MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
RÉPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE
ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNION - DISCIPLINE - TRAVAIL
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Année Académique
2005-2006
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UNIVERSITÉ DE BOUAKÉ
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U.F.R. : COMMUNICATION, MILIEU ET
SOCIÉTÉ
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DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
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OPTION : PHILOSOPHIE POLITIQUE ET
SOCIALE
![](de-la-liberation-de-la-creativite-theorique-au-renouveau-de-la-philosophie-africaine-dans-sur-la-qu2.png)
THÈME :
De la libération de la créativité
théorique au renouveau de la philosophie africaine
dans SUR LA «PHILOSOPHIE
AFRICAINE»
(critique de l'ethnophilosophie)
de
Paulin HOUNTONDJI.
PRÉSENTÉ PAR :
SOUS LA DIRECTION DE :
KOUAKOU Kouamé Hyacinthe
Dr Samba DIAKITÉ
Maître -Assistant de Philosophie
A la mémoire de mon père,
trop tôt parti
dans l'au-delà, et qui
n'aura pas eu le temps
nécessaire
pour contempler
l'oeuvre de sa progéniture.
Que son âme
repose en paix !
REMERCIEMENTS
Qu'il me soit permis d'adresser toute ma gratitude ainsi que
mes sincères remerciements à toutes celles et à tous ceux
qui, d'une manière ou d'une autre, auront contribué à ma
Formation Scolaire et Universitaire et à la réalisation de ce
travail.
Infinie reconnaissance à mon Directeur de
Mémoire, Docteur Samba DIAKITÉ, Maître -Assistant de
Philosophie à l'Université de Bouaké pour sa
disponibilité, ses conseils avisés et ses encouragements.
Sincères remerciements :
- au Docteur TROH Roger Maître -Assistant de à
l'Université de Bouaké Lettres Modernes pour ses
encouragements ;
- à l'ensemble de mes formateurs depuis le Cycle
Primaire jusqu'à l'Université en passant par le
Secondaire ;
- à Mademoiselle ASSÉKÉ Constance et
à mon ami TRAORÉ Messoma pour leur apport technique;
Que tous les membres de ma famille trouvent ici l'expression
de ma reconnaissance pour tout ce qu'ils ont fait, tout ce qu'ils continuent de
faire et tout ce qu'ils feront pour ma réussite et mon
épanouissement socio -professionnel.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LE PARADOXE DE LA
RECHERCHE DE
L'ORIGINALITÉ EN AFRIQUE NOIRE
CHAPITRE II : L'ETHNOPHILOSOPHIE
CHAPITRE III : AUTORITARISME ET REFUS DE
LA
DIFFÉRENCE : LE PROBLÈME DE LA
LIBERTÉ
D'EXPRESSION
CHAPITRE IV : UNE
NOUVELLE CONCEPTION DE LA
PHILOSOPHIE AFRICAINE
CONCLUSION
INTRODUCTION
En Afrique, comme partout ailleurs, tout le monde se trouve
confronté à l'épineux problème de
l'identité. Ce désir d'identité d'un peuple, comme le
souligne le professeur DIBI Kouadio Augustin, se trouve stimulé par la
quête d'un visage ; et comme il l'écrit, le visage est ce par
quoi, «je vois et je suis vu en retour comme étant le
même, non l'autre. Le visage exprime, et ce qui s'y exprime, ce qu'il
exprime est une présence personnelle»1(*)
L'Afrique, depuis des temps immémoriaux, a
toujours cherché d'une façon ou d'une autre à exprimer sa
présence ; elle a toujours cherché à s'affirmer,
à se poser comme identité en face de l'autre. D'ailleurs, elle
n'innove en rien car l'empire oriental, le monde grec, le monde romain et le
peuple germanique ont constitué aux yeux de HEGEL les différentes
figures de l'Esprit. N'étaient-ce pas là des expressions de la
quête d'un visage dans ces différents empires et partant la
manifestation d'un désir d'identité au sein de l'histoire
universelle?
Mais, il importe de comprendre que dans cette
quête de l'identité, l'Africain ne veut tout de même pas
réinventer l'électricité, l'énergie
nucléaire ou la bombe atomique. Rien de tout cela n'affecte
sérieusement les préoccupations de l'Africain. Son
problème est d'ordre purement intellectuel et spirituel. L'Africain a
à coeur de s'ouvrir à la sphère de la
pensée ; au sens où l'entendrait l'Européen ou
l'Américain. Et de cette pensée, l'Africain veut accoucher d'une
philosophie africaine, référence de premier plan au même
titre que tous les autres systèmes philosophiques dont, l'histoire de
pensée s'enorgueillit.
Il s'agit, en effet, pour l'Africain de retrouver une place
au soleil de la Raison. Mais, rendons-nous vite à
l'évidence pour savoir qu'il ne s'agit point là d'une entreprise
aisée. Considérons à ce sujet cet avertissement de Marcien
TOWA : «La raison ainsi que la science et la philosophie en
lesquelles elle se déploie seront donc ce que les idéologues de
l'impérialisme européen accepteront le plus difficilement de
partager avec les autres civilisations.»2(*)
L'Afrique veut une philosophie. L'Afrique veut
accéder à la sphère de la pensée. Mais, comme le
souligne TOWA, l'Europe est prête à tout donner pour ne jamais
partager la pensée avec les autres civilisations. Se profile de ce fait
à l'horizon, le premier obstacle sérieux sur la route de
l'élaboration d'une philosophie africaine digne de ce nom.
Plus que la sphère de la pensée, il
s'agit d'une considération qui touche à l'Être même
de l'Africain. Car, il y a comme un fossé énorme qui semble
s'être creusé depuis la nuit des temps entre le Blanc et le Noir,
entre civilisation occidentale et civilisation africaine. Comment alors dans un
tel contexte, l'Afrique pourra-t-elle en l'espace d'une
génération, prétendre à l'existence en s'inventant
à elle un système de pensée?
Finalement, on aboutit à ce constat que nous
présente TOWA : «Ainsi s'est ancré dans les
esprits un préjugé qui fait que l'Africain qui veut parler de
philosophie ou de science est considéré comme se mêlant de
ce qui ne le regarde pas.»3(*) En clair, il semblerait que l'esprit de l'Homme Noir
est inapte à pénétrer le domaine de la philosophie. Le
cercle de la pensée s'est donc fermé une fois pour toutes,
excluant de ce fait le Noir qui devra vaquer à d'autres occupations, de
moindre considération que de chercher à s'adonner à la
philosophie et à la science. En tournant le dos à la science et
à la philosophie, l'Africain ne fait pas qu'abandonner deux
disciplines ; il renonce par là même à la
connaissance ; la science et la philosophie se présentant comme la
matrice de la connaissance contemplative. N'est-ce pas en vertu d'une telle
considération que les premiers philosophes et savants grecs, les
disciples de l'Ecole de Milet des VIIe et VIe siècles avant
Jésus-Christ que sont THALÈS, ANAXIMANDRE, ANAXIMÈNE et
autres, jusqu'à PLATON et ARISTOTE par exemple, se sont adonnés
à la science et à la philosophie, au détriment de toute
considération d'ordre utilitaire, rejetant du coup la technique? Ils
n'avaient d'autre préoccupation que le désir de connaître
comme se plaît à le souligner ARISTOTE : «Si
les premiers philosophes philosophèrent pour échapper à
l'ignorance, il est évident qu'ils poursuivaient la science pour
savoir et non en vue de quelque utilité. Le fait lui-même en est
la preuve : presque tous les arts qui regardaient les besoins et ceux qui
s'appliquent au bien-être et au plaisir étaient
déjà connus quand on commença à chercher les
explications de ce genre. Il est donc évident que nous n'étudions
pas la philosophie pour aucun intérêt
étranger.»4(*)
En vertu de telles considérations, assumer que
l'Afrique n'est pas apte à faire la philosophie, c'est refuser de lui
ouvrir le champ de la connaissance. Ainsi, en énonçant
l'idée de l'accession de l'Africain au système de pensée,
les intellectuels Noirs ne veulent rien d'autre qu'accéder à la
connaissance, au même titre que les premiers philosophes et savants grecs
de l'Antiquité et par conséquent l'Européen d'aujourd'hui.
Mais pour y parvenir, l'Afrique doit d'abord combattre ce préjugé
tenace qui s'est ancré dans les esprits, notamment dans celui de
l'Européen. Il s'agit pour lui de combattre un mythe, le mythe de la
supériorité de l'Européen, homme
«supérieur» par excellence. Pour se faire une idée de
la mentalité de l'Européen, lisons ces mots de
HITLER : «Nous n'aspirons, non pas à
l'égalité, mais à la domination. Le pays de race
étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journaliers
agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s'agit pas de supprimer les
inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d'en faire
une loi.»5(*)
La différence des époques - nous sommes
déjà au XXe siècle - ne nous empêche pas de
comprendre les motivations réelles des missionnaires, explorateurs ou
colons Européens comme HITLER.
De la traite négrière et l'esclavage à la
colonisation, nous retenons une idée essentielle : l'Africain ne
saurait bénéficier du statut d'homme au sens où l'entend
l'Européen. Dès lors, il faut parvenir à façonner
l'Africain, à le recréer à l'image de l'Européen,
à remodeler sa conscience car c'était là l'unique issue
pour faire de lui un »homme vrai«
Les indépendances à partir de 1960 qui vont
emboîter le pas aux différents mouvements de libération
dans la majorité des territoires africains ; soutenus par le
mouvement de la négritude qui a émergé dans les
années 3O ; redonnent à l'Africain sa dignité. Elles
essaient pour un temps de redorer son blason terni. Piètre
dignité! Car en partant, le colon a pris soin de laisser sur place ses
agents locaux ; des Africains bien entendus, mais avec une
mentalité d'Européens.
Plus de quatre décennies d'indépendance n'ont
fait que participer à la consolidation des régimes en place. Le
multipartisme n'a pas encore tenu pour l'essentiel ses promesses. Une analyse
sérieuse de la situation nous permet de comprendre que les espoirs
suscités par l'avènement de ce nouvel ordre politique restent
dans la plupart des cas de simples professions de foi. Le développement
des Nations Africaines, synonyme de bien-être
généralisé que devrait engendrer le multipartisme n'est
pour l'instant qu'un voeu pieux. La liberté, dans l'ensemble, reste une
denrée rare pour l'Africain. À tout point de vue, sa
liberté se trouve confisquée. On lui refuse le droit à la
pensée, au développement d'une critique libre et
sincère.
Les mêmes forces demeurent quand il s'agit
d'évoquer l'idée d'une pensée sincère et franche en
Afrique et par ricochet l'idée d'une philosophie africaine. Les forces
de la colonisation, annoncées par les missionnaires et tous leurs
alliés ; que sont les intellectuels à la solde des pouvoirs
en place ; sont les "geôliers"de la pensée et d'une
véritable philosophie en Afrique.
Le recours fait à l'oeuvre de Paulin HOUNTONDJI dans le
cadre de notre étude ne nous paraît nullement fortuit. Sans
toutefois chercher à lui vouer un quelconque culte, nous pensons qu'il
saurait mieux nous éclairer et nous guider dans notre entreprise.
Parlant de la place de la philosophie dans le processus
d'accomplissement du réel, HEGEL écrit : «Pour
dire encore un mot sur la prétention d'enseigner comment doit être
le monde, nous remarquons qu'en tout cas, la philosophie vient toujours trop
tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque
la réalité a accompli et terminé son processus de
formation.»6(*)
Il en va ainsi de la pensée de HOUNTONDJI. Celle-ci
prend son envol au moment où les intellectuels Africains ont fini de
festoyer avec les miettes tombées du repas tempelsien. La philosophie de
HOUNTONDJI surgit au moment où ses prédécesseurs, dans un
délire dionysiaque ont fini de jubiler avec la satisfaction du devoir
accompli. Ainsi, dans un premier temps, HOUNTONDJI vient constater ce qui est,
et ce qui est, c'est cette vaste compilation de pensées
ethnophilosophiques, reliques de La philosophie bantoue du
révérend père Placide TEMPELS.
Le passage en revue de l'oeuvre de ses
prédécesseurs permet à HOUNTONDJI de tirer cette
conclusion : «Incontestablement philosophes, leur seule
faiblesse a été de réaliser, mythiquement, sous
l'espèce d'une philosophie collective, la forme philosophique de leur
propre discours.»7(*)
Un aspect essentiel mérite d'être signalé :
HOUNTONDJI ne veut pas prendre part au débat sur l'existence ou non
d'une philosophie africaine. Il constate simplement que cette philosophie
existe. Mais son existence ne correspond pas à ce qu'aurait dû
être en réalité et de façon précise la
véritable philosophie africaine. Il entend donc dresser un tableau
synoptique des obstacles qui se dressent sur la voie de l'élaboration de
la philosophie africaine afin de la redéfinir. D'où le
thème de ce MÉMOIRE : « DE LA
LIBÉRATION DE LA CRÉATIVITE THÉORIQUE AU RENOUVEAU DE LA
PHILOSOPHIE AFRICAINE » dans Sur la « philosophie
africaine » de Paulin HOUNTONDJI.
Le sous-titre de cette oeuvre :"Critique de
l'ethnophilosophie" est assez évocateur. Il nous situe aisément
sur les intentions de HOUNTONDJI. Il entend dépasser le cadre du simple
constat pour réfuter ce qu'il a sous les yeux. N'est-ce pas là le
sens véritable de l'activité philosophique? HOUNTONDJI fait
sienne cette conception selon laquelle il n'y a jamais eu de
vérité toute faite, considérant à son tour
que «nous avons de bonnes raisons d'espérer qu'en
philosophie la dogmatisation, en dépit de ses attitudes solennelles et
définitives, pourrait bien n'avoir été que noble
enfantillage, maladresse de débutant.»8(*)
S'aventurer dans le cercle de la philosophie, c'est s'armer
d'une telle conviction. Il faut de ce fait comprendre que la réfutation
et la crique utiles et rationnelles ne doivent jamais faire défaut au
philosophe. C'est justement par cette gymnastique que se réalise
l'essence de la philosophie, qui n'est nullement la détention du
savoir, mais la quête effrénée de ce savoir-là.
Qu'il nous soit permis de remonter à la naissance de la philosophie
socratique pour nous rendre compte du dessein qui anime justement HOUNTONDJI.
SOCRATE fait son apparition dans la cité athénienne dans une
atmosphère de faillite de la vraie pensée philosophique. En
effet, il trouve sur place des étrangers qui montrent leur "beau savoir"
et leur belle manière de parler en vue de s'enrichir. A leur
manière, les sophistes entendent construire "une nouvelle sagesse
philosophique". Au-delà de toute recherche philosophique touchant
à la science ; ils instaurent la Rhétorique : l'art de
persuader son adversaire, l'art d'être victorieux dans n'importe quelle
situation et à propos de n'importe quel sujet. Ce n'est pas la
vérité qu'on cherche, mais ce qui peut paraître vrai, ce
qui peut être accepté comme vrai. L'homme devient mesure de toute
vérité. Un subjectivisme effronté s'empare de la
philosophie et ne veut plus considérer que l'intérêt
immédiat et pratique de l'homme. C'est par rapport à ce contexte,
à une telle décadence philosophique qu'il faut comprendre la
violente réaction de SOCRATE. Animé par une sorte de zèle
apostolique, il poursuit les rhéteurs, ces faux sages qui trompent la
jeunesse. Consciemment, SOCRATE engage les investigations philosophiques dans
une direction, jusque-là encore inexplorée par une méthode
scientifique : la connaissance de "soi-même" et des vertus de
l'âme.
Ce tableau pourrait être ramené à la lutte
que HOUNTONDJI entend mener contre tous ceux qui ont pensé faire oeuvre
de philosophie africaine ; alors qu'en réalité ils
s'adonnaient à coeur joie à de l'ethnophilosophie. A l'image de
SOCRATE qui a dénoncé et détruit la fausse philosophie des
sophistes, HOUNTONDJI, également, à travers sa critique de
l'ethnophilosophie, entend dénoncer cette vision erronée de la
philosophie africaine.
Mais avouons-le : la tâche ne semble nullement
aisée. Car en tout premier lieu, n'oublions pas qu'il entend poser les
jalons d'une libération de la créativité des peuples
d'Afrique. Cette créativité se trouve en détention, elle
se trouve emprisonnée, étouffée même. Mais par qui?
Il s'agit en effet des intellectuels Africains vouant un culte
sans pareil à La philosophie bantoue de TEMPELS,
déguisés en fin de compte en ethnophilosophes, mais aussi et
surtout ces régimes politiques tout-puissants qui, soucieux de
préserver la thèse unanimiste qui leur est si chère,
étouffent sans aucune forme de procès toute pensée libre
qui aurait tendance à évoluer dans un registre autre que ce
qu'ils ont conçu. Ce qu'on entend sauver ici, c'est une certaine
façon de voir commune, c'est-à-dire cette vision unanimiste
d'une Afrique uniforme. Il y a chez eux le désir de sauvegarder les
vestiges d'un passé mythique, d'une Afrique traditionnelle au sein de
laquelle la vie se vit comme totalité, comme l'exprime le professeur
DIBI Kouadio : «Aller au fond des choses, par analyse et par
distinction, serait non seulement orgueil, mais sacrilège, car c'est
comme si l'homme, cherchant à voler de ses propres ailes voulait
surprendre les puissances sacrées dans la nuit de leur existence(...).La
mentalité traditionnelle ne cherchera pas à reconstruire la
totalité : elle l'accepte d'emblée et s'y engage, car seule
lui importe la communion au tout, sans altération.»9(*)
Les philosophes Africains trouvent dans l'oeuvre de TEMPELS la
confirmation de cette image de l'Afrique fondée sur l'unanimité
primitive, où tout le monde semble d'accord avec tout le monde.
Pourtant, une telle conception, loin de contribuer à
l'élaboration de la philosophie africaine, ne fait au contraire
qu'empêcher son éclosion. Sous le fallacieux prétexte de
rechercher une manière d'être propre à l'Afrique, les
intellectuels Africains d'une part, et les hommes d'Etat d'autre part, ne font
au contraire que s'opposer à l'avènement de la véritable
philosophie africaine.
S'il est donc admis que le mythe de la
supériorité de l'Homme Blanc représente un sérieux
handicap à l'avènement de la philosophie africaine, il n'en
demeure pas moins que le plus grand mal provient de l'Afrique et des Africains
eux-mêmes. Il faut de ce fait commencer à exorciser le mal par la
racine, c'est-à-dire à partir de l'Afrique et des Africains. En
clair, il s'agit de forcer les Africains à renoncer au mythe de
l'unanimité primitive qui semble être la caractéristique
fondamentale de la pensée africaine. C'est pourquoi pour
HOUNTONDJI : «Au-delà du repli nationaliste sur
nous-mêmes, de l'inventaire laborieux et interminable de nos valeurs
culturelles, du narcissisme collectif induit par la colonisation,
réapprendre à penser.»10(*) HOUNTONDJI en appelle à une
réorientation du discours pour une vision nouvelle de la philosophie
africaine dont le sens est ainsi
présenté : «La philosophie africaine, pas plus
qu'aucune autre philosophie, ne saurait être une vision du monde
collective. Elle n'existera comme philosophie que sous la forme d'une
confrontation de pensées individuelles, d'une discussion, d'un
débat.»11(*)
Le verdict de HOUNTONDJI tombe donc, implacable :
l'Africain doit penser au même titre que l'Européen. N'en
déplaisent à tous ceux qui voudraient toujours voir le Noir
demeuré dans l'anti-chambre de la pensée et par ricochet de
l'existence elle-même. Le terrain semble alors balisé pour
l'émergence d'une philosophie africaine, appelée à rompre
avec le folklorisme et l'exhibitionnisme sous les modes desquels elle
fonctionnait jusque-là ; à l'image des écrits de la
Négritude et de la littérature africaine des années
cinquante qui, aux dires de Jacques CHEVRIER, «a reçu,
dans l'ensemble, un accueil favorable de la critique occidentale à
laquelle, faute de mieux, elle s'adressait en
priorité.»12(*)
L'Afrique, dans l'élaboration de la nouvelle
philosophie doit désormais se tourner vers l'Africain et non vers
l'Européen.
À partir du moment où l'on concevra que la
vérité n'est nullement l'apanage d'une poignée d'individus
s'accaparant tous les biens de l'État au détriment du peuple dont
ils prétendent servir les intérêts, l'Afrique pourra
finalement prendre son envol. Dès lors, les leaders politiques Africains
doivent "réapprendre à penser" comme le préconise
HOUNTONDJI. Ils doivent comprendre que l'Afrique n'est pas un accident de la
nature. Elle fait partie intégrante de cette histoire universelle de
HEGEL. Il s'agit d'un appel implicite en vue d'une mutation, aussi bien au
niveau de la manière de penser que de faire ou d'être. Le moment
est enfin venu pour que nous fassions table rase de ce passé mythique.
Ainsi, HOUNTONDJI nous invite à «libérer notre
pensée du ghetto africaniste où on a voulu
l'enfermer.»13(*)
Il faut finalement faire table rase de l'exhibition et de
l'exposition. Dire à l'Occident : voilà ce dont nous sommes
capables, c'est se livrer à une ex-position, un désir de
paraître. Ce qu'on ex-pose, c'est-à-dire ce qu'on pose à
l'extérieur, c'est ce qui aspire à une sorte de publicité,
c'est ce qui veut s'offrir au regard du grand public avec pour objectif de
capter son attention et de le séduire. Or le problème
véritable de l'Africain aujourd'hui, ce n'est pas une bien triste envie
de paraître. Ce qu'il nous faut rechercher dès à
présent, ce sont les voies et moyens nécessaires afin d'occuper
dans ce XXIe siècle une position des plus enviées ;
débarrassés à jamais de ce manteau de
«sous-développés».
L'aptitude à la pensée ne se revendique pas.
Elle se constate, elle se vit, elle s'éprouve, elle se prouve.
Voilà le message que Paulin HOUNTONDJI entend véhiculer. Les
idées fortes contenues dans l'oeuvre de HOUNTONDJI s'organisent autour
de LA CRITIQUE DE L'ETHNOPHILOSOPHIE d'une part, ajoutée à LA
DESCRIPTION DE LA TOUTE-PUISSANCE DES RÉGIMES POLITIQUES AFRICAINS
d'autre part. Ces deux axes principaux constituent les obstacles qui se
dressent sur la voie de l'élaboration d'une philosophie africaine digne
de ce nom. Au sortir de cette description, de cette critique, HOUNTONDJI expose
sa VISION DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE. Notre tâche à travers ce
MÉMOIRE consiste à faire la lumière sur ces idées
tout en procédant à une évaluation critique à la
lumière d'autres écrits, d'autres conceptions.
CHAPITRE I
LE PARADOXE DE LA RECHERCHE
DE L'ORIGINALITÉ EN AFRIQUE NOIRE
A - DE LA RENCONTRE AVEC L'AUTRE À
L'ALIÉNATION DE SOI
L'existence humaine se perçoit sous le mode de
l'altérité. En ce sens, la vie elle-même se veut
plurielle ; elle se dit au pluriel, elle se conjugue au pluriel. Prenant
conscience de cette réalité qui apparaît à la limite
comme une vérité axiomatique, l'existant lui-même aspire
à partir de cet instant à la rencontre avec l'Autre.
Dans sa singularité, il souhaite la médiation de
l'Autre. Il veut que celui-ci vienne à imprimer sa marque sur son
existence, car son être - au - monde se vit sous le mode de l'être
- avec. Ainsi l'entend SARTRE : «Par le je pense,
contrairement à la philosophie de DESCARTES, contrairement à la
philosophie de KANT, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre,
et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. Ainsi l'homme qui
s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres et il
les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte
qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel ou
qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le
reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur
moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable à mon
existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de
moi.»14(*)
Au coeur du projet de l'existence humaine, se trouve inscrite
l'altérité comme sa réalité fondamentale. La
singularité, l'individualité apparaissent comme vidées de
tout contenu, car l'homme ne saurait supporter et concevoir ce retrait dans
une sorte de solipsisme. Finalement, l'individu va transformer
l'équation ÊTRE=ÊTRE AVEC en un besoin de l'Autre ; en
un désir de l'Autre. Ce désir se traduit par un mouvement vers
l'Autre ; une quête de l'Autre ; une tension vers l'Autre.
Mouvement qui, en lui-même, est loin d'être fortuit : il
s'agit d'aller vers l'Autre, soit pour en faire le moyen de notre propre
réalisation, soit pour nous offrir nous-même comme moyen de sa
réalisation. Inévitablement se crée une rencontre avec
l'Autre. Relation qui se vit sous le mode du partage, du donner et du recevoir.
Partager avec autrui ce que nous avons, ce que nous sommes et
ce que nous savons, voilà finalement le charme de la vie elle-même
car, l'individu ne saurait ici en faire autrement, au risque de
«pécher grandement contre la loi qui nous oblige à
procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les
hommes.»15(*)
De ce fait, la loi morale inscrite en chaque homme l'oblige à donner,
à faire goûter à l'Autre le plaisir de recevoir.
Noble démarche! Noble intention! L'individu, dans sa
pure intériorité, dans sa retraite intérieure
réalise ceci : il ne s'appartient pas parce qu'il ne s'est pas
créé. Il s'est surpris à exister dans un monde
déjà constitué. Et malgré tout le privilège
qu'il s'octroie, poussé par un certain narcissisme, il lui est toujours
impossible de répondre suivant les catégories de la raison
à la question : « D'où
viens-je ? », tout comme toutes les autres questions relatives
à l'origine des choses et des autres êtres. C'est pourquoi,
s'abandonnant à sa foi, il finit par reconnaître qu'il ne saurait
être à l'origine de sa présence au monde. Il
reconnaît et assume dans une sorte d'impuissance et d'humiliation, la
finitude de son être. Il se lie dès lors à l'Être
suprême, Créateur des cieux et de la terre, qui n'est autre que
Dieu.
Désormais, l'individu trouve dans sa relation à
Dieu le sens de son existence. Tout est l'oeuvre de Dieu ; tout a
été créé par Dieu. Voilà l'heureux constat
auquel il finit par aboutir. Dieu, par un acte d'amour, a créé
les humains ; par un acte d'amour, il a permis que ceux-ci viennent
à l'existence. Finalement, la relation de Dieu aux hommes se conjugue
sous le mode de l'Amour. N'est-ce pas ce que déclare La Bible en
Jean 3 :16 : «Car Dieu a tant aimé le monde
qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne soit
pas détruit, mais ait la vie éternelle.»?16(*) S'il est vrai que Dieu a tant
aimé le monde jusqu'à sacrifier son fils unique pour sauver ce
monde-là, pourquoi donc l'individu qui réalise que tous les
individus sont des créatures de Dieu ne mettrait-il pas tout en oeuvre
afin de venir en aide à son prochain? Dès lors, l'amour du
prochain se pose comme un appel silencieux à l'endroit de l'individu.
L'apôtre Jean ne clamait-il pas ainsi aux
hommes : «Bien-aimés, si c'est ainsi que Dieu nous a
aimés, alors nous sommes tenus de nous aimer les uns les
autres.»?17(*)
Prenant conscience d'une telle réalité, l'Europe
éveillée se fait un devoir de réveiller l'Afrique qui
continue de dormir d'un sommeil profond. C'est alors qu'elle initie vers
l'Afrique un mouvement qui est conçu comme acte d'amour. Cette fois-ci,
les intentions paraissent avoir changé. Nous n'avons plus affaire
à la barbarie de l'esclavage et de la traite négrière qui,
des siècles durant, ont dépeuplé l'Afrique, la vidant du
coup de ses bras valides, l'appelant à se renouveler, à se
repeupler.
Pour une fois, l'Afrique n'a pas affaire aux esclavagistes et
aux négriers de tout bord. Elle accueille désormais, une autre
catégorie d'Européens : les colons et les missionnaires.
Ceux-ci veulent apporter à l'Africain la seule manière
d'être, de faire et de croire qui soit authentique, qui soit vraie.
Pour l'Européen, tout chez l'Africain n'es
qu'infériorité. Tout chez lui n'est que bassesse. Il est en
dessous de la civilisation occidentale. Il ne s'est pas encore ouvert à
l'humanité. Les principes universels lui demeurent de ce fait inconnus.
Il n'a ni raison, ni science. Pire : l'Africain n'a pas de religion.
Au sujet de la religion, HEGEL écrit :
«La religion commence avec la conscience de l'existence de quelque
chose qui soit supérieur à l'homme. Cette forme
d'expérience n'existe pas chez les nègres.»18(*) Ce "quelque chose de
supérieur" à l'homme dont parle HEGEL, c'est bien Dieu. Aux yeux
de HEGEL, l'Africain ne connaît pas Dieu, Être suprême par
excellence.
Dans ces conditions, l'Africain pense incarner cette
suprématie-là. Il est l'élément supérieur
au sein de la nature. Bien plus, c'est lui domine cet élément
naturel. Il est la force transcendante. C'est pourquoi HEGEL, reprenant les
mots d'Hérodote pour qui : «En Afrique, tous les hommes
sont magiciens.»19(*), précise à son tour :
«Cela veut dire que l'Africain, comme être spirituel,
s'arroge un pouvoir sur la nature, et c'est ce que signifie un tel pouvoir
magique. (...) Dans la magie, il n'y a pas l'intuition d'un Dieu, d'une
croyance morale, mais bien au contraire l'homme y est représenté
comme la puissance suprême, comme celui qui, avec les forces de la
nature, n'a d'autre rapport que celui du commandement.»20(*)
La spiritualité chez l'Africain se vit sous le mode du
commandement ; commandement à l'égard de la nature, à
l'égard des forces naturelles. L'esprit de l'Africain est
traversé de part en part par la magie.
Prenant acte d'un tel état de croyance chez l'Africain,
le missionnaire qui débarque en Afrique, n'a d'autre but que de
remplacer ce sens de la magie de l'Africain par un sentiment authentiquement
religieux. À la conscience magicienne de l'Africain, le missionnaire se
propose de substituer la conscience religieuse. Ici, on est soumis à un
Être suprême : Dieu. Pour le missionnaire, il s'agit
d'enseigner Dieu à l'Africain. Il entreprend à ce titre de lui
faire comprendre que sa vie n'a de sens et de valeur que par
référence à Dieu. On présente à l'Africain
l'image de ce Père généreux, omniprésent,
omnipotent ; ce Dieu «miséricordieux et
compatissant ; lent à la colère et abondant en bonté
de coeur et de vérité.»21(*) L'Africain comprit désormais que
jusque-là il s'était égaré dans les sentiers de la
spiritualité. Il a même fait preuve d'ingratitude car, refusant de
reconnaître les bienfaits de ce Père à qui il se devait de
rendre gloire. Mais jusque-là, il ne l'avait pas fait.
Si le missionnaire entreprit de rallier l'âme du Noir
à Dieu, le colon, quant à lui, choisit d'unir l'âme et le
corps du Noir à la civilisation. Être civilisé, c'est
être blanc. Accepter l'équation BLANC=CIVILISATION comme vraie,
c'est par conséquent admettre le binôme inverse ÊTRE
NOIR=ÊTRE CIVILISÉ comme faux.
Ainsi, à défaut de devenir blanc, l'Africain se
doit désormais de penser, d'agir et de faire comme le Blanc. Comme le
souligne Morton SCHOOLMAN : «La période
précoloniale et préindustrielle de l'histoire de l'Afrique est
qualifiée de«primitive» par les Européens et elle est
simplement considérée comme une regrettable
«étape» de transition précédant
l'avènement d'une civilisation «blanche» moderne et hautement
industrialisée. L'Afrique précoloniale et traditionnelle est
condamnée à l'oubli puisque, dans le système de valeur
occidental, elle n'a rien contribué au progrès de
l'humanité.»22(*) L'Afrique est alors appelée à renoncer
à son moi profond et intime en vue d'opérer une mutation qui va
la conduire vers la civilisation.
C'est ici que Frantz FANON va insister sur la langue du
colonisateur comme facteur déterminant dans le processus de la
civilisation : «Parler une langue, c'est assumer un monde,
une culture. L'Antillais qui veut être blanc le sera d'autant plus qu'il
aura fait sien l'instrument culturel qu'est le langage. (...). Historiquement,
il faut comprendre que le Noir veut parler le français, car c'est la
clef susceptible d'ouvrir les portes qui, il y a cinquante ans encore, lui
étaient interdites. »23(*) Parler couramment cette nouvelle langue, qui est
celle du colonisateur, permet au colonisé d'aller plus loin que la
communication banale et quotidienne avec le colonisateur, plus loin que les
rapports de politesse et les transactions commerciales. Il s'agit pour le
colonisé d'intégrer l'univers existentiel du colonisateur,
d'apprendre son histoire, d'intégrer sa culture. Et, de même que
la langue et l'histoire de l'Homme Blanc sont «supérieures»
à la langue et à l'histoire des Africains, la civilisation
blanche est supérieure à la civilisation africaine.
«Civilisation» et «blanc» deviennent de ce fait des
compléments indissociables.
La religion, et précisément l'Église et
la colonisation apportées par l'irruption de l'Occident entraînent
le bouleversement de la société africaine. Jacques CHEVRIER ne
manque justement pas d'en parler : «En cette fin du XXe
siècle la valeur - drapeau de l'Occident c'est le progrès ;
au nom du progrès on assiste donc à une entreprise
systématique de laïcisation de la société africaine.
Sous le couvert hypocrite d'une morale strictement utilitariste, le
mercantilisme, la bureaucratie et l'Eglise s'attaquent aux structures
archaïques et détruisent en quelques décennies
l'équilibre et l'harmonie des communautés qui avaient toujours
réussi à sauvegarder leur sens sacré du mythe et du
mystère. La langue des Blancs relègue au second plan les parlers
du coeur tandis que les fétiches sont jetés dans les brasiers
allumés par les missionnaires trop zélés. Aux danses et
aux chants de naguère ont désormais succédé l'ennui
et l'exploitation de l'homme par l'homme : la prose a chassé la
poésie.»24(*)
Le ton est ainsi donné.
Ce qui, dès le départ, avait été
conçu comme acte d'amour , comme visée d'humanisation et moyen de
réalisation de l'autre, ne revêt au contraire que la forme d'une
attaque, d'une destruction, d'une exploitation. L'Africain ne se
reconnaît plus. La langue du Blanc que le Noir a surtout apprise par le
canal de l'école l'a consumé jusqu'au dernier degré son
être. L'école où on prétendait former le jeune
nègre en lui apprenant la langue en même temps que l'histoire et
la culture occidentales, ne lui a laissé aucune chance de se
reconnaître. C'est justement ce que dans une vision prophétique,
la Grande Royale a décrit, lorsque, s'adressant à son peuple,
elle affirma : «L'école où je pousse nos
enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin,
à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il
en eux, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. Ce que je propose c'est
que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui
nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons
laissée libre.»25(*) La très belle civilisation dont on a tant
chanté les éloges n'est finalement qu'aliénation et
acculturation.
Le dialogue avec l'Occident, conçu au départ
comme moyen d'humanisation de l'Homme Noir, plutôt que de contribuer
à l'enrichissement de la culture africaine, n'a fait au contraire que
l'appauvrir en la rongeant de l'intérieur. Finalement, cet acte d'amour
initié par l'homme venu d'au-delà des mers à
l'égard du Noir n'est resté qu'une déclaration de
principe ; d'autant plus que dans les faits, il s'est trahi
lui-même. C'est ici que réside tout le sens du constat fait par
HOUNTONDJI : «Le colonialisme a donc bloqué les cultures
africaines, réduit leur pluralisme interne, atténué les
discordances, affaibli les tensions où elles puisaient
précisément leur vitalité, pour ne plus laisser aux
Africains que l'alternance tronquée entre «aliénation»
culturelle (corrélat supposé d'une trahison politique) et
nationalisme culturel (revers obligé, et parfois substitut
dérisoire, du nationalisme politique).»26(*)
Comme on peut le constater, la rencontre entre l'Afrique et
l'Europe a tout simplement joué en la défaveur du continent
noir ; l'Africain, désormais incapable de se reconnaître
comme un être à part entière. C'est donc avec amertume
qu'il se surprend dans des habits nouveaux qui, tout en voilant son être
propre, le présentent sous un aspect étrange. C'est en somme le
constat de l'aliénation de l'Africain. Prenant acte d'une telle
situation et, bien loin de se résigner, les intellectuels Africains
s'assignent pour mission de redonner au continent noir son identité
perdue afin de le repositionner aux côtés des autres peuples et
surtout l'Europe, dans une relation de coexistence. N'est-ce pas à la
limite une entreprise difficile ?
B - LA DIFFICILE RECONQUÊTE DE L'IDENTITÉ
PERDUE
Il est évident que la rencontre de l'Occidental (ici
l'Européen par excellence) avec l'Africain s'est assignée
dès le départ une mission, on ne peut plus noble. Elle s'est
appréhendée et conçue dans ses intentions comme une
visée d'humanisation. Question pour l'Européen d'apporter
à l'Africain tout ce qui lui manquait en vue d'accéder loyalement
au rang d'homme. Mais, entre l'intention et l'acte, que de fossé, que
d'écart! Car, la visée d'humanisation se mue tout simplement en
entreprise d'assimilation, en une aliénation du Noir jusqu'au point
où celui-ci ignore tout de ses racines, de son être intime et
profond.
Aux yeux de l'Européen, l'Africain n'est tout
simplement qu'une chose étrange, un objet par la médiation duquel
il a pu donner la preuve de sa suprématie et de sa puissance. Pour
l'Africain, il n'y a pas l'ombre d'un doute : l'homme par excellence c'est
bien l'Européen. Leur rencontre n'a contribué qu'à
renforcer la puissance et la suprématie de celui-ci au détriment
de celui-là. Les Africains en sont conscients. Batouala,
déplorant la défaite des siens devant les Blancs affirme :
«Notre soumission ne nous a pas mérité leur
bienveillance. Et d'abord non contents de s'appliquer à supprimer nos
chères coutumes, ils n'ont eu de cesse qu'ils ne nous aient
imposé les leurs. Ils n'y ont à la longue, que trop bien
réussi. Résultat : la plus morne tristesse règne,
désormais, par tout le pays noir. Les Blancs sont ainsi faits, que la
joie de vivre disparaît des lieux où ils prennent quartiers.
Depuis que nous les subissons, plus le droit de jouer quelque argent que ce
soit au « patara ». Plus le droit non plus de nous enivrer.
Nos danses et nos chants troublent leur sommeil. Les danses et les chants sont
pourtant notre vie.»27(*)
On comprend à la lumière de tels propos,
empreints d'amertume, toute la douleur qui est celle de l'Africain à
l'occasion de sa rencontre avec l'Européen. C'est comme si en un
éclair, la joie de vivre qui le caractérisait jusque-là,
avait cédé la place à un sentiment de détresse,
à une privation de vie. La colonisation, en fin de compte, n'a
laissé aux Africains que la nostalgie du passé.
Défaite, capitulation, soumission, les termes ne sont
peut-être pas assez forts pour exprimer l'effacement du nègre
devant l'homme venu d'au-delà des mers. Barbares, sauvages, primitifs,
les Africains le sont aux yeux de l'Européen et ils continueront de
l'être. Que vaut finalement un peuple où l'Esprit en
lui-même continue d'errer dans une obscurité où l'on
n'entretient la moindre illusion quant au jaillissement d'une insignifiante
source de lumière?
Pour l'Européen, l'image de l'Afrique n'est point
reluisante. La voie de l'accomplissement, dans ces conditions, passe
inévitablement par l'adhésion aux valeurs et à la langue
du Blanc. Mais très vite, l'Afrique commence par douter de ce choix.
Elle commence par s'interroger sur le sens réel de sa présence,
de son être - au - monde. Jacques CHEVRIER tire fort bien la conclusion
qui découle de cette méditation :
«Aliéné dans une fausse culture qui le coupe de ses
racines, il (l'Africain) éprouve alors le vertige de l'angoisse et se
retourne avec nostalgie vers son passé.»28(*) C'est alors que commencent
par se faire entendre les voix des intellectuels Africains. Tous ont a
à choeur de laver l'affront subi par la mère - patrie pendant des
décennies. Ils militent en faveur d'une authentique reconnaissance. Ce
qui est réconfortant à leurs yeux, c'est la caution bienveillante
que leur apporte l'intelligentsia européenne. Il s'agit d'un drame
intérieur que traverse l'Occident lui-même du fait des attitudes
contradictoires à l'égard de tout le mépris dont est
victime le continent noir. Il s'agit d'un cri d'alarme des intellectuels
Européens en vue de donner une nature plus humaine des relations entre
colonisateurs et colonisés au profit de ceux-ci. Désormais, le
nègre est présenté sous une vision nouvelle à
travers la littérature européenne en général et la
littérature française en particulier. Guy MICHAUD nous en donne
un aperçu : «Ce n'est guère qu'au lendemain de la
deuxième guerre mondiale qu'a été entrepris,
parallèlement au processus de décolonisation, un effort
sincère de démythification. La revue Présence africaine,
les travaux de Georges BALANDIER, les écrits de SARTRE, de Roland
BARTHES et de quelques autres ont largement contribué à assainir
les relations entre les peuples et à les purger de tout l'imaginaire
qu'elles colportent à notre insu. C'est là une entreprise
d'hygiène collective dont l'importance ne peut échapper à
personne.»29(*)
La même Europe qui a contribué à l'émergence des
négriers, colons et autres missionnaires, voit éclore en son sein
une autre race d'hommes pour qui, tous les hommes, sans exception, sont
dotés de la même valeur. La couleur de la peau et la situation
géographique cessent d'apparaître comme des critères de
différenciation. Elles ne deviennent que des artifices ou des accidents
de la nature. C'est comme si les intellectuels Européens demandaient
à l'Europe entière de se relever au nom du sacro-saint respect de
l'universalité de l'humaine condition qui exige de chaque homme le
même degré d'estime aussi bien pour lui-même que pour les
autres. Dès lors, on estime que le meilleur moyen de se confesser
réside dans la reconnaissance des valeurs et de la dignité de la
race noire en vue de redonner un visage plus humain aux relations entre les
peuples. C'est en cela que consiste pour l'essentiel la tâche des
intellectuels Européens qui lancent un véritable cri d'alarme.
Désormais, du côté des intellectuels Africains, on se
trouve réconforté. La lutte pour la reconnaissance se trouve
d'une manière ou d'une autre légitimée par l'apport des
intellectuels Européens ; du moins en partie ; ce qui
constitue une sorte de caution morale. Ainsi donc le mal qui ronge depuis
longtemps l'Afrique sera exorcisé.
Il s'agit là d'une libération aussi
bien politique que culturelle. Et pour y parvenir, il convient d'exhiber
à la face de l'Europe les valeurs propres à la race noire ;
c'est-à-dire la manière d'être originale du Noir. C'est
à partir de ce moment que commence le mouvement de la Négritude
sous l'autorité d'une poignée d'étudiants et
d'intellectuels Noirs repliés à Paris et nourris des oeuvres des
écrivains Négro-Américains. Morton SCHOOLMAN met à
ce propos un point d'honneur à célébrer les mérites
du mouvement de la Négritude : «La théorie de
la Négritude a certainement joué un rôle positif en
libérant un certain nombre d'Africains de l'emprise du colonialisme.
À tout le moins, elle représente l'expression d'une
révolte culturelle qui permet à l'Africain d'affirmer son
humanité et sa force sous le joug colonial. Et bien qu'elle n'eût
pas grand-chose à avoir avec l'indépendance de l'Afrique, la
Négritude compta certainement beaucoup pour ceux des Africains qui
s'efforçaient de se décoloniser eux-mêmes avant de
libérer leur pays.»30(*)
Il s'agissait donc pour les chantres de la
Négritude d'affirmer l'humanité du Noir. Est-il besoin de le
rappeler : ce mouvement doit sa paternité à un triumvirat
célèbre en exil à la Sorbonne : Léopold
Sédar SENGHOR, Aimé CÉSAIRE et Léon Gontran
DAMAS.
Mais, précision importante : la vraie prise de
conscience avait commencé d'agiter l'Amérique au début du
XXe siècle. En 1903, paraît le livre Âmes Noires de
William E. B. DU BOIS. Ses écrits dénonçaient la situation
scandaleuse faite aux Noirs des ?tats - Unis. Il invitait à ce titre
Blancs et Noirs à se défaire de l'image
stéréotypée du Nègre sous-homme, inconscient et
taré. DU BOIS fut donc d'une manière ou d'une autre le premier
à avoir pensé la Négritude dans sa totalité et dans
sa spécificité. Le mérite de DU BOIS a été
non seulement d'avoir revendiqué les droits des Noirs -
Américains, mais aussi d'avoir tourné ses pensées vers
l'Afrique. En témoignent ses écrits, à la mesure de son
désir d'exilé : «Il ne s'agit pas d'un pays, c'est
un monde, un univers, se suffisant à lui-même... C'est un grand
coeur du monde noir où l'esprit désire ardemment mourir. C'est
une vie si brûlante, entourée de tant de flammes qu'on y
naît avec une âme terrible, pétillante de vie. On y saute
à l'encontre du soleil pour y faire venir comme une grande main du
destin, la force lente, tranquille et écrasante du sommeil tout-puissant
, du silence d'un pouvoir immuable qui se retrouve au - delà, à
l'intérieur et tout autour.»31(*) C'est l'éclosion chez DU BOIS d'un
africanisme sentimental, à la mesure de son désir
d'exilé.
C'est alors que, dix ans plus tard, on assiste à
l'émergence du premier mouvement littéraire nègre qui
prend l'appellation de «new negro» ou «négro
renaissance», que nous présente Jacques CHEVRIER :
«Mouvement à caractère social et littéraire, le
«New Negro» dénonçait la situation de mendiant culturel
du Noir américain, manifestait la prise de conscience de son
identité et traduisait sa volonté de réhabiliter un long
passé déformé par l'idéologie esclavagiste. Plus
qu'une réaction de compensation à l'impossible assimilation, le
«New Negro» fut donc une quête spirituelle destinée
à remettre le Noir américain en possession de sa
personnalité aliénée par la culture
dominante.»32(*)
Telle est l'idéologie prônée par ce mouvement qui
rassemble principalement : LANGSTON Hughes, Claude MAC KAY, COUNTEE
Kullen, STERLING Brown, Jean TOOMER. Ensemble, ils lancent le premier grand cri
nègre qui attirera l'attention du monde entier et dont l'influence telle
une traînée de poudre gagne les Antilles françaises, Cuba,
Haïti, puis la France, creuset de la jeune élite des colonies
africaines.
Ce vent ne laissera guère indifférente
l'élite des colonies françaises qui s'empara du mouvement et
où pour la première fois on évoqua l'idée de
«Négritude». Ce terme jaillit de la «rencontre»
mémorable à LOUIS-LE-GRAND entre DAMAS, CÉSAIRE, et
SENGHOR. La jeune élite aliénée et isolée
commença par proclamer que les valeurs occidentales européennes
devraient être rejetées. La culture africaine, dit-on,
était riche, belle et digne de susciter l'émulation. Plus encore
on affirmait même que le fait d'être Noir était quelque
chose de réellement unique.
Plus qu'une simple apologie du Noir, il s'agit pour les
intellectuels Noirs de relever un malentendu les opposant à
l'Occident : l'Afrique vit. Elle vit au rythme de la beauté, de la
sagesse, de l'endurance, du courage, de la patience, de l'ironie.
Comme pour dire que le beau, le bon, le vertueux ne sont pas
l'apanage du seul homme Blanc ; plus encore ils sont des valeurs
authentiquement nègres. Il s'agit sous la plume des écrivains de
la Négritude d'un véritable changement de plan qui consiste
à substituer l'estime au mépris, car le Nègre reste
fermement convaincu qu'il ne fait pas partie d'une race
inférieure ; à ce titre, il n'est lui-même un
être inférieur. Il revendique lui aussi le droit à
l'existence, un mode d'être qui ne soit plus considéré
comme à l'arrière-plan de l'existence elle-même.
L'Afrique ne veut donc plus de la tutelle de l'Occident ;
elle veut plutôt faire entendre les échos de sa voix, sans laisser
le soin à quelqu'un d'autre de le faire à sa place. Ce qu'elle
veut c'est la reconquête de son identité perdue en prenant en main
son propre destin. CÉSAIRE semble résumer ce désir
avoué de l'Afrique et des Africains: «L'histoire des
Nègres est un drame en trois épisodes. Les Nègres furent
d'abord asservis (des idiots et des brutes, disait-on)... Puis on tourna vers
eux un visage plus indulgent. On s'est dit : ils valent mieux que leur
réputation. Et on a essayé de les former. On les a
assimilés. Ils furent à l'école des maîtres
«de grands enfants», disait-on. Car seul l'enfant est
perpétuellement à l'école des maîtres.
Les jeunes Nègres aujourd'hui ne veulent ni
asservissement ni « assimilation ». Ils veulent
l'émancipation. Des hommes, dira-t-on car seul l'homme marche sans
précepteur sur les grands chemins de la
Pensée.»33(*)
L'heure de l'affirmation de soi, de son identité propre
a ainsi sonné avec le mouvement la Négritude. Il existe
désormais une voix africaine qui ne finisse de retentir. On bat en
brèche la mission civilisatrice de l'Occident vis-à-vis des pays
réputés «sauvages». Avec le mouvement de la
Négritude, le Blanc se voit plus que jamais forcé de penser que
l'être - au - monde du Noir n'est pas un accident ;mais fait partie
de ce vaste
ensemble qu'est le Monde. La Négritude entend biffer à jamais ces
expressions à l'allure péjorative de «barbare»,
«sauvage», «primitif» qu'on attribue à l'Afrique et
à la race noire. Toute chose que Frantz FANON avait déjà
perçue lorsqu'il écrivait ces lignes :
«Ségou, Djenné, villes de plus cent mille habitants...
On parle de docteurs noirs (Docteurs en théologie qui allaient à
la Mecque discuter du CORAN). Tout cela exhumé, étalé
viscères au vent, me permit de retrouver une catégorie historique
valable. Le Blanc s'était trompé, je n'étais pas un
primitif, pas davantage un demi - homme, j'appartenais à une race qui,
il y a de cela deux mille ans, travaillait déjà l'or et
l'argent.»34(*)
Plus l'ombre d'un seul doute : le Noir a été, est, et
restera toujours un homme. Toutes ces clameurs, les panégyriques de la
race noire chantées, la fierté d'être Noir, ne visaient
qu'un seul objectif : exhumer à la face de l'Occident cet autre
nécessaire qu'il a semblé ignorer par mépris et par
fierté. Le Noir aspire désormais à une authentique
reconnaissance ; refusant d'être englouti et dilué dans la
masse des valeurs occidentales. Noble intention!
Mais demandons-nous de savoir si cette entreprise a pu
satisfaire les attentes à la mesure de toutes les espérances. Les
intellectuels Africains en général et le mouvement de la
Négritude en particulier ont-ils pu obtenir de la part du Blanc une
reconnaissance véritable du Noir? Celui-ci a-t-il pu affirmer son
identité propre et la poser à côté du Blanc,
assainissant de ce fait les relations entre les peuples ? La
réponse de Marcien TOWA est sans équivoque : la
Négritude est la servante du colonialisme. Elle a fait plus de mal
à la cause de la libération de l'Afrique. En clair l'affirmation
de la personnalité, de l'identité du Noir aboutit à un
constat d'échec. Ceci, TOWA en est bien conscient. C'est pourquoi, il
passe au crible de la critique la négritude senghorienne. Il
écrit à ce propos : «Mais Senghor qui, par
voie intuitive et empirique, s'est persuadé que la raison faisait partie
du patrimoine héréditaire blanc, et l'émotion de celui du
nègre, tire de cette conviction des conclusions toutes
différentes. Son problème peut se formuler de la façon
suivante : le monde moderne auquel le nègre doit s'adapter pour
survivre, repose sur la technique et la science qui sont le privilège
racial, biologiquement héréditaire du blanc. Mais d'un autre
côté, la constitution biologique du nègre qui fait de lui
un émotif et un mystique, lui interdit de pouvoir jamais rivaliser avec
le blanc sur le terrain de la raison et de la science.»35(*) Et à TOWA de citer
SENGHOR : «Croyez- vous que nous puissions jamais battre les
européens dans la mathématique, les hommes singuliers
exceptés, qui confirmeraient que nous ne sommes pas une race
abstraite?»36(*)
TOWA nous éclaire sur le sens de tels
propos : «Autrement dit, le nègre, tant qu'il demeure
tel, n'a pas de place égale à celle du blanc, dans un monde
fondé sur la raison et la science.»37(*) SENGHOR, comme le constate
TOWA, reconnaît si volontiers l'européanité exclusive de la
raison quand l'émotion et l'instinct sont l'apanage du Nègre.
C'est ce qui amène TOWA à s'interroger sur les desseins
réels de SENGHOR : est-ce de nier ou de servir
l'impérialisme européen?
Pour HOUNTONDJI, il y a assurément une
complicité entre intellectuel Africain et intellectuel Occidental qui
n'a de cesse de reconnaître la valeur de la culture occidentale. Aussi
constate-t-il : «Césaire n'invente donc rien quand il
prétend que la non - technicité des Noirs, loin d'être un
défaut est au contraire une vertu ; qu'elle est l'envers d'une
disponibilité essentielle que l'Europe ignore ; que l'Occident n'a
rien à apprendre aux autres cultures pour ce qui est des qualités
essentielles de l'homme, du sens de la fraternité, de l'ouverture au
monde, de l'enracinement. CESAIRE lui-même le sait d'ailleurs
parfaitement. (...) De la sorte, la démarche nationaliste n'a jamais
consisté dans les colonies à rejeter globalement la culture du
colonisateur ; elle a toujours, en fait, consisté à choisir,
parmi les nombreux courants de cette culture, ceux précisément
qui étaient les plus favorables au Tiers-Monde ; ou plutôt
à retrouver dans un second temps, à partir d'une révolte
spontanée et d'une affirmation de soi d'abord irréfléchie,
ces courants favorables, qui contrastaient violemment avec la pratique
coloniale vécue. Ainsi s'est établie, entre le nationaliste du
Tiers-Monde et l'anthropologue progressiste d'Occident une véritable
complicité.»38(*)
La lutte pour la reconnaissance, pour l'affirmation
l'identité du Noir n'aura en rien contribué à
épurer complètement la mentalité du Noir et à la
débarrasser de toute contagion occidentale. D'une façon ou d'une
autre, le Noir continue d'assimiler la culture occidentale, à des
degrés divers. On pourrait parler d'une revendication vaine et
stérile qui n'aura fonctionné que sur le papier à travers
les écrits des uns et des autres. On pratique à merveille ce
qu'en réalité on donne la triste et morne impression de
combattre.
En réalité, on ne se livre qu'à un
exhibitionnisme creux qui ne consiste qu'à offrir en spectacle les
cultures noires et à les aliéner à l'Occident. Rien de
plus.
Il ne s'est donc agi que d'une piètre exhumation des
valeurs africaines aux yeux de l'Occident. Ce qui est loin d'être une
affirmation de son identité. Situation devant laquelle HOUNTONDJI ne
demeure longtemps insensible car pour lui : «La recherche de
l'originalité est toujours solidaire d'un désir de
paraître. Elle n'a de sens que dans le rapport à l'autre, dont, on
veut à tout prix se distinguer. Rapport ambigu dans la mesure où
on affirme sa différence, mais où, en l'affirmant, on n'a de
cesse que l'autre ne l`ait effectivement reconnue. Cette reconnaissance se
faisant malheureusement attendre, le désir du sujet, pris à son
propre piège, se creuse toujours davantage jusqu'à
s'aliéner complètement dans une attention inquiète aux
moindres gestes de l'autre, aux moindres mouvements de son
regard.»39(*)
L'Africain aspirant à la reconnaissance se trouve finalement pris
dans un piège ; le piège de l'aliénation. En voulant
se particulariser vis-à-vis de l'autre, on finit par s'aliéner
à la façon d'être de l'autre.
Le reproche principal fait aux tenants de la Négritude
est de prôner explicitement la supériorité du Blanc sur le
Noir. HOUNTONDJI lui-même peut-il échapper à un tel
reproche quand il revendique avec fierté sa formation occidentale?
Parlant de ALTHUSSER, il écrit : «Je faisais bon
marché des nuances du maître qui prévenait, (...), que la
philosophie n'avait d'objet comme les sciences mais des enjeux. Pour moi, comme
pour tout disciple pressé,...»40(*) Plus loin, il évoque «les
analyses inspirées par ces `'colères'' diagnostiquées par
mon maître Canguilhem...»41(*) L'allégeance au maître Blanc et sa
célébration à n'en point finir ne sont pas que l'apanage
de SENGHOR. HOUNTONDJI également s'y adonne, quoique de manière
implicite, même s'il se trouve dans un registre autre que le mouvement de
la Négritude.
L'Africain, au travers du mouvement de la Négritude
était plutôt soucieux d'un désir de paraître en lieu
et place d'une action véritable. Continuer à chanter que le Noir
symbolise la beauté, la richesse, c'est en fin de compte renfermer
l'Afrique sur elle-même ; faisant d'elle un bâtiment sans
fenêtre, sans aucune possibilité de communication avec
l'extérieur. Le cri d'alarme des intellectuels Africains ne visait tout
simplement qu'à exalter cette spécificité de l'être
- au - monde du Noir. Le Professeur DIBI Kouadio Augustin le constate
aisément : «En revendiquant une différence
spécifique, le désir secret de l'Afrique était de
retrouver, pour l'affirmer, l'identité libre d'elle-même, de venir
boire à la coupe d'une sorte de virginité où elle croit
lire ce que le destin lui a personnellement confié, et de
présenter, en fierté, à un monde qui lui dénierait
toute valeur, ce qu'elle considère comme sa relation
inaltérée au temps, exclusive de tout partage, tout
entière inexposable et, de cette façon, infiniment
riche!»42(*)
C'est en cela que consiste l'exhibitionnisme ; le
désir d'être et de s'affirmer aux yeux des autres qui pendant
longtemps ne nous ont accordé la moindre valeur. L'Afrique, aux yeux du
monde recherche une différence bien spécifique à
elle ; donnant la preuve qu'elle a une manière d'être qui ne
se confond pas avec celle des autres. C'est pourquoi, tous en coeur, les
intellectuels Africains s'extasient devant la beauté des femmes
africaines, la sexualité exacerbée de l'Homme Noir. Cette
attitude se présente finalement comme un voile posé sur le visage
de l'Afrique qui non seulement ne voit pas les autres mais n'est pas vu en
retour. C'est pourquoi pour le Professeur DIBI Kouadio Augustin,
«l'Afrique échoue à faire reconnaître à
l'Europe sa particularité, parce que celle-ci, visée comme une
chose, substantiellement, comme une détermination immuable qu'aucun
regard venant de l'extérieur ne peut pénétrer, confesse de
cette façon même qu'elle trouve seulement dans l'obscurité
sa fidèle compagne et ne peut rien communiquer.»43(*) Comment en
réalité ce qui est dans l'obscurité et ne peut rien
communiquer peut-il être reconnu par l'Autre? La communication ne
demeure-t-elle pas ce qui, inévitablement, lie le sujet à Autrui?
N'est-ce pas par l'entremise de la communication que les relations personnelles
prennent assise et fondement? En disant «TU», le sujet brise
par-là même les liens de la solitude et entre du coup en relation
avec l'Autre. Il s'ouvre à l'Autre et se fait reconnaître en
même temps par l'Autre. Mais, n'être pas en mesure de communiquer,
c'est rester fermé sur soi, ne donnant aucune possibilité
à l'Autre de nous saisir.
La quête inlassable de l'Africain pour sa
reconnaissance, pour son identité décrit finalement un cercle qui
constitue un retour vers ce qu'on voulait fuir : l'aliénation.
CHAPITRE II
L'ETHNOPHILOSOPHIE
L'Africain, à tout point de vue, échoue à
faire reconnaître sa spécificité, sa
particularité ; en un mot sa manière d'être - au -
monde au Blanc. Tant de cris, tant de hargne, n'auraient pas suffi pour faire
plier l'échine qu'est le Blanc et l'amener à reconnaître
désormais le Noir, non comme le supplément d'âme qu'il lui
faut pour sa propre affirmation, mais comme un être doté d'une
raison semblable à la sienne ou tout au plus un être à part
entière. Les tentatives des intellectuels Noirs en
général, et des Africains en particulier, en vue de la
réhabilitation de l'Homme Noir ont tout simplement été
vouées à l'échec. Dans cette recherche de
l'originalité, de la différence, ils se sont tous laissés
prendre au piège de l'aliénation culturelle. Finalement,
l'existence de l'Africain n'est qu'accident et contingence. Au propre comme au
figuré, le Blanc ne reconnaît pas le Noir.
Mais, fait décisif : en 1946, apparaît sous
la plume d'un missionnaire Belge, le révérend père Placide
TEMPELS (alors missionnaire en Afrique Centrale, dans l'ex-Congo - Belge) un
livre au titre plus qu'audacieux : La philosophie bantoue. Titre
assez révélateur qui laisse pour une fois transparaître
l'idée de l'existence d'une philosophie chez les Noirs d'Afrique en
général et chez les Bantous en particulier. C'est ce qui suscita
l'enthousiasme dont débordèrent dans leur majorité les
intellectuels Européens, défenseurs de la cause Noire, à
l'image de SARTRE, mais aussi les intellectuels Africains, soucieux de
réhabiliter à n'importe quel prix la culture africaine. Ce livre,
dans leur entendement apparaissait comme un sérieux revers
infligé aux ardents défenseurs du logocentrisme de la
pensée occidentale à l'image de Bertrand RUSSELL pour
qui, «la philosophie et la science, telles que nous les
connaissons maintenant, sont des inventions grecques. L'essor de la
civilisation grecque, qui produisit cette éruption d'activité
intellectuelle, est l'un des événements les plus spectaculaires
de l'histoire. Rien de pareil ne s'est jamais accompli avant ni depuis. Dans le
court espace de deux siècles, les grecs déversèrent un
flot étonnant de chefs-d'oeuvre, qui se sont imposés comme les
modèles généraux que la civilisation devait
suivre.»44(*)
En réaction à de telles conceptions, on
applaudit le livre de TEMPELS dans le cercle des Africains car il constitue en
soi un sérieux obstacle à l'avancée de l'apartheid
intellectuel et philosophique prôné par l'Occident. C'est pourquoi
à la suite de TEMPELS, un autre missionnaire, en l'occurrence le
Rwandais Alexis KAGAMÉ, Africain celui-ci, met à la disposition
du public, La philosophie bantu - rwandaise de l'être. C'est dire
que TEMPELS a tracé la voie qu'il convenait de suivre. Sous sa plume, il
brisait à jamais les barrières idéologiques et
intellectuelles, présentant désormais l'Homme Noir comme l'autre
du blanc. La raison en est que les Africains, défenseurs de la cause
africaine trouvent là l'occasion tant rêvée pour
accéder au statut d'humains en dépit des contestations de la part
d'une certaine élite d'Européens qui continuent de penser qu'ils
sont détenteurs du monopole de la raison. Quoiqu'il en soit, se dessine
déjà un schéma nouveau dont la finalité
réside dans l'humanisation de l'Homme Noir à travers le jeu de la
reconnaissance de l'homme par l'homme. Voilà pour une large part ce qui
retient le plus l'attention des Africains à travers le livre de
TEMPELS ; car c'est ce qui d'ailleurs paraît être les
motivations réelles du révérend père.
Parlant justement de ces motivations-là, HOUNTONDJI
écrit : «À première vue, elles
paraissaient généreuses, puisqu'il s'agissait pour le
missionnaire belge de redresser une certaine image du Noir répandue par
LÉVY-BRUHL et son école, de montrer que la WELTANSCHAUUNG des
Africains ne se réduit pas à cette fameuse «mentalité
primitive» insensible à la contradiction, indifférente aux
règles logiques élémentaires, imperméable aux
leçons de l'expérience, etc., mais qu'elle repose plutôt
sur un système raisonné de l'univers, qui, pour être
différent du système occidental, n'en mérite pas moins, le
nom de «philosophie». À première vue, donc, il
s'agissait pour TEMPELS de réhabiliter l'homme noir et sa culture,
par-delà le mépris dont ils avaient l'un et l'autre
été jusque-là victimes.»45(*)
De l'extérieur, TEMPELS semble être animé
d'assez nobles intentions. Lesquelles intentions ne sont point indissociables
d'avec le vent de l'heure :d'une part l'aspiration des peuples Noirs
à une authentique reconnaissance au lendemain de la seconde guerre
mondiale et d'autre part la fascination que l'existentialisme de SARTRE exerce
sur le milieu des intellectuels et des philosophes. Car, selon
l'existentialisme sartrien l'homme n'a pas d'essence, par conséquent,
son existence précède cette essence. Comme suite logique d'une
telle conception de l'homme c'est la négation totale de toute
définition hâtive et anticipée du Blanc ou du Noir. Ceci
pour dire que l'histoire constitue le seul cadre où se déroulent
toutes les existences concrètes. Existences dont la philosophie doit
s'occuper afin de dégager le sens. L'existentialisme de SARTRE
débouche inévitablement sur une philosophie de la liberté
et se pose par là-même comme un humanisme. C'est au nom de cet
humanisme que SARTRE, préfaçant Situations 3
présente sous le titre `'Orphée noir'' les normes d'une action
possible contre la domination et l'idéologie coloniales et affirme le
droit pour les Africains à un nouveau style de pensée, de parole
et de vie. Rien donc n'empêche le livre de TEMPELS de susciter un
réel engouement car l'idéologie qu'il semble défendre se
trouve en parfaite adéquation avec le vent nouveau qui souffle sur les
rapports Blanc-Noir. Non seulement, le moment était propice à une
reconnaissance de l'Autre, l'Africain par excellence, mais à
l'énonciation d'une philosophie africaine dont TEMPELS se chargera d'en
être l'illustre précurseur.
Mais, à y voir de près, nous constatons sans
l'ombre d'aucun doute que les motivations de TEMPELS sont d'un autre ordre. Son
souci en écrivant La philosophie bantoue est d'un genre
particulier. Qu'il nous suffise de lire ces lignes pour nous en
convaincre : «Une meilleure compréhension de la
pensée bantoue est tout aussi indispensable pour tous ceux qui sont
appelés à vivre parmi les indigènes. Ceci concerne donc
tous les coloniaux, mais plus particulièrement ceux qui sont
appelés à diriger et à juger les Noirs, tous ceux qui sont
attentifs à une évolution favorable du droit clanique, bref, tous
ceux qui veulent civiliser, éduquer, élever les bantous. Mais, si
cela concerne tous les coloniaux de bonne volonté, cela s'adresse tout
particulièrement aux missionnaires.»46(*) Flagrante et étrange
contradiction! En même temps que TEMPELS pense affirmer l'existence d'une
philosophie chez les Bantous, il continue de parler de civilisation,
d'éducation. C'est comme si en dépit de ce qu'il écrivait,
TEMPELS continue de maintenir le trop grand écart entre l'Homme Noir et
l'Homme Blanc.
Le Noir, c'est celui qu'on doit encore éduquer,
élever, civiliser. Le Blanc, c'est toujours celui qui éduque,
élève, civilise. C'est pourquoi il doit connaître et
comprendre le domaine de la pensée noire afin de donner plus
d'efficacité à son action. HOUNTONDJI tire à ce sujet
cette conclusion qui laisse transparaître les motivations réelles
du Père Franciscain : « (...) Le Noir continue
de ce fait, d'être tout le contraire d'un interlocuteur : il est ce
dont on parle, un visage sans voix qu'on tente de déchiffrer entre soi,
objet à définir et non sujet d'un discours
possible.»47(*)
C'est à croire qu'au-delà de tout l'enthousiasme
suscité, l'oeuvre de TEMPELS pèche, de par son contenu. Si du
point de vue de la forme, La philosophie bantoue réhabilite d'une
façon ou d'une autre le Noir en affirmant l'existence d'une philosophie
africaine ; alors que la philosophie jusqu'ici passait pour être
l'apanage du seul Homme Blanc, plus encore elle ne fait que le maintenir dans
des positions des moins enviables. En effet, TEMPELS par une
interprétation des coutumes, des traditions, des proverbes et des
institutions, bref, de la culture bantoue n'a fait que construire une vision du
monde commune à tous les Bantous et à laquelle il donne le
nom «philosophie.» Ainsi le Bantou devient philosophe
malgré lui et sans le savoir. Séduits par l'aspect formel de
l'oeuvre de TEMPELS, sans aucun égard pour le fond ; les auteurs
Africains voient en TEMPELS un modèle. C'est pourquoi ils soutiennent
l'idée d'une philosophie collective et immuable à laquelle
adhèrent plus ou moins consciemment tous les Africains. En clair, ni
TEMPELS, ni ses prédécesseurs Africains ne font de la philosophie
véritable. Ils font plutôt de l'ethnophilosophie. Il s'agit pour
eux d'exhumer une philosophie cachée, qu'on ignore ; philosophie
à laquelle les Africains manifestent collectivement, et d'une
manière inconsciente leur adhésion. Pour les auteurs Africains,
à la suite de TEMPELS, il s'agit de mettre à jour cette
``philosophie'' collective, sous-jacente aux traditions et comportements des
Africains, comme l'attestent ces propos de HOUNTONDJI : «La
philosophie africaine n'a été jusqu'ici, pour l'essentiel, qu'une
ethnophilosophie : recherche imaginaire d'une philosophie collective,
immuable, commune à tous les Africains, quoique sous une forme
inconsciente.»48(*)
Voilà, pour l'essentiel, ce qui se passe pour
être de la véritable philosophie africaine mais qui, en
réalité, n'en est pas une.
Au-delà de cet aperçu du fonctionnement global
de la «philosophie africaine» qui n'est que de l'ethnophilosophie et
qui, tant du côté des intellectuels Africains qu'Européens
recueille une adhésion totale, nous sommes tentés de nous
interroger sur les fondements réels de cette tendance de la philosophie
africaine. En clair, pourquoi l'ethnophilosophie? Pourquoi les Africains et les
Européens, tous en choeur, postulent-ils ce consensus théorique
entre les membres de chaque collectivité africaine?
Ces interrogations en appellent une autre : qu'est-ce que
l'ethnophilosophie? Laissons à HOUNTONDJI le soin de nous
éclairer : «Soucieux de dissiper les équivoques et
de distinguer, pour des raisons de clarté, des termes habituellement
confondus, je proposai d'écrire « philosophie »,
entre guillemets, pour désigner la vision du monde collective,
philosophie tout court, sans guillemets, pour désigner la discipline et
ethnophilosophie pour désigner cette forme de philosophie(cette branche
de la discipline) qui s'affaire à reconstituer une
«philosophie»(une vision du monde).»49(*)
Après cet éclairage, et avant d'en arriver aux
motivations profondes de l'ethnophilosophie, il est bon de souligner que les
émules de TEMPELS se rencontrent aussi bien du côté des
intellectuels Européens que du côté des Africains. Mais au
risque de baigner dans le vague et dans la confusion, HOUNTONDJI estime que
l'ethnophilosophie post-tempelsienne a ses tenants aussi bien du
côté des religieux comme TEMPELS lui-même que des
laïcs. Ces deux groupes (religieux et laïcs) représentent les
deux tendances principales de l'ethnophilosophie après TEMPELS. Ainsi,
retrouve-t- on du côté des religieux suivant
l'énumération de HOUNTONDJI l'abbé rwandais Alexis
KAGAMÉ ; Monseigneur MAKARAKIZA du Burundi, le prêtre
Sud-Africain MABONA, le père Malgache RAHAJARIZAFY, le pasteur Jean
CALVIN BAHOKEN du Cameroun, le pasteur Kenyan JOHN MBITI, ... Cette liste, qui
est loin d'être exhaustive nous situe largement sur la nature et
l'identité des auteurs précités ; tous des hommes
d'Église. À l'origine des entreprises ethnophilosophiques de ces
auteurs, se retrouve aux dires de HOUNTONDJI, leur préoccupation
essentielle qui est de «trouver une base psychologique et culturelle
pour enraciner le message chrétien dans l'esprit de l'Africain sans
trahir ni l'un ni l'autre. Préoccupation en un sens, éminemment
légitime. La conséquence, toutefois, est que ces auteurs sont
obligés de concevoir la philosophie sur le modèle de la religion,
comme un système de croyances permanentes, stable, réfractaire
à toute évolution, toujours identique à lui-même,
imperméable au temps et à l'histoire.»50(*) Ces hommes sont soucieux
d'élever le sentiment religieux chez l'Africain, au travers de leurs
écrits qu'ils qualifient justement de philosophiques. Aveuglés
par cet objectif-là, ils vont jusqu'à commettre une erreur
d'ordre méthodologique, à savoir la réduction et la
conception de la philosophie sur le modèle de la religion. De même
que la religion demeure un système de croyances clos et immuable, auquel
tout le monde adhère, de même la philosophie à leurs yeux
ne saurait évoluer autrement. Tout comme la religion, la philosophie
doit pouvoir concilier tous les esprits. Elle n'est point la philosophie d'un
sujet pris isolément, mais se doit de demeurer une philosophie
collective ; également un système de croyances propres
à tous les Africains. Tout évolue comme si l'Africain qui oserait
penser en marge du groupe passerait pour un hérétique. Il est
donc question de postuler à tout prix ce consensus théorique
entre tous les Africains, en matière de philosophie ; ce qui du
coup amènerait à penser que leurs vues philosophiques ne
diffèrent guère de l'idée même de Dieu et de la
religion. sIl faut partir d'un préalable : tous les Africains
pensent de la même façon. Les conceptions philosophiques sont
partout les mêmes. Du coup, on tue dans l'oeuf l'éclosion de la
véritable philosophie africaine.
Le groupe des laïcs s'est bâti autour des noms
comme Léopold Sédar SENGHOR ;le Nigérian
ADESANYA ;le Ghanéen Wiliam ABRAHAM ;également
Kwamé N'KRUMAH, le Sénégalais Allasane N'DAW, le
Camerounais Basile -Juléat FOUDA,... Les ambitions de ces
auteurs-là s'inscrivent dans une visée purement revendicative,
ainsi que la quête d'une identité que le colonisateur s'est
évertué à nier des décennies durant, comme le
proclame HOUNTONDJI : «Les intellectuels africains voulaient,
à n'importe quel prix, se réhabiliter à leurs propres yeux
et aux yeux de l'Europe. Ils étaient prêts, pour y parvenir,
à faire feu de tout bois et n'ont été que trop heureux de
découvrir, à travers la fameuse `'philosophie bantoue'' de
TEMPELS, un type d'argumentation pouvant fonctionner ; en dépit de
ses équivoques ou plutôt grâce à elles, comme un
moyen parmi tant d'autres d'assurer cette réhabilitation. Ainsi
s'explique la reprise en choeur, sur les tons et les nuances divers, de
l'argumentation tempelsienne par un nombre sans cesse croissant d'auteurs
africains,...»51(*)
L'ethnophilosophie est ainsi perçue comme la seule
issue en vue d'assurer valablement sa reconnaissance aux yeux de l'Europe. Le
mythe de l'unanimité primitive, permanente et inaltérable
participe de cette quête de l'identité, d'où une fois de
plus le sens de ces propos de HOUNTONDJI : «Dans cette
recherche, nous retrouvons la même préoccupation que celle qui
anime le mouvement de la négritude : la quête
passionnée d'une identité niée par le colonisateur, mais
avec cette idée sous-jacente que l'un des éléments de
l'identité culturelle est précisément la
«philosophie», l'idée que toute culture repose sur un substrat
métaphysique particulier, permanent,
inaltérable.»52(*)
Cette «quête passionnée d'une
identité niée par le colonisateur» réconcilie de ce
fait mouvement de la négritude et ethnophilosophie. D'un
côté comme de l'autre, on a à coeur de prouver son
humanité et son mode d'être - au - monde à l'Europe.
Marcien TOWA ne dira pas autre chose lorsqu'il déclare :
«L'ethno - philosophie, disions-nous est un aspect (tardif) du
mouvement de la négritude. Notre opinion est qu'elle doit être
dépassée tout comme le mouvement qui la porte. L'ethnophilosophie
s'inscrit avec la négritude, dans une perspective revendicative :
«la revendication d'une dignité anthropologique propre»,
(...).Il s'agit de déterrer une philosophie africaine propre, pour la
brandir devant les négateurs de notre « dignité
anthropologique » comme un irrécusable certificat
d'humanité.»53(*)
Si l'ethnophilosophie se révèle comme une des
composantes de la Négritude, il est clair que le message qu'elle
véhicule est en priorité destinée aux Occidentaux et non
aux Africains. Pour HOUNTONDJI : «À mes yeux, ce
n'était pas un hasard si La philosophie bantoue avait
été écrite par un Européen et destinée, de
l'aveu même de l'auteur, à un public européen :
l'ouvrage n'avait son sens, en effet, qu'à l'intérieur d'un
débat interne à l'Occident, où le missionnaire belge, en
désaccord avec la thèse du prélogisme, a cru devoir
opposer à un certain discours ethnologique un autre type de discours.
J'observais, du même coup, qu'en reprenant à leur compte cette
préoccupation, les intellectuels africains, à leur tour,
prenaient position dans un débat européen auquel leurs peuples
n'avaient aucune part, et développaient forcément un discours
extraverti.»54(*)
La destination du discours ethnophilosophique écarte
de ce fait l'Afrique et les Africains dont on parle. Il s'agit ici de se faire
«le porte - parole de l'Afrique globale devant l'Europe globale, au
rendez - vous imaginaire du `'donner et du recevoir.»»55(*)
De ce qui précède, nous sommes en droit
d'affirmer que pour les hommes d'Eglise, l'ethnophilosophie apparaît
comme «une étape vers la conversion du païen, un moyen de
reconnaître ses convictions les plus profondes pour mieux les
transformer»56(*), d'où un moyen d'enracinement du message
chrétien. Pour les laïcs au contraire, elle s'inscrit dans une
visée revendicative. Chez les uns comme chez les autres, il s'agit de
postuler l'existence d'une philosophie inconsciente, collective, et même
spontanée à laquelle adhèrent tous les Africains, disons
les Noirs.
Mais au fait, que reproche-t-on au juste à
l'ethnophilosophie? Qu'y a - t - il de mal à postuler l'existence d'une
pensée collective en Afrique ?
Une compréhension du fonctionnement global de la
philosophie, sa nature propre, ses variations, ses enjeux permettront
assurément de répondre à ces interrogations. Rappelons
à ce sujet que la philosophie ne se déploie comme discipline
théorique et ne se maintient réellement qu'à travers des
noms, des hommes, tous différents les uns des autres. Ainsi toute
philosophie se déploie par l'initiative d'un sujet, toujours
différent d'autrui et par conséquent de la foule. De même,
il n'y a de philosophie qu'à travers une conceptualité un peu
spéciale, c'est -à -dire une terminologie, un vocabulaire et tout
un appareillage conceptuel légués par la tradition philosophique
et qu'aucun sujet ne peut absolument pas contourner. Or, en postulant
l'existence d'une philosophie collective, immuable, à laquelle
adhèrent plus ou moins consciemment les Africains, par delà les
temps et les générations, on fait de l'Africain, philosophe sans
le savoir, ignorant du coup les règles qui régissent le
fonctionnement de la philosophie, d'autant plus qu'il intègre un
système de pensées pré- établies.
À ce rythme - là, nulle possibilité n'est
offerte à l'Africain de bâtir une pensée propre et
singulière. C'est dire que l'ethnophilosophie s'oppose à
l'éclosion de la philosophie africaine. Toute analyse faite, il
apparaît clairement que cette prétendue vision collective qu'on
entend exhumer et à laquelle on donne le nom de «philosophie»
n'est que le reflet des pensées des tenants d'une telle idée.
C'est ce que note d'ailleurs HOUNTONDJI: «Ce qu'on présentait
comme une « philosophie bantoue » n'était donc pas
vraiment la philosophie des Bantu, mais de Tempels et n'engageait que la
responsabilité du missionnaire belge, devenu occasionnellement analyste
des us et coutumes bantu.»57(*)
Conçue comme instance de promotion de la pensée
africaine, l'ethnophilosophie finit par s'opposer à l'émergence
de cette pensée-là. La philosophie en Afrique, prise au
piège de l'ethnophilosophie, est incapable d'éclore et d'entamer
une avancée significative. On fait comprendre à l'Africain qu'il
y a un déjà-là, un système de pensées
immuables auquel il se doit d'adhérer. HOUNTONDJI en fait l'amer
constat : «C'est ainsi que notre littérature philosophique
ne cesse de s'enliser, depuis bientôt trente ans dans les sentiers
bourbeux d'une ethnophilosophie douteuse, d'une discipline hybride,
idéologique, sans aucun statut assignable dans l'univers de la
théorie. Ce faisant, nos auteurs ont cru, de bonne foi faire oeuvre
originale, alors qu'en réalité ils ne faisaient que suivre une
voie toute tracée par l'ethnocentrisme occidental. Car l'Europe n'a
jamais attendu de nous autre chose, sur le plan culturel, que de lui offrir nos
civilisations en spectacle et de nous aliéner dans un dialogue fictif
avec elle, par-dessus les épaules de nos peuples.»58(*)
Instance de négation de la philosophie africaine,
l'ethnophilosophie se révèle également comme le lieu d'un
consensus doublement posé. On peut évoquer dans un premier temps
le consensus entre l'intellectuel Africain et l'ethnocentriste Occidental. Les
considérations ethnophilosophiques du premier contribuent à
rassurer le second quant à l'idée de l'existence d'une seule
culture ; en l'occurrence la culture occidentale. Prise dans le sens de la
philosophie, cette idée permet de comprendre que les
développements de la philosophie en Afrique la confinent dans une
position des moins enviables d'autant plus que l'Européen est convaincu
que la philosophie dont il est question en Afrique n'a rien à avoir avec
celle à laquelle il se trouve habitué et qu'il n'a de cesse de
pratiquer. La culture africaine reste de ce fait à un stade
rudimentaire, réfractaire à toute évolution, incapable de
discuter d'égale à égale avec la culture occidentale. Le
second niveau du consensus évoqué plus haut est nettement
perceptible à travers ces mots de HOUNTONDJI qui, parlant du discours
ethnophilosophique, déclare : «Hier, langage des
opprimés, il est désormais discours du pouvoir. Naguère
contestation romantique de l'orgueil européen, il est maintenant un
baume idéologique. L'ethnophilosophie a changé de fonction :
elle n'est plus un moyen possible de démystification, mais un puissant
moyen de mystification aux mains de ceux qui ont intérêt à
décourager l'audace intellectuelle, en cultivant au sein de nos peuples
aux lieu et place d'une pensée vivante, la pieuse rumination du
passé.»59(*) À tout jamais, le pouvoir Africain tient
à exhiber le discours ethnophilosophique comme preuve de
l'unanimité primitive entre tous les membres de chaque communauté
africaine. L'interprétation politique d'une telle unanimité
permet aux dirigeants Africains de réprimer au mieux toute prise de
position contraire aux vues qui prédominent au sommet de l'État,
satisfaisant à peu de frais leur voeu d'une Afrique une et indivisible
où tout le monde semble d'accord avec tout le monde. Le discours
ethnophilosophique apparaît dès lors comme une arme
idéologique servant à consolider le pouvoir en Afrique.
À qui veut lui rappeler la
nécessité d'une pluralité d'opinions pour un
développement durable en Afrique, l'homme du pouvoir Africain brandit le
discours ethnophilosophique comme preuve d'une parfaite communauté de
vues entre tous les Africains sur n'importe quel sujet. La conséquence
logique d'une telle situation, c'est le refus catégorique du droit
à la différence de l'Africain. L'Africain, malgré lui, est
tenu de s'aligner derrière l'idéologie officielle au risque de
faire les frais de l'absolutisme du pouvoir.
La position de HOUNTONDJI face à l'ethnophilosophie
n'est pas du goût de certains intellectuels Africains à l'image du
professeur NIAMKEY Koffi pour qui, dans l'Afrique
précoloniale, «les pensées, mêmes
officielles, sont marquées du sceau de l'anonymat.»60(*) Par ailleurs, poursuit-il, on
a ici affaire à «un mode de production plutôt
collégial [où] le savoir ou la pensée officielle sont le
fait d'un collège de maîtres.»61(*) NIAMKEY Koffi s'insurge
contre la position de HOUNTONDJI s'opposant à l'énonciation d'une
pensée collective en Afrique. Une telle opposition traduit à y
voir de près une méconnaissance, sinon une négation de la
pensée de l'Afrique traditionnelle. Ensemble avec Abdou TOURÉ,
ils estiment qu'il faut en finir avec cette «position d'intellectuels
méprisant les productions intellectuelles des non
-intellectuels.»62(*) Ils entendent à leur manière,
combattre cette attitude peu cavalière qui consiste à
discréditer la pensée africaine précoloniale et à
la ranger dans la catégorie du mythe, estimant surtout qu'elle est
à la fois inconsciente, collective et spontanée. Comme pour dire
que les productions intellectuelles de l'Afrique précoloniale ne
méritent pas moins d'être de la philosophie et ne sauraient en
aucun cas être dépréciées ou
dévalorisées.
HOUNTONDJI se défend contre de telles accusations. Il
s'explique en ces termes : «On essaie de me faire nier
l'existence d'une pensée africaine traditionnelle. Contre une
interprétation aussi absurde, il fallait d'abord rappeler que toute
pensée n'est pas forcément philosophique et que je n'avais mis en
cause ni la pensée religieuse, ni la pensée morale, ni la
pensée sociale et politique, ni la pensée mythique, de l'Afrique
précoloniale. Je montrais au passage les équivoques
attachées à l'adjectif «traditionnel» qui,
employé pratiquement comme synonyme de
« précolonial », pouvait, par une sorte d'illusions
rétrospectives, vider de toute tension, de toute contradiction interne,
l'objet auquel il se rapporte (en l'occurrence, la pensée africaine). Je
disais ma préférence pour un retour au substantif
«tradition», pris dans son sens originellement actif : au sens
d'un mouvement de transmission, et non au sens passif et dérivé
des résultats de cette transmission. Mieux valait, de ce point de vue,
parler des traditions de pensée, ou à la rigueur, de la tradition
de pensée africaine(s), au sens d'un singulier collectif
désignant un héritage complexe et contradictoire. Enfin, contre
l'attitude apologétique de l'ethnophilosophe, prompt à justifier
n'importe quelle coutume et n'importe quelle pratique sociale au nom de sa
signification métaphysique supposée, il fallait rappeler la
nécessité pour l'Africain d'aujourd'hui d'entretenir avec son
héritage culturel un rapport critique et libre.»63(*) Précision de taille
qui permet à HOUNTONDJI de rappeler les raisons de son rejet de
l'ethnophilosophie qui, ne saurait en aucun cas se faire passer pour de la
véritable philosophie africaine. D'ailleurs comment peut-on valablement
parler de philosophie là où la liberté d'expression
continue d'être un problème et une préoccupation
majeurs?
CHAPITRE III
AUTORITARISME ET REFUS DE LA
DIFFÉRENCE :
LE PROBLÈME DE LA LIBERTÉ
D'EXPRESSION
La philosophie africaine, ou du moins ce que l'on
désigne sous ce nom, n'a été pour l'essentiel que de
l'ethnophilosophie. Celle-ci reste solidairement liée à la
sauvegarde de la thèse unanimiste qui constitue finalement le point de
liaison entre l'ethnophilosophie, l'intellectuel Africain, l'ethnocentriste
Occidental, et le politique Africain. En effet, la thèse unanimiste a
prévalu tout au long de la période coloniale, car on estimait que
c'est à ce prix qu'on pouvait vaincre le colonisateur et se sentir enfin
chez soi. Il était donc plus que nécessaire dans tous les
territoires d'Afrique de faire bloc autour d'idées communes, condition
d'une rigoureuse opposition au colonisateur.
Épris de liberté et d'indépendance, les
Africains dans leur grande majorité se sont montrés partisans
d'une telle thèse. Dès lors, le colonisateur n'avait plus d'autre
issue que de plier bagage, abandonnant ainsi les Africains à
eux-mêmes et leur laissant le soin de diriger leurs destinées. La
quête de l'indépendance imposait à ce titre l'unité
des peuples. C'est un tel message que Cheikh Hamidou KANE laisse le soin
à l'un de ses personnages de délivrer : «Je
crois pour ma part que les jours de la colonisation sont comptés.
Référendum ou pas, on peut déjà entendre sonner
l'heure de l'indépendance de l'Afrique. L'important n'est pas de dire
oui ou non, mais de dire oui ou non d'une seule et même voix dans
l'unité. Nous ne devons pas nous laisser défier, j'en conviens,
mais ne nous laissons pas duper non plus. La priorité de notre
révolution nationale n'est rien d'autre que le maintien, la restauration
ou l'instauration de l'unité du monde noir
d'Afrique.»64(*)
S'il est donc admis que dans sa nature propre, l'Afrique est
une et indivisible, on comprend sans peine l'effort de tous les leaders
Africains en vue de la restauration de cette unité-là. C'est
à cette tâche de construction ou même de restauration de
l'unité nationale que vont s'atteler les leaders Africains au lendemain
des indépendances. En effet, prédomine chez eux l'idée
d'une Afrique traditionnelle homogène, une et indivisible. Position que
réaffirme Christian P. POTHOLM : «Dans le contexte de
l'Afrique indépendante, nombreux sont les leaders politiques qui
entendent donner de la société Africaine traditionnelle l'image
d'une société homogène .On a fréquemment
prétendu que ses sociétés partageaient des conceptions
identiques quant à la nature des collectivités humaines, ce
principe s'appliquant évidemment aux nouvelles
nations.»65(*)
Chercher à rendre hétérogène
l'homogène, tenter de diviser les fils de la chère Afrique serait
non seulement trahison mais sacrilège. Chacun veut rester fidèle
à l'image de l'Afrique traditionnelle, cette Afrique des origines
où la vie se vivait comme totalité. La fidélité au
passé est plus q'une urgence d'autant plus que selon le professeur DIBI
Kouadio : «Dans la vie d'une communauté, un peuple qui
renie ses attaches au passé, la mémoire de lui-même, est en
proie à tous les vents, et ne peut rien envisager puisque son existence,
en l'absence de tout centre ne connaîtra d'autres réalités
que l'éparpillement (...). La conscience du passé est d'une
grande importance pour un peuple, afin de situer et de forger une âme qui
le nourrisse et l'accompagne dans chacune de ses
initiatives.»66(*) Il y a une nécessité à
maintenir la relation de chaque peuple au passé, car ce passé
constitue pour lui son point de départ, sa référence. Mais
ce qu'on constate ici, c'est que ce passé prend finalement la forme d'un
«roc solide et fixe vers lequel les hommes s'empressent de tourner le
regard dans les situations difficiles.»67(*) Le passé constitue pour
les leaders Africains de l'ère des indépendances un point de
départ, mieux une référence. C'est en somme un monde
idéalisé sous le couvert de la construction de l'unité
nationale.
Mais on finit par assister à un divorce entre la
néo-bourgeoisie et les masses populaires. L'un des indices les plus
sérieux de ce divorce reste assurément le langage. Le langage,
instrument de manipulation du peuple, mais aussi et surtout
révélateur de la trahison et de l'hypocrisie dont fait preuve
l'homme politique vis-à-vis du peuple. C'est ce qui ressort de ces
propos du docteur Samba DIAKITÉ : «En politique comme
partout ailleurs, la prise de la parole est le commencement de la rupture.
(...) Dès lors, tout discours est une exclusion dans la mesure où
l'accès à la parole implique la déconstruction du dire et
du vouloir- dire de l'autre, cet autre du dire qui va sans dire ce qu'on ne
saurait dire. La parole est trahison, trahison parce que l'homme politique est
hypocrite.
La trahison et l'hypocrisie du penser politique avec ses
procédés falsificateurs, sont d'autant plus courants en Afrique
que chaque homme politique se considère comme un renard tandis que le
peuple, ce prétendu «phénix des hôtes» de
l'État, ce «corbeau» des fables de la fontaine,
s'entredéchire pour un pseudo - fromage qu'il ne mangera pas,
probablement qu'il ne verra jamais.
Le mensonge politique s'exacerbe lors des joutes
électorales, le moment bien choisi pour promettre à une
population majoritairement misérable, affamée et
analphabète, toutes sortes de possibilités. Mais le candidat, une
fois élu, la promesse devient précaire ; la parole n'est
plus respectée et l'engagement devient un encagement. Pourtant, la
sagesse africaine, dans son fond éthique admet que la promesse n'a de
sens que si elle est tenue, qu'une parole n'a de valeurs que si elle est
respectée et par conséquent, un homme n'a de dignité que
s'il respecte sa parole «donnée».»68(*) Ne pas respecter ses
engagements, en faisant fi de la parole donnée, c'est en quelque sorte
instaurer une rupture avec l'Autre. Cette rupture remet du coup en cause
l'unité même des peuples d'Afrique. Ainsi, «les
antagonismes, au lieu de s'affaiblir ne font que s'accentuer. L'unité se
trouve brisée et il n'y a plus de soupape, de légitimité
et de sûreté.»69(*)
Dire, communiquer, c'est convoquer un monde à
l'existence ; c'est créer un univers entre l'individu et ses
semblables. Mais, du moment où le dialogue est rompu, il n'y a plus de
coexistence possible. L'unité chère à l'Afrique et aux
Africains vole de ce fait en éclats, justement parce que la masse est
réduite au rang de `'choses'' qu'on manipule à sa guise. Tout
évolue désormais comme si le politicien et l'homme de la masse
provenaient de deux mondes isolés l'un de l'autre, d'où ces
écrits de Cheikh Hamidou KANE : «Il y a un fusil entre nos
frères de lait et nous, nos frères de honte et nous. Des
Nègres pointent un fusil sur des Nègres. Des Africains mangent la
porte close, le loquet mis, les chiens lâchés dans le jardin, les
sergents de ville circulant dans les rues pour maintenir de l'autre
côté des Africains. Il y avait si longtemps pourtant que nous
partagions avec eux tout : notre misère, notre honte, notre immense
espoir, notre fierté, notre cerveau, notre coeur, notre estomac de
nègre.»70(*)
Ce tableau est caractéristique de tous les pouvoirs en
place au lendemain des indépendances. Ceux-ci se caractérisent
par leur toute-puissance, c'est-à-dire un pouvoir sans partage qui
proscrit la liberté sous toutes ses formes.Seul un groupe d'hommes
réunis au sein de l'appareil dirigeant est réellement libre.
À côté, c'est une masse opprimée, dominée de
part en part, à qui on refuse tout exercice de liberté. C'est
dire que le soleil des indépendances qui s'est levé sur l'Afrique
n'a en réalité, contribué qu'à un renforcement du
pouvoir au sein de l'État au détriment de la liberté de
l'Africain lui-même. Celui-ci apparaît comme un étranger
dans sa propre patrie. Tout évolue comme si en Afrique, l'homme ne
s'était pas encore ouvert au royaume de la liberté. La loi
elle-même n'est rien d'autre que l'expression des désirs et des
états d'âme des gouvernants, au détriment des
gouvernés.
Les partis uniques d'alors, sous le fallacieux prétexte
de bâtir l'unité nationale, apparaissent comme le symbole
même de la privation de la liberté. Dans un tel contexte, la seule
voie de salut qui s'offre à l'Africain demeure sans aucun doute
l'adhésion ferme aux idéaux du parti. Ambroise KOM ne dit pas
autre chose : «La pièce maîtresse de la
mobilité sociale n'était plus l'instruction et le diplôme,
mais la carte du parti.»71(*) La carte du parti symbolise non seulement
l'adhésion au parti au pouvoir, mais par la même occasion signifie
qu'on fait le serment solennel de ne jamais penser ou d'émettre des
opinions autres que celles s'inscrivant dans la droite ligne de
l'idéologie du parti. Pour l'intellectuel Africain, il s'agit, soit
d'abandonner ses convictions personnelles en s'alignant derrière le
parti, soit de contribuer à soutenir ces convictions-là, au prix
de sa liberté, voire de sa vie même. Ambroise KOM décrit
cette situation : «On connaît l'effort que
déploient constamment les grands réseaux médiatiques du
Nord pour faire fortune.
En Afrique, en revanche, les pouvoirs, faute
d'imagination, préfèrent censurer, affamer et au besoin, abattre
physiquement quiconque ne s'aligne pas derrière eux.»72(*) On contraint à ce
titre l'intellectuel Africain à se déguiser en intellectuel
`'alimentaire'' en vertu de la maffieuse loi de «la bouche qui mange
ne parle pas» ; ou dans le cas contraire à prendre la route de
l'exil s'il n'est pas torturé dans les geôles. C'est ce qui
déclencha à une certaine époque de l'histoire de l'Afrique
le fameux `'brain drain'' c'est-à-dire la fuite des cerveaux ;
dépeuplant de ce fait l'Afrique de ses têtes pensantes au profit
de ces universités et autres structures d'enseignement occidentales.
D'un côté, nous avons les régimes
totalitaires, des partis uniques tout puissants, déguisés en
parti États et de l'autre, ces hommes et ces femmes constituant la
grande masse des opprimés, c'est-à-dire des êtres qui ne
disposent nullement d'eux-mêmes, privés de toute forme de
liberté.
Même l'ouverture de l'Afrique au multipartisme
dès les années 1990 n'aura pas apporté de sérieux
changements. Tout au plus, le multipartisme aura contribué à
mettre en crise le monopole de la scène politique détenue par les
partis uniques d'alors ; contraints désormais d'avoir en face d'eux
les partis d'opposition, sortis de la clandestinité ou composés
des déçus de ces partis uniques, qui ont eu le courage de
s'affirmer à la face de leur peuple et du monde entier.
Mais le changement s'arrête là, car les pratiques
de trente années d'indépendance n'ont pas disparu. Juste une
nouvelle configuration de la scène politique ; sinon que les hommes
et les structures d'antan demeurent (toujours). L'oppression et la
répression sont toujours au rendez-vous, le vent de la liberté et
de la démocratie tarde à souffler. N'est-ce pas là le sens
de l'analyse de Christian CASTÉRAN : «En face, des
pouvoirs voraces qui continuent le plus souvent à gouverner avec une
culture de parti unique, sans être disposés à partager une
once de leur autorité, faisant et appliquant les lois selon leur bon
vouloir, disposant des réseaux internationaux, et des moyens de
propagande et de corruption, bénéficiant de l'aide de
l'administration, de la police, des préfets, bref, de tous les moyens
dont peut rêver une ambition politique.»73(*)
Plus qu'une obsession, l'amour du pouvoir semble s'inscrire
dans la nature même des partis uniques d'alors. Trente ans de
règne, d'un pouvoir sans partage n'auront pas suffi à les
contenter. Il s'agit désormais, pour eux, de renforcer les acquis
existants, refusant de ce fait toute alternance. Pour justifier leurs actes,
teintés de l'illégalité la plus criarde, on parle de
`'démocratie à l'africaine''. C'est comme si, en traversant les
frontières africaines, le mot, `'démocratie'' a subitement
changé de sens pour être, non pas le gouvernement du peuple par le
peuple mais le gouvernement des faibles par les forts. Finalement, plus de
trente années d'indépendance n'auraient contribué
qu'à accentuer la toute-puissance des pouvoirs Africains, sur un peuple
de plus en plus opprimé et qui continue de réclamer de vive voix
la liberté. L'instauration du multipartisme dans certains pays ou le
retour au multipartisme dans d'autres n'a apporté en
réalité qu'un simulacre de `'démocratie''. Celle-ci
apparaît plutôt comme un masque sous lequel se dissimulent la
servitude et la dissolution de la dignité humaine. «Ici encore,
on fait et défait les lois selon la volonté du plus fort et de
l'ethnie majoritaire, même si la nature avait prévu autre chose.
La domination devient héréditaire et le peuple n'a pas le droit
de s'affranchir. Le règne de la terreur devient souverain et
légal. Nombre de régimes politiques Africains nous ont
habitué à ces phénomènes sensationnels et
inédits. (...) Ainsi, le jeu politique en Afrique devient dionysiaque,
un jeu théâtral sans fond, sans normes où les spectateurs
se confondent aux acteurs et où la violence s'incruste pour contrecarrer
l'excès dionysiaque. Le tragique tyrannique se substitue
à l'espérance démocratique. (...) Dans certains de nos
États, le droit, c'est ce qui est bon pour le chef.»74(*) Sombre mais réaliste
tableau de la situation politique en Afrique que peint pour nous Samba
DIAKITÉ.
Ainsi, la liberté chez l'Africain est à ranger
au nombre de ces choses dont la venue incertaine constitue une source d'espoir
pour le peuple. En face, se dresse un pouvoir qui a la latitude
d'émettre toute idée, de défendre n'importe quel point de
vue, aidé en cela par des hommes de mains formés à son
école. À la grande masse, on refuse toute parole, on refuse toute
opinion. Pour elle, il n'y a qu'une alternative : s'aligner
derrière l'idéologie officielle ou périr. C'est finalement
le règne de la violence, de la barbarie, de la brutalité, symbole
de l'autoritarisme des pouvoirs en place.
HOUNTONDJI également ne dira autre
chose : «La force d'un côté-la force brute,
aveugle, sauvage, celle qui, directement héritière de la violence
coloniale, prétend régner sans partage sur les esprits et les
coeurs ; et de l'autre côté, les mains nues, sans
défense, d'hommes et de femmes opprimés, surexploités,
mystifiés au point de se faire eux-mêmes les complices actifs de
leurs bourreaux : tel est, à peu de choses près, le visage
réel de l'Afrique contemporaine, par- delà tout le folklore
idéologique, la bigarrure carnavalesque des `'couleurs'' politiques, des
étiquettes officielles, des `'options'' fracassantes qui se
réduisent, le plus souvent à de superficiels faits de
langage.»75(*)
Au sein d'une Afrique contemporaine où ne
prévaut que la tyrannie des régimes en place, il devient tout
à fait indiqué qu'il ne saurait y avoir la moindre place pour
l'émergence d'une véritable pensée africaine. En clair,
l'oppression servile et stérile, opposée à la
liberté d'expression se dresse de tout son poids sur la route de la
philosophie africaine. Le désir acharné des pouvoirs Africains
à défendre une mystérieuse thèse unanimiste ne
laisse plus aux autres le soin de s'exprimer librement, de
réfléchir à leur aise. Lorsque l'idéologie
officielle pèse de tout son poids sur les consciences, il n'y a plus la
moindre lueur de pensée qui oserait se dessiner ; partant c'est la
question même de la naissance de la philosophie africaine qui est remise
en cause. En effet, une telle atmosphère se veut résolument
opposée à la critique constructive, à la remise en cause,
à la discussion entre gens parlant de la même chose. Dès
lors, ce qui prévaut, c'est une certaine vision uniforme, prenant la
même coloration, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest.
Ainsi, comprenons-nous pourquoi HOUNTONDJI met un point
d'honneur à présenter l'absence de la liberté d'expression
comme un des obstacles majeurs à l'avènement de la philosophie
africaine. Pour HOUNTONDJI, il n'y a pas de philosophie africaine digne de ce
nom parce qu'il n'y a pas de liberté d'expression. On se plaît
à refuser à l'autre le droit à la parole, le droit
à la libre opinion. On assume qu'en Afrique ne prévaut que
l'idéologie du pouvoir, déguisée en idéologie
officielle. Il faut donc au prix des vies des autres maintenir cette
idéologie-là, empêcher à tout prix sa remise en
cause et sauvegarder par-delà le temps et les générations
la thèse unanimiste que met un point d'honneur à
célébrer l'ethnophilosophie. Il faut en un mot
désaliéner la philosophie africaine. Une telle libération
du discours philosophique africain ouvre à n'en point douter la voie
à un renouveau de la philosophie africaine.
CHAPITRE IV
POUR UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA PHILOSOPHIE
AFRICAINE
Au sortir de cette analyse, nous pouvons, avec Paulin
HOUNTONDJI, faire un constat : le constat de l'aliénation de la
vraie philosophie africaine. Celle-ci s'est enlisée depuis ses origines
dans les `'sentiers bourbeux d'une ethnophilosophie douteuse'', complice du
totalitarisme des régimes politiques africains, tarissant à sa
source toute forme de liberté d'expression. Ce faisant, on assiste
à l'échec de la philosophie africaine. Plus encore, ce qu'on
entend désigner sous le terme de `'philosophie'' en Afrique
diffère évidemment du sens même de ce mot tel que
consacré par la tradition Occidentale. Et cela semble être
perçu à sa juste valeur par HOUNTONDJI
: «Ainsi, les mêmes mots changent miraculeusement de
sens dès qu'ils passent du contexte occidental au contexte africain,
dans le vocabulaire des écrivains européens et américains,
fidèlement imités en cela par les africains eux-mêmes.
C'est ce qui se passe pour le mot `'philosophie''. Quand on l'applique à
l'Afrique, il n'est plus censé désigner la discipline
spécifique qu'il évoque dans le contexte occidental, mais
seulement une vision du monde collective, un système de croyances
spontané, implicite, voire inconscient, auquel tous les Africains sont
censés adhérer : usage vulgaire du mot, autorisé,
comme qui dirait, par la vulgarité présumée du contexte
géographique auquel on l'applique.»76(*) Le vocable `'Philosophie''
est détourné de son sens habituel lorsqu'on l'applique à
l'Afrique. Ce qui n'est nullement un fait du hasard, car comme le fait
remarquer HOUNTONDJI, cela tient du fait que l'Afrique elle-même ne fait
pas l'objet d'une appréciation positive.
Pourtant, nous ne devons pas le nier, l'Afrique, bien
évidemment est un cadre géographique différent des cadres
européen, américain ou asiatique ; mais elle n'en demeure
pas moins une des composantes de ce que nous appelons MONDE. Il faut donc
reconsidérer l'Afrique. Laquelle reconsidération rejaillit sur le
sens même du terme `'Philosophie africaine'' qui doit apparaître
non plus comme une caricaturale vision du monde, mais comme intégrant le
vaste système de pensée mondiale. Mais cette intégration
doit tenir compte de principes et exigences majeurs : d'une part la
libération du discours philosophique africain à laquelle,
succède une réorientation de ce discours-là. Voici
esquissée l'ossature de ce présent chapitre.
A - DE LA LIBÉRATION DU DISCOURS PHILOSOPHIQUE
EN AFRIQUE
La première condition à l'éclosion de la
philosophie africaine - entendue dans son sens véritable - est
inévitablement la libération du discours philosophique
africain.
Discipline théorique, la philosophie, pour
émerger, nécessite une totale autonomie ; laquelle autonomie
se pose comme condition de son déploiement. En clair, il ne peut y avoir
de philosophie que là où tous les obstacles se trouvent
levés ; là où toutes les barrières se trouvent
franchies. La philosophie ne commence donc que là où elle se
trouve libérée des pesanteurs de tous ordres. Ceci pour dire que
la philosophie suppose, au préalable, la liberté, entendue dans
son sens le plus vaste possible.
On le sait, ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de
`'philosophie'' occidentale a esquissé ses premiers pas dans la
Grèce antique, sous l'impulsion de SOCRATE. Si SOCRATE peut être
considéré comme le père de la philosophie occidentale, la
Grèce antique quant à elle apparaît comme sa terre natale.
A propos du monde grec, HEGEL écrit : «C'est le
règne de la belle liberté. (...) C'est le règne de la
liberté : non de la liberté déchaînée,
naturelle, mais de la liberté éthique qui a un but universel, qui
présuppose, veut et connaît non l'arbitraire et le particulier,
mais la fin universelle du peuple lui-même.»77(*) On peut donc le dire, le monde
grec se caractérisait par le règne de la liberté. C'est
à cette seule condition qu'a été possible la philosophie.
Or, la philosophie africaine qu'on entend bâtir ne doit pas se
particulariser au sein de la notion générale de philosophie.
C'est la raison pour laquelle l'éclosion de la philosophie en Afrique
obéit à un certain nombre d'exigences dont la première est
incontestablement sa libération effective des pesanteurs qui ont ici
pour nom ethnophilosophie et pouvoir politique.
Ainsi, selon Marcien TOWA, «pour ouvrir la voie
à un développement philosophique en Afrique, il faut que,
résolument, nous nous détournions de l'ethno-philosophie, aussi
bien de sa problématique que de ses méthodes.»78(*) Exigence majeure, car, comme
nous l'avons souligné plus haut, l'ethnophilosophie, telle qu'elle
fonctionne, entrave le véritable discours philosophique africain.
Réhabiliter ce discours-là, c'est par conséquent, renoncer
à l'ethnophilosophie qui n'est qu'une dénaturation du sens de la
philosophie, aussi bien dans sa nature que dans ses enjeux. C'est dans le but
de mieux faire comprendre la nature réelle de la philosophie que
HOUNTONDJI tient à faire cette distinction entre le sens vulgaire et le
sens strict du mot : «Selon le premier sens est philosophie
toute sagesse individuelle ou collective, tout ensemble de principes
présentant une relative cohérence et visant à régir
la pratique quotidienne d'un homme ou d'un peuple. En ce sens vulgaire du mot,
tout homme est naturellement « philosophe », toute
société aussi. Par contre, au sens le plus strict du mot, on
n'est pas plus spontanément philosophe qu'on n'est spontanément
chimiste, physicien ou mathématicien, la philosophie étant, au
même titre que les mathématiques, la physique, la chimie, etc. une
discipline théorique spécifique ayant ses exigences propres et
obéissant à des règles méthodologiques
déterminées.»79(*) La philosophie est une affaire sérieuse. Il
par conséquent apparaît malencontreux de la présenter sous
un faux jour ; en rupture avec ce qu'elle a de spécifique.
Pourtant, avec l'ethnophilosophie, nous assistons à la
consécration du sens vulgaire du mot `'philosophie'' au dépend de
son sens réel. En effet, dira HOUNTONDJI, ce sens vulgaire fait de tout
homme et de toute société, des philosophes. Autrement dit,
l'ethnophilosophie enseigne qu'on naît philosophe. L'Africain, sans le
savoir, fait de la philosophie. Ce qui revient à ceci : en Afrique
tout le monde est philosophe.
Une telle conception de la philosophie comme activité
spontanée inconsciente, ruine à tout jamais le sens même de
la philosophie. C'est pourquoi, suite à la distinction
opérée plus haut, HOUNTONDJI en arrive à cette
conclusion : «La distinction des notions de philosophie ne
devrait pas conduire à une consécration du sens vulgaire, mais
à sa ruine. Elle devrait contraindre à rejeter, comme nulle et
non avenue, la pseudo philosophie des visions du monde, et faire voir
clairement que la philosophie, au sens le plus strict, loin de continuer les
systèmes de pensée spontanés, s'instaure au contraire en
rupture avec eux - au lieu qu'en réalité elle sert ici de
prétexte à nos auteurs pour entreprendre en toute bonne
conscience, une reconstruction conjecturale de la sagesse africaine,
érigée pour la circonstance en philosophie.»80(*)
Promouvoir la philosophie africaine, c'est, renoncer à
tout jamais à l'ethnophilosophie. En y renonçant, on en fait de
même à l'égard de ses problématiques. Plutôt
que d'être une hypothétique vision commune du monde, la
philosophie africaine doit au contraire apparaître aux antipodes de cette
vision-là ; c'est-à-dire être tout simplement une
vision individuelle, en rupture avec ce que pensent et ce que conçoivent
communément les autres. C'est au prix d'une telle rupture, d'un tel
divorce qu'a été possible la philosophie, à ses
premières heures, dans la Grèce antique. Plutôt qu'une
intégration dans la grande masse des idées qui foisonnent autour
de soi, la philosophie est au contraire un digne retour vers soi, un repli sur
soi-même. Dans ces conditions, pour HUSSERL : «En premier
lieu, quiconque veut vraiment devenir philosophe devra «une fois dans sa
vie » se replier sur soi-même et au-dedans de soi, tenter de
renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire.
La philosophie - la sagesse - est en quelque sorte une affaire personnelle du
philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse,
son savoir, qui bien qu'il tende vers l'universel, soit acquis par lui et qu'il
doit pouvoir justifier dès l'origine et à chacune de ses
étapes, en s'appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j'ai
pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule
peut m'amener à la vie et au développement philosophique, j'ai
donc par là même fait voeu de pauvreté en matière de
connaissance.»81(*)
.82(*)Mettre à jour une oeuvre philosophique digne de
l'Afrique et des Africains suppose un respect scrupuleux des exigences et des
principes mêmes de l'émergence du savoir philosophique. C'est au
nom d'une telle adhésion qu'il convient de ruiner à tout jamais
la conception de la philosophie comme système de croyances tacites,
immuables, réfractaires à tout développement. En effet, la
conception de la philosophie africaine comme un système de croyances
clos, achevé et immuable auquel adhèrent consciemment ou non les
membres d'une même communauté suppose que partout, sur le
continent, les conceptions des uns et des autres ne diffèrent
guère. Plus encore, ces conceptions demeurent les mêmes
par-delà le temps et les générations. Ce qui revient
à dire qu'il y a eu pour toujours une seule conception philosophique en
Afrique. Celle-ci n'a jamais évolué. Elle est restée la
même. Or, de l'avis de HOUNTONDJI : «La philosophie n'est
pas un système, si on entend par là un ensemble de propositions
considérées comme définitives, un ensemble de
vérités dernières, indépassables, qui
représenteraient à la fois un aboutissement et un arrêt de
la pensée. La philosophie en ce sens-là n'est pas un
système, car elle ne s'arrête jamais, mais n'existe au contraire
comme philosophie que dans l'élément de la discussion sous la
forme d'un débat sans cesse rebondissant.»83(*) C'est dire que malgré
la parenté essentielle qui puisse exister entre les diverses conceptions
philosophiques, celles-ci, de loin, s'éloignent de l'approbation
naïve, de la reprise en choeur des mêmes notions, des mêmes
idées fortes. Pour nous en convaincre, jetons un regard sur l'histoire
de la philosophie, de l'Antiquité grecque jusqu'à la
période contemporaine.
Il est vrai comme le souligne NIETZSCHE, que «les
différentes notions philosophiques ne présentent rien
d'arbitraire ; elles ne surgissent pas par génération
spontanée, mais se développent selon de mutuels rapports de
parenté ; si soudaine et fortuite que soit leur apparition dans
l'histoire de la pensée, elles n'en appartiennent pas moins à un
système, au même titre que toutes les espèces animales
d'une région déterminée.»84(*) Loin de nous, toute
prétention à vouloir nier un tel état de fait. Nous
constatons cependant, qu'en dépit de cette parenté, les divers
courants philosophiques, tout en se servant de matériaux existants pour
leur propre fonctionnement, n'en demeurent pas moins en rupture avec ceux qui
les précèdent. On constate par exemple qu'en dépit des
consonances platoniciennes qui ressortent de son oeuvre, ARISTOTE n'a
élaboré sa pensée qu'en s'opposant à la
théorie platonicienne des Idées. Aux Idées platoniciennes,
ARISTOTE substitue la théorie du premier Moteur. DESCARTES, pur produit
de la scolastique, prit l'engagement sur lui de douter de tout l'enseignement
qu'il avait reçu ; doute au sortir duquel il construisit sa
pensée. MARX, non sans avoir été disciple de HEGEL se
présenta par la suite comme un des fervents opposants à la
pensée hégélienne. À l'idéalisme historique
de HEGEL, il substitue le matérialisme historique. On pourrait
multiplier indéfiniment les exemples pour faire voir que la philosophie,
loin d'être un système clos, immuable, loin de se présenter
comme une simple reconnaissance, s'alimente au contraire d'incessantes
fractures, d'incessants `'parricides'' qui, loin d'appauvrir l'activité
philosophique, ne font au contraire que l'enrichir et lui donner toutes ses
lettres de noblesse.
Il convient, dans ces conditions, de rechercher ailleurs la
nature de la philosophie. HOUNTONDJI dira : «La philosophie n'est
pas un système clos, mais une histoire,...»85(*) La conception de la
philosophie comme histoire correspond au principe ci-dessus
présenté, à savoir que la philosophie fonctionne sur la
base d'un débat alimenté de vérités et de
contrevérités. Pareille vision nous autorise à renoncer
à l'idée qu'on a voulu nous donner de la philosophie africaine
considérée comme une philosophie collective. Pour se
développer, la philosophie africaine doit cesser d'apparaître
comme un système clos, mais comme une histoire. Et en tant qu'histoire,
elle tourne résolument le dos aux considérations
engendrées par l'ethnophilosophie. Pour HOUNTONDJI, «dire que
la philosophie est une histoire et non un système, c'est aussi dire
qu'il n'y a pas de philosophie collective. Donc que la «philosophie»
africaine, au sens de cette expression qui a été consacrée
par les anthropologues, est un immense contresens. Il n'y a pas de philosophie
qui serait un système de propositions implicites, un système de
croyances implicites auquel adhéraient spontanément tous les
individus passés, présents et à venir d'une
société donnée. Cela n'existe pas, cela n'a jamais
existé,...»86(*) Voilà qui est clair : la philosophie
africaine doit fonctionner en rupture avec une adhésion massive à
des valeurs d'une autre époque et d'un autre temps. Pareille rupture
implique qu'il n'y a pas de philosophie collective. Il appartient, au
contraire, à l'Africain de faire oeuvre originale. C'est à
l'Africain, pris comme sujet, qu'il appartient de promouvoir la philosophie. Ce
n'est donc plus la communauté qui pense à la place de l'individu.
Une telle libération du sujet de la pesanteur du groupe implique
désormais une multitude de visions et d'opinions, une pluralité
de conceptions qui, loin de se réduire à une plate
répétition les unes des autres se présentent au contraire
sous l'angle de la contradiction. A ce sujet , pour HOUNTONDJI, il faut
« en finir avec la valorisation exclusive de la pensée
collective et reconnaître la nécessité, sur toutes les
questions essentielles, d'une pensée personnelle, d'une prise de
position qui engage la responsabilité de chacun et permette de
construire, aux lieu et place de ces simulacres de débat où
l'intimidation tient lieu d'argument et où l'on attend de chacun qu'il
confirme son adhésion passionnelle à un catéchisme
collectif, des débats authentiques fondés sur une libre
confrontation et commune recherche de la
vérité.»87(*) Or, justement, la condition à toute
contradiction demeure d'abord et avant tout la discussion née d'un
débat entre gens parlant de la même chose.
Par ailleurs, pareille discussion, pareil débat ne
trouve sa condition de possibilité et d'émergence que dans le
libre accès à la parole, dans le libre exercice de l'expression.
Autrement dit, ne discutent que des gens qui ont une réelle
possibilité de s'exprimer librement, au-delà de toute contrainte,
capable de parler de tout. Nous touchons de ce fait au problème de la
liberté d'expression comme condition nécessaire de la philosophie
africaine.
Toutefois, l'on ne saurait poser la liberté
d'expression comme fondement de la philosophie africaine qu'à condition
de la poser comme fondement de la philosophie en général.
Mais, de prime abord, il faut retenir que la liberté
d'expression elle-même découle de la liberté politique en
général. C'est dire qu'il ne peut y avoir de liberté
d'expression que là où règne d'abord et avant tout la
liberté politique, préalable à toutes les autres formes de
liberté. Ce qui, en fin de compte nous amène à postuler
que la liberté politique s'inscrivant en première ligne de toutes
les libertés favorise l'avènement de la philosophie ou pour
être un peu plus clair, nous disons qu'il ne peut y avoir de philosophie
que là où la liberté politique connaît un exercice
véritable. C'est pourquoi HEGEL a pu écrire :
«Historiquement, la philosophie ne se rencontre que là
où fleurit la liberté politique, la liberté dans
l'État...»88(*) Une meilleure compréhension de cette
pensée nous autorise à affirmer dans la droite ligne de
l'idée de HEGEL qu'un État totalitaire demeure résolument
opposé au déploiement de la philosophie. Par contre, seul un
État qui fait de la liberté des individus son souci majeur peut
favoriser le rayonnement de la philosophie. Cela suppose, bien entendu, le
respect des droits individuels. S'il est vrai que l'État est reconnu
comme puissance souveraine, il n'en demeure pas moins que le principe du
gouvernement des hommes doit reposer sur l'autorité des lois. C'est dire
qu'au-delà des lois, nul n'a le droit de sévir ou de punir. La
seule contrainte légitime est celle qui force les citoyens au respect
des lois auxquelles ils sont soumis et qu'ils ont eux-mêmes
instituées. Un régime politique qui observe une telle exigence se
veut ami et complice de la liberté. Laquelle liberté doit
être entendue dans son sens le plus large possible. Qu'il s'agisse aussi
bien d'une liberté de faire ou d'agir, allusion faite à la
liberté physique, la liberté civile, la liberté politique,
la liberté de pensée et de conscience incluant la liberté
d'expression.
C'est dire que lorsque nous parlons de liberté dans
l'État, nous entendons par là tout ce qui est humainement
possible de faire, de dire ou de penser dans le strict respect des
prescriptions légales. Or, comme nous le savons, la philosophie est une
activité de l'esprit. En tant qu'activité de l'esprit, elle ne
saurait se déployer que là où l'esprit s'exerce librement,
sans contrainte. Elle suppose, par conséquent, un libre exercice de la
pensée favorisant une totale liberté dans l'expression. On ne
peut donc rechercher la philosophie que dans un régime qui favorise au
mieux cette liberté d'expression. Il en va de même pour la
philosophie africaine. Celle-ci ne peut donc émerger que dans un cadre
qui donne libre cours au droit à la parole, à la libre
expression, plus encore à la libre critique. Ce qui revient à
dire que pour le philosophe, aucune vérité ne saurait être
définitive. Pour lui, rien ne va de soi : tout doit être
passé au crible de la raison critique.
La philosophie, on le sait, recherche inlassablement le
pourquoi des choses. Cette recherche ne peut être possible qu'à
condition de tourner le regard interrogateur du philosophe sur son
environnement proche et immédiat, lequel regard se veut critique. De
là découle la conception de TOWA au sujet du philosophe et de la
philosophie : «La philosophie ne commence qu'avec la
décision de soumettre l'héritage philosophique et culturel
à une critique sans complaisance. Pour le philosophe, aucune idée
si vénérable soit-elle, n'est recevable avant d'être
passée au crible de la pensée critique.»89(*) Le philosophe demeure de ce
fait opposé à toute espèce de dogmatisme. Le seul principe
qui le guide est la critique systématique des idées toutes
faites. Chez lui, il n'existe point de tabou qui ne puisse être
transgressé, de même il n'existe point d'idéologie qui ne
puisse être mise en branle. Mais cela n'est possible qu'à
condition de libérer effectivement le discours ; ce qui incombe
d'abord et avant tout au politique. C'est en cela que réside le sens de
cette préoccupation de HOUNTONDJI : «La science naît
de la discussion et en vit. Si nous voulons que nos pays se l'approprient un
jour, il nous appartient d'y créer un milieu humain dans lequel et par
lequel les problèmes les plus divers pourront être débattus
librement, (...). Cela suppose, on le voit, la liberté d'expression. Une
liberté que tant de régimes politiques s'efforcent aujourd'hui
d'étouffer, à des degrés divers. Mais cela veut dire,
précisément, que la responsabilité du philosophe africain
(comme celle de tout homme de science africain) déborde infiniment le
cadre étroit de sa discipline, et qu'il ne peut se payer le luxe d'un
apolitisme satisfait, d'une complaisance tranquille à l'égard du
désordre établi - à moins de se renier lui-même
comme philosophe, et comme homme. En d'autres termes, la libération
théorique du discours philosophique suppose une libération
politique.»90(*)
En somme, il appartient au politique Africain de comprendre qu'en Afrique tous
les hommes sont libres et égaux. Si une telle égalité se
trouve érigée en principe de gouvernement, il va sans dire que
l'intellectuel Africain deviendra effectivement philosophe dans la mesure
où il pourra appliquer sans aucune forme de restriction les exigences
propres à la discipline dont la première est à n'en point
douter la remise en cause perpétuelle, associée à la libre
critique. Plutôt que d'acquiescer, il convient de contredire, de
réfuter pour ensuite contempler comme fruit de cette contradiction
quelque chose que l'on n'hésitera pas à baptiser
`'Vérité''. TOWA dans ce sens ne dira pas autre chose :
«Ce qu'un philosophe retient et propose est toujours, du moins en
droit, la conclusion d'un débat contradictoire, c'est-à-dire d'un
examen critique et absolument libre.»91(*) On comprend ainsi que la philosophie naît de la
contradiction, d'une libre critique rendue possible par le libre accès
à la parole, c'est-à-dire la liberté d'expression et
d'opinion. C'est à ce prix que la philosophie africaine peut s'ouvrir
à une existence véritable.
Nous sommes en droit d'affirmer que la philosophie africaine,
pour émerger, requiert un renoncement définitif et absolu
à l'ethnophilosophie qui, en libérant l'individu de la pesanteur
du groupe, lui donne le libre accès à la parole et à
l'expression. Une fois ces obstacles levés, nous pouvons dès
à présent nous interroger sur l'orientation nouvelle à
donner à la philosophie africaine. En clair, comment doit-on concevoir
la philosophie africaine aujourd'hui ?
B - RÉORIENTATION DU DISCOURS PHILOSOPHIQUE
AFRICAIN
À ce stade de notre parcours, il apparaît
intéressant de citer ces mots de Paulin HOUNTONDJI qui
s'appréhendent comme une sorte de récapitulatif à ce qui
précède, nous permettant aisément d'entrevoir
l'idée qu'il entend se faire de la philosophie africaine, rejetant du
coup la fausse vision de cette philosophie-là : «On
commence en effet à comprendre que la philosophie africaine n'est pas
cette hypothétique vision du monde collective spontanée,
irréfléchie, implicite, avec laquelle on l'avait jusque-là
confondue. On commence à admettre qu'elle n'est pas ce système de
croyances tacites auquel adhéraient consciemment ou inconsciemment tous
les Africains en général, ou plus spécialement les membres
de telle ou telle ethnie, de telle ou telle société africaine. On
reconnaît qu'en ce sens la «philosophie bantoue», la
«philosophie dogon», la «philosophie diolla», la
«philosophie yoruba», la «philosophie fon», la
«philosophie wolof», la «philosophie sérère»,
etc. sont autant de mythes inventés par l'occident ; qu'il n'y a
pas plus de «philosophie» africaine spontanée qu'il n'y a de
«philosophies» occidentale ou française, allemande, belge,
américaine, etc., spontanées, qui feraient silencieusement
l'unanimité entre les Occidentaux, ou entre tous les Français,
tous les Allemands, etc. ; que la philosophie africaine ne peut exister
que sur le même mode que la philosophie européenne : à
travers ce qu'on appelle une littérature.»92(*) HOUNTONDJI relègue
à jamais l'ethnophilosophie aux oubliettes et avec elle ses
problématiques fondamentales ; toutes choses qui constituent
à ses yeux une entrave à la vraie philosophie africaine.
Soucieux d'intégrer la philosophie africaine dans ce
vaste domaine de la philosophie en général, HOUNTONDJI estime
tout simplement que la philosophie africaine doit exister sur le modèle
de la philosophie européenne, aujourd'hui référence de
premier plan en matière de philosophie. C'est pourquoi il estime que la
philosophie africaine doit à jamais tourner le dos à cette
unanimité primitive, à cette vision du monde collective,
spontanée et irréfléchie qui la caractérisait
jusque-là.
Nous l'avons souligné, l'implication logique d'une
telle rupture d'avec l'ethnophilosophie et ses problématiques
apparaît sans doute comme la prise de parole individuelle, la
responsabilisation de l'Africain qui doit se poser comme philosophe. Mais
HOUNTONDJI prévient : «Il ne suffit pas d'un art
individualisé du discours pour qu'il y ait philosophie. La parole
individuelle (au lieu du discours silencieux du groupe), la prise de parole (au
lieu de l'acquiescement passif), est sans doute une condition
nécessaire : elle ne saurait à elle seule constituer l'acte
philosophique.»93(*) Précision de taille, qui nous permet de
déceler l'orientation nouvelle que Paulin HOUNTONDJI entend donner
à la philosophie africaine. Mais en quoi réside justement cette
orientation-là?
1. LA PHILOSOPHIE AFRICAINE COMME LITTÉRATURE
ÉCRITE PAR DES AFRICAINS
Le lecteur avisé qui ouvre le livre Sur la
«philosophie africaine» de Paulin HOUNTONDJI ne manquera
certainement pas d'être frappé par cette phrase, la
première du premier chapitre : «J'appelle philosophie
africaine un ensemble de textes : l'ensemble, précisément
des textes écrits par des Africains et qualifiés par leurs
auteurs eux-mêmes de «philosophiques».»94(*)
En somme, pour qu'il y ait philosophie africaine, il faut la
présence de textes écrits par des auteurs typiquement africains.
On ne peut s'empêcher d'entrevoir dans un premier temps le rôle
fondamental que doit jouer ici l'écriture (différente de la
littérature orale) et dans un second moment l'insistance sur la variable
géographique, entendue ici comme le continent africain duquel sont issus
les différents auteurs.
Si HOUNTONDJI insiste sur le rôle de l'écriture
dans l'élaboration de la philosophie africaine, c'est sans doute dans le
but de lever les équivoques au sein d'une Afrique où
l'oralité a, à un certain moment de son évolution, pris
une part active. On le sait, la civilisation africaine traditionnelle est
fondamentalement une civilisation de l'oralité. Ce qui revient à
dire que pendant longtemps, la littérature orale a constitué le
socle même de la littérature négro-africaine. Cette forme
de littérature a été pratiquée depuis des
siècles et transmise fidèlement par des générations
de griots dont les mémoires ont constitué les archives
mêmes de la société. Ce qui nous permet de comprendre le
rôle prépondérant joué par les griots,
véritables maîtres de la parole dans nos sociétés
traditionnelles.
Mais, une inquiétude demeure tout de même.
Pourquoi HOUNTONDJI se borne-t-il à soutenir qu'il ne peut y avoir de
philosophie que sous la forme de l'écriture, en dépit de la
richesse avouée de la littérature orale au sein de la
civilisation négro-africaine? Pourquoi la philosophie africaine
doit-elle se développer comme forme de littérature
précisément sous l'angle de l'écriture? De telles
inquiétudes en appellent immanquablement une autre : que
reproche-t-on à la littérature orale ; jadis trésor
inestimable pour les peuples d'Afrique?
HOUNTONDJI semble avoir perçu les faiblesses
caractéristiques de la littérature orale en même qu'il
relève les atouts de l'écriture : «La tradition orale
aurait plutôt tendance à favoriser la consolidation du savoir en
un système dogmatique et intangible tandis que la transmission par la
voie d'archive rendrait davantage possible, d'un individu à l'autre,
d'une génération à l'autre, la critique du savoir. Ce qui
prédomine dans la littérature orale, c'est la peur de l'oubli, la
peur des défaillances de la mémoire, puisque celle-ci est
abandonnée à elle-même, sans recours externe ni support
matériel. L'homme est alors obligé de garder jalousement tous ses
souvenirs, de les évoquer sans cesse, de les répéter
continuellement, les accumulant et les entassant en un savoir global, tout
entier présent à chaque instant, toujours prêt à
être appliqué, perpétuellement disponible. L'esprit, dans
ces conditions, est trop occupé à préserver le savoir pour
se permettre de le critiquer. La tradition «écrite», au
contraire, en recourant à un support matériel, libère la
mémoire qui peut désormais se permettre d'oublier, d'exclure
provisoirement, de mettre en cause, d'interroger, étant sûre,
d'avance, de pouvoir retrouver au besoin, à tout instant, ses acquis
antérieurs. Garante d'une mémoire toujours possible, l'archive
rend superflue la mémoire actuelle et libère de ce fait les
audaces de l'esprit.»95(*)
La littérature orale se voit taxée de dogmatique
et par conséquent de cumulative. C'est dire que dans les traditions de
l'oralité, on est soucieux de la préservation et de la
conservation du savoir. On le tient jalousement au sein d'un système
qui, par conséquent, se veut réfractaire à toute
évolution. C'est la raison pour laquelle dans nos sociétés
africaines traditionnelles, nous assistons à une segmentation de la vie
et de la communauté suivant le rang et la fonction qu'on occupe au sein
de cette communauté. Il y a à côté de la caste des
dignitaires, celles des forgerons, des chasseurs, des griots ;...Aux
griots, se trouve dévolue la garde du savoir. Ils sont les
dépositaires de la tradition orale. Ici on ne devient pas griot par
l'effet d'un accident de la nature mais on l'est, ou pour être plus
précis, on naît griot, suivant son arbre
généalogique.
Sans un quelconque support matériel ; seulement
avec la complicité de la mémoire, le griot conserve jalousement
le savoir hérité de son père, qu'il va à son tour
léguer à ses descendants. On assiste dans la tradition orale
à une transmission du savoir en vase clos, laquelle transmission
obéit à un principe dogmatique et cumulatif. On se contente
simplement d'amasser et d'entasser le savoir de façon absolue, sans une
quelconque preuve matérielle. Sous cet angle, se trouvent exclues la
libre critique, la discussion, conditions nécessaires à
l'évolution même du savoir.
HOUNTONDJI estime, à cet effet, que «les
sociétés dites sans écriture (...) sont condamnées
à garder jalousement en mémoire leurs inventions et leurs
découvertes, à les entasser, à les accumuler. Leur
histoire est donc par excellence une histoire cumulative, si du moins ce mot a
un sens. Par contre, l'histoire de l'Occident n'est pas immédiatement
cumulative mais critique : elle ne progresse pas par simple cumul des
connaissances, par simple addition des découvertes et des inventions ,
mais à travers des mises en questions périodiques du savoir
établi, qui constituent autant de crises.»96(*)
À l'analyse, nous constatons que la
caractéristique essentielle de la littérature orale est
d'être `'non démocratique''. En d'autres termes le savoir n'est
pas diffusé, comme nous l'avons souligné, dans toutes les
composantes de la société. On appréhende, au contraire, ce
savoir-là comme un privilège dont la nature aurait doté
l'individu et, par conséquent, pas question de le partager au risque de
perdre ce privilège-là. Une telle absence de
démocratisation du savoir qui impliquerait à son tour sa large
diffusion l'éloigne de toute critique. On ne peut critiquer que ce qu'on
a devant soi, ce dont on a pris amplement connaissance. Or, dans le cadre de la
littérature orale, on ne peut y accéder si au préalable,
on n'y est prédestiné. Comment se permettre donc de critiquer ce
à quoi on ne peut accéder?
Tout le contraire est la situation qui se vit dans les
sociétés européennes, où la transmission du savoir
repose sur l'écriture, et où en plus, on assiste à une
démocratisation de l'écriture, et par conséquent du savoir
qu'elle est censée porter et diffuser. L'individu, pourvu qu'il en ait
les aptitudes accède librement au savoir. De cette liberté
d'accès découle une liberté d'appréciation,
d'où une libre critique qui se fait le plaisir d'ébranler le
socle absolu, définitif et dogmatique sur lequel ce savoir voudrait
reposer.
Ainsi, non seulement l'écriture a le précieux
avantage de consigner, d'inventorier et de cataloguer ce qui se dit et ce qui
se conçoit, contrairement à l'oralité, sans cesse soumise
à l'oubli, mais rend possible par la même occasion la libre
critique, véritable sève nourricière de la philosophie.
C'est ce que résume HOUNTONDJI en ces termes : «La verve
critique ne peut se déployer, et l'élan iconoclaste se donner
libre cours, que pour avoir au préalable placé en lieu sûr,
à l'abri de toute attaque, ce qu'on prétend ensuite
détruire.
Telle est la vraie fonction de l'écriture
(empirique) ; elle confie à la matière (livre, document,
archive, etc.) un rôle de sauvegarde qui serait autrement dévolu
à l'esprit et libère en conséquence celui-ci pour des
inventions nouvelles susceptibles d'ébranler les anciennes, voire de les
condamner définitivement.
Or, si l'on se rappelle ce que nous avons dit de la
philosophie, si l'on admet qu'elle est histoire plutôt que
système, mouvement perpétuel de critique et de contre critique
plutôt qu'assurance tranquille, on comprendra qu'elle puisse s'accomplir
pleinement que dans une civilisation de l'écriture (au sens
empirique).»97(*)
La philosophie, pour exister, a besoin d'un support
matériel (livre, document, archive, etc.) Mais ce support ne peut se
maintenir que grâce à l'écriture. Avec l'écriture,
le savoir non seulement se trouve en lieu sûr, par conséquent
l'individu peut se permettre d'oublier provisoirement, mais aussi se trouve
soumis à la critique, le seul canevas par lequel peut se
développer la philosophie. L'écriture, et partant les livres
apparaissent comme un support essentiel pour la diffusion du savoir.
Toutefois, il ne s'agit pas pour HOUNTONDJI de signer à
travers ce procès de la littérature orale, l'arrêt de la
mort de celle-ci. La littérature orale constitue un trésor
inestimable au sein même de la civilisation africaine, mais, c'est au
prix d'une mutation essentielle qu'on pourra parler de philosophie, comme il le
souligne : «Ces contes moraux, ces légendes didactiques,
ces aphorismes, ces proverbes expriment non une recherche mais au mieux les
résultats d'une recherche, non une philosophie mais tout au plus une
sagesse ; et que c'est seulement aujourd'hui que nous pouvons, en les
transcrivant, leur conférer éventuellement valeur de documents
philosophiques, c'est-à-dire de textes pouvant servir de support
à une réflexion critique et libre.»98(*)
La littérature orale, dans ce contexte, ne peut
être validée et intégrer le champ de la philosophie
qu'à condition d'être transcrite.
Il y a assurément une méconnaissance de la
nature et du rôle de la littérature orale dans l'Afrique
traditionnelle et même dans l'Afrique moderne, si l'on s'en tient
à cette analyse de Lilyan KESTELOOT pour qui, «cette
littérature comprend tous les genres et aborde tous les sujets :
mythes cosmogoniques, romans d'aventures, chants rituels, poésie
épique, courtoise, funèbre, guerrière, contes et fables,
proverbes et devinettes. Importante par son abondance, son étendue et
son incidence sur la vie de l'homme africain. (...).
Quant à sa portée sur le public africain, il
faut savoir, pour en juger, que cette littérature charrie non seulement
les trésors des mythes et les exubérances de l'imagination
populaire, mais véhicule l'histoire, les généalogies, les
traditions familiales, les formules du droit coutumier, aussi bien que le
rituel religieux et les règles de la morale. Bien plus que la
littérature écrite, elle s'insère dans la
société africaine, participe à toutes ses
activités ; oui, littérature active véritablement,
où la parole garde toute son efficacité de verbe, où le
mot a force de loi, de dogme, de charme.
Et les chefs des nouveaux États indépendants
le sentent si bien, le pouvoir de cette littérature, qu'ils
n'hésitent pas à confier aux griots traditionnels le soin
d'exalter leur politique ou leur parti.»99(*) Ancienne par sa durée,
complète et dense par son contenu, importante par sa
portée ; c'est ici que réside les traits essentiels de la
littérature orale africaine qui a réussi à briser les
barrières de la tradition pour s'offrir à la modernité.
Même s'il est vrai, comme le précise Lilyan
KESTELOOT que «les littératures orales sont aussi fragiles,
difficiles à consigner, à inventorier et à
cataloguer»100(*), on ne saurait pour autant les discréditer au
nom d'une prétendue `'civilisation de l'écriture''. Car à
y voir de près, l'Afrique traditionnelle n'avait rien à envier
aux civilisations dites de l'écriture dans la mesure où elle
avait à sa disposition cette forme de littérature ; la
littérature orale, à même de remplir les mêmes
missions que la littérature écrite. Il n'est donc pas question de
tracer une ligne de démarcation entre littérature orale et
littérature écrite lorsqu'il s'agit de parler de philosophie
africaine.
D'ailleurs, cette insistance sur le rôle de
l'écriture comme instance de promotion de la pensée vraie
n'échappe nullement à la critique du docteur Samba
DIAKITÉ. Commentant les propos de Louis-Jean CALVET pour qui
«ceux qui écrivent sont près du pouvoir, dans la
mouvance de la cour»101(*), il fait remarquer : «Dès lors,
qui n'écrit pas n'est rien. Écrire, c'est entrer dans
l'histoire ; c'est entrer dans la Cour des Grands. L'écriture c'est
la vie, c'est le Paradis ; le monde n'est-il pas une Écriture de
Dieu? Une langue non écrite perd toute sa crédibilité et
devient par conséquent une langue morte sans saveur, non universelle,
inapte à l'histoire et au temps. Or une langue non universelle est une
langue ignorante. L'écriture devient une clôture du monde qui
n'est franchissable que par des initiés ; elle semble être ce
labyrinthe dont la clé de voûte n'appartient qu'aux seuls
maîtres, ceux de l'alphabet. Elle devient l'idéologie de la
séparation et de l'exclusion. Elle tisse la toile de la domination et de
la suprématie des logothètes, des fondateurs de langues. Le tissu
du monde devient unicolore par l'écriture, qui peut se jouer du monde en
le manipulant. L'élévation et la décadence deviennent les
jeux de l'écriture.»102(*) En somme, l'écriture est à la fois la
marque du rejet et de la domination. Ceux qui n'y ont pas accès perdent
ainsi tout contact avec ceux qui sont passés maîtres dans l'art
décrire.
Assumer que la philosophie africaine n'existe que sous la
forme d'une littérature écrite, c'est en faire l'affaire d'une
élite, d'un cercle restreint d'hommes, passant pour des
initiés.
N'empêche, pour HOUNTONDJI, la philosophie africaine
doit reposer sur la littérature écrite ; certes, mais une
littérature écrite par des Africains eux-mêmes. Pareille
précision répond ici à une interrogation de premier
plan : qui est (ou peut être) philosophe africain?
À tort ou à raison, l'histoire de la
pensée voit dans le révérend père Placide TEMPELS,
l'auteur de La philosophie bantoue, le précurseur de la
philosophie africaine. On se risque à affirmer que TEMPELS est à
la philosophie africaine ce que SOCRATE est à la philosophie grecque.
Mais à l'encontre d'une telle comparaison, il faut souligner ceci :
SOCRATE n'a pu être à l'origine de la philosophie grecque que
parce qu'il est d'abord et avant tout Grec d'origine. En clair, SOCRATE est un
grec ; quoi de plus normal qu'on lui ait attribué la
paternité de la philosophie grecque! Dans le cas du Père TEMPELS,
les données ne sont pas du tout les mêmes. TEMPELS, en effet, est
un missionnaire belge de l'ordre des franciscains. Au moment de la parution de
son livre, il exerçait alors sa mission au Congo -Belge (ex-Zaïre,
aujourd'hui République Démocratique du Congo). Seulement, le
`'mérite'' de TEMPELS est d'avoir écrit sur un peuple du
Congo : les Bantous. Pour être en accord avec l'esprit du livre de
TEMPELS et même celui de ce Mémoire, nous disons tout simplement
que, TEMPELS, faisant preuve d'un paternalisme naïf a parlé
à la place des Bantous. Il n'a fait que présenter sa conception
au sujet des Bantous là où il pensait décrire leurs
conceptions, leurs visions du monde, de l'existence. TEMPELS n'est qu'un
Européen qui s'est tout simplement servi des Bantous comme
prétexte pour satisfaire ses goûts exotiques et ceux de ses
frères Européens.
L'oeuvre de TEMPELS est le déclic qui a provoqué
un certain regain d'activité au sein des intellectuels Africains et
même Européens. Mais, par rapport à SOCRATE, TEMPELS
s'inscrit dans une logique de rupture. C'est dire que si SOCRATE en tant que
Grec a suscité la philosophie grecque, TEMPELS d'origine belge, ne
pouvait être à l'origine de la philosophie africaine. Plus encore,
l'oeuvre de TEMPELS, en dépit de ses apparences africaines ne s'inscrit
nullement au sein de la littérature philosophique africaine ou d'une
quelconque forme de littérature d'essence africaine que ce soit. De
l'avis de HOUNTONDJI, l'ouvrage de TEMPELS prend plutôt place au sein de
l' «ethnophilosophie» occidentale. Il en est même le
précurseur. À aucun moment, il ne pourrait s'agir d'une oeuvre de
philosophie africaine.
C'est au nom d'une telle démarcation que HOUNTONDJI
écrit : «L'africanité de notre philosophie ne
résidera pas forcément dans ses thèmes, mais avant tout
dans l'appartenance géographique de ceux qui la produisent et dans leur
mise en relation intellectuelle. Le meilleur africaniste européen reste
un Européen, même et surtout s'il invente une
«philosophie» bantu. Par contre, le philosophe africain qui pense
dans PLATON ou dans MARX et qui assume sans complexe l'héritage
théorique de la philosophie occidentale pour l'assimiler et le
dépasser, fait oeuvre authentiquement africaine.»103(*) Ce qui importe aux yeux de
HOUNTONDJI c'est moins ce dont on parle ou ce qui se dit que l'origine de celui
qui parle. On ne peut affirmer l'existence d'une philosophie africaine qu'en
faisant jouer en premier lieu la variable géographique,
c'est-à-dire ne considérer que l'appartenance de tous ceux qui
écrivent à une et unique Mère- Patrie : l'Afrique.
Celle-ci demeure la caractéristique commune à tous les
auteurs.
En effet, si l'Africain reste d'abord et avant tout,
originaire d'Afrique, et l'Européen celui qui est originaire d'Europe ou
encore l'Américain celui qui est originaire d'Amérique, il ne
saurait en être autrement pour toutes les manifestations de la culture,
la philosophie y compris. C'est dire que la première condition pour
qu'il y ait une philosophie africaine, c'est que cette philosophie puisse
provenir d'Afrique, en d'autres termes, qu'elle soit une philosophie
écrite par des Africains. Le premier critère demeure donc
l'appartenance géographique des auteurs. Voilà pourquoi, ni
TEMPELS, ni RADIN encore moins Marcel GRIAULE et les autres, ne peuvent trouver
place de par leurs oeuvres au sein du système de pensée africain.
La nouvelle orientation de la philosophie africaine implique dans un premier
moment qu'il y ait une littérature écrite par des Africains
à l'exclusion de tout autre intellectuel originaire d'un autre
continent ; ou même d'un Africain qui aurait exclusivement
reçu une formation occidentale. Tel est le cas d'Antoine Guillaume AMO,
cet intellectuel, universitaire ashanti qui étudia puis enseigna dans
des universités allemandes pendant la première moitié du
XVIIIe siècle.
La variable géographique doit certes jouer dans la
détermination de l'africanité de la philosophie, mais, il
convient d'y ajouter l'intérêt manifesté pour l'Afrique.
C'est en tout cas ce qu'il nous est donné de constater à travers
ces propos de ENOBO KOSSO : « Par «philosophes
africains», nous voulons désigner tous les penseurs du continent
africain, auteurs d'une littérature philosophique. Nous y incluons les
Noirs américains qui, comme Frantz Fanon, ont adopté la
nationalité d'un pays africain, ou qui, comme Aimé
Césaire, n'ont cessé de lutter pour la cause de l'Afrique
considérée comme leur mère-patrie.» 104(*)
Si donc, HOUNTONDJI semble circonscrire le cadre
géographique au sein duquel doit émerger la philosophie
africaine, ce qui peut intriguer plus d'un dans la définition
proposée plus haut, c'est bien ce qui
suit : « des textes écrits par des Africains et
qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes
de « philosophiques ». »105(*) Pareille assertion ne
saurait manquer de susciter une interrogation majeure : suffit-il de
qualifier ses écrits de philosophiques pour qu'ils accèdent du
coup au statut d'oeuvre philosophique ? A ce rythme-là, on
légitime l'auto - proclamation, d'autant plus que n'importe quelle
oeuvre pourra être aisément classée comme oeuvre
philosophique parce que son auteur en a voulu ainsi. Abdou TOURÉ peut
alors reprocher à Hountondji d'être «prêt à
accueillir tout auteur écrivant et se prétendant
philosophe.»106(*) Il faut tout simplement éviter une
banalisation certaine de la philosophie africaine.
Une chose est sûre : HOUNTONDJI entend tout de
même réhabiliter la philosophie africaine et lui donner une
orientation nouvelle. Mais de quoi doit-elle parler désormais ? En
clair quels doivent être les thèmes majeurs de la philosophie
africaine ?
2. THÈMES, ENJEUX,
PROBLÉMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE
a) De la nécessité d'un dialogue
entre Africains
Les intellectuels Africains ont accueilli, avec enthousiasme,
l'oeuvre de TEMPELS parce que celle-ci de par sa forme, participait à la
destruction d'un mythe : le mythe de la supériorité du Blanc
par rapport au Noir, ou tout autrement le mythe de l'infériorité
du Noir vis-à-vis du Blanc. Nous l'avons souligné plus haut, en
affirmant l'existence d'une philosophie bantoue en particulier, et d'une
philosophie africaine en général, TEMPELS réhabilitait du
coup l'homme Noir et sa culture par-delà le mépris dont ils
avaient été victimes jusqu'ici. Ce faisant, il satisfaisait
à peu de frais les idées revendicatives de l'intellectuel
Africain.
Chose remarquable, comme TEMPELS lui-même le
précisera, son oeuvre s'adresse à tous «ceux qui sont
appelés à diriger et à juger les Noirs, (...) bref, tous
ceux qui veulent civiliser, éduquer, élever les Bantous.
(...)»107(*)En
clair, l'oeuvre de TEMPELS s'adresse en priorité aux Européens.
C'est le discours d'un Européen sur l'Afrique à d'autres
Européens. Du coup, il réconcilie l'ethnologue Européen,
soucieux de découvrir les autres peuples en face desquels il continuera
à affirmer la supériorité du vieux continent, et
l'intellectuel Africain qui y voit par là l'occasion tant
rêvée pour présenter à l'Europe ce que l'Afrique a
de positif, de spécifique.
Les intellectuels Africains trouvent dans l'oeuvre de TEMPELS
un exemple à imiter, un modèle à suivre, comme le fait
remarquer HOUNTONDJI : «La philosophie bantoue a en
effet ouvert la voie à toutes les analyses ultérieures visant
à reconstruire, grâce à l'interprétation des
coutumes et des traditions, des proverbes, des institutions, bref, de diverses
données de la vie culturelle des peuples africains, une WELTANSCHAUUNG
particulière, une vision du monde spécifique, supposée
commune à tous les Africains, soustraite à l'histoire et au
changement et, par surcroît philosophique.»108(*) Soucieux de réclamer
une identité propre à l'Afrique, ces Africains ne peuvent se
comporter autrement. Par-delà la recherche de cette identité, il
s'agit de réhabiliter à tout prix l'Afrique, contrecoup d'une
négation qui s'est perpétuée tout au long des
siècles, reprise en choeur par des politiques et des intellectuels de
tout bord.
S'il est admis que la négation de la dignité et
de l'humanité du Noir est venue de l'Europe, il apparaît donc tout
à fait logique que la réhabilitation du Noir s'adresse le plus
naturellement au monde à l'Européen.
Une telle attitude n'est nullement du goût de HOUNTONDJI
pour qui : «Les philosophes africains actuels doivent
réorienter leurs discours. Ils ne doivent plus écrire seulement
à l'intention du public non africain, mais d'abord à l'adresse du
public africain. Du même coup, ils se verront obligés de renoncer
à leur ronronnement habituel sur l'ontologie luba, la
métaphysique dogon, la conception du vieillard chez les Fulbé,
etc. Ils y renonceront parce que ces thèmes n'intéressent
guère leurs compatriotes, mais destinés à l'origine
qu'à satisfaire les goûts exotiques du public occidental. Le
public africain quant à lui attend autre chose. Il attend notamment
d'être largement informé sur ce qui se passe ailleurs, sur les
problèmes qui constituent, dans les autres pays et sur les autres
continents l'actualité scientifique.»109(*) HOUNTONDJI en appelle
à une rupture d'avec le fonctionnement de la `'philosophie africaine''
traditionnelle. Avec les grandes mutations qui se sont opérées,
notamment du point de vue des rapports Blanc - Noir, il apparaît tout
à fait indiqué de renoncer à une telle entreprise
revendicative. Le Noir doit cesser de s'exhiber aux yeux du Blanc.
Le moment semble enfin venu pour une reconsidération
des thèmes majeurs qui ont meublé des siècles durant la
littérature philosophique africaine. Plutôt que de chercher
à satisfaire les goûts d'un lectorat occidental, friand
d'exotisme, le philosophe Africain doit, aux dires de HOUNTONDJI,
réorienter son discours. Laquelle réorientation doit consister en
un dialogue entre Africains. Les intellectuels Africains doivent,
désormais, discuter entre eux, organiser «un débat
autonome, qui ne soit plus un appendice lointain des débats
européens, mais qui confronte directement les philosophes africains
entre eux, créant ainsi au sein de l'Afrique un milieu humain dans
lequel et par lequel puissent être posés les problèmes
théoriques les plus ardus.»110(*)
De discours sur l'Afrique à l'intention du public
occidental, la philosophie africaine doit plutôt revêtir la forme
d'un débat entre Africains discutant de n'importe quel sujet. Ce
faisant, ils tournent le dos à l'ethnophilosophie et à ses
problématiques qui exigent une sorte d'exposition de l'Afrique et des
Africains. C'est au nom d'une telle mutation que les Africains pourront
accoucher d'une philosophie. Car, comme le souligne une fois de plus HOUNTONDJI
parlant des philosophes africains, «en réorientant ainsi leur
discours, ils surmonteront aisément la tentation permanente du
folklorisme ; la tentation de limiter leurs recherches à des sujets
prétendus africains, parce que cette tentation devrait principalement sa
force au fait que leurs écrits étaient destinés à
un public étranger. (...) On éprouve rarement le besoin,
discutant entre gens d'un même pays, d'exalter ses particularités
culturelles. Un tel besoin ne se fait sentir que lorsqu'on s'adresse à
des gens d'autres pays, parce qu'on doit alors affirmer sa propre
originalité en s'identifiant à l'image d'Epinal de sa
société et de sa civilisation d'origine.»111(*) La nécessité
d'un débat, d'une discussion entre philosophes Africains se fait sentir
par le besoin de renoncer à l'exaltation des particularités
culturelles propres à l'Afrique pour intégrer un domaine de
réflexion qui se veut universel ; car n'étant plus
collé aux seules réalités africaines.
Certes, il convient de donner une orientation nouvelle
à la philosophie africaine. Mais faut-il pour autant la concevoir sous
l'angle d'un débat entre Africains seuls? A l'heure de la mondialisation
et de l'interpénétration des cultures, où le monde de plus
en plus donne l'image d'un village planétaire, peut-on se contenter d'un
dialogue entre gens d'un même pays ou d'un même continent ?
Concevoir la philosophie africaine comme un débat entre Africains, c'est
non seulement se renfermer sur soi, mais aussi continuer à donner
à la philosophie africaine l'image d'un mode de pensée
spécifique. Ne faudrait-il pas rappeler ici ces propos de Aimé
CÉSAIRE : « j'admets que mettre les civilisations
différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que
marier des mondes différents est excellent ; qu'une civilisation,
quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même,
s'étiole ; que l'échange ici est
l'oxygène,... »112(*) ? La civilisation africaine ne voudra
certainement pas prendre le risque de sombrer dans l'anonymat le plus absolu
parce qu'elle aura perdu sa vitalité. C'est pourquoi la philosophie
africaine se doit de s'ouvrir à l'universel.
b) De la nécessité d'une ouverture
à l'universel : la philosophie et la science
Roger GARAUDY, après avoir décrypté
«le message des livres sacrés» de l'Égypte, de la Chine
et de l'Inde anciennes ; à l'exception de ceux du monde
occidental ; peut constater ce qui suit : «Le survol rapide
des sagesses de tous les mondes, à l'exception du monde occidental, peut
nous permettre de situer à sa juste place, à son échelle
véritable, la « philosophie occidentale» et la
«philosophie contemporaine» que l'occident a imposé à
la planète toute entière.
Tous les problèmes fondamentaux de la
réalité dernière du monde, de son sens, de notre action
possible sur elle, étaient déjà posés, et
même résolus (même si c'était parfois par les
symboles du mythe) dans le monde entier : problèmes de l'être
et du néant, du sujet et de l'objet (du «moi» et du monde),
problèmes des rapports entre les concepts, les mots, et les choses,
problèmes de la structure, de l'existence, et de l'histoire dans
l'unité du réel, problèmes de la dimension transcendante
de l'homme, de son rôle actif dans la création, problèmes
de la connaissance, des arts, des lois, de l'agir, et de leur
valeur.(...)
A la veille de la naissance de la philosophie occidentale
avec SOCRATE, l'humanité a connu la plus merveilleuse floraison de
l'esprit, au VIe siècle avant notre ère. (...)
De toutes ces illuminations qui ont traversé les
millénaires, l'humanité vit encore.»113(*)
Il ressort de cette analyse que les civilisations
antérieures à l'avènement de la civilisation occidentale
n'étaient pas une table rase en matière de connaissance, surtout
philosophique. Plus encore, ce que ces civilisations ont produit en
matière d'activité de l'esprit, n'a point disparu à la
naissance de la philosophie occidentale. Celle-ci s'est au contraire nourrie
des enseignements existants ; qu'ils proviennent de l'Afrique, de l'Inde
ou même de la Chine. Tout le mérite de la pensée grecque
est de s'être appropriée toutes ces pensées
antérieures. On peut le dire : la philosophie occidentale n'a en
réalité rien inventé. Elle a trouvé devant elle une
merveilleuse floraison de l'esprit, sur la base de laquelle elle s'est
édifiée, non sans avoir opéré quelques
modifications et quelques ruptures, préalables à tout
développement philosophique.
Ceci nous permet de comprendre qu'en matière de
philosophie, la règle d'or est la reprise en main de thèmes
existants non sans les avoir soumis à une critique préalable.
Dans une telle optique, la philosophie africaine naissante se doit de
fonctionner suivant ce modèle. Et selon HOUNTONDJI :
«L'Europe n'est aujourd'hui ce qu'elle est que pour avoir
assumé puis transformé l'héritage culturel d'autres
peuples, au premier rang desquels un peuple de notre continent : l'Egypte
antique. Rien ne doit nous empêcher aujourd'hui d'accomplir le chemin
inverse.»114(*) Un tel constat formulé par HOUNTONDJI permet
de souligner que la civilisation européenne ne s'est pas
constituée ex-nihilo, telle serait par ricochet la situation de la
philosophie occidentale.
L'Occident n'aurait point réussi à
s'édifier une culture digne de ce nom s'il avait voulu se
particulariser, en considérant sous le mode de l'indifférence les
traits de culture des peuples antérieurs. C'est au contraire, pour avoir
considéré ces différentes cultures comme des modes
particuliers de la manifestation de l'universel que la culture occidentale,
dans un mouvement de libre retour à cet universel-là a pu assurer
son rayonnement. C'est d'ailleurs dans ce retour à l'universel que
réside la reconquête de sa nature propre. Abondant dans ce sens,
le professeur DIBI Kouadio Augustin a pu écrire : «En
dissolvant l'extériorité solidifiée des cultures, la
souplesse de l'universel ne leur impose aucune violence. Au contraire, ce sont
ces cultures elles-mêmes qui retournent à l'intérieur dont
elles sont sorties, d'où elles ont flué, afin de mériter
leur propre nature, d'être adéquates à leur destin. En un
tel mouvement, elles ne font que se joindre elles-mêmes, aller à
leur terre natale.»115(*)
Le retour à l'universel qui consiste en une symbiose
des cultures, loin d'appauvrir chacune d'elles, est au contraire un signe de
richesse. Instance de ressourcement, ce mouvement permet à chaque
culture d'être auprès de soi, dans sa virginité originelle.
C'est très tôt ce qu'aura compris la culture occidentale qui s'est
laissée aller au vent de sa pénétration par les cultures
égyptienne, indienne ou chinoise. Toujours est-il que
la philosophie occidentale prend à partir de cet
instant, la forme d'une manière de penser, contrairement à la
manière de vivre qu'enseignaient les traditions antérieures.
Véritable sécession de l'Occident qui prend appui sur un
mouvement de double rupture : rupture entre la Nature, l'Homme et Dieu et
rupture entre la philosophie et la vie. Seulement qu'on continue de vouer sa
fidélité aux matériaux de pensée
préexistants, aux thèmes majeurs qu'avaient formulés les
sagesses des autres mondes.
Ce cheminement de la philosophie occidentale nous met en face
d'un enseignement essentiel : la philosophie africaine, à l'instar
de la philosophie occidentale ne peut s'assurer une place au soleil de la
pensée qu'en faisant sienne la riche tradition philosophique produite
avant elle. HOUNTONDJI souligne ce fait : «ce n'est pas en
contournant la tradition philosophique existante que nous
élaborerons une philosophie africaine authentique, une philosophie qui
soit vraiment une philosophie, et qui soit, aussi, vraiment africaine (c'est en
ce sens, bien entendu, que j'emploie ici le qualificatif `'authentique''). Ce
n'est pas en contournant et encore moins en ignorant l'héritage
philosophique international que nous philosopherons vraiment, c'est au
contraire en l'assimilant pour mieux le dépasser.»116(*)
HOUNTONDJI en appelle à une construction de la
philosophie africaine sur le modèle de la philosophie occidentale.
