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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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CHAPITRE DEUXIEME

LES IMPLICATIONS POLITIQUES DE LA PLURALITÉ

Il est certain que la pluralité est exigeante et entraîne des implications politiques de taille. Nous allons, dans le présent chapitre, découvrir celles qui semblent capitales, à notre avis, pour une politique et un leadership politique à l'aune de la pluralité.

II.1. La pluralité humaine dans l'action et dans la parole de tous

Chez Arendt, l'agir est comprise toujours à la fois comme lexis et praxis. : le langage et l'action sont considérées, à la suite de l'antiquité grecque, comme choses égales et simultanées, de même rang et de même nature. Par conséquent, l'action politique, dans la mesure où elle ne participe pas de violence, s'exerce généralement au moyen du langage.35(*) Puisque la force exigée dans le travail et la violence artificielle permettant l'avènement de l'oeuvre, sont rejetées de la sphère politique, les hommes quand ils apparaissent vraiment comme personnes, ou comme des humains dignes de ce nom, n'ont besoin que d'agir et de parler ensemble.

Ce qui faisait défaut à l'homo laborans et à l'homo faber, avions-nous dit, c'est l'absence de l'agir et du parler à plusieurs. C'est-à-dire que l'homme qui exerce sa force et sa violence contre la nature n'a pas besoin de l'action ni de la parole puisque celles-ci ne sont de mise qu'au sein d'une communauté de personnes.

Il n'y a pas d'action ni de parole solitaire. L'agir et le parler, à l'opposé du `travailler' et de l' `oeuvrer', se conjuguent toujours au pluriel et nécessitent à jamais le dialogue puisque, à ce stade, l'homme n'est pas en face de la nature qu'il doit dompter ou transformer, mais en face et avec ses semblables, ses pairs qui, comme lui, parlent. Pour Arendt, la politique véritable ne commence qu'avec cette parole partagée qui est à vrai dire une parole donnée, créatrice et opérante. « Quand le rôle du langage est en jeu, le problème devient politique par définition, parce que c'est le langage qui fait de l'homme un animal politique. Et toute action de l'homme, tout savoir, toute expérience n'a de sens que dans la mesure où l'on en peut parler. »36(*)

La parole et l'action révèlent l'unique individualité de chaque homme ; c'est par elles que les hommes se distinguent au lieu d'être simplement distincts. A dire autrement, la parole et l'action sont les modes sous lesquels les êtres humains apparaissent les uns aux autres, non certes comme des objets physiques, mais en tant qu'hommes. A en croire Arendt, une politique à taille humaine est bien celle qui, en vertu de la pluralité qui la précède et la fonde, fait pièce à la parole et à l'action de tout un chacun. Car « c'est par le verbe et l'acte que nous nous insérons dans le monde humain et cette insertion est comme une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assurons le fait brut de notre apparition physique originelle. »37(*)

Il en résulte qu'une vie politique sans la parole et l'action de tous est une vie non humaine et ipso facto non vécue parmi les hommes. L'agir politique chez Arendt est essentiellement l'initiative de plusieurs, et partant la politique est animée par une exigence ou un devoir de sincérité et de vraie relation entre les hommes de la même communauté.38(*) Il faudrait donc des structures qui permettent à cette transparence et à cette vérité d'apparaître au grand jour, c'est-à-dire au vu et au su de tout le monde. Parole et action font apparaître ce que nous sommes à l'égard des autres et ce que les autres sont à l'égard de nous-mêmes : « en agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques [...] Cette qualité de révélation de la parole et de l'action est en évidence lorsque l'on est avec autrui, ni pour ni contre- c'est-à-dire dans l'unité humaine pure et simple. »39(*) Ainsi, personne ne peut se dispenser de cette révélation très capitale pour Arendt :

bien que personne ne sache qui il révèle lorsqu'il se dévoile dans l'acte ou le verbe, il lui faut être prêt à se risquer cette révélation [...] Ce sont des solitaires, contre tous les hommes [qui] restent, par conséquent, en dehors des rapports humains et, politiquement, ce sont des figures marginales qui d'ordinaire, montent sur la scène de l'Histoire aux époques de corruption, de désintégration et de banqueroute politique.40(*)

Par-delà l'exigence de la vérité, Hannah Arendt pose, une exigence idoine pour toute action politique à savoir : le dialogue entre pairs. Toute action politique authentique ne peut pas ne pas supposer la riche diversité d'hommes dans l'espace politique, et cela implique une `inter-action' et une `inter-locution'. Ainsi, l'`être-ensemble', affirmation de la pluralité, repose sur la mise en commun des paroles et des actions des citoyens : la décision ne résulte plus de l'emploi de la force ni de l'exercice d'une violence, mais s'affirme comme la résultante d'actes de langage. Par conséquent, le politique a pour nerf le dialogue qui révèle les affaires publiques aux yeux de la cité tout entière.41(*)

La place accordée au dialogue, par Hannah Arendt, tire son origine de la Grèce antique où les citoyens savaient bien organiser l'espace public en discussions entre citoyens. Dans l'`inter-locution' incessante, les Grecs découvrirent que le monde que nous avons en commun est habituellement constitué d'un nombre infini de situations différentes, auxquelles correspondent les points de vue les plus multiples. Et « dans un flot d'arguments tout à fait inépuisable, le Grec apprenait à échanger son propre point de vue, sa propre opinion comme la manière dont le monde lui apparaissait et s'ouvrit à lui, avec ceux de ses concitoyens. »42(*)

Toutefois, il arrive bien souvent que l'action et la parole perdent leur signification humaine et politique. Dans pareil cas, le dialogue s'estompe et la politique cesse d'exister : faute de la révélation de l'agent dans l'acte, l'action perd son caractère spécifique. Cela se produit chaque fois que l'unité humaine est perdue et que les hommes se lancent dans la force et utilisent les moyens de la violence afin d'atteindre certains objectifs au profit de leur parti et contre l'ennemi. En de telles circonstances qui ont sûrement toujours existé, la parole devient en effet du bavardage, ce n'est plus qu'un moyen en vue d'une fin, qu'elle serve à tromper l'ennemi ou à étourdir tout le monde à coups de propagande.43(*)

Somme toute, la pluralité, qui est la loi de l'humanité, offre une place à tous et à chacun, d'agir et de parler ensemble pour la construction d'un vrai espace politique. L'homme se découvre ainsi dans ses relations avec autrui, c'est -à- dire en tant qu'il n'est pas au singulier, mais au pluriel avec les autres dans la parole et dans l'action. Avec la pluralité, nous sommes conduits à une réalité politique autorisant l'expression de toutes les opinions, aussi divergentes soient-elles. C'est le `nous' de la pluralité qui l'emporte sur le `moi totalitaire'. Il faut alors noter que la mise en commun d'actes et des paroles fait des citoyens des égaux sans pour autant supprimer leurs différences, contribuant ainsi à la prospérité de l'Etat. Ce `vouloir-vivre-ensemble' implique nécessairement à la fois l'égalité et la distinction.

* 35 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 35.

* 36 Idem, p. 10.

* 37 Idem, p. 199.

* 38 Selon Hannah Arendt, `agir' signifie prendre une initiative, entreprendre (comme l'indique le grec archein, « commencer », « guider » et éventuellement « gouverner », mettre en mouvement (ce qui est le sens originel du latin agere). Parce qu'ils sont initium, nouveaux venus et novateurs en vertu de leur naissance, les hommes prennent des initiatives, ils sont portés à l'action à plusieurs. 

* 39 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 202.

* 40 Ibidem.

* 41 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 58.

* 42 Hannah Arendt, La crise de la culture, p. 71.

* 43 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 203.

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