6.5.- Portrait du modèle de gestion
utilisé par l'entreprise « promoteur » du
projet
Nous avons présenté
précédemment plusieurs commentaires à propos des
modèles de gestion utilisés, dont PIPO, GCP et GAR. Nous avons
expliqué qu'ils ont découlé de l'analyse du cadre logique.
Ces modèles ont la même base méthodologique, soit celle de
l'analyse des parties prenantes.
Depuis nombreuses années, on continuait de
croire que la durée et l'importance des phases d'activités sont
les seules variantes qui différencient les projets entre eux.
L'environnement externe d'un projet a beaucoup évolué. Plusieurs
variables considérées domestiques dans le passé deviennent
actuellement externes par rapport au projet. Celles-ci risquent de compromettre
les objectifs de réalisation des projets et, conséquemment, les
facteurs environnemental et social deviennent la cible centrale à viser
par une entreprise pour acquérir un avantage décisif voire
concurrentiel (Persais, 2004).
Regroupées souvent les communautés
locales, l'implication des parties prenantes dans la gestion des processus de
décision est de plus en plus une nécessité. La
réussite d'un projet court un risque énorme aujourd'hui si la
planification se fait sans l'appui de ces acteurs stratégiques. Dans
cette optique, nous allons donc analyser le modèle de gestion
utilisé par une filiale d'Hydro-Québec et plus
particulièrement le cas du projet de l'Eastmain-1-A et dérivation
Rupert. L'analyse porte particulièrement sur la stratégie de
gestion adoptée par ce promoteur vis-à-vis de ses parties
prenantes.
6.5.1.- Éléments de développement
durable
Le projet de la centrale hydroélectrique et
dérivation Rupert suit une séquence d'activités bien
établies. Celui-ci est découpé en quatre (4) phases
d'activités en terme d'objectifs de réalisation. L'ensemble des
phases du projet sont cependant résumés dans une matrice de
l'annexe 3 du document.
Pour une analyse de développement durable, les
données concernent la filiale d'Hydro-Québec en termes d'efforts
réalisés par rapport à trois objectifs
généraux, soit le maintien de l'intégrité de
l'environnement, l'amélioration de l'équité
sociale et l'amélioration de l'efficacité économique.
L'analyse de l'importance de chaque pilier quant à la stratégie
de gestion adoptée est la suivante.
Le pilier écologique
Étant le fruit de multiples consultations avec
les publics intéressés, le projet de
l'Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert se caractérise par l'ampleur des mesures
intégrées à sa conception, destinées à
préserver l'environnement et à tenir compte des
préoccupations exprimées par le milieu d'accueil. Grâce
à une combinaison de digues et de canaux qui facilitent
l'écoulement de l'eau, la création des biefs Rupert
entraîne un ennoiement minimal du territoire. Par ailleurs, un important
débit réservé écologique et des seuils
prévus sur la Rupert permettront de protéger les habitats du
poisson, de préserver le paysage et de maintenir la navigation ainsi que
les activités pratiquées sur le territoire.
Autre fait à signaler, les Cris participent
à toutes les étapes de réalisation du projet, de la
conception jusqu'au suivi environnemental. Les connaissances acquises au moyen
des nombreuses études environnementales ainsi que les connaissances
traditionnelles ont également influencé la conception du projet
et l'élaboration des mesures d'atténuation. Les
éléments qui sont pris en compte à l'étape de
conception :
· Ennoiement minimal du territoire ;
· Instauration d'un régime de débits
réservés écologiques au point de coupure de la
rivière Rupert ;
· Maintien d'un débit équivalent au
débit naturel des rivières Lemare et Nemiscau ;
· Aménagement d'ouvrages hydrauliques sur la
rivière Rupert pour protéger les communautés de poissons
et leurs habitats, préserver le caractère naturel de la
rivière ;
· Maintenir la navigation et l'utilisation du territoire
sur certains de ses tronçons ;
· Garantie de l'approvisionnement en eau potable de
Waskaganish.
Le pilier social et sociétal
L'acceptabilité sociale est une condition
essentielle de la survie des projets. Un projet de développement a des
conséquences sociales au niveau de tous les échelons dont les
fournisseurs, les employés, les clients, les entreprises locales, les
citoyens et la société en général. Dans le cas
étudié, l'acceptation sociale repose principalement sur
l'établissement d'une bonne entente avec les Cris de la Baie-James et
les Jamesiens ainsi que sur un processus d'autorisations gouvernementales
provinciales et fédérales.
La signature de la Paix des Braves entre le
gouvernement du Québec et les Cris du Québec, le 7 février
2002, a marqué une étape historique dans l'établissement
d'une nouvelle relation avec les Cris de la Baie-James. Dans cette entente, les
Cris donnent leur accord de principe à la réalisation du projet
sous réserve des conditions prévues à la Convention
Boumhounan signée le même jour. Cette étape a fait
l'objet d'un référendum préalable tenu dans les
communautés cries et à l'issue duquel le résultat s'est
avéré favorable à près de 70 %. L'entreprise
Hydro-Québec a intégré les préoccupations des
parties concernées à toutes les étapes de conception du
projet. Le savoir traditionnel de la communauté des Cris a
été pris en compte dans les études environnementales,
grâce notamment à la participation des communautés aux
inventaires sur le terrain.
Durant la réalisation du projet, les Cris
participent aux études environnementales et aux travaux. L'entreprise
Hydro-Québec a établi une bonne relation avec la
communauté jamesienne par la mise en place des Tables d'Informations et
d'Échanges (TIE) qui ont permis de prendre en compte leurs
préoccupations dès le début des études de
faisabilité. Une entente est intervenue avec la région Nord du
Québec sur un portefeuille de mesures incitatives aux retombées
économiques régionales. De plus, les gouvernements provincial et
fédéral ont appliqué un processus d'autorisation du projet
qui a permis de s'assurer du respect de la législation en vigueur et de
la participation du public à l'encadrement et à la
réalisation de l'étude d'impact. L'entreprise Hydro-Québec
et le milieu d'accueil projet se concrétisent dans le sens
souhaité.
Le pilier économique
Ce pilier se réfère à la
performance financière du projet. Un projet de développement
durable doit avoir la capacité de contribuer au développement
économique de la zone d'implantation.
Dans le cas étudié, le projet de
l'Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert engendrera des retombées
économiques majeures pour le Québec, plus particulièrement
pour les communautés concernées par le projet. Ce projet se
démarque sur le plan de l'efficacité économique
grâce à la maximisation de la capacité de production de
plusieurs centrales existantes. Cette utilisation optimale de l'eau s'inscrit
dans les principes mêmes du développement durable. Le coût
de production de l'électricité, estimé à 5,1
cents/KW/h en 2011, bénéficiera aux générations
futures.
Plusieurs mesures ont été
envisagées pour favoriser les retombées. La Convention
Boumhounan prévoit diverses mesures pour faciliter la participation
des entreprises et travailleurs cris :
· négociation de gré à gré de
contrats d'une valeur de 240 millions $ ;
· représentations auprès de la CCQ pour
faciliter l'emploi des Cris ;
· l'embauche d'un conseiller Cri à l'emploi ;
· fond de 1,5 million $ pour la formation
théorique et en milieu de travail des travailleurs Cris ;
· attribution de contrats d'une valeur de 45 millions $
en exploitation ;
· priorité aux entreprises régionales pour
les contrats et les achats de moins de 1 million $ ;
· clause de sous-traitance régionale pour inciter
les grands entrepreneurs s'approvisionner localement ;
· embauche d'un agent de chantier pour faire la promotion
des entreprises jamesiennes ;
· partenariat financier d'une durée de 50 ans avec
la municipalité de Baie- James.
L'aménagement de l'Eastmain-1 (2002-2006) a
montré que l'application de diverses mesures d'optimisation de concert
avec les intervenants du milieu permettait d'accroître significativement
la participation des travailleurs et entreprises. Le programme de suivi
permettra d'établir les retombées économiques
réelles, de les comparer aux prévisions et de valider
l'efficacité des mesures prises pour favoriser la participation des
entreprises et des travailleurs Cris et jamesiens au projet ainsi que celle des
régions de l'Abitibi-Témiscamingue et du
Saguenay-Lac-Saint-Jean.
De toute évidence, le respect de
l'environnement est nécessaire aux deux autres piliers (social,
économique). Il exprime la compatibilité entre l'activité
sociale du promoteur et le maintien de la biodiversité et des
écosystèmes. L'entreprise a réalisé une analyse des
impacts de son développement social et de ses résultats, en
termes de flux, de consommation de ressources non renouvelables, ou en termes
de production de déchets et d'émission polluantes. Une analyse
des trois piliers du développement durable démontre que le
promoteur a adopté une forme de gouvernance, laquelle consiste en la
participation de tous les acteurs, tels que les communautés locales, les
groupes d'écologistes,..., au processus de décision.
6.5.2.- Avenir des
communautés locales par rapport au projet
Ce projet vient structurer et mettre en pratique la
paix des braves signée en 2002 entre la communauté Cries et le
Québec, a-t-il ajouté le Comité d'Examen (COMEX). Celui-ci
vient fournir aux communautés locales une occasion d'orienter leur
développement futur par la création d'emplois et d'entreprises
qui contribueront à long terme à leur essor économique.
C'est dans cet esprit que le COMEX insiste sur les relations futures entre le
promoteur et la population locale et en tablant sur les opportunités que
ce projet représente sans pour autant perdre de vue les
particularités de la société des Cris ainsi que le fait
que cette dernière occupe un territoire qu'elle partage avec des
Jamesiens qui ont, tout autant qu'eux, à coeur que cette occupation soit
permanente et harmonieuse.
Le développement hydroélectrique a
fortement marqué la communauté Cris des 30 dernières
années. Il est à l'origine de la signature de la Convention de la
Baie-James et du Nord Québécois (CBJNQ) et de l'entrée de
la société Cris dans la modernité. La paix des braves,
signée en 2002, a aussi comme fondement le développement du
territoire par le biais de l'hydroélectricité. Le COMEX, comme
organisme de la convention, a été un témoin
privilégié des débats et des secousses qui ont
agité la société crie et des difficultés
d'adaptation qu'elle vit actuellement. Avec le projet Eastmain-1A et
dérivation Rupert, il souhaite que cette société entre
dans une nouvelle ère caractérisée par la volonté
des Cris de prendre leur avenir en main.
Pour ce faire, ils doivent conserver cet attachement
aux valeurs fondamentales de leur société qui leur ont permis de
survivre et de grandir comme nation tout en profitant des opportunités
qui se présenteront pour améliorer leur bien-être
individuel et collectif. Cet équilibre ne pourra être atteint
qu'en maintenant une ouverture sur le monde extérieur et des relations
positives avec l'ensemble de la société québécoise.
La Banque Mondiale a elle-même souligné à plusieurs
reprises le caractère exemplaire des projets hydroélectriques de
la Baie - James, notamment sur le plan des efforts consacrés par
l'entreprise Hydro-Québec à l'intégration des
communautés locales à toutes les étapes de leur
réalisation, a précisé (2006) dans une étude
indépendante ayant été réalisée par la firme
CIMA+.
6.5.3.- Plan de communication adopté
vis-à-vis des communautés locales
Le Comité d'Examen sur le projet,
désigné ci-après COMEX, est l'organisme qui fait le relais
les catégories d'acteurs impliqués au projet. Le COMEX est un
organisme indépendant créé en vertu de la Convention
de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ),
composé de trois représentants nommés par le
Gouvernement du Québec et de deux représentants
nommés par l'Administration régionale Crie. Cet organisme joue
à la fois un rôle de communication et de médiation de
premier rang au sein du projet. Le mandat du COMEX consiste à faire sur
une base régulière des recommandations utiles aux acteurs
impliqués au projet (promoteur, MDDEP, etc.). L'organisme COMEX
établit la mise en place d'un processus de consultation continu avec la
population locale, comme le démontre le schéma 3 ci-dessous.
Schéma 3.- Plan de communication adopté
vis-à-vis des communautés locales
PART
I
ES
EX
TERNES
Gouvernement du Québec : MDDEP, ...
COMEX
P
A
R
T
I
E
S
I
N
T E
R
N
E
S
Groupe d'écologistes
Communautés
Locales Cries
Entreprises
locales
Régroupements
politiques
...
( HYDRO-QUÉBEC) :
Société
d'Énergie
de la Baie-James
TABLES
D'INFORMATION
ET
D'ÉCHANGES
Flux informationnel :
En interaction :
Ce comité est d'avis que cette consultation
auprès des communautés locales devrait se faire à toutes
les phases du projet dans le but de connaître leurs points de vue sur la
réalisation du projet dans son ensemble, ses impacts ainsi que sur
l'efficacité des mesures d'atténuation qui auront
été réalisées. Il privilégie les audiences
publiques comme mécanisme de consultation car elles permettent de
rejoindre un large public et d'aborder tous les aspects du projet. La plupart
des audiences seraient tenues par le COMEX et le promoteur a collaboré
à la mise en application de celles-ci. Le rapport produit par le COMEX
sur les enseignements à tirer de ces consultations a servi, entre
autres, à apporter des correctifs pour minimiser tout impact
résiduel. La participation des communautés locales est de plus en
plus évoquée comme partie intégrante du
développement durable. L'entreprise d'Hydro-Québec énonce
des intentions claires de lui faire une importante place et dans ce sens, il
s'inscrit à l'avant-garde en terme de développement durable. Nous
pensons qu'il serait pertinent d'intégrer directement les
communautés locales dans les équipes de réalisation, soit
à titre de salariés ou soit à titre de
bénévoles. C'est d'autant plus important que ce projet ait
d'éléments de développement durable.
Ce plan de communication favorise beaucoup
d'éléments permettant de répondre à la satisfaction
des besoins sociaux et aspirations individuelles. Entre autres, il respecte
très bien le principe de subsidiarité avec des intentions claires
d'implanter une Table d'Informations et d'Échanges sur
l'évolution du projet et en faisant appel aux ressources locales.
L'utilisation de ce modèle de communication permet d'identifier les
forces et les faiblesses du projet en termes d'objectifs de
développement durable afin de mettre en place un processus de
bonification.
En mettant de l'avant le développement durable
comme cadre de référence, les activités qui s'articuleront
autour des objectifs du projet pourront gagner en cohérence et les
chargés de projet qui devront les réaliser pourront être
encouragés à garder le cap sur l'image de l'entreprise
« promoteur ».
6.6.- Méthodologie adoptée pour
l'identification des parties prenantes au projet : une application du
modèle de David Cleland
Nous sommes partis avec cinq blocs d'information pour
illustrer notre démarche d'identification de parties prenantes, comme
nous indiquons dans la figure précédente (fig. 6, p-85). Cette
démarche nous permet de mesurer le potentiel de menace ou de
collaboration des parties prenantes impliquées au projet. Tel que
présenté précédemment, l'analyse porte donc sur les
éléments suivants
· Caractéristiques ;
· Intérêts/attentes ;
· Sensibilité/respect vis-à-vis des aspects
transversaux ;
· Potentialités/faiblesses ;
· Implications/contributions
Selon cette méthodologie, nous avons
identifié les parties prenantes primaires et les parties prenantes
secondaires. La catégorie de parties prenantes primaires a la
responsabilité et l'autorité de contrôler les ressources
financières et humaines durant le cycle de vie du projet. Elles
regroupent principalement les personnes qui ont un engagement direct avec le
projet. Elles sont dites « transactionnelles » et sont les
premières responsables de la continuité et le succès du
projet.
Nous avons ensuite identifié une
deuxième catégorie de parties prenantes dites secondaires, qui
sont celles n'ayant aucun rapport formel avec le projet. Cette catégorie
de parties prenantes regroupe l'éventail d'organismes et de citoyens qui
agissent en tant que colporteurs des questions d'environnement et de
développement durable. Les parties prenantes secondaires n'ont pas
présentement un droit formel pour participer dans la conception et dans
la planification, comparativement aux parties prenantes primaires. Pour
plusieurs auteurs, elles sont les plus pernicieuses à l'égard des
objectifs de réalisation du projet (Raynaud et Dontenwill, 2004). Le
schéma 4 présenté à la page suivante est une
illustration de notre réflexion quant à l'identification des
parties prenantes au projet étudié.
Schéma 4.- Cadre méthodologique
d'identification des parties prenantes
Environnement externe
Catégorie des parties
Prenantes interactionnelles
Environnement interne
Catégorie des parties prenantes transactionnelles
Projet étudié
Cette grille d'identification et d'analyse de parties
prenantes reprend le formalisme de Freeman et du modèle de Cleland.
Comme l'indique le sens des flèches, plus l'on s'éloigne du
projet, moins sera grand le niveau d'influence par rapport au contrôle
des ressources disponibles (financières, humaines, matérielles,
etc).
Cependant, en dépit du changement continu dans
les valeurs sociales, de la rapidité de circulation des informations
entre les groupes d'acteurs stratégiques, la catégorie des
parties prenantes interactionnelles devient de plus en plus difficile à
être endossée par le gestionnaire du projet. Comme l'indique la
couleur de l'intérieur des rectangles, plus foncé est
l'intérieur du rectangle, plus fort pourrait être le niveau
d'influence des parties prenantes quant à l'atteinte des objectifs de
réalisation de ce projet, tels que sociaux, écologiques et
économiques.
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