L'Afrique n'a pas à réinventer la philosophie en ce qui concerne
ses thèmes et ses problématiques. Au contraire, il appartient au
philosophe africain d'intégrer la riche tradition existante afin de
chercher par un incessant mouvement de critique et de remise en cause, à
la dépasser. Inventer à la philosophie africaine ses
thèmes et concepts propres, ce serait la particulariser et l'enfermer
dans un dogmatisme naïf qui ferait croire à l'existence de
l'absolu. Or, justement parce que cet absolu n'existe pas, la philosophie
africaine doit plutôt soumettre à l'épreuve de la critique
ce qui, jusque-là, a constitué l'essentiel de la philosophie
occidentale. Mais pour critiquer, il faut au préalable comprendre ;
ce qui implique une sorte d'appropriation par la suite. Cette appropriation
concerne aussi bien la conceptualité propre au discours philosophique
que la technicité propre à ce langage-là. Comme l'a fait
la philosophie occidentale, il appartient à la philosophie africaine
d'assimiler tout ce qu'elle trouve devant elle en matière de philosophie
afin d'opérer là où le besoin se fait sentir, des
ruptures, des révolutions.
Construire la philosophie africaine sur le modèle de la
philosophie occidentale, voilà une conception qui n'est pas faite pour
plaire à un certain nombre d'intellectuels Africains. La position de
HOUNTONDJI suscite une véritable levée de boucliers de la part de
ces intellectuels-là. HOUNTONDJI lui-même fait état d'une
révélation de la part de Ibrahima Baba Kaké. Celui-ci
rapporte que dans le cadre d'un entretien avec Alexis KAGAMÉ pour son
émission radiophonique « Mémoires d'un
continent », il lui aurait demandé ce qu'il pensait de la
critique de HOUNTONDJI. Le prêtre aurait alors lâché :
« Hountondji ? Mais... c'est un
blanc !»117(*) C'est connu, taxer le Noir de Blanc, c'est mettre en
exergue son occidentalisation volontaire, à travers la distance qu'il
crée entre ses frères de couleur et lui. On soupçonne de
ce fait HOUNTONDJI de se renier tout comme ses attaches culturelles et de
vouloir imiter à tout prix le Blanc.
Pour ÉBOUSSI BOULAGA, vouloir s'identifier par voie
d'imitation aux philosophes occidentaux et adopter leur rationalité, ce
n'est ni plus ni moins que reconnaître le monopole occidental en
matière de philosophie : « D'emblée donc, la
philosophie se présente comme une image idéale, à laquelle
il y a à se conformer. La «civilisation», le degré de
civilisation auquel l'Europe est parvenu, qui comprend la philosophie ou, pour
certains, dont la philosophie est la quintessence, est pareille à une
seconde nature, une totalité de lois, de règles, de
modèles ou de structures, de processus ou procédures,
d'institutions qui la constituent en un vaste programme codé, ou une
immense combinatoire, ou une énorme machine aux fonctions et aux
possibilités multiples : c'est la rationalité en acte, elle
existe. Il suffit d'en comprendre le mécanisme, le fonctionnement, de
tirer parti de ses possibilités, de ses objectifs et de ses
finalités. (...). Un discours qui propose un idéal
déjà constitué en lui-même, ne peut inviter
qu'à s'y conformer, en supprimant ce qui n'est pas en lui, en
s'arrachant de la sphère de la dissimilitude. Il s'ensuit un
dédoublement qui se répète : il y a l'idéal et
son autre, il y a l'idéal et sa reproduction, son imitation qui est un
monde intermédiaire. C'est à partir de cet étagement que
l'on comprend mieux les protreptiques philosophiques, caractéristiques
de ce moment. Elles prônent ouvertement la renonciation au désir
d'être soi, l'abolition du souvenir de l'expérience historique
propre, celle du traditionnel ; ils appartiennent à un âge
révolu, le négatif de l'idéal, disqualifiés par
lui, qui a mis à nu leurs contradictions internes et leur inconsistance.
L'exhortation est pressante : si l'on veut survivre, il faut
«vraiment philosopher»»118(*) L'imitation de la philosophie occidentale est ici
perçue comme une négation de son originalité culturelle
propre et par voie de conséquence, la reconnaissance du monopole de
l'Occident. On pourrait alors se demander : est-il nécessaire aux
philosophes africains de se conformer à la rationalité
occidentale ?
La critique relève clairement que vouloir bâtir
la philosophie africaine sur le modèle la philosophie occidentale, c'est
tout simplement demander à l'Africain de donner la preuve de sa parfaite
maîtrise de la philosophie occidentale. Le professeur NIAMKEY Koffi
relève à ce sujet : « Pour Towa et Hountondji
on ne saurait parler de philosophie africaine ou de philosophie tout court que
dans la mesure où le penseur africain s'assoiera, en tant
qu'agrégé par le conclave philosophique à la table
occidentale du banquet socratique. Et cette agrégation ne sera
effective, possible, qu'en fonction du degré de consommation du savoir
philosophique constitué par la société occidentale de
philosophie.» 119(*) C'est la remise en cause d'une certaine vision
élitiste de la philosophie africaine dont HOUNTONDJI, aux yeux des
critiques, apparaît comme l'un des principaux tenants.
Revenons tout de même à HOUNTONDJI pour dire
que ce n'est point en se refermant sur eux que les
philosophes Africains mettront au jour une authentique philosophie africaine.
Le vrai problème ici, c'est moins de parler de l'Afrique, que de
discuter entre Africains au sujet des thèmes les plus divers qui ont
constitué l'essentiel de la philosophie occidentale depuis
l'antiquité grecque jusqu'à l'époque contemporaine. En
tant que discours des Africains adressé à leurs compatriotes
Africains et non plus aux Européens, la philosophie africaine n'en a que
faire des thèmes à coloration exotique ou exhibitionniste , mais
doit plutôt s'atteler à informer adéquatement l'Africain
sur ce qui se passe et s'est passé ailleurs, c'est-à-dire en
Occident. Appelée à vivre au voisinage des autres
cultures, la culture africaine doit nécessairement s'ouvrir à
l'instance de l'universel, dont la culture occidentale en constitue le
baromètre. Voilà pourquoi un des moments essentiels de cette
culture, LA SCIENCE, doit constituer aux dires de Paulin HOUNTONDJI, un des
thèmes prisés de la philosophie africaine
La science constitue à n'en point douter le pivot des
temps modernes. L'acquisition de la science implique de nos jours la puissance
matérielle tant recherchée par les hommes. En tant que
connaissance des lois qui gouvernent l'univers, la science, à tout point
de vue, semble détenir le secret de l'univers, ce qui autorise du coup
l'efficacité dans l'action. C'est la raison pour laquelle, consciente de
la nécessité de la science, la philosophie, depuis ses
premières heures n'a cessé de faire la part belle aux questions
d'ordre scientifique. Cette relation entre la philosophie et la science reste
assez perceptible à travers les investigations des premiers philosophes,
jusqu'à une époque assez récente.
L'histoire de la pensée se souviendra toujours des
grands noms comme THALÈS et ANAXIMANDRE de Milet, XÉNOPHANE de
Colophon, au nord de Milet, (dont les disciples : PARMÉNIDE et
ZÉNON, essaimeront à Elée en Sicile, non loin
d'EMPÉDOCLE d'Agrigente), ANAXAGORE de Clazomènes près de
Smyrne et HÉRACLITE d'Éphèse toujours en Asie, au nord de
Milet qui tous vivent enclavés dans une satrapie de l'Empire Perse,
c'est-à-dire au carrefour des grandes sagesses de l'Asie. À la
réflexion sur l'homme, ils associent étroitement l'étude
vivante de la nature. C'est à juste titre qu'on les reconnaîtra
sous le nom de «physiologues» ou «physiciens» (selon
ARISTOTE) de l'École de Milet. Chez eux, réflexion philosophique
et préoccupation d'ordre scientifique restent étroitement
liées, sans pour autant ruiner l'assise même de la philosophie.
Nous sommes entre les VII et VI siècles avant notre ère.
On peut également constater que la connaissance
scientifique constitue aux yeux de PLATON la propédeutique à la
véritable réflexion philosophique. N'est-ce pas là le sens
de cette inscription gravée au fronton de L'ACADÉMIE
(École philosophique de PLATON) : «QUE NUL N'ENTRE ICI S'IL
N'EST GÉOMÈTRE»? De ce point de vue, la science n'a jamais
revendiqué une quelconque autonomie vis-à-vis de la
philosophie.
Mais, soucieuse d'un mieux-être d'une humanité
fière de ses acquis, à la recherche d'une suprématie
vis-à-vis de la nature, une nouvelle philosophie voit le jour, posant la
science, non plus comme l'alliée de la philosophie, mais
désormais comme le baromètre de la puissance de l'homme,
c'est-à-dire l'expression même de son humanité. Roger
GARAUDY nous présente ce schéma : «De
GALILÉE à DESCARTES, et des philosophes français du XVIIe
siècle aux grandes découvertes du XIXe, la science a
été de plus en plus considérée comme la seule
connaissance possible et comme donnant à l'homme, avec la
toute-puissance à l'égard de la nature, le sens de son existence.
La croyance au progrès indéfini de l'humanité,
fondée sur un accroissement continu des connaissances scientifiques,
était devenue une sorte de dogme incontesté.»120(*)
La science, désormais, est pensée, non pas en
termes de connaissance spéculative, au même titre que la
philosophie, mais dans le sens d'une connaissance utilitaire sur laquelle
prennent assise le développement et l'affirmation de l'humanité.
On assiste de ce fait à l'avènement d'un scientisme triomphant.
Pareille appréhension de la science fait éclater
les cadres traditionnels de la philosophie, jugée vaine et
spéculative. Au nom d'un tel jugement, ou bien on préconise
l'élimination de la philosophie, ou bien on exige qu'elle se mette au
service de la science, comme dans le positivisme d'Auguste COMTE. De telles
préoccupations donnent le jour à une nouvelle race de philosophes
que NIETZSCHE décrit en ces termes : «Ce sont tous des
vaincus qui ont été ramenés sous la loi de la science, des
hommes qui, un jour ou l'autre, ont attendu davantage d'eux- mêmes,sans
avoir aucun droit à ce davantage ni à la responsabilité
qu'il implique, et qui maintenant, en toute honnêteté, pleins de
rage secrète et de ressentiment, ne croient plus à la mission
souveraine ni à la primauté de la philosophie et incarnent cette
incrédulité dans leurs paroles et dans leurs
actes.»121(*)
Sans pour autant rejeter le constat de NIETZSCHE, on ne peut
toutefois ignorer la légitimité de l'attitude de ces
penseurs-là, ces `'déçus'' de la philosophie. À
leur décharge, nous pouvons mentionner que l'heure n'est plus aux
méditations, à la spéculation vaine et stérile,
plutôt à l'action.
Pour qui constate l'évolution de notre monde moderne,
nul besoin d'insister sur le fossé qui s'est aujourd'hui creusé
entre investigation scientifique et discours philosophique. Mais pareil
écart peut-il paraître légitime? La science peut-elle
être maîtresse d'elle-même? A-t-elle valablement
répondu aux attentes de l'homme? Malheureusement, selon Roger
GARAUDY : «L'extraordinaire révolution scientifique et
technologique du XXe siècle posait d'abord des problèmes moraux
inédits : les pouvoirs désormais détenus par l'homme
ont au cours du siècle, rendu possible ce que trois millions
d'années de l'époque humaine n'avaient jamais laissé
entrevoir : l'éventualité d'une destruction totale de la
vie, de la nature et de l'homme.»122(*)
L'homme a voulu s'émanciper au travers de la science,
prenant ainsi ses distances vis-à-vis de Dieu. Mais pareille
émancipation, à l'heure du bilan, a apporté plus de maux
que de bienfaits à l'homme. Nous nous trouvons en face d'une
humanité malade de la science qui, trop sûre de ses succès,
a occulté la dimension morale de l'existence humaine. Le constat est, on
ne peut plus clair désormais. La science a fait la preuve de ses limites
sans pour autant perdre son caractère essentiel : la marque de la
puissance humaine. En fin de compte, on s'accorde à dire qu'il faut
à la science un «supplément d'âme», selon le mot
de BERGSON. Dès lors, il apparaît tout à fait
indiqué de reconsidérer les liens entre la science et la
philosophie.
Le désir d'acquisition des connaissances scientifiques
ne doit nullement dispenser l'homme de s'adonner à la réflexion
philosophique, source utilitaire de SAGESSE. La philosophie, de ce fait, ne
saurait rester dans l'antichambre des préoccupations scientifiques.
Originairement, la philosophie se retrouve liée à la
science ; elle lui est liée de façon organique. On peut s'en
convaincre à travers ces propos de Louis ALTHUSSER : «La
philosophie n'a toujours pas existé ; on observe l'existence de la
philosophie que dans un monde qui compte ce qu'on appelle la science ou des
sciences. Science au sens strict : discipline théorique,
c'est-à-dire idéelle et démonstrative et non
agrégat de résultats empiriques. [...]
[...]Pour que la philosophie naisse ou renaisse, il faut
que des sciences soient. C'est peut-être pourquoi la philosophie au sens
strict n'a commencé qu'avec PLATON, provoquée à
naître par l'existence de la mathématique grecque ; a
été bouleversée par DESCARTES, provoquée à
sa révolution moderne par la physique galiléenne ; a
été refondue par KANT, sous l'effet de la découverte
newtonienne ; a été remodelée par HUSSERL, sous
l'aiguillon des premières axiomatiques, etc.»123(*) En clair, selon ALTHUSSER
les grandes révolutions philosophiques font toujours suite à des
révolutions scientifiques. Dans sa genèse comme dans son
évolution, la philosophie reste liée à la connaissance et
au développement des sciences.
On peut ajouter à la suite d'ALTHUSSER, que la
philosophie n'a pas de développement autonome ; elle ne prend son
envol qu'après la science. Ce qui laisse penser d'une manière ou
d'une autre que la science doit nécessairement faire appel à la
philosophie. Il apparaît donc évident que même si la science
demeure le principe de la puissance, sa relation avec la philosophie doit
toujours être maintenue. En reprenant de ce fait la pensée
d'ALTHUSSER, nous pouvons annoncer qu'on ne peut parler de philosophie que
là où déjà l'on parle de science. Ce qui suppose
tout naturellement qu'on ne peut affirmer l'existence d'une philosophie
africaine que là où on aura probablement posé l'existence
d'une science africaine. C'est pourquoi selon HOUNTONDJI :
«Plutôt que de revendiquer à cor et à cri
l'existence d'une «philosophie» africaine qui nous dispenserait pour
toujours de philosopher, nous serions donc mieux inspirés de nous
employer patiemment, méthodiquement, à promouvoir ce qu'on
pourrait appeler une science africaine : une recherche scientifique
africaine. Ce n'est pas de la philosophie, c'est d'abord de la science que
l'Afrique a besoin.»124(*) Sans révolution scientifique, la philosophie
ne peut nullement émerger. D'un autre point de vue, l'Afrique a elle
aussi besoin d'une assise matérielle. Car, selon le point de vue de
TOWA, l'Afrique ne peut se libérer de la domination européenne
qu'à condition d'adopter une attitude d'ouverture à
l'égard de cette civilisation-là afin de chercher à y
maîtriser non seulement la philosophie, mais aussi et surtout la
science , source ultime de puissance.
HOUNTONDJI reconnaît à son tour que la science
est non seulement un inéluctable moyen de puissance mais aussi et
surtout l'enjeu majeur des réflexions philosophiques en Afrique, comme
il le souligne lui-même : «le problème n°1 de
la philosophie dans l'Afrique actuelle, c'est donc de savoir comment elle peut
aider au développement de la science. Problème immense : il
faudrait, pour le résoudre interroger à la fois l'histoire des
sciences et l'histoire de la philosophie, définir leurs rapports
réels et possibles, méditer les liens qu'elles ont entretenus
entre elles hier et ceux qu'elles pourraient entretenir aujourd'hui.
(...)
La position ici défendue n'est ni scientiste, ni
positiviste. Elle a pour effet, au contraire tout en arrachant le philosophe
à ses fantasmes oniriques, de ruiner le positivisme naïf de
certains demi - savants trop enclins à ne considérer que les
résultats de leur science, et à oublier les tâtonnements,
le long et sinueux cheminement qui y ont conduit.»125(*)
HOUNTONDJI en appelle à une prise de conscience, aussi
bien chez les philosophes que chez les savants. En assignant à la
philosophie africaine la mission de réfléchir sur la science et
de contribuer à son développement, il entend réveiller de
leur sommeil dogmatique, philosophes et savants. La philosophie africaine,
selon HOUNTONDJI ne doit pas être une activité vidée de
tout contenu matériel et palpable. Elle ne doit plus se contenter de
perdre le public dans les nuées, tournant le dos aux
préoccupations matérielles des hommes ici-bas.
À la philosophie traditionnelle, occupée
à rechercher le savoir, HOUNTONDJI demande de substituer une philosophie
qui reflète en son sein l'image de la société
contemporaine, une société traversée de part en part des
préoccupations d'ordre scientifique.
HOUNTONDJI préconise de ce fait une philosophie, une
recherche théorique articulée sur la science car
estime-t-il : «Elle nos laisse loin des problèmes
métaphysiques de l'origine du monde, du sens de la vie, du pourquoi de
la mort, du destin de l'homme, de la réalité de l'au-delà,
de l'existence de Dieu, et tous autres problèmes insolubles qui
relèvent, au fond, de la mythologie et auxquels se complaît
habituellement la rumination philosophique.»126(*) Le souci de HOUNTONDJI est
d'éviter à la philosophie africaine de s'embourber dans la
spéculation vaine, sans contenu consistant. Tout ce à quoi s'est
attelée la philosophie depuis ses débuts n'est que bavardage
inutile, teinté d'un mysticisme camouflé, destiné à
vaincre sans convaincre son auditoire. Non seulement, la philosophie doit
réfléchir sur les entités concrètes à
travers la science, mais en le faisant, elle ne fait qu'épouser
l'ère du temps. Ainsi, «en Afrique aujourd'hui, la
tâche de la philosophie ne saurait consister à aller chercher dans
le passé des visions du monde qui ont cessé de vivre. Le
philosophe qui tient office de conservateur de musée est un
pseudo-philosophe, inutile à la société. Car la
philosophie par essence est un acte réflexif par lequel on prend ses
distances, on se détache des déterminations singulières et
engluantes pour créer perpétuellement du nouveau. L'interrogation
philosophique angoissée est une interrogation qui doit viser à
ouvrir des voies nouvelles.»127(*) Si l'Afrique a à coeur de s'éloigner
de cette pseudo-philosophie dont parle Ébénézer
NJOH-MOUELLE, elle devra absolument emprunter une destination nouvelle sinon,
avoir un contenu nouveau. Il convient de se détacher des visions du
monde africain traditionnel.
La science, nous l'avons souligné plus haut, est le
symbole de la puissance. Articuler une recherche théorique sur la
science, n'est-ce pas se rendre complice de ce désir de domination qui
anime la science ? Pour le professeur NIAMKEY
Koffi : «La philosophie comme science est une imposture
(...). La distinction Modernité- Tradition (...)
Philosophie-Vision du monde, Science - Non-science (...) cache et manifeste
à la fois une lutte sourde pour le pouvoir, une lutte de domination de
la « Science » sur la
« pseudo-science », une lutte de la Philosophie contre la
vision du monde. Cette lutte est, en dernière instance, l'expression de
la volonté des porteurs de faux savoirs pour s'en
approprier. »128(*) La prétention à la
scientificité est soupçonnée d'être une ruse pour la
quête du pouvoir. De ce fait, elle ne saurait être innocente.
Toutefois, pouvons-nous le remarquer, le besoin d'une
réflexion sur la science est plus qu'urgent. S'il est vrai que la
science progresse, il n'en demeure pas moins qu'elle ignore tout de son
fonctionnement global. L'homme de science qui n'a en vue que ses
résultats ne se soucie nullement de mener une réflexion
théorique et critique sur la science et sa marche d'ensemble. C'est
pourquoi en Afrique, la priorité doit être faite aux disciplines
en mesure de favoriser l'essor de la pensée scientifique : logique,
histoire des sciences, épistémologie, histoire des techniques.
En somme, le philosophe Africain, au parfum de l'histoire de
sa discipline ne doit avoir pour tâche que de contribuer au
développement de la science, s'interrogeant à la fois sur la
valeur, l'étendue et les limites de la science, toute chose dont
l'importance échappe au savant, qui d'ailleurs n'en a pas l'aptitude ou
feint de ne pas l'avoir. La philosophie africaine doit donc s'occuper à
participer au mieux-être de l'Africain à travers sa relation avec
la science africaine. Ce faisant, le philosophe Africain peut ou doit se
présenter comme la conscience du savant Africain. On le sait, faute de
n'avoir pu bénéficier d'une telle conscience, la science, dans
ses développements en Occident a fini par se retourner contre
l'Humanité elle-même. Voulant faire de l'homme un dieu, la science
a fini par le transformer en démon d'autant plus que l'individu
n'étant plus en mesure de contrôler ses propres inventions, a tout
simplement porté le manteau de bourreau pour l'Humanité. On ne
peut, par exemple, s'empêcher de rappeler les effets de la bombe atomique
sur les deux villes japonaises d'HIROSHIMA et de NAGASAKI en Août 1945
lors de la deuxième Guerre Mondiale. Au vu d'une telle situation, le
philosophe Africain, en s'assignant pour mission de réfléchir sur
la science africaine ne fait que prévenir une réelle catastrophe
qui risquerait de s'abattre sur le continent africain. En agissant de la sorte,
le philosophe Africain redonne à la philosophie ses attributs
réels, à savoir se poser comme la conscience critique de
l'Humanité, et de la Science.
CONCLUSION
Notre tâche, tout au long de ce mémoire, a
consisté à éclairer la conception de Paulin HOUNTONDJI sur
la philosophie africaine, non sans avoir procédé à son
évaluation critique à la lumière d'autres conceptions. Il
fait d'emblée le constat de l'existence d'oeuvres philosophiques
africaines. Mais en prononçant un tel verdict, HOUNTONDJI n'entend
nullement se complaire dans un enthousiasme débordant, il n'entend
nullement s'inscrire comme les ethnophilosophes Africains dans cette ligne
revendicative qui consiste à exhumer à cor et à cri
l'existence d'une authentique pensée africaine, originale, unique en son
genre. C'est justement un tel état d'esprit que HOUNTONDJI a voulu
combattre tout au long de son oeuvre. On pourrait aisément s'en
apercevoir à travers le sous-titre du livre `'critique de
l'ethnophilosophie''. En clair, en professant l'existence d'une philosophie
africaine, HOUNTONDJI entend ruiner à jamais la fausse conception de la
philosophie qui a prévalu en Afrique, depuis l'apparition du livre du
Révérend Père Placide TEMPELS, dont la première
traduction date de 1945, c'est-à-dire dès la fin de la seconde
Guerre Mondiale. En effet, le Père franciscain, avec sa Philosophie
bantoue, a ouvert la voie à un certain nombre d'écrits sur
l'Afrique, aussi bien du côté des intellectuels Européens
que des intellectuels Africains.
Il fut un temps - ou même des temps - où l'Europe
se positionna comme le centre du monde. La civilisation Européenne, par
excellence, devint la meilleure d'entre toutes. Tous ceux qui se trouvaient en
dehors des frontières européennes étaient purement et
simplement exclus du champ de l'humanité. Barbares, primitifs, sauvages,
voilà ce qu'ils étaient. Une telle conception du monde, à
partir de l'Europe trouva assise dans une sorte d'unanimité,
avouée ou non, entre tous les intellectuels et hommes politiques
Européens.
Pourtant, la tendance ne tarda pas à se renverser.
Comme le souligne HOUNTONDJI : «La même Europe qui a
produit TYLOR et LÉVY-BRUHL a aussi produit LEVI-STRAUSS. La même
Europe qui a produit le comte de Gobineau a également produit Jean-Paul
SARTRE. La même Europe qui a produit HITLER avait auparavant produit
LÉNINE. Signe que la culture européenne est elle-même
pluraliste, traversée par les tendances et les courants les plus divers.
Signe que lorsque nous parlons de «la» civilisation occidentale au
singulier nous ne savons peut-être pas bien de quoi nous parlons. Nous
supposons peut-être à tort une identité de sens entre des
courants opposés et inconciliables.»129(*) Ce que nous avons à
retenir de ce constat de HOUNTONDJI, c'est la mise en exergue des
contradictions internes qui ont traversé de part en part l'Europe,
contradictions symbolisées par la lutte entre l'ethnologie
impériale et l'ethnocentrisme occidental (LÉVI -BRUHL, TYLOR,
MORGAN) d'un côté, et l'anthropologie occidentale, appuyée
par les intellectuels, de l'autre.
TEMPELS, en affirmant l'existence d'une philosophie bantoue en
particulier et africaine en général, laissait du coup entrevoir
l'idée de l'existence de cultures autres que celle de l'Europe. Ce en
quoi se retrouvent très bien d'ailleurs les ethnologues d'un type
nouveau, qui, animés d'une sorte de zèle apostolique,
revendiquent une culture pour l'Afrique. Ce qui n'est pas fait pour
déplaire aux intellectuels Africains qui voyaient là une chance
de salut pour l'Afrique et les Africains. Ils pourront de ce fait affirmer,
sans être confrontés à une quelconque contradiction, que
l'Africain existe au même titre que l'Européen ; plus encore,
il existe d'une façon originale et singulière.
À tout point de vue, nous nous rendons compte que
l'Afrique cesse une fois au moins d'apparaître sous la plume de
l'ethnologue «progressiste» et du «nationaliste» du
Tiers-monde comme cette terre maudite, cet enfer, ce monde barbare où la
raison, en dépit de quelques tentatives, n'est pas encore parvenue
à la pleine jouissance d'elle-même.
Ceci est un fait, on ne le saurait le nier. Mais ce que
HOUNTONDJI déplore, c'est l'affirmation au nom d'une telle idée,
de l'inexistence d'une philosophie africaine au même titre que la
philosophie occidentale. En Europe, le sujet pris individuellement peut
être philosophe à la condition de satisfaire aux exigences propres
à cette discipline. En Afrique, on appréhende sous le nom de
`'philosophe'' l'adhésion à un système de croyances, clos,
achevé. Tout se passe comme si chez l'Africain, il n' y avait aucune
possibilité de rentrer en colloque avec soi-même : rechercher
un refuge chez soi et déterminer d'après soi. L'Africain ignore
donc tout d'une existence solitaire et de ce que cela implique comme
activité de pensée singulière et originale. C'est contre
cette vision de l'Africain, tout entier absorbé dans le groupe que
s'insurge HOUNTONDJI. Alors que les ethnophilosophes Africains ont vu en la
philosophie africaine une simple adhésion à un système de
croyances solidement établi, HOUNTONDJI estime, au contraire, que la
philosophie africaine est d'abord et avant tout une affaire personnelle de
l'Africain, pris individuellement comme sujet. L'ethnophilosophie a, à
tort, méconnu l'existence d'une pensée, qui ne soit pas celle du
groupe, mais celle du sujet lui-même. Non seulement elle l'a
méconnue, mais elle l'a jugée impensable. Ainsi, malgré
les tentatives d'un Marcel GRIAULE qui s'est efforcé de transcrire les
paroles d'un homme, en l'occurrence un sage dogon, OGOTEMMÊLI,
l'ethnologue français, dans sa préface prend plaisir à
nier que cette pensée appartint en propre à OGOTEMMÊLI. Il
fait du sage dogon le simple gardien de la tradition ancestrale, le
répétiteur servile de la sagesse du groupe, au lieu d'être
un penseur original. Ceci laisse voir qu'il ne saurait exister dans une
société non occidentale une pluralité d'opinions. À
ce titre, toute pensée ici n'est que simple actualisation d'une
pensée collective diffuse, niant du coup la possibilité de
l'individu et de l'individualité comme tels dans une
société non occidentale. Du revers de la main, HOUNTODJI balaie
de telles conceptions. Il entend de ce fait responsabiliser l'Africain, sujet
d'une authentique philosophie africaine. En plus, plutôt que de
s'accorder à exalter par-delà le temps et les
générations, les valeurs africaines, HOUNTONDJI estime au
contraire qu'il faut accorder une place de choix à la réflexion
sur la science africaine. On peut le dire : l'Africain doit prendre ses
responsabilités désormais. C'est à lui qu'il appartient de
prendre en main le devenir de l'Afrique. Au-delà du simple cadre de la
philosophie, l'intellectuel Africain voit sa responsabilité
engagée dans le sens du développement du continent Africain. Le
philosophe Africain, précise-t-il, ne peut être issu d'un
continent autre que l'Afrique. Le philosophe Africain est donc d'abord et avant
tout un Africain issu de la culture proprement africaine.
On a vite fait sur le continent Africain de faire la course
à l'avoir, au gain matériel au détriment d'une
sérieuse reconversion des mentalités. C'est dire que le
véritable problème aujourd'hui sur notre continent, ce n'est ni
la richesse matérielle ni la puissance militaire, ni quelque artifice
inventé par les humains en vue d'apaiser leur soif insatiable de
l'avoir, mais le véritable problème, disons-nous,
c'est-à-dire la préoccupation majeure chez l'africain c'est son
ouverture à la sphère du penser. Nous n'entendons pas
par-là que l'Africain jusqu'ici n'a jamais pensé. Ce serait
refuser de reconnaître le mérite d'une certaine élite qui
n'a de cesse de se singulariser, de se particulariser grâce à un
exercice vigilant de la raison au service de l'Afrique et des Africains. Mais,
malheureusement, l'Afrique, dans sa majorité, méconnaît
cette élite-là. Bien plus, ces hommes et ces femmes qui osent
s'affirmer de par leur grande ouverture d'esprit, apparaissent aux yeux de la
foule comme des renégats, des gens occupés à ne rien
faire. Plutôt que la pensée créatrice, on recherche une
puissance matérielle exagérée ; plutôt que la
raison vigilante, on recherche la force brute et sauvage. Ce qui triomphe
aujourd'hui sur notre continent, c'est l'usage fait de cette force aveugle qui
vous étrangle, qui coupe le souffle, rendant impossible un
hypothétique appel au secours. Longtemps, on a voulu parler au nom de
cette masse opprimée d'hommes et femmes. On a de ce fait prétendu
qu'en Afrique l'une des vertus cardinales était l'unanimité entre
les membres de chaque communauté. Au nom d'une telle unanimité,
on s'est accordé à refuser la parole à ces milliers
d'hommes et de femmes qui, pourtant, avaient quelque chose à dire, au
grand bonheur de l'Afrique. Pourtant, le résultat aujourd'hui est
là : pour n'avoir pas pris le soin très tôt
d'écouter tous les avis, l'Afrique apparaît plus que jamais
divisée, livrée à elle-même. Que faire? Pour
HOUNTONDJI : «ce n'est pas par la matraque que nous
réaliserons l'unité de pensée au sein des peuples. C'est
au contraire en reconnaissant à tous et à chacun le droit
à la parole, le droit à l'erreur et à la
critique.»130(*)
Pour qui se soucie aujourd'hui du devenir de l'Afrique et des
Africains, un tel appel mérite d'être pris au sérieux. Pour
une fois, les politiques Africains doivent s'évertuer à
comprendre qu'ils ne pourront aisément sauver l'Afrique du naufrage
qu'à la seule condition de substituer aux matraques et autres
mitraillettes - conçues comme instruments du rapport avec le peuple - la
discussion franche et sincère avec ce peuple-là. Il faut à
tout prix instaurer un dialogue franc avec le peuple. Permettre à tout
un chacun de s'exprimer aussi librement qu'il le pourra. D'ailleurs, la
grandeur d'un pouvoir s'obtient à travers l'estime qu'on porte au peuple
et non l'ampleur de la force utilisée contre ce peuple-là. Car
comme le souligne Alvin TOFFLER, «la principale faiblesse de la force
brute ou de la violence est son absolu manque de souplesse. Elle ne peut servir
qu'à punir : finalement c'est un pouvoir de basse qualité
(...) La qualité vraiment supérieure s'obtient par le maniement
du savoir.»131(*) Le politique Africain doit ainsi comprendre qu'il
ne peut parvenir à consolider son pouvoir qu'à condition de
renoncer à jamais à la violence exercée contre le peuple,
pour privilégier un type de rapports basés sur le bon usage du
verbe.
Il apparaît plus que jamais impérieux de refaire
l'Afrique sur la base d'une véritable promotion du savoir et non de
l'avoir. Pour ce faire, l'Africain, en dépit de ses convictions
politiques, religieuses, ou de son appartenance sociale, se doit d'être
considéré comme un être à part entière. Son
droit à la différence doit être reconnu et au nom de cette
différence, il doit être en mesure de dire oui ou non lorsque le
besoin se fait sentir, de rectifier le tir à tout moment. En
réalité, l'Africain aujourd'hui doit être à
même de montrer, selon le mot de Ambroise KOM que «le continent
peut se gouverner, changer les moeurs politiques qui ont occasionné la
ruine de l'Afrique et en un peu plus de trente ans, ont fait d'elle la
région la plus déshéritée de la planète.
Après avoir été exploités et marginalisés
par diverses colonisations, n'est-il pas ironique que les Africains soient
aujourd'hui devenus les artisans de leur propre
déchéance?»132(*) Mais pour y parvenir, il faut des mentalités
d'un type nouveau à même d'inviter au changement et à la
reconversion ceux qui, plus de trois décennies durant, ont dirigé
l'Afrique avec des pratiques héritées de la colonisation. Mais
pour que ces mentalités nouvelles puissent éclore, il faut
à tout prix libérer le discours en Afrique et comprendre une fois
pour toutes que se trouve révolue l'époque du `'nègre
béni oui - oui'' ; le `'yes man'' (selon les anglophones).
Il convient, à ce titre, de préserver sous
toutes ses formes la liberté d'expression. C'est à ce seul prix
que non seulement l'Africain se sentira enfin chez soi, mais pourra par la
même occasion contribuer à l'éclosion d'une
véritable activité intellectuelle dont la philosophie est l'un
des indices les plus sérieux. HOUNTONDJI dira dans ce contexte :
«Le développement de la littérature philosophique
africaine suppose la levée d'un certain nombre d'obstacles politiques.
Il suppose en particulier que soient reconnues, défendues, jalousement
préservées, sous tous les régimes, les libertés
démocratiques et notamment la liberté de critique :
celle-là dont la suppression constitue le but et comme le but et comme
l'unique raison d'être des idéologies officielles. Philosopher
dans l'Afrique d'aujourd'hui oblige à prendre conscience de cette
exigence : du prix inestimable de la liberté d'expression comme
condition nécessaire de toute science, de tout développement
théorique et, finalement de tout progrès politique et
économique réel.»133(*)
Certes ; comme nous avons eu à le souligner ;
la position défendue par HOUNTONDJI au sujet de la philosophie africaine
n'a toujours pas recueilli l'adhésion de certains intellectuels
Africains. N'est-ce pas là le sens de l'activité philosophique
qui se nourrit de perpétuelles remises en cause dans le cadre d'un
débat sans cesse rebondissant ? Toutefois, il convient de noter
qu'une avancée significative en politique et en économie sur le
continent africain passe inévitablement par une libération
effective du discours théorique. Libérer le discours, c'est non
seulement créer les conditions d'émergence de la philosophie
africaine, mais c'est aussi et surtout donner à l'Afrique la base d'un
développement durable d'autant plus qu'elle aura trouvé les voies
d'accès à une réussite économique, politique et
sociale. L'avenir est à ce prix.
BIBLIOGRAPHIE
1. Ouvrages de HOUNTONDJI (Paulin)
- Combats pour le sens (Un itinéraire Africain),
(Cotonou, Les Éditions du Flamboyant, 1997).
- Sur la «philosophique africaine» (Critique
de l'ethnophilosophie), (Yaoundé, CLÉ, 1980)
2. Autres ouvrages
- ALTHUSSER (Louis).- Lénine et la philosophie
(Paris, Maspéro, 1972)
- AZOMBO-MENDA (S.).- Les philosophes africains par les
textes (ouvrage collectif), (Paris, Éditions Fernand Nathan,
collection Nathan Afrique, 1978)
- CÉSAIRE (Aimé).- Discours sur le
colonialisme (Paris, Présence Africaine, 1955)
- CHEVRIER (Jacques).- Littérature nègre
(Paris, Armand Colin-collection U, 1984)
- CHOMIENNE (Gérard).- Lire les philosophes (Paris,
Hachette Éducation, 1998)
- DESCARTES (René).- Discours de la méthode
(Union Générale d'Éditions, collection 10/18, 1951)
- DIBI Kouadio Augustin.- L'Afrique et son autre : la
différence libérée (Abidjan,
Éditions STRATECA DIFFUSION, Collection Penser
l'Afrique N° 1, 1994).
- ÉBOUSSI Boulaga (Fabien).- La crise du Muntu,
Authenticité Africaine et Philosophie (Paris, Présence
Africaine, 1977).
- FANOUDH - SIEFER N'DRI
(Léon).- Le mythe du Nègre et de l'Afrique noire
dans la littérature française (de
1800 à la 2ème guerre mondiale), (Dakar, NEA,
1980).
- FANON (Frantz).- Peau noire
masques blancs, (Paris, Seuil, Points, 1952)
- GARAUDY (Roger). - Biographie du XXe
siècle, (Paris, Éditions Tougui, 1985)
- HEGEL (Georg Wilhem Friedrich).-
La raison dans l'histoire (Paris, Éditions
Christian Bourgois, Collection 10/18, 1979).
- HEGEL (Georg Wilhem Friedrich).- Principes de la philosophie
du droit, traduction Kann (Paris, Gallimard, 1990).
- KANE (Cheikh Hamidou). - L'aventure ambiguë (Paris,
10/18, Julliard, 1961).
- KANE (Cheikh Hamidou).- Les gardiens du temple (Paris,
Éditions Stock, 1995).
- KESTELOOT (Lilyan).- Anthologie Négro-Africaine
(Paris, ÉDICEF, Marabout, 1992).
- MÉDINA (José).- La philosophie comme
débat entre les textes (ouvrage collectif), (Paris, Magnard,
collection textes et contextes, 1996).
- NIETZSCHE (Friedrich).- Par-delà bien et mal. La
généalogie de la morale, OEuvres philosophiques
complètes, textes et variantes établis par G. Colli et M.
Montinari, traduits de l'allemand par Cornelius Heim, Isabelle Hildenbrand et
Jean Gratien (Paris, Gallimard, 1971).
- PASCAL (Georges).- Les grands textes de la philosophie
(Paris, Bordas, 1972).
- POTHOLM (Christian P.).- La politique Africaine
«Théories et pratiques» (Paris, Nouveaux Horizons,
1981).
- TEMPELS (Révérend-Père Placide).- La
philosophie bantoue, traduction A. Rubbens (Paris, Présence
Africaine, 1949).
- TOFFLER (Alvin).- Les nouveaux pouvoirs (Paris, Fayard,
1991).
- TOWA (Marcien).- Essai sur la problématique
philosophique dans d'Afrique actuelle (Yaoundé, Editions CLÉ,
Collection Point de vue, 1979).
3. Revues
- DIAKITÉ (Samba).- «La déréliction du
langage dans le penser politique en Afrique», Le
portique, 1 - 2005 - e-portique 1, [En ligne], mis en ligne
le 12 mai 2005. URL : http:// le portique. revues.org/document 521. html.
Consulté le 11 avril 2007.
- DIAKITÉ (Samba).- «L'autre
et sa langue : la langue du refus »,
www.contrepointphilosophique.ch
(Rubrique Politique, 28 Janvier 2007)
- « Jeune Afrique
Économie » N° 254 du 15/12/1997 au 04/01/1998.
- « Politique
Africaine » N° 51 `'Intellectuels Africains'' (Paris,
Éditions Karthala,
Octobre 1993).
4. Livre saint
- LA BIBLE, Traduction du monde nouveau (New York,
Éditions Watchtower Bible and Tract Society, 1984).
TABLE DES MATIÈRES Pages
INTRODUCTION
.................................................................p. 5
CHAPITRE I : LE PARADOXE DE LA RECHERCHE DE
L'ORIGINALITÉ EN AFRIQUE NOIRE
.............p. 15
A. De la rencontre avec l'autre à
l'aliénation de soi ....................p. 16
B. La difficile reconquête de l'identité
perdue ............................p.21
CHAPITRE II : L'ETHNOPHILOSOPHIE
..................................p. 32
CHAPITRE III : AUTORITARISME ET REFUS DE
LA DIFFÉRENCE : LE PROBLÈME DE
LA LIBERTÉ D'EXPRESSION
........................ p. 45
CHAPITRE IV : POUR UNE NOUVELLE
CONCEPTION
DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE
..................p. 53
A. De la libération du discours philosophique en Afrique
............p. 55
B. Réorientation du discours philosophique africain
..................p. 63
1) La philosophie africaine comme littérature
écrite par des Africains
.....................................p. 64
2) Thèmes, enjeux, problématique de la
philosophie africaine ........................................p.
73
a. De la nécessité d'un dialogue entre Africains
......p. 73
b. De la nécessité de l'ouverture à
l'universel :
la philosophie et la science ........................p. 76
CONCLUSION
.....................................................................p. 88
BIBLIOGRAPHIE
..................................................................p. 95
* 1DIBI Kouadio Augustin.-
L'Afrique et son autre ; la différence libérée
(Abidjan, STRATECA DIFFUSION, collection `'Penser l'Afrique n°1'', 1994),
p.20
* 2 TOWA (Marcien).- Essai
sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle
(Yaoundé, CLE, collection Points de vue, 1979), p.7
* 3 TOWA (Marcien), op.cit.,
p.5
* 4 ARISTOTE.-
Métaphysique, livre I, cité par Georges Pascal.- Les
grands textes de la philosophie (Paris, Bordas, 1972), p.50
* 5 HITLER (Adolph), cité
par CÉSAIRE (Aimé).- Discours sur le colonialisme (Paris,
Présence Africaine, 1955), p.13
* 6 HEGEL (Georg Wilhem
Friedrich).- Principes de la philosophie du droit, traduction Kann
(Paris, Gallimard, 1990), pp.42-45
* 7 HOUNTONDJI (Paulin).- Sur
la « philosophie africaine » (Yaoundé, CLE, 1980),
p.22
* 8 NIETZSCHE (Friedrich).-
Par-delà bien et mal, traduction Cornélius Heim (Paris,
Gallimard, 1971), p.15
* 9 DIBI Kouadio Augustin,
op.cit., pp36-37
* 10 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.47
* 11 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.48
* 12 CHEVRIER (Jacques).-
Littérature nègre (Paris, Armand Colin-collection U,
1984), p.7
* 13 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.49
* 14 SARTRE (Jean-Paul).-
L'Existentialisme est un humanisme, cité par MÉDINA
(José).- La philosophie comme débat entre les textes
(ouvrage collectif), (Paris, Magnard, Collection Textes et Contextes, 1996),
p.264
* 15 DESCARTES (René).-
Discours de la méthode (Paris, Union Générale
d'Éditions, collection 10/18, 1951), p.90
* 16 LA BIBLE,
traduction du monde nouveau (New York, Éditions Watchtower Bible and
Tract Society, 1984),
Jean 3 :16, p.1316
* 17 LA BIBLE, op.cit.,
I Jean 4 :11, p.1516
* 18 HEGEL (Georg Wilhem
Friedrich).- La raison dans l'histoire, traduction Kostas PAPAIOANNOU
(Paris, Éditions CHRISTIAN BOURGOIS, collection 10/18, 1979), p.253
* 19 HÉRODOTE,
cité par HEGEL, op.cit., p.253
* 20 HEGEL, op.cit., p.253
* 21 LA BIBLE, op.cit.,
Exode 34 :6, p.121
* 22 SCHOOLMAN
(Morton), «Le joug colonial et la réaction de
l'Afrique » in La politique africaine `'Théories et
pratiques (Paris, collection Nouveaux Horizons, 1981), p.45
* 23 FANON (Frantz).- Peau
noire masques blancs (Paris, Éditions du Seuil, collection Points,
1952), p.30
* 24 CHEVRIER (Jacques),
op.cit., p.50
* 25 KANE (Cheick Hamidou).-
L'aventure ambiguë (Paris, 10/18, Julliard, 1961), p.57
* 26 HOUNTONDJI (Paulin),
op.cit., p.234
* 27 MARAN (René).-
Batouala, cité par CHEVRIER (Jacques), op.cit., p50
* 28 CHEVRIER (Jacques)
op.cit., p.51
* 29 FANOUDH-SIEFER N'DRI
(Léon). - Le mythe du nègre et de l'Afrique noire dans la
littérature française (Dakar, NEA, 1980), (Préface),
pp 9-10
* 30 SCHOOLMAN (Morton),
op.cit., pp.87-88
* 31 DU BOIS (William Edberg
B.) cité par KESTELOOT (Lilyan).- Anthologie
Négro-Africaine (Paris, ÉDICEF, Marabout, 1992), p.15
* 32 CHEVRIER (Jacques),
op.cit., p.32
* 33 CÉSAIRE
(Aimé) in «L'Étudiant Noir », cité par
KESTELOOT (Lilyan), op. cit., p. 83
* 34 FANON (Frantz), op.cit.,
p.105
* 35 TOWA (Marcien).-
Léopold Sédar Senghor : Négritude ou
servitude? (Yaoundé, CLÉ, 1980), p.107
* 36 SENGHOR (Léopold
Sédar) cité par TOWA, op.cit., p.107
* 37 TOWA, op.cit., p.107
* 38 HOUNTONDJI (Paulin) Sur
la « philosophie africaine » (Yaoundé,
CLÉ, 1980), pp.224-225
* 39 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.34
* 40 HOUNTONDJI (Paulin).-
Combats pour le sens (Cotonou, Flamboyant, 1997), p.111
* 41 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.118
* 42 DIBI Kouadio Augustin,
op.cit., p.40
* 43 DIBI, op.cit., p.51
* 44 RUSSELL (Bertrand).-
Histoire de la philosophie occidentale, cité par CHOMIENNE
(Gérard).- Lire les philosophes, (Paris, Hachette
Éducation, 1998), p.7
* 45 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), p.15
* 46 TEMPELS
(révérend père Placide).- La philosophie bantoue,
traduction A. Rubbens (Paris, Présence Africaine,
1949), p.17
* 47 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.15
* 48 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.21
* 49 HOUNTONDJI.- Combats
pour le sens (Cotonou, Flamboyant, 1997), p.109
* 50 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), p.58
* 51 HOUNTONDJI, op.cit.,
pp.60-61
* 52 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.41
* 53 TOWA (Marcien).- Essai
sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle
(Yaoundé, CLÉ, collection Points de vue, 1979), p. 36
* 54 HOUNTONDJI.- Combats
pour le sens (Cotonou, Flamboyant, 1997), p.105
* 55 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), p.35
* 56 HOUNTONDJI.- Combats
pour le sens (Cotonou, Flamboyant, 1997), p.106
* 57 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.100
* 58 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), p.47
* 59 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.240
* 60NIAMKEY Koffi in Le
Korè, cité par HOUNTONDJI.- Combats pour le sens
(Cotonou, Flamboyant, 1997), p.177
* 61 NIAMKEY Koffi, op.cit.,
p.177
* 62 NIAMKEY Koffi, (ouvrage
collectif), op.cit., p.178
* 63 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.193
* 64 KANE (Cheikh Hamidou).-
Les gardiens du temple (Paris, Stock, 1995), p.107
* 65 POTHOLM (Christian).-
La politique africaine `'Théories et pratiques'' (Paris, Nouveaux
Horizons, 1981), p.6
* 66 DIBI Kouadio Augustin.-
L'Afrique et son autre : la différence libérée
(Abidjan, STRATECA DIFFUSION, collection `'Penser l'Afrique n°1'', 1994),
p.56
* 67 DIBI, op.cit., p.56
* 68 DIAKITÉ (Samba),
«La déréliction du langage dans le penser politique en
Afrique», Le Portique, 1 - 2005 - e- portique 1, [En ligne], mis en
ligne le 12 mai 2005. URL : http:// le portique. revues.org/document 521.
html. Consulté le 11 avril 2007.
* 69 DIAKITÉ (Samba),
op.cit.
* 70 KANE (Cheikh Hamidou),
op.cit., p.148
* 71 KOM (Ambroise),
« Intellectuels Africains et enjeux de la démocratie :
misère, répression, exil »
in « Politique africaine » n°51 (Paris,
Éditions KARTHALA, octobre 1993), p.61
* 72 KOM (Ambroise), op.cit.,
p.67
* 73 CASTÉRAN
(Christian), in «Jeune Afrique
Économie» (n°254 du 15/12/1997 au 04/01/1998),
p.77
* 74 DIAKITÉ (Samba),
op.cit.
* 75 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), pp.239-240
* 76 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980),p.62
* 77 HEGEL (Georg Wilhem
Friedrich).- La raison dans l'histoire, traduction Kostas PAPAIOANNOU
(Paris, Éditions CHRISTIAN, collection 10/18, 1979), p.287
* 78 TOWA (Marcien).- Essai
sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle
(Yaoundé, CLÉ, collection Points de vue, 1979), p.35
* 79 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.39
* 80 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.41
* 81 HUSSERL (Edmund).-
Méditations cartésiennes, cité par MÉDINA
(José).- La philosophie comme débat entre les textes
(ouvrage collectif), (Paris, Magnard, collection Textes et Contextes, 1996),
p.594
* 82 HOUNTONDJI. - Combats
pour le sens (Cotonou, les Éditions du flamboyant, 1997), p.136
* 83 HOUNTONDJI. - Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), p. 82
* 84 NIETZSCHE (Friedrich).-
Par-delà bien et mal, traduction Cornélius Heim (Paris,
Gallimard, 1971), p.37
* 85 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.82
* 86 HOUNTONDJI, op.cit.,
pp.88-89
* 87 HOUNTONDJI. - Combats
pour le sens (Cotonou, les Éditions du flamboyant, 1997), p.136q
* 88 HEGEL (Georg Wilhem
Friedrich).- Leçons sur la philosophie de l'histoire, cité
par TOWA, op.cit., p.17
* 89 TOWA, op.cit., p.30
* 90 HOUNTONDJI, op.cit.,
pp.36-37
* 91 TOWA, op.cit., p.31
* 92 HOUNTONDJI, op.cit.,
pp.127-128
* 93HOUNTONDJI, op.cit.,
p.97
* 94 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.11
* 95 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.131
* 96 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.132
* 97 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.132
* 98 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.134
* 99 KESTELOOT (Lylian).-
Anthologie négro-africaine (Paris, EDICEF, collection Marabout,
1991), pp.6-7
* 100 KESTELOOT (Lylian),
op.cit., p.7
* 101 CALVET (Louis-Jean).-
Roland Barthes, un regard politique sur le signe, cité par
DIAKITÉ (Samba), « L'autre et sa langue : la langue du
refus »,
www.contrepointphiolosophique.ch
(Rubrique Politique), 28 janvier 2007.
* 102 DIAKITÉ (Samba),
op.cit.
* 103 HOUNTONDJI.- Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), pp. 48-49
* 104 AZOMBO-MENDA (S.). -
les philosophes africains par les textes (ouvrage collectif), (Paris,
Éditions Fernand Nathan, collection NATHAN AFRIQUE, 1978), p.3
* 105 HOUNTONDJI, op.cit.,
p.11
* 106 TOURÉ (Abdou) in
Le Korè,cité par HOUNTONDJI. - Combats pour le sens
(Cotonou, Flamboyant, 1997), p.174
* 107 TEMPELS
(Révérend -Père Placide).- La philosophie bantoue,
traduction A. Rubbens (Paris, Présence Africaine,
1949), p.17
* 108 HOUNTONDJI. - Sur la
« philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ,
1980), p. 14
* 109 HOUNTONDJI, op. cit., p.
49
* 110 HOUNTONDJI, op. cit., p.
48
* 111 HOUNTONDJI, op. cit.,
pp. 74-75
* 112 CÉSAIRE
(Aimé).- Discours sur le colonialisme (Paris, Présence
Africaine, 1955), p. 9
* 113 GARAUDY (Roger).-
Biographie du XXe siècle (Paris, Éditions Tougui, 1985),
pp. 35-36
* 114 HOUNTONDJI, op. cit., p.
49
* 115 DIBI Kouadio Augustin.-
L'Afrique et son autre ; la différence libérée
(Abidjan, STRATECA DIFFUSION, collection `'Penser l'Afrique n°1s'', 1994),
p. 79
* 116 HOUNTONDJI, op. cit., p.
82
* 117 KAGAMÉ (Alexis),
cité par HOUNTONDJI.- Combats pour le sens (Cotonou, Flamboyant,
1997), p.172
* 118 ÉBOUSSI BOULAGA
(Fabien). - La crise du Muntu, Authenticité Africaine et
Philosophie (Paris, Présence Africaine, 1977), p. 99
* 119 NIAMKEY Koffi in Le
Korè, cité par HOUNTONDJI, op. cit., p. 174
* 120 GARAUDY, op. cit., pp.
61-62
* 121 NIETZSCHE (Friedrich). -
Par-delà bien et mal, traduction Cornélius Heim (Paris,
Gallimard, 1971), p. 120
* 122 GARAUDY, op. cit., p.
62
* 123 ALTHUSSER (Louis).
-Lénine et la philosophie (Paris, Maspero, 1972), p. 27
* 124 HOUNTONDJI, op. cit., p.
124
* 125 HOUNTONDJI, op. cit., p.
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* 126 HOUNTONDJI, op. cit., p.
124
* 127 NJOH-MOUELLE
(Ébénézer). - Jalons (Yaoundé, CLÉ,
1970), pp. 86-87
* 128 NIAMKEY Koffi in Le
Korè, cité par HOUNTONDJI. - Combats pour le sens
(Cotonou, Flamboyant, 1997), p.176
* 129 HOUNTONDJI. - Sur la
«philosophie africaine» (Yaoundé, CLÉ, 1980), p.
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* 130 HOUNTONDJI, op. cit., p.
256
* 131 TOFFLER (Alvin). -
Les nouveaux pouvoirs (Paris, Fayard, 1991), p. 34
* 132 KOM (Ambroise),
« Intellectuels Africains et enjeux de la démocratie :
misère, répression, exil » in « Politique
Africaine » n°51 (Paris, Karthala, octobre 1993), pp.
66-67
* 133 HOUNTONDJI, op. cit., p.
76-77