouloir nier l'évidence, l'argent et les libéralités ont fait leur preuve en tant qu'instruments « efficaces » d'inféodation, de manipulation et d'achat des consciences. Et combien de journalistes ne recenserait-on pas ici comme ailleurs qui doivent leur réussite sociale à ce genre de compromissions dont ils se sont rendus complices non sans savoir qu'ils foulaient aux pieds les règles cardinales du métier.

A l'occasion d'échanges informels, nombreux sont les confrères ayant avoué, qu'en
certaines circonstances, il faut être un homme de caractère pour renifler l'odeur de
l'argent et reculer devant certains appâts de gains faciles. Il n'est pas donné à tous les

journalistes de tenir bon et de pouvoir raison garder devant l'argent frais qui vient jusqu'à vous, vous agresser. « Il n'est pas bon de cracher sur l'argent ; c'est un sacrilège» vous dira-t-on dans certains milieux et le prétexte est tout trouvé. C'est dire aussi à quel point notre société africaine n'est pas entièrement favorable à tout ce qui peut s'apparenter à une attitude de suffisance ou de mépris vis-à-vis de l'argent et de celui qui le donne de bonne foi. Malgré tout, la bonne foi affichée par le donateur n'exclut pas la prudence.

Retenons encore que le procès de la vénalité est l'un des plus mauvais que l'on puisse intenter à un journaliste. L'obsession du lucre ne fait pas bon ménage avec l'éthique journalistique ou du moins, il constitue un versant très glissant, un objet de chute pour le journaliste. L'argent a la mauvaise réputation de diviser et il divise en effet les Rédactions.

On a beau dire que la dépendance financière est la pire des dépendances, mais faut-il croire que c'est parce qu'ils ignorent ce catéchisme journalistique que les professionnels des médias succombent à la tentation de l'argent et autres libéralités ? Apparemment, non. Pour les uns, l'état de besoin constitue un handicap objectif à une pratique rigoureuse de l'éthique professionnelle. Pour d'autres, plus cupides, l'argent n'a pas d'odeur. D'autres encore défendent des positions plus nuancées du genre : « je n'ai rien à me reprocher face à un don gracieux que je n'ai ni suscité ni réclamé ».

En effet, quelle sera la condamnation de ceux-là qui sont assez scrupuleux pour ne jamais tendre la main mais qui ne font jamais à leur donateur l'affront du refus ? Eh bien, ils ne sont pas à l'abri des surprises et doivent s'attendre un jour ou un autre à payer un lourd tribut, celui de l'amitié intéressée, à leur liberté d'expression et d'action. A moins de démontrer qu'un homme politique ou un homme d'affaires puisse offrir des

libéralités à un journaliste sans arrière-pensée. Possible, mais dans 75 % des cas, cela risque d'être une condamnation sinon un conditionnement pour l'avenir.

Dans son édition du 27 novembre 2002 (n° 9748), le quotidien sénégalais Le Soleil, a fait état d'un cas digne de servir de leçon aux journalistes friands de libéralités. A l'issue d'une conférence publique, rapporte le journal, un homme politique sénégalais aurait offert un million de FCFA aux journalistes chargés de la couverture de l'événement et certains d'entre eux se seraient partagés ladite somme.

Face à ce manquement à la déontologie journalistique, la réaction du SYNPICS (Syndicat des professionnels de l'information et de la communication) n'a pas tardé. Celle-ci, contenue dans un même communiqué, a été d'autant plus intéressante qu'elle paraissait instructive pour chacune des deux parties.

A l'attention des journalistes, le SYNPICS déclare :

« les faits portant gravement atteinte à la dignité et à la crédibilité de la presse, quelles que soient les considérations liées aux moyens, montants, intentions et circonstances de cette affaire ».

A l'adresse des hommes politiques et organisateurs de manifestations, le SYNPICS indique :

« qu'il n'est pas une obligation pour eux d'intéresser, sous quelque forme que ce soit, les journalistes chargés de la couverture médiatique. Une telle charge revient aux différentes Rédactions qui se doivent de mettre leurs employés dans les meilleures conditions d'accomplissement de leur mission ».

L'argent, à prendre ou à laisser ? En vérité, c'est davantage une question d'éthique que de déontologie. Toujours est-il que les confrères ont leur petite idée sur les mesures préventives à initier pour limiter les dégâts. Il s'agirait par exemple, selon Claude Agossou, de doter la Rédaction d'un service financier capable de payer les primes aux équipes de reportages avant leur départ sur le terrain. Cela pourrait bien produire quelques effets sur ceux qui ne sont pas d'une cupidité sans bornes.

L'organisation d'une communauté et les règles qu'elle se donne,
acceptées et consenties librement par ses membres,
permettent parfois de résoudre plus facilement les conflits
que ne le sont les seules lois officielles »
Juristes Solidarités, Programme 2000 - 2003, p.7

Section III

LES MODES D'AUTOREGULATION

CHAPITRE I

I. LA CONFERENCE DE REDACTION

1.1 La conférence de rédaction : espace de confraternité et de vérité

La conférence de rédaction est une instance professionnelle des journalistes appartenant à un même service de l'Information. Elle constitue l'une des marques distinctives des rédactions qui utilisent justement cette instance professionnelle à des fins de structuration, de cohésion et de gestion des ressources intellectuelles et humaines. La conférence de rédaction offre, en outre, le moyen à toute Rédaction de tester sa capacité d'organisation et de dialogue internes.

Lieu d'échanges, arbre à palabres, espace de prise de décisions, forum de retrouvailles, de communion et de défoulement. La conférence de rédaction est tout cela à la fois ! Autant on y discute de sujets sérieux et graves, autant on s'attarde sur des vétilles. Autant on y prononce des sentences, autant on y décerne des satisfecits. Ainsi, rares sont les conférences de rédaction qui se terminent sur une note grave. Les journalistes ayant eux-mêmes l'art de ces pirouettes qui leur permettent de se frayer des portes de sorties heureuses même au terme des conférences de rédaction les plus houleuses et les plus heurtées.

En fait, à bien y regarder, la conférence de rédaction est à la fois un espace de confraternité, de convivialité et de vérité. Là-dessus, les avis sont convergents à en juger par les propos de Henri Assogba de Radio-Bénin, qui souligne le partage de joies et de peines à travers le contact permanent et les exigences du travail en équipe. Ce que ne dément pas son confrère Serge Mathias Tomondji, rédacteur en chef technique du quotidien Adjinakou lui aussi très sensible au fait qu'on y passe beaucoup de temps

ensemble et qui souligne : « dans une rédaction de presse, il n'y a pas de barrière étanche entre les diverses sections. Le rédacteur en chef n'est pas et ne se comporte pas comme le chef d'un Bureau ou d'une Division administrative qui traiterait ses collègues avec une certaine distance. Dans la presse, on peut très bien avoir des débats houleux en conférence de rédaction et se retrouver l'instant d'après, autour d'un café ou d'une bière».

Supposée être la chose la mieux partagée dans le monde des médias, la tenue régulière des conférences de rédaction se révèle moins évidente à l'épreuve. Tenir une conférence de rédaction relève parfois de la croix et la bannière. S'ils sont assez nombreux à en admettre le principe, c'est dans la pratique, hélas, que s'observent les plus grandes défaillances.

La conférence de rédaction est en principe quotidienne. Elle peut prendre une dimension plus élaborée, plus solennelle dans certaines circonstances particulières : lendemain d'un remaniement ministériel, paralysie de l'administration publique et privée pour fait de grève, rencontre internationale d'importance ou conférence au sommet, en période électorale où une répartition plus rigoureuse des tâches est indispensable. Des consignes professionnelles plus fermes sont données aux différents reporters envoyés sur le terrain. Mais plutôt que d'en faire une exigence ponctuelle ou événementielle, les rédactions gagneraient à systématiser ce rituel dont les effets ne se mesurent qu'en termes d'avantages. Et cela confirme tout le bien que Henri Assogba, journaliste à la Radiodiffusion nationale du Bénin, pense de la conférence de rédaction : « la crainte de se faire remonter les bretelles par des collègues ou d'être toujours indexé comme celui qui collectionne les fautes professionnelles amène à faire plus attention dans l'exercice

quotidien de la profession. A terme, on obtient une plus-value de qualité des prestations »

De même, c'est à l'occasion des conférences de rédaction que le journal prend forme aussi bien dans son contenu que dans sa forme. Le calibrage du journal est aussi l'un des objectifs de la conférence de rédaction. Toutes ces étapes assurent une appropriation collective des éditions du journal qui devient ainsi l'oeuvre de chacun et de tous. Mais, paradoxalement, les conférences de rédaction ne font pas toujours le plein des effectifs en position de travail. Elles n'ont pas beaucoup de succès malgré toute la peine que se donne la Rédaction en chef pour rallier le maximum de confrères à sa cause, allant parfois jusqu'à recourir à des méthodes coercitives.

Manifestement, les conférences de rédaction sont boudées par certains journalistes pour diverses raisons objectives ou subjectives. C'est en effet l'un des rares lieux où le journaliste subit la sanction de ses pairs; un moindre mal par rapport à une décision de justice qui peut marquer à jamais la carrière !

En décrivant la typologie des questions mises en débat à la conférence de rédaction, Claude Agossou, journaliste de Radio-Bénin, cite des cas qui en réalité sont es plus courants :

- un du confrère qui rate un reportage en ignorant les faits les plus marquants ; - un confrère qui, lors d'une interview se laisse écraser par son interlocuteur.

En effet, un reportage mal écrit, un commentaire partial, une interview fade ou encore un magazine déséquilibré n'échappe pas à la critique voire à la sentence de la conférence de rédaction. C'est donc une instance redoutée par tous ceux-là qui sont allergiques à la contradiction, mais aussi par ceux qui estiment avoir d'autres chats à

fouetter, quoique son pouvoir ne dépasse guère celui d'un <<tribunal d'honneur », plus apte à honnir qu'à punir. C'est ce caractère symbolique du pouvoir de sanction de la conférence de rédaction que Godefroy Chabi, journaliste à Radio-Bénin, tente de restituer en indiquant qu' << on y formule des critiques touchant au contenu professionnel. Ces critiques sont formulées par des journalistes en direction de journalistes et ne sont accompagnées d'aucune purge au sens classique du terme mais fonctionnent plutôt comme des dispositifs visant à améliorer le travail dans sa globalité au sein de la Rédaction ».

Seulement, cette notion de <<tribunal d'honneur » ne semble pas du tout convenir à certains confrères. Jacques Philipe da Matha, ancien directeur général de l'ORTB, est de ceux-là et il s'en explique : << ...ce n'est que le cadre où se conçoit le journal; le cadre où les journalistes d'une Rédaction discutent du contenu du journal de la veille et arrêtent les grandes lignes du journal du jour. Il ne s'agit nullement d'un tribunal qui prononce des arrêts ».

Hélas, aussi longtemps que des confrères se complairont dans une attitude de boycott, ce serait un leurre d'espérer améliorer la qualité des conférences de rédaction. Car, ainsi que cela se doit, la conférence de rédaction est l'affaire des vivants et non des fantômes. D'où cette relation évidente entre l'absentéisme obstiné de la majorité et la banalisation des conférences de rédaction et leur déclin tant dans le principe que dans leur teneur.

Le rédacteur en chef le plus doué et le plus ingénieux du monde ne parviendra jamais tout seul, à faire rayonner une conférence de rédaction si autour de lui, se trouvent des collaborateurs plutôt décidés à déserter le forum et pire, à battre campagne contre cette instance. Question de bonne foi: la meilleure attitude à recommander à tous ces

« ennemis » et autres fuyards de la conférence de rédaction, c'est la sagesse et le retour à la raison. Entre la nécessité pour eux de se convertir aux bonnes habitudes et la perspective trop illusoire de réussir à faire décréter le caractère facultatif de la conférence de rédaction, la cause est pratiquement entendue. Bien au contraire, la conférence de rédaction à Radio-Bénin a plutôt de beaux jours devant elle. Du moins, si cela ne tenait qu'à la volonté de Jacques Philippe da Matha, ancien directeur général de l'ORTB qui trouve de nombreuses vertus à cette instance professionnelle en indiquant notamment que « la conférence de rédaction favorise une ouverture d'esprit, élargit l'horizon des connaissances, crée la convivialité, favorise la modestie, l'humilité, l'affirmation de soi et la reconnaissance des autres ».

1.2 La conférence de rédaction pour y laver le linge sale

Invariablement, l'ensemble des confrères sondés ont été unanimes à citer la conférence de rédaction comme meilleure approche en matière d'autorégulation au sein des Rédactions. Et ce n'est point exagéré de l'assimiler à une machine à laver le linge sale en famille. Le témoignage de ce confrère de Radio-Bénin, Maurice Mahounon, ne fait que corroborer cette thèse: « Un jour, j'ai demandé à un collègue d'enregistrer son reportage pour l'édition du soir. Il a refusé et il s'est ensuivi une vive discussion entre nous. Le différend a été porté devant la conférence de rédaction qui a arbitré et tranché le contentieux après avoir permis à chaque collègue d'émettre son avis sur la question». Dans cette même veine, il ajoute : « un autre jour, deux collègues voulant coûte que coûte faire le même reportage se sont retrouvés nez à nez sur le terrain et cela a dégénéré. C'est en conférence de rédaction qu'un terrain d'entente a été trouvé et les deux collègues se sont mutuellement présenté des excuses ».

En clair, laver le linge sale en famille, c'est aussi permettre aux journalistes de faire leur cuisine interne, de se flageller, de s'auto-flageller et de s'amender entre les quatre murs de la Rédaction, un peu comme dans un couvent. Cette manière de faire a ceci d'élégant qu'elle permet de ne pas exposer le collègue en faute à un blâme extérieur ou à la risée de l'opinion publique ; mieux, elle permet de faire l'économie d'un recours aux instances classiques et officielles de régulation telles que l'Observatoire de la déontologie et de l'éthique dans les médias (ODEM) et la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC). A titre d'illustration, voici un témoignage rapporté par un confrère de Radio-Bénin: « il s'agit d'un collègue qui a perçu les frais de mission pour une enquête de terrain et qui s'est contenté de pondre son reportage dans les quatre murs de sa chambre. L'impair a été découvert in extremis avant diffusion. Certes, le public n'a pas été informé de ce bidonnage mais l'intéressé a été sermonné et s'est vu obligé d'aller réellement sur le terrain ».

Il n'y a donc aucun doute là-dessus, la conférence de rédaction est un puissant moyen d'autorégulation même si la coopération attendue des journalistes n'est pas toujours au rendez-vous, notamment de la part de ceux-là qui sont allergiques à la critique. Question d'humilité ou de sociabilité ? Question de bonne foi ? Voici en tout cas l'interprétation qu'en fait Serge Mathias Tomondji, rédacteur en chef technique au quotidien Adjinakou : « certains n'acceptent que du bout des lèvres le fait que le linge qui était sali, est finalement lavé et propre. Mais cela relève tout à la fois de l'éducation de chacun, de sa capacité à transcender la situation qui a sali le linge pour ne considérer désormais plus que le linge ».

Pour démontrer que tout n'est pas toujours rose en matière d'autorégulation, Serge

rédaction, un des rédacteurs en chef a essuyé un acte caractérisé d'insubordination. L'un des journalistes de la Rédaction s'emporta de façon véhémente contre le rédacteur en chef qui s'insurgeait contre le fait que les papiers28 ne tombaient pas à temps et critiquait la propension des membres de la Rédaction à ne faire du zèle que sur les reportages perdiemisés29. Malgré les injonctions d'un autre des rédacteurs en chef du journal qui dirigeait du reste la conférence de rédaction, le journaliste refusa de présenter ses excuses à son supérieur. Il aura fallu 24 heures et une autre conférence de rédaction ainsi que l'ultimatum de se séparer de ce journaliste s'il n'obtempérait pas, pour que celui-ci daigne enfin se plier. Mais, à la vérité, il n'a fait que sacrifier à une formalité d'excuses, sans conviction, puisqu'il n'avait pas arrêté de s'interroger sur le tort qu'il avait commis ». Résultat des opérations, poursuit le confrère: « le linge a été lavé, mais sera-t-il jamais encore propre, notamment entre ces deux principaux acteurs de l'épisode ? Rien n'est moins sûr. Mais, pour positiver l'autorégulation, on pourrait simplement penser comme Magatte DIOP de la RTS-Kaolack30 qu'en la matière, il n'y a pas mieux que le dialogue, la discussion franche et sans détours et le débat sincère.

1.3 Sursaut de professionnalisme sous régime de concurrence

Qu'on ne s'y méprenne pas, les années de monopole de la presse d'Etat sont révolues ; ces années de tranquillité où les journalistes n'avaient pas à se fouler la rate pour meubler leurs éditions: les séminaires et autres communiqués officiels suffisaient à organiser l'hypertrophie de la page nationale, laquelle pouvait être complétée par quelques nouvelles étrangères triées sur le volet. Mais depuis la fin des années 80, force est de reconnaître que, la concurrence aidant, les conférences de rédaction sont rentrées dans une nouvelle dynamique de professionnalisme et d'émulation à Radio-

28 entendre par « papiers » les articles, selon un jargon très journalistique

29 c'est une allusion aux reportages juteux, dont la couverture donne lieu à des enveloppes ou autres largesses

30 station régionale de la Radio-télévision du Sénégal à Kaolack

Bénin. Ainsi, la logique ancienne où le journaliste attendait que l'information vienne jusqu'à lui a cédé la place à une quête plus offensive de l'actualité dans un espace où l'audience est à la fois fonction de célérité, d'exhaustivité et de la fiabilité.

Bref, il aura fallu ce nouvel environnement concurrentiel pour relancer le sens de l'imagination et de l'investigation des journalistes de la presse officielle qui ont dû réapprendre à se servir de la conférence de rédaction comme cadre d'expression, de réflexion et de gestion collective des défis. Elle permet de sauver une édition dépourvue de tout compte-rendu de séminaire et autres activités officielles, de la banalité et de la platitude. C'est souvent grâce aux conférences de rédaction que, parties de rien du tout, des équipes en position de journal ont réussi à donner de l'éclat et un écho spectaculaire à certaines éditions. Il en va de même pour les éditions dominicales où, a priori, l'actualité est réduite à sa plus simple expression. La solution : une conférence de rédaction sérieusement animée, une équipe volontariste, quelques idées lumineuses, un peu de perspicacité, des moyens techniques adéquats et le « miracle» devient possible!

Dans ces conditions, pourquoi ferait-on de la participation aux conférences de rédaction, un devoir facultatif ? Le préjudice pour les rédactions en serait incommensurable en termes de laisser-aller et de légèreté professionnelle. Chacun y viendrait le jour et à l'heure de son choix et donnerait à chaque édition du journal parlé un contenu intéressé au mépris, il faut s'y attendre, de toute déontologie.

Autrement dit, on ne fera jamais assez confiance à un directeur de journal en lui laissant un blanc-seing en ce qui concerne la gestion du contenu d'une édition. Du moins, si le sérieux, la bonne foi et la conscience professionnelle d'un confrère le permettent, il sera possible de lui faire confiance de façon incidente sans cependant

jamais ériger ce type de dérogation en système de gestion des journaux écrits ou parlés.

1.3.1 La gestion du temps

Les conférences de rédaction les plus réussies ne sont pas les plus longues. La qualité d'une conférence de rédaction ne se mesure pas à sa durée et est encore moins fonction du nombre d'interventions enregistrées. L'interminable est la spécialité des indécis, selon le mot de Emil Michel Cioran. Nuance tout de même : il est arrivé que certaines conférences de rédaction aient duré plus de trois heures sans que cela n'ait été particulièrement lassant. Mais en vérité, il s'agit plutôt là de l'exception. Les allées et venues intempestives suivies des craquements des portes sont un baromètre assez fiable de la chute de l'intérêt et des facultés de concentration des participants. Pour des raisons d'efficacité, on gagnerait à faire court. Pour l'ensemble des confrères à qui il a été demandé de fixer la durée raisonnable d'une conférence de rédaction, les réponses s'inscrivent toutes dans cette tendance : « trente minutes! Mais s'il y a suffisamment de choses à dire et si l'actualité est vraiment dense, elle peut aller rigoureusement à quarante cinq minutes et pas plus ».

Autant le dire : certaines conférences de rédaction censées être passionnantes au regard par exemple de l'ordre du jour deviennent désespérément insipides et sans relief de par la volonté délibérée des participants eux-mêmes qui, pour divers motifs, se braquent délibérément dans une politique du mutisme. Cette pratique est monnaie courante dans une Rédaction où prévaut un malaise avoué ou inavoué et qui se traduit par une attitude quasi généralisée de collègues qui déclinent les uns après les autres toute offre de parole de la Rédaction en chef. Ainsi, point de discussion, point

d'opinions à émettre et le débat se meurt faute de "débatteurs". Au rédacteur en chef de comprendre et d'aviser...

Les plus diseurs ne sont pas les grands faiseurs. Ceux qui ont tenu le plus longtemps le crachoir ne seront pas forcément les plus entreprenants au moment de la répartition des articles à produire pour l'édition de 13 heures. Hélas, un journal ne peut pas bâtir son audience sur la capacité à remuer des idées ou sur la loquacité in vitro de ses animateurs ou rédacteurs. Certes, les papiers de fond (analyses et commentaires) qui sont les plats de résistance à servir aux auditeurs sont supposés faire l'objet d'échanges internes à l'occasion de la conférence de rédaction. Mais là ne s'arrête pas le processus. Le plus dur reste à faire tant qu'on n'a pas trouvé la plume rare qui accoucherait du commentaire tant attendu qui ferait mouche...

A défaut de candidats volontaires, il revient au rédacteur en chef de désigner et dans le pire des cas, de s'offrir pour assumer la charge et bien souvent pour donner l'exemple. Moralement, il a quelque part le devoir de ne jamais baisser la garde là où les confrères adoptent un profil bas ou se débinent. Mieux, en pareille conjoncture, il a plutôt un défi à relever : réussir là où les autres ont échoué. Cela en rajouterait à son « grade ». Heureusement, il y en a qui ont réussi à jouer très honorablement cette partition ; tel ce rédacteur en chef qui, pour enseigner par l'exemple, a pris l'initiative d'assurer lui-même le reportage à chaud du braquage d'une banque de la place et la prestation fut digne de celle d'un chef.

En somme, la conférence de rédaction reste un concentré de la vie de la rédaction. Elle
est encore plus un lieu de ralliement, un creuset professionnel quant on sait que
certains confrères, pour cause de programmation non concordante, pourraient passer

deux semaines sans se rencontrer. La Rédaction en chef profite de ces occasions pour redécouvrir et réévaluer les performances mais aussi le moral de la troupe.

Par ailleurs, l'on ne saurait oublier que la Rédaction est une mini cité avec tout son kaléidoscope de tempéraments, de comportements, de sensibilité et d'aspirations. Chacun y vient avec son histoire personnelle. Sont alors condamnés à y cohabiter des modérés et des extrémistes, des médiateurs et des pyromanes, des indécis et des convaincus, des conseillers et des moralisateurs, des « raseurs de murs » et des vedettes, des taciturnes et des trublions, des légalistes et des arrivistes, etc.

Preuve qu'il faut un peu de tout pour faire une Rédaction de presse où la race des mégalomanes ne passe non plus inaperçue. Ces derniers veulent à tout prix tirer une gloire personnelle de la présentation des éditions-phares du Journal parlé ou télévisé dont ils finissent par faire un monopole. Ainsi, dans une Rédaction de presse au Bénin, tout le monde s'est étonné de l'obsession avec laquelle un « doyen » ayant toujours marqué une indifférence pour la présentation du journal, ait un beau jour, exercé une sorte de pression sur ses jeunes confrères pour se voir céder les commandes de l'édition principale. En fait, ce jour n'était pas très ordinaire pour la presse, puisque le nouveau président élu prêtait serment. Eh bien et comme cela crève l'oeil, chacun aura compris que l'édition de ce jour-là devrait avoir un écho exceptionnel et conférer à son directeur, plus de gloriole et de mérite que d'habitude. Seulement, à vrai dire, la gêne voire le dépit de ses confrères est venu de ce que, derrière l'acte de ce doyen, il y avait en réalité moins le souci de bien faire que la prétention de se mettre en valeur et de marquer un grand coup pour lui-même et pour ses « galons ».

1.4 Les sanctions

1.4.1 La fameuse demande d'explication : l'épouvantail !

Dans bien des cas, son effet ne va pas plus loin qu'une simple formalité vis-à-vis d'un fautif qui sait a priori qui ne court aucun risque. La rapidité et la désinvolture avec lesquelles on la remplit, indique bien que cet instrument a perdu sa valeur coercitive.

Et si l'on vous la jetait au visage ? Ce serait évidemment un affront. Et après, qui lavera cet affront ? Autant ne pas trop se fier à l'autorité supérieure qui peut louvoyer pour une raison que vous ne cernerez peut-être jamais. De là proviennent toutes les désillusions du rédacteur en chef qui finit par réaliser qu'en fait, il ne pèse pas bien lourd dans la machine de répression ou le « conseil de discipline » des organes de presse.

Le manque de réaction appropriée de la part de la hiérarchie affaiblit dangereusement celui qui inflige la demande d'explication et érode son autorité qui déjà ne tient qu'à peu de choses. Alors, mieux vaut se garder d'abuser de cette sanction au risque de se ridiculiser. Car, le fétiche que l'on a l'habitude de sortir tous les jours finit par perdre son caractère mystique. Ainsi en est-il de la demande d'explication qui pose en fait tout le problème d'un fouet qui, à défaut de faire mal, amuse et va jusqu'à annuler l'obligation de contrition chez le fautif.

1.4.2 La Rédaction en chef: quel pouvoir de sanction ? Quelle autorité en définitive ?

Souvent condamnée à jouer sur l'esprit de confraternité et de conciliation pour maintenir la barque et sauver son « strapontin », la Rédaction en chef joue son autorité. Laquelle autorité est d'autant plus limitée que celle-ci ne peut exécuter aucune initiative de sanction sans s'en référer elle-même à ses supérieurs hiérarchiques. Mais là n'est pas

le drame si l'on sait que toute administration fonctionne selon le principe des sanctions graduées suivant le niveau de hiérarchie. Ce sont plutôt les risques de disgrâce et de désaveu de la part de l'autorité supérieure qui sont « mortels » pour une Rédaction en chef. Et n'allez pas croire que le pire désaveu soit forcément verbal ou public. Loin de là ! Chaque fois qu'un rapport de la Rédaction en chef concernant l'un de ses administrés est classé sans suite, cela équivaut à une humiliation pour qui croyait sévir mais qui en réalité n'en détient pas le pouvoir.

Parallèlement, il est tout aussi évident que la bonhomie, l'esprit de compromis poussés à l'excès peuvent rendre une Rédaction ingouvernable. Et c'est justement là où le serpent se mord la queue, puisque le cas échéant, l'autorité hiérarchique sera la première à lui demander des comptes. Or, la fermeté sans les moyens de la fermeté ne peut finalement conduire qu'à une impasse. Ainsi devient-on, à s'y méprendre, le dindon d'une farce tranquille.

Interrogés sur l'autorité dévolue à leur rédacteur en chef, les confrères de Radio-Bénin se rangent dans deux camps distincts. Pour les uns, « cette autorité est insuffisante et mérite d'être renforcée surtout lorsqu'il arrive que le rédacteur a affaire à un collaborateur qui se trouve être le protégé politique d'une autorité ou d'un supérieur hiérarchique ». Dans l'autre camp, par contre, l'on estime qu'il faut se garder de tout autoritarisme et pour cause: « trop d'autorité inhibe voire tue l'initiative. Ce qu'on attend d'un rédacteur en chef, c'est qu'il soit un leader; qu'il ait de l'entregent pour faire faire les travaux par les collègues, avec enthousiasme et volonté ».

Abordant la question d'un point de vue plus général, Emmanuel Sotinkon, rédacteur en
chef Enquêtes et Dossiers du journal Adjinakou, adhère plutôt à l'idée que « le
rédacteur en chef est le personnage clé de toute Rédaction. C'est le commandant en

chef qui a sous sa tutelle une troupe. A ce titre, il faut lui obéir, parfois sans discussion. Quant à son autorité, la question n'est pas de la renforcer ou pas, puisqu'il revient au rédacteur en chef de savoir en user sans abuser ».

CHAPITRE II

II. QUELQUES FONDEMENTS ETHIQUES DE L'AUTOREGULATION

La pratique professionnelle fait appel à un certain nombre de règles morales. Ce métier, écrit Gérard Ponthieu, ne saurait se justifier en dehors d'une éthique. Le développement d'une presse responsable et de qualité accompagne la vie démocratique ; l'une et l'autre cheminent de pair; elles ne peuvent grandir l'une sans l'autre »31 Raison pour laquelle, la plupart des confrères sont d'accord pour que soit intégré à tout projet d'assainissement de la profession, une action de réhabilitation de quelques valeurs cardinales que sont : la promotion de la rigueur et de l'honnêteté par l'exemple, l'équité, la probité intellectuelle, l'objectivité, la responsabilité sociale, l'esprit d'équipe, la juste motivation, etc.

2.1 La ponctualité

L'adage bien connu nous apprend que la ponctualité est la politesse des rois. Qui donnera le bon exemple ? Les ministres chargés de prononcer les discours d'ouverture des nombreux séminaires qui se succèdent au quotidien ? Et pourquoi pas le chef de l'Etat attendu à la cérémonie d'ouverture d'un colloque international ? Serait-ce trop lui demander? A force d'être des témoins de la ponctualité au sommet, il est possible que les journalistes qui sont tributaires du programme des officiels finissent eux aussi par prendre le bon pli dans l'hypothèse que la ponctualité puisse être aussi contagieuse que le retard. Mais, entre-temps, peut-être faudra-t-il penser à instituer dans les Rédactions, des primes à la ponctualité.

31 G. PONTHIEU, Le métier de journaliste en 30 questions-réponses, GRET, 1998, p. 17

2.2 L'honnêteté

Pouvoir dire les choses telles qu'elles sont. Tel est le minimum à exiger d'un journaliste. Si l'objectivité est un idéal hors de portée comme l'on semble l'admettre désormais sous tous les cieux, les journalistes devraient en revanche tenir l'honnêteté pour une valeur élevée dans leur pratique professionnelle. A certains égards, elle paraît d'ailleurs moins abstraite que l'objectivité et pourrait dans l'entendement d'un professionnel de l'Information, correspondre au respect du principe du caractère sacré des faits. Restituer les faits sans état d'âme, sans parti pris et ne pas chercher à donner à un événement plus ou moins de valeur qu'il n'en a, constituerait en tout cas de bonnes prémices pour la pratique de l'honnêteté.

Ainsi, l'honnêteté dans le métier voudrait qu'un journaliste chargé d'assurer la couverture médiatique d'un meeting politique ne soit jamais tenté de faire croire à l'opinion publique le contraire de ce dont il a été témoin parce qu'il serait d'un bord politique adverse. S'il a découvert une salle comble, qu'il ne tente pas de faire croire à l'opinion publique que cette salle en question a eu du mal à se remplir. L'honnêteté lui recommande en pareille circonstance, de ne pas faire des omissions volontaires sur des détails significatifs et de ne pas occulter à dessein des déclarations supposées contraires à ses intérêts ou convictions à lui tout seul.

De même, s'il arrive que pour une raison ou pour une autre, un journaliste nourrisse quelque antipathie à l'endroit d'un acteur de la vie politique nationale, il se doit de ne pas en faire porter le préjudice à ce dernier à travers le traitement qu'il fera de l'information recueillie.

S'il se trouve aussi que le reportage qu'est appelé à couvrir un journaliste est commandité par un personnage avec qui il a des relations conflictuelles, il est hors de question qu'il veuille se servir de cette contingence comme une occasion de vengeance. L'honnêteté, entre autres exemples, serait aussi la faculté qu'aurait un journaliste de reproduire un réquisitoire fait à l'occasion d'une conférence de presse contre sa corporation. Il laissera le soin à ses confrères et à ses auditeurs de s'en faire une opinion. Cette dimension de l'honnêteté renvoie le journaliste à son code de déontologie qui lui interdit d'user de sa plume, de son micro ou encore de sa position de faiseur d'opinions pour régler des comptes ou pour se faire justice.

Toujours en vertu de l'honnêteté, un élément d'archives ne sera pas présenté comme un élément d'actualité. De même, un journaliste honnête ne passera pas outre la volonté d'un interviewé en restituant dans les colonnes de son journal ou dans une émission radiotélévisée, une information obtenue « off the record » (hors micro).

2.3 Le sens de la responsabilité sociale

Cette notion de la responsabilité sociale du journaliste semble avoir été bien campée par le journaliste sénégalais Mame Less Camara à qui nous empruntons la métaphore que voici: «les médias sont comparables à des routes et peuvent, à ce titre, servir aussi bien de lieux de passage à des bus d'écoliers qu'à des chars de combat. En clair, les médias incarnent une neutralité telle que leur usage appelle de la part des journalistes une bonne dose de conscience morale» 32De cette métaphore, on peut retenir cette vérité bien établie selon laquelle les médias ne sont bons ou mauvais que par rapport à l'usage qu'on en fait et par rapport aussi à la conscience de ceux qui les manipulent.

Raison pour laquelle, l'autorégulation est une option pleine de risques si l'on n'est pas sûr d'avoir affaire à des journalistes mûrs et pénétrés d'une certaine éthique de la communication qui préserve les meurs, la dignité, les droits humains, la stabilité sociale, le droit à la différence, la paix collective, etc. Car, si la communication a pour vocation première d'informer, il est important que cette information puisse permettre à chacun de conserver et de faire agir sa liberté d'appréciation par rapport à une situation. Le cas de la Radio « mille collines » lors du génocide rwandais est encore frais dans nos mémoires pour nous convaincre de la nécessité d'une démarcation radicale à opérer entre l'information tout court et l'information à des fins de mobilisation, de manipulation ou de subversion.

Et c'est justement à ce sens du discernement qu'invite le professeur Oumar DIAGNE, directeur du CESTI, qui plaide pour un journalisme qui donne du sens à l'activité informationnelle : « quand une information, bien que vraie, vérifiée et vérifiable, risque de déstabiliser la nation au sens profond du terme, ou de compromettre fatalement l'ordre républicain, il serait inintelligent de la livrer en toute légèreté... »33. De même que toute connaissance n'est pas profitable, toute vérité n'est également pas bonne à dire. Il y a d'abord la façon dont elle est dite et ensuite l'intentionnalité de la personne qui l'a dit par rapport au bien de la société. A ce sujet, Communio et progressio signale que « la bonne volonté et les intentions pures, bien qu'indispensables à la morale journalistique, ne suffisent pas. Les communicateurs sociaux doivent traiter l'information en se préoccupant avec la même rigueur de son contenu que de la manière dont elle est transmise au public. Les différences de cultures, de traditions, de sensibilités

33 Article sur « Journalisme et Développement » in Quaderni, n° 36, 1998, p.39

doivent être respectées.» 34 Car, en définitive, à quoi servirait l'information la plus croustillante si elle doit finalement mettre en péril la République?

C'est sûrement là l'un des plus gros défis de l'autorégulation qui, a priori, se fonde sur le principe que les journalistes, au sein de leurs Rédactions, seront assez sages et perspicaces pour choisir et décider ce qui est bon à savoir par l'opinion publique et qui, par ailleurs, protège les équilibres institutionnels et sociaux ainsi que les intérêts de la République et du citoyen.

2.4 Quid de l'intégrité morale?

C'est sûrement la solution la plus simple que de faire comme tout le monde pour ne pas avoir à trop déranger les autres. Du moins, cela est tentant. Mais, heureusement, les modèles d'intégrité, même s'ils sont assez rares existent encore et l'on peut citer l'exemple de cet ancien rédacteur en chef de Radio-Bénin (1998) qui a su retourner à l'envoyeur un billet de 5000 FCFA qui accompagnait un communiqué de presse dans le but d'en faciliter la diffusion. Il l'aurait accepté qu'il aurait non seulement trahi son code d'éthique mais il aurait également créé un manque à gagner à l'Office de Radio et Télévision du Bénin (ORTB) qui dispose d'un service de Relations Publiques chargé de facturer et d'encaisser les bénéfices générés par certaines prestations de Radio-Bénin.

Seulement, à un moment où tous les repères sont en péril, il est difficile de prêcher la vertu, même si les esprits les plus sages enseignent qu'il n'y a du mérite que dans ce qui est hors du commun. Alors, refuser un perdiem sur le lieu d'un reportage doit-il entraîner pour son auteur railleries, inimitiés et menaces? Si oui, faut-il aller vers la solution conventionnelle qui consiste à faire comme tout le monde? Autrement, que

34 UCIP, Pour une société de communication, Editions Cana, 1981, p.55

faire si le droit à la différence heurte trop de sensibilités et vous met en quarantaine dans votre propre corporation ? A ces questions, il ne saurait avoir de réponses écrites. A chacun selon sa conscience!

CONCLUSION

« Les loups ne se mangent pas entre eux » a-t-on coutume de dire pour illustrer un certain réflexe d'auto-défense propre à des êtres semblables ou à des catégories d'acteurs liés par des intérêts communs. Curiosité : y aurait-il une quelconque similitude entre cette loi de la jungle et l'autorégulation journalistique ?

En principe, non ! Sauf que, vis-à-vis de l'opinion publique, les journalistes ont la lourde responsabilité de démontrer, par l'exemple, que l'autorégulation qu'ils prônent ne relève ni d'un protectionnisme frileux ni d'une stratégie de parade systématique contre la critique extérieure. Car, il ne sera pas superflu de convaincre les usagers des médias et partenaires de la presse qu'il ne s'agit pas pour les professionnels de l'information de chercher à se dérober à la mise à l'épreuve publique de leurs actions. Et pourtant, c'est bien ce risque que soupçonne Cyril Lemieux lorqu'il écrit : « l'impératif de communication, rappelons-le, est ce principe apparu avec la crise de la modernité organisée, en vertu duquel nul n'est censé pouvoir se retrancher derrière les prérogatives attachées à son statut, pour imposer unilatéralement ses vues ou se dérober à un examen public de sa compétence ou de son action »35

Cyril Lemieux qui semble plutôt se réjouir du retournement de ce principe contre les journalistes y voit en plus un principe régulateur du travail journalistique et renchérit : « il est demandé aux journalistes dont l'activité ébranle les statuts et les sécurités de leurs concitoyens, d'expliquer à leur tour publiquement les ressorts et les conditions de leur action et de justifier leurs choix »36.

35 LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse, Editions Métailié, 2000, p. 94

36 LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse, Editions Métailié, p. 94

Loin d'être isolé ou marginal, ce point de vue semble être partagé par nombre d'intellectuels, comme c'est le cas de la sociologue sénégalaise Fatou Sarr qui estime qu'« il est nécessaire pour le citoyen de contrôler les professionnels de la communication parce que la presse participe à la transformation de la société, soit en l'améliorant, soit en la régressant »37.

Preuve que, loin d'être une esquive, un effet de ruse ou encore une échappatoire à la sanction, l'autorégulation, telle que nous en rêvons pour Radio-Bénin, est plus exactement une école de la responsabilité et le signe que cette responsabilité est arrivée à maturité. Et c'est bien cette maturité dans l'approche et la gestion des conflits internes à la Rédaction qui autorise à penser et donne à espérer que, devant la sanction de ses pairs, le journaliste fera amende honorable. Et pourtant, bien que ce principe soit clamé haut et fort par les journalistes, on s'aperçoit dans le fonctionnement des Rédactions de presse qu'il n'est pas toujours aisé pour le groupe de faire entendre raison à l'individu ; il n'a pas toujours été évident pour le système de s'imposer à l'acteur. Ceci, pour la simple raison que les ambitions et les motivations des uns sont souvent très éloignées de celles des autres et que les jeux de pouvoir, les stratégies de positionnement et les quêtes d'autonomie et mêmes les discours sont très différenciés.

Tant mieux pour cet espace public en miniature où, du reste, une éthique de la compétition reste à inventer si l'on sait que, dans leurs interactions, les journalistes d'une même Rédaction ont autant la capacité de s'épauler, de solidariser et de se liguer contre l'adversaire commun que celle de s'inhiber face à certains enjeux de carrière (promotion et positionnement). Ainsi, les convoitises autour des postes d'attaché de presse, de rédacteur en chef, de directeur , la course vers les cabinets ministériels, les appétits de pouvoir, la chasse aux missions « juteuses » et aux reportages

37 cf Interview accordée à Sud-Quotidien à l'occasion de la Journée mondiale de la presse (03 mai 2004)

« perdiemisés »38...sont parfois si féroces que les protagonistes ne s'embarrassent guère de l'esprit de confraternité.

De même, le projet de faire de la conférence de rédaction, un espace courtois et civilisé de communication organisationnelle fait appel à toute une éthique de la discussion où la recherche de l'argument meilleur, au sens où l'entend Jürgen Habermas, s'imposerait comme seul critère de délibération des débats. Le mérite pour les Rédactions de presse serait de donner de la hauteur, du charme, de l'élégance et du sens à leurs joutes oratoires.

Aussi, faudra-t-il pousser le plus loin possible le sens de la responsabilité en impliquant chaque journaliste de la Rédaction dans la réflexion, la conception et l'adoption d'un Code de bonne conduite de sa Rédaction. A vrai dire, l'enjeu serait moins le code luimême que l'obligation morale qu'il devra inspirer à ses propres auteurs et co-auteurs. Car, s'il est vrai que l'on est naturellement plus enclin à valoriser et à défendre l'oeuvre de son propre génie, il est alors hors de tout entendement que des journalistes en viennent à trahir les principes qu'ils se seraient librement donnés.

Autant pour Radio-Bénin que pour d'autres organes de presse, les Rédactions ne sont homogènes qu'en apparence puisque, de nombreuses alliances ou expériences de coopération ne reposent que sur des intérêts du moment, les exigences de rendement par la collaboration et les contraintes d'une cohabitation professionnelle. Sans plus ! Or, à bien y réfléchir, l'harmonie des Rédactions ne se fera que par un accroissement du sentiment d'identification des journalistes à leur Rédaction. Ce qui implique que les rédacteurs en chefs et les directeurs d'organes soient plus attentifs à des facteurs tels que : le niveau de partage des objectifs de la Rédaction, le niveau de satisfaction des

38 Des reportages ayant pour enjeux le perdiem ou toute autre forme de rétribution

attentes, la fréquence des interactions, la multiplicité ou non des compétitions internes, les sources de motivations qui, (attention!) ne sont pas que d'ordre matériel et pécuniaire, mais peuvent, sait-on jamais, simplement s'exprimer en termes de passion, d'idéal, de besoin de valorisation personnelle, de quête de légitimité, d'écoute, de reconnaissance, etc.

En somme, et pour y revenir, l'autorégulation empruntera quelque chose à chacune et à l'ensemble de ces variables. Mais fondamentalement, l'on retiendra pour de bon qu'elle est tout sauf une tour d'ivoire pour journalistes réfractaires à la mise à l'épreuve critique du citoyen. Plutôt que d'être perçue et vécue comme la garantie d'une quelconque immunité professionnelle, l'autorégulation doit absolument se fonder sur la responsabilité et l'aptitude à l'auto-évaluation pour devenir ce qu'on attend véritablement d'elle : une chance pour le management participatif et dynamisant des Rédactions de presse.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

OUVRAGES

ACCARDO (Alain), Les journalistes au quotidien, Editions Le Mascaret, Bordeaux, 1995

GUERY (Louis), Le secrétariat de rédaction, de la copie à la maquette de mise en page, Paris, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, 1990, 422 pages

JAMEUX (Claude), Sciences de la société - les organisations au risque de l'information, N° 33, Presses Universitaires du Mirail, octobre 1994

LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse - une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, éditions Métaillé, 2000

SERVAN-SCHREIBER (Jean-Louis), Le pouvoir d'informer, éditions Robert Laffont PONTHIEU (Gérard), Le métier de journaliste en 30 questions-réponses, GRET, 1998 TUDESQ (André-Jean), L'Afrique parle, l'Afrique écoute, Karthala, Paris, 2002

WORLD PRESSE COMMITTEE (Comité mondial pour la presse) et EDILIS, Manuel des journalistes africains, 2000

WOODROW (Alain), Information Manipulation, éditions du Félin, 1991

JOURNAUX / REVUES / PUBLICATIONS

· Quaderni, la revue de la communication, Edition Sapienta, n° 36, Paris, 1998

· Médiactions, revue de l'institut PANOS, magazine sur l'information et la communication en Afrique, octobre - décembre 2002, Dakar, N°32

· Sud-Quotidien, (quotidien sénégalais, paraissant à Dakar), n° du 04 mai 2004.

SITES WEB

www.mediabenin.org www.izf.net

www.gret.org

www.officecom.qc.ca

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

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BRISSARD F., Le manager et les médias, Editions d'Organisation, 1998

BROUKER (de) J., Pratique de l'information et écritures journalistiques, CFPJ, 1995 CORMERAIS F., MILON A., La communication ouverte, Editions Liaisons, 1994 DETRIE Ph., MESLIN-BROYEZ C., La communication interne au service du management, Collection « Communication/Innovation », Editions Liaisons, 1995 DORDOR X., La presse professionnelle, Dunod, 1998

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FLORIS B., La communication managériale, PUG, 1996

GABAY (Michèle), La nouvelle communication de crise - concepts et outils, Editions

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GUERY (Louis), Le secrétariat de rédaction, de la copie à la maquette de mise en page, Paris, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, 1990, 422 pages

HUSSON D., Profession journaliste, Eyrolles, 1991

LEHNISCH (Jean-Pierre), la communication dans l'entreprise, Que sais-je ? n° 2229, 3ème édition, 1991

LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse - une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, éditions Métaillé, 2000

OGRIZEK M., La communication de crise, PUF, 1997

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WOODROW (Alain), Information Manipulation, éditions du Félin, 1991

PERSONNES RESSOURCES

AGOSSOU Claude, journaliste à la Radiodiffusion nationale du Bénin, actuellement en service à INADES-Formation à Abidjan (Côte d'Ivoire)

ASSOGBA Henri, journaliste à la Radiodiffusion nationale du Bénin

AZOKPOTA Fernand, journaliste, ancien Conseiller à la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication (HAAC)

CHABI Godefroy, journaliste à la Radiodiffusion nationale du Bénin

Da MATHA Jacques Philippe, journaliste à la retraite, ancien Directeur Général de l'Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB)

DIAGNE Oumar, professeur titulaire des universités, directeur du Centre d'Etudes des Sciences et Techniques de l'Information (CESTI) - UCAD

DIOP Magatte, journaliste, chef de station de la Radio-Télévision du Sénégal (RTS) à Kaolack

MAHOUNON Maurice, journaliste à la Radiodiffusion nationale du Bénin

TOMONDJI Serge, journaliste, rédacteur en chef technique du quotidien béninois « Adjinakou », paraissant à Porto-Novo

SOTINKON Emmanuel, journaliste, Rédacteur en chef Enquêtes au quotidien béninois « Adjinakou », paraissant à Porto-Novo

DIOGO Christophe Pelu, ancien directeur de Radio-Bénin, de 1996 à 2001

A N N E X E S

ANNEXE 1

CODE DE LA PRESSE BENINOISE

Déclaration des devoirs

Dans la recherche et le traitement de l'information ainsi que le commentaire des événements, les devoirs essentiels du journaliste sont :

Article 1

Le journaliste est tenu de respecter les faits, quoique cela puisse lui coûter personnellement, et ce en raison du droit que le public a de connaître la vérité.

Article 2

Le journaliste publie uniquement les informations dont l'origine, la véracité et l'exactitude sont établies.

Le moindre doute oblige à s'abstenir ou à émettre les réserves nécessaires dans les formes professionnelles requises.

Le traitement des informations susceptibles de mettre en péril la société, requiert du journaliste, une grande rigueur professionnelle et, au besoin, une certaine circonspection.

Article 3

Les fausses nouvelles et les informations inexactes publiées doivent être spontanément rectifiées.

Le droit de réponse et le droit de réplique sont garantis aux individus et aux organisations dans les conditions prévues par la loi. Le droit de réponse et le droit de réplique ne peuvent s'exercer que dans l'organe qui a publié l'information contestée.

Article 4

Le journaliste respecte les droits de l'individu à la vie privée et à la dignité.

La publication des informations qui touchent à la vie privée de l'individu ne peut être justifiée que par l'intérêt public.

Article 5

En dehors de la rémunération qui lui est due par son employeur dans le cadre de ses services professionnels, le journaliste doit refuser de toucher de l'argent ou tout avantage en nature des mains des bénéficiaires ou des personnes concernées par ses services, quelle qu'en soit la valeur et pour quelque cause que ce soit.

Il ne cède à aucune pression et n'accepte de directive rédactionnelle que des responsables de la rédaction.

Le journaliste s'interdit tout chantage par la publication ou la non-publication d'une information contre rémunération.

Article 6

Le journaliste s'interdit le plagiat, la calomnie, la diffamation, l'injure et les accusations sans fondement.

Article 7

Le journaliste garde le secret professionnel et ne divulgue pas la source des informations obtenues confidentiellement.

Article 8

Le journaliste est libre de prendre position sur n'importe quelle question.

Il a l'obligation de séparer le commentaire des faits. Dans le commentaire, il doit tenir scrupule et le souci de l'équilibre pour règles premières dans la publication de ses informations.

Article 9

L'information et la publicité doivent être séparées.

Article 10

Le journaliste se refuse à toute publication incitant à la haine tribale, raciale et religieuse.

Il doit proscrire toute forme de discrimination.

Il s'interdit l'apologie du crime.

Article 11

Le journaliste s'interdit les titres sensationnels sans commune mesure avec le contenu des publications.

Article 12

Aucune information ne doit être altérée ni supprimée tant qu'elle ne porte pas atteinte à la sécurité de l'Etat.

Article 13

Le journaliste est responsable de ses publications, du choix des photographies, des extraits sonores, des images et de son commentaire, et ceci en accord avec ses supérieurs hiérarchiques.

Il signale, de façon explicite, un reportage qui n'a pu être filmé mais qui a été soit reconstitué, soit scénarisé.

Il avertit s'il s'agit d'images d'archives, d'un <<faux-direct» ou d'un <<direct », d'éléments d'information ou de publicité.

Article 14

Le journaliste évite d'utiliser des méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des illustrations.

Article 15

Le journaliste respecte et protège les droits des mineurs en s'abstenant de publier leurs photographies et de révéler leur identité.

Article 16

Le journaliste doit s'abstenir, autant que possible, de publier des scènes de violence, des images macabres et obscènes.

Article 17

Le journaliste doit rechercher la confraternité.

Il s'interdit d'utiliser les colonnes des journaux ou les antennes, à des fins de règlement de compte avec ses confrères.

Le journaliste ne sollicite pas la place d'un confrère, ni ne provoque son licenciement en offrant de travailler à des conditions inférieures.

Article 18

La fonction d'attaché de presse, de chargé de relations publiques et autres fonctions assimilées, est incompatible avec l'exercice cumulé de la profession de journaliste. Article 19

Avant de produire un article ou une émission, le journaliste doit tenir compte des limites de ses aptitudes et ses connaissances.

Le journaliste n'aborde ses sujets qu'après avoir fait un minimum d'effort de recherche ou d'enquête.

Le journaliste doit constamment améliorer ses talents et ses pratiques professionnelles en se cultivant et en participant aux activités de formation permanent organisées par les diverses associations professionnelles.

Article 20

Tout manquement aux dispositions du présent code de déontologie expose son auteur à des sanctions disciplinaires qui pourront lui être infligées par les instances d'autorégulation des médias et les associations professionnelles.

Le journaliste accepter la juridiction de ses pairs, ainsi que les décisions issues des délibérations des instances ci-dessus mentionnées.

Le journaliste s'oblige à reconnaître la législation en matière de presse.

Déclaration des droits

Tout journaliste doit, dans l'exercice de sa profession, revendiquer les droits suivants : Article 21

Le journaliste, dans l'exercice de sa profession, a accès à toutes les sources d'information et a le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique.

Article 22

Le journaliste a le droit de refuser toute subordination contraire à la ligne éditoriale de son organe de presse

Article 23

Le journaliste, dans l'exercice de sa profession, peut invoquer la clause de conscience. Il peut refuser d'écrire ou de lire des commentaires ou éditoriaux politiques contraires aux règles de déontologie de la profession ou d'être le censure des articles, oeuvres radiophoniques et télévisuelles de ses pairs, sur des bases autres que professionnelles.

En cas de conflit lié à la clause de conscience, le journalise peut se libérer de ses engagements contractuels à l'égard de son entreprise, dans les mêmes droits qu'un licenciement.

Article 24

Le journaliste doit, sur toute l'étendue du territoire national, et ce sans condition restriction à la sécurité de sa personne, de son matériel de travail, à la protection légale et au respect de sa dignité.

Article 25

L'équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l'entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction: embauche, licenciement, mutation et promotion de journalistes.

Article 26

En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat individuel assurant la sécurité matérielle et morale ainsi qu'à une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et qui garantisse son indépendance économique.

Fait à Cotonou, le 24 septembre 1999

ANNEXE 2

CODE DE CONDUITE DES JOURNALISTES DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC39

> Considérer les publics auxquels l'on s'adresse comme des citoyens et non comme des consommateurs ;

> Respecter les droits démocratiques des citoyens en imposant l'égal accès à l'information des composantes représentatives de la société civile ;

> Appliquer la règle des trois tiers en faisant en sorte que le gouvernement use de son droit de parole sur son action publique, que la majorité parlementaire s'exprime sur son soutien au gouvernement et que l'opposition parlementaire puisse donner son opinion sur l'action gouvernementale ;

> S'obliger à la vigilance et à l'exactitude des faits dans leurs reportages, à

l'équilibre dans le traitement de l'information et dans la programmation :

interdiction formelle de privilégier unilatéralement des intérêts spécifiques ;

> Le journaliste du service public ne peut être membre actif d'un parti politique ;

> La couverture d'un événement doit être du seul ressort de la rédaction et des

journalistes et non de l'injonction des pouvoirs politiques ;

> Les journalistes doivent mettre l'accent sur la lutte contre la violence et la prostitution et pour la promotion des informations adaptées au besoin du monde rural, de la jeunesse, de la femme et des couches défavorisées ;

> Garantir à tous les citoyens la possibilité de s'exprimer sur les questions d'intérêt général;

39 S.T. BALIMA, portefeuille de lecture: principes et pratiques du journalisme, DESS 2005-2006 Option Journalisme, Centre d'Expertise et de Recherche Africain sur les Médias et la Communication (CERAM), Ouagadougou, pp. 10-11.

> Séparer le fait du commentaire et rechercher en tout temps la vérité et l'objectivité ;

> La sélection des nouvelles doit être dictée par l'intérêt exclusif des citoyens et par le droit d'accès à l'information, ce qui requiert honnêteté, discernement et impartialité.

ANNEXE 3

MISSION DE L'OBSERVATOIRE DE LA DEONTOLOGIE
ET DE L'ETHIQUE DANS LES MEDIAS (ODEM)

L'ODEM qui a démarré ses activités le 3 mai 1999 a pour mission de :

s Faire respecter les règles de déontologie dans les médias

s Protéger le droit du public à une information libre, complète, honnête et exacte s Défendre la liberté de presse

s Veiller à la sécurité des journalistes dans l'exercice de leur fonction et de garantir

leur droit d'enquêter librement sur tous les faits concernant la vie publique s Mener des recherches et des réflexions sur l'évolution des médias.






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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon