0. INTRODUCTION
Le monde actuel est caractérisé par une sorte de
tension paradoxale entre d'une part, la détermination des Etats à
jouir pleinement de leurs libertés fondamentales et, d'autre part,
l'exigence d'une société mondiale, ou mieux, d'une mondialisation
de la société humaine. En témoignent d'une part
l'inter-dépendance des hommes entre eux et, d'autre part, les
inter-actions entre les Etats qui se disent pourtant
« souverains ». Cette prise de conscience des
problèmes communs à toute l'humanité est tellement grande
aujourd'hui que l'individu ou l'Etat qui déciderait de se frayer seul
son chemin dans la modernité se jetterait assurément dans une
fosse.
Le phénomène de la modernité, avec ses
nouvelles technologies, conduit à une société humaine
réellement unifiée sans pour autant devenir uniforme. Plus le
monde tend à s'unifier, plus aussi les hommes et les nations
particulières tiennent à sauvegarder leurs indépendances
fondamentales. C'est comme si indépendances et désir
d'universalisation s'exigeaient mutuellement tout en se repoussant. Paradoxe,
équivoque ou simplement absurdité ?
Comment penser la réconciliation entre le vent fort de
l'unification universelle et la volonté de maintenir les cultures
particulières fragiles, vulnérables ? Où trouver les
repères susceptibles d'assurer la cohésion entre les Etats
autonomes et la société universelle ? Ou encore, comment
satisfaire cette double tendance, audacieuse et paradoxale, d'une soif
d'être soi-même à tout prix, tout en voulant et
désirant s'identifier aux autres ?
Face à la complexité de cette
problématique, le débat se limite trop souvent à une
condamnation ou à une approbation collective. Pour certains,
l'universalisation méconnaîtrait l'irréductibilité
de chaque particularité, au point qu'il faudrait s'en isoler en se
refermant sur les identités passées, habillées alors de
toutes les vertus. Pour d'autres, l'organisation sociale mondiale serait
capable de tout résoudre pourvu qu'elle ne soit pas
étouffée par les Etats. Le débat, pour ou contre, se
limite au surplus aux aspects économiques et politiques,
délaissant le reste, tout aussi important cependant.
Il n'est du pouvoir de personne de s'abstraire totalement de
l'organisation de la société mondiale ou de la refuser en bloc.
En elle, il s'agit, sans doute, de l'épiphanie d'une civilisation
planétaire dont tous les hommes sont partie prenante. Mais alors,
comment accueillir un mouvement qui reconnaîtra l'autonomie de chaque
Etat et appréciera sa place et son rôle dans toute
société, et surtout dans la société moderne ?
L'Etat occupe une place privilégiée dans
l'organisation et l'orientation de l'action des individus. Il est le lieu
« où la liberté de chacun pourra coexister avec la
liberté de tous », où « l'homme sera ce qu'il
y a sur terre de plus grand pour l'homme »1(*). Sa vocation est de conduire les
hommes à une vie digne et sensée, en leur procurant le minimum
vital, l'éducation, la loi, la discussion responsable. Mais tout cela,
sous la tutelle de la société universelle dans laquelle il
s'insère.
Les lignes qui vont suivre ne sont pas signées par un
expert en politique. Loin de nous la prétention d'indiquer l'action
à accomplir ou le geste à poser. Nous voulons tout simplement
présenter une clé de lecture, parmi tant d'autres, pour
comprendre l'Etat et le vent fort de l'unification universelle. Sans pour
autant sous-estimer la complexité du problème, nous ne
démissionnons pas devant la tâche de transformer la
réalité, le monde, « en le comprenant dans ce qu'il a
de sensé »2(*).
Notre réflexion comportera trois chapitres. Le premier
veut comprendre l'Etat et sa place dans la société. Il sera
question de définir l'Etat weilien en présentant, de
manière succincte et sélective, ses tâches, ainsi que ses
rapports avec l'individu. Le second chapitre exposera les
éléments de l'organisation sociale mondiale à travers un
exposé, aussi objectif que possible, de l'aspect
phénoménologique de l'organisation mondiale, de son
mécanisme et des conditions d'une approche éthique. Le dernier
chapitre est un essai portant sur l'anthropologie de l'organisation sociale
mondiale. Il s'agira, dans cette partie, de comprendre les jeux et enjeux du
problème, en abordant successivement, l'implacable logique du travail
social, la constitution d'une organisation sociale mondiale, la place du
continent africain dans cette réflexion. Une petite conclusion
biographique récapitulera l'essentiel de notre réflexion.
CHAPITRE I : DE L'ETAT WEILIEN
La situation mondiale se révèle aujourd'hui
toujours plus complexe : la blessure tenace de la violence sous toutes ses
formes et de la corruption, les bouleversements du droit, l'arbitraire des plus
forts, l'exploitation accentuée des plus faibles, l'énorme
fossé entre les Etats riches et les Etats en voie de
développement, l'utilisation insensée des ressources de la
planète, la diffusion des armes de destruction massive, l'expansion de
certaines biotechnologies qui ne respectent pas la dignité de
l'être humain, exposent l'humanité à des catastrophes sans
retour et à une vie quotidienne marquée par la peur et
l'incertitude permanentes.
N'est-il pas déconcertant que dans notre temps, il y
ait encore des personnes qui meurent de faim, qui restent condamnées
à l'analphabétisme, qui manquent des soins médicaux les
plus élémentaires, qui n'aient pas de toit où
s'abriter ? Le tableau de la pauvreté peut être étendu
interminablement, si nous ajoutons les nouvelles formes de misère que
l'on découvre surtout dans des secteurs et des catégories non
dépourvus de ressources économiques, mais exposés à
la tourmente du non-sens, au piège de la drogue et de l'alcool, à
la solitude du grand âge ou de la maladie, à la discrimination
sociale.
Dans une telle société, l'homme est comme
ballotté parce qu'il n'a plus aucune conscience de sa dignité ni
de sa destinée. C'est l'insatisfaction totale. Il va falloir que la
communauté qui s'était organisée rationnellement en
société s'organise aussi raisonnablement en une entité
étatique, en Etat : là où seront réunies les
conditions de « la satisfaction de l'homme dans et par la
reconnaissance de tous et de chacun par tous et par chacun ». C'est
cela l'Etat chez Eric Weil : cette conscience raisonnable d'une
communauté engagée dans l'action. Selon Weil, le but de l'Etat
est tout simplement de durer comme organisation consciente de la
communauté, pour garantir les conditions qui rendent possible une
existence sensée de l'individu dans la
communauté-société.
1.1. L'Etat, conscience raisonnable d'une communauté
organisée pour le travail3(*)
Eric Weil définit l'Etat comme cette
« organisation d'une communauté historique »4(*). Comme organisation, il peut
prendre des décisions en vue des fins raisonnables à poursuivre
et mesurer les moyens rationnels pour les atteindre en fonction de la
réalité historique qui est la sienne. Le monde dans lequel
l'homme vit est un monde structuré, un monde sensé, un espace
moral et raisonnable. Et c'est dans ce cadre bien défini qu'il se trouve
engagé et responsable.
Chacune des communautés particulières où
il se trouve est saisi comme un ensemble de valeurs traditionnelles qui
constituent la morale vivante et historique de cette communauté. Mais de
manière réciproque, cette moralité ne peut survivre qu'en
s'ouvrant pleinement à l'universel concret ; « la morale
vivante ne peut exister qu'en vertu d'une organisation rationnelle qui la
soutienne et la consacre »5(*). Pour Eric Weil, c'est cette réciprocité
qui permet à la communauté de survivre dans son sacré, en
le justifiant devant le sacré de la rationalité qui sera devenu
le juge6(*). C'est l'union
de ces deux réalités fondamentales qui définit de
manière objective l'Etat. La recherche de ce pacte passe par
l'éducation des citoyens. Dans ce cadre, le grand éducateur est
la « nécessité », qui appelle les gouvernants
à la « prudence ».
L'individu trouve dans l'Etat, surtout dans l'Etat
constitutionnel7(*), un
oasis historique, rationnel et raisonnable pour son accomplissement en donnant
sens à son existence. La définition positive de ce sens
relève de la liberté et n'est plus de l'ordre de la politique.
Mais en réalité, quelles sont les tâches spécifiques
assignées à l'Etat pour la satisfaction intégrale de
l'homme ? Ou mieux, en quoi l'Etat constitue-t-il l'instance où la
communauté est protégée contre les dangers qui la
menacent8(*) ?
1.2. L'Etat, organisation du pouvoir politique
L'Etat serait né d'un besoin de rationalisation de la
société à travers la création d'une autorité
qui puisse dépasser les clivages entre particuliers pour servir avant
tout l'intérêt collectif. Ceci n'a malheureusement point
empêché dans l'histoire que certains usent de l'Etat pour asseoir
leurs intérêts particuliers au détriment du bien commun.
Toutefois, l'Etat demeure la seule forme moderne fondée sur une
constitution qui définit les pouvoirs, organise les relations9(*). Cet Etat garantit certains
droits à l'individu qui peut, ou non, participer activement aux
activités de la civitas. Eric Weil s'inspire en grande partie de Hegel
qui a fait de l'Etat la réalisation de l'idée morale, la
capacité ultime et unique de réalisation de la liberté
subjective, le lieu potentiel enfin de la résolution de toute
contradiction. Pour lui, c'est seulement dans l'Etat que l'homme peut se
réaliser comme liberté. Dans la même perspective, Spinoza a
brossé un commentaire très particulier sur l'Etat. Il
écrit ceci :
La fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la
condition d'êtres raisonnables à celle des bêtes brutes ou
d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme
et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions,
pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point
de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans
malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en
réalité la liberté.10(*)
Mais pour s'organiser et exercer concrètement le
pouvoir de décision, la communauté doit se doter d'institutions,
« par lesquelles elle pense et élève à la
conscience, la tâche qui est proprement la sienne, celle de durer en se
développant et se développer en choisissant »11(*). En ce sens, l'Etat s'incarne
dans ces organes, moyens matériels, concrets, de prise de
décision et devient alors l'ensemble des institutions via lesquelles la
communauté opère des choix judicieux et fait ainsi son histoire.
Le parlement est « l'institution qui caractérise
principalement l'Etat constitutionnel »12(*), dans la mesure où il
permet et contrôle l'action du gouvernement, lui donnant par là
« de maintenir l'unité et la cohésion intérieure
de la nation »13(*). Pour Weil, « le parlement est le lieu
où le désir traditionnel, voire le besoin, les
préférences, les goûts, toute la vie morale entrent en
contact avec les nécessités de la rationalité, pour se les
soumettre en s'y soumettant »14(*).
Ici, l'Etat se comprend à partir d'un principe
calculateur, matérialiste. Cela peut nous amener à poser un
jugement négatif vis-à-vis de ces institutions si nous
considérons l'Etat historique comme l'unique oasis où le chemin
de l'homme est mieux défini. Certes, l'Etat comporte un aspect technique
que doit prendre en compte toute compréhension de la
réalité politique. Mais il serait déraisonnable de vouloir
réduire la réalité étatique à la seule
organisation technique. L'Etat est à comprendre comme ensemble organique
de ses différentes institutions, c'est-à-dire comme
totalité vivante des institutions se supposant et se supportant en toute
réciprocité, dans le respect du droit. Mais quelle est en
définitive la finalité de l'Etat ?
Pour Weber par exemple, la finalité donnée
à l'Etat c'est lui-même et non pas un processus objectif
doté d'un sens immanent et dirigé vers une fin : l'Etat
n'existe que sous la condition de la soumission des dominés aux
dominants15(*). C'est
avant tout l'organe qui a la direction des conflictualités dans les
limites imposées par la rationalité formelle. Par contre, pour
Weil, l'Etat régularise les concurrences par couches, et, partant, a
donc la capacité de traduire pour le plus grand nombre les affrontements
concrets des couches en ce qu'ils génèrent de sensé et de
rationnel. Dans ce travail interprétatif, l'Etat résorbe les
affrontements en s'appuyant sur une conflictualité régulante
ayant valeur juridictionnelle16(*). C'est donc bien la relation qui engendre et
génère, ici encore, rationnel et sens. C'est elle qui est
privilégiée dans la gestion - non formelle - du penser weilien.
Par cette différence de vues, le terrain de la rationalité, celui
du sens, sépare Weil de Weber. A la thématique
wébérienne de l'homme rationalisé, incapable de donner
sens à sa vie17(*),
Weil substitue la catégorie de Cosmos, et reprend cette idée de
monde de connexions, où nous vivons, et où il nous appartient de
choisir de lui donner un sens.
1.2.1 L'Etat du droit
Ce qui caractérise l'Etat moderne, c'est la loi, qui
règle sa vie, son action ainsi que « les rapports des citoyens
entre eux, avec la société et avec l'Etat pour autant que ces
relations peuvent donner lieu à l'emploi de la
violence »18(*).
L'Etat moderne est, selon Eric Weil, « l'Etat du
droit »19(*).
Cette définition a le mérite d'inclure, en la précisant,
celle qui détermine habituellement l'Etat par le monopole de la
violence ; elle insinue entre autres qu'« il ne l'emploie cependant
que dans certaines circonstances qu'il est seul à définir par la
loi et en dehors desquelles il s'interdit lui-même de s'en
servir »20(*).
Mais en réalité, qu'est-ce que la loi pour une
communauté ?
« Au niveau politique [selon Eric Weil], la loi est
la forme dans laquelle l'Etat existe en se pensant. »21(*) ; « C'est
à elle de donner la forme de la conscience aux buts derniers de la
communauté »22(*) où l'homme est plongé, engagé
dans un espace de relations et d'interactions ; où l'homme
dépouillé par sa morale individuelle, rencontre par contre une
autre loi : la loi positive de la communauté
particulière.
Non pas sans doute qu'il lui faille tout de suite
adhérer à ces « maximes empiriques » et
identifier à la loi positive, sa morale intérieure. Non, le
divorce peut exister quelquefois. Car tout individu reste exposé
à la tension entre la loi morale et la loi positive. Cette tension reste
inévitable dans la mesure où l'histoire n'est pas achevée
et où la loi des communautés particulières doit encore
découvrir son accomplissement. Mais c'est une tension qu'il faut se
garder de trancher en rejetant l'un des termes de l'alternative. Car la loi
positive permet à la loi intérieure de l'éthique de
pouvoir s'affirmer, survivre dans l'espace et durer dans le temps. Et, sans la
loi morale, la loi positive reste sans contenu, incomplète et
insuffisante, faisant abstraction des nobles exigences de la réalisation
des libertés fondamentales. La morale est au service de la loi positive,
sans laquelle cependant, elle ne pourrait s'exercer.
C'est ici que Weil préconise la notion non moins
importante du droit naturel, sorte de point d'articulation entre la morale et
l'histoire. Le droit naturel fournit son critère à
l'appréciation critique des institutions représentant
« l'histoire faite ». Mais, il fournit aussi les concepts
grâce auxquels une sensibilité politique, au lieu de s'exprimer
par la violence, se donne la forme d'un discours rationnel et raisonnable. Il
amène le philosophe animé d'une exigence éthique à
participer à l'histoire se faisant, en aidant autrui à donner
à son propre sentiment du juste et de l'injuste la forme d'une
volonté agissante, c'est-à-dire, capable de convaincre.
En définitive, on peut dire que les deux composantes de
la théorie weilienne du droit naturel correspondent à la
dualité de la forme et du contenu. La forme correspond à la loi
naturelle réinterprétée en termes kantiens. C'est
l'égalité des êtres raisonnables, principe intemporel et
immuable en tant que principe formel, mais pour cette même raison,
principe vide et indéterminé. Le contenu est donné par le
sentiment du juste et de l'injuste, sentiment concrètement
déterminé par les conditions sociales et politiques d'une
époque donnée : c'est le juste de nature qui correspond
à la structure et aux représentations, aux sentiments
éthiques propres à une certaine forme de société,
en l'occurrence la société moderne. Le concept weilien du droit
naturel articule ces deux aspects : c'est le principe formel qui se
détermine comme principe d'appréciation critique des institutions
existantes et comme principe d'explication du sentiment concret du juste et de
l'injuste. C'est le principe intemporel qui se concrétise de
façon variable selon les époques. Ce qui permet de dire que le
droit naturel est essentiellement historique. Mais ce paradoxe est celui de
l'homme même, puisque sa nature est précisément d'avoir une
histoire.
Telle est, chez Eric Weil, la justification du recours au
concept de droit naturel. Ce concept permet d'explorer les multiples
articulations de la morale et de la politique, de l'histoire et du droit. Il
prend place dans une tentative de penser le droit dans son rapport à
l'évolution sociale et politique, pour saisir à quoi tient
l'apparition des droits nouveaux, la transformation des institutions existantes
et le déclin parallèle de certaines formes juridiques.
Il permet de formuler, dans leur complexité deux problèmes
fondamentaux : celui de l'évolution du droit et celui de la
formation du jugement politique. C'est pourquoi la notion du droit naturel,
dans la Philosophie politique, conduit à une théorie de
l'éducation. Au fond, l'originalité d'Eric Weil est de n'avoir
jamais séparé les deux questions qui traversent toute l'histoire
de la philosophie politique depuis Platon : celle de la justice et celle
de l'éducation.
1.2.2. L'Education
L'éducation intervient comme un support indispensable
à la morale ; car, c'est elle qui ouvre l'individu à
l'universel. Dans la réalité quotidienne, l'individu ne vit pas
toujours selon la raison. Weil dira que « sa volonté peut se
faire diabolique »23(*). Toute sa vie et son action sont une recherche du
profit et de l'intérêt personnels. Même lorsqu'il parait et
se soumet à l'universalité de la loi positive, c'est encore pour
sauvegarder ses intérêts. « Ils le font parce qu'ils y
trouvent leur intérêt ou parce que de cette manière ils
évitent ce qu'ils craignent »24(*). L'éducation vise essentiellement à
corriger les passions de façon positive en prenant appui sur elles.
Eduquer, c'est donc vaincre un désir par un autre. Mais pourquoi
l'éducation ?
L'éducation est destinée à socialiser
l'homme, c'est-à-dire à l'insérer dans les moeurs et
usages d'une communauté particulière. Elle veut conduire l'homme
à agir selon la morale historique de sa communauté, morale qui
exprime pour cette communauté le droit naturel et la raison.
L'éducation humanise l'homme. Elle « ne mène qu'au
seuil de la morale, sans elle ce seuil sera infranchissable, voire
invisible : rien d'humain ne se fait, rien d'humain ne s'est jamais fait
sans éducation »25(*). Mais plus encore, son « but dernier est de
faire de l'éduqué un éducateur, éducateur de
lui-même autant que de tous ceux qui ont besoin
d'éducation »26(*). L'éducateur témoigne à la fois
de la morale abstraite, qui justifie son action visant à conduire
l'humanité animale par l'animalité dans l'homme à la
raison et à la liberté raisonnable (...) à former des
hommes capables de décider raisonnablement à leur place dans le
monde et d'agir raisonnablement, sachant ce qu'ils font et pourquoi ils le
font27(*), et du
caractère sensé de la communauté historique dont il est
porte-parole. L'éducateur est porte-parole de sa communauté parce
que l'éducation de l'individu à la raison passe
nécessairement par l'insertion de l'individu dans les moeurs de sa
communauté historique, en tant que celles-ci offrent déjà
la possibilité d'une réalisation concrète de la
liberté raisonnable. « L'éducateur est au point de
suture de la morale et de la politique »28(*). En réalité,
l'éducation conditionne la survie de l'Etat. Eric Weil voit en
l'éducation une action de socialisation et moralisation.
