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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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CHAPITRE TROISIEME

HANNAH ARENDT ET LE LEADERSHIP À L'AUNE DE LA PLURALITÉ

En faisant fond sur la pluralité comme condition obligée de la politique et sur ses implications politiques, nous avons voulu tracer un chemin pouvant nous donner accès à la découverte du leadership politique dans la pensée arendtienne, plus précisément dans la Condition de l'homme moderne.

Nous avions dit au frontispice de ce travail que Arendt entendait redorer l'image terni du leadership politique, cette image rendue méconnaissable par le leadership totalitaire que nous pouvons appeler le Reichführer, comme le règne du guide. Mais en amont de cette forme dévoyée du leadership totalitaire se trouvent plusieurs philosophies et théories politiques méconnaissant de plein gré ou par ignorance la condition de la pluralité qui doit résider au coeur de toute politique. Il s'agit principalement de Platon, de Hobbes et de Machiavel sans oublier, à quelques égards, Aristote.

Platon et Hobbes, à en croire Arendt, sont les premiers des penseurs à avoir dénaturé la pluralité humaine, le nerf central de la politique. S'il en est ainsi, ces deux philosophes s'inscrivent en faux contre le leadership politique à l'aune de la pluralité. Essayons maintenant de présenter ces formes dévoyées du leadership et par-là entrer dans l'intelligence du point nodal de notre étude.

III. 1. Les conceptions monistes du leadership : la substitution du `faire' à l'`agir'

Le leadership moniste vient de la volonté d'une personne de se débarrasser de la pluralité. Or, se débarrasser de la pluralité c'est supprimer le domaine public, de l'espace de l'apparence. Ces conceptions se présentent comme une fuite de la fragilité des affaires humaines ; comme une série d'essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d'une évasion définitive de la politique : se réfugier dans une activité où l'homme, isolé de tous, demeure maître de ses faits et gestes du début à la fin. D'après Hannah Arendt, la « tentative de remplacer l'agir par le faire est manifeste dans tous les réquisitoires contre la démocratie qui, d'autant plus qu'ils sont mieux raisonnés et plus logiques, en viennent à attaquer l'essentiel de la politique. »70(*) Découvrons ces conceptions monistes du leadership politique.

III. 1. 1. Le leadership totalitaire : le Reichführer

Hannah Arendt met au bûcher le Reichführer, le règne du guide absolu. Il va sans dire qu'il s'agit de la figure de Hitler et de tout son système. Le totalitarisme en tant que type de régime inédit est apparu à l'ère moderne, et est destiné à organiser la vie des masses.71(*) Le leadership totalitaire constitue une rupture avec tous les régimes possibles, en particulier ceux qui peuvent en être rapprochés, qu'ils soient despotiques, tyranniques ou dictatoriaux. On puit donc dire que le leadership totalitaire désigne la soif du pouvoir, la volonté de domination, la terreur ainsi qu'une structure étatique monolithique. Autrement dit, c'est la concentration du pouvoir dans les mains d'un seul homme qui l'exerce de manière à réduire tous les autres à l'impuissance en vertu du `führerprinzip' : le désir que l'humanité n'ait qu'une seule tête.72(*)

Trouvant son assise dans la société de masse, le totalitarisme fait de la désolation son expérience constitutive. D'après Hannah Arendt, la désolation est un substitut de principe d'action en tant qu'une perte d'apparence au monde des hommes : inter homines esse desinere, cesser d'être parmi les hommes. C'est bien une `mort politique', déracinement radical s'accomplissant comme inutilité de l'homme : privation d'un espace politique, mais également de la condition de la pluralité constitutive à cet espace. Ainsi, les hommes sont non seulement isolés, mais surtout repliés sur la sphère privée détruisant la sphère publique de la vie. Il s'y caractérise aussi une perte d'identité et de distinction. C'est le règne de l'idéologie et de la terreur qui subsiste après la perte du monde et du `vivre-ensemble'. La terreur est ce qui régit la conduite des hommes lorsqu'a été éradiquée la possibilité même de l'agir, d'une liberté et d'une égalité politiques.73(*)

Dans le totalitarisme, les citoyens, s'ils en méritent encore le nom, sont coupés du sens commun et de la pluralité des perspectives sur le monde. Ainsi, le vrai devient le pur produit d'une volonté, celle du führer. La liberté de penser est exclue, car l'idéologie devient l'ersatz d'un principe d'action politique pour des individus privés de tout intérêt et de toute conviction. Cette idéologie est la force en acte d'un mouvement qui emporte tout le monde sur son passage au nom des lois supérieures de la nature de l'histoire. Il s'ensuit une destruction de toute force de légalité au sens d'un cadre constitutionnel requis dans un corps politique. La loi qui vaut ici est celle du leader.74(*)

De ce qui précède, le leadership totalitaire se manifeste par le caractère infaillible des prédictions du chef. La réalité est entre les mains de la volonté du chef décryptant les lois infaillibles. Les conditions de survie de ce leadership coïncident avec les mécanismes de défense et l'adoption des systèmes qui protègent de la réalité, c'est-à-dire du pluralisme des points de vue qui pourrait venir des pairs et partant contredire sa logique mono-idéique.75(*) Le danger de la pluralité n'est pas seulement qu'il y ait plusieurs points de vue au lieu d'un seul, mais surtout le fait que le rapport de l'esprit du réel où celui du régime ne figurait plus qu'un point de vue parmi d'autres.

Ainsi, pour se défendre du danger de la pluralité, la volonté toute puissance du führer doit se réfugier dans le secret et sauvegarder celui-ci par toute une série d'enveloppes protectrices. A en croire Arendt, le fonctionnement du totalitarisme nous présente un leadership dont la structure est en forme d'oignon, c'est-à-dire avec plusieurs enveloppes protégeant le guide : (1) au centre, protégé de toute atteinte se trouve le führer et ses déclarations toujours infaillibles non par quelque accord entre ses pensées et la réalité, mais parce que le réel est d'emblée ce que sa volonté décrète et qu'il échappe au démenti venant de l'expérience. (2) La première enveloppe, celle de l'élite ou des membres du parti unique et inique, forme la protection la plus rapprochée du chef. Elle ne fait pas crédit à celui-ci et à ses paroles, mais elle doit les interpréter sans délai en termes d'intentions. (3) La seconde enveloppe protectrice est celle des sympathisants et autre compagnons de route. Ceux-ci croient aux paroles du chef et, parce que dupés, jouent un rôle essentiel pour la crédibilité du régime et constituent le meilleur système de protection du régime contre les attaques du réel. (4) En dernière strate, se trouve la masse des individus atomisées et isolés qui représente pour finir une extériorité réduite au maximum par la terreur. C'est à cette masse qu'est destinée l'idéologie.76(*)

Ce mécanisme où l'on voit l'Etat développer une structure plutôt amorphe, assure le pouvoir maximal au guide qui se voit toujours être obéi : le guide donne à ses propres paroles et ses propres ordres force de loi. La volonté du chef qui décrypte le sens de l'histoire à la lumière de l'idéologie trace la voie à un mouvement où l'humanité s'abîme dans la création d'un monde fictif qui défie toutes les catégories en usage dans les pratiques et les institutions humaines. Il s'ensuit donc l'asservissement des hommes, la terreur y règne sans partage, l'éradication de toute appartenance au monde, la déshumanisation de l'homme, la destruction de l'individualité au profit du conformisme et de l'uniformisme qui parachèvent le processus en réduisant chaque homme à un faisceau de réactions et interdisant la moindre spontanéité de l'action.

Bref, le leader totalitaire se présente comme refus de critique de la part de ses subordonnés, car ceux-ci doivent `faire' tout en son nom et pour son bien. S'il veut corriger ses propres erreurs, le guide doit liquider ceux qui les ont dévoilés et il blâme les erreurs des autres en les tuant, comme l'homo faber insatisfait des oeuvres de ses mains peut bien les détruire sans scrupule. Le fûhrer se présente comme un imposteur qui, en tout et pour tout, doit avoir raison. La normativité émigre dans sa volonté qui rejette le libre consentement des citoyens. Ainsi, la délibération entre pairs se présente comme un obstacle majeur contre sa domination. Il faut donc un seul guide, une seule nation et un seul peuple atomisé comme un seul homme.77(*) De la sorte, l'impératif catégorique du Reichführer s'impose : « agir de telle sorte que si le Führer connaissait ton action [supposée être sa volonté] il l'approuverait. »78(*)

* 70 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, pp. 247-248.

* 71 Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, The World Publishing Company, 1958, pp.305-315.

* 72 Sylvie Courtine-Denamy, Hannah Arendt, Paris, Belfond, 1994, p.239.

* 73 Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, pp. 460-479.

* 74 Idem, pp. 461-465.

* 75 Idem, pp. 405-406.

* 76 Hannah Arendt, La crise de la culture, pp.131-132.

* 77 Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, pp. 374-375.

* 78 Milkos Vetö, « Cohérence et terreur : introduction à la philosophie politique de Hannah Arendt », in Archives de philosophie, 1982, p. 567.

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