Master de Recherche Economie et Gestion de l'Innovation
Louis-Alexandre Grangé
Novembre 2008
Facteurs de stimulation de la créativité et
efficacité d'un processus de créativité croisée
entre deux entreprises
Résumé
L'organisation de séminaires avec des experts
extérieurs, la mise en place de concours d'innovation ouverts aux
clients, la collaboration avec des « utilisateurs
pilotes » sont des exemples d'ouverture des processus d'innovation.
Depuis la fin des années 1990, les entreprises sollicitent de plus en
plus des personnes extérieures pour stimuler la créativité
et l'innovation. Face au développement de ces pratiques, nous avons
voulu étudier les conditions du succès de l'ouverture des
processus de créativité à des personnes extérieures
à l'entreprise.
La recherche sur la créativité fournit des
clés de compréhension importantes. Depuis le début des
années 80, le courant de la créativité organisationnelle
étudie les facteurs qui favorisent l'efficacité des processus
créatifs dans l'entreprise. Les facteurs fondamentaux mis en
évidence sont des caractéristiques liées aux individus,
telles que la motivation intrinsèque, les compétences
liées au domaine et les compétences liées à la
créativité. Pour l'entreprise, stimuler la
créativité revient à mettre en place des systèmes
et des méthodes qui stimulent ces caractéristiques au niveau des
individus ainsi qu'à identifier et mobiliser plus
particulièrement les personnes qui possèdent ces qualités
à un plus haut degrés. De manière complémentaire,
le courant de la recherche sur le brainstorming s'est attaché à
améliorer l'efficacité créative des groupes. En partant
des modèles de la créativité organisationnelle, ces
recherches ont débouché sur la proposition d'outils tels que le
brainstorming électronique, l'alternance de phases de réflexion
individuelles et collectives, la création d'une émulation. Les
courants de la créativité organisationnelle et de la recherche
sur le brainstorming apportent donc des enseignements sur les conditions de
succès de tout processus de créativité.
Nous n'avons cependant identifié aucune étude
qui s'intéresse spécifiquement au cas de l'intégration de
personnes extérieures à l'entreprise. Afin d'identifier des
conditions de succès spécifiques, nous avons mis en place un
processus de créativité croisée entre Bouygues Telecom et
La Poste. L'efficacité globale du processus (en terme de nombre
d'idées et de qualité des idées) suggèrent le
rôle positif de plusieurs facteurs mis en avant par la recherche :
la création d'une émulation, l'alternance de phases de
réflexion individuelles et collectives, la réalisation d'un
exercice d'exploration préalable et l'utilisation de stimuli. Par
ailleurs, la comparaison des résultats des groupes internes et des
groupes externes indique que le processus mis en place n'a pas permis une bonne
adéquation entre la créativité des personnes externes et
les objectifs des sélectionneurs internes. Cela suggère que la
préparation et le cadrage de la créativité des
participants extérieurs n'ont pas été suffisants et qu'il
s'agit d'un facteur de réussite particulièrement important dans
ce type de démarche. De manière complémentaire, une phase
préalable d'échange et de redéfinition des objectifs
(entre les managers internes et les créatifs extérieurs) aurait
peut être permis de déterminer un cadre nouveau, plus favorable
à la créativité des personnes externes.
Sommaire
Introduction p4
I. Présentation du modèle de l'innovation ouverte
p7
1. Contexte historique de l'émergence du modèle
d'innovation ouverte p7
2. Contexte théorique du modèle de l'innovation
ouverte p9
3. Définition du concept d'innovation ouverte par
Chesbrough (2003) p10
4. Spécificités du modèle de l'innovation
ouverte p11
5. Conditions du succès des processus d'innovation ouvert
p14
II. Les facteurs de la créativité organisationnelle
p19
1. Modèle componentiel d'Amabile. p19
2. Modèle interactionniste de Woodman p23
3. Modèle multi niveaux de Taggar p24
4. Impact de ces modèles sur la pratique des entreprises
p26
III. Les facteurs de la créativité en brainstorming
p29
1. Un cadre conceptuel cohérent avec le modèle
d'Amabile p30
2. Facteurs favorisant l'accès aux compétences
liées au domaine p31
3. Facteurs favorisant l'expression et le développement
des aptitudes créatives p33
4. Facteurs favorisant la motivation intrinsèque p36
5. Synthèse des facteurs de la créativité en
brainstorming p37
6. Besoin de transmission des enseignements de la recherche aux
entreprises p38
IV. Objectif et propositions de l'expérience p40
1. Présentation de l'objectif p40
2. Présentation du processus de créativité
croisée p41
3. Présentation de la problématique et des
propositions p42
4. Choix méthodologiques p44
V. Présentation de l'expérience et des
résultats p46
1. Participants p46
2. Plan d'expérience p46
3. Résultats p50
4. Discussion et implications p52
Conclusion p55
Bibliographie p57
Annexes p60
Schémas des composantes de la créativité
d'Amabile p61
Compte-rendu idées La Poste p62
Grille de notation p71
Introduction
L'ouverture des processus d'innovation est un thème
d'actualité. Le développement d'Internet, la mondialisation des
échanges et l'émergence d'une culture de l'ouverture pousse les
organisations à collaborer avec des personnes extérieures pour
stimuler l'innovation. Dans leur ouvrage sur l'intelligence collaborative, Don
Tapscot et Anthony Williams (2007) considèrent que cette
évolution va s'imposer massivement à toute l'économie.
« La rencontre d'une plate-forme globale de collaboration [Internet],
d'une génération ayant grandi dans la collaboration, et d'une
économie globale qui permet de nouvelles formes de coopération
crée les conditions d'un orage parfait qui transformera en profondeur
les stratégies et les structures de l'entreprises. Les vieux vaisseaux
de l'ère industrielle sombreront sous les vagues déferlantes
alors que les entreprises qui s'insèrent dans des réseaux
hautement flexibles et qui se connectent aux idées et aux
énergies extérieures gagneront la force nécessaire pour
survivre ». Sans prendre au pied de la lettre la métaphore un peu
lyrique des deux auteurs, il est vraisemblable que la tendance à
l'ouverture de la créativité repose sur des facteurs culturels,
économiques et infrastructurels profonds et qui vont se poursuivre.
La généralisation de cette tendance ne doit
cependant pas masquer qu'il s'agit d'un phénomène multiforme.
Dans cette introduction, nous proposons de réaliser un rapide tour
d'horizon des pratiques d'innovation ouverte afin d'illustrer leur
diversité. Nous verrons d'abord que le profil des personnes
sollicitées est très varié. L'ouverture des processus
d'innovation peut concerner aussi bien des consommateurs que des chercheurs
universitaires ou des responsables Recherche et Développement (R&D)
dans des entreprises. Nous constaterons ensuite que les méthodes
utilisées pour mobiliser ces personnes extérieures sont elles
aussi très diverses.
L'ouverture des processus d'innovation a d'abord
consisté à mobiliser les utilisateurs des produits et services.
3M a été un précurseur en mettant en place et en
systématisant la méthode des utilisateurs pilotes (Von Hippel,
1999). Le processus se fonde sur le fait que beaucoup de produits ayant un
impact commercial important ont été initialement imaginés,
voir prototypés, par des « utilisateurs pilotes » -
entreprises, organismes ou individus étant très en avance sur les
tendances du marché. Leurs besoins vont tellement au-delà de ceux
de l'utilisateur moyen qu'ils créent pour eux même ce qui
deviendra peut être une innovation radicale commercialement
intéressante. Dans cette méthode, la recherche d'innovation passe
par une tâche systématique d'identification d'utilisateurs d'avant
garde et d'apprentissage à leur contact régulier. Dans un autre
domaine, Lego Mindstorm® (marque de robots à construire
soi-même avec des briques Lego) encourage et récompense la
réalisation de robots innovants par ses clients. Dans ce cadre, la
marque a par exemple embauché quatre de ses utilisateurs les plus
prolifiques pendant un cycle de développement de 11 mois. D'autres
entreprises ont crée des « plateformes communautaires
» sur Internet qui permettent de faire travailler certains consommateurs
sur des sujets concrets d'innovation. Le site
www.dreamorange.fr (France Telecom)
organise ainsi des concours d'innovation auprès de ses clients
technophiles. Dans le secteur informatique, des logiciels open source tels que
Linux, Apache et MySQL ainsi que le site Wikipedia sont aussi des exemples
d'initiatives réussies de co-création avec les utilisateurs. Il
est intéressant de noter que plusieurs études suggèrent
que ces initiatives d'innovation ouverte en collaboration avec les utilisateurs
permettent souvent d'accroître la qualité et la performance des
produits. Une étude publiée par le journal « European
Journal of Information Systems » en 2000 concluait que
« les logiciels open sources atteignent souvent une qualité
supérieure aux logiciels propriétaires ». Une étude
publiée dans la revue scientifique Nature a conclue que les pages de
Wikipedia sur les sujets scientifiques étaient mieux renseignées
que celles de l' Encyclopaedia Britannica (Bughin, Chui, Johnson,
2008).
Plus récemment, des entreprises ont
décidé d'ouvrir massivement leur réflexion à des
experts et des chercheurs extérieurs. Eli Lilly a été un
précurseur dans ce domaine en créant en 2001 le site
www.innocentive.com. Cette
société Internet établit un lien entre des
problèmes R&D à résoudre et des chercheurs. Elle
permet ainsi aux entreprises de puiser dans une communauté scientifique
internationale sans avoir à embaucher ses collaborateurs à plein
temps. Les entreprises « demandeuses » postent anonymement
leurs problèmes de R&D sur le site web et les
« chercheurs » soumettent leurs solutions pour
décrocher des prix allant de 5000 à 100 000 dollars.
Innocentive sert aujourd'hui de réservoir de chercheurs à plus de
35 grands groupes américains, dont Boeing, DuPont de Nemours, Novartis
ou Procter et Gamble. Pour ces entreprises, cette initiative tient une place
essentielle dans leur stratégie d'innovation. Entre 2004 et 2007, 137
produits sont issus de cette démarche chez P&G. En 2010, l'objectif
fixé par la direction est d'avoir 50% des innovations qui proviennent de
l'extérieur (Tapscot et Williams, 2007). Depuis 2001, de nombreux autres
sites ont été lancés sur le même principe.
Yourencore s'adresse par exemple aux chercheurs partis à la retraite.
Nine-sigma s'adresse en particulier aux
industriels et aux chercheurs en chimie et pharmaceutique.
Le caractère multiforme de l'ouverture à
l'innovation apparaît également par la manière de mobiliser
les personnes extérieures. Comme nous l'avons vu, les entreprises
peuvent mobiliser des utilisateurs par le biais de concours (dreamorange.fr,
innocentive.fr), ou par le bais de partenariats avec les équipes de
développement (utilisateur pilotes). Elles peuvent aussi intégrer
ponctuellement des personnes extérieures (experts, chercheurs, clients
etc.) dans les brainstormings internes. En novembre 2006, le groupe Lesieur a
ainsi réuni 250 responsables R&D ou Innovation de grands groupes
(Air Liquide, Veolia, Clarins, Monsanto, Seb...) et managers internes au stade
de France pendant une journée. La matinée a été
consacrée à un briefing sur la marque et ses objectifs et
l'après-midi à la génération d'idées.
Lesieur a ainsi récolté plus de 400 idées, dont une
trentaine d'innovations de rupture dont le développement a
été initié. Seize partenariats issus de ce
séminaire ont vu le jour et sont pilotés par le comité
d'innovation. (L'Usine Nouvelle, 2007). L'intégration de personnes
extérieures dans des brainstormings est une pratique
régulière dans de nombreux autres groupes de grande consommation
ou de luxe tels que Nestlé, Loréal ou LVMH.
Par ce rapide tour d'horizon, nous apercevons que l'ouverture
des processus d'innovation est un phénomène multiforme. Pour le
manager qui observe ces évolutions, il est difficile d'y voir clair et
de s'orienter vers des méthodes concrètes qui lui permettent d'en
tirer profit. Dans cette perspective, les managers ont besoin de mieux
comprendre les conditions du succès de l'ouverture des processus
d'innovation à des personnes extérieures à l'entreprise.
Afin de contribuer à répondre à ce besoin, l'objectif de
ce mémoire est d'étudier les conditions de succès de
l'intégration de personnes extérieures à l'entreprise dans
des processus de créativité.
Dans cette optique, une première partie sera
consacrée à présenter le contexte de l'émergence et
les principales caractéristiques du modèle de l'innovation
ouverte défini par Henry Chesbrough, inventeur du concept. Nous nous
attacherons également à faire un point sur les conditions du
succès mis en avant par la littérature.
Les deuxième et troisième parties seront
consacrées à présenter un état de la
littérature sur les facteurs de la créativité dans les
organisations. Nous explorerons successivement deux axes complémentaires
de la recherche :
- L'axe de la créativité organisationnelle dont
l'objectif est de d'identifier et de comprendre les facteurs influençant
la créativité dans l'organisation.
- L'axe de la recherche sur le brainstorming dont l'objectif
est de déterminer les facteurs de l'efficacité des
réunions dédiées à la génération
d'idées.
Enfin, dans les deux dernières parties, nous
illustrerons les enseignements de la recherche en présentant et en
analysant les résultats d'un processus de
« créativité croisée » entre Bouygues
Telecom et La Poste. Cette expérience permettra de suggérer ou de
confirmer certaines conditions de succès de l'ouverture des processus de
créativité à des personnes extérieures.
I. Présentation du modèle de l'innovation
ouverte
Dans cette partie nous allons présenter
l'émergence progressive du concept d'innovation ouverte. Avant de
définir ce nouveau paradigme et d'en décrire les principales
caractéristiques, nous exposerons le contexte historique et
théorique de son émergence.
1. Contexte historique de l'émergence du
modèle d'innovation ouverte
Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que
l'ouverture des processus d'innovation n'est pas un phénomène
nouveau mais est une tendance générale qui connaît des
phases d'accélération et de recul.
Les racines de l'ouverture des processus d'innovation
par les entreprises
Dans un article de la revue Mc Kinsey Quarterly, Brown et
Hagel (2006) rappellent que les premières démarches d'innovation
ouverte au sein des entreprises remontent aussi loin que la Renaissance
Italienne, quand des réseaux d'entreprises textiles dans le Piedmont et
en Toscane ont généré un cycle d'innovation rapide dans
la production de soie et de coton.
Dans un même ordre d'idée, William et Tapscot
(2005) soulignent que, dés la fin du 17ième siècle, le
mouvement des Lumières a amorcé une nouvelle approche de la
création, de l'accumulation et de l'utilisation du savoir qui ont
été bénéfiques à l'émergence de
l'activité industrielle : « Ingénieurs,
mécaniciens, chimistes, médecins, et philosophes de la nature
formaient des cercles dont l'objectif primordial était l'accès
aux connaissances. Ils échangeaient des courriers, se rencontraient dans
les loges maçonniques, assistaient à des conférences dans
les cafés et débattaient dans les académies scientifiques.
Certains échanges personnels se cantonnaient aux sciences, mais des
passerelles de plus en plus nombreuses étaient jetées entre
hommes de sciences et ingénieurs, d'une part, et ceux qui utilisaient le
savoir pour résoudre des problèmes pratiques et développer
des activités proto industrielles, d'autre part. Grâce à la
diffusion de la connaissance et du savoir, la science avait cessé
d'être la propriété exclusive de
privilégiés. »
La mise en place d'une législation des brevets à
la fin du 18ième siècle aux Etats-Unis a ensuite
permis un nouvel essor de l'ouverture des processus d'innovation dont le
paroxysme a eut lieu au début du 20ième (Lamoreaux, Raff et
Temin, 1999). Une analyse des archives des sessions des brevets aux Etats Unis
entre 1870 et 1910 montre en effet que ce marché était
très actifs et en forte croissance, passant de 794 brevets vendus en
1870 à 1869 brevets vendus en 1910. Ce phénomène a
été facilité par l'apparition de courtiers de brevets et
de journaux dédiés à la publication des brevets, parmi
lesquels American Scientific, American Artisan et American Inventor.
Coup de frein donné par le développement
d'organisations R&D verticalement intégrées
D'après Henry Chesbrough, la tendance à
l'ouverture des processus d'innovation a connu une phase de recul avec
l'émergence de services R&D au cours de la première
moitié du 20ième siècle. Durand cette
période, le rôle primordial de l'inventeur isolé et du
marché des brevets dans l'émergence des innovations a
laissé la place à l'influence croissante des activités
R&D des grandes entreprises (Schumpeter, 1942). Comment expliquer
l'émergence rapide d'organisations R&D et le coup de frein
donné à l'ouverture des processus d'innovation ?
Se basant sur les travaux de Chandler (1990) et Mowery (1983),
Chesbrough rappelle que les premières organisations R&D se sont
développées pour améliorer les activités de
production. Ces activités étant très spécifiques
à chaque entreprise, les investissements en recherche et
développement furent spécifiques à chaque entreprise et
intégrés au sein de services internes. A partir d'une
première base de technologie crée par l'organisation R&D, les
entreprises ont exploité cette connaissance pour développer de
nouveaux produits et accroître ainsi leurs économies
d'échelle. Dans beaucoup de secteurs, des fonctions R&D de grande
dimension sont ainsi apparues, créant une barrière à
l'entrée grâce aux économies d'échelle. Les
économies d'échelle de la R&D internes ont ainsi permis
l'émergence d'un modèle d'innovation intégré
verticalement où des entreprises de grande taille ont internalisé
les activités de recherche, de développement, de fabrication et
de distribution. L'approche managériale utilisée par ce
modèle propriétaire a été résumée par
le président de Harvard James Bryant Conant comme consistant à
« prendre un homme de génie, lui donner de l'argent et le
laisser travailler seul ». Le Menlo Park d'Edison, le Bell Labs de
AT&T et le PARC de Xerox sont des exemples emblématiques de ce type
de modèle d'innovation qui a été à l'origine de
nombreuses innovations au cours du 20ième siècle.
Démarrage d'une nouvelle phase dans l'ouverture
des processus d'innovation avec le développement d'Internet
Depuis la fin des années 90, le développement
d'Internet et l'arrivée d'une génération ayant grandi dans
la collaboration ont crée les conditions favorables au démarrage
d'une nouvelle phase d'ouverture des processus d'innovation (Tapscot et
Williams, 2005). Internet a vu naître de nombreuses initiatives
innovantes d'innovations ouvertes. Les sites qui fonctionnent sur le principe
de la collaboration sont aujourd'hui très nombreux : Wikipedia,
Flickr, Ohmynews, Myspace, Craiglist, Youtube en sont quelques exemples. En
parallèle, des initiatives d'innovation ouverte ont également vu
le jour dans d'autres secteurs. Ce sont par exemple celles qui ont
été décrites en introduction de ce mémoire (
méthode des utilisateurs pilotes chez 3M, site web de publication de
besoin R&D par Elli Lily et Procter & Gamble, concours d'innovation par
Lego etc.). Tapscot et Williams expliquent qu'Internet a donné
l'impulsion en terme de support technique mais qu'il a surtout permis de
développer une culture de la collaboration. Dans les pays
industrialisés, la nouvelle génération a grandi en ligne
et apporte une nouvelle culture d'ouverture, de participation et
d'interactivité au travail, dans les communautés et sur les
marchés. « Elle constitue une nouvelle espèce de
salariés, de consommateurs et de citoyens. Il faut les considérer
comme le moteur démographique de la collaboration et la raison pour
laquelle l'orage parfait n'est pas une tempête dans un verre d'eau mais
bien un ouragan qui va accumuler de la force à mesure que ces jeunes
gagneront en maturité ».
2. Contexte théorique de l'émergence du
modèle d'innovation ouverte
Depuis la fin des années 80, plusieurs chercheurs ont
commencé à remettre en cause le modèle d'innovation
fermée qui a prévalu la majeure partie du 20ième
siècle (Chesbrough, 2005). Cohen et Levinthal (1990), ont
recommandé aux organisations R&D de développer leur
« capacité d'absorption » en tenant compte des
« deux faces de la R&D » (tournées vers
l'intérieur et vers l'extérieur de l'entreprise) et en
investissant dans la recherche interne pour utiliser la technologie externe.
Ils suggèrent l'idée que les entreprises qui ne parviennent pas
à exploiter cette R&D externe ont un désavantage
compétitif important. Eric Von Hippel (1988) a lui distingué
quatre sources de connaissances extérieures à exploiter :
(1) les fournisseurs et les clients (2) l'université, le gouvernement,
et les laboratoires publiques (3) les concurrents (4) les autres pays.
Ove Grandstrand et ses collègues (1997) ont
expliqué que « la création de compétences dans
de nouveaux domaines est un processus dynamique d'apprentissage, demandant de
combiner l'acquisition de technologies externes et de technologies internes.
Le sourcing de la technologie est rarement un substitut pour la R&D
interne, mais il la complète de manière importante ».
Les entreprises peuvent également avoir recours
à des alliances pour obtenir de telles connaissances et utiliser des
ressources complémentaires pour exploiter cette connaissance. Cette
alliance de réseaux est particulièrement importante dans des
industries de haute technologie comme les biotechnologies (Mowery et al,
1996 ; Bekkers et al, 2002).
De nombreux modèles ont été
développés pour expliquer comment les entreprises exploitent la
connaissance externe. La méthode la plus simple et la plus commune est
probablement d'imiter un concurrent. D'autres approches plus
sophistiquées ont été proposées. Intégrer
des consommateurs pilotes dans le processus de développement peut par
exemple fournir des idées sur la découverte, le
développement d'innovation (Von Hippel, 1988). Le domaine public est
également considéré une source importante de connaissance
et d'innovation. La recherche universitaire est ainsi souvent financée
par des fonds privés pour générer des externalités
(Chesbrough, 2005).
D'autres chercheurs ont étudiés l'utilisation
d'alliances et la réalisation de réseaux par les entreprises
comme un autre moyen de chercher activement et d'incorporer la connaissance
extérieure dans les processus d'innovation de l'entreprise. Le travail
de Woody Powell et de ses collègues examine les bénéfices
des réseaux d'entreprises innovantes. Nooteboom (1999) examine lui
l'utilisation d'alliance dans les sociétés et les industries de
haute technologie (Chesbrough, 2005).
3. Définition du concept d'innovation ouverte par
Chesbrough (2003)
La pratique de l'innovation ouverte trouve ses racines dans
l'idée que la connaissance utile à l'entreprise est
présente en plus grande quantité à l'extérieure
qu'à l'intérieur de l'entreprise. Pour être performante,
une organisation R&D doit ainsi intégrer des connaissances et des
idées externes au coeur de ses processus.
Henry Chesbrough (2003) a été le premier
à définir le concept d'innovation ouverte.
« L'innovation ouverte est l'utilisation de flux de connaissances
sortants et entrants pour accélérer à la fois l'innovation
interne [développée et commercialisée par l'entreprise] et
le marché des usages externes de l'innovation [développée
et commercialisée par d'autres entreprises] (...) Le paradigme de
l'innovation ouverte peut être compris comme l'antithèse du
modèle traditionnel d'intégration verticale où les
activités internes de la R&D conduisent à des produits
développés en interne qui sont ensuite distribués par
l'entreprise ».
Le modèle d'innovation ouverte suggère ainsi
que les idées peuvent provenir de l'intérieur ou de
l'extérieur de l'entreprise et peuvent accéder marché par
un processus interne ou par un processus externe. Cette approche place les
idées et les accès externes au même niveau d'importance que
les idées et les accès internes.
Le schéma 1 représente le processus d'innovation
au sein de l' « ancien » modèle d'innovation
fermé. Les projets de recherche sont initiés à partir des
connaissances et des technologies que possède la société.
Certains de ces projets sont annulés et d'autres sont
sélectionnés pour être développés. Enfin,
certains d'entre eux sont choisis pour être lancés. Ce processus
est appelé « fermé » car les projets ne
peuvent rentrer qu'au démarrage du processus et ne peuvent sortir qu'en
étant lancé sur la marché par l'entreprise. Finalement,
les projets évoluent en interne tout au long du processus.
Schéma 1: Processus d'innovation fermé
(Chesbrough, 2003)
Le schéma 2 représente le processus d'innovation
ouvert. Dans ce modèle, les projets peuvent être lancés
à partir de technologies internes ou externes et les nouvelles
technologies peuvent être intégrées à
différentes étapes. Par ailleurs, les projets peuvent atteindre
le marché de différentes manières, par le biais de
licences, de sociétés « spin-off » ou par le
canal du marketing et de la vente interne. Ce modèle est appelé
« ouvert » parce qu'il existe différentes
manières pour que les idées intègrent le processus et
différentes manières pour que les idées sortent du
processus.
Schéma 2: Processus d'innovation ouvert (Chesbrough,
2003)
4. Spécificités du modèle de
l'innovation ouverte
Qu'apporte concrètement le modèle
d' « Innovation Ouverte » de Chesbrough par rapport
à la conception classique des processus d'innovation? Dans son ouvrage,
« Open Innovation : Researching a new paradigm »
(2005), Chesbrough expose l'idée que les entreprises qui ont
adopté une démarche d'innovation ouverte pilotent leur innovation
de manière radicalement différente. Il énonce plusieurs
points de différentiation avec la politique d'innovation des entreprises
en « innovation fermée ».
- Un premier élément est lié à la
manière de considérer l'ensemble des connaissances existantes sur
un domaine. Dans le modèle propriétaire de l'innovation, la
connaissance utile est rare, difficile à trouver et est parfois
considérée comme malvenue (Syndrome du « Not Invented
Here »). Dans le modèle de l'innovation ouverte, la
connaissance utile toujours est considérée comme répartie
largement à l'extérieur de l'entreprise, et
généralement de bonne qualité. Même l'organisation
R&D la plus compétente a besoin de se connecter à ces sources
de connaissances externes. Chesbrough illustre ce point de vue avec une
citation du rapport annuel la société Merck :
« Merck représente 1% de la recherche Biomedicale dans le
monde. Afin d'avoir accès au 99% restant, nous devons activement nous
tourner vers les universités, les instituts de recherches et d'autres
entreprises dans le monde entier pour tirer profit du meilleur de la
technologie et des produits. L'ensemble des connaissances dans les domaines des
biotechnologies et du génome humain est trop important et trop complexe
pour être manipulé par une seule entreprise. » Ces
sources externes peuvent ainsi être des universités et des
laboratoires nationaux mais aussi des start up, des petites entreprises
spécialisées, des inventeurs individuels et même des
employés ou des chercheurs partis à la retraite.
- Une deuxième différence est le rôle
central du modèle d'affaire dans le pilotage de la politique
d'innovation. Le modèle d'affaire est utilisé pour rechercher et
sélectionner les talents internes et externes qui vont contribuer
à l'innovation. L'étude de la cohérence avec le
modèle d'affaire permet par ailleurs de décider si le
développement d'un projet d'innovation se fera en interne ou en externe
par le biais d'une licence ou d'une société « Spin
Off ». Dans le modèle de l' « homme de
génie », le modèle d'affaire n'a pas un rôle
central. Les efforts sont plutôt concentrés sur le recrutement des
meilleurs chercheurs, avec la conviction que ces personnes de talent, une fois
financées, vont faire émerger des innovations à fort
potentiel qui pourront être développées en interne.
- Une troisième distinction est la mise en place de
processus pour éviter les erreurs d'évaluation du type
« faussement négatif ». Les processus d'innovation
traditionnels sont gérés pour réduire la
probabilité des erreurs du type « faussement
positif » qui se produisent quand le projet suit tout le processus de
développement et de commercialisation au sein de l'entreprise, puis
échoue. La possibilité d'une erreur du type
« faussement négatif », ou le projet a un potentiel
fort mais n'est pas développé n'est pas perçu comme
important. Tout projet qui ne semble pas être réalisable en
interne où qui ne correspond pas au modèle d'affaire de
l'entreprise est en effet arrêté, quel que soit son potentiel. A
l'inverse, la pratique de l'innovation ouverte permet d'améliorer la
gestion des projets R&D qui ne correspondent pas au modèle
d'affaire. La plate-forme en ligne de transfert de technologie yet2.com a ainsi
été conçue pour permettre aux entreprises de proposer des
droits de licence de leur propriété intellectuelle
sous-utilisée. Le réseau d'échange de Yet2.com,
constitué de 500 grands groupes, donne accès à 40% de la
R&D mondiale. Beaucoup d'entreprises pratiquant l'innovation ouverte
confient la responsabilité de « recycler » les
projets et les technologies à des personnes dédiées
(Tapscott et Williams, 2005).
- Un quatrième point de différentiation est le
nouveau rôle de la gestion de la propriété industrielle
dans le modèle de l'innovation ouverte. Alors que la pratique d'une
gestion proactive de la propriété industrielle n'est pas nouvelle
pour certaines entreprises industrielles, les théories
précédentes de l'innovation considéraient la
propriété intellectuelle comme un sous produit de l'innovation
dont l'usage était principalement défensif. Cela permettait aux
entreprises d'utiliser leur technologie sans être bloqué par une
propriété industrielle externe. Si un tel blocage survenait, la
propriété industrielle pouvait être
transférée sous forme de licence. En Innovation Ouverte, cette
situation ne représente qu'un des nombreux usages possibles de la
propriété industrielle. La propriété industrielle
devient un élément clé de la stratégie d'innovation
car elle facilite l'utilisation des marchés pour échanger
facilement des connaissances et des technologies.
- Un cinquième point de différentiation est
l'émergence d'intermédiaires sur les marchés de
l'innovation. Alors que des intermédiaires ont été
observés dans domaines proches comme dans le cas d'alliances
technologiques (Nooteboom, 1999), ils jouent maintenant un rôle direct
sur l'innovation elle-même. Comme l'innovation devient un processus plus
ouvert, les marchés intermédiaires ont maintenant
émergé. Les parties peuvent maintenant échanger sur ces
marchés à des étapes qui étaient
précédemment conduites entièrement à
l'intérieur de l'entreprise. A ces jonctions, des entreprises
spécialistes fournissent maintenant de l'information, de l'accès
et même des financements pour permettre à ces transactions de se
produire. Le développement de ces intermédiaires est probablement
le plus avancé dans le domaine pharmaceutique (avec Innocentive et
Yet2.com par exemple), mais s'observe également dans d'autres secteurs
(avec NineSigma et YourEncore par exemple).
- Une sixième spécificité de cette
nouvelle approche est le développement de nouveaux indicateurs de
performance du processus d'innovation. Les indicateurs classiques sont le
pourcentage du chiffre d'affaire consacré à la R&D, le nombre
de nouveaux produits développés en une année, le
pourcentage du chiffre d'affaire réalisé avec des nouveaux
produits et le nombre de brevets obtenus par rapport au montant investi. De
nouveaux indicateurs vont remplacer certains de ces anciens indicateurs :
le pourcentage de projets d'innovation générés en dehors
de l'entreprise, le délai entre la génération des projets
et leur mise en marché (en comparant les différents canaux :
interne, licence, spin off etc.), le taux d'utilisation de brevets
détenus par l'entreprise, le montant investi dans des entreprises
extérieurs etc.
Voici un récapitulatif des principaux points de
différentiation du paradigme de l'Innovation Ouverte par rapport aux
précédentes théories de l'innovation :
1. Considération pour la valeur et la quantité
des connaissances existantes du domaine
2. Rôle central du modèle d'affaire dans la
recherche des talents internes et externes
3. Mise en place de processus pour éviter les erreurs
d'évaluation du type « faussement
négatif »
4. Gestion proactive et diversifiée de la
propriété industrielle
5. Emergence d'intermédiaires de l'innovation
6. Mise en place d'indicateurs de performance nouveaux
5. Condition de succès des processus d'innovation
ouverts
Alors que les chercheurs universitaires comme Henry Chesbrough
ont adopté une approche descriptive de l'innovation ouverte en cherchant
à la modéliser, certains cabinets de conseil ont tenté de
définir des facteurs clés de succès de certaines pratiques
d'innovations ouvertes. Des consultants du cabinet Mc Kinsey ont ainsi
proposé des principes de gestion des réseaux de création
(Brown et Hagel, 2005 ; Bughin, Chui et Johnson, 2008). Bien que ces
propositions ne soient pas issues d'une démarche de recherche
académique, elle présente l'intérêt de
représenter première exploration des facteurs de succès de
l'intégration de personnes extérieurs dans des processus
d'innovation.
Définition et exemple de réseaux de
création
Les réseaux de création sont définis par
Brown et Hagel comme étant « la collaboration de centaines ou de
milliers de participants issus de diverses organisations pour créer de
nouvelles connaissances, apprendre et construire à partir du travail des
autres ». Ces participants variés travaillent d'abord en
parallèle (individuellement), puis collaborent au moment
d'intégrer leurs efforts individuels dans une offre finalisée.
L'exemple le plus connu de réseau de création est celui qui a
permis développement de Linux. Mais des réseaux de
création se rencontrent aussi dans des domaines plus inattendus:
l'étude des phénomène spatiaux par des réseaux
d'astronomes ou le développement de motos, de produits
électroniques ou de planches de surf.
Bien que les réseaux de création soient
présents dans de nombreux secteurs, ils sont souvent invisibles pour la
plupart des observateurs. Des sociétés américaines ont par
exemple recours à des ODM (Original Design Manufacturing) asiatiques
tels que Lite-On Technology et Compal Electronics, pour externaliser la
conception de produits électroniques. Ces entreprises peuvent avoir
l'impression d'être en relation avec un seul fournisseur. En
réalité, derrière la scène, les ODM mobilisent un
réseau large pour accroître la performance des produits qu'ils
vendent. De même, pour le développement de l'I-Pod, Portal Player
(Fournisseur d'Apple) s'est appuyé sur un réseau de
création composé d'autres fournisseurs de technologies.
D'après Brown et Hagel, mobiliser un réseau
large de participants nécessite une organisation dont le rôle est
de clarifier ce qui rassemble le réseau, d'identifier et
sélectionner les organisations et les personnes qui peuvent y
participer, de définir la manière de résoudre les conflits
et de mesurer la performance. L'organisation du réseau peut être
confiée à un individu, une petite équipe (comme dans le
cas de certains logiciels Open Sources), une entreprise ou à d'autres
types d'institutions. Quel qu'il soit, l'organisateur définit un
protocole de participation simple, les manières de résoudre les
conflits, des objectifs précis et des indicateurs de mesure des
performances. Un ODM, par exemple va définir des points de
contrôle de la performance clairs au cours du processus de conception
mais permettre aux participants de réaliser ces performances de la
manière dont ils le souhaitent.
Les réseaux de création organisent en
général leurs activités dans des processus
« modulaires », qui rendent plus facile
l'intégration d'un grand nombre de participants et l'innovation au sein
de chaque module d'activité. Une interface bien définie rend plus
facile la coordination d'activité entre les modules. La
modularité des réseaux de création permet ainsi à
beaucoup de participants d'innover en parallèle et d'utiliser des moyens
variés pour atteindre les attentes du projet. Les réseaux de
création définissent des points de suivi de l'action au stade
où les participants doivent se rassembler pour délivrer les
outputs. Quand des inconsistances ou des incompatibilités existent, les
participants doivent faire des choix clairs pour réaliser un produit
intégré.
Les principes de gestion recommandés par le cabinet Mc
Kinsey sont de cinq ordres:
- Choisir un mode de coordination adapté,
- Distinguer « innovation locale » et
« intégration globale »,
- Concevoir des points de suivi de l'action,
- Etablir des boucles de feedback,
- Identifier et mettre en place des incitations de long
terme.
Choisir un mode de coordination adapté
Bien que les réseaux de création partagent
certaines caractéristiques, ils diffèrent en de nombreux points,
notamment par le degré de diversité des participants. Les
initiatives de logiciels open source et les réseaux de sports
extrêmes rassemblent des participants partageant de nombreuses
compétences communes. De tels rassemblements sont appelés
« réseaux liés à la pratique » et reposent
sur des formes de coordination légères.
D'autres types de réseaux, comme les réseaux de
conception mis en place par des ODM à Taïwan ou le réseau de
production textile crée par Li & Fung en Chine, mobilisent des
participants ayant des pratiques et des expériences très
différentes. D'après Brown et Hagel, ces réseaux,
appelés « réseaux de processus »,
requièrent des formes de coordination plus actives. En raison de la
diversité parmi les participants, leur organisateur a un rôle de
chef d'orchestre incontournable : recruter les participants du
réseau, choisir ceux d'entre eux qui seront impliqués dans chaque
initiative de création, définir le rôle spécifique
qu'ils vont jouer et les exigences de performance qu'ils doivent satisfaire.
A l'inverse, les « réseaux de
pratique », sont coordonnés de manière plus
légère, en recrutant et en gérant des initiatives de
création plus spontanées. Les organisateurs de réseau
focalisent leur activité de coordination sur la phase
d'intégration du processus, quand les contributions des participants
sont rassemblées et incorporées.
Le principe général préconisé par
Brown et Hagel est que les managers doivent identifier avec attention quel est
le bon degré de diversité des compétences que leur
réseau de création requière et adapter leur approche de
coordination.
Distinguer « innovation locale »
et « intégration globale »
Pour trouver un mode de coordination adapté, Brown et
Hagel recommandent de distinguer trois objectifs
« intermédiaires » d'un réseau de
création :
- Avoir accès et développer des talents de
haut niveau
- Engager les participants dans un travail collaboratif de
recherche d'innovations et d'expérimentations.
- Intégrer efficacement les créations de
différents participants dans des réalisations partagées.
Etudier la manière dont les réseaux de
création répondent à ces objectifs permet de distinguer
les comportements spontanés (qui se produisent et qui prennent place
sans coordinateur actif) des comportements
« organisés » (qui nécessitent l'action du
coordinateur). Les comportements organisés sont plus fréquents au
cours de la phase d'intégration, quand les contributions de participants
doivent être intégrées. A ce stade, le mode de gouvernance
devient essentiel pour résoudre les conflits. Certaines des meilleures
innovations émergent d'ailleurs des conflits que le coordinateur
amène à résoudre. A l'inverse, l'agrégation et le
développement de talents a tendance à être
réalisé par des comportements spontanés et est souvent
liée à des modes de coordination légers (comme des
« écosystèmes » locaux et des forums en
ligne) pour attirer, identifier et assembler les talents.
Enfin, les activités directement liées à
l'innovation et aux expérimentations sont celles qui sont le moins
coordonnées. Il s'agit là de l'aspect le plus difficile à
accepter pour les managers d'une entreprise traditionnelle. Le rôle d'un
réseau de création étant de conduire à
l'innovation, beaucoup d'entreprises en déduise que le coordinateur doit
accorder la plus grande partie de son temps et de son attention à cela.
Paradoxalement, d'après Brown et Hagel, cela n'est pas le cas. Dans
cette optique, les réseaux de création représentent la
plus grande rupture avec des approches plus conventionnelles d'innovation
ouverte. Les managers sont tentés de développer des feuilles de
route détaillées sur la manière dont ils souhaitent voir
travailler leurs partenaires. Dans l'intérêt de l'innovation,
d'après Brown et Hagel, ils doivent résister à cette
tentation.
Concevoir des points de suivi de l'action
Les coordinateurs du réseau de création jouent
leur rôle le plus actif au cours de la phase d'intégration des
différentes contributions. Le succès de tels réseaux
repose sur l'utilisation à ce niveau d'un point de focalisation et
d'alignement des efforts des divers participants qui doivent maintenant
converger vers une offre cohérente et consistante. En spécifiant
quand ces activités doivent être réalisées, les
performances que chaque participant doit atteindre et le protocole pour
surmonter et résoudre les conflits, le coordinateur du réseau
crée les mécanismes organisationnels nécessaires à
une « friction positive ».
Le point essentiel souligné par Brown et Hagel est que
les différents participants doivent se confronter et résoudre
eux-mêmes leurs divergences. Plutôt que de déterminer la
manière de fonctionner de chacun en développant des feuilles de
routes, le coordinateur du réseau doit définir
précisément le niveau de performances requis et donner aux
participants beaucoup de liberté pour y parvenir. Une plus grande
liberté signifie en effet un plus fort potentiel de divergence,
spécialement dans le cadre d'une initiative d'innovation impliquant
beaucoup de participants.
Quand des incompatibilités émergent entre
différentes composantes d'une innovation, l'organisateur du
réseau encourage les participants à résoudre le
problème par eux-mêmes. Chaque participant comprend que sa
contribution ne sera intégrée dans le produit final que si elle
fonctionne avec les autres parties du produit. Les participants doivent donc
continuellement faire des compromis entre la performance de leur composante et
la nécessité de performance du produit intégré.
Etablir des boucles de feedback
Bien que les réseaux de création doivent
utiliser un management moins « serré » que des
approches plus traditionnelles d'innovation ouverte, ils fonctionnent avec
succès sur des marchés très concurrentiels comme ceux du
textile et des logiciels. De plus, d'après Brown et Hagel, ils
améliorent leurs performances à un rythme plus
élevé que ce que les entreprises conventionnelles peuvent
atteindre.
Cela s'explique en partie par le niveau de performance requis
et le suivi par le coordinateur. Cependant, il existe un autre facteur
important. Les réseaux de création à succès
construisent des boucles de feedback explicites pour informer les participants
de leurs performances. Même dans les réseaux peu organisés
de logiciel open source, les participants reçoivent un feedback rapide
de la part de ceux qui ont utilisé leur logiciel.
Pour établir ces boucles de feedback, l'animateur du
réseau se concentre sur trois principes essentiels. Premièrement,
il encourage un mouvement rapide du concept au prototype. Plus les participants
pourront obtenir rapidement un prototype, plus il sera facile de tester leurs
performances, en particulier avec d'autres composants. Deuxièmement, les
organisateurs définissent très tôt et fréquemment
des tests de performance pour que les participants obtiennent des feedbacks sur
leur performance et puissent ainsi changer ce qui ne fonctionne pas.
Troisièmement, ils établissent un système communication
large pour que chaque participant du réseau de création puisse
avoir accès facilement aux indicateurs de performance.
Identifier et mettre en place des incitations de long
terme
Les entreprises devant fournir les bonnes incitations aux bons
participants, elles doivent identifier précisément ce qui motive
les contributeurs (Bughin, Chui et Johnson, 2008). Des incitations
financières peuvent être nécessaires dans certains cas.
D'autres participants peuvent être attirés par la reconnaissance
de la communauté, par l'accès à certaines informations ou
par la possibilité de promouvoir leurs idées. Les entreprises
devront aussi trouver des méthodes pour obtenir une contribution au
moment souhaité et identifier des possibilités, pour les
participants, de passer d'une participation légère à une
participation plus importante. Wikipedia par exemple peut maintenant compter
sur un groupe de 500 administrateurs qui ont le privilège
d'empêcher la publication de certains articles,
généralement pour arrêter les comportements de
vandalisme.
Les principes de fonctionnement proposés par ces
articles de Mc Kinsey Quaterly sont spécifiques aux réseaux de
création. L'objectif de notre mémoire est d'étudier les
conditions de succès de l'intégration de personnes
extérieures à l'entreprise dans des processus de
créativité. L'objet des réseaux de création est
principalement de générer des produits finis dans le cadre d'une
collaboration de long terme (plusieurs mois ou plusieurs années) avec
plusieurs centaines d'acteurs, alors que l'objet des processus de
créativité ouverts est de générer des idées
dans un délai beaucoup plus court (quelques jours ou quelques semaines).
Les réseaux de création sont donc un cas très
différent des processus de créativité ouverts que nous
souhaitons étudier et nous ne pouvons donc pas appliquer tels quels ces
principes de fonctionnement à notre sujet. Cependant, il est
intéressant de retenir les types de facteurs qui ont été
explorés pour les réseaux de création. Choisir un mode de
coordination adapté, concevoir des points de suivi de l'action,
établir des boucles de feedback, identifier et mettre en place les
incitations adaptées sont des sujets qui concernent également les
processus de créativité ouverts. Chacun de ces thèmes
constitue une piste de réflexion pour identifier les conditions de
succès des processus de créativité croisés.
Afin d'identifier des facteurs de succès plus
spécifiques à la créativité, les deuxième et
troisième parties seront consacrées à présenter un
état de la littérature sur les facteurs de la
créativité dans les organisations. Nous explorerons
successivement deux axes complémentaires de la recherche sur la
créativité : l'axe de la créativité
organisationnelle et l'axe de la recherche sur le brainstorming.
II Les modèles de la créativité
organisationnelle
La créativité est définie par Amabile
(1988) comme la production d'idées nouvelles et utiles par un individu
ou un groupe d'individus travaillant ensemble. Elle diffère de
l'innovation qui se définit comme la mise en place avec succès de
ces idées. A l'origine de l'innovation, il y a des idées et
à l'origine des idées, il y a la créativité. La
créativité est donc la première étape du processus
d'innovation. C'est un phénomène complexe qui concerne de
nombreux champs de recherche: art, philosophie, psychologie, management...
Au milieu des années 1980, des travaux traitant de la
créativité au sein de l'organisation sont
apparus (Amabile, 1988 ; Woodman et Schoenfeldt, 1989). Par la suite,
l'intérêt croissant des chercheurs de cette discipline pour la
créativité a fait émerger le concept de
créativité organisationnelle (Woodman, Sawyer et
Griffin, 1993). L'objectif de la créativité organisationnelle est
de modéliser la créativité dans l'entreprise pour mettre
en place des systèmes qui la favorisent. Les recherches se sont
initialement appuyées sur des modèles issus de la psychologie et
centrés sur les individus avant de s'orienter vers des modèles
mobilisant plusieurs niveaux (individus, groupes, organisation).
1. Modèle componentiel d'Amabile
Dans son article de 1988 « A Model of Creativity and
Innovation in Organizations », Amabile analyse les composantes de la
créativité individuelle et identifie les conditions favorables
à cette dernière. Ce modèle constitue encore aujourd'hui
le principal cadre conceptuel de la recherche sur la créativité.
Dans ce mémoire, il nous servira de grille d'analyse pour
présenter les facteurs influençant la créativité
des brainstormings. C'est pourquoi nous l'exposerons de manière
détaillée.
Amabile part d'une étude sur 120 chercheurs et
techniciens R&D, dans 20 secteurs différents, à qui il a
été demandé de décrire un évènement
créatif et un évènement non créatif. Des personnes
indépendantes ont codé les transcriptions de ces interviews.
L'analyses de ces interviews a permis de mettre en lumière trois
composantes nécessaires à la créativité
individuelle (quel que soit le secteur) :
1) les compétences liées au domaine
concerné
2) les compétences liées à la
créativité
3) la motivation intrinsèque.
- Les compétences liées au domaine incluent les
connaissances factuelles, les savoir-faire techniques et les talents
spécifiques liés au domaine en question. Cet ensemble correspond
aux « schémas de pensée existants » pour
résoudre un problème donné ou une tâche
donnée. Il s'agit de la « base », de la
« matière première » de la
créativité. « Il est impossible d'être
créatif en stratégie de planification financière si on ne
connaît pas quelque chose (et probablement beaucoup) à propos du
marché des actions, des monnaies, et des tendances
économiques » (Amabile, 1988).
- Les compétences liées à la
créativité incluent un style de pensée favorable à
l'adoption de nouveaux points de vue, à l'exploration de nouveaux
schémas de pensée, et un style de travail
persévérant conduisant à la poursuite énergique des
objectifs fixés. Les qualités personnelles qui correspondent aux
compétences liées à la créativité (Amabile
et Gryskiewicz, 1987) sont l'orientation au risque, la diversité des
expériences, un certain degré de naïveté (oeil neuf
sur le sujet) et l'aisance sociale. Amabile insiste sur l'idée que les
compétences liées à la créativité peuvent
être développées par des méthodes
heuristiques telles que « quand rien ne marche, essayez quelque
chose de contre intuitif » ou « rendez le familier
étrange, et l'étrange familier ». Selon Amabile, les
compétences liées à la créativité peuvent
donc être développées par des méthodes et par de
l'entraînement. Enfin, comme pour les autres facteurs, Amabile
précise que les compétences liées à la
créativité sont indispensables à la
créativité : « Même avec des
compétence liées au domaine à un niveau extraordinaire,
une personne ne sera pas en mesure de produire un travail créatif si les
compétences liées à la créativité
manquent. »
- La motivation intrinsèque dépend de la
manière dont une personne perçoit les raisons de réaliser
la tâche. Les facteurs de motivation intrinsèque
sont l'intérêt pour le travail en lui-même,
l'attraction pour le challenge, l'impression de travailler sur un sujet
important, le fait de partager une conviction liée au projet. Pour
illustrer cet argument, Amabile utilise l'image d'une souris recherchant du
fromage dans un labyrinthe : « Si vous avez une motivation
extrinsèque, votre motif fondamental est de réaliser le but
extrinsèque. Vous travaillez pour quelque chose d'extérieur au
labyrinthe, vous devez remporter la récompense, gagner la
compétition, obtenir la promotion ou plaire à ceux qui vous
observent. Vous êtes à ce point absorbé par la poursuite de
ce but que vous ne prenez pas le temps de penser au labyrinthe lui-même.
Souhaitant en sortir le plus rapidement possible, il est probable que vous
n'emprunterez que l'itinéraire le plus évident, le plus
fréquenté. En revanche, si vous avez une motivation
intrinsèque, vous vous plaisez dans le labyrinthe. Vous prenez plaisir
à y jouer, fureter dans tous les coins, essayer des chemins
différents, explorer, y réfléchir avant de vous lancer
bille en tête. Vous ne vous concentrez vraiment sur rien d'autre que sur
l'intensité du plaisir que le problème vous procure, de votre
attirance pour le défi et l'énigme. »
Teresa Amabile estime que ce dernier facteur de la motivation
intrinsèque a été le plus négligé par les
chercheurs et les praticiens alors qu'elle le considère comme le plus
important. « Aucune expertise du domaine, ni aucun degré de
compétences créatives ne pourront compenser un manque de
motivation à réaliser avec succès une activité. A
l'inverse, dans une certaine mesure, un degré de motivation
intrinsèque peut compenser un déficit de compétence dans
le domaine et de compétence liée à la
créativité ». Il s'agit également du facteur qui
est le plus dépendant de l'organisation. Teresa Amabile suggère
ainsi que la motivation intrinsèque est souvent le levier le plus
efficace pour stimuler la créativité dans une organisation.
Le schéma ci-dessous représente l'impact des
trois composantes de la créativité dans un processus de
génération et de sélection d'idées. Il met en avant
que leur influence varie en fonction des étapes du processus
créatif. La motivation intrinsèque est indispensable pour
démarrer l'effort créatif et pour produire les idées. Les
compétences et l'expertise du domaine sont nécessaires pour
rassembler les informations et les ressources pertinentes ainsi que pour
sélectionner les idées. Enfin, les compétences pour la
créativité ont un rôle essentiel dans la phase de
production des idées.
Schéma 3 : Modèle componentiel d'Amabile au
niveau individuel.
Sur la base de la même étude qualitative, Amabile
étudie les qualités de l'environnement que les interviews ont
révélé comme étant favorables ou
défavorables à la créativité. Elle en fait un
regroupement correspondant aux trois facteurs de la créativité
individuelle :
- La composante organisationnelle de la motivation
à innover. Elle est constituée par l'orientation
générale de l'organisation en faveur de l'innovation. Cette
orientation doit venir essentiellement de la direction générale,
même si les cadres intermédiaires ont aussi une influence. Les
éléments les plus importants de cette orientation vers
l'innovation sont : la valeur donnée à l'innovation,
l'orientation positive vis-à-vis du risque (versus une orientation vers
le maintien du statu quo), une confiance dans les membres de l'organisation et
dans ce qu'ils sont capables de faire et une stratégie audacieuse de
prise de leadership (versus une stratégie défensive de protection
des positions passées).
- Les ressources du domaine. Elles incluent un ensemble
large : des personnes expertes de la faisabilité des innovations,
des personnes connaissant les marchés appropriés, des
financements, des ressources matérielles (comme des moyens de
production), des études de marché, la possibilité de
formation du personnel dans ces différents domaines etc.
- La composante organisationnelle du savoir faire dans le
management de l'innovation. Elle est constituée par la fixation
d'objectifs précis au niveau des résultats mais peu contraignants
au niveau des processus, un management participatif et collaboratif et des
systèmes de communication ouverts.
Ces trois composantes organisationnelles ont elles-mêmes
un rôle sur des étapes différentes du processus
d'innovation au niveau de l'organisation. La composante organisationnelle de la
motivation à innover influe sur la phase de cadrage de la mission pour
l'entreprise ou le service. La composante organisationnelle des ressources du
domaine et la compétence pour le management de l'innovation ont impact
sur la phase de fixation des objectifs et de rassemblement des ressources
liés au projet d'innovation ainsi que sur la phase de
développement, de tests et de sélection des projets.
Schéma 4 : Modèle componentiel d'Amabile au
niveau organisationnel.
Avec son modèle, Amabile fournit les principales bases
de la compréhension actuelle de la créativité au sein des
organisations. Des chercheurs ont par la suite complété son
approche dans plusieurs directions. Nous présenterons ici deux
modèles qui approfondissent les facteurs liés au groupe (le
modèle de Woodman) et les facteurs liés à l'individu (le
modèle de Taggar).
2. Modèle interactionniste de Woodman
Pour Woodman, Sawyer et Griffin (1993) la
créativité organisationnelle s'inscrit dans un contexte social et
peut être définie comme une fonction complexe de la
créativité des individus et des groupes, elles-mêmes
tributaires des caractéristiques de l'organisation. Leur modèle
repose sur l'idée que la créativité résulte de
l'interaction entre différents domaines sociaux.
Ce modèle reprend le cadre conceptuel du modèle
d'Amabile. Woodman, Sawyer et Griffin utilisent en particulier les facteurs de
la motivation individuelle (motivation intrinsèque, connaissance du
domaine et aptitude culture de l'innovation) et certains facteurs
organisationnels communs à ceux d'Amabile (ressources,
stratégie). Leur modèle se différentie cependant de celui
d'Amabile par l'intégration des caractéristiques du groupe
(cohésion, taille, normes etc.) dans une approche interactionniste.
Le comportement créatif des individus dans
l'organisation est finalement fonction de deux catégories de facteurs
environnementaux (en dehors des caractéristiques des personnes qui
réalisent le travail) :
(1) Les caractéristiques du groupe : la norme, la
cohésion du groupe, la taille, la diversité, les rôles, les
caractéristiques de la tâche et les méthodes de
résolution de problème utilisées par le groupe.
(2) Les caractéristiques organisationnelles: la culture
d'entreprise, les ressources, les récompenses, la stratégie, la
structure, l'attention portée à la technologie.
Dans le sens inverse, la créativité des
organisations dépend de celle des groupes, qui dépendent de celle
des individus. Il s'agit donc bien d'un modèle interactionniste.
Schéma 5 : Liens conceptuels entre les personnes,
les processus, les situations et les outputs dans le modèle
interactionniste de Woodman, Sawyer, et Griffin (1993).
3. Modèle multi niveaux de Taggar
Plus récemment, Simon Taggar (2002) a aussi
proposé un modèle de la créativité qui vient
compléter le celui d'Amabile. L'objectif de ce modèle est de
déterminer plus précisément ce qui influence la
créativité au niveau individuel et au niveau du groupe. Pour
cela, Taggar propose d'intégrer cinq nouvelles variables: l'aptitude
cognitive générale et quatre traits de personnalité du
« modèle des cinq facteurs » de Gosta et McGrae (le
caractère consciencieux, l'ouverture aux expériences, le
caractère agréable et l'extraversion).
Sur la base d'une étude auprès de 480
étudiants constitués en 92 groupes, Taggar va montrer que
ces cinq facteurs ont une influence significative sur la
créativité individuelle et la créativité du
groupe.
· Au niveau individuel, le caractère
consciencieux, l'ouverture aux expériences et les aptitudes cognitives
générales favorisent la motivation, les compétences du
domaine et les compétences liées à la
créativité :
- Les personnes consciencieuses sont motivées
intrinsèquement, impliquées dans les tâches,
entreprenantes, sérieuses, travailleuses, organisées,
énergiques. Elles peuvent se motiver elles-mêmes pour
réaliser un travail et accorder une moins grande attention à
l'approbation sociale et aux rétributions matérielles que les
personnes peu consciencieuses. Le caractère consciencieux est ainsi
positivement lié à la motivation intrinsèque.
- Les personnes qui ont un niveau élevé
d'aptitudes cognitives générales performent sur les
critères des connaissances, des compétences et des techniques
requises pour un travail (Ree et Earles, 1996). Ces personnes sont plus
performantes pour mémoriser et utiliser les informations. Elles
s'adaptent mieux à de nouvelles situations en apprenant vite et en
utilisant efficacement leurs anciennes connaissances (Hunter, 1986). Elles
acquièrent ainsi plus rapidement les compétences du domaine.
- Les personnes ouvertes aux expériences sont
imaginatives, ouvertes à des points de vue variés, et
tolérantes à l'ambiguïté. L'ouverture aux
expériences facilite ainsi la pensée divergente et les
compétences liées à la créativité.
· Au niveau du groupe, l'extraversion, le
caractère consciencieux et le caractère agréable
favorisent les « processus adaptés à la
créativité de l'équipe », qui sont
définis comme un ensemble de comportements de trois ordres: des
comportements liés à l'organisation et à la
coordination (fournir des feedbacks, organiser et coordonner les
contributions), des comportements liés à la
motivation (motiver les membres du groupe en élevant leurs
objectifs) et des comportements liés à la
considération (apprécier et tenir compte des
différentes idées, des besoins et des points de vue). Taggar
explique le lien entre ces comportements et les traits de personnalité
issus du modèle des cinq facteurs de la manière
suivante :
- Les personnes consciencieuses ont tendance à se
motiver elles mêmes et à se concentrer sur la réalisation
de la tâche. Leur présence au sein d'une équipe contribue
à diffuser ces attitudes.
- Les personnes extraverties sont sociables, enthousiastes,
énergiques et optimistes. Elles stimulent les échanges
d'information et contribuent à la motivation du groupe.
- Les personnes au caractère agréable ont
tendance à susciter la confiance, à être franches,
altruistes, accommodantes, modestes et à coopérer facilement avec
les autres membres de l'équipe. Ces qualités facilitent le
partage d'information, l'intégration des différents points de vue
et les comportements de résolution de conflit.
Schéma 6 : Modèle multi niveaux de la
performance d'équipe sur les tâches nécessitant de la
créativité.
Un apport essentiel du modèle de Taggar est de
souligner le rôle des processus adapté à la
créativité d'une équipe. Il n'est pas suffisant de
rassembler des personnes créatives pour que l'équipe soit
créative. Il faut également un environnement social qui permette
à chaque membre d'exprimer son potentiel. La créativité
apparaît ainsi comme étant à la confluence de la
connaissance du domaine, des compétences liées à la
créativité, de la motivation intrinsèque et de facteurs
sociaux comme la fixation des objectifs, les méthodes de
résolution de problème et l'intégration des idées
de tous. Par ailleurs, le modèle de Taggar permet d'identifier des
attitudes favorables à la créativité en groupe : le
caractère agréable, le caractère extraverti, le
caractère consciencieux et l'ouverture aux expériences.
4. Impact de ces modèles sur la pratique des
entreprises
Ces modèles de la créativité
organisationnelle ont inspiré des chercheurs et des consultants pour
recommander de méthodes de stimulation de la créativité
dans les entreprises. Deux types d'outils de management ont ainsi
été mis en place : les dispositifs intraprenariaux
(Bouchard, 2004) et les systèmes de management des idées
(Robinson et Stern, 1998, Robinson et Getz, 2007) :
- Les dispositifs intraprenariaux reposent sur l'idée
qu'il faut laisser l'organisation en place en charge de ce qu'elle sait le
mieux faire - gérer l'existant - et confier à des individus ou
à des petits groupes la tâche d'identifier et d'exploiter de
nouvelles opportunités. Les individus et les petits groupes sont en
effet considérés comme plus aptes à remplir cette
tâche en raison de leur créativité, flexibilité et
capacité d'apprentissage inhérentes dès lors qu'ils sont
libérés des contraintes de l'organisation. Concrètement,
les dispositifs intraprenariaux consistent à encourager les
salariés à générer des projets de création
de nouvelles activités et à leur confier la mise en place en leur
donnant les ressources nécessaires en terme de temps, d'argent et
d'autonomie. Les dispositifs intraprenariaux s'appuient donc sur trois leviers
principaux identifiés comme critiques par les travaux de
créativité organisationnelle : l'autonomie, l'engagement
personnel et le contrôle des ressources (Amabile, 1988 ; Woodman, Sawyer
et Griffin, 1993). Des entreprises aussi connues qu'Eastman Kodak, Xerox
Corporation et Lucent Technologies aux Etats-Unis, SAS, Siemens Nixdorf en
Europe ainsi que d'autres moins connues ont, au cours de leur histoire
récente, mis en place des dispositifs intrapreneuriaux.
