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le SIDA mine les économies africaines

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par Brahim Brahamia
Université Mentouri - Constantine - Algérie - Doctorat d'Etat en sciences économiques 1991
  

Disponible en mode multipage

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Pr Brahim BRAHAMIA

Economiste De la santé

Directeur de recherche

Université de Constantine

E_mail : brahamia@gmail.com

Tél/fax : 031 81 88 49.- 062 86 66 37

Les économies des pays africains minées par le SIDA.

Le SIDA constitue un cas d'urgence mondiale particulièrement pour les pays de l'Afrique Subsaharienne où le nombre de personnes affectées dépasse les 25 millions. Depuis le début de la pandémie cette région a enregistré la mort de 12 millions d'individus.

L'épidémie constitue non seulement un grave problème de santé pour le continent mais représente une menace sérieuse pour l'économie des pays touchés, qui se trouvent ainsi piégés dans leur élan de développement amorcé au début des années soixante-dix. Malades ou décédées, les ressources humaines sur lesquelles reposent les économies africaines sont sérieusement atteintes. Les maigres progrès sur le plan économique enregistrés jadis, grâce à des sacrifices et des privations, risquent d'être anéantis à cause de l'épidémie qui ne cesse de s'étendre.

Faut-il rappeler que la relation entre économie et santé est tout à fait évidente, dans la mesure où il existe entre elles une influence réciproque. Une main d'oeuvre en bonne santé est plus productive et contribue à la croissance économique.

L'amélioration de la santé contribue indirectement à rehausser le revenu par habitant. L'accroissement de l'espérance de vie à la naissance confère par conséquent une vie active plus longue et une incitation à l'épargne pour la retraite ; un effet cumulatif sur l'épargne nationale s'enclenche et entraîne la stimulation des taux d'investissement et de croissance économique.

Les enfants en bonne santé fréquentent l'école et peuvent atteindre des niveaux d'instruction plus élevés. L'investissement dans l'enseignement est alors perçu comme étant plus rentable pour les pouvoirs publics si les habitants ont une meilleure longévité. L'augmentation des années de vie en bonne santé constitue un accroissement du potentiel productif de l'économie. Il a été constaté qu'une année de vie supplémentaire en bonne santé relève le revenu par habitant de près de 4 %, d'après Canning et Sevilla (U.S.A.). En revanche, les décès prématurés - c'est - à dire s'il surviennent avant la fin de l'âge actif qui est situé au voisinage de 65 - 70 ans - privent l'économie de son potentiel productif.

Le VIH/SIDA qui frappe les économies des pays pauvres constitue véritablement un frein au développement, dans la mesure où il est à proprement parler en train de décimer les forces vives de ces pays particulièrement ceux des pays de l'Afrique subsaharienne. Cette épidémie ne constitue pas seulement un problème majeur de santé publique : il s'agit véritablement « d'une grande menace qui pèse sur le développement et la société humaine ».

Le coût direct du sida consiste en la perte de revenus du fait des décès ou de la perte de l'emploi conséquence de l'invalidité due à la maladie. Les dépenses de santé augmentent et inversement l'épargne des ménages décline. Les ménages se trouvent ruinés par les dépenses catastrophiques induites par la prise en charge d'un ou plusieurs membres de la famille malades.

Le SIDA s'attaque aux fondements de la société elle-même, les femmes et soutiens de famille. Les orphelins se comptent par millions en Afrique ; de ce fait l'action de la pandémie est pernicieuse puisqu'elle mine la société et l'avenir de générations si elle persiste dans son extension. Les progrès accomplis en Afrique, dans le domaine de l'éducation sont annihilés et ceux enregistrés naguère dans la longévité s'estompent . Les enfants malades ou orphelins ne pourront ni fréquenter l'école ni achever leur formation. Une étude effectuée au Zimbabwe révèle qu'aucun des orphelins du sida travaillant dans l'agriculture n'a accédé à l'enseignement secondaire. Dans certains pays africains la probabilité de mourir du sida à l'âge de 15 ans est de 50 % ; la croissance démographique sera négative notamment au Zimbabwe et en Afrique du Sud dans une quinzaine d'années.

D'après certaines estimations, l'espérance de vie au Botswana risque d'être réduite de moitié. Selon les projections, une personne sur neuf serait séropositive en Afrique du Sud, pays considéré avant la pandémie comme étant le leader des économies africaines.

