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Les rituels funéraires chez les Dadjo vivant au Gabon

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par Abakar Ramadane
Université Omar Bongo - Master 1 2004
  

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Introduction

Le choc de civilisation (Cf. Samuel P. Huntington) qu'a connu le continent noir africain, notamment à travers l'introduction de l'islam, n'est pas sans interroger la conscience du chercheur en sciences humaines et sociales d'aujourd'hui, à s'interroger à la fois sur la nature des faits sociaux d'origine endogène désormais convertis à cette religion, notamment les rituels relatifs à la mort.

En effet, les travaux ethnologiques et ethnographiques de TUBIANA Marie-José et Joseph respectivement au Tchad puis Soudan, rubriqués sous les termes des Structures lexicales, Poésie et religion, Chamito-sémitiques, Langage de la révolution, Formes d'entraides, Ethnonymes, Histoire du peuplement des Dadjo ont largement inspiré cette recherche tant au plan des croyances que des rituels.

Car, «les rituels, en particulier, les rituels funéraires, constituent un champ d'étude spécifique des travaux anthropologiques africanistes classiques. Ils sont donc relativement bien documentés, et ce, pour de multiples groupes ethniques d'Afrique de l'Ouest » comme le soulignait déjà l'anthropologue française Attané Anne, dans les recherches sur Statuts des veuves et rituels de veuvage en Afrique de l'ouest : revue critique des connaissances anthropologiques et de l'Afrique l'Ouest. Cette inquiétude peut s'étendre en Afrique Centrale surtout au niveau des transformations socioculturelles qui auraient affecté lesdits rituels au regard des contextes de production actuelle.

Ce phénomène social et culturel a le mérite d'attirer des considérations plus regardantes en Ethnologie et en Anthropologie, ne serait-ce que par son aspect cérémoniel et symbolique qui connaît une allure fortement « controversée » si l'on part d'un à priori transformiste de la culture Dadjo à l'assimilation islamiste.

Jusqu'alors, si les sociétés africaines accordent une place de choix aux morts, c'est probablement que la mort ne peut laisser personne entièrement indifférente et, en plus, elle est susceptible de produire en nous une certaine émotion, surtout quand cette mort vient de frapper un proche parent, un visage familier et intime, éveillant ainsi, au plus profond de nous-même, cette angoissante perspective de notre propre disparition.

C'est pourquoi, leur codification et leur cérémoniel interpellent la recherche tant au niveau du déroulement qu'au niveau des représentations symboliques.

Plus précisément, il est question d'une considération sur les cultes adressés aux morts sous les formes -orientale et africaine-, afin de cerner non seulement les représentations qui ont permis une telle cohabitation, si cohabitation il y a, mais d'ouvrir d'éventuelles pistes de réflexion dans le champ de la recherche, notamment celles relatives aux approches anthropologique permettant de comprendre les normes et les valeurs des rites et les données qui les rendent pérennes ou «immortels» face l'invasion des cultures étrangères.

Par exemple, jusqu'alors, à la mort d'un individu, il n'est pas exclu que des funérailles naissent, se déroulent et se complexifient à mesure que l'enterrement soit effectif ou non. Bref, un univers symbolique plein de signifiants se crée et s'installe dans les gestes et les actes des acteurs non seulement pour vivifier le mort mais aussi pour rendre sa disparition inséparable des vivants. Cette caractéristique symbolise en partie la nature de la société Dadjo, notamment dans son devenir, dans un monde ambiant et enclin aux multiples changements et transformations. La société Dadjo est caractérisée par une organisation de parenté fondée sur des patrilignages localisés dont chacun constitue une communauté territoriale et occupe une unique grande maison, un ensemble rituel complexe avec culte des ancêtres, personnification d'instruments de musique flûtes et trompes, danses de (ou à) masques, interdits à la vue des femmes, ainsi que par des sociétés secrètes d'hommes et des rituels funéraires.  

C'est ainsi que D. Cuche résume : «Les cultures populaires ne seraient que des dérivés de la culture dominante, qui seule pourrait être reconnue comme légitime, qui correspondrait donc à la culture centrale, la culture de référence. » in La notion de culture dans les sciences sociales, La Découverte, 2001, P.12.

La pluralité religieuse pratiquée par les sociétés africaines contemporaines fait volontairement ou non côtoyer des religions monothéistes, celles des religions du livre prophétique, et des religions autochtones.

Si nous écartons l'ouvrage général de réflexion spiritualiste de Humblet-Vieujant, titré La Rivière du Silence, Réflexions sur la Mort et la Vie, CEFA, Bruxelles, 1978, 147 p., ouvrage qui restitue le cannibalisme comme l'expression du pouvoir de celui qui mange l'autre, dans notre étude, les rituels orientaux d'origine islamique constituent une de ces préoccupations sinon des cibles opposables aux valeurs ou aux pratiques traditionnelles; au sens où leur confrontation a fait activer des modalités de sélection des éléments issus des rituels endogènes entrant dans une sorte de relation dualiste mais non antagoniste avec les rituels importés mais plutôt de coexistence en une seule et même unité.

Dans cette approche, la nature de cette unité ou représentation symbolique, fait référence plus proprement «aux ancêtres, à la religion, à la langue, à l'histoire, aux valeurs, aux coutumes, aux institutions.»2(*) Mais il apparaît que des modifications structurelles profondes aient affectées la plupart de nos sociétés tout au plan des croyances qu'au niveau de mode de vie.. La préoccupation aux rituels apparaît si préoccupant au point qu'il importe de renouveler des recherches afin d'éclairer leur identité.

Dans notre démarche, les rituels funéraires sont repérables par la récurrence des phases fondamentalement culturelles qui sont des événements socioculturels tels que: l'annonce publique de la mort, le deuil, l'enterrement, l'annonce et le retrait de deuil, les interdits et les repas funèbres.

Ainsi, ces pratiques trouveraient-elles leur existence dans le fait que les sociétés africaines vénèrent leurs morts pour assurer leur propre pérennité. En Afrique, disaient les sages des villages, l'homme mort n'est pas parti. Il est là, parce qu'il est présent parmi les vivants par le fait qu'il inspire son souffle aux membres de la communauté à laquelle il appartient. Bref, «les morts ne sont pas morts», disait le poète africain Birago Diop.

En fait, la représentation que la société fait de ses morts, par la manifestation telle que les rituels ou le deuil par exemple, trouve son essence dans des logiques socioculturelles qui sont des systèmes des « représentations publiques qui ressemblent en contenu aux représentations mentales construites pour se représenter les propos et les pensées3(*) Ces logiques s'expliquent selon les différenciations culturelles ou cultuelles, les langues, l'histoire et s'identifient à tout le processus de modélisation de la société ou de la biographie du mort hérité des divinités ou des entités «supranaturelles»( Marcel Mauss).

Mais, l'importance de ces rituels dans la société nous a été révélée très tôt dans la recherche scientifique en sciences humaines et sociales par le père de la sociologie française comme le montre ce passage ici repéré : « Il ne s'agit pas ici d'un vain paradoxe: l'accentuation du rituel souligne, à contrario, l'émergence, la vitalité des formes de sacralité.»4(*) Cette forme de sacralité ainsi révélée connaît, dans le cas des Dadjo, une métamorphose progressive par la fusion des cultures.

A partir de ce niveau, les rituels funéraires deviennent matière à réflexion au premier dégré, car l'introduction des religions nouvelles, notamment prophétiques et islamiques, dans les sociétés négro-africaines endogènes, a pour effet immédiat, la confrontation et la reproduction avec les nouvelles valeurs rituelles : rituels endogènes et rituels islamiques. Ces rituels appelés désormais «nouveaux» dans la présente étude, mais pas fondamentalement endogènes ne ressemblent désormais ni en contenu, ni en pratique à leurs formes premières c'est à dire celles d'avant l'opération de fusion religieuse. C'est un syncrétisme exprimé sous le sceau d'une unité fonctionnelle: germes ou bribes des croyances désormais coexistentielles et évolutionnelles.

Vue la diversité culturelle, à peine il n'apparaîtrait plus saillant de considérer que les rituels funéraires d'aujourd'hui se soient considérablement appauvris et amenuisés de leur essence première par l'introduction et l'influence de ces religions venues d'ailleurs, de l'Orient, et de la forte conversion des peuples, qui ne laisse ni lieu, ni temps, ni personne disponible pour s'occuper des mort et de les vénérer dans sa forme ancestrale. Mais, en même temps, la diversité impose la quête de l'identité non traduisible en termes de : « Simplification ou disparition...pire encore, désymbolisation...»6(*). Cette désymbolisation expliqueraient peut-être le fait que «les rituels d'hier ont fait long feu, étant devenus obsolètes, trop conventionnels, peut-être, importe-il aujourd'hui d' «originer » des pratiques neuves»7(*) qui les rendent compatibles ou vivantes leurs formes de départ, c'est dire que la préoccupation à la mort est d'autant plus actuelle qu'elle nécessite une approche plus pratique restituée de manière plus symbolique.

En résumé, notre étude trouverait à peine refuge dans la pensée de Pierre Bourdieu lorsqu'il interprète « la culture comme un champ de lutte symbolique entre les groupes sociaux. L'enjeu de cette lutte est la domination ou le pouvoir d'instituer et d'imposer unilatéralement une hiérarchie culturelle. Dominer, c'est pouvoir classer, c'est-à-dire définir ce qui est culturellement légitime (la culture cultivée) et ce qui ne l'est pas (la culture vulgaire) ; dominer, c'est accumuler et valoriser du capital culturel ».

C'est dans ce sens que nous exécutons première partie de cette tâche de l'objet d'étude, du cadre théorique et du champ d'étude.

Nous étudierons le sens des rituels, comme le suggère Louis Vincent Thomas, en termes des « pratiques funéraires révélatrices du sens social de la mort et plus spécialement aux manipulations du cadavre à fins religieuses, magiques, économiques ou érotiques. »

Encore faudrait-il clarifier notre objet d'étude, cadre théorique et champ d'étude pour une approche plus scientifique de ce phénomène.

* 2 Samuel P. Huntington, Choc de civilisation, Paris, Odile Jacob, 1999, p.2

* 3 D. Sperber, Anthropologie et Psychologie, Man, 1985, P. 32

* 4 E. Durkheim, les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, édition Librairie, Générale Française, 1991, p.22

* 6 L. V. Thomas, la mort aujourd'hui, Paris, Éditions du Titre, 1988, p. 18

* 7 Idem p. 20

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