INSTITUT DE THEOLOGIE DE LA COMPAGNIE DE JESUS
Abidjan - RCI
JOB EN QUETE DE CONSOLATION :
UN MODELE D'ESPERANCE POUR LES VICTIMES DU SIDA
(Job 19,25)
Auteur :
Directeur :
OUEDRAOGO Wendegoudi Yves
Prof. Chukwuemeka Orji, s.j.
Année Académique 2006-2007
Introduction
Ø Notre point de départ
Dans la solitude de leur angoisse, dans
l'incompréhension du sort qui s'abat sur eux, les sidéens sont
nombreux aujourd'hui à endurer l'atrocité incommunicable du drame
du Sida. Coupables ou victimes, ils sont déroutés et ne
comprennent pas le malheur qui leur arrive. Pour tous ceux-là, nous
prenons Job à témoin. Déconcertés comme lui, ils
sont accablés comme lui. Et comme lui, ils quêtent un soulagement
à leur épreuve.
Ø La problématique
Au coeur de cette souffrance invincible, des questions se
posent inévitablement : pourquoi Dieu a-t-il permis cela ? Y
a-t-il encore des rayons d'espoir et de consolation en faveur des
Sidéens ? Ont-ils des raisons d'espérer une possible
réhabilitation au même titre que Job ? Dans quelle mesure
peuvent-ils vivre ce tourment sans perdre le sens de la vie ? Quelles
justes attitudes adopter envers ces malades ? Quelles leçons de
courage et d'espérance l'expérience de Job nous
offre-t-elle ?
Ce sont ces questions au coeur de l'absurde que nous
désirons explorer dans cet essai. En retraçant
l'itinéraire de Job, nous nous promettons de découvrir, à
travers son expérience et ses attitudes, des repères utiles aux
malades sidéens désorientés par le mystère de la
souffrance.
Ø Méthode et démarche
Pour élucider ces questions de fond, nous
procéderons de la manière suivante : Nous
interpréterons d'abord l'épreuve de la
déchéance que traversent les Sidéens aujourd'hui,
en lien avec le malheur de Job (I). Ensuite, nous dénoncerons les
justifications erronées des amis de Job qui mettent à
l'épreuve sa quête de consolation. Cette analyse
sera mise en rapport avec nos attitudes souvent incongrues qui, au lieu de
consoler, ne font qu'aggraver les souffrances et l'accablement des malades du
VIH/Sida (II). Enfin, nous explorons l'horizon d'une vraie
théologie de la maladie capable de soulager et d'aider les
malades à assumer dignement leur souffrance et à
redécouvrir le sens de la vie à la manière de Job (III).
I. L'Epreuve de la
déchéance : estime perdue et légitime révolte
face une souffrance incomprise
1. Job et les douloureuses
déchéances des Sidéens
Le livre de Job met en scène le dilemme d'un homme
prospère et fidèle fervent, dont la vie se
désagrège subitement et fatalement. Job est présent parmi
nous dans les personnes porteuses du VIH/Sida qui subissent dans le silence la
dure épreuve de la maladie, de la déchéance et du tourment
de la mort.
a. L'épreuve de la
maladie. Job 2, 7-8
La souffrance n'est pas une idée, elle est
l'épreuve même dans sa concrétude. Le Sida en est une des
manifestations les plus cruelles. Comme la lèpre de Job, le Sida ronge
et enlaidit le corps de ses victimes : la force se déprime, la
tristesse inhibe toute expression de bonheur, la faiblesse existentielle arrive
à son comble. Jean-Claude LARCHET décrit cette
déchéance en ces termes: « In the corruption and
suffering of the body, one experiences the weakness of one earthly being, the
ephemeral character of one's existence in this world, and, generally speaking,
one's fragility, inadequacy, contingency and personal
limits »1(*).
Cette expérience éprouvante a été assumée
par Job lorsque, après avoir perdu ses biens et ses enfants, il est
frappé par une lèpre sévère. Il préfigure en
quelque sorte les patients du VIH/Sida, défigurés par multiples
infections. Nul ne peut résister à l'effet de pitié et de
révolte que suscite leur condition lorsqu'ils sont en phase
terminale : fragilisés, ces malades ne sont plus que de squelettes
vivants qui attendent anxieusement la fin de leurs jours. Ils incarnent, in
vivo et de manière tragique l'image de Job gisant dans la
cendre2(*), expression de
son dénuement total.
b. Pauvreté et
annihilation du soi
Job a tout perdu : son avoir, sa famille, son
être, son pouvoir, son prestige, son bonheur, sa santé ; bref,
tout ce qui constituait pour lui une juste raison d'aimer la vie.
Successivement il voit périr son bétail (boeufs, ânesses,
moutons, chameaux), ses serviteurs et ses enfants3(*). Tout son espoir est perdu. C'est pourquoi Job se
lamente : « Mon bien-être a disparu comme un
nuage » (Job 30, 15). L'estime qu'il avait s'est aussi
dégradée en déshonneur : « La
risée des hommes, c'est le juste, le parfait » (Job
12,4). Job est subitement dans l'extrême pauvreté et
l'anéantissement de sa personnalité. Cette situation est
textuellement celle des malades de Sida particulièrement en Afrique.
Comme Job, ils vivent le sentiment d'être la risée de tous,
l'expérience de dépouillement, d'abandon, de solitude lugubre. En
Afrique, le Sida est malheureusement encore une maladie qui isole et
pèse parfois lourdement sur l'entourage du malade et, dans les cas les
plus forts, lui fait parfois désirer en finir avec ses jours. Bref, le
Sida déshumanise.4(*)
Comme le serviteur souffrant, le sidéen « est
méprisé et rejeté par les hommes, homme de douleurs,
familier de la souffrance, tel celui devant qui l'on cache son
visage »5(*).
La maladie donne à l'homme le sentiment de son impuissance, de ses
limites et de sa finitude. Le bonheur perdu est une sorte de
découronnement, de déchéance. C'est dans cet état
que beaucoup de sidéens consument leurs jours.
c. L'angoisse de la
mort
L'épreuve de Job a une senteur de mort. Aucune
garantie ne lui promet une prolongation de vie. Dieu, son ami, se fait
silencieux, sa femme lui propose de le maudire avant de mourir, les amis
l'accablent de paroles creuses, la maladie qui le ronge est pernicieuse. La
mort est à bout de portée. Telle est précisément le
sentiment des sidéens qui réalisent qu'il n'y a pas de soins
curatifs pour leur mal. S'il existe des trithérapies de soulagement,
leur prix est encore au-delà des moyens financiers de beaucoup
d'Africains. Un malade sidéen sait donc d'avance que ses jours sont
comptés. Cette perspective presque implacable suscite
« crainte et tremblement » qui se solde en révolte
et frustrations.
2. Job révolté
et malades frustrés
a. Innocence et souffrance
incomprise
« Combien ai-je de crimes et de fautes ?
Ma révolte et ma faute, fais-les-moi connaître. » Job
13,23. Cette interrogation désespérée de Job
dévoile que la souffrance d'un innocent est inintelligible dans la
raison humaine. Job est incapable de justifier son mal. A ce titre, il reste
pour notre Afrique le modèle continental de la souffrance
incomprise : de nombrés bébés, coupables de rien,
sont contaminés dès le sein de leur mère ; des
millions d'enfants sont condamnés à vivre orphelins parce
que le Sida a tué leurs parents. Devant ce drame, on ne peut
s'empêcher d'interroger : Pourquoi ? Quelles fautes ont-ils
commises ? Pourquoi ce sont les pauvres qui sont les plus touchés
par le Sida ? Pourquoi c'est précisément dans l'Afrique
qu'un tel malheur sévit le plus ? Face à cette
absurdité, la tentation est de tomber dans le fatalisme et
l'Afro-pessimisme qui poussent à penser que l'Africain est fait pour
souffrir, que Dieu a maudit l'Afrique, que le Sida ne disparaîtra jamais
de l'Afrique. C'est ce désespoir qui empêche les
séropositifs de vivre décemment, de dompter leur maladie,
d'espérer un jour leur restauration. D'où les frustrations et les
regrets : « Qui me fera revivre les lunes
d'antan » ? (Job 29,2). Ce cri de nostalgie surgi du
désarroi de Job, est réitéré et
répercuté aujourd'hui dans le soupir de détresse des
sidéens mourants qui voient défiler les derniers souvenirs de
leur passé radieux.
En établissant un parallélisme entre la
tragédie de Job et le Sida en Afrique, nous sommes conscients d'une
disproportion démesurée. En effet le désastre causé
par le Sida dépasse de loin celui de Job: «The magnitude
of the HIV/AIDS crisis cannot easily be overemphasised...It transcends the Job
tragedy in its magnitude and effects: it does not only cause the loss of
children and possessions, but also directly affects women and men. Not only is
it a tragedy on a personal level, but it has become a national and continental
disaster, affecting the lives of everybody living in Africa and causing a loss
to families, peoples and nations.» 6(*) Un regard sur les statistiques nous en démontre
l'ampleur: 28,5 millions de séropositifs sont en Afrique
sub-saharienne ; le Sida a fait 15 millions d'orphelins; au sud du fleuve
Zambèze, il y a 2000 nouvelles infections par jour ; en Afrique du
Sud, 10 % de la population (soit 5 millions) sont séropositifs.7(*) Ces chiffres sont très
déconcertants et le sentiment qu'ils inspirent frise la révolte.
b. Malédiction et
révolte
Lorsque l'on vit une souffrance atroce, la première
réaction est naturellement de se plaindre : « on
parle sans arrêt de ses douleurs, de son problème, de ses
angoisses. On a envie que tout le monde s'occupe de nous... je suis
déçu des autres qui me laissent tomber, qui
m'abandonnent »8(*). Et c'est précisément cela qui
provoque la révolte chez Job : « Enfin, Job ouvrit la
bouche et maudit son jour » (Job3,
1) :« Périsse le jour où j'allais être
enfanté« Job 3,3. La situation des patients du VIH/Sida est
plus ou moins identique. Aigris par l'intolérable situation qui est la
leur, certains malades de Sida désespèrent et prêtent vite
attention à la tentation de la femme de Job :
« Vas-tu persister dans ton intégrité ? Maudis
Dieu et meurs » Job 2, 9. Décontenancés, ils en
viennent à se rebeller contre eux-mêmes et contre Dieu en ces
termes: Pourquoi moi ? « Pourquoi m'avoir pris pour
cible ?« Job 7,20 ; «Laisse-moi, je m'en
moque«Job 7, 16.
Il n'y a rien de plus normal que cette réaction de
révolte quand l'on se trouve dans une épreuve intense. Mais se
révolter ne signifie pas maudire et insulter Dieu. La saine
révolte consiste plutôt à protester contre le mal et
l'absurdité de la souffrance. La révolte est chargée de
message : elle exprime la quête d'explication devant
l'absurde9(*); elle exprime
la volonté de voir finir la souffrance ; elle exprime en
définitive le désir de consolation et de soulagement.
II. La quête de
consolation et l'illusion des fausses justifications
1. Les amis de Job et les
faux consolateurs : Job 16, 2 ; Job 19,21
La souffrance est le lieu de beaucoup d'inquiétude. Il
est donc normal pour Job et ses amis de chercher la source du mal qui le
ronge : « Dans l'excès de sa douleur, il faut
à l'homme un responsable »10(*). Elifaz, Bildad et
Çofar refusent la passivité dans laquelle ils s'étaient
installés pendant sept jours et sept nuits11(*). Ils décident enfin
d'aider Job à résoudre son problème. N'avaient-ils pas
convenu « d'aller le plaindre et le
consoler »12(*) ? Seulement, ils en font trop en posant le
problème du mal en termes de péché. C'est cela qui a
consacré l'échec de leur médiation.
Devant un malade qui souffre, les grands discours n'ont pas
leur place. Ce qui importe, c'est la présence discrète. Les
soi-disant amis de Job n'ont pas compris ce principe. Ils l'abreuvent de
discours insolents qui l'accablent davantage. C'est pourquoi Job proteste et se
plaint à maintes reprises: « Jusques à quand
me tourmenterez-vous et me broierez-vous avec des
mots ? ...N'avez-vous pas honte de me torturer» (Job
19,2-3). « Taisez-vous, laissez-moi ! » (Job
13,13). « Piètres consolateurs, j'en ai entendu beaucoup
sur ce ton, en fait de consolateurs, vous êtes tous
désolants » (Job 16,2).
La déception de Job est évidente. Elle
révèle que la consolation n'est pas une parade de
rhétorique. De fait : « les bons sentiments n'ont
jamais consolé personne. Les bonnes raisons n'apaisent pas la
conscience »13(*). Prêcher la morale au nez de ceux qui souffrent
est une inconséquence, un verbiage éthéré et
égarant. Job nous enseigne que ce que le malade - en l'occurrence le
Sidéen - attend pour sa consolation, ce ne sont pas d'abord de belles
paroles, si pieuses soient-elles. Il a surtout besoin que son cri de coeur soit
entendu par Dieu : « Je ne briderai pas ma bouche;
le souffle haletant, je parlerai ; le coeur aigre, je me
plaindrai » (Job7, 11). Par ces mots, Job plaide
auprès de Dieu sa justification.
2. Les charlatans de la
justification : culpabilité et victimisation
Job et ses amis sont emprisonnés par une logique
très dangereuse de la rétribution selon laquelle Dieu punit les
pécheurs et récompense le juste. Leur thèse principale
inspirée de l'expérience (Job 15, 17) et la tradition de leurs
pères (Job8, 8-10,15) est succinctement affirmée en Job 4,
8 : « les semeurs de misère en font eux-mêmes
la moisson » et en Job, 15,20 : « pendant
toute sa vie, le méchant se tourmente». Cette
rhétorique des amis vise à démontrer à Job que son
malheur (sa souffrance et sa misère) est le salaire de sa
culpabilité. Tour à tour, ils tentent de le prouver : Jb4,
8-9 ; Jb 15,25 ; Jb 8, 13 ; Jb 18, 20 ; Jb 20, 19 ; Jb
34, 11 ; Jb 36, 5-6. Ils veulent culpabiliser Job pour le force à
la conversion. Parce qu'ils préjugent que la souffrance de Job est due
à son péché, ils le conseillent de se repentir pour mettre
afin à sa peine14(*). Voici en substance ce que dit Elifaz :
« réconcilie-toi donc avec lui et fais la paix. Ainsi le
bonheur te sera rendu...Si tu reviens vers le Puissant, tu seras
rétabli. » Job 22,21.23. N'est-ce aussi de cette
manière que les malades du Sida sont victimes du jugement des
autres ?
3. Nos attitudes inopportunes
face à ceux qui souffrent : Job 21,2.
Nous aussi, nous nous étonnons ordinairement que des
gens intègres subissent épreuves et mésaventures. Surtout,
autour du Sida, les spéculations se multiplient pour condamner. Et nous
disons naturellement : « Ah ! Et moi qui pensais que
c'étaient de bonnes personnes. Comment se fait-il donc qu'elles
subissent de si grandes souffrances et tribulations ? Alors que je croyais
qu'il n'y avait pas de faute en elles »15(*) . A tort, beaucoup par
exemple s'imaginent que le malheur d'un Sidéen vient
nécessairement de sa faute, à savoir la fornication. Et l'on
chuchote malicieusement : « Sûrement qu'il avait une vie
dépravée ». Ceux qui tiennent à sauver l'honneur
du malade soutiennent la thèse d'un empoisonnement, d'une sorcellerie,
ou d'un mauvais sort qui fut jeté. Dans tous les cas, on trouve trop
vite une source morale : la faute ou le péché.
Avec de tels préjugés on ne peut qu'être
piètre consolateur comme les amis de Job. Nous voulons
régulièrement juger la souffrance de l'autre par notre propre
expérience et les catégories trop théoriques. Il nous faut
pourtant nous garder de manipuler la parole de Dieu pour justifier nos propres
errements théologiques. Car, comme dit Louis RETIF :
«l'inaction, surtout quand elle est accompagnée de paroles
vides et sonores, est une insulte à la chair et au coeur
meurtris ».16(*)
La mauvaise attitude des amis de Job est aussi notre
maladresse quand on entend des affirmation du genre : C'est la
volonté de Dieu. Il éprouve ceux qu'il aime. De
telles paroles sont irresponsables et manquent de charité envers les
malades. D'ailleurs, l'on imaginerait mal un Dieu qui trouve son plaisir
à faire souffrir ses amis.
L'échec des amis de Job nous interpelle à
être modeste, car nous ne pourrons jamais comprendre le mystère de
la souffrance des malades. Et ce serait une insolence de vouloir définir
à leur place la souffrance qu'ils endurent.
En revanche, la peur de ne pas trouver l'attitude convenable
devant les malades peut nous faire fuir. Nombreux sont en effet les
Sidéens qui meurent dans l'isolement, non pas nécessairement
parce qu'ils manquent d'amis, mais parce que ceux-ci ne supportent pas de le
voir souffrir. Or, non ! L'amour exige que nous transcendions la peur de
la souffrance et la répugnance de la maladie pour atteindre les victimes
du Sida dans leurs tourments. En effet, "unless we see them et reach them
where they are, we bring them no genuine saving help but mere theology and, who
knows, a bad one"17(*). C'est dans cette proximité que commence
la vraie consolation.
III. Les horizons de la vraie
consolation : les leçons théologiques de Job sur la maladie
du Sida.
Si le livre de Job n'est pas historique, il reste une
littérature expérientielle, fortement inspirée de
l'expérience passée, présente et future des hommes de tous
les temps. A ce titre, le personnage de Job est très actuel ; sa
détresse se répercute dans la lamentation des millions de malades
de nos hôpitaux ; sa plainte rejoint le gémissement des
agonisants qui meurent dans la solitude; son cri fait écho au hurlement
des jeunes filles qu'on viole dans la nuit en transmettant le VIH18(*). La révolte de Job,
c'est aussi la plainte et les interrogations de nombreux enfants orphelins du
Sida qui subissent la solitude et le dénuement causés par la mort
de leurs parents. Cette situation ne nous laisse pas le choix ; nous
devons nous interroger à fond sur cette pandémie : Où
est Dieu pendant que le Sida fait des ravages ? Où est notre
responsabilité dans ce drame ? Comment soulager la souffrance des
malades atteints du Sida ? Quelle attitude adopter face à ceux qui
souffrent ?
Nous entreprise ne vise pas à offrir des
réponses et solutions techniques à la maladie du Sida. Il s'agit
de proposer un cadre spirituel et des repères théologiques
capables d'éclairer le sens de la souffrance et de gérer la
maladie de manière plus humaine et soulageante. Pour y arriver, il est
impératif de commencer par évangéliser notre propre
conception de la maladie et de la souffrance en général. De
l'expérience très riche de Job se dégagent de nombreuses
leçons qui pourraient être résumées dans les
observations suivantes :
· La santé, comme le bonheur, n'est pas un
dû
· Le Sida, comme la souffrance de Job, n'est pas un
châtiment de Dieu.
· Au contraire, c'est en Dieu Seul que l'on peut trouver
la vraie consolation dans les malheurs de la vie.
1. Le bonheur n'est pas un
dû
Nous pouvons légitimement louer le personnage de Job et
apprécier le rôle qu'il a joué. Il a une force de
caractère et une foi édifiante. Et l'on est tenté de
penser que sa prospérité de départ et sa restauration
finale sont le fruit de son intégrité. Mais non ! Son
bonheur n'est pas un dû, c'est une gratification de Dieu pour laquelle
Job sait qu'il n'a pas de mérite, pas plus que le malheur. C'est
pourquoi il se défend : « Nous acceptons le bonheur
comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l'accepterions-nous
pas aussi ?» (Job 2, 10). Si Job a été
réhabilité, c'est certes par pure grâce de Dieu. Mais il
est évident qu'il n'a pas démérité cette
bienveillance divine. Car il est resté droit dans l'endurance de
l'épreuve. En effet, en tous ses malheurs, « Job ne
pécha point par ses lèvres » (Job 2,10). Il a
parlé de Dieu avec droiture (cf. Job 42,7). Mais revenant à la
réalité des choses, l'on ne peut s'empêcher de poser une
question de fond au nom de tous ceux qui souffrent le Sida, sans pour autant
espérer l'issue heureuse de Job : Comment peuvent-ils vivre leur
maladie dans l'intégrité morale et spirituelle ?
Certes, l'attitude naturelle et humainement légitime
est la révolte mais la foi nous convainc que Dieu ne
nous doit rien et qu'il n'est pas responsable de nos maux.
2. La souffrance n'est pas un
châtiment de Dieu
L'intégrité de Job ne justifie pas son bonheur.
Inversement son malheur n'est pas la conséquence de son
péché. De la même manière, la culpabilité des
hommes n'implique nécessairement le châtiment de Dieu par le drame
du Sida. Les préjugés de la théologie de la
rétribution ne sont pas ici admissibles. Pourtant en Afrique, les
Sidéens sont encore victimes du jugement des autres qui les
considèrent comme des coupables châtiés par Dieu. Leur
maladie est vite associée à une vie de désordre, à
une vie d'adultère. Il y a pourtant bien d'innocents : le
bébé contaminé dès le sein maternel, la fille
violée et infectée par le VIH, le partenaire contaminé par
son conjoint, l'infirmier imprudemment blessé par un instrument
infecté, ...Ils n'ont rien fait de mal pour mériter le virus du
Sida. De toutes les manières, le problème du Sida ne doit point
être posé en termes de culpabilité et de châtiment.
Car, dans cette perspective, on tomberait dans la désespérance et
la résignation. Une lecture plus attentive de Job invite plutôt
à ne pas tomber dans une religion de résignation. A bien voir,
Job n'est pas un croyant résigné, mais bien un croyant
révolté19(*). Il refuse les explications faciles et hâtives
de ses amis ; il ne cède ni à la résignation ni
à la culpabilisation. Au contraire, il prie, il cherche, il appelle, il
proteste et plaide pour son innocence. En fin de compte, sa quête le
conduit à admettre que le malheur n'est pas nécessairement une
punition des péchés personnels : Dieu ne nous accable pas de
la souffrance, il la partage avec nous, en vue de notre restauration.
3. Dieu, le Seul
Consolateur
Le sommet de l'aventure de Job est incontestablement sa
confrontation avec Dieu et son acceptation du mystère. La leçon
de son attitude est claire et simple : la foi prend le pas lorsque la
compréhension faillit. La souffrance devient le lieu et l'occasion d'une
expérience nouvelle de Dieu : « The book of Job
serves as a paradigm for a certain experience of God with a special
significance for us today »20(*). Dieu n'est ni auteur ni complice de la maladie. Au
contraire « la volonté de Dieu est que nous luttions
contre elle et que nous l'extirpions le plus possible de ce
monde. »21(*) En entrant dans le monde par l'incarnation, Dieu a
voulu justement prendre part à notre souffrance afin de nous soulager.
C'est pourquoi dans son ministère, Jésus s'est
évertué à guérir les malades et à consoler
les affligés. Le partage divin dans la souffrance des hommes s'est
parfaitement manifesté au Calvaire par l'épreuve de la croix et
de la mort.
Le geste bienfaisant de Dieu est une providence inattendue
pour son ami Job. Car nul autre auparavant n'avait pu le consoler. Pas
même sa propre femme ni ses amis. Cette expérience de soulagement
vécue par Job est riche d'enseignements pour le patient du VIH/Sida qui
perd l'horizon de la consolation: « Dieu est celui en qui il peut
et doit légitimement espérer pour supporter les maux qui
l'accablent, et aussi pour en être
délivré »22(*). De Pâques en Pâques, malgré
les coups dans les heures sombres, les menaces de mal, les heurts collectifs,
tout est chemin de Résurrection23(*). Tel est le message de consolation que Job adresse
aux malades du Sida.
Mais Job n'est pas seulement un modèle
d'espérance et de consolation ; il est aussi « un
appel pour la compassion, l'amour, la solidarité envers tous les
sidéens en qui Dieu est présentement souffrant et
mourant »24(*). Au lieu de se borner à la recherche de
coupables, l'humanité doit s'armer pour mener les varis combats contre
le mal du Sida.
4. Notre
responsabilité et notre solidarité envers les victimes du
Sida
Le sida comme mal est la personnification du diable,
l'Adversaire. Cet adversaire, c'est la
méchanceté de ceux qui sans vergogne
sèment le virus à tout vent et le transmettent à des
innocents et ignorants ; cet Adversaire est
l'irresponsabilité des hommes et des femmes qui, une
fois séropositifs transmettent la maladie à leur conjoint ou la
propage par la prostitution ; cet Adversaire, c'est la
perversité de ceux qui violent des filles avec la
méchante intention de ne pas mourir seul ; cet Adversaire, c'est
encore l'égoïsme et l'insouciance
des super-puissances qui ferment hypocritement les yeux sur la misère
des malades alors qu'elles ont les moyens d'éradiquer le sida ; cet
Adversaire, c'est aussi l'ignorance des pauvres qui sont mal
informés sur les vrais moyens de protection contre le Sida. Tels sont
les lieux de nos responsabilités et de nos combats.
Le premier combat à notre portée est le
respect des malades. Par notre
considération, nous soulageons énormément
leur peine. John E. Fortunato notait: « While there is no answer
to Job, or to the thousand men, women, and children who are expected to
contract Aids every year, while there is no answer that will relieve the pain,
nothing to do right now that will make go away; there is a response that will
make it all bearable: it is to love »25(*). Seul notre
amour peut aider le sidéen à retrouver l'espoir
de vivre.
En plus des hôpitaux, des centres d'accompagnement de
Sidéens sont nombreux aujourd'hui qui essaient d'offrir aux malades un
cadre pour retrouver la chaleur de l'humanité et le sens de la vie. La
souffrance des sidéens qui heurte notre sensibilité nous enseigne
la véritable attitude à adopter : la
solidarité. « Seule une solidarité
qui tient compte aussi bien des aspects médicaux que les dimensions
humaines, morale et religieuses de la vie, peut soulever l'espoir que le sida
peut être contrôlée et combattue »26(*)Telle est l'attention des
malades, telle est aussi notre aspiration.
Conclusion : Le Dieu
qui réhabilite
Le livre de Job que nous avons exploré a servi de
paradigme pour une expérience de Dieu particulièrement
significative pour les malades du Sida aujourd'hui. Le sort de Job a
jeté une lumière sur l'absurdité du malheur qui s'abat sur
des millions de sidéens d'Afrique et d'ailleurs : il se fait la
voix de leur conscience, le témoin de leur tracas, l'interprète
de leur dialogue angoissant avec Dieu. Assommé dans sa propre
conscience, Job est incapable de justifier son drame. Il ne reconnaît
aucune relation causale entre sa souffrance et une éventuelle
culpabilité de sa part. Ainsi, Job nous offre une nouvelle vision de
souffrance : elle est une ABSURDITE.
Au coeur d'une absurde comme le sida, la foi en un Dieu juste
et bon est souvent mise en crise et l'horizon d'une espérance fait vite
place à la déception et à la révolte. C'est que,
comme les amis de Job, nous sommes trop souvent obnubilés par une
logique de rétribution selon laquelle Dieu est responsable des malheurs
qui se déroulent dans la grande scène de nos vies.
Le parcours entrepris dans notre réflexion nous aura
permis d'une part d'évangéliser nos conceptions sur la
souffrance, et d'autre part de nous convaincre que Dieu n'est pas celui qui
fait souffrir mais celui qui souffre avec les victimes et les restaure. Cette
conviction nous appelle à l'humilité pour quêter
auprès de Dieu notre consolation et le sens de notre vie,
enracinés dans la foi et l'espérance professées par
Job : "Je sais bien, moi, que mon rédempteur est
vivant"Job 19,25.
Table des matières
INTRODUCTION
1
I. L'EPREUVE DE LA
DÉCHÉANCE : ESTIME PERDUE ET LÉGITIME RÉVOLTE
FACE UNE SOUFFRANCE INCOMPRISE
2
1. JOB ET LES
DOULOUREUSES DÉCHÉANCES DES SIDÉENS
2
a.
L'épreuve de la maladie. Job 2,
7-8
2
b.
Pauvreté et annihilation du soi
2
c.
L'angoisse de la mort
3
2. JOB
RÉVOLTÉ ET MALADES FRUSTRÉS
3
a.
Innocence et souffrance incomprise
3
b.
Malédiction et révolte
4
II. LA QUÊTE DE CONSOLATION ET
L'ILLUSION DES FAUSSES JUSTIFICATIONS
5
1. LES AMIS DE JOB
ET LES FAUX CONSOLATEURS : JOB 16, 2 ; JOB 19,21
5
2. LES CHARLATANS
DE LA JUSTIFICATION : CULPABILITÉ ET VICTIMISATION
6
3. NOS ATTITUDES
INOPPORTUNES FACE À CEUX QUI SOUFFRENT : JOB 21,2.
7
III. LES HORIZONS DE LA VRAIE
CONSOLATION : LES LEÇONS THÉOLOGIQUES DE JOB
7
1. LE BONHEUR N'EST
PAS UN DÛ
8
2. LA SOUFFRANCE
N'EST PAS UN CHÂTIMENT DE DIEU
9
3. DIEU, LE SEUL
CONSOLATEUR
9
4. NOTRE
RESPONSABILITÉ ET NOTRE SOLIDARITÉ ENVERS LES VICTIMES DU
SIDA
10
CONCLUSION : LE DIEU QUI
RÉHABILITE
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Bibliographie
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* 1 Jean-Claude LARCHET, The
Theology of Illness, St Vladimir's seminary press: Crestwood, 2002,
p.59
* 2 Cf. Job 2, 8
* 3 Job 1,13-19
* 4 Cf. Xavier THEVENOT, La
souffrance, Don Bosco : Paris, 1987, p.6
* 5 Is 53,3
* 6 Peet Van DYK,
« The Tale of Two Tragedies. The Book of Job and HIV/AIDS in
Africa», In Bulletin for Old Testament Studies in Africa, 16, 2004, p.9
* 7 Cf. Peet Van DYK, Idem.
* 8 Xavier THEVENOT, La
souffrance, Don Bosco : Paris, 1987, p.27
* 9 La souffrance est une
expérience de l'absurde, on n'y comprend rien.
* 10 Louis RETIF, La
souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion : Paris, 1966, p.66
* 11 Cf. Job 2,13
* 12 Cf Job 2,11
* 13 Louis RETIF, La
souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion : Paris, 1966, p.53.
* 14 Cf. Job 8,5-6
* 15 Maître Eckhart,
La Divine Consolation, Payot et Rivages : Paris, 2004, p 83
* 16 Louis RETIF, La
souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion: Paris, 1966, p.76
* 17 ORJI, C.,
«Vehementem Dolorem: Job and The much Suffering African Face (Job
2, 13)» Afrika Yetu, Vol 10 (April 2006), pV.
* 18 Une superstition est
répandue selon laquelle un sidéen peut guérir en ayant des
rapports sexuels avec une fille vierge. Cette intox est un des facteurs qui
propagent le virus du Sida en Afrique.
* 19 Cf. André Kabasele
Mukenge : « Une lecture populaire de la figure de Job au
Congo » In Bulletin for Old Testament Studies in Africa, 16, 2004,
p.5
* 20 Carl Gustav JUNG,
Answer to Job, Princeton University press, 1973, p.4
* 21 Maurice NEDONCELLE, La
souffrance, réflexions d'un chrétien, Blond et Gay, 1939,
p8.
* 22 Jean-Claude LARCHET,
Dieu ne veut pas la souffrance des hommes, Cerf : Paris, 1999,
p.50
* 23 Cf. Louis RETIF, La
souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion, Paris, 1966, p.166
* 24 Paterne-Auxence MOMBE,
Rayons d'espoir. Gérer le VIH/SIDA en Afrique, Les Editions du
CERAP, Abidjan 2005, p.29
* 25 John E. FORTUNATO
Aids. The Spiritual Dilemma, Harper & Row: San Francisco, 1987,
p.110
* 26 Paterne-Auxence MOMBE,
Rayons d'espoir. Gérer le VIH/SIDA en Afrique, Les Editions du
CERAP, Abidjan 2005, p 12
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