Pr Brahim BRAHAMIA
Economiste De la santé
Directeur de recherche
Université de Constantine
E_mail :
brahamia@gmail.com
Tél/fax : 031 81 88 49.- 062 86 66 37
Les économies des pays africains minées
par le SIDA.
Le SIDA constitue un cas d'urgence mondiale
particulièrement pour les pays de l'Afrique Subsaharienne où le
nombre de personnes affectées dépasse les 25 millions. Depuis le
début de la pandémie cette région a enregistré la
mort de 12 millions d'individus.
L'épidémie constitue non seulement un grave
problème de santé pour le continent mais représente une
menace sérieuse pour l'économie des pays touchés, qui se
trouvent ainsi piégés dans leur élan de
développement amorcé au début des années
soixante-dix. Malades ou décédées, les ressources humaines
sur lesquelles reposent les économies africaines sont
sérieusement atteintes. Les maigres progrès sur le plan
économique enregistrés jadis, grâce à des sacrifices
et des privations, risquent d'être anéantis à cause de
l'épidémie qui ne cesse de s'étendre.
Faut-il rappeler que la relation entre économie et
santé est tout à fait évidente, dans la mesure où
il existe entre elles une influence réciproque. Une main d'oeuvre en
bonne santé est plus productive et contribue à la croissance
économique.
L'amélioration de la santé contribue
indirectement à rehausser le revenu par habitant. L'accroissement de
l'espérance de vie à la naissance confère par
conséquent une vie active plus longue et une incitation à
l'épargne pour la retraite ; un effet cumulatif sur
l'épargne nationale s'enclenche et entraîne la stimulation des
taux d'investissement et de croissance économique.
Les enfants en bonne santé fréquentent
l'école et peuvent atteindre des niveaux d'instruction plus
élevés. L'investissement dans l'enseignement est alors
perçu comme étant plus rentable pour les pouvoirs publics si les
habitants ont une meilleure longévité. L'augmentation des
années de vie en bonne santé constitue un accroissement du
potentiel productif de l'économie. Il a été
constaté qu'une année de vie supplémentaire en bonne
santé relève le revenu par habitant de près de 4 %,
d'après Canning et Sevilla (U.S.A.). En revanche, les
décès prématurés - c'est - à dire s'il
surviennent avant la fin de l'âge actif qui est situé au voisinage
de 65 - 70 ans - privent l'économie de son potentiel productif.
Le VIH/SIDA qui frappe les économies des pays pauvres
constitue véritablement un frein au développement, dans la mesure
où il est à proprement parler en train de décimer les
forces vives de ces pays particulièrement ceux des pays de l'Afrique
subsaharienne. Cette épidémie ne constitue pas seulement un
problème majeur de santé publique : il s'agit
véritablement « d'une grande menace qui pèse sur le
développement et la société humaine ».
Le coût direct du sida consiste en la perte de revenus
du fait des décès ou de la perte de l'emploi conséquence
de l'invalidité due à la maladie. Les dépenses de
santé augmentent et inversement l'épargne des ménages
décline. Les ménages se trouvent ruinés par les
dépenses catastrophiques induites par la prise en charge d'un ou
plusieurs membres de la famille malades.
Le SIDA s'attaque aux fondements de la société
elle-même, les femmes et soutiens de famille. Les orphelins se comptent
par millions en Afrique ; de ce fait l'action de la pandémie est
pernicieuse puisqu'elle mine la société et l'avenir de
générations si elle persiste dans son extension. Les
progrès accomplis en Afrique, dans le domaine de l'éducation sont
annihilés et ceux enregistrés naguère dans la
longévité s'estompent . Les enfants malades ou orphelins ne
pourront ni fréquenter l'école ni achever leur formation. Une
étude effectuée au Zimbabwe révèle qu'aucun des
orphelins du sida travaillant dans l'agriculture n'a accédé
à l'enseignement secondaire. Dans certains pays africains la
probabilité de mourir du sida à l'âge de 15 ans est de 50
% ; la croissance démographique sera négative notamment au
Zimbabwe et en Afrique du Sud dans une quinzaine d'années.
D'après certaines estimations, l'espérance de
vie au Botswana risque d'être réduite de moitié. Selon les
projections, une personne sur neuf serait séropositive en Afrique du
Sud, pays considéré avant la pandémie comme étant
le leader des économies africaines.
L'impact du VIH/sida se fait déjà sentir sur le
lieu de travail : à titre d'exemple, en Zambie une banque
commerciale de renom a perdu du fait du sida la plupart de ses cadres parmi les
meilleurs.
Les entreprises perdent leur efficacité dans la mesure
où les employés sont soit souffrants soit souvent absents pour
s'occuper d'un parent ou d'un proche malade. Les entreprises perdent les
travailleurs les plus expérimentés ou les plus qualifiés.
Au Malawi, le sida est considéré comme l'une des
causes principales du doublement de la mortalité chez les travailleurs
de l'agriculture.
Des études effectuées au Zimbabwe ont mis en
évidence l'impact du décès d'un adulte sur la
réduction de la production agricole : la baisse de la production
agricole est estimée ainsi à 61 % dans le cas du maïs ,
à 48 % pour le cas des légumes, et à 37 % pour ce qui est
des arachides. Les habitants sont ruinés : ils vendent leur
bétail pour les soins ou les obsèques.
En Zambie la fréquence des pannes de courant
électrique relève du nombre insuffisant des ingénieurs
chargés de la maintenance des équipements.
Des données empiriques révèlent que les
entreprises aujourd'hui préfèrent former plusieurs
employés pour un seul poste - pour palier la forte mortalité due
au sida - étant convaincues qu'à la fin un seul survivra à
la maladie.
Le renouvellement du personnel s'accélère
entraînant l'accroissement du coût de la main d'oeuvre, dont la
productivité décroît. Il devient de plus en plus difficile
de recruter des employés qualifiés en remplacement de ceux
décédés prématurément et ceux
frappés par la pandémie.
« De façon plus insidieuse, le sida sape le
moral de la population, affaiblit la confiance en l'avenir, ce qui a pour effet
de réduire davantage la productivité et de freiner
l'épargne et l'investissement » (Afrique Relance de juin
2001).
Sur le plan démographique, la population active de
certains pays d'Afrique risque d'être amputée du tiers des
effectifs dans près de quinze ans.
Décroissance de la population active due au
VIH/sida
En Afrique australe (%)
|
2005
|
2020
|
Afrique du Sud
|
- 10,8
|
-24,9
|
Botswana
|
- 17,2
|
- 30,8
|
Lesotho
|
- 4,8
|
- 10,6
|
Malawi
|
- 10,7
|
- 16,0
|
Mozambique
|
- 9,0
|
- 24,9
|
Namibie
|
- 12,8
|
- 35,1
|
Tanzanie
|
- 9,1
|
- 14,6
|
Zimbabwe
|
- 19,7
|
- 29,4
|
Source : ONU Afrique
Relance, d'après les données
de l'OIT et la de
Division de la population de l'ONU.
Au niveau macroéconomique le sida déstabilise
les économies des pays africains et freine la croissance. Dans certains
pays la croissance du PIB par habitant devient négative. Selon certaines
études, elle chute de près de 2,6 % par année dans un pays
où la prévalence du VIH/sida atteint les 20 %. A titre l'exemple,
le PIB de l'Afrique du Sud, qui est aujourd'hui de l'ordre de 40 % de
l'ensemble des pays de l'Afrique Subsaharienne, sera réduit de 17 %
d'ici le début de la prochaine décennie à cause du sida.
L'impact du VIH/sida sur le secteur industriel entraîne
de nombreux effets négatifs, comme on peut l'observer sur le
schéma suivant :
Impact du VIH/sida sur le secteur de
l'industrie :
Baisse
de moral
Perte
de connais-
sances tacites
Perte
de compétences
Augmentation de la rotation du personnel
Augmentation de l'absentéisme
Assurance
VIH/sida lors du recrutement
Augmentation de la demande de formation et de recrutement
Fonds de retraite
Santé et sécurité
Réduction des investissements étrangers.
Déclin du capital intellectuel
Diminution des marchés de la main d'oeuvre et des
fournisseurs
Assistance médicale
Coût des obsèques
Diminution des réinvestis-sements
Diminution de la fiabilité
Diminution des bénéfices
Diminution de la productivité
Coût des obsèques
Source : ONUSIDA, 2002.
La situation est si grave pour la santé et la survie
des habitants de l'Afrique où le VIH/sida constitue une menace
très sérieuse aussi bien au plan démographique qu'au plan
économique.
Rappelons à ce titre l'intervention du Conseil de
Sécurité de l'ONU qui en Janvier 2000 s'est saisi pour la
première fois de son existence d'un problème de santé
publique.
Qu'en est-il de la longévité ? Les gains
accumulés depuis les indépendances sont compromis à cause
du VIH/sida.
Evolution de l'espérance de vie à la
naissance pour quelques pays africains.
Pays
|
Espérance de vie 1970
|
Espérance de vie en 1993
(a)
|
Espérance de vie en 2004
(b)
|
Ecart (a - b)
|
Espérance de vie inférieure à celle de
1970
|
Mozambique
|
40
|
48
|
42
|
- 6
|
**
|
Tanzanie
|
48
|
53
|
46
|
- 7
|
*
|
Ouganda
|
50
|
52
|
48
|
-4
|
*
|
Malawi
|
41
|
54
|
40
|
-14
|
*
|
Mali
|
37
|
48
|
48
|
0
|
|
Nigeria
|
42
|
52
|
43
|
-9
|
**
|
Zambie
|
49
|
49
|
38
|
-11
|
*
|
Zimbabwe
|
55
|
54
|
37
|
-17
|
*
|
Côte d'Ivoire
|
49
|
52
|
46
|
-6
|
*
|
Swaziland
|
48
|
58
|
31
|
-27
|
*
|
Guinée Bissau
|
38
|
46
|
45
|
-1
|
|
Afrique du Sud
|
53
|
63
|
47
|
-16
|
*
|
Algérie1(*)
|
53
|
67
|
71
|
+ 4
|
|
Source : Banque Mondial, Rapport sur le
développement dans le monde, 1995, Washington, D.C.
Unicef, La situation des enfants dans le monde, 2006, Unicef,
2005. New York.
*Espérance de vie en 2004 inférieure à
celle de 1970
**Espérance de vie en 2004 comparable à
celle de 1970.
Qu'on juge de la gravité de la question : dans
certains villages d'Afrique près du tiers des enseignants sont morts du
sida.
Une étude récente de L'UNICEF décline un
scénario alarmant, dans la mesure où le système
éducatif dans le long terme risque d'être
déstructuré : « Si le sida continue de sévir,
les écoles n'auront plus ni directeurs, ni inspecteurs ».
Dans la plupart des pays africains à faible revenu les
fonds consacrés à l'approvisionnement en médicaments
représentent déjà plus de 30 % du budget alloué
à la santé, lui-même insuffisant. Ces pays sont
dépendants du marché mondial du médicament en raison de
l'absence d'industrie pharmaceutique locale. Vu les coûts
élevés, l'accès au traitement anti VIH/sida devient
prohibitif pour les habitants démunis. Partant, au niveau mondial,
seulement une personne infectée sur cinq bénéficie d'un
traitement antirétroviral. 2(*)
Faut-il souligner que l'épidémie progresse dans
un grand nombre de pays africains ; les données de l'année
2005 sont inquiétantes :
Taux de prévalences du VIH dans la classe
d'âge 15-49 ans
dans certains pays africains en 2005
Pays
|
Taux de prévalence
|
Hommes
|
Femmes
|
Mozambique
|
13.0
|
19.2
|
Tanzanie
|
5.8
|
7.1
|
Ouganda
|
5.6
|
7.7
|
Malawi
|
11.5
|
16.5
|
Mali
|
1.4
|
2.1
|
Nigeria
|
3.0
|
4.7
|
Zambie
|
14.0
|
20.0
|
Zimbabwe
|
15.6
|
25.0
|
Côte d'Ivoire
|
5.6
|
8.5
|
Swaziland
|
26.7
|
40.0
|
Guinée Bissau
|
3.1
|
4.5
|
Afrique du Sud
|
15.0
|
22.5
|
Source : ONUSIDA, 2006,
cité in UNFPA, Etat de la
population mondiale 2006.
L'accès à la thérapie contre le VIH/sida
est entravé par les prix prohibitifs du traitement d'un
côté et de l'autre côté par la réglementation
de l'OMC à propos des ADPIC (accords sur les droits de la
propriété intellectuelle et commerciale). Les laboratoires
pharmaceutiques des pays industriels veulent maintenir leur position de
monopole dans la production et la commercialisation des médicaments,
notamment ceux de la trithérapie du sida. Les accords de l'OMC imposent
de fortes restrictions à l'importation comme à la fabrication de
génériques par les pays en développement, malgré
l'urgence sanitaire plus qu'alarmante due au VIH/sida.
« Comment justifier que des impératifs
commerciaux persistent à interdire aux pays du Sud de se procurer des
médicaments ? En dépit de la promesse faite par l'OMC
à Doha, en novembre 2001, les multinationales pharmaceutiques du Nord
livrent une guerre mondiale aux pauvres. Avec la complicité, notamment,
des Etats-Unis et de l'Union européenne. »3(*)
Observons ci-après la différence de
prix :
Comparaison des prix dans les pays
à forte protection de brevet (USA,
R.U.)
et ceux à faible protection (Brésil et
Inde)
écart allant jusqu'à 4000 %.
($ Mai 2003)
Laboratoire d'origine dans un pays industrialisé :
10439
Laboratoire brésilien
2.767
Laboratoire indien A
350
Laboratoire indien B
201
Médicaments : Stavudine +lamivudine +
nevirapine
Source :
http://www.accessmed-msf.org/documents/untangling4thapril2003.pdf.
L'Afrique dispose de ressources naturelles encore abondantes
mais qui demeurent sous-exploitées. Un rapport du Programme des Nations
Unies pour l'Environnement rappelle même que « L'Afrique est
un géant minier , qui produit 80 % du platine mondial, 40 % des
diamants dans le monde et plus d'un cinquième de l'or et du
cobalt ».4(*)
Cependant le même rapport ne cite pas les
répercussions économiques du sida dans le continent noire, qui a
fait des millions d'orphelins qui n'aspirent plus qu'à subsister loin de
l'école, qu'ils n'ont ni les moyens de la fréquenter ni de
poursuivre leurs études : 9 % des enfants de moins de 15 ans en
Afrique ont perdu un parent ou les deux. Les forces vives de l'économie
sont en proie à la maladie, à l'ignorance et à la
misère. Si elles arrivent à survivre elles sont par
conséquents sous-qualifiées et ne peuvent servir efficacement
l'économie nationale.
Conclusion
Nous allons conclure toutefois sur une note d'espoir : le
rapport d'ONUSIDA de 2006 révèle que certains objectifs que
s'était tracés la Communauté internationale ont
été atteints ; les fonds rassemblés par la
communauté internationale, consacrés à la lutte contre la
pandémie, ont atteint en 2005 un montant de 8,3 milliards de dollars.
Faut-il souligner que les besoins de financement pour l'année 2007 sont
de loin plus élevés : 17 milliards de dollars. Dans les pays
à faible ou moyen revenu la proportion des individus
âgés entre 15 et 24 ans infectés par le VIH a
baissé de 25 % dans les pays les plus touchés. 50 % des personnes
infectées bénéficient d'une thérapie
antirétrovirale. La couverture des femmes enceintes
séropositives, par la prophylaxie antirétrovirale, a
été étendue à 80 %.5(*)
En Afrique Subsaharienne, région la plus touchée
par l'épidémie du sida, les données indiquent que
l'incidence a atteint son point culminant dans la plupart des pays. Dans deux
pays on commence à observer une baisse tendancielle de l'incidence au
niveau national (Zimbabwe, Kenya), à l'instar d'autres pays de l'Asie
(quatre états en Inde,et le Cambodge, la Thaïlande), baisse
favorisée par les changements intervenus dans les comportements des
personnes. Dans les autres pays la plupart des épidémies semblent
se stabiliser, cependant à des niveaux alarmants. En Afrique du Sud, -
pays le plus gravement atteint - l'épidémie ne montre cependant
aucun signe d'essoufflement.
L'Afrique qui a subit les affres du colonialisme hier,
risque aujourd'hui un déclin économique certain, non pas à
cause de l'absence de technologie et ou par manque de capitaux, mais par la
perte inexorable de ses ressources humaines, clé de voûte du
développement.
Références bibliographiques
International Monetary Fund, Finance and Development,
Washington, March, 2OO4.
L'Observateur de l'OCDE, Synthèses, Santé et
pauvreté dans les pays en développement, Avril 2004.
ONUSIDA, Collection Meilleures pratiques de l'ONUSIDA, Le
VIH/SIDA sur le lieu du travail, Juillet, 1998.
ONUSIDA, Minist7re français des Affaires
Etrangères, Améliorer l'accès aux soins dans les pays en
développement, Rapport, juin 2003. Genève.
OMC - OMS, Les accords de l'Organisation Mondiale du Commerce
et la Santé publique, 2002.
ONUSIDA, 6e Rapport sur l'épidémie
mondiale du SIDA, 2006, Edition spéciale, 10e anniversaire,
Genève ;
www.unaids.org
FIGUERAS, Josep et all. Health systmes in transition, learning
from experience, European Observatory on Health Systems and Policies, OCDE,
2004
UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006, UNICEF,
New York, 2005.
JAMISON, Dean, and all., Priorities in Health, The World Bank,
Washington, D.C., 2006
LESOURD, Michel et all. La santé en Afrique, un
continent deux mondes, - extrait de l'ouvrage : L'Afrique,
vulnérabilité et défis, Editions du Temps, Nantes,
2003.
Afrique Relance, Le coût économique et social du
SIDA, La lutte contre le SIDA en Afrique, Juin, 2001.
* 1 L'Algérie est
citée seulement à titre de comparaison.
* 2 ONUSIDA, op.cit.
* 3 Le Monde diplomatique, Mars
2003, p. 28 et 29.
* 4 PNUE, La richesse naturelle
de l'Afrique, clé de ses perspectives économiques,
http://www.unep.org/Documents.multilingual/Default.asp?.....
* 5 ONUSIDA, Rapport sur
l'épidémie mondiale du SIDA, résumé d'orientation.
2006. Genève.
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