- Les systèmes de management des idées (SMI)
reposent sur l'idée que tous les salariés de l'entreprise peuvent
contribuer à l'innovation. Les SMI consistent donc à mettre en
place un ensemble de méthodes pour encourager, réaliser et
reconnaître les idées de tous les salariés et favoriser
ainsi l'innovation continue. Deux principes essentiels au bon fonctionnement
des SMI visent à favoriser la motivation intrinsèque. Le premier
est de décentraliser au maximum la gestion des idées. Dans la
mesure du possible la décision de mettre en place l'idée ainsi
que sa mise en oeuvre doit être confiée au salarié
lui-même, sans passer par sa hiérarchie. Si une décision
par la hiérarchie est jugée nécessaire, celle ci doit
être en mesure de donner une réponse dans un délai de 72h
au salarié. Si la réponse est positive, la mise en place de
l'idée sera confiée au salarié. « Ce qui stimule
le plus le salarié, c'est de voir son idée
réalisée. La créativité repose sur des motivations
personnelles, comme la volonté de laisser sa propre marque. »
(Getz, 2005). Le deuxième principe est de mettre en place un
système de récompenses déconnecté des
résultats, si possible avec l'implication de la direction
générale. Une rencontre régulière entre le PDG et
les auteurs des idées est un exemple de récompense
recommandée. A l'inverse, les incitations financières sont
proscrites. « Donner une somme prédéfinie signifierait
qu'avoir des idées ne fait pas partie du travail quotidien de chaque
salarié. Ensuite, cela pervertit le système : s'il y a un
barème, les salariés tendent à se censurer. Ils croient
devoir attendre de trouver la meilleure idée, celle qui rapportera le
plus, alors que pour être créatif, il ne faut préjuger de
rien. Ce sont parfois les idées les plus basiques qui rapportent le plus
à l'entreprise » (Getz, 2005). Ce type de système a d'abord
vu le jour au Japon, puis aux Etats-Unis avant de concerner les grandes
entreprises européennes. En France, Renault et ST Microelectronics ont
par exemple mis en place des SMI (Getz, 2007).
Par le biais des ces deux dispositifs, le courant de la
créativité organisationnelle a trouvé des applications
importantes au sein des entreprises. Ces applications se situent dans un
logique d'innovation interne et s'intègrent dans un modèle
d'innovation fermée. De manière complémentaire, le champs
de la créativité organisationnelle peut il nous suggérer
des facteurs du succès pour l'intégration de personnes
extérieures dans les processus de créativité ?
Un des enseignements majeurs qui ressort de ces modèles
de créativité organisationnelle est que la
créativité se joue d'abord au niveau de l'individu et qu'il
existe des caractéristiques qui permettent de déterminer si un
individu à des chances d'être créatif. Les composantes de
la créativité de Teresa Amabile (motivation intrinsèque,
compétences pour le domaine et compétences pour la
créativité) ainsi que les traits de personnalité du
modèle de Simon Taggar (le caractère consciencieux, l'ouverture
aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion)
peuvent ainsi être considérés comme des critères
pertinents pour sélectionner les personnes à intégrer dans
un processus d'innovation. Concrètement, pour savoir si une personne
extérieure présente un potentiel créatif pour
l'entreprise, il sera probablement intéressant de valider qu'elle
possède une forte motivation intrinsèque (une passion pour le
sujet), une connaissance du sujet originale et pertinente ainsi que des
compétences pour la créativité (ce qui peut être
validé par la qualité des idées que cette personnes a
généré par le passé). Le caractère
consciencieux, l'ouverture aux expériences, le caractère
agréable et l'extraversion pourront être considérés
comme des indices en faveur de la possession des composantes d'Amabile.
Dans la partie suivante, nous présenterons les
principaux enseignements de la recherche sur le brainstorming. Cette partie
nous permettra d'identifier des facteurs de succès liés à
l'organisation et à l'animation des groupes de brainstorming avec des
personnes extérieures à l'entreprise et/ou avec des personnes
internes.
III. Les facteurs de la créativité des
groupes de brainstorming
La première utilisation du mot brainstorming dans son
sens actuel est attribuée à Alex Osborn, fondateur de l'agence de
communication BBDO. Dans les années 40, Osborn considère que les
employés américains n'expriment pas assez leurs idées dans
les réunions à cause des conventions sociales qui limitent la
contribution créative à quelques participants dominants. Il
propose alors une solution pragmatique sans réelle rationalité
théorique en définissant un cadre de réunion dont le but
est de lever les blocages sociaux pour donner libre cours à la
génération d'idées. Dans ses ouvrages Your creative power
(1948) et Applied Imagination (1957), il définit et développe
quatre règles fondamentales pour y parvenir. Ces quatre règles
sont encore aujourd'hui souvent énoncées au début d'un
brainstorming :
- Aucune critique n'est acceptée,
- Les idées « farfelues » sont
bienvenues,
- La quantité est encouragée,
- Les idées sont en permanence combinées et
améliorées.
Osborn ajoute que le nombre de participants doit être
idéalement compris entre 5 et 7 participants (un faible nombre de
participants limite le nombre de suggestions et un nombre plus important rend
le brainstorming plus difficilement contrôlable) et que la phase de
production des idées doit être suivie par une phase de
classification et de sélection des meilleures idées. Enfin, il
précise que ces règles ne doivent pas être suivies de
manière trop rigide, car le brainstorming doit rester spontané et
agréable.
Le brainstorming est aujourd'hui l'outil le plus
fréquemment utilisé pour générer des idées.
Toute organisation confrontée à un problème ou ayant
besoin d'idées nouvelles est susceptible d'utiliser le brainstorming.
Par exemple, une des sociétés leader de développement de
produits, IDEO Corporation, a l'habitude d'organiser un brainstorming au
début de chacune de ses missions pour partager les idées des
membres de l'équipe. D'autres brainstormings s'improvisent ensuite tout
au long de la mission (Sutton et Hargadon, 1996). L'utilisation
planifiée ou improvisée du brainstorming est aujourd'hui
généralisée à presque toutes les organisations.
Parallèlement à l'expansion de son usage, des
chercheurs en psychologie (psychologie appliquée ou psychologie sociale)
se sont penchés sur le fonctionnement du brainstorming et sur les
facteurs de succès de la créativité en groupe. En premier
lieu, ils ont cherché à valider que les règles de
fonctionnement proposées par Osborn étaient valides. Ils ont
ensuite proposé et validé des méthodes alternatives pour
améliorer la performance des brainstormings. Leur recherche s'est
basée la plupart du temps sur des études en laboratoire, au sein
des universités. Les expériences en laboratoire présentent
l'avantage de pouvoir être réalisées sur de grands
échantillons (souvent plus de 80 groupes de brainstorming
composés d'étudiants) et dans des conditions
contrôlées (durée et déroulement des brainstorming,
nombre de participants etc.) (King & Anderson, 1995). Ce champ de la
recherche présente aussi l'intérêt d'être très
productif en nombre de publications. 208 articles de recherche étudiant
le brainstorming ont été publiés entre 1967 et 1994
d'après la revue Psychological Abstracts (Sutton et Hargadon, 1996). Les
conclusions des études peuvent donc souvent être recoupées,
ce qui augmente la fiabilité des résultats. Cette recherche
fournit les bases solides d'une compréhension du processus de
génération d'idées en groupe et permet d'identifier des
facteurs qui inhibent ou favorisent la créativité. Nous
consacrerons cette partie à présenter et à
synthétiser les principaux facteurs qui ont été mis en
évidence.
1. Un cadre conceptuel cohérent avec le
modèle d'Amabile
Les chercheurs en psychologie appliquée
définissent la créativité comme un processus cognitif.
« Générer des idées est un processus cognitif
qui consiste à mobiliser des connaissances dans la mémoire
à long terme et à associer cette connaissance à la
mémoire active » (Paulus, 2007).
Les trois composantes de la créativité
énoncées par Amabile peuvent s'intégrer dans cette
approche de la créativité :
- Les compétences liées à la
créativité (adoption de nouveaux points de vue,
persévérance etc.) facilitent les associations nouvelles entre la
mémoire à long terme et la mémoire active.
- Les compétences du domaine constituent la
mémoire à long terme pertinente par rapport au sujet
- La motivation intrinsèque est le moteur de cet effort
créatif
Schéma 5: lnfluence des composantes de la
créativité d'Amabile sur le processus cognitif de
génération d'idées.
Les composantes de la créativité d'Amabile
constituent une trame cohérente avec l'approche cognitive de la
créativité généralement utilisée par la
recherche sur le brainstorming. Ainsi, nous proposons de classer les facteurs
de la créativité en brainstorming au sein des trois composantes
de la créativité d'Amabile :
1. Les facteurs favorisant les compétences liées
au domaine
2. Les facteurs favorisant l'expression et le
développement des aptitudes créatives
3. Les facteurs favorisant la motivation intrinsèque
Schéma 6 : Classification des facteurs favorisant
la créativité en brainstorming.
Schéma inspiré d'un schéma de Teresa
Amabile (voir annexe 1)
2. Facteurs favorisant l'accès aux
compétences liées au domaine
Effet positif des stimuli
Au cours d'un brainstorming, l'exposition aux idées
d'autres personnes peut avoir ce rôle de stimulus. Une idée de
quelqu'un peut susciter une bonne idée chez une autre personne en
activant un ensemble de connaissances a priori peu accessibles. Il a ainsi
été démontré que l'exposition aux idées
d'autres personnes permet de générer des idées plus
originales (Legett Dugosh et Paulus, 2005; Nijstad, 2002)
Un autre moyen de sortir du « chemin de la plus
faible résistance » est d'accroître la
«profondeur» de la génération d'idées. Cela peut
passer par une exploration préalable d'un domaine lié au sujet de
la recherche d'idées. Une expérience réalisée par
Nijstad en 2007 a mis en lumière l'efficacité de cette phase
d'exploration préalable. Avant le brainstorming, certains participants
ont répondu à une série de quatre questions ouvertes
portant sur un des domaines de la recherche d'idées (exemple : des
questions portant sur la nutrition si le sujet est lié à
l'amélioration de la santé). Ces participants ont
généré plus d'idées, plus d'idées originales
et plus d'idées de haute qualité (à la fois originales et
réalisables) sur le domaine concerné que les participants n'ayant
pas répondu aux questions préalables.
Effet positif de l'intégration de personnes
ayant des connaissances variées
Une troisième piste étudiée pour
mobiliser des connaissances à priori peu accessibles est
d'intégrer des personnes ayant des compétences du domaine
variées. Une étude de Diehl et Stroebe (1994) a montré que
les groupes hétérogènes (en terme de lien avec le sujet
étudié) explorent plus de catégories d'idées et
génèrent plus d'idées que les groupes homogènes.
Pour que la diversité au sein d'un groupe soit un
facteur positif, elle doit permettre de couvrir un ensemble de
compétences et connaissances du domaine plus large. Ainsi, il est
souvent plus intéressant de chercher une diversité et une
complémentarité des connaissances plutôt qu'une
diversité sociale comme l'origine ethnique ou l'âge, etc.
Cependant, une diversité sur des critères socio
démographiques peut aussi se montrer bénéfique si elle
permet d'accroître la variété des connaissances et des
compétences disponibles pour trouver des idées. Shruijer (1997) a
ainsi montré une légère supériorité des
groupes mixtes (homme et femme) sur les groupes composés uniquement
d'hommes ou uniquement de femmes.
Une deuxième condition du succès de la
diversité est qu'elle ne doit pas empêcher la cohésion du
groupe. De nombreux auteurs ont en effet souligné que le manque
cohésion peut marquer la limite des avantages de la diversité
(Zhou et Shin, 2007). L'hétérogénéité d'un
groupe peut réduire l'attachement des membres, la communication, et
accroître les conflits et le turnover (Zhou et Shin, 2007). Par
conséquent, la clé pour profiter de la diversité est de
minimiser ses effets négatifs sur les interactions entre les membres du
groupe en gardant ses bénéfices (West, 2002).
3. Facteurs favorisant l'expression et le
développement des aptitudes créatives
Amabile définit les aptitudes créatives comme la
capacité à changer de point de vue, la volonté d'explorer
de nouveaux schémas de pensée et un style de travail
persévérant conduisant à la poursuite énergique des
objectifs fixés. Les qualités personnelles qui favorisent ces
compétences sont la curiosité, un certain degré de
naïveté, une acceptation du risque, l'aisance sociale (Amabile,
1988), l'ouverture aux expériences (Taggar, 2002). La littérature
a mis en avant deux manières d'influer sur les aptitudes
créatives.
La première approche est de former les personnes aux
attitudes et aux techniques créatives. Rickards (1993) a montré
des groupes composés de personnes ayant reçu une formation de
plusieurs jours obtenaient de meilleures performances que des groupes
composés de personnes non formées. Ce résultat pourra
conforter les nombreux cabinets spécialisés dans la formation
à la créativité... De fait, depuis les années 80,
les offres de formation à la créativité se sont
multipliées: formation aux exercices de stimulation, à
l'animation des brainstormings, à la mise en place d'organisations plus
créatives etc.
La deuxième approche est de ne pas entraver les
aptitudes créatives dans le processus de recherche d'idées. C'est
ce volet qui a été le plus étudié car il part d'une
des observations les plus marquantes de la recherche sur le
brainstorming : la supériorité du groupe nominal
(participants séparés) sur le groupe interactif (en face à
face) sur les critères du nombre et de la qualité des
idées générées. Dans cette partie, nous allons
exposer la manière dont les interférences limitent la
créativité des groupes et présenter deux solutions
proposées et étudiées par les chercheurs.
Supériorité du groupe nominal sur le
groupe interactif en face à face
Osborn suggéra que l'application de ses règles
(aucune critique n'est acceptée, les idées « farfelues
» sont bienvenues, la quantité est encouragée, les
idées sont en permanence combinées et améliorées)
pouvait permettre d'être deux fois plus productifs que le même
nombre de personnes travaillant seules. De nombreuses expériences ont
été réalisées et ont dans l'ensemble validé
l'inverse de la proposition d'Osborn. Bien qu'il ait été
démontré que les règles proposées par Osborn
améliorent le nombre d'idées qu'un groupe en face à face
puisse générer (Parnes et Meadow, 1959), les personnes en groupes
interactifs génèrent a peu près deux fois moins
d'idées que le même nombre de personnes en groupes nominaux (Diehl
et Stroebe, 1987; Paulus et Dzindolet, 1993). Afin de justifier la pratique du
brainstorming en face à face par les entreprises, Sutton et Hargadon
(1996) ont insisté sur le fait que la brainstorming en face en face
présente l'avantage de pouvoir partager des informations et de
fédérer une équipe sur les objectifs et les outputs du
brainstorming. Cette argument en faveur du brainstorming ne vient cependant pas
contredire les nombreuses démonstrations de la productivité
inférieure (en nombre d'idées) des groupes en face à face
par rapport aux groupes nominaux (toutes choses égales par ailleurs).
La principale hypothèse pour expliquer la
supériorité du groupe nominal sur le groupe interactif est la
présence d'interférences (Nijstad et Stroebe, 2006). Les
interférences sont les effets négatifs que peuvent avoir les
idées des autres sur le cours de la réflexion des participants.
Cette interruption de la réflexion individuelle peut
s'observer dans de nombreux cas de figure. Cela peut être du à
l'exposition à une idée qui a peu de lien avec les connaissances
de la personnes. Dans un brainstorming sur l'amélioration d'une
université, un étudiant en sciences humaines peut être
gêné par les suggestions d'un étudiant en biologie sur les
moyens d'améliorer les séances en laboratoire car il aura peu
d'expérience et de connaissance sur ce sujet. Des interférences
peuvent aussi être liées aux conventions sociales.
Le travail en groupe peut occasionner des discussions qui ne sont pas
liées au sujet (ex : Que faites vous ce soir ?), ce qui a un
effet négatif sur la productivité du groupe (Dusgosh et al.,
2000), non seulement en gaspillant du temps mais aussi peut être aussi en
occupant la mémoire active qui pourrait être utilisée pour
la génération d'idées (Nijstad et Stroebe, 2006 ;
Paulus et Brown, 2003). D'une manière générale,
l'écoute des idées des autres (liées ou non avec la
réflexion en cours) implique de suspendre la réflexion, et
parfois de perdre le fil de sa pensée. Face à ce constat, les
chercheurs ont montré que des techniques pouvaient permettre de limiter
les interférences tout en maintenant l'effet stimulant du groupe.
Effet positif de l'alternance de phases collectives et
individuelles
Après un brainstorming, il a été
démontré qu'une phase de travail individuel est
bénéfique (Dugosh et al., 2000; Paulus et Yang, 2000). Cette
période d'incubation permet d'associer les idées
générées en groupe avec sa propre connaissance et de
favoriser ainsi l'émergence de nouvelles combinaisons. Plusieurs
études ont variées l'ordre des séquences de travail
individuel et collectif. Une étude suggère que commencer par une
session de groupe est plus favorable à la créativité
(Dunnette, Campbell, et Jaastad, 1963), alors qu'une autre étude ne
trouve pas d'effet d'ordre (Paulus, Larey et Ortega, 1995).
De même, une interruption brève dans le processus
de génération d'idées a été
démontrée comme étant bénéfique (Paulus,
Nakui, Putman et Brown, 2006), les pauses laissant probablement aux personnes
un temps individuel pour réfléchir aux premières
idées générées.
Efficacité du brainstorming
électronique
Afin de répondre au problème des
interférences, des chercheurs ont fait l'hypothèse qu'il devrait
y avoir un avantage à échanger les idées par le moyen d'un
ordinateur, ce qui est appelé « brainstorming
électronique » (EBS = Electronic Brainstorming).
Cette hypothèse a été
vérifiée par plusieurs études pour un nombre de
participants supérieur à deux (Galuppe et al, 1992 ; Derosa
et al, 2005). Ces études ont aussi montré que plus la taille du
groupe est importante, plus l'avantage de l'EBS est large. Ainsi, dans
l'étude de Galuppe, un EBS de 6 personnes permet un gain de 47 %
d'idées alors qu'un EBS de 12 personnes permet un gain de 206% vs le
groupe en face à face. Leggett, Dugosh et al. ont montré que ces
gains de productivité de l'EBS pouvaient être obtenus avec des
groupes relativement réduits (n=4) quand il était demandé
de retenir les idées des autres en les informant qu'ils seront
contrôlés à la fin du brainstorming.
Par ailleurs, il a été montré plusieurs
fois que des groupes d'EBS larges (plus de 9 participants)
génèrent plus d'idées que le même nombre de
brainstormers individuels (Dennis et Williams, 2003; Derosa, Smith et Hantula,
2007). Cela confirme l'existence d'un réel effet positif lié
à l'échange des idées. La technique de l'EBS permet donc
de stimuler les participants par les idées des autres sans devoir payer
le « prix » des interférences. Dans un EBS sur
ordinateurs, les idées sont visibles sur l'écran et peuvent
être relues autant que l'on souhaite (ce qui favorise la stimulation).
Les participants peuvent choisir de ne pas regarder les idées sur
l'écran quand ils élaborent leurs propres idées (ce qui
limite les interférences).
Effet positif de la structuration du
brainstorming
Une autre stratégie pour stimuler les aptitudes
créatives du groupe, est de demander de générer des
idées sur un domaine à la fois (Coskun et al., 2000). Cela permet
de réduire les interférences en garantissant que chacun est
à la même « page ». Dennis, Valacich, Connolly, et
Wynne (1996) ont mis en avant les mêmes conclusions sur les EBS. En
comparant des EBS où il était demandé de
générer des idées catégorie par catégorie
avec des EBS dont le déroulement n'était pas structuré,
ils ont trouvé que les processus structurés amenaient à
plus d'idées. (Nijstad , 2002)
4. Facteurs favorisant la motivation intrinsèque
Amabile (1988) souligne que la motivation intrinsèque
est un facteur particulièrement important car il dépend fortement
de l'environnement de travail. Il s'agit donc d'un levier sur lequel les
managers peuvent agir plus facilement, en limitant les freins à la
motivation (fainéantise sociale et anxiété) ou en
favorisant ses principaux moteurs (émulation et sélection de
participants ayant un intérêt pour le sujet).
Limitation de la fainéantise sociale et de
l'anxiété inhibitrice
Parmi les effets négatifs du travail en groupe, il y a
la fainéantise du au sentiment d'évaluation plus réduit de
la performance de chacun. Paulus et Dzindolet (1993) ont suggéré
que les membres d'une session de brainstorming ont tendance à aligner
leur performance vers les niveaux de performance individuelle les plus bas du
groupe. Ce phénomène n'est pas spécifique au travail
créatif. Il a été observé dans d'autres domaines
comme le tir à la corde (Ringlemann, Kravitz et Martin, 1986). Par
ailleurs, certaines personnes peuvent être affectées par une
anxiété inhibitrice liée à ce de ce que les autres
pensent des idées émises (Camacho et Paulus, 1995). Un management
encourageant l'implication individuelle contribuera a limiter l'effet
négatif de ces deux facteurs.
Effet positif de l'émulation
Cependant les auteurs insistent majoritairement sur les effets
positifs de l'émulation dans un groupe. Diehl et Munkes (2003) ont
réalisé une expérience qui suggère que la
présence d'un deuxième participant crée un effet positif
sur la performance, même si le co-équipier a une performance
inférieure. Plusieurs expériences ont par ailleurs montré
qu`il est possible de créer un effet d'émulation positive par des
moyens simples. Par exemple, la performance est accrue quand les brainstormers
doivent fournir un feedback à propos de la performance du groupe ou de
leur performance individuelle (Coskun, 2000). La performance moyenne des
participants peut aussi être accrue si une personne nouvelle arrive en
cours de brainstorming dans le groupe (Choi, 2005). Dans une veine similaire,
si les participants sont informés qu'un autre groupe a
généré beaucoup d'idées sur le même sujet,
ils ont tendance à augmenter leur production d'idées (Paulus et
Dzindolet, 1993). De même, un étudiant est plus créatif si
il est informé que les idées émises comme stimuli sur son
ordinateur ont été générées par un autre
étudiant et non par un programme informatique (Legett Dugosh, Paulus,
2004). Enfin, un autre indice qui vient confirmer le rôle fortement
positif de l'émulation est l'étude réalisée par
Goncalo montrant qu'un groupe composé de personnes individualistes est
plus créatif qu'un groupe composé de personnes collectivistes
(Goncalo, 2006).
Effet positif de la cohésion
Plusieurs auteurs soulignent le fait qu'il est important que
les membres du groupe aient un regard positif les uns sur les autres. Cela va
créer un désir de partager et d'écouter attentivement
leurs points de vue (Taggar, 2002 ; Paulus et Van der Zee, 2004). Un des
moyens d'accomplir cette cohésion est de revendiquer des valeurs et des
identités communes (Mannix et Neale, 2005 ; Anderson, 1994). Quoi
qu'il en soit, les groupes composés de membres qui ont une attitude
positive les uns par rapport aux autres sont plus créatifs car cette
attitude les rend plus à l'aise et plus motivés pour interagir
(Nakui et Paulus, 2007).
Effet positif du jeu
Beaucoup de consultants considèrent que le jeu est un
facteur essentiel de la motivation, indispensable pour être
créatif (Anderson, 1994 ; Chalamel, 2004). « En bref, le
processus du jeu nous donne l'énergie et la créativité. Il
implique la totalité de l'être, au lieu de nous reléguer au
rôle d'automate. Il nourrit notre compétence en nous donnant
l'excitation d'un risque sans conséquence, d'un challenge au lieu d'une
menace. Comme Carl Young le remarquait, « sans le jeu, aucun travail
créatif ne serait jamais né. Ce que nous devons au jeu est
incalculable » (Anderson, 1994).
Intérêt pour le sujet
Un variable qui découle du poids de la motivation
intrinsèque dans le modèle d'Amabile (1988) est
l'intérêt des participants pour le sujet du brainstorming. Il est
très vraisemblable que la performance créative du groupe
dépende fortement de l'intérêt que les participants portent
au sujet du brainstorming. Aucune étude sur ce facteur n'a cependant
été identifiée.
5. Synthèse des facteurs de la
créativité en brainstorming
Le tableau 1 (ci-dessous) récapitule les facteurs de la
créativité des groupes de brainstorming qui ont été
étudiés. Nous retrouvons des facteurs essentiels lié
à chacune des composantes : connaissance du domaine,
compétence liée à la créativité et
motivation intrinsèque. Cela est cohérent avec l'affirmation que
chacune des composantes est indispensable à la créativité
du groupe (Amabile, 1988).
Tableau 1 : Facteurs de la créativité des groupes
de brainstorming.
6. Besoin de transmission des enseignements de la
recherche aux entreprises
Alors que les modèles de la créativité
organisationnelle (modèles d'Amabile et de Woodman) ont eut un impact
sur la gestion de la créativité par les entreprises, il est
intéressant d'observer que les enseignements de la recherche sur le
brainstorming semblent trouver moins d'applications. Dans de nombreuses
entreprises (rencontrées dans le cadre de missions de conseils par
l'auteur de ce mémoire), les brainstormings pratiqués continuent
à ressembler à celui d'Osborn alors que de nombreuses pistes
d'amélioration on été clairement mises en
évidence : brainstorming électronique, alternance de phases
individuelles et collectives, exercices d'exploration préalable,
création d'une émulation, sélection de participants
permettant de couvrir un ensemble large de compétences liées au
domaine, structuration du brainstorming etc. Deux explications peuvent
être proposées. La première vient du délai
inévitable entre les fruits de la recherche et leurs applications en
entreprise. Cette explication n'est cependant pas totalement satisfaisante
à elle seule car certains résultats de la recherche sur le
brainstorming datent des années 50 (supériorité du groupe
nominal sur le groupe interactif en face à face). Une autre explication
vient du fait que ces expériences sont réalisées en
laboratoire, loin du terrain des entreprises (Alors que les expériences
d'Amabile se déroulaient sur le terrain de l'entreprise). Cela freine
peut être la transmission de leurs résultats au monde des
entreprises. Quoi qu'il en soit, il existe un réel besoin de
transmission de ces enseignements.
Nous pouvons conclure cette partie en insistant sur
l'idée que les résultats de la recherche sur la brainstorming
fournissent une boite à outils utile au manager qui souhaite mettre en
place un processus de génération d'idée, ouvert ou non
à des personnes extérieures. Les différents facteurs
étudiés (brainstorming électronique, alternance de phases
individuelles et collectives, exercices d'exploration préalable,
création d'une émulation, sélection de participants
permettant de couvrir un ensemble large de compétences liées au
domaine, structuration du brainstorming) constituent en effet des leviers pour
s'assurer que les composantes de la créativité (motivation
intrinsèque, aptitudes créatives, connaissances du domaine) sont
suffisamment présentes dans le processus. Le rôle positif de ces
techniques, même si il est réel, ne doit cependant pas être
surévalué. Dans son dernier ouvrage « Pensée
magique, Pensée logique » (2008), Luc de Brabandere, directeur
associé au Boston Consulting Group, défend l'idée que la
phase de brainstorming (dédiée à la
génération d'idée) n'a que peu d'impact sur les
performances d'innovation d'une entreprise. Pour Luc de Brabandere, les
idées sont le plus souvent déjà présentes et
facilement accessibles. « Le vrai défi n'est pas tant
l'élaboration de nouveaux concepts que la capacité d'abandonner
les représentations existantes ». Pour Luc de Brabandere,
l'innovation repose sur la capacité de l'entreprise à changer sa
perception sur sa mission et à briser des stéréotypes.
Ainsi la réussite d'un processus de créativité se jouerait
avant le brainstorming, au moment où les objectifs et le cadre sont
définis. Si le cadre de la recherche d'idées (la mission que se
donne l'entreprise et les contraintes qu'elle retient) n'est pas nouveau et
original, il y a peu de chance que les idées qui découlent du
brainstorming le soient.
Dans les deux prochaines parties nous illustrerons les
enseignements de la recherche en présentant et en analysant les
résultats d'un processus de « créativité
croisée » entre Bouygues Telecom et La Poste. Cette
expérience permettra de suggérer ou de confirmer certaines
conditions de succès de l'ouverture des processus de
créativité à des personnes extérieures.
IV. Objectif et propositions de l'expérience
1. Objectif de l'expérience
En exposant les principaux résultats de la recherche
sur le brainstorming, nous avons vu que les chercheurs considèrent la
diversité comme un facteur favorable à la
créativité car elle élargit le champs des
compétences que l'équipe peut utiliser pour trouver des
idées (Paulus et Nijstad, 2002 ; Amabile, 1988).
Au-delà de la recherche sur le brainstorming, de
nombreuses études ont montré que les équipes de travail
composées de personnes ayant des compétences variées sont
plus créatives et innovantes parce qu'elles bénéficient de
perspectives variées sur le problème. Dunbar (1997) a
montré que les équipes de recherches les plus efficaces sont
hétérogènes et cherchent à utiliser des analogies
pour résoudre les problèmes. Borill et al (2000), dans une
étude portant sur 100 équipes de premiers soins dans des
hôpitaux, a montré que plus le nombre de groupes professionnels
représentés est important, plus le niveau d'innovation est
élevé. De même, West (2001), qui a étudié la
créativité dans le système de santé public
américain, considère que « l'innovation requiert une
diversité des connaissances, des orientations professionnelles et des
formations » et que « rassembler des médecins, des
infirmières, des travailleurs sociaux, des
kinésithérapeutes engendre des niveaux d'innovation
élevés dans le domaine des soins ».
L'ensemble de ces études insiste sur le lien positif
entre créativité et diversité des connaissances.
Cependant, il existe peu d'études sur la manière d'utiliser au
mieux cette diversité. Ainsi, les conditions du succès de la
diversité sur le terrain de l'entreprise sont peu connues. Afin de
combler cette lacune, Zhou et Shin (2007) ont réalisé une
étude sur le lien entre créativité, diversité et le
type de leadership des managers. Partant du constat que la
diversité peut créer des problèmes de communication et de
cohésion entre les membres d'une équipe (King & Anderson,
1995 ; Song, 1997), ils ont proposé l'hypothèse qu'un
leadership charismatique conditionnerait le lien positif entre diversité
et créativité. Sur la base d'une étude sur 75
équipes R&D, ils ont vérifié que la diversité
des formations universitaires permettait aux équipes d'être plus
créatives à condition que le leadership soit perçu comme
charismatique par les membres de l'équipe (Pour certaines
équipes, dans le cas d'un encadrement peu charismatique, la
diversité avait donc un effet négatif sur la
créativité).
Ce type de recherche sur les conditions du succès de la
diversité répond à un besoin de plus en plus fort. La
diversité des connaissances, des cultures et des savoir-faire est de
plus en plus présente au sein des entreprises (Jackson et Alvarez,
1992). Par ailleurs, comme nous l'avons abordé en introduction, les
organisations sollicitent de plus en plus des personnes extérieures dans
leur recherche d'idées. Lesieur, Nestlé, et LVMH sont des
exemples d'entreprises qui pratiquent cette ouverture de leur processus de
créativité à des personnes extérieures.
Connaître les conditions de succès de l'intégration de
personnes extérieures dans les processus de créativité est
un enjeu opérationnel pour ces entreprises. Or, nous n'avons pas
identifié d'étude sur ce sujet.
Ainsi, l'objectif de notre expérience
est de préparer le terrain à une étude plus approfondie
sur le sujet des conditions de succès de l'intégration de
personnes extérieures dans les processus de créativité
ouvert. Dans cette optique, nous avons mis en place et étudié un
processus de créativité sur le terrain de l'entreprise que nous
allons présenter dans la prochaine partie.
2. Présentation du processus de
créativité croisée
L'objectif du processus de créativité
croisée est de réaliser un échange de
créativité entre deux entreprises en respectant les principes
d'efficacité créative mise en évidence par la recherche
sur la créativité. De plus, afin de permettre de mesurer la
contribution des personnes externes et des personnes internes, ce processus
doit permettre de séparer la génération d'idées des
personnes internes et celle des personnes externes.
L'échange de créativité que nous
proposons se réalise sous la forme de plusieurs brainstormings. Chaque
entreprise en réalise deux : un sur son sujet et un sur le sujet de
l'autre entreprise. Voici les étapes de l'échange de
créativité :
- Une équipe A (5 personnes issues du service marketing
d'une entreprise A) réalise un brainstorming sur un sujet A de
l'entreprise A et un brainstorming sur un sujet B de l'entreprise B.
- Une équipe B (5 personnes issues du service marketing
d'une entreprise B) réalise un brainstorming sur le sujet A de
l'entreprise A et un brainstorming sur un sujet B de l'entreprise B.
- Notation et sélection des idées sur le sujet
A par un (plusieurs) manager(s) de l'entreprise A
- Notation et sélection des idées sur le sujet
B par un (plusieurs) manager(s) de l'entreprise B
Cet échange de créativité ne peut
fonctionner qu'à trois conditions :
- Les deux entreprises ne doivent pas être en
concurrence directe. Il y aurait dans ce cas peu de chance qu'elles acceptent
de collaborer.
- Les deux entreprises doivent pouvoir s'apporter
réciproquement des connaissances pertinentes et originales par rapport
à leurs sujets.
- Les deux entreprises doivent être ouvertes aux
idées de leur partenaire.
Les principes d'efficacité créative que nous
proposons d'appliquer en priorité dans le processus sont liés aux
trois composantes de la créativité d'Amabile:
1. Ne pas entraver les aptitudes cognitives des
participants en limitant les interférences.
Brainstormings structurés en plusieurs axes de
réflexion (Coskun et al, 2000).
Alternance de phases de réflexion individuelles et
collectives (Paulus et Dzindolet, 1993)
Réalisation d'un exercice d'exploration pour se
familiariser avec le sujet (Nijstad, 2007)
2. Stimuler la motivation intrinsèque des
participants.
Présentation du processus comme un jeu dont le but est
d'émettre plus d'idées que l'équipe issue de l'autre
entreprise.
Sélection de sujets ayant un intérêt
réel pour l'entreprise.
3. Rassembler un ensemble large de compétences
liées au domaine.
Sélection de deux équipes qui possèdent
des connaissances ou des compétences qui
présentent un intérêt pour
améliorer la créativité de l'autre entreprise.
Faire réfléchir les deux équipes sur
chaque sujet.
Réalisation d'un briefing en début de
brainstorming sur le contexte et les objectifs du brainstorming.
4. Présentation de la problématique et
des propositions
Afin de savoir si les conditions que nous mettons en place
sont favorables à l'intégration de personnes extérieures,
la problématique que nous souhaitons explorer est la suivante: Le
processus de créativité croisée proposé permet il
une plus grande performance créative qu'un processus uniquement interne
?
Etant dans le cadre d'une étude de cas, nous ne
formulerons pas des hypothèses (qui doivent avoir un caractère
général) mais des propositions. Six propositions sont
formulées pour répondre à cette question :
Le choix des équipes est réalisé avec
l'objectif prioritaire d'un apport réciproque de connaissances
nouvelles. Chaque équipe participant au processus possède ainsi
des connaissances pertinentes liées au sujet. Par conséquent,
nous prévoyons que l'output créatif de chaque équipe sera
pertinent et que les managers seront amenés à sélectionner
des idées provenant à la fois des groupes internes et des groupes
externes.
Proposition 1 : La sélection finale des
idées intègre à la fois des idées des groupes
internes et des idées des groupes externes.
Les équipes internes peuvent être
avantagées en terme de nombre d'idée car elles sont
familières avec le sujet. Les personnes des groupes internes pourraient
ainsi démarrer le brainstorming en ayant une réserve
d'idées (volontairement ou involontairement) qui seraient émises
en cours de brainstorming (phénomène de « purge
créative »). Par ailleurs, les groupes internes peuvent
être plus motivés car le sujet les concerne directement.
Proposition 2 : Les groupes internes
génèrent un plus grand nombre d'idées.
Une des fonctions des services marketing est de
développer une connaissance approfondie des consommateurs. Les groupes
internes ont ainsi probablement une meilleure connaissance des attentes et des
comportements de leur cible et devraient être plus à même de
générer des idées adaptées à ces attentes.
Proposition 3 : Les groupes internes
génèrent plus d'idées perçues comme attractives
pour le consommateur.
Les équipes internes ont une meilleure connaissance de
la mission de la marque et des contraintes de faisabilité. Il est ainsi
probable qu'ils génèrent plus d'idées
considérées comme réalisables.
Proposition 4 : Les groupes internes
génèrent plus d'idées facilement réalisables.
Le regard neuf des groupes externes et la mobilisation de
connaissances nouvelles peut leur
permettre de générer des idées plus
originales (Paulus 2007) et donc plus séduisantes pour les managers.
Proposition 5 : Les groupes externes
génèrent plus d'idées perçues comme originales par
les managers internes.
Dans le cadre d'une volonté d'innovation, les managers
peuvent être séduits par l'originalité des idées des
équipes externes, même si elle présente un déficit
d'attractivité pour le consommateur.
Proposition 6 : La sélection finale par
les managers internes intègre plus d'idées des groupes externes
que d'idées des groupes internes.
Tableau 2 : Synthèse de la discussion des
propositions.
5 Choix méthodologiques
L'objectif de notre expérience est de préparer
le terrain à une étude plus approfondie sur le sujet des
conditions de succès de l'intégration de personnes
extérieures dans les processus de créativité ouvert. Dans
ce cadre nous avons privilégié une démarche qualitative
(étude d'un cas) plutôt que quantitative afin de pouvoir
étudier plus en profondeur un processus de créativité
croisée. En contrepartie, le degré de
généralisation des résultats sera donc
limité.
Nous souhaitons insister dans cette partie sur deux
caractéristiques de notre démarche :
- Il s'agit d'une démarche
hypothético-déductive,
- L'expérience se déroule sur le terrain de
l'entreprise.
Démarche
hypothético-déductive
Nous nous sommes inspirés des études
réalisées dans le domaine de la recherche sur le brainstorming,
à la différence que nous n'avons pas réalisé notre
expérience avec un échantillon quantitatif, mais avec
l'étude d'un cas de processus de créativité croisée
entre deux entreprises. Nous retrouvons dans notre démarche les 4
étapes caractéristiques d'une démarche
hypothético-déductive (Thietart et al, 2003) :
1. Détermination de concepts qui sont liés
à la question de recherche et revue critique de la
littérature : Définition des concepts d'innovation ouverte,
de créativité organisationnelle et d'efficacité
créative en brainstorming.
2. Mise en évidence d'incertitudes et de carences des
théories disponibles : inexistence d'étude sur les
conditions de succès de l'intégration de personnes
extérieures dans les processus de créativité.
3. Formulation d'hypothèses (ou en l'occurrence de
propositions) : Dans le cadre d'un processus de créativité
croisée, la sélection finale des idées intègre
à la fois des idées des groupes internes et des idées des
groupes externes (1), les groupes internes vont générer un plus
grand nombre d'idées (2), les groupes internes vont
générer plus d'idées perçues comme attractives pour
le consommateur (3), les groupes internes génèrent plus
d'idées facilement réalisables (4), les groupes externes
génèrent plus d'idées perçues comme originales par
les managers internes (5), la sélection finale intègre plus
d'idées des groupes externes que d'idées des groupes internes
(6).
4. Test des hypothèse (ou en l'occurrence des
propositions) et analyse des résultats
Une expérience sur le terrain de l'entreprise
Les études réalisées dans le domaine du
brainstorming par les chercheurs en psychologie appliquée sont
menées le plus souvent en condition de laboratoire, au sein des
universités. Ce choix permet un meilleur contrôle des conditions
avec la possibilité de mettre en place des conditions identiques sur de
grands échantillons, souvent supérieurs à 80
brainstormings. En revanche, ces études en laboratoire présentent
l'inconvénient d'être éloignées des contraintes
spécifiques de l'entreprise (timing, confidentialité, liens
hiérarchiques etc.) et de ses objectifs (attractivité
consommateur, faisabilité, rentabilité des idées etc.).
C'est pourquoi, nous avons eut la volonté, avant même de
définir précisément l'objectif de ce mémoire, de
réaliser notre étude sur la créativité sur le
terrain de l'entreprise.
V. Présentation de l'expérience et des
résultats
1. Participants
Le processus de créativité croisée a
été réalisé en partenariat avec La Poste et
Bouygues Telecom. Le choix de ces entreprises s'est fait en deux
étapes :
1. Deux managers chez La Poste se sont montré
intéressé, à la condition de la sélection d'une
entreprise partenaire qui puisse apporter une connaissance de la cible des
15-25 ans et qui ne soit pas en concurrence directe avec une activité de
La Poste.
2. Une sélection de trois entreprises correspondant
à ces critères a été effectuée et des
propositions ont été envoyées par mail à plusieurs
responsables marketing. Un manager du service marketing stratégique de
Bouygues Telecom a répondu positivement à cette proposition.
L'objectif des deux entreprises était lié
à la cible des 15-25 ans :
- Objectif de La Poste : « Identifier des
idées pour que l'offre courrier de la Poste réponde aux besoins
de la cible 15-25 ans »
- Objectif de Bouygues : « Identifier des
idées pour fidéliser les clients de 15-25 ans à la marque
Bouygues Telecom »
Chaque entreprise était représentée par
cinq participants ayant un poste de chef de produit ou assistant chef de
produit. Les deux équipes étaient exclusivement composées
de femmes.
Tableau 2 : Composition des équipes internes et
externes.
2. Plan d'expérience
Le processus a été conçu pour
répondre à trois objectifs :
- Mettre en place des conditions identiques entre les
brainstormings externes et internes pour les rendre comparables. L'animation
pouvait différer d'un sujet à l'autre mais elle devait rester
identique sur un même sujet pour le groupe interne et le groupe
externe.
- Maximiser le potentiel créatif du processus dans son
ensemble.
- Maintenir une durée d'implication inférieure
à quatre heures pour chaque participant.
L'ensemble du processus s'est déroulé sur une
durée de 8 semaines et comprenait les brainstormings (s'étalant
sur 4 semaines) et la sélection des idées (s'étalant sur 4
semaines).
Les brainstormings
Les quatre brainstormings étaient constitués de
trois phases : un briefing, un exercice
d'« exploration » et la génération
d'idées:
- La phase de briefing, d'une durée de 10 mm,
commençait avec une présentation du contexte et de l'objectif
pour l'entreprise. Pour les groupes externes, les principales dernières
innovations lancées par la marque étaient aussi
présentées. L'objectif était surtout de souligner l'enjeu
de la réunion afin de motiver l'équipe (Amabile, 1988) et de
limiter la proportion d'idées hors sujet ou déjà
réalisées par l'entreprise. Dans un deuxième temps, les
règles du brainstorming (Générer autant d'idées que
possible, suspendre le jugement, émettre aussi les idées
farfelues) étaient exposées. L'animateur indiquait aux
participants qu'ils devaient considérer la réunion comme un jeu
dont le but était de générer plus d'idées que
l'équipe de l'autre entreprise. Cette indication avait pour but de
créer une émulation favorable à la
créativité (Paulus et Dzindolet, 1993). Enfin, les types
d'exercices réalisés étaient exposés et
expliqués (le principe et le rôle de phase d'exploration et de la
structuration du brainstorming en plusieurs axes de réflexion).
- La phase d'exploration, d'une durée de 15 mm
consistait à répondre collectivement à deux questions
liées au sujet de la génération d'idée. Pour les
groupes travaillant sur le sujet de Bouygues Telecom, il était par
exemple demandé de lister les techniques de fidélisation
existantes. Cette phase avait pour but de stimuler la mémoire de long
terme pour faciliter la génération d'idées (Nijstad,
2007).
- La phase de génération d'idées, d'une
durée de 1h10 à 1h20, était structurée par
plusieurs axes de réflexion et par la succession de phases de
réflexion individuelles et collectives. Cela permettait de tenir compte
des enseignements de Coskun et al (2000) au sujet de l'effet positif d'une
animation structurée et des enseignements de Paulus et Dzindolet (1993)
sur l'importance d'intégrer des phases de réflexion individuelle
au cours du brainstorming. Concrètement, ce mode d'animation consistait
en une succession de 3 à 6 séquences
« présentation d'un axe de réflexion (5mm) /
génération d'idées individuelles et par écrit (7mn)
/ génération d'idées en groupe (7mm) ». Une
variante a été adoptée pour les brainstormings sur le
sujet de La Poste avec la réalisation d'une phase collective unique et
plus longue (20 mm) à la fin de la réunion.
Les conditions de l'animation
Afin de contrôler l'effet d'ordre, chaque équipe
réalisait d'abord le brainstorming sur le sujet interne. Afin de limiter
l'effet de lassitude, les brainstormings étaient séparés
d'une semaine. Afin de contrôler au maximum les conditions externes, les
brainstormings d'une même équipe se déroulaient à un
même horaire et ont été animé par une même
personne. Les brainstormings sur le sujet La Poste ont duré 1h35 et les
brainstormings sur le sujet Bouygues Telecom ont duré 1h45.
Tableaux 3: Comparaison des conditions et du
déroulement des brainstormings sur le sujet de La Poste.
Tableaux 4: Comparaison des conditions et du
déroulement des brainstormings sur le sujet de Bouygues Telecom.
La sélection des idées
La rationalité de la sélection des idées
par les participants à un brainstorming a été fortement
mise ne doute par Nijstad en 2006. Dans une étude empirique, il compare
la sélection des idées réalisée par 136 personnes
(ayant participé au brainstorming) à la sélection
réalisée par une personne extérieure avec l'aide d'une
grille de notation détaillée. « La différence
non significative de la qualité des idées
générées et des idées sélectionnées
[par les participants au brainstorming] suggère que la sélection
des participants n'est pas meilleure que le hasard. Ce résultat est
d'ailleurs cohérent avec ceux de Simonton (2003) dans son analyse de la
créativité dans la science et la littérature. Simonton
rapporte que les personnes ne sont pas efficaces à reconnaître
leurs meilleures idées et que cela n'améliore pas le
déroulement de leur carrière ». Afin de limiter
l'impact de la subjectivité des sélectionneurs, nous avons
organisé la phase de sélection en demandant de remplir une grille
de notation et nous avons confié la sélection à plusieurs
personnes.
Les sélectionneurs étaient des managers internes
(Trois managers pour le sujet Bouygues Telecom et un pour le sujet La Poste) et
un expert indépendant (Un consultant en innovation pour les deux
sujets). Chaque sélectionneur disposait de la liste des idées
(idées internes et idées externes mélangées, sans
signe de distinction). Pour chaque idée, il était demandé
d'attribuer une note de 1 à 4 sur trois critères -
l'originalité, l'attractivité et la faisabilité - et une
note globale (Voir questionnaire de sélection en annexe 4) ainsi que de
sélectionner les cinq idées qui étaient, selon le
sélectionneur, les plus intéressantes pour l'entreprise. Afin de
faciliter ce travail, les idées étaient classées par
thème, correspondant aux différents axes de réflexion.
2. Résultats
Le processus a permis de générer 111
idées différentes sur le sujet de La Poste et 141 sur le sujet de
Bouygues Telecom (Voir Annexes 2 et 3 pour le compte rendu des idées).
Cette différence s'explique vraisemblablement par la difficulté
supérieure du sujet de La Poste. Répondre aux attentes des 15-25
ans avec une offre courrier est plus difficile qu'avec une offre de
téléphonie mobile...
Nous présenterons les résultats de la
sélection par les managers internes puis les résultats de la
sélection par l'expert indépendant. Pour la validation des
propositions, nous prendrons pour base la sélection par les managers
internes car cette situation est représentative de la pratique des
entreprises.
Tableau 5 : Répartition des « bonnes
notes » et des idées sélectionnées par les
managers internes.
* Concernant la notation par les managers Bouygues Telecom, une
moyenne a été réalisée
** Le nombre d'idées sélectionnées est
supérieur à 5 par personne car la consigne de se limiter à
une sélection de 5 idées n'a pas toujours été
respectée.
La proposition 1 est vérifiée: La
sélection finale des idées intègre à la fois des
idées des groupes internes et des idées des groupes externes. Sur
37 idées sélectionnées par les managers internes, 11
proviennent des groupes externes et 26 des groupes internes. Cela signifie que
les groupes externes ont contribué à la production d'idées
jugées utiles mais que leur contribution est moins importante que celle
des groupes internes.
La proposition 2 n'est pas vérifiée de
manière significative : Les groupes internes ont
généré 5 idées de plus que les groupes externes,
mais cette différences n'est pas significative.
La proposition 3 est vérifiée: Les
groupes internes ont généré 56% des idées
considérées comme attractives (pour le consommateur) par les
sélectionneurs internes.
La proposition 4 est vérifiée: Les
groupes internes ont généré plus 54% des idées
considérées comme facilement réalisables par les
sélectionneurs internes.
La proposition 5 n'est pas vérifiée : Les
groupes externes ont généré 46% des idées
perçues comme originales par les managers internes.
La proposition 6 n'est pas
vérifiée : La sélection finale intègre
plus d'idées des groupes internes (70%) que d'idées des groupes
externes (30%).
Tableau 6 : Répartition des « bonnes
notes » et des idées sélectionnées par l'expert
indépendant.
** Le nombre d'idées moyen sélectionnées
par sujet est supérieur à 5 car la consigne de se limiter
à une sélection
de 5 idées n'a pas été respectée.
Les résultats de la sélection par l'expert
indépendant diffèrent de ceux des managers internes. Sa notation
des idées internes et des idées externes est
équilibrée sur les critères de l'attractivité et du
caractère réalisable. De manière logique, il
sélectionne autant d'idées provenant du brainstorming interne que
du brainstorming externe. Par rapport aux managers internes, l'expert
indépendant a donc été plus favorable aux idées
externes.
Il est intéressant de noter que l'expert
indépendant n'a sélectionné aucune idée commune
avec les managers de La Poste et seulement une avec les managers de Bouygues
Telecom, alors qu'il disposait de la même grille de notation. De
même, chez Bouygues Telecom, la sélection du service Cartes
Prépayées et Forfait Bloqués (2 managers) et du service
Fidélisation (1 manager) n'ont en commun qu'une idée sur un total
de 29. Nous retrouvons dans ces observations une conséquence de la
subjectivité de la sélection des idées pointée par
Nijstad (2006) et Simonton (2003).
3. Discussion et implications
La réponse à la problématique est
nuancée.
Le processus de créativité croisé a
atteint un premier degré d'efficacité par rapport à un
processus uniquement interne car les groupes externes et les groupes internes
ont contribué significativement à la production d'idées
sélectionnées par les managers internes. L'intégration de
personnes extérieures a ainsi permis de générer 40%
d'idées sélectionnées en plus. De plus, les commentaires
des participants laissent penser que la création d'une émulation
entre les équipes des deux entreprises a été un facteur de
succès essentiel.
Cette efficacité par rapport à un processus
uniquement interne est cependant relative. Les managers internes ont en effet
sélectionné deux fois plus d'idées internes que
d'idées externes et ont identifié plus idées originales,
attractives et réalisables parmi les idées internes. La
contribution des équipes internes a ainsi été
supérieure à la contribution des équipes externes. Cela
est un point important car un manager peut se demander si est il
justifié d'organiser ce type de processus pour gagner 40%
d'idées utiles en plus.
L'expérience souligne l'importance de la
définition du cadre de la recherche d'idées et du briefing des
participants internes.
La comparaison de l'efficacité des groupes externes et
des groupes internes peut permettre de suggérer des conditions de
succès à l'intégration de personnes extérieures. Le
fait que l'expert indépendant ait été plus favorable aux
idées externes suggèrent que les idées externes
n'étaient pas de moins bonne qualité dans l'absolu mais qu'elles
correspondaient moins aux attentes spécifiques des sélectionneurs
internes.
De manière schématique, nous pourrions
représenter les idées générées par les
personnes internes et par les personnes externes par le dessin ci-dessous. Dans
les deux cas (groupes externes et internes), le même nombre
d'idées a été émis. Cependant, dans le cas des
groupes externes, les idées émises correspondent moins au cadre
et aux objectifs perçus par les managers internes (les idées
externes sont plus souvent perçues comme pas assez réalisables,
moins attractives pour le consommateur ou pas assez différentes des
produits existants.
Schéma 7 : Représentation des idées
externes et des idées internes par rapport
au « cadre » des sélectionneurs internes
Idées émises par les groupes internes
Idées émises par les groupes externes
Cadre : objectifs et contraintes perçues par les
managers internes
Ce schéma permet de proposer deux
interprétations au résultat du nombre inférieur
d'idées externes sélectionnées par les managers
internes :
1. Les participants externes n'ont pas suffisamment
intégré le cadre de la génération
d'idées : les attentes des consommateurs, la faisabilité, et
la complémentarité avec les produits et services existants (ainsi
que d'autres contraintes et objectifs).
2. Les managers internes n'on pas suffisamment remis en cause
leur perception du cadre, qui était inadapté pour accueillir des
idées à fort potentiel provenant des personnes externes.
Afin de pouvoir comparer la contribution des personnes
externes et des personnes internes, nous nous étions fixé comme
contrainte de séparer la génération d'idées des
équipes internes et des équipes externes. Il s'avère que
cette séparation a probablement été trop forte car elle
n'a pas permis aux personnes externes d'intégrer suffisamment les
contraintes, les attentes des consommateurs et les offres existantes sur le
marché. Par ailleurs, cette séparation n'a pas permis aux
sélectionneurs de profiter du regard nouveau que pouvaient porter les
personnes externes sur leur sujet et leur permettre ainsi de modifier leur
perception du cadre de la génération d'idée.
Cette expérience met donc en avant l'importance de la
préparation des participants externes. A l'occasion de son
séminaire d'innovation, Lesieur avait prévu une
demi-journée de briefing et de questions/réponses. Avant
d'intégrer des personnes extérieures à un brainstorming,
certaines entreprises transmettent un briefing détaillé et font
réaliser un exercice de préparation. Ce type de démarche a
probablement manqué au processus de créativité
croisé que nous avons mis en place. Il ne suffit pas de faire participer
des personnes extérieures, il faut aussi les préparer
efficacement. Dans une même logique, cette expérience
suggère l'importance de la rencontre physique entre les personnes
internes et externes avant la génération d'idée car il
s'agit d'un facteur facilitant les transferts de connaissances et de points de
vue. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le manque
d'échange et de discussion entre les équipes des deux entreprises
(avant la phase de génération d'idée) est un point qui a
été spontanément souligné par les participants au
processus, lors de la réunion de bilan. Dans ce cas, il existe donc une
réelle attente d'échanger et débattre sur la
définition du problème avant la phase de génération
d'idée. Cela renforce l'idée qu'une phase d'échange
préalable sur les objectifs et les contraintes de la recherche
d'idée suscitent potentiellement l'intérêt des participants
et des sélectionneurs.
L'expérience confirme l'efficacité de
certains principes énoncés par la recherche sur le
brainstorming.
Les résultats globalement positifs du processus (nombre
d'idées émises et nombres d'idées de haute qualité
identifiées par les sélectionneurs) ainsi que commentaires des
participants laissent penser que la création d'une émulation,
l'alternance de phases de réflexion individuelles et collectives, la
réalisation d'un exercice d'exploration et la présentation de
stimuli ont été des facteurs de succès. Voici quelques
verbatim exprimés lors d'une réunion de partage qui s'est tenue
après le processus :
« [L'animateur] nous a fait sentir qu'il y avait une
compétition, et c'était stimulant »
« Les temps de réflexion personnels nous
permettaient d'être plus concentré »
« Le fait qu'il y ait une présentation avant
chaque parti a permis de creuser des domaines que nous n'aurions pas
exploré spontanément »
Conclusion
L'objectif de ce mémoire
était d'apporter un éclairage sur les conditions du succès
de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de
créativité. Quatre éléments de réponse sont
apportés à la fois par la revue de la littérature et par
l'expérience réalisée avec La Poste et Bouygues Telecom.
- Un des enseignements majeurs qui ressort des modèles
de la créativité organisationnelle est que la
créativité se joue d'abord au niveau de l'individu et qu'il
existe des caractéristiques qui permettent de déterminer si un
individu à des chances d'être créatif. Les composantes de
la créativité de Teresa Amabile (motivation intrinsèque,
compétences pour le domaine et compétences pour la
créativité) ainsi que les traits de personnalité du
modèle de Simon Taggar (le caractère consciencieux, l'ouverture
aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion)
peuvent ainsi être considérés comme des critères
pertinents pour sélectionner les personnes extérieures à
intégrer dans un processus de créativité.
- La recherche sur le brainstorming a débouché
sur la proposition d'outils pour stimuler la créativité tels que
la réalisation d'exercices d'exploration, l'alternance de phases de
réflexion individuelles et collectives, la création d'un esprit
de compétition et l'utilisation de stimuli. Ces outils ont
été validés quantitativement par des études en
laboratoire. Le processus de créativité mis en place avec
Bouygues Telecom et La Poste s'est inspiré de ces outils. Les
résultats globalement positifs du processus mis en place contribuent
à confirmer la faisabilité et l'utilité de ces outils dans
le cadre de l'entreprise, et dans le cas de la mobilisation de personnes
extérieures.
- L'analyse des résultats du processus de
créativité croisée a permis d'identifier que les personnes
extérieures ont probablement manqué de connaissances des attentes
des consommateurs, des produits existants et des contraintes de
faisabilité. Cela suggère que la préparation et le cadrage
de la créativité est un facteur de réussite
particulièrement sensible dans une démarche d'intégration
de personnes extérieures. Dans le cas du processus entre La Poste et
Bouygues Telecom, nous pouvons faire l'hypothèse qu'une réunion
préalable de briefing et de préparation du brainstorming par les
participants aurait permis d'améliorer l'efficacité
créative.
- Enfin, l'absence de discussion préalables et de
débat sur les objectifs de la recherche d'idées est un point qui
a été explicitement regretté par les participants lors
d'une réunion de bilan qui s'est tenu à l'issu du processus. La
possibilité de changer de regard sur la définition
problème est une attente forte et présentait, aux yeux des
participants, un intérêt essentiel de l'intégration de
personnes extérieures. Cette intuition des participants rejoint
l'idée défendue par Luc de Brabandere : « le vrai
défi n'est pas tant l'élaboration de nouveaux concepts que la
capacité d'abandonner les représentations
existantes ».
Les limites de cette étude sont importantes car
l'expérience n'a porté que sur un seul cas de processus de
créativité croisée entre deux entreprises. Le degré
de généralisation des résultats est donc limité.
Nous pouvons cependant dire que l'expérience contribue à
confirmer que les principes énoncés dans le domaine de la
créativité organisationnelle et du brainstorming s'appliquent
dans ce cas du processus de créativité croisée entre
Bouygues Telecom et La Poste.
Ces limites sont une invitation à poursuivre la
recherche sur les conditions de succès de l'intégration des
personnes extérieures dans les processus de créativité.
Dans cette perspective de futures recherches, un point qui nous semble
important est de distinguer deux phases successives dans le processus
créatif en entreprise (De Brabandere, 2008) :
- le changement de paradigme, c'est à dire le
changement de vision sur la mission de l'entreprise et les contraintes qu'elle
doit respecter.
- la génération d'idées à
proprement parler, c'est à dire la manière dont on s'adapte au
nouveau paradigme avec des idées de nouveaux projets pour
l'entreprise.
Il s'agit de deux étapes successives, qui n'impliquent
pas les mêmes types personnes (niveau stratégique vs niveau
opérationnel), qui ne s'organisent pas de la même manière
(un changement de paradigme est un travail de long terme alors que la
génération d'idées est un processus plus rapide) et qui ne
soulèvent pas les mêmes enjeux (enjeux stratégiques vs
enjeux opérationnels). Ces différences profondes suggèrent
que chacune des deux phases du processus créatif doivent faire l'objet
d'études séparées.
Cette distinction entre la phase de « changement de
paradigme » et la phase de « génération
d'idées » nous amène à nous poser deux questions
:
- Dans quelles conditions l'intégration de personnes
extérieures peut permettre un changement de paradigme susceptible de
favoriser l'innovation ?
- Dans quelles conditions l'intégration de personnes
extérieures peut permettre de renforcer l'efficacité de la
génération d'idées ?
Dans le contexte du développement rapide des pratiques
d'ouverture des processus de créativité, ces axes d'étude
constituent probablement des voies prometteuses pour le chercheur en
créativité et en innovation.
Bibliographie
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Annexe 1 : Modèle de la créativité
et de l'innovation dans l'organisation (Amabile, 1988)
Annexe 2 : Compte rendu des idées sur le
sujet La Poste ··
Annexe 3 : Compte rendu des idées sur le
sujet Bouygues Telecom
Annexe 4 : Extrait de la grille de notation des
idées
Idées générées sur le thème
« Créer de nouveaux lieux de rencontre »
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