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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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2. La critique de l'acharnement thérapeutique

A la lumière de ce qui précède, l'acharnement thérapeutique peut être vu comme la résultante de ce que certains auteurs appellent la médicalisation du social, de la société. En quelque sorte, à défaut d'alternatives symboliques et signifiantes, la rationalité médicale prend le pas sur toute autre logique d'action et de causalité. La critique de l'acharnement thérapeutique va consister essentiellement à dénoncer la centralité de la fonction médicale dans le champ de la mort, comme dans d'autres champs d'activités sociales par ailleurs, comme l'a fait Jean Ziegler33(*), mais également Louis Vincent Thomas34(*). Le concept de « iatrogenèse sociale35(*) » dont fait usage Ivan Illich est de loin celui qui décrit avec le plus d'exactitude l'influence de la médecine sur le traitement social de la santé, de la mort et de la maladie. C'est dans la description précise de la « schizoalgie36(*) », nommant ainsi l'incapacité de l'individu à gérer sa souffrance et à l'exprimer. En somme cette situation un peu particulière où la souffrance rompt toute capacité à établir des relations à autrui et surtout à soi-même.

Tous les acteurs sociaux, les Églises, les médecins, les patients, indépendamment de leur position religieuse et de leur engagement pour ou contre l'euthanasie, s'accordent à critiquer l'acharnement thérapeutique, admettant implicitement qu' « aujourd'hui nous aidons pas mal de gens à vivre trop longtemps » et qu' « au fond on aide les gens à vieillir jusqu'à un âge où la vie n'est plus tellement vivable ». Cependant, les implications pratiques de ce constat à priori évident n'en constituent pas moins un dilemme pour le médecin. Constater d'un côté que les gens vivent trop longtemps en tenant compte du critère subjectif de la qualité de vie, du bien-être personnel, voire même de la « joie de vivre37(*) », équivaut de l'autre à admettre qu'aujourd'hui déjà il est possible de renoncer à maintenir quelqu'un en vie en fonction d'aspects relationnels et sociaux, et plus seulement médicaux.

2.1. Les limites de la rationalité médicale et l'impuissance médicale

Si les limites objectives de l'activité médicale en matière d'assistance au décès sont fixées par le code pénal, il en est d'autres qui sont de nature cognitives, liées aux compétences du médecin, et de nature personnelles, en termes de capacités à affronter la mort. Rares sont les étudiant(e)s en médecine ou les médecins assistant(e)s qui, avant leur stage pratique, ont déjà été confrontés à la mort. Qu'il s'agisse du décès d'un proche ou d'une connaissance, assister à l'agonie d'une personne ou veiller un défunt n'est plus chose courante. Dès lors, la première question qu'il est légitime de poser est celle de la compétence médicale à exercer un jugement sur les aspects psychosociaux et socio-affectifs de la situation du mourant, lorsque le médecin n'est pas lui-même psychiatre, encore moins théologien et qu'il n'a pas suivi de formation sociale spécifique. La pratique médicale s'éloigne de plus en plus de l'approche holistique que pouvait avoir un généraliste jusque dans les années mille neuf cents soixante-dix. Depuis, la spécialisation de plus en plus accrue de l'activité médicale est telle qu'il paraît difficilement concevable que, par sa seule évaluation, un médecin puisse se faire une idée précise et globale de la situation du mourant.

Investi du pouvoir de protéger la vie du patient, de guérir et de soulager la souffrance, et d'assister le mourant durant ces dernières heures38(*), le médecin n'est pas censé induire le processus de mort. Toutefois, son expertise étant soumise à l'exigence d'objectivité, de rationalité et de l'adéquation des mesures qu'il décide, il n'échappe pas à des considérations qui, si elles ne sont pas de nature eugénique, n'en demeurent pas moins étroitement liées à l'attribution des ressources en fonction du pronostic vital, de l'espérance de vie et de la qualité de vie dont dispose son patient.

Cette appréciation du contexte socio-économico-relationnel dans lequel est ancré le mourant est très subjective, liée au cas particulier d'un patient et dépendante de la vision du médecin. Aussi l'évaluation de la souffrance est toujours relative au contexte relationnel et affectif de vie du patient. Par conséquent, le tableau nosologique de la souffrance en fin de vie est essentiellement subjectif et n'est pas de la même nature que les douleurs symptomatiques, prises comme manifestations d'une pathologie parfaitement connue et identifiée, donc parfaitement isolables et propres à l'exercice de la médecine allopathique.

Le Dr Jan von Overbeck, chef des médecins-conseils auprès de SwissRe, décrit ce hiatus entre la souffrance du patient et l'acceptation objective que peut en avoir le médecin. Le sens que donne le médecin à la douleur dans son diagnostic, ne correspond pas à la souffrance du patient : celle-ci a une dimension relationnelle et contextuelle, que n'a pas la première. Ce décalage implique donc que le médecin, lorsqu'il exerce son expertise, n'est pas forcément à même d'évaluer les conséquences psycho-socio-affectives de son diagnostic sur le patient, donc sur la souffrance de ce dernier. Pourtant il doit agir et décider.

Cependant, comme le précise le Dr. Jan von Overbeck, les médecins tiennent de plus en plus compte « des conditions psychiques et sociales, ainsi que de leurs effets pour attester d'une atteinte à la santé39(*) », mais sans disposer pour autant des connaissances nécessaires pour le faire, car il leur manque d'importantes informations quant au contexte de vie socioprofessionnelle de leur patient, tout comme les moyens et les outils pour les obtenir. Ils ne sont donc pas aptes à poser un diagnostic social adéquat, car cela demande bien plus que les seules compétences médico-techniques. Ce décalage, les médecins le relèvent aussi.

Par conséquent, il n'est pas rare de constater qu'à l'expertise sociale professionnalisée de la situation du mourant, se substituent tout simplement le bon sens et l'évidence, des moyens d'évaluation totalement subjectifs, comme le rapportent Marcel Druhle et Serge Clément dans une étude consacrée à la prise de décision en gérontologie40(*). Les deux auteurs illustrent leur propos par l'exemple de la décision d'autoriser le transfert à domicile d'un mourant. L'équipe soignante et le médecin tirent des conclusions parfois hâtives quant à la présence ou non de la famille au chevet du patient, au lieu d'une évaluation objective du réseau familial dont dispose le mourant, des ressources dont est pourvue la famille et de l'autonomie relative du patient.

Un médecin rapporte indigné la discussion qu'il a suivie étant assistant dans un hôpital. Il s'agissait de décider d'un retrait thérapeutique, l'arrêt d'un traitement dialytique pour une jeune femme d'origine indienne atteinte de poliomyélite, ne pouvant plus se déplacer et totalement dépendante, dont les seuls proches avaient été ses parents adoptifs qui, au moment des faits étaient déjà décédés. Sans famille, ne pouvant plus vivre sans dialyse et n'étant plus du tout autonome, un collège de médecins avait alors décidé de renoncer à tout traitement, mais sans demander l'avis de la jeune femme. Ne considérant pas qu'elle se satisfaisait de son état, car elle avait commencé à peindre et à broder dans son lit, mais voyant plutôt que « cela aurait coûté trop cher de la dialyser et de la redialyser, et de la maintenir, de s'en occuper et de mobiliser un tas de personnes autour d'elle41(*) » alors qu'elle était « impotente et improductive42(*) ».

Même lorsqu'il s'agit de formes licites d'assistance au décès comme dans le cas présent d'un retrait thérapeutique, la prise en compte de la réalité sociale du mourant peut engendrer des décisions absurdes, au mépris de la personne humaine, lorsque la décision n'est pas posée de façon professionnelle, mais au contraire fondée sur des à priori et de fausses évidences.

S'il y a la volonté explicite de laisser libre cours à la « décision morale personnelle43(*) » du médecin, pour autant qu'il s'agisse de pratique légale de l'assistance au décès, il ne peut pas être fait l'économie des connaissances spécifiques que suppose un accompagnement non plus seulement médical, mais aussi essentiellement psychosocial lorsqu'il s'agit de fin de vie. Par exemple, même avec une formation adéquate en soins palliatifs, la mise en pratique des acquis n'est pas facile, car comme le dit un médecin généraliste ayant suivi un cours en soins palliatifs : « dans nos livres, dans nos manuels de soins palliatifs, presque tout est bien, tout est beau, mais dans la réalité ce n'est pas comme ça44(*) ». La confrontation à la réalité du mourant, de son accompagnement et de celui de sa famille, exige de la part du médecin des connaissances et des expériences spécifiques du relationnel qui, lorsqu'elles font défaut, le laissent démuni face au mourant et à sa famille.

La centralité de sa position conjuguée à l'impuissance symbolique expose le médecin à de virulentes critiques, non seulement de la part de la société civile, mais également des instances médico-éthiques. En effet, l'incapacité à signifier la mort et la souffrance est souvent attribuée au seul médecin. En partie, parce qu'il est légalement responsable du bien-être du patient, mais aussi parce qu'il « est apprécié que ce soit le médecin qui décide à la fin45(*) », car en définitive dans les situations limites, éprouvantes pour les proches et le personnel soignant, le fait qu'une personne doive trancher, délivre les autres du poids de la décision difficile.

Pourtant, le médecin n'échappe pas à la stigmatisation lorsqu'il recourt à l'euthanasie active, car la technique médicale ne résout pas tout. Cette stigmatisation passe par une criminalisation de l'acte euthanasique et par une psychologisation du recours médical à cette forme d'assistance au décès, comme le montre l'ouvrage du Dr. Maurice Abiven. Ce dernier évoque le terme d' « acting out46(*) » soit de « passage à l'acte » pour décrire les motifs qui peuvent mener un médecin à avoir recours à l'euthanasie active. Cette pratique aux confins du champ médical fait l'objet d'un discours psychologisant, à l'image de Marie de Hennezel pour qui « l'euthanasie est un aveu d'impuissance, (...) : manque de compétence, manque de formation, pas d'autres solutions à offrir et pression de l'entourage47(*) ». Cette prise de position empreinte d'un engagement indéniable, si l'on peut en saluer la clarté, vise plus à lancer l'anathème contre certains médecins - pour lesquels le libre arbitre du patient quant à sa mort est une liberté qu'il faut défendre - qu'à véritablement ouvrir un débat de société sur le sujet.

Cela n'exclut pas pour autant que face à la mort les médecins ne soient pas démunis ou qu'ils n'adoptent pas des attitudes de défense, voire de déni de la mort. Cependant, mais les raisons de ces comportements sont multiples, comme le précise un médecin ayant mené toute sa carrière en milieu hospitalier : « çà peut vouloir dire qu'ils estiment que leur compétence n'est pas nécessaire ou bien qu'ils estiment que le patient ne vaut plus la peine ou bien qu'ils ne veulent pas être confrontés à une fin de vie48(*) ». Mais quelles que soient les explications données jusqu'alors, les raisons sont toujours individuelles, liées au médecin, à sa pratique, à ses défauts ou à ses manques.

Le Dr. Maurice Abiven ouvre cependant une piste de réflexion intéressante, lorsqu'il établit un lien entre la société civile et l'impuissance médicale en expliquant que « la souffrance des soignants témoigne de l'impossibilité même de la mission de relégation de la mort que leur confie tout le corps social49(*) ». Autrement dit, il indique que la désillusion thérapeutique est aussi le résultat de transformations sociétales, d'un processus de mise en marge des questions et des événements liés à la mort, qui mettent le médecin en incapacité d'agir.

* 33 ZIEGLER J., op. cit., p. 69 et suivantes.

* 34 THOMAS L.V ., Mort et pouvoir, Paris, Editions Payot, 1999, p. 85-106

* 35 ILLICH I., Némésis médicale. L'expropriation de la santé, Paris, Editions du Seuil, 1975, p. 47.

* 36 Ibid., p. 136 et suivantes.

* 37 La « joie de vivre » est un des critères de l'évaluation du bénéfice que peut tirer le patient d'une mesure thérapeutique ou curative dans les nouvelles directive de l'ASSM concernant la prise en charge des patients en fin de vie. Cf ASSM (Académie Suisse des Sciences Médicales), « La prise en charge des patientes et patients en fin de vie », op. cit..

* 38 Art. 1 du Code Déontologique de la Fédération des Médecins Suisses

* 39 Dr. OVERBECK (v.) J., « Limitations et risques du diagnostic médical en assurance incapacité de gain », in ASA (Associations Suisses d'Assurances), Bulletin des assureurs Vie destiné aux médecins suisses. Les risques et leur perception, Supplément du Bulletin des médecins suisses No 26, 29 juin 2005.

* 40 DRUHLE M. et CLEMENT S., « Enjeux et formes de la médicalisation : d'une approche globale au cas de la gérontologie », in AIACH P. et DELANOE D., L'ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Éditions Economica, 1998, p. 87.

* 41 P3 192573 (116 :119)

* 42 Idem

* 43 Les nouvelles directives médico-éthiques de l'ASSM citées en introduction accordent au médecin le droit d'apporter son aide au patient qui le souhaite, selon son propre choix. Cf. ASSM (Académie Suisse des Sciences Médicales), op. cit. , 2004. Publiées dans le Bulletin des médecins suisses, 86, No 3.

* 44 P9 050902 (747 : 750)

* 45 P9 050902 (619 :620)

* 46 ABIVEN M. et alii, op. cit., p. 183 et 185.

* 47 HENNEZEL (de) M., Nous ne nous sommes pas dit au revoir. La dimension humaine de l'euthanasie, Paris, Editions Robert Laffont S.A., 2000, p. 81.

* 48 P11 169632 (488 :491)

* 49 ABIVEN M. et alii, op. cit., p. 167-188.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote