v Espaces masculins ouverts / espaces féminins
fermés
Que ce soit une maison ou un appartement, le logement d'une
famille hmong est un lieu bruyant, animé, traversé par les
enfants, les « cousins »... Très souvent la
télévision fonctionne sans qu'on y prête une attention
véritable. Chacun entre et sort selon ses envies ou ses besoins.
Pourtant dans cet espace domestique, sous un désordre apparent, on peut
percevoir une « organisation » que nous allons
présenter. Que révèle-t-elle sur le fonctionnement de la
cellule familiale ?
Le visiteur est toujours accueilli dans la salle de
séjour, espace ouvert indispensable aux lois de l'hospitalité
lao, qui a fait l'objet de soins tout particuliers. On y trouve toujours le
même type de mobilier : le « living », dans
lequel sont encastrés le poste de télévision et le
matériel hi-fi, occupe un pan de mur, plusieurs canapés
juxtaposés, la table et les chaises. Aux murs, sont affichées de
nombreuses photos qui se veulent à la fois
« officielles » - le(s) couple(s) et les enfants en costume
traditionnel - et plus intimes - les enfants, les jeunes couples, les
petits-enfants... A chaque fois les sujets photographiés ont
posé. Rares toutefois sont les photos venues du Laos, ce qui s'explique
aisément compte tenu des conditions du départ. Pourtant
Ka-Gé TCHA a un petit album de photos jaunies prises dans le camp de Ban
Nam Yao. Par contre, lors des voyages effectués par la suite en
Thaïlande (voir partie IV), les hommes ont fait de nombreuses photos et
plus souvent des films et des cassettes vidéo qu'ils montrent
fièrement à l'occasion. Çà et là, dans la
salle de séjour, figurent des objets traditionnels : des
instruments de musique parmi lesquels le khen - l'orgue à
bouche -, des pendeloques brodées de motifs géométriques
complétées de grappes de perles de couleurs vives
enfilées... Dans cet environnement somme toute banal, ce sont les rares
objets, bien modestes en apparence, qui traduisent l'attachement sentimental
avec le pays d'origine.
La salle de séjour est le lieu de la
convivialité communautaire où se regroupe la famille lors des
fêtes ou des rassemblements de fin de semaine. Mais c'est avant tout un
espace masculin, celui du père de famille et des hommes, jeunes ou
adultes qui s'installent pour de longues conversations souvent ponctuées
d'anecdotes qui déclenchent les rires. Il est d'autant plus
masculinisé, comme dans le cas de Ka-Gé TCHA qui a investi un
coin de la pièce pour en faire son atelier de couture avec la piqueuse
plate professionnelle et au sol les stocks de torchons ou de tablier à
ourler... Dans ce cas, les espaces de résidence, de travail et
d'échanges se confondent, même lorsque « dans le
détail une savante organisation des lieux réserve des
emplacements propres à chaque fonction » (FREMONT,
1999 : 162).
Photo n°6 : Espace
professionnel au domicile
A l'inverse, la cuisine est le lieu féminin par
excellence, comme le souligne Teng CHIENG :
Et chez nous, chez les Hmong, les femmes elles veulent pas
discuter dans la salle de séjour, elles veulent discuter dans la
cuisine... C'est pour ça qu'il faut faire la cuisine plus grande que la
salle de séjour... C'est compliqué pour vous les
Français... Elles préfèrent rester dans la cuisine... Je
sais pas, les femmes des Hmong elles aiment comme ça... elles viennent
dans la salle de séjour à la fin manger, elles font rien du tout,
elles s'assoient pour voir la télé...
Le discours révèle avant tout une vision
masculine de l'activité féminine, avec la dénonciation
implicite du goût féminin pour le bavardage, et de la structure de
l'espace domestique avec une « distribution très stricte
des activités imparties à chacun des deux sexes, de leur lieu,
leur moment, leurs instruments... L'ordre social fonctionne comme une
immense machine symbolique tendant à ratifier la domination masculine
sur laquelle il est fondé » (BOURDIEU, 2002 : 23).
Mais cette déclaration de Teng CHIENG exprime également un
« nous » identitaire opposé à un
« vous ». Est-ce alors l'exclusion des dominants qui les a
amenés à se constituer en un groupe particulier, un
« nous » accentuant la communautarisation, et trouvant dans
le répertoire culturel certains traits qui les spécifient ?
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