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L'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmans


par Peggy Hermann
Faculté de Droit de Montpellier 1 - DEA de Droit International 1999
  

Disponible en mode multipage

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Titre : l'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmans

DEA de droit international Faculté de droit de Montpellier I

Directeur de mémoire : Mr Michel Levinet

Introduction

Les droits de l'Homme définissent et consacrent, en termes juridiques, la liberté de l'individu. Ils sont le fruit d'un long cheminement historique de plusieurs siècles. Mais l'historique diffère selon qu'il est présenté par un Européen ou par un non Européen. Sami A.Aldeeb Abu-Sahlieh explique que, dans le chapitre "Fondements historiques et développement des droits de l'Homme", écrit par Imre Szabo, nous lisons que " Pour certains auteurs, l'origine des droits de l'Homme remonte à l'Antiquité grecque". Du côté musulman, il cite Muhammad Hamad Hader qui écrit : " les principes actuels des droits de l'Homme mentionnés dans l'Islam proviennent forcément de l'Islam. En fait, personne ne peut nier l'influence exercée par l'Islam sur l'Occident par la voie de l'Andalousie et les Croisés. Par contre, les principes qui ne figurent pas dans l'Islam ne sont que des slogans vains et futiles ne présentant aucun intérêt pour la dignité de l'homme"1(*). Un premier malentendu apparaît quant aux origines historiques des droits de l'Homme. Sans doute que chaque époque et chaque civilisation doivent quelque chose à celles qui les précèdent, sans doute que les plus grands courants religieux et idéologiques ont contribué au développement du respect de ces droits.

L'homme a toujours cherché à réglementer ses rapports avec l'autre et les fondements de ces règles sont toujours sujets à discussion. Certains croient que se sont des règles établies par l'homme, d'autres prétendent que se sont des règles établies par la volonté divine. "Il est vrai que les droits de l'Homme ont pour fondement des valeurs essentielles, intrinsèquement inhérents à tous les hommes et à toutes les cultures, il n'en demeure pas moins qu'elles se déclinent différemment et relèvent de civilisations qui ont des conceptions forts différentes"2(*). Un deuxième malentendu apparaît quant aux fondements des droits de l'Homme.

Les droits de l'Homme, qui ont prétendu dès le départ à une portée universelle, sans frontières, mobilisatrice, ont vu apparaître des définitions régionales, qui en principe devaient s'inscrire dans le cadre universel et être compatibles avec lui. Nombreux sont les problèmes posés aux Etats musulmans par les droits de l'Homme conçus par les Nations-Unies. Sami Abu Sahlieh rappelle que " les droits de l'Homme, dans la déclaration universelle des droits de l'Homme n'ont pas leur raison d'être dans un commandement divin, mais dans ma volonté de l'Assemblée générale des Nations-Unies basée sur des considérations d'intérêt général. Il s'agit de créer des conditions de vie sociale à l'échelle internationale, le respect des droits de l'Homme ayant été jugé comme nécessaire pour que l'homme ne soit contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression."3(*). L'universalité des droits de l'Homme est encore fragile et elle ne tend pas à la diffusion d'un modèle unique mais à l'émergence en divers points, d'une même volonté de reconnaître ces droits. C'est un enrichissement par le partage des cultures, c'est ne pas une unification mais une harmonisation des systèmes de droit dans la mesure où les différences sont admises4(*).

Vu ce qui précède, on ne peut reprocher aux Etats musulmans de vouloir représenter la réalité d'une conception des droits de l'Homme, en proclamant que ces droits se fondent sur la volonté divine. Ce n'est pas un débat essentiellement juridique car il y a beaucoup de considérations sociaux-culturelles. Néanmoins il peut y avoir des risques d'éclatement car il n'existe pas de mémoire collective des droits de l'Homme. A travers les particularismes, il peut y avoir fragmentation des droits de l'Homme; elle marque la réticence à l'acceptation de l'universalité des droits de l'Homme. Mais il ne faut pas négliger ce caractère évolutif du processus5(*). Les droits de l'Homme se sont toujours définis par le manque car il existe un compromis entre l'existence des plusieurs conceptions. Plutôt que d'essayer de défendre et de prouver l'universalité des droits de l'Homme comme postulat, il faut analyser les obstacles et les défis qui ont jalonné cette marche afin de pouvoir mieux les surmonter.

Force est de constater que dans une bonne partie de la doctrine occidentale, l'Islam est considéré comme une menace pour les droits de l'Homme. Témoignent-ils d'une telle hostilité à cause de vieux complexes, tels ceux de la décolonisation ou d'une phobie que suscite le renouveau de l'Islam ?

Ce travail peut parfois sembler critique à l'égard des Etats musulmans ; ce ne sont pas des critiques de l'Islam en tant que religion, mais elles sont orientées contre les régimes oppressants et corrompus contre lesquels, l'Islam lui-même s'insurge. Le cadrage de la connaissance que l'on peut avoir de la religion islamique peut paraître relativement aisé, pour peu que l'on prenne la peine d'un minimum de rigueur analytique et d'objectivité propres à éloigner les idées reçues, ou carrément fausses. Même si quelques considérations méthodologiques, somme toute assez simples, suffisent "l'Islam est une religion, une spiritualité et un culte"6(*), le terme, Islam, recouvre également "une identité sociale et communautaire vécue au sein d'une multitude de sociétés et de groupes culturels"7(*). Ce sont des facteurs qui alimentent les confusions ; l'imaginaire collectif des Occidentaux est imprégné de préjugés et d'images stéréotypées sur l'Islam, dont il est difficile de se défèrent car leur développement est souvent bien trop sommaire. Mais l'intérêt de ce travail n'est pas de porter un jugement sur l'Islam en tant que religion, mais d'analyser ses répercussions sur l'organisation politique et législative des Etats musulmans en matière de droits de l'Homme.

Ce travail ne peut prétendre d'éclairer totalement le lecteur sur le rapport entre la religion et le droit dans les Etats musulmans. Une différence doit être établie entre les références à l'Islam et l'application du droit musulman. Ce travail s'est heurté aux difficultés d'accès aux sources écrites dans d'autres langues que le français et l'anglais. Mais cela n'a pas empêcher la référence à quelques auteurs musulmans.

De plus l'ampleur et la complexité du sujet, l'étendue du champ historique couvert, et le nombre d'écrits nouveaux touchant à la problématique en question ont obligé à des choix qui peuvent parfois paraître arbitraires: on pourra légitimement reprocher la négligence de telle ou telle référence, de tel ou tel auteur, de telle ou telle expérience socio-politique et historique qui auraient été plus intéressants que ceux qui ont été retenus dans ce développement. Il faut donc prendre conscience que ce travail est loin de pouvoir rendre compte de la complexité du débat sur l'existence d'une conception des droits de l'Homme propre aux Etats musulmans. Malgré ces limites, cette recherche a pour objectif la compréhension de la logique générale qui a commandé les différents discours des auteurs occidentaux et musulmans sur le sujet en question.

Ce travail se veut plus une approche conceptuelle et problématique, qu'une étude historique des droits de l'Homme dans les Etats musulmans. Une telle approche risque de confronter deux séries de normes, celles des Etats musulmans d'un côté et celle des Nations-Unies de l'autre. "La pensée juridique s'accommode mal de la pluralité des normes imprécises."8(*). Il a fallu adopter une position intermédiaire entre l'opposition et la compatibilité de ces deux séries de normes, qui tente d'éviter un discours destructeur d'une impossible conception des droits de l'Homme propre aux Etats musulmans. Néanmoins, on constate que les Etats musulmans garantissent certains droits et libertés, en contredisent d'autres et en ignorent certains.

De grandes avancées ont été visibles ces trente dernières années dans le domaine des droits de l'Homme. Les Etats savent qu'ils ne peuvent bafouer indéfiniment et impunément les droits de l'Homme, car ils sont devenus l'affaire de tous et de chacun. C'est sur la notion d'universalité que se sont reposés et élaborés l'ensemble des textes, procédures et mécanismes qui, aujourd'hui fondent la protection internationale des droits de l'Homme.

Mais ce système de protection est fragile ; il est bien trop discuter pour être réellement effectif. On ne peut reprocher aux seuls Etats musulmans de débattre sur une conception des droits de l'Homme qui leur est propre. "L'Occident est le premier à fausser compagnie à cette conception universaliste"9(*), par la création d'instruments régionaux comme l'Europe occidentale avec la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée en 1950, ainsi que la Charte sociale européenne signée en 1961. L'Amérique agit de même avec sa Convention interaméricaine des droits de l'Homme signée en 1969.

Les Etats musulmans ont " le sentiment que l'Occident leur impose une déclaration universelle programmée par ses juristes."10(*). Ce qui se passe, c'est l'expression systématique d'une stratégie défensive, qui refuse ce qu'on lui impose. Aussi longtemps que les Etats musulmans n'accepteront pas la conception universelle des droits de l'Homme, il est nécessaire de faire exister une conception des droits de l'Homme qui leur est propre. L'essentiel est d'établir des règles communes, légitimes et de parvenir au respect effectif des droits de l'Homme ; ceci ne peut-être que le fruit d'un changement social, culturel et politique en profondeur. En identifiant les valeurs qui leur sont propres, les Etats musulmans doivent adopter une toute autre conception des droits de l'Homme. Ils prennent comme objectif la revendication de leur particularisme en matière de droits de l'Homme (Titre I). Il s'agit ici de justifier ce particularisme et de s'interroger sur la conception des droits de l'Homme qu'expriment les Etats musulmans.

Mais il subsiste un malaise. En adhérant à la conception universelle des droits de l'Homme, les Etats musulmans sont liés par ces normes. Ils sont bien trop impliquer de tout côté pour pouvoir y renoncer. Néanmoins, les Etats musulmans dynamiques, s'adaptent à des environnements très différents et à des circonstances historiques changeantes. Ils se sont révélés compatibles avec les principaux types d'Etat et les formes diverses d'organisation sociale que l'histoire a produit. Une nouvelle fois, comme souvent au cours de l'histoire, les Etats musulmans sont appelés à s'adapter à une situation inédite en limitant la portée de la conception universelle des droits de l'Homme ( Titre II). Les résultats (du respect des droits de l'Homme) devraient être meilleurs puisque les Etats musulmans prennent comme objectif leur problème majeur: la lutte contre la laïcité, invention religieuse, qui se trouve au coeur de l'histoire politique et culturelle des Etats musulmans. C'est pour la contrer que les Etats musulmans débattent de l'existence d'une conception des droits de l'Homme qui leur est propre.

Sommaire:

Titre I :

La revendication d'un particularisme en matière des droits de l'Homme par les Etats musulmans

Chapitre I / La justification du particularisme

Section I - Le fondement

Section II - Le contenu

Section III - La place de la Loi islamique dans la législation des Etats musulmans

Chapitre II / L'expression du particularisme

Section I - L'altération inévitable de la conception universelle des droits de l'Homme

Section II - Les contradictions dans les documents

Titre II :

La limitation de la portée universelle des droits de l'Homme par les Etats musulmans

Chapitre I / Une hostilité de principe

Section I - L'élaboration du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme

Section II - La relativisation du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme

Chapitre II / Une acceptation problématique

Section I - L'acceptation progressive de la conception universelle des droits de l'Homme

Section II - Les incidences de cette acceptation

TITRE I : La revendication d'un particularisme en matière de droits de l'Homme par les Etats musulmans

Les Etats musulmans ne se tournent vers le passé que pour y chercher un modèle et non un mode de vie quotidienne à imiter tous les jours. Ils veulent conserver les normes qui ont vocation à rythmer la vie des individus et à régir le fonctionnement de la société.

Quand, en Occident, les normes relatives aux droits de l'Homme sont dérivées de la Magna Carta britannique, de la Révolution française ou des principes de la Déclaration américaine d'indépendance, dans les Etats musulmans, elles s'appuient sur le Coran et sur les faits et gestes du Prophète ; ce sont là les sources, le langage et le vocabulaire normaux de la pensée musulmane.

C'est en s'appuyant sur ces sources que les Etats musulmans font voire que leur particularisme est bien-fondé, légitime, qu'ils justifient leur particularisme en matière de droits de l'Homme et manifestent leur désir de protéger ces valeurs suprêmes. ( Chapitre I)

Mais comment traduire ce modèle, ces règles de conduite dans la vie contemporaine propre à la société musulmane ? Les Etats musulmans sont déterminés à interpréter les textes et la Loi d'une façon compatible avec la société contemporaine. ( Chapitre II)

Chapitre I : la justification du particularisme

L'Islam est un ensemble universel de devoirs religieux, la totalité des commandements de Dieu, qui règlent la vie de chaque musulman dans tous les domaines. Les Etats musulmans veulent conserver les normes qui ont vocation à rythmer la vie des individus et à régir le fonctionnement de la société. Ces normes précisent ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Elles délimitent ainsi le droit des individus et leur espace de liberté. D'après cette logique les " droits de Dieu" priment sur les droits de l'Homme.

Afin de justifier ce particularisme, il faut délimiter son champ et garantir sa validité en étudiant les éléments essentiels qui lui servent de base ( Section I), et les idées qui sont exprimées dans ces normes. ( Section II)

Section I : Le fondement

Tenter de séparer la religion et le droit dans les Etats musulmans, et de laisser de côté les textes religieux est impossible. L'Islam reconnaît un droit musulman et le contenu juridique proprement dit fait partie intégrante d'un système de règles religieuses et morales.

Le fondement même du particularisme, dans les Etats musulmans, se trouve dans la compréhension de la religion islamique et dans la relation qui existe entre la religion, le droit et l'Etat.

§ 1 : La compréhension de la religion islamique

La Loi islamique est le coeur et le noyau de l'Islam. Il est impossible de comprendre l'Islam si l'on ne comprend pas la Loi islamique, comme il est impossible de comprendre la Loi islamique sans identifier pas les textes fondateurs de l'Islam.

A- L'identification des textes fondateurs de l'Islam

1- L'universalité de l'Islam

En langue arabe, le mot Islam signifie Paix, Soumission et Obéissance. La religion islamique consiste à accepter sans réserve les enseignements et la règle de Dieu, tels qu'ils furent révélés è Mahomet, son Prophète.

L'Islam n'est pas une nouvelle religion. C'est le même message et la même règle que Dieu a révélé à chacun de ses prophètes. Le message que Dieu a révélé à Mahomet constitue l'Islam, sous sa forme la plus complète et définitive.

Ses possibilités d'adaptation à tous les peuples explique l'universalité de son message. L'Islam aux yeux de tous apparaît comme la «communauté » (l'Umma) des croyants auxquels Dieu dit :

«  Vous formez la meilleure Communauté suscitée par les hommes :

Vous ordonnez ce qui est concevable,

Vous interdisez ce qui est blâmable,

Vous croyez en Dieu. »

( Sourate III ; verset 110)

«  Nous avons fait de vous une Communauté éloignée des extrêmes »11(*)

( Sourate II ; verset 143)

Le croyant doit tout sacrifier pour sa Communauté et mourir pour elle, s'il le faut, dans la lutte pour la défense et l'expansion de l'Islam dans le monde. La Loi divine est souveraine en toutes circonstances. Elle s'applique aux grands de ce monde comme aux plus humbles, à celui qui commande comme à celui qui obéit. La Loi divine est énoncée par le Coran et illustrée par la vie du Prophète.

2- Le retour aux textes fondateurs

Les sources égales originelles, le Coran et la Sunna constituent la Loi islamique ou Shari'à.

- Le Coran

Le Coran est l'ultime révélation de Dieu, car Mahomet, est considérée comme le dernier des prophètes, le dernier messager de Dieu. Il est la source fondamentale de l'enseignement et des Lois islamiques. Le Coran traite des croyances, de la moralité, de l'histoire de l'humanité, de culte, de la connaissance, de la sagesse, de la relation entre Dieu et l'homme ainsi que des rapports humains sous tous leurs aspects. Une part importante est consacrée à des enseignements de la justice sociale, de l'économie, de la politique, de la législation, de la jurisprudence, du droit et des relations internationales.

Dans son ensemble, le Coran a été jugé par Dieu lui-même comme une oeuvre parfaite :

«  Aujourd'hui, j'ai rendu votre religion parfaite. J'ai parachevé ma grâce sur vous ; j'agrée l'Islam comme étant votre religion » (Sourate V ; Verset 3)12(*).

Tel est le Coran, vision du monde selon la conception de Mahomet, créatrice d'une unité que ni les différences d'interprétation ni les diversités ethniques ne sauraient rompre.

Code de vie sociale et religieuse, il a tout prévu, tout réglementé, implicitement ou explicitement. Ces principes énoncés d'intangible manière, sont immuables et toute réforme qui leur sera apportée constituerait une nouveauté blâmable, c'est-à-dire une hérésie.

A vrai dire, il est le fondement du droit musulman. Six cents versets relèvent du droit proprement dit qui règlent les rapports de l'individu avec la société.

- La Sunnah

C'est la description de la manière d'agir, le comportement de l'Envoyé de Dieu indiqué par la parole, l'action, le silence. Témoins de la vie du Prophète, les Compagnons étaient les plus qualifiés pour rapporter ses paroles et ses gestes. Ils sont censés avoir consciencieusement observé sa conduite. Les Suivants s'appliquèrent à recueillir, consigner avec soin et communiquer tout ce qu'ils estimaient comme authentique. Une masse énorme de notations, ainsi réunies, va préciser, expliquer et compléter le Coran.

Les textes sacrés de l'Islam réglementent la vie de chaque musulman sous tous ces aspects ; il faut cependant comprendre que le droit reste l'élément le plus important dans la compréhension de la religion islamique.

B- L'intérêt de la Loi islamique

Deux importants changements sont intervenus dans l'histoire de la Loi islamique.

L'un fut l'introduction d'une théorie juridique qui ne se contentait pas d'ignorer, mais niait l'existence de la Loi de tous les éléments qui n'étaient pas islamiques au sens strict, et qui limitait les sources matérielles au Coran et à l'exemple du Prophète, la Sunnah.

L'autre qui a débuté en cette fin de siècle, est la législation moderniste promulguée par des gouvernements islamiques contemporains, qui restreignent le domaine d'application de la Loi islamique, mais intervient dans la forme traditionnelle de la Loi elle-même.

1-D'un point de vue historique

La Loi islamique naquit et se développa dans un contexte politique et administratif confus de l'époque pré-islamique. Elle apparaît en 610, en même temps que la première révélation du Prophète. A la mort du Prophète en 632, la période qui suit est agitée. Avant de mourir, Mohamed n'avait pas relever le problème de sa succession. La Loi islamique n'avait pas réglementé le fondement du pouvoir après sa disparition. C'est la période des califes de Médine ou « califes justes » de 632 à 661 qui étaient les Compagnons du Prophète.

Ce n'est que sous le règne des Omeyades, la première dynastie de l'Islam (661-750), que les cadres d'une nouvelle société musulmane furent crées, et au sein de cette société, un nouveau mode d'administration de la justice, une jurisprudence islamique, et la Loi islamique elle-même, virent le jour. Les Omeyades furent renversées par les Abassides, et ceux-ci tentèrent de faire de la Loi islamique, qui était encore en formation, la seule Loi de l'Etat.

Ils n'arriveront pas tout à fait à faire coïncider la théorie et l'application pratique. La Loi maintînt sa stabilité et fournit le principal lieu unitaire dans le monde musulman divisé.

La période moderne, comme l'entendent les Occidentaux, vit le développement de deux grands Etats musulmans sur les ruines de l'ordre antérieur : l'Empire Ottoman de Moyen-Orient et l'Empire Mongol en Inde. Dans les deux, à l'époque de leur apogée (respectivement aux XVI e et au XVII e Siècles), la Loi islamique atteint son plus haut degré d'efficacité réelle. Lors de la domination politique occidentale, la symbiose de la Loi islamique et du droit occidental dans l'Inde britannique et en Algérie produisit deux systèmes légaux autonomes.

Finalement, l'influence des idées politiques occidentales dans les Etats musulmans au XXème siècle a provoqué, en notre siècle, une modernisation de la législation sans précédent.

2- D'un point de vue théorique

La Loi fut établie par une interprétation rationnelle et méthodique, et les normes religieuses et morales qui furent introduites dans le contenu juridique fournirent le cadre de sa cohésion interne. Elle ne se prête pas facilement aux traitements techniques ; les juristes modernes dans la majorité des Etats musulmans contemporains, tentent un amalgame des normes islamiques et des normes laïques occidentales.

Le but du Prophète n'était pas de créer un nouveau système juridique, mais d'enseigner aux hommes comment agir, que faire, et ce qu'il fallait éviter pour se présenter au Jugement dernier, et entrer au Paradis. C'est pourquoi l'Islam en général, et la Loi islamique en particulier, sont un système de devoirs comprenant des obligations rituelles, morales et légales mises sur le même plan, et toutes soumises à l'impératif religieux. C'était l'idée primitive de Mahomet et on en trouve les traces dans le Coran.

Ce n'est que plus tard, lors des premières décennies des Abbassides que le droit s'est imprégné des normes religieuses et morales propres à l'Islam. Les domaines de la religion, de droit et du politique peuvent difficilement être détachés les uns des autres dans les Etats musulmans.

§ 2 : Les relations entre la religion, le droit et l'Etat

Tous les Etats musulmans, y compris ceux qui se réclament de la Shari'à, découvrent que l'utilisation politique de la religion va trop Loin et cherchent des voies et des moyens pour circonscrire les domaines respectifs du politique et du religieux. Ainsi tous les Etats musulmans sont appelés à s'expliquer sur les relations entre la religion, le droit et l'Etat.

A- La clarification de la notion d'Etat musulman

L'Etat musulman est une des questions fondamentales dans le monde musulman. Il faut revenir sur quelques notions traditionnelles de l'avènement de l'Islam.

Selon les sources islamiques, Dieu unique a créé les hommes dans une unique communauté (Umma). Le khilâfa de l'homme sur terre signifie en langue arabe l'établissement d'un calife à la place de la personne authentique («vicaire du messager »). C'est-à-dire que Dieu a fait des hommes (al-nâs) ses califes sur terre. Le califat de l'homme sur terre prend alors dans la doctrine musulmane deux aspects : califat général, c'est-à-dire que tout homme est un calife sur terre. Et le califat privé, c'est-à-dire le califat du pouvoir. On constate que les juristes musulmans dans leur définition du terme "Umma" utilisent la notion de califat. Cette communauté peut avoir deux sens l'Umma humaine et l'Umma islamique.

L'Umma, dans sa dimension métaphysique universelle ( l'Umma humaine) signifie l'unité. Cette idée de l'unicité de la Communauté humaine trouve son explication dans la notion de califat de l'Homme sur terre. Tous les prophètes d'Abraham à Mahomet sont les prophètes d'une communauté unique. C'est-à-dire que tous ceux qui reconnaissent la Vérité métaphysique (l'Unicité de Dieu) sont des musulmans. L'Umma inclut tous les hommes sur terre. La communauté est ainsi le lieu de la foi, de l'Islam. Cette communauté est fondée sur la foi en un Dieu unique, Allah13(*).

Il s'agit bien d'une fraternité dans laquelle toutes les personnes sont égales, puisqu'elles sont égales devant Dieu et la Loi divine. D'après ce sens concret de l'Umma est une communauté déterminée par la terre, l'Arabie ou les terres conquises hors de l'Arabie. En somme, se sont les terres de l'Islam ou comme les appellent les juristes musulmans « Dar-al-islam », opposé au monde de la guerre qui refuse l'Islam, « Dar-el-harb ».

Ainsi la communauté musulmane est celle qui réside sur la terre soumise à l'Islam, l'Etat musulman. Mais l'existence de l'Umma concrète ôtait la cause de la nécessité de l'Etat (l'organisation politique). Cet Etat exige le pouvoir : le califat ou le gouvernement musulman.

En 1924, on a officiellement mis fin au régime du Califat qui symbolisait l'unité de l'Umma.

Depuis la fin du régime du Califat, c'est la multitude qui prévaut, de manière officielle et quotidienne. Faute de pouvoir s'unir autour de ce qui est constant- le message du prophète- les Etats tentent de coordonner, épisodiquement, leurs efforts autour de variables politiques dans le cadre d'une organisation internationale : l'Organisation da la Conférence Islamique ( O.C.I) .

Comment définir l'Etat musulman :

- Est-ce l'Etat qui affirme à travers sa dénonciation officielle son caractère musulman ? La République d'Iran, la République Islamique de Mauritanie, la république des Comores...

- Est-ce l'Etat qui se qualifie Constitutionnellement comme tel ? Le Maroc, l'Arabie Saoudite.

- Est-ce l'état dont la population ou la majorité de la population se réclame de l'Islam ? Le Pakistan, l'Inde...

Le premier constat est de montrer que les Etats musulmans seraient membres d'une Organisation Internationale se réclamant de l'Islam, l'Organisation de la Conférence Islamique ( O.C.I), qui est fondée sur les buts suivants :

- La consolidation de la solidarité islamique

- Le soutien de la lutte de tous les peuples islamiques en vue de sauvegarder leur dignité, leur indépendance et leurs droits nationaux.

Les membres de l'O.C.I sont les Etats fondateurs, dont les chefs du gouvernement ou chefs spirituels ont participé au somment de Rabat en 1969 à la suite de l'incendie de la mosquée « Al-aqsa » à Jérusalem. Les Etats dont la population musulmane est supérieure à 20 % de la population, avaient été invités. Par la suite, lors des réunions des ministres des affaires étrangères tenues à Djerba et à Karachi en 1970, une trentaine d'Etats ont signé le projet de Déclaration : par ordre alphabétique- l'Afghanistan, l'Algérie, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn, l'Egypte, la Guinée, l'Indonésie, l'Iran, la Jordanie, le Koweït, le Liban, la Libye, la Malaisie, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, l'Oman , le Pakistan, le Qatar, la Somalie, le Soudan, la Syrie, le Tchad, la Tunisie, la Turquie, et le Yémen.

Les Etats non-fondateurs ont été admis en application de la procédure d'adhésion : l'Irak, le Bangladesh, le Cameroun, la République des Comores, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Burkina Faso, les Maldives, l'Ouganda... En juillet 1994, l'O.C.I comptait 21 Etats membres dont certains se réclamaient du marxisme comme l'Albanie et l'Ouzbékistan.

Il existe trois critères d'adhésion pour être membre de l'Organisation de la Conférence Islamique :

Le critère quantitatif : les Etats dont la population musulmane est supérieure ou égale à 50% de la population totale du pays. Mais certains Etats n'ont pas été considérés comme musulmans, bien qu'ils remplissent la condition de 50%. Ce fut le cas du Nigeria et de l'Ethiopie.

Le critère Constitutionnel : est Etat musulman tout Etat qualifié comme tel par sa Constitution. Est Etat musulman tout Etat dont l'Islam est, Constitutionnellement, la religion d'Etat ou religion de l'Etat. Ce critère n'a pas été toujours appliqué. Des Etats dont les Constitutions ne font pas référence à l'Islam ou qui se proclament franchement laïcs ou qui établissent la séparation entre la religion et l'Etat sont membres de l'O.C.I. L'illustration en est donnée par la Turquie, le Sénégal, le Niger et le Burkina Faso.

Le critère personnel : il a été retenu par l'O.C.I pour répondre à quelques sollicitations particulières venant d'Etats qui ne remplissaient ni la condition quantitative, ni le critère Constitutionnel, mais dont les chefs sont ou sont devenus musulmans. Il en est ainsi de l'Ouganda, du Gabon, du Cameroun.

Ce premier constat sur la question de l'Etat musulman montre qu'il n'y a ni conception, ni pratique cohérente susceptible de proposer une définition précise de l'Etat musulman14(*).

En définitive, la réalité la moins discutable est fournie par l'idée qui affirme que les Etats musulmans sont les Etats membres de l'O.C.I et que les Etats membres de l'O.C.I sont les Etats musulmans.

L'on peut être tenté de dire que la notion d'Etat musulman semble s'appliquer, principalement, aux Etats qui, au-delà de la croyance, font de l'Islam une idéologie. Il y a indiscutablement un usage politique de l'Islam dans des pays comme l'Arabie Saoudite, l'Iran, le Pakistan, l'Afghanistan ou le Soudan.

La réalité qu'offre l'O.C.I est la seule possible parce qu'elle traduit, précisément la diversité. Le monde musulman est un monde de la diversité et non de l'uniformité. Il n'y a pas en d'autres termes, d'essence de l'Etat musulman ; il y a, tout simplement, existence d'Etats musulmans. La question reste de savoir comment discuter de la nature du pouvoir lorsque le facteur religieux fait irruption et influe sur les conceptions et les perceptions du pouvoir et du droit ?

B- Le débat sur le fondement du pouvoir et du droit

L'Etat musulman se présente comme un tout, où se confondent la religion, la société et l'Etat ; dès lors que l'Etat musulman est proclamé islamique, il dispose de pouvoirs absolus pour l'application de la Loi islamique contre laquelle aucune autre norme ne peut être invoquée, notamment celles qui se fondent sur les droits de l'Homme.

On a cherché à justifier des phénomènes historiques comme l'exaltation de la soumission au chef puisqu'il est censé être le meilleur guide de la communauté en tant qu'homme le plus pieux, le mieux inspiré, à l'image des quatre premiers Califes (les Califes justes, Abubakr, Omar, Othman et Ali) qui constituent le modèle de référence.

En somme la seule piété suffirait pour garantir le bon exercice du pouvoir puisque la conformité aux préceptes religieux introduit des limites et permet de trouver une solution satisfaisante à tout problème de relation entre le croyant et le détenteur de l'autorité.

Logiquement aucune revendication, contestation ou révolte n'est légitime dans un Etat musulman, puisque celui-ci est supposé répondre à tous les besoins individuels et collectifs des membres de la communauté des croyants ; toute opposition ne peut être qu'un danger que l'Etat doit réprimer avec la plus grande vigueur.

C'est pourtant l'inverse que l'on constate en Iran, où les étudiants manifestent et se révoltent avec pour leitmotiv, non pas comme en 1979 «Indépendance, Liberté et République islamique », mais « République iranienne ». Le mouvement qui a été entamé de façon spontanée le 8 juillet 1999, ne semblait pas structuré. Les revendications des étudiants ressemblent au programme du président modéré Khatami, qui reste leur héros : pas de censure pour la presse, libertés individuelles, civiles et politiques, détente culturelle. De tels événements vont en totale contradiction avec la logique imposée dans les Etats musulmans.

Il est inquiétant de constater qu'en cette fin de siècle- qui connaît un regain et une expansion de l'idée démocratique, de la valeur des droits de l'Homme et de la notion d'Etat de droit- que des hommes sont soumis aux menaces, humiliations et mises à mort pour simplement avoir voulu engager un vrai débat sur le fondement du pouvoir en Islam.

Beaucoup de penseurs musulmans, qui ont discuter de la nature du pouvoir islamique pour suggérer de nouvelles pistes de réflexion, ont encouru des risques en cherchant à concilier l'Islam et la démocratie.

Deux penseurs méritent un réexamen de leurs conceptions ; ils se sont heurtés à l'opprobre de l'establishment religieux dans le monde musulman, parce qu'ils ont eu le courage de mettre en doute les interdits pour montrer que l'on ne peut pas faire l'économie d'un débat sur le pouvoir et le droit en Islam.

Le premier penseur est l'Egyptien Ali Abderraziq qui a écrit un ouvrage en 1925 sur "l'Islam et les fondements du pouvoir"15(*) à un moment névralgique puisque la Turquie kémaliste venait d'abolir le califat en 1922 et d'instaurer la République. Jusqu'à cet ouvrage, il y avait une vulgate islamique, recueillant le consensus des ulémas sur la nature et l'organisation du pouvoir. L'accord s'était fait sur une sorte de Constitution implicite découlant du Coran ou de la Sunnah, définissant les conditions d'exercice du pouvoir dans un Etat islamique, établissant un lien direct et étroit entre les règles religieuses et les règles de gouvernement, sacralisant ainsi ces dernières et obligeant tout croyant à se rallier aux détenteurs du pouvoir. C'est toute la théorie de l'institution califale dont la justification s'appuie, à défaut de bases claires dans le Coran lui-même, sur la pratique des quatre premiers Califes. Or c'est cette théorie que va ébranler Ali Abderrazik par une réfutation argumentée qui parvient à la conclusion suivante : «  Rien n'empêche les musulmans d'édifier leur Etat ou leur système de gouvernement sur la base des dernières créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a été prouvée, ceux que l'expérience des nations à désignés comme étant parmi les meilleures »16(*). Il a posé l'idée que le califat ne peut se fonder que sur l'argument de l'autorité.

Le deuxième penseur est Mahmud Muhamad Taha d'origine soudanaise dont la réflexion et l'apport ont consisté en une relecture du Coran dont il oppose deux moments et deux messages pour aboutir à des conclusions forts surprenantes17(*). Il estime, en effet, que les quelques règles de droit coranique, avec leurs aspects discriminatoires, coercitif ou violent, datent de la période médinoise du prophète (l'Hégire, exile du prophète rejeté de La Mecque) et correspondent à l'état manifestement déficient la société islamique de cette époque. Or, il convient de revenir au message de la période mecquoise qui serait celle du vrai message divin pour redécouvrir toute la signification spirituelle de l'Islam authentique occulté par un Islam historique que les musulmans ont été contraints de vivre depuis le VIIème siècle. Cet Islam authentique humaniste, qui repose sur la réconciliation de l'individu avec lui-même, avec la société et avec l'Etat, est en mesure de féconder non seulement la civilisation musulmane mais aussi la civilisation occidentale. Pour avoir soutenu ces thèses Taha s'est retrouvé au banc de l'Infamie : poursuivi une première fois en 1968 sous l'accusation d'apostasie, d'athéisme et de subversion, il fût condamné à la peine de mort en 1985 et exécuté.

Ces deux exemples montrent que toute réflexion sur le fondement du pouvoir en Islam qui refuse de s'insérer dans une logique dogmatique et qui recherche de nouvelles voies pour explorer les relations entre la religion, le droit et l'Etat, a peu de chance de prospérer dans le monde musulman actuel.

L'Islam reconnaît un droit musulman et le contenu juridique fait partie intégrante d'un système de règles religieuses et morales.

Section II : Le Contenu

Après avoir indiqué le fondement du particularisme propre aux Etats musulmans, il reste à classer les éléments qui constituent la signification objective de ce particularisme. Notre analyse porte sur les questions essentielles qui sont exprimées dans le contenu du particularisme : la question du statut de l'homme dans la pensée islamique ( § 1) ainsi que la question de la notion de liberté ( § 2).

§ 1 : La question du statut de l'homme

Comment l'homme se situe par rapport à la société, dans Etats musulmans ? En vue de discerner les diverses parties du statut de l'homme, il faut décomposer l'ensemble de la question.

A- La nature de l'homme

La pensée islamique sur la nature de l'homme s'affronte à la philosophie des droits de l'Homme. La théorie des droits de l'Homme développée par Locke, Rousseau et surtout par Saint Thomas d'Aquin, suppose une nature humaine c'est à dire une connaissance de soi, de l'essence même de l'homme. Cette nature est la reconnaissance de l'existence d'une nature des choses et donc de l'homme, et de l'aptitude de la raison humaine à la découvrir.

En Islam, selon un strict volontarisme divin, l'homme ne peut découvrir la nature des choses : elle n'existe pas. Un droit de la nature humaine est une absurdité car les actes humains ne sont beaux et laids que parce que Dieu les a voulus tels. Slim Laghmani dit clairement qu' «une théorie des droits de l'Homme est impossible. L'homme a strictement parlé, n'est pas un sujet de droit. » 18(*). Dans l'islam traditionaliste, l'homme n'est pas le référant des normes qui s'appliquent à lui, il n'en est que l'objet.

« Dans cet Islam traditionaliste, aucune théorie des droits de l'Homme ne peut dériver, pour la simple raison que l'homme en est absent » 19(*)

B- La personne : sujet de la Loi islamique

La Loi islamique parvient par le moyen des droits et des obligations a rendre l'homme sujet. Toute personne est douée de la qualité qui lui permet de faire ce à quoi elle a droit ou est obligée. C'est la capacité qui est inséparable de la nature humaine. Dans le droit musulman, la capacité juridique, capacité d'obligation, est envisagée sous le double aspect, actif et passif, du droit aussi bien que de l'obligation.

Dans l'exposé relatif au consentement selon la théorie musulmane, on retrouve le problème de la prédestination ou du libre arbitre. Selon l'orthodoxie musulmane, l'action humaine dépend, à la fois de l'homme et de Dieu. Elle dépend de l'homme, car celui-ci est libre de choisir entre l'action et l'abstention. Mais si l'acte voulu par l'homme se réalise ce n'est pas un effet de la volonté humaine, mais de l'intervention divine.

La volonté doit non seulement être envisagée dans ses rapports avec l'acte en soi et son objet, mais encore avec les effets légaux de l'acte qui sont donnés par la Loi islamique. Celui qui amène un homme à agir, grâce à ses paroles ou des actes contraires à la vérité, c'est à dire contraire à la volonté divine, est coupable de fraude. Si l'homme est source de droit, les libertés et les droits de l'Homme existent-ils dans la pensée des Etats musulmans ?

§ 2 : La question sur la notion de liberté

La notion de liberté est essentielle dans l'étude du contenu du particularisme. Elle permet de comprendre comment les Etats musulmans justifient le pouvoir de la Loi islamique sur les droits de l'Homme.

A- Le contenu de la liberté

1- La revendication traditionaliste de la liberté

La liberté est un concept qui occupe une place de choix parmi les valeurs qui structurent le monde musulman. L'idée de liberté est tellement importante que les musulmans l'associent aux notions d'honneur, de dignité et à la valeur fondamentale d'un être humain.

De même pour les notions de justice, d'égalité, de solidarité et toutes les valeurs qui fondent les droits de l'Homme ; des textes les plus anciens aux discours les plus contemporains, la référence à ces valeurs est tellement présente qu'on a du mal à imaginer que les droits de l'Homme pouvait rencontrer le rejet, l'hostilité et les violations dont les gouvernements et les sociétés musulmanes sont accusés.

Cependant, il faut dépasser la simple référence à ces valeurs et rechercher la signification réelle de la liberté et de la Loi. En effet, comme les Anciens Grecs, les Romains, les Egyptiens ou les Judéo-chrétiens, les Musulmans se sont toujours référés à ces valeurs tout en pratiquant l'esclavage, le despotisme, les guerres de religions...

Parler du contenu de la liberté revient à parler de l'Islam comme mode de vie.

L'Islam indique des lignes de conduite précises qui s'appliquent à tous les hommes et qu'il s'agit de respecter dans toutes les situations de l'existence. La règle qu'il donne est d'une portée large : elle inclut les domaines sociaux, économiques, politiques, moraux et spirituels. Le Coran rappelle à l'homme le but de son existence terrestre ainsi que ses devoirs et obligations envers lui-même, ses parents, ses proches, sa Communauté, ses semblables et son Créateur. L'existence se présente alors à lui comme un défi qui lui permet de mettre en pratique ces idéaux élevés.

Les conceptions traditionalistes islamiques ne donnent pas de définition de la liberté, mais des règles de conduite que l'homme se doit de suivre car elles sont enseignées par Dieu et à travers lui. Lorsque nous parlons de droits ou de libertés en Islam, nous pensons que ces droits ont été octroyés par Dieu, et non par un roi ou une assemblée législative. Personne n'a le droit d'abroger ces droits et libertés.

Les Chartes, les proclamations et les résolutions (et autres textes...) des Nations Unies ne peuvent être comparées aux droits que Dieu sanctionnent : car alors que les premières s'appliquent à n'importe qui, les seconds s'appliquent à chaque musulman. Ces droits font partie intégrante de la foi islamique. Tous les musulmans ou les administrateurs qui se disent musulmans, devront les accepter, les reconnaître et les appliquer. S'ils négligent les droits que Dieu a attribué, s'ils apportent des modifications voir les violent tout en affirmant verbalement les respecter, le verdict du Coran est clair et sans équivoque :

«  Les incrédules sont ceux qui ne jugent pas les hommes d'après ce que Dieu a révélé » (Sourate 5 : Verset 44)20(*)

A titre d'exemple, la liberté d'expression. L'Islam reconnaît le droit à la liberté de pensée et d'expression pour tous les croyants, à condition qu'elle soit pour propager la vérité et la vertu, et non pour répandre la méchanceté et le mal. Il est interdit à quiconque d'utiliser un langage offensant ou injurieux sous prétexte de critique. Les Musulmans avaient l'habitude de demander au Prophète si une injonction divine lui avait été révélée sur tel ou tel sujet. Lorsqu'il répondait qu'il n'en avait reçu aucune, les Musulmans exprimaient alors librement leur opinion sur le sujet en question.

2- La critique de la conception moderne de la liberté

Les droits de l'Homme et les libertés sont inséparables de la modernité. En effet les libertés relèvent des sociabilités modernes où l'individualisme, comme repli sur le sphère privée et désertion de l'espace public, peut-être dépassé dans l'intersubjectivité qui ne procède pas de la soumission à des autorités fondées sur la servilité et l'ignorance, mais de l'adhésion d'individus libres, égaux et solidaires par nécessité ou par humanisme.

Dans la modernité, la société, comme l'individu ont pour principe de base : l'autodétermination et le refus de la soumission aveugle à n'importe quelle autorité. A l'inverse les conceptions « anté » et « anti » modernes se caractérisent par la contestation de ce principe de base au nom de nécessaires stabilité, pérennité et universalité des valeurs morales et juridiques ; c'est l'argument suprême, contre la modernité, de tous ceux qui comme les musulmans donnent la primauté à la religion et la tradition .

3- Les limites au principe de liberté

Durant la période pré-islamique, la société était fondée sur des relations inter-tribales. La liberté était l'acceptation constante de la hiérarchie de l'ordre tribal et de sa place dans cet ordre. Un homme libre est un homme heureux de servir ceux qui lui sont hiérarchiquement supérieurs en sachant éloigner de lui l'idée «pécheresse » de leur désobéir, de discuter leurs ordres ou de contester d'une quelconque manière leur autorité.

Avec l'avènement de l'Islam, le cadre de référence a changé, il n'est plus la tribu mais la «communauté des musulmans ». L'Islam va défendre une conception de la liberté définie comme étant celle d'un groupe, hiérarchisé selon la Loi qui s'impose à lui et à ses membres, contre tous ceux qui n'en font pas parti.

Il est légitime aux yeux de tous les musulmans qu'ils se doivent de porter leur message à toute la terre, y compris par la force. Les autres pays doivent s'ouvrir à leurs principes. Par contre le prosélytisme des non musulmans est interdit dans les pays musulmans, même quand ils sont citoyens de ces pays, comme c'est le cas pour les coptes en Egypte.

Les musulmans ont le droit de tenir des meetings, d'organiser des manifestations, de constituer des associations, de publier des journaux, de disposer de radios et tout réseau de diffusion comme Internet en France, en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Italie etc.... .

Dans la première acceptation de la liberté, qui est celle du droit des peuples à l'indépendance, les musulmans ne conçoivent la liberté que pour les musulmans à l'exclusion des autres qui ne peuvent y prétendre qu'en devenant membres de la communauté musulmane.

B- L'identité d'un lien entre la liberté et la Loi.

A travers l'analyse du contenu de la liberté, il est possible de conclure à l'existence d'un point commun essentiel aux deux : ce point concerne l'identité d'un lien établi entre la Loi et la liberté :

1- La conception traditionaliste

Pour les traditionalistes musulmans, la Loi est la première ; la liberté consiste à ne faire que ce qu'elle permet (ou mieux ce qu'elle n'interdit pas). Il n'y a de droits légitimes pour la personne que dans le cadre des droits de Dieu, dans - ou par rapport à- la communauté des croyants selon les critères de piété, de savoir, de sexe, de capacité, etc....

La liberté, et les droits qui en découlent, ne sont concevables qu'à l'intérieur de ce que permet la soumission à l'ordre qui s'impose au nom de Dieu. Si la priorité est accordée à la Loi, si la liberté n'est qu'une fonction qui s'étend et se rétrécit selon la volonté de la Loi et le pouvoir qui l'incarne et en a la charge, il n'y a rien qui puisse limiter le pouvoir de la Loi sur la liberté et les droits des personnes, rien qui puisse empêcher la Loi, c'est à dire l'Etat, d'étendre ses pouvoirs à tous les secteurs de la vie publique ou privée des personnes au nom de Dieu.

L'histoire montre que quel que soit le régime, même le plus de démocratique, si sa Loi n'est pas limitée, il ne peut que tendre à l'extension de ses pouvoirs. C'est cette structure fondamentale de subordination de la liberté à la Loi qui est à la base des régimes totalitaires, qu'ils se réclament ouvertement traditionalistes ou qu'ils se réclament de telle ou telle idéologie moderne.

C'est ainsi que cette subordination apparente les régimes "modernes, progressistes et laïques" comme ceux de la Syrie et de l'Irak à des régimes comme ceux de Khomeiny ou de la Dynastie saoudienne : la liberté et les droits de l'Homme sont niés et violés au nom de la «loi laïque » des premiers et de la « Loi religieuse » des seconds21(*).

2- La conception moderniste

A l'opposé de cette structure traditionaliste, la modernité se définit, précisément, par le rapport inverse entre la liberté et la Loi ; c'est la liberté qui est première. La Loi n'a «le droit » d'interdire que ce qui entrave la possibilité, pour tous et pour chacun, sans discrimination, de jouir de la liberté et des droits qui en découlent. La modernité n'accepte la limitation, de la liberté et des droits qui lui sont inhérents, qu'au titre de la limitation des abus par lesquels certains empiètent sur la liberté et les droits des autres. Les seuls qui peuvent être exclus de ces droits sont ceux qui ne les respectent pas pour les autres, et seulement dans les limites nécessaires et suffisantes pour empêcher cet empiétement. La fonction d'une Loi moderne n'est pas la vengeance mais seulement la protection contre les atteintes à l'intégrité, aux libertés et aux droits d'autrui.

La liberté et les droits de l'Homme sont, dans une conception authentiquement moderne du droit, le principe directeur et la raison de la Loi : celle-ci n'a pour fonction que de les garantir et de les protéger. Elle n'a pas pour fonction de les définir ou de les limiter au nom de Dieu ou d'une autre raison qui leur est supérieur comme dans les Etats musulmans.

Cette dimension essentielle des droits de l'Homme que la Loi doit respecter, sous peine d'être discriminatoire, est un principe laïque et provocateur pour les Etats musulmans.

Section III : La place de la Loi islamique dans la législation des Etats musulmans

Les relations entre l'Etat et la religion dans les Etats musulmans ont suscité des controverses. Il est difficile d'appréhender la problématique de la cohabitation et de l'intégration de deux ordres normatifs fondés sur des sources différentes ; en l'espèce celles du droit positif et du droit coranique.

Notre réflexion sur le sujet rejoint celle d'Olivier Roy22(*), qui avance l'idée d'un processus de ré-islamisation par le haut et par le bas. Par le haut, c'est-à-dire une réponse des régimes des Etats musulmans à la poussée des mouvements islamistes, par le bas par l'avancée de ces mouvements islamistes. En examinant les législations des différents Etats musulmans, on observe que ces processus de ré-islamisation par le haut se traduisent par une ré-introduction progressive des référents islamiques dans l'espace juridique musulman.

Cette réflexion nous permet de dégager trois situations bien distinctes : celle de la législation subordonnée à la Loi islamique (§ 1), celle de la législation affranchie de la Loi islamique (§ 2), celle de la législation inspirée de la Loi islamique (§ 3). Ces situations doivent constituer les axes autour desquels sont construits les échafaudages juridiques dans les Etats musulmans. Après avoir exposé ces trois axes, notre réflexion s'orientera sur la confrontation des différents courants de pensée, qui influencent la structure législative dans les Etats musulmans (§ 4).

§ 1 : La législation inspirée de la Loi islamique

Cette inspiration n'est ni générale ni absolue. De manière générale, elle est beaucoup plus évidente dans les Etats arabes que dans les Etats musulmans et spécialement ceux d'Afrique... . L'inspiration trouve, dans la plupart des cas, son fondement dans la Constitution. Les Constitutions des Etats musulmans proclament une forme de relation entre la Loi islamique en tant que source de droit et le droit positif en subordonnant le second au premier.

Parfois il est indiqué, de manière très évasive, comme c'est le cas en Somalie, que la législation s'inspire de la Loi islamique, ou comme c'est le cas dans la Constitution des Comores, qu'il s'agit de " puiser dans l'Islam l'inspiration permanente des principes et règles qui régissent l'Etat et ses attributions"23(*).

La Loi islamique est parfois considérée comme "une des sources principales de la législation" (koweït)24(*).

La Constitution de la Mauritanie qualifie la Loi islamique, dans son préambule, de source unique de la législation.

Dans certains cas, la Loi islamique est retenue, non pas en tant que source de normes, mais en tant qu'ensemble de normes directement applicables dans certains domaines. C'est ainsi que la Constitution jordanienne énonce que "les tribunaux sharaïques appliquent les règles de la Loi religieuse"25(*). Il arrive, cependant, que les Constitutions d'Etats musulmans ne s'y réfèrent guère comme source de la législation, mais que les Lois s'en inspirent, malgré tout et de manière nette parfois.

La Loi islamique en tant que source d'inspiration de la législation positive, dans certains Etats musulmans, appelle les remarques suivantes :

1- "Les Etats qui accordent une grande importance à la Loi islamique en tant que source d'inspiration de la législation sont, en fait en nombre limité. On citera l'Egypte, le Yémen et Oman.

2- La Loi islamique comporte, il est vrai, un certain nombre de règles précises et impératives mais aussi, des principes généraux, susceptibles d'être diversement interprétés.

3- Le droit positif est, généralement, en harmonie avec la réalité sociale. Et l'écho que trouve la Loi islamique au sein de la législation positive constitue un phénomène tout à fait normal qui témoigne de l'assise sociologique de la règle de droit et qui n'a pas besoin d'être Constitutionnellement prévu.

4- Enfin, et surtout, la Loi islamique n'est jamais retenue comme source exclusive de la législation (à moins que la législation soit subordonnée). Elle constitue soit une source, soit une source principale de la législation."26(*)

§ 2 : La législation affranchie de la Loi islamique

De nombreux Etats musulmans ne prévoient pas dans leur Constitution, de rapport entre la Loi islamique et la législation. Il en est ainsi en Algérie, au Cameroun, à Djibouti, au Burkina Faso, en Gambie, en Guinée Bissau, en Irak, au Mali, au Maroc, au Niger, au Sénégal, au Tchad, en Tunisie, en Turquie. La législation dans ces Etats est juridiquement libérée de toutes références islamiques, implicites ou explicites. Il faut préciser que tout affranchissement à la Loi islamique dans les Etats musulmans demeure relatif. Afin de limiter notre étude nous mettrons l'accent dans nos références sur deux Etats musulmans particuliers qui font partis du Maghreb.

A- Le cas de la Tunisie

La Tunisie, tout en reconnaissant un statut Constitutionnel à l'Islam n'en tire aucune conséquence au niveau de la législation et sa Constitution observe un mutisme total par rapport à la Loi islamique. Dès l'indépendance de la Tunisie, les constituants ont veillé à écarter la formule de la religion d'Etat au profit du simple constat que l'Islam est la religion du pays.

L'article 1er de la Constitution tunisienne de 1956 stipule :

" La Tunisie est un Etat libre, indépendant, souverain, sa religion est l'Islam, sa langue est l'arabe et son régime la République".

Il paraît intéressant de s'attarder sur le cas de la Tunisie où le code du statut personnel a cette double particularité d'être inspiré de la Loi islamique d'un côté et de s'en écarter de l'autre.

La spécificité du cas tunisien nous ramène également à la personnalité de Bourguiba et à ses réformes qui l'ont amené ponctuellement à malmener la symbolique religieuse, faisant apparaître la Tunisie comme un Etat laïque en contexte musulman. Un réajustement du système législatif par rapport au système religieux s'est opéré dans les dix dernières années de présidence de Bourguiba, avant de voir la Tunisie s'inscrire dans une perspective fidèle aux traditions arabo-islamiques et néanmoins ouverte à la modernité27(*).

Rompant avec l'attitude jusque-là libérale, la ré-inscription de l'Islam s'est prolongée au niveau de la législation. C'est ainsi que l'article 5 de Code du statut personnel relatif aux conditions de mariage fit l'objet d'une interprétation plus restrictive, dans le courant des années soixante-dix. Une circulaire ministérielle datée du 5 novembre 1973 invita les magistrats à refuser tout mariage d'une musulmane avec un non-musulman. Cette circulaire heurte de front la liberté au mariage telle qu'est définie par la Convention de New York sur le consentement au mariage de 1962 dont la Tunisie est partie. On ajoutera que les réserves à l'égard de certaines dispositions de la Convention sur les droits de l'enfant de 1989 sont dictées par des considérations en relation avec la Loi islamique et que dans bien des domaines, l'affranchissement à l'égard de la Loi islamique connaît des limites.

Le successeur de Bourghiba, Ben Ali a voulu inscrire la Tunisie dans une perspective fidèle aux traditions islamiques et néanmoins ouverte à la modernité.

La nouvelle ère s'ouvre en 1987 avec l'accession ou pouvoir de Zine el Abidine Ben Ali. Le premier signe visible du changement opéré: le fait que la déclaration du 7 novembre 1957 débute par la traditionnelle invocation: " Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux". C'est ainsi que le régime de 1987 redore le blason de la religion28(*).

Sur le plan international, la Tunisie a adhéré aux principales conventions internationales protectrices des droits de l'Homme dont, les Pactes des Nations-Unies des Droits Civils et Politiques d'une part et sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels d'autre part. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les femmes, la Tunisie a ratifié la Convention sur les droits politiques de la femme de 1952, la Convention sur la nationalité de la femme mariée de 1957, et la Convention de New York sur le consentement au mariage de 1962. Mais l'affranchissement à l'égard de la Loi islamique demeure relatif.

B- Le cas du Maroc

Le règne du nouveau monarque du Maroc, Mohamed VI se retrouve face au défi de la modernité. Après la mort de Hassan II, le nouveau roi du Maroc doit rapidement s'atteler à des problèmes complexes, dont font partis les droits de l'Homme. La légitimation du système législatif du Maroc oscille entre un système moderne et un système qui, au fond, reste traditionnel, donc opposé aux principes modernes de la démocratie. La Constitution confère au Monarque des pouvoirs quasi-absolus, mais par ses prises de positions en faveur d'une monarchie inspirée des modèles anglo-saxons ou espagnols, le roi Mohamed VI est devenu, la référence de ceux qui veulent moderniser le régime.

Selon une première interprétation, Le Maroc se serait donné une Constitution moderne et occidentale, plus ou moins calquée sur celle de la Vème République française. Cette Constitution romprait avec le passé et introduirait de nouvelles procédures ; l'influence occidentale serait importante, surtout en ce qui concerne l'affranchissement à l'égard de la Loi islamique.

La deuxième interprétation donnée, serait que la Constitution marocaine resterait dans la ligne des anciennes traditions : le sommet de l'Etat est conforme au modèle du califat et le système juridique du califat imprègne les normes juridiques "modernes". En un mot, la question est de savoir si la législation actuelle du Maroc repose sur une base islamique ou sur une base démocratique à l'occidentale ?

Il est impossible de trancher cette controverse en partant du texte de la Constitution, car la contradiction décrite ici se trouve dans les formulations même du texte. L'article 1er de la Constitution dit que le Maroc est une " une monarchie Constitutionnelle, démocratique et sociale", l'article 29 dit que " la souveraineté appartient au peuple"29(*).

Il reste que de nombreux problèmes internes et externes attendent le nouveau souverain, qui devra jongler entre ces deux visions du système législatif et politique de son pays. En exemple, sur le plan interne, le Maroc souffre des maux qui frappent les pays en développement sans distinction de régime. L'indépendance de la justice est encore un voeu pieux. La corruption salit le système social à tous les étages, les prisons marocaines regorgent encore des pensionnaires condamnés dans des conditions obscures, à l'image de Mohamed Serehane, journaliste qui réclame justice depuis des années. Le responsable de la Ligue de droits de l'Homme, après des nombreuses enquêtes sur place, dénonce au Maroc du non-respect des droits de l'Homme et appelle de ses voeux l'instauration d'une réelle démocratie.

On en revient à la même conclusion que pour la Tunisie, à savoir que tout affranchissement à l'égard de la Loi islamique demeure relatif.

§ 3 : Les Etats musulmans subordonnés à la Loi islamique

La Loi imposée par la volonté divine s'impose et prévaut sur celle posée par l'homme. La Loi posée n'est légale et légitime que dans la mesure où elle traduit la Loi islamique, se conforme à ses prescriptions ou est compatible avec elle. Tous les pouvoirs publics sont, donc, limités dans leur volonté et dans leur action par la Shari'à, Loi islamique. C'est dire que le droit étatique n'a pas d'autonomie ou de légitimité propre.

Cette situation est, de manière générale, celle des législations en Arabie saoudite, en Iran, au Soudan et au Pakistan.

A- Le cas de l'Arabie saoudite

Il n'y a pratiquement pas dans le statut fondamental du pouvoir ou dans le texte instituant le Conseil consultatif- qui datent tous deux du 1er mars 1992- de dispositions qui s'éloignent, de par leur contenu ou leur portée, de la Loi islamique. Selon le statut, la Constitution de l'Arabie saoudite est le Coran et la Sunnah (article 1er). Selon l'article 7, la source du pouvoir est constituée par le Coran et la Sunnah. Cette disposition prévaut sur toutes les autres dispositions du statut ainsi que sur l'ensemble des autres règles.

Les fondements de la société saoudienne et des droits de l'Homme sont déterminés par la Loi islamique et le droit positif ne peut y déroger. La justice indique l'article 6 se conforme à la Loi islamique.

Contrairement aux Etats dont la législation est affranchie de la Loi islamique, les Etats subordonnés à la Loi islamique gouverne tout le système législatif du pays. La subordination n'est en rien relative, comme le demeure l'affranchissement de certains Etats musulmans

B- Le cas de l'Iran

Le concept de laïcité, que les livres saints ignorent, est jugé par le pouvoir en place en République islamique d'Iran, comme étant la négation tout à la fois de l'Islam et de la Constitution de la République d'Iran.

Le Cheik Mohamed Shabistari, professeur de philosophie islamique à l'université de Téhéran s'exprime en choisissant ses mots : " En Islam, il n'existe aucune forme contraignante d'institutions étatiques. Autant un gouvernement s'inspirant des valeurs suprêmes de l'Islam est légitime, surtout dans un pays profondément croyant et traditionnel comme le nôtre, autant un Etat islamique est un non-sens au regard des textes sacrés. Notre Constitution, à laquelle j'adhère par devoir civique, juxtapose les droits divins et les devoirs des citoyens. Ce mélange des genres est la source de nombre de nos problèmes. Il faudra bien un jour échapper à ces contradictions en nous adaptant à la modernité...".30(*)

On observe que l'oscillation entre l'ouverture à la modernité et la fidélité à la Loi islamique caractérisent les Etats musulmans affranchis de la Loi islamique, se retrouve dans un Etat musulman se disant subordonné à la Loi islamique. Il convient tout bonnement de rendre compatible les enseignements de la démocratie, et des droits humains, avec les enseignements de l'Islam. Mais comment?

Le philosophe musulman Abdel Kerim Souroush, dont les idées, dit-on " sont au pouvoir" depuis l'élection du Président Mohamed Khatami, qui est un rénovateur audacieux puisqu'il s'écarte résolument des textes saints, précisément au nom de la modernité. " Il nous revient à nous, intellectuels du tiers-monde, de les rendre compatibles". " Tout simplement en essayant d'imaginer ce que seraient les prises de position du Prophète s'il devait revenir sur terre pour vivre parmi nos contemporains. Il saura, lui, faire la distinction entre les principes fondamentaux du Coran, très peu nombreux, et la foule de jugements conjoncturels qui correspondaient, il y a quatorze siècles à une société bien différente de la nôtre".31(*) D'après Souroush, sont caduques les institutions de droit divin (le Velayat Faguih), les sanctions pénales dites islamiques, la mise à mort des apostats (allusion entre autre, au cas de Salman Rushdie), l'inégalité entre les hommes et les femmes, les discriminations exprimées à l'égard des non-musulmans ( les Dhimmis) au sein de l'Etat musulman.

La "cohabitation à l'iranienne" entre le président Kathami, figure de chef de l'opposition libérale et l'ayatollah Khamenei, chef du gouvernement, est la source des nombreux problèmes que rencontre la République Islamique d'Iran. Elle a pris les allures d'une guerre de positions dans laquelle les interprétations contradictoires de l'Islam ne sont que l'un des aspects.

Les médias constituent l'arène centrale de la confrontation. Face à la radio, à la télévision, aux nombreuses publications, contrôlées par les conservateurs, une multitude de revues et de quotidiens militent pour un aggiornamento.

La riposte du pouvoir à ces défis a pris diverses formes : suppression de publications, qui renaissent aussitôt sous de nouvelles appellations, arrestations de journalistes et de chroniqueurs, qui reviennent à la charge dès leur libération, campagnes médiatiques d'intimidation, agressions physiques...

En juillet 1999, le régime iranien est pris de court par la révolte étudiante en faveur de la démocratie. Chronologiquement, ce sont la fermeture du quotidien réformiste Salam , l'accusation par le tribunal du clergé de son directeur Mahammad Mousavi-khoeiniha (reconnu coupable selon divers chef d'accusation dont ceux de diffamation, de désinformation, de publication de document confidentiel), proche du Président réformateur Mohamed Khatami, et l'adoption concomitante par le Parlement des grandes lignes d'un projet de Loi très restrictif sur la presse, qui furent à l'origine de cette révolte.

Force est de constater que suite à ces événements, "la cohabitation à l'iranienne" se caractérise plutôt par un déséquilibre structurel qui oppose un pouvoir absolu à une légitimité populaire.

Quant aux Lois, nombre d'entre elles sont d'une ambiguïté qui permet toutes manipulations. La liberté d'expression, par exemple, est garantie à condition qu'elle " ne porte pas atteinte à l'Islam", ou mieux encore, qu'elle ne soit pas " utilisée pour semer la confusion dans les esprits".

La législation iranienne est gouvernée par la Loi islamique. Mais la double victoire remportée par les réformistes aux élections présidentielles et municipales reflète de profondes mutations intervenues dans la société. 75 % de la population n'a pas participé à la Révolution de 1969. Elle a grandi à l'ère des satellites et d'Internet ; elle aspire à des moeurs modernes, européennes ou américaines, avec toutes les libertés publiques que celles-ci comportent. Cette volonté d'ouverture vers la modernité leur apparaît compatible avec leur fidélité à l'Islam.

§ 4 : La confrontation des différents courants de pensée dans les Etats musulmans

La législation dans les Etats musulmans est régie en partie par la Loi islamique, et en partie par le droit positif d'origine occidentale. C'est pourquoi le courant islamiste et le courant moderniste s'affrontent.

A- La position du courant moderniste (les réformateurs laïcs et positivistes)

Face à la radicalisation du discours islamiste traditionaliste, le courant qui se veut moderne est fasciné par l'Occident. Il a suivi l'exemple de Mustapha Kemal Ataturk qui dans un de ces célèbres discours de 1928 déclare : « les peuples non civilisés sont condamnés à rester dans la dépendance de ceux qui le sont. Et la civilisation, c'est l'Occident, le Monde Moderne, dont la Turquie doit faire partie si elle veut survivre ». Il existe deux formes de courants modernistes : le courant positiviste et le courant laïcisant.

1- Le courant positiviste

Ce courant de pensée estime qu'il faut s'en tenir à la Loi positiviste telle qu'établie par l'Etat. Les arguments de ce courant peuvent être résumés comme suit :

Les argument religieux.

Le courant considère que les versets coraniques et les récits du Prophète cités par le courant islamiste sont souvent troqués, manipulés, pris hors contexte ou mal interprétés. Le Coran et la Sunnah ne comportent pas de normes juridiques en nombre suffisant pour régir la société. Le système juridique musulman construit sur ces deux sources est d'origine humaine. On a le droit de la modifier selon les besoins de la société.

Les autres normes juridiques que comportent le Coran et la Sunnah visaient à protéger les intérêts de la société ; elles doivent donc être interprétées à la lumière de ces intérêts.

Les arguments juridiques

Deux arguments juridiques ont été avancés par le courant positiviste opposé au retour à la Loi islamique :

- La Loi islamique n'est pas d'application directe. Le législateur n'est pas tenu de modifier les Lois précédentes en les amendant pour les harmoniser avec elle, moins encore d'entreprendre la codification de la Loi islamique.

- Peu de Lois sont contraires à la Loi islamique et il ne convient pas de rejeter toutes les Lois positives d'origine occidentale. Les Lois relatives au statut personnel sont conformes à la Loi islamique et en découlent directement. La majorité des autres Lois, comme le code civil, le code de commerce, le code de procédure pénal et le code pénal même s'ils ne procèdent pas directement de la Loi islamique, ne sont pas en contradiction avec elle. Ce qui compte, ce n'est pas l'origine de la Loi, mais sa conformité ou sa non-opposition avec la Loi islamique.

2- Le courant laïcisant

Ce courant rejoint le précédent dans sa position face à la non ré-introduction des normes islamiques. Il dépasse cependant le courant positiviste en souhaitant l'élimination des normes islamiques en vigueur. Le courant moderniste a une fascination pour le monde occidentale et les libertés publiques.

L'idée est que l'Islam n'est pas contre la raison, ni contre les découvertes scientifiques. L'Islam présente un appel à la réflexion et à la recherche dans tous les domaines de la vie sociale des musulmans. Ce courant a réussi, par exemple en Iran, à populariser certains concepts d'origine occidentale, comme l'extension des libertés publiques et la victoire remportée par les réformistes reflète l'expression de cette mutation profonde.

La modernisation économique, sociale et culturelle conduisent à un recul de la religion. Ceux qui y sont favorables veulent une société tolérante, rationnelle, progressiste, humaniste et laïque. Ceux qui déplorent cette modernité, les conservateurs s'inquiètent des conséquences de la disparition des croyances religieuses, des institutions et des orientations morales données par la religion au comportement humain individuel et collectif.

B- La position du courant islamiste (les conservateurs)

1- Les raisons

Ce processus de modernisation a poussé les musulmans à quitter les campagnes pour se rendre vers les grandes villes et ils sont amenés a y rencontrés de nouveaux gens. Ils ont donc besoin de nouvelles sources d'identité, de nouvelles formes stables de communauté, d'un nouvel ensemble de préceptes moraux pour retrouver du sens et de la finalité. La religion satisfait à ces besoins.

Selon l'auteur Samuel Hundington, la résurgence de la religion à travers le monde est une réaction à la laïcisation, au relativisme moral et à la tolérance individuelle, une réaffirmation des valeurs d'ordre, de discipline, de travail, d'entraide et de solidarité humaine32(*). Outre les traumatismes affectifs et sociaux liés à la modernité, le recul de l'Occident et la fin de la guerre froide constituent également d'autres facteurs favorisant le renouveau religieux. Les courants de pensée en faveur de ce renouveau sont anti-laïcs, anti-universels, anti-occidentaux.

Les courants auxquels nous nous intéressons ne rejettent pas l'urbanisation, l'industrialisation, le développement, la science et la technologie. Ils ne rejettent non pas la modernité mais le «modernisme » selon Hundington33(*). Le renouveau de l'Islam est la manifestation la plus puissante de l'antioccidentalisme dans les sociétés musulmanes ; ce n'est pas un rejet de la modernité mais de l'Occident, de la culture laïque. Rejet appelé «l'Occidentoxication ». Sorte de déclaration d'indépendance culturelle vis à vis de l'Occident, mais une affirmation claire : «  Nous serons modernes, mais nous ne serons pas vous ».

2- Les conséquences

Partant de la conception de la Loi, le courant islamiste souhaite se débarrasser des normes occidentales pour n'appliquer que les normes musulmanes. Il invoque notamment les deux passages du Coran suivants :

« Ceux qui ne jugent pas les hommes d'après ce que Dieu a révélé sont des mécréants, [...] des injustes, [...] des pervers «(5:44, 45, 47).

Lorsque Dieu a pris une décision, il ne convient pas pour un croyant de maintenir un chois opposé à sa volonté. Celui qui désobéit à Dieu et à son Prophète s'égare totalement et manifestement (33 : 36)34(*).

Ce courant de pensée est sans doute le dernier-né. Il prêche la rupture radicale avec la dialectique moderniste. On aboutit inévitablement au rejet de tout ce qui menace l'identité de l'Islam, surtout la laïcité. Pour parvenir à ses fins, Abu-Sahlieh explique que ce mouvement utilise différents moyens :

- Il utilise l'opposition législative qui s'exprime dans les textes de Lois, dans la rédaction des Constitutions. Les Etats musulmans subordonnés à la Loi islamique ne laissent pas de place au droit étranger. La législation doit se baser uniquement sur les normes coraniques. La politique et la religion ne se séparent pas. Vouloir séparer les droits de l'Homme et les droits de Dieu, c'est contester le droit de Dieu à être le seul maître du monde.

- Cette opposition au droit occidental se retrouve dans de nombreux ouvrages, et articles de presse. Il est plus facile pour les islamistes de répandre leur conviction que pour les réformateurs libéraux, cibles d'un gouvernement trop ferme et trop conservateur, de publier des articles qui remettent en cause certaines des positions conservatrices. En Iran, où les médias constituent l'arène centrale de la confrontation entre conservateurs et révisionnistes, les journalistes restent dorénavant prudents ; même s'ils contestent certaines des dispositions de la Constitution iranienne, le fonctionnement du système du Velaya Faguih, les institutions de droit divin, la personne du Faguih l'ayatollah Ali Khamenei demeure infaillible et hors d'atteinte.

- Dans l'arène de la confrontation, l'institution judiciaire occupe une place de choix. Certains juges islamistes n'hésitent pas à adopter une attitude hostile à l'égard de la Loi positive d'origine occidentale et n'hésitent pas à appliquer la Loi islamique dans leurs jugements. C'est le cas du juge égyptien Ghurab, décédé en 1994, qui a publié un recueil de ses jugements sous le titre significatif : « Jugements musulmans comme condamnation des Lois positives »35(*). Le Dr hassan Ghafoorifaard, membre de la présidence du Parlement de la République islamique d'Iran, proche des conservateurs, tenants du pouvoir dit  «nous avons le devoir de lutter contre les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, notamment contre l'invasion culturelle de l'Occident. »

Les Etats musulmans sont les seuls avec l'Asie à s'affirmer face à l'Occident. Les musulmans se tournent vers l'Islam comme source d'identité, de sens, de stabilité, de légitimité, de développement, de puissance et d'espoir. La justification du particularisme propre aux Etats musulmans sert de base à l'expression de leur identité et des problèmes posés à l'Islam contemporain par les droits de l'Homme tels qu'ils ont été conçus par les Nations-Unies.

Chapitre II : L'expression du particularisme

L'héritage culturel, la puissance de la religion, l'hétérogénéité des Etats musulmans, la méfiance à l'égard de tout ce qui provient de l'Occident sont autant de facteurs qui altèrent inévitablement la conception universelle des droits de l'Homme ( Section I) et qui ont donné naissance à plusieurs documents contradictoires de protection des droits de l'Homme (Section II).

Section I : L'altération inévitable de la conception universelle des droits de l'Homme

La démarcation des Etats musulmans par rapport à la conception universelle des droits de l'Homme, se concrétise dans l'adaptation des droits de l'Homme au cadre musulman ( § 1). Les Etats musulmans affirment la nécessité d'élaborer des documents de protection des droits de l'Homme qui leur sont propres (§ 2).

§ 1 : La démarcation des Etats musulmans

L'Islam cherche à limiter les droits de l'Homme par l'expression de son particularisme. Il établit certains droits fondamentaux universels pour l'humanité tout entière, droits qui doivent être observés et être respectés en toutes circonstances.

Le Coran dit clairement :

«  O, vous qui croyez ! Tenez-vous fermes comme témoins devant Dieu, en pratiquant la justice. Que la haine envers un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices. Soyez justes ! La justice est proche du respect de Dieu » ( Sourate V ; Verset 8)

« Les droits de l'Homme dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'ont pas leur raison d'être dans un commandement divin, mais dans la volonté de l'Assemblée générale des Nations-Unies basée sur des considérations d'intérêt général »36(*). En Islam, les droits de l'Homme sont conférés par Dieu, et par conséquent, aucune autorité sur terre, n'a le droit d'y adapter de modification. Personne n'a le droit de les abroger. Le raisonnement fondateur des droits de l'Homme selon l'Islam ne peut donc procéder que par référence à des indications du Coran ou, éventuellement, «par leur application à des situations qui se sont produites effectivement dans la mesure où elles se sont cristallisées comme conduites exemplaires »37(*).

La charte, les proclamations, les résolutions des Nations-Unies ne peuvent être comparées aux droits que Dieu sanctionne. Ces droits font partie intégrante de la foi islamique. Les problèmes que posent l'Islam en matière des droits de l'Homme dérivent du fait que l'homme musulman se sent lié par des normes qu'il n'a pas faites et sur lesquelles il n'a aucun pouvoir en raison de sa fidélité à l'Islam.

Il n'y a pas de doute : l'universalité des droits de l'Homme est contestée par les Etats musulmans. René Cassin, dans sa rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'avait pas prévu que le réveil de la religion islamique représenterait un danger sérieux pour l'universalité des droits de l'Homme, souvent liée à sa source d'inspiration laïque.

L'impératif de l'universalité risque de devoir supporter un coup fatal dans la mesure où l'Islam, tout en se proclamant tolérante, est «totalitaire » puisqu'elle vise à gouverner la totalité de la vie des hommes sur les plans spirituel et matériel, religieux et politique. En effet, en droit positif, il n'y a pas de hiérarchie entre les normes juridiques internationales. Il y a une hiérarchie dans les Etats musulmans telle que la Loi islamique qui l'emporte sur toute norme obligatoire de droit international.

De plus, l'affirmation de cette nécessité montre que l'Islam revendique à son profit l'universalisme. Tous en se ralliant à l'universalisme onusien, ces documents doivent être lus à la lumière des préceptes du Coran. C'est dire que même si la formulation des droits peut paraître très classique et rejoindre celle des textes universels, en réalité ils doivent être interprétés dans un sens qui risque fort de contredire celui qui est admis sur le plan universel. En effet, les Etats musulmans refusent la préséance des normes universelles sur les normes divines ; ce qui serait blasphématoire à l'égard de leur auteur divin, Allah.

Sinaceur explique que cette démarcation des Etats musulmans par rapport à la conception universelle des droits de l'Homme est bienveillante et qu'elle réglera la question des droits de l'Homme. «C'est dans la mesure où chaque culture permet à chaque nation, ou ensemble de nations qui s'en réclament, de préserver le respect des droits, que les nations trouveront elles-mêmes les ressources et les moyens d'une vie à l'unisson de la communauté mondiale, d'une libre conformité aux valeurs universelles qui fondent les relations entre les pays et les Etats et donne tout son sens à l'idée de communauté internationale. »38(*). C'est dans la mesure où les différences sont acceptées, que les Etats musulmans peuvent apporter leur propre éclairage et leur propre justification à la théorie des droits de l'Homme.

L'affirmation de l'universalité des droits de l'Homme semblait reposer sur des bases solides ; elle s'est enrichit régulièrement. Toutefois depuis quelques années, les fondements de l'universalité ont été remis en cause. Les Etats musulmans affirmèrent rapidement la nécessité d'élaborer des documents de protection des droits de l'Homme qui leur sont propres. Ils affirment cette nécessité au nom tout d'abord d'un régionalisme modéré, mais cela cache en réalité une contestation plus profonde de l'universalisme ; une contestation menée au nom de leur particularisme.

§ 2 : L'élaboration de documents sur les droits de l'Homme

Vu ce qui précède, on ne peut plus reprocher aux Etats musulmans d`affirmer la nécessité d'élaborer leurs propres documents de protection des droits de l'Homme. Mais comment les Etats ont-ils accueilli les droits de l'Homme en élaborant ces documents ?

A- Les documents arabes

Les documents arabes présentent une conception qui se réfère à la fois aux préceptes islamiques et aux documents onusiens. On peut signaler plusieurs de ces documents arabes:

- 1982 : Projet du Pacte arabe des droits de l'Homme, préparé par la Ligue des Etats arabes en 1982.

- 1986 : Projet du Pacte des droits de l'Homme et du peuple dans le monde arabe, Syracuse 1986

- 1988 : La Grande Charte verte des droits de l'Homme de l'ère jamahirienne, adoptée par la Libye le 12 juin 1988

- 1994 : Le Projet de la Charte arabe des droits de l'Homme de la Ligue arabe, en 1994

Intéressons-nous au plus récent de ces documents, à savoir la Charte de la Ligue arabe de 1994. La Charte n'est pas, à l'heure actuelle, entrée en vigueur ; c'est une proclamation des droits civils et politiques, et de certains droits économiques sociaux et culturels. La Commission arabe permanente des droits de l'Homme de la Ligue arabe a recommandé à la Ligue arabe d'approuver ce texte jugé comme non contraire à la Déclaration du Caire, dont nous étudierons le contenu ultérieurement.

Dans ces différents documents arabes et plus spécifiquement dans le document de la Charte de la Ligue arabe, la référence à l'Islam est moins prononcée que dans les documents islamiques.

La Charte de la Ligue arabe exprime dans son préambule :

« Sa volonté de réaliser les principes éternels fondés par la Shari'à islamique et les autres religions célestes, relatifs à la fraternité et à l'égalité entre les êtres humains. »39(*).

Par exemple, dans son article 22 relatif à la «liberté de croyance, de pensée et d'opinion », aucune limite n'est faite au nom de la Loi ou autre référence à l'Islam. Elle dit aussi dans son préambule vouloir réaffirmer «les principes de la Charte des Nations-Unies, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des deux Conventions des Nations-Unies relatives aux droits économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques... »40(*).

B- Les documents islamiques

Plusieurs documents sur le plan islamique :

- 1979 : Projet de Déclaration des droits de l'Homme et des obligations fondamentaux de l'homme en islam, publié par la Ligue du Monde musulmans en 1979.

- 1980 : Déclaration islamique universelle publiée par le Conseil islamique de Londres le 12 avril 1980.

- 1981 : Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme, publiée par le Conseil islamique à Londres le 19 septembre 1981.

- 1981 : Projet de document sur les droits de l'Homme en Islam, proposé au Sommet de l'organisation de la Conférence Islamique à Taïf en janvier 1981.

- 1989 : Projet de Déclaration islamique des droits de l'Homme qui a eu lieu à Téhéran en décembre 1989.

- 1990 : Déclaration du Caire des droits de l'Homme en Islam, publiée par l'Organisation de la Conférence Islamique au Caire le 5 août 1990.

Tous ces documents ont en commun une référence à l'Islam. Nous étudierons plus particulièrement la Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme de 1981, ainsi que la Déclaration du Caire de 1990.

1- La Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme.

L'Islamic Council pour l'Europe à Londres, qui dépend de la Ligue du Monde musulman, a publié le 19 septembre 1981 une Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme, proclamée à Paris dans les locaux de l'UNESCO, par M. Salem Azzam, secrétaire général du conseil islamique. Cette Déclaration est d'initiative privée. Les droits définis dans cette Déclaration représentent un éventail très large puisqu'ils englobent non seulement des droits de la Déclaration universelle de 1948, mais également ceux des Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, ainsi que ceux envisagés dans le projet du troisième Pacte relatif aux droits de solidarité. Elle rappelle à plusieurs reprises dans son préambule, comme pour se démarquer de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, que les droits de l'Homme se fondent sur la volonté divine.

Le premier passage de l'introduction dit :

«  Les droits de l'Homme, dans l'Islam, sont fortement enracinés dans la conviction de Dieu, et Dieu seul, est l'auteur de la Loi et la source de tous les droits de l'Homme. »

Un des considérants de cette introduction ajoute :

«  ...Cette Déclaration des droits de l'Homme donne une puissante impulsion aux populations musulmanes pour ester fermes et défendre avec courage et résolution les droits qui leur ont été conférés par Dieu. »

Dans un des passages du préambule de cette déclaration, on peut lire :

« Allah (Dieu) a donné à l'humanité, par ses révélations dans le saint Coran et la Sunnah de son saint prophète Mahomet, un cadre juridique et moral durable permettant d'établir et de réglementer les institutions et les rapports humains ; ... »

«  Affirmons par les présentes, en tant que serviteurs d'Allah et membres de la fraternité universelle de l'Islam, nous engageons à promouvoir les droits inviolables et inaliénables de l'homme définis ci-après, dont nous considérons qu'ils sont prescrits par l'Islam. »41(*)

Cette manière de fonder les droits de l'Homme sur une volonté divine dérive de la justification du particularisme propre aux Etats musulmans qui dit que le bien et le mal, le bon et le mauvais sont déterminés par la Loi divine. Les droits dont jouit le musulman et les restrictions qui lui sont imposées trouvent leur source dans le Coran et, subsidiairement dans la Sunnah . La Déclaration affirme dès son introduction son attachement aux préceptes de l'Islam. Son champ d'application est défini par une appartenance religieuse. L'article XII relative au «droit à la liberté de croyance, de pensée et de parole ».

« a) Toute personne a le droit d'exprimer ses pensées et ses convictions dans la mesure où elle reste dans les limites prescrites par la Loi ».

« d) Il ne doit y avoir aucun obstacle à la propagation de l'information dans la mesure où elle ne met pas en danger la sécurité de la société ou l'Etat et reste dans les limites imposées par la Loi. »42(*)

Il ne fait aucun doute que "la Loi", est la Loi islamique imposant la volonté de Dieu.

Le fait que dans cette Déclaration, les droits de l'Homme en Islam se fondent sur la volonté divine, montre la volonté de ces auteurs de se démarquer des autres textes internationaux de protection universelle des droits de l'Homme. Les bases et les objectifs de cette Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme se retrouvent dans les deux projets de déclaration de l'Organisation de la Conférence islamique ainsi que dans la Déclaration du Caire de 1990.

2- Les deux projets de déclarations de l'Organisation de la Conférence islamique et la Déclaration du Caire de 1990

Les Etats musulmans, regroupés dans une organisation internationale régionale (l'Organisation de la conférence islamique, appelée O.C.I, créée depuis 1970) n'ont pas été insensibles à la valorisation des droits de l'Homme sur le plan international.

C'est pourquoi l'O.C.I a entrepris aux cours des années 1980 des efforts pour élaborer une déclaration sur les droits de l'Homme, d'autant plus «qu'une Déclaration Islamique Universelle des Droits de l'Homme» a été adoptée par une organisation non-gouvernementale le 19 septembre 1981 ; en l'occurrence le Conseil islamique pour l'Europe. Afin d'éviter de laisser le terrain des droits de l'Homme inoccupé par les Etats musulmans, l'O.C.I a procédé à l'élaboration de deux projets de déclarations avant d'adopter, lors de la réunion de Caire, la Déclaration des droits de l'Homme en Islam.

Le premier projet est dénommé «Déclaration des droits et des obligations fondamentaux de l'Homme en Islam » publiée en 1979. Sa caractéristique fondamentale est son attachement à la Loi islamique. En effet dès le préambule, il est écrit :

« Au nom de Dieu..., reconnaissant que les droits et les obligations de l'homme en Islam sont régis par des textes impératifs qu'à fournis le créateur, lui qui est le législateur suprême, si bien que l'homme ne saurait jamais y porter atteinte, ni feindre de les oublier, ni même d'y renoncer, ... »43(*)

Le deuxième projet est dénommé « Déclaration sur les droits de l'Homme en Islam » publié à Taïf en janvier 1981. Ce projet proclame la spécificité de la Loi islamique et insiste sur le rôle essentiel de la communauté musulmane ou la « Nation est qualifiée pour guider l'humanité perplexe entre les courants et les idéologies compétitifs et pour proposer les solutions islamiques aptes à résoudre les problèmes anachroniques de la civilisation matérielle »44(*).

Ces deux projets ont donc précédé la Déclaration du Caire adoptée le 5 août 1990 par la conférence des ministres des affaires étrangères de l'O.C.I . La Déclaration comporte un préambule et vingt-cinq articles. Elle est essentiellement basée sur des convictions religieuses. Elle reconnaît les droits civils et politiques, des droits sociaux, économiques et culturels. Elle établit des règles relatives au droit humanitaire, effleure le problème du droit au développement et proclame des devoirs à la charge de certaines personnes physiques et morales. On remarque que la dénomination donnée à la Déclaration est moins ambitieuse que celle formulée par le Conseil islamique pour l'Europe, puisque l'on a évité de qualifier cette déclaration d'universelle. En omettant volontairement la qualification d'universelle, les Etats membres de l'O.C.I n'ont pas voulu réaliser «une relecture de l'islam ».45(*)

Certains islamologues pensent que l'Islam est parfaitement capable d'intégrer la théorie moderne des droits de l'Homme à condition d'être interprétée à la lumière de la société actuelle. Mais rien de tel dans la Déclaration du Caire ; elle s'est limitée à rappeler le cadre inviolable de la Loi islamique pour la plupart des droits énoncés.

Il est important de signaler que ces documents se réfèrent rarement aux documents des Nations-Unies. La 2ème déclaration de l'O.C.I dit qu'elle vise à «accompagner les efforts déployés par l'humanité pour faire valoir les droits de l'Homme dans les temps modernes, notamment la proclamation et les conventions adoptées par l`Assemblé générale des Nations-Unies, aux fins de protéger l'homme contre les forces brutales et d'affirmer sa liberté et ses droits dans la vie »46(*). La référence aux textes des Nations-Unies a disparu dans la 3ème Déclaration ; celle-ci vise à «contribuer aux efforts de l'humanité visant à garantir les droits de l'Homme, à le protéger de l'exploitation et de la persécution, à affirmer sa liberté et son droit à la vie digne en accord avec la Loi islamique »47(*). Ce désintéressement à l'égard des textes onusiens découle de l'idée que l'Islam se suffit à lui-même et n'a pas besoin de s'appuyer sur d'autres systèmes pour protéger les droits de l'Homme.

A travers l'étude de ces documents, c'est la même idée qui est ressortie de l'étude des autres documents propres aux Etats musulmans ; le musulman n'a pas à chercher en dehors de l'Islam des solutions à ses problèmes puisque l'Islam offre des solutions éternelles et bonnes dans l'absolu. Les droits dont il jouit et les restrictions qui lui sont imposées trouvent leur source dans le Coran et, subsidiairement dans la Sunnah .

La conformité avec la Loi islamique n'est pas une tâche facile. Les controverses et les divergences sont courantes. Le document du Caire est une simple déclaration. Cela signifie que les Etats musulmans n'ont pas réussi à adoper un instrument conventionnel ayant un caractère obligatoire. La Déclaration de Caire mérite une lecture attentive pour tenter d'identifier les contradictions dans les textes car elle constitue l'une des manifestations les plus marquée de l'irruption de l'Islam sur la scène internationale.

Section II : Les contradictions dans les documents

Il est difficile aujourd'hui de dire non à l'Islam, comme il est difficile de dire non aux droits de l'Homme. Des contradictions pèsent sur le moderniste musulman, auteur des documents qui discutent des droits de l'Homme en Islam. Dans l'ensemble, les droits de l'Homme ne sont pas contestés quant à leur principe. Mais le refus des Etats musulmans d'intégrer "pleinement" l'universalité des droits de l'Homme semble s'exprimer à travers l'interprétation contradictoire qui est faite des droits de l'Homme ( § 1). Ces documents sont l'oeuvre des personnes qui voient dans l'Islam un système parfait de protection des droits de l'Homme et qui, de ce fait, cherchent à faire revaloriser sa conception en lieu et en place de la conception du droit international contemporain. Mais ce système parfait de protection des droits de l'Homme est-il applicable ? (§ 2)

§ 1 : Une interprétation contradictoire des droits de l'Homme.

Les documents qui s'expriment sur les droits de l'Homme dans les Etats musulmans contestent tous à des degrés différents le principe de l'universalité des droits de l'Homme. Jean-Claude Vatin estime que ces textes se caractérisent à la fois par «une volonté de se placer dans le cadre universel fixé par les Nations-Unies » et par «un désir non moins évident de s'en démarquer par certains traits pour insister non sur des particularités régionales sur des différences culturelles, le caractère religieux de l'individu et de son rapport à la divinité et aux textes et traditions sacrés entraînant des dépendances et obligations d'une essence spéciale »48(*) .

On peut constater à la lecture de ces documents, qu'il n'y a pas de droits propres aux Etats musulmans qui n'auraient pas d'équivalent dans les divers documents internationaux des droits de l'Homme. Les contradictions viennent du fait que ces documents ne cherchent pas obligatoirement une lecture islamique des droits de l'Homme, auquel cas, les droits de l'Homme en général perdraient de leur universalité. C'est parce que la plupart des droits de l'Homme reconnus par le droit international semblent être marqués par une connotation islamique (dans la mesure où l'Islam est le fondement et la référence des droits de l'Homme) et que la Loi islamique (la Shari'à) gouverne les droits de l'Homme que l'on constate certaines contradictions quant à l'interprétation de ces droits.

Ils reconnaissent les droits civils et politiques, des droits sociaux, économiques et culturels. Ils établissent des règles relatives au droit humanitaire, effleurent le problème du droit au développement et proclament des devoirs à la charge de certaines personnes physiques et morales. Tous ces droits sont universellement proclamés dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme. Mais l'Islam reste la référence de ces droits énoncés, et la Loi islamique transcende les droits de l'Homme qui gardent leur formulation universelle. Ainsi les termes de Loi islamique, de Shari'à sont utilisés dès le préambule et pratiquement tous les droits sont reconnus dans la limite de la Loi islamique. L'examen des différents articles de ces documents démontre le souci de ses auteurs de reconnaître un ensemble de droits «dans la limite » ou «en accord » ou «dans le cadre » ou «en respect » ou «sans contradiction » avec la Loi islamique.

Ainsi la liberté d'expression est énoncée, dans la Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme dans son article XII :

« a) Toute personne a le droit d'exprimer ses pensées et ses convictions dans la mesure où elle reste dans les limites prescrites par la Loi ».

« d) Il ne doit y avoir aucun obstacle à la propagation de l'information dans la mesure où elle ne met pas en danger la sécurité de la société ou l'Etat et reste dans les limites imposées par la Loi. »49(*)

Dans la Déclaration du Caire dans son article 22 :

« a) Tout individu a le droit d'exprimer librement son opinion d'une manière non contraire aux principes de la Loi islamique. »50(*)

Dans ce dernier document, le rattachement à la Loi islamique est encore plus explicite dans les deux derniers articles dans la mesure où il est expressément prévu que «tous les droits et libertés énoncés dans ce document sont subordonnés aux dispositions de la Loi islamique » (article 24)51(*). Et l'article 25 pose que «la Loi islamique est la seule source de référence pour expliquer ou clarifier tout article de cette déclaration »52(*). Pour un juriste, cette dernière disposition signifie que tout problème d'interprétation doit être résolu à la lumière de la seule Loi islamique à l'exclusion de toute autre norme positive y compris celles élaborées par les Nations-Unies.

Ces documents ne peuvent pas être une simple relecture de l'Islam. Car si les normes islamiques du droit musulman pouvaient avoir une justification dans le passé, aujourd'hui certaines de ces normes sont un danger pour les Etats musulmans. Il faut donc avouer que la lecture de ces documents ne permet pas d'identifier un contenu uniquement islamique des droits de l'Homme. Il fallait imaginer une lecture moderne de l'Islam à travers les droits de l'Homme ou une lecture des droits de l'Homme à travers l'Islam moderne.

Une autre contradiction est à relever. Ces déclarations, chartes... sont en général des documents équilibrés qui prennent en considération les droits fondamentaux de l'homme et les libertés publiques. Mais il n'en reste pas moins que ces documents semblent avoir leur propre conception des droits de l'Homme et tous ces principes ne s`appliquent qu'aux musulmans. Donc les solutions préconisées sont souvent contradictoires ; une formulation universelle, mais une application limitée aux musulmans.

Il n'est pas non plus facile pour des Etats qui n'ont pas les mêmes relations entre l'Etat et la religion d'appliquer uniformément les principes énoncés dans ces documents.

Car il est difficile d'appréhender la problématique de la cohabitation du droit positif et du droit coranique. C'est peut-être pour cette raison que l'interprétation de ces documents relatifs aux droits de l'Homme propres aux Etats musulmans est contradictoire d'un Etat à l'autre.

En se référant aux préceptes de la religion, les documents islamiques et arabes sont susceptibles de produire plus d'effet que les documents internationaux laïques, car ils s'appuient sur deux lectures, universaliste et islamique, qui donnent une double autorité aux documents. Reste que ces documents ne prévoient aucune mesure d'application concrète.

§ 2 : Un «système parfait de protection » inapplicable.

Ces documents sont l'oeuvre des personnes qui voient dans l'Islam un système parfait de protection des droits de l'Homme et qui, de ce fait, cherchent à faire revaloriser sa conception en lieu et en place de la conception du droit international contemporain. A l'heure actuelle, aucun de ces documents n'est entré en vigueur. Sami A.Aldeeb Abu-Sahlieh explique que : « Le fait que ces Déclarations ne soient pas entrées en vigueur prouve qu'elles sont destinées non pas au public arabo-musulmans, mais aux interlocuteurs occidentaux à des fins publicitaires »53(*). A ce titre il signale que la déclaration islamique universelle des droits de l'Homme de 1981 a été «proclamée » à Paris, dans le cadre de l'UNESCO.

