2
« Trois moments de l'Occident: sous l'Ancien
Régime, la vie privée vécue comme une
cérémonie; au XIXe siècle, comme un roman
secret, au XXe siècle, la vie privée vécue en
public»
Octavio Paz
Courants Alternatifs,
1972
REMERCIEMENTS
Par ces quelques mots, je souhaite adresser ma gratitude
à Monsieur Jean-Jacques Cheval, pour avoir
accepté de diriger ce mémoire, pour son soutien, ses conseils
avisés, et sa patience.
Je tiens aussi à remercier Madame Annie Lenoble
Bart pour avoir accepté de faire partie de mon jury.
Enfin, je souhaite remercier tous ceux qui m'ont soutenue et
encouragée pour la réalisation de ce travail : Romain pour son
aide et son dévouement; ma mère (Françoise) pour m'avoir
donné vie, pour sa confiance et pour son ancrage dans la vie, mon
père pour la petite graine et pour son appui malgré la distance;
Armelle, Christiane, Laurence, Paul pour leurs corrections et leurs
encouragements.
Sans oublier: Mathieu (frère de sang et de coeur),
Romann (ami bavard), Jérôme (Breton voyageur), Maude (douceur),
Jérome (heureuse année), tout ceux qui entendent ce que je vois,
le romarin (qui parfume ma vie avec volupté), Aya de Yopougon (voyage
africain), les amis grenoblois (Céline, Manina et Alexis), Lo'jo,
Nicolas (le clown marin à la montagne), Albert Londres, Noam Chomsky,
Manu Larcenet, Matt Groening, les framboises, les ceris es et les
cannelés, l'équipe d'Arte Radio, le soleil, la grosse cloche,
Yann Parantho`n (magicien du son), Edouard -Léon Scott de Martinville
(pour le phonautographe) et bien sûr Marconi pour la
radio.
SOMMAIRE INTRODUCTION 7
1 ère PARTIE : LA PAROLE DES ANONYMES A
LA RADIO 10
I. La relation interactive radiophonique 11
A. La parole des auditeurs, une longue tradition
radiophonique française 11
1. Les prémices 11
2. Europe 1, le direct et le téléphone 14
3. Menie Grégoire, un remède radiophonique ? .
. . 16
4. Un nouveau genre radiophonique : la confession 18
5. Mai 1968, révolution radiophonique ? 19
6. Des radios libres à la suppression du monopole 21
B. L 'interactivité sur la bande FM de nos
jours 24
1. Les radios nationales privées
généralistes 24
2. Les radios publiques 28
3. Les radios jeunes 32
4. Les radios associatives et communautaires 33
C. Les émissions service 37
II. L'interactivité en question 41
A. La notion d'interactivité à la
radio et ses outils 41
B. La parole en question 54
III. Le cas de trois émissions service
radiophoniques 65
A. Le terrain d'étude: description des
émissions étudiées 65
1. «Service public » sur France Inter 66
2. « Ça peut vous arriver» sur RTL 67
3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info 69
B. Méthodologie de travail 78
2ème PARTIE : LES ÉMISSIONS SERVICE, UNE
TENDANCE À LA
SPECTACULARISATION ? 84
I. La radio, intermédiaire ou centre du processus
de médiation ? 85
A. Analyse des trois émissions
85
1. « Service public » sur France Inter 85
2. « Ça peut vous arriver» sur RTL 96
3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info
...108
B. Des dispositifs interactifs aux différentes
vertus 120
II. Entre service et spectacle 126
A. L 'interactivité radiophonique: un
dispositif aux nombreux bénéfices 126
B. Sphère privée/sphère
publique: la rupture médiatique 130
C. Mise en scène de ces émissions et
limites 134
CONCLUSION 139
BIBLIOGRAPHIE 141
ANNEXES 152
INTRODUCTION
Nous sommes tous Alice. Nous avons en tout cas, comme elle, la
possibilité de passer «de l'autre côté du miroir»
grâce aux médias. Lewis Carroll en 1871 imaginait un monde
où tout est inversé ; de nos jours, le public a franchi la
frontière invisible qui le séparait de l'espace
médiatique. De récepteur, il est devenu énonciateur au
sein de la sphère publique.
Phénomène omniprésent dans l es
médias contemporains, l'interactivité est aujourd'hui très
prisée par les professionnels. La radio est le média qui fait le
plus appel à son public en l'invitant à participer à
l'antenne à la création du contenu. Loin d'être
récentes, les émissions interactives radiophoniques occupent une
place importante au sein des grilles de programmes. Des radios jeunes aux
stations généralistes, en passant par les radios associatives,
toutes ouvrent leur antenne aux auditeurs sur des thèmes variés
englobant de nombr euses sphères de la société.
Prônant leur rôle d'agora par l'exercice d'une démocratie
directe, les radios revendiquent la liberté d'expression des auditeurs
sur les ondes. Toutefois les médias pratiquant cette ouverture sont
souvent accusés d'instrumentaliser la parole des individus vers
une logique utilitaire et / ou commerciale.
Le mémoire que nous avons entrepris se concentre sur la
nature de la relation interactive établie dans le cadre
médiatique. Pour qu'il y ait interactivité, l'échange doit
être entretenu par deux entités distinctes fournissant une
participation égale, active et réciproque. Les émissions
interactives ont bousculé les fondements de la relation entre un
média et son public. L'auditeur, ayant la possibilité de sortir
du silence en intervenant à l'antenne, induit une modification dans sa
position de récepteur, en devenant à son tour émetteur.
Notre travail distingue en conséquence les auditeurs actifs,
c'est-à-dire ceux qui entrent en contact avec une radio pour participer
à une émissi on et les auditeurs passifs appelés aussi
«écoutants ». Ce terme, correspondant à la traduction
littérale de listener en anglais, qualifie les auditeurs qui ne
souhaitent pas entrer dans le jeu de l'interactivité, mais qui
écoutent toutefois ce type d'émission.
Les émissions interactives ont pu se développer
grâce à l'arrivée et à la
généralisation (tardive) du téléphone dans les
foyers français. En effet, le téléphone est
l'élément sine qua non de l'interactivité
radiophonique. De nos jours, la modernisation des outils de communication tels
que le téléphone (téléphone mobile, SMS), ainsi que
la démocratisation de l'usage d'internet ont engendré des
mutations au sein des médias. Les grandes radios ont su adapter leurs
grilles de programmes en fonction de ces nouveaux usages par
l'intégration de contenu multimédia, via la mise en place
d'interfaces spécifiques: SMS, e-mails, chat, forum, blogs sont
autant de moyens mis à la disposition de l'auditeur pour établir
une relation avec le média radiophonique.
Nos recherches préliminaires nous ont conduits à
faire émerger une particularité commune à un grand nombre
d'émissions interactives. La volonté de rendre service aux
auditeurs est un leitmotiv récurrent dans les médias.
Les émissions service, comme nous avons décidé de les
nommer, souhaitent aider, soutenir et accompagner l'auditeur dans sa vie
quotidienne. Ces dernières couvrent de nombreux domaines, assurant
à l'auditeur une assistance pour tous ses petits tracas. Chaque
émission a sa spécificité et son champ d'action:
consommation, généalogie, voiture, travaux domestiques,
jardinage, animaux domestiques, soutien psychologique, sexualité, etc.
Ainsi l'auditeur, anonyme de par son statut, est pris en charge dans tous les
domaines de la vie ordinaire.
Les émissions service sont pour nous le
révélateur d'une évolution des rapports sociaux dans la
France du début du XXIe siècle. Nous souhaitons ainsi mettre
à jour et comprendre la place qu'occupe le média radiophonique
dans notre société. Nous postulons que les émissions
service actuelles révèlent et reflètent de nouvelles
orientations dans la pratique et les usages des médias; mais en ce cas,
les stations de radios sont-elles actrices ou simplement outils de
médiation? Les publics sont -ils instrumentalisés vers une
logique de spectacle ou se saisissent-ils de ces espaces médiatiques de
manière autonome? L'assistance apportée par le média
est-elle effective ou ne constitue -t-elle qu'une stratégie de
fidélisation de l'auditeur, répondant à une logique
d'audience?
Pour répondre à ces questionnements, notre
travail, par une démarche pluridisciplinaire, s'appuie sur des
éléments théoriques complétés par une
analyse de terrain. Celle-ci se compose d'une analyse de contenu de trois
émissions service: «Service public» sur France Inter, «
Ça peut vous arriver» sur RTL et « Lahaie, l'amour et
vous» sur RMCInfo. Toutes trois portent sur des sujets différents,
illustrant l'éclectisme de ces émissions. La première
traite de thèmes liés à la consommation, la seconde aux
arnaques en tout genre, et la troisième de l'intimité et des
problèmes qui en découlent. Nous nous sommes attelé
à comprendre et à analyser le dispositif mis en place pour
chacune de ces trois émissions, en accentuant notre attention sur
l'animateur.
Notre première partie: « La parole des anonymes
à la radio » s'attache à définir et à
délimiter notre champ de recherche. Des origines à aujourd'hui,
nous souhaitons retracer les différentes étapes de la prise de
parole des anonymes à la radio afin de mettre en perspective le
phénomène actuel. Nous questionnerons la notion
d'interactivité, tout en définissant les conditions et la nature
des prises de parole au sein de l'espace médiatique. Notre seconde
partie: « Les émissions service: une tendance à la
spectacularisation » expose l'analyse des résultats de notre
terrain de recherche. Nous apportons un éclairage sur les dispositifs
mis en place dans les trois émissions étudiées, avant de
fournir une analyse comparative. Enfin, sur la base des résul tats de
notre travail, nous tenterons d'apporter une vision générale de
ce type d'émission entre service et spectacle.
1ère PARTIE:
LA PAROLE DES ANONYMES A LA RADIO
I. La relation interactive radiophonique
A. La parole des auditeurs, une longue tradition
radiophoniquefrançaise
1. Les prémices
La radiodiffusion a toujours dû associer l'auditeur
à ses programmes. L'attrait pour ce nouveau média a
mobilisé les curieux, passionnés ou simples utilisateurs dans les
coulisses des radios. L'auditeur est aussi considéré par les
radios comme un simple «consommateur» qu'il faut séduire et
fidéliser afin de garantir la survie de la radio. Les écoutants
ont ainsi, depuis le début de la radio, participé aux programmes
de manière plus ou moins directe, à la fois dans
les radios privées et dans la radio d'Etat. Toutefois, ils restent
absents de l'antenne.
Le secteur public décide de confier à la
société civile, au travers d'associations d'auditeurs, la gestion
des stations. Pour Cheval, « ce système initial apparaît
comme une tentative de gestion démocratique, associant le service
public, des personnalités locales et des représentants des
auditeurs, autour de cette nouvelle forme de communication dont on sous estime
encore généralement les potentialités.
»1 La radio d'Etat associe l'auditeur à la gestion
des programmes, à travers des Conseils de gérance. Le
décret du 24 novembre 1923, fixant le statut initial de la Radiophonie
Française, permet la fondation de l'Association Générale
des Auditeurs de TSF en 1924, qui organise la gestion des émissions de
Paris PTT et de ses stations régionales sous forme tripartite. Il est
ainsi mentionné que dans un but d'intérêt
général, la gestion des programmes doit être assurée
avec la collaboration de l'Etat, des producteurs et des usagers, sous
l'autorité et le contrôle de l'Etat. Georges Mandel, ministre des
PTT, s'attelle à organiser tout cela par deux décrets le 13
février 1935, fixant les rôles de chacun. Il est
précisé que les Conseils de gérance (des stations
régionales) sont composés de cinq délégués
des services publics, de cinq représentants des sociétés
de producteurs intellectuels et de dix membres élus par les auditeurs
eux-mêmes.2 Des élections sont
1 CHEVAL Jean Jacques, Les radios en France,
histoire, état et enjeux, Rennes, Apogée, 1997, p 32
2 HUTH Arno Georges, La radiodiffusion, puissance
mondiale, Paris, Gallimard, 1937, p 96-97
organisées, conviant tous ceux qui s'acquittent de la
redevance, instituée en 1933 pour tous les détenteurs d'un
récepteur radiophonique. Le président de conseil est, quant
à lui, désigné parmi des membres par le ministre des PTT.
Enfin, le tout est encadré par un Conseil supérieur de la
radiodiffusion: le ministre y nomme des personnalités devant
représenter «toutes les formes de l'activité
intellectuelle du pays »3. En mai 1935, les
premières élections radiophoniques sont organisées, ne
mobilisant que 11 % de l'électorat. Pourtant, les quelque 220 000
votants permettent à Georges Mandel d'évincer d'anciens
dirigeants des postes publics qu'il souhaite écarter.4
Les postes privés considèrent l'auditeur plus
comme un consommateur. Financés par la publicité, une grande
écoute est la condition sine qua non à leur existence.
Dans ce sens, ils vont créer un certain nombre
d'événements pour attirer et fidéliser l'écoute. La
radio entre même en contact direct avec les écoutants. Des
excursions et des voyages collectifs sont organisés aux frais de la
radio pour les adhérents de l'association regroupant leurs auditeurs.
Par exemple, Radio Cité (créée en 1934 par Marcel
Bleustein) organise pour son public plusieurs croisières de Bordeaux
à Marseille en passant par le Portugal, le Maroc, l'Algérie et la
Corse, à bord de paquebots spécialement loués à cet
effet.5
De nombreuses organisations d'auditeurs se sont
constituées à cette époque. Celles-ci permettent aux
auditeurs d'avoir une influence bien plus grande que dans la plupart des pays
européens selon Huth. Plusieurs associations regroupent donc les
auditeurs de TSF ou « sansfilistes », et les représentent au
sein des Conseils de Gérance. «L'Association de Radiophonie du Nord
», créée en 1927 à Lille, est la plus importante,
rassemblant quelque 50 000 membres. Toutes ces associations sont
regroupées par la «Fédération Nationale de
Radiodiffusion» à Paris, qui compte près de 100 000 membres.
Plusieurs radios privées, comme le Poste Parisien, ont
créé des associations du même type.
3 CHEVAL Jean Jacques, op. cit. p 33
4 Ibid.
5 DELEU Christophe, Les anonymes de la radio,
Paris, De boeck, 2006, p21
Parallèlement à ces associations, on peut
constater la présence de radio -clubs, eux aussi regroupés en
fédérations. Un grand esprit de corporation leur permet de tous
s'unir au sein de la «Confédération Nationale des
radio-clubs de France et des Colonies », fondée en juillet 1923
à Paris. En 1936, on compte 17 fédérations avec plus de
400 radio-clubs réunissant près de 80 000 membres. Ces
associations ont vu le jour dans le but de défendre les auditeurs contre
les perturbations électriques et pour la lutte active contre les
parasites. En effet, les mauvaises conditions de réception sont à
l'époque les principales causes de revendications des
auditeurs.6
Les auditeurs sont aussi présents dans les programmes
à travers le courrier qu'ils envoient à la radio. Après
sélection, les lettres sont lues à l'antenne, ce qui permet
à l'auditeur d'intervenir directement à l'antenne, mais par
procuration. Les raisons de la rédaction sont multiples : protestations,
félicitations, insultes, opinions, plaisanteries.
Enfin, l'auditeur va pouvoir intervenir à l'antenne
dans les seules émissions de divertissement. Le premier jeu est
diffusé sur Paris PTT en 1927. Les deux premières personnes qui
appellent la station reçoivent un cadeau offert par des firmes
commerciales. Radio Luxembourg organise en 1936 le premier radio crochet,
permettant aux auditeurs de chanter afin de montrer leur talent.7
Pour finir, il est intéressant de souligner que
l'auditeur, dans les débuts de la radio, n'est jamais associé aux
programmes d'information. Outre le climat de censure qui règne sur la
radio à cette époque,8 il existe pour Deleu deux
raisons qui expliquent ce phénomène. Dans un premier temps, les
auditeurs sont surtout intéressés par des questions d'ordre
technique, la réception n'étant pas aussi bonne qu'aujourd'hui.
Puis, les auditeurs passionnés de TSF peuvent à l'époque,
sans trop de difficultés, créer leur propre radio. René
Duval rapporte ainsi
6HUTH Arno Georges, op. cit. p 109
7DELEU Christophe, op. cit. p22
8 JEANNENEY Jean-Noël, Une histoire des
médias, Paris, Seuil, 1996, p 156
les propos d'Antoine Bonnefous, créateur de Radio
Béziers en 1927 : «Pourquoi n'être qu'un auditeur passif,
quand on peut émettre ? »9
2. Europe 1, le direct et le
téléphone
Créée par Charles Michelson en novembre 1954,
Europe n°1 bouleverse le paysage les l'époque. 10
radiophonique français en exploitant différentes
innovations techniques deLa
station va se rapprocher de son public et le faire intervenir
à l'antenne. Comme le disent Albert et Tudesq: «avant Europe 1,
la radio avait vécu longtemps sinon dans l'ignorance de son public (les
radios commerciales utilisèrent très vite les techniques
d'enquête sur l'écoute pour justifier les tarifs de
publicité), du moins dans la conviction que ses réalisateurs
savaient mieux que le public ce qui lui convenait pour ses divertissements ou
son information. »1 1 La priorité est donnée
à l'information, les journalistes se déplacent hors des studios
et diffusent en direct les évènements. Le magnétophone
Nagra, qui remplace l'encombrant «camion son », leur permet une
grande mobilité pour enregistrer les sons, en vue d'une diffusion a
posteriori. Sabbagh raconte cette anecdote: « Un jour, Antoine
Pinay, chef du gouvernement, débarque à Orly. Les micros se
tendent. · «Vous permettez, dit -il aux journalistes, que je garde
mes informations pour le Président de la République. » Il se
dirige alors vers les journalistes de la presse écrite. · il
peut leur parler, ils ne publieront pas avant quelques heures. Parmi eux, avec
son Nagra, le reporter d'Europe 1 fait mine de prendre des notes et enregistre.
Il paraît qu 'à son arrivée à l 'Elysée le
président dit à Antoine Pinay. · «Je sais, merci !
» »12
Radio dynamique, Europe 1 va donner la parole aux auditeurs
dans les émissions de divertissement mais aussi dans les
émissions d'informations. On peut ainsi entendre l'auditeur à
l'antenne dans l'émission de Pierre Bellemare : «Vous êtes
formidables» créée en 1956. Le principe de l'émission
est de mobiliser la solidarité des Français en faveur des
sans-logis de la
9 DUVAL René, Histoire de la radio en
France, Paris, Alain Moreau, 1979, p 185
10DELEU Christophe, op. cit. p25
11ALBERT Pierre et TUDESQ André-Jean,
Histoire de la radio -télévision , Paris, PUF, Que sais-je,
p 105 12 SABBAGH Antoine, La radio, rendez-vous sur les
ondes, Paris, Découverte Gallimard, 1995, p 74
région parisienne, pour les mineurs sinistrés en
Belgique, etc. Les auditeurs répondent avec enthousiasme aux injonctions
insistantes et amicales de l'animateur, conteur de grands malheurs comme des
petits tourments de la vie.13
La grande innovation de cette radio réside dans le fait
que pour la première fois les auditeurs peuvent prendre la parole dans
les émissions politiques. Dans «Cent mille Français ont
raison », créée en 1955, les auditeurs sont
interrogés par sondage sur leurs opinions politiques. Mais la trop
grande liberté de ton de l'émission va la conduire à sa
perte. Deux mois après sa création, elle est supprimée de
l'antenne sur ordre du directeur de la station. Cette décision fait
suite à une émission sur la guerre d'Indochine, où les
auditeurs sont conviés à donner leur avis. Le fait qu'une
majorité d'entre eux se prononce contre, déplaît au
gouvernement, qui le fait savoir au directeur. 14 Ainsi, la station
devra davantage encadrer la parole des auditeurs à l'antenne.
C'est dans ce contexte que Franck Ténot et Daniel
Filipacchi créent en 1959 la célèbre émission
«Salut les copains ». Ne pouvant s'exprimer que sur leur chanteur
favori, les auditeurs devront attendre 1964 pour pouvoir poser des questions
aux hommes politiques. Ce dernier point constitue néanmoins une
nouveauté sur les ondes, Maurice Siegel qualifiant ce type d'initiative
d'inconsciente. 15 Europe 1 joue donc la carte de la
convivialité, créant une relation personnelle avec l'auditeur.
Pour Deleu on ne peut toutefois pas qualifier la radio de participative, car
«les interventions des gens à l'antenne demeurent parcellaires
et très encadrées, introduites dans des concepts où les
animateurs et les journalistes conservent la maîtrise du programme
».16
Pour Jeanneney «cette influence renouvelée de
la radio la rétablit dans sa situation d'enjeu politique et cela ne
pousse pas le gouvernement, de Gaulle et les siens, à alléger
leur mainmise ». En 1966, de Gaulle menace la survie de la station en
déclarant à son Premier
13 SABBAGH Antoine, op.cit. p 75
14DELEU Christophe, op. cit. p27
15Ibid.
16Ibid. p28
ministre, Georges Pompidou, que «l'existence des
postes périphériques domiciliés à
l'étranger, soustraits de ce fait à l'emprise de nos lois et de
nos règlements, (...) constitue une anomalie décidément
inacceptable. (...) Il s'agit qu'elle prenne fin... »17
Cet avertissement suffira à calmer le ton d'Europe 1. Mais l'Etat
voulant conserver le monopole va tenter à plusieurs reprises de prendre
une participation dans le capital du groupe, par le biais de la Sofirad qu'il
possède. En 1959, l'Etat obtiendra 46,85 % des voix, pouvant
désormais faire peser une épée de Damoclès sur la
station. Dès lors, Europe 1 sera tenue de pratiquer l'autocensure
jusqu'en 1986 où l'Etat vendra sa participation à l'entreprise
privée Hachette.18
3. Menie Grégoire, un remède
radiophonique?
L'arrivée de Menie Grégoire sur RTL en 1967
bouleverse le paysage radiophonique en proposant le premier programme de
confession radiophonique. Rien ne présageait, à l'époque,
que l'engouement des auditeurs aurait été si grand.
L'émission a commencé de manière hasardeuse comme le
dévoile l'animatrice, à l'époque journalistefree
lance: «c'était au tout début de l'année
1967. Un ami venait d'entrer à RTL avec Jean Farran, le nouveau
directeur. Il s'appelait Jean Namur. Il m'appelle et me demande de venir
déjeuner avec son patron. Ils arrivent : Farran est un grand type,
très beau et assez mystérieux. Je sens que, comme moi, il est
passé par l'école de la psychanalyse. Il dit avoir
décidé de faire parler les auditeurs, au lieu de leur parachuter
informations et distractions, ce qui ne s'était jamais fait nulle part
dans le monde. Un vrai pari. « Vous connaissez les femmes,
paraît-il. Pouvez-vous les faire parler ? Ó, «Oui... De quoi?
Ó, «N'importe ! De ce qu'elles voudront bien. On verra. Ó
»19
L'émission débute quelques mois plus tard, suite
aux lettres reçues après un article paru dans Elle,
osant aborder la vie sexuelle du couple et ses problèmes. Menie
Grégoire choisi une de ces lettres, la lit à l'antenne et fournit
une réponse personnelle. Le lendemain,
17JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 251
18 Ibid.
19 GREGOIRE Menie, Comme une lame de fond, 100 000
lettres qui disent le mal-être des corps et des coeurs 1967-1981,
Paris, 2007, p 10
une trentaine de lettres arrivent, le surlendemain cinquante
et des appels téléphoniques; la deuxième semaine, cinq
cent lettres.20 Un nouveau genre radiophonique est né.
Pour Deleu, plusieurs facteurs concomitants ont
contribué à l'arrivée sur la bande FM du premier programme
de confession. «Cette confidence radiophonique s'inspire largement de
la confession religieuse, même si elle n'inspire ni faute ni pardon
(É). La mise en place de ce type de dispositif est également
permis par le développement du téléphone dans la seconde
moitié du XX e siècle. Coïncidence troublante, la
psychanalyse, le téléphone et la radio, les
e
trois composantes de la parole divan en ondes, sont
nés en même temps, à la fin du XX siècle, et comme
ils reposent chacune à leur façon sur la parole, devaient
tôt ou tard se trouver associés. »21
Quotidiennement, de 15 heures à 15 heures 30,
l'animatrice, après avoir lu et répondu à la lettre d'un
auditeur, entre en dialogue en direct avec trois ou quatre anonymes,
préalablement sélectionnés au standard. La conversation
dure de six à neuf minutes Pour Cardon, l'émission accueillait
moins des questions ou des témoignages que des appels à l'aide ou
des confessions. Les auditeurs intervenaient à l'antenne dans une
situation de conflit, de dispute ou de trouble en ce qui concerne la vie
intime, familiale ou professionnelle. L'engagement émotionnel des
appelants était de ce fait très important, l'animatrice adoptant
tour à tour les rôles de consolatrice, thérapeute ou
accusatrice.22
L'émission de Menie Grégoire s'est parfaitement
insérée au sein d'une société vivant des mutations
sociales importantes. En effet, durant cette période s'est mis en place
un nouveau type de discours basé sur l'intime, et en particulier sur la
sexualité. «La revendication d'un droit au plaisir et la
promotion de spécialistes du plaisir sexuel dispensant conseils et
traitements, ont trouvé un espace particulièrement accueillant
dans la très
20 GREGOIRE Menie, op. cit. p 11
21 DELEU Christophe, cite in MEYER Michel,
Paroles d'auditeurs, Paris, Syrtes, 2003, p274
22 CARDON Dominique, « Chère Menie:
émotions et engagements de l'auditeur de Menie Grégoire »,
Réseaux, n° 70, Paris, 1995
populaire émission de Menie Grégoire qui a su
épouser, sur ces questions comme sur d'autres, les transformations de la
société française des années 1970. »23
L'émission de Menie Grégoire constitue ainsi la
première émission service qu'aient connue les Français. La
minutie et la rigueur de Menie Grégoire offrent, des années plus
tard, un terrain d'étude complet; comme un arrêt sur image des
moeurs de la société sur une période de 14 ans (de 1967
à 1981). De nombreux documents sont aujourd'hui disponibles, constituant
une base de travail de prédilection pour les chercheurs en Sciences de
l'Information et de la Communication. Il s'agit des carnets noirs de Menie
Grégoire, sur lesquels l'animatrice notait ses impressions à la
fin de chaque émission, 100 000 lettres d'auditeurs et 1 500 bandes
sonores stockées et classées aux Archives Départementales
d'Indre-et-Loire. Prolonger les recherches sur la relation interactive
établie par Menie Grégoire et l'impact de son émission au
niveau sociétal, nous permettrait, par l'adoption d'une démarche
historique, de mettre en perspective nos travaux universitaires.
4. Un nouveau genre radiophonique : la
confession
Le succès de Menie Grégoire fut tel qu'un
certain nombre d'émissions de confession radiophonique est apparu
ensuite. Conseillers, voyants, astrologues, psychothérapeutes assurent
des consultations en direct. Nouvelles confidentes, les grandes radios voient
à l'époque leurs standards submergés d'appels.
À partir de 1967, Françoise Dolto, alias
"Docteur X" répond en direct aux anonymes de tout âge sur Europe
1. Même si l'émission connaît un excellent taux
d'écoute, la psychanalyste ne souhaite pas poursuivre cette
expérience au-delà de 1969, regrettant principalement les
contraintes imposées par le dispositif radiophonique. Le dialogue
haché par les nécessités du direct et de la
publicité ne lui permet d'aller assez en profondeur. En
23 CARDON Dominique, «Droit au plaisir et devoir
d'orgasme dans l'émission de Menie Grégoire », Le temps
des Médias, n° 1, 2003, p 77 -94
1976, elle accepte à nouveau une émission sur
France Inter : "Lorsque l'enfant paraît", à condition d'y
répondre aux lettres des auditeurs.24
En septembre 1970, Madame Soleil envahit l'antenne d'Europe 1,
en mélangeant astrologie et psychologie auprès des auditeurs
appelants. De son vrai nom, Germaine Soleil, a remonté le moral des
auditeurs suspendus à son verdict, durant 24 ans, toujours
énoncé sur un ton chaleureux. Georges Pompidou l'avait rendue
célèbre lors d'une conférence de presse où, butant
sur une question d'un journaliste, il avait lancé : «Je ne suis
pas Madame Soleil !» L'astrologue quitte l'antenne en 1994 à
l'âge de 80 ans ; mais l'expression perdure.
5. Mai 1968, révolution radiophonique?
Le mouvement étudiant va avoir un impact important sur
la radio en France. Les pratiques et les programmes sont bouleversés.
Diffusant l'information à chaud via les postes
périphériques, la radio acquiert un véritable poids
politique. Pour Jeanneney la radio confirme son « rôle capital
dans l'histoire républicaine (É) au moment du mouvement de Mai
1968 où elle offre de grands atouts aux étudiants dans leur
stratégie urbaine. »25
La construction de la première barricade au Quartier
latin est annoncée sur Europe 1 le vendredi 10 mai à 20 heures 55
; toute la nuit les journalistes de cette station ainsi que ceux de RTL
transmettront les nouvelles, minute par minute. Leurs
radio-téléphones captent le fracas des explosions comme divers
leaders étudiants. 26
les déclarations des Qualifiés de «radio
barricades », les postes périphériques
donnent de la voix au mouvement. Derrière leurs transistors, les
Français réalisent en temps réel l'ampleur du mouvement
alors que France Inter reste muette, obéissant aux consignes officielles
qui interdisent tout reportage sur le sujet. Pendant les directs des radios
périphériques, les manifestants s'emparent des micros pour faire
connaître leurs opinions, et transmettre les mots d'ordre comme les lieux
de
24
http://www.francoise
-dolto.com/bio.htm
(consulté en juin 08)
25 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p250
26 SABBAGH Antoine, op.cit. p 84
rassemblements. Toutefois, ces éléments
peuvent-ils suffire pour qualifier Mai 1968 de révolution radiophonique?
Par exemple, aucune radio pirate n'a vu le jour durant cette période.
Dans tous les cas, une telle liberté de ton n'avait été
jusqu'alors jamais entendue sur les ondes françaises. Le poids et
l'impact politique d'une telle pratique radiophonique sont conséquents.
«A Paris, déclarera Daniel Cohn -Bendit, une
manifestation décidée à 15 heures réunissait vingt
mille personnes deux heures plus tard sans un seul tract grâce à
la radio »27
A partir de ce moment là, les auditeurs ne pourront
plus être absents de l'antenne, que ce soit sur les postes privés,
ou sur la radio d'Etat. En effet, suite à un mouvement contestataire
à France Inter, où, dès le 13 mai 1968 les journalistes
ont refusé de censurer l'information, la radio d'Etat a connu un
régime de liberté durant trois semaines. Et
«malgré la sévère épuration que
connaît l'ORTF les mois suivants, la crise a imposé la
nécessité d'une information affranchie du pouvoir»
selon Sabbagh.28
L'auditeur est dorénavant invité à parler
à l'antenne. Sur France Inter, Roland Dhordain et Jacques Chancel
créent Radioscopie. La première version de cette
célèbre émission consistait à faire venir un
anonyme pour qu'il se raconte. Autre exemple, en septembre 1968, un
débat de trois heures entre Edgar Faure et un étudiant en
médecine a lieu sur Europe 1. « Le Téléphone
sonne» créé en 1978 sur France Inter ouvre son antenne aux
anonymes afin qu'ils puissent poser des questions en direct sur
l'actualité. Sur Europe 1, le téléphone rouge leur permet
de signaler à la station des faits-divers et des nouvelles
inattendues.29
L'auditeur n'est plus absent, il participe désormais
directement aux émissions, même si l'espace qui lui est
accordé reste faible.30 Cependant, comme disait Claude
Villers,
27 SABBAGH Antoine, op. cit. p 85
28Ibid. p86 29Ibid.p
87 30DELEU Christophe, op. cit. p29
sillonnant la France à partir de 1975 pour donner la
parole aux gens ordinaires, «ce n'est pas vous qui écoutez la
radio, mais la radio qui vous écoute. »31
6. Des radios libres à la suppression du
monopole
L'expression «radio libre» naît vers 1968 -
1969 en Italie. A cette époque, le Groupe Danilo Dolci émet
clandestinement depuis la Sicile, afin d'exposer sur la place publique les
injustices dont les citoyens de Belia (Sicile) ont été
victimes.32
En France, cette appellation désigne les radios
clandestines qui ont émis entre 1969 et 1982, date à laquelle le
monopole d'Etat prend fin. Les évènements de Mai 1968 ont
montré à la population à quel point la radio constituait
un bon instrument pour la communication sociale.33 Forts du
célèbre slogan: «il est interdit d'interdire
», beaucoup vont se lancer dans un combat actif et militer pour la
liberté d'expression à la radio. Profitant des avancées
technologiques (développement de la modulation de fréquence qui
améliore considérablement la qualité sonore), les radios
clandestines vont s'empresser d'occuper cette bande presque vierge qu'est alors
la FM.34
Au lendemain de Mai 1968, les projets de radios libres
n'aboutissent pas, à l'exception de Radio Campus. Créée en
mars 1969 à Villeneuve d'Asq par des étudiants, cette station va
peu à peu prendre du poids. Dès 1972, des débats sont
organisés sur des questions universitaires où les
étudiants sont invités à prendre la parole. Mais à
partir de 1974, des descentes régulières de la DST (Direction de
la Surveillance du Territoire), de TDF (Télédiffusion De France)
et de la police, font tout pour faire cesser les émissions.
31DELEU Christophe, op. cit. p29
32JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 255
33DELEU Christophe, op. cit. p32
34Ibid.
En parallèle, des radios commencent à
émettre dans le reste du territoire français
35
(Radio active à Paris en 1975, Radio Uylenspiegel
à Hazebrouck en 1976).Le mouvement est donc impulsé dans les
années 1970. Plus tard, un évènement mettra au grand jour
le mouvement des radios libres. Comme le rapporte Jeanneney: «le coup
d'envoi des radios libres est donné, paradoxalement à la
télévision. Au moment des commentaires politiques sur les
élections municipales de mars 1977, un jeune leader écologiste,
Brice Lalonde, surgit sur les écrans, (É) et soudain il
s'écrit «J'ai une bonne nouvelle à vous donner Ó,
sort un poste de radio qu'il avait sur ses genoux, le pose devant lui et
annonce : «Ecoutez bien, vous entendez pour la première fois une
radio privée qui s'appelle Radio Verte. Ó »36
A partir de là, le mouvement va se développer
à grande échelle, les acteurs politiques devant prendre position
sur la liberté d'expression. La radio devient le média que l'on
associe le plus à l'idée d'expression démocratique. Les
militants favorables aux radios libres sont convaincus que la parole du peuple
est rendue possible à travers la radiodiffusion, et que l'accroissement
de la liberté de l'individu fera disparaître les injustices
sociales. Tout ceci dépend donc de la suppression du monopole
d'Etat.37
Toutefois, d'autres types de revendications émergent
des radios libres. On trouve en effet sur la bande FM une multitude de petites
radios à destination d'un public restreint. A Longwy, la CGT
(Confédération Générale du Travail) crée en
pleine
crise de la métallurgie et de la sidérurgie,
«Radio Lorraine Coeur d'Acier », venant relayer «Radio SOS
Emploi », La première radio ouvrière de France. L'antenne
est ouverte aux travailleurs inquiets de perdre leur emploi. Toutefois, faute
de moyens, la station va disparaître. A Lyon, « Radio Active »
lutte en 1976 contre la construction de la centrale nucléaire à
Creys Malville. En région parisienne, une dizaine de radios libres est
née: «Radio Fil Rose» à destination de la
communauté homosexuelle, «Radio 93 » en faveur des
libertés publiques mais aussi «Radio onz'débrouille »,
«Radio Massipal », «les Nanas radioteuses », etc. Parfois,
elles sont à peine audibles à quelques centaines de
mètres, et elles sont souvent brouillées par la
police.38
35DELEU Christophe, op. cit. p33
36 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p
256
37 DELEU Christophe, op. cit. p34
38 SABBAGH Antoine, op. cit. p 90
Il faut ajouter à cela les nombreuses saisies de
matériel, auxquelles les stations doivent faire face. A l'exception de
«Radio Lorraine Coeur d'Acier» qui dispose de locaux permanents
à la mairie de Longwy, les autres n'émettent jamais du même
endroit. Il faut trouver de nouvelles manières pour faire intervenir
l'auditeur, l'utilisation du téléphone étant dans ces
conditions impossible. C'est pourquoi, soit l'auditeur se déplace
jusqu'au lieu de résidence temporaire de la radio, soit la radio se
déplace jusqu'à lui. Dans ce sens, «Radio Verte
Fessenheim» choisit d'émettre à partir d'une maison d'un
village différent chaque jour et elle fait participer les habitants de
la maison au programme.39
La prolifération de ces radios a néamoins la
vertu de remettre clairement en cause le monopole d'Etat. Les radios libres
espèrent beaucoup de l'arrivée des socialistes à la
présidence de la République. En effet, même si le Parti
Socialiste n'est pas unanime pour condamner le monopole, François
Mitterrand prend la parole le 28 juin 1978 sur «Radio Riposte» pour
soutenir le mouvement. Pour Deleu « l'affaire «Radio
Riposte» identifie François Mitterrand (malgré lui) et le
Parti Socialiste au combat en faveur des radios libres.
»40 Après son élection, la loi du 9 novembre
1981 prévoit une dérogation au monopole et le 29 juillet 1982
(date symbolique faisant écho à la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse) est promulguée la loi qui stipule dans son
premier article: « la communication audiovisuelle est libre
».41
Toutefois, un grand nombre de radios légitimait leur
existence par le combat pour la fin du monopole. A partir du moment où
la liberté des ondes est acquise, un certain nombre de stations va
disparaître, n'ayant plus de réelle motivation. Pour Deleu
«dans un grand nombre de stations, ce sont avant tout les responsables
d'associations (É) qui ont hérité de la mission de parler
à la radio, alors que le projet de départ des membres des radios
libres était de donner la parole au peuple ».42
39DELEU Christophe, op. cit. p35
40Ibid. p37
41 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 257
42DELEU Christophe, op. cit. p36
B. L 'interactivité sur la bande FM de nosjours
Depuis longtemps, les auditeurs sont associés aux
programmes des radios; mais l'espace qui leur est consenti n'a pas cessé
d'évoluer. Aujourd'hui, l'interactivité est un
phénomène omniprésent sur la bande FM française,
emmenant les auditeurs à écouter du matin au soir leurs
semblables. Toutefois la nature et la durée du don de la parole sont
propres à chaque station, voire à chaque émission. Afin
d'illustrer nos propos, nous allons tâcher de présenter un
panorama des programmes interactifs en France. La diversité de l'offre
proposée nous a conduit à classer, dans une optique de
clarté, les émissions par « type
» de radios.
1. Les radios nationales privées
généralistes
La concurrence accrue au sein des médias privés
a engendré une course à l'auditeur, ayant comme principale
conséquence une mutation des programmes. Pour certaines radios, il
s'agissait même de survie. Selon Michel Meyer, les paysages
radiophoniques européens et nord-américains ont été
marqués, dès les années 1990, par la naissance de
nouvelles radios
43
affirmant face à leurs aînées
généralistes des identités ou des vocations
thématiques fortes. Les radios généralistes privées
ont ainsi dû moderniser leurs programmes afin de les rendre plus
attrayants. Prenons l'exemple d'Europe 1. Après plusieurs années
de déclin et d'hésitation, l'existence de la station,
possédée majoritairement par le groupe de Jean-Luc
Lagardère, est menacée. C'est dans ce contexte d'urgence que
Jérôme Bellay prend la tête de la station en septembre 1996.
Il considère que la seule issue d'Europe 1 est de se différencier
en devenant une «radio parlée ». La grille de programmes est
dès lors entièrement remaniée; les jeux, les
émissions de divertissement et les séquences musicales sont
éliminés de l'antenne, pour placer l'auditeur au centre de la
démarche radiophonique. Pour Michel Meyer, si Jérôme Bellay
s'est engagé dans cette formule talk radio «c'est bien
parce qu'il savait que le reste des genres radiophoniques était
irréversiblement « occupé »par d'autres. La
43 MEYER Michel, Paroles d'auditeurs, Paris,
Syrtes, 2003, p 178
musique était devenue le monopole des NRJ, Skyrock et
autres RFM et Nostalgie, et l'information la marque de fabrique de France Info
».44
Aujourd'hui, malgré l'arrivée de Jean-Pierre
Elkabbach à la direction de la station en 2005, Europe 1 continue
à forger son identité en donnant la parole aux auditeurs dans de
nombreuses émissions. Toute la journée, l'auditeur peut
intervenir dans les émissions matinales telles que «La question du
jour» où les auditeurs peuvent poser leurs questions sur des
thèmes d'actualité; mais aussi en journée avec «Faut
qu'on en parle» présenté par Faustine Bollaert, une
émission entièrement dédiée aux interventions des
auditeurs sur des faits de société; sans oublier les
émissions de nuit. La place laissée à l'auditeur varie
selon les émissions, mais l'interactivité demeure un point
d'ancrage fort de la radio. Ceci est confirmé par les nombreuses
possibilités mises à la disposition de l'auditeur pour entrer en
contact avec la station: appels téléphoniques, SMS,
forum, chat, blog. Certains de ces services sont toutefois
surtaxés, illustrant la nature commerciale de cette radio. Dans ce sens,
l'ouverture de l'antenne aux auditeurs n'est-elle que la conséquence
directe d'une logique marketing?
Pour assurer son financement, une radio privée vend des
espaces publicitaires à des annonceurs. La tarification de ces spots
d'environ 30 secondes diffusés à l'antenne répond à
une logique de flux. En effet, plus une tranche horaire
bénéficiera d'une audience cumulée élevée,
plus les espaces seront vendus chers et plus l'entreprise médiatique
pourra faire du profit. La vitalité d'une station privée
dépend donc de son auditorat. Les émissions interactives font
partie des émissions les plus écoutées par les auditeurs,
garantissant ainsi de bonnes audiences.
Il est intéressant à ce stade d'évoquer
l'exemple de RMC, qui était au bord de la faillite avant d'être
rachetée par Nextradio. Au début de l'année 2001, Alain
Weill, aux commandes de la station, renommée RMC-Info, a pris
l'initiative de modifier la grille des programmes afin d'imposer
progressivement le concept «news and talk ».45
Même si la radio
44MEYER Michel, op.cit. p 178
45 Le Monde, La nouvelle formule de RMC,
14janvier 2001,
http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13-
0,37-683733,0.html, consulté en mai 2008
a tendance à privilégier les émissions
d'actualité et sportives, nous pouvons entendre sur cette antenne des
émissions aux thématiques très variées afin de
cibler un public le plus large possible. La quasi-totalité des
émissions de RMC-Info ouvrent leurs antennes aux interventions des
auditeurs. Plus de cent personnes prennent la parole chaque jour, permettant le
débat entre auditeurs, la confrontation avec les journalistes, et les
dialogues avec les animateurs. C'est l'appartenance même du média
qui est ici remise en question. Les propos d'Alain Weill l'illustrent:
«Pour séduire, une radio doit se comporter comme si elle
appartenait à ses auditeurs. Et leur laisser beaucoup d'espace.
»46
Le talk show possède plusieurs
caractéristiques propres à ce type de programme; Charaudeau et
Ghiglione se sont attachés à les définir. L'analyse
développée ici pour le média télévisuel est
tout à fait applicable au média radiophonique. D'abord, le
talk show prend une place particulière dans l'espace public, en
élargissant le champ de celui-ci par l'intégration des domaines
du privé, de l'intime, des jugements et des affects individuels, tout en
les socialisant. Puis il se donne à voir dans sa propre mise en
scène, rendant la parole tellement visible qu'elle se vide de son
contenu. «A vouloir révéler à tout prix et rendre
tout visible, cette parole se donne comme un pur signifiant sans
signifié ». De plus, on peut y entendre une parole du
«moi-nous ». Ce «moi» individuel, «moyen », est
considéré comme plus grand dénominateur commun, et de par
sa banalité, de par son abstrait, il devient exemplaire, valant pour
tous, «jouant le rôle de figure emblématique d'un
symptôme collectif dans lequel chacun doit se retrouver ». Dans
ce sens, les auteurs qualifient le talk show de tautologie
identitaire. «Malgré tous les discours de justification
produits par les auteurs des talk shows sur l'interactivité et la
participation du téléspectateur, un «moi »sans
«vous », un «je » sans «tu », puisque le
«vous » et le «tu » sont intégrés dans le
«moi-miroir-de-moimême »etÉ «des autres»
». Pour finir, le talk show exalte une nouvelle norme
d'opinion publique, incluse dans un débat public véhiculé
par le média, et y apportant une réponse (qui n'en est en fait
pas une) de réparation au désordre social. Il est aussi à
l'origine d'un nouveau spectacle par le mélange des thèmes des
espaces public et privé, des genres du sérieux et du
divertissement. Enfin, il est porteur d'une nouvelle idéologie «
car sous prétexte de faire découvrir la vérité
et d'y impliquer de façon interactive le téléspectateur,
c'est à la consommation d'un fantasme de vérité «
inessentielle » à laquelle celui-ci est convié sans
46 Télérama, n°2946,
28juin 2006
qu'il ait droit à la parole.
»47 Les deux auteurs apportent ici une vision
détaillée et critique de ce nouveau genre discursif qu'est le
talk show . Il est important toutefois de préciser la
popularité du dispositif. RMC -Info en est l'illustration. Alors que
l'audience se trouvait au plus bas fin 2001 / début 2002, avec moins de
2 % d'audience cumulée, les résultats de la station se sont
progressivement améliorés depuis la refonte des programmes.
Même si l'audience cumulée n'est pas très importante sur la
période janvier/mars 2008: 5,7 %, la durée d'écoute par
auditeur est, quant à elle, élevée : 2h07,
révélant la fidélité des auditeurs. L'ouverture de
l'antenne aux auditeurs n'est pas la seule cause de la renaissance de cette
radio. Il s'agit d'un phénomène global, répondant à
des stratégies marketing, basées sur les courbes d'audience. La
radio doit dans ce sens satisfaire l'auditeur devenu cible commerciale.
Toutefois cette démarche n'exclut pas toute dérive comme en juge
Michel Meyer: « RMCInfo est sur la pente du populisme. La tentation
est énorme. Mais tout le monde sait, dans le monde médiatique,
que le trash populiste reste en France un genre interdit. »48
Pour finir ce survol de l'interactivité au sein des
stations généralistes privées, nous souhaitons nous
concentrer sur RTL, première radio de France en terme d'audience. Encore
une fois, de nombreuses émissions de cette station font intervenir les
auditeurs en direct. Mais le grand rendez-vous proposé par RTL est bien
celui programmé de 13 h à 14 h 30, du lundi au vendredi:
«Les auditeurs ont la parole », créé par Nicolas Angel,
qui officie depuis 1982 sur les ondes de RTL, après les informations.
Depuis sa création, les présentateurs se succèdent
à l'antenne, la place est aujourd'hui occupée par
Jérôme Godefroy. «Son public est en radio celui de cette
France profonde qui nourrit les reportages télévisés du 13
h de Pernaud sur TF1. » 49 Ce sont les «vrais gens » de la
France profonde, Monsieur et Madame tout le monde qui prennent la parole pour
intervenir sur des thèmes d'actualité. Les débats à
l'antenne sont souvent houleux, animés, conséquence directe de la
démarche de l'émission de recueillir les impressions des
auditeurs à chaud. Il est utile de signaler que ce type
d'émission peut être victime de son succès, avec des pics
d'appels importants lors d'événements d'actualité forts.
Par exemple, au lendemain du premier tour des élections
présidentielles du 22 avril 2002, la station a du traiter 10 000 appels,
dépassant outre mesure la moyenne (déjà
élevée) de 1 500 appels par jour. Un filtrage important des
auditeurs est donc mis en place,
47CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, La
parole confisquée, Paris, Dunod, 1997, p 88-89
48 MEYER Michel, op.cit. p
178 49MEYER Michel, op. cit. p 189
respectant un protocole strict et permettant d'éviter
toute dérive. Les appelants sont dans un premier temps invités
à laisser leur nom, leur numéro de téléphone et le
sens de la question ou de l'avis qu'ils souhaitent poser ou exprimer. Les
standardistes établissent ainsi une fiche par auditeur. Selon les
thèmes des émissions, un équilibre pour / contre est
recherché. C'est l'assistant de l'émission, qui, sur la base des
fiches, dresse la liste d'une dizaine d'auditeurs, avant de les interroger
lui-même sur leurs motivations à intervenir à l'antenne.
Proportionnellement, seule une faible minorité des appelants intervient
en direct, ne représentant qu'une faible partie de
l'auditoire.50
2. Les radios publiques
De toutes les radios ayant un rayonnement national à
Radio France, France Inter est sans contexte celle qui ouvre le plus son
antenne aux auditeurs. De l'aube au crépuscule, de nombreuses
émissions offrent à entendre des témoignages, questions,
remarques d'auditeurs; certaines d'entre elles étant entièrement
dédiées à cela.
Parmi elles, le rendez-vous historique, de la station
incarné par «Le téléphone sonne ».
Créée en 1978, l'émission est aujourd'hui entre les mains
d'Alain Bédouet de 19 h 20 à 20 h. L'émission traite de
thèmes d'actualité, de faits de société et de
politique. Les auditeurs sont invités à poser leurs questions ou
à faire leurs remarques; les invités présents sont
là pour y répondre. Le présentateur est maître de
l'antenne, c'est lui qui donne et reprend la parole à tous les
intervenants. Le dispositif est classique, pourtant l'émission rencontre
une forte adhésion de la part des auditeurs de la station. Pour Alain
Bédouet, «le dialogue avec l'auditeur est aussi vieux que la
radio elle-même. Phénomène ancien, il répond
cependant à un besoin nouveau. Je sens quant à moi pointer ce
regain pour la prise de parole en direct depuis au moins dix ans. Aujourd'hui,
on appelle cela libre antenne. C'est une mode. Et on mêle
l'interactivité à toutes les sauces. On feint de découvrir
le genre. Mais est-ce bien autre chose que l'expression du besoin des gens de
défier par leurs questions ceux qui incarnent l'autorité ou le
savoir, les experts, les journalistes, les hommes politiques? Ce que je sais,
c'est que les auditeurs sont de plus en plus demandeurs, éclairés
et exigeants. Ils sont las de
50MEYER Michel, op.cit. p 189 - 190
s'entendre expliquer le monde sans pouvoir réagir,
mettre leur grain de sel dans les débats de l'époque. Les
écouter est essentiel, car on apprend beaucoup de leurs centres
d'intérêt, de leurs perceptions du monde. Cela rend la gent
journaliste plus humble, plus rigoureuse et analytique. Ne jamais céder
à la facilité, tant ceux qui nous écoutent sont lucides et
jamais dupes de rien. Quoi que l'on croie, il y a des soirs où ce sont
les auditeurs et non pas l'expert invité qui sauvent l'émission
par la qualité de leurs interventions. »51 Un audi
teur qui devient sauveur du contenu des émissions ? Ces
considérations illustrent bien la place fondamentale occupée
dès lors par l'auditeur au sein d'une radio. Sommes-nous actuellement en
train d'assister à une réappropriation du média par les
pratiques? Ou est -ce la manifestation, nullement spontanée, d'une
ouverture plus importante de la part des radios? Pour Jean-Paul Cluzel,
président de Radio France : «une radio publique n'est la
propriété de personne. Elle appartient à la
République. Ses auditeurs sont au centre, mais n'en sont pas
propriétaires. Il est vrai que nous sommes sous la pression de certains
d'entre eux. (É) Les Français paient une redevance pour que nous
fassions du reportage, des fictions, des émissions
élaborées. Nos auditeurs sont exigeants, cela ne les
intéresse pas d'entendre ce qui se dit au café du Commerce... La
grande leçon de ces dernières années a été
de comprendre que le récepteur n'est pas inférieur à
l'émetteur. »52 Pourtant à l'antenne, une
fois que l'auditeur a posé sa question ou apporté sa remarque, il
est basculé hors antenne, ne pouvant pas réagir à la
réponse qui lui a été donnée. On ne lui accorde pas
de droit de suite, sans doute par peur du dérapage. Il est donc
nécessaire de ne pas être aveuglé par la liberté
octroyée au sein d'un dispositif rigide.
Les anonymes ont la possibilité d'intervenir sur
l'antenne de France Inter dans un type de dispositif différent du don de
la parole. «Là-bas, si j 'y suis» dirigée par Daniel
Mermet, est une émission qui ouvre son antenne aux auditeurs par la
diffusion de leurs messages laissés sur le répondeur de
l'émission. De plus, l'émission propose des reportages
centrés sur des anonymes. Deleu distingue de façon
schématique deux genres d'émissions assez différents :
d'abord celles qui donnent la parole à des victimes d'injustices,
«Là-bas, si j 'y suis» étant marqué par un
engagement social fort; puis les émissions qui souhaitent raconter
à l'auditeur une «histoire» par le traitement d'un sujet
original dans lequel le
51 MEYER Michel, op.cit. p206
52 Télérama, n°2946,
28juin 2006
journaliste donne la parole à des individus qu'il met en
scène. Parfois ces deux genres se
53
mélangent au sein d'une même
émission.L'anonyme qui prend la parole adopte soit le statut de
«victime» soit celui de « personnage-héros ». Tout
est mis en place pour justifier ces statuts. D'une part, il faut à tout
prix que l'auditeur puisse plaindre la victime et de l'autre, la construction
du « personnage-héros» s'établit par la place
accordée à la personne interviewée, le contenu des
séquences, etc. Dans ce disposi tif, le registre de l'émotion
tient une large place et contribue à la réalisation du projet de
parole. L'animateur revendique la volonté de toucher un public
cosmopolite, ce qui correspond aux objectifs de la radio de service public. Le
dispositif mélange pour cela le savant et le populaire, le tout pour
créer de la proximité avec l'auditeur.
On retrouve des objectifs similaires dans le réseau de
stations locales de Radio France. France Bleu bénéficie d'un
ancrage local fort tout en bénéficiant d'une couverture de
diffusion importante dans les régions françaises. Il paraît
logique, compte tenu de ces éléments, que les stations jouent la
carte de l'interactivité. Sur les 43 stations, toutes ouvrent leurs
antennes aux auditeurs afin qu'ils s'expriment sur les actualités
locales et régionales, ainsi que nationale et internationale. Les
matinales sont consacrées à des sujets de service ou
d'intérêts pratiques, les après-midi étant plus
réservés aux émissions de confidence, de joies et peines
de coeur.54 Les locales de Radio France, fortes de leur ambition
d'utilité publique demeurent proches géographiquement (et
sentimentalement) de leurs auditeurs. Le média radiophonique a
très tôt contribué au maintien des liens sociaux, tout en
mettant à jour la persistance de certaines solidarités
collectives dans des circonstances difficiles voire d'urgence. En effet, comme
nous l'expliquent Cheval et Tudesq, depuis ses débuts, « la TSF
devenue la radio s'est affirmée comme le média des temps de
crise. Elle assume alors un rôle d'alerte, d'information. Elle se met
aussi au service d'actions collectives en réaction aux situations
rencontrées. »55
53DELEU Christophe, op.cit. p 170
54MEYER Michel, op. cit. p209
55 CHEVAL Jean-Jacques et TUDESQ André-Jean
« Radiodiffusion et solidarité » in Les
solidarités, le lien social dans tous ses états, sous la
direction de Guillaume Pierre, 2001 p 57
Les stations de France Bleu ont toujours été
présentes dans des moments d'urgence pour jouer, bien évidemment,
un rôle informatif, mais aussi exceptionnellement d'assistance, comme le
raconte Gabriel Valdisserri, qui, sous l'égide de Christiane Chadal,
déléguée de Radio France pour le
Sud-Méditerranée, pilota les actions de la station de Nîmes
lors des inondations monstres de l'automne 2002. «Au plus fort du
déluge, sur la commune de Chusclan, un homme s'est réfugié
sur le toit de sa maison, prisonnier des flots avec ses trois enfants. Dans
l'impossibilité de joindre une unité de secours, il a
réussi à se connecter avec notre station via son portable, les
réseaux n'étaient pas encore coupés à ce moment
là. Le sinistré était fou d'angoisse et nous implorait
pour qu'on lui vienne en aide. Les pompiers du Codis, fidèles auditeurs
et très à l'écoute à cet instant, ont entendu cet
appel désespéré et envoyé un
hélicoptère sur place. Les enfants et leur père ont
été hélitreuillés et sauvés ! »56
Au delà de l'anecdote, les stations restent présentes et à
l'écoute des auditeurs, une fois les moments les plus difficiles
passés.
Lors des tempêtes de 1999 en France, les radios du
réseau France Bleu ont informé les auditeurs durant les
intempéries mais elles ont poursuivi les émissions pendant et
après la tempête pour contribuer à rassurer les personnes
isolées. Puis elles ont rendu compte, relayé, et suscité
des actions concrètes de solidarité pour apporter aide et soutien
aux victimes. Le don de la parole aux gens, a été semble-t-il
à l'époque, un exutoire à une angoisse
générale contenue. Certaines stations sont même devenues
physiquement les plaques tournantes des initiatives d'entraide et de
solidarité. Par exemple, les locaux de Radio France
Périgord (ancêtre de France Bleu) ont à l'époque vu
plusieurs centaines de personnes défilant du matin jusqu'au soir venant
offrir ou rechercher entre autres choses, des piles (pour les postes de radio)
et des bougies (pour s'éclairer).57
Ainsi, Radio France souhaite se démarquer des autres
programmes interactifs, revendiquant une certaine conception de service public.
La radio, dans ce cadre, joue-t-elle ce rôle essentiel de
médiation entre les individus?
56MEYER Michel, op.cit. p212
57 CHEVAL Jean-Jacques et TUDESQ André-Jean,
op.cit. p 57 - 58
3. Les radios jeunes
Que ce soit NRJ, Fun radio ou Skyrock, toutes offrent un
programme de libre antenne, en soirée. Actuellement, ce concept
d'émission permettant aux auditeurs de s'exprimer à l'antenne
dans un cadre a priori libre de contraintes, semble être
l'élément incontournable à la réussite d'une radio
ciblant les jeunes. En effet, ce type d'émission est perçu comme
sans tabou, sans limites, où toute transgression devient possible.
L'ambiance est extrêmement décontractée, allant du bon
enfant aux propos les plus «crus ».
Sur Fun radio, l'équipe du « Talk» (Sandra,
Mélanie, Jeff, Pipo et Clément) officie de 21 heures à
minuit depuis la rentré 2007, alors que sur NRJ « L'émission
sans interdit» débute à 20 heures pour se terminer à
minuit. Sur Skyrock, Difool et son équipe (Marie, Romano, Cédric,
Samy, Momo, Karim) restent maîtres de la libre antenne, les soirs de la
semaine de 21 heure à minuit, mais aussi le matin pour le «
Morning» de 6 heures à 9 heures. La « Spéciale»
rediffuse le dimanche les meilleurs moments de la semaine. Cette
émission est sans conteste la plus populaire des libres antennes, Difool
s'étant forgé au fil des années une certaine
notoriété auprès de son public. Le concept de
l'émission est simple: pas de conducteur, pas de sujets
préparés ; les débats sont orientés par les
auditeurs qui appellent, précise le coordinateur de l'antenne,
Frédéric Musa, lors d'un entretien avec Michel Meyer. «
Pas question de rédiger des fiches détaillées sur les
auditeurs qui appellent. Un numéro de téléphone à
nos deux standardistes afin de pouvoir rappeler la personne suffit. On se
contente de repérer au feeling les loulous qui ne viennent à
l'antenne que pour dire des insanités. Le but est de faire dialoguer les
auditeurs, de nourrir une discussion entre des adolescents qui
représentent 70 % de notre écoute. Difool, dans ce jeu
-là, n'est ni un psychologue, ni un Monsieur-je-sais-tout. (É) En
simple intermédiaire pour des gamins qui ont entre quinze et dix-neuf
ans. Il n'invite que très rarement des invités en studio. En cas
de dérapage, très rare, il gère la situation avec son
habitude de la libre antenne. »58 Difool est ainsi
considéré comme un expert, ayant su créer une symbiose
totale avec son jeune auditoire.
58 MEYER Michel, op. cit. p 75
Le succès de ce type d'émission est
expliqué sociologiquement par Glevarec. D'abord, la libre antenne peut
être associée à un lieu de passage (analogie avec le rite
de passage théorisé par Van Gennep) au moment de l'adolescence.
Les radios jeunes travaillent les frontières qui séparent
l'enfance de l'âge adulte. La libre antenne constituerait une sorte de
«rites d'initiation» de l'adolescence. L'écoute des radios
libres correspond à une certaine temporalité; le rejet de ce type
d'émission correspond à la volonté de grandir, la fin de
l'adolescence. La radio est un espace particulier, correspondant avec la
culture de la chambre. L'adolescent souhaite ici s'émanciper du reste de
sa famille. Ce type d'émission propose une ambiance particulière,
entre un état d'esprit peu contraignant et une configuration sociale
libérale. Cette ambiance permet la constitution d'une communauté,
composée de l'animateur, de son équipe et des auditeurs. La
notion de groupe est très importante à cet âge. De plus,
l'espace de transgression qu'est la libre antenne plaît aux jeunes. Les
libres antennes sont le révélateur du processus de socialisation,
propre à la jeunesse contemporaine. Elle indiquent une forte intrication
du privé et du public: le souci de soi et la responsabilité
sociale. Elles montrent aussi qu'il existe pour les jeunes
générations un autre espace symbolique structurant, en
parallèle de la famille et de l'école.59 C'est parce
que la libre antenne est en adéquation totale avec son public qu'elle
connaît une adhésion et un succès aussi importants.
4. Les radios associatives et communautaires
Les radios associatives ouvrent aussi leurs antennes aux
auditeurs ou à des anonymes. Ces radios ne fonctionnent pas sur le
régime de l'audience, dans la mesu re où elles ne sont pas
financées par la publicité. Ceci leur permet d'être un
instrument efficace sur le plan local au niveau politique ou social. Elles
couvrent une faible partie du territoire (une municipalité ou un
département) offrant ainsi une grande proximité à leurs
auditeurs. Proximité renforcée par la mise en onde de leurs
propos. Créant du lien social, il s'agit d'associer les gens aux
décisions et projets locaux.
59 GLEVAREC Hervé, «Le moment
radiophonique des adolescents : rites de passages et nouveaux agents de
socialisation », Réseaux n°119, p 27 - 61
Deleu évoque le projet initial de Radio G (à
Genevilliers) voulant rendre public le
60
débat sur les finances municipales et favoriser la
participation populaire à ce débat.La parole des auditeurs a ici
un poids important et peut influencer la politique locale. La faible couverture
de la radio constitue sa force: les auditeurs résidant tous dans le
même espace géographique, l'impact de la parole des gens s'en
trouve renforcé.
Une étude sur les auditeurs de Radio Courtoisie
(Paris), réalisée par Sébastien Poulain61,
montre l'attachement que les auditeurs témoignent pour leur station.
Cette radio associative se distingue par son attachement aux idées
d'extrême droite et par son ultra conservatisme. Les liens forts qui
unissent la radio à ses auditeurs sont le résultat de
l'appartenance à une même communauté idéologique.
Par le biais de cette radio, les auditeurs confessent leurs idées et
opinions, qu'ils ne peuvent pas exprimer ailleurs. Pour l'auteur,
«l'expression de cette idéologie permet aux auditeurs de se
sentir représentés, légitimés,
sécurisés, défoulés, apaisés.
»62 En effet, ils se considèrent exclus de la
société, de par leur faible représentation dans les
médias. Radio Courtoisie devient une arme contre la sous-
représentation, et les propos diffusés à l'antenne
permettent aux écoutants de se sentir légitimés dans leurs
idées. «Radio Courtoisie, en tant que média, peut donner
une plus grande visibilité à cette communauté. Cela fait
partie du «contrat d'écoute »qui la lie à ses
auditeurs. La communauté doit légitimer la radio. (É) Les
auditeurs donnent un soutien économique et moral. En échange, la
radio doit légitimer la communauté. Elle doit la rendre visible.
Elle doit «l'exprimer»».63
L'interactivité est donc importante dans cette radio. Les auditeurs
peuvent intervenir à la radio par voie postale, mais ils ont aussi la
possibilité de se rencontrer lors de manifestations organisées
par celle-ci. L'anonymat garanti par les messages lus à l'antenne leur
offre une plus grande liberté de parole. Ainsi, la radio offre à
ses auditeurs un espace médiatique pour exprimer leurs idées. On
peut ici se questionner sur l'impact démocratique. En effet, les
auditeurs sont invités à donner leur opinion, ils participent de
ce fait au débat démocratique. Toutefois, les messages
diffusés ne sont entendus que par les
60DELEU Christophe, op.cit. p45
61 POULAIN Sébastien, Les auditeurs de
Radio Courtoisie, mémoire de DEA, sous la direction de Brigitte Le
Grignou, Paris, Université Paris I, 2004
62 Ibid. p91
63 Ibid. p 99
auditeurs de la radio, eux-mêmes (plus ou moins) en accord
avec les propos tenus. L'interactivité est-elle ici au service de la
démocratie ou de la communauté?
Les radios communautaires accordent aussi une place importante
à l'interactivité. En effet, Deleu les définit comme
offrant «un service à la communauté qui l'a
créée ou à laquelle il s'adresse, tout en favorisant
l'expression et la participation de celle-ci. »64 L'auteur poursuit
en ajoutant qu'elle promotionne la convivialité, la démocratie et
l'identité culturelle. Les auditeurs sont souvent conviés
à s'exprimer, renforçant le lien social entre les individus et
l'appartenance à une même communauté.
Ce tour d'horizon sur les émissions interactives de la
bande FM démontre la grande variété de l'offre. Si l'on se
concentre sur le type d'intervention, nous pouvons constater que les prises de
parole des auditeurs peuvent être regroupées et classées,
malgré la diversité des thématiques proposées par
les radios. Deleu s'est attaché à établir une typologie de
plusieurs dispositifs radiophoniques d'octroi de la parole, en distinguant
trois types de parole:
- La parole forum : par téléphone, l'auditeur pose
des questions ou donne son avis en direct sur tel ou tel sujet
- La parole divan: l'auditeur appelle un psychologue à
l'antenne pour lui faire part d'un problème
- la parole documentaire : ici l'interview est montée, le
journaliste ou l'animateur donne la parole à une personne racontant une
expérience.65
Cette typologie se base sur les propos entendus à
l'antenne. Une même émission peut être amenée
à faire entendre différents types de parole. Elle nous permet
toutefois de mettre à
64DELEU Christophe, op. cit.
p45 65DELEU Christophe, op. cit. p 12
jour et de délimiter l'espace octroyé à
l'auditeur pour qu'il puisse intervenir au sein des émissions
interactives.
Notre démarche se concentre sur un type particulier
d'émission interactive, ne pouvant transparaître dans cette
typologie. Notre réflexion se concentre sur un dispositif radiophonique
très répandu aujourd'hui : le média pénètre
dans le quotidien des auditeurs afin de les aider à régler un
problème. Nous avons décidé de qualifier de service ce
type de programme.
C. Les émissions service
Nos recherches préliminaires sur les émissions
interactives radiophoniques ont fait émerger un axe de réflexion,
une particularité dans ce type de programme. En effet, de plus en plus
de radios offrent une assistance, dans des domaines divers, à leurs
auditeurs. Nous avons fait le choix de qualifier ces émissions de
service. A la différence de Deleu, qui a mis en place une typologie des
types de parole des anonymes à la radio, notre démarche souhaite
mettre à jour un objectif commun à beaucoup d'émissions
interactives. Nous souhaitons nous concentrer sur la manière dont le
média se positionne par rapport à son public, ne correspondant
pas for cément à un type ou à une thématique
d'émission en particulier.
Afin de
légitimer notre terminologie, nous allons justifier le
choix et l'exactitude de cette appellation.
Ainsi, pour offrir une définition complète du
terme « service », nous allons nous arrêter sur les origines de
ce mot, par l'adoption d'une approche étymologique et historique. Issue
du latin servitium (servitude) et servus (esclave), il
définit étymologiquement l'état, la fonction ou la
condition d'un esclave ou d'un domestique: «le service de la chambre
». Dès l'ancien français, dans le vocabulaire
religieux, le « service de Dieu» qualifie le soin de se
consacrer aux oeuvres de piété ; alors que dans le vocabulaire
médiéval, le « service féodal » est
employé pour désigner les devoirs auxquels un vassal était
obligé envers son seigneur:
e
« service de l 'ost », puis à la fin
du XVIIIsiècle : « service militaire ». L'ancien
français l'utilisait aussi au sens de « l'activité
particulière que l'on doit accomplir auprès d'un maître
», en particulier dans le vocabulaire amoureux: « service
auprès d'une femme ». Au XVIe siècle, il
désigne l'ensemble des opérations par lesquelles on fait
fonctionner quelque chose: « mettre en / hors service ». A
partir du XVII e siècle, il est utilisé dans le
domaine sportif pour qualifier la mise enjeu de la balle, d'abord au jeu de
paume puis par extension au tennis. Ce n'est qu'à partir du
XVIIIe siècle, qu'il va exprime la manière ou l'action
de servir à table. Au XIXe siècle, il apparaît
dans le vocabulaire administratif, comme une fonction d'utilité commune,
publique: « service public, services des postes
»66.
66BAUMGARTNER Emmanuèle et MENARD Philippe,
Dictionnaire étymologique et historique de la langue
française, Paris, Librairie Générale
Française, Le Livre de Poche, 1996, p 732 - 733
Aujourd'hui, les acceptions de ce terme sont multiples. Nous
avons décidé de l'utiliser comme qualificatif d'un genre
particulier de programme radiophonique: les émissions service.
L'utilisation du terme «service» nous paraît
particulièrement adapté à l'objet de notre recherche.
Avant tout, le terme « service » peut être
utilisé comme formule de politesse pour dire à quelqu'un que l'on
est son humble serviteur: «je suis à votre service ».
Dans le langage familier, il se dit à une personne qui paraît
vouloir nous demander quelque chose : « Qu Õy a-t- il pour
votre service? » Par prolongement, ce terme qualifie aussi
l'assistance que l'on donne, l'aide que l'on prête à quelqu'un:
« rendre service à quelqu'un ». Dans ce sens, les
émissions service sont des programmes qui se mettent à la
disposition des auditeurs pour les aider à résoudre leur
problème. Le média se positionne comme un soutien, un conseiller
se mettant au service de son public. La notion d'assistance est ici très
importante. De plus, pour qu'une émission soit considérée
comme service, il est nécessaire qu'elle annonce ouvertement cet
objectif. Il est aussi nécessaire que le programme soit à
l'écoute physiquement des auditeurs; l'émission service est par
essence interactive : les auditeurs peuvent intervenir à l'antenne. La
radio, dans la mission qu'elle s'est donnée, peut adopter une position
distante avec l'auditeur: l'écouter, l'orienter, le conseiller ou
prendre une attitude plus active, en devenant acteur dans la vie de l'auditeur.
Le média peut ainsi prendre le rôle de médiateur, mais
aussi proposer directement les solutions et les outils à la
résolution des problèmes des auditeurs. Ainsi le type
d'assistance proposée dans le cadre d'une émission service va
dépendre de la station, voire de l'émission elle-même.
De plus, l'appellation « émission service »
fait implicitement référence à deux notions contemporaines
: celle de numéro service et celle de service public. En effet, les
numéros service tels que « SOS Amitiés» invitent les
individus en détresse à joindre l'association, qui a mis en place
une permanence téléphonique, afin de les aider et de les soutenir
par la parole. Les émissions service peuvent se rapprocher de cette
démarche, invitant les auditeurs à joindre le standard ;
toutefois le dialogue s'instaure pour l'un dans un cadre intime et pour l'autre
médiatisé. Nous assistons à une rupture entre la
sphère privée et la sphère publique.
Puis, nous souhaitons emprunter l'idée de service
public, que de nombreuses émissions service, appartenant ou non au
service public s'approprient, pour justifier notre choix. En effet, par
extension, le service public se définit comme une activité
considérée comme devant être disponible pour tous,
s'appuyant sur la notion d'intérêt général. Ainsi
les émissions service entrent dans cette démarche, proposant
à chaque auditeur de lui venir en aide.
Les émissions service programmées par les radios
nationales sont nombreuses, et leurs thématiques variées. Les
radios viennent en aide à leurs auditeurs pour tous les petits tracas de
la vie quotidienne. Par exemple, sur RMC-Info, une série
d'émission: «Tout surÉ » se consacre soit aux
problématiques liées au domaine de la voiture, soit à
celles liées au domaine de la maison, mais encore à celles
liées au jardinage ou enfin à celles liées aux animaux
domestiques. Les émissions service peuvent aussi proposer un soutien
psychologique : sur Europe 1 par exemple, Caroline Dublanche,
diplômée en psychologie clinique et pathologique, propose la nuit
une «consultation» en direct aux auditeurs en adoptant une attitude
d'écoute et de conseil. Les émissions service couvrent aussi les
domaines juridiques avec «Ça peut vous arriver» sur RTL, ou
ceux de la consommation avec «Service public» sur France Inter. Une
ribambelle d'émissions service s'affirme ainsi peu à peu sur la
bande FM, s'insérant dans ce mouvement croissant de programmes
interactifs.
Ces programmes se démarquent de l'offre radiophonique
par leur omniprésence mais illustrent aussi la (nouvelle?) place tenue
par la radio dans la société. En effet, les auditeurs sont pris
en charge par l'émission, qu'ils ont contactée afin de
régler leurs conflits, permettant ainsi au média d'entrer, par le
traitement du cas par cas, dans l'intimité des auditeurs. Peut-on dans
ce sens considérer que les émissions service permettent au
média radiophonique de devenir un acteur social de premier plan,
empiétant sur le terrain des instances traditionnelles?
L'émission service se considère d'utilité
sociale. En effet, elle accompagne un inconnu dans la résolution d'un de
ses problèmes durant le temps de l'émission. Cette assistance est
donc médiatisée et exposée à un large public. Les
émissions service offrent donc à leurs auditeurs des actions
concrètes. Les auditeurs écoutants peuvent s'appuyer ou
prendre
exemple sur des propos tenus à l'antenne pour
résoudre par eux-mêmes des difficultés similaires.
Jusqu'alors les médias étaient présents
sur la scène publique, informant le citoyen afin qu'il puisse exercer en
toute conscience ses devoirs civiques. L'arrivée et la multiplication
des émissions service permettent aux radios de prendre part de
manière plus active et de s'insérer dans le quotidien des
individus. De plus, ce type d'émission, par son interactivité,
stimule la création et l'affirmation d'une relation de proximité
avec les auditeurs. Le média prend ici une position noble, soutenant et
aidant les individus dans le besoin. Mais les intentions du média
sont-elles dépourvues d'intérêt? Les émissions
service apportent -elles une aide concrète ou fictive aux auditeurs ?
Ainsi nous souhaitons nous interroger sur la nature de ces émissions.
Il est primordial à ce stade de se questionner sur le
dispositif mis en place dans le cadre d'une relation interactive
radiophonique.
II. L'interactivité en question
A. La notion d'interactivité à la radio et
ses outils
Par ses multiples acceptions, l'interactivité est une
notion complexe et variée utilisée dans de nombreuses disciplines
Il faut donc nous arrêter, un instant, sur le sens de ce terme, afin de
le définir et de délimiter son usage dans le cadre de notre
travail.
Le terme d'interactivité fut à l'origine
utilisé dans le domaine informatique et dans le cadre de la relation
entre l'homme et la machine. Il entre dans le langage courant avec l'apparition
du discours sur les télécommunications. En fait, Jean-Louis
Donnadieu corrèle l'apparition de la notion d'interactivité avec
le développement de l'informatique, la télématique, les
réseaux câblés, etc. Les médias plus anciens (radio,
télévision, presse, cinéma) ne seraient pas
considérés comme interactifs à cette époque.
67
Aujourd'hui son acception s'est accrue ;
l'interactivité est devenue une notion plurielle, utilisée dans
de nombreux domaines tels que les sciences de l'information et de la
communication (SIC). Schématiquement la communication se résume
par la transmission d'un message entre un émetteur et un
récepteur. Des recherches plus poussées ont permis de
préciser et de compléter ce schéma de base. Notons ici
l'apport de Norbert Wiener avec l'apparition de la notion de rétroaction
(feedback), dans son article «Behavior, purpose and Teleology
»68 écrit en collaboration avec Arturo Rosenblueth,
et Julian Bigelow en 1943. Ils souhaitent démontrer qu'une analyse
comportementale est applicable à la fois aux machines et aux organismes
vivants. Wiener considère ainsi la cybernétique comme «
la science du contrôle et de la communication dans l'animal et la
machine ». C'est avec l'apparition d'une
67DONNADIEU Jean-Louis, La relation auditeur /
animateur radio par téléphone: un modèle
d'interactivité?, Thèse, sous la direction de LAULAN
Anne-Marie, Bordeaux, Université Bordeaux III, 1986, p 12
68ROSENBLUETH Arturo, WIENER Norbert and BIGELOW Julian,
Behavior, purpose and Teleology,
http://www.scribd.com/doc/946095/Behavior-Purpose-and-Teleology-Rosenblueth-Wiener-Bigelow
consulté en mai 2008
nouvelle forme de machine (la machine informationnelle) qu'a
pu se formuler un cadre théorique englobant tous les
phénomènes mettant en jeu des mécanismes de traitement de
l'information69. Le mathématicien Claude E. Shannon vient
compléter les travaux de Norbert Wiener in Cyberbetics, ou control
and Communication in the animal and the machine (1948) dans son ouvrage
The mathematical theory of communication (1949). Ancien
élève de Wiener, Claude E. Shannon propose un cadre conceptuel
pour définir et caractériser les notions d'information et de
communication. Ces théories sont aujourd'hui appliquées et
élargies au domaine social. Dans ce sens, la sociologie utilise le
principe de rétroaction dans le domaine de la communication
interpersonnelle. Elle s'intéresse à l'échange de messages
entre deux sources d'information, partant du postulat selon lequel tout message
envoyé entraîne en retour un autre message. Même si la
rétroaction semble absente, elle doit être supposée. La
cybernétique ouvre ainsi des horizons permettant de relativiser les
qualités d'émetteur et de récepteur. Pour finir, nous
devons souligner que des études s'opposent à l'idée d'une
communication réduite au principe d'échange de messages verbaux
et volontaires70. Considérant dans ce sens que l'acteur
social ne se trouve jamais en situation de ne pas communiquer: «
Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de
message. De tels comportements influencent les autres, et les autres en retour,
ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait
eux-mêmes communiquer. Il faut bien comprendre que le seul fait de ne pas
parler ou de ne pas prêter attention à autrui ne constitue pas une
exception à ce que nous venons de dire »71 . Ainsi
l'étude du contexte et du milieu social des individus devient aussi
importante que le contenu des messages échangés.
Notre problématique se concentre sur la relation
établie dans le cadre d'une émission médiatique. Les
théories précédemment développées
accompagnent notre réflexion à propos de la relation entre un
émetteur (la radio) et un récepteur (auditeur). En faisant
participer l'auditeur aux programmes, les radios ont bousculé les
fondements de la relation classique entre un média et son public. En
effet, le média a pour fonction première d'émettre une
69 MEUNIER Jean-Pierre, Approches
systémiques de la communication: systémisme, mimétisme,
cognition, Paris, De Boeck, 2003, p 12 / 13
70 DE COSTER Michel, BAWIN-LEGROS Bernadette, PONCELET
Marc, Introduction à la sociologie, Paris, De Boeck, 2001, p
127
71 WATZLAWICK Paul, JACKSON Don De Avila, BEAVIN
Janet, Une logique de la communication, Paris, Seuil, 1979
information pour un public. A la radio, l'auditeur
écoute passivement le programme, il consomme une émission. Si
celle-ci n'est pas à sa convenance, il a la possibilité de
changer de station, sans avoir à justifier son choix. Avec l'apparition
et la multiplication des émissions interactives, c'est la pratique du
média qui va être modifiée permettant à l'auditeur
de devenir à son tour émetteur. Peut-on toutefois qualifier cette
relation d'interactive?
Pour qu'il y ait interactivité, les deux entités
sociales doivent être présentes et offrir
72
une participation active.L'interactivité induit la
notion de réciprocité dans la relation. La communication
établie va dépendre de la relation entre les deux acteurs, chacun
interagissant l'un par rapport à l'autre. Notre recherche souhaite
comprendre quels sont les éléments de cette interactivité.
Comment les deux entités sociales se comportent-elles l'une envers
l'autre?
Il est nécessaire de prendre des précautions en
ce qui concerne les notions d'interactivité et d'interaction.
L'interactivité peut être considérée comme un simple
système de sélection et de manipulation des données
permettant des commandes prises en compte par le système mettant en
relation des informations, ou comme moyen de communication (ce qui tendrait
plus vers l'interaction). L'interaction se définit plus comme une action
réciproque entre émetteur et récepteur, alors que
l'interactivité se rapproche plus d'une activité de dialogue
entre un être humain et un programme informatique.73
Pour Françoise Séguy, il est nécessaire
de considérer l'interactivité aujourd'hui comme un outil
d'accès et de manipulation de l'information. Pour elle, les
écritures interactives n'apparaissent plus comme un processus de
création des contenus (ceux-ci étant
72 VIDAL Geneviève, Contribution à
l'étude de l'interactivité, les usages du multimédia de
musée, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2006, p 10
73VIDAL Geneviève, Ibid. p 11
très rarement inventés) mais comme «une
mise en forme de ses contenus adaptée au sujet traité, à
l'utilisateur et au support utilisé. »74
Les outils de l'interactivité à la radio sont
nombreux et induisent des usages et des types d'interventions variés.
Nous pouvons toutefois constater que ces derniers se sont multipliés ces
dernières années. L'apparition de nouvelles technologies de
communication a été prise en compte et appropriée par le
média radio. Ainsi l'apparition d'internet et du téléphone
mobile induit de nouvelles pratiques interactives. La multiplication des moyens
de communication pour entrer en contact avec la radio augmente-t-elle les
interventions des auditeurs en direct? L'ouverture de l'antenne aux auditeurs
est -elle plus importante grâce à ces nouveaux outils ?
Avant de répondre à ces questionnements, nous
souhaitons nous arrêter un moment sur les différentes
possibilités pour un auditeur de faire entendre sa voix.
+ Le téléphone:
Il est l'outil historique de la parole des auditeurs à
la radio. Il permet la transmission directe de la voix. A l'antenne, hormis la
qualité de transmission, l'auditeur appelant se trouve au même
niveau que l'animateur; tous les deux s'expriment exclusivement oralement. Le
téléphone fait partie des équipements multimédias
les plus répandus dans les foyers français, même si ces
derniers ne se sont équipés que tardivement. Son usage courant
peut ainsi être considéré comme relativement récent
en France. Selon l'INSEE (Institut National des Statistiques
et des Etudes Economiques), 86,5 % des ménages étaient
équipés de téléphone fixe, et 69,6 % de
téléphone portable en 2004. 75 Son utilisation est
très étendue dans la
74 SEGUY Françoise, Les questionnements des
écritures interactives,
http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Seguy/index.php
consulté en novembre 07
75 INSEE, Equipement des ménages en
multimédia par catégorie socioprofessionnelle,
http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle
fiche.asp?ref id=NATSOS05 11 8&tab id=43 1 consulté en mars
08
société, permettant d'entretenir un lien
interpersonnel avec des individus plus ou moins éloignés
géographiquement.
Cette invention de Bell en 1876 constitue l'illustration de
l'interaction permanente entre technique et société,
c'est-à-dire qu'il est à la fois le résultat d'un
processus d'innovation et d'un processus de socialisation où la
technique devient un phénomène social de par son appropriation et
son usage par des individus.76 En tant qu'outil, le
téléphone peut être employé à
différents usages.
Jean-Louis Donnadieu expose trois usages sociaux du
téléphone. Dans un premier temps, il va permettre la
réduction des distances entre les personnes, par la mise en relation des
individus physiquement absents. Puis, il permet de rompre la solitude, à
tout moment, il est possible de décrocher son téléphone et
de rentrer en communication avec quelqu'un. Durant la conversation, l'individu
a l'impression d'être en contact étroit avec son correspondant.
Toutefois, une fois le téléphone raccroché l'individu
retourne dans sa solitude. C'est ce que l'auteur nomme la «solitude
paradoxale : une relation avec l'absent». Enfin, le
téléphone va permettre la mise en place de «cercles »,
de réseaux. En effet, Jean-Louis Donnadieu évoque ici les
numéros dits «de service» tel « SOS Amitié ».
Le téléphone crée ici des liens qui lui sont propres entre
personnes qui ne se connaissent pas. Dans ce sens, posséder un
téléphone signifie être connecté à ce
réseau, ne pas être exilé.77
Nous pouvons ici établir un parallèle avec
internet. Les travaux de Jean-Louis Donnadieu étant assez anciens
(1986), nous prolongeons cette analyse en l'ouvrant à des technologies
plus récentes. Internet est dans ce domaine un terrain de
prédilection pour la constitution de réseaux. De nombreux outils
existent sur la toile afin d'entrer en contact tant avec des personnes de notre
entourage qu'avec des inconnus. Au sein de cette offre abondante, les radios
souhaitent constituer, elles aussi, des communautés. Les internautes
n'ayant comme point commun que d'écouter la même radio voire la
même émission. En effet,
76DONNADIEU Jean-Louis, op.cit. p27
77Ibid. p 29 /30
la plupart des services offerts sur internet (forum, chat,
e-mail) sont conçus pour les auditeurs de la radio. Ils
viennent la plupart du temps en appui d'une émission interactive.
Certains contenus sont même dévoilés à l'antenne.
Nous reviendrons plus loin sur ces éléments.
Il est important de signaler que se sont ajoutés aux
numéros dits «de service » évoqués par
Jean-Louis Donnadieu, des numéros (parfois payants) revendiquant des
objectifs similaires sans être spécialisés dans l'aide
à la personne. Nous pensons ici aux médias qui ont
multiplié ces dernières années des espaces
d'interactivité où le public vient se confier et / ou demander un
soutien à l'antenne. Notre étude se concentrant sur les
émissions service radiophoniques, il est impératif de questionner
l'usage du téléphone dans ce cadre. En effet, la relation
interpersonnelle établie lors de la conversation
téléphonique n'est plus la même. A la radio, même si
l'auditeur n'a pour interlocuteur que l'animateur de l'émission, son
témoignage est entendu par un très grand nombre de personnes.
Le téléphone, outil de communication,
véhicule de par ses usages sociaux un certain imaginaire. Celui-ci est
tourné vers l'idée d'intimité. D'abord, il est le
révélateur de certaines attitudes propres à chacun
(griffonnant un bout de papier, jouant avec le fil du téléphone,
assis, en mouvement, etc.). Le téléphone permet d'entrer dans une
bulle, de s'isoler de son environnement matériel. De plus, le
téléphone, faisant exclusivement appel à la voix, stimule
l'imagination, les individus sont hors d'atteinte dans le noir. Ceci engendre
une sensation de liberté, l'utilisateur peut se sentir plus clairvoyant,
plus audacieux, hors d'atteinte, voire
78
couvert par l'an onymat. Le téléphone peut alors
avoir une fonction exutoire.Les auditeurs appelant ont ainsi plus tendance
à entrer dans la confidence. Nous pouvons toutefois nous questionner sur
ce paradoxe: la relation téléphonique lors d'une émission
interactive favorise un climat d'intimité tout en étant entendu
par un nombre important de personnes.
Conscientes de l'importance de la téléphonie,
les radios proposent différents moyens à l'auditeur pour
témoigner à l'antenne. Il peut intervenir en direct sur les ondes
par le biais d'un insert téléphonique, après une
sélection faite au standard. En effet, les auditeurs qui
78 DONNADIEU Jean-Louis, op. cit. p 30/ 31
appellent une radio doivent passer à travers un filtre.
Les standardistes accueillent les personnes, et ils notent leurs intentions de
participation à l'antenne. D'autres éléments
complémentaires sont notés comme leurs noms, âges,
professions. Il serait instructif d'étudier un corpus de fiches standard
afin de s'interroger sur la sélection des auditeurs.
Puis, une intervention différée est possibl e en
laissant un message sur le répondeur de la radio ou de l'émission
concernée. Même si la parole de l'auditeur n'est pas en direct,
l'interactivité est ici importante. En effet, le répondeur permet
d'introduire une rétroaction dans la communication radiophonique
initialement unidirectionnelle. De plus, ces fonctions sont diverses.
L'auditeur peut appeler pour se plaindre, pour demander un renseignement, pour
apporter un complément d'information, pour donner son avis sur
l'émission, pour entrer en contact avec d'autres auditeurs, ou pour tout
simplement diffuser une information.
Les utilisations des messages des auditeurs sont multiples.
Dans un premier temps, l'émission ou la radio peuvent décider de
ne pas utiliser cette ressource à l'antenne. Il reste un
outil interne à la rédaction, qui a un retour positif ou
négatif sur le contenu de l'émission. Dans un second temps,
l'émission peut aussi choisir d'agrémenter son contenu, en
faisant part aux écoutants des remarques des auditeurs qui ont
appelé. De manière indirecte, en retranscrivant à
l'antenne les propos laissés sur le répondeur. Mais aussi de
manière directe, en diffusant les messages des auditeurs. On peut citer
en illustration l'émission de Daniel Mermet, «Là bas, si j'y
suis », sur France Inter. Les messages diffusés en début
d'émission sont pour Deleu le résultat d'une recherche de
proximité avec l'auditeur. Daniel Mermet
79
répond même à ces messages en direct de
manière humoristique . Les messages permettent aussi de créer un
espace commun pour les auditeurs. En effet, ceux-ci peuvent s'interpeller, se
répondre, se donner rendez-vous, etc. Tous ces éléments
favorisent la création d'une communauté d'auditeurs. La relation
interactive génère une certaine proximité entre les
auditeurs ; mais elle a pour autre conséquence de légitimer
l'émission elle-même.
79DELEU Christophe, op.cit. p200
L'auditeur peut aussi entrer en contact avec la radio de
manière indirecte à travers l'envoi de SMS (Short Message
System). La participation de l'auditeur se fait à la demande de
l'animateur ou du journaliste. Il peut soit être amené à
participer à un jeu, la sélection s'effectuant par ce biais, soit
pour interagir au contenu d'une l'émission. Dans ce cas de figure,
l'animateur lit à la volée les messages des auditeurs. Ce type de
communication est extrêmement développé dans les radios
destinées aux jeunes. Via les SMS, les auditeurs participent à
l'émission, car ils réagissent sur le vif aux propos
diffusés à l'antenne.
Glevarec cas envoyés Skyrock 80
s'est arrêté le
sur des messages à . Reprenant les idées
d'Abercrombie et de Longhurst, il montre comment un nouveau
type de relation est aujourd'hui instauré entre le public et le
média. L'interaction devient décisive pour comprendre la
constitution même des publics. Glevarec montre ainsi que les messages
envoyés à une station manifestent « la relation
irréductible d'une part des auditeurs à la seule écoute
des programmes »81 . De plus, les messages envoyés
à l'antenne montrent une certaine familiarité que l'auditeur
entretient avec la radio. Il doit avoir une connaissance relative du direct, le
message doit être compris dans un contexte en particulier. Enfin, le
message envoyé s'adresse directement aux animateurs de
l'émission, mais l'auditeur espère qu'il sera lu à
l'antenne, qu'il aura une portée publique. «Le message a bien
un truchement, l'équipe, mais il peut viser les auditeurs. Il ne
répond pas à un autre message, il est envoyé à
l'antenne: il répond à l'antenne. »82
Le succès des SMS envoyés sur les radios jeunes
n'est pas négligeable, constituant une nouveauté dans les usages
du téléphone devenu mobile. Dans ce sens, il serait instructif de
poursuivre notre réflexion sur les conséquences de la
démocratisation du téléphone portable dans le cadre de la
relation interactive radiophonique. De plus, une étude plus approfondie
sur la nature et les fonctions des SMS des auditeurs dans le cadre d'une
émission radio interactive est à envisager.
80 GLEVAREC Hervé, Libre antenne, la
réception de la radio par les adolescents, Paris, Armand Colin,
2005, p 155
81Ibid.
82Ibid.p 156
Le deuxième outil majeur utilisé par les stations
radio pour construire une relation interactive avec les auditeurs est
l'internet.
+ Internet:
Ces dernières années ont été
marquées par l'arrivée et l'expansion d'internet dans les foyers
français. Alors que moins de 10 % des ménages possédaient
internet en 1999, ils étaient 30,3 % en 2004.83
Les médias ont su réagir et s'adapter
progressivement à cette nouvelle technologie par la création de
sites internet sur lesquels les auditeurs disposent d'informations et de
fonctionnalités complémentaires. En terme d'interactivité,
certaines radios multiplient les outils en créant des espaces
électroniques permettant la mise en relation de la radio avec les
auditeurs mais aussi entre auditeurs ; nous pensons ici au forum, chat
mais aussi aux courriers électroniques dits e-mails en
anglais. Toutefois, la relation établie grâce à
ces outils peut être considérée comme indirecte. En effet,
celle-ci n'est qu'épistolaire.
Les chats sont des lieux d'échange en ligne
ouverts à tous, mais la participation est conditionnée par une
inscription gratuite en ligne. Le dispositif ne permet pas la
mémorisation des contenus produits collectivement. Ceux-ci s'inscrivent
dans une dynamique d'immédiateté, proche de l'oralité. Les
internautes sont réunis dans un même lieu virtuel appelé
«salon », qu'ils sont libres de quitter à tout moment. Ainsi
les participants entrent et sortent de l'espace de communication, faisant de la
discussion un moment discontinu. 84
83 FRYDEL Yves, INSEE première, n1011,
Mars 2005,
www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP1011.pdf
consulté le 24.04.08
84BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, «La parole
des jeunes sur Internet. Approche des dispositifs interactifs et des discours
», Les cahiers du CREDAM, Paris, 2005
Les forums sont des espaces de communication thématique
en ligne. Toutefois, à la différence du chat, les
contenus n'appartienn ent pas au domaine de l'immédiateté. Les
messages sont rédigés et postés sur le site par les
internautes au fur et à mesure; permettant l'archivage des
productions.
Les chats et les forums sont des espaces interactifs
proposés par la radio afin de rassembler les auditeurs. Ils sont
dépendants des émissions, certains contenus peuvent être
utilisés en direct par l'animateur. Un grand nombre de radios nationales
au-delà de proposer une interface spécifique à chaque
émission, offrent en plus aux auditeurs un blog rédigé par
l'animateur de l'émission. Les auditeurs de l'émission peuvent
réagir aux messages publiés par l'animateur via des commentaires.
Les éléments composant le blog sont divers et variés selon
les radios, même si une grande partie est dédiée à
l'émission. En effet, nous pouvons trouver au sein des blogs des
animateurs de nombreuses références à l'émission
elle-même: retour sur la thématique, compléments
d'informations, extraits sonores, etc. Que cela soit lors des chats,
des forums ou des commentaires laissés sur les blogs, tous sont
régulés par un modérateur. Mais à quel degré
les propos des auditeurs sont-ils contrôlés ? Quels types de
contenu sont retirés ? En effet, même si la modération est
discrète, elle reste omniprésente.
Il est fondamental de se concentrer sur ces contenus
interactifs et leurs conséquences. Comme nous l'expliquent Becqueret et
Gago la diversité des contenus «tient aux différents
indicateurs discursifs (modification de la langue), aux
spécificités techniques (le supp ort d'énonciation) et
à la reconnaissance de ces dispositifs par les utilisateurs. Bien que
leurs structures soient distinctes, ils ont en commun une codification
socio-langagière très spécifique. »85
Ceci engendre plusieurs conséquences dont deux directes pour les
auteurs:
L'expression du moi
Le succès de ces espaces interactifs est l'illustration
d'une soif d'expression individuelle au sein de l'espace public. Pour
Cauquelin, ces sites internet sont une recherche
85BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op.
cit.
86
identitaire, une quête où l'exposition d e «
soi » prime.Toutefois, d'autres auteurs comme Jauréguiberry y
voient un espace où des identités réelles et des
identités virtuelles se superposeraient. Les premières
permettraient une reconnaissance sociale pour les personnes qui n'en auraient
pas dans le monde réel. Pour les secondes, les personnes auraient la
possibilité de vivre des différemment réel.
87
expériences inédites, du
vécues monde Ainsi
chaque utilisateur trouve un terrain propice à
l'expression de sa différence par l'affirmation de son identité.
La parole est ainsi orientée vers le témoignage personnel.
Un jeu discursif particulier
Pour Becqueret et Gago, «nous assistons à
l'émergence de nouveaux contrats de communication, spécifiquement
liés aux situations discursives électroniques. L'apparition de
ces modes discursifs n'est pas étonnante: à chaque situation
doivent correspondre des cadres de références. Ils sont
nécessaires car ils permettent aux membres d'une communauté
sociale d'entrer en interaction. (É) Or, dans la situation
analysée, ce cadre est extrêmement complexe, puisqu'il
nécessite à la fois la maîtrise d'un outil technique
constitué d'interfaces particulières, impliquant une
réorganisation générale des discours écrits hors
normes. »88
Enfin, le dernier type d'utilisation d'internet favorisant la
relation interactive est l'envoi d'e-mails. La plupart du temps, les
auditeurs sont invités par l'animateur à les envoyer sur le site
de l'émission. Ceux-ci pourront aider à la création du
contenu de l'émission; l'animateur ayant la possibilité de lire
une partie ou la totalité de la lettre électronique à
l'antenne. Ces témoignages et / ou questions sont des supports
attrayants pour la radio. En effet, l'émission va pouvoir se
prétendre interactive car elle donne à entendre des propos
d'auditeurs; tout en contrôlant le contenu. Grâce aux
e-mails , l'animateur peut à la fois sélectionner les
messages, mais aussi s'émanciper de toute dérive, possible lors
d'une intervention téléphonique en direct. L'animateur est ici
maître du contenu.
86CAUQUELIN Anne, L'exposition de soi, du journal
intime aux webcams, Paris, Eshel, 2003 87JAUREGUIBERRY Francis,
PROULX Serge (sous la direction de), Internet, nouvel espace citoyen,
Paris, L'Harmattan, 2002
88BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op.
cit.
L'e-mail constitue aussi une passerelle vers
l'antenne. En effet, après lecture de celui- ci l'animateur peut
décider d'appeler la personne afin qu'il raconte son expérience
de manière orale. Ceci à l'avantage d'être plus vivant, et
surtout plus authentique.
Le dernier type d'outil dont dispose l'auditeur pour
communiquer avec une radio est le courrier manuscrit. De tout temps, les
auditeurs se sont emparés de leur plume pour apporter un
témoignage, poser une question, donner leur avis, participer à un
jeu, etc. Aujourd'hui encore, certains auditeurs préfèrent entrer
en contact de manière manuscrite avec une radio. Les lettres peuvent
même être lues à l'antenne.
Glevarec (2005) revient sur l'acte d'écriture qui
réside dans l'envoi de messages à la radio de manière
manuscrite ou par extension virtuellement sur internet (via les
e-mails, chat et forum), mettant à jour trois
dimensions. La première est une dimension d'acte de langage. Il s'agit
de savoir pourquoi la personne écrit, le but de son message
écrit. La deuxième dimension relève de la réception
pragmatique. Il faut ici comprendre comment le message s'articule à
l'émission: celui-ci peut-être très «situé
», il est alors en lien avec ce qui est dit à l'antenne, ou le
message est « désindexicalisé »,
l'intervention étant plus d'ordre général. La
dépendance pragmatique du message
s'articule autour de deux phénomènes
interdépendants: l'auditeur réagit aux propos tenus à
l'antenne, mais il manifeste aussi une certaine familiarité (conscience
et connaissance de l'antenne).
Enfin la troisième dimension relève de l'acte
d'écriture; il faut savoir à qui s'adresse le message. Mais aussi
comprendre la place que le sujet a dans le discours. Pour l'auteur, ce qui
rapproche les trois axes est « une modalité de réception
participative. »89
En conclusion, nous souhaitons nous interroger afin de savoir
si la multiplication des outils interactifs mis à disposition de
l'auditeur rend le média plus accessible. En effet, les innovations de
ces dernières années favorisent une expression indirecte
(e-mail, SMS, chat, etc.). Ces derniers viennent-ils
remplacer la voix de l'auditeur à l'antenne, ou sont-ils une offre
supplémentaire? Favorisent-ils l'expression de certains auditeurs ne
souhaitant pas
89GLEVAREC Hervé, op. cit. p 160
parler à l'antenne ? Pour Lamizet et Silem, c'est dans
l'interactivité que «réside le caractère
révolutionnaire des nouveaux médias ; l'interactivité leur
allouant de plus en plus d'autonomie, et les émancipant de leur simple
fonction-outil, jusqu'à les amener à un rôle de partenaire
de l'utilisateur humain, avec qui un véritable dialogue est
instauré. »90
90LAMIZET Bernard, SILEM Ahmed, Dictionnaire
encyclopédique des sciences de l'information et de la
communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 312-313
B. La parole en question
Le média radiophonique demeure par essence le
média de l'oralité et de la parole. Les professionnels de la
radio, des speakers aux journalistes, ont longtemps accaparé les ondes,
laissant peu de place aux auditeurs. Aujourd'hui, ce phénomène a
tendance à s'inverser, de plus en plus de programmes se basant sur le
don de la parole au public. Avant d'apporter une présentation des
locuteurs, nous souhaitons nous interroger sur la parole elle-même.
En français, « parole » est une contraction du
mot «parabole» apparue aux alentours
e
du XVIsiècle. Une parabole est d'abord un propos que
l'on ne peut pas tenir directement, un détour du langage que nous sommes
obligés de faire, par l'utilisation courante d'analogies. Mais pour
Breton, la parabole est surtout une parole qui a un but, appelant au
changement. Elle n'est pas là que pour platement informer son auditoire.
«Elle est comme un détour qui permet d'aller vers l'autre, dans
toutes les situations sociales que nous connaissons, pour lui proposer un
changement. La parole est un appel. »91 Ainsi la parole
permet d'entrer en communication avec autrui, c'est ce qui peut nous (re)lier
aux autres. Dans ce sens, la radio peut être considéré
comme l'outil permettant d'amplifier cette parole, tant en terme de distance,
qu'en terme de nombre de récepteurs. En effet, les émissions
interactives assurent cette mission auprès de leurs auditeurs en les
faisant intervenir sur les ondes. Dans le cadre des émissions service,
les auditeurs viennent exposer au grand jour leurs problèmes. Le contenu
de leurs propos est valorisé, légitimant leurs problèmes
de par leur passage à l'antenne. Les auditeurs écoutant sont les
té moins de l'aide ou du soutien apportés par la radio; mais ces
derniers peuvent aussi contribuer à la résolution du
problème, en contactant à leur tour la radio. Il faut toutefois
préciser que la radio adopte ici une position particulière dans
la communication établie, tout en imposant à l'auditeur appelant,
cloisonné dans un rôle défini, des conditions d'expression.
Pour Bourdieu, les rapports de communication que sont les échanges
linguistiques, sont aussi des rapports de pouvoir symbolique, actualisant les
rapports de force entre les locuteurs. Tout acte de parole est
considéré comme une rencontre de séries causales
indépendantes: d'un côté «les dispositions,
socialement façonnées de l'habitus linguistique» ;
c'est-à-dire une compétence à la fois technique (la
capacité de parler)
91 BRETON Philippe, Eloge de la parole,
Paris, La découverte, 2003, p 19
et sociale (la capacité de parler d'une certaine
manière, socialement marquée); et de l'autre «les
structures du marché linguistique qui s'imposent comme un système
de sanctions et de
92
censures spécifiques », contribuant
à ori enter par avance la production linguistique.L'acte de parole en
société ou sur les ondes n'est ainsi pas anodin, ni sans
conséquences. La radio, faisant intervenir des non professionnels,
laisse place à une parole brute, illustrant l'appropriation et l'usage
d'une langue. Dans ce sens, Malandain affirme que « les
témoignages recueillis sont des échantillons
représentatifs du français parlé que le linguiste ou le
professeur de français (en France ou à l'étranger) peuvent
légitimement considérer comme une base de travail
indispensable.»93 Les propos tenus à l'antenne
peuvent aussi être utilisés dans le cadre de notre recherche en
Sciences de l'Information de la Communication. Dans ce sens, nous allons nous
interroger sur la nature du don de la parole au sein des émissions
interactives radiophoniques.
Au préalable, nous allons nous focaliser sur le statut
des appelants et la place qui leur est consentie. Les émissions
interactives donnent à entendre la parole d'hommes et de femmes inconnus
dans la sphère publique, communément appelés Monsieur et
Madame tout le monde. Michel de Certeau parle d'un «homme ordinaire.
Héros commun. Personnage disséminé. Marcheur innombrable.
(É) Ce héros anonyme vient de très loin. C'est le murmure
des sociétés... »94.
Ce statut d'anonyme est la plupart du temps imposé par
le média, lors de son arrivée à l'antenne. Seul le
prénom de l'auditeur est annoncé, pouvant éventuellement
être complété par l'âge ou le lieu de
résidence. Cet anonymat est renforcé par le média
radiophonique, qui ne dévoile pas physiquement la personne, à
l'inverse de la télévision ou de la presse écrite. Les
vertus de l'anonymat dans ce type de dispositif communicationnel ne sont pas
négligeables. Elles peuvent faciliter l'acte de parole. Sachant qu'il ne
sera pas reconnu à
92BOURDIEU Pierre, Ce que parler veut dire.
L'économie des échanges linguistiques , Paris, Fayard, 1982,
p14
93 MALANDAIN Jean-Louis, « Le statut de la parole
donnée » in Audiences, publics et pratiques
radiophoniques, sous la direction de Jean-Jacques Cheval, Pessac, Maison
des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 2003, p 31
94 DE CERTEAU, L'invention du quotidien. 1. Arts
de faire , Paris, Gallimard, Folios Essais, 1990, p 11
l'antenne, l'auditeur se livre plus facilement, il se permet de
donner son avis, alors qu'il ne l'aurait pas forcément fait
publiquement.
A l'inverse du porte-parole, dont le pouvoir des paroles ne
réside que dans le pouvoir
95
qui lui est délégué , l'anonyme parle en
son nom propre. Il n'est investi d'aucun rôle, d'aucune
responsabilité. Ce statut ne permet pas à l'auditeur d'imposer
son originalité ou de légitimer ses propos en fonction de ses
connaissances potentielles. Il peut être un professionnel, un fin
connaisseur ou un simple amateur : peu importe, toutes les interventions
étant placées au même niveau. L'anonymat peut induire une
certaine infantilisation de l'auditeur, et par ce biais
décrédibiliser ses propos. L'auditeur est assimilé
à « Madame Michu ». Mythe professionnel des
journalistes, «Madame Michu» n'existe pas. C'est une figure
inventée à laquelle les journalistes se réfèrent
dans leur travail, incarnant l'auditeur peu cultivé,
influençable, réagissant de façon émotive, le
«bon sens » populaire sans aucun argumentaire semble lui
suffire.96 Or l'auditeur peut être une personne ayant des
connaissances et un savoir à transmettre. Dans ce sens, il est
légitime de se demander si l'anonymat est au service de l'auditeur ou
s'il ne le désavantage pas.
Malgré son statut d'anonyme, l'auditeur intervenant
dans une émission interactive peut avoir deux types de statuts
différents. L'anonyme citoyen, dont on attend «une "parole de
témoignage» sur des problèmes de citoyenneté [ou
celui de] Monsieur / madame Tout le monde, autre anonyme, dont on attend
également une «parole de témoignage», mais cette fois
par rapport au rôle (victime, bénéficiaire, accusateur,
etc.) qu'il / elle a été amené à tenir du fait de
ce qu'il / elle a vécu et de ce pourquoi on lÕa
convoqué(e) .»97 Dans une même
émission, ces statuts peuvent être co-présents. Mais leur
distinction reste importante, car c'est le contenu de l'émission, voire
l'impact des propos qui vont être modifiés. Au sein des
émissions service, l'auditeur adopte la plupart du temps une parole de
témoignage venant illustrer les propos tenus à l'antenne; ou pour
solliciter une aide extérieure, et contribuer à alimenter le
contenu de l'émission.
95BOURDIEU Pierre, op. cit. p 105
96 LE BOHEC Jacques, Les mythes professionnels des
journalistes, Paris, L'harmattan, 2000, p 210 - 211
97CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p48
Les émissions interactives donnent la parole à
leurs auditeurs, qui constituent une communauté. En effet, c'est en
faisant intervenir un auditeur lambda, celui qui dans ses idées englobe
les opinions d'une partie des écoutants, ou celui qui permettra aux
auditeurs de s'identifier à lui par sa situation spécifique, que
la radio réunit ses auditeurs. En effet, les émissions
interactives jouent sur cette idée que la réponse qu'elles
apportent à un auditeur en particulier peut aider d'autres auditeurs
vivant une expérience similaire. Même si l'écoutant n'a pas
lui-même évoqué la question sur les ondes, il suffit que
quelqu'un d'autre le fasse à sa place pour le contenter. Ceci fait
référence au principe de la «main invisible»
d'Adam Smith qui considère que dès qu'un individu vise la
satisfaction d'un intérêt personnel, cela favorise
l'intérêt général. Pour Meyer, il s'agit d'une
«loi qui s'adapte de fait aux émissions interactives en ce sens
qu'un auditeur appelant par intérêt personnel oeuvre largement,
pour ne pas dire à tous les coups, en faveur de l'intérêt
général. Ainsi, en répondant aux attentes d'un seul
auditeur, une émission interactive apporte une réponse
générale à la multitude. »98 En ce sens
l'anonymat permet de généraliser le statut de la personne qui
parle, et l'auditeur écoutant peut s'identifier à l'auditeur dans
anonymat. 99
intervenant car il lui ressemble son
Pour Becqueret l'émission interactive «est non
seulement le miroir de la société mais aussi le miroir de son
public. »100 Ce rôle de miroir constitue un
élément fondamental pour la communauté. En effet, si
l'être social parvient à se reconnaître dans les
représentations de la collectivité (comportements, valeurs), il
prend conscience de son « soi collectif». Ces mêmes
représentations aident à la structuration du champ social dans
l'espace public.101
En règle générale, les appelants sont des
auditeurs, parfois réguliers, de cette même radio. Par
conséquent, avant même d'intervenir, l'auditeur a conscience de ce
que doit être son intervention à l'antenne, il connaît les
normes imposées par la radio. La personne sait si elle peut donner ou
non son opinion, si elle ne doit poser qu'une question, si elle a la
possibilité d'intervenir après la réponse qui lui a
été formulée, etc. Il existe donc un contrat de
98 MEYER Michel, op. cit. p 190
99CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit.
p 86
100BECQUERET Nicolas, «Les émissions
interactives à la radio: la parole par téléphone »,
Les cahiers du CREDAM, Paris, 2002, p 85 - 91
101 CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p
32
communication implicite dans ce type d'émission, auquel
l'auditeur doit préalablement adhérer. Ainsi «dans les
émissions interactives la représentation préexiste, et
concourt au futur bon déroulement de l'interaction. (...) Il faut
connaître et partager (plus ou moins) les idées, le langage choisi
et mis en avant par l'instance médiatique et les autres
»102
intervenants. Dans ce sens, les émissions
interactives ne sont pas ouvertes à tous, mais
bel et bien à une certaine catégorie de
personnes qui partagent des représentations mentales et collectives
communes. On peut donc constater une certaine restriction quant aux personnes
intervenant dans ces émissions. La notion de communauté, voire de
tribu est ici fondamentale. En effet, le public d'une émission
interactive peut être considéré comme un microgroupe : les
personnes écoutent la même émission et ont des
connaissances communes. Maffesoli (1988) qui a travaillé sur le
tribalisme à l'époque post -moderne note que «la
métaphore de la tribu [...] permet de rendre compte du processus de
désindividualisation, de la saturation de la fonction qui lui est
inhérente, de l'accentuation du rôle que chaque personne (persona)
est
»103
appelée à jouer en son sein. Le rôle
des auditeurs est ici d'appeler la radio pour participer
à l'émission. Sans eux, l'émission ne
peut pas exister. Les auditeurs agissent et réagissent aussi les uns par
rapport aux autres, à travers le répondeur de l'émission,
ou en direct, lorsqu'une émission fait se confronter deux personnes qui
ont des opinions divergentes.
Ainsi, tout le monde n'intervient pas dans les
émissions interactives. Il faut faire attention à ne pas trop
généraliser le public qui y participe. Même si
l'émission semble ouverte à tous, dans la réalité
ce n'est pas toujours le cas; une grande partie des auditeurs n'intervient
jamais à l'antenne que ce soit par choix ou par dépit.
Tout d'abord, certains ne souhaitent pas s'exprimer à
l'antenne: la majorité silencieuse. Ils ne font pas la démarche
d'appeler la radio pour différentes raisons. Ils ne ressentent pas le
besoin de s'exprimer à l'antenne, donner leur opinion ou poser une
question ne les intéresse pas. Ils préfèrent
écouter ce qui se dit, plutôt que de faire partager leur point de
vue. D'autres pensent qu'ils n'ont rien à apporter au débat, ils
ne voient pas l'intérêt de leur parole. D'autres encore n'osent
pas intervenir. Les raisons peuvent être multiples:
102CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op.
cit. p 32
103 MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus, Paris, La table ronde,
2000, 3°ed, p 18 - 19
timidité, peur d'être reconnu par d'autres,
mauvaise élocution, etc. Ainsi la majorité silencieuse tend
à s'exprimer peu ou pas dans les médias. L'auditeur ne souhaite
pas devenir énonciateur, et profiter de la possibilité
d'intervenir à l'antenne. L'existence même d'une majorité
silencieuse ne permet pas à l'émission d'être
représentative de tous ses auditeurs. Pour Meyer: «il serait
illusoire de penser que le nombre des appels téléphoniques
est
»104
proportionnel au niveau d'écoute d'une radio.
Selon lui, seuls des inactifs ou des
auditeurs pressés de poser une question ou de donner
leur avis prennent le temps de téléphoner aux radios. Il affirme
que les lignes sont tellement saturées, que seulement 2 % des appels
arrivent jusqu'aux équipes des standards.
Toutefois, ce genre de programmes est de plus en plus courant.
La parole des anonymes tend à se banaliser. A l'antenne, certains
anonymes revendiquent la nouveauté de cette démarche,
n'étant jamais intervenu auparavant. Qu'est-ce qui est à
l'origine de ce basculement? Quel est le déclencheur de cette
initiative? L'omniprésence de la parole des auditeurs à l'antenne
doit contribuer à faciliter, voire encourager, la prise de parole des
individus au sein d'un média. Apparaissant accessible à tous, les
programmes interactifs stimulent le public à intervenir, le nombre
d'appelants étant de plus en plus nombreux. De ce fait, la
majorité silencieuse ne se fait-elle pas de plus en plus entendre?
Englobe-t-elle toujours une majorité des auditeurs? Prenons garde
toutefois: même si l'ouverture des médias aux interventions du
public s'accompagne d'une augmentation des personnes souhaitant s'exprimer,
cela ne signifie pas que l'accès à l'antenne sera
facilité. En effet, les sollicitations étant plus nombreuses, la
sélection opérée par le média se trouve plus
conséquente. Quelles sont les chances pour un auditeur d'intervenir
à l'antenne, compte tenu de l'existence d'une concurrence
importante?
Il existe ainsi un certain nombre de personnes qui souhaitent
intervenir à l'antenne mais qui ne sont pas sélectionnées
au standard. La sélection est opérée afin de
contrôler le contenu de l'émission, assurant la cohérence
de celle-ci. Ceci fait ainsi émerger l'existence d'un dispositif de don
de la parole. Il est ainsi légitime de se questionner sur la place qui
est consentie à l'auditeur dans les émissions service. Notre
étude de terrain souhaite contribuer à
104MEYER Michel, op.cit. p 191
éclaircir cette question. Toutefois il nous faudrait
envisager de poursuivre notre démarche au sein des émissions
elles-mêmes afin de comprendre quelle est la sélection qui
s'opère en amont de l'antenne. Ces questionnements sont
légitimés par le fait que certains auditeurs détournent
volontairement le dispositif afin d'intervenir à l'antenne. Dans ce type
de situations, l'appelant propose un thème d'intervention fictif au
standard pour être sélectionné; puis une fois à
l'antenne, il s'exprime sur un tout autre sujet. Ces transgressions ont
longtemps été une des plus grandes craintes des animateurs et
journalistes aux commandes d'une émission interactive. Toutefois, ces
derniers adoptent aujourd'hui une attitude plus confiante dans ce
cas-là. En 1995, Stéphane Paoli, présentateur de la
tranche matinale de France Inter, déclarait: «Depuis six ans
que je fais le 7-9, je n 'ai connu que quatre ou cinq incidents. Le plus
important c'est le contrat de confiance entre les auditeurs et l'antenne. Celui
qui rompt, qui pose une autre question que celle qu'il s'était
engagé à poser, je le mets
»105
devant sa responsabilité. Une telle assurance est
le résultat de deux facteurs
interdépendants: les animateurs, au fil des
années, ont acquis une certaine expérience, leur permettant de
réagir de manière plus raisonnée ; mais les programmes
ainsi que les filtres mis en place ont aussi évolué, permettant
de repérer de manière plus précise les «imposteurs
». Les subterfuges mis à l'Ïuvre par certains appelants nous
font nous questionner sur la nature de leurs motivations. Leur démarche
est-elle militante? Sont-ils animés par le simple désir de
transgresser des règles? Ou sont-ils convaincus qu'il s'agit de l'unique
moyen pour que leur appel soit sélectionné? Existe -t-il de
« bonnes » interventions qui assureront à l'auditeur
d'être choisi ? De même, existe -t-il des thématiques qui
excluront d'office l'auditeur? Toutefois, l'existence même de
stratégies de contournement, voire de transgression, induit que les
émissions interactives répondent à un certain
dispositif.
Ce dispositif, plus ou moins rigide selon les émissions,
contribue à éviter les dérapages
106
trop importants, ou comme le dit Deleu pour échapper
à « une parole qui fait peur ».Celle - ci se
décline en deux pans: le journaliste ou l'animateur d'une
émission interactive peut être attaqué sur
l'émission ou sur son contenu. Ceci justifie que certains adoptent dans
le dispositif, une position d'intermédiaire entre les auditeurs et les
invités, pour se protéger des attaques le visant. Il ne souhaite
pas être pris en otage par un auditeur. Craignant les critiques,
105 Télérama n 2882, 6 avril 2005
106DELEU Christophe, op. cit. p 76 - 88
il a peur d'être perçu comme un ignorant ou
d'être décrédibilisé par les propos dÕun
auditeur. Dans ce sens, son statut d'intermédiaire le protège,
n'étant pas là pour prendre position. Il s'assure seulement du
bon déroulement de l'émission. Le deuxième pan de la
«parole qui fait peur », et non des moindres, réside
dans les dérapages des auditeurs à l'antenne. L'émission
se déroulant en direct, le média n'est pas à l'abri de
propos racistes, antisémites, négationnistes, discriminants,
injurieux, etc. Ce type de dérapages est condamnable (car interdit par
la loi) par le CSA, qui a la possibilité d'utiliser différents
degrés de sanctions, du simple avertissement, à la cessation
temporaire ou définitive de l'autorisation d'émettre. Des
dérapages, moins graves, (surtout de type langagier) peuvent avoir lieu,
choquant une partie de l'auditoire. Ce genre de propos reste assez difficile
à traiter pour le journaliste ou l'animateur, le degré
d'acceptation de l'auditoire variant avec l'évolution des moeurs. Pour
éviter ce type de dérives, certains talk shows
américains ont adopté un dispositif de léger
différé, permettant de contrôler en amont les propos du
public, comme l'explique Phil Boyce, directeur de programmes de 77 WABC,
à New York: «Pour tous nos talk shows nous utilisons un
système qui décale la diffusion de sept secondes, le temps
d'intervenir si des propos sont jugés choquants
».107 Toutefois ce type de système reste
difficilement envisageable en France, le public français étant
très attaché à la notion de direct pour ses
qualités d'authenticité et de spontanéité.
Les auditeurs livrent à l'antenne des émissions
interactives un témoignage. Celui-ci a la vertu d'être
considéré comme authentique, dans la mesure où il est le
récit d'une expérience vécue. Pour Charaudeau et Ghiglione
(1997) les sociétés occidentales ont attribué à la
parole «le pouvoir de dire la vérité
»108 . Pour eux, même si la parole se distingue de
la vérité, elle constitue la condition pour l'atteindre. Dans nos
sociétés, la parole a donc une très grande valeur
symbolique. Lorsqu'une personne livre un témoignage, il est
considéré comme un exemple, comme une illustration, une preuve,
la véracité de ses propos est rarement remise en doute. Pour
Charaudeau, le témoignage dans les médias «instaure
l'imaginaire de la vérité vraie ».109 Il
faut toutefois préciser que, dans la pensée de Charaudeau et de
Ghiglione
(1997), une parole individuelle, c'est-à-dire celle
directement attachée à une personne, est considérée
comme suspecte car trop subjective. Il est donc nécessaire que cette
parole soit confrontée à
107 Télérama n 2882, 6 avril 2005
108CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op.
cit. p 28 109 Cite in BECQUERET Nicolas, op. cit.
d'autres paroles pour être dégagée de
toute intentionnalité. En faisant intervenir différents
auditeurs, eux-mêmes face à la parole du journaliste ou de
l'invité, les émissions interactives résolvent le dilemme
de la parole suspecte, par l'apparition d'une parole autre.110
De plus, les émissions interactives sont la plupart du
temps des émissions quotidiennes (du lundi au vendredi), et à
heure fixe. La régularité de ce rendez-vous renforce
l'idée de familiarité. Ceci a pour conséquence de
créer une certaine proximité, anesthésiant notre sens
critique.
La parole des anonymes dans les émissions interactives
n'est pas le simple fruit du hasard. L'auditeur doit tenir compte des
conditions spécifiques dans lesquelles sa parole va s'insérer. En
effet, le contrat de communication varie en fonction du genre de
l'émission interactive. Dans les émissions concernant
l'actualité, le contrat de communication est informatif, le but
étant de réagir
à chaud sur l'information. L'auditeur formule la
plupart du temps des questions simples à un journaliste ou à un
expert. Pour Becqueret, «il s'agit de la confirmation de l'existence
de ce dont on parle dans l'émission, par la narration d'une
»111
expérience personnelle corroborant les dires.
Dans les émissions traitant de faits de
société, nous sommes dans le cadre d'un contrat.
L'auditeur livre un témoignage ou une expérience à un
expert qui va tenter de lui apporter une réponse. L'auditeur est
poussé à témoigner afin de mieux échanger avec lui.
Le dernier type de contrat auquel l'auditeur peut être confronté
au sein d'une émission interactive est celui d'assistance. Sa
visée actionnelle permet au média de venir en aide à
l'auditeur et l'assister dans la résolution de son problème
112
qu'il ne parvient pas à régler seul.
Dans ce sens, l'auditeur endosse plus ou moins consciemment un
rôle en fonction du contrat de communication qui lui est imposé
par le média. Pour Becqueret, l'auditeur bénéficie
toutefois d'une certaine liberté; il peut décider de mettre en
avant ou non son statut,
110CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op.
cit. p28 - 29
111 BECQUERET Nicolas, «Le témoignage des auditeurs
à la radio », Les actes du colloque des journées
d'études de l 'Ecole Doctorale ASSIC, Paris, 2004, p 66 - 69
112 Ibid.
il ou moins l'interaction. 113
décide plus sa
de place dans Mais ce rôle le contraint à adopter
un
certain type de discours. L'appelant, dans la mesure où
il appartient à la communauté d'auditeurs, sait
préalablement ce que doit être son intervention. Dans ce sens, la
parole n'est pas totalement libre. Un auditeur modifiera sa mise en forme
discursive en fonction de l'émission dans laquelle il intervient pour
s'adapter au contrat de communication préexistant.
Compte tenu de tous ces éléments, il
paraît légitime de s'interroger sur la liberté de parole de
l'auditeur. Pour Charaudeau et Ghiglione (1997) « dire que la parole
est libre c'est dire que les citoyens ordinaires [É] ont tout pouvoir de
subvertir le pouvoir de l'animateur par leur parole et par conséquent de
laisser celle-ci aller son cours, fut-ce au prix de la confusion
»1 14 Dans l'émission interactive, l'anonyme, l
'animateur et le journaliste ne sont pas sur un pied d'égalité.
La libre parole dans ces émissions n'est qu'un leurre, elle est
encadrée. L'auditeur doit respecter les règles du jeu
évoquées précédemment. La place de l'animateur ou
du journaliste est ici centrale, car c'est lui qui, par différentes
stratégies, contrôle les propos tenus à l'antenne. Le
contrat de communication tel qu'il est perçu à l'antenne est
celui de la liberté de parole pour tous. Mais ce dernier n'est
qu'apparence, car une parole libre nécessite que les partenaires de
l'échange co-construisent les univers référentiels qui
structurent le débat. Ainsi chacun pourrait prendre la parole à
tout moment, sans autorisation préalable 115 . Mais ce n'est pas le cas:
dans les émissions radiophoniques, la parole de l'anonyme dépend
en grande partie de l'espace que lui accorde le journaliste ou l'animateur. Il
faut donc prendre garde à l'apparente liberté de parole des
émissions interactives.
Pour conclure, nous souhaitons préciser, en
continuité avec la pensée de Bourdieu, que chaque entité
participe à la construction de l'émission interactive, la parole
engageant chacun des protagonistes. Appelants et animateurs, comme simples
écoutants, tous jouent un rôle dans la construction du contenu
interactif. «Ce qui circule sur le marché linguistique, ce
n'est pas «la langue Ó, mais des discours stylistiquement
caractérisés, à la fois du côté de la
production, dans la mesure où chaque locuteur se fait un idiolecte avec
la langue commune,
113BECQUERET Nicolas, op. cit.
114CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op.
cit. p 102 115Ibid. p 120
et du côté de la réception, dans la
mesure où chaque récepteur contribue à produire
le message qu'il perçoit et apprécie en y important tout ce
qui fait son expérience singulière et
»1 16
collective.
116 BOURDIEU Pierre, op.cit. p 16
III. Le cas de trois émissions service
radiophoniques
A. Le terrain d'étude: description des
émissions étudiées
Comme nous l'avons montré, les émissions
interactives à la radio sont nombreuses et variées. Afin
d'illustrer nos propos, et dans le souci de confirmer ou d'infirmer nos
hypothèses de départ, nous avons décidé
d'étudier plusieurs émissions interactives présentes sur
la bande FM.
Pour ce premier travail sur les émissions services,
l'analyse de contenu nous semblait être l'approche la mieux
appropriée à notre recherche. Cette démarche nous permet,
grâce à des instruments méthodologiques, de
décortiquer des «discours» (contenus et contenants),
mêlant la rigueur de l'objectivité à la
fécondité de la subjectivité. L'analyse de contenu nous
permettra ainsi de relier nos hypothèses et intuitions de départ
à des interprétations définitives.117 Nous
souhaitons par l'analyse mettre en avant des phénomènes
récurrents présents au sein des émissions service.
S'agissant d'un mémoire, le temps de notre étude
de terrain nous était compté. Nous n'avons donc pas pu appliquer
le principe de saturation. Nous avons donc défini préalablement
le nombre d'émissions radios que nous allions étudier pour
chacune des trois émissions suivantes : «Service public » sur
France Inter, «Ça peut vous arriver» sur RTL «Lahaie,
l'amour et vous » sur RMC-Info. Après avoir choisi
aléatoirement une semaine « type », nous avons
constitué notre corpus avec deux émissions en début de
semaine (lundi 11 février et mardi 12 février 2008) et une en fin
de semaine (vendredi 15 février 2008). Nous allons maintenant nous
attacher à définir le contenu de notre corpus.
117BARDIN Laurence, L'analyse de contenu,
Quadrige, PUF, Paris, 2007 (1ère éd. 1977), p 13
1. « Service public » sur France
Inter
« Service public » est une émission
proposée par France Inter et animée par Isabelle Giordano.
Programmée le matin (de 10 h à 11 h du lundi au vendredi) «
Service public» existe depuis moins de deux ans. L'émission se veut
au service du citoyen vivant dans une société de consommation de
masse. Ce dernier est considéré comme « conscient de ses
droits et peu enclin à supporter davantage les manquements ou
défaillances des grandes marques et des grandes enseignes commerciales
». Dans cette optique, l'émission s'est donné comme
buts d'informer, de conseiller, d'enquêter et d'alerter les auditeurs,
tout en leur offrant la possibilité d'intervenir à l'antenne.
Cette émission peut-elle faire office de
révélateur quant à la place du citoyen dans notre
société contemporaine? Traditionnellement, le citoyen est
considéré comme un être politisé ayant des droits et
devoirs dans un Etat démocratique. «Service public » fait de
cet individu un être économique préoccupé par sa
consommation. On remarque ainsi un basculement du politique vers
l'économie. Ce phénomène est peut être à
mettre en relation avec un désintérêt croissant des
individus pour la vie politique. Peut-on ainsi considérer que les
préoccupations actuelles des citoyens gravitent plus autour de la
consommation? Ne sommes-nous pas face à des problématiques plus
individualistes ? La radio, par la thématique même de
l'émission, n'induit-elle pas un système de comportement
défini auprès de ses auditeurs?
Chaque émission porte sur un thème précis
lié à la consommation comme par exemple : les cigarettes bonbons,
les jeux vidéo, les franchises commerciales,
l'électroménager, etc. L'animatrice est accompagnée en
studio d'invités : ces derniers peuvent être des professionnels,
des experts, des chercheurs, des membres d'associations de consommateurs, des
journalistes, etc. Le ou les invités sont en lien avec la
thématique choisie, et ils sont la plupart du temps en promotion
(livres, articles, reportages, etc.). Cet élément nous questionne
sur la nature de cette émission. En effet, les thèmes sont-ils
choisis en fonction des besoins des auditeurs ou répondent-ils plus
à l'actualité promotionnelle des invités ou
partenaires?
L'émission a aussi mis en place un partenariat avec
deux associations de consommateurs : «UFC, que choisir» et « 60
millions de consommateurs ». Il s'agit des deux principales associations
françaises de consommateurs. Ce partenariat se concrétise par des
émissions en correspondance avec les dossiers publiés dans la
presse par ces deux associations.
Les auditeurs ont aussi accès à un site internet
réservé à l'émission. Ce dernier présente la
thématique de l'émission du jour, les personnes invitées,
la programmation musicale. On y trouve aussi le numéro de
téléphone du standard dans le but d'apporter un
témoignage, une réaction ou de poser une question. Le site
internet donne aussi accès à une présentation de
l'émission, aux archives ainsi qu'au thème de la prochaine
émission. Enfin, les auditeurs ont la possibilité de
réécouter l'émission en ligne ou de
lapodcaster.
Pour finir, l'émission radio se prolonge sur la toile
grâce à un blog. L'animatrice publie un billet quotidien
après l'émission et les auditeurs ont la possibilité de
poster des commentaires qui seront publiés sur le blog.
Les relations interactives sont multiples. Tout d'abord, les
auditeurs peuvent appeler le standard; si leur intervention est
sélectionnée, ils pourront passer à l'antenne. Ensuite,
les auditeurs ont la possibilité d'interagir sur internet. Le site de
l'émission propose un sondage en ligne sur le thème du jour,
ainsi que la publication de commentaires durant l'émission, puis sur le
blog, une fois l'émission terminée. Nous reviendrons en
détail sur les différentes possibilités proposées
à l'auditeur pour intervenir à l'antenne.
2. « Ça peut vous arriver » sur
RTL
«Ça peut vous arriver» est une
émission proposée par RTL depuis 2001 et animée par Julien
Courbet du lundi au vendredi durant deux heures (de 9 h 30 à 11 h 30).
L'animateur est accompagné d'une avocate (Maître Nathalie
Felloneau). Hormis les émissions spéciales, «Ça
peut vous arriver» n'a pas de thématique
principale. L'émission traite des difficultés que peuvent
rencontrer les auditeurs dans leur vie quotidienne: emploi, immobilier,
consommation, voyages, droits de succession, arnaques, etc. L'émission
revendique sa détermination à résoudre les
problèmes des auditeurs en direct, en appelant les protagonistes.
«Ça peut vous arriver » se considère comme le dernier
recours des auditeurs. Dans ce but, l'animateur invite les auditeurs à
confier leurs soucis afin de proposer soit un recours à l'amiable, soit
une procédure juridique. Durant les deux heures d'émission, les
auditeurs se succèdent à l'antenne, mais des rubriques
récurrentes viennent agrémenter l'antenne : "Ça peut vous
arriver pratique", "La foire aux arnaques", "L'arnacophone", "Le bilan de
l'émission".
Il est important de signaler que l'émission radio a un
doublon télévisuel sur TF1 depuis 1994: «Sans aucun doute
». D'autres émissions, traitant des mêmes thématiques
mais différentes en ce qui concerne le dispositif, sont diffusées
régulièrement sur la même chaîne (Les rois du
système D, Les dix commandements desÉ, La grande soirée du
logement). Julien Courbet est donc au coeur de nombreuses émissions
traitant des problèmes que «Monsieur et Madame tout le monde
» peuvent rencontrer au quotidien. Dans la même lignée,
il existe un site internet ainsi qu' un magazine intitulés «Stop
arnaques ». Julien Courbet est connu du grand public pour ses
émissions télévisuelles. Le succès de
l'émission radio n'est sans doute pas le fruit du hasard. Julien Courbet
est au centre d'un star system. Son image est utilisée afin de
développer de nombreux rendez-vous dans les médias, sites
internet, magazines et livres. Nous pouvons nous interroger: l'émission
radio doit-elle son succès à la popularité de
l'animateur?
«Ça peut vous arriver » dispose
également d'un site internet sur lequel est indiqué le
numéro de téléphone du standard, ainsi qu'un appel
à témoignage pour les émissions à venir. On y
trouve également l'adresse e-mail de l'émission dans le
but de réagir en direct. Pour participer à l'émission via
internet, il est nécessaire de créer un compte RTL. Ce dernier
n'est pas spécifique à l'émission «Ça peut
vous arriver », il englobe tous les services et avantages proposés
par RTL. Par exemple, cette inscription est aussi valable pour participer aux
différents jeux organisés par RTL. Le questionnaire à
remplir, outre les coordonnés, demande
quels sont les centres d'intérêts de la personne qui
s'inscrit. On peut y voir une manière pour la station de mieux
connaître son auditoire.
Enfin, des informations annexes sont présentes sur le
site de l'émission. Tout d'abord, nous pouvons constater la mise en
place d'un partenariat avec la chaîne de télévision TF1. En
effet, les auditeurs de RTL sont invités à regarder les
émissions télévisuelles de Julien Courbet. Le site nous
informe ainsi de la date et de l'horaire de la prochaine émission, de
son thème. Pour finir, le site présente la série de livres
de Julien Courbet : «Stop Arnaque ». Un lien hypertexte nous permet
d'acheter ces publications en ligne.
La présence de produits dérivés sur la
page internet de l'émission, comme la promotion d'émissions
télévisées sur une chaîne privée, nous
interroge sur la place accordée à la publicité et à
la promotion dans le cadre de cette émission. L'image de Julien Courbet
n'est-elle pas utilisée à des fins commerciales? Dans ce sens, ne
sommes-nous pas face à un show radio, où l'animateur / star
occupe une place centrale dans l'émission?
3. « Lahaie, l'amour et vous » sur
RMC-Info
« Lahaie, l'amour et vous» est une émission
proposée par RMC-Info du lundi au vendredi de 14 h à 16 h depuis
2001. Cette émission propose aux auditeurs d'intervenir à
l'antenne afin d'apporter des témoignages, réactions ou questions
tournant autour des thèmes de l'intimité et de la
sexualité. L'animatrice est parfois accompagnée à
l'antenne d'experts qui la soutiennent dans les réponses
apportées. L'émission se présente comme «l'unique
espace d'intimité, de liberté et de dialogue autour de la
sexualité. », où la liberté de ton est de
rigueur, sans pour autant entrer dans des propos vulgaires. De plus,
l'émission revendique le fait que chacun a sa place à l'antenne,
que tous les sujets méritent d'être traités. Est-ce
réellement le cas ? N'y a t-il pas une sélection faite au
standard?
Cette émission se démarque de l'offre
radiophonique générale proposée en journée, ceci
ayant fait couler beaucoup d'encre. En effet, c'est la première fois sur
une radio nationale que l'on peut attendre une émission
réservée aux adultes en plein milieu de l'après midi. Ce
type d'émission était traditionnellement programmé le
soir. De plus, la présentatrice, Brigitte Lahaie, a été
à l'origine de nombreuses remarques, étant une ancienne actrice
dans des films pornographiques. Nous sommes une fois de plus confrontés
à la présence d'une animatrice vedette. Ici la
légitimité de l'animatrice se fonde sur son expérience
professionnelle ; et non pas sur ses facultés à animer une
émission radio. Il est probable que la radio ait fait ce choix par souci
de provocation, mais aussi pour garantir aux auditeurs un interlocuteur qui
s'exprime sans tabou. En effet, Brigitte Lahaie est connue du grand public pour
sa carrière dans des films X, son expérience en terme de
sexualité et son ouverture d'esprit ne sont donc pas
négligeables. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur sa
légitimité en terme d'intimité et de relations
amoureuses.
Le site internet de l'émission comprend lui aussi de
nombreux éléments qu'il convient de décrire. En plus
d'inciter à l'appel par la diffusion du numéro de
téléphone, et la possibilité de podcaster
l'émission, les internautes sont invités à participer au
forum de l'émission à tout moment de la journée ou au
chat durant le déroulement de l'émission. Le forum offre
la possibilité à chaque internaute de proposer à la
communauté un sujet en lien avec la thématique de
l'émission; chacun peut ainsi interagir et contribuer à cette
conversation différée.
Le chat se distingue par l'immédiateté
de l'échange. Il s'agit d'une conversation électronique en temps
réel, à laquelle les auditeurs sont invités par
l'animatrice, en début d'émission, à participer.
«Lahaie, l'amour et vous» est la seule émission de notre
corpus à mettre en place un chat en parallèle de
l'émission radio, ce qui a retenu notre attention quelques instants.
Nous avons cependant adopté une attitude d'observation, ne souhaitant
pas participer au chat afin de ne pas en influencer le contenu.
Avant d'accéder à cet espace interactif, une
inscription en ligne gratuite est obligatoire. Ici aucune information
personnelle n'est demandée, hormis une adresse e-mail.
Ainsi après avoir indiqué un «pseudo »
(pseudonyme) et un mot de passe, il est possible d'accéder aux
différents espaces virtuels dits « salons ». Un «
salon» est réservé à « l'émission en
direct» ; « Lahaie, l'amour et vous » n'étant pas la
seule émission de RMCInfo à proposer cette fonctionnalité.
L'interface du « salon» est comme ci-dessous:
Fenêtre de conversation privée :
Ce type d'interface est similaire à celui des
messageries instantanées. Il est possible d'entretenir deux types de
conversation: soit sur l'espace commun, lu par tous; soit en privé avec
un autre internaute (en cliquant sur son «pseudo ») via une
fenêtre indépendante. Plusieurs échanges privés
simultanés sont envisageables.
En début d'émission, Brigitte Lahaie fait
intervenir la modératrice du chat, appelée la
«châtelaine », encourageant ainsi les auditeurs à se
connecter. Son intervention courte fait un rappel du thème de
l'émission tout en posant une problématique. Les auditeurs sont
invités à y répondre sur la toile. Le dispositif de
l'émission incite les auditeurs à adopter une attitude active:
écoute + appel et/ou écoute + chat et/ou écoute +
forum. Le média met-il ici tout en place pour satisfaire l'auditeur ou
souhaite-t-il séduire l'auditeur afin qu'il ne se rende pas chez des
concurrents (radios et interfaces internet). ?
Les observations qui suivent ne sont que d'ordre
général, ne s'agissant pas d'une analyse de contenu.
Une fois le direct assuré, la « châtelaine
» se connecte dans le «salon », ouvert quelques minutes
auparavant, puis elle salue les personnes présentes. Les interventions
de la «châtelaine» sont facilement distinguables. La
typographie de ses écrits est différente : plus gros, en gras et
en rouge. Le ton est assez décontracté voire familier.
L'interaction de certains participants indique qu'ils ont déjà
dialogué ensemble, que ce sont des habitués. Ce dispositif est-il
ainsi favorable à la fidélisation des auditeurs ?
La « châtelaine » poursuit rapidement en
annonçant cette fois-ci sur le chat le thème et la
problématique du jour. Les réponses des internautes arrivent
très rapidement, montrant un certain intérêt. Le
débat épistolaire qui s'instaure se rapproche facilement d'une
conversation orale. Certains donnent leurs opinions, d'autres interviennent
pour manifester leurs désaccords.
La «châtelaine» laisse les internautes
débattre lorsque les interventions s'enchaînent rapidement;
lorsque le rythme ralentit, elle intervient soit en relançant un
internaute, lui demandant de développer ses propos, soit en questionnant
l'ensemble de la communauté.
La majorité des propos tenus sur le chat sont
en lien avec la problématique. La plupart d'entre eux sont dans un
registre sérieux, d'autres sont plus décontractés. Il peut
aussi y avoir des propos provocateurs et désinhibés. La
«châtelaine » joue un rôle important. Si l'échange
commence à dégénérer, elle intervient afin
d'avertir les agitateurs, les incitant à modérer leurs propos.
Lors de notre observation, un internaute s'est fait «éjecter»
(il ne peut plus rédiger de messages) ayant adopté une attitude
« désagréable ».
Nous pouvons également constater l'intérêt
et l'engagement des internautes sur le chat. En effet, certains
d'entre eux arrivent après le début du débat. Très
vite, ils interrogent les autres sur le thème du jour. Cette
familiarité nous permet de penser que ce chat est un
rendez-vous régulier voire quotidien pour une partie de la
communauté. Mais quelles sont leurs motivations?
Une fois par heure la « châtelaine »
intervient sur l'antenne afin de rapporter l'opinion des «chateurs»
aux auditeurs. Elle résume le contenu du débat qui s'est tenu
tout en citant, en illustration, les propos de quelques internautes.
Nous pouvons ici établir un parallèle avec
l'étude de Becqueret et Gago sur la parole des jeunes sur
internet.118 Nous avons en effet constaté quelques
éléments communs entre le chat lycéen de Voila.fr
et dans celui de Brigitte Lahaie.
Dans un premier temps, le style d'écriture :
réécriture de la langue orale et réappropriation des
signes typographiques (smileys, onomatopées, etc.). Les travaux
de
118BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent,
op.cit.
Becqueret et Gago ont révélé que les
jeunes «chateurs» adoptaient lors de leur échange sur internet
six grands types de places énonciatives: la conversation, le
témoignage, la mise en scène égocentrée,
l'accompagnement, l'annonce et la provocation.
Une étude de contenu plus précise serait
nécessaire afin de savoir si les « chateurs » de
l'émission de Brigitte Lahaie adoptent des positions similaires. En
effet, le contexte de dialogue ainsi que les participants sont ici
différents. Le premier est une fonctionnalité proposée par
un moteur de recherche à destination des jeunes; le second est
proposé par une radio à destination d'adultes, auditeurs de
l'émission.
Les recherches sur l'approche de ce type de dispositif
interactif ne se sont concentrées que sur les interfaces à
destination des jeunes, étant les plus fréquentées. Afin
de compléter les travaux déjà publiés,
l'étude du chat de l'émission de Brigitte Lahaie est une
piste de recherche à envisager. Pour cela, nous pensons qu'il serait
nécessaire de mettre en place un protocole d'observation participative
au chat. En effet, lors de notre première observation, il a
été assez complexe de ne faire qu'observer, de nombreux
internautes essayant très régulièrement d'établir
une conversation privée par l'envoi de messages. Ainsi une observation
participative nous permettrait de mettre à jour les attentes des
internautes sur ce chat.
Pour finir notre description du site de l'émission
«Lahaie, l'amour et vous », il faut signaler la présence d'un
mini sondage en ligne, à destination des internautes, pour savoir ce qui
leur a plu ou non dans l'émission ainsi que de donner des propositions
afin d'améliorer son contenu. Ce sondage internet s'intéresse au
sexe, à la tranche d'âge, ainsi qu'à la
régularité de l'écoute. Nous pouvons, dans ce sens, nous
interroger sur le traitement de ces données. Quel impact cel a a-t-il
sur l'antenne? RMC-Info souhaite-t-il être une radio à
l'écoute de ses auditeurs ? Est-ce une stratégie commerciale ?
Nous pouvons constater que les sites internet des
émissions interactives sont foisonnants de fonctionnalités.
Certains d'entre eux sont des outils complémentaires mis à
disposition de l'auditeur pour entrer en contact avec
l'animateur et / ou apporter sa participation à l'émission. Nous
ne pouvons pas ici nous concentrer sur les sites internet des émissions,
même s'il nous a semblé nécessaire d'en faire une
présentation. Analyser les fonctionnalités des sites internet des
émissions interactives serait un axe de recherche complémentaire
à notre étude sur le contenu radiophonique.
En conclusion, nous souhaitons signaler que ce corpus va nous
apporter un éclairage conséquent sur le dispositif des
émissions interactives. Dans ce sens, les émissions services nous
offrent un spectre d'analyse par la transversalité des
thématiques des contenus radiophoniques. De plus, les radios
étudiées au sein du corpus semblent être les stations les
plus appropriées à notre recherche.
France inter, radio généraliste, est la station
de service public radiophonique faisant le plus appel à la participation
des auditeurs à l'antenne. De plus, il s'agit de la radio cumulant la
plus grande part d'écoute de Radio France. Il nous semblait donc
légitime de sélectionner une émission en son sein.
RTL est la radio qui bénéficie des meilleurs
taux en terme d'audience cumulée (12,6 %) et en durée
d'écoute par auditeur (2h36) sur la période janvier/mars 2008
d'après Médiamétrie.119 Ces indicateurs nous
permettent d'avoir une vision générale, le premier mesurant le
contact des auditeurs avec une station, le second nous montre la durée
moyenne d'écoute d'un auditeur. Depuis plus de dix ans, RTL
détient le leadership de l'audience en France. Même si
l'ouverture du panel de Médiamétrie aux plus jeunes en 2002 a
permis à NRJ de rattraper RTL dans les chiffres. RTL étant la
radio généraliste en France la plus écoutée, nous
avons choisi d'intégrer à notre sélection une de ses
émissions.
119Médiamétrie, étude des «
126 000 », radio,janvier/mars 2008,
http://www.mediametrie.fr/resultats.php?rubrique=rad&resultat_id=532,
consulté en avril 2008
Enfin, nous avons choisi une émission de RMC-Info par
rapport à son passé tumultueux et à la modification
radicale de sa programmation. À ce jour, cette station est la seule
à s'afficher ouvertement talk. Alors que la station
était au bord de la faillite, le changement de cap effectué sous
l'égide d'Alain Weill s'affirme peu à peu, permettant à
cette station de regagner des auditeurs. Compte tenu de ces
éléments, nous avons jugé nécessaire de
sélectionner une émission de RMC-Info.
B. Méthodologie de travail
La réalisation du travail de mémoire doit
pouvoir confronter aux éléments théoriques des
éléments pratiques. Afin d'apporter une réflexion
poussée sur notre sujet, il a ainsi été nécessaire
de déterminer un terrain d'étude avant de choisir un protocole
d'analyse, adapté à ce dernier. Dans ce sens, nous avons
décidé de travailler sur les émissions service elles-
mêmes. Le choix de nos documents sonores, tout comme la définition
de la métho dologie à adopter, répondent à un
certain nombre de critères. Nous souhaitons ici exposer les
différentes étapes qui ont permis la mise en place de ce terrain
d'analyse riche et solide.
Dans un premier temps, nous avons navigué sur les sites
internet de nombreuses radios françaises. L'étude des grilles de
programmes ainsi que les sites des émissions interactives, nous a
confirmé l'omniprésence ainsi que la diversité de ces
dernières sur la bande FM. Présentes aux différentes
tranches horaires (matinée, après-midi, soirée), les
émissions interactives couvrent un large panel de public.
Nous avons procédé à l'élimination
des émissions qui n'entraient pas dans notre catégorie. Par
exemple, nous avons exclu les émissions interactives tournées
vers l'actualité, la politique, le sport, ainsi que les libres antennes
sur les radios jeunes, etc. En adoptant un spectre d'écoute large, nous
nous sommes familiarisé avec les différents types
d'émissions service. En collaboration avec notre maître de
mémoire, nous avons à ce stade commencé à
définir les critères pour constituer notre corpus.
Ne pouvant être exhaustifs, nous souhaitons
néanmoins réaliser un large examen de ces programmes. Notre
recherche se focalise sur les émissions service, afin d'en
étudier les mécanismes et tenter de faire apparaître des
tendances générales au niveau sociétal. Il fallait donc
que les émissions étudiées bénéficient d'un
taux d'écoute important. Nous nous sommes donc concentré sur
l'offre des radios ayant un rayonnement national et proposant plusieurs
programmes interactifs dans leurs grilles. Nous pouvons schématiser
l'offre radiophonique française en trois grands ensembles. Le secteur
privé commercial, le secteur public et le
secteur associatif non commercial.120 Ce dernier
regroupe toutefois essentiellement des radios n'ayant qu'un impact local. Notre
choix a donc dû tenir compte de cette division proposant l'analyse
d'émissions issues tant du secteur public que du secteur
privé.
Les émissions service occupent une place importante au
sein des grilles de programmes des radios, en particulier en semaine. De plus,
la quotidienneté des émissions service constitue un
élément d'analyse à ne pas négliger. Nous avons
donc éliminé les émissions programmées le week-end.
De même, nous avons exclu les émissions de nuit, le régime
d'écoute ainsi que l'auditoire étant spécifiques à
ces tranches horaires.
L'éclectisme des thématiques devait aussi
transparaître dans notre sélection. Ne voulant écarter
aucun type de public, nous avons éliminé les émissions
traitant de sujets trop spécifiques, pour nous concentrer sur des
thématiques ordinaires pouvant potentiellement intéresser un
grand nombre de personnes. Dans ce sens, nous avons sélectionné
trois émissions : «Service public », «Ça peut vous
arriver », «Lahaie, l'amour et vous» sur France Inter, RTL et
RMC-Info. Nous avons ainsi une émission du service public, et deux
émissions proposées par des stations privées.
Après avoir défini notre corpus, nous avons mis
en place un protocole d'analyse, afin d'infirmer ou de confirmer nos
hypothèses. Malgré la diversité des émissions, il a
été nécessaire de trouver des dénominateurs communs
aux trois émissions, notre objectif étant de fournir une analyse
comparative.
Avant de mettre en place une grille d'analyse, nous nous
sommes immergé dans notre corpus en fournissant une écoute active
quotidienne des émissions. « Service Public» et «
Ça peut vous arriver » ont des horaires qui se chevauchent. Nous
avons de ce fait opté pour le podcast de l'émission
« Service Public », la deuxième n'étant
écoutable qu'en direct. Cette
120 CHEVAL Jean Jacques, op.cit. p 168 / 169
pratique nous a permis de mieux connaître leurs
contenus, la manière dont elles sont construites. En effet, une
émission suit un conducteur précis et minuté, ayant pour
but de l'encadrer. Il indique le moment où l'animateur prend la parole,
celui où les invités sont interrogés, mais aussi les
moments dédiés aux interventions des auditeurs, sans oublier les
coupures musicales, voire publicitaires s'il y a lieu. De cette manière,
nous avons pu nous faire une idée en substance des programmes avant
d'entrer plus dans le détail et le décorticage du contenu. Une
écoute prolongée offre la possibilité de distinguer
certains éléments qui ne seraient pas nécessairement
présents dans notre corpus ; par exemple, une émission
spéciale, la mise en place d'un partenariat, ou des
évènements plus exceptionnels tels qu'un auditeur trompant le
standard par l'annonce d'un thème d'intervention fictif. Ces
interventions ont été notées, afin d'être
utilisées dans l'analyse des émissions.
Puis, nous avons commencé à relever les
éléments à intégrer dans notre étude de
terrain. La relation interactive établie dans le cadre des
émissions services a été notre point d'entrée afin
de mieux comprendre la nature du dispositif. Notre écoute nous a permis
d'en distinguer différents types. Dans ce sens, notre grille d'analyse
se divise en trois grandes catégories:
- L'évocation de
l'interactivité: il s'agit de toutes les occurrences faisant
référence à l'interactivité. Par exemple, lorsque
l'animateur incite les auditeurs à intervenir à l'antenne, un
jingle diffusant le numéro de téléphone du standard, etc.
Ici, aucune intervention d'auditeur n'est relevée. Cette
catégorie nous permet d'analyser comment l'animateur attire les
auditeurs sur l'antenne et à quelle fréquence.
- La relation interactive « indirecte
»: nous faisons référence aux différentes
contributions des auditeurs au contenu de l'émission qui sont
relayées par l'animateur (lecture de témoignages laissés
au standard, SMS, e-mails) ou par un média (lorsqu'un auditeur
laisse un message sur le répondeur de l'émission et que celui-ci
est diffusé à l'antenne).
- La relation interactive « directe
»: cette catégorie comprend les interventions
téléphoniques des auditeurs en direct. Nous pouvons entendre sa
voix, il exprime (dans la mesure du possible) son témoignage de lui-
même. Il peut interagir avec l'animateur et les autres participants de
l'émission.
Ces différentes catégories nous permettent de
considérer indépendamment la prise de parole des auditeurs
à l'antenne. De plus, cette division tripartite nous offre la
possibilité de nous questionner sur la place de l'animateur dans le
dispositif pour chacune des émissions. Nous souhaitons comprendre
comment l'animateur incite les auditeurs à appeler. Comment leur
donne-t-il la parole? Quels usages sont faits de leurs témoignages? Et
de ce fait, quelle est la place consentie à l'auditeur ?
Afin de répondre à ces questions, notre grille
d'analyse comprend plusieurs sous catégories. Chaque intervention est
relevée et décortiquée: de quelles informations dispose-t-
on de l'auditeur ? De quel type d'intervention s'agit-il ? L'auditeur
bénéficie-t-il d'un droit de suite? Mais aussi, quel rôle
joue l'animateur? Comment annonce-t-il les auditeurs à l'antenne?
Nous avons adopté le même type de comportement
pour chaque émission. Lors de l'écoute, nous avons retranscrit
chaque situation où l'interactivité est en question. Chaque
occurrence est temporalisée; ceci nous permettant de conserver la
chronologie des évènements une fois sortis de leur contexte, de
calculer le temps d'expression des auditeurs, mais aussi de percevoir les
éventuels changements de comportement de l'animateur entre le
début et la fin de l'émission. L'étape suivante a
consisté à intégrer ces différents
éléments dans nos trois tableaux d'analyse, en réunissant
au sein de sous-catégories les données identiques, dans un souci
de clarté. Malgré la similitude d'analyse des émissions,
nous avons dû assouplir notre protocole afin d'intégrer des
éléments annexes et / ou spécifiques pour chacun des
programmes.
> L'émission « Service Public »
fait relativement peu appel aux auditeurs par
rapport aux deux autres émissions
étudiées. De ce fait, nous avons décidé ainsi de
retranscrire une émission afin d'entrer dans le détail des
propos. Toutefois, nous nous sommes cantonné aux interventions pouvant
être intégrées à nos tableaux d'analyse. De plus,
les auditeurs de « Service public» entrent très rarement en
contact direct avec les invités de l'émission. Nous n'avons donc
pas jugé nécessaire de faire apparaître les interventions
des invités. Enfin, nous avons décidé de considérer
à part le reportage proposé par l'émission. En effet, en
début d'émission, un reportage effectué par un journaliste
vient illustrer la thématique du jour. Les personnes interviewées
sont des anonymes, mais aucun indice ne nous permet d'affirmer qu'ils sont
auditeurs de l'émission. Même si le reportage n'est pas
intégré au tableau dédié à la relation
interactive indirecte, il nous a semblé important d'en tenir compte dans
notre réflexion, dans la mesure où nous sommes en présence
d'un acte de don de la parole à un ou plusieurs anonymes.
> Pour « Ça peut vous arriver
», il nous a fallu adapter nos différents tableaux
afin de rester fidèle au contenu de l'émission
lors du traitement des données recueillies. Arrêtons-nous un
instant sur le tableau dédié à la relation interactive
directe. Julien Courbet n'est pas le seul intervenant sur les ondes, même
si son temps de parole est largement supérieur aux autres. Ces derniers,
avocats, huissiers, juristes et médiateurs, font partie de
l'équipe de l'émission, ils sont les soutiens de Julien Courbet
dans sa mission. La plupart du temps, les auditeurs ne parlent qu'à
Julien Courbet, mais il peut arriver qu'ils s'adressent directement à
l'avocat ou au médiateur. De plus, lors du traitement du « dossier
» (qualifié ainsi par l'animateur), l'auditeur n'intervient
quasiment pas. Dans ce sens, nous avons intégré les interventions
des collaborateurs de l'animateur dans notre tableau ; sans pour autant entrer
dans le détail, étant considérées comme des
éléments secondaires. L'autre spécificité de la
relation interactive dans cette émission réside dans le
fractionnement du traitement des «dossiers ». En effet, il est
très courant que Julien Courbet revienne plusieurs fois sur le cas d'un
auditeur lors d'une émission, faisant transparaître les
étapes dans la résolution de l'affaire. Les interventions propres
à chaque « dossier» sont réunies linéairement
dans le tableau réservé à la relation interactive directe,
pour une meilleure lisibilité et une meilleure compréhension.
Enfin, le tableau dédié à
l'évocation de l'interactivité a dû
être organisé, compte tenu de la récurrence des
interventions de l'animateur, en les réunissant par
thématique.
> Enfin « Lahaie, l'amour et vous »
s'inscrit dans un format classique
d'émission de libre antenne. Les auditeurs se
succèdent durant les deux heures de l'émission,
entrecoupées de pauses publicitaires et musicales. Les émissions
sur lesquelles nous avons travaillé sont issues du podcast,
fonctionnalité mise en place sur le site de RMC-Info. Il faut signaler
que les versions en ligne sont exemptées de publicités, et qu'il
n'y a qu'un extrait de la musique diffusée. Ceci est la
conséquence de règlementations divergentes entre la diffusion sur
les ondes hertziennes et la diffusion sur internet, en particulier dans les
domaines des droits d'auteur et celui des droits publicitaires. Il a
été ainsi plus complexe de déterminer
précisément la durée des coupures publicitaires et
musicales. Nous avons chronométré ces différents
éléments lors d'une émission en direct, afin de pouvoir
intégrer ces données à notre analyse comparative. Autre
spécificité de l'émission, l'existence d'un chat
en parallèle de l'émission. Une partie du contenu produit en
ligne par les internautes trouve un écho sur l'antenne. Nous avons donc
intégré les prises de parole de la «châtelaine»
(modératrice du chat) au sein du tableau consacré
à l'interactivité indirecte. En effet, les propos du chat
ne sont pas recueillis et lus par l'animatrice, mais par un autre membre
officiel de l'émission. Il est donc légitime que nous les
intégrions dans notre étude. Enfin, « Lahaie, l'amour et
vous» invite régulièrement (mais pas
systématiquement) un invité. Ce dernier peut intervenir à
tout moment dans l'émission, même si des séquences
d'interview lui sont consacrées. Il peut toutefois arriver que
l'invité s'adresse directement à l'auditeur, ou vient
compléter les propos de l'animatrice. Nous avons intégré
les interventions de l'invité seulement lorsqu'elles étaient en
lien avec un auditeur.
2ème PARTIE:
LES ÉMISSIONS SERVICE,
UNE TENDANCE
À LA SPECTACULARISATION?
I. La radio, intermédiaire ou centre du
processus de médiation?
A. Analyse des trois émissions
1. « Service public » sur France
Inter
«Service public » sur France Inter est une
émission service proposant de soutenir le consommateur / citoyen dans
ces problématiques quotidiennes. Traitant de faits de
société, elle souhaite informer les auditeurs, par l'interview
d'invités / experts selon la thématique journalière. Cette
émission est considérée comme interactive dans la mesure
où les auditeurs ont la possibilité d'appeler le standard pour
laisser leurs questions ou points de vue, d'intervenir à l'antenne pour
offrir un témoignage, ou de participer à la réflexion via
l'envoi de messages par internet. Notre terrain d'étude comprend trois
émissions de chaque programme. Nous avons décidé de
prendre comme journée de référence le lundi 11
février 2008. Le schéma ci-dessous nous permet d'avoir une vision
générale et simplifiée de la composition de
l'émission.
Figure 1 : « Service public » du 11
février 2008
Malgré l'identité interactive de cette
émission, nous pouvons constater que seul 16 % du temps d'antenne est
réservé aux interventions en direct des auditeurs.
Précisons toutefois la spécificité de l'émission :
la majorité des interventions des auditeurs s'effectue indirectement par
le biais de l'animatrice; les auditeurs laissent leurs remarques et questions
au standard ou via internet; après sélection, l'animatrice les
relayera sur l'antenne. Le schéma ci-dessus ne fait pas apparaître
cette donnée, ce qui justifie en partie le pourcentage important du
reste de l'émission (67 % du temps d'antenne). Toutefois, une
majorité de l'émission est consacrée à l'interview
du ou des invités présents dans les studios.
Le temps réservé à la publicité
durant l'émission demeure faible, avec moins de 2 % du temps d'antenne.
Cette moindre présence de la publicité correspond aux cahiers des
charges de Radio France, très rigoureux. En 2007, la durée
moyenne quotidienne de la publicité sur France Inter s'élevait
à 12'05 minutes. Il convient de préciser qu'en règle
générale les espaces publicitaires de cette
station se placent en fin d'émission, ne venant pas interrompre son
déroulement.
Notre étude de terrain s'est consacrée à
la relation interactive dans le cadre des émissions service, nous
permettant de mettre à jour des mécanismes et de mieux comprendre
la nature de la relation établie par et avec le média. Signalons
qu'il s'agit ici des prémices d'une recherche que nous souhaitons
poursuivre. Les résultats obtenus sont une première base de
travail ; certaines questions restent ainsi posées.
+ Le statut de l'animatrice
Après avoir co-animé l'émission avec Yves
Decaens, Isabelle Giordano est aujourd'hui seule aux commandes, le contenu
éditorial étant resté le même. L'animatrice se veut
au service des auditeurs, prenant à coeur la mission de service public
de la station généraliste de Radio France. « On est le
poste d'observation de tous
les problèmes liés à la consommation
au sens large du thème : consommation culturelle, citoyenne,
syndicale... Ne dépendant pas de la publicité, on a sur France
Inter la garantie d'une vraie liberté d'expression. Dire du mal des
marques, c'est possible ici. (É) On n'hésite pas, par
exemple,
»121
à contester les chiffres de l'INSEE en ma tière
d'inégalités du pouvoir d'achat déclare -t-
elle en 2006. «Service public» se
revendique émancipé de toute contrainte économique , ceci
garantissant une liberté de parole, à la fois pour l'animatrice
mais aussi pour les auditeurs. Mais est-ce vraiment le cas? Avant de pouvoir
répondre à cette question, nous souhaitons nous interroger sur le
statut de l'animatrice dans le cadre de l'émission interactive.
Grâce au traitement des données issues de notre
étude de contenu nous avons pu déterminer plusieurs axes dans le
dispositif interactif adopté par l'animatrice dans l'émission
«Service public»: l'animatrice comme intermédiaire,
l'animatrice comme porte-parole des auditeurs, l'animatrice comme faire-valoir
des propos des auditeurs.
121 er
Télérama n 2964, 1novembre 2006
· L'animatrice comme
intermédiaire
Un des rôles les plus courants de l'animatrice est
d'être un intermédiaire entre la parole des auditeurs et les
invités, ceux-ci n'ayant quasiment pas de relation directe entre eux.
L'animatrice fait le lien entre eux, donnant la parole aux uns et aux autres,
ajoutant des commentaires transitifs. Ce rôle d'intermédiaire est
tenu lors de l'échange direct avec un auditeur, mais aussi lorsque
l'animatrice fait intervenir de manière indirecte un auditeur.
Durant l'émission, l'animatrice agrémente ainsi
le contenu de l'émission par de nombreuses citations d'auditeurs. Notons
que les interventions indirectes sont deux fois plus nombreuses que les
directes, une dizaine d'auditeurs en moyenne intervenant de cette
manière. Tout laisse à penser que l'animatrice reste
fidèle aux propos des auditeurs ayant laissé leurs commentaires
au standard ou par le biais d'internet. L'animatrice annonce en effet les
interventions de la sorte: « Je voudrais vous citer quelques messages
qui sont arrivés au standard», « Je voudrais vous faire part
des questions des auditeurs », « C'est ce que nous dit
également une auditrice ». L'animatrice s'adresse ici aux
invités de l'émission. Toutefois, avant de leur donner la parole
pour qu'ils puissent répondre aux auditeurs, elle émet un
commentaire, sans émettre d'opinion: « Je me tourne vers vous,
Nadia Million pour Système U », « Qu'est -ce que vous en
pensez Sylvain Lambert ? » Distante, l'animatrice ne fait que
transmettre les interventions des auditeurs.
Ce statut est aussi adopté par l'animatrice lors des
interventions des auditeurs en direct. Après avoir accueilli l'anonyme
en le saluant, elle lui passe la parole de manière neutre: « je
vous écoute », « on vous écoute » ou en
intervenant de façon plus directive précisant le thème de
l'intervention: « Vous aviez une question ou une observation peut
être à faire », « vous vouliez réagir en
comparant É ». L'animatrice, légèrement plus
interventionniste dans ce dernier cas, délimite le contenu de
l'intervention, réduisant ainsi sa marge à évoquer un
sujet différent que celui qu'il avait annoncé au standard. De
plus, ceci garantit à l'animatrice que l'auditeur entrera rapidement
dans le vif du sujet. Durant son récit, l'animatrice émet
régulièrement des signaux d'écoute: « Hum hum
», étant son principal interlocuteur. L'animatrice laisse
généralement l'auditeur exprimer, voire dialogue avec lui, le
questionnant sur son opinion ou le faisant développer
ses propos. Toutefois, l'animatrice peut aussi lui couper la parole, une fois
son idée générale exprimée, ne le permettant pas de
développer. A la fin de son intervention, l'animatrice s'exprime
systématiquement avant de donner la parole aux invités:
« un avis tout de suite en studio ». Souvent elle reformule
les propos de l'appelant, voire apporte une idée complémentaire:
« vous posez en fait Hélène la question de
l'émission, est-ce que les MDD vont tuer les marques? Yves Puget, on a
essayé déjà d'y répondre. Pour vous, la
réponse est non. Mais quand vous écoutez Hélène,
vous vous dites effectivement qu'il y a des consommateurs qui trouvent qu'y a
peut être trop de place, trop d'importance donnée aux MDD. La
raison c'est pas que la qualité. (É) Si les gens achètent
des MDD, c'est aussi parce qu'ils ont des points parfois sur les cartes
(É) qu'ils obtiennent. » Elle peut aussi compléter les
propos de l'auditeur en direct en citant d'autres anonymes: « Merci
beaucoup Frederik. Je poursuis avec ce que vous nous dites Frederik (É)
avec les réflexions de quelques auditeurs qui se demandent si finalement
vous n'arrivez pas à vendre moins cher. Je me tourne vers vous Nadia
Million pour Système U». Dans son rôle
d'intermédiaire, l'animatrice assure la transition entre l'auditeur et
les invités, sans prendre parti dans la réponse donnée.
Enfin, elle le congédie de différentes manières. Elle le
remercie systématiquement: « merci Vincent pour cette
réaction ». Toutefois, elle décide de lui redonner la
parole ou pas, même si la plupart du temps, l'auditeur ne
bénéficie pas d'un droit de suite.
L'animatrice relayant et assurant le truchement des propos des
anonymes se place au service des auditeurs. Le ton de l'émission est
assez décontracté, le statut d'intermédiaire permettant
d'éviter les dérapages et polémiques. Toutefois, si un
appelant parvient à passer par les mailles du filet et tromper le
standard par l'annonce d'un faux thème, l'animatrice le met face
à ces responsabilités, l'accusant de ne pas respecter le principe
de la transparence et du direct.
· L'animatrice comme porte-parole
Isabelle Giordano, dans la relation établie avec les
auditeurs de l'émission, adopte aussi une attitude de porte-parole. Tout
d'abord, elle va généraliser le statut des auditeurs
intervenants, les regroupant au sein d'une même entité. Par
exemple, l'animatrice annonce: «je vous propose d'écouter
l'avis des auditeurs » ou « les auditeurs réagissent
», alors qu'un seul d'entre eux va intervenir. Ce type de propos tend
à favoriser l'existence et l'affirmation d'une communauté
d'auditeurs, créant de la cohésion ainsi qu'une proximité
dans la relation interactive. De plus, ceci a pour conséquence d'aplanir
les différences sociales, tous les auditeurs logeant à la
même enseigne. Cette pratique peut aider certains auditeurs, n'ayant pas
l'opportunité de prendre la parole dans leur quotidien, de par leur
statut social, d'intervenir à l'antenne. Dans la mesure où
l'animatrice demeure le seul interlocuteur de l'auditeur, celle-ci intervient
auprès des invités, au nom des auditeurs. Par le relais des
propos tenus à l'antenne, l'animatrice adopte la fonction de
porte-parole.
De plus, l'animatrice tend à faire transparaître
dans ses propos les opinions et remarques récurrentes des auditeurs.
« Chantal n'est pas la seule à poser cette question »,
« c'est une question qui revient au standard», « deux questions
qui reviennent au standard, il y en a plusieurs qui vont dans ce sens »,
« d'autres auditeurs posent la même question ». Ainsi,
l'animatrice se fait le porte-parole des auditeurs, relayant les opini ons
majoritaires des appelants. Intervenant pour souligner qu'il s'agit d'une
thématique fréquemment évoquée par plusieurs
auditeurs, elle aborde par ce biais les auditeurs qui n'accèderont pas
à l'antenne : « quelques messages qui nous sont arrivés
au standard de Service public ». Ceci permet à l'animatrice,
indirectement, d'insister sur la vitalité du standard, mettant en avant
la relation interactive elle-même. Très
régulièrement l'animatrice souligne que de nombreux auditeurs
souhaitent participer à l'émission: « et la discussion
continue avec nos auditeurs qui veulent absolument réagir à tout
ce qui s'est dit », «je voudrais vous faire part des questions des
auditeurs, qui nous arrivent déjà nombreuses ». Ce type
de remarque permet aussi à l'animatrice de légitimer l'existence
et le dispositif de l'émission.
Enfin, notre étude de contenu nous a permis de mettre
au jour un procédé rhétorique permettant à
l'animatrice d'adopter le statut de porte-parole. En effet, lorsqu'elle prend
la parole, il est courant qu'elle s'inclut du côté des auditeurs:
« la question qu'on peut se poser », « on se demande »,
« ça nous change ». Elle peut parler en leur nom, tout en
exprimant sa propre opinion. Ce rapprochement avec les auditeurs permet de
créer une certaine proximité entre Isabelle Giordano et son
public, favorisant la relation interactive et le succès de
l'émission.
· L'animatrice comme faire-valoir des propos des
auditeurs
Pour finir, l'animatrice de «Service public» adopte
une attitude de valorisation des auditeurs. Elle approuve les interventions de
manière positive: « c'est une bonne question, il fallait la
poser », « très bonne question Stéphanie », «
ah, ça nous intéresse », « votre explication est
très convaincante », « c'est avec beaucoup de bon sens qu'une
auditrice nous dit É ». Ce comportement bienveillant a deux
conséquences directes. Dans un premier temps, il permet de créer
un climat de confiance pour les auditeurs. Confortés dans leurs propos,
ils sont de ce fait encouragés à intervenir, l'animatrice
considérant que les interventions de ces derniers sont importantes,
voire fondamentales, pour le débat engagé. De plus, il arrive que
l'animatrice soutienne et défende les auditeurs face aux invités:
« en même temps, on comprend la colère des auditeurs
». Dans un second temps, l'attitude valorisante de l'animatrice
permet de justifier la relation interactive elle-même. Mettant en avant
la justesse, et l'importance des thèmes évoqués par les
auditeurs, Isabelle Giordano légitime le don de la parole aux auditeurs
en les soutenant dans leurs interventions. La valorisation des propos des
auditeurs par l'animatrice est-elle ainsi au service des auditeurs ou
permet-elle seulement de justifier le dispositif?
+ Le statut de l'auditeur
Le statut des auditeurs intervenant dans les émissions
interactives constitue un terrain d'analyse riche et complet. Souhaitant
comprendre la place du média dans la relation établie,
notre étude de contenu s'est intéressée
plus partiellement aux auditeurs. Toutefois, nous souhaitons exposer les
éléments récurrents, propres au statut de l'auditeur,
aidant à mieux cerner les limites de l'interactivité
radiophonique.
· Un auditeur présent mais souvent sans
voix
La parole des auditeurs ne constitue pas la majorité
du temps d'antenne sur « Service public »
contrairement à d'autres émissions interactives. En effet,
cette dernière les fait intervenir, mais la démarche de
l'émission est plus informative. Une petite quinzaine d'auditeurs
contribue à la création du contenu, dont quatre directement
à l'antenne. En effet, tout au long de l'émission, Isabelle
Giordano intervient en dévoilant elle-même les questions et
opinions des auditeurs: « est-ce que cela veut dire que vous
êtes d'accord avec l'opinion d'un auditeur, je vous la cite très
rapidement », « c'est ce que nous dit également une auditrice
» « autre avis, je vous le donne rapidement ». Peu
d'informations sur ces auditeurs sont données (prénom et lieu de
résidence) ne leur permettant pas de sortir de leur statut d'anonyme. Ce
procédé d'interactivité indirecte garantit à
l'animatrice un contrôle de l'émission, minimisant les
débordements ; tout en assurant dynamisme et authenticité. En
fait, les propos des auditeurs cités par l'animatrice viennent
agrémenter le contenu de l'émission, en gage d'illustration de la
«réalité ». Les interventions viennent apporter un
soutien à l'émission elle-même, l'animatrice utilisant les
propos des auditeurs, assidûment sélectionnés, pour
interroger ses invités.
· Un auditeur anonyme et pressé
Malgré le statut d'émission interactive,
« Service public » ne donne la possibilité
qu'à quelques auditeurs d'intervenir en direct. Notons que la parole des
anonymes est absente de la première partie de l'émission. Les
appelants sont la plupart du temps des fidèles. Ils manifestent ainsi
leur attachement en remerciant souvent en début d'intervention
l'existence de l'émission pour sa qualité: « Merci pour
vos émissions toujours de très bonne qualité »,
« J'écoute votre émission avec toujours beaucoup
d'intérêt ». Les opposants ou rétracteurs
à
l'émission n'accède pas à l'antenne,
garantissant ainsi un climat calme et peu hostile. Le schéma ci-dessous
apporte des informations quant aux temps de parole et au sexe des auditeurs
appelant.
Figure 2 : Service public du 11 février
2008
Durée de l'émission : 54 min
Temps total des interventions des auditeurs : 8 min
44
Premièrement, nous pouvons constater qu'autant
d'hommes ou de femmes interviennent à l'antenne, le temps imparti par
auditeur n'étant toutefois pas le même. En effet, les premiers
auditeurs qui arrivent sur l'antenne ont la possibilité de s'exprimer
plus longtemps que les suivants. En moyenne, le temps de parole accordé
à un auditeur est d'environ deux minutes, lui imposant une intervention
concise et rapide. Ceci ne lui laisse pas
la possibilité de développer ses propos et de
rentrer dans les détails. Cette pratique n'est ainsi pas favorable
à l'instauration d'un dialogue entre les différents
participants.
Comme pour les interventions indirectes, l'auditeur parlant
à l'antenne conserve un statut d'anonyme, l'animatrice annonçant
seulement son prénom et son lieu de résidence. Toutefois,
l'appelant a ici la possibilité de s'identifier de manière
différente; il peut faire le choix compléter cette
présentation sommaire. Un anonyme peut mettre en avant son statut de
professionnel, légitimant ainsi son discours: « moi je suis
fabricant pour la grande distribution ». Mais cette pratique demeure
rare, les auditeurs acceptant implicitement le contrat de communication
imposé par la station.
· L'auditeur appelant, illustration de la
réalité
« Service public » entretient une
relation particulière avec ses auditeurs. Alors que d'autres
émissions service vont privilégier un rapport d'assistanat avec
leurs auditeurs en proposant un soutien personnalisé, « Service
public » souhaite aider les auditeurs en les informant. En effet,
l'auditeur est ici responsabilisé; l'émission est au service de
tous les auditeurs, et non pas de quelques-uns en particuliers. Cette
considération a des conséquences directes sur le type
d'intervention des auditeurs. Ils participent en direct à
l'émission pour fournir un témoignage, une opinion, en ouvrant
parfois leurs propos vers une question d'ordre général :
« je voulais juste rapporter mon expérience personnelle »,
«je voulais, moi, apporter mon témoignage », «je voulais
demander ». Nous constatons que les auditeurs adoptent une attitude
constructive, favorisant la réflexion et la connaissance : « on
se pose la question de savoir pourquoi y 'a autant de différence de
prix; moi, il me semble, c'est très simple ». Le contenu des
interventions des auditeurs se base sur des évènements
personnels, des faits vécus; le « je» étant
prédominant: « moi, il me semble », « ce que je
constate », « ce dont j 'ai peur». L'auditeur est
considéré comme le témoin de la réalité. Il
se distingue ainsi de l'expert, l'un basant ces connaissances sur ses
expériences personnelles, l'autre par l'étude
«objective» d'un phénomène global. En effet, certains
auditeurs justifient et légitiment leurs opinion par ce qu'ils ont
vécu : « je le sais, puisque je le constate avec mes propres
produits ». C'est l'idée d'authenticité qui
démarque les deux types de discours.
L'émission se sert ici des récits des auditeurs
pour illustrer les dires des invités présents en studio.
L'auditeur n'est ainsi pas sollicité pour ses connaissances mais pour
son expérience.
2. « Ça peut vous arriver » sur
RTL
«Ça peut vous arriver» est une
émission se mettant au service des auditeurs afin de les aider à
régler leurs problèmes en direct, apportant un soutien juridique
si nécessaire. Les auditeurs sont invités à confier leurs
«dossiers » à la station, qui va devenir actrice de la
résolution de l'affaire. Ici les problèmes sont
réglés au cas par cas, la plupart du temps par
téléphone. L'auditeur est invité à envoyer son
dossier, accompagné des pièces justificatives, afin que
l'émission accède à sa requête. L'équipe qui
soutient Julien Courbet dans sa tâche est constituée d'avocats et
d'huissiers. Le graphique ci-dessous montre la composition de
l'émission.
Figure 3 : « Ça peut vous arriver » du
11 février 2008
Ce graphique nous permet de constater que les interventions
des auditeurs occupent une place prédominante dans l'émission ;
60,5 % du temps d'antenne leur sont consacrés. Contrairement à
l'émission précédente, la majorité des auditeurs
interviennent en direct. En effet, seul un auditeur par émission
intervient indirectement via un message laissé sur le répondeur
de l'émission. L'interactivité est donc importante au sein de
cette émission. En tant que radio généraliste, une part
importante de l'émission est dédiée aux pauses musicales,
totalisant 23,5 % du temps d'antenne. Enfin, il faut signaler que les pauses
publicitaires sont omniprésentes dans «Ça peut vous arriver
». Le pourcentage total de la publicité durant l'émission
s'élève à 14,2 % du temps d'antenne. Toutefois, ce chiffre
ne permet pas de montrer la récurrence des coupures publicitaires. En
effet, ces dernières sont diffusées à un intervalle allant
de dix à quinze minutes. Notons qu'il ne s'agit pas d'une
spécificité de l'émission; en tant que radio
privée, RTL diffuse les spots publicitaires de ces nombreux annonceurs,
pour assurer son financement. Tout au long de la journée, les
publicités reviennent à intervalles réguliers; chaque
demi-heure, trois coupures d'une durée d'une à trois minutes sont
diffusées. La publicité constitue donc une part importante de la
programmation de RTL.
Le contenu à étudier pour cette émission
était très riche en informations dans la mesure où les
procédés interactifs sont multiples. Il nous a donc fallu classer
nos données afin de fournir une présentation des résultats
claire et complète. Nous avons distingué les informations
relatives au statut de l'animateur, et celles faisant référence
au statut de l'auditeur.
+ Le statut de l'animateur
Julien Courbet est une star incontestée dans les
médias, le succès de son émission
télévisée sur TF1 en deuxième partie de
soirée, «Sans aucun doute », en apporte la preuve. Ce dernier
a bâti sa carrière dans les médias en aidant des anonymes
dans leurs tracas quotidiens. Son domaine de prédilection: les arnaques
en tout genre. Même si les procédés employés
à la télévision sont quasi similaires à ceux de son
émission radiophonique, la
relation interactive mis en place avec les anonymes n'est pas la
même. Notre étude de contenu nous a permis de distinguer plusieurs
axes de réflexion.
· Un animateur maître du show
radiophonique
La mise en scène de l'émission peut
s'apparenter à celle d'un spectacle où le rôle principal
serait tenu par un animateur vedette, et les seconds rôles par les
auditeurs. Le contenu de l'émission alterne entre décontraction
et sérieux, passant de la plaisanterie à la connaissance par
l'énoncé de lois et réglementations en vigueur.
«Ça peut vous arriver» flirte ainsi avec le concept de
divertissement. Au sein de ce show, l'animateur est la figure centrale du
dispositif pour plusieurs raisons.
Tout d'abord c'est lui qui distribue et reprend la parole aux
différents intervenants. La manière dont il traite les auditeurs
est toujours la même. Dans un premier temps, il salue: « nous
commençons tout de suite avec Martine. Bonjour Martine », «
sur RTL, nous accueillons Joselyne, bonjour », « nous avons
maintenant en ligne Patrice. Bonjour Patrice » et lui demande
d'où il appelle. Puis, il présente le dossier de ce dernier :
« Alors Marc de Nîmes, vous avez commandé un lave -linge
(É) et on vous livre un frigo », « Céline, vous vous
demandez si un recours est possible », « Alors Denise, je raconte
votre histoire ». Ce procédé ne laisse à
l'auditeur que la possibilité de confirmer sa présentation :
« tout à fait », « voilà », «
exactement ». Ensuite, l'animateur pose quelques questions à
l'auditeur afin qu'il développe lui-même son récit:
« est-ce que vous avez des problèmes de santé suite
à cela ? », « un impayé de combien ? », «
qu'est-ce que vous avez découvert ? ». Il s'agit ici d'un
procédé rhétorique faisant feindre l'interactivité,
dans la mesure où l'animateur connaît déjà les
réponses. En effet, les dossiers des auditeurs
sélectionnés ont été dûment
décortiqués et étudiés avant le passage à
l'antenne, la marge d'inconnu étant très faible. Il va entrer un
maximum dans le détail. Les questions de l'animateur sont
orientées afin que l'auditeur évoque précisément ce
qu'il souhaite être mentionné. Malgré la relation
interactive, l'animateur reste maître des propos tenus à l'anten
ne ; la parole des auditeurs ne pouvant pas être considérée
comme libre.
Notons que Julien Courbet n'est pas la seule personne
présente en studio pour régler les problèmes des
auditeurs. Une équipe de professionnels du droit se relaye à
l'antenne et elle assiste l'animateur dans sa tâche. C'est ce qui fait la
spécificité de l'émission, offrant des consultations
juridiques en direct; avocats et huissiers donnent de la
crédibilité à l'émission. En effet, leurs statuts
assurent que leur parole sera rarement remise en cause.
Après avoir explicité le cas de l'auditeur,
l'animateur fait systématiquement intervenir un des collaborateurs,
avocat ou huissier, afin qu'il émette un point de vue juridique :
« Maître Olivier, on sait qu'il y a des choses à faire.
Quels sont les recours pour les locataires dans ce genre de cas ? »,
« Je vais passer la parole à Maître Gick pour qu'il nous
explique ». Parfois, les conseils des avocats peuvent suffire
à résoudre l'affaire, exposant à l'auditeur la marche
à suivre. Toutefois, la majorité des affaires se traite par des
négociations en direct. Pour cela, l'émission joint en direct la
personne et l'entreprise incriminée par l'auditeur appelant.
L'appel peut avoir lieu tout de suite après la
présentation du dossier à l'antenne, ou être reporté
quelques minutes plus tard, après une coupure publicitaire et / ou
musicale : « nous allons appeler dans quelques instants »,
ou plus rarement à un autre jour: « A tout de suite
Patrice. D'ici demain, on va essayer de joindre quelqu 'un absolument ».
Cette pratique est très courante dans l'émission;
prolongeant ainsi le temps consacré à un même auditeur.
Nous reviendrons toutefois plus loin sur cet élément qui
contribue à spectaculariser l'émission.
Le dispositif mis en place lors du coup de
téléphone est révélateur de l'attitude
générale adoptée par Julien Courbet au sein de son
émission. Comme nous allons le montrer l'auditeur n'intervient quasiment
pas lors de la négociation, plaçant l'animateur comme principal
interlocuteur. Julien Courbet, accompagné de son équipe de
juristes, plaide la cause de l'auditeur en direct. Nous assistons au show
d'une réalité touchant, à ce stade, au domaine
privé, des poursuites judiciaires n'ayant pas été
systématiquement engagées.
« Nous l'appelons maintenant », Julien
Courbet annonce le moment où il passe à l'action. Valorisant son
procédé: « le coup de fil est très important
», l'animateur se positionne comme un intermédiaire,
souhaitant avoir connaissance des différentes versions de l'histoire :
« on va l'appeler pour lui demander confirmation », « on va
l'appeler pour lui demander sa version des faits », « nous appelons
maintenant cette dame pour qu'elle puisse avoir sa vérité et une
discussion », « nous allons écouter la version de la partie
adverse ». L'animateur souhaite adopter le statut de
médiateur. Mais intervenant au service d'un auditeur, il ne peut
être considéré comme un intervenant extérieur,
objectif et dénué de tout intérêt. Toutefois,
même s'il n'est pas impartial, il se protège de toute fausse
accusation. En effet, l'animateur a le devoir d'être vigilant quant aux
accusations portées à l'antenne, sous peine d'être
accusé de diffamation.
Au moment où le téléphone
décroche, l'animateur se présente tout en informant la personne
au bout du fil qu'elle est en direct sur RTL. Dans certains cas, un jingle de
la station est diffusé, contribuant à la mise en scène. La
personne peut avoir été avertie par avance au standard qu'il
allait intervenir à l'antenne. Toutefois, le plus
régulièrement, l'effet de surprise est de règle, pouvant
déstabiliser la personne incriminée. Julien Courbet annonce
très rapidement le motif de son appel, faisant comprendre qu'il
intervient au nom de l'auditeur en question. L'animateur peut faire confirmer
oralement la présence de ce dernier : « vous êtes
là Joselyne ? », « Marc, vous m'entendez ? ». Puis
un jeux de questions / réponses s'instaure entre l'animateur et
l'interlocuteur au bout du fil. Il l'interroge dans les détails afin de
confirmer ou d'infirmer les faits dont il a connaissance: « attention,
ce n'est pas une question, c'est une affirmation ». La confrontation
peut durer quelques minutes. L'animateur reste néanmoins prudent:
«je ne suis pas là pour dire qui a tort ou raison »,
« moi je voulais juste vous informer ». Selon les cas,
l'auditeur peut intervenir sur invitation de l'animateur: « qu'est-ce
que vous avez à lui demander ? » Dans ce type de situation, le
dialogue a tendance à être plus vif, les deux parties
élevant leur voix afin de défendre leur point de vue. Il arrive
aussi que la personne incriminée reconnaisse ses torts, et qu'elle soit
disposée à trouver un arrangement. En cas de désaccord
persistant, un des collaborateurs prend la parole afin de témoigner en
faveur de l'auditeur usant de ses connaissances juridiques et
législatives. Son intervention, sur un ton sérieux, peut demander
des précisions à l'interlocuteur, expliquer la situation, et les
procédures légales dans ce type de situation. L'animateur par la
suite met la personne incriminée devant ses responsabilités,
espérant un dénouement positif.
Selon les situations, le dossier peut être
résolu rapidement; pour d'autres, des démarches
complémentaires sont nécessaires. Dans la majorité des
cas, un accord à l'amiable est conclu, permettant d'éviter les
procédures judiciaires. L'animateur redonne systématiquement la
parole à l'auditeur: « content Marc ? », « Ça
vous va Didier comme solution ? »; ceux -ci ne pouvant qu'exprimer
leur joie à l'antenne. Selon nous, le charisme et la réputation
de l'animateur contribuent à favoriser la résolution des «
dossiers ». En effet, étant connu du grand public, Julien Courbet
s'est affirmé dans l'espace médiatique comme le justicier des
victimes d'aberrations en tous genres. De plus, la négociation ayant
lieu en direct, les protagonistes ont tout intérêt à
trouver un accord. Si l'incriminé est un anonyme, il peut souhaiter ne
pas être décrédibilisé sur l'antenne d'une radio
nationale. S'il s'agit d'une société privée, les
répercussions en termes d'image peuvent être négatives.
Étant exposée sur la scène publique, l'entreprise peut
faire preuve de bonne foi en trouvant un arrangement. Le taux de
résolution des cas varie selon les émissions. Précisons
toutefois que l'émission résout la plupart des dossiers
présentés à l'antenne. Par exemple, le 12 février
2008, sur cinq dossiers traités, quatre ont trouvé un
dénouement positif. Mais ce succès n'est-il pas la
conséquence directe d'une sélection drastique ? En effet,
l'émission reçoit chaque jour de très nombreuses demandes.
Afin d'assurer la crédibilité et la réussite de
l'émission, les dossiers ne sont-ils pas choisis sur des critères
de faisabilité ? La radio ne s'assure-t-elle pas une fin positive avant
de médiatiser une affaire? Il serait nécessaire de poursuivre les
recherches dans ce sens lors de futurs travaux au sein des radios
elles-mêmes.
Lorsqu'un dossier ne trouve pas d'issue positive, l'animateur
propose à l'auditeur de revenir ultérieurement dessus :
« c'était intéressant. Nous allons y revenir d'ici 11 h
30 j'espère ». En effet, les conditions ne sont pas
forcément remplies. L'interlocuteur peut ne pas être le bon ou
être injoignable, de nouvelles démarches peuvent être
nécessaires, etc. Dans ce genre de situation, l'animateur s'engage
auprès de son auditeur. La suite se déroulera hors antenne:
« On vous passe Maître Felloneau pour qu'elle puisse vous
expliquer la suite ». Le dossier de l'auditeur sera mis à
l'ordre du jour d'une nouvelle émission. En effet, une même
émission comprend des dossiers anciens et d'autres nouveaux. Une fois
que le dossier est conclu, l'animateur fait intervenir l'auditeur, afin qu'il
annonce par lui-même l'aboutissement de l'affaire. Ceci est l'occasion
pour l'émission de valoriser sa contribution dans ce dessein.
L'animateur rappelle en direct les faits : « et pour nos auditeurs,
nous allons revoir ce qui s'est passé, pour que les auditeurs puissent
comprendre. » Son résumé est accompagné de
flash back sonores extraits d'émissions
antérieures. Étape par étape, le dossier est
re-dévoilé, illustrant «les grands moments de cette affaire
». Julien Courbet interroge ensuite l'auditeur, feignant de ne pas
connaître la situation: « Quelle nouvelles avez-vous à
nous annoncer ? » L'auditeur raconte alors comment son
problème a pu être réglé grâce à
l'émission. Ce procédé n'a que pour but de
légitimer le dispositif tout en gratifiant l'émission
elle-même.
· Une relation de proximité avec les
auditeurs
Une des principales caractéristiques permettant de
distinguer « Sans aucun doute» sur TF1 et « Ça peut vous
arriver» sur RTL tient dans la relation établie entre l'animateur
et son public. Le dispositif interactif radiophonique favorise la
proximité. Le ton de l'émission radio est plus
décontracté, l'animateur se permet quelques fois de plaisanter
avec ses acolytes comme avec les auditeurs. De plus, l'animateur dialogue avec
l'auditeur de manière amicale: « alors qu'est ce qu'on fait
dans ce genre de cas là? On doit avoir un petit rire » voire
chaleureuse: « je vous fais un gros bisou. Mes amitiés à
votre mari ». Le voussoiement demeure cependant de règle.
Puis l'animateur se rapproche de ses auditeurs en les
«victimisant ». À de multiples reprises, Julien Courbet
n'hésite pas à s'apitoyer sur la situation de la personne:
« cette histoire malheureuse », « Carole, on raconte
l'histoire et on essaie de vous aider. Ça devient un vrai calvaire pour
vous ». L'animateur, très docile avec l'auditeur, le rassure:
« on va vous aider, ne vous inquiétez pas », « est-ce
que ce que vous venez d'entendre vous rassure ? », créant un
climat de sécurité et de confiance. Ce procédé
rhétorique joue avec la corde sensible de l'auditorat en stimulant son
empathie.
Enfin, l'animateur met en avant sa détermination
à aider les auditeurs, à être à leur service, en
s'engageant à trouver une issue positive pour chaque cas exposé
à l'antenne: « bon écoutez Paulette, on va pas traiter
ça en quelques secondes à la radio. Quelqu'un vous rappelle dans
l 'après-midi. (É) Je m 'y engage personnellement ».
Nous soupçonnons qu'un tel engouement n'est pas innocent. Ce
comportement altruiste permet à l'animateur de valoriser son statut,
tout en restant proche de ses auditeurs devenus fidèles et assurant la
pérennité de l'émission.
+ Le statut de l'auditeur
Comme pour l'émission précédente, nous
allons détailler quelques attitudes récurrentes chez les
auditeurs passant à l'antenne de «Ça peut vous arriver
», afin d'apporter un éclairage supplémentaire sur la
relation interactive radiophonique. Avant cela, arrêtons- nous un instant
sur les auditeurs intervenus à l'antenne le 11 février 2008 de
manière plus générale.
Figure 4: "Ça peut vous arriver du 11
février 2008 Durée de l'émission: 1 h 54
Temps total des interventions des auditeurs: 1 h
09
«Ça peut vous arriver» fait intervenir entre
six et sept auditeurs par émission. Concernant notre journée de
référence, nous constatons qu'il existe une certaine
parité des
auditeurs passant à l'antenne. Toutefois ce
schéma nous montre que le temps consacré à chaque auditeur
est très variable. Une lecture superficielle nous inciterait à
croire que l'animateur accorde le temps nécessaire à chaque
auditeur. Toutefois, la réalité est plus complexe. Dans un
premier temps, une des pratiques courantes de l'émission est de traiter
un même cas par intermittence. L'animateur ne reste jamais plus de quinze
minutes successives avec un auditeur. Le dossier est traité, au sein
d'une même émission, en plusieurs étapes. Les temps
d'interventions des auditeurs correspondent à la somme de ces
différentes étapes.
L'auditeur 2 coïncide à une opération
spéciale, «l'opération duplex », menée sur le
terrain et diffusée en direct. Un des collaborateur de l'émission
: Damien Stevens prend le cas d'un auditeur personnellement en charge. Il est
sur le «terrain », en présence de l'auditeur pour rencontrer
la personne incriminée. Ce dispositif, par sa particularité,
explique le temps conséquent consacré à cet auditeur. En
effet, ce dernier implique un certain investissement de la part de la radio,
qu'il convient de rentabiliser par une diffusion prolongée à
l'antenne.
En ce qui concerne les auditeurs 1 et 3, le dispositif
adopté explique là encore la durée de l'intervention. Le
traitement de leur dossier a donné lieu à des coups de
téléphone en direct aux personnes incriminées. La
durée varie en fonction de l'interlocuteur et de sa disposition à
la négociation. Toutefois le temps consacré à l'auditeur
dans ce cas-là est en moyenne de dix minutes. Nous pouvons en
déduire que le temps imparti à chaque auditeur dans ce type de
situation est défini par avance.
Enfin les dernières interventions sont d'une
durée inférieure à 5 minutes. Ici, aucun dispositif en
particulier n'est mis en place. Soit le cas de l'auditeur est
réglé à l'aide des collaborateurs juristes de
l'émission, soit le dossier est reporté à une date
antérieure.
Nous allons maintenant tâcher de décrire les
différentes positions adoptées par les auditeurs appelant dans la
relation interactive établie avec le média.
· Un individu ordinaire mis en
exergue
«Ça peut vous arriver » est une
émission dynamique, faisant se succéder à l'antenne les
dispositifs interactifs. L'un d'entre eux: «les rois du système D
», (D pour débrouille), offre à l'auditeur la
possibilité d'intervenir en direct, en flattant sa personne pour son
sens pratique. En effet, cette rubrique incite les auditeurs à appeler
afin qu'ils partagent publiquement leur astuce pour faire des économies
au quotidien. Sur RTL, chaque jour, un auditeur accède au statut de
«roi du système D ». Notons que Julien Courbet anime sur TF1
une émission exclusivement consacrée à cela.
De prime abord, nous pouvons observer que ce dispositif
s'inscrit pleinement dans les problématiques sociétales
contemporaines. Le pourvoir d'achat est aujourd'hui considéré
comme une des principales préoccupations des Français.
L'émission s'adapte à l'agitation ambiante en proposant aux
auditeurs de relayer leurs différents stratagèmes pour
dépenser moins. Ceci concourt à l'affirmation d'une
communauté d'auditeurs, solidaires, s'échangeant de «bons
tuyaux » de consommateurs. La radio assure un rôle
d'intermédiaire en mettant les auditeurs en relation. De plus, les
astuces des auditeurs ont l'avantage d'être réalisables par un
grand nombre d'entre eux, ces derniers se ressemblant dans leur anonymat.
Toutefois, ce type de dispositif a des conséquences très
positives pour le média, stimulant les appels au standard. Compte tenu
du nombre très élevé de sollicitations, l'auditeur qui
accède à l'antenne devient l'heureux privilégié.
Ceci le valorise dans son statut d'anonyme, devenant un expert de la vie
ordinaire.
En continuité avec la couleur sonore de
l'émission, Julien Courbet façonne une mise en scène ayant
tendance à « spectaculariser » l'interactivité.
L'animateur se place à l'écoute de l'auditeur, voulant apprendre
de l'auditeur: « quelle est votre astuce ? ». L'auditeur
s'exécute : « alors moi, je vais dans des ventes aux
enchères », « c'est une petite astuce. Je la pratique depuis
longtemps. En fait, je ne fais jamais le plein de ma voiture pour limiter la
surcharge ». Il l'interroge afin qu'il présente en
détail son « système D »: « l'économie
est de combien ? », « donc expliquez-moi en quoi ça permet de
faire des économies ? » Il met parfois au jour les
côtés négatifs: « chaque système D a ses
inconvénients ». Néanmoins,
l'animateur exalte le témoignage de l'auditeur:
« c'est une bonne idée », « alors merci. Excellent
système D. Vos idées valent de l'or ». L'auditeur se
sent valorisé, considéré, et reconnu au sein de la
sphère publique.
· Un auditeur assisté
L'attitude générale de l'animateur pousse
l'auditeur dans ses retranchements. Comme nous l'avons montré, Julien
Courbet est maître du dispositif, parlant au nom de l'auditeur lors des
négociations. L'auditeur intervient succinctement pour confirmer ou
infirmer ce qui se dit à l'antenne.
Un autre dispositif de l'émission place l'auditeur dans
une situation d'assistanat: «l'opération duplex ». Le
dispositif est exalté à outrance: « opération
duplex sur RTL avec Didier qui est en ligne pour une histoire hallucinante
», « nous allons intervenir dans quelques instants ». Le
collaborateur et l'animateur vont à la rencontre de la personne
incriminée, tout en restant en ligne. La scène se déroule
donc en direct, côtoyant l'idée de spectacle.
· Un auditeur heureux
Pour finir, il est important de signaler que l'auditeur est la
plupart du temps satisfait de la médiation de « Ça peut vous
arriver» ayant permis de trouver un dénouement positif à son
«dossier ». L'anonyme n'hésite pas à exprimer sa
satisfaction à l'antenne. Notons, que l'animateur sollicite les
auditeurs, une fois l'affaire résolue dans ce but. Les réactions
peuvent être modérées: « merci à vous pour
tout ce que vous faites pour tout le monde », « merci à vous
à votre équipe et merci à tout le monde », «
parfaitement oui, si c'est réglé vendredi et qu'on arrive
à avancer avec RTL pour ce dossier. Je vous remercie infiniment »,
ou être plus passionnées: « Je voudrais vous
remercier, vous et toute l'équipe. (É) J'ai toujours
été informée de la situation. Vous me sauvez la vie. Tout
le monde m 'a laissé tomber. Sij 'ai fait
appel à vous c'est parce que c'était mon
dernier recours. Je suis très émue. Quandje vois les cas que vous
arrivez à résoudre; vous devriez avoir depuis longtemps la
légion d'honneur. Je suis sérieuse ». Un tel engouement
est aussi la conséquence d'une sélection des cas traités.
En effet, l'animateur insiste sur le fait que les auditeurs doivent s'adresser
à lui en dernier recours. Ainsi la plupart du temps, cela fait
déjà plusieurs mois que l'auditeur subit des difficultés.
La médiatisation et la résolution de son problème procure
chez lui un enthousiasme certain. De plus, en décidant d'aider les plus
faibles, l'émission se garantit une grande popularité. La mise en
scène spectaculaire de l'émission contribue à mettre en
avant les succès de l'émission, donnant comme impression à
l'écoute que l'animateur, au service des auditeurs, multiplie les
succès par le traitement de cas apparemment complexes.
3. « Lahaie, l'amour et vous » sur
RMC-Info
« Lahaie, l'amour et vous» est une émission
qui se met au service de ses auditeurs pour les aider dans les domaines de
l'amour, de la sexualité et de l'intimité en
général. Sans tabou, cette émission rompt avec une
certaine tradition radiophonique, étant diffusé entre 14 heures
et 16 heures. Communément, les émissions interactives ayant un
caractère intime sont programmées en soirée, moment
considéré comme plus propice à la confession. Brigitte
Lahaie invite les auditeurs à intervenir à l'antenne pour parler
des difficultés dans leur vie intime, ou pour apporter un
témoignage. L'animatrice, selon les jours, peut être soutenue dans
sa mission d'assistance par un invité. Ce dernier est la plupart du
temps un professionnel appartenant à la communauté
médicale : psychologue, psychiatre, sexologue, etc. Il intervient
à l'antenne à tout moment, complétant les réponses
de l'animatrice à l'auditeur. L'invité prend aussi la parole pour
répondre à l'animatrice, qui lui consacre plusieurs minutes
d'interview tout au long de l'émission. Le schéma proposé
ci-dessous nous offre un aperçu global de la composition de cette
émission.
Figure 5 : « Lahaie, l'amour et vous » du 11
février 2008
Ce graphique nous confirme que cette émission accorde
une place conséquente à l'interactivité. En effet, plus de
la moitié du temps d'antenne (58,7 %) est consacrée aux
interventions des auditeurs en direct. La publicité est présente
à l'antenne de RMC-Info, élément sine qua non
d'une radio privée. La place occupée par les messages
publicitaires est ici prépondérante, occupant 17,3 % du temps
d'antenne. Le graphique ne nous permet pas d'observer à quelle
fréquence interviennent les coupures publicitaires. Même si
à l'écoute de « Lahaie, l'amour et vous », la
publicité nous semble moins omniprésente que dans
l'émission «Ça peut vous arriver» sur RTL, la
réalité est toute autre. Notons que les coupures publicitaires
interviennent sur RMC-Info toutes les 15 à 20 minutes. Brigitte Lahaie
est ainsi moins interrompue par la publicité dans son émission
que Julien Courbet. Mais la durée des spots publicitaires est plus
longue sur RMC-Info que sur RTL. Nous sommes face à deux conceptions
marketing de gestion des espaces publicitaires, l'une préférant
interrompre régulièrement l'émission mais pour une courte
durée, l'autre laissant plus de temps d'antenne entre chaque coupure
publicitaire, mais pour une interruption plus longue. Signalons pour
finir, que quelle que soit la stratégie adoptée,
la publicité envahit les programmes des radios privées, rendant
la tâche difficile pour un auditeur souhaitant l'éviter. Le reste
de l'émission (24 % du temps d'antenne) est consacré aux
différentes annonces de l'animatrice, à l'interview de
l'invité, mais aussi à la « châtelaine »,
intervenant à plusieurs reprises afin de donner un aperçu des
propos des internautes sur le chat de RMC -Info. Pour finir, signalons
que la musique est absente de l'antenne, quelques extraits inférieurs
à 30 secondes sont quelquefois diffusés, en guise de
transition.
Après cette présentation générale,
concentrons-nous sur la relation interactive établie dans le cadre de
cette émission. Comme pour les émissions
précédentes, nous avons distingué le statut de l'animateur
de celui de l'auditeur. Les résultats de notre étude de contenu
font apparaître différents types de prise de position pour chacun
des protagonistes au sein du dispositif interactif radiophonique.
+ Le statut de l'animatrice
Sur l'antenne de RMC-Info, Brigitte Lahaie est à la
radio des années 2000 ce que Menie Grégoire incarnait trente ans
plus tôt. L'heure est la même, le dispositif également. Les
deux émissions pénètrent dans l'intimité des
auditeurs appelants afin de leur venir en aide. Le contenu des émissions
est bien évidemment différent, compte tenu de l'évolution
des moeurs. Toutefois Menie Grégoire, tout comme Brigitte Lahaie, a
brisé certains tabous en osant aborder à travers le média
radiophonique des thématiques totalement absentes des autres stations.
En effet, aucune autre radio ne s'aventure dans le domaine de la
sexualité chez l'adulte et du plaisir qui en découle (ou de son
absence). Loin de vouloir faire polémique, l'animatrice accorde une
grande importance à la sexualité dans la vie quotidienne.
« La sexualité traduit nos forces et nos faiblesses. Ce n'est
pas seulement une porte vers la connaissance d'autrui, c'est un objet en
soi» confie -t-elle à Libération lors d'une
interview en 2007.122
122 Libération nO 8219, 10 octobre 2007
L'étude de contenu réalisée sur trois
émissions de Brigitte Lahaie a fait émerger trois types
d'attitudes adoptées par l'animatrice avec les auditeurs dans le
dispositif radiophonique.
· Une oreille confidente
Brigitte Lahaie accueille des auditeurs souhaitant s'exprimer
sur leur vie intime. Thématique propice à la confession, elle
impose à l'individu une introspection. Sur un ton doux et chaleureux,
Brigitte Lahaie incite les auditeurs à se confier à l'antenne,
s'immisçant dans leur vie privée.
Durant les deux heures qui lui sont octroyées,
l'animatrice fait se succéder à l'antenne les auditeurs les uns
après les autres. Adaptant ses propos à chaque interlocuteur,
l'animatrice procède toutefois de la même manière avec
chacun d'entre eux. Elle interpelle l'auditeur en début d'intervention,
afin qu'il confirme oralement qu'il se trouve bien à l'antenne; un
«bonjour» est échangé entre les deux.
Rapidement, l'animatrice précise la raison de l'appel
de l'auditeur. Ceci lui permet de contrôler le contenu de
l'émission, ne laissant d'autres choix à l'auditeur que de
débuter son récit sans perdre de temps. Elle entre ainsi dans le
vif du sujet: «vous nous appelez car vous avez résolu vos
problèmes de plaisir rapide », «vous avez connu une
rupture difficile », «vous avez 48 ans et vous vivez une
relation fusionnelle », «vous avez 60 ans et votre femme
vous a quitté pour votre meilleur ami ». L'animatrice adopte
une attitude conviviale et décontractée : «alors qu'est
ce que vous allez nous raconter de coquin?»
A partir de là, une conversation s'engage entre
Brigitte Lahaie et l'auditeur. Le dialogue est libre, pouvant parfois
s'apparenter à un échange entre deux amis: «remarquez,
ça fait du bien aussi ». L'animatrice va inciter l'auditeur
à détailler ses propos en le questionnant: «elle a envie
de garder cet enfant? », «alors sexuellement, ça se
passe comment ? », «racontez-moi comment ça s'est
traduit. Vous souhaitiez être dans les bras l'un
de l'autre ». Les questions très
ciblées lui permettent d'obtenir un maximum d'informations pour lui
apporter un conseil. L'animatrice montre aussi de l'intérêt au cas
de l'auditeur, « attendez, j'essaie de comprendre la chronologie de
votre histoire ».
Néanmoins, « Lahaie, l'amour et vous» se
rapproche du dispositif des émissions divan, comme les appellent Deleu.
Le dispositif de celles-ci repose sur les vertus d'une parole libre. C'est en
extériorisant ces problèmes que ces derniers pourront être
résolus. L'animatrice assure donc une consultation radiophonique aux
auditeurs par l'usage d'une méthode cathartique:
«j'espère que d'en parler, cela vous a aidé ».
Afin que l'auditeur se dévoile un maximum, l'animatrice reformule
régulièrement ces propos: «c'est-à-dire, vous
vous organisez pour vous masturber; et c'est comme ça que vous avez
résolu votre problème », « tout pour l'autre,
c'est proche d'une relation fusionnelle », « donc vous vous
êtes fait du bien ». Cette pratique permet de relancer
l'auditeur, tout en ciblant la suite de son intervention. L'animatrice laisse
l'auditeur s'exprimer le temps qu'il le souhaite, ne lui coupant que
très rarement la parole. Durant le récit, l'animatrice
émet des signaux d'écoute: « Hum hum », «
oui », « d'accord», confirmant oralement son
attention.
Dans sa mission d'assistance, l'animatrice rassure l'auditeur
et le conforte dans son récit. Elle va d'abord aller dans son sens:
« oui, vous avez raison », « votre analyse Laurent
est tout à fait juste », « oui, je comprends bien,
c'est ce que je dis souvent », « c'est important ce que vous
dîtes ». Mais elle peut aussi reformuler les propos de
l'auditeur, lui explicitant son histoire avec l'intention de lui ouvrir les
yeux : « Christophe, on s'imagine bien qu'il y a de l'affection. Mais
en même temps, on voit que sexuellement c'est terminé depuis
longtemps », « vous êtes perdu, je pense qu'il est
important que vous fassiez la part des choses », « en
même temps, votre relation est conjuguée au passé
». Enfin, l'animatrice peut donner de l'espoir à l'auditeur:
« mais ça va marcher un jour, c'est tout ce que je vous
souhaite », «je pense que vous avez droit d'être
heureux », « Michel, en continuant à vivre, vous
continuez à faire vivre cet amour », « moi j 'ai
quand même l'impression que c'est pas très grave ce qui vous
arrive» ; voire éprouver de la compassion pour lui: «
bien sûr je vous comprends », « moij'aime ce
témoignage car il montre bien ce que l'on vit dans ce genre de situation
», « attendez, c'est terrible ce que vous me racontez
». L'animatrice, par ces différentes attitudes, établit
une relation de proximité avec l'auditeur afin que ce dernier se
sente en sécurité. Le rôle principal de
Brigitte Lahaie est d'être à l'écoute des auditeurs en
créant un espace favorable à la confidence.
? L'implication personnelle de l'animatrice
«Lahaie, l'amour et vous» ne se résume pas au
seul dispositif de l'émission. Brigitte Lahaie elle-même est un
élément fondamental à la réussite de
l'émission. Son expérience passée dans les films X lui
confère une certaine crédibilité auprès de son
auditoire; sa personnalité attachante contribue à facilité
la relation établie dans le cadre médiatique. La
particularité de cette émission réside dans l'implication
personnelle de l'animatrice. En effet, les auditeurs ne viennent pas sur
l'antenne pour avoir un simple conseil, ils veulent un conseil
délivré par Brigitte Lahaie.
L'animatrice entretient avec les auditeurs une relation
privilégiée, n'hésitant pas à se dévoiler
elle-même: «Des fois, on rencontre des hommes qui nous emporte
nt au delà du raisonnable », «moi je dis souvent que
j 'ai besoin d'oxygène, quand j 'ai des personnes autour de moi
». Cette pratique l'humanise, son statut de personne publique
s'estompe pour dévoiler sa position d'être sensible, ayant
elle-même déjà été confrontée à
des situations similaires.
De manière plus distante, l'animatrice n'hésite
pas à donner ses impressions personnelles. Ces dernières peuvent
être positives : «moi je pense que vous avez acquis un grand
contrôle de vous même », «je crois que vous
vivez une belle relation d'amour », ou plus critique:
«cette relation vous fait du mal », « moi je crois
Olivier que vous avez tous les deux certaines inhibitions ». Elle
n'hésite pas à être franche avec les audite urs, restant
toutefois modeste sur la valeur de son jugement: «je ne pense pas que
c'est mort. Je pense que la réalité est là. (É)
Après je ne connais pas ses sentiments », «Marc, on
ne peut jamais dire qu'elle ne reviendra jamais. Je ne suis pas devin
». Les remarques faites aux auditeurs dans ce cadre ne s'appuient que
sur sa propre expérience. L'animatrice ne fait pas appel à des
connaissances scientifiques ou des procédés
psychologique. L'animatrice s'implique pleinement dans la relation
interactive.
· Du conseil à la
pédagogie
En tant qu'émission service, l'animatrice assure
à l'auditeur une écoute, lui permettant de se libérer de
ses problèmes. Toutefois, à chaque témoignage, elle lui
délivre un conseil. Ici, l'invité de l'émission peut venir
compléter les propos de Brigitte Lahaie. Ce dernier est soit
sollicité par l'animatrice: «Déjà Irène
Monty, c'est pas facile de tomber amoureux de quelqu'un qui est
déjà en couple », soit il décide de prendre la
parole après la réponse de Brigitte Lahaie.
Après avoir écouté et interrogé
l'auditeur, Brigitte Lahaie apporte une réponse personnalisée
à ce dernier. Le conseil peut prendre différentes formes. Il peut
s'agir d'un conseil d'ordre général: «il ne faut pas
vous sentir coupable» ou d'une suggestion de marche à suivre
pour améliorer la situation: « prenez de la distance
», «moi je crois qu'il faut que vous soyez plus ferme
», «on ne peut que vous conseiller de le quitter
». Mais l'animatrice peut aussi adopter une attitude plus directive:
«Brigitte, vous devez être dans votre position de femme, de
maîtresse du foyer, et ne pas envenimer les choses »,
«je crois qu'il faut vraiment que vous la mettiez face à ses
responsabilités ». Les conseils délivrés peuvent
aussi être de l'ordre du pratique : « il faudrait repartir en
faisant l'amour, mais en lui donnant du plaisir à elle. Vous allez lui
demander ce qu'elle aime », «la prochaine fois, vous
attendez que l'érection vienne, mais vous ne la pénétrez
pas ».
L'animatrice fait aussi preuve de pédagogie dans le
soutien qu'elle apporte aux auditeurs : «Sylvie, ce qu'il faut que
vous compreniez, c'est que vous n'avez pas à céder »,
«ce qu'il faut faire c'est ne plus du tout voir cette personne
», «ce qu'il faut c'est que vous arriviez à vous
séparer de temps en temps », «vous avez deux
possibilités pour vous soigner ». Ce rôle
pédagogique est accentué par une rubrique de l'émission
dite «Love conseil ». Ce dernier peut être
délivré par une personne du corps médical. Dans ce cas,
l'animatrice diffuse l'interview réalisée plus
tôt avec un professionnel sur une thématique précise comme
par exemple la prostate. Sinon, c'est l'animatrice elle-même qui apporte
des conseils sur un thème précis comme par exemple «
comment faire une bonne fellation?» Le «Love
conseil » permet à l'animatrice d'aborder certains sujets
d'ordres généraux qui ne sont pas évoqués à
l'antenne. Enfin, pour les auditeurs qui ont besoin d'informations
précises, l'animatrice conseille des ouvrages pouvant les aider et les
informant plus précisément. Ceci dispense l'animatrice de fournir
une réponse à l'auditeur.
L'animatrice, même si elle demeure maîtresse du
dispositif interactif, assure sa mission de soutien et d'assistance aux
auditeurs de la station. Toutefois, ces derniers sont-ils satisfaits de cette
médiation?
+ Le statut de l'auditeur
Comme pour les émissions précédentes,
nous n'allons offrir qu'un aperçu du statut de l'auditeur dans la
relation interactive. Avant de se concentrer sur le contenu énonciatif,
nous souhaitons fournir une analyse globale des interventions des auditeurs
dans l'émission «Lahaie, l'amour et vous ».
Figure 6: "Lahaie, l'amour et vous" du 11 février
2008 Durée de l'émission: 1 h 44
Temps total des interventions des auditeurs: 1 h
01
En un seul coup d'oeil, ce schéma permet de distinguer
l'utilisation à outrance du dispositif interactif. Pas moins d'une
douzaine d'auditeurs interviennent chaque jour sur l'antenne de «Lahaie,
l'amour et vous ». Ceci est la conséquence directe de la politique
éditoriale de RMC -Info. En effet, se revendiquant radio talk,
l'antenne est submergée par la parole des anonymes. La majorité
des émissions de la station sont tenues de diffuser les opinions,
suggestions et questions des auditeurs . Toutefois, malgré le nombre
important d'interventions, au sein de l'émission de Brigitte Lahaie, les
auditeurs semblent pouvoir s'exprimer librement et sans être
pressés. Sans pour autant dire que les auditeurs peuvent rester à
l'antenne le temps qu'ils souhaitent, nous avons constaté, lors de
l'écoute des émissions de notre corpus, que les auditeurs ont le
temps de s'exprimer et d'interagir avec l'animatrice. La plupart du temps, un
droit de suite est possible. En fait, l'animatrice adapte la
durée d'int ervention de l'auditeur en fonction de sa
nature. En ce sens, un témoignage durera moins longtemps qu'un auditeur
venu chercher des réponses à un problème. Ceci nous permet
d'expliquer les écarts importants dans les durées d'interventions
des auditeurs, allant de 39 secondes à 7 minutes 43. Nous souhaitons
toutefois remarquer que les interventions ont tendance à durer moins
longtemps en fin d'émission. Face à ces paradoxes, nous pouvons
nous questionner: le dispositif nous donne-t-il l'illusion d'une parole
libérée de toute contrainte temporelle? Une recherche plus
approfondie dans les locaux de la station nous permettrait de compléter
nos premières observations.
Ce graphique nous montre qu'autant d'hommes que de femmes
prennent la parole, dans l'émission de Brigitte Lahaie. Nous pouvons
toutefois constater qu'en terme de durée, les hommes sont plus
présents. Ont -ils un besoin plus important de s'exprimer ?
Précisons que l'émission est écoutée à 70 %
par des hommes.123 Il est donc compréhensible que ces
derniers occupent une place plus importante à l'antenne.
Notre étude de contenu a fait émerger deux grands
axes de réflexions quant à la nature des propos tenus à
l'antenne par les auditeurs.
? Une parole de témoignage
Une partie des interventions des auditeurs se compose de
témoignages. Souhaitant partager leur expérience, les auditeurs
passent à l'antenne pour se confesser: «avec mon mari, nous
vivons une relation fusionnelle depuis 10 ans; on ne fait qu'un »,
«alors moij 'ai une histoire d'amour à raconter. Ça
c'est passé en Inde dans un monastère. (É) Et il s'est mis
à me peloter, il voulait tout vérifier le côté
anatomique de la femme ». La nature exhibitionniste de certains
propos n'est pas à négliger. Ne s'agissant pas de la
majorité des interventions, nous ne pouvons pas
généraliser ce phénomène à toute
l'émission.
123 Libération n 8219, 10 octobre 2007
En plus des interventions classiques, Brigitte Lahaie a mis en
place une série de rendez-vous quotidiens, incitant les auditeurs
à prendre la parole. «La coquine du jour» passe à
l'antenne pour raconter une expérience intime peu commune, un fantasme,
ou une pratique sexuelle particulière. «La testeuse du jour» a
été quelques jours auparavant sélectionnée au
standard pour essayer un jouet sexuel. Cette dernière décrit
l'objet, ses fonctions, et les sensations qu'il procure. A la fin de sa
présentation, l'auditrice évalue le jouet par une note. «Le
quitte ou double» est un dispositif particulier. L'auditeur fait le choix
de laisser l'animatrice décider de la marche à suivre dans sa vie
intime. L'auditeur apporte son témoignage, l'animatrice décide
ensuite si l'auditeur doit poursuivre sa relation amoureuse ou s'il doit la
stopper. Ces rendez-vous contribuent à « spectaculariser» la
parole des individus. En effet, les auditeurs entr ent dans un dispositif ayant
pour but de les valoriser dans leur statut d'anonyme. Conscient du contrat de
communication qu'il lui est imposé l'auditeur devient, durant quelques
minutes, le héros de l'émission. Toutefois, ces rendez-vous sont
un moyen pour le média de stimuler les appels des auditeurs.
· Un auditeur dans le besoin
La majorité des auditeurs intervenant dans
l'émission de Brigitte Lahaie sont à la recherche d'une
assistance psychologique ou d'un conseil. Toutes sortes de problèmes
sont exposés à l'animatrice. Par exemple, il y a les
problèmes physiques : « çafait deux ans que je suis
atteinte de vaginisme et j'aimerais savoir comment je pourrais résoudre
ce problème », les déceptions amoureuses:
«tout à fait, je vis actuellement une rupture très
difficile. (É) C'est une personne troublée, j'ai tout fait pour
elle », etc. Dans tous les cas, nous rentrons dans le domaine de
l'intimité: « Donc en fait, moi j'appelle pour avoir quelques
précisions sur moi-même ». Certains auditeurs
considèrent que seule l'animatrice peut leur assurer un
dénouement positif: «ma situation est cauchemardesque.
(É) Je me demande comment je dois agir », s'en remettant
à son seul avis. Les auditeurs, souvent fidèles de
l'émission, ont confiance dans le jugement de l'animatrice.
Pour parer à ce grand besoin d'assistance
psychologique, l'émission a mis en place un service d'assistance
téléphonique, directement accessible depuis le standard, mettant
l'auditeur en relation avec un psychothérapeute.
Pour conclure sur cette émission, nous souhaiterions
citer Meyer, qui malgré sa vision très critique des
émissions interactives, accorde une certaine crédibilité
à « Lahaie, l'amour et vous»: «Radio marchandise.
Oui, on y est bien, et plus que jamais. Mais peut-on nier qu'il s'agisse d'une
réelle écoute humaine, voire celle d'une authentique assistance
à des êtres qui, sans être au dernier stade de la
détresse, n 'en sont pas moins en manque d'humanité? (É)
Certains après-midi, dans un style inimitable, mais un zeste plus crue
que ses consoeurs, elle offre une qualité d'écoute et de
présence surprenante »124 . L'émission de
Brigitte Lahaie a su trouver un équilibre dans sa formule afin
d'apporter un réel soutien aux auditeurs lors de leur passage à
l'antenne. Il ne faut toutefois pas négliger les motivations
économiques de la station. Mais Brigitte Lahaie, loin de l'agitation
ambiante de la radio, semble se démarquer du reste de la station en
établissant une proximité familière avec les auditeurs :
« j'aime ce que je fais et je me sens libre. Je fais du bien, les
auditeurs me le disent ou me l'écrivent. Cela me réchauffe le
coeur. (É) En fait, j'accouche les âmes.
»125
124MEYER Michel, op.cit. p203 125
Télérama nO 2979
B. Des dispositifs interactifs aux différentes
vertus
La diversité de notre corpus d'émissions service
: «Service public» sur France Inter, « Ça peut vous
arriver» sur RTL, et « Lahaie, l'amour et vous» sur RMC-Info,
nous offre un panel d'observation hétérogène. Afin de
mettre au jour de grandes tendances, nous allons tenter de fournir une analyse
comparative des trois émissions.
Ces émissions aux thématiques
différentes, mais motivées par le même désir de
porter assistance à son auditoire, n'emploient pas les mêmes
moyens pour arriver à leurs fins. Certains éléments du
dispositif sont toutefois similaires. Par exemple, quelle que soit
l'émission, l'animateur est maître du dispositif. C'est lui qui
donne et reprend la parole, qui oriente, par des questions précises les
propos de l'auditeur, et qui s'investit au service de celui-ci.
Malgré cela le dispositif radiophonique, tout comme le
contrat de communication, sont propres à chacune de ces
émissions, induisant plus ou moins la spectacularisation de la parole
des anonymes. L'interactivité est certes présente dans toutes les
émissions mais à des degrés différents. En effet,
les radios ont deux principales possibilités pour faire intervenir les
auditeurs à l'antenne; de manière directe : l'auditeur s'exprime
en direct sur les ondes, et de manière indirecte: l'animatrice
répercute à l'antenne le témoignage ou la question d'un
auditeur, préalablement laissé par ce dernier au standard ou sur
le site internet de l'émission. Le schéma ci-dessous nous donne
une vision générale de la répartition des types
d'intervention des trois émissions étudiées.
Figure 7 : Proportion des types d'interventions des
auditeurs de trois émissions service le 11 février
2008
Ce schéma a été élaboré
à partir des résultats bruts issus de notre étude de
contenu. Pour chaque émission, nous sommes parties du nombre total
d'intervenants avant de distinguer la voix empruntée pour accéder
à l'antenne. Nous pouvons aisément distinguer les
différences de traitement de la parole des auditeurs à l'antenne.
Sur «Service public », les prises de parole directes des auditeurs ne
représentent qu'un tiers du total des interventions. A l'inverse de
« Ça peut vous arriver », l'animatrice privilégie les
lectures d'e-mails et la diffusion de messages laissés au
standard, lui permettant de maîtriser la parole des auditeurs. Ceci
s'explique par la nature informative de l'émission, privilégiant
une prise de conscience collective au traitement au cas par cas. Les
interventions viennent soutenir ce qui se dit à l'antenne, en guise
d'illustration. Le fait que ces dernières soient principalement
indirectes permet à l'animatrice de gonfler le nombre
d'interventions.
«Ça peut vous arriver» se situe en parfaite
opposition. Cette émission assure à l'auditeur une prise en
charge active et personnalisée. L'essentiel des interventions, à
87,5 %, sont directes. L'auditeur passe à l'antenne pour exposer son
cas, et l'animateur, dans la mesure du possible, tente de résoudre son
problème en direct, en contactant par téléphone les
personnes incriminées. Les collaborateurs de Julien Courbet
étudient en amont le «dossier » de l'auditeur, ayant ainsi
toutes les clés en main pour s'assurer d'un dénouement positif.
Le dispositif explique aussi cet écart de traitement. Durant deux
heures, les auditeurs se succèdent à l'antenne, induisant une
certaine instrumentalisation de leur parole. En effet, malgré son statut
d'émission service, «Ça peut vous arriver » peut
s'assimiler à un show mettant en scène la
réalité.
Enfin, «Lahaie, l'amour et vous » fait intervenir
autant d'auditeurs de manière directe (54,2 %) que de manière
indirecte (45,8 %). Cette équité s'explique par la multiplication
des outils mis à la disposition de l'auditeur pour participer à
la création du contenu. En effet, l'émission de Brigitte Lahaie
propose aux auditeurs un espace interactif, le chat, sur lequel les
internautes dialoguent sur le thème de l'émission. Une
modératrice intervient à plusieurs reprises à l'antenne
afin de citer les propos tenus sur la toile. Le dispositif interactif est ici
bien maîtrisé, les auditeurs ayant, en théorie, des chances
égales d'intervenir à l'antenne selon la méthode qu'ils
décident d'employer.
Les trois émissions service ne mettent ainsi pas les
mêmes moyens en oeuvre pour établir une relation interactive avec
leur auditeur. La proportion des interventions directes et indirectes
dépend en grande partie de la méthode usitée pour aider
l'auditeur. Si davantage d'auditeurs ont droit de citer à l'antenne de
«Ça peut vous arriver », c'est par ce que cette
émission décide d'agir concrètement pour la
résolution de leurs problèmes. «Service public »
préférant informer ces auditeurs, a plus recours aux
interventions indirectes, illustrant les propos des invités experts.
Le deuxième élément que nous souhaitons
mettre en avant pour cette analyse comparative réside dans le dispositif
d'incitation à l'appel. Il constitue pour nous, un des
éléments pouvant révéler la tendance à la
spectacularisation de certaines émissions.
Figure 8 : comparatif des occurrences faisant
référence à l'interactivité de trois
émissions service le 11 février 2008
Lors de notre étude de contenu, nous avons jugé
nécessaire de relever le nombre de fois où l'animateur fait
référence à l'interactivité. En effet, cette
pratique courante au sein des émissions services permet de stimuler les
appels. Nous avons relevé trois grands types de procédés :
les jingles, les incitations à l'appel formulées par l'animateur
et les annonces des auditeurs déjà sélectionnés au
standard, mais n'étant pas encore intervenus à l'antenne. Ce
graphique a dû tenir compte des différentes durées des
émissions afin d'équilibrer les données entre elles. Pour
cela, nous avons effectué une moyenne des occurrences en nous adaptant
à la durée de chacune d'entre elles. Les chiffres présents
sur le graphique correspondent à la proportion de ces moyennes sur le
nombre d'occurrences total de chaque émission.
L'émission qui ressort de la manière la plus
flagrante de ce graphique est «Ça peut vous arriver ». Cette
dernière cumule le plus grand nombre d'occurrences faisant
référence à
l'interactivité, toutes catégories confondues:
73,3 % des jingles, 50 % des occurrences incitant à l'appel et 58,8 %
des occurrences annonçant les futurs auditeurs. Ceci est le
révélateur d'une pratique générale et
omniprésente dans la réalisation de l'émission. En effet,
l'animateur, Julien Courbet, profite de la moindre occasion à l'antenne
pour évoquer le dispositif. Sans cesse, et à une fréquence
dépassant le raisonnable, l'animateur va annoncer et re-annoncer les
«dossiers» des auditeurs à venir. L'animateur tient l'auditeur
écoutant en haleine, tout en créant un certain suspens. L'effet
d'annonce constitue un élément majeur dans la mise en
scène spectaculaire de cette émission. Les interventions des
auditeurs sont utilisées pour justifier le dispositif lui-même.
L'auditeur est dépossédé de son témoignage,
n'étant toujours pas intervenu à l'antenne. Il est incontestable
ici que l'auditeur est utilisé, voire abusé par le média
pour la mise en place du show radiophonique.
«Lahaie, l'amour et vous» est plus raisonnable dans
ce domaine. L'interactivité est certes évoquée durant le
déroulement de l'émission, mais dans des proportions moindres que
«Ça peut vous arriver ». La particularité de
l'émission réside dans le fait qu'aucun jingle faisant
référence à l'interactivité n'est diffusé.
Ceci correspond à la couleur sonore générale de
«Lahaie, l'amour et vous ». A l'opposé de «Ça peut
vous arriver », l'émission de Brigitte Lahaie est
épurée, privilégiant ainsi le contenu (les propos des
auditeurs) au contenant. Toutefois, l'animatrice incite les auditeurs à
joindre le standard afin d'intervenir à l'antenne. Les incitations
à l'appel pour cette émission englobent 40,9 % des occurrences de
cette catégorie. Emission d'une radio se revendiquant talk, ce
pourcentage se justifie par la nature même du dispositif
général de la station. Notons néanmoins que l'animatrice
intègre discrètement à son discours ces
éléments, lui permettant d'être moins insistante que Julien
Courbet au sein de «Ça peut vous arriver ».
Enfin, «Service public », fidèle à
elle-même, est l'émission faisant le moins référence
à l'interactivité. Dans ce sens, cette dernière se
distingue des deux autres par la nature de son dispositif, moins enclin
à la «spectacularisation» de la parole des anonymes. Faisant
intervenir peu d'auditeurs à l'antenne, «Service public» reste
modeste en ne stimulant pas à l'excès ces derniers afin d'entrer
en contact avec la station.
Pour conclure, nous souhaitons mettre en avant que l'aide
apportée aux auditeurs dépend du dispositif adopté par
chaque émission. «Service public» vient en aide aux auditeurs
en les informant. Ces derniers ne sont pas directement pris en charge par
l'émission comme c'est le cas pour les deux autres émissions.
Leurs interventions, questions ou témoignages, aident à la
constitution des contenus. La participation au jeu de l'interactivité
permet à l'animatrice d'orienter ses propos en fonction des
thèmes les plus fréquemment abordés par les auditeurs. Le
contenu de l'émission est ainsi plus ou moins flexible aux attentes des
auditeurs. Ce dispositif contribue à responsabiliser l'auditeur,
à le faire intervenir sans pour autant favoriser une parole
spectaculaire. Mais l'auditeur demeure toutefois seul face à
lui-même pour résoudre ses problèmes. « Lahaie,
l'amour et vous» et « Ça peut vous arriver» ont, quant
à eux, plus tendance à mettre en scène l'auditeur,
contribuant à faire émerger une parole spectaculaire. La
première émission conseille les auditeurs et leur apporte un
soutien psychologique. La thématique générale, ainsi que
les sujets abordés à l'antenne contribuent à
l'évolution des moeurs. Même s'il ne s'agit pas de la
première émission du genre, Brigitte Lahaie se fait
l'intermédiaire de toutes les pratiques intimes, sur un ton
débridé sans être vulgaire. La seconde émission met
l'action concrète au centre de son dispositif. Le média prend ici
en charge l'auditeur, et lui assure un suivi jusqu'à la
résolution de son « dossier ». Les individus sont ici
montrés dans des situations de détresse, alors que le
média et Julien Courbet en particulier prennent l'apparence de sauveurs.
Ultime recours des individus, l'émission utilise la misère
sociale et les difficultés rencontrées par tout un chacun. Ceci
contribue à mettre en avant la place du média dans la
société, le rendant par conséquent indispensable à
l'amélioration du quotidien des gens ordinaires.
II. Entre service et spectacle
A. L 'interactivité radiophonique: un dispositif aux
nombreux bénéfices
L'omniprésence actuelle des émissions
interactive dans les médias s'explique, entre autres, par les nombreux
avantages qu'elles offrent. Loin d'être récents, le dispositif et
les techniques permettant à l'auditeur d'intervenir en direct ont su
év oluer et s'améliorer, tout en réduisant les contraintes
inhérentes à ce type de programmes.
Tout d'abord, les émissions interactives offrent
à une radio un dynamisme sonore. La variété des voix lutte
contre une certaine monotonie de l'antenne. Les auditeurs appelant de France et
de Navarre font voyager les écoutants par les accents et expressions de
leur région. Puis le dialogue entre les auditeurs et l'animateur est
souvent vivant et animé. Une radio doit en effet arriver à
captiver son auditoire, si elle veut bénéficier de bonnes
audiences. La concentration fournie en situation d'écoute est
très courte, il est donc nécessaire d'attirer l'attention de
l'auditeur régulièrement. Ce dernier ne doit pas s'ennuyer,
l'offre radiophonique étant importante, il a vite fait de changer de
station. Les programmes interactifs assurent la vitalité des
échanges, tout en variant les sujets abordés au sein d'une
même émission.
Puis les émissions interactives garantissent à
la radio de bonnes audiences. Quelques soient leurs genres, ou leurs publics,
les auditeurs sont fidèles au poste. Pour illustrer nos propos, nous
évoquerons les libres antennes du soir sur les radios jeune. Dès
leur apparition, le succès a été tel que ces
émissions ont recueilli les meilleures audiences sur cette tranche
horaire toutes radios confondues126. Ceci a incité d'autres
radios à intégrer ce dispositif à leur programmation, en
l'adaptant à leur auditoire. Une étude auprès des
auditeurs serait nécessaire pour comprendre les raisons d'une telle
attirance du public pour les émissions interactives.
126BECQUERET Nicolas, op.cit.
Ensuite, il faut signaler que les émissions
interactives impliquent de faibles coûts de production. Outre
l'animateur, le personnel nécessaire à la réalisation de
ces émissions peut être partagé entre plusieurs
émissions: réalisateurs, standardistes, techniciens, etc. Ceci
permet au média de minimiser les coûts salariaux. De plus, le
contenu de l'émission dépendant en partie des appels des
auditeurs, la préparation du direct est minimisée: pas besoin
d'envoyer des journalistes sur le terrain ou de réaliser des reportages.
Par ailleurs, de nombreuses émissions interactives font appel à
des invités. Ces derniers sont le soutien de l'animateur pour
répondre aux interrogations des auditeurs. Cette pratique permet
à la radio de faire des économies, dans la mesure où il
n'est plus nécessaire d'embaucher des spécialistes. Les
invités, se déplaçant à leurs frais, assurent
l'émission sans rémunération. Toutefois ces derniers ont
souvent une actualité (articles, livres, documentaires, etc.) dont ils
doivent faire la promotion. Cet élément nous fait nous
questionner sur le danger d'une telle pratique. Est -ce que les
thématiques des émissions interactives sont choisies en fonction
des attentes des auditeurs, ou ne son t-elles que le résultat d'une
démarche commerciale?
Au-delà des faibles coûts de production, les
émissions interactives peuvent rapporter de l'argent aux radios.
Premièrement, l'audience importante de ces programmes permet à la
radio de vendre plus cher ses espaces publicitaires. Deuxièmement,
certaines radios ne sont accessibles que via des numéros
surtaxés. Les auditeurs appelants payent donc un tarif
élevé dans le but d'accéder à l'antenne. L'envoi de
SMS peut aussi être surtaxé. Compte tenu du grand nombre d'appels
et d'envois de SMS, les radios ont trouvé ici un mode de financement
complémentaire pour rentabiliser leur activité.
Nous pouvons à ce stade nous questionner sur les
devoirs et les responsabilités d'un média, quant à la
qualité du contenu diffusée à l'antenne. Filons la
métaphore, les émissions interactives ne sont-elles pas à
la radio ce que les compagnies low cost (bas coût) sont aux
opérateurs aériens ? Peut-on parler de radios low cost?
Dans la mesure où les émissions interactives sont de plus en plus
présentes sur la bande FM, les radios ne cherchent-elles pas à
baisser un maximum leurs coûts de production? Au sein des
émissions interactives, les auditeurs interviennent, donnent leur
opinion, voire leur analyse de la situation. Même si certains d'entre eux
peuvent être de fins connaisseurs, la plupart du temps, il s'agit
d'anonymes s'étant forgé un avis en fonction de leurs
expériences personnelles. Leurs
raisonnements ne sont nullement le résultat d'une
analyse objective issue de recherches confrontant différentes sources.
Aucune méthodologie particulière n'est utilisée pour
justifier les observations avancées. Les opposants aux émissions
interactives dénoncent l'ampleur de la place donnée à la
parole des anonymes. Pour eux, la radio deviendrait une sorte de porte- parole
d'une opinion publique fictive. En effet, les émissions interactives
n'établissent pas un panel des auditeurs intervenant à l'antenne,
ne leur permettant pas d'être représentatives. Une des craintes
inhérentes à la multiplication des émissions interactives
réside dans la peur de la disparition du journaliste. En effet, les
auditeurs sont considérés comme des acteurs de la vie ordinaire,
conférant à leur parole une certaine authenticité. Mais
est-ce pour cette raison qu'ils peuvent devenir meilleurs éditorialistes
que les professionnels, allant jusqu'à les faire disparaître? Nous
répondrons par la négative à cette interrogation.
Toutefois, la parole des anonymes, occupant de plus en plus de place dans le
champ médiatique, restreint le temps de parole des professionnels. Ces
derniers doivent s'adapter, redéfinissant leur place dans le
média. Afin de conserver une certaine qualité du contenu
diffusé, les radios doivent être vigilantes quant à un
certain excès du don de la parole. La politique du bas coût a
tendance à favoriser le populisme au détriment d'une information
fiable et de qualité.
Les émissions service apportent des avantages
complémentaires aux stations, tout d'abord de par leur nature. Le
principe de venir en aide ou en soutien à quelqu'un est très
noble et populaire. Qui aujourd'hui n'a pas besoin d'un coup de pouce pour
résoudre un problème? La proposition est très attrayante
au sein d'une société de plus en plus tournée vers
l'individualisme. Le soutien apporté est «gratuit» pour les
personnes. En effet, à l'exception de la prise de contact qui peut
être facturée indirectement (surtaxes
téléphoniques), le média radiophonique offre ses services
aux auditeurs. Il faut toutefois prendre garde à ne pas exagérer
la nature altruiste des médias.
Les médias occupent une place incontestable dans notre
société contemporaine. Avec les émissions services, les
radios élargissent leur champ d'action, se mettant à la
disposition du public. Jusqu'alors la radio et les médias occidentaux en
général avaient comme rôle principal et traditionnel
d'informer les individus. D'autres fonctions annexes comme le divertissement,
l'éducation, la création du lien social ne doivent pas être
oubliées. Aujourd'hui, avec l'affirmation des émissions service,
le média radiophonique pénètre dans le
quotidien des auditeurs, les guidant, ou les prenant
directement en charge. Par ce biais, la radio ne cherche -t-elle pas à
se rendre indispensable au sein de la société,
préférant le statut d'actrice à celui d'outil?
Les émissions service assurent aussi une
proximité avec le public, étant à son écoute et
à son service. Le ton des émissions est la plupart du temps
convivial, amical voire chaleureux. Le rapport positif avec les (quelques)
auditeurs intervenant à l'antenne permet au média d'entrer en
relation avec son public. En séduisant son public par
l'établissement d'une relation privilégiée, la radio
veille à fidéliser l'écoute.
Enfin, sa mission d'assistance confère à la
radio une certaine notoriété, qui lui garantit par
conséquent à un certain engouement du public. Ce dernier est pris
à témoin pour attester de l'efficacité apparente de ce
type de dispositif, révélant de manière directe
l'utilité du média dans la société.
Derrière l'engagement pris auprès des auditeurs,
les médias bénéficient des nombreuses retombées
positives propres à ces programmes, tant en terme économique que
d'image. La nature noble de leur engagement permet de dissimuler certaines
réalités. Le public en a-t-il conscie nce ? En ce sens, les
auditeurs ne sont -ils pas instrumentalisés par le média
radiophonique ?
B. Sphère privée /sphère publique : la
rupture médiatique
Les émissions interactives, de par leur dispositif qui
intégre la parole d'anonymes dans leur contenu, ont fait entrer la
sphère privée au sein de l'espace public. Ce glissement
impulsé par la radio, et repris à la télévision, a
été à l'origine de nombreuses polémiques.
Dès l'arrivée de Menie Grégoire sur les
ondes de RTL, les premières critiques se font entendre. En 1968,
l'émission de Menie Grégoire et celle de Françoise Dolto
sur Europe 1 furent attaquées par l'Ordre des médecins dans
Le Figaro dans un article les qualifiants de «radios
strip-tease ». La direction de RTL a subi des pressions afin que
soient interdites les «consultations radiophoniques ». Ce sont les
auditeurs qui vinrent au secours de l'émission en répondant
massivement par courrier à l'appel à mobilisation d'un
médecin favorable à l'animatrice. Mais les hostilités ne
s'arrêtèrent pas là, comme le raconte Cardon: « en
décembre 1976, ensuite, Menie Grégoire fut violemment prise
à partie lors d'une émission de télévision,
«L'homme en question », que FR3 [devenu France 3] lui avait
consacrée à une heure de grande écoute. Soumise à
un long interrogatoire, l'animatrice ne put contenir ses larmes devant son
public et ses accusateurs (le journaliste du « Nouvel Observateur »,
Guy Sitbon, et la psychanalyste, Ginette Michaud). Dans un climat de tension
peu fréquent dans un débat télévisé,
l'animatrice fut tour à tour sommée de s'expliquer sur: 1) son
appartenance à la «bourgeoisie », qui rendait suspect le
«maternage » du « public populaire », · 2) son
statut de « vedette », qui lui interdisait de partager
l'expérience des personnes ordinaires qu'elle convoquait dans son
émission , · 3) l'imposture du recours à la
référence psychanalytique (interventionnisme directif,
caractère incontrôlé de ses «analyses expresses
», etc.), · 4) l'inconséquence thérapeutique de sa
médiation, qui risquait de produire des effets
névrotiques, · 5) enfin, le fait que le type de relation qu'elle
entretenait avec les auditeurs contribuait tacitement à la dissimulation
des rapports sociaux et à leur
»127
reproduction. Ce récit nous montre bien
l'indignation de certaines hautes sphères de la
société face à un nouveau
phénomène. Plébiscitée par un public qui a grand
besoin de sortir du silence, Menie Grégoire fut le bouc émissaire
de tous les maux potentiels que pouvaient engendrer la rupture entre la
sphère privée et la sphère publique.
127CARDON Dominique, op. cit.
Aujourd'hui, même si certaines critiques persistent,
nous pouvons constater que ce phénomène s'est affirmé et
continue d'évoluer dans la société contemporaine. Les
médias (principalement la télévision, la radio)
intègrent à leurs programmes de nombreuses émissions
s'immisçant dans la vie privée des anonymes. En effet, la
banalisation de l'intrusion des médias dans la sphère
privée est partie intégrante d'un mode radiophonique en pleine
expansion. Peu à peu les émissions interactives grignotent les
moindres recoins du domaine privé. Les émissions service, par
l'ampleur des thématiques abordées, en sont l'illustration.
Les émissions service souhaitent aider les anonymes
dans tous les domaines de leur vie quotidienne. La radio apparaît a insi
comme l'interlocuteur privilégié des individus, en se
positionnant de manière valorisante. «Ça peut vous
arriver» sur RTL utilise à outrance ce dispositif, se mettant au
service des auditeurs vivant des situations sinon complexes du moins
spectaculaires. La mise en scène dans cette émission est un
élément primordial. L'animateur, figure centrale du dispositif,
s'introduit dans la vie privée d'un individu victime d'un abus. Plus
qu'un médiateur, il devient acteur du quotidien d'un auditeur, prenant
la parole à sa place tout en lui dictant la marche à suivre. La
proximité établie entre les deux parties n'est qu'illusion. En
effet, l'échange engagé à l'antenne entre l'animateur et
l'auditeur est convivial, décontracté voire amical. Mais une fois
les micros coupés, l'auditeur retourne dans la solitude de son
quotidien. La radio, loin de vouloir établir une relation durable,
s'insère dans la vie privée pour créer un contenu
médiatique mettant en scène la réalité. Le cas d'un
auditeur devient une histoire à suspense, où la victime prend le
rôle de héros de sa propre vie. Le nombre élevé
d'appelants est la preuve que ce dispositif est très convoité par
le public.
Les auditeurs sont en effet très nombreux à
vouloir participer à ces émissions, leurs motivations ne pouvant
se résumer au seul besoin d'assistance. Dans ce sens, les individus sont
animés par un besoin de sortir de leur statut d'homme ou de femme
ordinaire pour être propulsé au sein de l'espace public. Pour
Ehrenberg, prendre la parole au sein d'un média à titre
privé est un moyen pour l'anonyme d'accéder à une
dignité humaine via une marque de reconnaissance incarnée par le
passage à l'antenne. Dans ce sens, «le manque de retenue ou
l'impudeur en sont peut-être la conséquence, mais non la cause,
parce qu'une dose minimale de narcissisme est la condition de l'action
individuelle et que cette dose implique elle-même
un minimum de reconnaissance de soi par un autre
»128 , pouvant être dans notre cas, la
globalité des auditeurs d'une station. Le «spectacle de la
réalité », tel que le nomme cet auteur, joue sur une
sensibilité collective. L'accès à l'antenne certifie
l'authenticité du problème de l'auditeur, tout en amplifiant la
crédibilité de ce dernier.
L'émission qui incite l'auditeur à
dévoiler les aspects les plus intimes de sa personne est celle de
Brigitte Lahaie sur RMC-Info. «Lahaie, l'amour et vous », de part son
champ d'action: l'amour, la sexualité, et l'intime,
pénètre dans l'intimité des relations amoureuses, brisant
les tabous qui peuvent encore exister aujourd'hui. Les témoignages
proposent un large panel de pratiques sexuelles, sous les conseils
avisés de l'animatrice. En effet, même si cette dernière
est à l'écoute des auditeurs, sa place dans le dispositif est
bien celle qui émet un point de vue, qui donne un conseil, voire qui
dispense un savoir. Pour cela, l'auditeur est tenu de se mettre
«radiophoniquement» à nu. Nous pouvons nous interroger sur ce
qui incite l'auditeur à franchir la frontière menant à la
confession publique? Meh l, qui a analysé les émissions divans
à la télévision expose les différentes motivations
des individus à participer à ce type de programmes. Dans un
premier temps, il vient rechercher une aide pour résoudre un
problème, ou une délivrance cathartique. Puis il peut vouloir
adresser un message à un proche, en se protégeant derrière
un intermédiaire, incarné ici par le média. Il peut aussi
à l'inverse vouloir toucher un plus large public afin de défendre
une cause personnelle. Enfin, il peut espérer une certaine
reconnaissance sociale, une intégration en dépit dÕun
problème.129 L'intervenant espère ainsi tirer
bénéfice de son passage à l'antenne. Il sacrifie sa vie
privée à un dessein plus cher à ses yeux.
Nous souhaiterions conclure en mettant en avant le danger de
ce type de raisonnement. En effet, les intervenants se donnent tout entier aux
médias, qui spectacularise leur récit personnel. L'homme
ordinaire peut avoir l'impression, parfois à juste titre, que ses
souhaits ont été exaucés, même si ce n'est pas
systématiquement le cas. Dans ce sens, la relation médiatique
pose un problème de responsabilité au niveau sociétal. Le
recours dÕun individu à un média, afin que ce dernier,
à un degré d'implication plus ou moins élevé
résolve son
128 EHRNBERG Alain, L'individu incertain, Paris, Calman
Lévy, 1995, p 190
129MEHL Dominique, La télévision de
l'intimité, Paris, Le Seuil, 1996 cite in DELEU Christophe,
op. cit.
problème, ne peut pas être
considéré comme un remède universel. Brigitte Lahaie ne
pourra jamais remplacer une consultation suivie auprès d'un psychologue
ou d'un sexologue ; Julien Courbet ne pourra dispenser le recours aux services
d'un avocat, d'un huissier ou d'un Médiateur de la République. Il
reste difficile de délimiter dans quelles proportions les médias
sont les révélateurs et les témoins de certaines pratiques
sociales ou s'ils sont acteurs, voire prescripteurs, de remèdes
sociétaux. La poursuite des recherches dans ce sens, afin de comprendre
la portée du média dans la société, offrirait une
continuité dans la réflexion engagée.
C. Mise en scène de ces émissions et
limites
Notre travail s'est attaché à définir le
dispositif radiophonique tel qu'il existe au sein des émissions service.
Quelles que soient les émissions, une mise en scène plus ou moins
spectaculaire est instaurée. Il paraît légitime de se
questionner pour savoir à quel degré la situation d'assistanat
est mise en scène à l'antenne ? Les auditeurs dans le besoi n ne
seraient- ils pas la «poudre à canon» de médias
animées par une logique de marchandisation du spectacle?
Aucune radio n'est en mesure de reconnaître sa
participation, plus ou moins grande, à faire de la relation interactive
entre un animateur et ses auditeurs un spectacle médiatique de la
réalité. Pourtant, cet élément constitue une des
bases de ces émissions, chacune l'exploitant à sa manière.
Notons ici une distinction entre les radios publiques et les radios
privées. Pour Deleu, «la parole spectaculaire, c'est la
singularité de la radio privé. Il en va autrement du service
public. La libre parole de l'auditeur est certes également
considérée comme un élément de mise en scène
de l'actualité. C'est un élément de spectacle
indéniable. Mais il n'est pas provoqué par un dispositif qui
rechercherait le spectaculaire. Et c'est une différence fondamentale
entre l'approche des radios privées et celle des radios publiques. Toute
parole est spectacle, mais elle ne devient spectaculaire que dans une mise en
scène, délibérément
»130
provocatrice résultant d'un dispositif de don de
parole adéquat. Nos recherches
confortent cette idée. Alors que «Service
public» cherche à responsabiliser l'auditeur en l'informant un
maximum, « Ça peut vous arriver» montre l'auditeur comme une
victime, utilisant sa détresse à des fins spectaculaires. La
première émission revendique une certaine mission de service
public émancipée de toute contrainte économique.
Même si la publicité est peu présente sur l'antenne de
France Inter, la logique d'audience n'est pas absente de l'antenne. Nous ne
pouvons pas négliger que cette contrainte est de plus en plus au coeur
des préoccupations des dirigeants des radios publiques. France Inter a
toutefois toujours entretenu un rapport particulier avec ces auditeurs. Ainsi
le service public radiophonique arrivera-t-il à préserver la
parole des auditeurs?
130MEYER Michel, op.cit. p 156
Cette question prend toute son ampleur à l'heure
où des changements importants sont annoncés sur le service public
audiovisuel français. Nous pensons en particulier à l'annonce
faite par France 2 de programmer à la rentrée 2008 une
émission animée par Julien Courbet. Cette nouvelle
émission souhaite conserver l'esprit de «Ça peut vous
arriver» sur RTL, comme en témoigne l'animateur à travers
une interview accordée au Figaro: «Mon concept correspond
vraiment à l'image du service public, c'est dans ce sens que je
continuerai, du lundi au jeudi, en direct, à défendre les
consommateurs, à soigner les petits bobos du public, mais dans le
même esprit de convivialité que celui que je pense avoir
réussi à instaurer
»131
chaque matin sur RTL. Mais est-il possible de calquer un
dispositif radiophonique pour
l'adapter au média télévisuel?
Programmée entre 18 heures et 20 heures, la chaîne met beaucoup
d'espoir dans cette émission. En effet, cette tranche horaire dite
«d'accès à la première partie de soirée »
est cruciale pour les grandes chaînes, servant de tremplin aux audiences
du journal télévisé de 20 heures et aux programmes de la
soirée. Les émissions service sont donc aujourd'hui
convoitées pour les résultats qu'elles obtiennent en terme
d'audience, tout en établissant une relation de proximité induit
dans le dispositif.
Les émissions service se disent à la disposition
des auditeurs pour résoudre leurs problèmes. Mais dans quelle
mesure répondent-elles à leurs attentes? Les thématiques
qui encadrent ces émissions sont-elles basées sur les besoins
réels des auditeurs ou répondent- elles à une autre
logique? Nous ne pouvons répondre précisément à ce
stade de notre réflexion, mais nous avons toutefois quelques pistes de
travail.
Les thématiques des émissions service qui
invitent à l'antenne des experts afin de répondre aux
problèmes des auditeurs sont souvent choisis en fonction de
l'actualité de ceux- ci. En effet, dans l'émission «Lahaie,
l'amour et vous », lorsqu'un invité est présent en studio,
c'est souvent parce qu'il est en campagne promotionnelle. Il s'agit la plupart
du temps de la publication d'un ouvrage en relation avec la thématique
générale de l'émission de Brigitte Lahaie. A l'antenne,
l'animatrice oriente les interventions des auditeurs vers des
problématiques en lien avec cette publication. Même si les
auditeurs ne sont pas cantonnés à
131 MAIRE Jean-Michel, « Julien Courbet : «J'en ai
rêvé, France 2 l'a fait» », Le Figaro, 26 mai 2008,
http://www.lefigaro.fr/culture/2008/05/26/03004
-20080526ARTFIG00478 -julien -courbet -j-en-ai-reve-france -la-fait-.php
consulté en mai 08
intervenir sur ces thèmes en particulier, la
séle ction effectuée au standard en tient compte. D'autres
émissions cloisonnent les interventions des auditeurs au seul
thème de l'émission, prédéfinis par le choix des
invités. En effet, les témoignages ou questions des auditeurs
sont destinés aux invités. Isabelle Giordano sur France Inter ne
s'engage pas personnellement dans la réponse donnée à
l'appelant; contrairement à Brigitte Lahaie. Si l'auditeur ne peut pas
intervenir en fonction de ses besoins, cela ne signifie pas pour autant que
l'émission ne lui vient pas en aide. Les thèmes choisis dans le
cadre de l'émission n'intègrent certes pas les problèmes
individuels de chaque auditeur, mais ils peuvent coller à une
réalité sociétale. Par exemple, «Service Public»
a mis en place un partenariat avec des associations de consommateurs. Ces
dernières sont invitées lors de la parution d'un dossier
spécial. Réunissant ainsi les consommateurs eux-mêmes, les
thèmes choisis doivent être en continuité avec leurs
problématiques. Nous pouvons toutefois nous questionner sur la
véritable nature de cette démarche. En continuité avec les
travaux de Bourdieu, ne sommes-nous pas en présence d'une «
censure invisible » ? Les thématiques des émissions
étant définies par avance, les auditeurs ne sont pas libres
d'exprimer sur les sujets de leurs choix. La « censure
invisible» consiste à parler de choses futiles, afin d'en
cacher d'autres plus importantes. De ce fait, il
132
s'exerce sur les individus une « violence symbolique
», à laquelle ils sont impuissants. Enfin, « Ça
peut vous arriver » traite au cas par cas les «dossiers» des
auditeurs, répondant à leurs attentes individuelles. Quelques
émissions spéciales sont toutefois réalisées ;
l'animateur incite les auditeurs à venir exposer leurs problèmes
dans le cadre d'une thématique précise. Ces trois
émissions service sont le révélateur de deux logiques
distinctes de prise en charge de l'auditeur. La première s'attache
à proposer un cadre d'intervention, un espace clairement
délimité comprenant plusieurs facettes du sujet. Les besoins des
auditeurs doivent de ce fait correspondre avec la thématique de chaque
émission quotidienne. Le média décide de satisfaire une
masse d'individus en abordant des cas plus ou moins ordinaires. La seconde
traite individuellement des besoins de l'auditeur en lui proposant un soutien
personnalisé. Ici le dispositif a plus tendance à être
spectaculaire, les situations des auditeurs se démarquant du cas
général. Des recherches complémentaires nous permettraient
de délimiter les avantages et les limites de chacun des dispositifs de
soutien radiophonique.
132BOURDIEU Pierre, Sur la télévision,
Raisons d'agir, Paris, 1996
La deuxième piste de travail que nous souhaiterions
explorer est tournée vers l'idée d'indépendance
éditoriale des émissions service. En ce sens, les
émissions traitant par exemple des problèmes des consommateurs,
telles que celles de Julien Courbet sur RTL, ne subissent-elles pas des
pressions quant aux entreprises incriminées ?s Au standard, un auditeur
est-il évincé en fonction de la nature de son problème?
Quel est le poids des annonceurs publicitaires de la radio dans ce genre de
situation? Si une arnaque est constatée incriminant une entreprise
payant des espaces publicitaires à la station, le cas de l'auditeur
est-il diffusé à l'antenne. A contrario, les
émissions service du service public sont -elles émancipées
de toutes pressions extérieures?
Pour terminer, il est nécessaire de se questionner sur
la portée et l'efficacité des émissions services. Notre
début de réponse se base sur les trois émissions
étudiées. Ces dernières ne nous permettent pas de tirer
des conclusions globales, mais elles sont un échantillon de ce type de
programme, reflétant des dispositifs radiophoniques contemporains.
L'émission «Service public» sur France Inter
apporte un soutien particulier à ses auditeurs, décidant de
l'informer afin de le responsabiliser dans son quotidien. Les auditeurs
interviennent à l'antenne essentiellement pour apporter un
témoignage. Les questions posées, même si elles se basent
sur une expérience personnelle, sont d'ordre général.
Aucun suivi des auditeurs n'a lieu. L'anonyme est donc seul face à ses
problèmes; le média l'incitant à devenir acteur de sa
propre vie.
L'émission «Lahaie, l'amour et vous» sur
RMC-Info propose aux auditeurs des consultations personnalisées se
basant sur une démarche cathartique. L'animatrice écoute, donne
son point de vue et conseille l'auditeur dans sa vie intime. L'aide
apportée par le média se situe plus dans le domaine du soutien.
La nature brève de l'entretien ne permet pas à l'animatrice de
s'impliquer pleinement dans la résolution du problème de
l'auditeur. L'assistance proposée n'est que superficielle. Toutefois,
pour parer à cette contrainte, la station a mis en place une assistance
téléphonique directement accessible depuis le standard. Hors
antenne, la radio poursuit sa démarche de soutien, assurant une
continuité dans le dispositif.
L'émission «Ça peut vous arriver» sur
RTL assure à l'auditeur une prise en charge complète de son
problème jusqu'à son dénouement. En effet, l'animateur
devient le porte- parole officiel de l'auditeur dépossédé,
organisant à l'antenne des confrontations avec les différents
acteurs de l'affaire. Etape par étape, l'émission fait intervenir
un même auditeur plusieurs fois le même jour. De plus, une pratique
courante de l'émission consiste à revenir sur le « dossier
» d'un auditeur jusqu'à que ce dernier obtienne satisfaction. Le
taux de résolution est important, même si le dispositif favorise
et amplifie à outrance ce constat.
Ces quelques pistes de réflexions méritent
d'être poursuivies en élargissant notre corpus d'émission,
et soutenu par des entretiens auprès des animateurs et des auditeurs. Le
hors-champ du dispositif nous paraît fondamental pour comprendre et
analyser l'efficacité et l'utilité sociale des émissions
service.
CONCLUSION
A travers la mission qu'elle s'est donnée,
c'est-à-dire celle d'aider les auditeurs à résoudre leurs
problèmes, la radio, par le biais des émissions service,
s'immisce de plus en plus dans le quotidien des individus. La frontière
qui sépare la sphère publique de la sphère privée
est aujourd'hui rompue, permettant aux médias de multiplier les
dispositifs de don de la parole. Diversifiant ses champs d'actions, les
émissions service sont le révélateur des nouveaux rapports
entretenus entre un média et son public.
Notre travail s'est attaché à définir et
à analyser les émissions service, à travers un
échantillon de trois émissions: « Service public » sur
France Inter, « Ça peut vous arriver » sur RTL et «
Lahaie, l'amour et vous ». Notre étude de contenu nous a permis de
faire émerger les différents dispositifs mis en place dans ce
type de programme. La première émission souhaite responsabiliser
l'auditeur dans sa place de consommateur en lui donnant toutes les clés
nécessaires pour qu'il agisse au meilleur de ses intérêts .
Les interventions des auditeurs viennent illustrer le contenu informatif de
l'émission. Ce dispositif ne favorise pas une parole spectaculaire. La
deuxième émission propose à l'auditeur une prise en charge
totale pour l'aider dans une situation difficile, qu'il n'est capable de
résoudre seul. La plupart des cas traités concernent des arnaques
subies par les auditeurs. L'animateur, assisté d'une équipe de
juristes, sort de sa place de médiateur pour devenir pleinement acteur
dans le dénouement de l'affaire. L'auditeur présenté comme
une victime des temps modernes est utilisé pour la création d'un
show radiophonique, où l'animateur tient le rôle
principal. Sa parole est instrumentalisée à des fins
spectaculaires. Enfin, la troisième émission propose aux
auditeurs un espace d'expression et de confession pour tout ce qui concerne le
domaine intime. La radio apporte son aide aux médias en lui offrant une
assistance psychologique et en le conseillant dans sa vie personnelle.
L'animatrice créée un climat serein et détendu permettant
l'expression d'une parole « libre» dans une démarche
cathartique. Il est important de signaler la nature quelque peu exhibitionniste
de cette émission. Chacune à sa manière, les
émissions service se mettent à l'entière disposition de
l'auditeur. Mais qu'est ce que ce phénomène révèle
de notre société contemporaine?
Le mémoire réalisé dans le cade du Master
2 recherche en Sciences de l'Information et de la Communication nous a permis
de mettre au jour plusieurs axes de recherche, qu'il serait nécessaire
de poursuivre par la réalisation d'une thèse.
Tout d'abord, nous pensons que les émissions service
sont le révélateur d'un certain éloignement des personnes
des institutions traditionnelles. P our résoudre ses problèmes,
l'individu a aujourd'hui moins tendance à faire appel à un
professionnel: médecin, avocat, association, etc. Ceci est la
conséquence directe d'une banalisation des interventions des anonymes
à la radio. L'auditeur confiant sait par avance quel type de moyen la
radio va mettre en oeuvre. Ce dernier se donne en toute confiance aux
médias, qui va profiter d'une manière ou d'une autre de sa
situation. Dans ce sens, l'auditeur est-il utilisé, voire abusé?
Sa parole est-elle systématiquement instrumentalisée?
L'arrivée et le développement des nouvelles
technologies a permis la mise en place de nouveaux outils favorisant
l'interactivité, par leur intrusion et / ou imbrication avec des formes
médiatiques plus traditionnelles. Des recherches supplémentaires
seraient nécessaires pour mettre en lumière les relations de
corrélation ou de causalité, voire de concomitance qui relient
les évolutions en cours et leurs accommodations par les publics.
Enfin, nous envisagerions de poursuivre nos travaux par la
mise en place d'une approche comparative diachronique. En se basant sur les
précurseurs des émissions service, tel que Menie Grégoire,
nous ambitionnons de mettre en perspective les émissions d'hier et
d'aujourd'hui pour comprendre le rôle du média radiophonique et
ses conséquences au niveau sociétal.
La radio est un média ancien qui ne cesse
d'évoluer avec son temps. S'adaptant avec aisance aux nouvelles
technologies, la poursuite des recherches dans ce sens pourrait contribuer
à mettre au jour un phénomène global au sein des
médias français voire internationaux.
Dans ces conditions, il semble intéressant de
s'interroger sur l'avenir de la radio, et sur la place que nous, auditeurs,
avons à tenir. Pouvant participer à la création du
contenu, il est de notre responsabilité d'assurer sa
pérennité et la qualité de ses programmes.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages et articles
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Le site du Monde: http://www.lemonde.fr/
Le site de Libération: http://www.liberation.fr/
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http://www.lefigaro.fr
Le site de l'Humanité http://www.humanite.fr/
Le site du Nouvel Observateur:
http://tempsreel.nouvelobs.com
Le site de L'Express:
http://www.lexpress.fr
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http://www.lepoint.fr
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http://www.mediametrie.fr
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http://www.insee.fr
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http://www.media-poche.com
Le site de schoop: http://www.schoop.fr/
Le site du Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Radio :
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Le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
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http://www.cnrtl.fr
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http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/servicepublic/
(consulté en février O8)
Le site de l'émission « Ça peut vous
arriver» :
http://www.rtl.fr/radio/emission.asp?dicid=89118
(consulté en février O8)
Le site de l'émission « Lahaie, Lamour et vous »
http://www.rmc.fr/rub/talk/153/talk/brigitte-lahaie/
Le site cnsacré à Françoise Dolto:
http://www.francoise-dolto.com
(consulté en juin 08)
ANNEXES
Annexe 1 : Grille d'analyse de «
Service public », sur France Inter, le 11 février 2008
......153 Annexe 2 : Grille d'analyse de «
Service public », sur France Inter, le 12 février 2008 ......161
Annexe 3 : Retranscription partielle de
l'émission « Service public », sur France Inter, du 12
janvier2008 172
Annexe 4 : Grille d'analyse de «
Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008 187
Annexe 5 : Vision générale
de « Service public », sur France Inter....220
Annexe 6 : Répartition des auditeurs de «
Service public», sur France Inter, le 11 février
2008 ........222
Annexe 7 : Vision générale
de «Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008
224
Annexe 8 : Répartition des
auditeurs de « Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11
février 2008
226
Annexe 9 : Vision générale
de «Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février
2008
228
Annexe 10 : Répartition des
auditeurs de « Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11
février2008 230
Annexe 11 : Proportion des types
d'interventions des auditeurs de trois émissions service le 11
février2008 232
Annexe 12 : Moyennes des occurrences
faisant référence à l'interactivité 234
Annexe 1 : Grille d'analyse de « Service public
», sur France Inter, le 11 février 2008
154
156
158
160
Annexe 2 : Grille d'analyse de « Service public
», sur France Inter, le 12 février 2008
162
165
168
170
Annexe 3 : Retranscription partielle de
l'émission « Service public », sur France Inter, du 12 janvier
2008
La retranscription qui suit n'est pas exhaustive. Notre
travail de terrain se concentre essentiellement sur la relation interactive
établie entre l'animateur et les auditeurs appelant sur l'antenne. Les
propos tenus par les invités sont ici annexes. Ainsi les interventions
des invités n'ont pas été relevées, quelques
indications sur ces dernières sont toutefois indiquées dans un
souci de compréhension.
Codification
Anim: Isabelle Giordano, l'animatrice
Journaliste : Antoine Ly
Invité 1: Nadia Million
Invité 2 : Yves Puget
Invité 3 : Alain Caparros
Nathalie : mère de famille interviewée par Antoine
Ly
Le texte en italique correspond aux propos tenus
à l'antenne, retranscrit dans leur totalité.
Début de l'émission: 10h04
Jingle au début de l'émission avec le nom de
l'émission
L'animatrice présente la thématique de
l'émission, et elle donne quelques chiffres sur le nombre de hard
discounter. Puis, elle pose la problématique de l'émission : les
marques distributeurs vont-elles faire mourir les marques ?
1'18
Extrait du reportage d'Antoine Ly
Nous pouvons entendre une conversation entre une cliente et le
journaiste à la sortie d'un supermarché en Allemagne; son
charriot est plein.
1 '34
L'animatrice désannonce l'extrait du reportage.
1 '48
Anim : vous pouvez vous exprimer, 01 45
24 7 000. Allez-vous dans des magasins hard discount? Ou achetez-vous des
marques distributeurs ? Préférez-vous acheter un produit, du
lait, du beurre de l'eau, ou préférez-vous acheter des
marques?
Puis annonce les invités présents pour parler
autour de ces questions.
Ces derniers prennent la parole chacun à leur tour. Puis
s'engage un jeu de questions / réponses entre l'animatrice et les
invités.
10'19
Anim: je voudrais vous faire part des
questions des auditeurs, qui nous arrivent déjà nombreuses, sur
cette question des Marques Distributeurs. Avant de partir en Allemagne avec
Antoine Ly. Question de Joël à Brest : quelle est la
différence entre les marques premiers prix ou les Marques Distributeurs.
Est-ce que la qualité des ingrédients? On a déjà un
petit peu répondu à Joël É
L'invité 1 apporte une réponse en se basant sur la
réglementation. L'animatrice lui fait préciser ces propos.
11'22
Anim: est-il vrai nous demande Sylvie
à Marseille, est-il vrai que certaines grandes marques fabriquent aussi
des Marques Distributeurs pour les hypermarchés? Oui, parfois le
même fabricant...
Réponse affirmative des deux invités
Puis l'animatrice poursuit en ouvrant la question au type de
consommation des invités, et des consommateurs en
général.
14 `46
Anim: Antoine Ly s'est donc rendu en
Allemagne accompagné d'une mère de famille, maman de deux petites
filles, elle fait ses courses en Allemagne, elle est prof d'all emand et elle
vit à Creutzwald en Moselle. En quinze minutes en voiture elle se
retrouve à Lisdorf donc de l'autre côté de la
frontière. Elle s'y rend une fois par mois pour faire le plein, euh,
pour remplir son chariot. Sa première motivation, on l'a comprend, c'est
faire des économies. Alors écoutez bien, puisqu'en Allemagne,
euh, ce n'est pas du tout comme en France. Les supermarchés sont
silencieux, pas de musique, pas de promos criardes, · ça nous
change... Ca nous change de « U » aussi...
15'17 début reportage
Ambiance : bruit chariot
Nathalie: alors donc ici on est dans un
magasin qui s'appelle « DM», ce qui signifie en fait Drogerie Markt,
euh, dans lequel on y trouve tout ce qui est détergent, euh tous les
produits d'hygiène, · que ce soit maquillage, shampoing gel
douche. Ce genre de chose. C'est pas un magasin discount, étant
donné qu'il y a des produits de marque, plus, les produits propres
à l'enseigne.
Je prends ma liste. Il faut déjà du
shampoing pour Eric (son mari)
En fait, on prend toujours de la marque « DM», donc
la marque du magasin. C'est là! Journaliste:
c'est combien
Nathalie: 65 centimes, même quand
on achète les produits de marque, parce qu'il y a certains produits
qu'on achète néanmoins la marque. On est assez surpris de voir la
différence de prix, pour vraiment exactement le même
produit.
Du shampoing « Heads & shoulders », ça
je m 'en suis rendu compte cet été. Quand on était en
vacances Donc on l'a acheté en France. On était effrayé
par le prix pratiqué en France.
Apparemment le papier aluminium n'est plus au même
endroit. Je vais juste aller demander où il est.
Ambiance : conversation en Allemand avec une
vendeuse
Journaliste : y 'a une gosse
différence entre ce magasin là et ceux en France?
Nathalie : oui, là pour ce magasin là,
c'est énorme la différence.
Journaliste: la différence
pour...
Nathalie: ben pour le lait pour enfant.
Donc on a acheté une boite une fois en France et il me semble que
c'était au delà de 15 euros la boite ; pas en pharmacie en
supermarché. Et en Allemagne la boite c'est je crois 8,95 (euros). Elles
ont pris ça à un moment, pendant un moment. Et ensuite le DM, il
a instauré en fait sa propre marque. Donc on a testé avec une
boite. C'était un autre parfum, mais les filles l'ont bu, de la
manière quoi, elles ont apprécié. Et donc depuis on prend;
et ça c'est encore moins cher.
Ben on va aller le chercher tout de suite comme
çaj'oublie pas. Làje crois c'est 4,95 (euros). Ben non même
pas 4, 25 (euros). En fait, en France j'aurai une boite pour le même
prix. Là j 'en ai quatre ».
Ambiance : bruit chariot et conversation en
allemand.
Nathalie : j 'ai l'impression que de plus
en plus de Français viennent. Y'a de plus en plus de voitures
immatriculées en France sur le parking. Quand on voit les clients sortir
du magasin, c'est avec un caddie bien plein.
Journaliste: c'est votre cas
d'ailleurs
Nathalie : oui déjà oui, etj
'ai pas fini.
Journaliste: c'est moi qui le pousse mais je
sens qu'il est bien rempli Nathalie : benje suis
désolée, il faut que je continue mal gré tout.
Rire
Nathalie : par exemple, je suis
enseignante. Etj'enseigne l'allemand, et euh, même les
élèves qui disent qu'ils ne parlent pas allemand, qu'ils aiment
l'Allemagne, mais euh, ils me disent systématiquement qu'ils viennent
par exemple, acheter les Cds, les Cds vierges en Allemagne, leurs
vêtements. Ils ont vraiment intégré ça aussi. Ah
depuis un moment, on a l'impression qu'en France, on en a pour 80 euros, et on
a rien dans le chariot. Alors que là, pour 80 euros, quand je vais faire
les courses une fois par mois, donc en achetant quand même des couches,
du lait, enfin ce genre de produits qui sont très très chers en
France. On en a pour maximum 100 euros. Mais on en apour un mois.
Je crois qu'on afini. On va passer en caisse.
Ambiance : bruit de caisse et conversation en
allemand.
Jingle : Service public, 01 45 24 7 000
19 '00
Anim : un chariot bien rempli en Allemagne,
80 euros, contre 100 euros en France. Comment appliquer le système
allemand en France ? Est -ce possible?
Interpelle les deux invités : « est-ce que vous
avez un début de réponse»
L'invité 2 donne sa réponse, il cite quelques
chiffres. Pour lui la comparaison est difficile. Il fournit une analyse
développée en trois points. (Réponse assez
sérieuse)
Anim : Merci pour cet
éclairage
Puis elle annonce la discussion avec le troisième
invité au téléphone. 21'27 : musique
24'44
L'animatrice désannonce la musique, puis elle annonce
l'interview téléphonique en reformulant le thème de
l'émission.
L'invité 3 réagit aux propos tenus
précédemment à l`antenne.
Anim: (coupe la parole) est-ce que
ça veut dire que vous êtes d'accord avec l'opinion d'un auditeur,
je vous la cite très rapidement, c'est très court. Didier nous
envoie un mail depuis Montpellier pour nous dire : pourquoi est-ce que les
mêmes produits sont 30 % moins chers en Allemagne qu'en France. Et bien
la vraie raison, c'est que les grandes enseignes se sont fait voter des lois
qui anéantissent la concurrence et leur garantissent des marges
arrière. Le consommateur français est une vache à lait ?
C'est votre discours ou pas ?
Invité 3 corrobore les propos de
l'auditeur. L'animatrice poursuit ensuite l'interview.
35'35
Anim: et la discussion continue avec nos
auditeurs qui veulent absolument réagir à tout ce qui s'est dit.
Euh, voilà débat qui se continue, qui continue pardon, avec
Frederik. Bonjour Frederik
Frederik: oui bonjour à tous
Anim : je vous écoute, je crois que
vous patientez depuis un petit moment et vous vouliez absolument réagir
en comparant, encore là justement la France et l'Allemagne.
Frederik: oui, enfin bon, moi je, je n
'ai pas la possibilité de faire mes courses en Allemagne. Mais j'ai la
chance dans ma petite ville d'avoir à ma disposition un discounter
allemand, euh, avec un « Super U». Donc ça tombe bien, puisque
sur le plateau vous avez un représentant « Super U».
Anim : on l'a entendu, oui.
Invité 2 : oui, oui
Anim : donc vous comparez « Super U
» et « Aldi » pour ne pas le citer.
Frederik:comparer, euh, on se pose la
question de savoir pourquoi y 'a autant de différence de prix, euh moi
il me semble, c'est très simple à partir du moment où l'on
considère que les produits, la qualité des produits de hard
discounter est parfaite. Car, moi j'insiste beaucoup là dessus. Je pense
que la qualité de ces produits là est parfaite. Euh, il me semble
que la différence de prix va se situer plutôt d'un
côté du culturel, ou du structurel. Euh, quand par exemple chez un
discounter, vous voyez que les palettes sont posées au milieu du
magasin, · quand tout le monde tourne autour. Que c'est souvent un
très très, un agencement très sobre, voire même
spartiate. Y'a pas de musique effectivement, euh quasiment pas de marketing
à part, euh, peut être les gratuits dans les boites aux lettres.
Mais il n'y a pas de spots de pubs à la
télévision.
Anim : humm
Frederik: que vous avez deux
employés dans un magasin, ils font absolument tout. C'est à dire
qu'il décharge le camion, ils mettent en rayon, ils sont à la
caisse et qui ferment les portes. Euh, on a vite fait le tour, et on sait
pourquoi les produits sont moins chers.
37'24
Anim: merci beaucoup Frederik. Je
poursuis avec ce que vous nous dites Frederik. Euh, je poursuis avec les
réflexions de quelques auditeurs qui se demandent si finalement vous
n'arrivez pas à vendre moins cher. Je me tourne vers vous, Nadia Million
pour Système « U». Est-ce que ce n'est pas en rognant un peu
le salaire des caissières, des ouvriers, le salaire des
employés, · ou sur peut être une moindre
reconsidération de l'écologie et de l'environnement. C'est une
question qui revient au standard.
37'47
L'invité 1 va aller dans le sens de l'animatrice. Elle
insiste sur le fait qu'il n'est pas possible de comparer un supermarché
et un hard discounter. Elle finit sur le fait que U a aussi des
premiers prix et des produits biologiques.
39'13
Anim : autre question de Jean-Pierre
à Lille. Bonjour Jean-Pierre.
Jean-Pierre:bonjour.
Anim :je vous écoute. Vous aviez une
question ou une observation peut être à faire.
Jean-Pierre: oui une observation. Moi je
suis fabricant pour la grande distribution de, de, de MDD, en autre...
Anim : ah, ça nous intéresse.
Humm, humm
Jean-Pierre: oui ce que je veux dire, c'est
que d'abord que la MDD a des conséquences directes sur l'emploi.
Anim : humm, humm
Jean-Pierre : je m'explique, euh dans le
contrat que je signe avec la grande distribution, à partir du moment
où y a MDD, Marque De Distributeur, on le marque noir sur blanc qu'on a
plus besoin de la force commerciale. Donc il est clair que j 'ai besoin de
moins de commerciaux quand je fais de la MDD. Donc, déjà,
ça a un impact négatif sur l'emploi des commerciaux. Ça
c'est une réalité. Vous pouvez interroger tous les commerces de
France et de Navarre à ce sujet là. Ils ne sont pas
intéressés sur les produits de Marque De Distributeur. L'autre
phénomène que je me suis aperçu, c'est qu'on a un produit
référent dans un rayon et le distributeur veut la même
chose de sa marque. Et bien, il va donc déshabiller le produit
industriel, le pousser à 4 à 5 fois moins cher que si
c'était un produit marqueté. Mais par contre, quand il va le
mettre dans le linéaire, il va le mettre au prix du produit de
référence. C'est à dire qu'en réalité au
lieu de faire un coefficient 2 par exemple
ou un et demi, il va faire un coefficient 3, 5. Donc en
réalité, les marques, les marges dégagées sont
encore plus fortes grâces aux MDD pour la grande distribution.
Anim (lui coupe la parole) : Nadia Million,
non, vous n'avez pas l'air d'accord.
Invité 1:non, non en l'occurrence,
je ne suis pas d'accord. Par ce qu'on constate un différentiel, et
ça Yves Puget pourrait le dire puisque un certain nombre d'étude
corrobore. On a un différentiel de prix qui est clair entre la marque
nationale et la MDD. Donc c'est pas vendu au même prix et les
coefficients...
Jean-Pierre : si Madame, si madame, on a
augmenté Invité 1 : ah non
Jean-Pierre: on a augmenté le prix
référent. Je le sais puisque je le constate avec mes propres
produits, qui souvent sont dans les linéaires à
côté, donc mes produits ont été augmentés.
Ensuite les positionnements de MDD ont pris mon positionnement. Mais le
coefficient de, j'ai bien dit, de marge, a été multiplié
par 4 ou par 5. Et çaje peux le prouver par A + B. Bien sûr, je ne
le ferai pas sur l'antenne, vous vous en doutez bien. Je vais pas faire fermer
mon entreprise qui est une PME, pour ce genre de chose.
Anim : non mais votre explication est
très convaincante. Vous pourrez peut être poursuivre le
débat hors antenne. Non ? Nadia Million ...
Invité 1 : euh, absolument. En
l'occurrence je n 'ai pas ce genre de relation avec mes partenaires
fournisseurs...
Réponse se poursuit. L'animatrice demande si le
deuxième invité a quelque chose à rajouter.
42'02
Anim: encore un témoignage
d'auditeur. Là encore, il joue toujours le rôle de vigie et
d'alerte. J'aime beaucoup ce petit mail qui vient de nous arriver. « J'ai
devant moi, nous dit cet auditeur, deux produits que j 'ai acheté chez
Leclerc. Eau de source « Eco+ », premier prix, 79 centimes d'euros,
Eau de source de Montagne, repère MDD, 1 euros 19. Il s'agit de la
même eau, rigoureusement la même provenant de la même source.
50 % plus cher. Dans quelle poche va la différence ? On se demande.
N'est ce pas...
42'30
Anim: autre témoignage d'auditeur.
Nous avons Guy ou Hélène... qui prend la parole en premier? Guy,
je vous écoute
Guy: oui, euh moi je voulais juste vous
rapporter mon expérience personnelle pour avoir essayer les produits qui
sont de, des, des MDD si vous voulez.
Anim : humm
Guy: sur trois exemples. Vous prenez le
film alimentaire ou alu de chez « Albal » et vous comparez le temps
d'utilisation et le non gaspillage que vous faites avec le produit de marque
par rapport, euh, au sous -produit de MDD qu'on trouve dans le commerce. Euh,
vous avez le même exemple avec les eaux bleues de Canard et les eaux
bleues de MDD où vous avez une consommation beaucoup plus rapide,
j'allais dire une dissolution dans l'eau de ces produits là à une
vitesse, euh, incroyable par rapport au produit de marque. Euh, et le
troisième exemple, c'est les produits de vaisselle, tout simplement.
Vous voyez, je suis très terre à terre etje ne théorise
pas ces...
Anim: (coupe la parole et parle sur la voix
de l'auditeur) très concret, merci et donc pour vous, vous dites que,
vous dites non aux MDD...
Guy: ... au lave vaisselle, vous mettez
trois gouttes d'un produit vaisselle, euh, de marque bien connu, et, vous
mettez un verre de liqueur d'autres produits pour obtenir le même
résultat.
Anim : humm
Guy: euh, donc en définitive,
payer moins cher pour consommer plus vite donc plus. Je ne crois pas que ce
soit un gain pour le consommateur. Voilà le témoignage que je
voulais apporter.
44'0 1
Anim : merci beaucoup Guy, autre.
Guy : je vous en prie.
Anim: autres témoignages. Rester
bien à l'écoute Guy, je pense que ca va vous intéresser.
On va écouter maintenant Hélène, qui nous appelle de
Jurançon. Bonjour Hélène, vous travaillez dans
l'agro-alimentaire...
Hélène : oui, bonjour, je,
allo, allo? Anim : oui, je vous écoute
Hélène: je voulais moi
apporter mon témoignage moi sur les MDD car je les trouve terriblement
séduisante, dans la mesure où..
Anim: (coupe la parole) donc pas du tout
comme Guy, hein, l'avis inverse
Hélène: ben c'est à
dire, je, je, je rejoins Guy en disant qu'elles sont dangereuses parce que moi
je trouve qu'elles sont toujours de bonnes qualités. Puisque, ben, euh,
je pense qu'elles sont fabriquées par les mêmes industriels que
ceux qui fabriquent les marques. Donc peut être avec des cahiers des
charges un petit peu moins compliqués et rigoureux. Mais, en tout cas,
moi j 'ai rarement été déçu en temps que
consommatrice par la qualité des MDD. Par contre, ce que je constate
c'est que dans mon supermarché, les MDD prennent de plus en plus de
place. Donc...
Anim : humm humm
Hélène: donc tout forcement,
les produits de marque, les rayons des supermarchés sont pas
extensibles.
44' 51
Anim: (coupe la parole) c'est ce que nous
dit également une auditrice. Elle nous dit, « c'est dommage, on a
quand même de moins en moins de choix, et de plus en plus de MDD et de
moins en moins de marques.
Hélène : voilà, et
ce que je constate c'est que pour les MDD pour une qualité qui me
satisfait, benjefais en général moins cher, elles sont plus
faciles à trouver et bon, on évite de chercher les prix, c'est
bien référencé au niveau des yeux. Hop, on attrape son
paquet de MDD et le tour est joué. Par contre ce dont j 'ai peur, moi,
c'est que les MDD prennent de plus en plus
de place, que les gammes se différencient, qu'on
est des MDD bas de gamme, des MDD, des hauts de marque et que ce soit au final
toujours des MDD. Et que notre achat, un petit peu de facilité,
d'économie dans un premier temps, nous amène finalement à
nous trouver devant des supermarchés qui vont faire encore plus la loi
au niveau des prix. Parce que de toute façon, tous les produits seront,
euh, fabriqués par eux, enfin, sous leur contrôle
économique.
Anim : humm
Hélène : par nos
industriels à nous qui du coup n'auront pas plus besoin, enfin, n'auront
plus le loisir de payer leurs commerciaux, leurs services de communication ou
de marketing. Et qu'au final on va se retrouver, ben encore une fois avec pas
de choix. Nos MDD seront redevenues aussi chères que nos marques
nationales actuellement. De toute façon, y 'aura plus que
çaÉ
45'57
Anim: (coupe la parole) vous posez en
fait Hélène la question de l'émission, euh, est-ce que les
MDD vont tuer les marques? Yves Puget, on a essayé déjà
d'y répondre. Pour vous, la réponse est non. Mais quand vous
écoutez Hélène, vous vous dites effectivement qu'il y a
des consommateurs qui trouvent qu'y a peut être trop de place, trop
d'importance donnée aux MDD. La raison c'est pas que la qualité.
On a pas du tout parlé des systèmes de fidélisation, les
systèmes de cartes à points, etc. Si les gens achètent des
MDD, c'est aussi parce qu'ils ont des points parfois sur les cartes, euh,
qu'ils ont, qu'ils obtiennent.
Invité 2 apporte une réponse courte, avec une
pointe d'ironie. L'important pour lui c'est que la balance entre les deux soit
bien équilibrée.
46' 58
Anim: oui, deux questions qui reviennent
régulièrement au standard, y 'en a plusieurs qui vont dans ce
sens. D'une part, euh des auditeurs nous disent: est-ce que les MDD ne
pourraient pas, euh, être plus tournées, plus soucieuses de
l'environnement, donc favoriser les produits verts, les produits bio. Et puis
également, euh, beaucoup de gens se demandent
pourquoi y 'a pas le lieu de fabrication ou l'indication du
fabricant sur les, sur les produits MDD.
47'18
Les deux invités formulent leurs réponses.
Discussion entre l'animatrice et des invités sur le
thème de l'environnement.
48'02
Anim: question de Chantal dans le
Périgord. Il paraît qu'il y a beaucoup plus de graisse et de sucre
dans les produits MDD, dans les sous -marques. C'est É Chantal n'est pas
la seule à poser cette question, ou à faire cette
observation.
48'11
Réponse de l'invité 1 qui se justifie en disant que
ces éléments sont connus, et que la marque essaie de faire des
efforts.
48 '44
Animatrice annonce la musique
Jingle: « Service public sur France Inter »
52'33
Anim: avant de se quitter, je voudrai
quand même vous citer un témoignage de la part de Céline,
euh, maman, deux enfants à charge. C'est un témoignage qui
ressemble un petit peu au portrait que l'on a pu voir en page 3 du Monde, il
est encore en vente, Le Monde d'hier, un très beau portrait d'une
famille qui essaie de s 'en sortir avec, euh, avec son budget. Alors
Céline nous dit: alors moi je vais maintenant chez
les hard discounter, que des produits courant notamment riz, pate,
gâteaux, couches, etc. Les produits sont corrects, alors pourquoi
participer à l'enrichissement de grandes enseignes qui étranglent
les petits producteurs. Pour le reste, je vais au marché, etje ne met
plus jamais les pieds dans les supermarchés Leclerc, Champion et
compagnie. Euh voilà, petit témoignage de fin.
53'10
Animatrice remercie les invités
Anim: et je conclurai peut être
avec un autre message. Les auditeurs se refilent des informations. Par exemple
Gilles nous dit qui se cache derrière les Marques Distributeurs. Yoplay
fait les yaourts pour Leader Price et Florette fait les salades, notamment la
roquette, également chez Leader Price. Donc finalement l'information
passe comme ça. Elle passe par internet. On se refile les infos.
Merci et au revoir
Fin de l'émission
Annexe 4 : Grille d'analyse de « Ça peut
vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008
188
190
194
195
197
199
201
203
205
207
209
211
213
215
218
Annexe 5 : Vision générale de «
Service public », sur France Inter
Figure 9 : Service public du 11 février
2008
Annexe 6 : Répartition des auditeurs de «
Service public», sur France Inter, le 11 février 2008
Figure 10 : Service public du 11 février
2008
Durée de l'émission : 54 min
Temps total des interventions des auditeurs : 8 min
44
Annexe 7 : Vision générale de «
Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008
Figure 11 : « Ça peut vous arriver » du
11 février 2008
Annexe 8 : Répartition des auditeurs de «
Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008
Figure 12: "Ca peut vous arriver du 11 février
2008
Durée de l'émission: 1 h 54
Temps total des interventions des auditeurs: 1 h
09
Annexe 9 : Vision générale de «
Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février 2008
Figure 13: Lahaie, l'amour et vous du 11 février
2008
Annexe 10 : Répartition des auditeurs de «
Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février 2008
Figure 14 : « Lahaie, l'amour et vous » du 11
février 2008
Durée de l'émission: 1 h 44
Temps total des interventions des auditeurs: 1 h
01
Annexe 11 : Proportion des types d'interventions des
auditeurs de trois émissions service le 11 février 2008
Figure 15: Proportion des types d'interventions des
auditeurs de trois émissions service le 11 février
2008
Annexe 12 : Moyennes des occurrences faisant
référence à l'interactivité
Figure 16 : Moyennes des occurrences faisant
référence à l'interactivité de trois
émissions service le 11 février 2008
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