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La pluralité comme condition de l'action et du pouvoir politique chez Hannah Arendt

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par André-Joël MAKWA
Université Pontificale Grégirienne/ Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius-Kinshasa - Graduat en Philosophie 2006
  

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II. 2. LE POUVOIR POLITIQUE CHEZ HANNAH ARENDT

La conception arendtienne du pouvoir se démarque de toutes les conceptions classiques du pouvoir qui renvoyaient à la domination. Hannah Arendt voit dans la domination quelque chose de contraire au pouvoir. Nous serons aussi amené à réfléchir sur les termes tels que la violence, la puissance, la force, etc, qui sont différents du concept de pouvoir.

Max Weber, cité par Jean-Paul Paccioni, voit dans le pouvoir une domination; il définit les concepts de puissance (Macht), de domination (Herrschaft) en ces termes : « "Puissance" (Macht) signifie toute chance de faire triompher au sein d'une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe ce sur quoi repose cette chance. "Domination" (Herrschaft) signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un "ordre" (Befehl) de contenu déterminé. »77(*) Pour Max Weber, le pouvoir renvoie au rapport de domination entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés: les premiers commandent et les autres obéissent. Contrairement à Max, « la domination, c'est pour Arendt une interprétation falsifiée et falsifiante du pouvoir, entendu comme pouvoir de contraindre, comme pouvoir de l'homme sur l'homme. »78(*)

Le pouvoir est, pour les penseurs classiques, de Platon à Max Weber, domination, une domination de l'homme sur l'homme. Le gouvernant fait du pouvoir sa propriété, son instrument de commandement pour l'exercer sur les autres. Parlant d'un Etat divisé en classes où les meilleurs gouverneront, Platon propose une réforme de la polis de son temps où le philosophe sera roi, c'est lui qui imposera les lois (de l'Etat) à tous les citoyens.79(*)Par ailleurs, Max Weber au sujet de l'Etat, affirme ce qui suit :

Comme tous les groupements politiques qui l'ont précédé historiquement, l'Etat consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de violence légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'Etat ne peut donc exister qu'à la condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs.80(*)

Il définit donc le pouvoir en se référant à l'Etat qu'il considère d'ailleurs comme l'unique forme du pouvoir politique. Pour lui, l'Etat constitue un moyen, un instrument d'oppression pour dominer tous les hommes. Les dominés n'auront pour tâche que de se soumettre à la volonté du détenteur du pouvoir.

Voltaire cité par Hannah Arendt, disait quant à lui, que « le pouvoir, c'est la possibilité de faire à d'autres ce qui me plaît »81(*) et Bertrand de Jouvenel de son côté, insiste sur le rapport « commander et être obéi » qui, pour, lui est la condition pour parler du pouvoir. Thomas Hobbes présente son Leviathan (le prince, l'Etat ou l'assemblée) comme celui qui doit détenir le monopole de la violence.

De ce qui précède, il ressort qu'e général, le pouvoir est défini comme domination, un rapport de force entre celui qui commande et celui qui obéit. Il est aussi assimilé à la violence, comme l'affirmait C. Wright Mills : « Toute politique est une lutte pour le pouvoir; or le pouvoir sous la forme ultime, c'est la violence »82(*) et il est aussi puissance.

Hannah Arendt, quant à elle, critique cette manière de penser le pouvoir qui, en réalité, s'appuie sur l'ancienne notion du pouvoir absolu qui était inséparable de la constitution des Etats-nations souverains de l'Europe. Cette façon de comprendre le pouvoir, ajoute-t-elle, se fonde aussi sur « une terminologie qui, depuis la Grèce antique, sert à définir les formes de gouvernements, en tant que systèmes de domination de l'homme sur l'homme.»83(*) Tout cela, estime Hannah Arendt, c'est parce que, la science politique a été incapable d'établir une différence claire entre pouvoir (power) et puissance (strength), force (force), violence (violence), voire même autorité (authority). Il convient donc de définir chacun de ces termes qui prêtent souvent à confusion chez nombres d'auteurs.

II. 2. 1. Distinctions terminologiques

Il existe une distinction entre pouvoir, force, puissance, violence et autorité. Chacun de ces concepts, déclare Hannah Arendt, se réfère à des qualités différentes, et il faudrait faire attention à leur usage. Pour Hannah Arendt, en tout cas,

Le pouvoir: « correspond à l'aptitude de l'homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n'est jamais une propriété individuelle; il appartient à un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n'est pas divisé. »84(*) Le pouvoir, qualifie donc une communauté, jamais un individu. La personne qui possède le pouvoir, est investie dans la mesure où elle agit au nom de cette communauté, parce qu'elle a reçu le pouvoir de ladite communauté.

Pouvoir et pluralité vont donc de pair. Car le pouvoir, loin d'être individuel, personnel, est plutôt un « phénomène collectif qui surgit, non de la rivalité, mais de la communication où les opinions s'échangent sans qu'un individu ou un groupe possède jamais la capacité de déterminer les décisions des autres. »85(*) D'où, toute tentative de vouloir monopoliser le pouvoir est rebutée, car, le pouvoir appartient essentiellement au groupe, à la communauté.

La puissance quant à elle, « désigne sans équivoque un élément caractéristique d'une entité individuelle. »86(*) Elle est une qualité individuelle mais elle peut se manifester aussi dans une relation avec diverses personnes.

Parlant de la puissance dans la Condition de l'homme moderne, Hannah Arendt déclare que la puissance d'une communauté politique n'est pas le fruit des instruments de violence. Une puissance qui n'est pas actualisée finit par disparaître. Et « la puissance n'est actualisée que lorsque la parole et l'acte ne divorcent pas. »87(*) Voila pourquoi la puissance d'un petit nombre peut être supérieure à celle d'un grand groupe. D'où « un groupe relativement peu nombreux, mais bien organisé, peut dominer presque indéfiniment des vastes empires populeux, et il n'est pas rare dans l'histoire que de petits pays pauvres l'emportent88(*) sur de grandes et riches notions. »89(*)

Toutefois, précise Hannah Arendt, dans un combat, c'est la force musculaire et l'intelligence qui décident et non la puissance. La puissance comme l'action, n'a pas de limitation physique dans la nature humaine et dans l'expérience corporelle de l'homme; la puissance se limite seulement quand il y a existence d'autrui, et cette limitation n'est pas accidentelle.

En résumé, « les traits distinctifs du pouvoir et de la puissance sont donc que l'un n'existe que pour la pluralité rassemblée tandis que l'autre est le propre d'un être unique. Pouvoir et puissance sont, pourrait-on dire de manière approximative, comme les "forces" respectives d'une pluralité d'individus (rassemblés en une communauté) et d'un individu (isolé).»90(*) Mais qu'entendons-nous par le concept de force ?

La force souvent utilisée comme synonyme de la violence, est ici celle qui désigne une énergie qui se libère au cours des mouvements physiques ou sociaux. Dans ce cas, on peut parler de force des circonstances, ou de force de la nature. La force est donc une énergie qui se déploie. Est-elle synonyme de la violence ?

La violence, affirme Hannah Arendt, se distingue par son caractère instrumental. Elle est différente du pouvoir. La légitimité, par exemple, est indispensable au pouvoir alors que  la violence ne sera jamais légitime. Sauf dans le cas de légitime défense où l'usage de la violence est légitimement utilisé. En outre, à l'opposé du pouvoir, «  la violence ne dépend ni de l'opinion, ni du nombre mais des instruments dont elle peut disposer [...] » 91(*). C'est-à-dire que si le pouvoir doit avoir besoin du nombre, d'un groupe d'appui, étant donné qu'il est lié à la pluralité, la violence peut s'en passer facilement, surtout quand elle utilise des instruments pour cela. De plus, entre la violence et le pouvoir, lorsque l'un prédomine, l'autre est effacé. Faut-il cependant, mentionner que « la violence peut détruire le pouvoir mais elle est parfaitement incapable de le créer. »92(*)

* 77 Jean-Paul Paccioni, « Pouvoir » in Dictionnaire de la philosophie, CNRS Editions, 2003, p. 840.

* 78 Paul Ricoeur, « Pouvoir et violence » in Ontologie et politique. Actes du Colloque sur Hannah Arendt, éditions Tierce, 1989, p. 143.

* 79 Cfr Platon, La République, Livre VII.

* 80 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959, pp. 101-102.

* 81 Hannah Arendt, Du mensonge à la violence. Essai de politique contemporaine, traduit de l'anglais par G. Durand, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 137.

* 82 C. Wright Mills cité par Hannah Arendt, in Du Mensonge à la violence, p. 135.

* 83 Hannah Arendt, in Du Mensonge à la violence, p. 138.

* 84 Idem., p. 144.

* 85 André Enégren, op. cit. p. 100.

* 86 Hannah Arendt, op. cit. p. 144.

* 87 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 225.

* 88 Un cas élucidant, est celui de la rivalité entre la République Démocratique du Congo et la République du Rwanda. Point n'est besoin de rappeler ce que le Rwanda représente par rapport à au grand Congo-Kinshasa, mais celui-ci a été fragilisé par des différentes rébellions voulues et soutenues en grande partie par le Rwanda.

* 89 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 225.

* 90 Etienne Tassin, Le trésor perdu, Hannah Arendt. L'intelligence de l'action politique, Paris, Editions Payot et Rivages, 1999, p. 495.

* 91 Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, p. 153.

* 92 Idem., p. 157.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand