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Facteurs de stimulation de la créativité et efficacité d'un processus de créativité croisée entre deux entreprises

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par Louis-Alexandre Grangé
CNAM - Master Economie et Gestion de l'Innovation 2008
  

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Master de Recherche Economie et Gestion de l'Innovation

Louis-Alexandre Grangé

Novembre 2008

Facteurs de stimulation de la créativité et efficacité d'un processus de créativité croisée entre deux entreprises

Résumé

L'organisation de séminaires avec des experts extérieurs, la mise en place de concours d'innovation ouverts aux clients, la collaboration avec des « utilisateurs pilotes » sont des exemples d'ouverture des processus d'innovation. Depuis la fin des années 1990, les entreprises sollicitent de plus en plus des personnes extérieures pour stimuler la créativité et l'innovation. Face au développement de ces pratiques, nous avons voulu étudier les conditions du succès de l'ouverture des processus de créativité à des personnes extérieures à l'entreprise.

La recherche sur la créativité fournit des clés de compréhension importantes. Depuis le début des années 80, le courant de la créativité organisationnelle étudie les facteurs qui favorisent l'efficacité des processus créatifs dans l'entreprise. Les facteurs fondamentaux mis en évidence sont des caractéristiques liées aux individus, telles que la motivation intrinsèque, les compétences liées au domaine et les compétences liées à la créativité. Pour l'entreprise, stimuler la créativité revient à mettre en place des systèmes et des méthodes qui stimulent ces caractéristiques au niveau des individus ainsi qu'à identifier et mobiliser plus particulièrement les personnes qui possèdent ces qualités à un plus haut degrés. De manière complémentaire, le courant de la recherche sur le brainstorming s'est attaché à améliorer l'efficacité créative des groupes. En partant des modèles de la créativité organisationnelle, ces recherches ont débouché sur la proposition d'outils tels que le brainstorming électronique, l'alternance de phases de réflexion individuelles et collectives, la création d'une émulation. Les courants de la créativité organisationnelle et de la recherche sur le brainstorming apportent donc des enseignements sur les conditions de succès de tout processus de créativité.

Nous n'avons cependant identifié aucune étude qui s'intéresse spécifiquement au cas de l'intégration de personnes extérieures à l'entreprise. Afin d'identifier des conditions de succès spécifiques, nous avons mis en place un processus de créativité croisée entre Bouygues Telecom et La Poste. L'efficacité globale du processus (en terme de nombre d'idées et de qualité des idées) suggèrent le rôle positif de plusieurs facteurs mis en avant par la recherche : la création d'une émulation, l'alternance de phases de réflexion individuelles et collectives, la réalisation d'un exercice d'exploration préalable et l'utilisation de stimuli. Par ailleurs, la comparaison des résultats des groupes internes et des groupes externes indique que le processus mis en place n'a pas permis une bonne adéquation entre la créativité des personnes externes et les objectifs des sélectionneurs internes. Cela suggère que la préparation et le cadrage de la créativité des participants extérieurs n'ont pas été suffisants et qu'il s'agit d'un facteur de réussite particulièrement important dans ce type de démarche. De manière complémentaire, une phase préalable d'échange et de redéfinition des objectifs (entre les managers internes et les créatifs extérieurs) aurait peut être permis de déterminer un cadre nouveau, plus favorable à la créativité des personnes externes.

Sommaire

Introduction p4 

I. Présentation du modèle de l'innovation ouverte p7

1. Contexte historique de l'émergence du modèle d'innovation ouverte p7

2. Contexte théorique du modèle de l'innovation ouverte p9

3. Définition du concept d'innovation ouverte par Chesbrough (2003) p10

4. Spécificités du modèle de l'innovation ouverte p11

5. Conditions du succès des processus d'innovation ouvert p14

II. Les facteurs de la créativité organisationnelle p19

1. Modèle componentiel d'Amabile. p19

2. Modèle interactionniste de Woodman p23

3. Modèle multi niveaux de Taggar p24

4. Impact de ces modèles sur la pratique des entreprises p26

III. Les facteurs de la créativité en brainstorming p29

1. Un cadre conceptuel cohérent avec le modèle d'Amabile p30

2. Facteurs favorisant l'accès aux compétences liées au domaine p31

3. Facteurs favorisant l'expression et le développement des aptitudes créatives p33

4. Facteurs favorisant la motivation intrinsèque p36

5. Synthèse des facteurs de la créativité en brainstorming p37

6. Besoin de transmission des enseignements de la recherche aux entreprises p38

IV. Objectif et propositions de l'expérience p40

1. Présentation de l'objectif p40

2. Présentation du processus de créativité croisée p41

3. Présentation de la problématique et des propositions p42

4. Choix méthodologiques p44

V. Présentation de l'expérience et des résultats p46

1. Participants p46

2. Plan d'expérience p46

3. Résultats p50

4. Discussion et implications p52

Conclusion p55

Bibliographie p57

Annexes p60

Schémas des composantes de la créativité d'Amabile p61

Compte-rendu idées La Poste p62

Grille de notation p71

Introduction 

L'ouverture des processus d'innovation est un thème d'actualité. Le développement d'Internet, la mondialisation des échanges et l'émergence d'une culture de l'ouverture pousse les organisations à collaborer avec des personnes extérieures pour stimuler l'innovation. Dans leur ouvrage sur l'intelligence collaborative, Don Tapscot et Anthony Williams (2007) considèrent que cette évolution va s'imposer massivement à toute l'économie. « La rencontre d'une plate-forme globale de collaboration [Internet], d'une génération ayant grandi dans la collaboration, et d'une économie globale qui permet de nouvelles formes de coopération crée les conditions d'un orage parfait qui transformera en profondeur les stratégies et les structures de l'entreprises. Les vieux vaisseaux de l'ère industrielle sombreront sous les vagues déferlantes alors que les entreprises qui s'insèrent dans des réseaux hautement flexibles et qui se connectent aux idées et aux énergies extérieures gagneront la force nécessaire pour survivre ». Sans prendre au pied de la lettre la métaphore un peu lyrique des deux auteurs, il est vraisemblable que la tendance à l'ouverture de la créativité repose sur des facteurs culturels, économiques et infrastructurels profonds et qui vont se poursuivre.

La généralisation de cette tendance ne doit cependant pas masquer qu'il s'agit d'un phénomène multiforme. Dans cette introduction, nous proposons de réaliser un rapide tour d'horizon des pratiques d'innovation ouverte afin d'illustrer leur diversité. Nous verrons d'abord que le profil des personnes sollicitées est très varié. L'ouverture des processus d'innovation peut concerner aussi bien des consommateurs que des chercheurs universitaires ou des responsables Recherche et Développement (R&D) dans des entreprises. Nous constaterons ensuite que les méthodes utilisées pour mobiliser ces personnes extérieures sont elles aussi très diverses.

L'ouverture des processus d'innovation a d'abord consisté à mobiliser les utilisateurs des produits et services. 3M a été un précurseur en mettant en place et en systématisant la méthode des utilisateurs pilotes (Von Hippel, 1999). Le processus se fonde sur le fait que beaucoup de produits ayant un impact commercial important ont été initialement imaginés, voir prototypés, par des « utilisateurs pilotes » - entreprises, organismes ou individus étant très en avance sur les tendances du marché. Leurs besoins vont tellement au-delà de ceux de l'utilisateur moyen qu'ils créent pour eux même ce qui deviendra peut être une innovation radicale commercialement intéressante. Dans cette méthode, la recherche d'innovation passe par une tâche systématique d'identification d'utilisateurs d'avant garde et d'apprentissage à leur contact régulier. Dans un autre domaine, Lego Mindstorm® (marque de robots à construire soi-même avec des briques Lego) encourage et récompense la réalisation de robots innovants par ses clients. Dans ce cadre, la marque a par exemple embauché quatre de ses utilisateurs les plus prolifiques pendant un cycle de développement de 11 mois. D'autres entreprises ont crée des « plateformes communautaires » sur Internet qui permettent de faire travailler certains consommateurs sur des sujets concrets d'innovation. Le site www.dreamorange.fr (France Telecom) organise ainsi des concours d'innovation auprès de ses clients technophiles. Dans le secteur informatique, des logiciels open source tels que Linux, Apache et MySQL ainsi que le site Wikipedia sont aussi des exemples d'initiatives réussies de co-création avec les utilisateurs. Il est intéressant de noter que plusieurs études suggèrent que ces initiatives d'innovation ouverte en collaboration avec les utilisateurs permettent souvent d'accroître la qualité et la performance des produits. Une étude publiée par le journal « European Journal of Information Systems » en 2000 concluait que « les logiciels open sources atteignent souvent une qualité supérieure aux logiciels propriétaires ». Une étude publiée dans la revue scientifique Nature a conclue que les pages de Wikipedia sur les sujets scientifiques étaient mieux renseignées que celles de l' Encyclopaedia Britannica (Bughin, Chui, Johnson, 2008).

Plus récemment, des entreprises ont décidé d'ouvrir massivement leur réflexion à des experts et des chercheurs extérieurs. Eli Lilly a été un précurseur dans ce domaine en créant en 2001 le site www.innocentive.com. Cette société Internet établit un lien entre des problèmes R&D à résoudre et des chercheurs. Elle permet ainsi aux entreprises de puiser dans une communauté scientifique internationale sans avoir à embaucher ses collaborateurs à plein temps. Les entreprises « demandeuses » postent anonymement leurs problèmes de R&D sur le site web et les « chercheurs » soumettent leurs solutions pour décrocher des prix allant de 5000 à 100 000 dollars. Innocentive sert aujourd'hui de réservoir de chercheurs à plus de 35 grands groupes américains, dont Boeing, DuPont de Nemours, Novartis ou Procter et Gamble. Pour ces entreprises, cette initiative tient une place essentielle dans leur stratégie d'innovation. Entre 2004 et 2007, 137 produits sont issus de cette démarche chez P&G. En 2010, l'objectif fixé par la direction est d'avoir 50% des innovations qui proviennent de l'extérieur (Tapscot et Williams, 2007). Depuis 2001, de nombreux autres sites ont été lancés sur le même principe. Yourencore s'adresse par exemple aux chercheurs partis à la retraite. Nine-sigma s'adresse en particulier aux industriels et aux chercheurs en chimie et pharmaceutique.

Le caractère multiforme de l'ouverture à l'innovation apparaît également par la manière de mobiliser les personnes extérieures. Comme nous l'avons vu, les entreprises peuvent mobiliser des utilisateurs par le biais de concours (dreamorange.fr, innocentive.fr), ou par le bais de partenariats avec les équipes de développement (utilisateur pilotes). Elles peuvent aussi intégrer ponctuellement des personnes extérieures (experts, chercheurs, clients etc.) dans les brainstormings internes. En novembre 2006, le groupe Lesieur a ainsi réuni 250 responsables R&D ou Innovation de grands groupes (Air Liquide, Veolia, Clarins, Monsanto, Seb...) et managers internes au stade de France pendant une journée. La matinée a été consacrée à un briefing sur la marque et ses objectifs et l'après-midi à la génération d'idées. Lesieur a ainsi récolté plus de 400 idées, dont une trentaine d'innovations de rupture dont le développement a été initié. Seize partenariats issus de ce séminaire ont vu le jour et sont pilotés par le comité d'innovation. (L'Usine Nouvelle, 2007). L'intégration de personnes extérieures dans des brainstormings est une pratique régulière dans de nombreux autres groupes de grande consommation ou de luxe tels que Nestlé, Loréal ou LVMH.

Par ce rapide tour d'horizon, nous apercevons que l'ouverture des processus d'innovation est un phénomène multiforme. Pour le manager qui observe ces évolutions, il est difficile d'y voir clair et de s'orienter vers des méthodes concrètes qui lui permettent d'en tirer profit. Dans cette perspective, les managers ont besoin de mieux comprendre les conditions du succès de l'ouverture des processus d'innovation à des personnes extérieures à l'entreprise. Afin de contribuer à répondre à ce besoin, l'objectif de ce mémoire est d'étudier les conditions de succès de l'intégration de personnes extérieures à l'entreprise dans des processus de créativité.

Dans cette optique, une première partie sera consacrée à présenter le contexte de l'émergence et les principales caractéristiques du modèle de l'innovation ouverte défini par Henry Chesbrough, inventeur du concept. Nous nous attacherons également à faire un point sur les conditions du succès mis en avant par la littérature.

Les deuxième et troisième parties seront consacrées à présenter un état de la littérature sur les facteurs de la créativité dans les organisations. Nous explorerons successivement deux axes complémentaires de la recherche :

- L'axe de la créativité organisationnelle dont l'objectif est de d'identifier et de comprendre les facteurs influençant la créativité dans l'organisation.

- L'axe de la recherche sur le brainstorming dont l'objectif est de déterminer les facteurs de l'efficacité des réunions dédiées à la génération d'idées.

Enfin, dans les deux dernières parties, nous illustrerons les enseignements de la recherche en présentant et en analysant les résultats d'un processus de « créativité croisée » entre Bouygues Telecom et La Poste. Cette expérience permettra de suggérer ou de confirmer certaines conditions de succès de l'ouverture des processus de créativité à des personnes extérieures.

I. Présentation du modèle de l'innovation ouverte

Dans cette partie nous allons présenter l'émergence progressive du concept d'innovation ouverte. Avant de définir ce nouveau paradigme et d'en décrire les principales caractéristiques, nous exposerons le contexte historique et théorique de son émergence.

1. Contexte historique de l'émergence du modèle d'innovation ouverte

Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que l'ouverture des processus d'innovation n'est pas un phénomène nouveau mais est une tendance générale qui connaît des phases d'accélération et de recul.

Les racines de l'ouverture des processus d'innovation par les entreprises

Dans un article de la revue Mc Kinsey Quarterly, Brown et Hagel (2006) rappellent que les premières démarches d'innovation ouverte au sein des entreprises remontent aussi loin que la Renaissance Italienne, quand des réseaux d'entreprises textiles dans le Piedmont et en Toscane ont généré un cycle d'innovation rapide dans la production de soie et de coton.

Dans un même ordre d'idée, William et Tapscot (2005) soulignent que, dés la fin du 17ième siècle, le mouvement des Lumières a amorcé une nouvelle approche de la création, de l'accumulation et de l'utilisation du savoir qui ont été bénéfiques à l'émergence de l'activité industrielle : «  Ingénieurs, mécaniciens, chimistes, médecins, et philosophes de la nature formaient des cercles dont l'objectif primordial était l'accès aux connaissances. Ils échangeaient des courriers, se rencontraient dans les loges maçonniques, assistaient à des conférences dans les cafés et débattaient dans les académies scientifiques. Certains échanges personnels se cantonnaient aux sciences, mais des passerelles de plus en plus nombreuses étaient jetées entre hommes de sciences et ingénieurs, d'une part, et ceux qui utilisaient le savoir pour résoudre des problèmes pratiques et développer des activités proto industrielles, d'autre part. Grâce à la diffusion de la connaissance et du savoir, la science avait cessé d'être la propriété exclusive de privilégiés. »

La mise en place d'une législation des brevets à la fin du 18ième siècle aux Etats-Unis a ensuite permis un nouvel essor de l'ouverture des processus d'innovation dont le paroxysme a eut lieu au début du 20ième (Lamoreaux, Raff et Temin, 1999). Une analyse des archives des sessions des brevets aux Etats Unis entre 1870 et 1910 montre en effet que ce marché était très actifs et en forte croissance, passant de 794 brevets vendus en 1870 à 1869 brevets vendus en 1910. Ce phénomène a été facilité par l'apparition de courtiers de brevets et de journaux dédiés à la publication des brevets, parmi lesquels American Scientific, American Artisan et American Inventor.

Coup de frein donné par le développement d'organisations R&D verticalement intégrées

D'après Henry Chesbrough, la tendance à l'ouverture des processus d'innovation a connu une phase de recul avec l'émergence de services R&D au cours de la première moitié du 20ième siècle.  Durand cette période, le rôle primordial de l'inventeur isolé et du marché des brevets dans l'émergence des innovations a laissé la place à l'influence croissante des activités R&D des grandes entreprises (Schumpeter, 1942). Comment expliquer l'émergence rapide d'organisations R&D et le coup de frein donné à l'ouverture des processus d'innovation ?

Se basant sur les travaux de Chandler (1990) et Mowery (1983), Chesbrough rappelle que les premières organisations R&D se sont développées pour améliorer les activités de production. Ces activités étant très spécifiques à chaque entreprise, les investissements en recherche et développement furent spécifiques à chaque entreprise et intégrés au sein de services internes. A partir d'une première base de technologie crée par l'organisation R&D, les entreprises ont exploité cette connaissance pour développer de nouveaux produits et accroître ainsi leurs économies d'échelle. Dans beaucoup de secteurs, des fonctions R&D de grande dimension sont ainsi apparues, créant une barrière à l'entrée grâce aux économies d'échelle. Les économies d'échelle de la R&D internes ont ainsi permis l'émergence d'un modèle d'innovation intégré verticalement où des entreprises de grande taille ont internalisé les activités de recherche, de développement, de fabrication et de distribution. L'approche managériale utilisée par ce modèle propriétaire a été résumée par le président de Harvard James Bryant Conant comme consistant à «  prendre un homme de génie, lui donner de l'argent et le laisser travailler seul ». Le Menlo Park d'Edison, le Bell Labs de AT&T et le PARC de Xerox sont des exemples emblématiques de ce type de modèle d'innovation qui a été à l'origine de nombreuses innovations au cours du 20ième siècle.

Démarrage d'une nouvelle phase dans l'ouverture des processus d'innovation avec le développement d'Internet

Depuis la fin des années 90, le développement d'Internet et l'arrivée d'une génération ayant grandi dans la collaboration ont crée les conditions favorables au démarrage d'une nouvelle phase d'ouverture des processus d'innovation (Tapscot et Williams, 2005). Internet a vu naître de nombreuses initiatives innovantes d'innovations ouvertes. Les sites qui fonctionnent sur le principe de la collaboration sont aujourd'hui très nombreux : Wikipedia, Flickr, Ohmynews, Myspace, Craiglist, Youtube en sont quelques exemples. En parallèle, des initiatives d'innovation ouverte ont également vu le jour dans d'autres secteurs. Ce sont par exemple celles qui ont été décrites en introduction de ce mémoire ( méthode des utilisateurs pilotes chez 3M, site web de publication de besoin R&D par Elli Lily et Procter & Gamble, concours d'innovation par Lego etc.). Tapscot et Williams expliquent qu'Internet a donné l'impulsion en terme de support technique mais qu'il a surtout permis de développer une culture de la collaboration. Dans les pays industrialisés, la nouvelle génération a grandi en ligne et apporte une nouvelle culture d'ouverture, de participation et d'interactivité au travail, dans les communautés et sur les marchés. « Elle constitue une nouvelle espèce de salariés, de consommateurs et de citoyens. Il faut les considérer comme le moteur démographique de la collaboration et la raison pour laquelle l'orage parfait n'est pas une tempête dans un verre d'eau mais bien un ouragan qui va accumuler de la force à mesure que ces jeunes gagneront en maturité ». 

2. Contexte théorique de l'émergence du modèle d'innovation ouverte

Depuis la fin des années 80, plusieurs chercheurs ont commencé à remettre en cause le modèle d'innovation fermée qui a prévalu la majeure partie du 20ième siècle (Chesbrough, 2005). Cohen et Levinthal (1990), ont recommandé aux organisations R&D de développer leur « capacité d'absorption » en tenant compte des « deux faces de la R&D » (tournées vers l'intérieur et vers l'extérieur de l'entreprise) et en investissant dans la recherche interne pour utiliser la technologie externe. Ils suggèrent l'idée que les entreprises qui ne parviennent pas à exploiter cette R&D externe ont un désavantage compétitif important. Eric Von Hippel (1988) a lui distingué quatre sources de connaissances extérieures à exploiter : (1) les fournisseurs et les clients (2) l'université, le gouvernement, et les laboratoires publiques (3) les concurrents (4) les autres pays.

Ove Grandstrand et ses collègues (1997) ont expliqué que « la création de compétences dans de nouveaux domaines est un processus dynamique d'apprentissage, demandant de combiner l'acquisition de technologies externes et de technologies internes. Le sourcing de la technologie est rarement un substitut pour la R&D interne, mais il la complète de manière importante ».

Les entreprises peuvent également avoir recours à des alliances pour obtenir de telles connaissances et utiliser des ressources complémentaires pour exploiter cette connaissance. Cette alliance de réseaux est particulièrement importante dans des industries de haute technologie comme les biotechnologies (Mowery et al, 1996 ; Bekkers et al, 2002).

De nombreux modèles ont été développés pour expliquer comment les entreprises exploitent la connaissance externe. La méthode la plus simple et la plus commune est probablement d'imiter un concurrent. D'autres approches plus sophistiquées ont été proposées. Intégrer des consommateurs pilotes dans le processus de développement peut par exemple fournir des idées sur la découverte, le développement d'innovation (Von Hippel, 1988). Le domaine public est également considéré une source importante de connaissance et d'innovation. La recherche universitaire est ainsi souvent financée par des fonds privés pour générer des externalités (Chesbrough, 2005).

D'autres chercheurs ont étudiés l'utilisation d'alliances et la réalisation de réseaux par les entreprises comme un autre moyen de chercher activement et d'incorporer la connaissance extérieure dans les processus d'innovation de l'entreprise. Le travail de Woody Powell et de ses collègues examine les bénéfices des réseaux d'entreprises innovantes. Nooteboom (1999) examine lui l'utilisation d'alliance dans les sociétés et les industries de haute technologie (Chesbrough, 2005).

3. Définition du concept d'innovation ouverte par Chesbrough (2003)

La pratique de l'innovation ouverte trouve ses racines dans l'idée que la connaissance utile à l'entreprise est présente en plus grande quantité à l'extérieure qu'à l'intérieur de l'entreprise. Pour être performante, une organisation R&D doit ainsi intégrer des connaissances et des idées externes au coeur de ses processus.

Henry Chesbrough (2003) a été le premier à définir le concept d'innovation ouverte. « L'innovation ouverte est l'utilisation de flux de connaissances sortants et entrants pour accélérer à la fois l'innovation interne [développée et commercialisée par l'entreprise] et le marché des usages externes de l'innovation [développée et commercialisée par d'autres entreprises] (...) Le paradigme de l'innovation ouverte peut être compris comme l'antithèse du modèle traditionnel d'intégration verticale où les activités internes de la R&D conduisent à des produits développés en interne qui sont ensuite distribués par l'entreprise ».

Le modèle d'innovation ouverte suggère ainsi que les idées peuvent provenir de l'intérieur ou de l'extérieur de l'entreprise et peuvent accéder marché par un processus interne ou par un processus externe. Cette approche place les idées et les accès externes au même niveau d'importance que les idées et les accès internes.

Le schéma 1 représente le processus d'innovation au sein de l' « ancien » modèle d'innovation fermé. Les projets de recherche sont initiés à partir des connaissances et des technologies que possède la société. Certains de ces projets sont annulés et d'autres sont sélectionnés pour être développés. Enfin, certains d'entre eux sont choisis pour être lancés. Ce processus est appelé « fermé » car les projets ne peuvent rentrer qu'au démarrage du processus et ne peuvent sortir qu'en étant lancé sur la marché par l'entreprise. Finalement, les projets évoluent en interne tout au long du processus.

Schéma 1: Processus d'innovation fermé (Chesbrough, 2003)

Le schéma 2 représente le processus d'innovation ouvert. Dans ce modèle, les projets peuvent être lancés à partir de technologies internes ou externes et les nouvelles technologies peuvent être intégrées à différentes étapes. Par ailleurs, les projets peuvent atteindre le marché de différentes manières, par le biais de licences, de sociétés « spin-off » ou par le canal du marketing et de la vente interne. Ce modèle est appelé « ouvert » parce qu'il existe différentes manières pour que les idées intègrent le processus et différentes manières pour que les idées sortent du processus.

Schéma 2: Processus d'innovation ouvert (Chesbrough, 2003)

4. Spécificités du modèle de l'innovation ouverte

Qu'apporte concrètement le modèle d' « Innovation Ouverte » de Chesbrough par rapport à la conception classique des processus d'innovation? Dans son ouvrage, « Open Innovation : Researching a new paradigm »  (2005), Chesbrough expose l'idée que les entreprises qui ont adopté une démarche d'innovation ouverte pilotent leur innovation de manière radicalement différente. Il énonce plusieurs points de différentiation avec la politique d'innovation des entreprises en « innovation fermée ».

- Un premier élément est lié à la manière de considérer l'ensemble des connaissances existantes sur un domaine. Dans le modèle propriétaire de l'innovation, la connaissance utile est rare, difficile à trouver et est parfois considérée comme malvenue (Syndrome du « Not Invented Here »). Dans le modèle de l'innovation ouverte, la connaissance utile toujours est considérée comme répartie largement à l'extérieur de l'entreprise, et généralement de bonne qualité. Même l'organisation R&D la plus compétente a besoin de se connecter à ces sources de connaissances externes. Chesbrough illustre ce point de vue avec une citation du rapport annuel la société Merck : « Merck représente 1% de la recherche Biomedicale dans le monde. Afin d'avoir accès au 99% restant, nous devons activement nous tourner vers les universités, les instituts de recherches et d'autres entreprises dans le monde entier pour tirer profit du meilleur de la technologie et des produits. L'ensemble des connaissances dans les domaines des biotechnologies et du génome humain est trop important et trop complexe pour être manipulé par une seule entreprise. » Ces sources externes peuvent ainsi être des universités et des laboratoires nationaux mais aussi des start up, des petites entreprises spécialisées, des inventeurs individuels et même des employés ou des chercheurs partis à la retraite.

- Une deuxième différence est le rôle central du modèle d'affaire dans le pilotage de la politique d'innovation. Le modèle d'affaire est utilisé pour rechercher et sélectionner les talents internes et externes qui vont contribuer à l'innovation. L'étude de la cohérence avec le modèle d'affaire permet par ailleurs de décider si le développement d'un projet d'innovation se fera en interne ou en externe par le biais d'une licence ou d'une société « Spin Off ». Dans le modèle de l'  « homme de génie », le modèle d'affaire n'a pas un rôle central. Les efforts sont plutôt concentrés sur le recrutement des meilleurs chercheurs, avec la conviction que ces personnes de talent, une fois financées, vont faire émerger des innovations à fort potentiel qui pourront être développées en interne.

- Une troisième distinction est la mise en place de processus pour éviter les erreurs d'évaluation du type « faussement négatif ». Les processus d'innovation traditionnels sont gérés pour réduire la probabilité des erreurs du type « faussement positif » qui se produisent quand le projet suit tout le processus de développement et de commercialisation au sein de l'entreprise, puis échoue. La possibilité d'une erreur du type « faussement négatif », ou le projet a un potentiel fort mais n'est pas développé n'est pas perçu comme important. Tout projet qui ne semble pas être réalisable en interne où qui ne correspond pas au modèle d'affaire de l'entreprise est en effet arrêté, quel que soit son potentiel. A l'inverse, la pratique de l'innovation ouverte permet d'améliorer la gestion des projets R&D qui ne correspondent pas au modèle d'affaire. La plate-forme en ligne de transfert de technologie yet2.com a ainsi été conçue pour permettre aux entreprises de proposer des droits de licence de leur propriété intellectuelle sous-utilisée. Le réseau d'échange de Yet2.com, constitué de 500 grands groupes, donne accès à 40% de la R&D mondiale. Beaucoup d'entreprises pratiquant l'innovation ouverte confient la responsabilité de « recycler » les projets et les technologies à des personnes dédiées (Tapscott et Williams, 2005).

- Un quatrième point de différentiation est le nouveau rôle de la gestion de la propriété industrielle dans le modèle de l'innovation ouverte. Alors que la pratique d'une gestion proactive de la propriété industrielle n'est pas nouvelle pour certaines entreprises industrielles, les théories précédentes de l'innovation considéraient la propriété intellectuelle comme un sous produit de l'innovation dont l'usage était principalement défensif. Cela permettait aux entreprises d'utiliser leur technologie sans être bloqué par une propriété industrielle externe. Si un tel blocage survenait, la propriété industrielle pouvait être transférée sous forme de licence. En Innovation Ouverte, cette situation ne représente qu'un des nombreux usages possibles de la propriété industrielle. La propriété industrielle devient un élément clé de la stratégie d'innovation car elle facilite l'utilisation des marchés pour échanger facilement des connaissances et des technologies.

- Un cinquième point de différentiation est l'émergence d'intermédiaires sur les marchés de l'innovation. Alors que des intermédiaires ont été observés dans domaines proches comme dans le cas d'alliances technologiques (Nooteboom, 1999), ils jouent maintenant un rôle direct sur l'innovation elle-même. Comme l'innovation devient un processus plus ouvert, les marchés intermédiaires ont maintenant émergé. Les parties peuvent maintenant échanger sur ces marchés à des étapes qui étaient précédemment conduites entièrement à l'intérieur de l'entreprise. A ces jonctions, des entreprises spécialistes fournissent maintenant de l'information, de l'accès et même des financements pour permettre à ces transactions de se produire. Le développement de ces intermédiaires est probablement le plus avancé dans le domaine pharmaceutique (avec Innocentive et Yet2.com par exemple), mais s'observe également dans d'autres secteurs (avec NineSigma et YourEncore par exemple).

- Une sixième spécificité de cette nouvelle approche est le développement de nouveaux indicateurs de performance du processus d'innovation. Les indicateurs classiques sont le pourcentage du chiffre d'affaire consacré à la R&D, le nombre de nouveaux produits développés en une année, le pourcentage du chiffre d'affaire réalisé avec des nouveaux produits et le nombre de brevets obtenus par rapport au montant investi. De nouveaux indicateurs vont remplacer certains de ces anciens indicateurs : le pourcentage de projets d'innovation générés en dehors de l'entreprise, le délai entre la génération des projets et leur mise en marché (en comparant les différents canaux : interne, licence, spin off etc.), le taux d'utilisation de brevets détenus par l'entreprise, le montant investi dans des entreprises extérieurs etc.

Voici un récapitulatif des principaux points de différentiation du paradigme de l'Innovation Ouverte par rapport aux précédentes théories de l'innovation :

1. Considération pour la valeur et la quantité des connaissances existantes du domaine

2. Rôle central du modèle d'affaire dans la recherche des talents internes et externes

3. Mise en place de processus pour éviter les erreurs d'évaluation du type « faussement négatif »

4. Gestion proactive et diversifiée de la propriété industrielle

5. Emergence d'intermédiaires de l'innovation

6. Mise en place d'indicateurs de performance nouveaux

5. Condition de succès des processus d'innovation ouverts

Alors que les chercheurs universitaires comme Henry Chesbrough ont adopté une approche descriptive de l'innovation ouverte en cherchant à la modéliser, certains cabinets de conseil ont tenté de définir des facteurs clés de succès de certaines pratiques d'innovations ouvertes. Des consultants du cabinet Mc Kinsey ont ainsi proposé des principes de gestion des réseaux de création (Brown et Hagel, 2005 ; Bughin, Chui et Johnson, 2008). Bien que ces propositions ne soient pas issues d'une démarche de recherche académique, elle présente l'intérêt de représenter première exploration des facteurs de succès de l'intégration de personnes extérieurs dans des processus d'innovation.

Définition et exemple de réseaux de création

Les réseaux de création sont définis par Brown et Hagel comme étant « la collaboration de centaines ou de milliers de participants issus de diverses organisations pour créer de nouvelles connaissances, apprendre et construire à partir du travail des autres ». Ces participants variés travaillent d'abord en parallèle (individuellement), puis collaborent au moment d'intégrer leurs efforts individuels dans une offre finalisée. L'exemple le plus connu de réseau de création est celui qui a permis développement de Linux. Mais des réseaux de création se rencontrent aussi dans des domaines plus inattendus: l'étude des phénomène spatiaux par des réseaux d'astronomes ou le développement de motos, de produits électroniques ou de planches de surf.

Bien que les réseaux de création soient présents dans de nombreux secteurs, ils sont souvent invisibles pour la plupart des observateurs. Des sociétés américaines ont par exemple recours à des ODM (Original Design Manufacturing) asiatiques tels que Lite-On Technology et Compal Electronics, pour externaliser la conception de produits électroniques. Ces entreprises peuvent avoir l'impression d'être en relation avec un seul fournisseur. En réalité, derrière la scène, les ODM mobilisent un réseau large pour accroître la performance des produits qu'ils vendent. De même, pour le développement de l'I-Pod, Portal Player (Fournisseur d'Apple) s'est appuyé sur un réseau de création composé d'autres fournisseurs de technologies.

D'après Brown et Hagel, mobiliser un réseau large de participants nécessite une organisation dont le rôle est de clarifier ce qui rassemble le réseau, d'identifier et sélectionner les organisations et les personnes qui peuvent y participer, de définir la manière de résoudre les conflits et de mesurer la performance. L'organisation du réseau peut être confiée à un individu, une petite équipe (comme dans le cas de certains logiciels Open Sources), une entreprise ou à d'autres types d'institutions. Quel qu'il soit, l'organisateur définit un protocole de participation simple, les manières de résoudre les conflits, des objectifs précis et des indicateurs de mesure des performances. Un ODM, par exemple va définir des points de contrôle de la performance clairs au cours du processus de conception mais permettre aux participants de réaliser ces performances de la manière dont ils le souhaitent.

Les réseaux de création organisent en général leurs activités dans des processus « modulaires », qui rendent plus facile l'intégration d'un grand nombre de participants et l'innovation au sein de chaque module d'activité. Une interface bien définie rend plus facile la coordination d'activité entre les modules. La modularité des réseaux de création permet ainsi à beaucoup de participants d'innover en parallèle et d'utiliser des moyens variés pour atteindre les attentes du projet. Les réseaux de création définissent des points de suivi de l'action au stade où les participants doivent se rassembler pour délivrer les outputs. Quand des inconsistances ou des incompatibilités existent, les participants doivent faire des choix clairs pour réaliser un produit intégré.

Les principes de gestion recommandés par le cabinet Mc Kinsey sont de cinq ordres:

- Choisir un mode de coordination adapté,

- Distinguer « innovation locale » et « intégration globale »,

- Concevoir des points de suivi de l'action,

- Etablir des boucles de feedback,

- Identifier et mettre en place des incitations de long terme.

Choisir un mode de coordination adapté

Bien que les réseaux de création partagent certaines caractéristiques, ils diffèrent en de nombreux points, notamment par le degré de diversité des participants. Les initiatives de logiciels open source et les réseaux de sports extrêmes rassemblent des participants partageant de nombreuses compétences communes. De tels rassemblements sont appelés « réseaux liés à la pratique » et reposent sur des formes de coordination légères.

D'autres types de réseaux, comme les réseaux de conception mis en place par des ODM à Taïwan ou le réseau de production textile crée par Li & Fung en Chine, mobilisent des participants ayant des pratiques et des expériences très différentes. D'après Brown et Hagel, ces réseaux, appelés « réseaux de processus », requièrent des formes de coordination plus actives. En raison de la diversité parmi les participants, leur organisateur a un rôle de chef d'orchestre incontournable : recruter les participants du réseau, choisir ceux d'entre eux qui seront impliqués dans chaque initiative de création, définir le rôle spécifique qu'ils vont jouer et les exigences de performance qu'ils doivent satisfaire.

A l'inverse, les « réseaux de pratique », sont coordonnés de manière plus légère, en recrutant et en gérant des initiatives de création plus spontanées. Les organisateurs de réseau focalisent leur activité de coordination sur la phase d'intégration du processus, quand les contributions des participants sont rassemblées et incorporées.

Le principe général préconisé par Brown et Hagel est que les managers doivent identifier avec attention quel est le bon degré de diversité des compétences que leur réseau de création requière et adapter leur approche de coordination.

Distinguer « innovation locale » et « intégration globale »

Pour trouver un mode de coordination adapté, Brown et Hagel recommandent de distinguer trois objectifs « intermédiaires » d'un réseau de création :

- Avoir accès et développer des talents de haut niveau

- Engager les participants dans un travail collaboratif de recherche d'innovations et d'expérimentations.

- Intégrer efficacement les créations de différents participants dans des réalisations partagées.

Etudier la manière dont les réseaux de création répondent à ces objectifs permet de distinguer les comportements spontanés (qui se produisent et qui prennent place sans coordinateur actif) des comportements « organisés » (qui nécessitent l'action du coordinateur). Les comportements organisés sont plus fréquents au cours de la phase d'intégration, quand les contributions de participants doivent être intégrées. A ce stade, le mode de gouvernance devient essentiel pour résoudre les conflits. Certaines des meilleures innovations émergent d'ailleurs des conflits que le coordinateur amène à résoudre. A l'inverse, l'agrégation et le développement de talents a tendance à être réalisé par des comportements spontanés et est souvent liée à des modes de coordination légers (comme des « écosystèmes » locaux et des forums en ligne) pour attirer, identifier et assembler les talents.

Enfin, les activités directement liées à l'innovation et aux expérimentations sont celles qui sont le moins coordonnées. Il s'agit là de l'aspect le plus difficile à accepter pour les managers d'une entreprise traditionnelle. Le rôle d'un réseau de création étant de conduire à l'innovation, beaucoup d'entreprises en déduise que le coordinateur doit accorder la plus grande partie de son temps et de son attention à cela. Paradoxalement, d'après Brown et Hagel, cela n'est pas le cas. Dans cette optique, les réseaux de création représentent la plus grande rupture avec des approches plus conventionnelles d'innovation ouverte. Les managers sont tentés de développer des feuilles de route détaillées sur la manière dont ils souhaitent voir travailler leurs partenaires. Dans l'intérêt de l'innovation, d'après Brown et Hagel, ils doivent résister à cette tentation.

Concevoir des points de suivi de l'action

Les coordinateurs du réseau de création jouent leur rôle le plus actif au cours de la phase d'intégration des différentes contributions. Le succès de tels réseaux repose sur l'utilisation à ce niveau d'un point de focalisation et d'alignement des efforts des divers participants qui doivent maintenant converger vers une offre cohérente et consistante. En spécifiant quand ces activités doivent être réalisées, les performances que chaque participant doit atteindre et le protocole pour surmonter et résoudre les conflits, le coordinateur du réseau crée les mécanismes organisationnels nécessaires à une « friction positive ».

Le point essentiel souligné par Brown et Hagel est que les différents participants doivent se confronter et résoudre eux-mêmes leurs divergences. Plutôt que de déterminer la manière de fonctionner de chacun en développant des feuilles de routes, le coordinateur du réseau doit définir précisément le niveau de performances requis et donner aux participants beaucoup de liberté pour y parvenir. Une plus grande liberté signifie en effet un plus fort potentiel de divergence, spécialement dans le cadre d'une initiative d'innovation impliquant beaucoup de participants.

Quand des incompatibilités émergent entre différentes composantes d'une innovation, l'organisateur du réseau encourage les participants à résoudre le problème par eux-mêmes. Chaque participant comprend que sa contribution ne sera intégrée dans le produit final que si elle fonctionne avec les autres parties du produit. Les participants doivent donc continuellement faire des compromis entre la performance de leur composante et la nécessité de performance du produit intégré.

Etablir des boucles de feedback

Bien que les réseaux de création doivent utiliser un management moins « serré » que des approches plus traditionnelles d'innovation ouverte, ils fonctionnent avec succès sur des marchés très concurrentiels comme ceux du textile et des logiciels. De plus, d'après Brown et Hagel, ils améliorent leurs performances à un rythme plus élevé que ce que les entreprises conventionnelles peuvent atteindre.

Cela s'explique en partie par le niveau de performance requis et le suivi par le coordinateur. Cependant, il existe un autre facteur important. Les réseaux de création à succès construisent des boucles de feedback explicites pour informer les participants de leurs performances. Même dans les réseaux peu organisés de logiciel open source, les participants reçoivent un feedback rapide de la part de ceux qui ont utilisé leur logiciel.

Pour établir ces boucles de feedback, l'animateur du réseau se concentre sur trois principes essentiels. Premièrement, il encourage un mouvement rapide du concept au prototype. Plus les participants pourront obtenir rapidement un prototype, plus il sera facile de tester leurs performances, en particulier avec d'autres composants. Deuxièmement, les organisateurs définissent très tôt et fréquemment des tests de performance pour que les participants obtiennent des feedbacks sur leur performance et puissent ainsi changer ce qui ne fonctionne pas. Troisièmement, ils établissent un système communication large pour que chaque participant du réseau de création puisse avoir accès facilement aux indicateurs de performance.

Identifier et mettre en place des incitations de long terme

Les entreprises devant fournir les bonnes incitations aux bons participants, elles doivent identifier précisément ce qui motive les contributeurs (Bughin, Chui et Johnson, 2008). Des incitations financières peuvent être nécessaires dans certains cas. D'autres participants peuvent être attirés par la reconnaissance de la communauté, par l'accès à certaines informations ou par la possibilité de promouvoir leurs idées. Les entreprises devront aussi trouver des méthodes pour obtenir une contribution au moment souhaité et identifier des possibilités, pour les participants, de passer d'une participation légère à une participation plus importante. Wikipedia par exemple peut maintenant compter sur un groupe de 500 administrateurs qui ont le privilège d'empêcher la publication de certains articles, généralement pour arrêter les comportements de vandalisme.

Les principes de fonctionnement proposés par ces articles de Mc Kinsey Quaterly sont spécifiques aux réseaux de création. L'objectif de notre mémoire est d'étudier les conditions de succès de l'intégration de personnes extérieures à l'entreprise dans des processus de créativité. L'objet des réseaux de création est principalement de générer des produits finis dans le cadre d'une collaboration de long terme (plusieurs mois ou plusieurs années) avec plusieurs centaines d'acteurs, alors que l'objet des processus de créativité ouverts est de générer des idées dans un délai beaucoup plus court (quelques jours ou quelques semaines). Les réseaux de création sont donc un cas très différent des processus de créativité ouverts que nous souhaitons étudier et nous ne pouvons donc pas appliquer tels quels ces principes de fonctionnement à notre sujet. Cependant, il est intéressant de retenir les types de facteurs qui ont été explorés pour les réseaux de création. Choisir un mode de coordination adapté, concevoir des points de suivi de l'action, établir des boucles de feedback, identifier et mettre en place les incitations adaptées sont des sujets qui concernent également les processus de créativité ouverts. Chacun de ces thèmes constitue une piste de réflexion pour identifier les conditions de succès des processus de créativité croisés.

Afin d'identifier des facteurs de succès plus spécifiques à la créativité, les deuxième et troisième parties seront consacrées à présenter un état de la littérature sur les facteurs de la créativité dans les organisations. Nous explorerons successivement deux axes complémentaires de la recherche sur la créativité : l'axe de la créativité organisationnelle et l'axe de la recherche sur le brainstorming.

II Les modèles de la créativité organisationnelle

La créativité est définie par Amabile (1988) comme la production d'idées nouvelles et utiles par un individu ou un groupe d'individus travaillant ensemble. Elle diffère de l'innovation qui se définit comme la mise en place avec succès de ces idées. A l'origine de l'innovation, il y a des idées et à l'origine des idées, il y a la créativité. La créativité est donc la première étape du processus d'innovation. C'est un phénomène complexe qui concerne de nombreux champs de recherche: art, philosophie, psychologie, management...

Au milieu des années 1980, des travaux traitant de la créativité au sein de l'organisation sont apparus (Amabile, 1988 ; Woodman et Schoenfeldt, 1989). Par la suite, l'intérêt croissant des chercheurs de cette discipline pour la créativité a fait émerger le concept de créativité organisationnelle (Woodman, Sawyer et Griffin, 1993). L'objectif de la créativité organisationnelle est de modéliser la créativité dans l'entreprise pour mettre en place des systèmes qui la favorisent. Les recherches se sont initialement appuyées sur des modèles issus de la psychologie et centrés sur les individus avant de s'orienter vers des modèles mobilisant plusieurs niveaux (individus, groupes, organisation).

1. Modèle componentiel d'Amabile

Dans son article de 1988 « A Model of Creativity and Innovation in Organizations », Amabile analyse les composantes de la créativité individuelle et identifie les conditions favorables à cette dernière. Ce modèle constitue encore aujourd'hui le principal cadre conceptuel de la recherche sur la créativité. Dans ce mémoire, il nous servira de grille d'analyse pour présenter les facteurs influençant la créativité des brainstormings. C'est pourquoi nous l'exposerons de manière détaillée.

Amabile part d'une étude sur 120 chercheurs et techniciens R&D, dans 20 secteurs différents, à qui il a été demandé de décrire un évènement créatif et un évènement non créatif. Des personnes indépendantes ont codé les transcriptions de ces interviews. L'analyses de ces interviews a permis de mettre en lumière trois composantes nécessaires à la créativité individuelle (quel que soit le secteur) :

1) les compétences liées au domaine concerné

2) les compétences liées à la créativité

3) la motivation intrinsèque.

- Les compétences liées au domaine incluent les connaissances factuelles, les savoir-faire techniques et les talents spécifiques liés au domaine en question. Cet ensemble correspond aux « schémas de pensée existants » pour résoudre un problème donné ou une tâche donnée. Il s'agit de la « base », de la « matière première » de la créativité. « Il est impossible d'être créatif en stratégie de planification financière si on ne connaît pas quelque chose (et probablement beaucoup) à propos du marché des actions, des monnaies, et des tendances économiques » (Amabile, 1988).

- Les compétences liées à la créativité incluent un style de pensée favorable à l'adoption de nouveaux points de vue, à l'exploration de nouveaux schémas de pensée, et un style de travail persévérant conduisant à la poursuite énergique des objectifs fixés. Les qualités personnelles qui correspondent aux compétences liées à la créativité (Amabile et Gryskiewicz, 1987) sont l'orientation au risque, la diversité des expériences, un certain degré de naïveté (oeil neuf sur le sujet) et l'aisance sociale. Amabile insiste sur l'idée que les compétences liées à la créativité peuvent être développées par des méthodes heuristiques telles que « quand rien ne marche, essayez quelque chose de contre intuitif » ou « rendez le familier étrange, et l'étrange familier ». Selon Amabile, les compétences liées à la créativité peuvent donc être développées par des méthodes et par de l'entraînement. Enfin, comme pour les autres facteurs, Amabile précise que les compétences liées à la créativité sont indispensables à la créativité : « Même avec des compétence liées au domaine à un niveau extraordinaire, une personne ne sera pas en mesure de produire un travail créatif si les compétences liées à la créativité manquent. »

- La motivation intrinsèque dépend de la manière dont une personne perçoit les raisons de réaliser la tâche. Les facteurs de motivation intrinsèque sont l'intérêt pour le travail en lui-même, l'attraction pour le challenge, l'impression de travailler sur un sujet important, le fait de partager une conviction liée au projet. Pour illustrer cet argument, Amabile utilise l'image d'une souris recherchant du fromage dans un labyrinthe : « Si vous avez une motivation extrinsèque, votre motif fondamental est de réaliser le but extrinsèque. Vous travaillez pour quelque chose d'extérieur au labyrinthe, vous devez remporter la récompense, gagner la compétition, obtenir la promotion ou plaire à ceux qui vous observent. Vous êtes à ce point absorbé par la poursuite de ce but que vous ne prenez pas le temps de penser au labyrinthe lui-même. Souhaitant en sortir le plus rapidement possible, il est probable que vous n'emprunterez que l'itinéraire le plus évident, le plus fréquenté. En revanche, si vous avez une motivation intrinsèque, vous vous plaisez dans le labyrinthe. Vous prenez plaisir à y jouer, fureter dans tous les coins, essayer des chemins différents, explorer, y réfléchir avant de vous lancer bille en tête. Vous ne vous concentrez vraiment sur rien d'autre que sur l'intensité du plaisir que le problème vous procure, de votre attirance pour le défi et l'énigme. »

Teresa Amabile estime que ce dernier facteur de la motivation intrinsèque a été le plus négligé par les chercheurs et les praticiens alors qu'elle le considère comme le plus important. « Aucune expertise du domaine, ni aucun degré de compétences créatives ne pourront compenser un manque de motivation à réaliser avec succès une activité. A l'inverse, dans une certaine mesure, un degré de motivation intrinsèque peut compenser un déficit de compétence dans le domaine et de compétence liée à la créativité ». Il s'agit également du facteur qui est le plus dépendant de l'organisation. Teresa Amabile suggère ainsi que la motivation intrinsèque est souvent le levier le plus efficace pour stimuler la créativité dans une organisation.

Le schéma ci-dessous représente l'impact des trois composantes de la créativité dans un processus de génération et de sélection d'idées. Il met en avant que leur influence varie en fonction des étapes du processus créatif. La motivation intrinsèque est indispensable pour démarrer l'effort créatif et pour produire les idées. Les compétences et l'expertise du domaine sont nécessaires pour rassembler les informations et les ressources pertinentes ainsi que pour sélectionner les idées. Enfin, les compétences pour la créativité ont un rôle essentiel dans la phase de production des idées.

Schéma 3 : Modèle componentiel d'Amabile au niveau individuel. 

Sur la base de la même étude qualitative, Amabile étudie les qualités de l'environnement que les interviews ont révélé comme étant favorables ou défavorables à la créativité. Elle en fait un regroupement correspondant aux trois facteurs de la créativité individuelle :

- La composante organisationnelle de la motivation à innover. Elle est constituée par l'orientation générale de l'organisation en faveur de l'innovation. Cette orientation doit venir essentiellement de la direction générale, même si les cadres intermédiaires ont aussi une influence. Les éléments les plus importants de cette orientation vers l'innovation sont : la valeur donnée à l'innovation, l'orientation positive vis-à-vis du risque (versus une orientation vers le maintien du statu quo), une confiance dans les membres de l'organisation et dans ce qu'ils sont capables de faire et une stratégie audacieuse de prise de leadership (versus une stratégie défensive de protection des positions passées).

- Les ressources du domaine. Elles incluent un ensemble large : des personnes expertes de la faisabilité des innovations, des personnes connaissant les marchés appropriés, des financements, des ressources matérielles (comme des moyens de production), des études de marché, la possibilité de formation du personnel dans ces différents domaines etc.

- La composante organisationnelle du savoir faire dans le management de l'innovation. Elle est constituée par la fixation d'objectifs précis au niveau des résultats mais peu contraignants au niveau des processus, un management participatif et collaboratif et des systèmes de communication ouverts.

Ces trois composantes organisationnelles ont elles-mêmes un rôle sur des étapes différentes du processus d'innovation au niveau de l'organisation. La composante organisationnelle de la motivation à innover influe sur la phase de cadrage de la mission pour l'entreprise ou le service. La composante organisationnelle des ressources du domaine et la compétence pour le management de l'innovation ont impact sur la phase de fixation des objectifs et de rassemblement des ressources liés au projet d'innovation ainsi que sur la phase de développement, de tests et de sélection des projets.

Schéma 4 : Modèle componentiel d'Amabile au niveau organisationnel.

Avec son modèle, Amabile fournit les principales bases de la compréhension actuelle de la créativité au sein des organisations. Des chercheurs ont par la suite complété son approche dans plusieurs directions. Nous présenterons ici deux modèles qui approfondissent les facteurs liés au groupe (le modèle de Woodman) et les facteurs liés à l'individu (le modèle de Taggar).

2. Modèle interactionniste de Woodman

Pour Woodman, Sawyer et Griffin (1993) la créativité organisationnelle s'inscrit dans un contexte social et peut être définie comme une fonction complexe de la créativité des individus et des groupes, elles-mêmes tributaires des caractéristiques de l'organisation. Leur modèle repose sur l'idée que la créativité résulte de l'interaction entre différents domaines sociaux.

Ce modèle reprend le cadre conceptuel du modèle d'Amabile. Woodman, Sawyer et Griffin utilisent en particulier les facteurs de la motivation individuelle (motivation intrinsèque, connaissance du domaine et aptitude culture de l'innovation) et certains facteurs organisationnels communs à ceux d'Amabile (ressources, stratégie). Leur modèle se différentie cependant de celui d'Amabile par l'intégration des caractéristiques du groupe (cohésion, taille, normes etc.) dans une approche interactionniste.

Le comportement créatif des individus dans l'organisation est finalement fonction de deux catégories de facteurs environnementaux (en dehors des caractéristiques des personnes qui réalisent le travail) :

(1) Les caractéristiques du groupe : la norme, la cohésion du groupe, la taille, la diversité, les rôles, les caractéristiques de la tâche et les méthodes de résolution de problème utilisées par le groupe.

(2) Les caractéristiques organisationnelles: la culture d'entreprise, les ressources, les récompenses, la stratégie, la structure, l'attention portée à la technologie.

Dans le sens inverse, la créativité des organisations dépend de celle des groupes, qui dépendent de celle des individus. Il s'agit donc bien d'un modèle interactionniste.

Schéma 5 : Liens conceptuels entre les personnes, les processus, les situations et les outputs dans le modèle interactionniste de Woodman, Sawyer, et Griffin (1993). 

3. Modèle multi niveaux de Taggar

Plus récemment, Simon Taggar (2002) a aussi proposé un modèle de la créativité qui vient compléter le celui d'Amabile. L'objectif de ce modèle est de déterminer plus précisément ce qui influence la créativité au niveau individuel et au niveau du groupe. Pour cela, Taggar propose d'intégrer cinq nouvelles variables: l'aptitude cognitive générale et quatre traits de personnalité du « modèle des cinq facteurs » de Gosta et McGrae (le caractère consciencieux, l'ouverture aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion).

Sur la base d'une étude auprès de 480 étudiants constitués en 92 groupes, Taggar va montrer que

ces cinq facteurs ont une influence significative sur la créativité individuelle et la créativité du groupe.

· Au niveau individuel, le caractère consciencieux, l'ouverture aux expériences et les aptitudes cognitives générales favorisent la motivation, les compétences du domaine et les compétences liées à la créativité :

- Les personnes consciencieuses sont motivées intrinsèquement, impliquées dans les tâches, entreprenantes, sérieuses, travailleuses, organisées, énergiques. Elles peuvent se motiver elles-mêmes pour réaliser un travail et accorder une moins grande attention à l'approbation sociale et aux rétributions matérielles que les personnes peu consciencieuses. Le caractère consciencieux est ainsi positivement lié à la motivation intrinsèque.

- Les personnes qui ont un niveau élevé d'aptitudes cognitives générales performent sur les critères des connaissances, des compétences et des techniques requises pour un travail (Ree et Earles, 1996). Ces personnes sont plus performantes pour mémoriser et utiliser les informations. Elles s'adaptent mieux à de nouvelles situations en apprenant vite et en utilisant efficacement leurs anciennes connaissances (Hunter, 1986). Elles acquièrent ainsi plus rapidement les compétences du domaine.

- Les personnes ouvertes aux expériences sont imaginatives, ouvertes à des points de vue variés, et tolérantes à l'ambiguïté. L'ouverture aux expériences facilite ainsi la pensée divergente et les compétences liées à la créativité.

· Au niveau du groupe, l'extraversion, le caractère consciencieux et le caractère agréable favorisent les « processus adaptés à la créativité de l'équipe », qui sont définis comme un ensemble de comportements de trois ordres: des comportements liés à l'organisation et à la coordination (fournir des feedbacks, organiser et coordonner les contributions), des comportements liés à la motivation (motiver les membres du groupe en élevant leurs objectifs) et des comportements liés à la considération (apprécier et tenir compte des différentes idées, des besoins et des points de vue). Taggar explique le lien entre ces comportements et les traits de personnalité issus du modèle des cinq facteurs de la manière suivante :

- Les personnes consciencieuses ont tendance à se motiver elles mêmes et à se concentrer sur la réalisation de la tâche. Leur présence au sein d'une équipe contribue à diffuser ces attitudes.

- Les personnes extraverties sont sociables, enthousiastes, énergiques et optimistes. Elles stimulent les échanges d'information et contribuent à la motivation du groupe.

- Les personnes au caractère agréable ont tendance à susciter la confiance, à être franches, altruistes, accommodantes, modestes et à coopérer facilement avec les autres membres de l'équipe. Ces qualités facilitent le partage d'information, l'intégration des différents points de vue et les comportements de résolution de conflit.

Schéma 6 : Modèle multi niveaux de la performance d'équipe sur les tâches nécessitant de la créativité.

Un apport essentiel du modèle de Taggar est de souligner le rôle des processus adapté à la créativité d'une équipe. Il n'est pas suffisant de rassembler des personnes créatives pour que l'équipe soit créative. Il faut également un environnement social qui permette à chaque membre d'exprimer son potentiel. La créativité apparaît ainsi comme étant à la confluence de la connaissance du domaine, des compétences liées à la créativité, de la motivation intrinsèque et de facteurs sociaux comme la fixation des objectifs, les méthodes de résolution de problème et l'intégration des idées de tous. Par ailleurs, le modèle de Taggar permet d'identifier des attitudes favorables à la créativité en groupe : le caractère agréable, le caractère extraverti, le caractère consciencieux et l'ouverture aux expériences.

4. Impact de ces modèles sur la pratique des entreprises

Ces modèles de la créativité organisationnelle ont inspiré des chercheurs et des consultants pour recommander de méthodes de stimulation de la créativité dans les entreprises. Deux types d'outils de management ont ainsi été mis en place : les dispositifs intraprenariaux (Bouchard, 2004) et les systèmes de management des idées (Robinson et Stern, 1998, Robinson et Getz, 2007) :

- Les dispositifs intraprenariaux reposent sur l'idée qu'il faut laisser l'organisation en place en charge de ce qu'elle sait le mieux faire - gérer l'existant - et confier à des individus ou à des petits groupes la tâche d'identifier et d'exploiter de nouvelles opportunités. Les individus et les petits groupes sont en effet considérés comme plus aptes à remplir cette tâche en raison de leur créativité, flexibilité et capacité d'apprentissage inhérentes dès lors qu'ils sont libérés des contraintes de l'organisation. Concrètement, les dispositifs intraprenariaux consistent à encourager les salariés à générer des projets de création de nouvelles activités et à leur confier la mise en place en leur donnant les ressources nécessaires en terme de temps, d'argent et d'autonomie. Les dispositifs intraprenariaux s'appuient donc sur trois leviers principaux identifiés comme critiques par les travaux de créativité organisationnelle : l'autonomie, l'engagement personnel et le contrôle des ressources (Amabile, 1988 ; Woodman, Sawyer et Griffin, 1993). Des entreprises aussi connues qu'Eastman Kodak, Xerox Corporation et Lucent Technologies aux Etats-Unis, SAS, Siemens Nixdorf en Europe ainsi que d'autres moins connues ont, au cours de leur histoire récente, mis en place des dispositifs intrapreneuriaux.

- Les systèmes de management des idées (SMI) reposent sur l'idée que tous les salariés de l'entreprise peuvent contribuer à l'innovation. Les SMI consistent donc à mettre en place un ensemble de méthodes pour encourager, réaliser et reconnaître les idées de tous les salariés et favoriser ainsi l'innovation continue. Deux principes essentiels au bon fonctionnement des SMI visent à favoriser la motivation intrinsèque. Le premier est de décentraliser au maximum la gestion des idées. Dans la mesure du possible la décision de mettre en place l'idée ainsi que sa mise en oeuvre doit être confiée au salarié lui-même, sans passer par sa hiérarchie. Si une décision par la hiérarchie est jugée nécessaire, celle ci doit être en mesure de donner une réponse dans un délai de 72h au salarié. Si la réponse est positive, la mise en place de l'idée sera confiée au salarié. « Ce qui stimule le plus le salarié, c'est de voir son idée réalisée. La créativité repose sur des motivations personnelles, comme la volonté de laisser sa propre marque. » (Getz, 2005). Le deuxième principe est de mettre en place un système de récompenses déconnecté des résultats, si possible avec l'implication de la direction générale. Une rencontre régulière entre le PDG et les auteurs des idées est un exemple de récompense recommandée. A l'inverse, les incitations financières sont proscrites. « Donner une somme prédéfinie signifierait qu'avoir des idées ne fait pas partie du travail quotidien de chaque salarié. Ensuite, cela pervertit le système : s'il y a un barème, les salariés tendent à se censurer. Ils croient devoir attendre de trouver la meilleure idée, celle qui rapportera le plus, alors que pour être créatif, il ne faut préjuger de rien. Ce sont parfois les idées les plus basiques qui rapportent le plus à l'entreprise » (Getz, 2005). Ce type de système a d'abord vu le jour au Japon, puis aux Etats-Unis avant de concerner les grandes entreprises européennes. En France, Renault et ST Microelectronics ont par exemple mis en place des SMI (Getz, 2007).

Par le biais des ces deux dispositifs, le courant de la créativité organisationnelle a trouvé des applications importantes au sein des entreprises. Ces applications se situent dans un logique d'innovation interne et s'intègrent dans un modèle d'innovation fermée. De manière complémentaire, le champs de la créativité organisationnelle peut il nous suggérer des facteurs du succès pour l'intégration de personnes extérieures dans les processus de créativité ?

Un des enseignements majeurs qui ressort de ces modèles de créativité organisationnelle est que la créativité se joue d'abord au niveau de l'individu et qu'il existe des caractéristiques qui permettent de déterminer si un individu à des chances d'être créatif. Les composantes de la créativité de Teresa Amabile (motivation intrinsèque, compétences pour le domaine et compétences pour la créativité) ainsi que les traits de personnalité du modèle de Simon Taggar (le caractère consciencieux, l'ouverture aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion) peuvent ainsi être considérés comme des critères pertinents pour sélectionner les personnes à intégrer dans un processus d'innovation. Concrètement, pour savoir si une personne extérieure présente un potentiel créatif pour l'entreprise, il sera probablement intéressant de valider qu'elle possède une forte motivation intrinsèque (une passion pour le sujet), une connaissance du sujet originale et pertinente ainsi que des compétences pour la créativité (ce qui peut être validé par la qualité des idées que cette personnes a généré par le passé). Le caractère consciencieux, l'ouverture aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion pourront être considérés comme des indices en faveur de la possession des composantes d'Amabile.

Dans la partie suivante, nous présenterons les principaux enseignements de la recherche sur le brainstorming. Cette partie nous permettra d'identifier des facteurs de succès liés à l'organisation et à l'animation des groupes de brainstorming avec des personnes extérieures à l'entreprise et/ou avec des personnes internes.

III. Les facteurs de la créativité des groupes de brainstorming

La première utilisation du mot brainstorming dans son sens actuel est attribuée à Alex Osborn, fondateur de l'agence de communication BBDO. Dans les années 40, Osborn considère que les employés américains n'expriment pas assez leurs idées dans les réunions à cause des conventions sociales qui limitent la contribution créative à quelques participants dominants. Il propose alors une solution pragmatique sans réelle rationalité théorique en définissant un cadre de réunion dont le but est de lever les blocages sociaux pour donner libre cours à la génération d'idées. Dans ses ouvrages Your creative power (1948) et Applied Imagination (1957), il définit et développe quatre règles fondamentales pour y parvenir. Ces quatre règles sont encore aujourd'hui souvent énoncées au début d'un brainstorming :

- Aucune critique n'est acceptée,

- Les idées « farfelues » sont bienvenues,

- La quantité est encouragée,

- Les idées sont en permanence combinées et améliorées.

Osborn ajoute que le nombre de participants doit être idéalement compris entre 5 et 7 participants (un faible nombre de participants limite le nombre de suggestions et un nombre plus important rend le brainstorming plus difficilement contrôlable) et que la phase de production des idées doit être suivie par une phase de classification et de sélection des meilleures idées. Enfin, il précise que ces règles ne doivent pas être suivies de manière trop rigide, car le brainstorming doit rester spontané et agréable.

Le brainstorming est aujourd'hui l'outil le plus fréquemment utilisé pour générer des idées. Toute organisation confrontée à un problème ou ayant besoin d'idées nouvelles est susceptible d'utiliser le brainstorming. Par exemple, une des sociétés leader de développement de produits, IDEO Corporation, a l'habitude d'organiser un brainstorming au début de chacune de ses missions pour partager les idées des membres de l'équipe. D'autres brainstormings s'improvisent ensuite tout au long de la mission (Sutton et Hargadon, 1996). L'utilisation planifiée ou improvisée du brainstorming est aujourd'hui généralisée à presque toutes les organisations.

Parallèlement à l'expansion de son usage, des chercheurs en psychologie (psychologie appliquée ou psychologie sociale) se sont penchés sur le fonctionnement du brainstorming et sur les facteurs de succès de la créativité en groupe. En premier lieu, ils ont cherché à valider que les règles de fonctionnement proposées par Osborn étaient valides. Ils ont ensuite proposé et validé des méthodes alternatives pour améliorer la performance des brainstormings. Leur recherche s'est basée la plupart du temps sur des études en laboratoire, au sein des universités. Les expériences en laboratoire présentent l'avantage de pouvoir être réalisées sur de grands échantillons (souvent plus de 80 groupes de brainstorming composés d'étudiants) et dans des conditions contrôlées (durée et déroulement des brainstorming, nombre de participants etc.) (King & Anderson, 1995). Ce champ de la recherche présente aussi l'intérêt d'être très productif en nombre de publications. 208 articles de recherche étudiant le brainstorming ont été publiés entre 1967 et 1994 d'après la revue Psychological Abstracts (Sutton et Hargadon, 1996). Les conclusions des études peuvent donc souvent être recoupées, ce qui augmente la fiabilité des résultats. Cette recherche fournit les bases solides d'une compréhension du processus de génération d'idées en groupe et permet d'identifier des facteurs qui inhibent ou favorisent la créativité. Nous consacrerons cette partie à présenter et à synthétiser les principaux facteurs qui ont été mis en évidence.

1. Un cadre conceptuel cohérent avec le modèle d'Amabile

Les chercheurs en psychologie appliquée définissent la créativité comme un processus cognitif. « Générer des idées est un processus cognitif qui consiste à mobiliser des connaissances dans la mémoire à long terme et à associer cette connaissance à la mémoire active » (Paulus, 2007).

Les trois composantes de la créativité énoncées par Amabile peuvent s'intégrer dans cette approche de la créativité :

- Les compétences liées à la créativité (adoption de nouveaux points de vue, persévérance etc.) facilitent les associations nouvelles entre la mémoire à long terme et la mémoire active.

- Les compétences du domaine constituent la mémoire à long terme pertinente par rapport au sujet

- La motivation intrinsèque est le moteur de cet effort créatif

Schéma 5: lnfluence des composantes de la créativité d'Amabile sur le processus cognitif de génération d'idées.

Les composantes de la créativité d'Amabile constituent une trame cohérente avec l'approche cognitive de la créativité généralement utilisée par la recherche sur le brainstorming. Ainsi, nous proposons de classer les facteurs de la créativité en brainstorming au sein des trois composantes de la créativité d'Amabile :

1. Les facteurs favorisant les compétences liées au domaine

2. Les facteurs favorisant l'expression et le développement des aptitudes créatives

3. Les facteurs favorisant la motivation intrinsèque

Schéma 6 : Classification des facteurs favorisant la créativité en brainstorming.

Schéma inspiré d'un schéma de Teresa Amabile (voir annexe 1)

2. Facteurs favorisant l'accès aux compétences liées au domaine

Effet positif des stimuli

Au cours d'un brainstorming, l'exposition aux idées d'autres personnes peut avoir ce rôle de stimulus. Une idée de quelqu'un peut susciter une bonne idée chez une autre personne en activant un ensemble de connaissances a priori peu accessibles. Il a ainsi été démontré que l'exposition aux idées d'autres personnes permet de générer des idées plus originales (Legett Dugosh et Paulus, 2005; Nijstad, 2002)

Un autre moyen de sortir du « chemin de la plus faible résistance » est d'accroître la «profondeur» de la génération d'idées. Cela peut passer par une exploration préalable d'un domaine lié au sujet de la recherche d'idées. Une expérience réalisée par Nijstad en 2007 a mis en lumière l'efficacité de cette phase d'exploration préalable. Avant le brainstorming, certains participants ont répondu à une série de quatre questions ouvertes portant sur un des domaines de la recherche d'idées (exemple : des questions portant sur la nutrition si le sujet est lié à l'amélioration de la santé). Ces participants ont généré plus d'idées, plus d'idées originales et plus d'idées de haute qualité (à la fois originales et réalisables) sur le domaine concerné que les participants n'ayant pas répondu aux questions préalables.

Effet positif de l'intégration de personnes ayant des connaissances variées

Une troisième piste étudiée pour mobiliser des connaissances à priori peu accessibles est d'intégrer des personnes ayant des compétences du domaine variées. Une étude de Diehl et Stroebe (1994) a montré que les groupes hétérogènes (en terme de lien avec le sujet étudié) explorent plus de catégories d'idées et génèrent plus d'idées que les groupes homogènes.

Pour que la diversité au sein d'un groupe soit un facteur positif, elle doit permettre de couvrir un ensemble de compétences et connaissances du domaine plus large. Ainsi, il est souvent plus intéressant de chercher une diversité et une complémentarité des connaissances plutôt qu'une diversité sociale comme l'origine ethnique ou l'âge, etc. Cependant, une diversité sur des critères socio démographiques peut aussi se montrer bénéfique si elle permet d'accroître la variété des connaissances et des compétences disponibles pour trouver des idées. Shruijer (1997) a ainsi montré une légère supériorité des groupes mixtes (homme et femme) sur les groupes composés uniquement d'hommes ou uniquement de femmes.

Une deuxième condition du succès de la diversité est qu'elle ne doit pas empêcher la cohésion du groupe. De nombreux auteurs ont en effet souligné que le manque cohésion peut marquer la limite des avantages de la diversité (Zhou et Shin, 2007). L'hétérogénéité d'un groupe peut réduire l'attachement des membres, la communication, et accroître les conflits et le turnover (Zhou et Shin, 2007). Par conséquent, la clé pour profiter de la diversité est de minimiser ses effets négatifs sur les interactions entre les membres du groupe en gardant ses bénéfices (West, 2002).

3. Facteurs favorisant l'expression et le développement des aptitudes créatives

Amabile définit les aptitudes créatives comme la capacité à changer de point de vue, la volonté d'explorer de nouveaux schémas de pensée et un style de travail persévérant conduisant à la poursuite énergique des objectifs fixés. Les qualités personnelles qui favorisent ces compétences sont la curiosité, un certain degré de naïveté, une acceptation du risque, l'aisance sociale (Amabile, 1988), l'ouverture aux expériences (Taggar, 2002). La littérature a mis en avant deux manières d'influer sur les aptitudes créatives.

La première approche est de former les personnes aux attitudes et aux techniques créatives. Rickards (1993) a montré des groupes composés de personnes ayant reçu une formation de plusieurs jours obtenaient de meilleures performances que des groupes composés de personnes non formées. Ce résultat pourra conforter les nombreux cabinets spécialisés dans la formation à la créativité... De fait, depuis les années 80, les offres de formation à la créativité se sont multipliées: formation aux exercices de stimulation, à l'animation des brainstormings, à la mise en place d'organisations plus créatives etc.

La deuxième approche est de ne pas entraver les aptitudes créatives dans le processus de recherche d'idées. C'est ce volet qui a été le plus étudié car il part d'une des observations les plus marquantes de la recherche sur le brainstorming : la supériorité du groupe nominal (participants séparés) sur le groupe interactif (en face à face) sur les critères du nombre et de la qualité des idées générées. Dans cette partie, nous allons exposer la manière dont les interférences limitent la créativité des groupes et présenter deux solutions proposées et étudiées par les chercheurs.

Supériorité du groupe nominal sur le groupe interactif en face à face

Osborn suggéra que l'application de ses règles (aucune critique n'est acceptée, les idées « farfelues » sont bienvenues, la quantité est encouragée, les idées sont en permanence combinées et améliorées) pouvait permettre d'être deux fois plus productifs que le même nombre de personnes travaillant seules. De nombreuses expériences ont été réalisées et ont dans l'ensemble validé l'inverse de la proposition d'Osborn. Bien qu'il ait été démontré que les règles proposées par Osborn améliorent le nombre d'idées qu'un groupe en face à face puisse générer (Parnes et Meadow, 1959), les personnes en groupes interactifs génèrent a peu près deux fois moins d'idées que le même nombre de personnes en groupes nominaux (Diehl et Stroebe, 1987; Paulus et Dzindolet, 1993). Afin de justifier la pratique du brainstorming en face à face par les entreprises, Sutton et Hargadon (1996) ont insisté sur le fait que la brainstorming en face en face présente l'avantage de pouvoir partager des informations et de fédérer une équipe sur les objectifs et les outputs du brainstorming. Cette argument en faveur du brainstorming ne vient cependant pas contredire les nombreuses démonstrations de la productivité inférieure (en nombre d'idées) des groupes en face à face par rapport aux groupes nominaux (toutes choses égales par ailleurs).

La principale hypothèse pour expliquer la supériorité du groupe nominal sur le groupe interactif est la présence d'interférences (Nijstad et Stroebe, 2006). Les interférences sont les effets négatifs que peuvent avoir les idées des autres sur le cours de la réflexion des participants.

Cette interruption de la réflexion individuelle peut s'observer dans de nombreux cas de figure. Cela peut être du à l'exposition à une idée qui a peu de lien avec les connaissances de la personnes. Dans un brainstorming sur l'amélioration d'une université, un étudiant en sciences humaines peut être gêné par les suggestions d'un étudiant en biologie sur les moyens d'améliorer les séances en laboratoire car il aura peu d'expérience et de connaissance sur ce sujet. Des interférences peuvent aussi être liées aux conventions sociales. Le travail en groupe peut occasionner des discussions qui ne sont pas liées au sujet (ex : Que faites vous ce soir ?), ce qui a un effet négatif sur la productivité du groupe (Dusgosh et al., 2000), non seulement en gaspillant du temps mais aussi peut être aussi en occupant la mémoire active qui pourrait être utilisée pour la génération d'idées (Nijstad et Stroebe, 2006 ; Paulus et Brown, 2003). D'une manière générale, l'écoute des idées des autres (liées ou non avec la réflexion en cours) implique de suspendre la réflexion, et parfois de perdre le fil de sa pensée. Face à ce constat, les chercheurs ont montré que des techniques pouvaient permettre de limiter les interférences tout en maintenant l'effet stimulant du groupe.

Effet positif de l'alternance de phases collectives et individuelles

Après un brainstorming, il a été démontré qu'une phase de travail individuel est bénéfique (Dugosh et al., 2000; Paulus et Yang, 2000). Cette période d'incubation permet d'associer les idées générées en groupe avec sa propre connaissance et de favoriser ainsi l'émergence de nouvelles combinaisons. Plusieurs études ont variées l'ordre des séquences de travail individuel et collectif. Une étude suggère que commencer par une session de groupe est plus favorable à la créativité (Dunnette, Campbell, et Jaastad, 1963), alors qu'une autre étude ne trouve pas d'effet d'ordre (Paulus, Larey et Ortega, 1995).

De même, une interruption brève dans le processus de génération d'idées a été démontrée comme étant bénéfique (Paulus, Nakui, Putman et Brown, 2006), les pauses laissant probablement aux personnes un temps individuel pour réfléchir aux premières idées générées.

Efficacité du brainstorming électronique

Afin de répondre au problème des interférences, des chercheurs ont fait l'hypothèse qu'il devrait y avoir un avantage à échanger les idées par le moyen d'un ordinateur, ce qui est appelé « brainstorming électronique » (EBS = Electronic Brainstorming).

Cette hypothèse a été vérifiée par plusieurs études pour un nombre de participants supérieur à deux (Galuppe et al, 1992 ; Derosa et al, 2005). Ces études ont aussi montré que plus la taille du groupe est importante, plus l'avantage de l'EBS est large. Ainsi, dans l'étude de Galuppe, un EBS de 6 personnes permet un gain de 47 % d'idées alors qu'un EBS de 12 personnes permet un gain de 206% vs le groupe en face à face. Leggett, Dugosh et al. ont montré que ces gains de productivité de l'EBS pouvaient être obtenus avec des groupes relativement réduits (n=4) quand il était demandé de retenir les idées des autres en les informant qu'ils seront contrôlés à la fin du brainstorming.

Par ailleurs, il a été montré plusieurs fois que des groupes d'EBS larges (plus de 9 participants) génèrent plus d'idées que le même nombre de brainstormers individuels (Dennis et Williams, 2003; Derosa, Smith et Hantula, 2007). Cela confirme l'existence d'un réel effet positif lié à l'échange des idées. La technique de l'EBS permet donc de stimuler les participants par les idées des autres sans devoir payer le « prix » des interférences. Dans un EBS sur ordinateurs, les idées sont visibles sur l'écran et peuvent être relues autant que l'on souhaite (ce qui favorise la stimulation). Les participants peuvent choisir de ne pas regarder les idées sur l'écran quand ils élaborent leurs propres idées (ce qui limite les interférences).

Effet positif de la structuration du brainstorming

Une autre stratégie pour stimuler les aptitudes créatives du groupe, est de demander de générer des idées sur un domaine à la fois (Coskun et al., 2000). Cela permet de réduire les interférences en garantissant que chacun est à la même « page ». Dennis, Valacich, Connolly, et Wynne (1996) ont mis en avant les mêmes conclusions sur les EBS. En comparant des EBS où il était demandé de générer des idées catégorie par catégorie avec des EBS dont le déroulement n'était pas structuré, ils ont trouvé que les processus structurés amenaient à plus d'idées. (Nijstad , 2002)

4. Facteurs favorisant la motivation intrinsèque

Amabile (1988) souligne que la motivation intrinsèque est un facteur particulièrement important car il dépend fortement de l'environnement de travail. Il s'agit donc d'un levier sur lequel les managers peuvent agir plus facilement, en limitant les freins à la motivation (fainéantise sociale et anxiété) ou en favorisant ses principaux moteurs (émulation et sélection de participants ayant un intérêt pour le sujet).

Limitation de la fainéantise sociale et de l'anxiété inhibitrice

Parmi les effets négatifs du travail en groupe, il y a la fainéantise du au sentiment d'évaluation plus réduit de la performance de chacun. Paulus et Dzindolet (1993) ont suggéré que les membres d'une session de brainstorming ont tendance à aligner leur performance vers les niveaux de performance individuelle les plus bas du groupe. Ce phénomène n'est pas spécifique au travail créatif. Il a été observé dans d'autres domaines comme le tir à la corde (Ringlemann, Kravitz et Martin, 1986). Par ailleurs, certaines personnes peuvent être affectées par une anxiété inhibitrice liée à ce de ce que les autres pensent des idées émises (Camacho et Paulus, 1995). Un management encourageant l'implication individuelle contribuera a limiter l'effet négatif de ces deux facteurs.

Effet positif de l'émulation

Cependant les auteurs insistent majoritairement sur les effets positifs de l'émulation dans un groupe. Diehl et Munkes (2003) ont réalisé une expérience qui suggère que la présence d'un deuxième participant crée un effet positif sur la performance, même si le co-équipier a une performance inférieure. Plusieurs expériences ont par ailleurs montré qu`il est possible de créer un effet d'émulation positive par des moyens simples. Par exemple, la performance est accrue quand les brainstormers doivent fournir un feedback à propos de la performance du groupe ou de leur performance individuelle (Coskun, 2000). La performance moyenne des participants peut aussi être accrue si une personne nouvelle arrive en cours de brainstorming dans le groupe (Choi, 2005). Dans une veine similaire, si les participants sont informés qu'un autre groupe a généré beaucoup d'idées sur le même sujet, ils ont tendance à augmenter leur production d'idées (Paulus et Dzindolet, 1993). De même, un étudiant est plus créatif si il est informé que les idées émises comme stimuli sur son ordinateur ont été générées par un autre étudiant et non par un programme informatique (Legett Dugosh, Paulus, 2004). Enfin, un autre indice qui vient confirmer le rôle fortement positif de l'émulation est l'étude réalisée par Goncalo montrant qu'un groupe composé de personnes individualistes est plus créatif qu'un groupe composé de personnes collectivistes (Goncalo, 2006).

Effet positif de la cohésion

Plusieurs auteurs soulignent le fait qu'il est important que les membres du groupe aient un regard positif les uns sur les autres. Cela va créer un désir de partager et d'écouter attentivement leurs points de vue (Taggar, 2002 ; Paulus et Van der Zee, 2004). Un des moyens d'accomplir cette cohésion est de revendiquer des valeurs et des identités communes (Mannix et Neale, 2005 ; Anderson, 1994). Quoi qu'il en soit, les groupes composés de membres qui ont une attitude positive les uns par rapport aux autres sont plus créatifs car cette attitude les rend plus à l'aise et plus motivés pour interagir (Nakui et Paulus, 2007).

Effet positif du jeu

Beaucoup de consultants considèrent que le jeu est un facteur essentiel de la motivation, indispensable pour être créatif (Anderson, 1994 ; Chalamel, 2004). « En bref, le processus du jeu nous donne l'énergie et la créativité. Il implique la totalité de l'être, au lieu de nous reléguer au rôle d'automate. Il nourrit notre compétence en nous donnant l'excitation d'un risque sans conséquence, d'un challenge au lieu d'une menace. Comme Carl Young le remarquait, « sans le jeu, aucun travail créatif ne serait jamais né. Ce que nous devons au jeu est incalculable » (Anderson, 1994).

Intérêt pour le sujet

Un variable qui découle du poids de la motivation intrinsèque dans le modèle d'Amabile (1988) est l'intérêt des participants pour le sujet du brainstorming. Il est très vraisemblable que la performance créative du groupe dépende fortement de l'intérêt que les participants portent au sujet du brainstorming. Aucune étude sur ce facteur n'a cependant été identifiée.

5. Synthèse des facteurs de la créativité en brainstorming

Le tableau 1 (ci-dessous) récapitule les facteurs de la créativité des groupes de brainstorming qui ont été étudiés. Nous retrouvons des facteurs essentiels lié à chacune des composantes : connaissance du domaine, compétence liée à la créativité et motivation intrinsèque. Cela est cohérent avec l'affirmation que chacune des composantes est indispensable à la créativité du groupe (Amabile, 1988).

Tableau 1 : Facteurs de la créativité des groupes de brainstorming.

6. Besoin de transmission des enseignements de la recherche aux entreprises

Alors que les modèles de la créativité organisationnelle (modèles d'Amabile et de Woodman) ont eut un impact sur la gestion de la créativité par les entreprises, il est intéressant d'observer que les enseignements de la recherche sur le brainstorming semblent trouver moins d'applications. Dans de nombreuses entreprises (rencontrées dans le cadre de missions de conseils par l'auteur de ce mémoire), les brainstormings pratiqués continuent à ressembler à celui d'Osborn alors que de nombreuses pistes d'amélioration on été clairement mises en évidence : brainstorming électronique, alternance de phases individuelles et collectives, exercices d'exploration préalable, création d'une émulation, sélection de participants permettant de couvrir un ensemble large de compétences liées au domaine, structuration du brainstorming etc. Deux explications peuvent être proposées. La première vient du délai inévitable entre les fruits de la recherche et leurs applications en entreprise. Cette explication n'est cependant pas totalement satisfaisante à elle seule car certains résultats de la recherche sur le brainstorming datent des années 50 (supériorité du groupe nominal sur le groupe interactif en face à face). Une autre explication vient du fait que ces expériences sont réalisées en laboratoire, loin du terrain des entreprises (Alors que les expériences d'Amabile se déroulaient sur le terrain de l'entreprise). Cela freine peut être la transmission de leurs résultats au monde des entreprises. Quoi qu'il en soit, il existe un réel besoin de transmission de ces enseignements.

Nous pouvons conclure cette partie en insistant sur l'idée que les résultats de la recherche sur la brainstorming fournissent une boite à outils utile au manager qui souhaite mettre en place un processus de génération d'idée, ouvert ou non à des personnes extérieures. Les différents facteurs étudiés (brainstorming électronique, alternance de phases individuelles et collectives, exercices d'exploration préalable, création d'une émulation, sélection de participants permettant de couvrir un ensemble large de compétences liées au domaine, structuration du brainstorming) constituent en effet des leviers pour s'assurer que les composantes de la créativité (motivation intrinsèque, aptitudes créatives, connaissances du domaine) sont suffisamment présentes dans le processus. Le rôle positif de ces techniques, même si il est réel, ne doit cependant pas être surévalué. Dans son dernier ouvrage « Pensée magique, Pensée logique » (2008), Luc de Brabandere, directeur associé au Boston Consulting Group, défend l'idée que la phase de brainstorming (dédiée à la génération d'idée) n'a que peu d'impact sur les performances d'innovation d'une entreprise. Pour Luc de Brabandere, les idées sont le plus souvent déjà présentes et facilement accessibles. « Le vrai défi n'est pas tant l'élaboration de nouveaux concepts que la capacité d'abandonner les représentations existantes ». Pour Luc de Brabandere, l'innovation repose sur la capacité de l'entreprise à changer sa perception sur sa mission et à briser des stéréotypes. Ainsi la réussite d'un processus de créativité se jouerait avant le brainstorming, au moment où les objectifs et le cadre sont définis. Si le cadre de la recherche d'idées (la mission que se donne l'entreprise et les contraintes qu'elle retient) n'est pas nouveau et original, il y a peu de chance que les idées qui découlent du brainstorming le soient.

Dans les deux prochaines parties nous illustrerons les enseignements de la recherche en présentant et en analysant les résultats d'un processus de « créativité croisée » entre Bouygues Telecom et La Poste. Cette expérience permettra de suggérer ou de confirmer certaines conditions de succès de l'ouverture des processus de créativité à des personnes extérieures.

IV. Objectif et propositions de l'expérience

1. Objectif de l'expérience

En exposant les principaux résultats de la recherche sur le brainstorming, nous avons vu que les chercheurs considèrent la diversité comme un facteur favorable à la créativité car elle élargit le champs des compétences que l'équipe peut utiliser pour trouver des idées (Paulus et Nijstad, 2002 ; Amabile, 1988).

Au-delà de la recherche sur le brainstorming, de nombreuses études ont montré que les équipes de travail composées de personnes ayant des compétences variées sont plus créatives et innovantes parce qu'elles bénéficient de perspectives variées sur le problème. Dunbar (1997) a montré que les équipes de recherches les plus efficaces sont hétérogènes et cherchent à utiliser des analogies pour résoudre les problèmes. Borill et al (2000), dans une étude portant sur 100 équipes de premiers soins dans des hôpitaux, a montré que plus le nombre de groupes professionnels représentés est important, plus le niveau d'innovation est élevé. De même, West (2001), qui a étudié la créativité dans le système de santé public américain, considère que « l'innovation requiert une diversité des connaissances, des orientations professionnelles et des formations » et que « rassembler des médecins, des infirmières, des travailleurs sociaux, des kinésithérapeutes engendre des niveaux d'innovation élevés dans le domaine des soins ».

L'ensemble de ces études insiste sur le lien positif entre créativité et diversité des connaissances. Cependant, il existe peu d'études sur la manière d'utiliser au mieux cette diversité. Ainsi, les conditions du succès de la diversité sur le terrain de l'entreprise sont peu connues. Afin de combler cette lacune, Zhou et Shin (2007) ont réalisé une étude sur le lien entre créativité, diversité et le type de leadership des managers. Partant du constat que la diversité peut créer des problèmes de communication et de cohésion entre les membres d'une équipe (King & Anderson, 1995 ; Song, 1997), ils ont proposé l'hypothèse qu'un leadership charismatique conditionnerait le lien positif entre diversité et créativité. Sur la base d'une étude sur 75 équipes R&D, ils ont vérifié que la diversité des formations universitaires permettait aux équipes d'être plus créatives à condition que le leadership soit perçu comme charismatique par les membres de l'équipe (Pour certaines équipes, dans le cas d'un encadrement peu charismatique, la diversité avait donc un effet négatif sur la créativité).

Ce type de recherche sur les conditions du succès de la diversité répond à un besoin de plus en plus fort. La diversité des connaissances, des cultures et des savoir-faire est de plus en plus présente au sein des entreprises (Jackson et Alvarez, 1992). Par ailleurs, comme nous l'avons abordé en introduction, les organisations sollicitent de plus en plus des personnes extérieures dans leur recherche d'idées. Lesieur, Nestlé, et LVMH sont des exemples d'entreprises qui pratiquent cette ouverture de leur processus de créativité à des personnes extérieures. Connaître les conditions de succès de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de créativité est un enjeu opérationnel pour ces entreprises. Or, nous n'avons pas identifié d'étude sur ce sujet.

Ainsi, l'objectif de notre expérience est de préparer le terrain à une étude plus approfondie sur le sujet des conditions de succès de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de créativité ouvert. Dans cette optique, nous avons mis en place et étudié un processus de créativité sur le terrain de l'entreprise que nous allons présenter dans la prochaine partie.

2. Présentation du processus de créativité croisée

L'objectif du processus de créativité croisée est de réaliser un échange de créativité entre deux entreprises en respectant les principes d'efficacité créative mise en évidence par la recherche sur la créativité. De plus, afin de permettre de mesurer la contribution des personnes externes et des personnes internes, ce processus doit permettre de séparer la génération d'idées des personnes internes et celle des personnes externes.

L'échange de créativité que nous proposons se réalise sous la forme de plusieurs brainstormings. Chaque entreprise en réalise deux : un sur son sujet et un sur le sujet de l'autre entreprise. Voici les étapes de l'échange de créativité :

- Une équipe A (5 personnes issues du service marketing d'une entreprise A) réalise un brainstorming sur un sujet A de l'entreprise A et un brainstorming sur un sujet B de l'entreprise B.

- Une équipe B (5 personnes issues du service marketing d'une entreprise B) réalise un brainstorming sur le sujet A de l'entreprise A et un brainstorming sur un sujet B de l'entreprise B.

- Notation et sélection des idées sur le sujet A par un (plusieurs) manager(s) de l'entreprise A

- Notation et sélection des idées sur le sujet B par un (plusieurs) manager(s) de l'entreprise B

Cet échange de créativité ne peut fonctionner qu'à trois conditions :

- Les deux entreprises ne doivent pas être en concurrence directe. Il y aurait dans ce cas peu de chance qu'elles acceptent de collaborer.

- Les deux entreprises doivent pouvoir s'apporter réciproquement des connaissances pertinentes et originales par rapport à leurs sujets.

- Les deux entreprises doivent être ouvertes aux idées de leur partenaire.

Les principes d'efficacité créative que nous proposons d'appliquer en priorité dans le processus sont liés aux trois composantes de la créativité d'Amabile:

1. Ne pas entraver les aptitudes cognitives des participants en limitant les interférences.

Brainstormings structurés en plusieurs axes de réflexion (Coskun et al, 2000).

Alternance de phases de réflexion individuelles et collectives (Paulus et Dzindolet, 1993)

Réalisation d'un exercice d'exploration pour se familiariser avec le sujet (Nijstad, 2007)

2. Stimuler la motivation intrinsèque des participants.

Présentation du processus comme un jeu dont le but est d'émettre plus d'idées que l'équipe issue de l'autre entreprise.

Sélection de sujets ayant un intérêt réel pour l'entreprise.

3. Rassembler un ensemble large de compétences liées au domaine.

Sélection de deux équipes qui possèdent des connaissances ou des compétences qui

présentent un intérêt pour améliorer la créativité de l'autre entreprise.

Faire réfléchir les deux équipes sur chaque sujet.

Réalisation d'un briefing en début de brainstorming sur le contexte et les objectifs du brainstorming.

4. Présentation de la problématique et des propositions

Afin de savoir si les conditions que nous mettons en place sont favorables à l'intégration de personnes extérieures, la problématique que nous souhaitons explorer est la suivante: Le processus de créativité croisée proposé permet il une plus grande performance créative qu'un processus uniquement interne ?

Etant dans le cadre d'une étude de cas, nous ne formulerons pas des hypothèses (qui doivent avoir un caractère général) mais des propositions. Six propositions sont formulées pour répondre à cette question :

Le choix des équipes est réalisé avec l'objectif prioritaire d'un apport réciproque de connaissances nouvelles. Chaque équipe participant au processus possède ainsi des connaissances pertinentes liées au sujet. Par conséquent, nous prévoyons que l'output créatif de chaque équipe sera pertinent et que les managers seront amenés à sélectionner des idées provenant à la fois des groupes internes et des groupes externes.

Proposition 1 : La sélection finale des idées intègre à la fois des idées des groupes internes et des idées des groupes externes.

Les équipes internes peuvent être avantagées en terme de nombre d'idée car elles sont familières avec le sujet. Les personnes des groupes internes pourraient ainsi démarrer le brainstorming en ayant une réserve d'idées (volontairement ou involontairement) qui seraient émises en cours de brainstorming (phénomène de « purge créative »). Par ailleurs, les groupes internes peuvent être plus motivés car le sujet les concerne directement.

Proposition 2 : Les groupes internes génèrent un plus grand nombre d'idées.

Une des fonctions des services marketing est de développer une connaissance approfondie des consommateurs. Les groupes internes ont ainsi probablement une meilleure connaissance des attentes et des comportements de leur cible et devraient être plus à même de générer des idées adaptées à ces attentes.

Proposition 3 : Les groupes internes génèrent plus d'idées perçues comme attractives pour le consommateur.

Les équipes internes ont une meilleure connaissance de la mission de la marque et des contraintes de faisabilité. Il est ainsi probable qu'ils génèrent plus d'idées considérées comme réalisables.

Proposition 4 : Les groupes internes génèrent plus d'idées facilement réalisables.

Le regard neuf des groupes externes et la mobilisation de connaissances nouvelles peut leur

permettre de générer des idées plus originales (Paulus 2007) et donc plus séduisantes pour les managers.

Proposition 5 : Les groupes externes génèrent plus d'idées perçues comme originales par les managers internes.

Dans le cadre d'une volonté d'innovation, les managers peuvent être séduits par l'originalité des idées des équipes externes, même si elle présente un déficit d'attractivité pour le consommateur.

Proposition 6 : La sélection finale par les managers internes intègre plus d'idées des groupes externes que d'idées des groupes internes.

Tableau 2 : Synthèse de la discussion des propositions.

5 Choix méthodologiques

L'objectif de notre expérience est de préparer le terrain à une étude plus approfondie sur le sujet des conditions de succès de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de créativité ouvert. Dans ce cadre nous avons privilégié une démarche qualitative (étude d'un cas) plutôt que quantitative afin de pouvoir étudier plus en profondeur un processus de créativité croisée. En contrepartie, le degré de généralisation des résultats sera donc limité.

Nous souhaitons insister dans cette partie sur deux caractéristiques de notre démarche :

- Il s'agit d'une démarche hypothético-déductive,

- L'expérience se déroule sur le terrain de l'entreprise.

Démarche hypothético-déductive

Nous nous sommes inspirés des études réalisées dans le domaine de la recherche sur le brainstorming, à la différence que nous n'avons pas réalisé notre expérience avec un échantillon quantitatif, mais avec l'étude d'un cas de processus de créativité croisée entre deux entreprises. Nous retrouvons dans notre démarche les 4 étapes caractéristiques d'une démarche hypothético-déductive (Thietart et al, 2003) :

1. Détermination de concepts qui sont liés à la question de recherche et revue critique de la littérature : Définition des concepts d'innovation ouverte, de créativité organisationnelle et d'efficacité créative en brainstorming.

2. Mise en évidence d'incertitudes et de carences des théories disponibles : inexistence d'étude sur les conditions de succès de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de créativité.

3. Formulation d'hypothèses (ou en l'occurrence de propositions) : Dans le cadre d'un processus de créativité croisée, la sélection finale des idées intègre à la fois des idées des groupes internes et des idées des groupes externes (1), les groupes internes vont générer un plus grand nombre d'idées (2), les groupes internes vont générer plus d'idées perçues comme attractives pour le consommateur (3), les groupes internes génèrent plus d'idées facilement réalisables (4), les groupes externes génèrent plus d'idées perçues comme originales par les managers internes (5), la sélection finale intègre plus d'idées des groupes externes que d'idées des groupes internes (6).

4. Test des hypothèse (ou en l'occurrence des propositions) et analyse des résultats

Une expérience sur le terrain de l'entreprise

Les études réalisées dans le domaine du brainstorming par les chercheurs en psychologie appliquée sont menées le plus souvent en condition de laboratoire, au sein des universités. Ce choix permet un meilleur contrôle des conditions avec la possibilité de mettre en place des conditions identiques sur de grands échantillons, souvent supérieurs à 80 brainstormings. En revanche, ces études en laboratoire présentent l'inconvénient d'être éloignées des contraintes spécifiques de l'entreprise (timing, confidentialité, liens hiérarchiques etc.) et de ses objectifs (attractivité consommateur, faisabilité, rentabilité des idées etc.). C'est pourquoi, nous avons eut la volonté, avant même de définir précisément l'objectif de ce mémoire, de réaliser notre étude sur la créativité sur le terrain de l'entreprise.

V. Présentation de l'expérience et des résultats

1. Participants

Le processus de créativité croisée a été réalisé en partenariat avec La Poste et Bouygues Telecom. Le choix de ces entreprises s'est fait en deux étapes :

1. Deux managers chez La Poste se sont montré intéressé, à la condition de la sélection d'une entreprise partenaire qui puisse apporter une connaissance de la cible des 15-25 ans et qui ne soit pas en concurrence directe avec une activité de La Poste.

2. Une sélection de trois entreprises correspondant à ces critères a été effectuée et des propositions ont été envoyées par mail à plusieurs responsables marketing. Un manager du service marketing stratégique de Bouygues Telecom a répondu positivement à cette proposition.

L'objectif des deux entreprises était lié à la cible des 15-25 ans :

- Objectif de La Poste : « Identifier des idées pour que l'offre courrier de la Poste réponde aux besoins de la cible 15-25 ans »

- Objectif de Bouygues : « Identifier des idées pour fidéliser les clients de 15-25 ans à la marque Bouygues Telecom »

Chaque entreprise était représentée par cinq participants ayant un poste de chef de produit ou assistant chef de produit. Les deux équipes étaient exclusivement composées de femmes.

Tableau 2 : Composition des équipes internes et externes.

2. Plan d'expérience

Le processus a été conçu pour répondre à trois objectifs :

- Mettre en place des conditions identiques entre les brainstormings externes et internes pour les rendre comparables. L'animation pouvait différer d'un sujet à l'autre mais elle devait rester identique sur un même sujet pour le groupe interne et le groupe externe.

- Maximiser le potentiel créatif du processus dans son ensemble.

- Maintenir une durée d'implication inférieure à quatre heures pour chaque participant.

L'ensemble du processus s'est déroulé sur une durée de 8 semaines et comprenait les brainstormings (s'étalant sur 4 semaines) et la sélection des idées (s'étalant sur 4 semaines).

Les brainstormings

Les quatre brainstormings étaient constitués de trois phases : un briefing, un exercice d'« exploration » et la génération d'idées:

- La phase de briefing, d'une durée de 10 mm, commençait avec une présentation du contexte et de l'objectif pour l'entreprise. Pour les groupes externes, les principales dernières innovations lancées par la marque étaient aussi présentées. L'objectif était surtout de souligner l'enjeu de la réunion afin de motiver l'équipe (Amabile, 1988) et de limiter la proportion d'idées hors sujet ou déjà réalisées par l'entreprise. Dans un deuxième temps, les règles du brainstorming (Générer autant d'idées que possible, suspendre le jugement, émettre aussi les idées farfelues) étaient exposées. L'animateur indiquait aux participants qu'ils devaient considérer la réunion comme un jeu dont le but était de générer plus d'idées que l'équipe de l'autre entreprise. Cette indication avait pour but de créer une émulation favorable à la créativité (Paulus et Dzindolet, 1993). Enfin, les types d'exercices réalisés étaient exposés et expliqués (le principe et le rôle de phase d'exploration et de la structuration du brainstorming en plusieurs axes de réflexion).

- La phase d'exploration, d'une durée de 15 mm consistait à répondre collectivement à deux questions liées au sujet de la génération d'idée. Pour les groupes travaillant sur le sujet de Bouygues Telecom, il était par exemple demandé de lister les techniques de fidélisation existantes. Cette phase avait pour but de stimuler la mémoire de long terme pour faciliter la génération d'idées (Nijstad, 2007).

- La phase de génération d'idées, d'une durée de 1h10 à 1h20, était structurée par plusieurs axes de réflexion et par la succession de phases de réflexion individuelles et collectives. Cela permettait de tenir compte des enseignements de Coskun et al (2000) au sujet de l'effet positif d'une animation structurée et des enseignements de Paulus et Dzindolet (1993) sur l'importance d'intégrer des phases de réflexion individuelle au cours du brainstorming. Concrètement, ce mode d'animation consistait en une succession de 3 à 6 séquences «  présentation d'un axe de réflexion (5mm) / génération d'idées individuelles et par écrit (7mn) / génération d'idées en groupe (7mm) ». Une variante a été adoptée pour les brainstormings sur le sujet de La Poste avec la réalisation d'une phase collective unique et plus longue (20 mm) à la fin de la réunion.

Les conditions de l'animation

Afin de contrôler l'effet d'ordre, chaque équipe réalisait d'abord le brainstorming sur le sujet interne. Afin de limiter l'effet de lassitude, les brainstormings étaient séparés d'une semaine. Afin de contrôler au maximum les conditions externes, les brainstormings d'une même équipe se déroulaient à un même horaire et ont été animé par une même personne. Les brainstormings sur le sujet La Poste ont duré 1h35 et les brainstormings sur le sujet Bouygues Telecom ont duré 1h45.

Tableaux 3: Comparaison des conditions et du déroulement des brainstormings sur le sujet de La Poste.

Tableaux 4: Comparaison des conditions et du déroulement des brainstormings sur le sujet de Bouygues Telecom.

La sélection des idées

La rationalité de la sélection des idées par les participants à un brainstorming a été fortement mise ne doute par Nijstad en 2006. Dans une étude empirique, il compare la sélection des idées réalisée par 136 personnes (ayant participé au brainstorming) à la sélection réalisée par une personne extérieure avec l'aide d'une grille de notation détaillée. « La différence non significative de la qualité des idées générées et des idées sélectionnées [par les participants au brainstorming] suggère que la sélection des participants n'est pas meilleure que le hasard. Ce résultat est d'ailleurs cohérent avec ceux de Simonton (2003) dans son analyse de la créativité dans la science et la littérature. Simonton rapporte que les personnes ne sont pas efficaces à reconnaître leurs meilleures idées et que cela n'améliore pas le déroulement de leur carrière ». Afin de limiter l'impact de la subjectivité des sélectionneurs, nous avons organisé la phase de sélection en demandant de remplir une grille de notation et nous avons confié la sélection à plusieurs personnes.

Les sélectionneurs étaient des managers internes (Trois managers pour le sujet Bouygues Telecom et un pour le sujet La Poste) et un expert indépendant (Un consultant en innovation pour les deux sujets). Chaque sélectionneur disposait de la liste des idées (idées internes et idées externes mélangées, sans signe de distinction). Pour chaque idée, il était demandé d'attribuer une note de 1 à 4 sur trois critères - l'originalité, l'attractivité et la faisabilité - et une note globale (Voir questionnaire de sélection en annexe 4) ainsi que de sélectionner les cinq idées qui étaient, selon le sélectionneur, les plus intéressantes pour l'entreprise. Afin de faciliter ce travail, les idées étaient classées par thème, correspondant aux différents axes de réflexion.

2. Résultats

Le processus a permis de générer 111 idées différentes sur le sujet de La Poste et 141 sur le sujet de Bouygues Telecom (Voir Annexes 2 et 3 pour le compte rendu des idées). Cette différence s'explique vraisemblablement par la difficulté supérieure du sujet de La Poste. Répondre aux attentes des 15-25 ans avec une offre courrier est plus difficile qu'avec une offre de téléphonie mobile...

Nous présenterons les résultats de la sélection par les managers internes puis les résultats de la sélection par l'expert indépendant. Pour la validation des propositions, nous prendrons pour base la sélection par les managers internes car cette situation est représentative de la pratique des entreprises.

Tableau 5 : Répartition des « bonnes notes » et des idées sélectionnées par les managers internes.

* Concernant la notation par les managers Bouygues Telecom, une moyenne a été réalisée

** Le nombre d'idées sélectionnées est supérieur à 5 par personne car la consigne de se limiter à une sélection de 5 idées n'a pas toujours été respectée.

La proposition 1 est vérifiée: La sélection finale des idées intègre à la fois des idées des groupes internes et des idées des groupes externes. Sur 37 idées sélectionnées par les managers internes, 11 proviennent des groupes externes et 26 des groupes internes. Cela signifie que les groupes externes ont contribué à la production d'idées jugées utiles mais que leur contribution est moins importante que celle des groupes internes.

La proposition 2 n'est pas vérifiée de manière significative : Les groupes internes ont généré 5 idées de plus que les groupes externes, mais cette différences n'est pas significative.

La proposition 3 est vérifiée: Les groupes internes ont généré 56% des idées considérées comme attractives (pour le consommateur) par les sélectionneurs internes.

La proposition 4 est vérifiée: Les groupes internes ont généré plus 54% des idées considérées comme facilement réalisables par les sélectionneurs internes.

La proposition 5 n'est pas vérifiée : Les groupes externes ont généré 46% des idées perçues comme originales par les managers internes.

La proposition 6 n'est pas vérifiée : La sélection finale intègre plus d'idées des groupes internes (70%) que d'idées des groupes externes (30%).

Tableau 6 : Répartition des « bonnes notes » et des idées sélectionnées par l'expert indépendant.

** Le nombre d'idées moyen sélectionnées par sujet est supérieur à 5 car la consigne de se limiter à une sélection de 5 idées n'a pas été respectée.

Les résultats de la sélection par l'expert indépendant diffèrent de ceux des managers internes. Sa notation des idées internes et des idées externes est équilibrée sur les critères de l'attractivité et du caractère réalisable. De manière logique, il sélectionne autant d'idées provenant du brainstorming interne que du brainstorming externe. Par rapport aux managers internes, l'expert indépendant a donc été plus favorable aux idées externes.

Il est intéressant de noter que l'expert indépendant n'a sélectionné aucune idée commune avec les managers de La Poste et seulement une avec les managers de Bouygues Telecom, alors qu'il disposait de la même grille de notation. De même, chez Bouygues Telecom, la sélection du service Cartes Prépayées et Forfait Bloqués (2 managers) et du service Fidélisation (1 manager) n'ont en commun qu'une idée sur un total de 29. Nous retrouvons dans ces observations une conséquence de la subjectivité de la sélection des idées pointée par Nijstad (2006) et Simonton (2003).

3. Discussion et implications

La réponse à la problématique est nuancée.

Le processus de créativité croisé a atteint un premier degré d'efficacité par rapport à un processus uniquement interne car les groupes externes et les groupes internes ont contribué significativement à la production d'idées sélectionnées par les managers internes. L'intégration de personnes extérieures a ainsi permis de générer 40% d'idées sélectionnées en plus. De plus, les commentaires des participants laissent penser que la création d'une émulation entre les équipes des deux entreprises a été un facteur de succès essentiel.

Cette efficacité par rapport à un processus uniquement interne est cependant relative. Les managers internes ont en effet sélectionné deux fois plus d'idées internes que d'idées externes et ont identifié plus idées originales, attractives et réalisables parmi les idées internes. La contribution des équipes internes a ainsi été supérieure à la contribution des équipes externes. Cela est un point important car un manager peut se demander si est il justifié d'organiser ce type de processus pour gagner 40% d'idées utiles en plus.

L'expérience souligne l'importance de la définition du cadre de la recherche d'idées et du briefing des participants internes.

La comparaison de l'efficacité des groupes externes et des groupes internes peut permettre de suggérer des conditions de succès à l'intégration de personnes extérieures. Le fait que l'expert indépendant ait été plus favorable aux idées externes suggèrent que les idées externes n'étaient pas de moins bonne qualité dans l'absolu mais qu'elles correspondaient moins aux attentes spécifiques des sélectionneurs internes.

De manière schématique, nous pourrions représenter les idées générées par les personnes internes et par les personnes externes par le dessin ci-dessous. Dans les deux cas (groupes externes et internes), le même nombre d'idées a été émis. Cependant, dans le cas des groupes externes, les idées émises correspondent moins au cadre et aux objectifs perçus par les managers internes (les idées externes sont plus souvent perçues comme pas assez réalisables, moins attractives pour le consommateur ou pas assez différentes des produits existants.

Schéma 7 : Représentation des idées externes et des idées internes par rapport au « cadre » des sélectionneurs internes

Idées émises par les groupes internes

Idées émises par les groupes externes

Cadre : objectifs et contraintes perçues par les managers internes

Ce schéma permet de proposer deux interprétations au résultat du nombre inférieur d'idées externes sélectionnées par les managers internes :

1. Les participants externes n'ont pas suffisamment intégré le cadre de la génération d'idées : les attentes des consommateurs, la faisabilité, et la complémentarité avec les produits et services existants (ainsi que d'autres contraintes et objectifs).

2. Les managers internes n'on pas suffisamment remis en cause leur perception du cadre, qui était inadapté pour accueillir des idées à fort potentiel provenant des personnes externes.

Afin de pouvoir comparer la contribution des personnes externes et des personnes internes, nous nous étions fixé comme contrainte de séparer la génération d'idées des équipes internes et des équipes externes. Il s'avère que cette séparation a probablement été trop forte car elle n'a pas permis aux personnes externes d'intégrer suffisamment les contraintes, les attentes des consommateurs et les offres existantes sur le marché. Par ailleurs, cette séparation n'a pas permis aux sélectionneurs de profiter du regard nouveau que pouvaient porter les personnes externes sur leur sujet et leur permettre ainsi de modifier leur perception du cadre de la génération d'idée.

Cette expérience met donc en avant l'importance de la préparation des participants externes. A l'occasion de son séminaire d'innovation, Lesieur avait prévu une demi-journée de briefing et de questions/réponses. Avant d'intégrer des personnes extérieures à un brainstorming, certaines entreprises transmettent un briefing détaillé et font réaliser un exercice de préparation. Ce type de démarche a probablement manqué au processus de créativité croisé que nous avons mis en place. Il ne suffit pas de faire participer des personnes extérieures, il faut aussi les préparer efficacement. Dans une même logique, cette expérience suggère l'importance de la rencontre physique entre les personnes internes et externes avant la génération d'idée car il s'agit d'un facteur facilitant les transferts de connaissances et de points de vue. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le manque d'échange et de discussion entre les équipes des deux entreprises (avant la phase de génération d'idée) est un point qui a été spontanément souligné par les participants au processus, lors de la réunion de bilan. Dans ce cas, il existe donc une réelle attente d'échanger et débattre sur la définition du problème avant la phase de génération d'idée. Cela renforce l'idée qu'une phase d'échange préalable sur les objectifs et les contraintes de la recherche d'idée suscitent potentiellement l'intérêt des participants et des sélectionneurs.

L'expérience confirme l'efficacité de certains principes énoncés par la recherche sur le brainstorming.

Les résultats globalement positifs du processus (nombre d'idées émises et nombres d'idées de haute qualité identifiées par les sélectionneurs) ainsi que commentaires des participants laissent penser que la création d'une émulation, l'alternance de phases de réflexion individuelles et collectives, la réalisation d'un exercice d'exploration et la présentation de stimuli ont été des facteurs de succès. Voici quelques verbatim exprimés lors d'une réunion de partage qui s'est tenue après le processus :

« [L'animateur] nous a fait sentir qu'il y avait une compétition, et c'était stimulant »

« Les temps de réflexion personnels nous permettaient d'être plus concentré »

« Le fait qu'il y ait une présentation avant chaque parti a permis de creuser des domaines que nous n'aurions pas exploré spontanément »

Conclusion



L'objectif de ce mémoire était d'apporter un éclairage sur les conditions du succès de l'intégration de personnes extérieures dans les processus de créativité. Quatre éléments de réponse sont apportés à la fois par la revue de la littérature et par l'expérience réalisée avec La Poste et Bouygues Telecom.

- Un des enseignements majeurs qui ressort des modèles de la créativité organisationnelle est que la créativité se joue d'abord au niveau de l'individu et qu'il existe des caractéristiques qui permettent de déterminer si un individu à des chances d'être créatif. Les composantes de la créativité de Teresa Amabile (motivation intrinsèque, compétences pour le domaine et compétences pour la créativité) ainsi que les traits de personnalité du modèle de Simon Taggar (le caractère consciencieux, l'ouverture aux expériences, le caractère agréable et l'extraversion) peuvent ainsi être considérés comme des critères pertinents pour sélectionner les personnes extérieures à intégrer dans un processus de créativité.

- La recherche sur le brainstorming a débouché sur la proposition d'outils pour stimuler la créativité tels que la réalisation d'exercices d'exploration, l'alternance de phases de réflexion individuelles et collectives, la création d'un esprit de compétition et l'utilisation de stimuli. Ces outils ont été validés quantitativement par des études en laboratoire. Le processus de créativité mis en place avec Bouygues Telecom et La Poste s'est inspiré de ces outils. Les résultats globalement positifs du processus mis en place contribuent à confirmer la faisabilité et l'utilité de ces outils dans le cadre de l'entreprise, et dans le cas de la mobilisation de personnes extérieures.

- L'analyse des résultats du processus de créativité croisée a permis d'identifier que les personnes extérieures ont probablement manqué de connaissances des attentes des consommateurs, des produits existants et des contraintes de faisabilité. Cela suggère que la préparation et le cadrage de la créativité est un facteur de réussite particulièrement sensible dans une démarche d'intégration de personnes extérieures. Dans le cas du processus entre La Poste et Bouygues Telecom, nous pouvons faire l'hypothèse qu'une réunion préalable de briefing et de préparation du brainstorming par les participants aurait permis d'améliorer l'efficacité créative.

- Enfin, l'absence de discussion préalables et de débat sur les objectifs de la recherche d'idées est un point qui a été explicitement regretté par les participants lors d'une réunion de bilan qui s'est tenu à l'issu du processus. La possibilité de changer de regard sur la définition problème est une attente forte et présentait, aux yeux des participants, un intérêt essentiel de l'intégration de personnes extérieures. Cette intuition des participants rejoint l'idée défendue par Luc de Brabandere : « le vrai défi n'est pas tant l'élaboration de nouveaux concepts que la capacité d'abandonner les représentations existantes ».

Les limites de cette étude sont importantes car l'expérience n'a porté que sur un seul cas de processus de créativité croisée entre deux entreprises. Le degré de généralisation des résultats est donc limité. Nous pouvons cependant dire que l'expérience contribue à confirmer que les principes énoncés dans le domaine de la créativité organisationnelle et du brainstorming s'appliquent dans ce cas du processus de créativité croisée entre Bouygues Telecom et La Poste.

Ces limites sont une invitation à poursuivre la recherche sur les conditions de succès de l'intégration des personnes extérieures dans les processus de créativité. Dans cette perspective de futures recherches, un point qui nous semble important est de distinguer deux phases successives dans le processus créatif en entreprise (De Brabandere, 2008) :

- le changement de paradigme, c'est à dire le changement de vision sur la mission de l'entreprise et les contraintes qu'elle doit respecter.

- la génération d'idées à proprement parler, c'est à dire la manière dont on s'adapte au nouveau paradigme avec des idées de nouveaux projets pour l'entreprise.

Il s'agit de deux étapes successives, qui n'impliquent pas les mêmes types personnes (niveau stratégique vs niveau opérationnel), qui ne s'organisent pas de la même manière (un changement de paradigme est un travail de long terme alors que la génération d'idées est un processus plus rapide) et qui ne soulèvent pas les mêmes enjeux (enjeux stratégiques vs enjeux opérationnels). Ces différences profondes suggèrent que chacune des deux phases du processus créatif doivent faire l'objet d'études séparées.

Cette distinction entre la phase de « changement de paradigme » et la phase de « génération d'idées » nous amène à nous poser deux questions :

- Dans quelles conditions l'intégration de personnes extérieures peut permettre un changement de paradigme susceptible de favoriser l'innovation ?

- Dans quelles conditions l'intégration de personnes extérieures peut permettre de renforcer l'efficacité de la génération d'idées ?

Dans le contexte du développement rapide des pratiques d'ouverture des processus de créativité, ces axes d'étude constituent probablement des voies prometteuses pour le chercheur en créativité et en innovation.

Bibliographie

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Annexe 1 : Modèle de la créativité et de l'innovation dans l'organisation (Amabile, 1988)

Annexe 2 : Compte rendu des idées sur le sujet La Poste ··

Annexe 3 : Compte rendu des idées sur le sujet Bouygues Telecom

Annexe 4 : Extrait de la grille de notation des idées

Idées générées sur le thème « Créer de nouveaux lieux de rencontre »






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote