CHAPITRE IV. DISCUSSION
La présente étude démontre l'importance
d'une approche multi-paramétrique dans la prise en charge et le
contrôle de l'hypertension artérielle en milieu hospitalier.
4.1. Risque cardiovasculaire
L'interaction des facteurs génétiques et des
facteurs environnementaux est bien évidente chez les patients
hypertendus étudiés. L'histoire familiale d'HTA chez 40,6% des
patients,près de 70% des patients hypertendus, 65% de patients avec
obésité abdominale, 40% de cas d'insulino-résistance
clinique, 22% de cas tabagisme, 20% d'hypercholestérolémie et 13%
de diabète sucré de type 2, confirment cela.
Les taux épidemiques de tous ces facteurs de risque
cardiovasculaire prouvent à suffisance que l'HTA et les maladies
cardiovasculaires émergentes, vont constituer d'ici l'an 2020, un
important problème de santé publique pour l'Afrique
Sub-Saharienne (29,30).
4.1.1. Facteurs génétiques et
héréditaires
L'HTA a un support pathogénique spécifique chez
le sujet de race noire. Une sensibilité accrue à la charge
sodée, une activité rénine plasmatique basse et un
défaut d'excrétion urinaire du sel ont déjà
été identifiés. L'intervention du génome est
probable avec l'identification du gène M-235T codant
l'angiotensinogène et d'un gène situé sur le chromosome 10
p qui serait impliqué dans la survenue de l'insuffisance rénale
terminale. Rarement, l'endothéline qui est un vasopresseur puissant
élaboré par les cellules endothéliales a été
retrouvé à des taux plus élevés dans l'HTA du sujet
noir. La race noire constitue un facteur de risque d'HTA.
L'obésité présente un caractère
familial certain. En effet, il ressort des études scandinaves (31) et
américaines (32) qu'un sujet dont l'un des parents est obèse a
lui-même 40% de chance de le devenir, tandis que celui dont les deux
parents sont obèses en a 60 à 80%. Un argument
supplémentaire en faveur d'un support génétique de
l'obésité est offert par l'examen des jumeaux homozygotes et des
familles ayant des enfants adoptés. Lorsque l'un des jumeaux est
obèse, l'obésité se développe volontiers chez
l'autre. En revanche, les enfants dont des parents adoptifs sont obèses
ne développent pas plus souvent de surcharge pondérable.
Le rôle des facteurs de l'environnement doit être
souligné. Le stress, les conditions de travail, les changements
alimentaires avec l'augmentation des apports sodés, la prise de poids,
l'alcoolisme et surtout le tabagisme sont des facteurs de risque d'HTA en
milieu urbain (33).
L'hérédité joue un rôle important,
notamment en présence d'un antécédent coronaire
précoce avant 45 ans chez l'homme et avant 55 ans chez la femme. Ce
facteur du risque recouvre probablement des composantes innées de la
transmission des habitudes alimentaires familiales (34).
L'hypercholestérolémie homozygote est une
dyslipidémie familiale caractérisée par une atteinte
coronaire précoce dès les premières années de la
vie. Une prise en charge spécialisée familiale est indispensable
(34).
Dans certains regroupements humains, de structures familiales,
économiques et sociales homogènes, de langues et des cultures
communes, il est observé l'émergence des facteurs de risque
cardiovasculaire prédominants (35).
4.1.2. HTA
Considérée comme facteur de risque majeur (36),
elle occupe la première place parmi les autres facteurs de risque
cardiovasculaire en Afrique (37,38) et est citée comme étiologie
principale de la déviation axiale gauche au Congo où sa
fréquence augmenterait avec l'âge, sans différence de sexe
(39).
Des études ont démontré que le type de
l'atteinte vasculaire était corrélé au degré de
l'HTA : les types d'HTA légère et modérée
prédisposent aux accidents ischémiques (coronaires et AVC) tandis
que la forme sévère aux accidents hémorragiques
(40,44).
4.1.3. Obésité
L'augmentation de la masse grasse (obésité et
surcharge pondérale où l'index de masse corporelle > ou =
25 kg/m²) constitue un problème de santé publique aux USA et
en Europe (45,46). Ainsi l'obésité centrale (androïde ou
abdominale) donnait une valeur prédictive importante du risque
d'infarctus du myocarde, d'affection coronarienne et de mort subite (43,46,47)
chez l'homme et indépendamment du poids corporel. Cette association
agirait par le biais de l'hyperinsulinisme et de l'insulino-résistance.
Tandis que pour l'obésité de type périphérique ou
gynoïde, le risque est celui de l'intolérance au glucose, du
diabète sucré, de goutte et d'athérosclérose
(46).
Il est bien établi que le sujet obèse
présente des niveaux de PA supérieurs à ceux du sujet non
obèse, ce qui augmente considérablement son risque
cardiovasculaire (47).
Les études ont montré que le sujet obèse
présentait une augmentation du débit cardiaque et du volume
sanguin, et des artères plus rigides (augmentation de la
résistance artérielle) (48).
En fait, le sujet obèse va sécréter
beaucoup d'insuline afin de diminuer le taux souvent excessif de sucre dans le
sang. Cette sécrétion d'insuline est très importante par
rapport à celle d'un sujet non obèse (51).
4.1.4. Tabagisme
Qu'il soit actif ou passif, le tabagisme à la cigarette
intervient comme facteur de risque majeur et indépendant des
artériopathies des membres et des maladies cardiovasculaires
(50,51).
En Afrique Sub-Saharienne, dans une étude
réalisée en Algérie, le tabagisme à la cigarette
apparaît comme le premier facteur de risque (70%) de l'infarctus du
myocarde avec une consommation de plus de 20 cigarettes/jour exclusivement
(52,53).
Le tabac fait 60.000 morts par an en France soit plus de 10%
des décès entre 30 et 50 ans, le risque d'infarctus du myocarde
est multiplié par 5 (34). Chez les hommes de 45 à 65 ans, 28% des
décès sont en rapport avec une maladie liée au
tabac ; une consommation même inférieure à 10
cigarettes, est associée à un risque multiplié par 7. Ces
chiffres témoignent de la gravité d'une situation dont
l'évolution pourrait être encore plus dramatique puisque les
prévisions épidémiologiques montrent que si le tabagisme
reste à son niveau actuel, c'est plus de 165.000 décès qui
pourraient être observés en 2025. Pour l'O.M.S., le tabagisme est
un véritable fléau désormais identifié dans la
classification des maladies, et non plus cantonné au statut de facteur
de risque (34).
4.1.5. Diabète sucré
La fréquence des maladies cardiovasculaires
paraît en plus nette augmentation depuis des siècles aussi bien
chez les diabétiques que dans la population générale (55).
On sait cependant que c'est par le biais d'hyperinsulinisme et de
l'insulino-résistance qu'apparaissent les maladies cardiovasculaires
(coronaropathie, HTA, cardiopathie diabétique) (48,34).
Chez les coronariens africains, le diabète est souvent
associé à d'autres facteurs de risque athérogène
tels que l'HTA, l`hypercholestérolémie, le tabagisme,
l'hyperglycémie et la sédentarité (37,49).
La coexistence du diabète sucré et de l'HTA chez
un même patient, augmente considérablement le risque
cardiovasculaire et nécessitera une prise en charge rigoureuse (55).
4.1.6. Hypercholestérolémie
De nombreuses études ont montré le rôle
indiscutable du cholestérol plasmatique et de ses fractions dans les
maladies cardio-vasculaires par atherosclérose (56). Le rôle
péjoratif de ses différentes fractions s'exprime selon qu'on a
une augmentation du cholestérol LDL, une diminution de HDL
cholestérol et un rapport cholestérol total/HDL-
cholestérol > 4,5 (57,58)
Le risque lié aux triglycerides reste discutable (26)
sauf dans certains groupes de populations diabétiques et
féminines avant la ménopause et dans certaines conditions telles
que l'association à un taux bas de cholestérol et une anomalie de
coagulation (26).
Le taux bas de HDL-cholestérol constitue en soi un
facteur de risque indépendant de la maladie coronaire (57). Certaines
études ont montré cependant un gradient direct entre le taux de
cholestérol et la classe sociale (57).
4.2. Classification du niveau de PA
En appliquant la classification de JNC 7 (10), 53% des
patients étudiés avaient une HTA de grade 2. Ce grade 2 englobe
les anciens grade 2 et 3 de la ISH/OMS (11).
En effet, 57,4%, 20,6%, 13,5% et 2,5% des patients
étudiés présentaient respectivement l'HVG
électrique, l'ICC, l'AVC et l'IRC. Les patients hypertendus africains
sont souvent sans traitement (4) et se présentent toujours en retard.
L'HVG considérée par certains comme une
adaptation morpho-fonctionnelle de réponse à l'HTA (59), est
pour la majorité des chercheurs, une complication fréquente et
une conséquence de l'HTA (60,61).
4.3. Suivi de la PA
La diminution significative de la PA observée
déjà après 1 mois de traitement donne raison aux principes
généraux des stratégies thérapeutiques de l'HTA en
fonction du niveau tensionnel (17). En effet, il est recommandé
d'évaluer ou de référer à un autre centre de soins
endéans 1 mois, tout patient ayant une PAS de 160-179 mmHg et une PAD de
100-109 mmHg (17).
4.4. Observance
La présente étude montre qu'il est possible
d'obtenir une observance chez 82,2% des patients hypertendus avec des bonnes
stratégies de contrôle d'HTA : en encourageant le patient
à prendre régulièrement les médicaments
anti-hypertenseurs, à changer de style de vie et à
répondre au rendez-vous du suivi (19,46,62).
C'est à partir de 1970 que le concept de compliance a
été utilisé en France pour définir
l'adhésion des patients au traitement. Le terme de compliance a
été remplacé par celui de l'observance en 1976 (Khan
B).
4.5. HTA non contrôlée et facteurs
impliqués
En dépit d'une excellente observance peut être
plus qualitative que quantitative, 63,5% des patients hypertendus
présentaient une HTA non contrôlée (PA < 140/90 mmHg) 1
mois après le traitement anti-hypertenseur.
Ce taux d'HTA non contrôlée est de loin
inférieur à 99% d'HTA non contrôlée en Tanzanie (7),
93%chez les hommes et 85% chez les femmes en Afrique du Sud (8), 84% au Canada
(62), 70% en France (63,64) et 62% en Belgique (65). Ceci prouve que les
maladies cardiovasculaires constituent la première cause de
morbidité aussi bien dans les pays développés que dans les
pays en développement.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces résultats
décevants. Les valeurs de PA systolique et diastolique avant traitement
anti-hypertenseur étaient significativement plus élevées
et donc plus de cas d'HTA sévère chez les patients avec HTA non
controlée que chez leurs collègues avec bon contrôle d'HTA.
Il a été observé une double fréquence d'HTA non
contrôlée chez les patients avec HTA grade 2 à l'admission
en comparaison avec leurs collègues ayant une HTA de grade 1 à
l'admission. En outre, il a été observé plus de cas d'HVG
électrique chez les patients avec HTA non contrôlée que
chez leurs collègues avec HTA bien controlée.
Aux USA, l'âge avancé, la race noire et le
diabète sucré sont les facteurs incriminés dans le mauvais
contrôle de l'HTA (66). En Afrique Sub-Saharienne, les facteurs sociaux,
économiques et culturels peuvent aussi entrainer un mauvais
contrôle de l'HTA (62,67).
Ce mauvais contrôle d'HTA va aggraver les complications
liées à l'HTA ayant déjà des taux
épidémiologiques avant le traitement. En effet, le contrôle
de l'HTA diminue le risque de récidive d'AVC (68). La PAS très
élévée est un des facteurs de risque de mortalité
liée à l'AVC à Kinshasa (12).
Le fait que les paramètres anthropométriques et
la cholestérolémie totale des patients avec HTA non
contrôlée soient similaires à celles des patients avec HTA
bien contrôlée laissent à croire que
l'obésité serait en train de se généraliser dans la
population en voie de développement. Malheureusement le manque des
valeurs de la taille n'a pas permis de définir l'obésité
commune dans la présente étude. La valeur moyenne du tour de
taille de patients avec HTA bien contrôlée définit
l'obésité abdominale, composante du syndrome métabolique.
La non baisse du poids corporel pourrait expliquer aussi le taux
élevé d'HTA non contrôlée (66,69). La valeur moyenne
de la cholestérolémie totale des patients avec HTA bien
contrôlée constitue un risque cardiovasculaire.
Mais il existe une association significative en forme de U
entre la cholestérolémie totale et le niveau des PA des patients
étudiés. La combinaison de l'HTA, et de
l'hypercholestérolémie augmente le risque de perturbation de la
fonction rénale (70).
Les patients avec PA normale, mais avec valeurs de
cholestérolémie modérement élevées
pourraient aussi présenter d'autres facteurs de risque
cardiovasculaire.
CONCLUSION
L'HTA est l'une de cause de la mortalité
cardiovasculaire en Afrique Sub-Saharienne, et d'hospitalisation dans la ville
de Kinshasa. L'approche multiparamétrique comprenant les facteurs de
risque cardio-vasculaire, l'atteinte des organes cibles et les autres
pathologies associées, demeure nécessaire pour assurer une prise
en charge adéquate.
Les facteurs servant à la stratification du risque
cardiovasculaire sont : le niveau de PA, l'âge, le sexe, le
diabète sucré, l'hypercholestérolémie, le tabagisme
et les antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires
prématurées.
Le contrôle tensionnel permet le dépistage de
l'HTA non contrôlée. Pour prévenir ou diminuer l'incidence
de complications liées à l'HTA (HVG, ICC, AVC, IRC), une
prescription adaptée, l'éducation du patient hypertendu et la
présence aux rendez-vous sont des éléments importants dans
le suivi de l'HTA. Le contrôle de l'HTA est un travail d'équipe
dont le principal membre est le patient.
|