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Islam, démocratie et droits de l'homme

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par BOUGUERRA Faycel et BELLOUBET Nicole
Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2007
  

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CHAPITRE II : LES PRÉCURSEURS D'UNE CONCILIATION

D'abord, l'effort a été déployé par des penseurs médiévaux qui ont essayé de confronter la Vérité révélée à la Vérité de la raison sceptique en s'appuyant sur leurs recherches teintées d' aristotélisme et de néoplatonisme (Section I). Toutefois, jetés aux oubliettes par leurs contemporains, le relais a été porté par d'autres penseurs armés, cette fois-ci, par la pensée révolutionnaire des lumières ainsi que par la raison sceptique, archéologique, dialectique et critique qui est derrière l'avènement de l'idée de la modernité (Section II).

SECTION I : LES ÉCOLES DE PENSÉE MÉDIÉVALES ou du début d'un âge d'or à la fin d'une épopée

Les difficultés qui participaient du problème du Califat, à savoir le problème de la succession du Prophète occasionné par le désaccord entre les musulmans (dit fitna81(*) en arabe) qui a surgit après la mort du troisième calife `Othman, ont laissé cours à un phénomène de division des adeptes de l'Islam, encore jeune en âge, en partis ou sectes.

Les protagonistes de chaque parti s'ingéniaient alors de défendre leurs positions par des arguments variés et, voire même, par la force (A).

Une autre difficulté, qui vient de s'ajouter à la première, participe du fait que l'Islam, après ses conquêtes d'expansion, se trouva en face de cultures et de croyance variées. Une nouvelle lutte s'engagea alors, à savoir la lutte entre les idées. Du coup, une question de base se posait : Qu'est-ce que le Coran ? Est-il la Parole de Dieu comme le Christ a dit qu'Il est le Verbe de Dieu ? Son enseignement diffère-t-il essentiellement de celui des autres religions antérieures à lui ? Toutes les religions révélées ne proviennent-elles pas d'une même source ? Et tous ces attributs divins que mentionne le Coran dévoilent-ils l'essence de Dieu ?

 Pour répondre à « des pareilles questions qui le confrontent au point de mettre en jeu sa survie »82(*), l'Islam entreprend alors "un mono-questionnement-réponse" sous forme de deux grandes tentatives de salut.

Les Mutakallimîn (les théologiens) ont le mérite d'avancer la première tentative. Ils sont représentés notamment par les Mu'tazila qui, admettant la véracité de la mission prophétique, s'ingéniaient d'expliquer rationnellement son contenu.

La deuxième tentative revient aux falasifa (les philosophes), comme Al-farabi et Ibn Sina, en Orient, Ibn Toufayl et Ibn Rochd, en Occident, qui, partant de certains principes logiques, aboutissent à des conclusions conformes, d'après eux, aussi bien à la foi qu'à la raison (B).

A / LES SECTES OU PARTIS MUSULMANS

Dès les premiers siècles de l'Islam, « les premières querelles politiques touchant à la succession au Califat donnèrent naissance à des mouvements sectaires, n'appartenant à aucune des quatre écoles juridiques reconnues et s'écartant plus ou moins par leur doctrine de l'Islam officiel »83(*).

L'étude des sectes musulmanes s'avère particulièrement difficile à cause de leur grand nombre, mais aussi des points de vue divergents qui les segmentent en plusieurs factions84(*).

Le Califat constitua un véritable problème au début de l'Islam, à la fois politique et religieux, car la nouvelle religion régit ces deux ordres. Plusieurs sectes firent alors leur apparition, chacune défendant leur point de vue et adoptant une attitude spécifique sur les sources mêmes de la foi, à savoir le Coran et la Sunna (coutume ou tradition) du Prophète.

Le problème essentiel consistait à savoir quelle est la source de l'autorité. Autrement dit, de qui le chef de la Communauté tient-il son pouvoir ?

Est-ce l'ensemble de la Communauté qui désigne l'Imam, le chef de la Communauté, comme l'on soutenu Al-khawarij et Ahl As-sunna (les Sunnites c'est-à-dire l'Islam orthodoxe), ou bien c'est Dieu, comme l'ont soutenu Al'shi'a (les chiites) ?

Les conséquences de cette divergence entre les deux attitudes furent sanglantes. Il fallait tempérer les exagérations des uns et des autres. Ce fut la tâche que s'assignèrent les Murji'a.

Maintes questions se sont posées les Kharijites (Al-khawarij ou "les sortants" c'est-à-dire ceux qui se sont sortis - kharajou - du groupe de `Ali). Comment le chef religieux et politique de l'Islam85(*) pouvait-il accepter qu'il y ait des arbitres entre lui et son subordonné insoumis ?

`Ali doutait-il de son pouvoir ? Mu'awya avait-il plus de droits que `Ali parce qu'il avait plus d'hommes et plus d'armes ? Ainsi, le point capital à examiner était le fondement du pouvoir.

Le pouvoir, disaient-ils, appartient à toute la Communauté et, si la Communauté choisi un chef, ce chef, après avoir accepté et reçu le pouvoir, n'a plus le droit de se désister de ce dépôt sacré qui lui a été confié, ni d'accepter l'arbitrage qui prouve qu'il doute de son pouvoir. Tant qu'il gouverne sous l'inspiration de Dieu transmis dans le Coran, il est le chef légitime, mais, s'il déroge à ce commandement, il appartient alors à la Communauté de le destituer.

C'est là une conception purement démocratique du pouvoir. D'aucun lien de parenté avec le Prophète n'est requis, aucune condition de naissance ne doit entrer en ligne de compte. Le chef doit avoir le consensus, il suffit qu'il soit jugé comme le plus vertueux car le Prophète disait « Le plus vertueux aux yeux de Dieu est le plus pieux d'entre vous ».

De plus, en acceptant l'arbitrage entre lui et Mu'awiya, `Ali n'a pas tenu compte du Coran car « Dieu seul commande et non les hommes » (Lâ `huqm illa lillah).

À leur yeux `Ali est devenu infidèle, il mérite donc qu'on sorte de son autorité, qu'on se déclare contre lui, et qu'on lui fasse la guerre, laquelle sera une guerre sainte, un jihad (c'est-à-dire une guerre qui a pour but de réaliser des finalités saintes au profits d'Allah et suivant les commandements du Coran) contre un musulman qui a commis un péché grave.

La conception démocratique du fondement du pouvoir fut poussée à l'extrême par les Khawarij. Ainsi, selon eux, puisque la Communauté entière détient le pouvoir, en principe elle n'a pas besoin de chef. Les croyants n'ont qu'à agir conformément à la Loi de Dieu exprimé dans le Coran, seule règle de conduite.

Cependant, ils ont compris que la Communauté ne peut exister sans un chef, non pas pour dicter la loi, mais pour veiller à l'exécution des commandements formulés dans le Livre d'Allah, seule loi constitutionnelle de la Communauté. Ainsi, ils éliraient `Abd Allah Ibn Wahb Al-rassibi, comme chef de leur groupe.

Pouvons-nous dire qu'il s'agit vraiment d'une forme démocratique en Islam ?

N'oublions pas que par la « Communauté », les Khawarij entendent les musulmans mettant en pratique le Livre d'Allah, chaque membre en étant le gardien et pas l'Homme en tant que tel qui a le droit d'élire le chef. Aussi, manquer aux devoirs sacrés dictés par le Coran constitue un péché grave, et son auteur doit être poursuivi car il est un infidèle pire qu'un zandiq ou qafer (mécréant ou athée). Il en découle que c'est de la démocratie, si l'on veut, mais entre des personnes professant la même foi et la mettant en pratique. Ainsi, démêler le côté politique du côté religieux en Islam s'avère une tâche impossible à cette époque des origines. Ces deux points de vue progressaient en se compénétrant, s'entremêlant voire s'emboitant.

Cependant, les Khawarij ont eu le mérite d'être les pionniers de la notion de Communauté comme source du pouvoir. C'est déjà un grand pas car c'est l'essence même de la démocratie, bien qu'ils en aient fait une démocratie restreinte et limitée, voire même un privilège qui joue au profit du seul musulman pratiquant.

Contre cette thèse avancée et défendue par les Sunnites et les Kharijites, les Shi'a86(*) (Chiites) soutiennent que le chef ou l'Imam remplit une fonction religieuse, tout comme le Prophète.

Le pouvoir ne lui est donc concédé par la Communauté, mais donné par Dieu, seule source du pouvoir. Bien que l'Imam ne soit pas une personne inspirée comme le Prophète, il n'en reste pas moins qu'il est désigné par Allah comme le dépositaire de ce qui a été révélé au Prophète. Ainsi, la vérité révélée devient-elle, à leurs yeux, un dépôt sacré confié tout d'abord au Prophète chargé de le proclamer à la Communauté.

N'étant aucunement propriété publique ou communautaire, il faut un gardien pour ce dépôt et il appartient au seul maître de le nommer.

Les Shi'a corroborent ce point de vue par ce Verset : « Ton Seigneur crée ce qu'il veut et choisi ce qui, pour (les hommes), est le meilleur »87(*).

Il appartient donc à Allah d'élever à la fonction d'Imam qui Il veut. En effet, Dieu avait ordonné à son Prophète, disent les Shi'a, de mentionner le nom de cet Imam qui lui succédera, dans ce Verset : « Ô apôtre !, fais parvenir ce qu'on a fait descendre vers toi, de ton Seigneur ! Si tu ne [le] fais point, tu n'auras pas fait parvenir Son message et Allah te mettra hors d'atteinte des hommes »88(*).

La révélation dont il s'agit ici, selon la version Shi'ite, consiste à dire que `Ali, le cousin du Prophète, sera l'Imam après lui. Les Shi'a ajoutent que ce Verset a été inspiré après que le Prophète, ayant reçu l'ordre d'Allah de nommer `Ali chef de la Communauté après Lui, hésitait à le faire, craignant d'être taxé de partialité pour son cousin. Mais, après qu'il et reçu l'ordre formel d'Allah à ce sujet, il obéit, et dans son sermon d'adieu, près de l'étang Khom, lors de son dernier pèlerinage à la Mecque, le Prophète déclara : « `Ali sera le maître de celui qui j'étais le maître ».

Voila donc pour les Shi'a les principaux arguments, tirés des sources sacrées pour prouver la désignation par Allah de `Ali comme Imam. Ainsi, l'Imamat (le pouvoir d'être chef de la Communauté) pour les Shi'ites est de droit divin. L'Imam doit être infaillible (Ma'soum) et doit descendre de la progéniture de `Ali (AAl Albayt, littéralement, la famille de la maison, c'est-à-dire la famille du Prophète).

Pour ce qui est des Al-murji'a (les sceptique), ils viennent dans une ligne médiane entre les sectes qu'on vient d'exposer. Pour eux, qui sont les partisans de la tolérance, la maxime à prévaloir est : « Qui a tort, qui a raison ? Dans le doute abstiens-toi ». Ils ajoutent que : « Allah est le seul juge impartial ». C'est le sens politique du mot « Murji'a »89(*).

Pour ce qui est de son deuxième sens, tandis que les Khawarij considéraient les actes prescrites par la Loi comme partie intégrante de la foi, les Murji'a admettaient que la foi consiste à croire, dans son for intérieur, qu'il y a un Dieu et qu'Il a envoyé des prophètes.

Partant, des Hadiths et Sourates qui arcboutaient leur point de vue, ils s'abstenaient de se prononcer sur l'infidélité ou la fidélité non seulement des musulmans, mais aussi des non-musulmans. Pour eux, il suffit d'avoir la foi en Dieu pour être fidèle, même si l'on pratique les préceptes d'un autre Prophète.

Mais, la fameuse épreuve (Mihna) imposée par le Calife abbasside Al-ma'mun a laissé leur neutralité connaître du recul. Ils ont fini par fusionner avec les autres sectes pour sauver, autant que possible, leur doctrine basée sur l'amour de la paix et le pardon.

Cette fameuse épreuve est relative au débat "philosophique" qui a surgit sur la question de la création du Coran, ou la Parole de Dieu et dont les Mu'tazilites étaient les chefs de file.

* 81 `Ali (alors gouverneur de l'Irak) a été élu comme successeur au Calife assassiné, sauf qu'après quelques mois de son élection, Mu'awiya, alors gouverneur de l'Égypte, dénonce sa légitimité et l'appelle à se désister sinon il lui déclare la guerre.

Après quelques batailles sans gagnant, `Ali accepte qu'il soit arbitré entre eux afin d'épargner le sang des musulmans.

* 82 Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 6.

* 83 Sourdel (Dominique), L'Islam, Paris, P.U.F., Coll. "Que sais-je ?", 13e éd., 1984, p.75.

* 84 Lambert, pour ce qui est de ces sectes, parle plutôt de « religions et "sectes post-coraniques" issues de l'Islam », il d'ajoute que ce sont « des doctrines idéologico-religieuses issues de l'Islam ». Il avance l'exemple du Druzisme, "créé" en 1017 par le Calife Al-Hakem Bi-amrillah. Quant au Kharéjisme, au Zaïdisme et à l'Isma'ilisme, selon lui, ils relèvent bien plus des "chiismes politiques" que des "chiismes religieux", bien qu'ils véhiculent des conceptions idéologiques manifestement inconciliables avec celles de l'Islam sunnite ou chi'ite (bien qu'on a pu qualifier le Zaïdisme de "cinquième école", tant ses conceptions sont proches de celles des quatre écoles sunnites), notamment sur la question de la succession califale. Il conclu, enfin, à ce que ces divergences ne les placent toutefois pas hors de l'Islam, et les persécutions qu'ils ont subies ont été perpétrées à leur encontre bien plus pour des raisons politiques "séculières" qu'en raison de leur "incompatibilité idéologique" avec la conception dominante de l'Islam : Lambert ( Pierre-Yves), op. cit., p. 7 - 8.

* 85 « Les États-nations n'existent pas dans l'Islam. L'Umma est unie par-delà les frontières puisque c'est l'adhésion religieuse qui fait l'appartenance. Il en résulte que communauté religieuse et communauté politique se recouvrent totalement. Un pouvoir unique existe, celui de Dieu, représenté par son prophète et ses successeurs. C'est parce qu'il dispose de l'autorité religieuse que Mahomet ou le calife détient le pouvoir politique. Spirituel et temporel sont indissociable dans la cité musulmane » : Rollet (Jaques), Religion et politique : Le Christianisme, l'Islam, la démocratie, Hilosophie, p. 48.

* 86 Les Chiites (en langue arabe du verbe Tachaya'a, c'est-à-dire suivre, s'aligner sur ou être de côté de quelqu'un ou de ses opinions) sont ceux qui ont suivi `Ali et ont été à ses côtés. Ils sont majoritairement de l'Irak car `Ali en était gouverneur.

Ils formèrent son armée, mais ils se divisèrent entre eux sur l'arbitrage, ce qui a aboutit à la formation du groupe des Kharijites (Al-khawarej c'est-à-dire ceux qui sont sortis des rangs de `Ali et ne suivent plus ses ordres et commandements).

* 87 Le Coran, Sourate 28, Le récit, Verset 68, Traduction Régis Blachère, Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 1999, p. 418.

* 88 Le Coran, Sourate 5, La table servie, Verset 71/67, op. cit., p. 143.

* 89 Murji'a du verbe arabe Arja'a, c'est-à-dire, rendre. Cela veut dire, rendre l'arbitrage et le dernier mot à Dieu.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo