Université de Poitiers
Maison des Sciences de l'Homme et de la
Société
Laboratoire MIGRINTER
Réfugiés hmong à Montreuil-Bellay
(Maine-et- Loire)
Rapports aux lieux et diaspora
Mémoire de Master 2ème année -
2006-2007
Migrations Internationales : Espaces et
Sociétés
Philippe MICHEL-COURTY
Sous la direction de Madame Véronique
LASSAILLY-JACOB
et de Monsieur Emmanuel MA MUNG
Sommaire
SOMMAIRE
1
REMERCIEMENTS
3
INTRODUCTION
4
I. UN DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE
ADAPTÉ À UNE POPULATION ÉTRANGÈRE
7
1. Une minorité ethnique arrivée
d'Asie et installée dans une très petite ville
8
2. Problématique, cadre conceptuel et
bibliographie
16
3. Un terrain étudié
progressivement
24
Conclusion : une lecture géographique
par des méthodes diverses
29
II. D'UN LIEU À L'AUTRE :
DISPERSION, ERRANCE ET ANCRAGE
30
1. Une mobilité forcée dans des lieux
géographiques fluctuants
31
2. Une mobilité sous
contrôle pendant l'exil
38
3. Le choix de l'ancrage dans un milieu urbain
46
Conclusion : d'une mobilité
forcée, puis contrôlée, à une mobilité
choisie
58
III. LIEUX DU QUOTIDIEN ET
« BASSINS DE VIE FAMILIAUX »
60
1. Le partage de l'espace domestique et des espaces
vécus
61
2. Le jardin, un territoire féminin
76
3. L'élargissement du bassin de vie familial
par les mariages
86
Conclusion : des espaces pratiqués
centripètes et centrifuges
94
IV. LIEUX DE LA DIASPORA : LIENS
SOCIAUX ET SYMBOLIQUES
95
1. Lieux divers reliés par des
échanges fréquents
96
2. Lieux festifs entre tradition et
modernité
103
3. Lieux symboliques et lieux de mémoire
110
Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora
toujours active
123
CONCLUSION GÉNÉRALE
125
ANNEXES
130
1. Courriers
131
2. Cérémonies traditionnelles
134
3. Questionnaires d'enquête
140
BIBLIOGRAPHIE
142
INDEX DES AUTEURS
152
TABLE DES ILLUSTRATIONS
153
TABLE DES MATIÈRES
155
Remerciements
Pour Alexiane et Arnaud
Mes remerciements vont en premier lieu à madame
Véronique LASSAILLY-JACOB et à monsieur Emmanuel MA MUNG qui,
grâce à leurs conseils, ont contribué à
l'aboutissement de cette recherche. Je tiens à leur associer les
chercheurs et documentalistes de la Maison des Sciences de l'Homme et de la
Société de Poitiers pour leurs encouragements et leur
disponibilité.
A l'ensemble de la communauté hmong de Montreuil-Bellay
et plus particulièrement à Ka-Gé TCHA et Teng CHIENG,
j'adresse également mes remerciements : grâce à eux,
j'ai pu pénétrer dans l'intimité de la vie familiale et
recueillir les histoires personnelles qui, mises bout à bout, m'ont
permis de mieux comprendre leur vie.
Introduction
En préambule nous tenons à préciser le
cadre scientifique dans lequel s'inscrit cette recherche. En choisissant
d'observer un groupe humain dans un contexte particulier de migration, nous ne
voulons pas entreprendre une étude anthropologique et ethnologique
visant à identifier les traits culturels de cette population
préservés ou renouvelés dans la société
d'accueil. En tant que disciplines des sciences humaines, l'anthropologie et
l'ethnologie se proposent en effet d'étudier l'être humain sous
tous ses aspects, la première s'appuyant sur l'étude ethnologique
des sociétés et des peuples ayant préservé une
culture spécifique originale. En synthétisant ces données
dans le cadre d'une étude générale de l'espèce
humaine, elle tente d'en prouver l'unicité à travers la
diversité culturelle. On distingue plusieurs traditions en
anthropologie, dont les plus importantes sont l'école sociologique
française représentée par Marcel MAUSS (1873-1917) et plus
tard par Claude LEVI-STRAUSS (1908-) dans une approche structuraliste.
L'anthropologie sociale britannique, en particulier avec Bronislaw MALINOWSKI
(1884-1942), privilégie l'observation participante lors des
enquêtes de terrain. Enfin, l'anthropologie culturelle américaine
est illustrée par Franz BOAS (1858-1942), représentant du
diffusionnisme qui, prenant le contre-pied de l'évolutionnisme,
considère que la culture se développe et se transforme par le
biais d'emprunts culturels auprès des groupes humains ;
Clifford GEERTZ (1926-2006), inscrit dans le sillage de Max WEBER, voit dans la
culture un système de sens.
L'étude de la société hmong exilée
en France a été faite tout particulièrement par J. Pierre
HASSOUN (1983, 1988, 1993...) qui s'est intéressé à cette
population à son arrivée en France à partir des
années 1980, mais aussi par Nathalie VERHAEGE-GATINE (1998, 1999)
étudiant les groupes installés en Guyane française. Un
travail universitaire a été réalisé en 1997 dans le
cadre d'une maîtrise de sociologie1(*) par Stéphanie JAUNAULT sur « les
traditions hmong à Montreuil-Bellay ». A chaque fois, il s'est
agi d'approches sociologiques. Par ailleurs, des articles ont été
publiés dans plusieurs revues scientifiques - Hommes et
Migrations, Réfugiés... - pour éclairer des
aspects particuliers de la société hmong2(*).
Dans le domaine géographique par contre, on ne trouve
que quelques publications dont celles de Fabrice MIGNOT : les travaux
qu'il a consacrés aux Hmong3(*) concernent le territoire d'origine, plus
particulièrement les villages du Laos dans lesquels des groupes
familiaux ont été réinstallés après
plusieurs années passées dans les camps de réfugiés
thaïlandais. Aussi, suivant les préceptes de G. CONDOMINAS qui
rappelle que « le choix d'un terrain dépend
évidemment des études déjà faites sur l'aire
culturelle dont il fait partie » (CONDOMINAS, 1965 : 176),
nous souhaitons aborder cette « communauté ethnique
locale » (HASSOUN, 1988 : 39) sous un éclairage
nouveau, à savoir celui des rapports aux lieux entretenus dans le
contexte de la migration forcée qu'elle a subie. En ce sens, nous nous
plaçons d'abord dans une perspective géographique puisqu'il
s'agira de nous centrer sur le « où », les
espaces parcourus, les espaces pratiqués et ceux, moins visibles, que
l'on peut qualifier de culturels ou symboliques. De quelles manières les
individus pratiquent-ils ces différents lieux ? Quelles sont pour
eux les significations des lieux ainsi pratiqués ? Quels sont les
lieux choisis comme référents pour l'identité des membres
de la communauté hmong ? Tel est le questionnement qui va guider
notre propos. Cependant, sachant que l'on ne peut pas isoler un individu ou un
groupe de sa culture et que les faits sociaux sont des « faits
totaux [qui] mettent en branle la totalité de la
société et de ses institutions (MAUSS, 1923 : 102), il
ne sera pas fait abstraction d'observations sociologiques et anthropologiques,
afin de mieux comprendre la nature des rapports qu'entretient cette
communauté à l'égard des différents lieux dans
lesquels elle est passée et évolue aujourd'hui.
Notre travail est divisé en quatre chapitres. Le
chapitre I présente le cadre théorique et conceptuel dans lequel
se place cette recherche. Trois concepts ont été
mobilisés : diaspora, intégration et
territoire. Le dispositif méthodologique mis en oeuvre pour la
collecte de données a privilégié d'abord l'observation des
lieux - le quartier de la Herse à Montreuil-Bellay -,
complétée par une enquête auprès des
résidents non hmong de ce quartier. Une large place a été
réservée ensuite aux entretiens menés avec des membres de
la communauté hmong. De plus, la rencontre d'acteurs institutionnels et
de travailleurs sociaux a permis une meilleure connaissance de la population
concernée. Le chapitre II est consacré aux espaces parcourus
pendant la migration qui a conduit les individus et les familles du Laos en
France, et plus particulièrement à Montreuil-Bellay où ils
ont rapidement constitué une communauté. Ce chapitre retrace
l'histoire de ces parcours migratoires et montre comment après une
période d'errance, les individus sont devenus davantage acteurs de leurs
choix et ont pu envisager un ancrage dans un lieu d'installation. Après
cette approche historique, le chapitre III s'intéresse aux
« espaces vécus » actuellement, espaces du quotidien
investis dans une situation matrimoniale particulière, puisque la
polygamie est encore pratiquée par quelques familles et occasionne des
contraintes économiques et financières, qui trouvent une solution
dans l'exploitation de minuscules jardins familiaux. Ces espaces vécus
s'élargissent progressivement en raison de la décohabitation et
des mariages des enfants de la deuxième génération. Dans
le chapitre IV, nous explorons enfin plus particulièrement les lieux
symboliques et les lieux de mémoire en nous appuyant sur l'observation
et l'analyse des pratiques festives et traditionnelles grâce auxquelles
se renforcent les liens diasporiques. La conclusion, reprenant les principaux
résultats de cette recherche, propose une typologie des lieux
liés aux pratiques.
I. Un dispositif
méthodologique adapté à une population
étrangère
« Le réfugié est un produit du
monde moderne. »
R. WALDINGER, 2006
L'arrivée des Hmong sur le devant de la scène
internationale se fait dans le contexte des guerres de décolonisation
qui ensanglantent la péninsule indochinoise dans les années 1970
et s'accompagnent de vastes déplacements de populations cambodgiennes,
laotiennes et vietnamiennes. Dans les camps thaïlandais sous
contrôle du Haut Commissariat pour les Réfugiés aux Nations
Unies (UNHCR), se côtoient souvent des familles de nationalités
différentes mais toutes dans l'attente d'une solution : si
l'intégration sur place est refusée par la Thaïlande,
l'accueil dans un pays tiers est souvent souhaité. Au début des
années 1980, les premières familles hmong arrivent à
Montreuil-Bellay, petite commune du Maine-et-Loire, et s'y installent de
manière durable.
Nous évoquerons tout d'abord les problèmes
rencontrés dans le recensement de cette population, en précisant
alors qui sont les Hmong dans l'ensemble des peuples d'Asie du Sud-Est, puis,
au regard de la problématique que nous avons retenue, nous fixerons le
cadre conceptuel dans lequel se place cette étude et nous
présenterons le dispositif méthodologique mis en place en
fonction des caractéristiques de cette population.
1. Une minorité ethnique
arrivée d'Asie et installée dans une très petite ville
Sachant qu'en France le comptage ethno-racial est interdit par
la loi, le premier problème auquel se heurte le chercheur est lié
à l'absence de données fournies par le recensement de l'INSEE. En
effet, s'il est encore possible d'obtenir le décompte des Laotiens et
leur localisation très approximative sur le territoire national, cela
est absolument impossible en ce qui concerne les Hmong, sauf si l'on prend en
compte la localisation des associations officiellement déclarées
(carte n°17, p. 100). Jacques LEMOINE analysant les rites
funéraires dans un village hmong de la province de Xaignabouli,
remarquait qu'au cours de la cérémonie d'initiation du mort on
évoquait les villages successifs où ce dernier avait
résidé, et l'anthropologue de noter alors qu'« on
peut ainsi se rendre compte à quel point une famille hmong peut se
déplacer en l'espace d'une génération »
(LEMOINE, 1983 : 20).
Ce n'est donc que par le biais des réseaux familiaux et
associatifs qu'il a été possible de recueillir des données
numériques. En cela, le contexte local de la recherche a facilité
cette collecte : dans une très petite ville de 4000 habitants comme
Montreuil-Bellay4(*), il est
aisé de comptabiliser l'ensemble des foyers et d'étudier leur
composition. Les chiffres seront donc précis à la date de
l'enquête mais soumis à d'éventuelles variations, d'autant
que cette population conserve une mobilité résidentielle relative
liée à deux facteurs. Le premier est économique : le
chômage et/ou la recherche d'un nouvel emploi induisent des changements
de résidence. Le second facteur est sociétal et
caractéristique des petits nombres de ménages qui évitent
la dispersion sur l'ensemble du territoire national et préfèrent
résider à proximité. Ces deux facteurs sont par ailleurs
intimement liés : en effet la recherche et l'obtention d'un emploi
peuvent être facilitées en activant les réseaux de
connaissances, et de cette manière favoriser les rapprochements
familiaux.
« Je suis Hmong » déclare
Ka-Gé TCHA, 54 ans, au cours d'un entretien. Pourtant, il est de
nationalité laotienne et bénéficie du statut de
réfugié accordé par l'Office français de protection
des réfugiés et apatrides (OFPRA). Lao ou Laotien ?
Hmong ? Réfugié du Sud-Est asiatique ? Devant cette
catégorisation et trois manières de désigner un même
individu, on peut s'interroger sur la nature de ces identités multiples.
De qui parle-t-on dans chacun des cas ?
v Laotien ou Lao, identité
nationale et identité ethnique
Située dans la péninsule indochinoise (carte
n°1), la République démocratique populaire lao est l'un des
6 Etats formant l'Asie du Sud-Est. Le pays est bordé au Nord par la
Birmanie (Myanmar5(*)) et la
Chine, au Sud par le Cambodge, à l'Est et à l'Ouest par le
Vietnam et la Thaïlande. C'est un territoire d'une superficie de 236 000
km², en grande partie montagneux, traversé presque du Nord au Sud
par le fleuve Mékong, qui prend sa source sur les hauteurs de l'Himalaya
et se jette dans la mer de Chine méridionale. Avec
6 521 998 habitants6(*), c'est le pays le moins peuplé de la
péninsule (tableau n°1) et celui dont la densité de la
population est une des plus faibles d'Asie (26,9 h/km²). Les plus
fortes concentrations se trouvent le long de la frontière
thaïlandaise autour des villes de Vientiane, la capitale, Savannakhet et
Paksé au Sud. Au Nord et dans les régions montagneuses, les
densités chutent à moins de 15 habitants par km² (FRANCO,
1992 : 203).
Carte n°1 : Le
Laos dans la péninsule indochinoise
Pays
|
Superficie (km²)
|
Population (estimations)7(*)
|
Densité (h/km²)
|
Laos
|
236 000
|
6 368 481
|
26,9
|
Birmanie (Myanmar)
|
678 000
|
43 382 633
|
69,8
|
Vietnam
|
329 560
|
84 402 966
|
256,1
|
Thaïlande
|
514 000
|
64 631 595
|
125,7
|
Cambodge
|
181 035
|
13 881 427
|
76,7
|
Malaisie
|
328 550
|
24 821 286
|
75,5
|
Tableau n°1 : La
péninsule indochinoise - données
démographiques
Surnommé le «royaume au million
d'éléphants» en raison du grand nombre
d'éléphants qui vivaient auparavant sur le territoire, le Laos
actuel est divisé en 17 provinces, elles-mêmes divisées en
142 districts et 11 386 villages (carte n°2). Du point de vue ethnique,
cet Etat constitue une mosaïque très complexe de quelque 130
ethnies, sous-ethnies et en nombreux clans, sous-clans et lignées.
Le Laos compte plus de minorités que n'importe lequel
de ses voisins immédiats (Birmanie, Thaïlande, Cambodge et
Vietnam), ce qui en fait le pays le plus hétérogène de
tout le Sud-Est asiatique. En effet, environ 40 % de la population lao est
constituée d'ethnies minoritaires d'origine montagnarde, dont les Hmong
et les Khmou qui représentent les groupes les plus importants.
Carte n°2 : Les
provinces de la République démocratique populaire lao
Le terme « Lao » s'applique à
l'ethnie lao proprement dite (majoritaire au Laos, et qui a donné son
nom au pays), alors qu'on appelle « Laotiens » toutes les
personnes résidant normalement au Laos quelle que soit leur origine
ethnique (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 200). Au sein du pays, on distingue
les Lao Loum (ou Lao des Plaines) des Lao Theung (Lao des collines) et des Lao
Soung (ou Lao des Montagnes) parmi lesquels figurent les Hmong, nettement
minoritaires. A cela s'ajoute 1% de la population d'origine chinoise et
vietnamienne.
S'il est possible d'être à la fois Laotien et
Hmong, l'inverse n'est pas vrai, puisque les membres de cette ethnie sont
dispersés dans plusieurs pays asiatiques dont la Chine.
v Les Hmong, un groupe ethnique
Longtemps utilisé par les Hmong eux-mêmes pour
s'autodésigner - Hmong figure dans la liste des prénoms choisis
pour les garçons de certaines familles - ce terme renvoie à une
identité ethnique. Il peut être pris dans une double
acception : l'homme, à savoir le représentant de
l'humanité, et le montagnard, celui qui vit
« en-haut ».
Descendants des San Miao, les Hmong ont progressivement
quitté le bassin du fleuve Jaune pour les montagnes du centre et du Sud
de la Chine, spécialement la région du Guizhou, d'où ils
ont été repoussés au cours du XIXe
siècle vers la péninsule indochinoise. Sur le plan linguistique,
ils ne constituent qu'une branche des populations que les Chinois ont
appelées Miao. Ce terme correspondait à une vague
catégorie, quelque chose comme
« aborigènes », utilisée pour
classer ceux qui n'étaient pas Han dans la Chine du Sud. Etre
appelé Miao-tse au début du XXe siècle
en Chine, écrit avec la clef du chien8(*), était particulièrement
méprisant. En mandarin, ce terme signifie actuellement
« jeune pousse de riz », idée que l'on
retrouve, avec une coloration péjorative, chez les Vietnamiens, Lao et
Thaï qui les appellent encore Mèo, ce qui signifie
« riz cru ».
La dénonciation de pratiques alimentaires vise à
catégoriser des populations nomades peu intégrées. D'autre
part, selon J. LEMOINE, Miao ou Mèo, homophones du mot
« chat sauvage » dans les deux langues, sont à
considérer comme des termes péjoratifs9(*). Cet exonyme illustre
l'existence de « frontières ethniques » qui,
à l'époque, séparent de la société laotienne
les populations montagnardes (HASSOUN, 1997). En effet, lorsque le Laos est
placé sous protectorat français en 1893, les Hmong sont
contraints de s'installer dans des zones montagneuses où la seule
technique agraire praticable est l'essartage - ou culture sur brûlis.
Cette migration a donné lieu à des interprétations parfois
étonnantes, comme celle-ci : « comme c'étaient
des gens pacifiques, plutôt que de faire la guerre, ils se sont
repliés sur les montagnes du Nord de l'Indochine - d'où leur nom
de « Montagnards ». Ils vivent plus facilement sur ces
flancs de montagnes où ils cultivent leur pavot »
(DUPONT-GONIN, 1980 : 22).
Le terme Hmong entre dans la littérature scientifique
de l'école d'anthropologie française, impulsée par Claude
LEVI-STRAUSS, grâce à Jacques LEMOINE qui, à partir des
années 1960, en fait un sujet de recherche. Dans le contexte politique
des années 1970, cette « population sans écriture
et sans Etat propre [est] projetée dans l'Histoire
moderne » (HASSOUN, 1997 : 15) et dispersée sur
l'ensemble de la planète. L'approche scientifique que l'on en a alors
est davantage sociologique : sous la plume de J. P. HASSOUN sont
publiées plusieurs études portant sur les pratiques culturelles
et rituelles des Hmong dans les nouveaux pays d'installation et tout
particulièrement en France.
Dans ce même contexte historique, c'est le discours
politique, relayé par la presse, qui évoque les Hmong pour
dénoncer, au nom des Droits de l'Homme, les persécutions dont ce
peuple est l'objet de la part du gouvernement communiste laotien.
Régulièrement, la presse française évoque cette
situation. Le quotidien Le Monde a consacré, à partir
des années 1950, un certain nombre d'articles à cette
population10(*). Quelques
titres peuvent nous éclairer sur l'évolution de la perception que
l'on en a eue : Les Meos (1952), Le pays Meo (1953),
Montagnards meo (1959), Plaine des Jarres : colonnes de
montagnards meo (1961), Tribus meo (1970), les Mercenaires de
Van Pao (1970), Le calvaire du peuple meo, petit peuple des collines
transporté de camps de réfugiés en camps de
réfugiés (1971), Hmong (1975), Les Hmong dans
les Alpes françaises (1979), Les Meos restés au Laos et
les Hmong (1980). Comme on peut le constater, si pendant longtemps cette
population a été observée à la loupe de
l'anthropologue étudiant les Meos, à partir des
années 1970, il est question des Hmong, que l'on oppose aux
Meos restés au Laos. Avec la dispersion hors des
frontières du Laos, on assiste à l'émergence d'une
véritable identité hmong englobée jusqu'alors dans le
groupe ethnique Meo. Cela est dû en grande partie aux leaders hmong
eux-mêmes et aux intellectuels qui ont voulu, pendant la guerre du
Vietnam, reprendre le terme ethnique Hmong, inconnu du plus grand
nombre, comme on a pu le constater à la lecture de la presse.
Récemment toujours dans la presse, l'hebdomadaire
l'Express affirmait : « Les Hmong qui, autrefois,
défrichaient les collines pour y planter riz, légumes et pavots
sont condamnés, à présent à creuser le sol pour en
extraire ces longues racines qu'ils cuiront, recuiront et grignoteront deux ou
trois fois par jour... Selon les estimations, entre 5 000 et 10 000 personnes,
en majorité des Hmong, dont au moins la moitié d'enfants,
répartis en une dizaine de communautés sur le territoire laotien,
subissent le même sort »11(*). Les nouvelles technologies de communication et
Internet vont alors servir de vecteur à la création d'une
identité hmong revendiquée par ces déracinés qui
recomposent avec leurs origines et tentent de préserver un
héritage. Des sites tels que
www.hmongarchives.org et
www.hmongstudies.org
témoignent de la vitalité de cette population dans la quête
d'une reconnaissance identitaire. Nous sommes face à un paradoxe :
« une population sans écriture » se trouve
aujourd'hui productrice elle-même d'une importante littérature
visant à faire connaître son histoire et à promouvoir sa
culture et son identité. Est-ce le signe de la vitalité de la
diaspora ?
Il existe une carte, établie en 1972 par J.
LEMOINE12(*) avant la
réunification du Vietnam, permettant la localisation de la population
hmong dans le Sud de la Chine et le Nord de la péninsule indochinoise,
essentiellement au Laos, Vietnam et Thaïlande (carte n°3). Cette
carte montre l'existence de très nombreux foyers de tailles très
diverses et leur extrême dispersion sur « un territoire en
archipel » (TAPIA, 2005), indépendamment des
frontières politiques, et qui, selon l'auteur, à l'époque
où il a établi le document, ne devait pas dépasser le
16ème parallèle. Les zones d'implantation des Hmong
correspondent aux régions montagneuses, au delà de 2 000 m
d'altitude, du Yunnan (Chine), du Nord du Laos, de la Thaïlande et du
Vietnam. Au sud du 16ème parallèle, le relief beaucoup
moins accidenté cède la place aux plateaux et aux plaines
traversées par un très important réseau hydrographique. Ce
n'est plus le domaine des Montagnards.
Carte n°3 : Lieux
d'implantation des Hmong dans la péninsule indochinoise
Leur recensement précis paraît difficile voire
impossible. Il a été toutefois tenté par les Etats
concernés et les organisations internationales. Cela met à notre
disposition un certain nombre d'estimations. Ainsi, en Chine, c'est le
cinquième groupe ethnique en terme d'individus parmi les 56
nationalités, et le recensement chinois de 1989 estime leur nombre
à environ 7 millions. L'ONU fournit des chiffres indiquant que les Hmong
vivant au
Laos représentent 7,4 %
de la population laotienne13(*), soit environ 438 300 personnes. Ils font partie
des 49 ethnies recensées par le gouvernement laotien en 1989. Le
caractère approximatif de ces chiffres tient également au fait
qu'aujourd'hui une partie des Hmong est encore réfugiée dans la
jungle, dans la zone de Xaysomboun, traquée par les armées
laotiennes et vietnamiennes pour avoir aidé les Français pendant
la guerre d'Indochine, puis les Américains pendant la guerre du Vietnam.
En 2005, ils n'y sont plus que 8 000 alors qu'ils étaient plus de
30 000 il y a une dizaine d'années14(*). Voulant s'opposer au régime communiste de
l'époque, cette ethnie paye donc aujourd'hui un lourd tribut.
Au cours des dernières décennies, une forte
population de Hmong a été réinstallée aux
États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada, Allemagne,
Japon, Argentine et France (estimation à 30 000 selon Chô LY,
2004), dont environ 2 000 en
Guyane
française. La plus grande partie vit encore en Asie du
Sud-Est : Chine, Vietnam, Laos, Thaïlande et Birmanie. Souvent
assimilés à tort aux « boat people »
vietnamiens, cette population entre dans la catégorie des
réfugiés du Sud-Est asiatique.
v Réfugié du Sud-Est
asiatique, un statut juridique
Cette troisième expression correspond au statut
juridique adopté par la Convention de Genève (1951) qui
définit, dans l'article premier du chapitre I, le
« réfugié » : il s'agit d'une
personne qui « craignant avec raison d'être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays ».
C'est un statut international unique, général,
qui implique protection et assistance de la part de l'Etat d'accueil. Il fait
suite à la très ancienne tradition d'asile qui renvoyait à
des considérations religieuses, politiques ou philosophiques (BERTHELEU,
1999 : 23). Dans l'expression étudiée, le terme
« réfugié » est
complété par une localisation géographique très
large, « l'Asie du Sud-Est » englobant Vietnam,
Laos et Cambodge, entité dont l'Occident prend conscience avec la
création du SEAC (South East Asia Command) en 194315(*) pour prendre en charge les
opérations des Alliés dans cette partie du Monde. Dans le
contexte de la décennie 1970, les
« réfugiés » sont très
souvent associés aux « boat-people » dont
tous les médias occidentaux diffusent les images. L'UNHCR, dans un souci
de classement, établit toutefois une distinction en introduisant la
catégorie « land people »,
c'est-à-dire les populations qui ont quitté leur pays par la voie
terrestre.
Etre « Hmong », dans la communauté
qui est l'objet de notre étude, est une revendication identitaire forte
quelles que soient les générations et la nationalité. En
effet, le statut juridique de réfugié n'a été
accordé qu'aux individus quittant le Laos et pris en charge par l'OFPRA
à leur arrivée en France, et la nationalité acquise selon
le lieu de naissance peut varier à l'intérieur d'une même
famille. Pour les enfants nés en France, l'acquisition de la
nationalité française est considérée de plein
droit, notamment en raison de la naissance et de la résidence en France.
Depuis le 1er septembre 1998, tout enfant né en France de
parents étrangers acquiert la nationalité française
à sa majorité si, à cette date, il a en France sa
résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant
une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis
l'âge de onze ans. L'acquisition anticipée par déclaration
à partir de l'âge de seize ans est également prévue.
Enfin, la nationalité française peut être
réclamée, sous certaines conditions, au nom de l'enfant mineur
né en France de parents étrangers, à partir de l'âge
de treize ans et avec son consentement personnel (article 21-11 du code civil
). Et tout en étant aujourd'hui français, ces adolescents et
jeunes adultes se revendiquent avant tout Hmong. C'est parce que
« ce peuple puise sa force dans sa structure communautaire
ancestrale fondée sur le clan» (MARTIN, 1992 : 29) qu'il
demeure visible plus de vingt ans après son arrivée en France.
2. Problématique, cadre
conceptuel et bibliographie
Considérant cette population en situation de migration
forcée et de dispersion, nous avons été amené
à revisiter le concept de diaspora appliqué à un groupe
ethnique numériquement très faible dans le contexte
régional et local. En choisissant de nous centrer avant tout sur
« l'ici » et sur l'observation des pratiques spatiales, au
cours de la migration et dans la société d'accueil, et celle des
modes d'intégration dans la société d'installation, nous
nous sommes interrogé d'une part sur la nature des liens susceptibles
d'exister avec les autres pôles de la diaspora - lieux et pays de
réinstallation et pays d'origine -, et d'autre part sur le rôle du
contexte dans les rapports aux lieux entretenus par cette population. C'est
pourquoi nous avons choisi d'organiser cette recherche à partir d'une
problématique privilégiant la notion de rapport aux lieux.
v Problématique et axes de recherche
Au cours des ancrages/désancrages successifs des Hmong
en transplantation du Laos en France, quels rapports aux lieux les individus,
les familles, le groupe ont-ils entretenus et entretiennent-ils
aujourd'hui ? Qu'en est-il dans un contexte d'une très petite ville
où le nombre de familles appartenant à cette communauté
est particulièrement réduit ? Ces rapports aux lieux
révèlent-ils le maintien d'un lien avec le pays d'origine et
l'existence d'une diaspora ?
Cette recherche a été menée selon trois
axes qui ont permis le recueil de données à la fois quantitatives
et qualitatives : le premier est à dominante démographique,
le second prend en compte la dimension spatio-temporelle de la migration, le
troisième concerne les « espaces vécus »,
réels ou idéels.
Le premier axe de recherche vise à repérer et
quantifier l'objet d'étude, et à analyser son implantation dans
le contexte urbain d'installation. Le recensement des membres de la
communauté Hmong du Maine-et-Loire, qui semblait être le
préalable indispensable, n'a pas été possible pour les
raisons énoncées plus haut. Il aurait permis de spatialiser son
implantation au niveau départemental et de vérifier l'existence
de foyers polarisant cet espace. Ce travail a été mené
exclusivement à l'échelle de la commune de Montreuil-Bellay, dont
le choix peut, a priori, paraître arbitraire : nous nous sommes
interrogé sur les raisons de la présence, dès les
années 1980, d'une communauté hmong dans une très petite
ville, fait unique dans l'histoire migratoire de cette commune. Une
réserve doit cependant être émise quant à la
fiabilité des données numériques sur le temps long, car
nous sommes en présence d'une population toujours mobile, en particulier
en ce qui concerne les individus de la deuxième
génération. Cette première étape a également
permis de recueillir des données sur les compositions familiales et les
caractéristiques socioprofessionnelles des individus, et de mieux
connaître les niveaux d'intégration sociale dans la
société d'accueil. Cela conduit à s'interroger sur
d'éventuelles variations selon l'âge et le sexe.
Le deuxième axe porte sur
l'observation des étapes migratoires : originaires du Laos, ces
familles ont, au cours de leur exil, suivi des trajectoires migratoires
diverses, partant de multiples villages, passant des camps de
réfugiés thaïlandais aux centres d'accueil dans les pays de
destination, avant de s'ancrer dans un lieu résidentiel, de
manière durable mais pas forcément définitive. Nous avons
pu ainsi étudier la part d'initiative individuelle dans les choix
résidentiels, toutefois relative dans le cadre de cette transplantation
forcée. Parallèlement, il a été possible de
superposer sur cette mobilité résidentielle les évolutions
de la cellule familiale (mariage, naissances, décès) au cours de
la migration. Enfin, nous nous sommes interrogé sur les
opportunités et les moyens qui avaient facilité les regroupements
communautaires. Quel avait été le rôle des acteurs
institutionnels ? Fallait-il voir dans la présence de cette
communauté la marque de l'existence d'un lien direct avec les
communautés villageoises d'origine et pouvait-on parler de
« villages-bis » ?
Le troisième axe concerne
les « espace vécus » qu'ils soient matériels
ou idéels et symboliques. Installés dans le Maine-et-Loire depuis
plus de vingt ans, les Hmong se sont approprié des espaces et ont
construit des territorialités spécifiques multiscalaires :
le logement, le quartier, la ville, le département... Selon quelles
modalités ces « espaces vécus »
s'articulent-ils et se hiérarchisent-ils aujourd'hui pour l'individu, la
famille et le groupe ? Existe-t-il des liens avec les populations des
villes voisines et celles vivant dans les autres espaces de la diaspora et en
particulier dans le pays d'origine ? Quelle est la nature de ces
liens ? Quel attachement les individus ont-ils avec ce pays d'origine
selon les générations ? Telles sont les questions
principales que nous avons été amené à nous
poser.
v Cadre conceptuel et bibliographie
L'élaboration de la bibliographie s'est
structurée avant tout autour de trois concepts de base - diaspora,
intégration et territoire - et des notions qui
leur sont associées. Elle a été complétée
par des lectures ethnologiques et anthropologiques sur les populations du
Sud-Est asiatique et tout particulièrement la population hmong.
Diaspora
Le terme « diaspora » utilisé pour
désigner « toutes sortes de phénomènes
résultant de migrations de populations dans plusieurs pays à
partir d'un foyer émetteur » (BRUNEAU, 1995 : 5) est
d'un emploi récent dans la littérature scientifique. En effet,
une définition essentiellement descriptive a longtemps prévalu
pour désigner le destin du peuple juif après la destruction du
Temple et l'annexion de la Judée par les Romains. Il prenait en
français une majuscule : c'était « la »
Diaspora qui correspondait à la « dispersion » dont
ils avaient été victimes en 70 ap. J.C. Progressivement, à
partir des années 1970, en l'appliquant à des contextes
spécifiques et à des groupes ethniques précis -
Arméniens, Grecs, Chinois...- la notion s'est construite, prenant en
compte les territoires d'« origine » ou de
« départ » et d'« accueil » ou
d' « installation16(*) » et analysant la
« multipolarité de la migration » (MA MUNG,
1995 : 164). Aujourd'hui, en 2006, il s'agit d'un concept indispensable
pour l'analyse et la compréhension des relations internationales en
l'appliquant à toutes les populations dispersées qui maintiennent
des liens (SCHNAPPER, 2001).
Nous aborderons successivement ces trois étapes, afin
de préciser dans quel contexte théorique nous plaçons
notre recherche.
1. un terme descriptif à connotation religieuse
Le mot grec diaspora est emprunté à
l'historien Thucydide (460 - 385 av. J.C) évoquant dans
« L'Histoire de la guerre du
Péloponnèse » la fuite en ordre dispersé
des populations qui fuyaient Egine, île grecque soumise par les
Athéniens en 455 av. J.C. La dispersion présuppose l'existence
d'un groupe (les habitants d'Egine) et implique l'idée de fuite sous la
contrainte (la menace de l'armée athénienne). Utilisé pour
désigner « la dispersion à travers le monde antique
des Juifs exilés de leur pays » (dictionnaire ROBERT,
1985), le nom diaspora correspond aux diverses déportations des
populations juives, en Mésopotamie d'abord au VIIIe
siècle av. J.C., puis, à la fin du Royaume de Juda, avec la
dispersion des Douze Tribus d'Israël17(*), enfin après la destruction du Temple par les
Romains en l'an 70 de notre ère. Appliqué aux Juifs
dispersés dans un grand nombre de territoires, ce terme se renforce
d'une conscience identitaire forte, issue d'une relation
privilégiée à un dieu unique (BRUNEAU, 1995).
2. une notion
Au cours du XXe siècle, dans la diffusion du
terme, on assiste à sa progressive sécularisation. Les
géographes vont faire d'un nom, qui correspond jusque là à
une réalité historique précise, une notion. Max.
SORRE18(*) utilise le
terme pour évoquer « les minorités
[envoyées] à des distances très
grandes », comparables à « de
véritables essaims qui gardent leur cohésion ». Il
précise que ces minorités ne forment une diaspora que si elles
« conservent leurs liens originels avec la
mère-patrie ». Le phénomène diasporique
semble alors tout à fait exceptionnel et, qui plus est, peu
durable : on estime en effet qu'au fil des générations - la
deuxième ou au plus la troisième - l'assimilation doit se
réaliser dans le pays d'installation. Mais, dans les années 1980,
face à l'échec de certaines politiques d'assimilation et au vu du
multiculturalisme naissant dans les pays anglo-saxons, les sciences sociales
s'emparent de la notion de diaspora. Elle couvre avant tout l'idée de
dissémination et de diffusion de « toute
collectivité ethnoculturelle... hors de son milieu
naturel » (GEORGE, 1970), ce qui désigne de
manière large tout groupe possédant une culture commune :
langue, croyances, traditions, mode de vie... Le même auteur, quelques
années plus tard, complète cette définition en substituant
au nom collectivité le terme « entité...
solidement constituée auparavant » (GEORGE, 1984).
Le groupe ethnique possède une source territoriale ou espace de
référence, dans lequel il a progressivement inscrit son histoire,
sorte de « mère-patrie »
évoquée par Max. SORRE et à qui Pierre GEORGE emprunte
l'image de la dispersion considérée comme un
« essaimage ». C'est en appliquant le terme
à des peuples précis - Arméniens, Palestiniens... - que la
notion va se construire progressivement. En premier lieu, sont analysées
les causes de la diaspora. Yves LACOSTE, étudiant ces
phénomènes d'exode massif, précise que « les
causes ont été, au départ, moins la quête de
meilleures conditions d'existence qu'une nécessité absolue sous
l'effet de contraintes qui furent surtout de nature politique »
(LACOSTE, 1989 : 8). En se référant implicitement au pays
d'origine, il retient l'image de la fuite impérative face à la
pression exercée par un groupe dominant et attribue aux diasporas des
causes avant tout politiques. Cette idée est reprise et
complétée par Roger BRUNET19(*) qui distingue trois causes aux diasporas :
« la dispersion contrainte en l'absence de pays
propre » - la dispersion a une origine politique -,
« la difficulté d'existence plus ou moins
momentanée » - la dissémination est
provoquée par un motif davantage économique et demeurerait
temporaire -, enfin « le choix d'activité et de mode de
vie » - le processus a une origine culturelle, un
« savoir-circuler » (TARRIUS, MISSAOUI, 1994)
faisant partie de la culture, la tradition et le mode de vie du groupe.
Cette typologie, si elle a la vertu d'expliciter des causes -
encore qu'il soit parfois difficile de distinguer de façon stricte
migration politique et migration économique -, ne prend nullement en
compte les dynamiques qui se mettent en place dans le phénomène
diasporique que Gabriel SCHEFFER avait déjà
énoncées : « les diasporas modernes sont des
minorités ethniques de migrants vivant dans des pays d'accueil mais
conservant des liens affectifs et matériels forts avec leur pays
d'origine » (SCHEFFER, 1986). Il précise encore mieux
cette définition en dégageant trois traits
caractéristiques propres aux diasporas, à savoir la conscience et
la revendication d'une identité ethnique ou nationale, la participation
du groupe dispersé à une vie associative riche et l'existence de
contacts sous des formes diverses avec le territoire ou le pays d'origine.
3. un concept
La multiplication des études sur les peuples en
diaspora, réalisées sous le double éclairage de la
géographie et de la sociologie, et plus particulièrement celle de
l'école américaine, a permis de conceptualiser ce qui
était jusque là une notion ancrée dans des contextes
spatiaux-historiques précis et de dégager les critères qui
assurent une meilleure lisibilité du phénomène et rendent
intelligibles des conduites et des échanges sociaux. En effet, outre le
caractère multipolaire de la migration que le géographe peut
décrire, cartographier et analyser, comme il le fait pour toute
migration quelle qu'elle soit, il existe un second élément
à prendre en compte qui est celui de l'ensemble des relations
tissées entre les différents pôles (MA MUNG, 1992), que
d'aucuns ont nommé « l'ici », « le
là-bas » et « l'ailleurs » (HOVANESSIAN,
1995, 1998 ). Et c'est effectivement
« l'interpolarité des relations » qui prend
appui sur de multiples réseaux, tant économiques que culturels,
qui permet de distinguer la diaspora d'une migration dite classique. Les liens
communautaires transnationaux volontairement créés et entretenus
contribuent à renforcer une solidarité non seulement avec le lieu
d'origine mais aussi entre les différents lieux d'installation,
comparables à « un territoire en archipel »
(TAPIA, 2005), indépendamment des frontières politiques. Ainsi
les échanges matériels, symboliques ou même imaginaires
alimentent la fidélité au passé et à une culture
partagée dans une identité ethnoculturelle. Pourtant cette
dernière peut-elle résister à l'épreuve du temps si
elle n'est pas alimentée par un désir profond, ce que reprend
Dominique SCHNAPPER en affirmant que « la condition diasporique
implique une conscience et une volonté » (SCHNAPPER,
2001) ? En la définissant en terme de projet identitaire, la
problématique des diasporas fait partie intégrante de la
sociologie des relations interethniques.
Intégration
L'accueil des populations immigrées fait depuis
longtemps en France l'objet de politiques et de théories
spécifiques.
L'assimilation fut longtemps une doctrine de la politique
coloniale française que le législateur, dans l'ordonnance du 19
octobre 1945, concevait comme étant une manière de
« se distinguer aussi peu des nationaux par le langage, la
manière de vivre, l'état d'esprit, le comportement à
l'égard des institutions françaises ». Le sujet
assimilé est ainsi condamné à changer ou périr
(GERARD, STOETZEL, 1953). Avec la décolonisation et les nouvelles donnes
imposées par l'accroissement des flux migratoires internationaux, cette
doctrine fut abandonnée, et au lieu de parler d'assimilation on
préféra le terme intégration ainsi défini,
en 1991, par le Haut Comité à l'Intégration comme
étant « un processus spécifique [par
lequel] il s'agit de susciter la participation active à la
société nationale d'éléments variés et
différents , tout en acceptant la subsistance de
spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour
vrai que l'ensemble s'enrichit de cette variété, de cette
complexité ». Nous serons ainsi amené à
poser la problématique de l'intégration dans le cadre des
diasporas.
Contrairement aux migrations de travail d'individus seuls
dont le projet migratoire inclut théoriquement le retour
définitif au pays natal et qui, par conséquent, limitent au
strict minimum leur implication dans la société « de
travail », les diasporas concernent des groupes ethniques familiaux
transplantés dans des Etats et des sociétés qu'ils n'ont
pas toujours choisis. Dans la mesure où le retour au pays d'origine
n'est qu'un rêve, « à l'étranger
domicilié se pose le problème de la greffe ou de l'insertion dans
une nouvelle `patrie'... De par sa lignée l'individu appartient à
un ailleurs dont il peut garder la nostalgie, même s'il ne caresse plus
l'idée de la revoir » (MORINEAU, 1993). Le repli
communautaire semble peu conciliable dans la société
française qui reste attachée à une conception
élective de la nation reposant sur « le désir
clairement exprimé de continuer la vie commune » (RENAN,
1882).
Dans le cadre d'une immigration que l'on peut
considérer comme définitive, on a affaire à la rencontre
de deux populations socialisées chacune dans sa culture. P. BERGER et T.
LUCKMAN distinguent deux formes de socialisation : la socialisation
primaire qui est « la première socialisation que
l'individu subit dans son enfance, et grâce à laquelle il devient
un membre de la société » et la socialisation
secondaire qui consiste en « tout processus postérieur qui
permet d'incorporer un individu déjà socialisé dans des
nouveaux secteurs du monde objectif de la
société »20(*). Même si, pour celui qui arrive, les relations
avec la population locale peuvent se réduire au contact public
obligé, il est nécessaire de trouver un dénominateur
commun qui leur serve de lieu et d'occasion de communication pacifique.
L'élément indispensable est alors l'acquisition de la langue du
pays d'accueil qui peut être considérée comme la
première étape de socialisation secondaire et en cela de
re-socialisation.
Socialisation, cohabitation, insertion, assimilation sont
autant de termes utilisés pour désigner différents modes
d'adaptation de l'individu dans la société, qui pourraient
correspondre aux étapes progressives de son intégration (KHELLIL,
1997). Pourtant, dans le cas des diasporas, comment concilier liens et
solidarité communautaires et intégration individuelle ? Si
cette dernière consiste en une re-socialisation de l'individu aux normes
et valeurs essentielles de la société d'installation qui exerce
un pouvoir dominant, elle implique l'abandon de tout ou partie de sa culture,
« la perte du cadre culturel intérieur »
(NATHAN, 1988 : 183), qui correspondra à une acculturation.
L'observation des comportements matrimoniaux des enfants nés pour la
plupart en France peut illustrer cette forme de
« déchirure » : si les mariages endogames
contribuent au maintien de la famille dans sa cohésion traditionnelle,
le choix de l'union libre ou du mariage « mixte » indique
une certaine désintégration du « noyau dur »
culturel. L'intégration par l'acquisition de nouveaux modes
comportementaux empruntés à la société
d'installation ne risque-t-elle pas de mettre en péril le fonctionnement
même de la diaspora ?
Territoire
Le concept de territoire, qui est au confluent de
l'anthropologie et de la géographie. Outre les premiers travaux
menés par Elliot HOWARD - ornithologue anglais définissant la
« société territoriale » d'un groupe
d'oiseaux - cité par Joël BONNEMAISON, il faut attendre les
années 1980 pour voir publiés les travaux de ce dernier,
étudiant les mobilités et les territoires de groupes de Touaregs
du Niger, « l'ensemble des lieux hiérarchisés et
connectés à un réseau
d'itinéraires » (BONNEMAISON, 1981 : 254). A la
même époque paraissent les travaux de Paul CLAVAL qui s'inscrivent
dans une nouvelle forme de géographie dite
« culturelle » à laquelle contribue Armand
FREMONT grâce à la notion d' « espace
vécu ». Cette géographie des identités
s'attache aux rapport avec les lieux et les espaces. Elle cartographie les
déplacements, établit des cartes mentales... A partir des
années 1990, les « territoires du quotidien » sont
explorés par Guy DI MEO. Des travaux complémentaires menés
plus récemment se sont penchés sur les
« territoires urbains de proximité »
(GUERIN-PACE, 2003) ainsi que sur la « géographie des
odeurs » (PITTE, 1998).
Au concept de territoire est obligatoirement associée
la notion de territorialité qui « englobe à la fois
ce qui est fixation et ce qui est mobilité, les itinéraires
autant que les lieux », balancement permanent entre le fixe et
le mobile (BONNEMAISON, 1981 : 254). Jean-Luc PIVETEAU découpe
l'espace territorialisé en trois auréoles concentriques :
« le noyau du préservé, du privé, de
l'intime ; la couronne du collectif, du public, de l'inconnu ; et à
la conjonction des deux, une zone de lieux intermédiaires
d'échanges, de survenances, de métissages »
(PIVETEAU, 1995 : 24).
La seconde notion associée directement au concept de
territoire est celle d'appropriation. Selon André DAUPHINE,
« le processus d'appropriation est consubstantiel au
territoire ; ce processus marqué par des conflits, permet
d'expliquer comment le territoire est produit, géré,
ménagé et défendu dans l'intérêt du groupe
dominant ». Il s'appuie pour cela sur les travaux de l'Ecole de
Chicago qui a hiérarchisé les étapes d'appropriation des
quartiers urbains (BAILLY, 2001 : 65). Yves LACOSTE reprend cette
idée de territoire caractérisé par
« l'expression d'une volonté d'appropriation plus ou moins
exclusive soit par un groupe social, ethnique ou religieux, soit même par
une famille ou une individu » (LACOSTE, 2003 : 380). C'est
ainsi que l'on peut dire : «C'est mon territoire». Pour Joël
BONNEMAISON, « l'appropriation ne vient qu'en deuxième
instance... Le territoire est d'abord un espace culturel et d'identification ou
d'appartenance » (BONNEMAISON, 2004 : 131). Pour Armand
FREMONT : « l'espace vécu » est
à la fois « un espace social,... un espace-mouvement et un
espace-temps vécu,... une expérience continue »
(FREMONT, 1999 : 68). Cet espace vécu résulte de
« la somme des lieux fréquentés et familiers mais
aussi des lieux connus, aimés, perçus et
représentés » (BONNEMAISON, 2004 : 58). C'est
un espace de reconnaissance et de familiarité lié à la vie
quotidienne.
3. Un terrain
étudié progressivement
La proximité de notre résidence personnelle par
rapport au terrain d'étude a facilité les déplacements
fréquents et n'a pas nécessité un séjour long, qui
aurait toutefois permis une véritable immersion dans la vie du quartier.
Nous avons procédé en premier lieu à une phase
d'observation avant de passer aux entretiens et aux enquêtes de recueil
de données, tout en mettant en oeuvre à chaque étape une
méthodologie s'appuyant sur des outils spécifiques.
v La connaissance et l'observation des lieux
Avant d'entreprendre tout travail d'enquête et de
conduite d'entretiens, la connaissance des lieux paraît
indispensable : elle a nécessité une phase d'observation du
quartier de la Herse, situé à l'Est de Montreuil-Bellay, à
différents moments de la journée, dans la semaine et le week-end.
On peut ainsi constater des différences aussi bien dans l'occupation des
espaces que dans les pratiques de mobilité des habitants d'un quartier
dont le parc immobilier fait coexister le logement social (immeubles collectifs
et pavillons mitoyens) et le logement privé (pavillons). En l'absence de
commerces, cet espace urbain n'a aucune polarité interne visible, hormis
le centre social. Seuls les établissements scolaires - collège et
école - drainent, aux heures d'entrée et de sortie, une
population d'adolescents et de jeunes enfants souvent accompagnés. La
population active quitte le quartier en début de journée et n'y
revient qu'en soirée, si bien que la circulation automobile est faible
une grande partie de la journée. Pendant le week-end, surtout en
matinée, le quartier est davantage animé : les plus jeunes
se retrouvent dans la rue ou sur les espaces verts, les adultes
procèdent à des travaux de jardinage...
Au cours de cette phase d'observation, nous avons
également visité le cimetière tout proche à la
recherche des tombes des Hmong inhumés dans la commune, et avons
été surpris de découvrir d'autres lieux extérieurs
au quartier, par exemple les jardins potagers souvent à la
périphérie de la ville.
v Enquête auprès des usagers des lieux
Nous avons procédé, dans le quartier de la
Herse, à une enquête avec questionnaire auprès de la
population n'appartenant pas au groupe ethnique hmong, afin de recueillir les
perceptions que les individus ont des lieux, qu'ils résident soit dans
le quartier soit dans la commune. En introduisant, sans citer la
communauté hmong, des questions sur la connaissance que les
enquêtés ont de la population
« étrangère » locale, il a été
possible appréhender les rapports sociaux en présence, et parfois
les phénomènes de rejet.
L'enquête21(*) a été réalisée le
mercredi 13 juin 2007, entre 9h et midi, dans les rues du quartier, les
entrées d'immeubles et les aires de jeux, auprès de 22 passants.
Age
|
- de 20 ans
|
20 - 30 ans
|
30 - 60 ans
|
+ de 60 ans
|
Total
|
Hommes
|
2
|
3
|
2
|
2
|
9
|
Femmes
|
1
|
5
|
4
|
3
|
13
|
|
3
|
8
|
6
|
5
|
22
|
Tableau n°2 :
Composition de l'échantillon d'enquête
Nous souhaitions interroger des individus d'âge et de
sexe différents - l'âge étant un critère de
discrimination. En effet, compte tenu de l'arrivée
« ancienne » des familles hmong dans la commune, il
semblait intéressant d'enquêter auprès de personnes pouvant
témoigner de ces premières années d'installation. A
l'inverse, les adolescents ou jeunes adultes pouvaient apporter un
éclairage sur les perceptions récentes, en quelque sorte
historisées, de la communauté. D'autre part, nous avons voulu
rencontrer des employés des services techniques chargés de
l'entretien des immeubles, qui pouvaient avoir une vision plus globale sur
l'ensemble de la population.
Il s'agit d'une enquête légère qui a eu
comme avantage majeur d'être rapide et de laisser un espace de parole
suffisant du fait de l'importance numérique des questions ouvertes (7
sur 10). Par contre, si elle a le défaut d'être basée sur
un échantillon numériquement faible, elle a permis de mesurer des
degrés de connaissance très différents de la
communauté hmong, allant d'un savoir « historique »
- des réfugiés politiques - à une
familiarité évidente de bon voisinage, en passant par des
stéréotypes - Ils vivent entre eux et ne se mélangent
pas. L'analyse des réponses nous a permis de mieux comprendre la
perception de « l'étranger » dans un contexte de
très petite ville.
v Les entretiens : modalités et outils de recueil
des données
Nous avons rencontré un certain nombre d'acteurs
institutionnels en mairie qui nous ont communiqué des informations aussi
bien sur la commune que sur la population étrangère, en
particulier laotienne. Pendant les premières années qui ont suivi
l'arrivée des familles originaires du Laos (1981-1987), un recensement
nominatif de ces familles a été réalisé, permettant
de suivre l'évolution de la composition des ménages et leur
implantation résidentielle. Des informations en matière de
politique d'accueil des réfugiés sur la commune nous ont
été également communiquées : elles permettent
de comprendre l'évolution quantitative de ces familles pendant la
même période. La rencontre d'un assistant social plus
particulièrement chargé du suivi des dossiers concernant ces
familles a complété ce recueil de données factuelles. Il a
été enfin possible d'entrer en contact avec madame Odyle
GARRIGUES, résidant actuellement en Guyane, qui a été,
dans les années 1980, formatrice dans le centre d'accueil des
réfugiés de Port-Leucate : son témoignage sur
l'organisation de centre a été précieux dans la mesure
où n'existe, à notre connaissance, aucun document à ce
sujet.
Avant de mener les premiers entretiens, nous avions
souhaité sélectionner des individus en fonction de
critères spécifiques, en particulier la date d'arrivée sur
la commune. Une arrivée ancienne ou récente assurait de
recueillir des parcours migratoires différents. De même le
critère de l'âge nous paraissait important car il devait permettre
d'appréhender diverses modalités d'intégration et des
approches peut-être différentes de la culture hmong. Enfin, le
sexe des individus correspondait à un autre critère de
sélection, afin de vérifier l'existence de certaines
spécificités dans les mobilités et les rapports aux lieux.
Les témoignages ont été recueillis au sein de 5 familles
sur le 9 résidant dans la commune (familles Ka-Gé TCHA, Teng
CHIENG, Tsiong-Yia TCHA, Neng TCHA et Pao CHA) au cours d'entretiens
menés soit de manière semi-directive au domicile des
enquêtés, soit plus informels à l'occasion de rencontres
dans la rue ou lors de réunions de famille ou de fêtes
communautaires. Ces entretiens ont été fait d'abord avec les
pères de famille et ont été prolongés auprès
des enfants.
Il faut toutefois noter les difficultés
rencontrées pour obtenir les premiers entretiens, les personnes se
réfugiant derrière la barrière de la langue et
prétextant la nécessité d'un interprète. La
présence de ce dernier a eu à la fois des avantages - le discours
ralenti permet une prise de notes plus facile - mais également des
inconvénients, car, comme le fait remarquer G. CONDOMINAS, «
s'il faut passer par un interprète, cela devient fastidieux.
L'étranger pose une question, l'interprète la traduit ; on
répond, l'interprète retraduit ; tous ces temps creux, pris
par les traductions, allongent démesurément la conversation et
risquent de faire perdre le fil du discours [...] Les confidences
perdent de leur liberté [...] D'ailleurs, comment se confier
vraiment, en passant par un intermédiaire ? Et si l'on
« s'est mis à table », les temps d'arrêt
qu'exige la traduction donnent à celui qui se confie l'occasion de
réfléchir, ce qui change considérablement la teneur des
confidences » (CONDOMINAS, 1965 : 203). Toutefois,
même si la présence d'un interprète est demeurée
indispensable avec certaines personnes - les femmes en particulier - afin
d'obtenir des renseignements précis, le dialogue direct s'est
instauré rapidement, ce qui, à nos yeux, a traduit une marque de
confiance de la part des interviewés. De même, si dans les
premiers temps, il était indispensable d'obtenir un
« rendez-vous » officiel après en avoir clairement
précisé les intentions, parfois au prix de plusieurs jours
d'attente, la confiance qui nous a été peu à peu
accordée nous a permis d'arriver à l'improviste au domicile de la
personne que nous souhaitions rencontrer et d'être accueilli sans
difficulté.
Les entretiens ont été organisés selon 2
modalités de manière à recueillir méthodiquement
les informations. Les parcours migratoires et les « histoires de
vie » ont été recueillis à l'aide d'une matrice
biographique, permettant de mettre en relation histoire, mobilité
professionnelle et résidentielle de manière à
caractériser l'évolution concordante et cohérente d'une
période assez longue (DI MEO, 2005). Ces matrices ont été
complétées progressivement, le recueil d'informations initial
s'apparentant davantage à un « sommaire »,
détaillé par la suite, permettant ainsi à
l'interviewé de « suspendre sa vie pour la regarder comme
elle fut » (SAYAD, 1993 : 823)22(*). Nous avons
procédé par ailleurs à des entretiens semi-directifs sur
des thèmes précis : le mariage, la mort, les traditions...
Il est à noter qu'il y a eu souvent interférence entre ces deux
techniques, récits de vie et commentaires ou confidences se
mêlant. Dans ce cas-là, le recours aux enregistrements a
facilité le classement des informations.
Il faut enfin reconnaître une difficulté majeure
rencontrée au cours de ce travail de terrain, liée au statut de
la femme placée sous l'autorité incontestable du chef de famille.
La rencontre en dehors de la présence de l'époux n'a pas pu
être réalisée.
La familiarité qui s'est instaurée
progressivement avec la communauté nous a permis de participer à
des fêtes familiales et à des cérémonies
traditionnelles. La première fut un mariage célébré
entre Faty TCHA, un jeune homme hmong, et une jeune fille française, en
mai 2007 ; la seconde, une séance de chamanisme au domicile de
Ka-Gé TCHA, en juin 2007, dont le récit détaillé
figure intégralement en annexe. L'intérêt de ces moments
repose sur le fait que l'observateur se fond totalement dans le groupe et capte
ainsi de multiples informations, que l'entretien ou la discussion même
informelle ne permettent pas d'obtenir.
Conclusion : une lecture géographique par des
méthodes diverses
En choisissant de travailler sur, et avec, la
communauté hmong de Montreuil-Bellay, dans la perspective
géographique des rapports aux lieux, nous voulons apporter un
éclairage nouveau sur cette population qui est à la fois connue
du fait de sa visibilité et de son ancienneté sur la commune,
mais également méconnue en raison d'une sorte de
« discrétion » que l'on pourrait prendre pour une
forme de repli communautaire. Ce double aspect nous a amené à
privilégier un dispositif méthodologique qui repose
essentiellement sur des entretiens semi-directifs, guidés par une
matrice biographique, en préférant « les faits aux
opinions et attitudes car la remémoration des événements
est plus facile et moins entachée de
réinterprétation » (TRIBALAT, 1996 : 15), et
sur l'observation de terrain rendue possible dès lors que nous avons
été accepté dans le groupe communautaire.
Pour rendre compte de ce travail et préciser les
rapports aux lieux entretenus pas le groupe et les individus, trois dimensions
spatiales seront successivement abordées : celle des espaces
parcourus depuis le Laos jusqu'à la commune d'installation, celle des
espaces « vécus » élargis progressivement,
enfin celle des espaces symboliques et parfois rêvés qui
renforcent les liens diasporiques.
II.
D'un lieu à l'autre : dispersion, errance et ancrage
« ...de toute façon, on est toujours au bord
d'une autre vie. »
Alain QUELLA-VILLEGER
Nous allons accompagner les familles de réfugiés
hmong le long des parcours migratoires qui les ont conduites de leurs villages
d'origine au Laos jusque dans une commune du Maine-et-Loire où elles se
sont installées au terme d'un itinéraire que nous allons
retracer. Cette succession d'étapes, variables dans leur durée,
ont toutefois des points communs quant à certains lieux, qui ont permis
des formes d'ancrages territoriaux, mais également en ce qui concerne le
statut des individus. En effet, dans un premier temps le réfugié,
à partir du moment où il a quitté son pays, n'a qu'une
très faible marge d'initiative : il passe de camp en camp, de camp
en centre d'accueil... Il va, dans un second temps, avoir la possibilité
d'exercer des choix lui permettant une insertion dans la société
d'accueil : choix professionnels et choix résidentiels en sont les
composantes essentielles. Les témoignages recueillis permettent de
reconstituer les conditions dans lesquelles s'est fait le départ du
village d'origine et du Laos, puis l'accueil en Thaïlande dans les camps
sous contrôle de l'UNHCR, avant qu'un pays tiers n'ouvre ses portes et
permette à terme un nouvel ancrage, concrétisé pour
quelques uns par l'accès à la propriété.
1. Une mobilité forcée dans des lieux
géographiques fluctuants
a. La vie au village
La littérature ethnologique a pendant longtemps
présenté les Hmong comme un peuple semi-nomade (LEMOINE, 1972),
des « mangeurs de forêt » pour reprendre
l'image utilisée par G. CONDOMINAS23(*) à propos de la population Mnong Gar du
Vietnam, vivant de l'agriculture sur brûlis. Si cette image a longtemps
prévalu, il faut convenir que le contexte des guerres d'Indochine qui
précède le départ des Hmong du Laos en a quelque peu
modifié le caractère.
Dispersés dans les collines et souvent à
l'écart des axes routiers, les villages traditionnels se composent d'une
quinzaine de maisons abritant chacune une dizaine de personnes. En
réalité, ils se définissent « plus comme un
communauté que comme un lieu géographique »
(LEMOINE, 1972c : 33) car les familles appartiennent souvent au même
clan. Cependant, la population d'un village hmong est rarement compacte et
homogène. Loin de constituer une communauté fermée, le
village est ouvert à tous les groupes qui veulent s'y joindre, de la
même façon chaque famille ou chaque groupe qui veut le quitter le
fait en toute liberté et en ne tenant compte que de ses propres
intérêts. L'activité essentielle est l'agriculture
extensive itinérante, complétée par un élevage de
volailles, de bovins et de cochons. La guerre a pourtant modifié cette
structure villageoise, les villages ont grossi sous l'effet des
déplacements de population : Hmong Blancs et Hmong Verts24(*) cohabitent parfois, avec tout
ce que cela entraîne de difficultés de communication, leurs
langues étant quelque peu différentes. Au cours des entretiens,
nous avons rencontré plusieurs chefs de famille, originaires de
provinces différentes du Laos, dont les témoignages
coïncident :
Nous habitions dans un village dans la province de Luang
Prabang. C'était un gros village de plus de 90 maisons en bambous toutes
de plain pied... Je n'ai pas fait d'études. Comme mes frères et
soeurs, je travaillais dans les champs... Je me suis marié au village,
mais comme mon épouse ne pouvait pas avoir d'enfant, j'ai
épousé une deuxième femme parce que j'avais peur de ne pas
avoir d'enfants... Mon frère était chef de village,
c'était un chef hmong... Il y avait un autre chef de village laotien,
lui. (témoignage de K. T.)
Ce « récit de vie », qui
s'apparente davantage à un sommaire25(*), nous éclaire sur plusieurs points, en
particulier la structure familiale, l'éducation et les rapports aux
lieux.
Une famille hmong est traditionnellement une famille nombreuse
considérée comme une nécessité, ne serait-ce que
pour les activités agricoles (ROBINSON, 1990). La pratique de la
polygamie, qui sera précisée dans le chapitre III, en est
l'origine. Le système de parenté englobe à la fois la
famille conjugale, ou « nucléaire » (père,
mère, enfants), et la grande parenté étendue à tous
les liens familiaux plus ou moins lointains du côté de la
mère et du père (TAILLARD, 1980). Lorsque certaines personnes
nous ont été présentées comme étant des
« cousins », nous avons essayé de
démêler - en vain - l'écheveau familial. En
réalité, la notion d'appartenance familiale est très
large, allant du cousin ou du neveu direct à un vague parent issu d'une
lointaine parenté. C'est un point important à souligner et qui
sera repris ultérieurement dans le cadre de ce que l'on peut
désigner sous le terme de reconstitutions familiales.
Pour la plupart, les hommes interrogés ont un niveau
d'études faible. Certains, issus de familles modestes, ont dû
très tôt aider leurs parents dans les activités
agricoles ; d'autres ont pu fréquenter, pendant quelques
années, l'école du village ou de la ville voisine, et apprendre
des rudiments de français. Compte tenu de leur âge au moment du
départ du Laos - ils avaient souvent moins de 20 ans - et de leurs
origines rurales, aucun n'a suivi d'études supérieures. Les
femmes interrogées n'ont jamais fréquenté un
établissement scolaire. Tous souffriront, à leur arrivée
en France, d'une part, de la non-maîtrise de la langue française,
mais surtout de l'analphabétisme car ils ne pourront alors compter que
sur leur mémoire pour acquérir les bases d'une nouvelle langue.
Les enfants ont pu, dans les camps, que ce soit à Ban Nam Yao ou Ban
Vinaï, acquérir quelques bases linguistiques, mais c'est surtout
à leur arrivée dans les pays tiers qu'ils entameront une
scolarité « normale ».
Ce qu'ils appellent « les champs » -
ray - constitue un terroir fluctuant relativement
éloigné du village, et cela pour éviter que les troupeaux
- vaches, cochons, chevaux, volailles - laissés en liberté autour
du village ne s'attaquent aux récoltes. Ainsi, une à deux heures
de marche sont parfois nécessaires pour les atteindre. Ce sont des
parcelles conquises sur la forêt dont les hommes ont, dans un premier
temps, abattu les plus gros arbres. Ceux-là ne repousseront pas.
Après brûlis, nettoyage et clôture de la parcelle, on peut
ensemencer et procéder à la mise en culture. C'est là que
poussent le riz, le maïs et le blé, et des légumes divers
(piments, choux...). Même s'ils se disent aujourd'hui avoir
été « propriétaires » de ces terres,
il n'existait pas véritablement d'acte de propriété au
sens où nous l'entendons en Occident puisqu'au bout de plusieurs
années, la terre étant moins fertile, ils étaient
obligés de préparer une nouvelle parcelle. Même la maison,
dans la mesure où on peut être amené à
déplacer l'ensemble du village, n'est qu'un lieu de vie provisoire, qui
renferme cependant des lieux symboliquement importants, comme nous le
montrerons en étudiant les cérémonies du mariage. Le
territoire familial est donc « un ensemble de lieux
hiérarchisés, connectés à un réseau
d'itinéraires » (BONNEMAISON, 1981 : 254), qui relie
la maison et les champs, mais aussi les habitations des autres membres du clan.
Traditionnellement, l'autosuffisance est assurée par une agriculture
extensive itinérante et la cueillette des « herbes
sauvages » qu'ils appellent « salades ».
N'étant pas propriétaire d'un lieu géographique, ils en
disposent tant qu'il répond aux besoins du groupe.
Aucune des familles rencontrées ne possède de
photos de leur village. En voyant le document ci-dessous ils ont dit ne pas
reconnaître le type d'habitat : leurs maisons étaient
construites en bambous mais pas surélevées comme on peut le
constater sur la photo.
Photo n°1 : Un
village « hmong » près de Luang Prabang,
Source: J. P. Rodrigue. 2003.
http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/la.html
Par contre, ils ont été sensibles à
l'environnement qui leur rappelait les lieux où ils avaient passé
leur enfance. Monsieur T..., qui est revenu trois fois en Thaïlande depuis
qu'il vit en France, confie avec un sourire : « Quand on
voit la nature, les arbres, les bambous, ça ressemble au Laos, ça
fait plaisir... ». Ces éléments paysagers
correspondent à de « véritables médiateurs
symboliques » et renforcent le lien identitaire (DI MEO,
2005 : 84).
Du jour au lendemain, cette vie réglée sur le
calendrier agricole, rythmée par les traditions d'une civilisation
agraire ancestrale et dans laquelle chacun joue un rôle et a une fonction
au sein de la communauté, cette vie va basculer brutalement et pousser
sur les routes de l'exil ceux qui, jusque là, ne connaissaient que
l'environnement immédiat de leur village et qui, pour certains,
n'avaient du monde qu'une connaissance fondée sur les légendes
transmises oralement par les anciens de la famille. J.P. HASSOUN,
étudiant le terme « réfugié » dans les
langues hmong et vietnamienne26(*) constate que dans l'exil de nouvelles expressions
apparaissent alors : ils s'autodésignent comme « les
gens qui éclatent de leur territoire » (neeg tawg teb
chaw) (HASSOUN, MIGNOT, 1983 : 13). Plus que géographique, il
s'agit davantage d'un espace social traditionnel en marge de l'Etat laotien.
b. La fuite brutale
improvisée dans l'urgence
Nous étudierons en premier lieu, à partir de
témoignages recueillis, les conditions de ce départ, puis nous
élargirons cette étude de l'exil à l'ensemble de la
péninsule indochinoise, afin de mieux percevoir les
spécificités de chaque population.
En 1975, il [le chef du village] a
été arrêté et on a dit à mon
frère : « Tu dois quitter le village ». On a eu
peur et on est parti. On est passé de l'autre côté du
Mékong. On est resté une semaine à Xaignabouli. Je
cherchais mon frère... Quand je l'ai retrouvé, on est tous partis
vers la Thaïlande. Nous étions à peu près cinquante
de la même famille. On a marché pendant 7 jours... Les femmes, les
vieillards, les hommes, les petits... Quand on est arrivé en
Thaïlande, il y avait déjà des réfugiés
laotiens sur place. On a été bien accueillis par les
Thaïlandais... J'avais 17 ans... (témoignage de K. T.)
En 1976, j'ai quitté le Laos avec mes parents et
mes grands-parents. J'avais 15 ou 16 ans. C'était pendant les vacances
scolaires. Je ne comprenais pas grand chose. Il a fallu préparer de la
nourriture, quitter le village la nuit, laisser les animaux... On a pris de
quoi manger, boire et s'habiller. Pour passer la frontière il a fallu
choisir l'endroit, quelqu'un nous a montré le chemin... Il n'a pas fallu
le payer... On a marché pendant 10 km pour arriver en
Thaïlande...(témoignage de H.T.)
L'exil se fait en deux étapes : d'abord on quitte,
collectivement et dans la précipitation, le village et « on se
met à l'abri » sur la rive droite du Mékong, avant de
franchir la frontière et devenir un
« étranger ».
Le départ est collectif - il s'agit de groupes
familiaux - et semble précipité27(*) : en quelques heures, il faut fuir en laissant
derrière soi l'essentiel de ses biens sans ignorer les dangers auxquels
on va être exposé. Pour franchir le Mékong, les premiers
trouvent des barques où peuvent s'entasser jusqu'à 20 personnes.
Bientôt, les suivants n'auront pas cette chance et devront se construire
des embarcations de fortune, parfois simples flotteurs en bambous. Ils
traversent ainsi le fleuve au risque de leur vie. Et même si la
frontière thaïlandaise est « poreuse », elle
n'est en pas moins surveillée par endroit par l'armée et nul
n'est à l'abri d'une balle perdue.
R. POTTIER, dans un rapport au Président de la
République28(*),
évalue à 350 000 le nombre total de personnes29(*) qui ont quitté ou
cherché à quitter le Laos de 1975 à 1980, parmi eux, 125
000 montagnards environ, dont peut-être 100 000 Hmong (mais 75 000
seulement seraient arrivés vivants en Thaïlande), et sans doute 20
à 30 000 montagnards du Nord et du Sud Laos. On estime à 50 000
Laotiens (dont au moins 20 000 Hmong) ceux qui auraient péri en tentant
de franchir la frontière. Comme on peut le constater, tous ces chiffres
ne sont qu'approximatifs, la comptabilité étant impossible en
raison des conditions de franchissement de la frontière et de la
massivité des flux. D'autre part, on estime généralement
que près de 80 000 Laotiens (pour la plupart Lao) ont réussi
à se fondre clandestinement dans la population thaïlandaise en
1975-1976, un certain nombre ayant toutefois préféré par
la suite rejoindre les camps de réfugiés pour échapper aux
recherches de la police thaïlandaise, et afin de pouvoir
bénéficier de la possibilité d'émigrer en France ou
dans un autre pays (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 92).
Le graphique n°1 permet d'élargir l'observation
à l'ensemble de la péninsule indochinoise (Laos, Vietnam,
Cambodge) et de comparer les situations des populations concernées. On
peut constater deux phénomènes essentiels : d'une part
l'importance des flux de réfugiés estimés globalement
à près de 2 millions, d'autre part les situations très
contrastées selon les nationalités et les années.
Graphique n°1 :
Nombre de réfugiés « land people »
enregistrés dans les camps thaïlandais (1977-1987)
Si le nombre de réfugiés originaires du Laos est
constant pendant cette période, avec une légère baisse en
1983, celui des Cambodgiens connaît un pic important en 1979-1980 suivi
d'une baisse progressive, alors que le nombre de Vietnamiens demeure
très faible. Comment expliquer ces différences et ces
contrastes ? Le contexte géopolitique est un facteur explicatif.
Des trois pays de l'Indochine orientale, le Laos est celui
dont les frontières sont les plus perméables. Le Mékong ne
sépare pas le Laos de la Thaïlande, mais constitue, au contraire,
un lien entre les deux pays. Les populations des deux rives du fleuve parlent
la même langue et sont en fait d'ethnie lao. Entre la rive
thaïlandaise et la rive laotienne, hommes et marchandises ont toujours
circulé librement, et il est fréquent d'avoir des parents dans le
pays voisin. Dès la prise du pouvoir par les communistes en 1975, la
monarchie est abolie et la répression touche une partie très
importante de l'administration et de l'armée qui avait collaboré
avec les Américains et notamment les Hmong, ethnie minoritaire au Laos,
répression se traduisant par une vraie chasse à l'homme
(poursuite dans les jungles, meurtres, tortures, viols...). Une des
conséquences de cette politique sectaire et répressive est alors
l'exode de près de 10% de la population, débordant ainsi
largement la classe aisée et les couches dotées d'une certaine
instruction. Même lorsque les autorités laotiennes ont
cherché à s'opposer à l'exode des populations, il a
été presque impossible de contrôler efficacement les
quelque 1 805 kms de cours du Mékong dans sa partie laotienne. Il est
sans nul doute moins risqué pour un Laotien de franchir le fleuve, en
pirogue ou même à la nage, que pour un Vietnamien de braver les
périls de la mer.
A l'inverse, jusqu'en 1979, le Cambodge sous les Khmers Rouges
de POL POT était devenu « un vaste camp de concentration
dont il était incroyablement difficile
d'échapper » (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 127). Du
fait de l'organisation minutieuse de la société, il
n'était pas possible sous peine de mort de quitter le lieu auquel on
avait été affecté. Pour renforcer la surveillance, les
zones frontières avaient été minées : de
là le très faible nombre de réfugiés cambodgiens
enregistrés dans les camps thaïlandais jusqu'en 1979. En
réalité le nombre de Khmers qui ont essayé de fuir le
Cambodge est bien supérieur au nombre de ceux qui y sont parvenus. On
estime à au moins 200 000 ceux qui auraient péri en route. De
plus, contrairement à ce que l'on pouvait observer à la
frontière laotienne, il ne s'agissait pas de groupes familiaux mais
plutôt d'hommes seuls qui tentaient l'exil. Les vieillards et les jeunes
enfants n'auraient eu aucune chance de réussir et les femmes devaient
rester pour s'occuper d'eux. En 1979 les troupes vietnamiennes occupent le
Cambodge et le gouvernement pro-vietnamien de Heng SAMRIN est mis en
place : les Cambodgiens voient de manière inespérée
la porte de leur prison s'ouvrir. On peut interpréter alors leur exode -
en famille, cette fois - comme un phénomène de fuite
différée.
La faiblesse des flux de Vietnamiens pris en charge dans les
camps de l'UNHCR thaïlandais pendant la même période - 10 000
environ - s'explique par l'absence de frontière commune entre la
Thaïlande et le Vietnam. La voie terrestre est de fait beaucoup moins
empruntée que la voie maritime. A titre de comparaison, toujours selon
les statistiques du HCR, le nombre de « boat people » qui
ont quitté le Vietnam entre avril 1975 et avril 1980
s'élèverait à 331 725 personnes.
R. POTTIER rappelle dans son rapport que « la
majorité des populations de l'Indochine ont été
continuellement ballottées d'une région à l'autre du fait
des événements politiques et militaires, de sorte que les liens
traditionnels qui les unissaient à leurs terroirs ont été
rompus ». Il conclut en disant que « l'exode
actuel [en France] doit être compris comme la continuation
[...] d'un processus de déracinement qui s'est produit à
l'échelle de peuples entiers » (CONDOMINAS, POTTIER,
1982 : 93). Ce déracinement constitue le premier véritable
« désancrage » de cette population.
Quels rapports aux lieux vont-ils désormais pouvoir
établir ?
2. Une mobilité sous contrôle pendant
l'exil
a. Le camp, le premier
asile
Ceux qui ont survécu au voyage et ont pu franchir la
frontière sont parfois blessés ou malades ; ils sont
conduits vers les postes de police pour vérification d'identité
et transportés en camion dans les camps fermés où ils
trouvent enfin le premier asile, après l'enregistrement obligatoire des
familles, ce qui constitue la phase politico-policière du dispositif et
donne droit aux rations alimentaires, phase économico-policière
(BROCHEUX, 1983 : 201). Les camps de Ban Vinai, Nong Khai, Ban Nam Yao, et
Chiang Kham, situés de l'autre côté de la frontière
(carte n°4) accueillent essentiellement les familles Hmong.
Entourés de barbelés, ils sont aménagés en villages
et les sorties ne sont pas autorisées.
Carte n°4 : Les
camps de réfugiés sous contrôle de l'UNHCR en
Thaïlande
v Changement social
Le camp de réfugiés modifie radicalement la
condition et le statut des Hmong. Du point de vue des organisations
internationales, ils sont reconnus comme réfugiés « de
droit international ». Leur dépendance est extrêmement
forte tant pour la nourriture - les rations sont fournies par l'UNHCR et les
organisations humanitaires -, que pour les déplacements, puisqu'ils sont
cantonnés dans l'enceinte du camp30(*). Pour celui qui a toujours vécu dans un
village au sein d'une communauté en quasi-autarcie, où se
pérennisaient les traditions, et où « la logique du
lignage l'emporte généralement sur celle du
voisinage » (TAILLARD, 1977 : 56), le camp
représente une étape dans le changement social où se
mêlent la découverte d'une certaine modernité - les enfants
qui jusque là n'avaient pas été scolarisés
reçoivent les premières bases - mais surtout celle de
l'état de dépendance. Comme le fait remarquer G. CONDOMINAS
à propos du camp de Ban Vinaï, et cela demeure applicable aux
autres camps, « ces minuscules communautés
éparpillées dans la jungle [...] se sont
rassemblées en Thaïlande, comme jamais cela n'avait eu lieu au
cours de leur longue histoire, en une agglomération de plusieurs
dizaines de milliers d'individus » (HASSOUN, 1997 : 10).
Les familles que nous avons rencontrées sont presque
toutes passées par le camp de Ban Nam Yao - « village de la
rivière sauvage » en thaïlandais - dans lequel elles sont
restées plusieurs années avant de quitter la Thaïlande. En
arrivant dans le camp, la première tâche qui attend les
réfugiés est la construction de la maison en utilisant les
matériaux locaux - bambous et chaume - fournis par l'UNHCR. Cet abri de
fortune est pour eux un premier ancrage en terre étrangère sous
contrôle des autorités thaïlandaises.
J'avais 17 ans quand nous sommes arrivés dans le
camp.
Nous sommes restés 5 ans à Ban Nam Yao... Il
y avait 14 000 réfugiés. La vie était compliquée.
Au début, il n'y avait pas de toilettes, les gens n'avaient pas d'eau
pour se laver... Pas d'électricité non plus... On n'avait pas de
travail, il n'y avait pas de terre à cultiver, et on n'avait aucun moyen
de gagner de l'argent pour acheter de la nourriture... On était
enfermé et c'est l'ONU qui nous donnait la nourriture, l'eau... Toute la
famille vivait ensemble... J'ai eu deux fils...
(témoignage de K. T.)
Le « food basket » se compose de riz, de
poisson séché, de légumes secs et d'huile,
complété parfois par des légumes frais. L'aide
internationale cessera en 1999 et pourtant, deux ans après, des
réfugiés sont toujours là, abandonnés cette fois.
Un témoin, venu apporter des courriers et divers objets, confiés
par des Hmong vivant en Guyane française et destinés à des
membres de leur famille ou à des amis, décrit le lieu en ces
termes :
Imaginez des collines de terre ocre complètement
déboisées et couvertes de petites maisons construites de bric et
de broc et entourées de rigoles pour empêcher la pluie de les
envahir. Il était difficile de connaître la population du camp
mais elle était évaluée à plus de 20 000 personnes.
Le camp ressemblait à une fourmilière avec des enfants
partout. Il ne paraissait pas y avoir de plan précis et les
maisons semblaient avoir été construites au hasard sur les
pentes et étaient reliées par des chemins de terre qui
serpentaient. L'hygiène était catastrophique. Sans doute y
avait-il un ou plusieurs dispensaires mais je ne les ai pas vus. J'ai le
souvenir d'un point d'eau avec un robinet au bout d'un tuyau posé
à même le sol dans la poussière. Les femmes et les petites
filles venaient faire la queue avec toutes sortes de récipients et
repartaient vers leurs maisons.
Certaines familles avaient des jardinets avec quelques
légumes et des papayers. Il y avait très peu d'arbres. L'ensemble
donnait une impression de désolation et je n'ose imaginer quel bourbier
ce devait être à la saison des pluies.
Certains réfugiés se débrouillaient
pour sortir et travailler aux environs du camp. Les policiers thaïlandais
étaient complices et laissaient faire, sans doute contre
rémunération... (témoignage de madame O. G.)
Il faut imaginer cette population de montagnards
habitués à vaquer à leurs occupations dans beaucoup
d'espace, à vivre de leurs mains en pratiquant agriculture et
élevage, à subvenir à leurs propres besoins, se retrouvant
désormais dans le plus complet dénuement, vivant dans des
conditions sanitaires déplorables aggravées par la
promiscuité et dépendant désormais totalement de l'aide
internationale. Ajouté à cela un avenir incertain : le
retour « là-bas » au Laos impossible et un
« ailleurs » inconnu : « Quand on a pu
partir en France, je ne savais pas où c'était ni comment
c'était... » (K. T.). Et pourtant, on continue à
vivre, on se marie, on fonde une famille, on organise des fêtes pour
perpétuer les traditions et entretenir par la pensée un lien avec
le village abandonné.
v « Passer l'interview »
Un jour, parce qu'on est « des gens à la
moitié du chemin » (neeg tog kev), on se décide
à « passer l'interview » (HASSOUN,
1983 : 14), à savoir se mettre en quête d'un visa
délivré par un des pays tiers dont les représentants sont
présents dans le camp. Comment choisir ? Vers quelle destination
inconnue se tourner ? Peut-on réellement choisir ?
On savait qu'on ne pouvait pas revenir au Laos... Toutes
les ambassades de France, d'Australie, du Canada, des USA nous ont
interviewés pour savoir si on voulait venir dans leurs pays... On a
choisi la France... (témoignage de K.T.)
Je suis resté 3 ans dans le camp, je me suis
marié et j'ai eu un enfant. J'avais un oncle en France. C'est pour
ça qu'on a choisi la France... (témoignage de H. T.)
Il semblerait, selon le premier témoignage, que le
réfugié ait eu un choix à faire : en
réalité, il ne pouvait prendre la direction des pays anglo-saxons
en raison de sa polygamie ; dans le second cas, nous sommes en
présence d'un rapprochement familial facilité par la
possibilité de donner l'adresse d'un parent déjà
installé. Cela octroie une priorité dans la sélection des
partants. A titre secondaire, on retient aussi la connaissance de la langue
française ou anglaise, ou les anciens services rendus par ceux qui ont
travaillé avec les Français ou les Américains. Par
exemple, le père de Teng CHIENG était militaire au Laos, aux
côtés des Français, à l'époque du
protectorat. Il explique ainsi son départ pour la France :
« L'Ambassade a vu que je peux venir en France,
parce que nous avons des choses qui nous rapprochent des
Français ».
En réalité, les réfugiés ne
choisissent pas le pays d'accueil car ils sont toujours prêts à
tenter l'expérience d'une insertion dans le premier pays qui accepte de
leur donner asile (CONDOMINAS, 1982 : 176).
L' « ailleurs » vers lequel ils ont
décidé de se diriger est toujours associé à un
mieux-être économique et politique (HASSOUN, 1997 : 49).
Pourtant, contrairement aux membres des autres
nationalités, les tribus montagnardes enregistrent le taux de
réinstallation le plus bas. De 1980 à 1983, 8 854 membres de ces
tribus sont partis pour un pays tiers, contre 99 277 Cambodgiens, 36 422
Vietnamiens et 33 818 Laotiens des basses terres. Cela tient essentiellement au
fait qu'elles constituent une société très soudée,
dominée par un esprit de clan. Les membres de la tribu se conforment
généralement aux décisions des chefs de clan, quelles
qu'elles soient. Dans les camps, ils continuent d'exercer une autorité
dans un cadre similaire à celui du village d'origine au Laos. La
réinstallation impliquerait la dispersion des membres de la tribu et
mènerait, dans un cadre étranger, à l'affaiblissement de
l'autorité des anciens sur leurs proches (NA CHAMPASSAK, 1984 :
15).
Le départ est encore un moment douloureux pour
différentes raisons, car « la migration politique est
celle qui laisse le moins de place au projet » (HASSOUN,
1997 : 81). De plus, outre l'appréhension du voyage - on prend
l'avion pour la première fois - et la peur de l'inconnu, on quitte des
membres de sa famille qui n'ont pu ou pas voulu obtenir un visa : un homme
doit parfois abandonner l'une de ses femmes pour pouvoir accepter une offre de
réinstallation (ROBINSON, 1990). On laisse sur place les amis que l'on a
eus. La promiscuité et les souffrances partagées, ainsi que les
moments de bonheur vécus dans l'enceinte du camp, tout cela a fait
naître ou renforcer des amitiés. Et c'est tout ce passé que
l'on abandonne, une fois de plus, pour une vie
nouvelle « sab ntuj teb nraum no »,
c'est-à-dire « de l'autre côté du
monde » (HASSOUN, MIGNOT, 1983 : 14).
b. Les sas d'entrée dans
le pays d'accueil : le réfugié réifié
Comme il l'était dans le camp, le réfugié
et sa famille sont dans un premier temps privés de toute initiative. Il
y a d'abord la barrière de la langue qui rend difficile la moindre
communication et nécessite de recourir à un interprète. Il
y a surtout un nouveau mode de vie qui est imposé d'emblée :
logement, alimentation, climat... Tout est nouveau et tellement
différent. Ainsi, Teng CHIENG évoque, en souriant aujourd'hui,
ses premières impressions :
Quand je suis arrivé à Paris le 5 mai, il
faisait froid.. J'ai vu que les arbres n'avaient pas de feuilles... ils
étaient tout desséchés... mais je ne voyais pas de neige.
Quand j'étais étudiant au Laos, j'avais appris qu'en France il y
a beaucoup de neige à partir au mois de novembre jusqu'au mois de
mars... J'ai cru que les arbres étaient morts... J'ai cassé une
branche et j'ai vu qu'elle était dure. Les arbres n'étaient pas
morts !... Après, j'ai vu les feuilles pousser... Ah ! c'est
bizarre !...
Au fil des semaines, une fois les
« papiers » obtenus et les premiers apprentissages
maîtrisés - ceux de la langue, en particulier -, une forme
d'autonomie est acquise, qui va permettre une insertion progressive dans la
société d'accueil.
v « Créteil » : la prise en
charge administrative
A leur arrivée en France, les réfugiés
sont hébergés à Créteil, chemin
Vert-des-Mèches. C'est le plus ancien et le plus grand centre d'accueil
d'exilés de France, créé en 1975 par France Terre d'Asile.
A l'origine, le Centre de Créteil accueillait les victimes des
dictatures militaires d'Amérique latine, plus tard, dans les
années 1980, ce furent les réfugiés asiatiques. Le
réfugié et sa famille sont alors pris en charge sur le plan
sanitaire, mais surtout administratif afin d'entamer les démarches
permettant l'obtention du statut de réfugié. La
déclaration comme demandeur d'asile faite dans les délais les
plus brefs auprès de la préfecture assure la délivrance de
l'autorisation provisoire de séjour (APS) sur déclaration
d'adresse postale. Une fois son dossier transmis à l'Office
français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA),
le réfugié obtient le récépissé de demande
de séjour valable 3 mois, avant que son statut soit officiellement
reconnu.
Ainsi, au terme de deux semaines consacrées à
ces démarches, H. T. s'est retrouvé à Port-Leucate, dans
le département de l'Aude. Il s'agissait d'un « Centre
provisoire d'hébergement éclaté », dont les
anciens animateurs reconnaissent qu'à l'époque
« tout le monde avait les bras ouverts... On avait du travail
pour toutes les personnes... ». Il y eut effectivement une forte
mobilisation pour les accueillir à leur arrivée, qu'il faut
imputer en partie au sentiment de culpabilité de la France
vis-à-vis de ses anciennes colonies, où son influence
était encore forte peu d'années avant les
événements de 1975 (BERTHELEU, 1999 : 27). Nous avons pu
recueillir auprès d'Odyle GARRIGUES, formatrice à Port-Leucate,
des indications sur le fonctionnement de ce centre et sur les modes de prise en
charge des populations réfugiées.
v Le centre d'accueil de Port-Leucate : les premiers
apprentissages
Le centre de réfugiés fonctionne dans les locaux
d'un centre de vacances situé sur la plage à Port-Leucate,
station balnéaire construite dans le cadre de l'aménagement
du littoral du Languedoc-Roussillon, entre Narbonne et Perpignan. Les locaux
sont loués par la Fédération Audoise des Oeuvres
Laïques (FAOL) grâce à un budget de la DDASS. Sur place,
oeuvrent des travailleurs sociaux, dont une jeune femme hmong, et un
interprète. Les réfugiés sont logés dans de petits
appartements de vacances réunis en « hameaux » avec
des cours intérieures communes à 3 ou 4 appartements. Rapidement,
ils vont s'approprier cet espace pour en faire un lieu de regroupement et
reconstituer un semblant de lieu de vie communautaire : c'est là
qu'ils se retrouvent, les hommes pour fumer leur pipe à eau, les femmes
pour surveiller les enfants. Toutefois ces appartements ne sont pas
équipés de cuisine, ce que regrettent les femmes qui cuisinent
quand même parfois, en cachette, ce qui ne va pas sans poser des
problèmes d'hygiène et de cohabitation avec la direction du
centre et d'autres résidents.
La prise en charge immédiate est à la fois
administrative et médicale. Les réfugiés ont souvent
passé plusieurs années dans des camps thaïlandais de Ban Nam
Yao ou Ban Vinai. Aucun n'est vacciné, il y a de nombreux enfants en bas
âge et les femmes, souvent en mauvaise santé, souffrent de
parasitoses, de problèmes dentaires, de maladies des yeux... Mais c'est
surtout par l'apprentissage de la langue et des normes économiques que
se fait l'aide à l'insertion dans la société d'accueil.
Les adultes suivent une formation, essentiellement consacrée à
l'apprentissage du français alternant avec des séances pratiques
sur l'entretien d'une maison, des vêtements, et sur des notions
d'hygiène... L'apprentissage du français par les Hmong est
généralement plus lent que celui des autres Asiatiques car la
majorité d'entre eux sont analphabètes et ne peuvent compter que
sur leur mémoire pour progresser, avec l'aide de quelques cassettes. Les
plus jeunes qui ont été scolarisés et écrivaient
hmong ou même lao progressent plus rapidement. Des cours de cuisine
constituent un support d'apprentissage différent et servent de
prétexte à l'acquisition du vocabulaire des produits alimentaires
de base et des appareils ménagers. Ils permettent aussi de
découvrir de nombreux produits dont ils ignorent tout, et d'apprendre
à les cuisiner... Un petit pécule de 10 à 12 fr. par jour
est versé aux réfugiés, normalement
thésaurisé pour leur installation à la sortie du centre,
mais sur lequel ils peuvent obtenir des avances et ainsi se familiariser avec
la monnaie et se rendre compte du coût de la vie. Enfin, compte tenu de
l'isolement du centre, des sorties en bus sont organisées vers Narbonne
ou Perpignan dans le cadre de la formation afin de leur montrer la
réalité de la vie en France.
L'aide à l'insertion repose donc sur deux piliers
essentiels que sont les apprentissages linguistiques et économiques,
indispensables pour prétendre à une insertion professionnelle et
sociale dans la société d'accueil. Pendant les 2 ou 3 mois de
séjour dans le centre, les réfugiés capitalisent le
maximum de ressources qui doivent leur assurer rapidement une certaine
autonomie.
v La mobilité contrôlée
Au terme de ce séjour dans le centre d'accueil, qui
constitue un nouveau sas à franchir, l'individu ou la famille entreprend
d'entrer réellement dans le « corps social » et,
soit par la mobilisation des réseaux familiaux, soit par les
opportunités qui leur sont proposées, prend une nouvelle
destination. Nous retiendrons 2 exemples parmi les témoignages
recueillis pour illustrer cette nouvelle forme de mobilité.
J'ai travaillé une fois à Brive aussi.
C'était là aussi un stage... Au foyer, ils voulaient que j'essaye
d'élever les canards pour les foies... J'ai essayé pendant 2
mois, mais ça n'a pas marché...
Ce premier témoignage permet de rappeler un principe
qui avait été adopté à l'époque en
matière de politique d'accueil des réfugiés. Afin
d'éviter la formation de concentrations urbaines trop denses, mais
également parce que « le mythe, en tant que discours
politique, produit un idéal-type humain, une société, un
paysage et un territoire » (DI MEO, 2005 : 79), on avait
« une image du Hmong paysan des montagnes présenté
comme un infatigable marcheur » (HASSOUN, 1997, 64), on tenta
alors pour une partie d'entre eux, une insertion en milieu rural31(*), dans les Cévennes, le
Limousin, la Corrèze. Lors de journées d'information et de
réflexion de la scolarisation des enfants réfugiés de
l'Asie du Sud-Est organisées par le CEFISEM32(*), en 1980, il avait
été dit que « leur insertion en milieu rural
concorde mieux avec leur tendance innée à se regrouper en
famille. Il y a l'exemple de la Guyane dont le climat et la
végétation rappellent beaucoup l'Indochine, où les Hmong
semblent bien s'adapter. Il y a aussi l'exemple de la Lozère où
depuis deux ans une action d'implantation de Hmong est
engagée » (DUPONT-GONIN, 1980 : 23). Autant en
Guyane on a pu constater un réel ancrage dans la durée, autant
dans les départements de la métropole tous ces projets prirent
fin au bout d'un à trois ans. Les « ruraux »
partaient rejoindre des « parents » qui avaient
été directement installés en ville. L'idéal-type
construit par la société occidentale n'a pas
résisté longtemps.
Le second témoignage...
Je suis arrivé à Paris en 1980. Je suis
resté 15 jours dans un centre d'accueil, puis on a été
amenés à Bourges dans un foyer. Là il a fallu attendre les
papiers, les cartes de séjour, les cartes de travail... ça a
duré 6 mois. Moi je n'avais pas de travail. Un jour, on nous a
proposé du travail à Montreuil-Bellay : mes deux femmes
pouvaient travailler dans les caves de champignon. On est arrivé
à la fin 1980. Moi, je n'avais pas de travail, j'ai gardé les
enfants à la maison. On habitait dans un appartement... J'ai fait de la
couture...
On distinguera plusieurs phases dans ces « histoires
de vie » : la première, commune à tous les
réfugiés enquêtés fait suite à la prise en
charge par les dispositifs d'aide aux réfugiés, sous la
responsabilité de France-Terre d'Asile qui gère les
différents centres d'hébergement provisoire. Elle est
marquée par une grande dispersion. Ainsi certains membres du clan TCHA
se retrouvent dans le centre de la France (Bourges, Limoges), d'autres dans le
Sud (Port-Leucate). C'est aussi une phase transitoire : encore
assisté dans sa vie quotidienne, le réfugié acquiert peu
à peu une forme d'autonomie qui passe d'abord par l'apprentissage de la
langue et d'un mode de vie, symbiose de traditions et de nouveautés. La
seconde phase est caractérisée par un changement de statut social
de l'individu. Il devient désormais davantage acteur de sa
mobilité et entame des migrations secondaires, qui permettent le
regroupement communautaire sous la forme de petites concentrations de familles
possédant une unité linguistique, culturelle et une histoire
commune (CHORON-BAIX,1988). Ces migrations secondaires sont par ailleurs
complexes car elles ne cessent jamais totalement33(*), d'où la
difficulté d'établir une carte des localisations (HASSOUN,
1997).
3. Le choix de l'ancrage dans un milieu urbain
Quelle a été réellement la marge
d'initiative laissée aux Hmong qui sont arrivés à
Montreuil-Bellay ? Il nous paraît nécessaire de retracer
brièvement l'histoire de la constitution de cette communauté
ethnique, d'une part car elle illustre bien le fonctionnement des
réseaux familiaux et relationnels qui en sont le fondement, mais aussi
car elle permet de saisir le rôle que les politiques locales en
matière d'accueil des réfugiés ont joué,
attractives dans un premier temps mais dissuasives ensuite. Cette étude
permettra aussi de vérifier dans quelle mesure certains ont pu
réaliser un ancrage territorial.
a. Politiques d'accueil
à Montreuil-Bellay
La municipalité de Montreuil-Bellay a
procédé, en 1981, 1982 et 1987, à quelques recensements de
la « communauté laotienne », véritable
« communauté ethnique locale » (HASSOUN,
1988 : 39). Quelles étaient ses intentions d'alors ? Ces
recensements n'ont-ils pas été réalisés à
seule fin de mettre en place une politique migratoire ? Leur consultation
nous a permis d'obtenir des informations quantitatives portant sur la date
d'arrivée des chefs de famille, les compositions familiales (couples,
ascendants, enfants) et les lieux de résidence.
v Une vague d'arrivée favorisée puis
freinée par décisions municipales
Au cours de la période 1978-1987 (graphique n°2),
on peut distinguer une première vague (1978-1981) au cours de laquelle
arrivent 148 individus (45 adultes, 103 enfants, soit 19 familles), suivie
d'une période d'arrêt total des arrivées, suivie
elle-même d'une reprise de la migration (1986-1987) beaucoup plus faible
cette fois-là (5 adultes, 15 enfants, soit 3 familles).
Graphique n°2 :
Familles hmong arrivées à Montreuil-Bellay
(1978-1987)
Comment expliquer ces importantes variations ? Les
premiers arrivants vont bénéficier d'un contexte
économique favorable associant des opportunités d'emploi et de
logement, comme il est rappelé dans un courrier (annexe 1a)
adressé au maire de Montreuil-Bellay par monsieur L.,
secrétaire général de la mairie. Celui-ci déclare :
« Vous savez qu'au début de l'année 1978, sans que
n'existe aucun structure d'accueil, les premières familles laotiennes
sont arrivées à Montreuil-Bellay, guidées par la
disponibilité de logements et la possibilité de travail dans la
région... ».
Les emplois proposés sont des emplois faiblement
qualifiés dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame, qui
recrutent, par l'intermédiaire d'une assistante sociale, une main
d'oeuvre essentiellement féminine, et dans une entreprise locale de
menuiseries aluminium, UCP, rachetée par la suite par le groupe Euramax
Industries. Quoiqu'en dise M. L., un comité d'accueil existe pourtant en
la présence de Madame T., épouse d'un chef d'entreprise saumurois
et responsable du « G.A.T.R.E.M. Indochine » (Groupe d'aide
au travail, au reclassement et à l'éducation des migrants). C'est
par le jeu de ses relations personnelles que des emplois dans l'industrie sont
alors proposés. Ces réseaux relationnels ou professionnels jouent
à ce moment-là un rôle capital car les familles hmong
peuvent envisager de quitter le centre d'accueil provisoire dans lequel elles
sont cantonnées depuis plusieurs mois.
Le travail dans les champignonnières a
été décrit par Pi CHA34(*) dans la revue Hommes et Migrations (1999).
Les conditions de travail et le rythme imposé aux ouvrières -
« huit à dix heures de travail dans ces galeries sombres,
avec une pause de deux heures pour le déjeuner, et quelques autres
courts arrêts... » - sont particulièrement rudes,
mais la nécessité d'un revenu indispensable, en l'absence
d'autres qualifications professionnelles, ne leur laisse qu'une faible marge de
choix. Dans une famille, les deux épouses travaillent dans les
champignonnières et le chef de famille reste au domicile, assurant la
garde des enfants, tout en exerçant une activité de couture
à façon.
Les femmes qui n'ont pas de famille à Montreuil-Bellay
logent dans une maison que leur employeur a mise à disposition,
moyennant une petite rétribution financière, et où les
enfants, pendant les vacances scolaires, peuvent résider en les
attendant. Elles disposent également du jardin attenant au
bâtiment où elles font pousser des légumes du Laos. Celles
qui ont de la famille à Montreuil-Bellay sont hébergées
par elle. En matière de logement, la commune s'est
équipée, en quelques années dans le quartier de la Herse,
de logements sociaux (photos n°2 à 5) régis par l'Office
d'HLM d'Angers (Habitat 49), comprenant à la fois des appartements dans
6 immeubles collectifs de 4 étages (1969), une
« tour » de 9 étages (1972), des pavillons
appelés « Les Gémeaux » (1971) et enfin les
« gradins-jardins » achevés en 1977. L'ensemble
représente un parc locatif de 196 appartements et 60 pavillons35(*) (carte n°5).
Carte n°5 :
Logements sociaux du quartier de « la Herse »
(Montreuil-Bellay)
|
Immeubles collectifs
Rue des Vignes
En arrière plan la rue des Collèges
(construction : 1969)
|
|
« La tour », rue d'Anjou
(construction : 1972)
|
|
Les « gradins-jardins »
(construction : 1977)
|
Photos n° 2, 3,
4 : Trois types d'habitat collectif dans le quartier de la Herse
|
Les « Gémeaux »
Rue du Général de Gaulle
|
Photo n°5 : Les
Gémeaux, pavillons mitoyens, dans le quartier de la Herse
v Les inquiétudes de la municipalité
Peu de temps après les premières
arrivées, la politique municipale en matière d'accueil se
modifie, comme le prouvent deux courriers adressés en 1981, l'un, par le
secrétaire général de la Mairie au maire de la commune et
aux membres du bureau d'aide sociale (annexe 1a), l'autre, par le Maire de
Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame, petite commune
voisine (annexe 1b).
Nous retiendrons de ce premier courrier quelques
éléments qui permettent d'éclairer ce changement
d'attitude et de réfléchir sur les fondements d'une politique
migratoire dans une très petite ville. Il dénonce en effet, sans
les nommer, deux « phénomènes » : l'un
est l'atteinte d'un seuil de tolérance, l'autre, le risque de
« conflits ethniques ».
...ces personnes [...] représentent
environ 10% de la population du quartier, et s'ajoutent à quelques
autres familles d'immigrés marocains ou turcs, vivant également
dans ce quartier [...] le nombre de
réfugiés a atteint un niveau qu'il serait dangereux de
dépasser...
...des inconvénients graves, aussi bien pour ces
familles que pour les familles vivant dans le même quartier, peuvent
survenir dans les années à venir [...] Certains
logements ont été quittés ou refusés parce que, sur
le même palier, vivaient une ou plusieurs familles laotiennes, de jeunes
enfants laotiens ont provoqué à plusieurs reprises des
dégradations au stade...
La notion de « seuil » est apparue dans
les études de la sociologie américaine sur les distributions
résidentielles des groupes ethniques. D'un outil empirique
élaboré a posteriori pour rendre compte de l`évolution
urbaine des années 1925-1950 en Amérique, il s'est mué, en
traversant l'Atlantique, en explication a priori. En 1968, un rapport du
Conseil Economique et Social lui attribue un fondement scientifique,
réfuté explicitement par les sociologues, sur lequel s'appuie la
politique des quotas et autres contingentements. Selon Véronique de
RUDDER, la notion de « seuil » est dotée d'une aura
scientifique qui répond à une triple imposture. D'une part, sa
corrélation statistique n'a jamais été établie et
la question des conflits ethniques n'est pas de nature quantitative. D'autre
part, elle fonctionne sur une interprétation mécanique et
biologique des conflits sociaux qui voudrait qu'au-delà d'une certaine
proportion d'étrangers, le « corps social »
réagirait sous la forme de conflits inter-ethniques. Enfin, elle usurpe
une pseudo-scientificité en recourant aux outils mathématiques en
usage dans les sciences de la nature (RUDDER, 1993 : 74). Pour
l'élu de Montreuil-Bellay, le « seuil » - même
si le terme n'est pas employé, il se lit en filigrane dans le substantif
« niveau » - présente l'avantage d'autoriser et
d'interdire simultanément les attitudes de rejet et de racisme.
Le second courrier, postérieur de quelques semaines au
précédent (28 août 1981), en est en quelque sorte sa mise
en application, puisqu'il s'agit, non pas de refuser l'arrivée de
nouveaux étrangers, « il est normal d'accueillir de
nouvelles familles laotiennes dans la commune » - on s'interdit
effectivement les attitudes xénophobes -, mais de proposer leur
saupoudrage, une « répartition
harmonieuse », afin que chacun prenne un peu de la part du
fardeau qu'ils représentent :
...Il nous est apparu souhaitable que des communes
voisines puissent accueillir des familles laotiennes désireuses de
s'installer dans notre région, dans un souci de répartition
harmonieuse qui conserverait ainsi la possibilité de se rencontrer
fréquemment...
Pour appuyer sa « théorie »,
l'émetteur avance un double argument
« logique » : la proximité
géographique permettant des contacts faciles entre les membres de la
communauté et le logement lié à la localisation de
l'emploi :
Je remarque que les demandes de logements formulées
à Montreuil-Bellay concernent des personnes qui ont trouvé du
travail dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame ; il
m'apparaîtrait logique qu'elles puissent être logées sur
place.
Nous n'avons pas trouvé de trace de réponse du
destinataire. En revanche, le maire de Loudun, commune proche au Sud-Est de
Montreuil-Bellay, lui aussi vraisemblablement destinataire d'un courrier
identique, fait savoir qu'il dispose de logements et serait même
« favorable à l'accueil de réfugiés laotiens
dans [sa] ville, si toutefois ces personnes avaient du travail
[...] mais pour l'instant [il ne peut] leur offrir d'emplois
à Loudun ».
En réalité, que craignait la municipalité
de Montreuil-Bellay ? En acceptant l'arrivée de nouvelles familles,
favoriserait-elle une sorte d' « appel d'air » ?
A ses yeux, les « réfugiés laotiens
[constituaient], compte tenu de leur nombre, une entité
culturelle, philosophique, voire religieuse » et parce
qu' « étant les plus éloignés des
exigences constitutives de l'existence `normale' [risquaient de
produire] un effet d'entraînement vers le bas, donc de
nivellement » (BOURDIEU, 1993 : 166). Quoi qu'il en soit,
les effets de cette nouvelle orientation en matière d'accueil des
Laotiens furent immédiats puisque, pendant 4 ans (1982-1985), aucune
nouvelle famille ne put s'installer dans la commune. Uniquement 3
arrivèrent en 1986-1987. Quelles étaient alors et quelles sont
aujourd'hui les caractéristiques de ces familles ?
b. Une
« communauté ethnique locale » dans une très
petite ville
Les familles hmong de Montreuil-Bellay constituent une
« communauté ethnique locale » (HASSOUN,
1988 : 39), qui se construit en quelques années, alimentée
par des arrivées successives. Il faut remarquer qu'au cours de cette
période, on n'enregistre aucun départ. Faut-il y voir le signe
d'une migration achevée ? Un contexte économique favorable
qui donne à la commune une forte attractivité favorable à
la sédentarisation ? Ou bien encore, l'expression de la force
ancestrale du clan ? Nous avons déjà vu que les
opportunités en matière d'emplois et de logements avaient
facilité l'implantation des premières familles. On peut toutefois
s'interroger sur la rapidité avec laquelle s'est constituée cette
communauté, caractérisée par une unité culturelle,
linguistique, une histoire et notamment un passé récent commun,
et une insertion de même type dans la société d'accueil.
Nous avons présenté antérieurement
certaines de ces caractéristiques, en nous penchant plus
particulièrement sur l'histoire récente des familles. Nous nous
attacherons maintenant davantage à leur composition en étudiant
les données fournies par le tableau n°3.
Année d'arrivée
|
Chef de famille
|
Gd Père
|
Gd Mère
|
Mari
|
Femme
|
Enfants
|
TOTAL
(en 1987)
|
1978
|
CHIENG Teng*
|
|
|
1
|
3
|
20
|
24
|
|
VANG Ya Dang
|
|
|
1
|
1
|
1
|
3
|
|
CHA Yia
|
|
|
1
|
1
|
6
|
8
|
|
YANG Say
|
1
|
1
|
1
|
1
|
4
|
8
|
|
VANG Say Tchou
|
|
|
1
|
1
|
2
|
4
|
1979
|
TCHA Tsong Yia*
|
|
|
1
|
2
|
12
|
15
|
|
TCHA Tsieng Sao
|
|
|
1
|
1
|
4
|
6
|
|
YANG Li By
|
|
|
1
|
1
|
6
|
8
|
|
VANG Ntcha
|
|
|
1
|
1
|
6
|
8
|
|
YANG Youa Pao
|
|
|
1
|
1
|
2
|
4
|
1980
|
TCHA Va Neng
|
|
|
1
|
1
|
3
|
5
|
|
CHA Seng Dua
|
|
|
1
|
1
|
4
|
6
|
1981
|
XIONG Ying
|
|
|
|
1
|
2
|
3
|
|
CHA Nay
|
|
|
1
|
1
|
7
|
9
|
|
TCHA Yia
|
1
|
1
|
1
|
1
|
6
|
10
|
|
TCHA Ka-Ge*
|
|
1
|
1
|
2
|
6
|
10
|
|
VANG Soua
|
|
|
|
1
|
3
|
4
|
|
TCHA Neng*
|
|
|
1
|
1
|
5
|
7
|
|
VU Vatou
|
|
|
1
|
1
|
4
|
6
|
1986
|
YANG Heu
|
|
|
1
|
2
|
12
|
15
|
1987
|
TCHA Kou
|
|
|
|
1
|
2
|
3
|
|
CHA Mo
|
|
|
|
1
|
1
|
2
|
|
|
2
|
3
|
18
|
27
|
118
|
168
|
* familles ayant participé aux entretiens
Tableau n°3 :
Composition des familles arrivées à Montreuil-Bellay entre 1978
et 1987
v Quelques familles polygames avec de nombreux enfants
Sur les 22 familles recensées en 1987, 14 sont
monogames, 4 polygames et 4 monoparentales. La plupart des mariages ont
été contractés au Laos avant l'exil, ou au cours de la
migration, en Thaïlande principalement, mais aussi en Argentine, ou dans
une commune française de première installation (Rennes). Nous
avons précisé plus haut que la polygamie, au moment de
l'obtention d'un visa pour un pays tiers, avait empêché certaines
familles de partir vers les Etats-Unis. Pourquoi alors la France l'a-t-elle
permis, alors qu'on croit la polygamie interdite ? En droit, elle l'est.
L'article 147 du code civil stipule qu' « on ne peut contracter
un second mariage avant la dissolution du premier ».
La notion d'ordre public interdit à un étranger de
contracter sur le sol français un mariage polygame. Mais qu'en est-il
des unions célébrées à l'étranger ? En fait,
la polygamie a longtemps fait l'objet d'une grande tolérance quand les
mariages étaient contractés hors du territoire national. Cette
pratique s'était développée en France, en même temps
que le regroupement familial, pour certaines populations d'origine africaine,
dans les années 1970, après l'arrêt de l'immigration de
main d'oeuvre. Ainsi, « l'arrêt Montcho », rendu en
1980 par le Conseil d'État, avait légitimé cette
tolérance. En effet, cet arrêt assimile le fait de vivre en
état de polygamie à une vie familiale normale pour un
époux de statut polygamique, ce qui permet l'exercice du droit de
regroupement familial pour les personnes concernées. Par la suite, des
mesures plus coercitives seront prises. La « loi Pasqua »
de 199336(*) introduit,
dans l'ordonnance du 2 novembre 1945, deux dispositions contre les
polygames et leurs familles :
Article 15bis : « La carte de
résident ne peut être délivrée à un
ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux
conjoints d'un tel ressortissant. Une carte de résident
délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit
être retirée ».
Article 30 : « Lorsqu'un étranger
polygame réside sur le territoire français avec un premier
conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être
accordé à un autre conjoint. Sauf si cet autre conjoint est
décédé ou déchu de ses droits parentaux, ses
enfants non plus ne bénéficient pas du regroupement
familial ».
Chez les Hmong, avoir plusieurs femmes répond à
différentes préoccupations : un homme peut épouser
d'autres femmes si la première est stérile ou n'a que des filles.
La survie du clan dépendant de ses éléments masculins,
l'homme doit avoir impérativement des descendants mâles. Un autre
cas surgit lorsque l'homme exploite de nombreuses terres et que sa femme
enceinte ne peut pas l'aider. Une seconde épouse pourra la
suppléer aux champs. Autrement dit, c'est la survie du groupe qui est
encore ici en jeu. C'est cette raison inconsciente et primordiale qui explique
certainement la maintenance d'un taux de natalité très
élevé. A leur arrivée à Montreuil-Bellay, chaque
famille compte au moins 5 enfants en moyenne. D'autres naissances suivront. Si
l'on prend l'exemple des familles CHIENG (3 épouses) et TCHA (2
épouses), on totalise 26 enfants (20 + 6) et 14 naissances
ultérieures (4 + 10). Le nombre moyen d'enfants par épouse est 8,
légèrement supérieur à des moyennes établies
sur des échelles plus grandes : le nombre d'enfants par femme hmong
dans les années 1990 et 2000 est de 6 à 7 enfants, que ce soit en
France, au Laos ou aux Etats-Unis (YANG, 1999).
Enfin, 3 familles regroupent sous le même toit 3
générations : les parents du chef de famille ont
accompagné sa migration. Ils sont souvent trop âgés pour
exercer une activité professionnelle mais jouent un rôle dans
l'éducation des enfants et surtout dans la transmission de
l'identité culturelle. Certains adolescents, rencontrés en
entretien, nous ont dit leur attachement à ces ancêtres, connus ou
pas, et en ont parlé en ces termes :
Les parents de ma mère sont morts pendant la
guerre. Mon grand-père [paternel] avait une maladie, tu sais,
tu perds tes doigts... la lèpre ? oui, c'est ça...
il est mort comme ça... Ma grand-mère [paternelle] est
venue en France. Elle est morte en 1996. Je me rappelle que tous les jours je
lui apportais du riz dans sa chambre. J'étais toujours avec elle...
(témoignage de Phong-Yu T.)
On imagine sans peine les problèmes de suroccupation
des logements mis à la disposition de ces premières
familles ; les appartements correspondent aux normes de la taille des
familles françaises et les plus spacieux sont des T5. Rapidement, comme
nous le verrons en analysant la construction des « bassins de
vie familiaux», les familles polygames obtiendront 2 ou 3 logements,
permettant ainsi à chaque épouse d'organiser son propre foyer.
Par ailleurs, il faut ajouter que l'Office d'HLM et la Caisse d'Allocations
familiales auront quelques difficultés, au début, à
« gérer » ce problème... Toutefois, en
versant des allocations familiales, l'Etat occulte la polygamie et ne retient
que la notion de famille en tant que « clé de
voûte de la construction du monde » (BOURDIEU, 1994 :
144).
v Le clan, facteur de regroupement et d'ancrage
territorial
L'accroissement rapide de la communauté ne s'explique
pas exclusivement par le contexte économique. Il faut chercher un autre
facteur explicatif. Pour cela, observons l'ordre d'arrivée dans la
commune des 22 familles recensées en 1987 (tableau n°4).
|
TCHA/CHA/CHIENG
|
XIONG
|
YANG
|
VANG
|
VU
|
1978
|
X
|
|
X
|
X
|
|
1979
|
X
|
|
X
|
X
|
|
1980
|
X
|
|
|
|
|
1981
|
X
|
X
|
|
X
|
X
|
1986
|
X
|
|
X
|
|
|
1987
|
X
|
|
|
|
|
Tableau n°4 :
Répartition des clans familiaux par dates d'arrivée
On peut constater la dominante très marquée des
familles TCHA/CHA/CHIENG appartenant au même clan dont, chaque
année, une ou plusieurs nouvelles familles arrivent. Les YANG et les
VANG se placent en deuxième position. Les XIONG et VU constituent
apparemment des groupes isolés. L'arrivée de la première
famille du clan CHIENG/TCHA semble avoir eu un effet « boule de
neige ». Selon quel mode de communication ? A la question de
savoir pourquoi d'autres familles sont arrivées, Teng CHIENG
déclare :
...parce que quand j'étais au Laos, je suis un
monsieur que tout le monde connaît bien, parce que au Laos j'ai fait la
guerre, partout tout le monde me connaît bien, et même on arrive
à la Thaïlande je suis le président du camp de
réfugiés aussi, et tout le monde il me connaît bien aussi.
Et quand je suis arrivé en France celui qui vient derrière, il
connaît je suis en France, et quand il arrive tous les foyers d'accueil
de réfugiés en France, même n'importe où, même
à Marseille, même à Perpignan, à Lyon ou à
Toulouse, à Lille il me connaît, c'est ça... et eux ils
déménageaient pour me suivre... ils sont venus tous, ils sont
venus d'ailleurs...
La venue de nouvelles familles est à attribuer, selon
Teng CHIENG, à la notoriété qu'il avait acquise
déjà au Laos, liée à son statut de militaire, puis
renforcée dans le camp de Ban Nam Yao où il devient
« président du camp des
réfugiés ». Ceux qui arrivent en France
après lui (« celui qui vient
derrière ») lui reconnaissent une autorité
suffisante pour le rejoindre à Montreuil-Bellay. Il faut ajouter qu'il
est déjà dans la place et sert d'intermédiaire dans
l'obtention d'un emploi dans l'usine UCP : « Il m'a
téléphoné que je travaille pour eux ». La
commune exerce une attractivité en raison des emplois qu'elle offre mais
surtout du fait de la présence d'un individu, capable à lui seul
de polariser un vaste espace. Il n'a toutefois pas été possible
de vérifier, en dehors de Perpignan non loin du camp de Port-Leucate, si
toutes les origines qu'il énumère dans son propos sont exactes.
Il veut avant tout montrer qu'il est reconnu comme
« chef » au même titre qu'il aurait
été chef de village au Laos. Cette autorité est encore
effective car, en cas de problèmes qui normalement auraient dû
être traités par le centre social de la ville, il semble qu'il y
ait eu des difficultés à pénétrer dans les
familles, le représentant du clan préférant régler
les problèmes à l'interne. Il faut cependant signaler que cette
« autorité » est aujourd'hui quelque peu remise en
question par certains membres de la communauté hmong qui estiment qu'en
France il n'est plus besoin d'un « chef », le maire de la
ville pouvant exercer cette fonction.
D'autres liens inter familiaux, générés
par le biais des unions matrimoniales, permettent de mieux appréhender
ce facteur de cohésion clanique. Chez les Hmong, le mariage ne peut se
conclure que dans le cadre rigoureux de l'exogamie clanique : les gens portant
le même nom se considèrent comme parents proches et ne peuvent pas
se marier entre eux. Ce principe est vérifiable dans chaque foyer. En
revanche, si l'on étudie le foyer de Ka-Gé TCHA, on constate une
liaison directe avec le clan YANG dont sont issues les deux épouses. Les
YANG eux-mêmes sont liés par le mariage aux XIONG et aux VANG, eux
mêmes liés aux TCHA... On peut dès lors parler d'une vaste
famille « élargie » dont les liens parentaux sont
parfois éloignés mais toujours affichés, et qui trouvent
un raccourci dans le nom « cousin ». Tel un arbre
dans une forêt, le clan a une racine principale et, à sa cime, des
rameaux en contact avec ceux de l'arbre voisin (BRUNET, 1993).
Le regroupement de ces familles dans une petite commune a
été facilité par l'activation de 2 types de
réseaux, celui de la parenté dont la structure est en partie
héritée du passé, considéré comme allant de
soi, évident, quasi « naturel », par les migrants,
et celui entre co-ethniques plus construit, consciemment entretenu et
négocié dans la transplantation. Il est interprété
et valorisé comme un réseau de parenté fictive, de
parenté élargie au sens fréquemment usité de
« cousins ». Ainsi, au terme de plusieurs années
d'errance de camp en camp, un premier « ancrage » semble
désormais envisageable, rendu possible par l'obtention d'un emploi et
d'un logement dans une commune qui jusque là n'avait pas connu de vague
d'immigration quantitativement aussi massive.
Conclusion : d'une mobilité forcée,
puis contrôlée, à une mobilité
choisie
Si, à l'origine, les Hmong ont eu une pratique de la
mobilité dans des lieux géographiques fluctuants où
prévalait la « logique du lignage » et que,
n'étant pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en
disposaient tant qu'il répondait aux besoins du groupe, ils se sont
progressivement stabilisés avant que leur organisation soit, elle
même, bouleversée par les guerres d'Indochine. Perdant brutalement
leurs racines, ils vont connaître, au cours de l'exil, une
mobilité sous contrôle, avec le temps de l'attente dans les camps
du pays de premier asile, où s'effectuent des regroupement claniques
temporaires suivis d'une dispersion au niveau mondial. Arrivés en
France, ils sont ballottés de camp en camp qui constituent autant de sas
d'entrée dans le pays d'accueil et leur permettent, à chaque
fois, de franchir une nouvelle étape dans le processus
d'intégration. Ils acquièrent, en premier lieu, la reconnaissance
juridique en bénéficiant du statut de réfugiés,
puis des compétences linguistiques et professionnelle permettant
l'accès à un emploi, qui marque une nouvelle phase
d'intégration. Autant l'ancrage leur a été temporairement
impossible, autant il est désormais autorisé. En se regroupant
dans une même commune et, qui plus est, dans un même quartier, ces
familles vont gagner bien sûr en visibilité - avec en contre
partie, les réactions parfois xénophobes de la
municipalité et du voisinage - mais vont surtout construire, dans le
quartier de la Herse, un territoire. Ce quartier est avant tout le lieu
résidentiel, celui de la scolarité pour les plus jeunes
fréquentant l'école et le collège voisins, le lieu des
loisirs avec les parties de football et de toupie dans les espaces verts, le
lieu des achats quotidiens dans le super marché tout proche... C'est
avant tout le territoire où s'exerce la solidarité familiale et
clanique, forme de solidarité « mécanique »
dans laquelle la conscience collective est forte et homogène et
où c'est l'identité entre les individus qui est source de
solidarité (DURKHEIM, 1933). Celle-ci se manifeste de manière
forte dès l'arrivée d'un nouvel élément : les
repérages géographiques indispensables dans le quartier et dans
la ville, les repas pris en commun, l'hébergement temporaire en
attendant l'attribution d'un logement sont autant de liens qui renforcent le
groupe et confortent l'existence de la « communauté ethnique
locale ».
III.
Lieux du quotidien et « bassins de vie familiaux »
« C'est seulement quand nous pouvons habiter que nous
pouvons bâtir. »
Martin HEIDEGGER
L'ancrage par l'emploi et la résidence dans un cadre
urbain a été rendu possible au terme de plusieurs années
d'errance. Selon quelles modalités les familles installées
à Montreuil-Bellay vont-elles s'approprier l'espace ? Quelles
pratiques des lieux vont-elles avoir ? Notre observation portera
essentiellement sur les familles les plus anciennement installées.
Depuis plus de vingt ans, elles « demeurent » à
Montreuil-Bellay et se sont ancrées durablement dans le tissu urbain.
Elles sont au nombre de 5, arrivées dans les années 1980,
résidant toujours dans le quartier de la Herse, 3 d'entre elles sont
polygames et 1 monoparentale. La cinquième est formée d'un couple
dont tous les enfants majeurs ont décohabité pour des raisons
professionnelles ou personnelles (mariage...). Les familles qui sont
arrivées au début des années 2000 présentent des
caractéristiques différentes : ce sont des couples jeunes -
ils correspondent en fait aux enfants de la 2ème
génération - avec un nombre d'enfants limité par rapport
aux familles précédentes. On peut alors se demander dans quelle
mesure la structure familiale initiale et en particulier la pratique de la
polygamie ont joué, et jouent encore, un rôle dans l'appropriation
de l'espace. Nous étudierons successivement les rapports à
l'espace à trois échelles : tout d'abord l'échelle de
l'espace domestique résidentiel, puis celle plus large de la commune de
résidence en analysant plus particulièrement la fonction des
jardins familiaux cultivés à la périphérie, enfin
l'échelle des espaces de vie ou « bassins de vie »
progressivement élargis à la suite de la décohabitation
des enfants.
1. Le partage de l'espace domestique et des espaces
vécus
Comme nous l'avons précisé, notre étude
dans cette seconde partie s'appuie sur un échantillon réduit,
constitué par les 5 familles installées à Montreuil-Bellay
depuis 1980. Cette longévité permet d'affirmer que leur choix
résidentiel est confirmé, pour ne pas dire définitif. Mais
c'est avant tout à travers le filtre de la polygamie pratiquée
dans trois familles que nous examinerons successivement le système
résidentiel familial, à savoir selon la définition de E.
LE BRIS « un ensemble articulé de lieux de
résidence (unités d'habitation) des membres d'une famille
étendue ou élargie » (LE BRIS, 1985), l'ensemble
des lieux résidentiels qui participent à une forme
particulière de mobilité. Puis nous pénètrerons
dans l'espace domestique où, comme le remarque P. BOURDIEU, toutes les
parties sont « sexuées » (BOURDIEU,
1998 : 21). Enfin, nous analyserons le rapport de l'individu aux lieux
fréquentés à partir de l'observation des pratiques de
l'espace urbain.
a. La résidence
Nous savons que la commune de Montreuil-Bellay a, dans les
années 1970, mis en place un programme important de construction de
logements sociaux, qui, compte tenu de la disponibilité, seront
attribués aisément aux premières familles hmong qui
arrivent dès 1978. Ces attributions ne prennent pas alors en compte la
composition familiale, mais simplement le ménage, au sens statistique
retenu par l'INSEE, à savoir l'ensemble des occupants du logement. Les
deux familles que nous avons retenues - Ka-Gé TCHA et Teng CHIENG - sont
arrivées respectivement en 1981 et 1978. De plus, en parlant de
résidence et non d'habitat ou d'habitation,
nous voulons distinguer deux termes que l'usage courant emploie pourtant
indistinctement. Ainsi dans Les Mots de la géographie, H.
THERY37(*) définit
l'habitat comme « le lieu où l'on est établi,
où l'on vit, où l'on est habituellement » (THERY,
1993 : 249) ; l'habitation est « la demeure
quel que soit le statut social de l'habitant » (id., id. :
250). Par « habiter », il désigne le fait
« d'avoir son domicile en un lieu » (id., ibid.).
Le verbe est synonyme de demeurer, résider. Pourtant,
on peut établir une distinction entre ces deux termes en s'appuyant sur
la philosophie phénoménologique de M. HEIDEGGER38(*) qui définit habiter
comme « le rapport des hommes aux lieux et par les lieux aux
espaces39(*) ». Il établit une séparation
radicale entre l'habiter qui est une mise en rapport
« poétique » avec le monde et le fait de se loger
qui est un simple acte fonctionnel. Le logement ne peut pas être
confondu avec l'habitat, mais il s'y inscrit : « il est une
unité résidentielle stable d'habitation » (LEVY,
LUSSAULT, 2003 : 440). L'« habiter » doit être
entendu comme la compétence des acteurs à organiser leur
« habitat », à donner du sens aux lieux. L'espace de
l'habitat est donc construit et reconstruit en permanence : c'est un
agencement spatial et non pas un cadre inerte qui va « du
logement, unité spatiale de base, à l'espace réticulaire
du déplacement pendulaire, ponctué par les lieux et aires connus
et fréquentés, via le voisinage, sans oublier le vaste monde qui
s'offre potentiellement à tout un chacun par l'usage du transport et des
télécommunications » (LEVY, LUSSAULT,
2003 : 442). On rejoint ici la notion d'« espace
vécu » introduite dans le domaine de la géographie
par A. FREMONT dans les années 1970. Il s'attache à
reconnaître « les hommes-habitants... comme des sujets
actifs et pensant de leurs propres territoires de vie »
(FREMONT, 1999 : 9) et cherche à comprendre les rapports que les
hommes établissent avec les lieux.
Nous utiliserons désormais les termes
« résider/résidence » à propos du
logement en tant que lieu géographique, spatialement identifié
par une adresse. « Habiter » sera, quant à lui,
réservé aux pratiques que les hommes ont des différents
lieux qu'ils parcourent et permettra de cerner leurs espaces vécus, en
priorité au niveau urbain.
v Plurirésidence liée à la polygamie
La famille de Ka-Gé TCHA se compose à son
arrivée du chef de famille, ses deux épouses, les deux enfants de
la seconde épouse et sa mère âgée de 72 ans. Ils
occupent alors un appartement dans un immeuble 18 rue du Poitou (carte
n°6). Les naissances très rapprochées de 6 enfants entre
1982 et 1985 rendent très rapidement le logement inadapté
à la taille de la famille, d'autant que Ka-Gé TCHA travaille
à domicile et a besoin d'un espace pour installer son
« atelier » de couture. Il obtient alors un pavillon
« Gémeaux » rue du Général de Gaulle
et s'y installe avec sa première épouse et ses 6 enfants. La
seconde épouse, quant à elle, continue d'occuper l'appartement
initial. En 2007, la situation résidentielle est inchangée,
à la différence que 7 enfants sur 16 que compte aujourd'hui la
famille ont quitté le logement familial et que la mère de
Ka-Gé TCHA est décédée en 1996. La seconde
épouse assure elle-même le paiement de son loyer mais rencontre
plus de difficultés qu'auparavant depuis qu'elle a perdu l'emploi
rémunéré qu'elle avait dans les
champignonnières.
Carte n°6 : Les
mobilités résidentielles de la famille Ka-Gé
TCHA
L'exemple de la famille CHIENG présente de nombreuses
similitudes avec l'exemple précédent, mais est toutefois plus
complexe en raison de la composition familiale initiale (carte n°7). A
l'arrivée en 1978, le ménage se compose du chef de famille, ses 3
épouses, 4 enfants (3 de la 1ère et 1 de la
2ème) et les parents de Teng CHIENG, soit 10 personnes. Un
premier logement leur est attribué dans le lotissement des
Gémeaux. Aux yeux des services sociaux, le pavillon est trop petit et un
second logement de la même catégorie (pavillon Gémeaux)
avec une chambre supplémentaire leur est proposé 5 mois
après. Cependant, en raison des naissances successives, le même
problème se pose 3 ans plus tard, ce qui conduit à un
« éclatement » du groupe familial. La
deuxième épouse et ses 3 enfants sont logés dans la
« tour », tandis les 2 autres épouses cohabitent
encore dans le pavillon, avant que la situation ne se modifie à nouveau
- toujours en raison de l'accroissement du nombre d'enfants - et que la
3ème épouse à son tour ne parte avec ses
enfants, d'abord dans un petit pavillon des Gémeaux, puis dans un
immeuble collectif (22 rue des Collèges). Teng CHIENG décide
alors d'accéder à la propriété et fait construire
une maison dans le lotissement de la Grande Champagne qu'il occupe depuis avec
sa 1ère épouse. Aujourd'hui en 2007, 5 enfants
résident encore au domicile parental. Le père de Teng CHIENG est
décédé et sa mère vit désormais chez un
autre de ses fils à Saumur.
Carte n°7 : Les
mobilités résidentielles de la famille Teng CHIENG
Ces exemples de mobilités résidentielles nous
permettent avant tout de rappeler que les familles hmong ont eu plus que les
autres la nécessité d'adapter régulièrement et
rapidement leur logement à la taille de la famille au fur et à
mesure de l'augmentation des densités domiciliaires ; mais ils nous
montrent surtout combien s'est modifiée l'organisation familiale
traditionnelle depuis l'arrivée en France. En effet, dans le cas des
familles polygames, le type d'habitat disponible, ne permettant pas de
réunir sous le même toit les épouses et leurs enfants, a
provoqué un « éclatement » spatial de la
famille en 2 ou 3 lieux pratiqués régulièrement par
l'époux. La plurirésidence - bipolaire ou tripolaire - ou
alternance résidentielle entre plusieurs logements, est par ailleurs,
aux dires des intéressés, indispensable pour maintenir un
équilibre harmonieux dans les relations entre les épouses et
leurs enfants. « Quand il a plusieurs femmes, c'est la guerre, il
y toujours des jalousies. Si mon père me fait un cadeau, l'autre femme
dit : `Et mon fils !' », déclare un des
fils de T. CHIENG, encore célibataire... De plus, non seulement
l'époux mais aussi les autres membres la famille, et en particulier les
épouses, pratiquent cette « plurirésidence
polygame » au quotidien, en particulier dans les tâches
ménagères et la garde des jeunes enfants, et cette pratique s'est
accentuée au cours des dernières années avec la
montée du chômage féminin lié à la fermeture
des champignonnières. Le paiement du loyer du logement est à la
charge des épouses qui ne résident pas avec le chef de famille,
ce qui là encore est problématique pour elles en raison de la
perte de leur emploi rémunéré. D'où l'importance
accrue, comme nous le verrons dans la seconde partie, du jardinage familial.
Remarquons enfin la présence dans ces deux familles, à un
même moment, de trois générations, les parents
âgés sans ressources propres, étant pris en charge par
leurs fils et partageant le même toit.
Enfin, il est important de souligner que sur l'ensemble de la
communauté hmong de Montreuil-Bellay, un seul chef de famille (Teng
CHIENG) a accédé à la propriété. Il justifie
cette décision par souci d'indépendance et de respect du
voisinage :
... J'ai une famille qui a beaucoup de cousins, de
cousines et tout le monde me connaît et le samedi il y a beaucoup qui
vient me voir... c'est pas facile, ça gêne les autres...
Il est vrai que les pavillons Gémeaux sont mitoyens et
que la promiscuité y est importante. D'autre part, les dimensions des
pièces, en particulier celles de la cuisine (3m/3,50m) sont
inadaptées aux familles nombreuses. Il en est de même dans les
appartements.
...dans l'HLM, la cuisine c'est trop petit pour moi. A
chaque fois s'il y a du monde qui vient, je dois manger dans la salle de
séjour et après c'est pas facile de nettoyer, c'est pas facile de
ranger tout ça...
Alors, pour palier tous ces inconvénients, il fait
construire une maison de 8 chambres, dont la cuisine est effectivement
conçue pour de grandes réunions familiales (5m/6,5m), plus vaste
que la salle de séjour elle-même, ce qui ne manqua pas de
surprendre les visiteurs venus nombreux lorsque la maison fut terminée.
Il faut voir dans cette accession à la
propriété la marque indéniable du renforcement de
l'ancrage, voire de l'enracinement40(*) : Teng CHIENG a un emploi stable -
première forme d'ancrage professionnel et social - dans la même
entreprise depuis son arrivée, il n'a jamais connu de période de
chômage et il prendra sa retraite d'ici peu. Il a décidé de
se fixer définitivement à Montreuil-Bellay. De plus, comme nous
le verrons dans la seconde partie, il a fait l'acquisition de lopins de terre
dont il compte tirer un revenu ultérieurement pour compléter sa
pension. Pour lui, la propriété du domicile a servi d'ancrage,
une base à partir de laquelle d'autres projets ont été
envisageables, un point de départ dans la conquête de son monde
(PAQUOT, 200541(*)).
D'autre part, on peut interpréter tout cela comme une forme de
valorisation sociale. En choisissant un terrain dans un lotissement
privé, Teng CHIENG rompt géographiquement avec la
communauté hmong qui réside dans le parc locatif public.
Toutefois, cette rupture spatiale n'est en aucun cas identitaire mais
plutôt la quête et l'affirmation d'un statut social reconnu.
v Espaces masculins ouverts / espaces féminins
fermés
Que ce soit une maison ou un appartement, le logement d'une
famille hmong est un lieu bruyant, animé, traversé par les
enfants, les « cousins »... Très souvent la
télévision fonctionne sans qu'on y prête une attention
véritable. Chacun entre et sort selon ses envies ou ses besoins.
Pourtant dans cet espace domestique, sous un désordre apparent, on peut
percevoir une « organisation » que nous allons
présenter. Que révèle-t-elle sur le fonctionnement de la
cellule familiale ?
Le visiteur est toujours accueilli dans la salle de
séjour, espace ouvert indispensable aux lois de l'hospitalité
lao, qui a fait l'objet de soins tout particuliers. On y trouve toujours le
même type de mobilier : le « living », dans
lequel sont encastrés le poste de télévision et le
matériel hi-fi, occupe un pan de mur, plusieurs canapés
juxtaposés, la table et les chaises. Aux murs, sont affichées de
nombreuses photos qui se veulent à la fois
« officielles » - le(s) couple(s) et les enfants en costume
traditionnel - et plus intimes - les enfants, les jeunes couples, les
petits-enfants... A chaque fois les sujets photographiés ont
posé. Rares toutefois sont les photos venues du Laos, ce qui s'explique
aisément compte tenu des conditions du départ. Pourtant
Ka-Gé TCHA a un petit album de photos jaunies prises dans le camp de Ban
Nam Yao. Par contre, lors des voyages effectués par la suite en
Thaïlande (voir partie IV), les hommes ont fait de nombreuses photos et
plus souvent des films et des cassettes vidéo qu'ils montrent
fièrement à l'occasion. Çà et là, dans la
salle de séjour, figurent des objets traditionnels : des
instruments de musique parmi lesquels le khen - l'orgue à
bouche -, des pendeloques brodées de motifs géométriques
complétées de grappes de perles de couleurs vives
enfilées... Dans cet environnement somme toute banal, ce sont les rares
objets, bien modestes en apparence, qui traduisent l'attachement sentimental
avec le pays d'origine.
La salle de séjour est le lieu de la
convivialité communautaire où se regroupe la famille lors des
fêtes ou des rassemblements de fin de semaine. Mais c'est avant tout un
espace masculin, celui du père de famille et des hommes, jeunes ou
adultes qui s'installent pour de longues conversations souvent ponctuées
d'anecdotes qui déclenchent les rires. Il est d'autant plus
masculinisé, comme dans le cas de Ka-Gé TCHA qui a investi un
coin de la pièce pour en faire son atelier de couture avec la piqueuse
plate professionnelle et au sol les stocks de torchons ou de tablier à
ourler... Dans ce cas, les espaces de résidence, de travail et
d'échanges se confondent, même lorsque « dans le
détail une savante organisation des lieux réserve des
emplacements propres à chaque fonction » (FREMONT,
1999 : 162).
Photo n°6 : Espace
professionnel au domicile
A l'inverse, la cuisine est le lieu féminin par
excellence, comme le souligne Teng CHIENG :
Et chez nous, chez les Hmong, les femmes elles veulent pas
discuter dans la salle de séjour, elles veulent discuter dans la
cuisine... C'est pour ça qu'il faut faire la cuisine plus grande que la
salle de séjour... C'est compliqué pour vous les
Français... Elles préfèrent rester dans la cuisine... Je
sais pas, les femmes des Hmong elles aiment comme ça... elles viennent
dans la salle de séjour à la fin manger, elles font rien du tout,
elles s'assoient pour voir la télé...
Le discours révèle avant tout une vision
masculine de l'activité féminine, avec la dénonciation
implicite du goût féminin pour le bavardage, et de la structure de
l'espace domestique avec une « distribution très stricte
des activités imparties à chacun des deux sexes, de leur lieu,
leur moment, leurs instruments... L'ordre social fonctionne comme une
immense machine symbolique tendant à ratifier la domination masculine
sur laquelle il est fondé » (BOURDIEU, 2002 : 23).
Mais cette déclaration de Teng CHIENG exprime également un
« nous » identitaire opposé à un
« vous ». Est-ce alors l'exclusion des dominants qui les a
amenés à se constituer en un groupe particulier, un
« nous » accentuant la communautarisation, et trouvant dans
le répertoire culturel certains traits qui les spécifient ?
b. Les pratiques de l'espace
urbain
Avant d'analyser les pratiques de l'espace urbain, il nous
paraît important de rappeler que nous sommes dans un contexte de
très petite ville ce qui, a priori, devrait faciliter l'accès aux
différents lieux et services. En réalité, en dépit
de sa modicité de taille, Montreuil-Bellay est une ville bipolaire
(carte n°9). A l'Ouest, les quartiers anciens se sont
développés à partir du château et de sa
collégiale qui dominent la vallée du Thouet. De nombreuses
demeures historiques bordent les rues étroites. A l'origine, l'ensemble
était ceinturé d'imposants remparts datant des XIIIe
et XVIe siècles et percés de 6 portes dont 4 sont
encore en place. Au XIXe siècle, avec l'ouverture de la ligne
de chemin de fer Paris-Bordeaux dans les années 1870-1880, la ville se
dote d'une gare, construite à l'Est sur des terres agricoles. La ville
franchit la voie ferrée après la Seconde Guerre Mondiale, avec
les premiers lotissements pavillonnaires et plus tard la construction du
quartier de la Herse. Parallèlement, se développent, dans le
prolongement à l'Est, la Zone d'Activité de la Petite Champagne
puis celle de Méron, spécialisées dans l'industrie
agro-alimentaire, l'industrie métallurgique et le conditionnement.
Carte n°9 :
Extension urbaine de Montreuil-Bellay
En réalité la voie de chemin de fer
sépare désormais l'agglomération en deux entités
socialement contrastées : à l'Ouest, les quartiers
résidentiels historiques, à l'Est les quartiers récents
avec l'enclave de la Herse (carte n°9). Quelles sont les pratiques de
l'espace urbain dans un tel contexte ? Quel est le rapport de l'individu
aux lieux fréquentés et la nature des activités qu'il
déploie sur ces lieux ?
Afin de répondre à cette question, nous avons
recueilli auprès des membres de 3 familles l'ensemble des
déplacements quotidiens effectués au sein de l'espace urbain,
ainsi que les motifs et les modes de ces déplacements. Nous avons choisi
deux journées non consécutives : la première en
milieu de semaine, la seconde pendant le week-end afin de pouvoir comparer les
formes de mobilités. Ne prétendant pas à un relevé
d'informations exhaustif auprès de l'ensemble de tous les membres des
familles, nous avons préféré sélectionner un
échantillon en retenant pour critères l'âge et le sexe, et
constitué à parts égales d'hommes et de femmes (tableau
n°5).
La constitution de l'échantillon est la
suivante :
|
- 15 ans
|
16 - 20 ans
|
20- 30 ans
|
+ 30 ans
|
hommes
|
2
|
3
|
4
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4
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femmes
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2
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3
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4
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4
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Tableau n°5 :
Etude des mobilités quotidiennes (échantillon)
v Analyse des données de l'enquête
Au vu des résultats de cette enquête
réalisée en période de vacances scolaires (juillet 2007),
on peut effectuer un certain nombre de constats portant sur la
différence importante des formes de mobilité selon le jour de la
semaine et selon le sexe. On peut ainsi remarquer que, en milieu de semaine, le
quartier est le lieu de base de la vie sociale des membres de la
communauté. Les épouses (classe + 30 ans), depuis qu'elles
n'exercent plus d'activité professionnelle dans les
champignonnières, circulent quotidiennement à pied d'une maison
ou d'un appartement à un autre, ou se rendent en voiture (elles ont
toutes leur permis de conduire) dans les jardins qu'elles exploitent. Les
hommes, quant à eux, sont une grande partie de la journée sur
leur lieu de travail : au domicile (1) ou dans l'entreprise Euramax (9),
située sur la zone d'activité de Méron (carte n°9)
où ils se rendent en voiture, seuls ou en covoiturage selon leurs
horaires. Les plus jeunes restent la plus grande partie de la journée au
domicile des parents. Les garçons consacrent leur temps à la
télévision, aux jeux vidéos... S'ils sortent, c'est le
plus souvent sans but précis, pour « voir les
autres ». Les filles quittent peu le domicile. Il est important
de rappeler que ces données ont été recueillies en
période de congés scolaires. Si l'enquête avait
été faite à une autre période de l'année,
nous aurions obtenu des informations différentes, pour les 2 classes les
plus jeunes, avec en particulier les « navettes »
domicile-établissement scolaire, ce dernier n'étant pas toujours
à proximité du domicile. En effet les plus âgés
scolarisés en lycée doivent aller à Thouars ou à
Saumur, ce qui implique un morcellement du territoire, contrairement à
celui qu'ils « habitent » pendant les congés et qui
est beaucoup plus compact.
En fin de journée, les hommes circulent d'une maison
à l'autre, soit pour régler les
« problèmes » du jour (l'organisation d'un mariage
à venir, préparation d'un déplacement...), soit tout
simplement pour discuter. Ils ont ensuite coutume de se retrouver sur une aire
publique en terre battue où ils jouent jusqu'à la tombée
de la nuit à un jeu de toupie, équivalent de la pétanque
mais avec des règles beaucoup plus complexes.
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Ce jeu hmong se pratique par équipes de 4 ou 5
participants. Les membres de l'équipe 1 lancent successivement leurs
toupies sur une plaque de métal qui devient la cible, puis les
adversaires (équipe 2), placés à 6 mètres, doivent
lancer à leur tour avec force et percuter les toupies. Le jeu comporte 6
phases successives de difficultés croissantes.
La toupie, qui était à l'origine une arme, est
utilisée désormais à des fins ludiques.
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Photo n°7 :
Séance de jeu de toupie - joueur 1
Photo n°8 :
Joueurs 2 et 3
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Photo n°9 : Le
joueur adverse
Le retour au domicile varie selon les individus : il
semble, en effet, qu'il n'y ait pas de contraintes imposées par des
horaires de repas.
Comme on peut le constater, on est essentiellement dans une
mobilité de sociabilité induite par la prégnance du clan
et, compte tenu de la géographie résidentielle de la
communauté, dans une « mobilité de
proximité » (MEDAM, 1992 cité par REMY,
1996 : 136)42(*) qui
permet à chaque individu de se construire « une
territorialité du quotidien » (DI MEO, 2001 : 83)
dans un quartier qui possède dès lors le statut de centre, ce qui
bouleverse l'ordre des centralités locales. En fait, la
centralité repose sur une approche cognitive plus que morphologique.
Elle est « définie selon les significations, les
représentations et les pratiques spatiales des
individus » (RAMADIER, 2002 : 118). Faut-il voir alors dans
le quartier de la Herse un nouveau ghetto dans lequel l'individu vivrait
« dans un monde étroit mais qui offre la chaleur de la vie
familiale, une grande richesse de sentiments et la possibilité se
d'exprimer au sein du groupe » (WIRTH, 1980 : 273) ?
De plus, les formes de mobilité renforcent le clivage hommes/femmes et
traduisent encore des modes d'habiter différents « avec
l'opposition entre le lieu d'assemblée, réservé aux
hommes, et la maison réservée aux femmes »
(BOURDIEU, 1998 : 23).
Par ailleurs, la ville n'est que partiellement investie :
les quartiers anciens ne sont qu'exceptionnellement fréquentés,
pour des démarches administratives à la Mairie, par exemple. Dans
ces cas-là, on se déplace rarement seul et on
préfère être accompagné d'un enfant qui assure la
traduction si nécessaire. Quelquefois, s'il fait beau, la prairie des
Nobis, au pied du château au bord du Thouet, est un but de promenade
familiale. On peut enfin noter la tentative de Mme CHIENG qui a tenu pendant 2
ans un restaurant asiatique sur la place du château, mais la concurrence
d'une crêperie voisine l'a contrainte à fermer cet
établissement estimé peu rentable. Le contexte de très
petite ville en est également responsable.
En ce qui concerne les mobilités de fin de semaine,
elles sont là encore marquées par la sociabilité mais
à une échelle différente. L'espace n'est plus seulement
celui du quartier ou de sa périphérie, mais des villes plus
éloignées : Saumur, Cholet, Tours... Ces mobilités
sont liées aux relations diasporiques qui demeurent fortes et que nous
approfondirons dans la partie VI.
Dès lors, comment cette communauté est-elle
perçue par les habitants de Montreuil-Bellay ?
v Stéréotypes et invisibilité
Comme nous l'avions expliqué dans la première
partie (p. 25), l'enquête menée auprès des usagers du
quartier de la Herse, qu'ils soient anciens ou nouveaux résidents,
simples passants, ou bien qu'ils y exercent une activité
professionnelle, nous a permis de recueillir des informations sur les
perceptions qu'ils avaient des familles hmong vivant dans le quartier. Nous
allons d'abord exposer les principales conclusions auxquelles nous sommes
arrivé, essentiellement à partir des réponses aux 2
questions suivantes :
Dans le quartier vivent des étrangers. De
quelle nationalité ?
Est-ce un avantage ou un inconvénient pour vous ?
Que savez vous de cette population ?
Puis, nous confronterons ces perceptions au discours
identitaire que les Hmong portent sur eux-mêmes.
Le mot « étranger » conduit
l'interviewé à un certain nombre de commentaires. Nous constatons
en premier, à une exception près, une méconnaissance de
l'Autre en tant qu'individu, en raison de l'absence de rapports directs avec
lui, malgré une cohabitation étroite dans un quartier
précis de très petite ville. Cela l'amène à
fonctionner essentiellement par stéréotypes et
« catégorisation de segments de population dans des
catégories statutaires exclusives et impératives »
(BARTH, 1995 : 217). Parmi l'ensemble des commentaires, nous retiendrons
ceux qui touchent à la nationalité, au statut et, enfin, à
la perception générale que l'interviewé a de la population
hmong.
la nationalité :
« Laotiens... Vietnamiens... gens de
couleur... »
Sur l'ensemble de l'échantillon, 2 personnes parlent
des « Hmong », l'une spontanément se
souvenant d'une exposition organisée à Montreuil-Bellay
« il y a 15 ans » (l'exposition a eu lieu en
1996) ; la seconde, après avoir évoqué les
« réfugiés du Laos », précise
qu'il s'agit de la « tribu hmong ». Pour tous les
autres, ce sont des « Laotiens ». Une seule
personne tente en vain de préciser l'origine de cette population :
« Asiatiques... tout ce qui dépend de la
Chine », pour terminer par un phénotype :
« des gens de couleur ». A noter que deux autres
nationalités sont évoquées sans commentaire
particulier : un « Portugais » et une
« Brésilienne ». Quant à
« la Noire », peut-être
« Antillaise »..., elle est simplement
« gentille comme tout ». Il est important de
rappeler que nous sommes dans le contexte d'une petite ville sans tradition
d'immigration et que la présence d'un seul
« étranger » est très visible et fait figure
d'exception. Par ailleurs, des Anglais et des Hollandais vivent sur la commune,
mais pas dans le même quartier...
le statut :
« Exilés... réfugiés
politiques... »
Leur arrivée à Montreuil-Bellay est
attribuée à « la guerre », ou
à des conflits liés au « régime
communiste » qui se résument rapidement en
« truc de politique ». Un des deux
interviewés, qui dit que ce sont des
« réfugiés politiques »,
complète son propos en précisant qu'il ne s'agit pas d'une
« immigration `choisie' », voulant signifier par
là qu'ils n'ont pas été acteurs de leur choix. Le lapsus
trouve son origine dans l'actualité politique et le débat sur la
politique migratoire. La date d'arrivée, quand elle est donnée,
est toujours floue : « les années
70 ». Cela renvoie à un passé lointain - certains
n'étaient même pas nés - qui fait partie en quelque sorte
de l'histoire de la commune, une histoire qui a été totalement
intégrée. Les Laotiens font désormais partie du
paysage urbain, sont en quelque sorte devenus des
« éléments de l'environnement
naturel » (BARTH, 1995 : 219) et par là sont
totalement réifiés.
La perception générale :
« Je ne peux pas m'en plaindre... pas dérangeants, pas
embêtants, pas désagréables... très
discrets... »
Le discours des interviewés est ici très
prudent, le contexte de l'entretien empêchant sans doute une
liberté de parole. Néanmoins, la construction syntaxique des
réponses est signifiante. Ils procèdent d'abord par
généralisation pour qualifier les membres de la communauté
Hmong. Il s'agit avant tout de dire ce que leur présence NE provoque
PAS, à savoir dérangement, embêtement ou
désagrément, et très rarement ce qu'elle apporte
(l'exposition). En réalité, il semble qu'ils soient seulement
tolérés parce qu'ils sont
« discrets » et qu'ils « restent
entre eux ». Leurs comportements spatiaux deviennent alors des
marqueurs sociaux. Leur quasi invisibilité ne fait donc pas d'eux,
aujourd'hui, un groupe menaçant pour les habitants du quartier qui,
pourtant, semblent avoir été très méfiants au
moment de leur arrivée : « Tu ne seras jamais
payée ! » a-t-on dit à cette nourrice qui
gardait chez elle un enfant d'une famille hmong. Cette dernière a une
vision tout autre, simplement parce que elle a eu des contacts directs avec des
familles, par son travail d'abord, qui l'a amenée à les
côtoyer directement, à participer ensuite à des fêtes
familiales, mais surtout à entretenir des rapports de bon voisinage.
Celle qui a priori était « lointaine » par sa
culture, ses coutumes et son mode de vie, est devenue
« proche » Une relation spécifique s'est mise en
place, « fondée sur une lente découverte
réciproque, qui fait accéder l'autre de l'exotisme, voire de la
menace, à une proximité fraternelle » (RAPHAEL,
1996 : 90).
Au regard des jugements portés par les habitants et
usagers du quartier de la Herse, on peut constater que, s'il y a cohabitation,
en réalité il n'y a pas ou peu d'interaction entre les adultes.
Ainsi, la communauté Hmong constitue un « groupe
ethnique » selon la définition de NAROLL (1964), reprise
par BARTH (1995 : 206), qui retient 4 critères : une
population qui « se perpétue biologiquement dans une large
mesure » - ...il y a très peu de mariages mixtes..., ils
ne se mélangent pas...-, qui « défend des valeurs
culturelles fondamentales » - leur nourriture..., les jardins
c'est pas comme chez nous... -, qui « constitue un espace de
communication et d'interaction » - ... ils avaient fait une
exposition..., ... ils vivent entre eux...-, et enfin qui est
« identifiée par les autres comme constituant une
catégorie spécifique » - ... des Laotiens..., ...
des réfugiés politiques...
Toutefois, comme le souligne BARTH, « le point
crucial devient la frontière ethnique qui définit le groupe et
non le matériau culturel qu'elle renferme » (BARTH,
1995 : 213). La frontière sociale - face externe43(*) - est tracée par le
groupe majoritaire qui prescrit implicitement des codes et des valeurs qui
structurent la vie sociale, et qui fixe des interdits qui conduisent à
une absence d'interaction interethnique. L'ensemble aboutit à une
réification du groupe, comme assigné à résidence
dans une territoire limité, et empêche toute possibilité
d'interaction. C'est même souvent en reprenant les traits mis en relief
par les dominants pour établir la face externe de la frontière
que les groupes minoritaires construisent la face interne (JUTTEAU,
1999).
Le discours identitaire des Hmong révèle cette
autre face de la « frontière » dressée en
réaction. Ainsi à l'occasion d'un entretien, P... (20 ans) nous a
déclaré :
Je suis Hmong... Nous les Chinois...... je dis ça
parce que depuis que je suis gamin on m'appelle Chinois... on a l'habitude...
Mon père, dans les magasins, il se fait traiter de
« chintok ». Il croit que c'est bien, il comprend pas, et
il fait un sourire... Je suis pas un Blanc...
Dans la même phrase, le locuteur utilise 2 termes
antinomiques pour s'auto désigner : en tant qu'individu il
s'affirme Hmong, ce qui correspond à la catégorisation
ethnique évoquée avec fierté, et en même temps dit
faire partie d'un groupe catégorisé par d'autres (nous,
les Chinois), reprenant à son compte la stigmatisation
dépréciative - chintok - du groupe dominant. Il recourt
enfin au phénotype pour marquer l'ultime limite de la frontière,
la couleur de la peau. Interrogé sur ce choix lexical, il affirme que
« ils (les Français) ne font pas la
différence entre les Laotiens, les Vietnamiens... Pour eux, on est tous
des Chinois ».
D'autres jeunes adultes présentent les Hmong comme des
« guerriers » ou des « hommes
libres », revendiquant ici une identité de valeur. Non
seulement, ils se distinguent ou se protègent de l'Autre perçu
comme dépréciateur, mais ils se sur-affirment plus ou moins
agressivement et sont allés jusqu'à l'affrontement physique pour
appuyer leurs dires :
...On est bien parce qu'on est ensemble. Mais ici, c'est
pas terrible par rapport au racisme, à la discrimination... Quand t'es
gamin c'est pas facile... On s'est battu pour se faire respecter, on s'est
battu à fond...Maintenant on s'est fait des amis...
On voit ici la force tirée de l'existence du groupe -
ensemble... - sans lequel l'individu aurait, semble-t-il, du mal
à trouver sa place dans le quartier - ici...- perçu
d'emblée comme hostile, mais cependant progressivement habité.
A la maison, « lieu de stabilité et
d'identité » (FREMONT, 1999 : 49), la cellule
familiale assure la continuité identitaire, par l'usage permanent de la
langue, les modes alimentaires, les pratiques culturelles ; à
l'extérieur, sur un territoire limité dans l'espace urbain, qui
possède alors le statut de centre, et qui est construit par une
mobilité de proximité, le groupe joue un rôle protecteur
par l'existence d'une conscience collective forte et d'une
« solidarité mécanique » (DURKHEIM,
1973). Ainsi s'est constituée une communauté culturelle,
langagière et mémorielle dans un quartier qui, pour ses membres,
est devenue, loin de celle d'origine, une « petite
patrie » (MEDAM, 1996 : 113).
2. Le jardin, un territoire féminin
Parmi les lieux fréquentés quasi quotidiennement
par les femmes, il en est un qui mérite maintenant notre
attention : il s'agit des jardins potagers disséminés sur le
territoire communal, exploités et entretenus avec soin par plusieurs
d'entre elles. Nous rappelons que, traditionnellement, chez les Laotiens des
Montagnes, les zones montagneuses sont le domaine de l'essartage, culture
d'abattis-brûlis avec rotation des aires cultivées. Un pan de la
forêt est coupé puis brûlé -
« mangé 44(*)» - à la fin de la saison sèche,
avant d'être ensemencé. Au cours de leur migration, les Hmong ont
perpétué la tradition des pratiques agricoles, en particulier
pour ceux qui se sont installés en Guyane française et pour qui
on estime que ce sont « des activités qui leur sont
coutumières » (OTT, 1984 : 32), mais aussi dans les
départements du Sud de la France métropolitaine, en particulier
dans le Gard autour de Nîmes, qui devient dans les années 1990 un
pôle d'attraction du courant migratoire. A Montreuil-Bellay, à une
échelle plus réduite, 5 familles continuent de cultiver des
lopins de terre selon des méthodes que nous allons préciser
à partir de l'observation de quelques exemples. Elles possèdent
par ailleurs des petits élevages avicoles originaux. A quelle fin
répondent ces activités ? Quelles sont leur fonction
économique et leur originalité ? Peut-on percevoir dans un
« jardin hmong » des marqueurs spécifiques qui en
font un territoire culturel ?
En préambule, nous souhaitons évoquer la
présentation d'un « jardin » faite par Phong-Yu, un
fils de Ka-Gé TCHA qui avait annoncé : « Un
ami nous a donné un terrain à Montreuil. Il faut tout
faire ». De quoi s'agit-il exactement ? Le terrain se
trouve excentré, non loin de la route de Loudun, au bout d'un chemin de
terre. En réalité, il s'agit d'une vaste parcelle non
clôturée, en friche depuis longtemps. Le sol est parsemé de
cailloux, des ronces et des chardons poussent un peu partout. Phong-Yu le
montre avec fierté. Que reste-t-il à faire pour mettre en culture
ce lopin de 2 000 m² ? « Nous allons tout faire
à la main parce que nous n'avons pas de machines. Pendant les vacances
(de Pâques), je vais commencer à nettoyer, arracher les
plus grosses herbes... C'est le travail des garçons... Quand ce sera
fait, ma mère et ma belle-mère sèmeront les piments, les
pastèques et tous les légumes hmong... » Et pour
l'arrosage ? « Ma mère doit voir avec le
propriétaire... ». Il n'y a pourtant ni puits, ni mare ou
cours d'eau à proximité. Au centre du terrain, se dresse une
construction inattendue : un poulailler de 20 m² fait de grillage et
de panneaux en bois de récupération. A l'intérieur, une
quinzaine de poules et de coqs s'ébattent. Phong-Yu parle de cet
élevage :
« Ces poules sont à mes grands
frères (Tong-Tou, Faty et Hmong). Quand ils étaient
petits, ils étaient toujours avec les poules... Quand mon père
est arrivé (à Montreuil- Bellay) il a eu des poules et
mes frères jouaient avec... Maintenant ils s'en occupent... Il y a des
poules thaïlandaises, deux coqs japonais et puis des poules
« françaises »... Les poules thaïlandaises, mon
père les a ramenées de Thaïlande... Enfin non, il a
ramené deux oeufs ! Ce sont des poules de pure race... Elles
peuvent aller à des concours... Celles qui sont ici ne sont pas
très belles... Les beaux coqs et les belles poules, on les a à la
maison. Comme ça on ne peut pas nous les voler ! Les manouches, ils
savent que ça vaut de l'argent, mais s'ils volent celles qui sont ici,
ils n'en gagneront pas beaucoup... ».
De cette conversation devant le poulailler, au milieu des
champs, nous retenons plusieurs éléments. D'abord un discours
identitaire et une manière de parler de soi en référence
constante avec un mode de vie traditionnel. L'exploitation du
« jardin » est avant tout l'affaire des femmes qui sont
responsables des plantations, en particulier des « légumes
hmong» (piments, pastèques...). De même pour
l'élevage : à son arrivée en France, Ka-Gé
TCHA s'est empressé de mettre en place un petit élevage avicole
à usage domestique à l'identique de celui que ses parents avaient
au Laos. Cette tradition a été transmise à ses fils
aînés, sous la forme d'un jeu qui a pris par la suite une autre
signification : les oeufs rapportés de Thaïlande à
l'occasion d'un voyage ont permis de donner à cet élevage une
nouvelle dimension. Il ne s'agit pas simplement d'élever des poulets
pour une consommation de type familial, mais plutôt de reconstituer dans
le pays d'accueil un « environnement hmong ». L'image
surréaliste de ce poulailler fait de matériaux de
récupération au beau milieu d'un terrain en friche devient le
symbole à la fois d'un déracinement mais aussi d'une
volonté d'ancrage dans un univers hostile. En construisant cet enclos,
les TCHA s'approprient réellement une infime parcelle qui, à
leurs yeux, devient un morceau symbolique du Laos. Les parents s'accrochent
à leur passé, les enfants héritent d'un mode de vie
transmis par l'exemple et le discours parental.
Le jardin potager, une tradition hmong ? Oui, pour les
plus âgés à savoir les parents. Les enfants, à une
exception près, ne pratiquent pas le jardinage. Outre Teng CHIENG qui
possède suffisamment de terrain autour de son pavillon, les jardins sont
dispersés sur le territoire communal, parfois éloignés de
plusieurs kilomètres. Quelles sont leur spécificité et
leur originalité ? La « visite » de quelques
jardins va permettre de répondre à ces questions.
5 familles exploitent à elles seules 9
« jardins » selon des statuts d'occupation variables (carte
n°10). Il peut s'agir de lopins de terre prêtés
temporairement, de parcelles louées par la commune, enfin de terrains en
propriété. Selon le cas, le mode d'exploitation présente
quelques différences.
Carte n°10 :
Jardins hmong à Montreuil-Bellay
v Un nouveau jardin : le jardin de Ka-Gé
TCHA
Un lopin de terre a été mis à disposition
par un agriculteur, beau-père d'une fille de Ka-Gé TCHA. Il
s'agit d'une pièce de terre de 12 m de large sur 110 m environ, soit 1
400 m², non clôturée. Il se situe sur la commune de
Montreuil-Bellay, à 6 km de la Herse à l'Est (carte n°10,
jardin n°1). Il est caché de la route par un petit bois et on y
accède par un chemin de terre. Orientée au Sud, cette
lanière est bordée à l'Est et au Nord par un bois, au Sud
et à l'Ouest par un champ de céréales. Ka-Gé TCHA
dispose également d'une seconde parcelle plus vaste, sur laquelle ses
fils et lui ont construit un petit poulailler. Ils exploitaient
précédemment un jardin à Saumur. L'opportunité de
ces 2 nouvelles parcelles prêtées gracieusement, à
proximité de Montreuil-Bellay, leur a fait renoncer, par souci
d'économie, à la location précédente.
Le terrain a été mis en culture en avril et,
grâce aux services d'un agriculteur complaisant, a été
labouré par ce dernier, ce qui a évité un travail
fastidieux de bêchage et de désherbage manuel qui aurait dû
être réalisé par les enfants. Ce sont les deux
épouses de Ka-Gé qui ont désormais la charge de la
préparation du terrain et des semis. Les graines proviennent soit des
récoltes de l'année passée, soit du Laos ou de
Thaïlande envoyées par la famille. Pour seul outillage, elles
disposent de deux binettes à sarcler à manche court dont le soc
hémisphérique mesure environ 15cm de diamètre. Ces deux
outils proviennent eux aussi du Laos, envoyés par des
« cousins » : elles prétendent que
« les outils français sont trop grands pour
elles ». Deux bâches de plastique noir ont
été tendues sur le sol, de manière à
délimiter deux emplacements, couvrant la moitié de la surface
totale, réservés à plusieurs variétés de
concombres et de citrouilles. Elles sont maintenues au sol par des
matériaux divers (cailloux, morceaux de bois, bouteilles en plastique
pleines d'eau...). Ce dispositif évite la pousse des mauvaises herbes,
et les végétaux rampants doivent progressivement s'étaler
sur les bâches.
Photo n°10 : Le
« jardin » de Ka-Gé TCHA (8 juin 2007)
Le reste de la parcelle est consacré à d'autres
légumes (oignons, maïs, haricots, pommes de terre...) semés
ou plantés en rangs approximativement parallèles très
serrés. Enfin, à l'entrée du terrain, figurent quelques
plantes médicinales pour les humains et les volailles, et quelques
plants de tomates (carte n°11). Pour éviter de perdre de la place,
aucune allée n'a été prévue : seule la bordure
de la parcelle permet la circulation.
Carte n°11 : Le jardin
de Ka-Gé TCHA
Les semis en poquets et les plantations ont été
effectués au début du mois de mai. L'arrosage dépend
exclusivement des précipitations.
L'ensemble des récoltes, à partir du mois de
juillet, est destiné à assurer l'alimentation familiale des deux
ménages. Il semblerait qu'au cours de l'année ils ne fassent
jamais l'achat de légumes en dehors de ceux qu'ils récoltent.
L'hiver, ils sont approvisionnés par des « cousins »
de Tours qui pratiquent des cultures sous serre et leur permettent ainsi de
faire la « soudure ».
v Un « jardin familial » : le jardin
de madame Mo CHA
La municipalité met à disposition des habitants
de la commune des « jardins familiaux » sur deux sites, aux
entrées Sud et Nord de la ville. Le tarif de location est
symbolique : 0,08 € le m² pour l'année. Deux familles
hmong louent chacune une parcelle, respectivement de 128 m² et 148
m², au lieu dit « Le Bas de l'Oie », à
l'entrée Sud (carte n°10). L'ensemble est clôturé et
divisé en 5 lots répartis de part et d'autre d'une allée
centrale. Au milieu, une pompe à eau manuelle et un petit bâtiment
en bois, fermé : 5 abris pour le petit matériel de
jardinage.
Le « jardin », loué pour 11,84
€ par an, se compose de deux carrés non clôturés de 7m
sur 10 m, séparées par l'allée centrale, divisées
en « planches » (carte n°12). L'essentiel de la
surface est consacré au maïs et à plusieurs
variétés de courges, courgettes et melons. Des plantations
complémentaires occupent les espaces interstitiels (tomates, coriandre,
menthe...).
Carte n°12 : Le
« jardin » de madame Mo CHA
Au vu de la surface ensemencée (148 m²), il ne
peut s'agir que d'une activité exclusivement manuelle, ne
nécessitant quasiment aucun outil si ce n'est une bêche ou une
pelle ; les légumes plantés ici n'imposent qu'un faible
entretien et le fait d'avoir bâché les carrés
réservés aux cucurbitacées limite le travail de
désherbage. Cependant, même s'il n'assure qu'un complément
dans l'économie du foyer, ce minuscule jardinet renferme des
ingrédients introuvables chez les commerçants locaux (coriandre,
citronnelle...) et de consommation courante dans les préparations
culinaires traditionnelles.
v Un jardin de propriétaire : le jardin de Neng
TCHA
Le jardin de Neng TCHA se situe au Sud du territoire communal,
au milieu de terrains agricoles (carte n°10). On y accède par un
chemin vicinal. Il s'agit d'une lanière de terre de 120 m de long sur 10
m de large clôturée d'un grillage. On pénètre dans
cet enclos en franchissant un petit pont de bois fait de planches qui enjambe
un fossé. Une allée latérale le traverse sur toute la
longueur. L'image de la mosaïque convient pleinement pour décrire
ce jardin : en effet, cet espace complanté est formé de la
juxtaposition de micro parcelles - la plus petite mesure moins d'un m² -
réservées à une grande variété de
légumes et de plantes condimentaires et médicinales (carte
n°13). Comme dans les 2 jardins précédemment
observés, on retrouve ici la citronnelle, la coriandre, les piments, le
basilic, le maïs... autant de plantes utilisées au quotidien dans
la cuisine.
Carte n°13 : Le
jardin de Neng TCHA
Au centre, un puits et un poulailler soigneusement
clôturé qui renferme une dizaine de volailles. Au fond, on trouve
le « verger », alignement de pêchers, pommiers,
pruniers, dont certains proviennent d'Asie du Sud-Est, mais aussi de 2
bananiers qui sous le climat local ont bien du mal à fructifier !
Quelques fleurs agrémentent le tout. Neng TCHA possède ce terrain
depuis plus de 15 ans, comme en témoigne la taille des arbres fruitiers.
Il construit actuellement un petit abri de jardin qui lui permettra de mieux
ranger son matériel. Son épouse et sa soeur y travaillent tous
les jours. Il les rejoint parfois en fin de journée, après son
travail.
Au terme de ces 3 études, nous pouvons faire un certain
nombre de constats. Les lopins de terre mis en culture se
caractérisent d'abord par leur superficie réduite, 1 500 m²
en moyenne. Les plus vastes n'excèdent pas 5 000 m². Ils ont la
taille de ce que l'on a coutume d'appeler un « champ
asiatique » (MIGNOT, 1999 : 192). Et à cette
modicité de l'étendue des parcelles s'ajoute la très
faible mécanisation, cette dernière trouvant compensation dans
l'utilisation d'une force de travail rapidement mobilisable. Les enfants sont
ainsi fréquemment mis à contribution en début de saison
pour les gros travaux de désherbage et pour certaines récoltes.
En pleine saison de récolte, dès la mi-juin, les femmes sont
présentes quotidiennement dans les jardins une partie de la
journée. Pour elles, « la territorialité du jardin
ne fait que prolonger, à l'extérieur, celle de la
maison » (DI MEO, 2001 : 100). Le jardin devient
l'appendice de la cuisine, avec ses bricolages et ses recettes maison.
Photo n°11 : Une
serre dans le jardin de madame Mo CHA
Sous le désordre apparent, on découvre une
organisation méticuleuse des espaces : la complantation est
très fréquente, avec dans le même carré de terre
plusieurs variétés de concombres, melons, maïs... Cette
technique, en continuité avec un modèle initial laotien (MIGNOT,
1999 : 192), permet d'associer des végétaux à
croissance différente, d'exploiter plus longuement l'espace
cultivé et d'éviter toute place perdue (photo n°12).
Dès lors, l'ensemble du terrain n'est mis en repos définitif
qu'à la fin de l'automne. La complantation, c'est aussi l'association
dans le même espace de plantes d'origines diverses et bien souvent
asiatiques. A l'occasion des voyages en Thaïlande, les membres de la
communauté ramènent dans leurs bagages des graines, des
racines... qui, une fois semées ou plantées, donneront des
pieds-mères et fourniront les semences de la prochaine récolte.
On retrouve ainsi sous des latitudes et des climats différents de leur
terroir d'origine, la citronnelle indispensable dans la cuisine, la coriandre,
les concombres amers... et surtout une grande variété de plantes
médicinales, soignant et vraisemblablement guérissant les maux
les plus divers, allant des problèmes digestifs aux
« pannes » sexuelles, aux soins des brûlures,
fractures, etc. Tout cela a pu faire dire au philosophe Michel FOUCAULT
à propos du jardin que « c'est la plus petite parcelle du
monde et puis c'est la totalité du monde » (FOUCAULT,
1984 : 48).
Photo n°12 : Un
espace complanté (maïs, oignon, citronnelle...)
Cette activité de jardinage essentiellement
féminine, que M. MAUSS appelle « industries
d'acquisition » pour désigner « un ensemble
de techniques concourant à la satisfaction d'un besoin - ou plus
exactement à la satisfaction d'une consommation » (MAUSS,
1947)45(*), a
effectivement pour vocation première la consommation de la famille
toujours entendue au sens très large. En cas de surproduction, les
voisins sont parfois les bénéficiaires du surplus, comme en
témoigne une habitante de l'immeuble où réside madame CHA
depuis son arrivée en 1981 :
Et puis CHA Mo, elle me donne des légumes... Elle a
un jardin. Ah ! les jardins, c'est pas comme chez nous. Ils mettent du
plastique et ils font des trous pour planter... C'est leur coutume... Ils font
pousser des haricots longs comme ça (geste), des courgettes, de
la citrouille... de la coriandre. C'est le persil laotien. Elle me dit :
« T'en mets un petit peu, tu verras, c'est bon ! »...
C'est fort...
Parfois, cela se double d'une activité commerciale,
tout particulièrement pour une épouse de Teng CHIENG qui vend sur
un marché hebdomadaire de Tours les courgettes qu'elle récolte en
abondance. Les conditions climatiques du début de l'été
2007 ont toutefois mis un frein à cette pratique. Par ailleurs, Teng
CHIENG est propriétaire d'une parcelle plantée de camomille, dont
une de ses épouses et sa fille récoltent quotidiennement les
infloraisons.
Photo n°13 :
Récolte des fleurs de camomille
Une fois séchées, les fleurs sont vendues
à un herboriste du Maine-et-Loire. Nous sommes donc ici en
présence d'une activité purement commerciale assurant un
complément financier pour le propriétaire du terrain qui pense
déjà à sa prochaine retraite et diversifie ses sources de
revenus.
Territoire avant tout féminin, le
« jardin », malgré ses dimensions modestes, a donc
une fonction économique incontestable. Il vise à couvrir les
besoins familiaux en matière alimentaire, tout particulièrement
lorsque le chômage provoque une baisse des revenus. Les femmes hmong qui
travaillaient dans les champignonnières n'ayant pas, à leur
fermeture dans les années 2000, retrouvé d'emplois, le
« jardin » a alors permis de compenser la perte de revenus.
Mais il se double d'une fonction culturelle en fournissant des bases de
préparation culinaire, en particulier les plantes aromatiques et
certains légumes difficiles à trouver sur le marché local,
ainsi que les plantes utilisées dans la pharmacopée
traditionnelle. Il se complète souvent d'un petit élevage de
poulets, dans la cour de la maison dans le cas de Teng CHIENG, ou en plein
champ, comme nous l'avons vu pour Ka-Gé TCHA. Ces volailles, originaires
d'Asie du Sud-Est, sont de morphologie différente de celles que nous
avons l'habitude de voir dans nos contrées. Coqs et poules de race sont
sacrifiés à l'occasion des cérémonies familiales,
comme nous avons pu le constater en assistant à un mariage. Ainsi, le
jardin et le poulailler permettent de conserver et de pérenniser le lien
avec des modes de vie traditionnels. Métaphoriquement, ils deviennent le
pont qui, à l'image de Bifröst l'arc-en-ciel de la mythologie
scandinave, relie les rives du Thouet où les Hmong se sont
échoués à celles du lointain Mékong
définitivement perdu.
Par le jardinage qui permet de renouer avec les pratiques
traditionnelles et de s'ancrer dans le contexte local, les familles hmong de
Montreuil-Bellay s'approprient un espace qui constitue un prolongement à
la fois économique et culturel de l'habitation. Cependant les bassins de
vie initiaux se sont progressivement élargis. Selon quelles
modalités ?
3. L'élargissement du bassin de vie familial par les
mariages
Si le domicile, prolongé par le jardin, et le quartier
sont vécus comme « un ancrage identitaire »
(RAMADIER, 2002 : 121), ils constituent en quelque sorte pour les membres
de la communauté un territoire approprié, un bassin de vie
construit progressivement et dans lequel les lieux sont habités en
pratiquant avant tout une « mobilité de
proximité ». Pourtant ces « bassins de
vie » que chaque famille a construits se sont peu à peu
élargis : les enfants, pour leurs études, pour
accéder à un emploi ou parce qu'ils se marient, se
déplacent et changent de domicile. Quelle est la part de choix et de
contrainte dans ces formes de mobilité ? La centralité
identitaire du quartier est-elle alors remise en question ?
v La scolarité et la recherche d'emploi contraignent
à un éloignement temporaire
Tous les enfants des familles arrivées dans les
années 1980 dans le quartier de la Herse ont fréquenté
l'école et le collège voisins (carte n°5), ce qui avait pu
faire écrire au Maire de l'époque, s'adressant à son
homologue de Saumur dans un courrier en date du 15 juillet 1981 (annexe 1a),
que « les enfants de ces ressortissants représentent 20%
de l'effectif du groupe scolaire du quartier ».
Si les proportions ont diminué depuis cette date, il
n'en demeure pas moins que les plus jeunes continuent d'être
scolarisés au collège Calypso (9) et à l'école (3).
La ville dispose d'un autre établissement d'enseignement secondaire, en
l'occurrence le lycée professionnel agricole spécialisé
dans la viticulture et l'horticulture. Pour les adolescents des familles hmong,
les poursuites d'études se font obligatoirement en dehors de
Montreuil-Bellay, généralement dans trois lycées
proches : le lycée Jean Moulin à Thouars, les lycées
Duplessis-Mornais et Sadi Carnot à Saumur. Cette proximité oblige
ces jeunes à « navetter » quotidiennement entre
Montreuil-Bellay et l'établissement scolaire. Ils demeurent en contact
permanent avec leur quartier mais découvrent parfois un nouveau mode de
vie en particulier dans le domaine alimentaire.
... Nous, on mange jamais français... on mange
beaucoup de choses à la vapeur... on pose tout sur la table et on se
sert... on n'a pas de couteau, seulement une fourchette... Chez nous la viande
est déjà coupée... Je mange français à la
cantine. Au début je demandais à Pierre [un camarade] de
me montrer...
(Phong-Yu, 19 ans)
Demi-pensionnaires pour la première fois de leur vie,
ils doivent faire l'apprentissage de nouveaux modes comportementaux et l'Autre
devient le référent qui permet d'encoder de nouvelles
règles. Nous avons pu effectivement constater, à l'occasion de
repas pris dans des familles, l'absence de couteau à table et leur
inutilité compte tenu des modes de préparation culinaires :
viande déjà coupée et riz gluant accompagné de
sauce ne nécessitant pas ce couvert dont un Occidental ne peut se
passer. C'est au travers des parcours scolaires, contraints par l'absence de
structure locale dans une petite ville, que se mènent au quotidien ces
apprentissages indispensables pour « une population qui
présente les caractéristiques d'une `société
de l'ailleurs' mais qui habite désormais la société
d' `ici' » (ANTEBY, in SIMON-BAROUH, 1998 : 56).
L'obtention d'un diplôme professionnel (CAP, BEP, Baccalauréat
Professionnel) marque souvent la fin des études pour bon nombre d'entre
eux et, dans le cas contraire, ils doivent aller à Angers ou à
Poitiers, et, comme tout étudiant, faire l'apprentissage d'une certaine
autonomie. La non poursuite d'études est souvent liée à
des problèmes financiers et, par le réseau communautaire, les
jeunes hommes trouvent du travail, comme leurs aînés, dans
l'entreprise Euramax. Ainsi la décohabitation n'est que provisoire car
très souvent, après quelques mois
d' « indépendance », ils reviennent au domicile
parental. Le quartier aurait-il sur eux un pouvoir attractif ? Cette
hypothèse sera vérifiée par l'observation des
comportements de jeunes hommes mariés ne résidant pas sur la
commune.
Cependant la cause essentielle de décohabitation
demeure le mariage dont nous allons présenter certaines
particularités en étudiant les pratiques matrimoniales en oeuvre
dans 3 familles retenues dans l'échantillon. Il s'agit là encore
de familles polygames (graphique n°3) dont le nombre d'enfants
élevé - 56 enfants pour 7 épouses - va constituer un
sous-échantillon. Cela correspond à un taux de
fécondité particulièrement élevé - 8 enfants
par femme - par rapport au niveau français - 1,94 (INSEE, 2005). De
plus, on a un nombre de garçons nettement supérieur à
celui des filles - 33 contre 23 soit un ratio garçons/filles de 143/100,
alors qu'en France ce ratio est de 105/100. Ce profil démographique
déséquilibré peut-il avoir des conséquences sur
l'ancrage de la communauté ? Nous procèderons à un
double niveau d'analyse : en premier lieu la forme du mariage, en
distinguant les mariages « hmong » et les mariages
« mixtes », puis le lieu de résidence, et ce afin de
vérifier l'incidence éventuelle de l'un sur l'autre. Le graphique
n°3 présente pour 3 familles la répartition des enfants par
filiation maternelle et les couples constitués par les enfants
mariés. Nous tenons toutefois à préciser que la notion de
« mariage » est à entendre dans le sens où
cela a donné lieu à une cérémonie familiale qui
n'est pas toujours complétée par un acte d'Etat civil.
v L'évolution progressive des configurations
matrimoniales :
Il faut d'abord rappeler le principe de base sur lequel repose
la structure sociale de ces populations. Elle est fondée sur le clan
à filiation patrilinéaire. L'exogamie clanique est rigoureuse :
les gens portant le même nom se considèrent comme parents proches
et ne peuvent pas se marier entre eux. Or, à Montreuil-Bellay, la
plupart des familles appartiennent au même clan CHIENG/TCHA/CHA, ce qui
va compliquer le choix des époux ou des épouses.
Graphique n°3 : 3
exemples de configurations matrimoniales
L'observation des 3 graphiques permet de constater qu'en 2007,
près de la moitié des enfants des 3 familles sont mariés
(46%). Nous savons que ces familles sont arrivées parmi les
premières à Montreuil-Bellay avec des enfants très jeunes,
nés soit au Laos soit dans les camps de réfugiés
thaïlandais. 25 ans plus tard, devenus adultes, ils vivent en couple et
ont eux-mêmes des enfants. Si l'on observe maintenant la
répartition des mariages par catégorie sur l'ensemble des 3
familles, on voit que les « mariages hmong » (14 sur 26)
dominent légèrement (53%).
Cependant, l'étude par famille conduit à une
autre conclusion : en effet, dans la famille CHIENG, sur les 9 mariages, 6
sont hmong (66%), dans la famille Tsiong-Yia TCHA, 7 sur 11 (64%), par contre
chez Ka-Gé TCHA 1 sur 6 (17%). En l'absence de véritable
explication de la part des intéressés - parents ou enfants -,
nous proposons de justifier cette différence par 2 arguments. Le premier
est lié à l'âge des pères. Ka-Gé TCHA est
plus jeune de 10 ans. Aurait-il souhaité inconsciemment faciliter
l'intégration de ses enfants dans la société
française en acceptant ces unions mixtes ? Ses aînés,
au contraire, en perpétuant un système matrimonial traditionnel,
ont-ils voulu maintenir une cohérence familiale ? Le second
argument s'appuie sur le lien de parenté qui existe entre CHIENG Teng et
TCHA Tsiong-Yia : en dépit de leur patronyme différent, ils
sont frères et ont été accompagnés par leurs deux
parents dans leur migration. Ces derniers ont-ils alors joué un
rôle, direct ou indirect, dans le choix des conjoints de leurs
petit-enfants ? J. Pierre HASSOUN constatait en 1997 qu'
« une quinzaine d'années après l'arrivée des
premiers Hmong en France, les mariages à l'extérieur des clans
hmong restent exceptionnels bien qu'il n'existe aucun interdit formalisé
dans le fait de se marier ` à l'extérieur' ».
Il justifie cette affirmation par « les réflexes
`communautaires' que la faiblesse démographique de la population
[hmong] en France peut provoquer ». Les jeunes, devant la
difficulté d'insertion dans la société globale,
opèrent alors « un retour à la tradition sous la
forme d'une endogamie accentuée » (HASSOUN, 1997 :
79). On retrouve une fois de plus le renforcement des besoins de
solidarité interne. Pour P. BOURDIEU, analysant ce qu'il appelle
« le marché matrimonial », les femmes ont
pour « fonction de contribuer à la perpétuation ou
à l'augmentation du capital symbolique détenu par les
hommes » (BOURDIEU, 2002 : 65). En choisissant une
épouse hmong, les jeunes hommes, à l'instar de leur père
polygame, affirmeraient ainsi, face à la communauté, leur
« capital symbolique ».
Quoi qu'il en soit, sur les 14 mariages
« hmong », 10 sont contractés par des jeunes filles,
contre 4 pour les garçons. Sont-elles plus respectueuses de la tradition
ou ont-elles subi davantage de pression que leurs frères de la part de
leurs parents ? Sans entrer dans le secret des transactions qui ont
peut-être existé, ces mariages ont parfois des
« histoires » liés à la mobilité des
intéressés aux-mêmes. En effet, les 3 filles
aînées de la première épouse de Teng CHIENG
allaient, chez des « cousins » maraîchers à
Nîmes, pour la cueillette des courgettes. Elles y ont fait la
connaissance de jeunes Hmong qui sont devenus leurs époux. Une fille de
Tsiong-Yia TCHA a épousé un Hmong venu des Etats-Unis passer des
vacances à Montreuil-Bellay. Le fils aîné de Teng CHIENG,
encore plus respectueux de la tradition, a fait spécialement le voyage
en Thaïlande pour épouser une jeune fille hmong.
Les mariages « mixtes » sont
essentiellement le fait des garçons. Toutefois, la tradition est
maintenue par tout le cérémonial qui entoure le mariage et en
particulier le port par les époux et leurs témoins des costumes
traditionnels (photo n°14)
Photo n°14 :
Mariage « mixte » à Montreuil-Bellay
Enfin, il faut encore une fois tenir compte de la très
petite taille de la communauté hmong de Montreuil-Bellay pour expliquer
le nombre de mariages mixtes. A l'inverse, des communautés
numériquement fortes, comme celles de Rennes ou Nîmes, peuvent
maintenir effectivement l'intermariage (STREIFF-FENART, 2000).
Qu'ils soient endogamiques ou mixtes, quelle va être
l'influence des mariages sur la configuration des bassins de vie
familiaux ? Pour cela, nous nous appuierons à nouveau sur les 3
familles précédemment étudiées en observant la
localisation des lieux de résidence des enfants qui ont
décohabité, soit pour des raisons professionnelles soit parce
qu'ils sont mariés et ont quitté le domicile parental.
v « Bassins de vie » en archipel
Avec les mariages, on assiste à une seconde dispersion
des membres du groupe communautaire, à l'image de celle subie à
la suite de l'exil du Laos. Peut-on parler ici de
« diaspora » ? Si l'on reprend la définition
très générale de M. BRUNEAU, qui désigne sous ce
terme « toutes sortes de phénomènes
résultant de migrations de populations dans plusieurs pays à
partir d'un foyer émetteur » (BRUNEAU, 1995), on retrouve
effectivement un « foyer émetteur » - la
commune de Montreuil-Bellay-, la
« mère-patrie » évoquée par
Max. SORRE, et les « migrations » en
différents lieux, en France et aux Etats-Unis. Toutefois, on n'est pas
face à un exode massif dont « les causes ont
été [...] une nécessité absolue sous
l'effet de contraintes qui furent surtout de nature politique »
(LACOSTE, 1989). Aussi, nous préférons ici utiliser l'image de
« l'essaimage » empruntée à Max.
SORRE.
L'observation de la carte n°14 montre, en France,
l'existence de 3 pôles de fixation des enfants une fois
mariés : l'Ouest (Rennes, Angers), le Sud-Est (Nîmes) et la
région lyonnaise. On trouve des individus isolés à
Poitiers, St-Nazaire et Pouzauges (Vendée). Il s'agit d'hommes dans le
cadre de mariage mixtes. Les raisons de leur installation dans ces villes sont
à chaque fois professionnelles, pour eux-mêmes ou par rapport
à leur conjoint. Par contre si l'on considère des foyers
d'installation comme Nîmes ou Lyon, on observe un nombre plus important
d'individus originaires de Montreuil-Bellay : ce sont des femmes qui ont,
par leur mariage, intégré un autre clan et, comme le veut la
tradition, se sont installées dans le lieu de résidence de leur
époux. On peut parler effectivement pour elles de « contrainte
sociétale » qui, au même titre que pour leur mère
auparavant, leur impose un changement de lieu de résidence, assorti
d'une mobilité importante compte tenu de l'éloignement du nouveau
foyer. Les importantes communautés, comme celles de Nîmes, Rennes
ou Lyon, exercent alors un pouvoir polarisant que ne peut nullement avoir celle
de Montreuil-Bellay du fait de sa faiblesse numérique. On a dans ce cas
un mouvement centrifuge à partir de la commune d'origine.
Carte n°14 :
Implantation résidentielle des enfants mariés
Ainsi, les bassins de vie familiaux s'élargissent-ils
parfois considérablement à la fois sous l'effet des choix
professionnels et en même temps des contraintes imposées par le
principe de l'exogamie clanique sur lequel repose tout mariage endogame (cartes
n°15 et 16). Les bassins de vie familiaux prennent alors la forme
d'archipel, et toutes les « îles » sont
reliées entre elles par la force du lien communautaire et identitaire
(TAPIA, 2005).
|
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Carte n°15 :
Bassin de vie de la famille Ka-Gé TCHA
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Carte n°16 :
Bassin de vie de la famille Teng CHIENG
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Nous ne pensons pas que les jeunes adultes qui quittent la
communauté de Montreuil-Bellay le fassent, comme l'estime P. BILLION
pour « échapper aux relations et aux rapports
obligés entre co-ethniques, se dégager d'une dépendance
étroite ... vis-à-vis de la parenté, et gagner ainsi une
certaine autonomie » (BILLION, 1988 : 337). En
réalité, même s'ils n'y résident plus, ils
conservent des liens permanents avec leur quartier d'origine, tout
particulièrement pour les hommes. Ainsi Houa, qui travaille et
réside à Pouzauges (Vendée), revient toujours en fin de
semaine, avec son épouse française et son fils, au domicile
parental ; de même Thé, qui pourtant a son propre logement
à l'extérieur de Montreuil-Bellay, a récemment élu
domicile dans l'appartement de sa mère et participe
régulièrement aux parties de toupie... On assiste ainsi à
un second mouvement, centripète celui-là, qui fait du quartier
d'origine une « niche familière » (CLAVAL,
1995 : 156), un pôle attractif par lequel se renforce en permanence
l'identité collective de cette communauté. Ainsi, comme le
remarquait L. WIRTH, « le plus souvent, l'individu a tendance
à revenir chez les siens, dans le groupe restreint, mais humain et
chaleureux que représentent la famille et le Landsmannschaft au sein
duquel il est apprécié et compris » (WIRTH,
1980 : 275). L'ancrage territorial se renforce ainsi par les hommes et se
double d'un ancrage affectif qui se réfère à la fois
à une communauté et à un espace de vie.
Conclusion : des espaces pratiqués
centripètes et centrifuges
Ancrée dans le quartier de la Herse depuis
bientôt 30 ans, la communauté hmong, faible numériquement,
« habite » un territoire limité dans l'espace
urbain, construit avant tout par une mobilité de proximité
domocentrée. La résidence constitue par excellence le lieu
où se construit l'identité, et la structure familiale polygame a
un impact certain sur l'appropriation de l'espace, avec en particulier le
principe de la plurirésidence et l'opposition entre lieux masculins
ouverts et lieux féminins fermés. A l'extérieur, les
comportements spatiaux au sein de l'agglomération sont régis par
les rapports sociaux, qui renforcent l'image d'« une
mobilité de sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117).
L'identité communautaire est renforcée dans des
« bassins de vie » compacts, qui incluent le quartier et
souvent le jardin potager, prolongement à la fois économique et
culturel de l'habitation. Si par leurs modes de vie, les adultes premiers
arrivés peuvent paraître en marge de la société
d'accueil tout en s'y étant installés avec la volonté de
refaire leur vie, « unissant les deux dimensions contraires de la
rupture et de l'appartenance » (SIMMEL, (1900) 198746(*)), les nouvelles configurations
matrimoniales modifient la géographie des « bassins de
vie » familiaux qui s'élargissent progressivement en archipel.
Pourtant, ce mouvement centrifuge, résultant d'un faisceau de
contraintes - professionnelles, économiques, culturelles...-, se double
d'un mouvement centripète qui conduit les jeunes hommes qui ont
quitté le domicile parental à y revenir
régulièrement, compensant cette décohabitation par une
appropriation « existentielle » qui doit
être entendue comme « le sentiment de se sentir à sa
place voire chez soi quelque part » (RIPOLL, VESCHAMBRE, 2005 : 12).
IV. Lieux de la diaspora : liens sociaux et
symboliques
« Ce ne sont pas les lieux c'est son coeur qu'on
habite »
John MILTON
Dispersés par l'histoire aux quatre coins du globe
à partir de 1975, les Hmong ont formé rapidement des
communautés plus ou moins importantes sans pour autant reconstituer des
« villages-bis », mais plutôt en s'appuyant sur la
force des clans. La petite communauté qui nous intéresse,
installée depuis1980 à Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire,
dont les bassins de vie familiaux se sont progressivement élargis,
entretient par ailleurs tout un réseau de relations, « des
liens affectifs et matériels forts » (SCHEFFER, 1986) avec
d'autres communautés, plus ou moins lointaines, tant sur le territoire
national que dans d'autres pays du monde. Si l'enquête
réalisée sur les mobilités quotidiennes a
révélé l'importance que prennent les déplacements
de fin de semaine pour rendre visite à des
« cousins » ou parents, il est aussi des liens plus
idéels qui perpétuent la relation avec un
« là-bas », comme si chacun recherchait dans le
passé un point d'ancrage. Au-delà de la sociabilité et de
la solidarité communautaire qui trouvent toute leur valeur à
l'occasion des mariages par exemple, des forces particulières
s'expriment dans des rapports aux lieux plus symboliques. Ce sont ces lieux et
ces liens que nous proposons maintenant d'étudier en nous interrogeant
sur leur nature dans le contexte de la diaspora. Qu'ils soient lieux
d'échanges, lieux festifs, symboliques ou lieux de mémoire, dans
quelle mesure assurent-ils la vitalité de la diaspora ?
1. Lieux divers reliés par des échanges
fréquents
a. Instabilité dans la
stabilité
Nous avions mis en garde le lecteur sur l'exactitude du
recensement des familles vivant à Montreuil-Bellay (voir p. 8) nous
référant à J. LEMOINE forcé de « se
rendre compte à quel point une famille hmong peut se déplacer en
l'espace d'une génération » (LEMOINE, 1983 :
20). Nous ne pouvons qu'accréditer ce constat. En effet au début
de notre enquête, alors que nous effectuions le recensement, une famille
a quitté la commune pour aller s'installer à Rennes. Ils
étaient auparavant passés par l'Argentine, la Guyane
française avant d'arriver dans le Maine-et-Loire où ils
étaient restés une dizaine d'années avant de reprendre la
route. Faut-il voir dans cette mobilité une caractéristique de
l'étranger qui « n'est pas rivé à un point
fixe... sachant bien qu'il sera peut-être amené un jour
à se remettre en route » (SIMMEL, (1900) 198747(*)) ? Dans le cas de cette
famille, le départ a été motivé par la recherche
d'un nouvel emploi et, une fois de plus, le réseau relationnel ethnique,
véritable « service social lao » (BILLION,
1988 : 338) a permis au père de famille de retrouver un emploi
salarié dans une compagnie de transport rennaise et a
réorienté sa migration. On pourrait citer de nombreux autres
exemples, confirmant la mobilité géographique et professionnelle
que l'on peut qualifier d' « instabilité dans la
stabilité » (GERAUD, 1993 : 733), car on ne se rend
jamais qu'en « des lieux où résident d'autres Hmong
et où l'on possède des parents » (id., ibid.). La
mobilité est facilitée par ailleurs par le statut d'occupation du
logement : être en location rend toujours possible la
résiliation d'un bail. Ce n'est pas là l'objet central de notre
étude car nous voulons plutôt vérifier l'existence des
liens entre communautés géographiquement séparées.
En dépit de la distancre, le réseau relationnel est-il
suffisamment fort pour que ces liens ne se distendent pas ?
b. Liens réels et
matériels
Les liens sont protéiformes et se concrétisent
de différentes manières. Nous tenterons de les distinguer en nous
inspirant du schéma de la communication humaine mis au point par Roman
JAKOBSON48(*) et en
prenant pour critère la nature des contacts : directs ou
immédiats lorsque les individus sont physiquement en situation de face
à face, indirects ou médiatisés si le contact se fait
à distance.
v Des contacts directs fréquents renforcés par
l'association TCHA
Il semble que la distance entre les individus ne soit jamais
un obstacle insurmontable - on trouve dans chaque famille un ou plusieurs
véhicules - et rares sont les week-ends sans réunion de famille,
ainsi que le déclarait Teng CHIENG (voir p. 65).
Puisqu'« on n'a pas la chance d'être ensemble [toute
l'année] », on ne doit pas hésiter à se
déplacer, et même si on n'est pas officiellement invité,
« la porte est toujours ouverte ». Cette
hospitalité généreuse est effectivement la première
règle sur laquelle repose la vie communautaire hmong.
Si nous nous appuyons sur l'observation des
déplacements effectués par 2 familles hors de la commune de
résidence au cours des mois de juin et juillet 2007, on peut remarquer
à la fois une diversité dans les destinations mais aussi la
répétition de certains lieux dont Saumur, Orléans et
Rennes, avec toutefois une constante : on se déplace pour
rencontrer d'autres familles hmong, ce qui confirme bien l'interpolarité
des relations (MA MUNG, 1992 : 187). L'« ici » et
l'« ailleurs » sont dès lors reliés.
dates
|
2-3 juin
|
9-10 juin
|
16-17 juin
|
23-24 juin
|
30 juin
1er juillet
|
7-8 juillet
|
14-15 juillet
|
21-22 juillet
|
Famille 1
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Pouzauges
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Saumur
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Lyon
|
|
Rennes
|
Saumur
|
Saumur
|
|
Famille 2
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Saumur
|
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Castres
|
Rennes
|
|
Orléans
|
Orléans
|
Tableau n°6 :
Déplacements hors de la commune (destination)
On peut établir une typologie des déplacements
en les classant selon leurs motifs. Tout d'abord, les grands
événements familiaux : une naissance chez des
« cousins » à Saumur a donné lieu à
une fête (famille n°1), de même un mariage à Rennes
(familles n°1 et 2). Le décès d'un
« cousin » à Castres (Tarn) a
nécessité le déplacement de 3 hommes de la famille
n°2. Ensuite, viennent des motifs religieux : le
rétablissement à la suite d'une opération de la
belle-mère d'une fille de la famille n°1, à Lyon, devait
être marqué par une cérémonie de
« conciliation » des esprits ; un fils de la famille
n°1 a emménagé dans une nouvelle maison : il fallait
là aussi placer sous la protection des esprits l'habitation et ses
occupants. Pour ce qui est du déplacement à Orléans, il a
été organisé dans l'urgence, la mère d'une
épouse de la famille n°2 étant tombée brutalement et
gravement malade. Enfin, viennent les déplacements sans motif autre que
celui d' « être ensemble ». Partager un
moment de convivialité en fin de semaine à Saumur est chose
aisée et appréciée de tous. A l'image de celle
vécue dans le quartier, nous sommes toujours dans « une
mobilité de sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117),
à une échelle plus large cette fois.
En dehors de la période d'observation que retenue, les
familles ont effectué durent l'année d'autres déplacements
dont le plus important a été motivé par la fête du
Nouvel An organisée à Rennes au début du mois de janvier.
Nous n'avons pas noté de déplacements vers Nîmes comme les
années précédentes ni de voyages en Asie. Il faut pourtant
aborder ce point et nous le ferons à partir des récits recueillis
à l'occasion des entretiens, dont voici 2 extraits :
Quand je suis arrivé en France, sur ma carte de
réfugié on a marqué « Interdit le Laos et la
Thaïlande »... mais la Thaïlande depuis 20 ans...
après on a lâché... Au Laos pour l'instant, c'est
interdit... Je suis parti en Thaïlande en 1999, 2001, 2003, 2004, 2005,
2006... Je reste 3 semaines chaque fois... J'ai encore de la famille en
Thaïlande, ma belle-mère... (Teng CHIENG)
Je suis revenu 3 fois en Thaïlande. Une fois pour le
Nouvel An... Ça fait plaisir... Quand on voit la nature, les arbres, les
bambous, ça ressemble au Laos, ça fait
plaisir...(Ka-Gé TCHA)
Les voyages en Asie du Sud-Est ont été tardifs
par rapport à la date d'arrivée en France. D'abord pour des
raisons financières, compte tenu du prix du billet d'avion. Ensuite,
pour des raisons politiques : le gouvernement laotien a interdit le retour
avec un visa touristique de ses anciens ressortissants. Ceux qui ont
opté pour le retour définitif l'ont fait sous le contrôle
de l'UNHCR (MIGNOT, 1999). Lorsque l'entrée en Thaïlande a
été possible à la fin des années 1990, les voyages
ont commencé. La frontière laotienne, qu'ils ne peuvent cependant
pas franchir, a bien sûr une fonction de discontinuité
géopolitique mais surtout un « rôle de marquage
réel et symbolique » (RAPHAEL, 1996 : 79). Selon les
possibilités financières, ces voyages sont exceptionnels ou plus
réguliers, pour Teng CHIENG par exemple. Ils sont toujours individuels
et uniquement faits par les hommes. C'est l'occasion de retrouver des parents
ou des amis, et surtout de se replonger dans ses souvenirs de jeunesse en
revoyant des paysages familiers toujours en mémoire. On choisit aussi sa
date pour participer à des fêtes comme celle du Nouvel An.
Ka-Gé TCHA a ramené dans ses bagages un film vidéo qui le
montre jouant longuement au lancer de balles traditionnel. Son visage est
rayonnant. On n'hésite pas non plus à glisser au retour dans son
sac des oeufs qui donneront naissance aux volailles que nous avions
découvertes dans les poulaillers. Parfois, on va en Thaïlande pour
trouver une épouse hmong, comme ce fut le cas du fils de Teng CHIENG. A
l'inverse, on apporte peu de choses : les vêtements français
sont inadaptés sous le climat thaïlandais. Si l'on peut, c'est
surtout financièrement que l'on contribue à aider.
La seconde destination est le continent
américain : Teng CHIENG est allé rendre visite à une
des ses filles qui vit en Géorgie dans une grande exploitation agricole.
Le fils de Tsiong-Yia TCHA a passé un mois chez des cousins à
Fresno (Californie) quand il avait 18 ans. Dix ans plus tard, il se souvient
encore de son étonnement lorsqu'il avait constaté que les jeunes
de son âge suivaient des cours de hmong assurés par des
enseignants américains : « Moi, je ne sais ni lire ni
écrire le hmong, je le parle simplement. Je comprends le sens mais je ne
peux pas traduire littéralement ».
Ces déplacements se doublent bien entendu de la venue
dans la commune de parents ou d'amis qui vivent à l'extérieur. On
retrouve le lien de proximité qui existe entre Saumur et
Montreuil-Bellay et surtout l'attractivité exercée par les
fêtes familiales. Nous avons pu assister à un mariage et recenser
les origines des invités : à nouveau Lyon et Rennes, mais
aussi Angers, Orléans, Aubigny-sur-Nère (Cher). Il est
évident que la taille modeste de la communauté hmong de
Montreuil-Bellay limite quelque peu le nombre d'
« entrants », mais quoi qu'il en soit des contacts directs
effectifs existent entre les pôles de la diaspora.
Ces liens sont renforcés par l'existence d'une
association (Loi 1901) officiellement appelée « Association
Culturelle et Sociale Tcha » depuis 1997. A sa création en
1989 par Teng CHIENG, chef « historique » de la
communauté, sous le simple nom « Tcha », elle avait
pour but l'organisation des fêtes du Nouvel An et de manifestations
sportives. Les statuts de l'association, rédigés en hmong et en
français, prévoient la désignation d'un nouveau
président tous les 2 ans, de manière à éviter
l'autorité durable d'un seul individu. Actuellement, le président
est Pao TCHA qui, depuis le début de l'année, vit à
Rennes. En 2007, l'association regroupe 27 familles du clan TCHA
réparties sur l'ensemble du territoire national (Montreuil-Bellay,
Rennes, Tours, Amboise, Saumur, Lyon, Nîmes). Chacune verse en
début d'année une cotisation de 30€ qui va alimenter une
caisse de solidarité utilisée pour apporter ponctuellement une
aide matérielle à ses membres, en cas de mariages,
décès... L'association assure une fonction qui, dans les villages
laotiens, n'avait pas besoin d'être explicitée. En février
2007, à l'occasion du décès d'un membre du clan
résidant à Tours, les frais de déplacement du musicien qui
devait jouer du khen (orgue à bouche) ont été
pris en charge par l'association. De même, les enfants des familles qui
obtiennent le baccalauréat reçoivent un
« cadeau » de 150€. L'entraide prend parfois d'autres
formes plus modestes comme l'approvisionnement en légumes, l'hiver, par
ceux qui possèdent des serres dans la région de Tours. Cette
« solidarité construite » (BILLION,
1988 : 347) permet de mieux répondre aux difficultés des uns
et des autres et de les maîtriser. Une autre association similaire existe
à Saumur, l'« Association culturelle et sociale hmong de
Saumur » dont le but là encore est de préserver les
coutumes et traditions hmong et de rassembler et aider sous diverses formes les
Hmong de Saumur et de France. Elle unissait initialement les communautés
de Saumur et de Montreuil-Bellay (« Association hmong saumurois et
montreuillais, Traditions et maintien culturel »).
De nombreuses associations Loi 1901 du même type ont
été créées par les communautés hmong depuis
leur arrivée en France. Nous avons recensé celles qui comportent
la mention « hmong ». Elles sont au nombre de 122,
inscrites au « Journal officiel », dont 110 en France
métropolitaine et 12 Outre-mer (Guyane française).
Carte n°17 :
Associations « hmong » en France métropolitaine
(2007)
Elles se répartissent en 4 catégories :
associations artistiques et culturelles (45 : 40+5), interventions
sociales (33 : 30+3), religieuses (26) et enfin domaines divers (18 :
14+4). Leur répartition au niveau métropolitain est très
inégale et correspond aux foyers d'installation des communautés
hmong ancrées solidement dans le territoire national. Elle épouse
la forme d'un arc, allant de la Bretagne à la Méditerranée
par la région parisienne et l'axe rhodanien. Toutefois on peut remarquer
de plus fortes concentrations dans certains départements dont le Gard
(11), le Loiret (10), le Rhône et l'Aude (7), le Maine-et-Loire et
l'Ille-et-Vilaine (5). La région Ile-de-France en compte à elle
seule 17. Autre particularité de ces concentrations : la dominante
dans l'Ouest de la France des associations religieuses de confession
évangéliste. Ainsi, certaines agglomérations ont
polarisé les flux de populations dispersées initialement à
leur arrivée, mais rapidement regroupées à nouveau en
raison des liens claniques qui les unissaient initialement : en
choisissant la solution juridique de « l'association Loi
1901 », les Hmong reproduisent le principe organisationnel du clan et
conservent ainsi la cohérence sociétale initiale. Cela participe
aux modalités d'adaptation à la société d'accueil.
Grâce à son association qui relie les différents
pôles géographiques du clan, la communauté de
Montreuil-Bellay réactive en permanence les liens ethniques et jette un
pont vers le pays d'origine et le passé.
A côté de ces liens qui établissent des
contacts directs existent d'autres modes de relation qu'il convient de prendre
en compte et qui compensent la dispersion par l'utilisation intensive de tous
les moyens de communication. Par médias interposés les contacts
sont entretenus.
v Contacts indirects médiatisés
... Quand je suis quitté au Laos, je suis
quitté avec mes trois femmes et les enfants, et mes parents, ils sont
encore là, ils sont au Laos et quand je suis arrivé en
Thaïlande, j'ai écrit une lettre pour donner à quelqu'un
pour signaler à mes parents que j'ai quitté au Laos mais
j'attends à la Thaïlande... (Teng CHIENG)
Nous sommes en mai 1975, Teng CHIENG vient de franchir la
frontière thaïlandaise avec ses 3 épouses et 5 enfants en
bas âge. Ses parents sont encore au Laos. Il confie une lettre à
un homme de confiance pour les tenir au courant de sa situation et les
décider à le rejoindre. Le courrier va être le premier mode
de communication utilisé au moment de la dispersion, parfois
rédigé par un autre quand on ne sait pas écrire
soi-même et réciproquement quand on ne sait pas lire, compte tenu
du fait que la langue hmong est avant tout une langue orale qui connut
tardivement l'arrivée de l'écriture.
Le téléphone a rapidement supplanté
l'écrit et sert régulièrement aux hommes pour entretenir
des liens avec les autres membres du clan. On retrouve en effet dans l'usage du
téléphone la division sexuée de l'espace : le contact
avec l'extérieur est avant tout masculin. Les appels à
l'étranger sont plus rares, réservés aux
événements importants. Pour les plus jeunes commence à se
poser le problème de la langue :
Mes parents ont des contacts avec ma famille au Laos...
Moi quand je leur parle ils comprennent pas grand chose, j'ai l'accent
français... Cet accent est ancré... (T., 21 ans)
L'ancrage est non seulement spatial, il est aussi
linguistique ! Contrairement à ce qui s'est mis en place dans
certaines grandes agglomérations, par le biais des associations ou plus
officiellement à l'université comme c'est le cas aux Etats-Unis,
le contexte de très petite ville n'a pas favorisé
l'institutionnalisation de cours de hmong. Trop peu de candidats ?
Plutôt manque de motivation chez les plus jeunes qui se contentent d'un
minimum lexical, tout en regrettant par ailleurs de ne pas comprendre
l'intégralité des textes et des chants qui accompagnent les
cérémonies religieuses. Pour eux, « c'est du vieux
hmong... ». Ils connaissent l'existence des sites Internet,
toujours plus nombreux, consacrés aux Hmong, ils les consultent, ils
envient les jeunes Américains, mais cela ne déclenche pas chez
eux un véritable sursaut identitaire. Faut-il craindre réellement
« l'effritement culturel » (CHA, 1999 : 75)
dénoncé à la fin des années 1990 ?
Le lien avec le « là-bas »
est également entretenu par les cassettes vidéo
enregistrées lors des voyages en Thaïlande, comme celles de
Ka-Gé TCHA participant au Nouvel An. Il montre inlassablement à
tous ces images, tout en les commentant avec le sourire. Plus qu'un film
touristique, ces cassettes sont, au sein du domicile familial, un mode de
transmission du patrimoine culturel, et « la
référence au territoire d'origine traduite par un ensemble de
liens matériels et symboliques est un élément
fédérateur garant de la continuité
communautaire » (CHIVALLON, 2004b : 19). Les CD trouvent
aussi leur place dans l'entretien de la mémoire identitaire. Monsieur
TCHA, assis toute la journée devant sa machine à coudre,
écoute en permanence des enregistrements de musique de
variété interprétés par des groupes hmong. Le
Laos, « parfois magnifié par le souvenir, demeure
pour lui un point d'ancrage » (RAPHAEL, 1996 : 89).
Intimement associés aux liens matériels, des liens idéels
existent par ailleurs, ils sont plus subtils mais se révèlent au
détour des mots. Quels sont-ils et quelles formes prennent-ils ?
c. Liens idéels :
le rêve et la pensée
Au cours des entretiens sont toujours apparues des
évocations du Laos. Images, anecdotes, récits de
cérémonies, traditions s'entremêlent toujours avec le
discours sur l' « ici », comme s'ils habitaient un
territoire vital bipolaire et entretenaient avec le lieu originaire des
rapports imaginaires et nécessairement nostalgiques. Trente ans
après l'exil, la mémoire est encore vivante et conservée
grâce à une modeste et précieuse photo punaisée
(photo n°6) sur le lieu de travail : « J'avais 17 ans,
et là c'est mes neveux ». Elle est olfactive et
gustative, entretenue par les préparations culinaires et l'utilisation
des plantes qui poussent dans les jardins. Les rêves participent aussi
à la conservation des souvenirs.
Je rêve encore au village... moins qu'avant mais la
nuit, ça m'arrive encore... Je suis à la maison...
(Teng CHIENG)
Ce ne sont pas les « résidus
diurnes », ainsi nommés par S. FREUD pour désigner
les souvenirs de la journée, mais ceux enfouis dans une mémoire
profonde consolidée par le traumatisme de l'exil. Mais lorsqu'on n'a
jamais mis les pieds au Laos, comme c'est le cas de la majorité de ceux
que nous avons rencontrés, la pensée se substitue au
rêve :
Le plus dur pour moi, c'est quand je pense que ma famille
est au Laos et qu' elle crève là-bas. Mes tantes, elles vivent
dans la forêt, tous les jours elles se font flinguer... Moi je me sens
bien en France, mais notre peuple là-bas il va crever...
(Phong-Yu, 19 ans)
Comme le remarque Ida SIMON-BAROUH à propos des
Cambodgiens réfugiés en France, « cette
mémoire dont l'intense intimité ne se partage pas, alimente un
imaginaire fabuleux et nostalgique dont s'imprègnent les plus jeunes,
ceux qui [...] en échafaudent progressivement les contours
sociaux » (SIMON-BAROUH, 2005 : 397). Si la mémoire
conserve dans ses replis des images d'un passé douloureux et
émotionnellement chargé, elle permet de transmettre aussi un
ensemble de traditions qui trouvent toute leur expression à l'occasion
de cérémonies et des fêtes organisées dans les
familles ou par la communauté toute entière.
2. Lieux festifs entre tradition et modernité
Dans toutes les sociétés, certains
événements sont prétextes à de grandes
réunions familiales. Anniversaires, naissances, mariages, mais aussi
décès sont autant d'occasions de se retrouver et de partager un
temps de convivialité généralement autour d'un repas. Les
familles hmong ne faillent pas à la tradition de la fête qui prend
parfois des dimensions spectaculaires. Au décès de May TCHA en
1996, il a été nécessaire d'installer un chapiteau sur le
stade pour accueillir plus de 300 personnes venues de la France entière
et des Etats-Unis. C'est là un fait exceptionnel, mais il prouve le
dynamisme de la solidarité clanique et communautaire qui s'exprime
toujours avec autant de force. Dans ces conditions la distance n'est rien, ce
qui compte avant tout c'est encore d'être ensemble. De plus, les
conditions matérielles de logement à Montreuil-Bellay
nécessitent une adaptation de la cérémonie : le
contexte local a un effet sur les lieux de la fête. Le logement ne
permettant pas d'accueillir autant de monde, il faut investir d'autres lieux
mieux adaptés. Dans ce contexte local, comment les fêtes
familiales se déroulent-elles ? Quelle part de tradition a pu
être maintenue ? Quelles sont aussi les innovations ? Nous
répondrons à cette question en prenant l'exemple des mariages
afin d'apporter un éclairage complémentaire sur ce sujet
abordé antérieurement.
v Transmission des traditions et de l'histoire familiale
Dans toutes les familles que nous avons rencontrées,
chacun est particulièrement attaché à la tradition, la
« coutume », qu'on se plait à montrer,
à raconter, à décrire, même si on confie aussi
:
...En revenant à la maison [du
défunt] il faut passer au-dessus d'un feu à l'entrée
de sa maison pour brûler les esprits qui te suivent. Après on se
lave les mains... C'est la coutume... Je sais pas pourquoi... (Phong
Yu, 19 ans)
Ce respect des traditions, même si on s'y plie sans trop
bien les comprendre, est un des piliers de la solidarité communautaire
et du maintien de l'identité, que l'on revendique haut et fort dans
chaque circonstance - « Nous, les Hmong...- en dépit
des pressions exercées par la société d'accueil. On
constate à la fois, chez les parents, la volonté de maintenir des
traditions qui garantissent la cohésion du groupe, et, chez les jeunes,
le sentiment d'appartenance à un groupe par le respect des
coutumes. La tradition apparaît comme « la matrice
en dehors de laquelle les individus ne sauraient exister »
(GERAUD, 1993 : 739). Selon quelles modalités l'ensemble
de ces traditions, et de ce que l'on appelle la culture, se transmet-il
aujourd'hui ? Est-il possible d'identifier des lieux propices à
cette transmission ?
On peut distinguer deux modes complémentaires de
transmission des traditions, mais relevant de deux démarches de la part
de l'individu. L'un s'appuie sur l'oral, l'autre sur l'écrit et l'image.
Le premier concerne l'aire familiale, relayée rapidement par le groupe
communautaire, qui « joue un rôle déterminant dans
le maintien de l'ordre social, dans la reproduction , non pas seulement
biologique, mais sociale, c'est-à-dire dans la reproduction de l'espace
social et des rapports sociaux » (BOURDIEU, 1994 : 141).
C'est le lieu de la socialisation primaire (BERGER, LUCKMANN, 1996), des
apprentissages de la langue, des habitudes alimentaires et surtout de la
transmission de la mémoire familiale sous la forme des récits
faits à l'enfant qui lui permettent de s'enraciner dans un terreau
vivant. Dans l'espace domestique s'établit le lien avec les
ancêtres et le pays d'origine. C'est pourquoi tous les jeunes Hmong que
nous avons rencontrés sont capables de parler de la vie de leurs parents
au Laos ou en Thaïlande, du casque militaire que le père a dû
laisser au camp de Ban Nam Yao, des morts vus au bord de la route en direction
de la frontière...
Ma mère me dit souvent que c'était affreux
du village jusqu'à l'aéroport49(*) pour aller en
Thaïlande, il y avait des morts partout... Les vieillards mouraient de
fatigue... Ce qui l'a marquée, c'est une fille handicapée qui
avait été laissée par sa famille... elle avait quinze
ans... Elle est morte au bord de la route. Des morts, elle en a vu des
centaines... Ses parents sont restés au Laos et sont morts à la
guerre...
(Phong-Yu)
On voit que les attaches avec le pays d'origine pèsent
lourd dans les vies des communautés d'immigrants, avec une
mémoire de celui-ci transmise aux deuxième et troisième
générations (WALDINGER, 2006). C'est dans l'aire familiale que se
découvrent les rapports sociaux qui font dire aux jeunes hommes :
« Nous les Hmong, on est macho... », reproduisant
le modèle de l'autorité paternelle. En effet, comme l'a
montré P. CLAVAL, tout groupe social possède sa culture transmise
« par imitation inconsciente du milieu beaucoup plus que par
enseignement explicite. [...] L'individu s'imprègne
d'attitudes, de réflexes et des croyances dont il ne peut plus par la
suite se défaire sans se remettre en cause »
(CLAVAL, 1981 : 245).
Il est fréquent que les jeunes de la deuxième
génération cherchent à savoir davantage sur l'histoire de
leur peuple que n'en fournit le discours familial. Ils savent qu'une
littérature toujours plus abondante existe sur l'histoire des Hmong,
leurs modes de vie traditionnels... La consultation des sites Internet pallie
les manques et apporte des réponses à leurs interrogations. Ils
sont conscients de l'existence d'une littérature anglo-saxonne en plein
développement mais la barrière de la langue en limite toutefois
l'accès. Les rares émissions de télévision
consacrées aux Hmong sont enregistrées, visionnées et
commentées de manière à s'imprégner de ce qui,
à leurs yeux, est leur histoire. Ils se montrent soucieux de
conserver leur identité et c'est par la connaissance et le respect des
traditions que cela passe. L'écrit, au sens large, est ce second mode de
transmission ou plutôt de quête des traditions par les jeunes
partagés entre deux cultures, empruntant à la
société d'accueil le concept d'anniversaire, par exemple. En
effet, fêter les anniversaires de naissance est une nouveauté dans
la communauté hmong, simplement parce qu' « en Asie cet
événement n'existe pas. Chacun a un an de plus le jour de la
fête du Nouvel An. C'est tout ! » (TANH, 1996 :
17)50(*). Qu'en est-il en
ce qui concerne le mariage ?
v Le mariage, un modèle de tradition
Qu'il soit monogame ou polygame, le mariage traditionnel se
doit avant tout de respecter le principe de l'exogamie clanique. Au Laos, les
villages regroupant les familles appartenant souvent aux mêmes clans, les
rencontres entre jeunes gens et jeunes filles de clans différents
étaient rares. Seule la fête du Nouvel An avec son jeu de balle
était propice aux rencontres. Ce jeu se pratique toujours. Les jeunes
gens alignés d'un côté, les jeunes filles de l'autre se
lancent une balle. Quand la balle n'est pas rattrapée, un gage est
donné : il prend souvent la forme d'une chanson d'amour. Chaque
partenaire doit avoir à sa disposition un nombre suffisant de chansons
pour séduire l'autre. Nous sommes là dans une vision idyllique de
la rencontre amoureuse car bien souvent c'étaient les familles qui
manifestaient leur préférence. Quoi qu'il en soit les
règles du mariage sont particulièrement complexes et comportent
différentes étapes aux domiciles des deux familles. D'abord, chez
la jeune fille, sont engagées les négociations par des
intermédiaires représentant les deux familles, avec en
particulier la fixation du « prix de la fiancée »,
suivies du repas de noces. Puis chez le jeune homme se déroule un second
repas. L'ensemble de cette cérémonie, qui met en jeu une
multitude d'acteurs, est très long et peut pendre parfois plusieurs
semaines, voire des mois.
Dans le contexte français, ces règles ont
dû être adaptées à certaines exigences, en
particulier professionnelles. Les mariages se déroulent exclusivement le
week-end, ce qui permet aux participants venant parfois de loin de festoyer et
de reprendre ensuite la route. Nous avons pu assister à un mariage au
sein de la communauté de Montreuil-Bellay et c'est sur cet exemple que
nous nous appuierons pour étudier les fonctions attribuées aux
lieux où s'est déroulée cette fête, le 12 mai
2007.
v Les lieux de la fête
Le mariage entre Faty TCHA - fils de Ka-Gé TCHA et de
sa première épouse - et une jeune fille française a fait
comme tout mariage l'objet d'une intense préparation dans les jours qui
précédaient pour organiser le dîner qui serait offert aux
200 invités, dans une salle réservée à Epieds,
petite commune à une dizaine de kilomètres de Montreuil-Bellay.
Contrairement au mariage traditionnel décrit précédemment,
la fête va comporter deux temps forts : un temps dominé par
le rituel et un temps festif que les Hmong ont emprunté aux Laotiens et
aux Français.
Le rituel se déroule au domicile des parents du
marié, un pavillon « Gémeaux » rue du
Général de Gaulle, en présence des membres de la
communauté hmong locale, des parents et « cousins »
venus pour la circonstance, et des parents de la mariée. Il comporte
trois séquences qui s'enchaînent de 10h à 14h et au cours
desquelles nourriture et boisson jouent un rôle important. Seule la
troisième séquence se fait en présence des mariés.
Le rituel est l'affaire exclusive des hommes, les femmes étant
occupées à la préparation du repas dans la cuisine, le
couloir donnant sur la cour et la cour elle-même. Les deux
premières séquences font partie du rituel de la religion animiste
face à l'autel dans la salle de séjour et sur le seuil de la
maison, deux lieux symboliques dans l'espace domestique. Dans un premier temps
il s'agit de se concilier les bons génies qui sont appelés face
à l'autel où brûlent des bâtonnets d'encens et au
pied duquel reposent en guise d'offrande deux poulets bouillis et du riz. Ils
sont ensuite appelés et « nourris » sur le seuil de
la maison, puis les volailles sont observées par les anciens : les
pattes sont comparées, les becs sont examinés attentivement afin
d'y déceler le moindre défaut. Le terme auspices
retrouve ici tout son sens... Le second temps est celui de l'appel aux
ancêtres et se déroule là encore face à l'autel.
C'est une longue cérémonie menée exclusivement par le
père de famille qui va, pour chaque personne invoquée,
préparer des cuillères de riz mêlé de viande de
poulet et arrosé d'alcool. Les ancêtres appelés doivent
venir depuis le lieu où ils sont inhumés jusqu'au domicile
où se déroule la cérémonie, long voyage dans le
temps et l'espace. Leur présence est obligatoire pour le bonheur et la
prospérité des futurs mariés. L'ensemble de ce rituel se
déroule dans l'agitation d'une maison en plein préparatifs. Seul,
Ka-Gé TCHA s'approprie deux espaces pendant que les autres, les femmes
aidées des enfants, investissent cuisine et cour pour les
préparations culinaires. Le partage sexué de l'espace domestique
est encore très lisible, mais il s'accompagne par ailleurs d'une
symbolique différente.
Les photos qui suivent illustrent cette partition de l'espace
domestique à l'occasion du mariage et les différents rapports aux
lieux en présence à ce moment-là : d'un
côté un espace féminin matériel, de l'autre l'espace
masculin symbolique.
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Photo n°15 :
Cuisine extérieure
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Photo n°16 :
Cuisine intérieure
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Photo n°17 :
L'invocation des ancêtres
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Photo n°18 : Les
bons auspices
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La troisième séquence a lieu dans la salle de
séjour - lieu public ouvert - et est exclusivement
réservée aux hommes, très nombreux, assis autour d'une
table qui traverse toute la pièce. Elle se fait en présence des
mariés qui ont revêtu les costumes traditionnels (photo
n°14). C'est ce que, dans la tradition hmong, on appelle les
« négociations », qui s'accompagnent de
déclamations, de chants et de libations de saké :
« Il ne s'agit plus simplement d'hommes buvant de l'alcool, mais
d'individus accomplissant un rite social, selon une étiquette, reflet du
rite religieux imbriqué dans la cérémonie pour ne former
qu'un tout avec celui-ci » (CONDOMINAS,1965 : 224). Le
marié et son témoin se prosternent successivement devant chaque
homme qui formule alors des voeux de bonheur. La mariée et son
témoin assistent debout, imperturbables, à ces « tours
de saké ».
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Photo n°19 :
Remerciements du marié
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Photo n°20 :
Formulation des voeux de bonheur
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Après ce première temps dominé par le
rituel, le mariage va changer de lieu et prendre une autre signification. Pour
l'accueil des invités la salle des fêtes a été
réservée et c'est à partir de 18 heures que commence la
soirée. La salle a été décorée de treillis
de bambous où on a suspendu des lampions et des ombrelles en papier. Une
immense table au centre sert de buffet : amoncellement de nems, de
salades, de poulets grillés, de porc au caramel... (photo n°21). De
chaque côté les tables pour les convives, au fond sur la
scène des musiciens et un matériel de sonorisation... A
l'extérieur, pendant que se font les derniers préparatifs, c'est
la séance de photos. On est très loin des
cérémonies de la matinée et du rituel conservé de
la tradition hmong. Maintenant, c'est un mariage relativement banal, avec
cependant la touche d'exotisme que l'on a voulu donner par la
décoration, le menu et la musique, « cet
élément de différence qui constitue justement un des
traits essentiels de l'exotisme » (CONDOMINAS, 1965 :
222).
La fête peut alors se résumer en trois
séquences : l'accueil des participants par les familles des
mariés, le repas avec la présentation des mariés et des
parents aux invités et la formulation des voeux de bonheur, et le bal
avec des danses laotiennes et modernes. On a à la fois une tradition
respectée - celle du repas - et la juxtaposition additionnelle
d'éléments empruntés - les danses laotiennes. Il y a donc
une modification du contenu de l'identité ethnique avec
l'intégration d'autres éléments culturels. Ainsi les Hmong
ont emprunté les danses laotiennes comme le lamvong pour
« montrer aux Français la culture hmong »
lors des fêtes de rassemblement de la société en exil.
Désormais aucun mariage hmong ne peut se dispenser de cette danse et
cette tradition « inventée » repose sur
« un processus de formalisation et de ritualisation
caractérisé par la référence au passé, ne
serait-ce que par le biais d'une répétition
imposée » (HOBSBAWM, 2006 : 15).
Photo n°21 :
Tradition et exotisme
Si fêter son mariage « en salle »
est perçu comme valorisant, on constate que le cadre matériel et
symbolique se complexifie, il y a enrichissement des apparats et modification
des mises en scène de la gestuelle du corps. Il est donc plus juste de
« parler de reproduction partielle de traits culturels que de
reproduction d'une tradition » (BILLION, 1988 : 350).
Toutefois, toute tradition fait appel à un univers symbolique que nous
allons maintenant explorer.
3. Lieux symboliques et lieux de mémoire
L'installation en France a modifié les pratiques
festives de la communauté hmong. Les traditions se sont à la fois
simplifiées et enrichies d'éléments extérieurs au
contact de la société d'accueil, qui réclame parfois de
l'exotisme, ce qui prouve que « les éléments de la
culture actuelle d'un groupe ethnique ne sortent pas tels quels de l'ensemble
particulier qui constituait la culture de ce groupe dans une période
antérieure » (BARTH, 1995 : 249). Pourtant,
dans les pratiques rituelles, demeurent identifiables des lieux, que l'on peut
qualifier de symboliques, et qui sont chargés de signification. Si tout
rituel nécessite un lieu pour être pratiqué - l'autel dans
l'église -, à l'inverse un lieu peut ne pas avoir une fonction
exclusive pour une pratique rituelle. Ainsi, quand le chaman enferme dans un
cercle invisible à nos yeux, tracé de la pointe de son
épée, la famille réunie, il crée, le temps de la
cérémonie qui se déroule dans la salle à manger,
« un cercle magique, un templum » (MAUSS,
1902 : 33) qui est un « lieu » symbolique
éphémère. De même, mais plus concret cette fois cet
autre « lieu », lorsqu'il entoure le même groupe
d'une corde qui part et revient à la tête de l'animal
sacrifié. En procédant à l'étude des lieux
symboliques, qui parfois n'ont d'existence que le temps d'une fête ou
d'une cérémonie rituelle, et des lieux de mémoire, nous en
analyserons l'organisation et nous mettrons en lumière les rapports que
les Hmong entretiennent avec eux ainsi que la place qu'ils occupent dans leur
culture.
.
a. L'autel domestique, le
seuil de la maison et la table du Ki Tès
La maison représente le centre de la vie religieuse.
Alors que certaines communautés hmong sont catholiques ou protestantes
parce qu'ayant fréquenté au Laos des écoles tenues par des
missionnaires51(*) et ont
des lieux de culte spécifiques - église ou temple -, la
communauté de Montreuil-Bellay est demeurée animiste. Elle
attribue des pouvoirs très particuliers aux génies dont il faut
ménager en permanence la bienveillance. On les invoque lors des mariages
bien sûr, afin qu'ils protègent le nouveau couple, mais aussi si
l'on change de résidence, et plus particulièrement en cas de
maladie. A chaque fois un rituel est organisé dans l'espace domestique
et la maison devient « un lieu d'intercession quasi magique entre
ses habitants et le monde » (FREMONT, 1999 : 163). Aux
génies sont associés aussi les ancêtres qui, chez les
Hmong, sont définis par une relation généalogique
réelle : ce sont des ancêtres masculins appartenant aux trois
générations précédentes dans le lignage. Les rites
qui leur sont destinés servent, paradoxalement, à la fois
à les tenir à l'écart des affaires des vivants et à
solliciter leur intervention. Les esprits des ancêtres sont
« nourris » à l'occasion des rites
funéraires, des mariages et du Nouvel An. Les cérémonies
auxquelles nous avons assisté - mariage et séance de chamanisme -
nous amènent à privilégier trois
« lieux » et les objets rituels qui les accompagnent :
ce sont l'autel domestique, le seuil d'entrée de la maison et la table
du Ki Tès ou Tong hou pli.
v L'autel domestique
Dans chaque logement, on peut observer un ou plusieurs petits
autels dans la pièce principale, face à la porte
d'entrée : c'est la « maison » des esprits
(photo n°22). Il s'agit d'une petite table rectangulaire
surélevée avec un pied central placée contre un mur.
Recouverte de feuilles de papier blanc découpé formant des
dessins géométriques, elle supporte un bol d'eau lustrale au
pouvoir revivifiant, des tasses, des bougies, des bâtonnets d'encens,
offrande sensorielle qui monte vers le ciel pour mettre en contact la terre et
les esprits. Au pied de l'autel, un large gong. C'est sur cet autel qu'est
rendu le culte des ancêtres, sous la forme d'offrandes, à
l'occasion d'un mariage par exemple.
L'officiant, en l'occurrence le père de famille,
après avoir frappé trois coups de gong, récite des
formules mêlant langue hmong et chinoise et dépose sur l'autel une
cuillère de riz cuit mélangé à un peu de viande de
poulet. Il brûle ensuite des offrandes de papier.
Photo n°22 : La
« maison » des esprits
A l'occasion d'une séance de chamanisme, le chaman
installe lui-même son propre autel au pied de l'autel domestique.
Photo n°23 :
L'autel et les instruments chamaniques
Sur l'autel du chaman (photo n°23), on distingue à
l'arrière les bols de riz avec un oeuf dans lesquels sont plantés
des bâtons d'encens - qui brûlent en abondance pendant la transe -,
de chaque côté les bols d'eau lustrale, au centre, les tasses pour
le thé destiné aux esprits, devant, une tasse recouverte d'une
feuille de papier percée d'un trou au milieu. Les instruments
chamaniques complètent l'installation. Ce sont avant tout des
instruments de musique : les grelots (1), le gong (2) et le cercle de
sonnailles (4), qui accompagnent la transe en imitant le bruit des chevaux
quand le chaman voyage dans l'au-delà. La corne de buffle fendue en deux
(3), le Koua, a un pouvoir divinatoire. Elle est utilisée
à plusieurs reprises au cours des rituels, soit devant l'autel soit sur
le seuil de la porte.
|
|
Photo n°24 :
Lancer de la corne divinatoire
|
Les deux morceaux de cornes tenus dans la main droite sont
lancés à terre et, comme des dés ou des cartes, ils
« parlent » : pour que le dialogue s'instaure, une
partie doit tomber sur le « dos » (la partie
bombée), l'autre sur le « ventre » (la partie
plate). L'opération est répétée plusieurs fois.
Marcel MAUSS dans un article52(*) publié dans L'Année sociologique
1902-1903, définit le chamanisme comme un rituel magique, d'une
part, parce que la confidentialité de sa pratique dans l'enceinte du
domicile l'oppose au « rite religieux [qui] recherche en
général le grand jour et le public », d'autre
part, parce que « les cérémonies comportent
[l'usage] de tout un outillage, dont les pièces ont fini par
avoir une valeur magique qui leur est propre ».
Nous avons toutefois remarqué que ces objets pouvaient
être manipulés par tous : seul le chaman exerce son pouvoir
en s'en servant. M. MAUSS ajoute enfin que, contrairement à la religion
qui « tend vers la métaphysique et s'absorbe dans la
création d'images idéales, la magie sort, par mille fissures, de
la vie mystique où elle puise ses forces, pour se mêler à
la vie laïque et y servir ». A propos de la transe (photo
n°25), il ajoute que, comme le magicien, le chaman est « le
maître de sa possession ; il est capable de la provoquer et il la
provoque en effet par des pratiques appropriées, comme la danse, la
musique monotone, l'intoxication ».
Photo n°25 : Le
chaman en transe sur le cheval-dragon
Pour les Hmong animistes, l'autel domestique et les
« cercles » chamaniques représentent deux espaces
mis en scène pour l'accueil des esprits et des génies, qui sont
régulièrement sollicités pour protéger l'homme et
son domicile ou guérir le malade, et à la rencontre desquels le
chaman part, monté sur le « cheval-dragon » qui est
une sorte de banc, un assemblage de morceaux de bois sans pièce
métallique (photo n°26).
Photo n°26 :
Montage du « cheval-dragon »
Dans ces « lieux » symboliques que sont
l'autel, les « cercles » chamaniques et le
« cheval-dragon » se concentre, le temps du rituel, la
force de l'identité ethnoculturelle.
Au même titre, la porte et son seuil,
« grâce à [qui] on passe d'une vie
personnelle au monde, mais aussi du monde à une vie
personnelle » (SIMMEL, 1983 : 100), représentent un
second lieu particulier dans l'ensemble du rituel animiste et dans la culture
des Hmong.
v Le seuil de la porte
Le pas de la porte d'entrée est un lieu symbolique
où se pratique un autre rituel à l'égard des génies
de la porte, gardiens du territoire, qui protègent les biens de la
famille et veillent à ce que les mauvais esprits n'entrent pas. Ils sont
le symbole de l'unité domestique. A l'occasion du mariage, des offrandes
de riz et de viande sont disposées dans un plat, enveloppées dans
la fumée des bâtonnets d'encens (LEMOINE, 1972b).
Photo n°27 :
L'appel des génies sur le seuil de la porte
Le contact entre le monde des hommes et celui des esprits est
établi là encore avec la corne divinatoire. L'officiant frappe
les deux montants de la porte plusieurs fois avec cette corne puis la lance
à terre. L'accueil des génies se poursuit par l'observation des
deux volailles. C'est également sur le seuil que l'on se place pour
repousser les « mauvais » génies en crachant l'eau
lustrale (photo n°28).
Photo n°28 :
L'eau lustrale repousse les mauvais génies
Pendant la séance de chamanisme, un autre rite est
organisé, destiné là encore à assurer la protection
de tous les membres de la famille et qui consiste à franchir le seuil et
à passer du « monde à une vie
personnelle », de l'espace public à l'espace
privé. Avant cela, la porte est préparée avec un simple
arceau de bambous fendus et attachés entre eux par des fils de coton
blanc, qui double les montants. Le bambou est choisi pour rappeler le
matériau de construction des maisons traditionnelles au Laos. Il ne sera
enlevé que plusieurs semaines après, assurant pendant tout ce
temps une vertu protectrice.
Photo n°29 :
L'arceau de bambou
Avant que la famille au complet ne se réunisse - les
enfants absents sont cependant « présents » sous la
forme d'un vêtement leur appartenant que portent les mères
respectives -, l'animal sacrifié pour la cérémonie, en
l'occurrence un porcelet, est placé en travers du seuil, surmonté
d'un double « escalier » en bois taillé
grossièrement, sur chaque marche est posé un couteau ou une copie
en bois (photo n°30). Là encore, il s'agit de repousser les
génies malfaisants. Les papiers placés à côté
du porcelet seront brûlés à la fin de la
cérémonie (photo n°32).
Le rite du « franchissement du seuil »
peut alors commencer, sous l'ordonnancement d'un ancien qui fait office de
maître de cérémonie. Le père de famille est le
premier à passer : après s'être lavé les mains,
il enjambe le porcelet en « montant » et
« descendant » l'escalier. Il est suivi de ses deux
épouses. Passent ensuite l'un après l'autre les enfants, leurs
conjoints et les petits-enfants (photo n°31).
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|
Photo n°30 :
Porcelet sacrifié
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Photo n°31 :
Franchissement du seuil
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Photo n°32 :
Offrandes brûlées à la fin de la
cérémonie
Que ce soit à l'occasion d'un mariage, d'une
séance de chamanisme, ou de la célébration du Nouvel An et
des rites funéraires, l'autel et le seuil de la porte sont, dans
l'enceinte domestique, deux lieux majeurs permettant d'éloigner les
mauvais esprits et de perpétuer le culte des ancêtres qui sont,
selon P. BOURDIEU, un « capital symbolique »
(BOURDIEU, 2002 : 68). Dans le cadre des rites funéraires, nous
avons pu recueillir le témoignage d'un jeune adulte qui explique ainsi
la fin de la cérémonie :
En sortant du cimetière on n'a pas le droit de se
retourner parce que si tu vois l'esprit tu vas mourir avec lui... En revenant
à la maison [du défunt] il faut passer au-dessus d'un
feu à l'entrée de sa maison pour brûler les esprits qui te
suivent. Je ne sais pas pourquoi...
On pense ici à Orphée quittant le monde des
morts pour celui des vivants, suivi par Eurydice... Comme le Styx, le seuil de
la maison est une sorte de sas, espace symbolique marquant la limite entre un
extérieur étranger et hostile et un intérieur habitable
familier. De plus, le feu allumé à la porte a une fonction
purificatrice. Nous remarquerons d'autre part dans ces propos la remarque
finale traduisant le respect aveugle de traditions transmises par le groupe
familial qui font que « l'individu s'imprègne d'attitudes,
de réflexes et des croyances dont il ne peut plus par la suite se
défaire sans se remettre en cause » (CLAVAL, 1981,
245).
Un dernier « lieu » mérite notre
attention, la table du Ki Tès (Tong hou pli) dressée
à l'occasion d'un mariage, lieu éphémère s'il en
est, puisque cette table est installée dans la salle le temps de la
fête.
v La table du Ki Tès
On pourrait a priori n'y voir qu'un élément
décoratif, ou une partie du buffet, dans la vaste salle louée
pour la circonstance. Au pied de la scène sur laquelle sont
installés les musiciens et leur sono, se dresse une longue table. A
chaque extrémité, des fruits ont été
disposés - bananes, pommes, oranges -, au centre, des grands bouquets de
fleurs. Le même plat qui avait servi aux cultes rendus aux
ancêtres, aux côtés d'un porcelet, figure dans le
décor. Ce sont là encore des offrandes tant pour les
ancêtres que pour les mariés et leurs convives. La
cérémonie peut alors commencer : les mariés sont d'un
côté de la table entourés de leurs parents ; de
l'autre, l'animateur de la soirée, un cousin venu de Rennes pour la
circonstance, « balaie » l'intérieur et
l'extérieur des mains des mariés avec des fils de coton blanc
enfilés sur une baguette. Les mariés tournent leurs paumes vers
le ciel puis vers le sol pour que l'âme soit bien enfermée. Puis
l'animateur distribue à chaque convive deux fils qu'il noue aux poignets
des mariés en formulant des voeux de bonheur. La cérémonie
est épuisante pour les mariés qui doivent tendre leur bras tant
qu'il y a d'invités et de fils à nouer. Ils ne pourront les
enlever qu'après un délai de trois jours, quelle que soit leur
activité professionnelle. La même cérémonie est
pratiquée pour les nouveaux-nés à l'occasion de leur
baptême afin de leur assurer la protection des génies
domestiques.
Photo n°33 : La
table du Ki Tès
Photo n°34 :
Nouage des fils blancs protecteurs
La table du Ki Tès devient le pôle de convergence
des génies, des ancêtres et des vivants, un lieu symbolique
où le temps et l'espace sont annihilés et qui permet là
encore d'associer ce qui est naturellement séparé.
Au cours de toutes ces cérémonies, nous avons pu
observer la permanence de pratiques culturelles, conservées au cours de
l'exil. Elles n'ont pas été modifiées dans leur
symbolique, mais adaptées au contexte de la société
d'accueil car « les conduites des hommes sont le produit d'une
interaction entre les traditions héritées et les exigences de la
société d'installation » (SCHNAPPER, 2001 :
16). L'autel domestique, qui doit en principe se trouver dans l'axe de la porte
d'entrée ne peut plus parfois occuper cette place dans les logements
français. Seuls 5 fils de coton blanc accrochés au plafond de la
pièce et par lesquels circulent les esprits, orientent l'espace en
direction d'une sortie. Quoi qu'il en soit, ces gestes rituels ne sont jamais
gratuits « même lorsque leur sens oublié les
réduit au rang de survivance, ils traduisent tout un système de
croyances, par lesquelles les hommes, même appartenant à une
société aux horizons très limités, se situent dans
l'Univers» (CONDOMINAS, 1965 : 224). Ultime exploration des
lieux qui participent à l'organisation de l'espace culturel, les lieux
de mémoire et la place faite aux morts dans la communauté hmong
de Montreuil-Bellay. Quelles adaptations ont dû être
réalisées dans le contexte local, permettant toutefois aussi le
maintien d'un rituel traditionnel ?
b. Le cimetière, un
lieu de mémoire
Dans le cimetière de Montreuil-Bellay, ont
été inhumés 7 membres de la communauté hmong. Sans
être regroupées dans un secteur spécifique, les tombes sont
situées dans la partie la plus récente du cimetière,
agrandi au fur et à mesure des besoins. Une seule est située dans
la section réservée aux enfants. C'est une plaque anonyme sous
laquelle a été inhumé un enfant
décédé accidentellement à l'âge de 5 ans peu
après l'arrivée de ses parents dans la commune.
Noms, prénoms
|
Naissance
|
Décès
|
TCHA Cha-Yi
|
1909
|
2003
|
XIONG Djoua-Ja
|
1931
|
2002
|
TCHA Tou
|
15-02-1916
|
12-08-1997
|
TCHA May née XIONG
|
1909
|
1996
|
TCHA Vaneng
|
16-03-1921
|
25-10-1992
|
YANG Song-Xeu
|
1926
|
1989
|
Tableau n°7 :
Membres de la communauté inhumés au cimetière de
Montreuil-Bellay
Les personnes décédées sont toutes
arrivées dans les premières années d'installation des
familles dans la commune (avant 1981) et avaient suivi leur fils dans la
migration depuis le Laos. On retrouve ici la marque de la responsabilité
des garçons à l'égard de leurs parents, qu'ils prennent en
charge à partir du moment où, trop âgés, ils ne
peuvent plus exercer une activité professionnelle. Ils sont alors objet
de respect et de soins de la part de toute le famille.
Les parents de ma mère sont morts pendant la
guerre. Mon grand-père [paternel] avait une maladie, tu sais,
tu perds tes doigts... la lèpre ? oui, c'est ça...
il est mort comme ça...Ma grand-mère [paternelle] est
venue en France. Elle est morte en 1996. Je me rappelle que tous les jours je
lui apportais du riz dans sa chambre. Moi, j'étais toujours avec elle...
Quand elle est morte j'ai invoqué les esprits pour qu'ils viennent la
chercher... (Phong-Yu)
Les dates de naissance inscrites sur les tombes sont à
prendre avec précaution, car bien souvent, en l'absence d'état
civil au Laos, elles ont été attribuées de manière
arbitraire lors de l'arrivée en France. Le plus âgé est
mort à 94 ans, le plus jeune à 63. Sur chacune figure, en
médaillon, une photo du défunt déjà
âgé. L'un porte un béret basque : il avait
adopté cette coiffure car il se plaignait toujours d'avoir froid. Sur
une tombe, on découvre le visage sérieux d'un homme vêtu du
costume traditionnel de fête et portant au cou un large collier,
gravé à l'identique dans le marbre de la pierre tombale. Il est
décédé aux Etats-Unis à l'occasion d'un voyage chez
ses enfants, son corps a ensuite été rapatrié à
Montreuil-Bellay.
Photo n°35 :
Tombe de Djoua-Ja XIONG - cimetière de Montreuil-Bellay
Sur une autre tombe, figure le dessin du khen,
l'instrument traditionnel utilisé lors des fêtes et des
cérémonies funéraires. Quand il était jeune, Tou
TCHA était un joueur renommé de cet instrument et ce souvenir
perdure dans le marbre.
Photo n°36 :
Détail de la tombe de Tou TCHA, cimetière
Montreuil-Bellay
Par ces détails iconographiques, la tombe sert à
rappeler aux vivants le visage et les qualités du défunt, qui lui
conféraient une place reconnue dans la communauté locale. Ces
tombes sont peu fleuries, parfois surmontées de plaques votives dont une
est rédigée en hmong. Pourtant, là encore, la
communauté a dû adapter les cérémonies
funéraires au contexte local.
Traditionnellement, la géomancie sert à
déterminer le lieu d'inhumation : le choix de l'emplacement peut
avoir des conséquences sur la descendance du défunt, sa
réussite sociale ou au contraire ses difficultés. C'est pourquoi
de nombreux paramètres interviennent dans la désignation du lieu.
Dans le contexte français, il n'a pas été possible de
maintenir cette tradition et ils ont dû se plier aux contraintes des
règles administrative. En revanche, la partie privée des
cérémonies est conservée intégralement. Nous
résumerons les différentes étapes en nous appuyant sur les
témoignages recueillis au cours des entretiens, complétés
par les travaux de J. LEMOINE exposés dans l'article intitulé
L'initiation du mort chez les Hmong publié dans la
revue L'Homme en 1972. Les cérémonies funéraires
se déroulent en trois temps : le corps est conservé 3 jours
au domicile du défunt puis inhumé, 13 jours plus tard
« l'âme vitale » de la personne
décédée rend visite à sa famille. Dans
l'année qui suit a lieu le « relâchement de
l'âme », suivi du « sacrifice aux mannes du
défunt ». Au cours des 3 premiers jours qui suivent le
décès, après la toilette funéraire, a lieu le
Kr'oua Ké, c'est-à-dire « montrer, enseigner
le chemin », au cours duquel le joueur de khen joue un
rôle capital. C'est lui qui, « chantant à mi-voix,
sans aucun autre auditoire que le mort, l'instruit du chemin qu'il aura
à parcourir dans l'Au-delà pour rejoindre ses Ancêtres et
se réincarner » (LEMOINE, 1972a : 108). Il s'agit
d'une véritable initiation car « en temps
ordinaire, on ne peut chanter le Kr'oua Ké sans attirer la mort sur soi
et sur sa maison » (id., ibid.). On peut s'étonner de ce
chant alors qu'il s'agit d'une musique instrumentale : en fait,
les notes émises par le khen correspondent à des paroles
- la langue hmong a 7 tons -, et cette musique descriptive tient compagnie au
mort, l'accompagnant et le guidant dans son périple pendant toute la
durée des rites. Pendant ce temps, comme nous l'avons vu pour les
mariages, les femmes préparent en abondance la nourriture
destinée à la fois au défunt et aux membres de la
communauté qui vont assister aux funérailles. Des animaux sont
abattus : ils servent à la fois d'offrande et de nourriture.
Traditionnellement, il s'agissait d'un buffle ou d'une vache. A
Montreuil-Bellay, ce sont des cochons et des poulets. Compte tenu du nombre
toujours très important des personnes présentes, chacun participe
financièrement aux frais. Ce n'est qu'au terme de ces 3 journées
que le corps est enfin inhumé. Au retour du cimetière, comme nous
l'avons déjà précisé, un feu rituel est
allumé sur le seuil de la maison du défunt et tous les
participants aux funérailles doivent l'enjamber.
Les rites funéraires sont « le support
d'une mémoire collective et d'une ethnicité
diasporique » et on peut les considérer comme
« une force cohésive anti-assimilatrice »
(HOVANESSIAN, 1998b : 311). Ils associent à la fois des lieux de
l'enceinte domestique - la chambre du défunt, le seuil de la porte
d'entrée -, de l'espace public - le cimetière - mais surtout de
l'espace symbolique du récit mythologique que parcourt le défunt
en quête de ses ancêtres, guidé par la mélodie du
khen. La communauté hmong animiste conserve ainsi son
unité culturelle et perpétue dans la société
d'accueil, tout en s'adaptant à certaines contraintes, un
héritage ancestral qui permet de résister au
« morcellement culturel » (CAMILLERI, 1999 :
88).
Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora
toujours active
La communauté hmong de Montreuil-Bellay conserve avec
les autres membres du clan dispersées en France et à
l'étranger des liens forts qui se concrétisent par des
déplacements fréquents à l'occasion des fêtes
traditionnelles et des rituels. Ces réunions assurent la maintien et la
transmission des valeurs culturelles et l'association joue un rôle
capital dans le contexte de la diaspora : elle garantit chaque famille
d'un soutien permanent et permet de lutter contre l'isolement et
l'acculturation. L'ensemble des relations tissées entre ces
différents pôles prend appui sur de multiples réseaux, tant
économiques que culturels, et c'est cette
« interpolarité des relations » (MA MUNG,
1995 :164) qui donne à la diaspora toute son originalité par
rapport à une migration classique. Les liens communautaires nationaux et
transnationaux volontairement créés et entretenus contribuent
à renforcer une solidarité non seulement avec le lieu d'origine
mais aussi entre les différents lieux d'installation, comparables
à « un territoire en archipel », à
savoir « un espace discontinu, éclaté, où
les relations intercommunautaires [...] passeraient par un espace
étranger et en quelque sorte neutralisé » (TAPIA,
2005 : 290), indépendamment des frontières politiques. Ainsi
les échanges matériels, symboliques ou même imaginaires
alimentent la fidélité au passé et à une culture
partagée dans une identité ethnoculturelle qui exprime toute sa
force lors des grands événements familiaux, comme les mariages ou
les décès, et qui constitue « le creuset de
ressources symboliques... susceptibles de modeler un sentiment d'appartenance,
de nouer des identifications plus ou moins liées à l'idée
d'une « origine » commune » (HOVANESSIAN,
1998b : 310). Pourtant cette identité pourra-t-elle résister
à l'épreuve du temps si elle n'est pas alimentée par un
désir profond, « une conscience et une
volonté » (SCHNAPPER, 2001) ?
Conclusion générale
La communauté hmong vivant à Montreuil-Bellay
est numériquement faible et a su, depuis bientôt 30 ans, conserver
son identité ethnoculturelle dans un contexte urbain où
l'assimilation aurait pu être inévitable. A quoi tient ce
phénomène de résistance ? Faut-il en rechercher les
causes dans les rapports aux lieux entretenus par les individus, les familles
et le groupe entier ?
L'espace des géographes se déplie selon des
niveaux de perception successifs qui vont de l'espace objectif ou parcouru, qui
correspond à celui des structures géographiques, à
l'espace subjectif, pratiqué ou vécu, et à l'espace
culturel, lieu d'une écriture géosymbolique (BONNEMAISON, 1981).
L'étude de ces 3 niveaux a permis de dégager différentes
étapes dont on peut rappeler les aspects essentiels.
A l'origine, les Hmong avaient une pratique de la
mobilité dans des lieux géographiques fluctuants où
prévalait la « logique du lignage ». N'étant
pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en disposaient tant
qu'il répondait aux besoins du groupe. Cette organisation traditionnelle
va être bouleversée par les guerres d'Indochine qui mettent
à feu et à sang la péninsule indochinoise au cours des
années 1970. Pendant l'exil, qui les conduit jusqu'aux camps de
réfugiés au-delà du Mékong, ils connaissent une
mobilité sous contrôle tant qu'ils demeurent sous la
responsabilité de l'UNHCR. C'est là que s'effectuent les premiers
regroupements familiaux et que se constitue l'amorce d'un nouveau réseau
relationnel qui sera activé ultérieurement. C'est aussi à
partir des camps qu'a lieu la dispersion qui va les essaimer aux quatre coins
du monde et marquer la rupture définitive avec une civilisation
ancestrale : « The Hmong made one airplane flight from
sixteenth to twentieth century. Within space of seventy-two hours these
mountain people were taken from bamboo-thatched huts in refugee camp along the
Mekong river and put into two or three bedrooms
apartments... »53(*). En France, la prise en charge dans des centres
d'accueil successifs rend l'ancrage temporairement impossible, car leur
parcours migratoire est ponctué d'étapes et de lieux de
destination sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir de décision. Chaque
centre correspond au franchissement d'un sas d'entrée
supplémentaire dans la société d'accueil,
caractérisé par les apprentissages nécessaires pour
permettre un début d'intégration : apprentissage de la
langue, acquisition de compétences professionnelles sont autant de
moyens qui doivent assurer l'obtention d'un emploi. Et c'est justement par
l'accès à l'emploi salarié et au logement que le premier
ancrage va être réalisable. Après plusieurs années,
ils deviennent davantage acteurs de leurs choix. Au cours de ce périple,
toutes les occasions ont été saisies pour reconstituer le clan et
éviter l'isolement en milieu rural que les politiques d'accueil
préconisaient pourtant. C'est ainsi que s'est constituée la
communauté de Montreuil-Bellay, installée depuis près de
30 ans dans le quartier de la Herse.
Plus qu'un lieu de résidence, ce quartier est d'abord
un lieu d'habitation centré autour de la maison ou de l'appartement.
C'est en effet le lieu exclusif de l'agglomération où se nouent
les liens sociaux dans une pratique de « mobilité de
sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117),
essentiellement pour les femmes, qui dans un espace domestique sexué et
parfois polygame, opposant espace public masculin et espace privé
féminin, s'approprient des lieux spécifiques et font des jardins
potagers à l'extérieur du quartier un prolongement
économique et culturel de la résidence. Visible pour les autres
habitants du quartier et en même temps invisible car on dit
qu'« ils vivent entre eux », la
communauté hmong entretient peu de rapports avec la population locale en
dehors des contacts indispensables dans le cadre des activités
professionnelles et « est en marge de la société
d'accueil, mais, par ailleurs, [elle] s'y est
installé[e] avec la volonté de refaire sa vie, tout en
sachant bien qu'[elle] sera peut-être amené[e]
un jour à se remettre en route » (SIMMEL,
1987 : 88). Les bassins de vie familiaux initiaux se sont progressivement
élargis par le mariage ou l'entrée dans la vie professionnelle
des enfants, mais ils restent domocentrés, en particulier pour les
garçons qui demeurent attachés au quartier et au domicile
parental, perpétuant ainsi dans une certaine mesure la tradition
d'assistance auprès des parents. Ces jeunes adultes sont en possession
d'une ressource exclusive importante constituée par ce que A.
BOURDIN appelle « les savoirs autochtones »
(BOURDIN, 1996 : 43). La connaissance des réseaux de relation
locaux représente pour eux un « capital »
et ils « ne peuvent utiliser cette ressource exclusive que
là où elle a été constituée, donc par
l'intermédiaire de la référence à un
lieu » (id., ibid.).
Malgré son isolement dans le contexte local qui
pourrait paraître pour un repli identitaire et une forme de
marginalisation, la communauté hmong de Montreuil-Bellay entretient des
liens étroits et constants avec les autres membres du clan
dispersés en France et à l'étranger et pratique une
« mobilité de sociabilité » à
une échelle plus large en effectuant des déplacements
fréquents en direction des autres pôles de la diaspora. Par le
biais d'une association, elle perpétue l'organisation clanique
traditionnelle, tout en s'adaptant aux normes administratives de la
société d'accueil. Ces contacts, qui permettent d'éviter
l'isolement, se renforcent à l'occasion des mariages, des
décès et des fêtes traditionnelles qui réunissent
toute la communauté locale et les familles venues de plus loin
appartenant au même clan. Cela assure la persistance d'une
identité ethnoculturelle qui permet de résister à
l'épreuve du temps et de minimiser les effets de la dispersion.
Ainsi, de l'espace parcouru à l'espace culturel en
passant par l'espace vécu, « toute société
regroupe en un ensemble spatial plus ou moins harmonieux ou plus ou moins tendu
ces différents niveaux de perception et donne à chacun de ces
types d'espace une configuration au sol, une signification et un rôle
particulier » (BONNEMAISON, 1981 : 258). Au terme de cette
étude portant sur les rapports aux lieux entretenus par les membres
d'une communauté hmong dans un contexte de très petite ville,
quelle typologie des lieux est-on à même de dégager ?
Nous les classerons en fonction de la signification attribuée aux lieux
pratiqués. Nous distinguerons les lieux sociaux, festifs et symboliques.
Le quartier de la Herse est par excellence le lieu social. La
proximité des résidences permet aux membres de la
communauté de se côtoyer quotidiennement, tant pour partager un
moment de jeu pour les hommes que pour entretenir des relations familiales ou
de voisinage dans le cas des femmes. L'attachement affectif qu'ils
éprouvent pour ce quartier est une forme d'« appropriation
existentielle » (RIPOLL, VESCHAMBRE, 2005 : 10) qui donne
le « sentiment de se sentir à sa place voire chez soi
quelque part. Le sentiment d'appropriation se transforme alors en sentiment
d'appartenance » (id., ibid.). Le rapport aux lieux est
vécu comme réciproque : un lieu est à nous parce
qu'on est à lui, il fait partie de nous parce que nous faisons partie de
lui. Cela permet d'affirmer qu'« on est bien parce qu'on est
ensemble » (Tchy-Neng, 22 ans). La vie quotidienne de la
communauté se déroule sur un territoire limité dans
l'espace urbain, qui possède le statut de centre, excluant les autres
quartiers de la ville à l'exception des jardins
périphériques. En fait, plus que dans l'espace
géographique, c'est dans la relation sociale que s'est
réalisé un ancrage durable du groupe.
Si les lieux ont une fonction sociale, ils ont par ailleurs
une fonction festive qui leur est associée mais qui pourtant doit
être distinguée car elle a pour cadre l'enceinte domestique de la
résidence. C'est en effet essentiellement dans l'intimité
résidentielle que se déroulent les rassemblements communautaires
à l'occasion des fêtes familiales comme les mariages. Dans la
tradition hmong, les rites matrimoniaux complexes se déroulent
successivement au domicile de la famille de chacun des époux. Si la
tradition s'est maintenue à Montreuil-Bellay, elle s'est quelque peu
modifiée par l'innovation du « mariage en salle »,
rendue nécessaire par les conditions de logement, celles-ci ne
permettant pas matériellement les grands rassemblements familiaux. Cette
pratique nouvelle, qui par ailleurs est considérée comme
valorisante, est un signe d'adaptation aux normes de la société
d'accueil qui « apparaît lorsque d'anciens usages sont
confrontés à de nouvelles conditions et que de vieux
modèles sont utilisés dans de nouveaux buts »
(HOBSBAWM, 2006 : 16), en l'occurrence ici la valorisation sociale.
Toutefois, à l'intérieur de ces lieux festifs, il faut remarquer
l'opposition entre ceux à dominance masculine - la salle de
séjour où se rassemblent les hommes pour procéder aux
différents rituels, en particulier les « tours de
saké » -, et ceux à dominante féminine - la
cuisine et ses annexes où se prépare le repas de fête.
Enfin, dans l'espace domestique, on peut distinguer des
micro-lieux qui ont une fonction symbolique. Ils sont liés à la
tradition animiste de la communauté. Nous avons pu repérer
l'importance accordée au seuil de la maison par lequel
« on passe d'une vie personnelle au monde, mais aussi du monde
à une vie personnelle » (SIMMEL, 1983 : 100), et
surtout d'un intérieur sous la protection des génies et des
ancêtres à un extérieur perçu comme hostile. C'est
également face à l'autel domestique que l'on entre en contact
avec les génies protecteurs, tout particulièrement lorsque leur
intercession est rendue nécessaire en cas de maladie ou de
convalescence, ou tout simplement afin d'obtenir la protection du toit familial
et de ses occupants. Le chamanisme pratiqué régulièrement
s'appuie également sur des lieux symboliques, qu'ils soient
éphémères comme les cercles dans lesquels le chaman
enferme les individus, ou même idéels comme ce voyage vers
l'Au-delà dans lequel il s'engage sur son « cheval
dragon ».
L'ensemble de ces lieux sociaux, festifs et symboliques
associés et imbriqués les uns dans les autres participe à
la conservation d'une culture, alliance de traditions héritées et
de modernité, que la communauté hmong a entretenue depuis son
arrivée et qu'elle transmet aux jeunes générations.
Contrairement à l'émigrant qui espère que
« parce qu'il aura changé de lieu, jeté de son lieu
dans le monde » aura changé « de peau, de
vie, de mémoire et d'histoire » (MEDAM, 1996 : 104),
les Hmong de Montreuil-Bellay sont détenteurs d'une culture et d'une
histoire qu'ils préservent et réactivent en permanence
grâce aux liens matériels et idéels entretenus avec les
différents pôles de la diaspora. Leur identité culturelle
est « la combinaison de représentations et de pratiques
linguistiques, religieuses, alimentaires, éducatives, familiales...
permettant de définir un univers singulier, plutôt qu'un
territoire bien délimité » (RAPHAEL, 1996 :
80).
Annexes
1. Courriers
1a. Courrier du secrétaire
général de la mairie de Montreuil-Bellay (2 juin
1981)
1b. Courrier adressé par le Maire de
Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame (24 août
1981)
2. Cérémonies
traditionnelles
Séance de chamanisme (30 juin 2007)
3. Questionnaire d'enquête
Enquête auprès des usagers du quartier de
la Herse
1. Courriers
v Courrier du secrétaire général de la
mairie de Montreuil-Bellay (2 juin 1981)
A Monsieur le maire de Montreuil-Bellay
Mmes et MM. Les membres du B.A.S.
Monsieur le Maire
Mesdames, Messieurs
Je me permets d'attirer votre attention sur un
phénomène inhérent à notre commune qui
m'apparaît préoccupant : il s'agit dans un premier temps de
la présence dans le quartier de la Herse de familles laotiennes
réfugiées, puis dans un deuxième temps de l'arrivée
dans ce quartier de nouvelles familles de réfugiés.
Vous savez qu'au début de l'année 1978, sans que
n'existe aucune structure d'accueil, les premières familles laotiennes
sont arrivées à Montreuil-Bellay, guidées par la
disponibilité de logements et la possibilité de travail dans la
région. Cette arrivée s'est faite normalement,
discrètement, sans heurt. Depuis, le nombre de ressortissants laotiens a
augmenté assez rapidement, les premiers arrivants encourageant leur
famille, leurs amis, à venir à Montreuil-Bellay ; de telle
sorte qu'à ce jour, environ 130 personnes de nationalité
laotienne vivent dans ce quartier.
Il me semble que l'intégration de cette population
malgré (ou peut-être à cause de) l'absence d'un
comité d'accueil, s'est faite sans difficultés majeures.
Cependant reprenant l'adage selon lequel « il vaut mieux
prévenir que guérir », je pense qu'il est temps de
réfléchir sérieusement à cette situation. Je
constate en effet que ces personnes :
- ont des moeurs, des coutumes, des modes de vie, très
différents des nôtres ;
- représentent environ 10% de la population du quartier,
et s'ajoutent à quelques autres familles d'immigrés marocains ou
turcs, vivant également dans ce quartier ;
- constituent, compte tenu de leur nombre, une entité
culturelle, philosophique, voire religieuse.
Par ailleurs, le moyenne d'âge de ces familles est
relativement basse et le taux de natalité y est très
élevé.
Toutes ces observations me conduisent à penser que des
inconvénients graves aussi bien pour ces familles que pour les familles
vivant dans le même quartier, peuvent survenir dans les années
à venir. Des signes récents accréditent d'ailleurs ma
thèse : certains logements ont été quittés ou
refusés parce que, sur le même palier, vivaient une ou plusieurs
familles laotiennes, de jeunes enfants laotiens ont provoqué à
plusieurs reprises des dégradations au stade.
Le problème est très délicat à
traiter, mais il est à mon sens d'une extrême importance, et c'est
pourquoi il mérite le maximum d'attention. D'autant qu'aux
difficultés que j'ai déjà citées, s'ajoutent les
problèmes liés à une situation de l'emploi difficile.
Mais il ne s'agit là que d'un aspect du problème.
La situation existe, il faut y faire face dans les meilleures conditions
possibles.
L'autre facette de mon propos concerne l'arrivée de
nouveaux réfugiés et se justifie par un événement
survenu au cours de la semaine dernière. Une personne laotienne de
Montreuil-Bellay est venue demander deux logements, qu'elle savait disponibles,
pour deux familles de sept membres chacune et vivant actuellement en centre
d'accueil. Cette personne a d'ailleurs motivé sa demande en arguant du
fait que les femmes des deux familles ont trouvé du travail dans les
champignonnières de la région. La question qui se pose pour ces
deux familles, et qui se posera à nouveau pour d'autres familles, est de
savoir s'il est possible de refuser ces logements. Et dans cette
hypothèse de refus d'un logement, quels arguments avancer ? Ce ne
peut pas être pour des motifs liés aux ressources : ces
familles apportant la preuve de leur solvabilité par le certificat
d'employeur et la perception de prestations familiales. D'ailleurs, et
d'après les renseignements fournis par l'O.P.D.H.L.M., aucune famille
laotienne n'a de retard dans le règlement de ses loyers.
Il convient donc à mon avis, de déterminer une
politique précise dans ce domaine :
- soit on considère qu'il est normal d'accueillir de
nouvelles familles laotiennes dans la commune, et on ne fait aucun obstacle
à leur arrivée. Il faut donc dans cette hypothèse,
être conscient que des problèmes peuvent surgir dans un avenir
assez proche ;
- soit, on considère que le nombre de
réfugiés a atteint un niveau qu'il serait dangereux de
dépasser. C'est certainement la solution la plus difficile mais aussi la
plus courageuse. C'est pour ma part celle que je propose. Il resterait alors
à régler les moyens permettant de limiter cette arrivée.
C'est une question à laquelle il faudra trouver une réponse si
cette position est arrêtée.
Encore une fois je mesure la difficulté qu'il y a à
traiter ce problème. Je pense toutefois que la politique de l'autruche
serait néfaste. Je souhaite que ce propos serve d'introduction à
un débat permettant de contrôler ce phénomène au
mieux des intérêts de tous.
Je vous prie de croire, Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs,
à l'expression de mes sentiments dévoués.
Signé le Secrétaire Général J.N.
LANDAIS
v Courrier adressé par le Maire de Montreuil-Bellay
à son homologue du Puy-Notre-Dame (24 août 1981)
Monsieur le Maire et cher collègue,
Depuis plusieurs années, la ville de Montreuil-Bellay
héberge des réfugiés laotiens, dans un quartier neuf
« La Herse ».
Cette communauté laotienne occupe 18 logements, se
compose de 130 personnes environ et les enfants de ces ressortissants
représentent 20% de l'effectif du groupe scolaire du quartier.
Les Laotiens établis dans notre ville encouragent leurs
familles ou leurs amis à venir s'y installer également, dans un
souci bien légitime de se regrouper pour compenser les effets de leur
déracinement. Cependant, il n'est pas possible de laisser augmenter
démesurément le nombre de réfugiés laotiens
à Montreuil-Bellay, sans risquer d'atteindre un pourcentage trop
élevé par rapport à notre population.
Les familles laotiennes ne posent aucun problème
particulier et s'intègrent parfaitement au milieu dans lequel elles
vivent, que ce soit sur le plan du travail ou des rapports de voisinage.
Après réflexion sur la situation
créée par ce phénomène et rencontre avec les
intéressés, il nous est apparu souhaitable que des communes
voisines puissent accueillir des familles laotiennes désireuses de
s'installer dans notre région, dans un souci de répartition
harmonieuse qui conserverait ainsi la possibilité de se rencontrer
fréquemment. C'est dans cet esprit que je prends la liberté de
vous adresser ce courrier.
Je remarque que les demandes de logements formulées
à Montreuil-Bellay, concernent des personnes qui ont trouvé du
travail dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame ; il
m'apparaîtrait logique qu'elles puissent être logées sur
place.
J'aimerais connaître votre position sur cet accueil
éventuel et si des possibilités existent dans votre ville avant
de reprendre contact avec vous.
Je vous remercie de l' attention toute particulière que
vous voudrez bien porter à ce dossier important.
Croyez, Monsieur le Maire, et cher collègue, à
l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Signé Albert ROUX
2. Cérémonies traditionnelles
v Séance de chamanisme (30 juin 2007)
Une cérémonie de chamanisme est prévue
aujourd'hui à Montreuil-Bellay, au domicile de Ka-Gé TCHA que
l'on dit malade, et qui doit assurer sa protection et celle de toute sa
famille. C'est un événement rare car il ne peut avoir lieu qu'en
présence d'un chaman, c'est-à-dire un homme qui détient
ses pouvoirs d'un membre de sa famille - parents, grands-parents -
lui-même chaman. L'officiant du jour vient du Laos accompagné de
son épouse, une petite femme silencieuse qui restera non loin de lui au
cours de la cérémonie.
J'arrive chez Ka-Gé vers 10h. Contrairement à la
première cérémonie traditionnelle à laquelle
j'avais assisté (le mariage), pas de petit déjeuner autour de la
table de la salle à manger. Celle-ci a été
déjà repoussée avant d'être sortie dans la cour, et
à sa place se dresse une sorte de banc de 2 m de long, 25 cm de large
environ. Il repose sur 4 pieds légèrement inclinés
fixés deux à deux par une traverse. Le tout est assemblé
sans pointe ou clou en métal. Les hommes en essaie la résistance
en s'asseyant lourdement dessus. Il s'agit du « cheval » -
tchonneng - qui servira pour le voyage symbolique vers le
pays des esprits des ancêtres, « cheval dragon, vaisseau de
vent et de nuées qui emporte le chaman dans les espaces aériens
de l'au-delà » (LEMOINE, 1987 : 39).
Photo n°37 :
Préparation du « cheval »
La discussion est animée jusqu'à que des
garçons de la famille apportent un second
« cheval », plus long et plus large et qui semble mieux
convenir. Sa résistance est elle aussi testée. Pendant ce temps,
la première épouse de Ka-Gé prépare des
bâtonnets d'encens et allume des bougies. Au pied de l'autel familial, un
second autel a été dressé : deux bols de riz cru
surmonté d'un oeuf et piqué de bâtonnets d'encens, un bol
d'eau, quelques petites tasses...
Photo n°38 :
L'autel du chaman
De chaque côté, des monceaux de papier
découpé par les soins du chef de famille, symbolisant l'argent.
On apporte le gong, le cercle à sonnailles - txiab - un anneau
métallique de 25 cm de diamètre sur lequel sont enfilés 9
disques de métal, et deux petits « grelots » en
métal doré ou anneaux clochettes. Ce sont des anneaux de cuivre
aplatis qui forment un cercle de 8 cm de diamètre entrouvert et qui
laisse voir de petites billes de métal. Chaque instrument est
orné de rubans rouges supposés effrayer les esprits. Les cornes
de buffle sont posées sur l'autel. Pendant ce temps dans la cour, la
première épouse découvre deux larges bassines dans
lesquelles reposent les deux porcelets tués la veille et on les apporte
dans la salle à manger en ayant pris soin auparavant d'étendre
sur le sol un grand morceau de plastique épais. Au Laos, lors d'une
telle cérémonie les cochons sont tués sur place, ce qui
n'est pas possible en France. Trois animaux - 2 porcelets et un cochon - ont
été abattus, la veille, à l'écart des regards dans
un jardin à l'extérieur de la ville, ce qui a donné lieu
à une réunion de famille, chacun participant soit à la
découpe, soit au nettoyage des viscères...
Photos n°39 et
40 : Abattage des cochons dans le jardin de Teng CHIENG
Le chaman au cours de la cérémonie va
procéder au « réveil » du cochon qui
deviendra le protecteur de la famille. Un porcelet est mis à
l'écart. Il servira plus tard. En France, on utilise exclusivement des
cochons alors qu'au Laos, on peut choisir un boeuf, un buffle ou une
chèvre. Cette dernière fait peur à « tous les
fantômes qui sont dans le monde ».
11h. Les conversations se taisent peu à peu quand le
chaman arrive. Il est vêtu d'un pantalon noir tenu par une large ceinture
noire et rouge et sa tête est couverte d'un voile noir. Pour l'instant il
a le visage découvert. Il se tient devant l'autel et, tout en battant le
gong de manière rythmée et rapide, il entonne un chant
psalmodique.
Photo n°41 : Le
chaman
En même temps, tout son corps se balance... Ka-Gé
place devant lui, sur l'autel, un pot dont le couvercle est en papier blanc
tenu par un simple élastique et percé en son centre d'un trou du
diamètre d'un confetti. Et sur ce couvercle, autant de grains de riz que
de membres de la famille de Ka-Gé : lui-même, ses deux
épouses, ses enfants, petits-enfants, gendres et belles-filles
françaises. Sous l'effet des vibrations engendrées par le gong,
les grains de riz tombent peu à peu par l'orifice. Un seul
résiste : il tourne sur lui-même et
« refuse » de rejoindre les autres. Le chaman poursuit sa
psalmodie faite de « mots spéciaux » destinés
aux esprits qui doivent venir protéger la famille. Il transpire de plus
en plus... Il brûle des poignées
d' « argent » et jette au sol les cornes de buffle. Il
faut attendre qu'elles « parlent », annonçant ainsi
la bienveillance des esprits... Au bout de 30 minutes environ, alors que le
chant toujours martelé par le gong n'a pas cessé, il s'approche
du porcelet pour le « réveiller » afin que
désormais il surveille la famille. Il dispose au sol des rectangles de
papier en nombre suffisant pour tous les membres de la famille : chacun
doit pouvoir y poser les deux pieds. Tous se regroupent alors, se serrant les
uns contre les autres. Les deux épouses tiennent à la main des
vêtements appartenant à leurs enfants respectifs absents ce
jour-là. Un incident se produit alors : une des deux belles-filles
refuse de se joindre à eux. Son mari insiste. C'est elle, le
« grain de riz » qui tout à l'heure refusait de
tomber dans le pot avec les autres. Le chaman peut alors la désigner
ouvertement. Bon gré mal gré elle se joint aux autres. Son visage
reste fermé. Le chaman pose sur l'épaule de chacun une tresse de
papier découpé et, tout en chantant, encercle le groupe avec une
corde dont une extrémité a été nouée au cou
de porcelet. Il referme le cercle lorsqu'il atteint le porcelet. Dans cet
espace symbolique délimité par la corde, les membres de la
lignée se taisent, le visage sérieux. La cérémonie
des grains de riz est faite à nouveau : cette fois-ci tous tombent
dans le pot, sans exception. Pour souder la famille, Ka-Gé obstrue
l'orifice par un petit morceau de papier humecté dans le bol d'eau
lustrale. Pendant ce temps un « cousin » se tient sur le
seuil de la porte d'entrée devant laquelle est posé un saladier
de riz avec les oeufs et les bâtonnets d'encens rituels. Il jette
plusieurs fois le corne de buffle pour appeler les esprits. Le chaman
dénoue l'extrémité de la corde qui encercle le groupe et
l'enroule, ramassant en même temps « toutes les choses
mauvaises et les maladies » ; il tient un long poignard et lance
le tout sur le seuil de la porte pour « chasser le
mauvais ». Maintenant il faut rassembler les « bonnes
choses » et pour cela, il tamponne le dos de chacun avec les
« grelots » - l'un est masculin, l'autre féminin. La
cérémonie va s'achever : la famille sort peu à peu du
« cercle » en enjambant la corde et
l'« argent » posé en tas.
12h. La deuxième partie de la séance de chamanisme
ne concerne que Ka-Gé et ses deux épouses. Ils se tiennent face
à l'autel, Ka-Gé assis sur le « cheval », une
épouse debout de chaque côté. Le chaman va procéder
comme précédemment, le second porcelet ayant été
posé derrière les participants. Il tourne autour du groupe en
changeant de sens, enfermant dans le même espace les époux, le
« cheval » et le porcelet protecteur. Identique à la
première, cette cérémonie est néanmoins plus courte
puisqu'elle se termine au bout d'une vingtaine de minutes.
Pendant que le chaman se restaure - riz blanc, viande de porc
bouilli, sang de porc cuit -, les hommes aménagent différemment
l'espace. Le « cheval » est posé sur un tapis et on
l'habille d'une selle faite d'un matelas de tissu sanglé par deux
ceintures. Les conversations vont bon train, les rires fusent. On profite de
cette pause pour manger : un buffet est dressé dans
l'entrée, chacun se sert. L'oncle de Teng CHIENG arrive alors :
c'est un vieil homme, blessé pendant la guerre et qui vit
désormais à Saumur, après être passé par le
centre d'accueil d'Epinay s/Seine et Limoges. Il a suivi ses enfants qui
avaient trouvé du travail à Saumur.
13h. La cérémonie reprend dans une toute autre
atmosphère : maintenant le chaman a le visage voilé, les
volets de la pièce sont baissés et c'est dans une pénombre
relative que se déroule alors le voyage symbolique à la
quête des esprits des ancêtres. Durant les 4 heures que va durer ce
voyage, l'autel sera alimenté en permanence en bâtonnets d'encens
et en bougies. Assis sur le « cheval » face à
l'autel, le chaman tient dans ses mains les grelots et les sonnailles qui
imitent les bruits faits par les chevaux dans le voyage vers l'au-delà.
Il entonne un chant rapide et très rythmé accompagné par
le gong que martèle Ka-Gé assis derrière lui. Deux hommes
sont assis à chaque extrémité du cheval pour le maintenir
tant il bouge sous les sursauts de l'officiant.
Photo n°42 : Le chaman
entreprend le « voyage »
Au cours de la cérémonie, ils se relaieront
régulièrement, de même le joueur de gong. Il poursuit son
galop debout sur le cheval, maintenu par la taille. De temps en temps, il
pousse un cri plus stridulent et jette le cercle à sonnailles à
terre de manière à capturer les esprits vitaux en fuite. Les
rondelles regroupées indiquent que les esprits sont pris au
piège. Le gong s'arrête et, aussitôt, un des participants
lance au coeur de l'anneau les 2 cornes de buffle qui doivent indiquer la
bienveillance des esprits. Parfois, il saute à terre en s'accroupissant
et remonte immédiatement sur le « cheval » par un
saut arrière. Le chant, le gong et les disques métalliques
entrechoqués emplissent l'espace. Les adultes assistent à cette
scène en silence, assis autour de la pièce, les jeunes quant
à eux sont dans la cour. Ils semblent indifférents à tout
ce qui se passe à l'intérieur.
Il y a bientôt 1 heure que la cérémonie a
débuté. D'autres préparatifs commencent alors à
l'extérieur.
Photo n°43 :
Préparation de « l'escalier »
On taille dans 2 bûches de 50 cm de long des encoches
régulièrement espacées qui vont représenter les
marches d'un « escalier » qui sera ensuite placé sur
le seuil de la maison, où un porcelet est allongé, chaque
bûche matérialisant un escalier montant et descendant. Sur une
marche de chaque escalier est posé un long couteau, sur les autres des
couteaux en bois grossièrement taillés. Ils doivent
empêcher l'entrée des « mauvais » esprits...
L'encadrement de la porte est souligné par un arc de bambous fendus.
Photos n°44 et 45
: « L'escalier » sur le seuil de la porte
Le chaman poursuit son voyage intérieur toujours au son du
gong. Il entre progressivement dans un état proche de la transe :
soudain il bondit au sol et, toujours maintenu par la taille se
précipite dans l'entrée et se jette à terre devant le
porcelet, successivement à l'intérieur et à
l'extérieur de la maison. Des enfants qui jouaient dans le couloir
hurlent de peur, les témoins s'agitent, la famille de Ka-Gé se
regroupe maintenant dans la cour. Au poignet, ils ont tous un ruban blanc
noué. En file indienne ils contournent la maison en passant par la rue
et attendent maintenant devant, dans le jardinet. Ils procèdent à
une ablution des mains et, pendant qu'à l'intérieur le chaman
poursuit son chant, ils vont l'un après l'autre, sous la conduite de
Teng CHIENG, franchir l'escalier en enjambant le porcelet. Quand tout le monde
est passé, Teng reste seul face accroupi à côté de
l'animal et brûle « l'argent » qui doit assurer la
bienveillance protectrice de l'animal. C'est un spectacle étonnant de
voir cet homme solitaire le visage éclairé par les flammes du
bûcher...
Photo n°46 : Teng
CHIENG brûlant l'argent
Le cochon va être ensuite transporté dans la cour
pour y être découpé en prévision du repas du soir
où tous les membres de la communauté hmong sont conviés.
Le chaman termine maintenant son « voyage » toujours aussi
rythmé sous les martèlements du gong en remerciant successivement
tous les esprits des ancêtres d'avoir accordé leur protection
à Ka-Gé et sa famille. Il tombe au sol épuisé, son
épouse et les hommes présents l'aident à se relever. La
pièce est étonnamment silencieuse. Il recouvre progressivement
ses esprits et, après avoir enlevé son costume de
cérémonie, redevient l'homme ordinaire qu'il était le
matin quand j'étais arrivé. Sur son visage se lisent les signes
de l'épuisement. Il n'a rien bu pendant les 4 heures de la
cérémonie et il lui faut un long moment pour reprendre des
forces. La fête va maintenant se poursuivre avec le repas que les femmes
ont préparé pendant ce temps. Le « cheval »
est démonté, désormais cette monture magique reprend la
forme de simples morceaux de bois. On les range en attendant une autre
chevauchée au royaume des esprits ancestraux.
3.
Questionnaires d'enquête
v Enquête auprès des usagers du quartier de la
Herse
Vous habitez ce quartier depuis
Vous occupez un appartement, un pavillon
Avez-vous des membres de votre famille dans ce quartier ?
oui non
si oui lesquels ?
Où ?
Composition familiale
vous êtes célibataire marié autre
nombre d'enfants dans le foyer
Perception des lieux : ce qui...
vous plait (avantages pour vous)
|
ne vous plait pas (inconvénients pour vous)
|
|
|
Perception des habitants du quartier
un quartier pour :
des familles jeunes des personnes âgées ne sait
pas
Rencontrez-vous vos voisins surtout
dans la rue chez vous chez eux
si vous ne fréquentez pas vos voisins c'est parce
que...
Dans le quartier vivent des étrangers. De
quelle nationalité ?
Est-ce un avantage ou un inconvénient pour vous ?
Que savez-vous de cette population ?
Aimeriez-vous rester ou quitter ce quartier ?
Pourquoi ?
H / F âge
Bibliographie
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Index des auteurs
ANTEBY, 87
BARTH, 73, 74, 75, 111
BERGER, 22, 105
BERTHELEU, 15, 43
BILLION, 93, 96, 100, 110
BONNEMAISON, 33, 125, 127
BOURDIEU, 53, 56, 61, 68, 72, 90, 105, 118
BOURDIN, 127
BROCHEUX, 38
BRUNEAU, 18, 19, 92
BRUNET, 20, 94
CAMILLERI, 123
CHA, 48, 83, 102
CHORON-BAIX, 46, 94
CLAVAL, 93, 105, 118
CONDOMINAS, 5, 11, 27, 31, 35, 37, 39, 41, 76, 109, 120
DI MEO, 28, 34, 45, 94
DURKHEIM, 59, 76
FOUCAULT, 84
FRANCO, 9, 147
FREMONT, 62, 67, 76, 111
GEORGE, 20
GERAUD, 96, 104
GUERIN-PACE, 23
HASSOUN, 5, 11, 12, 34, 35, 39, 41, 42, 45, 46, 47, 53, 90
HEIDEGGER, 60, 62
HOBSBAWM, 110, 128
HOVANESSIAN, 21, 123, 124
JUTTEAU, 75
KHELLIL, 23
LACOSTE, 20, 92
LE BRIS, 61
LEMOINE, 8, 11, 12, 13, 31, 96, 115, 122, 134
LEVY, 94
MA MUNG, 19, 21, 123
MARTIN, 16
MAUSS, 4, 5, 84
MEDAM, 72, 76
MIGNOT, 5, 39, 82, 94, 98
MORINEAU, 22
NA CHAMPASSAK, 42, 94
NATHAN, 23
OTT, 76, 148
POTTIER, 11, 35
QUELLA-VILLEGER, 30
RAMADIER, 72, 86, 94, 98, 126
RAPHAEL, 74, 94, 98, 102, 129
RENAN, 22
RIPOLL, 94, 127
ROBINSON, 32, 42
RUDDER, 94
SAYAD, 28
SCHEFFER, 20, 95
SCHNAPPER, 19, 21
SIMMEL, 94, 96, 115, 126, 128
SIMON-BAROUH, 87, 103
SORRE, 19, 20, 92
STREIFF-FENART, 91
TAILLARD, 32, 39, 148
TAPIA, 13, 21, 93, 123
TARRIUS, 20
THERY, 61, 151
TRIBALAT, 29
VERHAEGE-GATINE, 5
VESCHAMBRE, 94, 127
WALDINGER, 7, 105
WEBER, 4
WIRTH, 72, 94
Table des illustrations
v Cartes
Carte n°1 : Le Laos dans la
péninsule indochinoise
9
Carte n°2 : Les provinces de la
République démocratique populaire lao
10
Carte n°3 : Lieux d'implantation des
Hmong dans la péninsule indochinoise
14
Carte n°4 : Les camps de
réfugiés sous contrôle de l'UNHCR en Thaïlande
38
Carte n°5 : Logements sociaux du quartier
de « la Herse » (Montreuil-Bellay)
49
Carte n°6 : Les mobilités
résidentielles de la famille Ka-Gé TCHA
63
Carte n°7 : Les mobilités
résidentielles de la famille Teng CHIENG
64
Carte n°9 : Extension urbaine de
Montreuil-Bellay
69
Carte n°10 : Jardins hmong à
Montreuil-Bellay
78
Carte n°11 : Le jardin de Ka-Gé
TCHA
80
Carte n°12 : Le
« jardin » de madame Mo CHA
81
Carte n°13 : Le jardin de Neng TCHA
82
Carte n°14 : Implantation
résidentielle des enfants mariés
92
Carte n°15 : Bassin de vie de la famille
Ka-Gé TCHA
93
Carte n°16 : Bassin de vie de la famille
Teng CHIENG
93
Carte n°17 : Associations
« hmong » en France métropolitaine (2007)
100
v Photos
Photo n°1 : Un village
« hmong » près de Luang Prabang,
33
Photos n° 2, 3, 4 : Trois types d'habitat
collectif dans le quartier de la Herse
50
Photo n°5 : Les Gémeaux, pavillons
mitoyens, dans le quartier de la Herse
51
Photo n°6 : Espace professionnel au
domicile
67
Photo n°7 : Séance de jeu de
toupie - joueur 1
71
Photo n°8 : Joueurs 2 et 3
71
Photo n°9 : Le joueur adverse
71
Photo n°10 : Le
« jardin » de Ka-Gé TCHA (8 juin 2007)
79
Photo n°11 : Une serre dans le jardin de
madame Mo CHA
83
Photo n°12 : Un espace complanté
(maïs, oignon, citronnelle...)
84
Photo n°13 : Récolte des fleurs de
camomille
85
Photo n°14 : Mariage
« mixte » à Montreuil-Bellay
91
Photo n°15 : Cuisine
extérieure
108
Photo n°16 : Cuisine
intérieure
108
Photo n°17 : L'invocation des
ancêtres
108
Photo n°18 : Les bons auspices
108
Photo n°19 : Remerciements du
marié
109
Photo n°20 : Formulation des voeux de
bonheur
109
Photo n°21 : Tradition et exotisme
110
Photo n°22 : La
« maison » des esprits
112
Photo n°23 : L'autel et les instruments
chamaniques
112
Photo n°24 : Lancer de la corne
divinatoire
113
Photo n°25 : Le chaman en transe sur le
cheval-dragon
114
Photo n°26 : Montage du
« cheval-dragon »
114
Photo n°27 : L'appel des génies
sur le seuil de la porte
115
Photo n°28 : L'eau lustrale repousse les
mauvais génies
116
Photo n°29 : L'arceau de bambou
116
Photo n°30 : Porcelet sacrifié
117
Photo n°31 : Franchissement du seuil
117
Photo n°32 : Offrandes
brûlées à la fin de la cérémonie
117
Photo n°33 : La table du Ki
Tès
119
Photo n°34 : Nouage des fils blancs
protecteurs
119
Photo n°35 : Tombe de Djoua-Ja XIONG -
cimetière de Montreuil-Bellay
121
Photo n°36 : Détail de la tombe de
Tou TCHA, cimetière Montreuil-Bellay
121
Photo n°37 : Préparation du
« cheval »
134
Photo n°38 : L'autel du chaman
135
Photos n°39 et 40 : Abattage des cochons
dans le jardin de Teng CHIENG
135
Photo n°41 : Le chaman
136
Photo n°42 : Le chaman entreprend le
« voyage »
137
Photo n°43 : Préparation de
« l'escalier »
138
Photos n°44 et 45 :
« L'escalier » sur le seuil de la porte
138
Photo n°46 : Teng CHIENG brûlant
l'argent
139
v Schémas et graphiques
Graphique n°1 : Nombre de
réfugiés « land people » enregistrés
dans les camps thaïlandais (1977-1987)
36
Graphique n°2 : Familles hmong
arrivées à Montreuil-Bellay (1978-1987)
47
Graphique n°3 : 3 exemples de
configurations matrimoniales
89
v Tableaux
Tableau n°1 : La péninsule
indochinoise - données démographiques
10
Tableau n°2 : Composition de
l'échantillon d'enquête
26
Tableau n°3 : Composition des familles
arrivées à Montreuil-Bellay entre 1978 et 1987
54
Tableau n°4 : Répartition des
clans familiaux par dates d'arrivée
56
Tableau n°5 : Etude des mobilités
quotidiennes (échantillon)
70
Tableau n°6 : Déplacements hors de
la commune (destination)
97
Tableau n°7 : Membres de la
communauté inhumés au cimetière de Montreuil-Bellay
120
Table des matières
SOMMAIRE
1
REMERCIEMENTS
3
INTRODUCTION
4
I. UN DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE
ADAPTÉ À UNE POPULATION ÉTRANGÈRE
7
1. Une minorité ethnique arrivée
d'Asie et installée dans une très petite ville
8
v Laotien ou Lao, identité nationale
et identité ethnique
9
v Les Hmong, un groupe ethnique
11
v Réfugié du Sud-Est
asiatique, un statut juridique
15
2. Problématique, cadre conceptuel et
bibliographie
16
v Problématique et axes de
recherche
17
v Cadre conceptuel et bibliographie
18
3. Un terrain étudié
progressivement
24
v La connaissance et l'observation des
lieux
25
v Enquête auprès des usagers
des lieux
25
v Les entretiens : modalités et
outils de recueil des données
26
Conclusion : une lecture géographique
par des méthodes diverses
29
II. D'UN LIEU À L'AUTRE :
DISPERSION, ERRANCE ET ANCRAGE
30
1. Une mobilité forcée dans des lieux
géographiques fluctuants
31
a. La vie au village
31
b. La fuite brutale improvisée dans
l'urgence
34
2. Une mobilité sous
contrôle pendant l'exil
38
a. Le camp, le premier asile
38
v Changement social
39
v « Passer
l'interview »
41
b. Les sas d'entrée dans le pays
d'accueil : le réfugié réifié
42
v
« Créteil » : la prise en charge
administrative
43
v Le centre d'accueil de Port-Leucate :
les premiers apprentissages
43
v La mobilité
contrôlée
45
3. Le choix de l'ancrage dans un milieu urbain
46
a. Politiques d'accueil à
Montreuil-Bellay
47
v Une vague d'arrivée
favorisée puis freinée par décisions municipales
47
v Les inquiétudes de la
municipalité
51
b. Une « communauté ethnique
locale » dans une très petite ville
53
v Quelques familles polygames avec de
nombreux enfants
54
v Le clan, facteur de regroupement et
d'ancrage territorial
56
Conclusion : d'une mobilité
forcée, puis contrôlée, à une mobilité
choisie
58
III. LIEUX DU QUOTIDIEN ET
« BASSINS DE VIE FAMILIAUX »
60
1. Le partage de l'espace domestique et des espaces
vécus
61
a. La résidence
61
v Plurirésidence liée à
la polygamie
63
v Espaces masculins ouverts / espaces
féminins fermés
66
b. Les pratiques de l'espace urbain
68
v Analyse des données de
l'enquête
70
v Stéréotypes et
invisibilité
73
2. Le jardin, un territoire féminin
76
v Un nouveau jardin : le jardin
de Ka-Gé TCHA
79
v Un « jardin
familial » : le jardin de madame Mo CHA
80
v Un jardin de propriétaire : le
jardin de Neng TCHA
81
3. L'élargissement du bassin de vie familial
par les mariages
86
v La scolarité et la recherche
d'emploi contraignent à un éloignement temporaire
86
v L'évolution progressive des
configurations matrimoniales :
88
v « Bassins de vie » en
archipel
92
Conclusion : des espaces pratiqués
centripètes et centrifuges
94
IV. LIEUX DE LA DIASPORA : LIENS
SOCIAUX ET SYMBOLIQUES
95
1. Lieux divers reliés par des
échanges fréquents
96
a. Instabilité dans la stabilité
96
b. Liens réels et matériels
96
v Des contacts directs fréquents
renforcés par l'association TCHA
97
v Contacts indirects
médiatisés
101
c. Liens idéels : le rêve et la
pensée
103
2. Lieux festifs entre tradition et
modernité
103
v Transmission des traditions et de
l'histoire familiale
104
v Le mariage, un modèle de
tradition
106
v Les lieux de la fête
107
3. Lieux symboliques et lieux de mémoire
110
a. L'autel domestique, le seuil de la maison et la
table du Ki Tès
111
v L'autel domestique
112
v Le seuil de la porte
115
v La table du Ki Tès
118
b. Le cimetière, un lieu de
mémoire
120
Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora
toujours active
123
CONCLUSION GÉNÉRALE
125
ANNEXES
130
1. Courriers
131
v Courrier du secrétaire
général de la mairie de Montreuil-Bellay (2 juin 1981)
131
v Courrier adressé par le Maire de
Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame (24 août
1981)
133
2. Cérémonies traditionnelles
134
v Séance de chamanisme (30 juin
2007)
134
3. Questionnaires d'enquête
140
v Enquête auprès des usagers du
quartier de la Herse
140
BIBLIOGRAPHIE
142
Diaspora, diasporas
142
Identité, Intégration
144
Asie du Sud-Est, Hmong et Laos
146
Territoire, territorialité
149
Textes divers
150
Dictionnaires, encyclopédies, atlas
150
INDEX DES AUTEURS
152
TABLE DES ILLUSTRATIONS
153
v Cartes
153
v Photos
153
v Schémas et graphiques
154
v Tableaux
154
TABLE DES MATIÈRES
155
Réfugiés hmong à Montreuil-Bellay
(49)
Rapports aux lieux et diaspora
A l'origine, les Hmong semi-nomades avaient une pratique de la
mobilité dans des lieux géographiques fluctuants. N'étant
pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en disposaient tant
qu'il répondait aux besoins du groupe. Contrains à l'exil pour
des raisons politiques, ils quittent le Laos à partir de 1975 et
trouvent refuge dans les camps thaïlandais sous contrôle de l'UNHCR.
A leur arrivée en France dans les années 1980, ils sont pris en
charge dans des centres d'accueil et acquièrent les compétences
linguistiques et professionnelles qui leur permettent de s'intégrer
désormais dans la société d'accueil. Les
opportunités de logement et d'emploi offertes à Montreuil-Bellay
(Maine-et-Loire) permettent l'établissement et l'ancrage des
premières familles qui sont à l'origine de la communauté
actuelle installée dans le quartier de la Herse.
Plus qu'un lieu de résidence, ce quartier est d'abord
un lieu d'habitation centrée autour de la maison ou de l'appartement, le
lieu exclusif de l'agglomération où se nouent les liens sociaux
essentiellement communautaires. Mobilité résidentielle et
plurirésidence sont les conséquences de la polygamie
pratiquée par quelques familles. Les femmes, dans un espace qui oppose
les territoires publics masculins aux territoires privés
féminins, s'approprient des lieux spécifiques et font des jardins
potagers à l'extérieur du quartier un prolongement
économique et culturel de la résidence. Les bassins de vie
familiaux initiaux se sont progressivement élargis par le mariage ou
l'entrée dans la vie professionnelle des enfants, mais ils restent
domocentrés, en particulier pour les garçons qui demeurent
attachés au quartier et au domicile parental.
Malgré son isolement dans le contexte local, la
communauté hmong de Montreuil-Bellay entretient des liens étroits
et constants avec les autres membres du clan dispersés en France et
à l'étranger en effectuant des déplacements
fréquents en direction des autres pôles de la diaspora. Par le
biais d'une association, elle perpétue l'organisation clanique
traditionnelle, tout en s'adaptant aux normes administratives de la
société d'accueil. Ces contacts, qui permettent d'éviter
l'isolement, se renforcent à l'occasion des mariages, des
décès et des fêtes traditionnelles qui réunissent
toute la communauté locale et les familles venues de plus loin
appartenant au même clan. Cela assure la persistance d'une
identité ethnoculturelle qui permet de résister à
l'épreuve du temps et de minimiser les effets de la dispersion.
RÉFUGIÉS, CAMPS, DIASPORA, PARCOURS MIGRATOIRE,
INTÉGRATION, POLITIQUE MIGRATOIRE
ANCRAGE, TERRITOIRE, MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE,
PLURIRÉSIDENCE, BASSINS DE VIE FAMILIAUX, CLAN, POLYGAMIE, JARDINS
FAMILIAUX,
TRADITIONS, RITES, LIEUX SYMBOLIQUES
* 1 Recherche dirigée par
R. BRAND, maître de conférence en anthropologie à
l'université François Rabelais, Tours.
* 2 voir la bibliographie p. 145
et sqq.
* 3 MIGNOT, F. 1999.
Villages de réfugiés rapatriés au Laos.
Paris : L'Harmattan. 229 p.
MIGNOT, F. 2004. Santé et intégration nationale
au Laos - Rencontre entre montagnards et gens des plaines. Paris :
L'Harmattan. 359 p.
* 4 4111 habitants (RGP 1999)
* 5 Myanmar :
dénomination utilisée par l'ONU depuis 1989
* 6 The World Factbook, CIA
(2007)
* 7 id.
* 8 Les
« clés » ou « radicaux » sont
les 214 caractères élémentaires de l'écriture
chinoise dont la combinaison permet de former une multitude de sinogrammes.
* 9 LEMOINE, J. 2005, What
is the actual number of the Hmong in the World ? Hmong Studies Journal
6 : 1-8
* 10 HASSOUN, 1997 : 65
* 11 L'Express, 21/08/2003
* 12 LEMOINE , J. 1972.
L'initiation du mort chez les Hmong. L'Homme, XII, 1 p. 105-134
* 13 Source : ONU
(2003)
* 14 Guerre secrète
au Laos de Grégoire DENIAU, 2005 - France2
* 15 Le SEAC est dissous en
1946.
* 16 Ce terme est
préféré pour sa neutralité par Dominique
SCHNAPPER
* 17 Lévitique 26,
33 : « Je vous disperserai parmi les nations, et je tirerai
l'épée après vous. » et Deutéronome
IV, 27 : « L'Eternel vous dispersera parmi les peuples et
vous ne resterez qu'un tout petit nombre au milieu des nations où
l'Eternel vous emmènera. » (traduction L. SEGOND - Cambridge
1926)
* 18 SORRE, M., 1957,
Rencontres de la géographie et de la sociologie. Paris, Marcel
Rivière. 313 p
* 19 BRUNET, R., FERRAS, R.,
HERVE, T. 1993. Les mots de la géographie. Dictionnaire
critique. Montpellier-Paris : Reclus - La Documentation
française. 520 p.
* 20 BERGER, P., LUCKMAN, T.,
1994. La construction de la réalité. Méridiens-
Klincksieck
* 21 le questionnaire figure en
annexe 3 page 139
* 22 SAYAD, A. 1993. La
Misère du monde (sous la direction de Pierre Bourdieu),
Paris : éditions du Seuil. 947 p.
* 23 CONDOMINAS, G. 1954.
Nous avons mangé la forêt de la Pierre-Génie Gôo.
Chronique de Sar Luk, village mnong gar (tribu proto-indochinoise des Hauts
Plateaux du Vietnam central). Paris, Mercure de France.
* 24 Les Hmong se divisent en
sous-groupes : Hmong Xanh (vert), Hmong Do (rouge), Hmong Hoa
(bariolé), Hmong Den (noir), Hmong Trang (blanc), et se distinguent
entre eux par la langue, le costume et la coiffure.
* 25 cf conditions de
l'enquête p. 27
* 26 ASEMI, XIV, 1-2, 1983
* 27 J.P. HASSOUN remarque
cependant que « la décision de fuir le Laos fut rarement
prise dans la précipitation et s'est souvent accompagnée d'un
choix difficile : se séparer de certains membres du groupe
familial » .(HASSOUN, 1997 : 27).
* 28 CONDOMINAS, G., POTTIER,
R. 1982. Les Réfugiés originaires de l'Asie du Sud-Est.
Paris : la Documentation française. 227 p.
* 29 10% de la population
estimée à 3,5 millions d'habitants, en 1980.
* 30 HASSOUN, J.P., MIGNOT, M.
1983. Le terme «réfugié» dans les langues hmong et
vietnamienne, ASEMI, XIV, 1-2
* 31 CONNOIR, 1984 et HASSOUN,
1983.
* 32 CEFISEM : centre de
formation et d'information pour la scolarisation des enfants de migrants.
* 33 « On ne
peut se fier aux estimations concernant les réfugiés
asiatiques... à la suite des migrations secondaires »
(SCARLETT, 1984 : 13)
* 34 CHA, P. 1999. "Hmong dans
le Maine-et-Loire." Hommes et migrations. p. 68-75.
* 35 données Habitat 49
- Doué La Fontaine
* 36 loi n°93-1027 (24
août 1993) relative à la maîtrise de l'immigration et aux
conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers
en France
* 37 BRUNET, R., FERRAS, R.,
THERY, H. 1993. Les mots de la géographie. Dictionnaire
critique. Montpellier-Paris : Reclus - La Documentation
française. 520 p.
* 38 HEIDEGGER, M. 2004.
Bauen Wohnen Denken. Stuttgart : Klett-Cotta
* 39 « Bezug des
Menschen zu Orten und durch Orte zu Räumen » (trad. M.
STOCK)
* 40 ATTIAS-DONFUT, C. (dir)
2006. L'Enracinement. Paris : A. Colin. 368 p.
* 41 PAQUOT, T. 2005.
Demeure terrestre. Les Editions de l'imprimeur. 190 p.
* 42 REMY, J. Mobilités
et ancrages : vers une autre définition de la ville (135-153)
in HIRSCHHORN, M. et BERTHELOT, J.M. 1996 Mobilités et
ancrages. Paris : L'Harmattan. 157 p.
* 43 JUTTEAU, D. 1999.
L'ethnicité et ses frontières. Presses Universitaires de
Montréal. 230 p.
* 44 CONDOMINAS, G. 1965.
L'exotique est quotidien, la vie quotidienne d'un village montagnard du
Vietnam. Paris : Plon. 664 p.
* 45 MAUSS, M. 1947. Manuel
d'ethnographie. PAYOT
* 46 Cette citation de SIMMEL
est extraite du texte Philosophie de l'argent. Paris : PUF,
cité par RAPHAEL, F. p.79-92 in HIRSCHHORN, M. et BERTHELOT, J.M. 1996
Mobilités et ancrages. Paris : L'Harmattan. 157 p.
* 47 voir note 46 p. 94
* 48 JAKOBSON, R., 1969.
Linguistique et poétique, in Essais de linguistique
générale, Paris : Editions de Minuit. p. 209-248.
* 49 Phong-Yu commet ici une
erreur : ses parents ont quitté le Laos à pied. Ils
prendront l'avion en Thaïlande pour venir en Europe
* 50 Revue Ecarts
d'identité, octobre 1996, n°78
* 51 La carte n°17 permet
de situer les associations religieuses, essentiellement
évangélistes, dans l'Ouest et le Nord-Ouest de la France.
* 52 MAUSS, M. Esquisse
d'une théorie générale de la magie.
Québec : Les classiques des sciences sociales. 94 p
* 53 Spencer SHERMAN. Extrait
de l'article Lost tribes of the central valley, publié dans le
San Francisco Chronicle Examiner (15 septembre 1985)