2. L'opportunité d'une
telle protection
Cette protection
juridique des mesures techniques est parfois présentée comme un
troisième niveau de protection des oeuvres168(*). Le premier niveau est
constitué par la loi sur le droit d'auteur qui assure une protection
opposable à tous portant sur les oeuvres elles-mêmes. Les mesures
techniques de protection peuvent être comparées à un
deuxième niveau de protection, en ce qu'elles assurent techniquement
l'effectivité de la protection de l'oeuvre (ou le contrôle de
l'accès à l'oeuvre). Enfin, l'article 11 du Traité OMPI a
ouvert la voie à un troisième niveau de protection, aujourd'hui
consacré par la directive européenne et la transposition en droit
national, puisqu'il instaure une protection juridique de la mesure technique.
Ainsi l'oeuvre est désormais protégée par la loi et par la
technique, et la technique elle-même est protégée comme
telle par la loi. Le droit intervient à ce titre pour sanctionner la
violation des mesures techniques.
Pour M.
Gomis169(*)
« il peut se dégager de cette protection stratifiée
un sentiment de surréservation des oeuvres. Mais ce dispositif [...] est
nécessaire pour inciter les industries culturelles à
développer de nouvelles formes d'utilisation des
oeuvres ». Ainsi, les mesures techniques de protection des
oeuvres permettent et accompagnent les nouvelles formes d'utilisation des
oeuvres telles que le téléchargement, l'abonnement en ligne
à diverses bases de données, le jeu en ligne, ou plus
récemment le paiement à la séance qui permet de voir un
film ou d'écouter une chanson en streaming170(*) sur son ordinateur. On
parle alors d'une économie de l'usage où l'acquisition du support
est remplacée par le paiement à l'écoute ou au visionnage.
M. Rifkin171(*) avait
déjà envisagé cette hypothèse dans la mesure
où le nouveau modèle économique ne serait plus basé
sur la propriété mais le service. Pour lui, le capitalisme s'est
identifié à la propriété, à un marché
où l'on vend et on achète des biens matériels :
« les marchés laissent la place aux réseaux, les
biens aux services, les vendeurs aux prestataires et les acheteurs aux
utilisateurs ». C'est dans cette optique de consommation
immatérielle que les mesures techniques de protection ont un double
impact : « de manière directe elles créent une
évolution affectant la consommation des oeuvres, et indirectement, par
le biais de la protection juridique qui leur est accordée, elles
risquent de conférer au titulaire de droits d'auteur qui diffuse une
oeuvre en recourant aux mesures techniques, de nouvelles prérogatives
débordant du cadre du droit d'auteur 172(*)».
En pratique,
l'utilisateur qui accomplit un acte soumis à l'autorisation de l'auteur,
dont l'oeuvre est protégée par un système technique se
rend coupable de deux actes répréhensibles : la violation du
droit d'auteur et la violation des dispositions relatives aux mesures
techniques. Nous pouvons constater que si un utilisateur neutralise la mesure
de protection qui empêche la copie numérique de l'oeuvre et
réalise une copie illicite, il pourra être poursuivi sur la base
du droit d'auteur, pourquoi alors ajouter une sanction pour la neutralisation
du mécanisme de protection ?
En pratique un
utilisateur peut très bien neutraliser un verrou pour effectuer un acte
de copie autorisé (dans le cadre d'une exception) ou pour avoir
accès à l'oeuvre, celui-ci ne commettra aucune atteinte ni
violation au droit d'auteur et pourtant il est susceptible d'être
poursuivi pour la seule neutralisation de la mesure technique de
protection ! Le simple accès, dans la mesure où il
s'effectuerait moyennant la violation des mesures de sécurité,
devient illicite. Pour Mmes Byudens et Dussolier173(*), « si le
soucis de protéger les technologies relatives à l'accès se
comprends parfaitement, il relève davantage de la protection de
l'accès au service contenant les oeuvres et surtout la protection de la
rémunération du service. Il s'agit donc d'avantage d'une
protection de l'exploitant ou du distributeur des oeuvres que d'une protection
directe des ayants droit ».
Ce changement de
cap opéré par l'industrie culturelle répond à une
consommation nouvelle et une volonté de protection et de respect des
oeuvres plus forte qu'auparavant. Les efforts législatifs ont
été nombreux pour renforcer le protection des droits d'auteur et
droits voisins tant sur les supports physiques que sur les réseaux
numériques : les technologies se sont développées et
adaptées à la cybercriminalité. Ces protections
techniques, protégées par la loi, porte en elle le risque d'une
négation de fait des exceptions reconnues par la loi et ne sont pas
à l'abri de tous reproches : les utilisateurs/consommateurs de
produits culturels se heurtent souvent à des difficultés tant
techniques (accès à l'oeuvre) que juridiques
(interopérabilité).
Chapitre 2. LES
DÉRIVES DU TECHNICISME OU LES OBSTACLES A LA RÉALISATION DES
EXCEPTIONS
Alors que l'on s'interroge
sur la meilleure façon d'assurer le respect du droit d'auteur sur les
réseaux numériques et sur les supports susceptibles d'être
copiés, il est nécessaire de s'attarder sur les solutions
offertes par la technique pour contrôler la circulation des oeuvres
protégées. Les DRM apparaissent comme un nouvel outil susceptible
de protéger efficacement les droits des auteurs. On peut alors
être tenté d'imposer le recours à ces systèmes.
Pourtant, selon les termes de Mme Bernault174(*), « avant de succomber à cette
tentation », il paraît essentiel de bien mesurer les
conséquences d'une telle évolution.
Les différentes mesures techniques ne sont pas vierges de toute
critique. Il est vrai que ces systèmes novateurs de contrôle des
copies et de gestion des droits d'auteur sont nécessaires pour la juste
rémunération des auteurs et leur ayants droit et limite le
pillage culturel des oeuvres, cependant les consommateurs se retrouvent parfois
dans des situations délicates. Leur droit à la copie
privée, reconnu comme une exception au droit d'auteur se trouve souvent
bafoué par l'impossibilité de lire ou de copier une oeuvre
achetée en toute légalité. M. Lucas175(*) se demande en ce sens
« s'il n'est pas opportun de revenir sur des exceptions
consenties à regret sous l'emprise de nécessités
techniques qui n'apparaissent plus de mise dans l'environnement
numérique » et « si l'exception de copie
privée mérite d'être maintenue à partir du moment
où la technique permet d'exercer un contrôle efficace sur toutes
les copies réalisées ».
Bien que les
mesures techniques de protection peuvent se montrer très efficaces, il
faut peut être se garder de les imposer systématiquement au vu de
la contestation de la légalité de celles-ci par les
consommateurs, tant pour les questions relatives à l'intrusion dans la
vie privée (section 1), qu'au problème
d'interopérabilité que celles-ci soulève (section 2). La
technique de protection d'utilisation des oeuvres est envisagée comme le
remède à tous les maux, mais paradoxalement, la technique
prétend à la fois remettre en cause le droit d'auteur tel qu'il
existe et fournir les moyens d'en assurer le respect.
On ne se demandera
pas si la technique à une place à prendre en
propriété littéraire et artistique, la réponse est
positive, mais il s'agit de mesurer toutes les conséquences d'un tel
choix. Le recours à la technique est-il pertinent et les
inconvénients pour les consommateurs sont-ils proportionnels aux
bénéfices tirés par les auteurs et ayants droit ?
* 168 M. Buydens,
« Les exceptions au droit d'auteur dans l'environnement
numérique : évolutions dangereuses »,
Communication Commerce électronique, septembre 2001, p.15
* 169 G. Gomis,
« réflexions sur l'impact des mesures techniques de protection
des oeuvres », Juriscom.net, 16 décembre 2002 :
http://www.juriscom.net
* 170 Contrairement au P2P,
la musique diffusée en flux continu (streaming) peut
parfaitement s'assimiler aux stations de radio traditionnelles. Comme on le
faisait dans les années 80 en enregistrant sur cassette les
émissions de radio ou actuellement une émission de TV sur une
cassette VHS ou sur un DVD, désormais on enregistre le streaming
sur Internet dans des fichiers mp3. Beaucoup plus rapide que le P2P, rien
n'est partagé avec autrui, rien n'est diffusé, on reste
strictement dans la copie privée personnelle :
http://www.apiguide.net/recherche_musique/ABCD-streaming.htm
* 171 J. Rifkin,
« l'age de l'accès : la révolution de la nouvelle
économie », La Découverte collection cahiers libres,
2000.
* 172 G. Gomis, V. supra
* 173 M. Byudens et S.
Dussolier, précité.
* 174 Maître de
conférence à la Faculté de droit et des sciences
politiques de l'Université de Nantes, Revue Droit de
l'immatériel, avril 2005, n°15.
* 175 A. Lucas,
« Le droit d'auteur et les protections techniques »,
rapport général : « Le droit d'auteur en
cyberspace », p. 348 (
http://www.sesam.org/english/resources/bibliography.html).
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