Passer à l'action dans le service public : l'exemple du bureau de poste de Cergy grand centre( Télécharger le fichier original )par Olivier PATARIN Lille 2 IMD - Master sciences de gestion - administration des affaires 2009 |
Passer à l'action dans le service public : l'exemple du bureau de Poste de Cergy Grand Centre La notion de « faire » est très présente aujourd'hui. Du « ensemble tout devient possible » (slogan UMP 2007) au « just do it » (nike), en passant par le « yes we can » de B. OBAMA, la société actuelle affiche une volonté claire de « passer à l'action ». Derrière ces slogans se cache une réalité faite entre autre de résistance aux changements. L'expérience de terrain laisse paraître que dans le milieu professionnel de nombreux projets ne trouvent pas d'aboutissement. Une littérature très dense fait référence à la question du changement. Beaucoup d'auteurs sont des consultants et se fondent sur des expériences de terrain (DELAVALLEE, 2006 ; VAN DEN BULKE, 2007 ; COVEY, 1995 ; PFEFFER - SUTTON, 2007). L'intérêt soudain des consultants pour cette notion démontre à lui seul l'importance qu'on lui accorde en entreprise. La mise en action est souvent traitée dans le cadre du changement ou de la conduite de projet. Dans l'ensemble de ces lectures apparaissent des thèmes récurrents tels que : confiance, défiance, type de management, accompagnement du changement, coaching, gestion du stress, évaluation des performances. Ces notions font également l'objet d'une analyse approfondie dans ce mémoire. Je souhaite ici porter un regard critique sur mon propre environnement professionnel. L'intérêt de ce regard est d'interroger mes pratiques quotidiennes et donc, favoriser l'émanation de réponses à des problèmes d'entreprise. Et plus particulièrement au sein du bureau de Poste de Cergy Grand Centre dont je suis le directeur depuis environ 5 années. Le groupe La Poste regroupe les métiers du courrier, du colis, de La Banque Postale et de l'Enseigne. Cette dernière a pour vocation de vendre les autres métiers au grand public. Mes recherches s'appuient principalement sur l'observation participante (telle que définie par BEAUD - WEBER, 2003) des équipes et des fonctionnements. J'ai tenu jour après jour un journal de bord, fait de descriptions de comportements et d'analyse de mes ressentis, des semaines 8 à 26 de l'année 2009. L'objectif de la méthode est de rechercher les éléments qui favorisent ou font obstacle au passage à l'action dans le quotidien du bureau de Poste. Le bureau, durant ces dernières années, est passé d'un statut d'administration à un espace proche de la vision d'un commerce de proximité traditionnel. Cette révolution est le théâtre idéal pour identifier le passage d'une vision (intention) à sa réalisation et sa mise en oeuvre (action). C'est pourquoi je me suis largement appuyé sur cette expérience. Comment ce passage a-t-il été possible ? Quelles sont les postures récurrentes à la mise en action ? Pourquoi cette transformation radicale a fonctionné ? Des auteurs ont déjà utilisé les bureaux de Poste dans leurs recherches et ont réalisé un travail remarquable. JEANTET (2003) s'est appuyée sur des observations dans un bureau de Poste avec des vitres au guichet et une file d'attente. Les relations entre les usagers et les préposés s'en trouvaient alors totalement impactées. Les protagonistes se sentaient protégés par les vitres et ont développé des comportements de « guerre de pouvoir ». L'usager revendiquait ses droits et le préposé se sentait intouchable et garant d'une règle. Puis, HANNIQUE (2004) a montré l'évolution qu'apporte le bureau A200B (bureau sans vitres) dans les mentalités des agents et des clients. Les protagonistes se trouvaient alors face à face sans protection. Les pouvoirs des uns et des autres s'en sont trouvés diminués sans pour autant totalement disparaître. Les conflits ont commencé à diminuer. Dans le cadre de ce mémoire, je propose d'analyser la suite des évolutions réalisées avec le bureau « Espace Service Clients (ESC) de Cergy Grand Centre. Les clients et les conseillers guichetiers occupent dorénavant le même espace composé d' « îlots-conseils », se côtoient directement et entretiennent des relations commerciales directes. L'observation des diverses situations rencontrées au sein de l'entité permet d'alimenter la réflexion. J'évoquerai ici les principales qui ont des effets sur la mise en action : la mission de service public, le positionnement des cadres, les niveaux de lignes hiérarchiques, le type de management, le dialogue. On perçoit dans les observations et les questionnements, la récurrence d'idées : la vision du travail, les dessous de l'action (partie 1), le manager dans l'action (partie 2), l'appui des services fonctionnels (partie 3), les limites du sens du travail (partie 4). Chaque terme utilisé ici nécessite une définition claire de ce qui est perçu et une confrontation des idées déjà maintes fois développées avec la réalité du terrain au bureau de Cergy Grand Centre. Durant mes investigations de terrain, j'ai principalement été guidé par une question de recherche : Comment passe-t-on d'une vision stratégique à l'action ? Vingt semaines d'observation et de lecture m'ont amené à la conclusion que les enjeux de ce passage se situent dans le sens que les salariés accordent à leur travail. Un sens qui n'est pas donné une fois pour toute, mais qui émane des interactions quotidiennes des différents agents de l'institution. L'objet de ce mémoire n'est pas de donner la bonne marche à suivre pour obtenir des résultats. Son objectif est de montrer de la manière la plus exhaustive possible, comment est vécu et mis en place le passage de la vision stratégique à l'action sur le terrain de Cergy Grand Centre.
« Dans un monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » (Francis BLANCHE) Le travail à l'Enseigne est un peu particulier. La Poste existe depuis 1477 avec la création des « relais poste » par Louis XVI* et a su s'adapter à de nombreuses évolutions. Dans son histoire, l'établissement a connu de multiples mutations et a joué un rôle important dans l'économie nationale (ex : création du compte chèque postal en 1918). Au fil des évolutions des marchés et des années, des notions apparaissent incontournables. Nous verrons dans cette partie l'importance de la stratégie et de la vision qui y est attachée, la notion de service public et ses contraintes, la vision que se font les collaborateurs de « leur travail » et de leur rôle, et enfin comment est vécu et mis en place le changement dans les entités. 1.1 La vision stratégique : donner du sens au travail. La stratégie joue un rôle essentiel dans la vie d'une société. VAN DEN BULKE - MONEME (2007, p. 14) affirment qu'« un collaborateur a besoin d'une mission clairement définie ». Cette notion laisse supposer qu'il suffit de dire ce qui est attendu à son équipe pour que la mise en action se réalise. Est-ce vraiment le cas ? Projetons-nous dans la configuration postale. La Poste est un groupe composé de plusieurs métiers. * http://www.laposte.fr/Le-Groupe-La-Poste/Nous-connaitre/Histoire
Le Président du groupe, JP. BAILLY, souhaite une grande unité du groupe autour des métiers de La Poste. On sait que des discordances apparaissent : le colis et le courrier reprochent notamment à l'Enseigne l'attente dans les bureaux de Poste qui nuit à leur image et menacent de passer par d'autres réseaux. La Banque Postale est très attachée à la captation des flux dans les bureaux mais reproche un manque de visibilité de La Banque dans les espaces. J'ai eu la chance d'être invité récemment à une réunion avec des cadres stratégiques de l'Enseigne et de La Banque Postale. L'objet de la réunion était de présenter et d'envisager la commercialisation future d'une nouvelle offre au sein de l'Enseigne. Le projet présenté par l'Enseigne semble très cohérent. Puis est venu la vision de La Banque Postale qui oppose au projet un risque spatial (diminution de la visibilité déjà jugée faible) et un risque de se distraire du métier bancaire. Les 2 visions sont cohérentes et se défendent. Les divergences de vision sèment le trouble dans les esprits des directeurs d'établissements présents et mènent à une forme d'incompréhension de leur part. (Extrait du journal de bord) Nous souhaitons que les bureaux de Poste soient des commerces de proximité. C'est ainsi que le bureau de Poste « traditionnel » avec des files d'attente interminables et un accueil médiocre est remplacé par un espace marchand dans lequel le client est accueilli dès son arrivée et orienté vers un « îlot » où il réalise son opération. Cette fragmentation des opérations et les aménagements de l'espace diminuent considérablement l'attente et apporte une image moderne. La mutation des espaces est connue sous l'appellation « espace service client » (ESC). Le bureau de Cergy Grand Centre est « bureau test ». Jacques RAPOPORT exprime en 2005* que « toute organisation humaine a besoin, pour évoluer et pour motiver le personnel, d'une vision, d'un projet qui l'attire vers l'avant et qui donne du sens à son travail ». Le terme projet semble pris ici dans son sens : « décider aujourd'hui de rendre réel demain ce qui n'est pas encore ». C'est précisément ce « sens » qui fait l'objet du travail de HANIQUE (2004), et se trouve au coeur des tensions vécues par les collaborateurs. * RAPOPORT Jacques (2005), « Accompagnement du changement en environnement rigide : la RATP », Présentation du centre régional de ressources Journée du 31 mars 2005 à la MGEN. La vision stratégique est censée donner du sens à ce que sera son adaptation sur le terrain. Une contrainte qui revient de manière régulière au niveau des collaborateurs est notre mission de service publique. « Le poids de l'histoire devient une cause principale du manque de réactivité des entreprises » affirment VAN DEN BULKE - MONEME (2007, p. 68-70). Si cela peut s'appliquer à certaines entreprises privées, BERTEAUX-WIAME - LINHART (2006) expriment avec justesse que la situation des entreprises publiques est tout autre. Elles montrent qu'un établissement du secteur public cultive un sens républicain et citoyen qui pourraient accompagner les changements s'ils étaient bien menés. A La Poste, ce sens semble se reporter sur la notion de service public. 1.2 Notre mission de service public : force ou faiblesse ? La notion de service public constitue une dimension centrale au sens que les postiers accordent à leur travail (HANIQUE 2004, JEANTET 2001, BERTEAUX-WIAME - LINHART 2006). Ainsi, pour mieux appréhender et comprendre l'objet de mon mémoire, on ne fera pas l'économie d'un détour sur l'histoire récente de La Poste. En mai 1990, l'Assemblée Nationale adopte la réforme des PTT. La Poste perd son statut d'administration et devient un établissement autonome de droit public. Le 15/10/2001, Luxembourg vote la loi de dérèglementation postale qui ouvre les services postaux à la concurrence pour 2011. Pour BALLASTRE* (octobre 2002), c'est une mission sensible car il existe une tradition syndicale contestataire et une culture de service public. Quant à BERTEAUX-WIAME - LINHART (2006), la notion de client à La Poste altère la légitimité du travail en introduisant une inégalité entre l' « usager » et l'agent. Le phénomène est simple et complexe à la fois. La Poste possède une activité qui dépend d'une mission de service public. De manière globale, ces opérations sont coûteuses et consomment un temps important. Pour financer cette mission, La Poste développe des ventes de produits « à marge ». Ces deux types d'opérations sont compatibles et complémentaires. Les unes financent les autres sans intervention pécuniaire des pouvoirs publics. * BALLASTRE G. (2002), « Un service public métamorphosé en commerce », Le monde diplomatique, octobre. Les Postes européennes sont de manière générale, confrontées à la même situation. Faisons un détour par la DeutschePost (Poste allemande), souvent présentée comme un des modèles de réussite économique dans l'ouverture des marchés postaux. Quelque 12 ans après la privatisation, la DeutschePost a nettement augmenté ses bénéfices, détient 90% de son marché avec des diminutions drastiques des effectifs et l'abandon des activités peu rentables. Il est même envisagé la disparition des bureaux car trop coûteux en personnel. Les activités seront déplacées dans des commerces de proximité (Aldi, épiceries, boulangers)*. On peut s'interroger alors sur le maintient de la notion de service public et sur le sens que l'on peut y donner dès lors qu'elle est transférée chez des commerçants, sans partage de cette valeur. Il paraît alors intéressant d'interroger des collaborateurs sur la confrontation de la notion de service public avec une activité commerciale : Madame x, Directrice adjointe pense qu'il va falloir redéfinir la notion de service public à l'Enseigne. Elle s'interroge également sur comment financer le modèle si on perd des recettes avec l'ouverture des marchés. « On doit faire une course avec des concurrents, mais nous on a un boulet aux pieds » (Extrait du journal de bord) Toutes ces remarques sont pertinentes et montrent un changement radical dans les mentalités des agents ces dernières années. Il est important de noter que Madame x est fonctionnaire. On a le sentiment que les agents ont bien compris que nous sommes devenus des commerçants et que des contraintes commerciales pèsent sur l'entreprise. L'exemple ci-dessous insiste sur le sentiment de réciprocité attaché généralement au secteur privé : *S. PICHON la poste allemande : la face cachée de la privatisation [en ligne] http://www.rue89.com (page consultée le 08/05/2009) Autre exemple issu de mes observations. Une guichetière rédige un chèque de Banque pour un client. Elle me demande si elle doit faire payer le client pour cette opération. Je l'invite à regarder la réglementation. Elle semble soulagée de voir que l'opération donne lieu à la perception d'une taxe. Je lui demande pourquoi ? Elle me dit : « je ne travaille pas pour rien ! ». Elle est fonctionnaire, proche de la retraite et fervente défenseur du service public. (Extrait du journal de bord) La mission de service public reste très présente dans les esprits. On a du mal à définir ce qu'elle représente vraiment chez les agents et les clients. Une certaine dissonance entre les visions semble mener à un quiproquo dans le sens accordé à la mission de service public. Les clients mobilisent des droits d'usagers (contribuable) et des prérogatives de clients (JEANTET, 2003). Cette vision est altérée par une assimilation de la fonction publique aux traitements des fonctionnaires payés par l'impôt des contribuables. Cela n'a jamais été le cas à La Poste, mais l'assimilation est très présente dans les discours de nos clients. Il est fréquent dans les bureaux d'entendre des clients justifier de leur droit par une expression du type « vous êtes payés par mes impôts, alors faîtes ce que je vous dis ! ». Les guichetiers quant à eux, développent un savoir-faire empathique pour servir les clients. On peut dès lors parler de « guerre de pouvoirs », où le client asservit le guichetier et réciproquement, le guichetier exerce une domination sur le client (JEANTET, 2003). Celle-ci prend souvent une forme d' « excès de zèle » et d'une application (trop ?) stricte de la réglementation. On trouve des limites à ces analyses dans la proximité des clients et des guichetiers entamés avec les bureaux A200B telles que montrées par HANIQUE (2004) et plus encore dans les espaces marchands ESC. Cette proximité, en plus de diminuer considérablement les incivilités, élimine progressivement les rapports conflictuels et positionne les protagonistes dans une réelle relation commerciale. Lorsque je suis dans l'espace marchand, je suis souvent étonné de la vision des clients au service public. J'y ai trouvé des opérations de change que les établissements bancaires envoient à La Poste (le coût de ces opérations et le temps nécessaire à son traitement est important), le rechargement des cartes « monéo » (quasiment plus d'établissement ne possède ce type d'appareil), faire de la monnaie pour les commerçants (opération coûteuse puisqu'il faut convoyer les fonds). (Extrait du journal de bord) Au cours de mon expérience dans l'espace-marchand, j'ai souvent noté un formidable fossé entre la notion de service public et la vision qu'en ont le public et les postiers. Il semble que pour les uns et les autres, des opérations longues et coûteuses soient systématiquement du domaine du service public. Or, la mission de service public dévolue à La Poste concerne : 1°) assurer un service universel de qualité (une distribution du courrier-colis 6 jours sur 7 sur l'ensemble du territoire) 2°) garantir l'accessibilité bancaire (conciliant l'accueil de tous et les impératifs économiques afférant à toute banque) 3°) aménager le territoire (maintenir un niveau très important d'accessibilité aux services postaux) 4°) distribuer la presse (avec des tarifs postaux privilégiés).* L'Enseigne La Poste devient une entreprise commerciale à part entière. On peut légitimement s'interroger sur le bien fondé d'un service public (et surtout sa définition tant pour les clients que pour les collaborateurs) dès lors que l'entreprise qui le porte est en concurrence sur l'ensemble de ses métiers et doit le financer. S'adaptant au contexte relayé par le discours d'entreprise, les agents se réconcilient petit à petit avec « leur » notion de service public. Souvent, elle facilite la volonté d'action de vente des postiers. En effet les postiers se montrent plus enclins à assurer des fonctions commerciales pour autant qu'elles assument la pérennité de la fonction citoyenne de La Poste.
* http://www.laposte.fr/Le-Groupe-La-Poste/Espace-collectivites/Nos-quatre-missions-de-Service-Public 1.3 Les collaborateurs veulent faire du « bon travail ». Une constante est à noter dans les activités observées chez les collaborateurs : la volonté claire de bien faire. Une question s'impose alors de savoir : les collaborateurs ont-ils tous la même notion de ce qui est attendu de lui ? Comment les collaborateurs du bureau de Cergy Grand Centre peuvent répondre à cette volonté de faire du « bon travail », vendre des produits à valeur ajoutée, lutter contre l'attente des clients au quotidien et assurer une mission de service public convenable ? Comment faire lorsque des dissonances importantes surviennent dans son activité professionnelle ? Il semble pour cela accepter d'adapter son poste de travail aux « attendus métier » et à ses « valeurs propres ». Dans de nombreuses situations, le collaborateur se trouve à composer entre sa volonté de « bien faire » et son activité au quotidien. Pour assumer ses tâches de plus en plus nombreuses, le collaborateur se trouve confronté au « dirty work » énoncé par HUGUES (1996). Cette notion regroupe des tâches (en général peu gratifiantes) que l'on cherche à déléguer à d'autres, mais doivent être assumées pour assurer le bon fonctionnement du service. Les conseillers bancaires doivent générer leur activité avec du « phoning ». Cette activité est mal perçue. Les conseillers ont l'impression de faire du démarchage comme beaucoup d'autres entreprises avec la mauvaise image que cela véhicule (vente de fenêtres, cuisines...). Cependant, ils le font. Certains, se sentant si peu à l'aise avec cet exercice, préfèrent organiser leur agenda avec des « relances qualifiées ». Ce qui revient à annoncer au client qu'on le rappellera d'ici x mois pour prendre rendez-vous et réaliser un suivi commercial de son dossier. De manière régulière, lorsque des étudiants réalisent un stage, c'est en priorité la séance de phoning de phoning et de classement des dossiers qui sont délégués. (Extrait du journal de bord) Quand le collaborateur se trouve dans l'obligation de réaliser une tâche, il se résout à la faire. Il se trouve alors qu'il réalise sans le savoir une « adaptation primaire : il donne et reçoit, avec l'état d'esprit requis, ce qui a été décidé qu'il lui en coûte ou non » (GOFFMAN, 1968, p. 245-249). L'adaptation peut aussi se trouver entre le manager et son (ses) collaborateur(s). REYNAUD (1999) évoque dans ce cas la notion de régulation, qu'il définit comme une forme de concession réciproque, de compromis. Il précise que cette régulation n'est en fait qu'une solution provisoire. Le manager et le collaborateur entrent par conséquent dans une forme de négociation quasi-permanente pour que le compromis soit acceptable et raisonnable. Dans d'autres cas, le collaborateur peut (ou doit) aller plus loin dans ses adaptations. Vers 18 heures, je constate qu'un guichetier réalise le relevage du courrier. Je lui demande des explications sur cette attitude qui me dérange : le départ du courrier se fait à 16 heures. Le collaborateur m'explique qu'il s' « avance » sur le travail à faire le lendemain. Il y a des clients dans l'espace marchand, je lui demande donc de s'occuper du travail du jour avant de celui du lendemain. Contrarié par cet épisode, je décide d'arriver le lendemain matin plus tôt qu'à l'accoutumée. Je m'aperçois que le collaborateur arrive avec 20 minutes de retard. Quand je lui demande des explications, il me répond qu'il effectue un 2ème travail tôt le matin de temps en temps. Je comprends son attitude de la veille, le trouve très courageux, mais lui demande de faire un choix. (Extrait du journal de bord) On se trouve ici dans des « adaptations secondaires : cela consiste en des pratiques qui, sans provoquer directement le personnel, permet d'obtenir des satisfactions interdites ou bien des satisfactions autorisées par des moyens défendus (connaître les ficelles, être à la coule, connaître les « trucs », les occases, les combines, être au parfum) » (GOFFMAN, 1968, p. 98-100). Ces adaptations, dites « secondaires » peuvent prendre 2 formes : désintégrantes (briser la bonne marche de l'organisation) ou intégrées (infléchir des forces qui seraient, autrement, désintégrantes). Ces notions sont très bien illustrées par WAELLI (2009, p. 25-27) lorsqu'il évoque le défaut de fonctionnement d'une machine, « réparée » par un coup de poing. Les collaborateurs utilisent des techniques peu orthodoxes mais efficaces pour assurer la bonne marche du service. Que se passerait-il si le collaborateur utilisait la procédure qui consiste certainement à demander l'intervention des services de maintenance ? Là encore, le manager se voit contraint de négocier en permanence avec son (ses) collaborateur(s). C'est cette capacité à négocier qui semble déterminante mais difficile à pérenniser avec les mêmes acteurs sur un même site. Cette analyse légitime à elle seule de s'interroger sur le temps passé dans une fonction dans un même site. Un collaborateur en poste depuis 20 ans (situation fréquente chez les conseillers du guichet) est ancré dans ses adaptations. Cette situation peut avoir un effet défavorable sur les évolutions stratégiques et altérer le sens que donne le collaborateur à son travail quotidien. Comment peut-on accepter de changer de vieilles habitudes dans son travail ? 1.4 Le changement à La Poste : résistance ou intelligence ? La Poste est une « vieille dame », incrustée dans le paysage économique de la France. Nous l'avons déjà évoqué, dans un futur proche, de grosses échéances l'attendent avec en ligne de mire le passage en société anonyme dès le début 2010. Des changements importants ont eu lieu, d'autres vont intervenir. Comment sont vécus ces changements dans ce qui était jusqu'en 1991 une administration ? Pourquoi et comment les collaborateurs « acceptent » les changements ? « Mais avant c'était différent. En fait ça n'arrêtait pas de changer... Mais nous, on restait pareils... Aujourd'hui, c'est autre chose : La Poste change, et nous aussi : on est obligé... » (Une guichetière interrogée par HANIQUE, 2004, p. 10). La littérature sur le changement dans les entreprises est très dense. Certains auteurs se hasardent même à donner des méthodes pour « réussir le changement ». Ce qui m'intéresse dans le cadre de ce mémoire est la question préalable commune à ces analyses : pourquoi changer ? « Une personne résiste au changement si elle n'y voit pas son intérêt, ce qui est plutôt un signe d'intelligence » (JARROSSON - JAUBERT - VAN DEN BULKE, 2007, p. 15-20). Le collaborateur (et peut être bien nous) n'accepte de changer que pour une situation meilleure, lorsqu'il y trouve son intérêt personnel. Autrement dit, lorsqu'il voit un sens à ce changement. Pour REYNAUD (1999), les régulations de travail créées ne sont plus l'expression clandestine de la résistance au changement mais sont considérées comme une ressource précieuse. Cette notion semble intéressante car redonne du sens à une dynamique considérée négative alors qu'elle est l'expression d'une volonté positive. Il est amusant de noter que sur le bureau de Cergy Grand Centre, les personnels qui à mon arrivée démontraient une forte « résistance au changement », sont devenus à ce jour acteurs essentiels de l'organisation et ont pris des fonctions de Responsables de Bureau de Poste (anciennement appelés annexes). Le sens donné à cette dynamique s'est tourné vers des responsabilités commerciales accrues. Dans les bureaux de l'Enseigne, on explique depuis des années déjà que la concurrence va se développer rapidement sur nos métiers traditionnels. De nombreuses améliorations se sont développées et accélérées pour anticiper cette situation. Pourquoi alors, certains collaborateurs acceptent le changement d'une ancienne administration vers une société commerciale ? Une idée d'acceptation du changement peut trouver son origine dans des situations particulières : « Certains salariés d'une plate-forme pétrolière, pris au piège d'un terrible incendie, avaient préféré échapper à une mort certaine en sautant dans la mer du haut de la plate-forme, se plongeant ainsi dans un avenir plus qu'incertain et à coup sûr terriblement dangereux » (AUTISSIER - MOUTOT, 2007, p. 51-52). C'est ce qui est appelé la « burning platform ». Cette anecdote montre combien en situation de danger, on donne un sens nouveau à ce que nous n'aurions jamais fait de manière rationnelle. Il existe d'autres alternatives à l'acceptation du changement. 2 mois après le passage à l'espace marchand ESC, j'avais promis à l'ensemble de mes collaborateurs d'organiser un groupe de travail sur les dysfonctionnements constatés dans la nouvelle organisation. Des sous-groupes ont été constitués : ligne guichet (qui traite des opérations bancaires au guichet et le western union), espace marchand (qui s'occupe de l'accueil des clients et la vente de produits dans l'espace). Les résultats sont édifiants : le groupe ligne guichet propose que soit amélioré l'accueil à la clientèle, ce qui incombe à l'autre groupe. J'explique que l'idée est intéressante et qu'il faut que les collaborateurs du guichet participent à l'accueil ! (extrait du journal de bord) Cette solution, difficilement acceptable dans les organisations, se retrouve pourtant régulièrement. « Si les autres acceptent de changer, cela m'évite à moi de changer ! » (JARROSSON - JAUBERT - VEN DEN BULKE, 2007, p. 21-24). Cette notion semble contestable. Globalement, lorsque l'on évoque cette « résistance au changement » on se trouve, en fait, face à une formidable dynamique, qui permet de donner du sens à un type d'action. 1.5 Le poids de la « culture d'entreprise » : les valeurs postales. Le dernier postulat à la mise en action se trouve dans la culture d'entreprise de La Poste. La notion de culture d'entreprise a l'étrange particularité d'être à la fois partagée et finalement pas (ou peu) formalisée. Pour se convaincre de l'intérêt que cette notion suscite, il suffit de voir qu'une recherche sur www.google.fr pour : « définition de la culture d'entreprise » apporte 1 540 000 réponses. Pour COHENDET - DIANI (2003), la culture d'entreprise est « cette grammaire commune qui permet aux agents de donner du sens au monde, de coder l'histoire et les expériences passées, et d'y développer leurs actions ». Cette approche peut ne pas s'appliquer à des entreprises de petites tailles et/ou nouvelles, mais semble cohérente avec l'expérience du terrain à La Poste. La traduction de ce processus semble permettre de co-créer du sens. Il faut dès lors se pencher sur les valeurs qui émergent au sein du groupe. En cela, BERTAUX-WIAME - LINHART (2006), portent un regard critique intéressant. Le travail à La Poste y est présenté comme peu épanouissant mais apte à donner un sens républicain et citoyen, les auteurs dénoncent l'individualisation du travail qui est ressenti comme une remise en cause des règles du jeu. Aux vues des observations du terrain énoncés précédemment, cette analyse tout en étant encore présente, semble s'atténuer pour s'orienter vers une culture d'entreprise plus en phase avec les règles commerciales sur un marché concurrentiel. Il est également amusant de noter que lorsqu'un « extérieur » interroge un collaborateur de La Poste sur son métier, la réponse est souvent : « je suis postier ». Cela semble suffire à exprimer son métier. En cela, le « postier » est proche de l'artisan qu'énonce par ZARCA (1988). Le collaborateur est « postier » avant d'être guichetier ou facteur, comme on est « artisan » avant d'être plombier ou charpentier. Ce qui démontre une notion de forte appartenance au groupe. L'identité du groupe est importante, la construction de l'identité au métier est également similaire à celle de l'artisanat (apprenti / guichetier, jeune compagnon / guichetier confirmé, compagnon confirmé / guichetier animateur, maître / cadre de proximité). Comme pour celle de l'artisanat, la culture vit par la transmission orale (savoirs, savoir-faire, valeurs, manière d'être, symboles). Il est intéressant de constater que de nombreux « postiers » sont fils, petit-fils et/ou époux (se) de « postiers ». Même si cette tendance semble s'atténuer depuis que La Poste n'est plus une administration, de nombreux collaborateurs sont encore dans cette notion « familiale ». Cela renforce le sentiment d'appartenance forte des « postiers » à l'entreprise. En quelque sorte, on porte les « couleurs » de La Poste et par la même, une tradition. On paraît donner un sens à notre métier de « postier ».
La Poste est en pleine mutation. Il y a longtemps que les changements sont annoncés et que les collaborateurs y sont préparés. Les échéances sont immédiates et les collaborateurs en prennent conscience. Nous venons, dans cette première partie d'énoncer les facteurs de résistance aux changements vécus à La Poste. Nous avons souligné la difficulté de suivre une stratégie pour l'entreprise, de prendre en compte le cas particulier de la mission de service public à La Poste et de composer avec elle, de reconnaître la valeur des collaborateurs et de comprendre les adaptations qu'ils ont nécessairement développées. Nous avons donc pu comprendre que le changement à La Poste ne peut se faire sans s'appuyer sur des valeurs. Cette prise en compte nécessite peut-être davantage de temps que d'autres types d'entreprises, mais repose sur un socle de valeurs qui constitue également un gage de stabilité et de réussite dans un univers incertain et concurrentiel. Le passage à l'action semble dès lors reposer sur un collaborateur particulier : le manager.