L'impact du VIH/sida se fait déjà sentir sur le lieu de travail : à titre d'exemple, en Zambie une banque commerciale de renom a perdu du fait du sida la plupart de ses cadres parmi les meilleurs.

Les entreprises perdent leur efficacité dans la mesure où les employés sont soit souffrants soit souvent absents pour s'occuper d'un parent ou d'un proche malade. Les entreprises perdent les travailleurs les plus expérimentés ou les plus qualifiés.

Au Malawi, le sida est considéré comme l'une des causes principales du doublement de la mortalité chez les travailleurs de l'agriculture.

Des études effectuées au Zimbabwe ont mis en évidence l'impact du décès d'un adulte sur la réduction de la production agricole : la baisse de la production agricole est estimée ainsi à 61 % dans le cas du maïs , à 48 % pour le cas des légumes, et à 37 % pour ce qui est des arachides. Les habitants sont ruinés : ils vendent leur bétail pour les soins ou les obsèques.

En Zambie la fréquence des pannes de courant électrique relève du nombre insuffisant des ingénieurs chargés de la maintenance des équipements.

Des données empiriques révèlent que les entreprises aujourd'hui préfèrent former plusieurs employés pour un seul poste - pour palier la forte mortalité due au sida - étant convaincues qu'à la fin un seul survivra à la maladie.

Le renouvellement du personnel s'accélère entraînant l'accroissement du coût de la main d'oeuvre, dont la productivité décroît. Il devient de plus en plus difficile de recruter des employés qualifiés en remplacement de ceux décédés prématurément et ceux frappés par la pandémie.

« De façon plus insidieuse, le sida sape le moral de la population, affaiblit la confiance en l'avenir, ce qui a pour effet de réduire davantage la productivité et de freiner l'épargne et l'investissement » (Afrique Relance de juin 2001).

Sur le plan démographique, la population active de certains pays d'Afrique risque d'être amputée du tiers des effectifs dans près de quinze ans.

Décroissance de la population active due au VIH/sida

En Afrique australe (%)

 

2005

2020

Afrique du Sud

- 10,8

-24,9

Botswana

- 17,2

- 30,8

Lesotho

- 4,8

- 10,6

Malawi

- 10,7

- 16,0

Mozambique

- 9,0

- 24,9

Namibie

- 12,8

- 35,1

Tanzanie

- 9,1

- 14,6

Zimbabwe

- 19,7

- 29,4

Source : ONU Afrique Relance, d'après les données

de l'OIT et la de Division de la population de l'ONU.

Au niveau macroéconomique le sida déstabilise les économies des pays africains et freine la croissance. Dans certains pays la croissance du PIB par habitant devient négative. Selon certaines études, elle chute de près de 2,6 % par année dans un pays où la prévalence du VIH/sida atteint les 20 %. A titre l'exemple, le PIB de l'Afrique du Sud, qui est aujourd'hui de l'ordre de 40 % de l'ensemble des pays de l'Afrique Subsaharienne, sera réduit de 17 % d'ici le début de la prochaine décennie à cause du sida.

L'impact du VIH/sida sur le secteur industriel entraîne de nombreux effets négatifs, comme on peut l'observer sur le schéma suivant :

Impact du VIH/sida sur le secteur de l'industrie :

Baisse

de moral

Perte

de connais-

sances tacites

Perte

de compétences

Augmentation de la rotation du personnel

Augmentation de l'absentéisme

Assurance

VIH/sida lors du recrutement

Augmentation de la demande de formation et de recrutement

Fonds de retraite

Santé et sécurité

Réduction des investissements étrangers.

Déclin du capital intellectuel

Diminution des marchés de la main d'oeuvre et des fournisseurs

Assistance médicale

Coût des obsèques

Diminution des réinvestis-sements

Diminution de la fiabilité

Diminution des bénéfices

Diminution de la productivité

Coût des obsèques

Source : ONUSIDA, 2002.

La situation est si grave pour la santé et la survie des habitants de l'Afrique où le VIH/sida constitue une menace très sérieuse aussi bien au plan démographique qu'au plan économique.

Rappelons à ce titre l'intervention du Conseil de Sécurité de l'ONU qui en Janvier 2000 s'est saisi pour la première fois de son existence d'un problème de santé publique.

Qu'en est-il de la longévité ? Les gains accumulés depuis les indépendances sont compromis à cause du VIH/sida.

Evolution de l'espérance de vie à la naissance pour quelques pays africains.

Pays

Espérance de vie 1970

Espérance de vie en 1993

(a)

Espérance de vie en 2004

(b)

Ecart (a - b)

Espérance de vie inférieure à celle de 1970

Mozambique

40

48

42

- 6

**

Tanzanie

48

53

46

- 7

*

Ouganda

50

52

48

-4

*

Malawi

41

54

40

-14

*

Mali

37

48

48

0

 

Nigeria

42

52

43

-9

**

Zambie

49

49

38

-11

*

Zimbabwe

55

54

37

-17

*

Côte d'Ivoire

49

52

46

-6

*

Swaziland

48

58

31

-27

*

Guinée Bissau

38

46

45

-1

 

Afrique du Sud

53

63

47

-16

*

Algérie1(*)

53

67

71

+ 4

 

Source : Banque Mondial, Rapport sur le développement dans le monde, 1995, Washington, D.C.

Unicef, La situation des enfants dans le monde, 2006, Unicef, 2005. New York.

*Espérance de vie en 2004 inférieure à celle de 1970

**Espérance de vie en 2004 comparable à celle de 1970.

Qu'on juge de la gravité de la question : dans certains villages d'Afrique près du tiers des enseignants sont morts du sida.

Une étude récente de L'UNICEF décline un scénario alarmant, dans la mesure où le système éducatif dans le long terme risque d'être déstructuré : « Si le sida continue de sévir, les écoles n'auront plus ni directeurs, ni inspecteurs ».

Dans la plupart des pays africains à faible revenu les fonds consacrés à l'approvisionnement en médicaments représentent déjà plus de 30 % du budget alloué à la santé, lui-même insuffisant. Ces pays sont dépendants du marché mondial du médicament en raison de l'absence d'industrie pharmaceutique locale. Vu les coûts élevés, l'accès au traitement anti VIH/sida devient prohibitif pour les habitants démunis. Partant, au niveau mondial, seulement une personne infectée sur cinq bénéficie d'un traitement antirétroviral. 2(*)

Faut-il souligner que l'épidémie progresse dans un grand nombre de pays africains ; les données de l'année 2005 sont inquiétantes :

Taux de prévalences du VIH dans la classe d'âge 15-49 ans

dans certains pays africains en 2005

Pays

Taux de prévalence

Hommes

Femmes

Mozambique

13.0

19.2

Tanzanie

5.8

7.1

Ouganda

5.6

7.7

Malawi

11.5

16.5

Mali

1.4

2.1

Nigeria

3.0

4.7

Zambie

14.0

20.0

Zimbabwe

15.6

25.0

Côte d'Ivoire

5.6

8.5

Swaziland

26.7

40.0

Guinée Bissau

3.1

4.5

Afrique du Sud

15.0

22.5

Source : ONUSIDA, 2006, cité in UNFPA, Etat de la

population mondiale 2006.

L'accès à la thérapie contre le VIH/sida est entravé par les prix prohibitifs du traitement d'un côté et de l'autre côté par la réglementation de l'OMC à propos des ADPIC (accords sur les droits de la propriété intellectuelle et commerciale). Les laboratoires pharmaceutiques des pays industriels veulent maintenir leur position de monopole dans la production et la commercialisation des médicaments, notamment ceux de la trithérapie du sida. Les accords de l'OMC imposent de fortes restrictions à l'importation comme à la fabrication de génériques par les pays en développement, malgré l'urgence sanitaire plus qu'alarmante due au VIH/sida.

« Comment justifier que des impératifs commerciaux persistent à interdire aux pays du Sud de se procurer des médicaments ? En dépit de la promesse faite par l'OMC à Doha, en novembre 2001, les multinationales pharmaceutiques du Nord livrent une guerre mondiale aux pauvres. Avec la complicité, notamment, des Etats-Unis et de l'Union européenne. »3(*)

Observons ci-après la différence de prix :

Comparaison des prix dans les pays

à forte protection de brevet (USA, R.U.)

et ceux à faible protection (Brésil et Inde)

écart allant jusqu'à 4000 %.

($ Mai 2003)

Laboratoire d'origine dans un pays industrialisé : 10439

Laboratoire brésilien 2.767

Laboratoire indien A 350

Laboratoire indien B 201

Médicaments : Stavudine +lamivudine + nevirapine

Source : http://www.accessmed-msf.org/documents/untangling4thapril2003.pdf.

L'Afrique dispose de ressources naturelles encore abondantes mais qui demeurent sous-exploitées. Un rapport du Programme des Nations Unies pour l'Environnement rappelle même que « L'Afrique est un géant minier , qui produit 80 % du platine mondial, 40 % des diamants dans le monde et plus d'un cinquième de l'or et du cobalt ».4(*)

Cependant le même rapport ne cite pas les répercussions économiques du sida dans le continent noire, qui a fait des millions d'orphelins qui n'aspirent plus qu'à subsister loin de l'école, qu'ils n'ont ni les moyens de la fréquenter ni de poursuivre leurs études : 9 % des enfants de moins de 15 ans en Afrique ont perdu un parent ou les deux. Les forces vives de l'économie sont en proie à la maladie, à l'ignorance et à la misère. Si elles arrivent à survivre elles sont par conséquents sous-qualifiées et ne peuvent servir efficacement l'économie nationale.

Conclusion

Nous allons conclure toutefois sur une note d'espoir : le rapport d'ONUSIDA de 2006 révèle que certains objectifs que s'était tracés la Communauté internationale ont été atteints ; les fonds rassemblés par la communauté internationale, consacrés à la lutte contre la pandémie, ont atteint en 2005 un montant de 8,3 milliards de dollars. Faut-il souligner que les besoins de financement pour l'année 2007 sont de loin plus élevés : 17 milliards de dollars. Dans les pays à faible ou moyen revenu  la proportion des individus âgés entre 15 et 24 ans infectés par le VIH a baissé de 25 % dans les pays les plus touchés. 50 % des personnes infectées bénéficient d'une thérapie antirétrovirale. La couverture des femmes enceintes séropositives, par la prophylaxie antirétrovirale, a été étendue à 80 %.5(*)

En Afrique Subsaharienne, région la plus touchée par l'épidémie du sida, les données indiquent que l'incidence a atteint son point culminant dans la plupart des pays. Dans deux pays on commence à observer une baisse tendancielle de l'incidence au niveau national (Zimbabwe, Kenya), à l'instar d'autres pays de l'Asie (quatre états en Inde,et le Cambodge, la Thaïlande), baisse favorisée par les changements intervenus dans les comportements des personnes. Dans les autres pays la plupart des épidémies semblent se stabiliser, cependant à des niveaux alarmants. En Afrique du Sud, - pays le plus gravement atteint - l'épidémie ne montre cependant aucun signe d'essoufflement.

L'Afrique qui a subit les affres du colonialisme hier, risque aujourd'hui un déclin économique certain, non pas à cause de l'absence de technologie et ou par manque de capitaux, mais par la perte inexorable de ses ressources humaines, clé de voûte du développement.

Références bibliographiques

International Monetary Fund, Finance and Development, Washington, March, 2OO4.

L'Observateur de l'OCDE, Synthèses, Santé et pauvreté dans les pays en développement, Avril 2004.

ONUSIDA, Collection Meilleures pratiques de l'ONUSIDA, Le VIH/SIDA sur le lieu du travail, Juillet, 1998.

ONUSIDA, Minist7re français des Affaires Etrangères, Améliorer l'accès aux soins dans les pays en développement, Rapport, juin 2003. Genève.

OMC - OMS, Les accords de l'Organisation Mondiale du Commerce et la Santé publique, 2002.

ONUSIDA, 6e Rapport sur l'épidémie mondiale du SIDA, 2006, Edition spéciale, 10e anniversaire, Genève ; www.unaids.org

FIGUERAS, Josep et all. Health systmes in transition, learning from experience, European Observatory on Health Systems and Policies, OCDE, 2004

UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006, UNICEF, New York, 2005.

JAMISON, Dean, and all., Priorities in Health, The World Bank, Washington, D.C., 2006

LESOURD, Michel et all. La santé en Afrique, un continent deux mondes, - extrait de l'ouvrage : L'Afrique, vulnérabilité et défis, Editions du Temps, Nantes, 2003.

Afrique Relance, Le coût économique et social du SIDA, La lutte contre le SIDA en Afrique, Juin, 2001.

* 1 L'Algérie est citée seulement à titre de comparaison.

* 2 ONUSIDA, op.cit.

* 3 Le Monde diplomatique, Mars 2003, p. 28 et 29.

* 4 PNUE, La richesse naturelle de l'Afrique, clé de ses perspectives économiques, http://www.unep.org/Documents.multilingual/Default.asp?.....

* 5 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale du SIDA, résumé d'orientation. 2006. Genève.






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote