La pluralité comme condition de l'action et du pouvoir politique chez Hannah Arendt( Télécharger le fichier original )par André-Joël MAKWA Université Pontificale Grégirienne/ Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius-Kinshasa - Graduat en Philosophie 2006 |
II. 1. 2. L'action et la paroleLa révélation de l'agent dans la parole et dans l'action est le critère principal de la catégorie d'action. La parole et l'action sont deux réalités ayant une grande portée significative dans la vie humaine. Elles révèlent l'individualité humaine, « c'est par elles que les hommes se distinguent au lieu d'être simplement distincts. »66(*) Si les hommes peuvent se passer du travail et de l'oeuvre en laissant les autres le faire à leur place, cependant ils ne peuvent s'abstenir de la dimension de l'action, ni de la parole. Ces deux réalités sont des conditions nécessaires et intrinsèques à l'homme à telle enseigne qu'une vie sans parole et sans action est littéralement morte au monde. Et comme elle n'est plus vécue dans le monde des humains, cette vie n'est plus une vie humaine, car « c'est par le verbe et l'acte que nous nous insérons dans le monde. »67(*) Cette insertion n'est pas conditionnée par autrui et ne nous est pas non plus imposée. Dans la même lancée Georges Gusdorf68(*) affirme que c'est par la parole que l'homme donne sens aussi bien à son existence physique dans le monde qu'à l'ordre des choses. Sans la parole69(*), écrit-il, le monde nous paraît une réalité brute et désordonnée. Bien plus, au sens large, agir veut dire prendre une initiative, entreprendre, commencer, guider, gouverner... Cet agir, dit Hannah Arendt, peut être stimulé par la présence des autres. Et de par leur naissance, les hommes sont portés par l'action. Ils prennent des initiatives. Aussi, le fait que l'homme soit capable d'action signifie que de sa part, on peut s'attendre à de l'inattendu. Voila pourquoi, il faut une bonne éducation, une instruction et une atmosphère qui puissent empêcher des surprises regrettables et canaliser toute agressivité susceptible de nuire à la société. Si l'homme peut accomplir quelque chose d'inattendu, c'est aussi parce qu'il est unique. « Si l'action (...) correspond au fait de la naissance, si elle est l'actualisation de la condition humaine de natalité, la parole correspond au fait de l'individualité, elle est l'actualisation de la condition humaine de pluralité, qui est de vivre en être distinct et unique parmi des égaux.»70(*) L'action est étroitement apparentée à la parole et les deux révèlent ce "qui" est l'homme (par ses actes et ses paroles). C'est surtout dans la parole que la révélation est beaucoup plus manifeste. L'action sans la parole, ne serait plus action, parce que, il y aurait absence d'acteur, de faiseur d'acte. Sans la parole, pas de sens pour l'action; d'où « il n' y a pas d'activité qui ait autant que l'action besoin de la parole. »71(*) De ce fait, le langage, mieux, la parole revêt une importance significative pour comprendre l'action. Par l'action et la parole, l'on révèle « qui » l'on est, on dévoile donc son identité personnelle. C'est donc la révélation du "qui" par opposition au "ce que". « Cette qualité de révélation de la parole et de l'action est évidente lorsque l'on est avec autrui, ni pour ni contre, c'est-à-dire dans l'unité humaine pure et simple. »72(*) Toutefois, déclare Hannah Arendt, l'action peut perdre son caractère spécifique pour devenir une forme d'activité parmi d'autres, lorsqu'elle ne parvient plus à révéler l'agent. Dans ce cas, elle devient un moyen en vue d'une fin. Mais à quel moment cela est-il possible ? Pour Hannah Arendt, cette perte peut avoir lieu « une fois que l'unité humaine est perdue, c'est-à-dire lorsque l'on est seulement pour ou contre autrui »73(*). Par conséquent, la parole devient du « bavardage », lorsqu'elle ne remplit plus son vrai rôle mais elle devient ainsi un moyen de propagande pour tromper les autres.74(*) L'action et la parole nécessitent le dialogue, où l'on agit et où l'on parle. C'est dans l'espace politique que l'on peut écouter le point de vue de l'autre dans un monde pluriel. * 66 Ibidem. * 67 Idem., p. 199. * 68 Georges Gusdorf, La parole, Paris, PUF, 1963, pp. 35-36. * 69 Selon Gusdorf, par la parole en tant que réalité purement humaine, l'être humain fait l'expérience de la découverte du monde. Un monde qui lui apparaissait d'emblée, désordonné, sans nom, devient sensé et ordonné grâce à la parole qui lui permet de nommer, de signifier et de désigner les choses. Le monde ne lui est plus cassé, ni incohérent à son égard. * 70 Hannah Arendt, op. cit., p. 201. * 71 Ibidem. * 72 Idem., p. 202. * 73 Ibidem. * 74 Le cas de la période d'avant la guerre, mieux, l'invasion américaine de l'Irak, élucide la pensée de Hannah Arendt. Les américains et leurs alliés n'avaient cessé de propager de fausses nouvelles sur l'Irak au sujet des armes à destruction massive qu'ils n'ont en fait jamais trouvées. En réalité, ils voulaient atteindre leur but qui n'était autre que chasser leur ennemi de longue date (Saddam Hussein) pour avoir la main-mise sur ce pays riche en or noir. |
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