« On considère le chef d'entreprise comme un homme à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char » (W. CHURCHILL) Un coup d'oeil sur internet nous informe de l'intérêt de la littérature spécialisée pour le manager1(*). Si tout le monde s'accorde à donner à la figure du manager une position centrale dans l'entreprise, sa définition n'en est par pour autant consensuelle2(*). Elles se croisent cependant souvent sur les termes : gestion et organisation des ressources. Parmi toutes celles que j'ai pu consulter, j'en ai retenu deux, la première pour son exhaustivité et la seconde parce que sa simplicité est caractéristique des raccourcis trop souvent empruntés dans les discours sur l'organisation du travail. Pour MINTZBERG (2006), les rôles du cadre se décomposent en 3 catégories : des relations interpersonnelles (symbole, agent de liaison, leader), du traitement de l'information (observations actives, diffuseur, porte-parole) et des prises de décisions importantes (entrepreneur, régulateur, répartiteur de ressources, négociateur). Notons que MINTZBERG a concentré ces études sur des cadres généraux. Pour COMMARMOND et EXIGA (2004, p. 112-118), la définition est beaucoup plus courte : « manager c'est faire réussir ». Cette dernière est très (trop) simple et très restrictive sur un métier aussi complexe. L'opposition de ces définitions montre combien une activité en apparence simple peut finalement recouvrir une réalité complexe. Nous nous concentrerons ici d'abord sur une double dimension du métier : le « management de proximité » et le management quotidien. Puis, nous reviendrons sur l'obstacle souvent évoqué du « temps». 2.1 Le manager de proximité, avant tout un négociateur : Je propose d'apporter une vision du « manager de proximité ». Qui est-il ? Que fait-il ? Quelles sont les forces qui se trouvent sur son chemin ? En quoi son rôle est important dans le fait de donner du sens ? Pour comprendre le positionnement du « manager de proximité » qu'est le Directeur d'Etablissement de l'Enseigne La Poste, reportons nous au tableau ci-après : Tableau 1 : Le management selon les 3 niveaux hiérarchiques
Réf : J. W. Walker, Human ressource strategy, New York, MC Graw-Hill, 1992 A la lecture de ce tableau, le directeur d'établissement semble clairement se situer au niveau du management de base : il a été appelé « brique de base » longtemps. Son rôle est axé sur le terrain et la mise en oeuvre de la stratégie. Il peut d'après ce tableau être comparé à un « chef de rayon » dans le domaine de la grande distribution. Cependant, la vision du terrain ne reflète pas toujours cet état. Certains collaborateurs m'appellent chef, d'autres, patron. Intrigué par ces 2 noms, je questionne une collaboratrice. Elle m'appelle patron et je lui demande la différence selon elle entre chef et patron. - Mme y : C'est simple, la directrice adjointe est la chef. C'est elle qui est tout le temps avec nous devant les clients. Le patron, donne les orientations du bureau. - DET : Quelle est ma position vis-à-vis des acteurs de La Banque Postale ? - Mme y : Là vous êtes le chef... Vous accompagnez les «Cobas » (conseillers bancaires.) Et le patron en même temps... C'est compliqué ! - DET : donc on peut être chef et patron ? - Mme y : non, peut être que c'est votre chef qui est leur patron ? - DET : Selon vous, comment se positionne ma chef à moi (directeur des ventes) et ma patronne (directeur territorial de l'enseigne la poste) ? - Mme y : Oh là, moi vous savez, les hautes sphères... Je sais qui est ma chef, c'est celle qui accompagne le travail au quotidien. Vous, vous donnez les orientations et vous vous assurez que le travail se fait comme vous le voulez. Pour le reste c'est flou... (Extrait du journal de terrain) Il semble alors que le « chef » est celui qui accompagne l'équipe au quotidien, celui qui donne du sens à ce qu'est une stratégie qui semble lointaine pour les collaborateurs du terrain. Le patron donne les orientations et s'assure de la mise en oeuvre. Le directeur d'établissement est en fait ces 2 professionnels en même temps. Il semble alors intéressant de matérialiser l'organigramme d'organisation de l'Enseigne pour tenter de clarifier le positionnement du « manager de proximité ». La figure 1 synthétise la vision d'un directeur d'établissement : Figure 1 VISION DU DET (directeur d'établissement) Directeur Territorial de l'Enseigne La Poste Conseiller Spécialisé en Immobilier Conseiller Spécialisé en Patrimoine ___________________________________________________________________________ Pour étayer cette vision, et en porter un oeil critique, il m'a semblé important de questionner un collaborateur du bureau. La figure 2 synthétise sa vision de l'organisation : Figure 2 VISION D'UN COLLABORATEUR DU TERRAIN Directeur Territorial de l'Enseigne La Poste Directeur Commercial Réseau Bancaire Il est intéressant de voir la complexité de l'organisation postale, et à contrario la simplicité avec laquelle les collaborateurs voient l'organigramme du bureau de poste. On constate dans la vision du collaborateur une vraie reconnaissance de celui qu'il appelle « chef », celui qui l'accompagne. La notion de donner du sens à l'action semble bien être primordiale dans l'organisation du travail. Et pourtant, dans la réalité quotidienne, il ne suffit pas d'être accompagnant pour obtenir des résultats. Le « manager de proximité » est sujet à des contraintes, des guerres de pouvoir au sein de son entité. HANIQUE (2004, p. 60-64) note avec justesse le rôle important du « détenteur local de la règle ». Dans chaque équipe, se trouve (en général) un « ancien » qui fait appliquer une règle propre au bureau. L'appartenance à l'équipe d'un nouveau collaborateur est conditionnée à l'application de cette règle. Dans de nombreux cas, le directeur d'établissement reste (trop ?) peu de temps par rapport à une équipe qui est en place depuis (trop ?) longtemps. Il est alors attendu du chef qu'il ne bouleverse pas les habitudes de travail au risque de s'attirer les foudres de son équipe. Une des chefs d'équipe du bureau était présente depuis 27 ans dans l'entité. Logiquement, elle détenait un pouvoir important et en était consciente. Elle s'était rendue indispensable à l'équipe par des connaissances techniques indéniables. Après avoir longtemps préparé la première étape devant mener à la mise en place d'un guichet avancé dans la salle, je me suis rendu compte que son action auprès de l'équipe était désintégrante. Je lui ai alors demandé de m'expliquer son attitude. Elle m'a dit une phrase que j'ai notée : « cela fait 27 ans que je suis ici. J'en ai vu passer des chefs. Ce n'est pas toi qui va changer les choses. Ici, c'est moi qui commande et cela continuera après toi ! ». (Extrait du journal de terrain) On note ici le pouvoir sous-jacent que s'octroie un collaborateur. Le manager de proximité peut soit « composer » pour éviter des situations conflictuelles, soit avoir du courage managérial de conserver sa vision (et celle de l'entreprise) et de mener à bien ses missions. On trouve à nouveau une notion déjà évoquée de négociation, de régulation (REYNAUD, 1999). Il est intéressant de constater que les collaborateurs, si le manager ne le fait pas, donnent d'eux même du sens à leurs tâches et par la même, s'octroient un pouvoir certain. C'est peut être là une conséquence de ce que BERTAUX-WIAME et LINHART (2006) expriment par le sens qu'on prête à son travail dans la fonction public. Si le « manager de proximité » semble être celui qui est avec ses équipes « sur le pont », qu'en est-il dans son management au quotidien ? 2.2 Le management au quotidien, un homme de terrain : Le management au quotidien est toujours un exercice délicat. Le manager se doit de réaliser les objectifs qui lui ont été fixés par sa hiérarchie. Comment peut-il (doit-il) amener ses équipes à atteindre ce but ultime ? Lors d'une enquête auprès d'une conseillère bancaire, celle-ci m'apporte des éléments importants : « les objectifs sont essentiels, c'est sûr. Mais cela ne me motive pas. On a des objectifs quelque fois différents des besoins de nos clients. L'essentiel est de réussir un acte commercial : que le client et moi ressortions de l'entretien avec le sourire ! » (Extrait du journal de terrain) Revenons sur les bases des techniques de management. DRUCKER (1955) est considéré comme le père du « management par objectifs » (MPO). Selon COMMARMOND et EXIGA (2004), le MPO répond à un cycle représenté par la figure ci-après : Figure 3 : Le cycle du management par objectifs COMMARMOND - EXIGA (2004) Ce cycle devient la référence dans le management. La première étape (spécifier les résultats) revient à décider des grands objectifs de l'entreprise, décliner ces objectifs au niveau des équipes et décliner les objectifs du collaborateur. La deuxième étape (piloter jusqu'aux résultats) revient à jalonner l'action, faire le point régulièrement, alerter en cas de dysfonctionnements. Enfin, la troisième étape (tirer parti des résultats) concerne l'évaluation des résultats, lier la rétribution aux résultats, bâtir des plans de progrès et de développement individuels et collectifs. Certains auteurs ont exploré d'autres « méthodes » de management. On y trouve des notions de management par les valeurs, par les compétences et/ou par les règles (DELAVALLEE, 2006), remettant ainsi en question le MPO et pointant ses limites. La réalité du terrain est tout aussi nuancée. Si le MPO est toujours très présent, les évolutions économiques (ex : la mondialisation) et sociales (ex : la loi sur les 35 heures / la gestion su stress) amènent à des évolutions vers ces autres formes de management. Un collègue, directeur d'établissement me fait part d'une remarque : ce que je crains, c'est qu'un jour on me demande de réaliser des entretiens avec des « gros clients » de La Banque Postale. Je n'ai jamais été « conseiller bancaire ». Moi mon métier, c'était de vendre du courrier ! (Extrait du journal de terrain) Ce bref échange fait référence à 2 notions : l'accompagnement et un des aspects développés par HUGUES (1996) dans « le drame social du travail ». HUGUES (1996) avance que celui qui réussit (le cadre), ne fait plus le métier pour lequel il a été formé. Cela correspond à une forme de « drame social » du travail. Dans une entreprise multi-métiers comme La Poste, ce drame social du travail est d'autant plus présent. Le directeur d'établissement est souvent issu soit du « courrier », soit de « La Banque Postale ». Même si ses compétences commerciales et managériales se conjuguent au quotidien, il conserve une affinité évidente pour son premier métier dans lequel il excellait. Il semble plus aisé de donner du sens au travail des collaborateurs lorsque l'on maîtrise les tâches à réaliser. Ce qui pose la question de la capacité réelle à être et directeur de bureau de poste et directeur de banque ? Il semble difficile de donner du sens au travail des collaborateurs sur des domaines aussi techniques de manière aussi efficace dans ces 2 métiers. L'autre point, qui semble être au coeur du management quotidien est l'accompagnement. ZARCA (1988) définit cette notion par « la transmission par des gestes regardés ». Il souligne que l'apprenti fait comme le maître et le maître fait en sachant que l'autre le regarde. Le maître, se sachant observé, agira certainement différemment que s'il était seul. Il insistera assurément sur le sens de ses gestes. L'apprenti, lui, deviendra autonome et s'appropriera les gestes jusqu'à lui donner son propre sens. JAOUEN - LOUP - SAMMUT (2005) évoquent quant à elles la relation « gagnant-gagnant » entre l'accompagné et l'accompagnant. Cette expression indique ici que chacun trouve un intérêt à cet échange. On parle dès lors d'un partage de métier, où l'accompagnant « revit » par la reconnaissance, lui procurant ainsi un regain de vitalité dans une routine (peut être) installée. Il semble alors intéressant de noter que cette relation apporte du sens au travail à l'accompagné et redonne du sens au travail de l'accompagnant. Cette notion incite à s'interroger sur l'idée de tutorat qui a déjà été utilisé par l'Enseigne et mise de côté aujourd'hui. La notion d'accompagnement s'applique également aux collaborateurs expérimentés et doit permettre in fine une meilleure connaissance des spécificités et des évolutions du métier de l'accompagné. Le « manager de proximité » paraît être là encore la pierre angulaire de la mise en action. Ses modes d'actions sont réels. « J'ai une idée de la vente. J'ai l'impression que le travail de relation commerciale n'est pas valorisé. On n'a pas conscience du travail à faire pour obtenir du CA. Il y a toujours des périodes à vide dans le commercial... ». (1 Conseiller Spécialisé en Immobilier) Se pose alors la question du rôle du manager dans ces actions quotidiennes. Dans son attitude, le manager semble pouvoir utiliser 2 leviers principaux : la proximité et l'exigence. Figure 4 : les modes d'action du manager COMMARMOND - EXIGA (1998) Le manager de proximité peut (doit) évoluer dans les différentes zones représentées dans la figure 4. Dans la réalité quotidienne, le manager n'est pas cantonné dans un cadre. Selon les circonstances, il aura vocation à adapter son management. En cela, il se trouve régulièrement dans une situation de régulation / négociation avec son collaborateur, comme le souligne REYNAUD (1999). Il me semble alors intéressant de s'interroger sur la perception des collaborateurs à l'encontre du « manager ». C'est au hasard d'une conversation avec une guichetière que je perçois une certaine vision : Je ne comprends pas ce que font les chefs. Vous passez vos journées en réunions, au téléphone ou derrière vos ordinateurs. Mais pendant ce temps, c'est nous qui faisons le travail avec les clients. C'est nous qui vendons les produits. Vous ne faites que nous dire de vendre plus ! (Mme s, guichetière dans un autre bureau) Cette réflexion rejoint la base des travaux de MINTZBERG (2006) qui, quand il était petit, observait son directeur de père et s'interrogeait sur son activité réelle : que font les cadres ? Cette question semble aussi s'appliquer au directeur d'établissement postal. L'image du « receveur » d'antan, cloué dans son bureau et donnant ses ordres à la volée est définitivement révolue. Il semble que pour être écouté et reconnu, le directeur d'établissement doit montrer par l'exemple le sens qu'il donne à la mission demandée. C'est sur le terrain que semble se jouer la partie. De manière régulière, le manager doit composer avec des tâches de plus en plus nombreuses (pilotage, ressources humaines, reportings, sécurité, conformité, qualité de service, réclamations ...etc.). Se pose alors la question de la gestion de son temps. 2.3 Le temps et le manager, une alchimie complexe : « J'avais prévu de faire les plannings ce matin. Mais voilà, j'ai dû recevoir un client avec une grosse réclamation. Après, j'ai la direction qui m'a appelé pour me demander des reportings. Bilan : je n'ai pas fait mes plannings et j'ai l'impression de n'avoir rien fait de bon ! » (Madame x, directrice adjointe) Pour donner du sens à l'action, il semble qu'il faille accorder beaucoup temps sur le terrain. La gestion du temps du manager emble être orchestrée par l'urgence et l'importance. COVEY (1995, p.41-55) évoque même « la drogue de l'urgence ». Figure 5 : la drogue de l'urgence
Il n'est pas rare pour le manager de se laisser submerger par des « fausses » priorités. La figure 5 propose une liste (non exhaustive) de tâches. Celle-ci apparaît en fait très incomplète et particulièrement sectaire. Par exemple, dans le management, une conversation avec un collaborateur à la machine à café peut soit être considérée comme futile, soit comme un vecteur important de relation et de compréhension. Se pose encore ici la question de savoir si le directeur d'établissement postal peut accorder le temps nécessaire pour donner du sens à l'action sur des domaines aussi variés que le fonctionnement d'un bureau de Poste et la technicité imposée par le domaine bancaire. « Le problème est que l'on a surchargé la fonction managériale d'une quantité considérable de tâches : développer ses collaborateurs, motiver son équipe, gérer les désaccords, être le relais de l'information, sanctionner et féliciter, prendre les décisions et j'en passe... »*. Il semble alors que l'importance des responsabilités qui incombent au directeur d'établissement de La Poste est (peut être) un frein à l'action. * ALBERT « managers, faîtes-en moins... mais faîtes-le mieux » [en ligne] http://www.journaldunet.com (page consultée le 26/01/2009) Le « manager de proximité » possède apparemment un rôle principal et essentiel de la mise action. C'est en quelque sorte le « chef d'orchestre » de l'entité. Son rôle est de lire la partition et de guider son équipe. Pour cela, il s'appuie sur son expérience et se tourne radicalement dans l'action en accompagnant au quotidien ses équipes. La gestion des tâches et de son temps sont précieux. Le directeur d'établissement n'est pas isolé face à ce problème. Des soutiens extérieurs au bureau sont là pour l'aider : les experts. Les relations qu'entretien le DET avec la Direction De l'Appui et Soutiens Techniques (DAST) fait l'objet de la 3ème partie de ce mémoire.
- Direction de la communication - Direction de la comptabilité Rattachement à la Direction Départementale Direction Appui et Soutien Territoriale (DAST) contact par le Guichet Unique - Direction des Ressources Humaines - Direction du contrôle de gestion - Direction de l'Action Commerciale de l'Enseigne
3.2 Les experts, des fonctionnels qui font : Après avoir définit les rôles et missions du service fonctionnel, voyons maintenant son positionnement et le pouvoir qui leur est attribué. Possède-t-il un pouvoir (ou un contre pouvoir) important ? De manière régulière, des services fonctionnels réalisent des contrôles sur les opérations bancaires dans les bureaux. Les grilles d'évaluations ne sont pas communiquées en amont aux directeurs d'établissement. A l'issue de cet « audit » réalisé par des experts, un rapport sur les risques est adressé au directeur avec copie à sa hiérarchie. (Extrait du journal de bord) Le service fonctionnel dispose d'une zone d'incertitude importante par rapport à ses partenaires (FRIEDBERG, 1981). En effet, il détient un savoir et une technicité qui lui donne un pouvoir réel. Le fait de se concentrer sur un domaine unique lui permet d'acquérir une grande technicité. Ce qui doit aider le directeur d'établissement qui ne peut prendre le temps d'être à ce niveau de technicité sur l'ensemble de ses fonctions. De plus, le service fonctionnel siège en comité de direction avec les cadres dirigeants du département, ce qui conforte son pouvoir et le rend légitime auprès du terrain. Souvent, les solutions apportées au bureau sont issues d'expériences et d'observations d'autres bureaux. Or, comme cela est rappelé par PFEFFER et SUTTON (2006, p. 7-16), chaque entité est différente et ce qui fonctionne pour l'un peut n'avoir aucun effet sur l'autre. Autrement dit, appliquer la même solution à diverses entités revient à pratiquer une médecine des siècles passés : procéder à des saignées à tous les malades quelque soit les symptômes, ce qui en a tué plus que cela a soigné. La médecine a beaucoup progressé et des diagnostics individualisés pertinents sont maintenant réalisés. Pour donner du sens aux actes managériaux, il semble temps de procéder de manière équivalente. HUGUES (1996) attribue à certaines professions des licences et mandats, c'est à dire qu'un groupe est autorisé à exercer certaines activités. Cette notion peut amplement s'appliquer à l'expert. Par sa technicité et son positionnement, il existe et détient un pouvoir certain. En est-il pour autant efficace aux yeux du terrain de facto ? Anecdote 1 : La photocopieuse du bureau n'a plus d'encre et nous nous apercevons que les cartouches fournies par le constructeur ne sont pas compatibles. Je sais que nous avons un contrat de maintenance mais je n'ai pas de contact précis. Je tente de contacter en vain le constructeur. Las de perdre mon temps, je décide de contacter le guichet unique de la DAST. Sa réponse par mail : voici le numéro de fax : xx.xx.xx.xx.xx. Anecdote 2 : Lors de la mise en place du projet ESC à Cergy Grand Centre, des services fonctionnels sont intervenus pour cadencer, orchestrer les travaux des différentes entreprises. La responsabilité du projet incombe (bien sûr) au directeur d'établissement. Mais ses connaissances dans ce domaine sont bien maigres. Je me souviens que ces services ont pris en charge l'ensemble des travaux et m'ont relaté les avancées au fur et à mesure. Je me suis senti soutenu et dans ce cas, une relation de prestataire de service s'est vraiment installée. J'ai assimilé ceci à de la compétence. (Extrait du journal de bord) Le directeur d'établissement attend des services fonctionnels qu'ils agissent comme des prestataires de services compétents. Définissons alors la notion de compétence. RUFIN*(2007) nous apporte une définition qui comporte 3 notions : la compétence est proche d'un système intégré de savoirs au sens large, permet d'aboutir à une performance et requiert que le professionnel soit en mesure de mener une activité réflexive au cours et après sa réalisation. Cette approche, issue du domaine de la santé, montre une distance dans les faits entre la compétence et les services fonctionnels. Si la notion de savoir est limpide, la performance semble difficile à mesurer, nous y reviendrons. Quant à la réflexivité de la réalisation, cela implique une parfaite connaissance de la situation donnée et des acteurs concernés. Les experts n'intervenant que ponctuellement, il est compliqué pour eux d'avoir le recul nécessaire aux adaptations déjà évoquées sur le terrain. *F. RUFIN Une définition de la compétence professionnelle [en ligne] http://www.cadredesante.com/spip/spip.php?article368 (page consultée le 28/07/2009) Dans ce contexte, comment est analysé l'apport du service fonctionnel ? LEGOFF (1996) relève que « les théoriciens et spécialistes sont enclins à développer des concepts leur permettant de faire appel à toutes leurs connaissances et fantasmes professionnels mais ne répondant pas à des besoins réels ». C'est certainement ce qui provoque des écarts avec les hiérarchiques sur le terrain. Quel est le risque d'accorder alors un pouvoir aux services fonctionnels en ne se concentrant que sur la notion de connaissances ? Alors que des résultats sur l'attente dans le bureau de Cergy Grand Centre ne sont pas satisfaisants, la Direction propose un audit par un expert. Présenté comme un ancien directeur d'établissement, l'expert passe la journée avec nous dans l'espace marchand. Ce jour là, la directrice adjointe est en repos de cycle. Repos permettant de respecter les 35 heures hebdomadaires inscrits dans le code du travail. Le compte-rendu est sans appel : il y est rappelé des standards de service demandés par le siège et de réétudier les modalités du « temps partiel » de la directrice adjointe... La direction me demande de mettre en place les recommandations ! (Extrait du journal de bord) L'apport de l'expert est incontestable et précieux. Le plus souvent, il n'a qu'une vision axée sur son domaine. Ce qu'il apporte peut se trouver en contradiction avec les orientations prises par le directeur d'établissement. C'est pourquoi un travail en commun doit être réalisé pour conserver tout son sens à l'action. Dans la majorité des cas, ce travail réciproque est bien réalisé et donc efficace. Dans sa demande, le hiérarchique exprime souvent un autre aspect : Quand j'ai besoins d'une information, c'est tout de suite. En général, quand je demande du soutien, c'est qu'il y a urgence... Sans cela, je ne demanderai pas ! (1 Directeur d'établissement) L'une des difficultés pour les services fonctionnels est la réponse aux attentes des managers de proximité. Ce dernier sollicite du soutien en général, quand il a un problème et attend une gestion (quasi) immédiate. Or l'expert semble comparer la situation présente à d'autres vécues précédemment. Il peut considérer alors que l'urgence n'est pas aussi grande que pourrait le penser le profane (HUGUES, 1996). Comparons cette idée à la personne qui se rend à l'hôpital victime d'une une fracture douloureuse. Elle souhaite être prise en charge par un professionnel compétent. Or, pour être compétent, ce dernier doit avoir exercé plusieurs années et rencontré de nombreux cas. Par ce fait, la fracture ne lui semble pas une pathologie qui nécessite beaucoup d'attention. La personne souffre et ne comprend pas qu'on ne s'occupe pas plus (ou mieux) de « son » urgence. Ce même type de situation se retrouve sur le terrain postal. Le principal pour le hiérarchique (patient) est le résultat de l'action menée. On peut s'interroger en conséquence sur les objectifs donnés aux services fonctionnels. Le service fonctionnel travaille pour d'autres services, mais il est difficile de mesurer sa contribution à la création de valeur (MALLERET, 1998). Les objectifs de ces services ne seraient alors quasi-exclusivement que qualitatifs. Les experts se retranchent derrière un domaine maîtrisé qui complique l'estimation réelle de leur apport. On note ici une spécificité très éloignée avec les objectifs attribués aux managers opérationnels qui sont quantitatifs et qualitatifs. Il semblerait alors intéressant que leurs objectifs, tant quantitatifs que qualitatifs, soient rapprochés des objectifs demandés au terrain, que pour donner du sens aux tâches des fonctionnels et des opérationnels, il faille que les objectifs soient communs et partagés. Le manager doit donner du sens à son action quotidienne et pour le soutenir, il peut se tourner vers des experts sur de nombreux domaines transverses. Il semble par conséquent important de pouvoir se reposer sur des services fonctionnels qui partagent cette notion de sens, tant dans l'idéologie que dans les actes. On se trouve, en réalité, souvent confrontés à des tensions entre les hiérarchiques et fonctionnels. Chacun ayant l'impression de posséder des « professions établies » telles que définies par HUGUES (1996) : « Dans la mesure où le professionnel « professe », il demande qu'on lui fasse confiance ». La 4ème partie de ce mémoire sera donc consacrée à la confiance, notion à laquelle nous inclurons la défiance et l'appropriation.
« Le chef fait faire, le chef sait faire » (Adage de l'armée française) Nous l'avons souligné auparavant, les relations entre le manager et ses collaborateurs, ses pairs, les services fonctionnels sont des vecteurs. Qu'est-ce qui fait qu'un vecteur est soit intégrant, soit désintégrant ? Sur le terrain, lorsque le sens du travail est mal perçu, le collaborateur se tourne vers des solutions qu'il trouvera acceptable. On perçoit alors que le collaborateur remet en question « sa confiance » accordée. Il s'en suit généralement une période de défiance qui résonne comme une limite à sa confiance. Dans de nombreux cas, cette notion n'est-elle pas simplement un manque d'appropriation ? La dernière partie de ce mémoire est consacrée à une étude sur la confiance, la défiance et l'appropriation. Il semble que l'action du manager doit s'inscrire dans un contexte serein pour être efficace et pouvoir donner du sens à l'action. La communication qu'il développe avec ses équipes joue un rôle essentiel. Paradoxalement, une recherche sur le site de vente en ligne de livres www.alapage.com n'apporte que 6 réponses à « management+confiance ». On peut en déduire que même si dans le discours des entreprises, la notion de confiance est porteuse de sens, la littérature ne s'en est pas encore imprégnée. Sur le site www.le-dictionnaire.com la confiance est définie comme « Impression de sécurité envers une personne à qui l'on se remet ». La défiance est définie comme : « Crainte d'être trompé ». Enfin, l'appropriation : « fait de s'approprier, de prendre possession de ». Ces notions semblent trop floues pour s'appliquer à un management qui tend à donner du sens au travail quotidien. Ces notions doivent donc avoir une signification particulière quand elles sont associées au management. 4.1 La confiance, préambule indispensable : La confiance est un terme dont l'usage s'est largement banalisé. Cependant, selon les personnes et les situations, son interprétation est très différente. Je retiendrai ici la définition de BIDAULT (1998) : « présomption que, en situation d'incertitude, l'autre partie va, y compris face à des circonstances imprévues, agir en fonction des règles de comportement que nous trouvons acceptables ». Dans la réalité quotidienne du bureau de Poste, cette idée d'agir « comme et à la place de », est une ressource inestimable du fait de la multiplicité des métiers que regroupe le point de vente (La Banque Postale, courrier, colis, express). Pour satisfaire ces diverses activités, le manager doit pouvoir déléguer en toute confiance. Cette notion s'assimile à un partage de valeurs. Celui-ci est-il imposé ou déterminé ? GIDDENS (1987) apporte un élément important : « les comportements des acteurs ne sont pas déterminés, ils ont raison de faire ce qu'ils font et sont capables d'exprimer ces raisons » sous-entendu, ils auraient pu agir autrement. Ainsi, l'acteur qui réalise une action ne le fait-il pas parce qu'il lui donne un sens propre ? Il semble que le collaborateur donne un sens à son travail même en l'absence de directive claire. Cela a déjà été évoqué dans ce mémoire. L'apparition d'injonctions contradictoires contribue alors à une remise en cause de la confiance établie entre le collaborateur et son manager. Une caissière du bureau m'alerte sur le fait qu'elle a terminée beaucoup plus tard un soir. Elle me demande s'il est possible de compenser ce surplus par des heures supplémentaires pour l'ensemble du personnel de la caisse. Après vérification, je m'aperçois qu'elle a raison mais qu'un des collaborateurs de la caisse arrive très régulièrement en retard. Après questionnement, il me dit qu'il compense le retard du soir de lui-même ! Je décide par conséquent de compenser les collaborateurs, à l'exception de ce dernier en expliquant mon action. Les caissiers viennent me remercier de ce geste. Je me demande ce qu'il se serait passé si j'avais compensé l'ensemble des agents sur les mêmes bases ? J'aurai alors légitimé l'auto-compensation et créé une dissonance de sens chez certains... (Extrait du journal de bord) Il paraît à travers cet exemple de la vie du bureau que donner du sens au travail nécessite une présence accrue avec les équipes pour ne pas créer d'inégalités, et donc de dissonances. Car toute dissonance a pour effet de mettre en péril la confiance des collaborateurs. Dans le domaine professionnel, on se trouve quotidiennement en contact avec des collaborateurs, avec ses collègues ou encore avec sa hiérarchie. La notion de confiance s'applique-t-elle de manière identique face à l'ensemble de ces personnes ? BORNAREL (2004) dénombre deux formes de confiance : horizontale et verticale. La confiance horizontale se tisse entre deux personnes de même niveau hiérarchique. Je pars ce soir en vacances. Les nouveaux dossiers passeront par mes collègues. Je préfère qu'ils soient vus par Mme a (même niveau hiérarchique). (1 conseiller spécialisé en immobilier) De manière générale, chacun dans son milieu professionnel possède une réputation au niveau de ses pairs. C'est certainement sur cette base que l'on peut considérer que le partage de valeur prend toute sa signification. La confiance que l'on accorde à un collègue de même niveau n'est pas la même que celle que l'on accorde à son chef ou à son subordonné. La confiance verticale concerne elle, des personnes de hiérarchies différentes. Cette notion ne semble pas strictement identique selon où l'on se situe dans la relation. Le supérieur hiérarchique est davantage en situation de contrôler la confiance accordée à son subordonné. MEYERSON & ali (1996) suggère même une forme d'illusion du contrôle chez le hiérarchique. Se pose alors une question : « sommes-nous réellement libres de faire confiance ? » Une conseillère bancaire (CB) rentre dans le bureau de son directeur d'établissement (DET) : - CB : vous vous souvenez que le directeur des ventes m'a demandé d'être capitaine d'équipe lors du dernier challenge ? - DET : oui pourquoi ? - CB : il avait promis aux capitaines un déjeuner au restaurant... Eh bien je me suis investi dans mon rôle, ça m'a pris du temps et je n'ai jamais été invité ! La prochaine fois, je ne le ferai pas... - DET : tu veux dire que tu n'as plus confiance ? - CB : j'ai le choix ? C'est le grand chef ! Cet exemple est flagrant. Il est des personnes dans le milieu professionnel à qui on se sent obligé de faire confiance, on peut alors parler de confiance contrainte. L'analyse de BORNAREL (2004) amène à affirmer que « plus l'intérêt à investir est fort, plus la décision de faire confiance sera contrainte ». Il semble compliqué de ne pas faire confiance à son supérieur hiérarchique, au moins en apparence. Cette notion de confiance amène un réel partage entre les protagonistes. Une question apparaît alors : la confiance se mérite-telle ou s'octroie-t-elle ? Il a un entretien hebdomadaire avec son chef. Elle lui a demandé la dernière fois d'arrêter de se plaindre lors des réunions avec l'ensemble des conseillers. Son image en subit des conséquences et il est remarqué dans le mauvais sens ! Lors des entretiens, il me dit arriver avec ses résultats, son chef arrive avec des objectifs. Il me dit qu'à la fin de ses entretiens, son chef lui demande ce qu'elle peut lui apporter. Il me signale que c'est à elle d'apporter des solutions pour qu'il atteigne ses objectifs. (1 conseiller spécialisé en patrimoine) D'après INGHAM et MOTHE (2003), la confiance trouve sa source dans les compétences et est basée sur la réputation. C'est notamment le cas dans au début de la relation. Puis vient une confiance de comportement au fur et à mesure des interactions. Ce qui tend à dire que le temps influe sur la confiance. Cette notion, au demeurant vérifiable sur le terrain au quotidien, semble faire abstraction d'un élément fondamental : le comportemental. La seule chose que l'on me demande c'est : combien et pourquoi je n'ai pas fait...etc. Cela fait 14 ans que je fais ce métier et je pense que je n'ai pas à prouver quoi que ce soit. Donc le fait que l'on me piste je le ressens très mal. En fait j'ai le sentiment aujourd'hui qu'on ne me fait pas confiance. (1 conseiller spécialisé en immobilier) La notion de confiance semble également se rapporter à un comportement, à condition que celui-ci soit coopératif (HOSMER, 1995). Dans son comportement quotidien, le hiérarchique semble devoir faire preuve de connaissance du métier, d'empathie et d'une bonne compréhension de son collaborateur. Cela peut être annoncé, mais semble devoir être démontré dans les actes quotidiens. « Quand un client n'a pas sa pièce d'identité pour retirer un recommandé, j'appelle le chef. Heureusement, il dit au client la même chose que moi ! Tu imagines pour quoi je passe s'il donne raison au client ! Quand le chef vient dans l'espace marchand, le client se calme en général... » (1 conseillère du guichet) Le directeur d'établissement doit soutenir son équipe au quotidien dans le respect des normes édictées par l'entreprise. S'il légitime une action « interdite », ses collaborateurs utiliseront cette forme de soutien comme des facilités. On retrouve cette notion chez GIDDENS (1987) : « les facilités sont les ressources d'autorité et d'allocation permettant l'exercice du pouvoir, entendu comme la capacité transformatrice ou le pouvoir d'agir ». La confiance peut s'entendre également au niveau intrinsèque du collaborateur. Pour travailler sereinement, le collaborateur (et certainement nous) a besoin d'avoir confiance en soi. C'est certainement le rôle du directeur d'établissement d'apporter cette confiance. La communication avec le collaborateur devient alors essentielle pour amener du sens à son action. Selon LE GOFF (1996) « le stress et la crainte ne peuvent aboutir qu'à la confusion et la névrose ». Sur le terrain, il est fréquent d'observer que le collaborateur qui n'arrive pas à réaliser une tâche devient fébrile, surtout face à un client. Cette sensation de pression est génératrice de stress, elle semble faire perdre ses moyens au collaborateur. La légitimité du directeur doit se construire en prenant en compte le travail réel. S'il reste dans une logique descendante, l'incompréhension grandira (BIQUAND, LABILLE, CASSE, 2001). Quand cela se produit, il y a souvent une perte de sens du travail demandé (ex : je ne sais plus ce que je dois faire !). Cette réaction se traduit alors une perte de confiance en soi, suivie généralement d'une remise en cause de la confiance envers l'entreprise. Cette remise en cause se traduit par ce qui est communément appelé en entreprise de la défiance. 4.2 La défiance, une source d'énergie : La défiance est particulièrement présente dans le management, et donc dans la mise (ou la non mise) en action à La Poste. Pourquoi une telle défiance, d'où vient-elle et est-elle en déclin ou en progression ? La notion de défiance est présente en interne avec les collaborateurs, mais elle existe également en externe dans les échanges avec les clients. 4.2.1 La défiance en interne : Pour LEGOFF (1996), on note dans beaucoup de cas une incompréhension entre les divers groupes professionnels. Les théoriciens ne semblent pas comprendre les besoins des directeurs d'équipes. Eux même ont des difficultés à réconcilier les discours avec la réalité pratique. Pour obtenir cette réconciliation, du temps d'écoute et de communication paraît devoir être apportée et surtout préparée. Dans mon parcours professionnel, j'ai eu la chance d'assister à de nombreuses réunions entre le directeur d'établissement et ses équipes. Lorsque le message est compliqué, j'ai entendu plusieurs fois la réunion commencée par : voilà ce que la direction demande..., les directeurs veulent..., je suis obligé de faire... Dans cet exemple, on voit clairement le représentant de l'institution se désolidariser du message qu'il doit porter. Cela peut s'interpréter comme une forme de défiance à l'encontre d'évolutions dissonantes avec ses valeurs intrinsèques, voir même une certaine remise en cause de la vision stratégique. Cette notion est peut être d'autant plus présente dans une entreprise comme La Poste, du fait de son passé et de ses évolutions. La source de la défiance postale peut provenir de l'existence de rites au sens de SAURET (1997). C'est-à-dire un indicateur de l'identité des acteurs (rôle et mise en scène), de la consistance du groupe (représentation qu'on a de la structure du groupe) et de l'intégration du sujet (volonté ou non de perpétuer). Il y a presque 5 ans, lorsque je suis arrivé au bureau de Cergy Grand Centre, le bureau possédait des guichets en ligne et une file d'attente matérialisée par « un guide file ». Une boutique dans la salle des ventes a vu le jour avec comme objectif d'accueillir les clients venant faire des achats. Je souhaitais que les guichetiers captent les clients pour répondre à leurs attentes : DET : pourquoi tu restes au guichet boutique ? Guichetier : les clients viennent d'eux même ! DET : et celui qui attend là ? Guichetier : ah, je ne l'avais pas vu... Je vais le chercher. On trouve ici le rite de l' « usager » qui doit rechercher le bon interlocuteur, mais aussi celui de donner satisfaction au « client ». Le rite a pour but de perpétuer une image passée, de reconstruire de la culture d'entreprise (SAURET, 1997). L'analyse de l'auteur va jusqu'à évoquer l'existence de 2 Postes. La « vieille Poste » définie par une hiérarchie « militariste », une forte influence du service public, où l' « usager » doit s'adapter à la réglementation. Et l' « entreprise La Poste » matérialisée par une ouverture à tous les échelons, une déconstruction d'un ordre hiérarchique et où le « client » est mis en avant. Ces différences sont flagrantes entre les services (Enseigne / courrier / transports), mais sont également visibles au sein même d'un établissement. Il semble, aux vu de mes observations que le phénomène « vieille Poste » est plus présent chez le personnel en place dans le même établissement depuis de très (trop) nombreuses années. Une solution pour accompagner le sens que l'on souhaite donner à l'action est certainement de gommer certains rites. « C'est génial depuis le nouveau bureau (ESC) ! On est proche des clients, il y a beaucoup moins de tensions... Maintenant je me sens à l'aise et un vrai conseiller. C'est un peu notre bébé, j'aurai du mal à m'en passer. » (Mme s, conseillère-guichetière depuis 23 ans) La notion de rite peut donc être connotée négativement, par exemple ne pas souhaiter une évolution, ou positivement en préservant des valeurs de l'entreprise. JP. BAILLY, Président de La Poste, a déclaré qu' « il est possible de moderniser sans se renier »* (octobre 2009). On imagine ici très bien que la part de négociation quotidienne déjà développée au cours de ce mémoire, va prendre tout son sens sur le terrain. On note au quotidien un énorme changement de mentalité chez la plupart des collaborateurs et nos clients. La défiance n'est pas éliminée, les attitudes sont en pleine mutation. La défiance évoqué jusque là ne concerne que la vision interne à l'entreprise. Il semble en exister une externe, à l'encontre des postiers. 4.2.2 La défiance des clients : Un matin, je m'occupe de l'accueil des clients dans l'espace marchand lorsqu'une cliente pénètre dans le bureau : Moi : Bonjour Madame, puis-je vous aider ? Vous êtes venu pour quelle opération s'il vous plaît ? Cliente : si je suis obligée de venir, c'est parce que le facteur n'a pas sonné. Et je dois me mettre où pour enfin récupérer mon recommandé ? Moi : je m'occupe de vous immédiatement Madame. Cliente : c'est toujours pareil à La Poste, on attend tout le temps... Moi : Madame je me suis occupé de vous dès votre entrée dans le bureau. Il me semble que vous n'avez pas attendu. Cliente : de toutes les façons, ce sont mes impôts qui vous payent... Moi : non Madame, le contribuable n'a jamais payé les postiers Madame. Voici votre lettre recommandée. Cliente : vous les fonctionnaires, vous êtes tous des fainéants... Moi : je ne suis pas fonctionnaire mais je vous souhaite une bonne journée quand même Madame. Cliente : ah ces administrations françaises, toujours aussi nulles ! Je ne relève pas cette dernière réflexion et laisse la cliente partir du bureau. * JP. BAILLY (2009), « moderniser sans se renier », Propos recueillis par Olivier Jay et Nicolas Prissette - Le Journal du Dimanche, Vendredi 23 Octobre 2009. On peut comprendre que le collaborateur confronté à ce type de réaction ressent une forme de défiance, qu'il peut reporter sur l'entreprise. Cela peut avoir des conséquences négatives sur l'action et/ou renforcer l'appartenance à un groupe pour s' « auto protéger » et revenir à une image du passé comme l'affirme SAURET (1997). Là encore, dans la réalité du terrain, il ne convient pas de faire l'économie d'une communication sincère (qui s'oppose ici à une forme de manipulation). L'adhésion au projet ESC a fait naître une nouvelle vision : le groupe des « pionniers qui font La Poste de demain ». Les observations de JEANTET (2003) semblent dépassées à la lecture de celles de HANIQUE (2004), où la défiance s'amenuise. Ces dernières le sont à nouveau dans le cadre de mes observations sur le bureau de Cergy Grand Centre et la mise en oeuvre d'ESC (2009). Au fur et à mesure que le client (et sa satisfaction) devient le centre de nos préoccupations et que cette vision est partagée, la défiance semble s'atténuée. Le point de rencontre entre les évolutions observées et les défiances internes et externes ci-dessus paraît être la notion d'appropriation. 4.3 L'appropriation, un remède : L'appropriation constitue la pierre angulaire de la mise en action. BIA FIGUEIREDO (2008) définit ce terme par l' « action d'adapter quelque chose à un usage déterminé ». L'idée d'appropriation renvoie aux notions de communication et d'accompagnement sur le terrain. Il ne suffit pas de dire ou écrire des consignes aux collaborateurs pour obtenir une mise en oeuvre. Il faut que chacun, manager et managé s'approprie l'action et la partage. L'accompagnement semble revêtir un double rôle : appropriation collective et contrôle. « L'accompagnement est essentiel dans mon métier. C'est l'oeil extérieur qui permet d'estimer le degré de qualité de mon entretien. Il faut que cela soit fait intelligemment. Ce ne doit pas être un simple observateur car cela me met mal à l'aise devant le client. L'accompagnateur, c'est mon filet de sécurité dans l'exercice de haut vol qu'est un entretien avec le client. » (1 conseiller bancaire) La répétition des situations de vente permet de se mesurer dans l'action. Pour GIDDENS (1987), l'action est un flot continu d'expériences vécues. Encore faut-il pourvoir s'évaluer. C'est le rôle de l'accompagnement pour le collaborateur. La routine occupe une place importante dans la reproduction des pratiques. Cette routine peut être positive et/ou négative et peut passer d'une situation à l'autre. Cela se perçoit dans la réalité du travail des collaborateurs et des directeurs. Pour l'accompagnateur, l'objectif est également de contrôler les évolutions de son collaborateur. « La confiance n'exclut pas le contrôle » dixit LENINE. Pour BIA FIGUEIREDO (2008), l'appropriation se fait dans la continuité et la reproduction de pratiques existantes. Il existe une appropriation idéale. Même si elle est infidèle elle n'en devient pas forcément mauvaise ou inappropriée. La manager doit alors accepter cette infidélité si elle génère un résultat acceptable, au risque de bloquer certaines volontés et/ou situations. On retrouve ici une notion déjà observée sur le rôle du manager : la négociation. Le temps de travail des collaborateurs sur le bureau de Cergy Grand Centre nécessite des pauses obligatoires. DET : Il faut absolument mettre en place une gestion des pauses. Guichet Animateur (GA) : C'est déjà fait ! Mais les agents ne le respectent pas. DET : C'est-à-dire ? GA : On a demandé à chacun de se prendre en charge, mais ils ne le font pas. DET : Est-ce que vous avez expliqué pourquoi ? Essayons d'expliquer aux collaborateurs que quand il y a moins de clients, il faut en profiter. Et désignez celui qui part en pause en expliquant votre organisation. GA : Ils sont grands ! DET : Oui. Ce que vous avez fait, c'est décharger la gestion des pauses sur les agents. (Extrait du journal de bord) Le rôle du manager est ici d'optimiser la cohérence. On voit dans cet exemple que le « guichetier-animateur » s'est dessaisie d'une tâche. Peut être parce qu'il ne souhaite pas la prendre en charge, ou qu'il ne sait pas comment se positionner face à ce type de fonction. D'une manière générale, un discours ambiant et une représentation collective permettent de donner du sens au travail. Mais est-ce vraiment suffisant pour aboutir à une mise en action ? Lors des mises en place effectuées à La Poste de Cergy Grand, quatre grands principes ont été respectés : expliquer les décisions prises en fonction des observations, aborder concrètement les attendus, accompagner la mise en oeuvre et motiver les équipes en montrant les évolutions et les corriger si besoin. Ces actions sont réalisées jusqu'à ce que l'appropriation soit devenue routinière. L'appropriation devient alors un point incontournable dans l'efficacité d'une mise en action. LEGOFF (1993) prône le tutorat par des personnes expérimentées pour en faciliter l'exécution. Cette méthode a déjà été utilisée à La Poste à divers niveaux. Dans la vie d'une équipe, le manager est en négociation quasi-permanente avec ses collaborateurs. Il est confronté à une question de confiance quotidienne sur le sens que chacun attribue à « son travail ». La perte de cette confiance amène régulièrement les collaborateurs à se réfugier dans la défiance, qui peut être analysée comme une énergie qui s'est déplacée. Une solution qui s'offre au manager pour orienter cette dernière vers des objectifs communs est alors l'appropriation.
Ce mémoire repose principalement sur des observations de terrain à Cergy Grand Centre où j'ai observé les conditions de la mise en oeuvre d'« Espace Service Client ». La confrontation du terrain et de la théorie m'a permis de mettre le doigt sur des éléments indispensables à la mise en action. Ainsi, j'ai pu souligner combien à la Poste, peut-être plus qu'ailleurs, la prise en compte du sens accordé au travail est essentielle. Dans l'ensemble alors, l'objectif de ce mémoire n'est pas de formuler des recettes pour le passage à l'action, mais de montrer les éléments qui doivent être appréhendés par le manager dans son travail quotidien. Dans ce mémoire, nous avons vu que : - L'entreprise a besoin d'une vision stratégique clairement définie. C'est une condition essentielle mais pas suffisante pour passer à l'action, surtout dans une entreprise publique. - Dans le cas de l'Enseigne La Poste, la mission de service public peut être un moteur à la mise en action. Les idées sur ce que regroupe cette notion « fourre-tout » ont pour conséquence de créer des incompréhensions avec les clients. Cette même notion n'est pas très claire dans les esprits des « postiers ». - Ces derniers démontrent au quotidien leur volonté de bien faire leur « métier ». En cas de déficit de sens donné à l'action, ils en créent un. Ce qui amène le directeur d'établissement à négocier quotidiennement avec ses collaborateurs et composer avec des adaptations jugées nécessaires. Ce qu'on appelle alors souvent de la « résistance au changement » traduit alors principalement une quête de sens, que le discours de l'entreprise ne suffit souvent à combler. - Les bureaux de l'Enseigne ont montré et démontré leur capacité à changer avec la mise en place de boutiques, puis aujourd'hui du concept ESC. Pour faciliter cette évolution, il faut impérativement éviter de générer des injonctions contradictoires avec la culture postale et les valeurs des postiers. Ces valeurs, inscrites dans l'histoire de l'institution, constituent la dimension centrale de l'identité de Postier et un socle de la mobilisation de la main-d'oeuvre au travail. - Pour accompagner les changements, le manager doit donc posséder une bonne connaissance de ce contexte de travail. En cela, il est essentiel qu'il reste en poste suffisamment longtemps, de 3 à 5 ans me semble cohérent, mais pas au-delà pour éviter des « routines managériales » préjudiciables à la vision stratégique du groupe. Cette même préconisation s'applique aux personnels des bureaux. Un collaborateur qui fait sa carrière dans un bureau s'est logiquement installé dans une « routine » et s'est souvent octroyé un pouvoir qui peut être nuisible. Je pense qu'il est nécessaire d'organiser des rotations de personnels au sein des établissements, voire des métiers. - Le manager de proximité à l'Enseigne possède une grande spécificité : il est directeur de bureau de Poste et directeur bancaire. Ces 2 activités sont des métiers à part entière dans toutes les autres entreprises. Bien sûr, il peut s'appuyer sur un directeur adjoint et doit consacrer 80 % de son temps à la partie bancaire. Le directeur adjoint doit se voir attribuer une responsabilité accrue et devenir « patron » au lieu de « chef ». Dans la situation actuelle, nous sommes face à des directeurs adjoints responsables mais pas coupables, qui ne sont pas les seuls à apporter du soutien. - Pour l'aider dans ses différentes entreprises, le manager peut s'appuyer sur des services fonctionnels ou « experts ». Ces derniers sont excellents dans « leur » domaine. Un déficit de sens provoque de graves dissonances. Il me semble que les objectifs quantitatifs et qualitatifs des bureaux doivent être partagés par les fonctionnels et les hiérarchiques. Là encore, on se trouve face à des services fonctionnels responsables mais pas coupables. Ce qui est nuisible à l'action, au sens donné au travail quotidien et peut obliger le manager à (re) négocier avec ses équipes pour apporter de la confiance. - Des limites à l'action apparaissent régulièrement dans le quotidien du directeur d'établissement. Jacques RAPOPORT, directeur général de l'Enseigne l'a clairement exprimé : il existe une forte défiance à La Poste. Cette défiance s'explique par un déficit de confiance. Le rôle du manager est là encore, de développer une forme de négociation quasi-quotidienne avec ses équipes. - L'appropriation est certainement un moyen efficace pour concentrer l'énergie vers des objectifs communs. C'est en accompagnant ses équipes au quotidien dans leurs actions que le manager peut donner du sens à l'action. En conclusion, ce mémoire montre que le passage à l'action est subordonné au fait de donner du sens au travail des collaborateurs. Entre la vision stratégique et les employés, le manager se situe donc au coeur des négociations qui conditionnent au quotidien le passage à l'action. Ce mémoire est issu d'observations et de questionnements sur le bureau de Poste de Cergy Grand Centre, elles-mêmes confrontées à une base théorique importante. Il me paraîtrait aujourd'hui intéressant de poursuivre cette étude dans des entreprises d'autres secteurs d'activités (avec ou sans notion de service public) pour mieux saisir la portée de nos conclusions. BIBLIOGRAPHIEAUTISSIER D. - MOUTOT JM. (2007), Méthode de Conduite du Changement : Diagnostic Accompagnement Pilotage, Paris, Dunod. BEAUD S. - WEBER F. (2003), Guide de l'enquête de terrain : produire et analyser des données ethnographiques, Paris, La découverte. BERTEAUX-WIAME I. - LINHART D. (2006), « Travail moderne, rien ne va plus : Les jeux sont défaits », Nouvelle Revue de Psychologie, n° 1 2006/1, p. 137 à 148. BIA FIGUEIREDO M. 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