L'éducateur inculque aux citoyens le respect des règles sociales,
une forme de comportement qui correspond aux valeurs de la
société. « L'attitude correcte que donne
l'éducation est alors celle qui fait que l'individu agit à sa
place comme il convient d'y agir »29(*). Mais l'éducateur doit tout juste donner la
méthode pour penser l'essentiel. Car, « c'est dans (et par) la
réflexion sur ce qui est nécessaire que se fait
l'éducation des citoyens (y compris des gouvernants). Elle s'effectue
sous la forme de la discussion »30(*).
1.2.3. La discussion
Le progrès du droit dépend, en partie, de
l'influence de la discussion publique sur les instances du pouvoir. Le droit
naturel, comme exigence formelle d'égalité et
d'universalité, est le critère de cette discussion. A la
différence de la conception kantienne, cependant, la discussion publique
ne concerne pas seulement, chez Weil, une communauté semi-fermée
de savants ou de professionnels éclairés. Du point de vue social,
elle s'inscrit dans le contexte d'une éducation de masse. D'un point de
vue politique, elle correspond à la définition principielle de la
démocratie : un mode de gouvernement où les décisions sont
préparées puis expliquées au moyen d'une discussion
à laquelle chaque citoyen est, de droit, partie prenante. Dans ce
contexte, la discussion menée à l'aide du critère du droit
naturel participe d'une sorte de pédagogie politique. D'une part, parce
qu'elle doit permettre au citoyen de s'approprier le contenu rationnel des
lois, et donc d'y adhérer au lieu de leur être purement et
simplement soumis. D'autre part, parce qu'elle doit permettre au sentiment de
l'injustice et à l'exigence de justice, potentiellement violents en tant
que formes de la sensibilité et principes de révolte, de
s'élaborer et de s'expliciter dans la forme d'un discours.
La discussion publique - et avec elle le droit naturel
qui lui sert de critère - participe ainsi d'une pédagogie
politique qui remplit une double fonction. Elle doit permettre à
l'individu de « se reconnaître » dans les
institutions qui structurent la société et l'Etat auxquels il
appartient, et de reconnaître ce qu'il y a de sensé dans ces
institutions. Mais, là où ces institutions sont arbitraires ou
ressenties comme telles, la discussion publique a pour fonction de favoriser
l'élaboration de la révolte en un discours, le passage de la
sensibilité éthique à la forme d'une volonté
politique. La discussion doit aider la société à prendre
conscience de ce qu'elle veut, à expliciter en un discours le sentiment
du juste et de l'injuste. Il s'agit de passer de la réactivité du
sentiment à l'action d'une volonté fondée sur un discours
rationnel. Et par là, il s'agit aussi de dépasser le moment de la
révolte violente, mais stérile, pour aboutir à l'action
débouchant sur un progrès effectif des institutions. Ce n'est
qu'ainsi que l'Etat peut être transformé d'une vallée de
dictatures en un espace de liberté personnelle.
1.3.
L'Etat, espace de liberté personnelle
Eric Weil définit l'action politique comme le lieu de
l'effectuation de la liberté raisonnable. Il reconnaît ainsi que
dans la société moderne, l'individu surgit non seulement comme
conscience du mécanisme social qui le conditionne, mais comme conscience
de la liberté inconditionnée, qui entend se soumettre l'univers
du mécanisme social et lui conférer un sens.
A l'encontre, à la place des philosophies de
l'intériorité qui exaltent la liberté en tant que pouvoir
d'auto-détermination, Eric Weil propose une philosophie de la
liberté concrète, qui a pour enjeu la synthèse de la
liberté et de l'institution. Ici, Weil rejoint en fait Paul Ricoeur pour
qui, « une liberté sensée est une liberté qui se
coordonne avec d'autres libertés dans une
institution... »31(*). Pour prendre corps et consistance, la liberté
est appelée à dépasser son moment de pure
indétermination et à s'investir dans la condition historique. Le
lieu où se réalise ce dépassement est l'institution
proprement politique : l'Etat dont l'action doit tendre à
« la coïncidence de la puissance publique avec l'exercice des
libertés individuelles »32(*). Dans le refus de tout machiavélisme, comme de
tout moralisme, Weil peut reprendre et renouveler la conception
aristotélicienne et hégélienne de l'Etat en tant que
condition co-essentielle au développement rationnel de l'individu. C'est
en son sein que la liberté personnelle s'épanouit et devient
effective. A ce sujet, Weil affirme que
L'individu n'est rien sans Etat, ou, pour être plus
précis, sans l'Etat, il n'est qu'un animal ou une machine ; mais la
fin de l'Etat est l'individu libre et satisfait dans la raison. C'est dans
l'Etat que l'homme se développe - et il peut s'y développer au
point d'être raisonnablement mécontent de tout Etat historique.
C'est là qu'il pense sa morale - et peut la penser contre la morale
traditionnelle, en partant de cette morale. C'est là encore qu'il se
sait libre - et peut se savoir moins libre que les conditions du monde ne lui
permettraient de l'être. C'est là que, grâce au travail
social, il se trouve protégé de la violence de la nature
extérieure, du besoin naturel et de la passion humaine - et qu'il peut
constater qu'il n'est pas suffisamment protégé, ou au contraire,
que cette lutte avec la nature est devenue lutte sans fin33(*).
Mais tout cela suppose que l'individu éduqué ait
quitté aussi bien la grossièreté de son
individualité empirique que la passivité du pur sacrifice et se
soit élevé à la pensée raisonnable et
rationnelle34(*).
Cependant, l'Etat ne constitue pas la condition suffisante de l'accomplissement
que l'individu donne à sa vie. C'est à la personne individuelle
qu'il revient de se réaliser librement en lui et d'accéder ainsi
à la « vertu ». C'est l'individu raisonnable qui, en
lui-même, devra réaliser sa satisfaction intégrale,
Le but de l'Etat, considéré du côté
de l'individu dans une société qui le protège, par
laquelle, ensemble avec tous les autres, il se protège lui-même de
la violence de la nature extérieure, et dans une communauté dans
laquelle, ensemble avec tous les autres membres de cette communauté
particulière, il trouve et donne un sens à son existence35(*).
Si l'on s'en tient à cette réflexion, comment
dès lors, penser les rapports individu-Etat ? La réponse
à cette question, c'est l'histoire qui nous l'apportera. Mais quoi qu'il
en soit, nul au monde ne pourrait nier le rôle précieux de l'Etat,
dans la socialisation et la moralisation des citoyens. Le jour où la
logique de l'efficacité et celle de la morale se
révéleraient opposées, c'en serait fait de la
réalité politique, puisque la tâche propre de l'Etat est de
les unir. Mais en fait, si ces logiques ne parviennent pas encore à
s'entre-pénétrer, et si leur opposition fait paraître la
possibilité d'une guerre, cette opposition ne devient absolue qu'en
vertu d'une abstraction qui sépare totalement la politique de
l'histoire.
En réalité, la constitution d'une organisation
sociale mondiale, selon les exigences de l'universalité rationnelle,
apparaît de plus en plus comme la condition sine qua non pour sauvegarder
les morales concrètes des communautés particulières. C'est
cela la tâche qui s'impose aujourd'hui aux Etats particuliers
libres : réaliser une société universelle où
ils pourront se développer librement, sans perdre leurs
indépendances respectives.
CHAPITRE II : LE PHENOMENE DE L'ORGANISATION SOCIALE
MONDIALE
La question nodale dans ce
deuxième chapitre est simple : Comment nous apparaît
l'organisation sociale mondiale ? L'Etat moderne weilien comme nous le
savons, cherche comment unir la morale vivante de la communauté
historique avec la rationalité de la société de travail.
Quand ces doubles exigences - l'efficacité et la justice - sont en
disharmonie, la possibilité de la violence guerrière reste
inévitable. C'est à ce niveau que l'organisation mondiale
intervient pour orienter les politiques particulières des Etats. De
telle sorte qu'aux rumeurs de la violence succède le chant de la
liberté, cette « sorte d'«Etat universel » qui
selon Simon Decloux, [va] réconcilier à un niveau
supérieur, les antagonismes que chaque Etat tranchait à
l'intérieur de ses propres frontières. C'est cela l'organisation
mondiale : l'espace unique de normes juridiques et éthiques, les
organisations multinationales nées après 1945. Peu ou prou, tout
cela concerne tous les Etats de la planète. Tout cela conduit à
une société humaine réellement unifiée qui prend
conscience de problèmes communs à toute l'humanité sans
pour autant devenir uniforme.
2.1. Comment nous
apparaît l'organisation sociale mondiale ?
La situation géopolitique actuelle du monde, ou le
phénomène de mondialisation36(*), peut en quelque sorte nous aider à nous faire
une idée juste de ce que serait l'organisation sociale mondiale. Que
voyons-nous aujourd'hui, dans le concret de notre vie sociétale ?
Il se pourrait que la mondialisation soit en train de préfigurer une
réponse possible à cette énorme et redoutable question de
la société mondiale.
Par les télécommunications, l'espace mondial
peut se « condenser » en un seul repère. De
même, une grande partie du monde est accessible physiquement en moins
d'une journée à partir de n'importe quel endroit de cette partie.
On assiste à une rapide concentration des entreprises,
particulièrement dans les branches où les économies
d'échelle sont importantes : automobile, pétrole, transport
aérien, aviation et armement. De grandes firmes nationales s'unissent
pour donner naissance à des groupes mondiaux. D'autres firmes cherchent
de plus en plus à se « mondialiser » en concevant
leurs produits pour un marché mondial. Deux niveaux d'intégration
se dégagent pragmatiquement. D'abord le niveau planétaire avec
les organisations multilatérales nées après 1945 - ONU,
FMI, BIRD, UNESCO, OMS, FAO, plus récemment OMC. Puis le niveau
régional, avec des Associations « inter nationes »,
dont l'Union Africaine. Un espace unique de normes juridiques et
éthiques se superpose de plus en plus aux espaces purement nationaux. De
nombreuses conventions internationales définissent un nouvel espace
juridique du droit public supérieur aux droits nationaux. Eric Weil
avait constaté que « l'époque moderne a...vu la
naissance de tribunaux internationaux et d'organisations conçues pour
administrer, sur un plan supra-national, certaines affaires concernant
plusieurs Etats »37(*). Sous l'impulsion des ONG, de l'ONU et de diverses
autorités morales, un corps de normes pour les Droits Humains s'impose
peu à peu en dépit de nombreuses résistances. Pour toutes
ces raisons, le droit et les juges prennent une importance sociale et politique
accrue, un véritable « intérêt
général » mondial commence à apparaître. A
l'occasion de famines, de guerres civiles, d'atteintes aux Droits de l'Homme,
de destructions d'espèces vivantes ou de milieux naturels, une opinion
publique planétaire commence à se manifester et à peser
sur les décisions politiques ou économiques. « Un
problème des relations internationales existe pour tout gouvernement
moderne. Ce monde n'est [plus] seulement celui des Etats historiques : il
est aussi [devenu] celui de la société moderne, mondiale par son
principe et en principe »38(*). Voilà pourquoi la lutte contre l'exclusion
devient prioritaire et le « travail social » une question
essentielle.
Mais Eric Weil va un peu plus loin. Il envisage une grande
organisation dont le but est la satisfaction des hommes raisonnables à
l'intérieur d'Etats libres. Cette organisation confiée à
la politique de tout Etat moderne est appelée « Etat
mondial ». Terme approprié quand on pense à cette
part de l'activité de l'Etat qui échoit à l'administration
du travail social. Mais terme ambigu si l'on pense à l'appareil
construit par l'action extérieure de l'Etat, essentiellement a-morale et
fondée sur la possibilité de la violence. Sans compter que cet
Etat se caractérisera par une absence de politique extérieure.
« Au sens courant du mot Etat, qui découlerait de l'histoire,
ce serait, au contraire d'un Etat, une organisation coordonnant le travail de
communautés dont chacune aurait pour but et pour sens le
développement de sa morale, de son univers particulier
concret. »39(*)
2.2. Mécanisme de l'organisation sociale mondiale
Weil définit le mécanisme social comme
étant un système de lois auquel l'individu se trouve toujours
soumis et sur lequel en même temps il s'appuie pour obtenir le prix de sa
personnification dans la société. Trois catégories
résument le mécanisme de la société
universelle : le calcul, le matériel et le mécanique. La
société mondiale est calculatrice dans la mesure où elle
recherche en tout l'efficacité et le profit :
Toute décision, toute transformation des
procédés du travail ou de l'organisation, tout emploi des forces
disponibles...doivent être justifiés par la démonstration
que la domination de l'homme sur la nature s'en trouve renforcée, que,
en d'autres termes, le même résultat mesurable est atteint avec
une moindre dépense d'énergie humaine ou que plus de forces
naturelles sont mises à la disposition de l'humanité...qu'il ne
serait possible avec les méthodes antérieures.40(*)
Elle est mécaniste dans la mesure où tout
problème est transposé en problème de méthodes de
travail et d'organisation et de ce fait ne relève que du
mécanisme social. Elle est matérialiste en ce que
l'élément pertinent pour ses décisions est le
quantifiable, donc les facteurs matériels. Quel est l'esprit qui
caractérise cette organisation ?
L'esprit de l'organisation sociale mondiale est sans aucun
doute la rationalité, non pas une rationalité abstraite, mais une
rationalité concrète ou mieux pragmatique puisqu'elle
débouche sur la technique. On pourrait alors affirmer sans risque de se
tromper que l'esprit qui sous-tend l'organisation universelle est un esprit
technico-rationnel.
C'est cet esprit empiriste, moteur de la modernité et
de la modernisation, qui caractérise les sociétés
contemporaines quand bien même chacune d'elles participe à cette
modernité à des degrés très divers. Cette
différence entre les sociétés se concrétise dans
les rapports entre les Etats et entre les hommes du monde. Cela
révèle un malaise dans la mondialisation actuelle et remet en
cause l'esprit rationnel qui la sous-tend. En réalité, le
rationalisme de la société mondiale n'est pas un rationalisme de
fait mais de principe. L'unité de la société mondiale
n'est que technologique. Dans la pensée de Weil, la
société mondiale homogène n'existe pas en fait, mais
seulement en principe.
2.3. Approche éthique de l'organisation sociale
mondiale
Le « principe
d'universalité »41(*) aide à comprendre éthiquement
l'importance d'une organisation sociale mondiale. Eric Weil pense que la
question se pose avec acuité : « elle vise la
possibilité de la présence de l'universel dans la
pluralité des particularités qui le rendent
concret »42(*).
Comment ouvrir les Etats souverains, autonomes au flot de l'universel formel du
travail social, de l'efficacité ?
Les communautés historiques ont été
interpellées par la violence de la nature extérieure. Pour se
défendre et conserver ce qu'elles ont d'historique, elles ont dû
travailler et sont devenues des sociétés. Ces
sociétés, une fois au contact de la modernité, ont
été obligées à rendre leur travail plus efficace,
plus opérationnel via la rationalité. Bref, la modernité
les a obligées à dépasser la lutte progressive avec la
nature, faute de quoi, elles auraient accepté de « s'immoler
sur l'autel de [leurs] sacrés traditionnels »43(*).
L'Etat particulier qui, en quelque sorte, est la conscience
d'une communauté organisée pour l'action, est aussi à
comprendre selon cette logique de rationalité. Sa vocation n'est-elle
pas d'éduquer, par le biais de ses institutions, la morale vivante des
individus à l'universalité de la raison ? La clef
d'intelligibilité de cette éducation, c'est que pour que les
communautés, puissent survivre, avec tout ce qu'elles ont
d'historique et d'irrationnel, elles doivent assumer la rationalité de
la société et en accepter les conditions essentielles qu'elle
exige. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut tout simplement dire
que la communauté, devenue société et Etat en
définitive, « devra accepter d'abandonner celles parmi ses
valeurs qui ne sont pas conciliables avec cette efficacité sans laquelle
aucune de ses valeurs ne survivront »44(*).
Mais en fait, et dans le concret, la réalisation d'une
société mondiale, selon les exigences de l'universalité
rationnelle, apparaît de plus en plus comme la condition sine qua non
pour sauvegarder les morales particulières. « Ce n'est
qu'après la réalisation d'une société mondiale -
pense Eric Weil - que les morales concrètes pourront se
développer librement, que l'éducation des citoyens pourra devenir
le seul but du gouvernement et de tous les citoyens. »45(*)
Le génie de Weil est d'avoir suggéré la
création d'une organisation sociale mondiale qui aura pour mission la
promotion de la rationalité globale, laquelle rationalité se
traduirait dans l'« égalisation des niveaux de vie des
différentes sociétés »46(*) et la possibilité pour
chaque Etat historique et particulier, de « faire place à la
loyauté morale envers une tradition vivante, une vertu concrète,
un groupe humain uni, non pas par les liens de la nécessité et de
la peur, mais par l'adhésion à un
sens »47(*). « Ce n'est qu'alors - poursuit Weil - que
le mot amitié pourra reprendre ce sens moral et politique qu'il
a perdu dans le monde moderne au profit d'une signification privée et
sentimentale. »48(*) Eric Weil donne ainsi une conscience, mieux encore,
une âme à l'organisation sociale mondiale en réconciliant
l'universel et le particulier, le rationnel et l'historique. Ainsi donc, dans
la logique d'une telle société, tout Etat doit tendre à
l'universel tout en gardant une touche de particularité.
CHAPITRE III : L'ANTHROPOLOGIE DE L'ORGANISATION SOCIALE
MONDIALE
L'organisation dont il est
question se caractérise dans sa logique du travail social. En
réalité, la mission de cette organisation n'est pas de fixer le
sens vrai de l'existence - la seule loi qui gouverne la société
mondiale est la loi formelle de l'entendement, l'élimination de l'usage
de la violence -. Mais de rendre possible l'épanouissement de l'individu
à l'intérieur d'Etats particuliers. Les Etats particuliers
demeureront, les lieux par excellence où l'individu se découvre
plus et mieux homme.
3.1. L'implacable logique
du travail social
Si la société mondiale est un fait
irréversible qui s'impose à tous, le philosophe ne doit pas
s'écarter du circuit actif ; mais bien au contraire, il devra
s'approprier la situation en y participant activement sur le plan
éthico-politique. Son rôle n'est-il pas de comprendre le monde en
ce qu'il a de sensé ? Dans cette perspective, commençons par
examiner la logique du travail social dans la société moderne.
Aujourd'hui par exemple, les transactions financières
transfrontalières et les investissements à l'étranger sont
d'excellents indicateurs de cette homogénéisation du travail.
Alors que les investissements nationaux dans le monde ont seulement
doublé de 1980 à 1996, ceux effectués à
l'étranger ont été multipliés par six ! Ces
quelques chiffres permettent de voir le caractère massif de
l'universalisation du travail social et de l'ouverture des économies.
Ces mouvements ne se font pas au hasard. Ils obéissent
strictement à la logique qui gouverne les sociétés.
Celle-ci n'est rien d'autre que l'impératif catégorique de la
rentabilité, dont aucune firme ne peut s'abstraire sous peine de
disparaître. L'unification de la société entraîne
l'application de cette logique à toutes les nations, et dans chacune
d'elles à la société entière, à laquelle
elle s'impose sous peine de voir le chômage s'étendre, puisque les
productions peuvent désormais migrer sans entraves. Tout tend alors
à se juger à l'aune du profit possible, les nations comme les
hommes. Cette volonté de puissance d'une rationalité, celle de
l'efficacité, entraîne la chosification de l'homme, -
« [L'homme] apprend à se considérer comme force
productive...Le mécanisme agit sur lui, et lui, il collabore à la
bonne marche de ce mécanisme... S'il veut vivre et participer aux
avantages du travail social, il doit se faire objet utilisable dans et pour le
travail. »49(*)-, dévalorise ou étouffe toute autre
approche du réel. Substituant son discours au sacré des
communautés historiques, elle oublie sa propre relativité et
devient une arme meurtrière qui asphyxie toutes les autres dimensions de
l'homme, celles de l'intuition et de la créativité50(*). Un pays modèle sera
celui où le la « société constitue une
communauté de travail »51(*), car « la conscience d'une
communauté donnée correspond, par conséquent, aux
possibilités « matérielles » du groupe,
à sa richesse sociale, à l'état de ses techniques,
à la forme de son organisation »52(*).
Malheureusement cette logique, poussée à
l'extrême, ne peut que renforcer partout les forts et affaiblir les
faibles. Elle augmente les écarts sociaux et « entre les
individus à l'intérieur d'une société
donnée, la distribution des biens produits se fait de manière
inégale »53(*). C'est bien ce qui se produit en Europe : la richesse
croît vite, mais aussi la marginalité et le chômage,
introduisant la violence au coeur de la société, dans la rue et
à l'école. De ce fait, les différences entre pays
développés et sous-développés se réduisent :
l'exclusion côtoie partout la richesse, au coeur même des nations.
Pour autant, les écarts moyens de développement sont loin de se
réduire. En dépit de taux de croissance parfois
élevés dans les pays émergents, les différences de
richesse moyenne par personne continuent à croître et rien ne
permet d'envisager le renversement de cette évolution. De toutes les
façons, « certaines sociétés sont encore loin
d'avoir atteint la pleine maîtrise dans l'emploi de cette
technique »54(*). La question du développement n'est pas
résolue par l'extension progressive de l'homogénéisation
économique. Celle-ci, toutefois, en transforme la problématique :
hier, il y avait d'un côté des pays développés, sans
chômage ni exclusion, de l'autre des pays totalement sans avenir.
Aujourd'hui, tous sont plus ou moins affrontés aux mêmes
défis, tout en restant très différents par leur richesse
moyenne.
La logique du travail social peut donc se
révéler tout à fait contraire à la fin
visée, à savoir la satisfaction des individus raisonnables, en
réduisant l'homme à un facteur de production, « sous la
pression des circonstances »55(*). Un totalitarisme calculateur, matérialiste et
mécaniste se répand. Comment promouvoir l'efficacité sans
chosifier l'homme ? Cette question est loin d'être nouvelle. Elle
s'est posée en Europe dès le siècle dernier, avec la
naissance du capitalisme. Plusieurs réponses furent alors
données. On pouvait changer complètement la
propriété et la société : ce fut l'utopie
communiste, propagée par le Manifeste de Karl Marx de 1848. On pouvait
aussi instaurer un Etat totalitaire fondé sur une idéologie
unique imposée, absorbant ainsi la société entière
dans l'ordre politique : ce furent les réponses stalinienne, nazie ou
fasciste. On pouvait enfin accepter le développement capitaliste et
tenter de l'équilibrer, soit par une action redistributive de l'Etat en
concertation avec le patronat et les syndicats, soit par la vigueur d'une
société civile très active, soit enfin combiner les
deux.
Jusqu'à présent, les faits ont plutôt
tranché en faveur de ce dernier groupe de réponses, les deux
premières réponses n'ayant apporté qu'une barbarie pire
que celle du capitalisme. On peut donc penser que la réponse efficace
aux indiscutables méfaits sociaux de l'homogénéisation
économique résidera dans la mondialisation de la
social-démocratie alliée au libéralisme, sans exclure par
principe que des formes nouvelles de socialisme puissent répondre
également à la question, y compris à partir des
idées de Marx, mais elles sont encore à naître. Tant que
cette évolution ne sera pas accomplie, l'unification économique
restera sauvage, comme le fut le capitalisme à sa naissance.
Sur ce chemin se dresse un obstacle de taille : le
décalage des espaces économiques et politiques. Ce
décalage existait peu au siècle dernier, lorsque les
économies étaient peu internationalisées. La situation
actuelle est différente. Alors que l'économie et les finances se
déploient sur un seul espace unifié et globalisé, le
politique reste trop fragmenté en espaces institutionnels disjoints. Le
pouvoir politique ne peut de ce fait agir globalement sur l'espace le plus
pertinent, celui du monde unique. Un premier progrès est permis par les
Associations Régionales d'Etats comme l'Union Africaine.
Toutefois, la question ne sera pleinement résolue
qu'avec la réalisation d'une organisation sociale mondiale
spécialisée, seule capable d'obliger à une redistribution
mondialisée et à des normes sociales générales. Cet
organe n'existe pas encore sous les formes adéquates - l'actuel
système international mis en place après 1945 en est encore
très éloigné -. Travailler à sa création est
une tâche urgente pour les Etats particuliers, tout autant que la
promotion de la coopération entre Etats. C'est ainsi que pourra se
réduire, sinon disparaître, le décalage croissant entre les
espaces politiques et l'espace économique globalisé,
problème central si l'on veut préserver les
particularités. Eric Weil, constate avec réalisme, que
« la communauté du travail est devenue, de par le principe de
sa technique et d'organisation, une communauté englobant
l'humanité entière »56(*). Il est convaincu que « seule une
organisation mondiale serait en accord avec la technique dont dispose
l'humanité au présent, d'après les critères de
cette technique même : elle seule permettrait d'arriver aux
meilleurs résultats avec la dépense la plus réduite
d'efforts humains »57(*).
L'universalisation des méthodes de travail se fait de
plus en plus manifeste, elle engendre une production accrue de richesses avec
des conséquences sociales parfois très négatives à
cause du primat absolu de la rentabilité qui engendre un nouveau type de
totalitarisme. Ces conséquences ne pourront être
maîtrisées que par la constitution d'une société
politiquement mondiale.
3.2. La constitution d'une société mondiale
Est-ce nécessaire de
constituer une société mondiale ? Dans l'Ethique
à Nicomaque, Aristote remarque que tout art, toute recherche, toute
activité tend vers un but ou encore vers un bien. Quel est le bien
spécifique d'une telle organisation ? Où trouver les
repères susceptibles d'assurer la cohésion entre les Etats
autonomes et la société universelle ? C'est à ces
questions que ce point voudrait répondre, sans pour autant sous-estimer
la complexité d'une telle problemata.
3.2.1. L'urgence d'une
organisation sociale mondiale
L'organisation sociale mondiale est, dans la perspective
weilienne, essentiellement économique. Il est donc juste de dire que la
réussite de l'homogénéisation s'harmonisant avec le
respect des particularités historiques se trouve dans la maîtrise
et la moralisation de l'économie et de l'homme qui en est l'acteur. Il
faudrait effectivement commencer par rationaliser l'économie mondiale de
sorte qu'advienne la société mondiale organisée pour les
meilleurs résultats dans la production des richesses.
Concrètement, les nations les plus riches doivent se montrer solidaires
envers celles qui manquent du minimum vital.
Sur le plan socio-politique, Eric Weil montre que, « la
réconciliation des morales historiques avec une organisation mondiale de
la lutte contre la nature extérieure est le problème du monde
moderne ; la contradiction entre elles ne se résoudra que dans la
libération des morales, non malgré, mais par l'organisation de la
société mondiale »58(*) et que c'est de l'intérêt des Etats
particuliers « de travailler à la réalisation d'une
organisation sociale mondiale »59(*). Cela, sans doute, permettra à chaque Etat
« de préserver la particularité morale qu'il
incarne »60(*),
tout en faisant partie de la société universelle. Dans la
solution que suggère Weil, il ne s'agit pas de partir des Etats
particuliers pour montrer comment à partir de l'intérieur, chacun
pourrait s'ouvrir à l'organisation mondiale. Weil part au contraire,
d'un regard englobant la totalité des Etats particuliers pour montrer
comment chaque Etat pourrait adhérer à l'universalisation. Il
propose dès lors, la création d'une organisation sociale mondiale
qui aura souci de la rationalité globale. Dans le concret, cela
reviendrait à créer une organisation mondiale de type
administratif capable de réguler les disparités
économiques toujours plus affolantes entre les puissants et les faibles.
L'importance d'un tel organe jaillit de la logique même du vent fort de
l'homogénéisation. Les administrateurs de cette organisation
devront se soumettre au contrôle des dirigeants et des citoyens. Mais
tout cela suppose que les Etats particuliers renoncent à la violence
historique, et également à l'hégémonie qui les
caractérisaient. Ce n'est que de la sorte que pourront naître ce
que Weil appelle, les « Vrais Etats » qui se
reconnaissent souverains, autonomes, particuliers à l'intérieur
de la société mondiale.
3.2.2. La coopération mondiale des Etats
« L'organisation de la société
universelle incombe aux Etats tels qu'ils existent dans le monde
contemporain. »61(*) Au niveau universel se déploie l'ensemble des
structures de l'ONU, fondées en 1945 à Bretton-Woods, et de ce
qui a subsisté de la Société des Nations, comme le Bureau
International du Travail. L'Organisation des Nations Unies elle-même se
présente comme un Parlement ouvert à tous les Etats. Mais cette
Assemblée n'est pas élue directement ; simple
« Sénat des Etats », sans moyens financiers ni
militaires propres, elle est très loin d'un gouvernement mondial. Une
pléiade d'organisations multilatérales spécialisées
gravite autour d'elle, les dernières en date étant l'OMC -
Organisation Mondiale du Commerce - et la Cour Criminelle Internationale dont
la création vient d'être décidée. Dans l'espace de
la puissance, l'astre du G8 contrôle le mouvement des affaires
monétaires, financières et économiques importantes du
monde. Au plan juridique, plusieurs conventions internationales commencent
à organiser un droit public mondial commun à tous les Etats
à partir du moment où une fraction suffisante d'entre eux les ont
ratifiées. Cet ensemble passablement disparate, annonciateur de
l'organisation sociale mondiale, appelle au moins trois remarques.
Si tous les Etats qui le souhaitent peuvent y participer,
tous les Etats n'y sont pas pour autant égaux. Les Etats-Unis et les
vainqueurs de 1945 y jouent un rôle central, ainsi que le Japon,
l'Allemagne et quelques autres pays européens. L'influence des Etats
n'est pas forcément en lien avec leur puissance réelle. Cette
distorsion, patente au Conseil de Sécurité, n'est certainement
pas un facteur d'efficacité. En dernier ressort, toute action
internationale lourde repose en fait sur la puissance et les volontés
américaines. Les exemples abondent et sont connus de tous. C'est
d'ailleurs en vue de protester contre les pratiques mafieuses des institutions
financières internationales que le professeur Joseph STIGLITZ a
démissionné de son poste de vice-président de la Banque
Mondiale. Dans son livre intitulé La grande désillusion,
il dénonce le musellement de l'économie mondiale par les pays
industrialisés. « L'occident, dit-il, a organisé la
mise en place de la mondialisation de façon à recevoir une part
disproportionnée de ses bénéfices aux dépens du
monde en développement. »62(*) Abordant dans le même sens, Jean ZIEGLER taxe
la mondialisation d'être un archipel de prospérité flottant
sur un océan de misère63(*). On restera toujours en dehors de l'unification
mondiale de la société tant « que la compétition
des sociétés particulières reste le moteur principal du
progrès matériel ».64(*)
A quoi sert l'ONU ? A question simple, réponse
malaisée si l'on veut dépasser les a priori et les jugements
légers. Conçue au départ pour maintenir la paix et
faciliter le développement économique - chacun avait alors en
mémoire que la crise de 1929 avait favorisé les fascismes -, elle
n'a pas pu éviter de nombreux conflits ni répandre rapidement le
développement. Certains pensent que l'équilibre de la terreur a
été plus efficace pour éviter une troisième guerre
mondiale ; les pays qui ont su se développer vite, en Asie par exemple,
l'ont fait davantage en utilisant au mieux le libéralisme qu'à
travers l'aide publique au développement. Il est clair cependant que ce
fouillis institutionnel, déconnecté des citoyens, sert à
éviter la propagation des crises de tous ordres, ce qui n'est
déjà pas si mal. Les problèmes se multiplient parce
« qu'une organisation centrale n'existe pas
encore »65(*)
L'important n'est peut-être pas dans les
résultats concrets mais dans la symbolique et la société.
Nous nous trouvons devant un gigantesque processus d'auto-apprentissage du
travail en commun par des Etats très différents. Un tel processus
ne peut manquer de se traduire par l'apparition progressive d'une
société mondiale de la gouvernance et de l'approche des
problèmes. L'ONU n'est certainement qu'un symbole d'une réelle
communauté mondiale des Etats, décidant de concert et ayant les
moyens réels d'intervenir. Mais sans le symbole, parfois réduit
à un simulacre, pourrait-on avancer plus vite ? Certainement pas. Cet
auto-apprentissage planétaire de l'humanité ne se cantonne pas au
niveau des Etats. Lorsque l'ONU traite de l'environnement, de la
démographie, des femmes ou des Droits de l'Homme, ce sont les
sociétés et les personnes qui peuvent entrer en débat.
Nécessairement, des éléments communs de culture se
dégagent peu à peu ainsi que des lignes de partage claires.
Discuter, entendre les autres, c'est déjà appartenir
symboliquement à une même société66(*). Ainsi se prépare, de
manière plutôt involontaire, le jour où l'on basculera de
la symbolique à la pratique, le jour où des forces sociales
suffisantes exigeront que ce niveau politique universel soit plus
démocratique et plus effectif, moins soumis à une seule
puissance. Alors se posera vraiment le problème de la coexistence des
Etats avec ce niveau politique universel.
3.2.3. Vers une nouvelle organisation sociale mondiale ?
Obligés de coopérer pour survivre, les Etats
particuliers profitent de la mondialisation actuelle, pour sortir de leur
isolement et se lier entre eux de multiples façons. Ce faisant et sans
le vouloir explicitement, ils deviennent les briques d'un Lego politique
planétaire renouvelant les concepts de la politique. A long terme, ce
mouvement pourrait aboutir à une sorte d'« Etat
mondial », s'ajoutant aux Etats actuels sans les supprimer, sans
nécessiter cependant la création d'un « gouvernement
mondial » qui paraît fort peu probable. Après tout,
l'Etat reste incontournable. Eric Weil pense qu'« il n'y a pas
d'organisation internationale comparable à l'organisation de
l'Etat ; mais puisque chacun doit craindre les résultats de
l'emploi de la violence, tous ont un intérêt commun à
l'établissement d'une telle organisation »67(*). Il reste convaincu
qu'« il est possible et licite d'envisager l'état à
venir de l'humanité - à venir (...), non au sens d'une
prédiction, mais au sens d'un but à atteindre et qui sera ou non
atteint »68(*).
Et quel est ce but ? Le but d'une telle organisation « est que
la compétition entre les sociétés particulières
disparaisse en même temps que la lutte entre les Etats
historiques »69(*). Ainsi, tout individu accédera à la
gestion des intérêts communs du monde. Il pourra saisir la justice
et obtenir par là le respect de ses droits les plus fondamentaux,
fondés ici sur la structure même de la société du
travail.
3.3. Et l'Afrique dans tout cela ?70(*)
Après avoir fait une
lecture compréhensive de l'Etat et de l'organisation sociale mondiale,
nous voulons maintenant tirer quelques implications philosophiques de la
pensée politique d'Eric Weil pour une lecture de la politique en
Afrique. Nous empruntons le terme Afrique pour signifier tous les pays du
continent africain qui accusent et éprouvent un certain malaise dans
leur politique qui se veut moderne, malgré leurs contrefaits.
3.3.1. Qu'est devenue
l'Afrique ?
De tous les continents, le continent africain est le plus
marqué par la pauvreté. Nous le savons, l'efficacité du
travail passe par la médiation techno-scientifique qui, tout en
réduisant l'effort animal à déployer, concourt
efficacement à la maximisation de la production pour la satisfaction des
besoins de l'individu. C'est donc à juste titre qu'Ernest Cassirer vente
les mérites de la science.
La science, dit-il, constitue la dernière étape
du développement intellectuel de l'homme et peut être
considérée comme la réalisation la plus haute et la plus
caractéristique de la culture (...) Aucune force dans le monde moderne,
ne peut être comparée à la force de la pensée
scientifique. Elle représente le sommet et l'aboutissement de toutes les
activités humaines, le dernier chapitre de l'histoire de
l'humanité et la matière la plus importante d'une philosophie de
l'homme.71(*)
A cet égard, il est dommage que l'Afrique ne se soit
pas dotée de structures fiables pour une plus grande productivité
et scientificité. Cette crise d'intelligence pratique en matière
scientifique et technologique obscurcit le poumon social de l'Afrique,
l'écartant ainsi du circuit actif dans la marche du monde. Et, comme si
tout cela ne suffisait pas, des guerres qui blessent l'optimisme et brutalisent
les consciences non pas tant en raison de leur cruauté - qui n'est pas
sans précédent, en Afrique comme ailleurs - mais parce qu'elles
paraissent, irrationnelles, suicidaires, sans principe, en dehors de toute
logique politique, et encore moins révolutionnaire. Parce
qu'elles s'enchaînent, comme au Congo, sans espoir apparent d'en sortir,
sans leçons tirées, sans même se donner le temps de
reconstruire. Ou que - s'agissant des conflits les plus emblématiques en
Cote-d'Ivoire - leur déclenchement semble marquer l'échec de
toute une période, l'écroulement d'une montagne d'efforts, avec
le sentiment d'une pente toujours plus longue et hasardeuse à
remonter.
Les causes de ces affrontements sont multiples :
centralisation excessive du pouvoir politique et économique, engendrant
corruption et népotisme ; refus de certains dirigeants de rendre
des comptes et d'accepter l'alternance politique, en particulier dans les pays
de la mouvance « francophone » ; mépris des
minorités ou, au contraire, monopolisation du pouvoir par des groupes
particuliers (ethniques, régionaux, militaires, etc.), et absence de
systèmes de représentation efficaces ; coopération
insuffisante de part et d'autre de frontières qui séparent
artificiellement une même communauté ; disputes sur des
tracés territoriaux hérités de la colonisation, pour un
accès à la mer, au pétrole ou à d'autres gisements
de matières premières ; excès de certains budgets
militaires, difficultés du retour à la vie civile pour les
ex-combattants, insuffisance de contrôle de la circulation des armes
légères...
Tel est le cadre dans lequel naissent, vivent et meurent des
dizaines de millions d'habitants qui sont privés des conditions de vie
décente, ne disposant pas d'éléments aussi vitaux que la
nourriture, l'eau, le logement et les soins de santé, sans parler de
l'éducation et de la formation. Sait-on qu'en Afrique subsaharienne 313
millions de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour, soit 86 millions
de plus qu'en 1990. Dans son ensemble, l'Afrique subsaharienne voit le
problème de la faim s'aggraver et l'environnement - on songe à la
désertification - se dégrader. S'il est vrai que ces pays ont
connu récemment une croissance du PIB estimée à 5 pc, la
démographie galopante et non contrôlée, d'une part, et une
distribution très inégale des revenus, d'autre part, ont
réduit l'impact de cette croissance sur la pauvreté. Face
à cette situation, comment réagir ?
3.3.2. Le mythe de l'originalité
Mais qui sait ? Peut-être que tous les malheurs qui
arrivent aux Africains, sont dus à la contradiction entre la
rationalité à laquelle ils doivent s'ouvrir et l'historique
qu'ils portent toujours en eux. Est-ce que l'Afrique a vraiment assumé
la rationalité moderne aussi bien dans l'ordre des faits que dans celui
des principes, ou se complaint-elle encore dans son mythe de
l'orignalité culturelle ?
En effet, le mythe de l'originalité culturelle
naît d'une soif d'être coûte que coûte soi et pas un
autre, selon un ordre qui exclut toute forme d'aliénation,
d'assimilation, de dépendance puérile. Mais au fond de cette
quête d'être soi, se cache l'idéologie ruineuse de se
libérer de la présence en soi d'un Occident oppresseur. Pour
Paulin Houtondji,
A vouloir coûte que coûte défendre nos
civilisations, nous avons fini par les figer, par les momifier. Nous avons
trahi nos cultures d'origine en voulant à tout prix les donner en
spectacle, en faisant des objets de consommation externe, des objets de
discours, des mythes. Nous faisons ainsi inconsciemment le jeu de l'Europe
contre laquelle nous prétendions au départ nous défendre.
Et nous ne trouvons au bout du chemin que cette même platitude, cette
misère étalée, ce renoncement tragique à penser par
nous-mêmes et pour nous-mêmes : l'esclavage.72(*)
Cette obsession culturelle plonge l'Afrique dans
« une pure passivité, une porosité sublime qui attend
dans une posture d'ouverture féminine d'être
fécondée par l'Autre, l'Occident »73(*). Mais revenons à
l'intuition du départ. L'ordre des faits, qui peut nous ouvrir à
la compréhension de l'ordre des principes, nous manifeste une Afrique en
contradiction : d'une part, une Afrique qui veut vivre de la
rationalité, et d'autre part, une Afrique refermée dans ce
qu'elle a d'historique et d'irrationnel74(*). Aussi assistons-nous à une rationalité
qui s'impose en même temps qu'elle s'oppose à ce que les
communautés africaines ont d'historique et de traditionnel. Au fond,
l'apport des civilisations étrangères, notamment occidentales,
ont créé et continuent de créer deux types d'hommes qui
s'opposent en plusieurs domaines ; ce qui est cause de tourments et d'une
multitude d'instabilité au sein de nos sociétés. Sur des
structures anciennes créées et basées sur la tradition,
l'administration moderne a posé les siennes, ignorant ou
mésestimant ce qui était avant. En réalité, une
nouvelle vie s'est construite, sans aucun rapport de l'une à l'autre.
Insuffisante est encore l'assimilation des connaissances techniques, des
principes et des lois qui rythment la société moderne pour
s'adapter. Cette situation contradictoire entre la tradition et la
rationalité est compréhensible dans la logique de la
pensée weilienne. Pour Eric Weil, la communauté en tant
qu'historique a son sacré qui s'exprime dans sa morale vivante et
historique, et la société moderne a aussi son sacré, qui
est le travail rationnel, efficace et technique. De cette façon, toute
communauté qui se veut moderne est inévitablement
confrontée aux deux sacrés déjà mentionnés.
3.3.3. Oser le « je »
Dans son fameux ouvrage, « Et si l'Afrique
refusait le développement ? », la camerounaise
Axelle Kabou constate avec tourment que les Africains ont fait de l'Occident un
bouc émissaire qui les disculpe de toute responsabilité face au
désastre du continent. Tous les malheurs de l'Afrique seraient le fait
de l'homme blanc qui, pour imposer son hégémonisme, machinerait
subtilement pour maintenir le continent noir dans une situation
d'instabilité75(*).
En réalité, l'Afrique ne sortira pas de l'ornière par la
générosité, dont on ne peut nier les effets
bénéfiques, mais en osant le « je », en
s'intégrant dans l'économie mondiale, et surtout en s'ouvrant
à la rationalité où se forge l'histoire du monde moderne.
Les communautés africaines se doivent simplement de renoncer aux valeurs
historiques et irrationnelles qui sont incompatibles avec la
rationalité. En dernière analyse, il faudrait renoncer à
une certaine mentalité superstitieuse qui pousse l'homme à se
comprendre dans la nature au lieu de s'affirmer devant elle :
« Il faut parfois [se] délester de certains acquis, renoncer
aux rentes de traditions vénérables ; bien plus, il faut
perdre sa vie pour la sauver »76(*). Pour Weil, c'est cette première attitude qui
permet à la communauté de survivre dans son sacré de la
rationalité qui sera devenu le juge :
Il est impossible de fixer a priori une limite à ce
sacrifice des valeurs : le sacré, que la communauté voulait
défendre en acceptant la lutte avec la nature extérieure sous
forme de lutte progressive, devra maintenant se justifier devant le
sacré de la technique, devant l'efficacité.77(*)
Or, l'Afrique semble encore marcher sur une voie où la
tradition sacrifie la rationalité en la limitant. Par conséquent,
en voulant clouer la rationalité, l'Afrique refuse la possibilité
de préserver ses traditions dans une société mondiale
moderne.
Cette crise des sociétés a des
répercussions sur leur organisation en Etats. En effet, à
l'égard des Etats africains, « on est en droit de parler de la
« faillite complète de
l'Etat-Postcolonial »78(*). Si effrayante que soit cette affirmation, elle nous
demande de penser réellement l'Etat moderne en Afrique :
« L'Etat ne peut défendre son intérêt qu'en se
fondant sur la société, le travail, la
richesse »79(*).
Le verbe « fonder » est bien chargé. Il indique que
les Etats africains se fondent sur leurs sociétés. Et leur agir
provient d'elle.
Les catégories de droit, de discussion, de bonne
gouvernance, de liberté démocratique que Weil aborde sous
l'idée d'Etat constitutionnel, ne seront appliquées effectivement
et efficacement qu'à partir d'une éducation à la
rationalité. Sans celle-ci, tout Etat qui se prétend moderne
accuse un certain malaise dans l'application des principes politiques
modernes : L'Etat constitutionnel ne peut pas durer là où la
société moderne n'existe pas encore, et il est peu probable (en
tout cas, il est sans exemple dans l'histoire) que cette société
naisse spontanément, en l'absence de toute contrainte à la
rationalité.80(*)
Mais tout cela est insuffisant pour relever le défi de
la pauvreté. En réalité, l'Afrique ne se sauvera pas toute
seule. Mais en s'intégrant dans l'économie mondiale. Les Etats
Africains ont besoin de l'organisation sociale mondiale pour entrer dans le
temps de l'efficacité, de la rationalité. L'union fait la force,
dit-on ; chaque Africain en est conscient et convaincu. L'union
suppose pourtant le rassemblement des choses disparates, des choses contraires
même pour faire un tout homogène.
La rationalité moderne permet la survie et
l'affirmation positive des traditions. Le principe de l'universalité
rationnelle, qui engendre l'unification de toutes les communautés
modernes en une société universelle du travail rationnel,
interpelle les Etats africains. Le docteur K. Nkrumah, à travers son
célèbre ouvrage, Africa must unit, a jeté les
bases de la nécessité pour les peuples et les Etats africains de
s'unir81(*).
L'organisation sociale mondiale est le cadre historique et universel dans
lequel chaque Etat peut durer en tant qu'organisation consciente d'une
communauté en action, développer sa morale et sa tradition, et
rendre possible le sens de l'existence de ses citoyens. Qui sait ?
Peut-être qu'avec la constitution d'une organisation sociale mondiale,
les malheurs de l'Afrique disparaîtront car « le gouvernement
mondial administrerait ; il exercerait son action sur le plan d'une
éducation à la rationalité, celle-ci comprise comme
possibilité de la morale ; il n'aurait pas besoin d'une
loyauté aveugle et n'aurait aucune comparaison à
vaincre »82(*).
Mais à quand cette organisation sociale mondiale ? Nous laissons
à l'histoire des hommes le soin de répondre à cette
question.
CONCLUSION
Je m'en voudrais de conclure cette modeste réflexion
sans parler de l'homme dont la pensée nous a guidé. Voici donc,
pour conclure, le meilleur portrait d'Eric Weil, que je connaisse. Nous sommes
à Urbino au début d'octobre 1975 :
Ce fut presque la dernière apparition publique de
philosophe, il était déjà marqué par la mort qui
devait le prendre quelques mois plus tard (le 1er février
1977). Il avait maigri, la voix sonore et traînante, si
caractéristique, s'était voilée ; le regard, bon et
gai, s'était légèrement éraillé. Mais il
avait gardé son sourire, son enjouement, ses grosses moustaches, son
fume-cigarette. Il se sentait chez lui à Urbino, où tant
d'affection et d'admiration l'entouraient (...). Grand penseur exigeant, Weil
était un maître et un sage. Un maître non au sens
autoritaire et seigneurial du terme, mais un pédagogue et un
« prof », comme il disait à l'emporte-pièce.
Il ne cherchait pas les disciples, mais qui se mettait sous sa direction
perdait le repos, devait s'astreindre à l'effort harassant du concept.
Ce n'était pas lui qui tenait la férule, la chose même s'en
chargeait. Pourtant la sérénité du sage était plus
contagieuse encore que l'énergie du penseur. Il aimait discuter, mais en
dévidant le fil de la causerie, il émaillait son propos de
boutades, d'anecdotes amusantes. Il n'était pas pressé ni
impatient, il était insensible à ces petites et grandes
contrariétés de la vie qui défont brusquement le calme
d'esprits que l'on croyait mieux trempés. Lui-même ne courait pas
après les honneurs ni les succès ; il était
établi une fois pour toutes à cette hauteur d'humanité,
équanime et lucide, profondément éthique, d'où les
épreuves et les désillusions ne l'ont pas fait
descendre.83(*)
Qu'ajouter encore ? La vie d'Eric Weil nous
éclaire assez pour comprendre sa réflexion. A chacun de nous d'en
tirer aujourd'hui profit pour envisager l'avenir. Mais avant de boucler ces
divagations, je voudrais faire quelques observations fragmentaires. Notre
époque est ce qu'elle est et, nous ne pouvons la comprendre qu'en
fonction de ses morales historiques et de sa politique. Le devoir de l'homme de
donner sens à sa vie passe maintenant par la dynamique de la
société qui produit, de l'Etat qui décide et donc
éduque et de l'organisation sociale mondiale qui recherche et maintient
les différents équilibres. Weil traduit en fait - en la
remplaçant dans l'histoire comme lieu où les mécanismes
sociaux, et donc aussi moraux et politiques, se configurent, - l'idée
transcendantale, de l'ordre cosmopolite.
BIBLIOGRAPHIE
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96è Année, N°2, février 1964. Tome 96.
TABLES DE MATIERES
0. INTRODUCTION
1
CHAPITRE I : DE L'ETAT WEILIEN
4
1.1. L'Etat, conscience raisonnable d'une
communauté organisée pour le travail
5
1.2. L'Etat, organisation du pouvoir politique
6
1.2.1 L'Etat du droit
8
1.2.2. L'Education
10
1.2.3. La discussion
12
1.3. L'Etat, espace de liberté
personnelle
13
CHAPITRE II : LE PHENOMENE DE
L'ORGANISATION SOCIALE MONDIALE
16
2.1. Comment nous apparaît l'organisation
sociale mondiale ?
16
2.2. Mécanisme de l'organisation sociale
mondiale
18
2.3. Approche éthique de l'organisation
sociale mondiale
19
CHAPITRE III : L'ANTHROPOLOGIE DE
L'ORGANISATION SOCIALE MONDIALE
22
3.1. L'implacable logique du travail social
22
3.2. La constitution d'une société
mondiale
26
3.2.1. L'urgence d'une organisation sociale
mondiale
26
3.2.2. La coopération mondiale des Etats
27
3.2.3. Vers une nouvelle organisation sociale
mondiale ?
30
3.3. Et l'Afrique dans tout cela ?
30
3.3.1. Qu'est devenue l'Afrique ?
31
3.3.2. Le mythe de l'originalité
32
3.3.3. Oser le « je »
34
CONCLUSION
37
BIBLIOGRAPHIE
38
TABLES DE MATIERES
40
* 1 Eric Weil, Christianisme
et politique, in Critique, août-septembre, 1953. p.772
* 2 Eric Weil, Philosophie
politique, quatrième édition, Librairie philosophique J.
Vrin, Paris, 6, Place de la Sorbonne, Vè. 1984, p. 57. Désormais
cité sous l'abréviation PP.
* 3 C'est ici la rencontre de
Max Weber et d'Eric Weil, lorsque celui-ci décrit la
« Société », calculatrice,
matérialiste, mécaniste du point de vue d'une rationalité
purement formelle. Mais Weil se sépare de Weber, en insistant sur le
rôle du conflit, extrapolé jusqu'au niveau mondial en concevant
l'Etat comme arbitre et régulateur, puis, en maintenant contre Weber,
l'unité de la morale et de la politique.
* 4 PP., p. 57.
* 5 Simon Decloux, La
philosophie politique d'Eric Weil, in Nouvelle revue
théologique, 96è année, N°2, février
1964. Tome 96. p. 165.
* 6 PP., p. 70.
* 7 Weil accorde un
rôle prépondérant à l'Etat constitutionnel. Lucien
Bescond, « Eric Weil et le choix de l'Etat
constitutionnel », in Sept études sur Eric Weil,
réunies par Gilbert KIRSCHER et Jean QUILLIEN, p. 60. affirme que l'Etat
moderne « revient en effet à un devenir de conscience,
rationnel et politique de la communauté »
* 8 PP., p. 140.
* 9 PP., p. 131.
* 10 Spinoza, Traité
théologico-politique, cité par D. HUISMAN et A. VERGEZ, in
Histoire des Philosophes, Editions Nathan 1996. p. 125.
* 11 PP., p. 126.
* 12 PP., p. 167.
* 13 PP., p. 182.
* 14 PP., p. 171.
* 15 Eric Weil, Economie et
Société, Trad. J. Freund, Plon, Paris 1971. Lire surtout le
ch. III.
* 16 Le titre du § 33
de la Philosophie Politique est significatif à cet
endroit : « L'Etat moderne se réalise dans et par la loi
formelle et universelle » (loc. cit. p. 142). La loi formelle ici en
question n'ayant rien d'un formalisme instrumental - elle est bien plutôt
formatrice, réalisatrice du sens et du rationnel.
* 17 Eric Weil, In Essais et
conférences, Plon, Paris 1970, t. I, 268.
* 18 PP., p. 143.
* 19 Ibid.
* 20 Ibid.
* 21 PP., p. 144.
* 22 Ibid.
* 23 Eric Weil,
« Faudra-t-il de nouveau parler de morale ? »
(1976), in E. Weil, Philosophie et réalité, Paris, 1982,
p. 273.
* 24 PP., p. 44.
* 25 PP., p. 48.
* 26 Ibid.
* 27 PP., p. 57.
* 28 Paul Ricoeur,
« Histoire et Vérité », Collections, «
Esprit », Seuil, paris, 1995, p. 262.
* 29 PP., p. 51.
* 30 PP., p. 202.
* 31 Paul Ricoeur,
« Le philosophe et la politique devant la question de la
liberté », in La liberté et l'ordre social
(Rencontres internationales de Genève, 1969), Neuchâtel, la
Braconnière, 1969, p. 17.
* 32 Ibid., p. 55.
* 33 PP., p. 255.
* 34 Eric Weil, Hegel et
l'Etat, Vrin, Paris, 1950, p. 54.
* 35 PP., pp. 256-257.
* 36 Je signale en passant,
qu'il existe plusieurs définitions du concept
« mondialisation » et que j'entendrai par là
« le processus d'intégration des économies nationales
grâce à l'action d'une série d'institutions chargées
de favoriser la croissance des échanges économiques entre
différents régions du monde ». Cf. Zaki LAIDI, Un
monde privé de sens, Fayard, Paris, 1994.
* 37 PP., p. 227.
* 38 PP., p. 225.
* 39 PP., p. 240.
* 40 PP., p. 71.
* 41 C'est justement
grâce à l'assomption du critère de l'universalisation que
Weil peut préfigurer un modèle socio-politique fondé sur
la valeur absolue de la personne humaine destinée à fonder et
à garantir les conditions extérieures de la moralité,
c'est-à-dire une forme d'ordre social dans laquelle la personne puisse
toujours être considérée en tant que but et jamais en tant
que moyen. Dans ce sens, la dimension politique va être strictement
liée à la dimension morale, car c'est à elle qu'il
appartient de mettre en oeuvre les conditions de cette éducation
à la liberté raisonnable qui est, dans la conception weilienne,
son but dernier.
* 42 PP., p. 248.
* 43 PP., p. 70
* 44 Ibid.
* 45 PP., pp. 244-245
* 46 PP., p. 240.
* 47 PP., p. 245.
* 48 Ibid.
* 49 PP., p. 77.
* 50 Lire à ce propos
Joseph BASILE, Des nouveaux sculpteurs d'hommes, Ed. Renaissance du
Livre, 1997.
* 51 PP., p. 61.
* 52 PP., p. 64.
* 53 PP., p. 78.
* 54 PP., p. 69.
* 55 PP., p. 77.
* 56 PP., p. 69.
* 57 Ibid.
* 58 PP., p. 240.
* 59 PP., p. 225.
* 60 Ibid.
* 61 PP., p. 244.
* 62 Joseph STIGLITZ, La
grande désillusion, Traduction de l'anglais par Paul Chemla, Paris,
Fayard, 2002, p.31.
* 63 Cf. Jean ZIEGLER,
Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent,
Paris, Fayard, 2002.
* 64 PP., p. 241.
* 65 Ibid.
* 66 Selon Eric Weil,
« on reproche souvent à ces institutions - supra-nationales -
d'être inefficaces et de ne produire que des bavardages ou des
proclamations de foi aussi morales que creuses. De telles critiques sont
compréhensibles ; elles sont en même temps injustes :
c'est dans des bavardages et des proclamations, dit-il, que naissent
l'efficacité et les discours vrais. PP., p. 228.
* 67 PP., pp.237-238.
* 68 PP., p. 242.
* 69 Ibid.
* 70 Nous nous en voudrions de
ne pas penser l'Afrique à travers quelques aspects de la philosophie
politique d'Eric Weil.
* 71 Ernest Cassirer, Essai
sur l'homme, Paris, Edition de minuit, 1975, p. 285.
* 72 Paulin Houtondji, Sur
la philosophie africaine, Paris, François Maspero, 1976, p. 44.
* 73 Kä MANA,
L'Afrique va-t-elle mourir ? Bousculer l'imaginaire africain.
Essai d'éthique politique, Paris, Ed. Cerf, 1991, p. 18.
* 74 Nous ne sommes pas
contre les traditions africaines. Nous en reconnaissons d'ailleurs les valeurs
nobles. Et comme Anne-Cécile Robert, nous sommes convaincu que l'Afrique
« exprime des valeurs et des mentalités
« autres » qui pourraient rendre service à un monde
au bord du gouffre (...) Parce qu'elles travaillent à contre-courant de
l'ordre capitaliste et de ses principes directeurs, les valeurs qui traversent
le continent noir pourraient être le levier d'une remise en cause de la
mondialisation libérale ». Cf. Anne-Cécile Robert,
L'Afrique au secours de l'Occident, Paris, Les Editions de l'Atelier /
Les Editions ouvrières, 2004, pp. 23-24.
* 75 Cf. Axelle Kabou, Et
si l'Afrique refusait le développement ? Paris, L'Harmattan,
1991.
* 76 Fabien Eboussi BOULAGA,
« Education, syndicat et démocratie. » in
Lignes de résistances, p. 21.
* 77 PP., p. 70.
* 78 Fabien Eboussi BOULAGA,
« Restaurer Babel » in Lignes de
résistances, p. 66.
* 79 PP., p. 231.
* 80 PP., p. 175.
* 81 K. Nkrumah, Africa
must unit, London, Panaf Books Limited, 1963 / 1974, 229 p.
* 82 PP., p. 241.
* 83 Ce portrait a
été tracé par le P. Xavier Tilliette dans les Archives
de Philosophie (juillet-septembre 1980, t. 43, Cahier 3, p. 520.).