CHAPITRE 4
L E B I E N - Ê T R E E T L A R E G L E M E N
T A T I O N
Introduction
Comme on l'a noté au chapitre précédent,
l'objectif de la réglementation est de corriger les inefficiences dues
aux externalités, aux biens collectifs, aux asymétries
d'information et aux situations de monopole naturel. Son but est donc de
réduire progressivement la perte de bien- être et de l'annuler
à long terme. Dans le secteur de l'électricité au
Cameroun, cette tâche est confiée à l'ARSEL, qui est le
garant du bien-être social et dont l'une des missions principales
est l'établissement des règles tarifaires et
l'orientation des investissements vers la réalisation des
équipements de production, de transport et de distribution de
l'énergie électrique.
Pour une analyse claire et fine de la question du
bien-être et la réglementation, il convient d'abord de
conceptualiser le bien-être et ensuite d'évaluer l'impact de la
réglementation du secteur de l'électricité sur le
bien-être social au Cameroun.
SECTION 1 : LA CONCEPTUALISATION DU BIEN-ÊTRE
L'économie du bien-être est un courant
théorique normatif qui recherche les conditions et les moyens de
réalisation d'une satisfaction maximale des individus. Quant au
bien-être, il désigne le sentiment procuré par la
satisfaction d'un besoin. Cette satisfaction peut être
procurée par les biens et services marchands ou non (SILEM et ALBERTINI,
2002). La dite conceptualisation s'appuiera sur les critères de
l'analyse du bien-être et sur les éléments de sa mesure.
I. Les critères d'analyse et les
théorèmes du bien-être
Il s'agira d'examiner en premier lieu les critères de
l'analyse du bien-être et en second lieu les théorèmes du
bien-être et ses implications.
I-1. Les principaux critères de l'analyse du
bien-être
Il s'agit du critère de Pareto et du critère de
compensation (VARIAN, 1995).
I-1-1. Le critère de Pareto
On dit qu'une allocation X' domine au sens de
Pareto une allocation X, si tout le monde préfère
X' à X. Dans ce cas, on peut affirmer sans
contestation que X' est ``meilleure'' que X
et que tout projet permettant de passer de X à
X' doit être entrepris. Cependant, les projets unanimement
préférés sont rares ; en général, certains
individus préfèrent X à X' et d'autres
X'
à X, ce qui pose le problème du choix d'un
projet socialement optimal.
Illustrons cette situation en considérant que la
privatisation est un projet devant être entrepris (passage de
l'état X à l'état X'). Le cas de la
SONEL laissait penser que certains préféraient que l'entreprise
soit privatisée afin d'améliorer son efficacité, et
d'autres pas (ceux qui accordaient la priorité à l'optimum
social). Ceci montre en effet que le choix opéré n'était
pas susceptible d'améliorer la situation de tous les
consommateurs. Selon ce critère, un projet permettant de passer de
l'état X à l'état X' est efficace au
sens de Pareto s'il n'est pas possible d'accroître le niveau de
satisfaction d'un individu sans réduire celui d'un autre.
I-1-2. Le critère de compensation
Ce critère propose le test suivant : l'état
X' est potentiellement préféré à
l'état X au sens de Pareto s'il existe un moyen de
ré-allouer l'état X' de sorte que tout le monde
préfère cet état à l'état initial
X. Autrement dit, l'état X' est potentiellement
préféré à l'état X au sens de
Pareto
s'il existe un nouvel état X'', tel que la somme
des gains des individus dans ce nouvel état soit supérieure
à la somme des gains de tous les individus dans l'état X'
; c'est à dire que l'état X''
est une ré-allocation de l'état X
telle que l'état X'' soit
préféré à l'état X pour tous
les individus. Le critère de compensation requiert donc que
l'état X'' soit une amélioration potentielle de
l'état X au sens de Pareto.
Pour illustrer cette situation dans le cas de la SONEL,
supposons qu'un individu soit
``gagnant'' lorsqu'il préfère la privatisation de
l'entreprise (passage de l'état X à l'état
X'), et
``perdant'' dans le cas contraire
(préférence pour l'état X). La
décision de privatiser est meilleure selon ce critère, si les
gagnants peuvent dédommager les perdants ; c'est à dire si les
gains tirés par les uns compensent les pertes subies par les
autres. Si c'est le cas, le
changement sera acceptable pour tout le monde.
I-2. Les théorèmes du bien-être et
ses implications
Ce paragraphe consistera à énoncer les deux
théorèmes du bien-être et de donner leurs
implications.
Le premier théorème stipule que tous les
équilibres de marché sont efficaces au sens de Pareto.
Autrement dit, une allocation d'équilibre réalisée
grâce à un ensemble de marchés concurrentiels est
nécessairement efficace au sens de Pareto.
Deux hypothèses sont à la base du
premier théorème : l'absence d'externalités de
consommation et le comportement concurrentiel des agents. D'après ce
théorème, si chaque agent s'efforce de maximiser son
utilité personnelle, un marché engendrera une allocation qui
réalise l'efficacité au sens de Pareto.
En situation de monopole comme à l'AES-SONEL, la
première hypothèse est vérifiée dans la mesure
où tout consommateur ne se préoccupe que de sa propre
consommation, mais la deuxième l'est partiellement. En effet, chaque
individu veut maximiser son utilité personnelle
en utilisant l'électricité de façon
optimale et au moindre coût, mais le prix du marché
contraint chacun à limiter sa demande. On peut donc constater que les
marchés concurrentiels constituent un système particulier qui
présente l'avantage de réaliser une allocation efficace
au sens de Pareto.
Le second théorème stipule qu'il existe toujours
un ensemble de prix tel que toute allocation efficace au sens de Pareto soit un
équilibre de marché pour les dotations initiales
adéquates, à condition que les préférences des
agents soient convexes.
Ce théorème montre que les prix jouent deux
rôles dans un de marché : un rôle distributif et
un rôle allocatif. Le rôle distributif consiste
à déterminer quelles quantités des différents
biens
les agents peuvent acheter. Le rôle allocatif des prix
consiste à indiquer la rareté relative des biens. Ce rôle a
été mis en évidence après la privatisation de la
SONEL : la hausse des prix de l'électricité était un
indicateur de rareté devant permettre une gestion rationnelle de
l'énergie
par les consommateurs.
II. L'optimum social et la mesure du
bien-être
La première articulation présentera la
méthode de détermination de l'optimum social et la
deuxième donnera les éléments de la mesure du
bien-être.
II-1. La détermination de l'optimum
social
Il s'agira d'abord de présenter les
différentes fonctions de bien-être social et ensuite de
déterminer l'optimum social.
II-1-1. Les fonctions de bien-être
social
Une fonction de bien-être est une fonction quelconque des
fonctions d'utilités individuelles :
W (U1(x),....., Un(x)). Considérons que x
est la consommation d'électricité, et Ui(x), le
niveau
de satisfaction de l'individu i lorsqu'il consomme cette
quantité. C'est une fonction croissante
par rapport à l'utilité de chaque individu. On
distingue principalement trois fonctions de bien- être social (VARIAN,
2000) : La fonction de bien-être de Bentham, la fonction de
bien-être
de Rawls et celle de Bergson-Samuelson.
La fonction de bien-être de Bentham
Elle est aussi appelée fonction de bien-être
utilitarienne classique. Elle est définie par la
n
somme des fonctions d'utilités individuelles.
W(U1,...,Un)=Ui
i =1
En généralisant cette forme, nous obtenons comme
fonction de bien-être la somme pondérée
des utilités :
n
W(U1,...,Un)=aiUi
. Les pondérations a1,...,an, sont des valeurs
positives qui
i =1
expriment l'importance de l'utilité de chaque agent dans
le bien-être social.
La fonction de bien-être de Rawls
Elle a pour expression : W (U1,...,Un)= Min
{U1,...,Un}. C'est la fonction de bien-être minimax ; elle
indique que le bien-être social dépend uniquement du
bien-être de l'individu
qui a le niveau de satisfaction le plus bas, c'est à dire
celui qui a l'utilité minimum.
La fonction de bien-être de Bergson-Samuelson
Elle s'écrit sous la forme : W (U1(x1),...,
Un(xn)). Dans cette expression, nous allons considérer que xi
est la consommation d'électricité de l'individu
i ; Ui(xi) exprime le niveau de
satisfaction de l'individu i, lorsqu'il
consomme la quantité xi. La
particularité de cette
fonction est que l'utilité de chaque individu ne
dépend que de sa propre consommation.
II-1-2. La maximisation du bien-être
Le problème de la maximisation du bien-être est
examiné lorsqu'on dispose d'une fonction de bien-être social.
Considérons qu'un consommateur demande l'électricité en
quantité x1 et les
i
autres biens, en quantité x2. Notons
par x 1
2
et x i
les quantités demandées d'électricité
et
des autres biens par le consommateur i et
supposons qu'il y a n consommateurs qui
demandent ces deux types de biens.
Si on doit répartir entre ces consommateurs les
quantités totales X1 d'électricité
produites par l'AES-SONEL et X2 des autres biens, nous
pouvons définir le problème de maximisation du
bien-être suivant :
MaxW (U
( x1 , x 2
),...U
( x1 , x 2 ))
1 1 1
s / c
n
n n n
1
xi
= X 1
i =1
n
2
xi
= X 2
i =1
La résolution de ce problème permet de
déterminer pour chaque consommateur les différentes
1
allocations ( xi
2
; xi ) qui maximisent le
bien-être social.
II-2. La mesure du bien-être
Deux mesures seront présentées : la mesure
à partir d'une fonction de bien-être social et la mesure par le
surplus social.
II-2-1. La mesure à partir d'une fonction de
bien-être social
Une fonction d'utilité sociale ou collective est une
règle d'agrégation des niveaux de bien-être individuels.
Considérons le programme suivant qui consiste à
maximiser le bien-être social :
( ( x1 , x2 ).....
( x1 , x2 ))
Max W
u1 1 1
n
un n n
s / c xi =
i =1
Soient
x = (x1, x2
)
le vecteur de consommation du consommateur i
et
= ( , ) , le
i i i 1 2
vecteur des ressources disponibles.
Si on envisage une variation des ressources initiales
(d) , avec des variations correspondantes de la
consommation (dxi ) , les prix
étant constants, la résolution de ce
programme aboutit au résultat ci-dessous :
n I l n
[4.1]
dW =
pl dxi = p dl
l=1
i=1
l =1 l
Ce résultat montre que la variation de
bien-être est égale à la variation des ressources
pondérée par les prix.
II-2-2. La mesure par le surplus social
Cette méthode consiste à calculer le
surplus social à partir des fonctions de coûts et de
demande. Le surplus social se définit comme la somme du surplus du
consommateur et du surplus du producteur. Nous présenterons la
méthode de calcul du surplus social et de la perte
de bien-être due au monopole à partir de la figure
ci-dessous.
Figure 4.1: Perte de
bien-être due au monopole
Coûts, prix
D C CM
A
0
Source : Carlton et Perloff
(1998).
B F Cm
RM
Q° Q* Quantités
La fixation du prix au coût marginal
(Cm) correspond au point F
définit par le prix OA et le
niveau de production Q*. Dans cette situation, le
monopole est obligé de vendre à perte. Il enregistre donc un
déficit égal aux coûts fixes ABCD.
La fixation du prix au coût moyen correspond au point
d'intersection de la courbe de recette moyenne et du coût moyen
(point C). Cette seconde situation est plus favorable au producteur
que la précédente, puisqu'il couvre ses coûts de
production, mais elle entraîne la diminution
de bien-être pour la collectivité. En effet, en
passant de F à C, le surplus des consommateurs
est diminué de la surface du trapèze AFCD,
tandis que le surplus du producteur est augmenté
de la surface du rectangle ABCD. La perte nette de
bien-être correspond au triangle BFC.
Il a été présenté dans cette section,
les éléments de la mesure du bien-être, la suite consistera
à son évaluation au Cameroun.
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