Aucun de ces documents n'a de valeur juridique. Ils ne prévoient donc aucune mesure d'application concrète et personne ne peut les invoquer afin d'obtenir le respect de son droit. Cela explique que les contradictions dans ces documents ne viennent pas du fait qu'ils cherchent à faire un simple lecture islamique des droits de l'Homme, mais du fait qu'ils ne consacrent aucune disposition ou institution spéciale à la protection des droits de l'Homme.

La charte de la Ligue des droits de l'Homme prévoit un Comité d'experts. Mais les seules compétences de ce Comité sont «d'examiner les rapports que les Etats parties soumettent dans l'année qui suit l'entrée en vigueur de la charte ou de l'adhésion de l'Etat, les rapports périodiques remis par les Etats concernant l'application de la Charte ainsi que les rapports reçus des Etats sur requête du Comité » 54(*)(article 41 de la Charte). Les auteurs de ces documents qui voient en eux un système parfait de protection des droits de l'Homme ont omis l'essentiel, la garantie de cette protection.

Il existe pourtant des systèmes de protection régionaux. Le système européen de protection des droits de l'Homme qui est fondé sur la Convention européenne des droits de l'Homme, signée à Rome le 4 novembre 1950. L'individu se voit reconnaître la possibilité de saisir une instance internationale d'une plainte dirigée contre un Etat. Il existe un organe juridictionnel, la Cour européenne des droits de l'Homme.

Le système interaméricain fondé sur la Convention interaméricaine des droits de l'Homme de 1969, qui garantit quelque douzaine de droits civils et politiques. La Convention donne compétence à la Cour interaméricaine des droits de l'Homme pour connaître des questions qui concernent le respect par les Etats de leurs engagements.

Le système africain repose sur la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples qui prévoit la création d'une commission auprès de l'Organisation de l'unité africaine chargée de promouvoir les droits de l'Homme et des peuples et d'assurer leur protection en Afrique (article 30).

Il semble important compte tenu des efforts faits par les autres institutions régionales de mettre en place un système qui garantisse la protection des droits de l'Homme dans les Etats musulmans. Nous savons qu'il existe un Islam ouvert, tolérant, cultivé qui, loin de rejeter les apports positifs de la modernité, veut contribuer de façon solidaire à tous les efforts déployés dans le monde pour une avancée plus rapide des droits de l'Homme. La tâche est immense.

Sami A.Aldeeb Abu-Sahlieh pense que cette tâche revient aux intellectuels arabes et musulmans. Qu'il est de leur devoir de créer un système politique, économique et juridique adéquat qui puisse assurer le respect des droits de l'Homme en tenant des besoins et des spécificités des Etats musulmans.

Ces documents affirment l'adhésion des Etats musulmans à la « Charte des Nations-Unies, à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des deux Conventions des Natione-Unies relatives aux droits économiques, sociaux et culturels, et aux droits civils et politiques» 55(*)(préambule de la Charte de la Ligue arabe). En relavant le fait que ces documents n'aient aucune valeur juridique, Abu-Sahlieh écrit : " Ce qu'il faut aujourd'hui c'est l'adoption d'une Convention des droits de l'Homme propre aux monde arabo-musulman qui prend en considération ses propres problèmes. Il ne suffit pas ici de copier la Déclaration universelle des droits de l'Homme en la saupoudrant de formules religieuses comme le font les différentes Déclarations islamiques actuelles."56(*). Il n'y a rien qui puisse, en principe, empêcher les Etats musulmans de s'adapter et de devenir compatible avec l'universalité des droits de l'Homme, s'ils n'en limitent pas la portée.

TITRE II : La limitation de la portée universelle des droits de l'Homme par les Etats musulmans

L'Islam fondé sur des principes éternels, n'est compatible avec rien d'autre qu'avec lui-même. En ce sens, il refuse, rejette et combat jusqu'au bout l'universalité des droits de l'Homme - conception laïque - ( Chapitre I).

Mais les Etats musulmans dynamiques, s'adaptent à des environnements très différents et à des circonstances historiques changeantes. Ils se sont révélés compatibles avec les principaux types d'Etat et les formes diverses d'organisation sociale que l'histoire a produit. De même que l'Islam en tant que religion appartenant à l'histoire mondiale s'étendant sur quatorze siècles, a incontestablement réussi à s'implanter dans une grande diversité de société, de culture, de mode de vie.

Une nouvelle fois, comme souvent au cours de l'histoire, les Etats musulmans sont appelés à s'adapter à une situation inédite et aux défis de la modernisation. Ils sont prêts à consentir à l'universalité des droits de l'Homme. ( Chapitre II).

Chapitre I : Une hostilité de principe

Les Etats musulmans vont pouvoir s'adapter et accepter l'universalité des droits de l'Homme tout en observant un sentiment de méfiance en toutes circonstances. S'ils en relativisent la portée, il n'y a rien qui puisse empêcher les Etats musulmans de consentir à l'élaboration du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme.

Section I : L'élaboration du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme

§ 1 : La difficile universalité

Les droits de l'Homme se sont forgés à travers l'histoire et depuis la philosophie grecque. Il serait erroné de nier l'apport du siècle des Lumières et de la Révolution française de 1789, et par conséquent de nier l'apport de l'Occident dans la formulation universaliste des droits de l'Homme. Il est intéressant de relever que ce long processus d'universalisation a avancé de façon lente sur le plan conceptuel ( A). Sur le plan de l'effectivité, les droits de l'Homme ont connu des progrès ainsi que des reculs qui ont marqué l'universalité qui reste encore aujourd'hui inachevée (B).

A- La lente avancée de l'universalisation sur le plan conceptuel

La définition des droits de l'Homme en droit international contemporain prétend dès le départ à une portée universelle, d'où le nom de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Ceci repose sur la conviction que l'être humain est partout le même et doit donc avoir partout les mêmes droits. L'article premier de la Déclaration universelle dit que : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Ce qui se dit dans de la Déclaration universelle est valable pour le reste des documents onusiens en rapport avec les droits de l'Homme.

Mais la question de l'universalité est comme le rappelle Pierre-Henri Imbert   «est l'une des plus difficile à traiter, lorsque l'on aborde le sujet des droits de l'Homme»57(*). Difficile, mais importante car cette question est au coeur de la problématique des droits de l'Homme. Ces droits concernent tous les êtres humains au-delà de toutes distinctions géographiques, politique, idéologique, sociale, économique, culturelle...

Le caractère d'universalité des droits de l'Homme doit prendre en considération les spécificités culturelles ou nationales, historiques et sociales de chaque Etat, tout en affirmant la transcendance des valeurs communes à tous les êtres humains. L'expression universelle des droits fondamentaux est le produit de plusieurs apports, d'enrichissements progressifs qui sont dû à la montée d'une participation universalisée à l'oeuvre de l'O.N.U et d'une régionalisation de la protection des droits de l'Homme, c'est à dire l'expression du particularisme face à l'universel.

Mais ce n'est pas parce que les droits de l'Homme sont universels que cela oblige tous les Etats à respecter absolument de la même manière, quelles que soient les circonstances, tous les droits de l'Homme. A l'inverse ce n'est pas parce que de profondes différences séparent les Etats que l'universalité des droits de l'Homme n'a aucun sens.

Il n'est pas aisé d'aboutir à une approche universelle des droits de l'Homme. Car cette reconnaissance universelle doit affronter les différences ethniques et culturelles, religieuses et sociales entre les peuples, des variétés voir des oppositions de régimes politiques entre les Etats, et des différences de niveau économique entre les nations. Le droit international contemporain pose comme postulat dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme que les droits sont communs à tous, en tous lieux, en temps, et constituent «l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». Ces difficultés illustrent la lente avancée des droits de l'Homme sur le plan conceptuel. Néanmoins, dans les faits, il existe des aspects qui modèrent ces divergences.

B- L'universalité dans les faits

Même si les développements conceptuels en matière de droits de l'Homme ne sont pas véritablement parvenus à une universalisation matérielle, il existe un consensus international sur l'universalisation du noyau dur, un standard minimum impératif en tout lieu et toutes circonstances. En dépit des divergences qu'on a signaler plus haut, on a vu émerger progressivement un noyau restreint de valeurs et de droits universellement admis par tous les Etats. Le problème d'un noyau intangible des droits de l'Homme inclut la question relative à une priorité de certains droits par rapport à d'autre.

La définition de ce noyau intangible des droits de l'Homme ne va pas pourtant sans difficulté. Existe-t-il des droits auxquels les Etats ne peuvent déroger quelles que soient les circonstances, droits qui seraient considérés- selon la définition donnée par le professeur Frédéric Sudre - comme les droits constituants «les attributs inaliénables de la personne humaine, fondés comme tels sur des valeurs que l'on retrouve en principe dans tous les patrimoines culturels et systèmes sociaux »58(*), droits applicables à toute personne quelles que soient les circonstances de temps et de lieu ?

La réponse est certainement négative en raison de la cohérence et de l'indivisibilité des droits de l'Homme liées à l'intégrité de la personne humaine. Cette indivisibilité et cette unité des droits de l'Homme ont d'ailleurs été consacrées dans la Proclamation de Téhéran adoptée à l'unanimité par la Conférence internationale des droits de l'Homme en 1968 annonçant dans son article 13 que les droits de l'Homme et les libertés fondamentales sont indivisibles. Il n'existe pas, en droit international des droits de l'Homme, de hiérarchie des droits.

Mais la législation internationale relative aux droits de l'Homme a été marquée par une séparation, à la fois artificielle et trompeuse, entre les droits civils et politiques, d'une part, et les droits économiques, sociaux et culturels, d'autre part. Il est indéniable que les droits économiques sociaux et culturels ont bénéficier de moins d'attention de la part des Nations-Unies et de ses organes constitutifs. Les normes adoptées dans ce domaine ainsi que les mécanismes destinés à les faire appliquer sont beaucoup moins développés. Or la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme appelle" tous les individus et tous les organes de la société" à apporter leur contribution au respect universel des droits de l'être humain. Chaque pays n'a pas les mêmes priorités concernant les droits de l'Homme. Il est difficile d'imaginer que dans un pays sous-développé, les gouvernants vont proclamer un droit à la liberté d'expression, alors que la presse et les autres moyens de diffusion d'information n'existent pas réellement. Leur priorité serait pour un droit en développement.

Apparaissent surtout sur le plan international, les obstacles de l'application des droits de l'Homme. Comment tendre le mieux possible vers cette universalisation des droits de l'Homme ? Pour cela, les Nations-Unies ont élaboré des instruments internationaux spécifiques aux droits de l'Homme.

§ 2 : La spécificité de la construction onusienne

La protection des droits de l'Homme dans le cadre des Nations-Unies a été imaginée dès l'adoption de la Charte des Nations-Unies. Néanmoins, il était nécessaire de concevoir et d'élaborer des traités définissant d'une manière appropriée le concept même de droits de l'Homme s'adressant sans distinction à tous les Etats et tous les individus de la communauté internationale.

A- Les normes

C'est la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée le 10 décembre 1948 qui servira de base à la formulation, explicite des différents droits tant civils et politiques, qu'économiques, sociaux, culturels dont les individus sont les bénéficiaires. Par la suite, un certain nombre de Conventions relatives, entre autres à la prévention et à la répression du crime de génocide, à l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et à l'abolition de l'esclavage complétèrent la gamme déjà fort étendue des droits protégés par la Déclaration.

La gamme des traités relatifs à la protection des droits de l'Homme comprend d'une part la Charte internationale des droits de l'Homme et, d'autre part, des traités plus spécifiques élargissant et complétant les types des droits déjà protégés. Outre la Déclaration universelle, la Charte comprend le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels et le Pacte relatif aux droits civils et politiques, auxquels sont rattachés deux Protocoles facultatifs relatifs, d'une part à l'examen de communications individuelles et, d'autre part, à l'abolition de la peine de mort. Les Pactes ont été adoptés par l'Assemblée générale des Nations-Unies le 16 décembre 1966.

Certains des droits fondamentaux garantis par ces Pactes ont été abordés par plusieurs autres traités spécifiques tant le besoin s'était fait sentir de protéger tout particulièrement certaines catégories de personnes ou de droits. Il convient de citer, à titre indicatif, la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale entrée en vigueur le 4 janvier 1969 et qui constitue chronologiquement le premier instrument à avoir prévu un mécanisme d'application assuré par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale. La Convention contre le crime d`Apartheid, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants...

En effet Paul Tavernier écrit à propos des Etats musulmans : « Ils étaient divisés au sujet de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et se sont ralliés peu à peu aux deux Pactes de 1966 et à l'universalisme onusien, non sans réticence ou sans arrière pensée »59(*). Au départ le texte de la Déclaration universelle leur semblait incompatible avec les enseignements de l'Islam. Car les droits de l'Homme, dans la Déclaration universelle n'ont pas leur raison d'être dans un commandement divin, mais dans la volonté de l'Assemblée générale des Nations-Unies.

L'exercice des droits proclamés dépend étroitement des procédures mises en place pour permettre la revendication. Les droits de premier degré, ou droit primaire- droit à la vie, à la liberté, au travail... ne sont rien sans un droit au second degré, le droit au droit, garantissant la protection des droits de l'Homme.

B- Les mécanismes de contrôle

Des mécanismes de contrôle de l'application des traités internationaux en matière de protection des droits de l'Homme ont été développés au sein du système des Nations-Unies. Les Etats Parties aux dits traités, ont l'obligation principale de mettre en application les droits fondamentaux prévus par les textes.

En identifiant les techniques de protection mises en place dans le cadre de l'O.N.U, on remarque qu'il est difficile d'organiser au niveau international de véritables sanctions juridiques. Les techniques politiques de contrôle et les mécanismes de protection non-juridictionnels jouent un rôle plus important. De plus, il est inutile de multiplier au sein des organisations internationales ou régionales les techniques de contrôle, surtout lorsque les sanctions qui sont prévues n'ont qu'un effet relativement modeste.

Plusieurs procédures ont été mises en place permettant l'examen de communications inter-étatiques et de communications individuelles. La procédure qui nous intéresse le plus en l'espèce, est celle applicable aux deux Pactes internationaux de 1966 ; c'est à dire la procédure d'examen sur rapport étatique qui procède de la notion de dialogue entre un ensemble d'experts indépendants provenant de régions et de systèmes juridiques différents et une délégation composée de représentants de l'Etat Partie concerné. Une telle procédure, délibérément non-accusatoire, permet à la communauté internationale d'influencer directement sur la rédaction de textes de Lois, de Règlements ou la mise en pratique des normes nationales.

Plusieurs normes internationales affirment qu'il incombe aux gouvernements de prévenir et de sanctionner les violations des droits de l'Homme lorsqu'elles sont commises sur leur territoire. Elargir la responsabilité implique non seulement de s'intéresser à ce que font les gouvernements, mais aussi à ce qu'ils ne font pas pour promouvoir les droits de l'Homme et pour prévenir les violations de ces droits. Cet élargissement va expliquer la relativisation du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme.

Face à ce «dérangeant » droit des droits, les Etats ont finalement adopté une attitude de réticence et de méfiance. Car la plupart des Etats, dont les Etats musulmans sont persuadés que le corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme sert d'instrument pour maintenir l'hégémonie des grandes puissances occidentales au détriment du respect des droits de l'Homme. Ainsi même si le particularisme propre aux Etats musulmans en matière de droits de l'Homme, ne remet pas fondamentalement en cause le corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme, cela ne les empêche pas de le relativiser.

Section II : La relativisation du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme

En relativisant le corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme, les Etats musulmans ne refusent pas catégoriquement l'universalité, mais ils lui font perdre son caractère absolu. Antonio Cassese rappelle que l'importance de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de deux Pactes internationaux n'est pas remise en cause en tant «qu'objectifs à atteindre » (idéaux communs à atteindre, pour reprendre les termes de la Déclaration), en dépit des différences d'interprétation et d'application. Autrement dit, il dit que " les Etats continuent à voir dans les trois documents un ensemble de valeurs que l'on doit s'efforcer de réaliser."60(*) . Ils relativisent le caractère absolu de la terminologie du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme (§ 1), ainsi que son application (§ 2).

§ 1 : Le caractère absolu de la terminologie

La terminologie est l'ensemble des termes particuliers au corpus juridique onusien de l'universalité des droits de l'Homme. Relativiser le caractère absolu de l'universalité, revient à dire que l'universalité reste pour l'instant "un idéal commun à atteindre".

Non seulement les droits de l'Homme sont respectés différemment dans les différents pays, mais ils sont également conçus différemment. Antonio Cassese relève les points sur lesquels «l'effort d'unification mondiale n'a pas encore abouti »61(*) . En premier lieu, il existe de profondes divergences dans la conception philosophique des droits de l'Homme. Une autre divergence concerne les conceptions culturelles et religieuses différentes. Une divergence importante, celle relative au problème de la protection internationale des droits de l'Homme.

Hanna Saba explique «parce qu'à la différence des autres parties du droit international la Charte Internationale des droits de l'Homme concerne essentiellement la condition des personnes, la conception et l'application des principes qu'elle définit sont plus particulièrement conditionnés par les philosophies, les religions, les traditions et les régimes sociaux des différents Etats qui composent notre monde multiculturel. »62(*)

Pour cela l'Unesco, a convoqué une table ronde qui s'est tenue à Oxford du 11 au 19 novembre 1965 et à laquelle ont participé d'imminentes personnalités venues des pays les plus divers et appartenant aux traditions les plus différentes (occidentales, marxistes, bouddhistes, hindouistes, confucianistes, islamiques, africaines...). Le mandat de ce colloque ne se limitait pas à mettre en lumière les différences dans les conceptions; la question lui était également posée de savoir " si, dans les sociétés différentes dont les valeurs semblent divergentes et même opposées, il n'existe pas cependant une base commune à toute pensée ou du moins des équivalences susceptibles d'être analysées"63(*).

L'une des principales conclusions du colloque d'Oxford est que " la Déclaration universelle a été fortement influencée par la tradition occidentale des droits de l'Homme et notamment les Déclarations des droits qui furent proclamés en Europe occidentale et aux Etats-Unies. La forme et la terminologie de la Déclaration universelle, la place accordée au son sein aux droits civils et politiques et aussi aux garanties de ces droits témoignent de cette influence. On a pu penser aussi que la Déclaration universelle serait fortement "occidentale" dans la mesure où les normes qu'elle énonce ne reflètent pas toujours celles de certaines philosophies ou religions et traditions ; parfois même elles reposent sur des valeurs sinon opposées du moins différentes."64(*)

Le corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme comporte des dispositions contraires aux préceptes, aux Lois et aux coutumes des Etats musulmans. Les représentant des Etats musulmans interviennent souvent dans le cadre des Nations-Unies pour rappeler que le corpus juridique onusien des droits de l'Homme diffère de celui préconisé par la Loi islamique. Ce malaise est bien exprimé à travers l'intervention en 1982 du représentant de l'Iran à la 3ème Commission de l'O.N.U où il dit :

« La Déclaration et les Pactes sont en grande partie le produit du libéralisme occidental ; au moment de leur adoption, les régimes colonialistes et impérialistes occidentaux représentaient la majorité de la communauté internationale. Mais aujourd'hui cette majorité est formée par les Etats nouvellement indépendants d'Asie et d'Afrique qui possèdent un riche héritage philosophique, idéologique et culturel. Par conséquent, la déclaration doit être modifiée, le document laïc et occidental devant faire place un instrument qui soit mieux accepté universellement et donc plus facilement applicable universellement. Pour cela, le monde occidental doit se départir de son chauvinisme culturel traditionnel et envisager de nouvelles approches en matière de droits de l'Homme. »65(*)

On pourrait accumuler les exemples des antinomies existant entre la terminologie du corpus onusien et les principes, voire les législations propres aux Etats musulmans. L'un des plus grands défis à relever serait l'expression et la diffusion des valeurs du corpus onusien sous une forme culturellement variée, sans pour autant affaiblir les notions qu'elle proclame ni restreindre l'universalité de leur application. A l'échelon le plus simple, cela signifie traduire les textes dans toutes les langues parlées dans le monde et mettre ces textes à la disposition des milliards de personnes qui en ignorent l'existence. Plus concrètement, il sera nécessaire d'élargir la connaissance et la compréhension de ces droits, en faisant appel à différentes traditions culturelles, philosophiques et religieuses. L'universalité doit bénéficier de la diversité et non l'exclure.

Le particularisme, au lieu d'être un obstacle à l'universalité des droits de l'Homme, lui est bénéfique. Plutôt que l'unification, la diversité suggère l'harmonisation des systèmes de droits (dans la mesure où ils sont «admis » par la communauté internationale), à condition d'être compatibles avec les principes fondateurs communs des droits de l'Homme. Comme l'explique Mohammed-Allal Sinaceur «le respect universel des droits de l'Homme ne pourrait être sauvegarder si chaque culture et nation n'offrent, dans leurs racines mêmes, les défenses qui les protègent. C'est dans la mesure où chaque culture permet à chaque nation, ou ensemble de nations qui s'en réclament, de préserver le respect de ces droits, que les nations trouveront elles-mêmes les ressources et les moyens d'une vie à l'unisson de la communauté mondiale, d'une libre conformité aux valeurs universelles qui fondent les relations entre les pays et les Etats et donne tout son sens à l'idée de communauté internationale. »66(*). Ces documents qui restent avant tout, la principale source des droits de l'Homme, ont du mal à être accepter dans leur terminologie par les Etats musulmans forts imprégnés par leur particularisme en matière des droits de l'Homme.

La terminologie du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme n'est pas l'unique raison de cette relativisation. Par définition, l'universalité des droits de l'Homme implique un droit de regard mutuel entre tous les Etats. Des mécanismes existent afin de contrôler l'application du respect des droits de l'Homme dans tous les Etats. C'est dire que les droits de l'Homme peuvent être un droit d'action pour certains Etats contre d'autres.

§ 2 : Le caractère absolu de l'application

Est-il possible d'appliquer de façon absolue et uniforme, le corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme, dans tous les pays membres de la communauté internationale ? La réponse est certainement négative. En effet, l'application de toutes les dispositions du corpus juridique dans tous les Etats exige encore de très importants changements dans les mentalités et dans les législations. Il en est ainsi même dans les Etats occidentaux, fondateurs de cette universalité.

Si les Etats musulmans relativisent l'application du corpus juridique c'est afin d'éviter que les Nations-Unies transplantent dans leurs systèmes légaux des normes universelles incompatibles avec leur particularisme en matière des droits de l'Homme. Mais les droits de l'Homme sont devenus une préoccupation dans la législation contemporaine des Etats musulmans. Ils sont, en effet, intimement liés à la modernité, et les Etats musulmans ne rejettent pas fondamentalement cette modernité.

En 1948, lors de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, les Etats musulmans ont, pour la plupart, considéré ce texte comme incompatible avec les préceptes islamiques. Mais une adaptation réciproque s'est faite progressivement sous le signe d'une double évolution qui affecte, d'une part, l'étendue même et les conditions d'exercice des droits reconnus et, d'autre part, les législations et les coutumes des différents pays. Si l'on se reporte en 1966, année de l'adoption des Pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme par l'Assemblée générale des Nations-Unies, l'on constate plusieurs manifestation de cette évolution.

Pour ne donner qu'un exemple, l'article 18 de la Déclaration universelle proclamait le droit de changer de religion : "...ce droit implique le droit de changer de religion ou de conviction...". Ceci va totalement à l'encontre de l'Islam. Dans le Pacte international des droits civils et politiques, l'article 18 relative à la liberté de pensée, de conscience et de religion ne fait pas mention du droit à changer de religion.

Pour ne donner qu'un autre exemple relatif aux Etats musulmans, le principe de la liberté d'expression est affirmé par les documents internationaux dont la valeur universelle est reconnue par la plupart des Etats musulmans. ( Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, et article 19 du Pacte Internationale des droits civils et politiques). Des mesures législatives et administratives ont été prises par les Etats musulmans pour assouplir les limitations imposées au principe de la liberté d'expression, mais ces mesures ne permettent pas encore de changer radicalement les mentalités et de supprimer les préjugés face à l'application universelle des droits de l'Homme. Des retours de bâton interviennent pour anéantir en peu de temps l'effet des années de lutte et d'efforts.

Une délégation de "Reporters sans frontières" a relevé de multiples violations de ce principe ; depuis l'assassinat de Tahar Djaout le 26 mai 1993, cinquante-sept journalistes ont été tués. La plupart de ces meurtres ont été revendiquées par les différents groupes armés se réclamant de l'islamisme " qui considèrent les professionnels algériens de l'information comme des "suppôts du pouvoir" et des "ennemis de l'Islam"".67(*)

En acceptant formellement le corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme, les Etats musulmans sont liés par ces normes et leur application ; ils sont donc sujets à être jugés à travers elles. Le caractère absolu de l'application du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme fait redouter aux Etats musulmans le fait que certains Etats puissent juger leurs pratiques en la matière, puissent s'immiscer dans leurs affaires intérieures. Que la communauté internationale puisse estimer que telle ou telle pratique est acceptable ou ne l'est pas, et juger de l'adéquation de ces pratiques avec les normes de droit international des droits de l'Homme à travers les mécanismes de contrôle mis en place à cet effet par les Nations-Unies.

Ces mécanismes aussi faibles qu'ils soient, contraignent l'Etat à rendre des comptes et à se justifier. « Permettant un droit de regard extérieur sur ce qui constitue le coeur même du régime politique de l'Etat, il peut aboutir à porter atteinte à sa respectabilité- aussi bien interne- qu'international »68(*) . Face à cet étrange droit des droits, les Etats musulmans sont méfiants. Tout d'abord, parce que cela permet un droit de regard mutuel entre tous les Etats qui peuvent s'en servir pour intervenir dans les affaires intérieures de l'Etat.

Et si l'on tend à reconnaître aux droits de l'Homme un caractère universel et absolu, la diversité des instruments de protection pose problème. La limitation qu'impose les Etats musulmans à la portée universelle des droits de l'Homme vient de la multiplicité des instruments régionaux, universels, déclaratoires ou conventionnels, de protection des droits de l'Homme, qui pose le problème de leur harmonisation. On ne peut éviter les imprécisions qui sont sans doute la cause de la difficile universalité, car chaque Etat peut adopter sa propre définition et apporter ses propres limitations.

Accepter l'universalité n'est pas un problème en soi, car nous venons de le démontrer; il existe plusieurs façons de l'aborder. Le problème réside dans le fait que cela impose une certaine rigueur dans la pratique. Les Etats musulmans ne peuvent qu'être hostiles par principe à se voir imposer des normes universelles absolues qui sont inapplicables en pratique dans leur pays. Ce qui précède montre qu'ils ne peuvent que penser que "l'ONU dans sa structure sert d'instrument pour maintenir l'hégémonie des grandes puissances au détriment du respect des droits de l'Homme"69(*), et que les droits de l'Homme ne peuvent exister que dans un système positif et moderne. Pourtant, tout en étant hostiles à l'universalité des droits de l'Homme, les résistances face à la mise en place du corpus juridique des droits de l'Homme sont de moins en moins visibles dans les Etats musulmans, même si cette acceptation reste problématique

Chapitre II : Une acceptation problématique

On souligne souvent la contradiction- voire l'incompatibilité - qui existe entre l'universalité des droits de l'Homme, d'origine essentiellement laïque et occidentale et la revendication d'un particularisme propre aux Etats musulmans en la matière, d'origine purement religieuse.

Par ailleurs, on peut considérer que le peu de résistance opposée de la part de la majorité des Etats musulmans d'accepter l'universalité des droits de l'Homme résulte de l'enseignement islamique qui prédise leur reconnaissance. Mohamed-Allal Sinaceur explique cela en disant que "la dignité absolue reconnue à l'être humain par l'Islam ne peut permettre à un musulman de s'opposer à l'adoption de l'article 1 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des dispositions de ce texte qui vont dans le même sens"70(*). Du fait que les idées expriment les droits de l'Homme soient de source islamique ou non, il n'en reste pas moins que les Etats musulmans les acceptent même de façon problématique.

Il s'agit d'un vaste débat qu'il sera difficile de clore dans ce chapitre final. Toutefois, dans cette perspective, il est intéressant de savoir comment les Etats musulmans ont accepté progressivement la conception universelle des droits de l'Homme. (Section I) et de montrer en quoi les conséquences de cette acceptation rappellent cette contradiction entre l'universalité et le particularisme. (Section II)

Section I : L'acceptation progressive de la conception universelle des droits de l'Homme

Sur la base des Conventions protectrices des droits de l'Homme, l'ONU a déployé une activité considérable et les Etats musulmans ont été particulièrement attentifs à la question des droits de l'Homme.

Sans pour autant reprendre tous les éléments de cette discussion, il peut-être intéressant d'observer l'évolution de l'attitude des Etats musulmans vis-à-vis de la conception universelle des droits de l'Homme. (§ 1)

Nous nous bornerons à observer leur attitude à l'égard de la "Charte Internationale des droits de l'Homme " qui est constituée de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, du Pacte International relatif aux droits civils et politiques et du Pacte International relatif aux droits sociaux, économiques et culturels. Bien que cette étude puisse être compléter par un examen de l'attitude des Etats musulmans à l'égard d'autres instruments conventionnels ou non-conventionnels relatifs aux droits de l'Homme, l'étude de la "Charte Internationale des droits de l'Homme" nous suffira afin d'analyser et de préciser les difficultés d'application de ces textes. ( § 2)

§ 1 : L'évolution de l'attitude des Etats musulmans

Il peut-être intéressant de montrer en quoi leur attitude " n'a été ni monolithique, ni uniforme ; d'autre part, qu'elle a évolué..." 71(*) et d'étudier leur degré d'adhésion aux Conventions protectrices des droits de l'Homme (A.), et leur attitude face à ces Conventions (B.)

A- Le degré d'adhésion aux conventions protectrices des droits de l'Homme

1- La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

Lors de la proclamation de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, les Etats musulmans étaient peu nombreux à l'ONU. Ils étaient divisés en ce qui concerne les principes énoncés dans la Déclaration, car certains de ces principes étaient incompatibles avec les principes de l'Islam. On a constaté une certaine évolution dans leur attitude et l'on peut dès lors affirmer que la majorité d'entre eux a adhéré aux textes de la " Charte internationale des droits de l'Homme".

Comme l'écrit Mohamed-Chérif Ferjani " Par delà les cultures, par delà les particularités constitutives de l'identité d'un peuple ou d'une communauté quelconque, et dont on peut être respectueux dans la mesure où elles ne mettent pas en cause la dignité humaine et les droits qui lui sont inhérents, il y a un principe universel qui nous permet d'intervenir pour le respect de cette dignité et de ces droits, et nous en fait même une obligation."72(*). Cela signifie que pris dans sa globalité, "le discours de proclamation des droits de l'Homme s'adresse à tous les hommes partout et a un champ planétaire" 73(*). Les Etats musulmans réagissent en adhérant formellement à la conception universelle des droits de l'Homme. Car même si les textes qui les ont proclamés ont vus le jour en Occident, l'objectif n'en reste pas moins le respect universel de ces droits.

En 1948, les positions des Etats musulmans étaient contrastées. Même si une forte majorité s'est ralliée à la position dominante de l'Assemblée Générale, l'abstention de certains comme l'Arabie Saoudite et l'absence d'autres comme le Yémen, ont exprimé une opposition fondamentale au texte de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Il n'en reste pas moins que l'hommage rendu au texte est explicite. La Charte de la Ligue arabe de 1994, dans son préambule cite : " Réaffirmant les principes de la Charte des Nations-Unies, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme..."74(*)

Mais la Déclaration universelle n'est qu'un simple document ; une résolution de l'Assemblée générale des Nation-Unies, qui énonce des recommandations destinées aux Etats. C'est donc un texte sans valeur obligatoire, qui ne crée aucune obligation. Quel que soit le caractère obligatoire de ce texte, on constate qu'il n'y a plus d'hostilité de principe de la part des Etats musulmans à l'égard de ce texte, mais une acceptation progressive qui continue néanmoins à leur poser quelques problèmes pratiques. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 est une déclaration de principe destinée à l'origine à être complétée par d'autres textes : ce furent les deux Pactes relatifs aux droits de l'Homme, adoptés par l'Assemblée générale des Nations-Unies le 16 décembre 1966.

2- Les Pactes de 1966 relatifs aux droits de l'Homme

"Les Pactes de 1966 traduisent des préoccupations différentes de celles de la Déclaration universelle et un infléchissement de l'idéologie des droits de l'Homme, qui tient à deux chiffres : l'Assemblée générale des Nations-Unies compte 58 membres en 1948 et 122 membres en 1966 ; l'idéologie majoritaire n'est plus la même." 75(*). Les deux Pactes distinguent les droits civils et politiques dans un instrument, des droits sociaux, économiques et culturels dans un autre instrument. De plus les Pactes s'adressent aux Etats et non aux individus (" les Etats s'engagent à..") .

Les Pactes ont éviter de soulever les questions délicates qui posaient problème aux Etats musulmans dans la Déclaration universelle. Alors que le vote de la Déclaration universelle en 1948 à montrer des positions contrastées, l'adoption à la majorité des deux Pactes tend à approuver le fait que les Etats musulmans aient accepté progressivement la conception universelle des droits de l'Homme. Pour ne citer que certains d'entre eux : l'Algérie, l'Egypte, l'Irak, la Jordanie, le Liban, la Libye, la Guinée, le Maroc, la République islamique d'Iran, la Somalie, la Syrie, le Tchad, la Tunisie, le Yémen ont adhéré aux Pactes.

L'adhésion des Etats musulmans aux Pactes ne sert à rien si on ne s'assure pas au préalable qu'ils sont juridiquement liés par eux. Ces Pactes internationaux ne présentent de réel intérêt que si des organes de contrôle garantissent le respect effectif des droits de l'Homme énoncés. Le Comité des droits de l'Homme est l'organe des Nations-Unies chargé de contrôler et de superviser l'application du Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques. Il fonctionne depuis 1977 et a déployé une activité fort intéressante.

Le Protocole " habilite le Comité des droits de l'Homme... à recevoir et à examiner, des communication émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés dans le Pacte." ( Préambule). Les Etats Parties à ce Protocole doivent se prêter au contrôle du Comité, ce qui signifie une reconnaissance de sa compétence, et ils doivent donner suite à ce contrôle. Les Etats musulmans ont soit en majorité voté en faveur du Protocole (Irak, Jordanie, Liban, Libye, Soudan, Maroc, Tunisie,...), soit ont préféré s'abstenir ( Algérie, Arabie Saoudite, Iran, Mauritanie, Syrie, Oman, Bahreïn...).

L'article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques invite les " Etats Parties au présent Pacte à présenter des rapports sur les mesures prises qu'ils ont arrêtées et qui donnent effet aux droits reconnus dans le présent Pacte et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits...".

On a observé une certaine méfiance de la part des Etats musulmans par rapport au contenu et à la portée de ce Protocole. En limitant cette étude aux textes des Pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme, on examinera l'attitude des Etats musulmans à l'égard de ces textes.

B- Leur conduite face à ces Conventions

Si les deux Pactes ont eu un tel succès, c'est probablement parce qu'ils n'ont pas mentionner les quelques points litigieux qui figuraient dans la Déclaration universelle ; les passages contestés par les Etats musulmans dans la Déclaration universelle ont disparu. Ainsi, les Pactes ont supprimé les références à la religion qui posaient problème pour les musulmans, notamment dans l'article 16, relatif au droit de se marier et de fonder une famille, et de l'article 18 qui reconnaît le droit de changer de religion. Pourtant on décèle une certaine méfiance de la part des Etats musulmans à l'égard des procédures de mises en oeuvre de deux Pactes, notamment du Pacte relatif aux droits civils et politiques qui a le mérite d'avoir prévu la création du Comité des droits de l'Homme.

Les deux Pactes sont muets concernant la pratique des réserves, mais ils ne les interdisent pas. Les hésitations ainsi que les méfiances de la part des Etats Parties aux Pactes peuvent disparaître par le jeu des réserves. Les Etats gardent un atout dans leur poche : ils peuvent apporter leur propre limitation aux dispositions qu'ils estiment contraires à leur pratique en matière de droits de l'Homme.

Près de la moitié des Etats Parties au Pacte ont formulé des réserves ou des déclarations, portant sur les dispositions précises d'articles. Il est pourtant frappant de remarquer que peu d'Etats musulmans qui ont ratifié les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme, ont émis des réserves. La Syrie ainsi que l'Irak ont émis des réserves ou des déclarations au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (sans compter les réserves relatives à la reconnaissance d'Israël).

Paul Tavernier relève que " l'attitude de l'Algérie, qui il est vrai a ratifié plus récemment les deux Pactes (12 septembre 1989), a été beaucoup plus prudente. Elle a émis non pas des réserves mais des "déclarations interprétatives"."76(*). La déclaration interprétative la plus intéressante concerne les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 23 du Pacte international sur les droits civils et politiques qui dispose que :

"Les Etats Parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. N cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer aux enfants la protection nécessaire." Le gouvernement algérien interprète cette disposition comme ne portant en aucun cas atteinte aux fondements essentiels du système juridique algérien, mais cela laisse entrevoir que dans le domaine du droit de la famille, la Loi islamique est la source d'inspiration.

Le droit de la famille sous-entend, les droits de la femme. Le statut de la femme dans les Etats musulmans reste en dessous de standard établi par les documents de Nations-Unies. Ces Pays n'ont pas hésité à faire des réserves chaque fois que les documents onusiens visant à améliorer les droits de la femme. L'article 23 du Pacte des droits civils et politiques engagent les Etats à "assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution."

Mais nous ne pouvons nier que la condition de la femme musulmane a connu un certain progrès selon les pays. Elle a obtenu le droit de vote, le droit d'accéder aux fonctions politiques, judiciaires et autres fonctions publiques, le droit au travail, le droit à l'enseignement. Même si les Etats musulmans restent pour la plupart hostiles à l'égard de cette forme de progrès, il n'en est pas moins qu'ils l'acceptent progressivement.

On entrevoit dans l'attitude des Etats musulmans une volonté plus grande d'adhérer à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et aux Pactes internationaux de 1966. On pourrait penser que l'on arrive vers une acceptation progressive de la conception universelle des droits de l'Homme. Mais cette universalisation est plus facile à réaliser dans la proclamation des droits que dans l'application concrète et effective de ces Conventions protectrices des droits de l'Homme. L'Arabie saoudite ainsi que les Emirats arabes, Oman, la Mauritanie, Djibouti, Bahreïn, Qatar n'ont adhéré à aucun des deux Pactes, ni aux Protocoles.

Mme Khadija Chérif Ben Mahmoud, vice-présidente chargée des droits de la femme à la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, Sidi Bou Said ( Tunisie), dit que "il s'agit là d'un indice qui mérite d'être relevé et qui constitue un obstacle à l'universalité et donc à l'universalisation des valeurs et normes en matière de droits de l'Homme."77(*).

§ 2 : Les difficultés d'application de la "Charte Internationale des droits de l'Homme"

Les difficultés qui surgissent dans la mise en oeuvre effective de la Charte Internationale des droits de l'Homme "tiennent pour la large part à la difficile conciliation que les Etats musulmans veulent opérer entre la Loi islamique et les normes onusiennes en matière de droits de l'Homme"78(*). L'indice de ces difficultés est fourni par les rapports que les Etats doivent soumettre au Comité des droits de l'Homme, pour le Pacte international des droits civils et politiques et au Comité des droits économiques, sociaux et culturels, crée en 1985 pour l'autre Pacte. De 1977 à nos jours, le Comité des droits de l'Homme a examiné les rapports de nombreux Etats musulmans. En revanche, il a constaté que la plupart des Etats musulmans étaient en retard pour la soumission de leurs rapports initiaux et périodiques ce qui traduit l'existence de difficultés dans l'application de ce Pacte.

Il n'est pas question de reprendre ici tous les éléments de cette discussion et c'est pourquoi nous nous bornerons à apporter quelques matériaux pour alimenter notre étude. Notre développement s'arrêtera à l'examen des rapports présentés par certains Etats musulmans au Comité des droits de l'Homme dans le cadre de l'article 19 de Pacte relatif à la liberté d'opinion et d'expression:

1. " Nul ne peut être inquiété pour ses opinions

2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la Loi et qui sont nécessaires :

a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ;

b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publique."

On constate que les Etats musulmans se sont lancés dans un long processus de révision de leur législation. Ils n'ont manifesté aucune mauvaise volonté pour l'harmoniser avec le Pacte ; des exemples fournis par les rapports présentés par les Etats musulmans au Comité des droits de l'Homme montrent ces aspects positifs dans l'application du Pacte(A). Cependant, il apparaît que ces Etats sont confrontés à des obstacles particuliers lorsqu'ils doivent appliquer les dispositions du Pacte. (B)

A- Les aspects positifs

Notre étude portera sur les rapports des Etats musulmans qui ont rendu le dialogue plus fructueux entre les délégations des Etats musulmans et le Comité des droits de l'Homme. Ils fournissent les plus de renseignements précis, et ont permis au Comité de mieux comprendre la situation des droits de l'Homme dans les Etats musulmans.

q La Constitution égyptienne garantit la liberté d'opinion, le droit pour les citoyens d'exprimer son opinion et de la propager par la parole, par écrit, par l'image... Elle est plus claire dans son énoncé quant aux garanties et restrictions relatives à la liberté d'expression et d'opinion que la plupart des pays arabo-musulmans. Notons que dans l'article 47 de la Constitution "l'autocritique et la critique constitutive sont une garantie du bon développement national"." La censure, l'avertissement, la suspension et la suppression des journaux par voies administratives sont interdites. Toutefois il est permis de soumettre les journaux, les imprimés et les moyens d'information à une censure limitée aux questions se rattachant à la sécurité générale ou aux objectifs de la sécurité nationale, et ce, conformément à la Loi"(article 48 )79(*). La législation en matière de liberté d'expression en Egypte semble très inspirée par les législations des pays démocratiques occidentaux. L'article 206 dit " : La presse est le pouvoir populaire autonome qui exerce sa mission de manière prescrite par la Constitution et la Loi. La presse exerce sa mission en toute liberté et indépendance au service de la société ; elle exprime les différences tendances de l'opinion publique..."80(*). La Loi n°148 de 1980 sur les organes de presse précise dans son article 1 que la presse est un média indépendant et libre, placé au service de la société. Elle exprime et contribue à orienter les tendances de l'opinion publique de diverses façons. Le système législatif égyptien sur la liberté d'expression, est véritablement complet et précisé dans diverses Lois ; à titre de références, Loi sur les publications de 1936, Loi de 1955 concernant la censure des oeuvres artistiques, Loi sur les droits d'auteurs. Le Comité observe les efforts avec lesquels les délégations égyptiennes ont harmonisé au mieux leur législation sur la liberté d'expression avec les dispositions de l'article 19, même s'il reste préoccuper par certaines restrictions apportées à ce droit fondamental. Il n'apporte aucune précisions quant à ces préoccupations81(*). La législation égyptienne en matière de liberté d'expression, pourrait être la référence par excellence pour les autres Etats musulmans qu'en à sa quasi-harmonie avec les garanties offertes par l'article 19 du Pacte.

q Les délégations marocaines rappellent que "le droit à la liberté d'opinion et d'expression contenu dans l'article 19 du Pacte est garanti par la Constitution marocaine de 1972 qui dispose clairement dans son article 9 que : " La Constitution garantit à tous les citoyens la liberté d'opinion, la liberté d'expression sous toutes ses formes""82(*). Elles ajoutent dans leurs troisièmes rapports, que le Maroc a franchi des étapes importantes dans le domaine de la liberté d'expression ; en effet, elles relèvent que " le nombre d'organe de presse ne cesse de s'accroître, que tout citoyen peut publier un journal, qu'il soit de nature politique, culturelle, artistique, sportive ou professionnelle, et aucune disposition légale ne prévoit la censure des publications." 83(*)

q Les délégations du Soudan rappelle dans leur deuxième rapport que la Loi sur la presse et les publications garantit la liberté d'expression au sens de l'article 19 du Pacte : " toute personne au Soudan a droit à la liberté d'expression ; Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations des idées de toute espèce sous forme écrite ou imprimée. L'exercice de ces libertés comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales, il est soumis à certaines restrictions expressément fixées par la Loi sur la presse et les publications. Ces restrictions sont nécessaires au respect des droits et de la réputation d'autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, et de la santé et de la moralité publiques"84(*). Le Comité des droits de l'Homme note dans ces observations finales faites au Soudan en date du 19 novembre 1997, que la législation et les décrets en vigueur méritent d'être réviser " de façon à supprimer toute restriction disproportionnée qui pèse sur les médias et a pour effet de menacer la liberté d'expression"85(*).

q M.DIMITRIJEVIC, membre du Comité des droits de l'Homme "note que le gouvernement tunisien déploie de louables efforts pour empêcher que la vie politique et la liberté d'opinion et de l'information ne soient faussés par le fanatisme religieux ou autre et pour éviter que le droit de l'information ne soit détourné de son but et ne soit utilisé pour détruire toute forme de liberté"86(*). La délégation tunisienne reconnaît que la notion "d'ordre public "est des plus vagues tant qu'elle n'est pas délimitée par des critères très stricts visant à n'autoriser aucune violation des droits de l'Homme. Elle estime qu'il y a beaucoup à faire, mais des commissions travaillent à modifier tous les cadres pour harmoniser d'avantage la législation relative à la liberté d'expression avec les dispositions de l'article 19 du Pacte. On notera que la Loi organique n°88-89 modifiant la Loi sur la presse de 1975, est venue renforcer dans la pratique le principe de la liberté d'expression en Tunisie. Les délégations tunisiennes ne doutent pas que d'autres améliorations pourront être apportées afin de garantir au mieux la liberté d'expression, mais rappellent également que l'interprétation et l'application de la législation restent souples.

q Dans ses rapports initiaux du 24 avril 1989, le Yémen démocratique déclare que "l'Etat garantit la liberté d'expression orale, écrite, graphique ou autre". Elle est réglementée par "la presse et autres moyens d'information et de diffusion de manière à soutenir le régime démocratique yéménite et à protéger la morale publique et la sécurité nationale sans porter atteinte à la liberté et à la dignité des citoyens"87(*) (article 44 de la Constitution). Le Comité note que de toute évidence les délégations yéménites sont restées trop sommaires dans le rapport initial concernant la liberté d'expression garantie par l'article 19 du Pacte. S'il est vrai qu'il n'existe pas de hiérarchie des droits fondamentaux, il n'en reste pas moins que l'article 19 joue un rôle central dans l'exercice des autres droits et libertés garanties par la Charte Internationale des droits de l'Homme. Dans son deuxième rapport le Yémen a tenu compte des recommandations du Comité ; il précise quelles sont les garanties reconnues à la liberté d'expression, de pensée et d'opinion, par la Loi n°25 de 1990 sur la presse et les publications. (Article 3,4,5 et 6). Elle précise que les citoyens ont libre accès à la connaissance et à l'information que ce droit est garantie par la Constitution et la présente Loi. Elle précise que les organes de presse sont indépendants et "peuvent librement s'acquitter de leur responsabilité à l'égard de la société, informer le public et exprimer les tendances de l'opinion publique par divers moyens compatibles avec la religion islamique, les principes consacrés dans la Constitution sur lesquels sont fondés la société et l'Etat, les objectifs de la révolution yéménite et le renforcement de l'unité nationale"88(*).

q La législation algérienne en matière de presse est strictement bridée par l'Etat, mais le Comité note des efforts d'harmonisation avec le Pacte même si ces efforts restent trop sommaires. " Le Comité accueille avec satisfaction la suppression dans les imprimeries des "comités de lecture placés sous le contrôle de l'Etat et le retrait des directives interdisant la publication d'informations non autorisées touchant les "questions de sécurité"".89(*)

q Le dernier processus de révision et d'harmonisation que l'on peut donner concernant la législation en matière de liberté d'expression dans les Etats musulmans est celui de la Jamahiriya arabe libyenne : "A propos de l'article19, concernant la liberté d'opinion et la liberté de rechercher, de recevoir... , la législation libyenne reconnaît ce principe et le Grand document vert stipule que la société jamahiriyenne est une société éclairée et créatrice dans laquelle chacun jouit de la liberté de recherche, d'innovation et de pensée."90(*)

Malgré ces efforts d'harmonisation et le début de dialogue fructueux entre les délégations des Etats musulmans, le Comité regrette de constater que des obstacles particuliers apparaissent dans l'application du Pacte.

B - Les obstacles particuliers

Concernant le dialogue avec les Etats musulmans, le Comité émet souvent les observations suivantes : "Le comité regrette cependant de constater que, si le rapport contient des renseignements détaillés sur la législation et la réglementation donnant effet au Pacte, on n'y trouve pas suffisamment d'informations sur l'application de cet instrument dans la pratique ne sur les facteurs et les difficultés ayant une incidence sur cette application"91(*). Dans l'intitulé de l'article 19 du Pacte international des droits civils et politiques, les notions "d'ordre public" et de "moralité publique" posent un problème de définition dans la législation des Etats musulmans ;

3- L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la Loi et qui sont nécessaires :

a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ;

b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques."

Des obstacles se dressent sur la voie de la promotion de ce principe du fait des exigences de la Loi islamique, d'une part, et d'autre part, du fait de la raison d'Etat.

1- L'obstacle du fait des exigences de la Loi islamique

q L'article 23 de la Constitution iranienne prévoit que le contrôle des opinions est interdit et que nul ne peut-être attaqué ni réprimandé pour ses opinions ; ceci reste une bonne interprétation de l'article 19 du Pacte même si succinct. La Constitution de la République Islamique d'Iran est certainement l'une des expressions les plus éloquentes de la suprématie du dogme religieux sur le droit positif ; la religion est présente au niveau de toutes les institutions et les autorités qui sont législative, exécutive et judiciaire. La République islamique d'Iran tire son origine de " la croyance du peuple iranien au gouvernement du droit et de la justice prévue par le Coran" annonce l'article 1er de la Constitution. Le Comité des droits de l'Homme, lors de ses observations finales note que les facteurs et les difficultés entravant l'application du Pacte, sont dû à de nombreuses limitations ou restrictions, explicites ou implicites, associées à la protection de valeurs religieuses, qui ont aussi gêné sérieusement la jouissance de la liberté d'expression protégée par le Pacte. Il relève le fait que des membres de certains partis politiques qui n'ont pas partagé les vues des autorités sur la pensée islamique ou ont exprimé des opinions divergeant des positions officielles, ont été victimes d'une discrimination ; l'autocensure paraît être répandue dans les médias. Quoi de plus étonnant de rencontrer de si fortes restrictions à la liberté d'expression lorsque l'opinion exprimée diverge ou critique les autorités exécutives, législatives ou judiciaire de la République islamique d'Iran. L'Islam établit comme religion d'Etat (article 12 de la Constitution ) ne peut être ni modifiée ni critiquée. Le peuple musulman lui doit respect absolu et comme l'Iran est Etat de l'Islam, le citoyen iranien doit respect absolu à la Constitution de l'Etat. Dans leur deuxième rapport en date du 22 mai 1992, les autorités iraniennes rappellent que " conformément à l'article 24 de la Constitution, les maisons d'édition et de la presse jouissent de la liberté d'expression, sauf si celle-ci va à l'encontre des préceptes de l'Islam...". De même dans l'article 175 qui "prévoit qu'il faille veiller à garantir la liberté d'expression et de diffusion de la pensée par l'intermédiaire des médias (radio et télévision ) de la République islamique d'Iran, en conformité des préceptes de l'Islam et au mieux des intérêts du pays"92(*).

q La question que se posa le Comité de droits de l'Homme, concernant la législation yéménite sur la liberté d'expression, fut de connaître les motifs qui pourraient pousser le Ministère de l'information, à restreindre la liberté d'expression, quelles sont les limites apportées à cette liberté fondamentale ? Y aurait-il une autocensure de la part de la presse, de peur des représailles du gouvernement ? Les organes de presse et de publications diverses sont libres de recevoir des informations de les diffuser, "dans les limites autorisées par la Loi". L'article 6 de la loi n° 25 de 1990 stipule que" la Loi garantit le droit aux professionnels du journalisme de s'exprimer sans avoir à rendre compte de leurs opinions de manière illégale, à condition que cette expression ne soit pas contraire aux dispositions de la Loi"93(*).

Les obstacles auxquels sont confrontés les Etats musulmans dans l'application du Pacte viennent des exigences de la Loi islamique. Mais des renseignements plus précis sur la question de l'incompatibilité de la Loi islamique et de la conception onusienne des droits de l'Homme, ont permis au Comité de mieux comprendre que ces exigences n'étaient les seules à être un obstacle.

2- L'obstacle du fait de la raison d'Etat

Dans les Etats où la Loi islamique n'a pas de répercussions sur l'organisation et le fonctionnement de l'Etat, l'obstacle est celui de la raison d'Etat. Les autorités en place dans un Etat musulman ne peuvent être critiquées par les citoyens. Quels qu'ils soient, ils en subiront les conséquences.

q En Tunisie " le Code pénal réprime les délits et les crimes par voies de presse tels que la diffamation et l'injure. Ces infractions sont passibles de peines plus sévères lorsqu'elles sont dirigées contre des corps constitués, l'armée ou l'administration"94(*). M.WENNERGREN, membre du Comité se demande " si les dispositions de la législation tunisienne sont conformes à celles de l'article 19 du Pacte selon lesquelles l'exercice de la liberté d'expression peut-être soumis à certaines restrictions nécessaires à la sauvegarde de l'ordre public, et quelle interprétation est donnée, en Tunisie, de la notion d'ordre public."95(*). La question qui revient alors souvent dans les comptes-rendus analytiques du Comité est celle de la définition de "corps constitués" et celle "d'ordre public". Le Comité des droits de l'Homme suggère et recommande aux délégations tunisiennes qu'il reste des mesures à prendre pour adapter la législation interne au Pacte en particulier de prévoir un examen judiciaire indépendant, en définissant de façon plus explicite la notion d'ordre public ; il explique que l'Etat ne peut avoir totale mainmise sur la presse et autres ouvrages, et qu'il doit organiser un droit de réponse dans la presse.

q En Algérie, le Comité des droits de l'Homme " note que de nombreuses restrictions subsistent en pratique en ce qui concerne la liberté d'expression, par exemple celles qui touchent la diffusion d'informations portant sur les allégations de corruption et l'examen de ce problème, ainsi que la critique des autorités, et la diffusion de matériaux considérés comme une manifestation de sympathie ou d'encouragement à la subversion, toutes restrictions qui portent gravement atteinte au droit des médias d'informer le public et au droit du public d'être informé. Le Comité est aussi profondément préoccupé par les menaces que reçoivent les journalistes, les militants des droits de l'Homme et les avocats, et par les assassinats dont ils sont victimes." 96(*)

q Le Comité est préoccupé par les nombreuses restrictions dans la législation libyenne "tant en droit et en fait, qui frappent le droit à la liberté d'expression, en particulier le droit d'exprimer son opposition au Gouvernement, au système politique, social et économique en place et aux valeurs culturelles de la Libye ou celui de les critiquer."97(*). Dans ces observations finales de 1998 après examen du troisième rapport du 27 septembre 1998, le Comité relève les mêmes sujets de préoccupation que dans ces observations finales faisant suite aux deuxièmes rapports périodiques présentés par la Libye en 1993.

q Au Maroc il se déclare préoccuper "par l'étendue des limitations apportées à la liberté d'expression par le dahir de 1973, particulièrement des limitations au droit de critiquer le gouvernement. Ainsi que le contrôle des médias par le gouvernement ainsi que l'emprisonnement de certains journalistes coupables d'avoir exprimé des critiques."98(*). En Effet le Code de la presse permet au gouvernement de censurer directement les journaux en leur donnant l'ordre de ne pas traiter tel ou tel sujet. La Loi et la tradition interdisent trois sujets de critique : la monarchie, la revendication du Maroc sur le Sahara Occidental et le caractère sacré de l'Islam.

Même si l'on entrevoit un important mouvement vers l'acceptation de la conception universelle des droits de l'Homme, les pratiques des Etats musulmans permettent d'ores et déjà de tirer les conséquences de cette acceptation. Ira-t-on jusqu'à dire " que le progrès des droits de l'Homme n'est jamais assuré et que les débats sur la compatibilité et l'incompatibilité de la Loi islamique et des textes relatifs aux droits de l'Homme se poursuivront pendant encore longtemps"99(*) ?

Section II : Les incidences de cette acceptation

Des progrès ont été réalisés par les Etats musulmans dans l'acceptation de l'universalité des droits de l'Homme. Toutefois, l'expérience montre que les incidences de cette acceptation restent fatales pour les droits de l'Homme.

Elle se heurte à la formule laïque des droits de l'Homme ; en analysant l'élaboration du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme, nous avons vu que la seule forme de gouvernement dont les droits de l'Homme- dans leur dimension onusienne- peuvent s'accommoder, est la démocratie moderne. De profondes mutations interviennent, dès lors dans la société des Etats musulmans. Elle aspire à des moeurs modernes, européennes ou américaines, avec toutes les libertés individuelles que celles-ci comportent. ( § 1) Des rapports de force naissant entre le peuple et le pouvoir ; l'un veut pouvoir exprimer librement des critiques contre le manque de libertés et de démocratie ; l'autre veut limiter pour tous les moyens ces critiques. ( § 2).

§ 1 : les conséquences modernistes

A- La démocratie moderne.

La démocratie figure dans quasiment toutes les Constitutions des Etats musulmans, mais elle n'a aucune traduction dans la réalité. Gilbert Achcar écrit "alors que partout ailleurs le modèle libéral et parlementaire s'est imposé, au Proche-Orient et au Maghreb les régimes autoritaires se maintiennent sans réformes profondes."100(*)

Il explique qu'il n'y a pas la moindre lueur d'espoir à l'horizon prévisible : les progrès enregistrés au plus fort de l'impulsion démocratique mondiale à la fin des années 80, en Jordanie et au Yémen ont été balayés. Même le Liban qui naguère se distinguait par une pratique électorale et parlementaire relativement crédible et de réelles libertés d'expression, est en voie d'être remis au pas.

Un des concepteurs de la politique étrangère américaine, Amos Pelmutter, n'hésitait pas à écrire dans le Washington Post : L'Islam, qu'il soit intégriste ou pas, est-il compatible avec la démocratie représentative de type occidental, orientée vers les droits de l'Homme et libérale ? La réponse est clairement non." 101(*). Mais lorsque l'on pose la question à Morad Saghafi, directeur de la revue iranienne " Goftegou", de savoir s'il y a incompatibilité entre "République" et "islamique", il répond : " Si l'on se base davantage sur des réalités, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait définir une sorte d'islam démocratique, comme on parle de démocratie chrétienne. En Iran, au sein des mouvements religieux, tout le spectre existe. Pour certains, islam et démocratie ne sont pas incompatibles, l'égalité des citoyens est une donnée de l'islam, et c'est aux citoyens de choisir leur destin. Pour d'autres, l'exégèse sacrée des textes fonde la légitimité, et les personnes qui y ont accès ont un droit supérieur aux autres."102(*)

Nous avons ici deux positions bien distinctes auxquelles il peut-être intéressant de rajouter une autre réalité. L'expérience des Etats musulmans en matière de démocratie moderne ne tient pas à une quelconque " spécificité culturelle", mais en partie, à la politique occidentale soucieuse de maintenir un accès à bon marché aux ressources pétrolière et inquiète de la montée en puissance de l'opposition islamiste contre la modernité. Les régimes politiques des Etats musulmans vont des monarchies absolues "de jure" aux républiques "de facto". Dans les pays qui se prétendent démocratiques, ce ne sont qu'élections trompe-l'oeil et, dans le meilleur des cas, des libertés octroyées aussi chichement que sélectivement, et étroitement surveillées.

L'Occident semble s'accommoder de cet état des choses. Un exemple : l'adhésion des Etats musulmans au sein des Nations-Unies s'est faite sans consultation de leurs peuples. Ceci est une violation des droits de l'Homme ; L'alinéa 1 de l'article 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme énonce que toute personne a " le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays." . D'autre part, le Coran, prescrit la consultation des peuples dans les décisions les concernant. ( Verset 42; Sourate 38, V 3; S 159).

B- L'aspiration à des moeurs modernes.

En permettant aux adhérants comme aux opposants de s'exprimer librement, les Etats musulmans consentiraient à accepter l'aspiration des peuples aux moeurs modernes. Mais si le peuple est souverain sur le papier, il n'a aucun moyen d'exprimer et d'exercer son droit à la souveraineté.

Le peuple ne peut exercer son droit à la souveraineté " ni par la participation à la formation de la Loi, ni par le choix, le contrôle et la sanction des gouvernants, que ce soit directement ou par des organes qui le représentent et qui sont responsables devant lui. Pour ce qui est des libertés et des droits individuels et collectifs, sans lesquels la démocratie ne serait qu'une supercherie, ils sont garantis par la Constitution, mais dans "le cadre de la Loi"".103(*)

Sans doute, la liberté d'expression pourrait paraître plus précieuse dans une société démocratique, car elle commande le libre débat d'idées et d'opinion. Mais elle n'est pas seulement une liberté individuelle, elle est aussi une valeur essentielle pour la société dans son ensemble.

Même si les droits et libertés d'expression sont reconnus dans les Etats musulmans, on ne peut pas les exercer librement. Avec une telle conception des droits de l'Homme, les Etats musulmans peuvent adhérer à toutes les Déclarations et à toutes les Conventions internationales de protection des droits de l'Homme, sans que cela les engagent à quoi que ce soit. C'est d'ailleurs ce qu'ils ont fait systématiquement ou presque. Les Constitutions des républiques arabes et islamiques, font toute référence à ces textes et aux droits de l'Homme. Si l'on fait abstraction de la formule anodine : "dans le cadre de la Loi", ces Constitutions peuvent compter parmi ce qu'il y a de plus moderne.

C'est ce qu'à fait Khomeiny en Iran, comme ce qu'ont fait les Frères musulmans au Soudan, en accélérant le processus de modernisation. Ils ont aggravé la situation au profit d'une emprise encore plus étendue de l'Etat sur la vie de la société et des individus. Ces situations représentaient un rêve dans lequel l'individu et ses libertés n'avaient pas de place.

Comme la Loi est mise en dessus de la liberté et des droits de l'Homme, on ne peut faire respecter l'ordre légal que par l'usage de la force répressive (emprisonnements, assassinats, censure de la presse, suppression des libertés individuelles et collectives...) et par la sacralisation de la Loi au nom de la religion islamique traditionaliste.

A l'intérieur de ces pays, l'écart entre le discours des droits de l'Homme et la pratique de ces régimes est loin d'être négligeable. La modernité engendre plus de répression et plus d'arbitraire, et donc plus de violations des droits de l'Homme.

§ 2 : la pratique des violations des droits de l'Homme

L'expérience nous montre que la répression reste l'arme principale pour se maintenir au pouvoir et soumettre son peuple.

"L'Algérie est certes une démocratie imparfaite, mais dans laquelle l'opposition islamiste fait partie du gouvernement : c'est le seul pays du monde arabe qui possède une presse libre." Cette phrase est sans cesse répétée par les diplomates et ministres algériens chaque fois que les organisations non gouvernementales ( ONG) expriment des critiques contre le manque de libertés et de démocratie dans ce pays. Marc Margenis explique que par-là, le gouvernement d'Alger tente de convaincre, non sans succès, que la " démocratisation suit son cours et que les ONG les plus virulentes ( Reporters sans frontières, Amnesty International...) interdites depuis plusieurs mois, ne font nullement preuve d'objectivité." 104(*)

Alors comment expliquer qu'un journaliste algérien qui veut garder l'anonymat, écrive, " Il n'y a plu de presse libre dans ce pays ; à peine quelques concessions qui permettent au gouvernement, pour améliorer son image de marque, de se vanter, à l'étranger, d'autoriser la liberté de la presse. Par ailleurs, les généraux savent parfaitement que, sans une petite bouffée de liberté, le pays serait une bouilloire sous pression et la situation deviendrait explosive".105(*). Selon un des derniers rapports de Reporters sans frontières, depuis l'assassinat de Tahar Djaout, le premier journaliste tué le 26 mai 1993, " cinquante-sept journalistes ont été tués. La plupart de ces meurtres ont été revendiqués par les différents groupes armés se réclamant de l'islamisme."106(*). L'association précise que les circonstances qui entourent certains des assassinats demeurent obscures et suscitent des interrogations. De nombreux journalistes admettent, en privé, que le pouvoir est à l'origine de certains de ces meurtres, mais tous déclarent craindre pour leur vie s'ils rendent publiques ces informations.

En octobre 1995, Omar Belhouchet, directeur du quotidien El Watan confie dans une interview à la chaîne française Canal + : " Il y a des journalistes qui gênent le pouvoir. Et je ne serais pas étonné si j'apprenais demain que certains de mes collègues ont été assassinés par des hommes du pouvoir. "107(*). Ces propos vaudront pour le journaliste d'être condamné à un an de prison pour " outrage à corps constitué".

Rassemblés devant le palais du gouvernement, les journalistes algériens ont manifesté pour la liberté d'expression, le mercredi 11 novembre 1998, portant des pancartes hostiles aux autorités ; ils ont demandé que la liberté d'expression ne soit plus bafouée. Le conflit entre les autorités et les journalistes a éclaté après les sociétés publiques ont sommé quatre quotidiens ( El Wanta, Le Matin, La Tribune, le Soir d'Algérie) de régler dans les quarante-huit heures leur dette sous peine de suspension. Cet ultimatum intervenait après une série d'articles mettant en cause le ministre-conseiller à la présidence, et le ministre de la justice. Pour bâillonner la presse, le pouvoir dispose du monopole de l'imprimerie comme de l'importation du papier, mais aussi 85 % de la publicité.

Il peut à la fois suspendre la parution des journaux, réduire leur tirage ou les étrangler financièrement. Mais son atout maître, c'est un dispositif législatif particulièrement répressif doublé d'une sécurité policière omniprésente.

D'après un des derniers rapports de Reporters sans frontières, au moins dix journalistes seraient détenus actuellement dans les prisons syriennes pour " activités non violentes telles que l'appartenance présumée à des groupes politiques ou de défense des droits de l'Homme non autorisées."108(*). Des conditions d'hygiène lamentables prévalent dans ces prisons et les détenus y sont soumis à des tortures.

L'expérience de Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques, a sûrement été la plus médiatisée. Pourquoi? Parce que l'Occident n'a cessé de défendre Salman Rushdie au nom de la liberté d'expression. Le 14 février 1989 est la date noire dans l'histoire de la liberté d'expression. Ce jour-là, un édit religieux de l'Ayatollah Khomeini informe tous les musulmans du monde que l'auteur et toutes les personnes impliquées dans la publication ou ayant eu connaissance du contenu des Versets sataniques, un livre contre l'Islam, le Prophète et le Coran, sont condamnés à mort.

Pendant près de dix ans, Salman Rushdie va devenir le symbole de la liberté d'expression bafouée. Le Monde du 26 septembre 1998, publia un article s'intitulant, " l'Iran veut refermer le dossier Salman Rushdie" , par Afsané Bassir Pour. Il explique qu'en se désolidarisant de la fatwa qui pèse sur l'écrivain, le gouvernement de Téhéran espère lever une lourde hypothèque dans les relations avec l'Occident. Le ministre iranien des affaires étrangères, Kamal Kharazi a annoncé que " le gouvernement de la république islamique d'Iran n'a pas l'intention de mener quelque action que ce soit pour attenter à la vie de l'auteur des Versets sataniques ou des personnes associées à son travail, et n'encourage ou n'aidera personne à le faire. En conséquence le gouvernement se démarque de toute récompense qui a été offerte et se dissocie de cette initiative."109(*). Son homologue britannique a exprimé à son tour sa " satisfaction" devant "la clarification" par l'Iran de cette affaire qui constituait le principal obstacle pour son pays, et bien d'autres, à une normalisation complète des relations avec l'Iran.

Cette prise de position du gouvernement iranien confirme une volonté d'ouverture de Téhéran vers l'Occident. Deux ans après son élection à la présidence, M. Mohamed Khatami a confirmé à plusieurs reprises sa volonté d'imprimer un cours nouveau à la politique extérieure de son pays. Récemment, le rédacteur en chef du journal réformiste Salam, Abbas Abdi, poursuivi pour diffamation, a été acquitté selon la presse iranienne du 23 août 1999. Il comparaissait pour avoir publiquement accusé l'an dernier les conservateurs de jouer un double jeu avec les Etats-Unies. Son quotidien Salam, a joué un rôle clé dans la victoire du modéré président de la République d'Iran. Même si ce président réformateur n'a pas pu rééquilibrer les institutions, relancer l'économie, améliorer les conditions sociales de son pays, l'opinion nationale et internationale ne lui en tient pas rigueur pour autant. En effet, cet homme semble faire preuve d'une fidélité tatillonne à ses promesses électorales, modestes en apparence mais fondamentale pour l'avenir démocratique de la République.

A travers cette illustration, l'Iran ne comprend-t-il pas qu'aucune raison n'est supérieure à la liberté, et que rien de valable ne peut-être entrepris sans le respect des droits de l'Homme ? Il reste que dans le domaine des droits de l'Homme, les Etats musulmans recommencent sans cesse le même combat idéologique. Ils continuent à lutter pour faire accepter leur conception des droits de l'Homme par la Communauté internationale.

Conclusion

Le résultat le plus important d'une recherche est de sortir des limites de ce qui a été dit et fait, et de l'ampleur de ce qu'il reste à faire sur le sujet. Le thème traité étant d'une actualité brûlante, il était difficile de résister à la tentation de prendre position par rapport aux événements et aux problèmes qui ne peuvent laisser indifférents que ceux qui ne se sentent pas concernés par les problèmes du respect des droits de l'Homme dans ce monde. Il était difficile de prendre le recul nécessaire pour satisfaire à toutes les exigences d'objectivité et de rigueur alors que l'objet de ce sujet connaît sans cesse des rebondissements.

L'engagement qui amène à rédiger cette conclusion n'est ni plus, ni moins, celui de vouloir élargir notre conception des droits de l'Homme conçue dorénavant d'une manière indivisible et indissociable en intégrant la dimension identitaire et culturelle au vaste débat sur l'universalité. " Le discours sur les droits de l'Homme pèche l'excès d'idéologie. Il est insaisissable parce que trop général, atemporel et alocalisé, privé d'enveloppe spatio-temporelle, incolore, timide, inodore, répétitif, imprécis, non indicatif ( avec beaucoup de verbes au conditionnel)"110(*). On ressent le besoin d'adopter une position intermédiaire entre l'universalité et le particularisme, afin d'éviter de détruire les divers discours sur le respect des droits de l'Homme.

"Les valeurs, religieuses ou idéologiques, entretenant des pulsions qui tendent à l'hégémonie, se prêtent mal à la coopération et n'acceptent le dialogue et le compromis que comme une pause dans la lutte. Elles buttent inévitablement dès que le droit international aborde des problèmes de société, tels ceux des droits de l'Homme."111(*). Il existe pourtant des correspondances et des ressemblances multiples dans tous les domaines entre les hommes, les civilisations, les cultures et les langues.

Alors pourquoi " le respect universel des droits de l'Homme ne pourrait pas être sauvegardé si chaque culture et nation n'offrent, dans leurs racines mêmes, les défenses qui les protègent."112(*) ? La reconnaissance formelle des droits de l'Homme date de très longtemps, issue chaque fois de circonstances historiques particulières, propre à chaque culture.

Le Coran stipule en matière d'universalité "Celui qui aura tué un homme sans que celui-ci ait commis un meurtre, ou exercé de violence sur la terre, sera regardé comme le meurtrier du genre humain; et celui qui aura rendu la vie à un seul homme sera regardé comme s'il avait rendu la vie à tout le genre humain. ( V-32)"113(*). C'est dans cette problématique que les Etats musulmans à travers l'Islam comme religion, comme culture, comme civilisation, apporte son propre éclairage et sa propre justification de la conception des droits de l'Homme.

Il n'est pas nécessaire de remonter quatorze siècles en arrière pour comprendre l'exception de la conception des droits de l'Homme propre aux Etats musulmans; ces trente dernières années suffissent à l'expliquer. Toute culture est universelle, ou du moins, a des prétentions à l'universalité. Toute civilisation ont leur vision singulière de l'homme selon leur conception du monde, à la fois dans son indépendance et son interdépendance.

L'on doit concevoir une nouvelle universalité des droits de l'Homme enrichie de particularités. Aussi longtemps que les Etats musulmans revendiqueront un particularisme en matière de droits de l'Homme, ils ne pourront que limiter la portée de la conception universelle des droits de l'Homme. Il leur suffit d'établir des règles communes et légitimes, et de parvenir au respect effectif des droits de l'Homme. Cela aura été, et continue à être le fruit d'un changement social, culturel et politique en profondeur. Parce qu'ils sont tout entier consacrés au changement, les Etats musulmans sont modernes et peuvent fournir de meilleurs résultats dans le domaine du respect des droits de l'Homme.

Bibliographie

Ouvrages:

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Documents:

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§ CCPR/C/79/Add.44, 23 novembre 1994, Observations finales du Comité des droits de l'Homme

§ CCPR/C/115/Add.1, 15 octobre 1997, Quatrièmes rapports périodiques devant être présentés en 1996

§ CCPR/C/75/Add.2, 13 mars 1997, Examen des rapports présentés par les Etats Parties en vertu de l'article 40 du Pacte, Deuxièmes rapports périodiques devant être présentés en 1992 par le Soudan

§ CCPR/C/79/Add.85, 19 novembre 1997, Observations finales du Comité des droits de l'Homme

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§ CCPR/C/52/Add.5, 12 juin 1989, Examen des rapports présentés par les Etats Parties en vertu de l'article 40 du Pacte, Troisièmes rapports périodiques devant être présentés en 1988 par la Tunisie

§ CCPR/C/SR.992, 20 juillet 1990, Compte-rendu analytique de la 992ème séance

§ CCPR/C/84/Add.1, 24 mai 1993, Quatrièmes rapports périodiques devant être présentés en 1993

§ CCPR/C/SR.1362, 26 octobre 1994, Compte-rendu analytique de la 1362ème séance

§ CCPR/C/50/Add.2, 24 avril 1989, Examen des rapports présentés par les Etats Parties en vertu de l'article 40 du Pacte, Rapports initiaux devant être présentés en 1988 par le Yémen démocratique

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Table des matières

Introduction...........................................................................................................1

Sommaire................................................................................................................6

Titre I - la revendication d'un particularisme en matière

des droits de l'Homme par les Etats musulmans..............................................................................................................7

Chapitre I / La justification du particularisme........................................8

Section I - Le fondement............................................................................................8

§ 1 - La compréhension de la religion islamique...............................................8

A- L'identification des textes fondateurs.....................................................................9

1/ L'universalité de l'Islam - 2/ Le retour aux textes fondateurs

B- L'intérêt de la Loi islamique..................................................................................11

1/ D'un point de vue historique - 2 / D'un point de vue théorique

§ 2 - Les relations entre la religion, le droit et l'Etat........................................13

A- La clarification de la notion d'Etat.........................................................................13

B- Le débat dur le fondement du pouvoir et de l'Etat.................................................16

Section II - Le contenu...............................................................................................19

§ 1 - La question du statut de l'homme..............................................................19

A- La nature de l'homme.............................................................................................19

B- La personne: sujet de la Loi islamique...................................................................20

§ 2 - La question de la notion de liberté..............................................................21

A- Le contenu de la liberté...........................................................................................21

1 / La revendication traditionaliste - 2 / La critique de la conception moderniste

B- L'identité d'un lien entre la liberté et la Loi.............................................................24

1 / La conception traditionaliste - 2 / La conception moderniste

Section III - La place de la Loi islamique dans la législation

des Etats musulmans.....................................................................................................26

§ 1 - La législation inspirée de la Loi islamique.....................................................26

§ 2 - La législation affranchie de la Loi islamique.................................................28

A- Le cas de la Tunisie....................................................................................................28

B- Le cas du Maroc.........................................................................................................30

§ 3 - La législation subordonnée à la Loi islamique..............................................31

A- Le cas de l'Arabie Saoudite........................................................................................31

B- Le cas de l'Iran............................................................................................................32

§ 4 - La confrontation des différents courants de pensée.....................................34

A- La position du courant moderniste.............................................................................34

1 / Le courant positiviste - 2 / Le courant laïcisant

B- La position du courant islamiste.................................................................................36

1 / Les raisons - 2 / Les conséquences

Chapitre II / L'expression du particularisme................................................39

Section I - L'altération inévitable de la conception universelle

des droits de l'Homme...................................................................................................39

§ 1 - La démarcation des Etats musulmans.............................................................39

§ 2 - L'élaboration des documents sur les droits de l'Homme...............................42

A- Les documents arabes.................................................................................................42

B- Les documents islamiques..........................................................................................43

1 / La Déclaration islamique universelle des droits de l'Homme - 2 / Les deux projets

de déclaration de l'O.C.I et la Déclaration du Caire

Section II - Les contradictions dans les documents.....................................................48

§ 1 - Une interprétation contradictoire des droits de l'Homme............................................................................................................................48

§ 2 - " Un système parfait de protection" inapplicable..........................................51

Titre II - la limitation de la portée universelle

des droits de l'Homme..............................................................................................54

Chapitre I / Une hostilité de principe.............................................................54

Section I - L'élaboration du corpus juridique de l'universalité

des droits de l'Homme....................................................................................................55

§ 1 - La difficile universalité....................................................................................55

A- La lente avancée sur le plan conceptuel.....................................................................55

B- L'universalité dans les faits.........................................................................................56

§ 2 - La spécificité de la construction onusienne....................................................58

A- Les normes..................................................................................................................58

B- Les mécanismes de contrôle.......................................................................................59

Section II - La relativisation du corpus juridique de l'universalité

des droits de l'Homme.....................................................................................................61

§ 1 - Le caractère absolu de la terminologie............................................................61

§ 2 - Le caractère absolu de l'application ...............................................................64

Chapitre II / Une acceptation progressive........................................................67

Section I - L'acceptation progressive de la conception universelle

des droits de l'Homme....................................................................................................68

§ 1 - l'évolution de l'attitude des Etats musulmans...............................................68

A- Le degré d'adhésion aux Conventions protectrices des droits de l'Homme.................69

1 / La Déclaration universelle des Droits de l'Homme - 2 / Les Pactes de 1966 relatifs

aux droits de l'Homme

B- Leur conduite face à ces Conventions........................................................................71

§ 2 - les difficultés d'application

de la "Charte internationale des droits de l'Homme".................................................74

A- Les aspects positifs ....................................................................................................75

B- Les obstacles particuliers............................................................................................79

1 / Les obstacles du fait des exigences de la Loi islamique - 2 / Les obstacles du fait

de la raison d'Etats

Section II - les incidences de cette acceptation.............................................................83

§ 1 - Les conséquences modernistes........................................................................84

A- La démocratie moderne..............................................................................................84

B- L'aspiration aux moeurs modernes..............................................................................85

§ 2 - La pratique des violations des droits de l'Homme........................................87

Conclusion....................................................................................................................91

Bibliographie...............................................................................................................93

* 1 S.A Abu-Sahlieh, La définition internationale des droits de l'Homme et l'Islam, R.G.D.I.P 19985, n°3, p. 627

* 2 Yacoub (J.), Réécirire la déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Provocation, Desclée de Brouwer, 1998, p.11

* 3 Ibid, p. 629

* 4 Delmas-Marty (Mireille), Trois défis pour un droit mondial, Ed. du Seuil, 1998

* 5 Ibid

* 6 Lamchichi (A.), maître de conférence à l'Université de Picardie Jules Verne, " Islam-Occident, Islam-Europe: choc des civilisations ou coexistence des cultures?", La coexistence, enjeu européen, CRUCE (Centre de Recherche Universitaire sur la Construction européenne Amiens), Cao-Huy (T.), Fenet (A.) ( sous la dir.), Puf, p.263

* 7 Ibid

* 8 Delmas-Marty ( M.), Pour un droit commun, La librairie du XXe Siècle, Seuil, p.8

* 9 Abu-Sahlieh ( S.A.A), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p.17

* 10 Ibid, p. 18

* 11 " Au nom de Dieu tout-puissant, clément et miséricordieux", Les droits de l'Homme en Islam, www.islam-droits.com

* 12 Abu-Sahlieh (S.A.A), "Les mouvements islamistes et les droits de l'Homme", RT.D.H 34, 1998, pp.251-290

* 13 " La citoyenneté entre l'Orient et l'Occident", Revue de l'association Méditerranée n°9, 1996, L'Harmattan

* 14 A.I.D.C 10ème session, Tunis 1994, Constitution et religions, Presse de l'université de Toulouse, 1996,pp.27-28

* 15 Abderraziq (Ali), Islam et le fondement du pouvoir, (1925), La Découverte, 1994

* 16 Ibid, p.156

* 17 Khayati (M.), Introduction à la pensée de M.M Taha, réformiste martyr, in BLEUCHOT (H.) et Hopwood (D.), (eds.) : Soudan , histoire, identités, idéologies, Ithaca Press, 1991, p. 297

* 18 Laghmani (Slim), assistant la faculté de Sciences juridiques, politiques et sociales de l'Université de Tunis II, " Islam et droits de l'Homme", les droits de l'Homme en Afrique, Pédone 1992, p.12

* 19 Ibid, p. 14

* 20 Abu-Sahlieh (S.A.A.), "Les mouvements islamistes et les droits de l'Homme", R.T.D.H n°34, 1998, p.257

* 21 A.I.D.C 10ème session, Tunis 1994, Constitution et religions, Presse de l'université de Toulouse, 1996

* 22 Roy Olivier, chercheur au C.N.R.S-Strasbourg, "Société, Droit et religion en Europe", Les voies de la ré-islamisation, in Pouvoirs, 1992 n° 62, L'islam dans la cité, p. 81-92

* 23 A.I.D.C 10ème session, Tunis 1994, Constitution et religions, Presse de l'université de Toulouse, 1996, p.64

* 24 Ibid

* 25 Ibid, p.65

* 26 Ibid

* 27 Frégosi ( Franck), les rapports entre l'Islam et l'Etat en Algérie et en Tunisie: de la revalorisation à leur contestation, Annuaire de l'Afrique du Nord, XXXIII ( 1994), Ed. C.N.R.S, pp.103ss

* 28 Ibid

* 29 Wolff ( Jurger H.), la pensée politique dans l'Islam, la légitimation du pouvoir et la démocratie moderne: le cas du Maroc, Annuaire de l'Afrique du Nord, XXXII (1993), Ed. C.N.R.S, pp. 361ss

* 30 Rouleau (Eric), En Iran ,islam contre Islam, Le Monde Diplomatique, juin 1999, pp.20-21

* 31 Rouleau (Eric), En Iran ,islam contre Islam, Le Monde Diplomatique, juin 1999, pp.20-21

* 32 Hundington (Samuel. P), Le Choc des civilisations, ( traduc. Fr.), Odile Jacob, 1997

* 33 Ibid

* 34 Abu-Sahlieh (S.A.A)," les mouvements islamistes et les droits de l'Homme", R.T.D.H 34, 1998, p.257

* 35 Mahmud' Abd-al-Hamid GHURAB, Ahkam islamiyyad idanah lil-qawanin al-wad'iyyah, Dar al-i'tissam, Le Caire, 1986

* 36 Abu-Sahlieh (Sami A.Aldeeb), droits de l'Homme conflictuels entre l'occident et l'islam, Revue algérienne des sciences juridiques économiques et politiques, volume XXXO- n°01/1993, p.48

* 37 Sinaceur, mohamed-allal, Islam et les droits de l'Homme dans les dimensions universelles des droits de l'Homme, lapyre, Tincey et vask, Bruylant 1990.

* 38 Sinaceur (M-A), " Islam et droits de l'Homme", Lapeyre (A.), De Tinguy ( F.), Vasak ( K.) ( sous la dir.), Les dimensions universelles des droits de l'Homme, Vol I, Bruylant 1990, p. 149

* 39 Annexe 7, Charte de la Ligue arabe, 1993, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p.505

* 40 Ibid

* 41 Haquani (Z.), "La déclaration islamique universelle des droits de l'Homme", Universalité des droits de l'Homme dans un monde pluraliste, Acte du colloque organisé par le Conseil de l'Europe, Strasbourg, 17-19 avril 1989, éd. N-P Engel, 1990, p. 173

* 42 Ibid, p. 177

* 43 Annexe I, 1ère Déclaration de l'OCI, 1979, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p.462

* 44 Ibid, Annexe II, p. 265

* 45 Néji Baccouche, « les droits de l'Homme à travers la déclaration des droits de l'Homme de l'Organisation de la Conférence Islamique », dans les cahiers de l'IDEDH n°5, p.19.

* 46 Annexe II, 2ème Déclaration de l'OCI, 1981, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p. 265

* 47 Ibid, annexe 3, 3ème Déclaration de l'OCI, 1990, p.468

* 48 Jean-Claude Vatin, « l'universel et les particularités. Remarques à propos des droits de l'Homme dans le monde islamique », bulletin du C.E.D.E.J ( Le Caire), n° 18, 2ème semestre 1985, p.172.

* 49 Haquani (Z.), "La déclaration islamique universelle des droits de l'Homme", Universalité des droits de l'Homme dans un monde pluraliste, Acte du colloque organisé par le Conseil de l'Europe, Strasbourg, 17-19 avril 1989, éd. N-P Engel, 1990, p. 177

* 50 Annexe 3, 3ème Déclaration de l'OCI, 1990 Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p.470

* 51 Ibid, p.471

* 52 Ibid

* 53 Aldeeb Abu-Sahlieh (Sami. A), " Les droits de l'Homme conflictuels entre l'Occident et l'Islam, Revue algérienne des sciences juridiques économiques et politiques, Volume XXXI-N°1/1993, p.47, note (15)

* 54 Annexe 7, Charte de la Ligue arabe, 1993, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994,p.507-508

* 55 Annexe 7, Charte de la Ligue arabe, 1993, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994,p.505

* 56 A.Aldeeb Abu-Sahlieh, Droits de l'Homme conflictuels entre l'occident et l'Islam, Revue Algérienne des Sciences juridiques économiques et politiques, Volume XXXI- N°01/1993, p.72

* 57 Imbert, ( P-H), L'apparente simplicité des droits de l'Homme , RUDH 1989, pp.19-29

* 58 Sudre (Frédéric), Droit international et européen des droits de l'Homme, P.U.F, 1997, p.20

* 59 Tavernier Paul, "Les Etats arabes, l'O.N.U et les droits de l'Homme", Cognac ( G.), Amor (A.), Islam et les droits de l'Homme, Paris, Economica 1994 p.57

* 60 Cassese (Antonio), les droits de l'Homme sont-ils véritablement universels?, R.U.D.H 1989, Vol 1, p. 18

* 61 Ibid p.14

* 62 Saba ( Hanna), "la Charte internationale des droits de l'Homme, son élaboration et son application dans un monde multiculturel", L'avenir du droit international dans un monde multiculturel, R-J Dupuy ( sous la dir. de) Colloque du 17-19 novembre 1987 à Nayve Academy of international Law, pp. 331-339

* 63 Ibid, p.333

* 64 Ibid

* 65 AG, 3ème Commission, 26 nov. 1982, A/C.3/37/SR. 56, p.17 

* 66 Sinaceur ( M-A), « Islam et les droits de l'Homme », dans Les dimensions universelles des droits de l'Homme, Lapeyre (A.), De Tinguy (F.), Vasak (K.) ( sous la dir.), Vol. 1, Bruylant, 1990,

* 67 "les violations de la presse de 1992 à 1998 en Algérie", www.rsf.fr

* 68 Imbert (P-H), l'apparente simplicité des droits de l'Homme, R.U.D.H, 1989, p.2.

* 69Abu-Sahlieh, "Droits de l'Homme conflictuels entre l'Occident et l'Islam", Revue algérienne des sciences juridiques économiques et politiques, Volume XXXI- N° 01/1993, p.67

* 70 Sinaceur ( M-A), Islam et les droits de l'Homme", Les dimensions universelles des droits de l'Homme, Lapeyre (A.), Tinguy (F.), Vasak ( K.) (sous la dir.), Bruylant Bruxelles, Volume I, 1990, p.161

* 71 Paul Tavernier, "Les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme",», Cognac ( G.), Amor (A.), Islam et les droits de l'Homme, Paris, Economica 1994, p.59,

* 72 Ferjani ( M-C), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, comprendre l'Orient, L'Harmattan, p.374:

* 73 Sudre (F.), Droit intrenational et européen des droits de l'Homme, Puf 1997, p.89

* 74 Annexe 7, Charte de la Ligue arabe, 1993, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p.505

* 75 Ibid, p.91

* 76 Tavernier (P.), professeur à l'Université de Rouen, Directeur du CREDHO (centre de recherche et d'études sur les droits de l'Homme et le droit humanitaire); les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et les Pactes de 1966, Conac (G.) (sous la dir), Islam et droits de l'Homme, Economica, 1994, p.67

* 77 Ben Mahmoud ( K.C), "Universalité des droits de l'Homme dans un monde pluraliste", Conseil de l'Europe, Edition N. P. Engel, p.143

* 78 Tavernier (P.), les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme..., Conac ( G.) (sous la dir.), Islam et les droits de l'Homme, Economica, 1994, p.67

* 79 CCPR/C/51/Add.7, 2 septembre 1992, p.89, annexe II

* 80 CCPR/C/51/Add.7, 2 septembre 1992, p.90, annexe II

* 81 CCPR/C/79/Add.23, 9 août 1993,p.3, § 12

* 82 CCPR/C/42/Add.10, 3 mai 1990, p.16, § 72

* 83 CCPR/C/76/Add.3, 27 août 1993, p.21, § 74

* 84 CCPR/C/75/Add.2, deuxième rapport périodique relatif au PIDCP, § 134 (observations concernant article 19 du Pacte), du Soudan en date du 13 mars 1997.

* 85 CCPR/C/79/Add.85, observations finales du comité des droits de l'Homme après examen du deuxième rapport du Soudan (19 novembre 1997)

* 86 CCPR/C/SR.715, compte-rendu analytique de la 715ème séance du comité des droits de l'Homme, §21, en date du 6 avril 1987.

* 87 CCPR/C/50/add.2, § 42, rapports initiaux du Yémen démocratique présentés en vertu de l'article 40 du Pacte international des droits civils et politiques.

* 88 CCPR/C/82/Add.1, §83.

* 89 CCPR/C/79.Add.95, 18 août 1998, Observations finales du Comité des droits de l'Homme, p.6, § 16

* 90 CCPR/C/28/Add.16, 4 mai 1993, Deuxièmes rapports périodiques, p.11, § 44

* 91 CCPR/C/79/Add.44, observations finales du Comité des droits de l'Homme, Maroc, 23 novembre 1994, § 2

* 92 CCPR/C/28/Add.15, deuxième rapport périodique relatif au PIDCP, de la République islamique d'Iran en date du 22 mai 1992.

* 93 CCPR/C/Add.1, 12 octobre 1993, deuxièmes rapports périodiques des Etats parties qui devaient être présentés en 1993, § 83

* 94 CCPR/C/52/Add.5 §121 b), et CCPR/C/84/Add.1 §180 c).

* 95 CCPR/C/SR.992, 20 juillet 1990, p.9, § 29

* 96 CCPR/C/79.Add.95, 18 août 1998, Observations finales du Comité des droits de l'Homme, p.6, § 16

* 97 CCPR/C/79/Add.101, 6 novembre 1998, p.4, § 15

* 98 CCPR/C/79/Add.44, 23 novembre 1994, p.3, § 15

* 99 Paul Tavernier, Les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme",», Cognac ( G.), Amor (A.), Islam et les droits de l'Homme, Paris, Economica 1994, p.71

* 100 Achcar (Gilbert), " le monde arabe orphelin de la démocratie moderne", Le Monde Diplomatique, juin 1999, p. 7

* 101 Pelmutter (Amos)" Islam et démocratie ne sont tout simplement pas compatibles", International Herald Tribune, Paris, 21 janvier 1992

* 102 Saghafi ( Morad), " La revolution: un rêve dans lequel l'individu et ses libertés n'avaient pas de place". Propos recueillis par Mouna Naïm, Le Monde du dimanche 17 - lundi 18 janvier 1998, p. 12

* 103 Mohamed-Chérif Ferjani, "Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, Comprendre le Moyen-Orient, L'Harmattan , p. 275

* 104 Marc Margenis, " L'information asservie en Algérie ", Le Monde Diplomatique, septembre 1998, p.9

* 105 Ibid

* 106 Reporters sans frontières, " Algérie, les violations de la liberté de la presse, de 1992 à 1998", www.rsf.fr

* 107 Ibid

* 108" Des journalistes torturés en Syrie d'après Reporters sans frontières", Le Monde, lundi 21 décembre 1998, p.4

* 109 Bassir Pour ( A.), " L'Iran veut refermer le dossier Salman Rushdie", Le Monde du 28

septembre 1998, p. 1 et 12

* 110 Yacoub ( J.), Réécrire la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Provocation, Desclée de Brouwer, 1998, p.40

* 111 Dupuy (R-J), Conclusions du colloque, L'avenir du droit international dans un monde multiculturel, R-J Dupuy ( sous la dir. de) Colloque du 17-19 novembre 1987 à Nayve Academy of International Law,p.454

* 112 Sinaceur (M.A), "Islam et droits de l'Homme", dans Les dimensions universelles des droits de l'Homme, Lapeyre (A.), De Tinguy (F.), Vasak (K.) ( sous la dir.), Vol. 1, Bruylant, 1990

* 113 Yacoub ( J.), Réécrire la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Provocation, Desclée de Brouwer, 1998, p.47-48






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