Année Universitaire 2002-2003
UNIVERSITE PARIS X - NANTERRE
_________________________________
D.E.S.S. Droit du Commerce International
Debbie Danoffre
Développement du Financement de Projet et de la
Privatisation dans la Péninsule Arabe
MONSIEUR PATRICK BLANCHARD,
Financement de Projet
La privatisation se définit comme le transfert des
biens, ou de la responsabilité d'un service, du contrôle
gouvernemental vers l'entreprise privée. Essentiellement, il s'agit bien
en fait de transférer le risque commercial vers le secteur privé.
La conséquence d'un tel transfert est qu'il s'accompagne d'un transfert
symétrique du contrôle et de la prise de décision vers des
organismes privés. Les perceptions politiques, autant que les
conséquences inéluctables en termes sociaux et économiques
amènent les gouvernements à une grande prudence avant de
relâcher totalement leur contrôle. C'est pourquoi, au Moyen Orient,
la privatisation ne s'effectue que par étapes au cours desquelles, au
moins au début, le gouvernement maintient un niveau d'encadrement
indéniable dans la prise des décisions.
Le Project Financing, ou financement de projet, est
généralement compris comme étant le financement d'un
projet dans lequel les organismes financiers s'appuient sur les revenus
générés par l'exploitation du projet pour
« garantir » le remboursement de leurs prêts 1(*). Sans ignorer l'identité
des futurs actionnaires (sponsors ), on peut dire que les organismes
prêteurs se fondent beaucoup plus sur la faisabilité
économique et industrielle du projet que sur le bilan ou les
mérites desdits actionnaires.
Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, le Moyen
Orient s'est ouvert au monde du financement de projet. Dans la mesure où
l'environnement juridique et les règles présidant à la
création de sociétés évoluent et
s'améliorent, le monde bancaire s'est davantage intéressé
à ce type de financement dans la région. En effet, les Etats ont
commencé à démontrer un vif désir d'écarter
de leurs bilans certains grands projets d'intérêt public, et le
Moyen Orient est aussitôt devenu le terrain de chasse favori des
organismes financiers internationaux. Entre les financements de projets
déjà clos et ceux qui sont en cours de développement,
l'en-cours Project Financing s'élève aujourd'hui
à près de 90 milliards de dollars US.
Ceci est particulièrement vrai dans les domaines du
pétrole, du gaz, et de l'électricité. Les gouvernements
sont de plus en plus réticents à engager les fonds de
l'état dans de grands projets mobilisant de lourds capitaux,
particulièrement à cause des variations du prix du baril d'huile,
et donc des revenus provenant du pétrole. Ils se sont donc lancés
dans la recherche de moyens de financement privés. Il ne leur a pas
échappé que le financement de projet permet aux sponsors
de diminuer leur exposition générale en transférant
certains risques projet vers d'autres parties.
Ce mémoire se concentre plus particulièrement
sur la privatisation et le développement du financement de projet au
Moyen Orient dans le domaine de la production d'électricité. Dans
les années qui viennent, on s'attend dans ce secteur a une croissance
sans précédent, et à des investissements correspondants
dans toute la région, car les gouvernements tentent de diversifier et
soulager une économie essentiellement basée sur le
pétrole. Le besoin d'énergie électrique est le facteur
déterminant de l'évolution vers la privatisation des
unités de production et l'intervention de producteurs
indépendants d'électricité (IPP 2(*)) et d'eau (IPWP 3(*)).
Les programmes de privatisation en cours de
développement au Moyen Orient procèdent en général
d'une stratégie commune. Elle se caractérise par une transition
progressive d'un monopole d'état (souvent lourdement
subventionné) vers la propriété privée (et donc
espérée rentable) des moyens de production. Le meilleur moyen
d'illustrer l'évolution du financement des IPP au Moyen Orient consiste
à examiner les efforts entrepris dans le sens de la privatisation par
Abou Dhabi, la Jordanie et l'Arabie Saoudite.
Abou Dhabi : le leader régional pour la
privatisation de l'électricité
Abou Dhabi, le principal des sept émirats 4(*) qui constituent les Emirats
Arabes Unis, continue d'être le leader régional pour la
réorganisation et la privatisation du secteur de la production
d'électricité. C'est Giat Industries qui, au cours de son travail
pour tenter de s'acquitter de l'obligation Offset contractée lors de la
vente de 436 chars Leclerc aux Emirats, (mais, comme dirait Kipling, ceci est
une autre histoire), proposa l'idée de la privatisation, réalisa
des études de faisabilité approfondie sur les centrales Mirfa
puis de Taweelah B, et produisit en 1994 et 1995 des projets d'accords et de
textes de loi permettant la mise en place d'une telle privatisation. L'affaire
fut hélas sans lendemain pour Giat Industries, mais le colossal travail
produit constitue encore aujourd'hui la base du programme de privatisation dans
l'émirat.
En effet, en 1996, Abou Dhabi débuta son programme par
la publication de la Décision N° 1, laquelle créait le
Comité de Privatisation du Secteur de l'Eau et de l'Electricité.
Après achèvement des travaux du Comité, le Deputy
Ruler, Cheikh Khalifa bin Zayed al Nahyan, édicta le Décret
de l'Emir N°. 7 de 1997 qui établit l'idée de manoeuvre du
gouvernement pour parvenir à la réorganisation et la
privatisation. Il s'agissait de :
1. Partager les propriétés de l'organisme
d'état alors en charge, le Water and Electricity Department
(WED) entre des entités séparées et distinctes, ceci
s'accompagnant du transfert de certains des intérêts de ces
entités vers des investisseurs privés,
2. Développer et mettre en vigueur un nouveau cadre
juridique et réglementaire,
3. Satisfaire les besoins prévus en termes d'eau et
d'électricité à travers des projets dans la forme IPWP.
5(*)
En février 1998, le WED fut remplacé par
ADWEA (Abu Dhabi Water and Electricity Authority). L'organigramme
d'ADWEA est montré à la page suivante. ADWEA créa
immédiatement une filiale, ADWEC (Abu Dhabi Water and Electricity
Company), qui reste le fournisseur/acheteur exclusif de l'eau et
l'électricité produites. ADWEC est également responsable
d'établir les projections en termes de besoin de capacité de
production, ce qui s'assortit d'une responsabilité dans
l'établissement des appels d'offres permettant la création de
nouvelles IPWP. Enfin, ADWEC est la centrale d'achat du gaz nécessaire
au fonctionnement des unités de production
eau/électricité.
Le rôle d'ADWEC consiste à acheter l'eau et
l'électricité à certaines sociétés
indépendantes (dont les IPWP) à travers des contrats d'achat
à long terme appelés PWPA (Power and Water Purchase
Agreement). ADWEC vend alors l'eau et l'électricité à
deux sociétés de distribution à travers TRANSCO,
société gouvernementale de transmission de l'eau et de
l'énergie.
Cette vente s'effectue selon un tarif « en vrac et
en gros », mais qui comprend le coût de la
génération, les dépenses d'exploitation d'ADWEC, et le
coût de la transmission. Les compagnies de distribution doivent ensuite
établir un tarif (non subventionné) applicable à
l'utilisateur final, tarif qui doit se fonder sur le « coût
économique », lequel inclut le prix facturé par ADWEC,
augmenté du coût de la distribution.
D. Danoffre 1999
En théorie, les subventions accordées par le
gouvernement ne s'effectuent qu'à travers un remboursement versé
directement par l'Etat à certains groupes de clients. Une
société de réglementation indépendante supervise le
fonctionnement correct des compagnies nouvellement crées et le calcul
des tarifs.
Depuis 1998, la concurrence a effectivement été
introduite dans les activités de production d'eau et
d'électricité. Trois projets IPWP ont jusqu'ici atteint la mise
en place du Project Financing : Taweelah A2 en 1999 (CMS), Taweelah A1 en
2000 (TOTAL & Tractebel) et Shuweihat 1 en 2001 (CMS & International
Power).
Bien que ENRON et le consortium TRACTEBEL/TOTAL, conduit par
le groupe belge, aient été longtemps dans le peloton de
tête, c'est au groupe américain CMS Energy Corporation
que Taweelah A2 fut attribué en octobre 1998.
Il s'agissait du premier projet IWPP au monde, lequel représentait un
montant de l'ordre de 760 millions de dollars 6(*). Le financement, monté
sous le leadership du chef de file BARCLAYS BANK, fut accompli
avec un retard, réputé acceptable, de six mois par rapport aux
objectifs initiaux. Il s'agissait d'un « crédit
sec », c'est-à-dire sans participation des agences de
crédit export, d'une durée de 17 ans (un record pour
l `époque 7(*)).
Il ne comportait pas de cash sweep 8(*) (mécanisme outrageusement favorable pour les
prêteurs) et donc excluait les risques d'obligation de refinancement ou
de non-versement de dividendes, car le gouvernement souhaitait établir
un nouveau point de référence à long terme pour
l'attribution de prêts dans le pays. En revanche, le système
comprenait un « security package » reposant
principalement sur les biens et revenus de la société-projet,
ainsi que sur des accords directs signés par les banquiers avec la Joint
Venture sélectionnée pour construire l'usine clé en
main9(*) et avec la
société chargée de l'exploitation de celle-ci 10(*).
Mais c'est bien la privatisation suivante, Taweelah
A1, remportée cette fois en mai 2000 par le consortium
TOTALFINAELF/TRACTEBEL, conduit par la Direction Moyen-Orient du
pétrolier français, qui ouvrit des terrains neufs au Moyen Orient
pour le financement de projet. Il s'agissait d'un projet de la forme
build-own-operate, ou BOO, qui comprenait la rénovation, la
remise à hauteur technique et l'extension d'une usine existante
produisant de l'électricité et de l'eau dessalée afin
d'obtenir une installation capable de produire au moins 1430 MW et 84 MIGD
11(*) (environ 25% des
besoins de l'émirat en termes d'eau et d'électricité).
La transaction contint des termes financiers attractifs
équivalents à ceux qui auraient pu être trouvés en
Europe pour une affaire du même type, ce qui signifie qu'ils
étaient bien supérieurs à ceux disponibles à
l'époque sur le marché financier américain. Pour un
« deal » global de 1,4 milliard de
dollars, le financement s'éleva à 1,015 milliard (ration
dette/equity 75 : 25), pour une durée de 18 ans et demi, la plus
longue dans la région. Là encore, les agences de crédit
export furent absentes du dispositif, lequel fut, lui aussi, une
première au Moyen Orient : les banques (chefs de file :
BNP PARIBAS et CITYBANK) admirent que les
actionnaires ne versent leur contribution en fonds propres qu'après le
tirage complet de la dette commerciale bancaire 12(*). Les conditions étaient
si intéressantes que le prêt fut sursouscrit à 250% lors
de la syndication internationale. Plusieurs banques locales
participèrent à cette syndication, et notamment National
Bank of Abu Dhabi et Abu Dhabi Investment
Corporation. Le fait mérite d'être signalé en tant
que marque de progrès du financement de projet aux Emirats car,
auparavant, les banques locales ne consentaient des prêts qu'en
échange de garanties personnelles fournies sur leurs biens propres par
les emprunteurs. A noter également que c'est le projet Taweelah A1 qui a
mis en place le système contractuel d' escrow account 13(*) (pour le paiement du prix
consenti pour l'achat de l'usine existante), lequel fonctionna si bien qu'il
devint une des bases contractuelles dans le cahier d'appel d'offres émis
pour la quatrième privatisation, Umm Al Nar. L'ingénierie
financière de Total Fina Elf pour le projet Taweelah A1obtint six prix
internationaux, décernés par la presse financière, dont
"Project Finance Deal of the Year" (Euroweek), "Power Deal of the
Year" (Project Finance International ), "Middle East and Africa Deal
of the Year" (Project Finance Magazine), "Emerging Markets Deal of the
Year" (Euromoney).
C'est en décembre 2001 que le financement de la
privatisation suivante, Shuweihat 1, but
définitivement « bouclé ». Il s'agissait
d'une usine grassroot BOO de 1500 MW et 100 MIGD à bâtir dans
l'extrême Ouest de l'émirat, à 250 kilomètres de la
capitale, qui fut attribué au consortium entre CMS
Energy (USA) et International Power (UK). Pour un
coût d'ensemble de l'ordre de 1,6 milliard de dollars, le financement
à obtenir s'élevait à 1,285 milliard sur
une durée de 20 ans. Sa syndication, lancée dit-on à la
veille du 11 septembre 2001, fut largement perturbée par les
évènements que l'on sait. Cependant, grâce au support plus
ou moins souterrain fourni par l'ADWEA, et à l'apparition d'une portion
substantielle de financement islamique, les banques 14(*) finirent par suivre. Le projet
obtint même les prix « Project of the Year » (MEED)
et « Middle East Power and Water Deal of the Year »
(Euromoney Project Finance).
Dans ces trois affaires, le gouvernement a retenu la
majorité à hauteur de 60% de l'actionnariat, et entend de
privatiser progressivement cette part par des offres de vente (IPO, ou
« Initial Public Offerings »)
réservées aux citoyens des E.A.U.
Alors même que la durée des prêts consentis
pour ces affaires fut saluée comme une marque de la maturité
atteinte par le marché, de nombreux organismes financiers sont
préoccupés par l'appétit grandissant de la région
pour de si longs termes. En effet, cet appétit pourrait ne plus pouvoir
être satisfait, compte tenu du nombre des transactions qu'on attend dans
un proche futur. Un dirigeant britannique d'une des grandes banques du Golf
observe que si l'on continue à « pousser » des
affaires en financement « sans prévoir un refinancement au
bout de dix ou douze ans, l'édifice va s'effondrer ».15(*)
Actuellement, Abou Dhabi est dans la dernière phase de
privatisation de l'usine Umm al Nar (« Mère du
Feu ») comprenant le rachat de certaines unités existantes
pour un montant qui, selon International Power,
dépasserait le milliard de dollars,
alors même que l'estimation de son concurrent
TOTALFINAELF montrerait une valeur résiduelle nette de
l'ordre de 670 millions de dollars...
TOTALFINAELF propose un financement, complètement
souscrit 16(*), d'un type
désormais classique : 1,35 milliard de dollars
amortissable sur 20 ans à compter du démarrage commercial de
l'usine, ratio dette/equity 75 : 25 pouvant atteindre 80 : 20 si les
coûts réels du projet sont raisonnables. C'est en fait la
première offre au financement complet reçue jusqu'à
présent par ADWEA. En outre, le financement islamique pourrait
être actionné à hauteur de 200 millions de dollars par Abu
Dhabi Islamic Bank et 300 millions par National Bank of Abu Dhabi.
International Power présente une structure plus
complexe, mais aussi plus « floue » dans la durée.
Elle comprend :
1. une facilité de trésorerie à court
terme, pour permettre le paiement des installations existantes, amortissable de
juin 2006 à juin 2008,
2. Un bridge loan pour la part normalement à payer en
fonds propres, refinançable en juin 2008,
3. Un prêt de 20 ans (non souscrit) amortissable
à compter de décembre 2008.
La décision d'ADWEA devrait intervenir courant mars
2003... si la question irakienne le permet.
Capacités de production électrique
installées à Abou Dhabi
|
Société Propriétaire
|
Usine
|
MW
|
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% de la part étrangère (40%)
|
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|
CMS
|
Int'l Power
|
TFE
|
TBL
|
Shuweihat CMS Int'l Power.
|
Shuweihat 1
|
1500,00
|
|
60,00%
|
40,00%
|
|
|
GTTPC
|
TAW A1
|
1430,00
|
|
|
|
50,00%
|
50,00%
|
Taweelah Power Corporation
|
TAW B
|
1069,00
|
|
|
|
|
|
Umm Al Nar Power Company
|
Umm al Nar
|
1215,00
|
|
|
|
|
|
Emirates CMS Power
|
TAW A2
|
763,00
|
|
100,00%
|
|
|
|
Baynunah Power Company
|
Al Ain
|
426,00
|
|
|
|
|
|
RASCO
|
Remote Areas
|
286,00
|
|
|
|
|
|
Mirfa Power Company
|
Mirfa
|
246,00
|
|
|
|
|
|
Mirfa Power Company
|
Madinat Zayed
|
134,00
|
|
|
|
|
|
Baynunah Power Company
|
Abu Dhabi
|
533,00
|
|
|
|
|
|
Umm Al Nar Power Company
|
Banyas
|
120,00
|
|
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|
|
Total Capacités Mégawatts
|
|
7722,00
|
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|
La privatisation de la distribution et de la transmission est
beaucoup moins avancée. Les compagnies régionales de distribution
ne sont autorisées à pratiquer qu'une concurrence très
limitée et jusqu'à présent aucun investisseur privé
n'a été sollicité. Quant à la transmission, elle
reste, au moins pour l'instant, le monopole « naturel » de
l'état. Car c'est bien cette position monopolistique du gouvernement qui
lui permet de s'établir comme l'intermédiaire de droit entre les
sociétés de production et les compagnies de distribution, et
aussi de conserver un contrôle étroit sur le niveau des
subventions accordées, pour ne pas dire sur leur existence
même.
Jordanie : l'établissement des fondations
permettant la réforme des structures
Le programme de privatisation de la Jordanie, bien moins
mature que celui d'Abou Dhabi, n'en suit pas moins un modèle très
similaire : le gouvernement reste acheteur exclusif de l'énergie,
la transmission incombe à des sociétés d'état, mais
la production et la distribution doivent être progressivement
privatisées.
S'agissant plus particulièrement du domaine de la
production d'énergie électrique, le Jordan Electricity Sector
Report publié en janvier 2001 estimait que la Jordanie aurait
besoin de plus de 10.000 GWh pour satisfaire la demande électrique en
2005, et 12.500 GWh aux environs de 2010, soit des accroissements respectifs de
34% et 65% par rapport à la production de 2000.
En 1999, afin de préparer la privatisation, le
gouvernement remplaça la loi de 1996 par la nouvelle General Electricity
Law n° 13. La même année, la compagnie nationale en charge de
la production d'électricité NEPCO (National Electric Power
Company) fut séparée en trois : NEPCO, CEGCO
(Central Electric Generating Company) et EDCO (Electric
Distribution Company).
NEPCO, qui reste propriété de l'Etat, s'occupe
de la direction, de l'exploitation et du développement du réseau
de distribution haute tension, du dispatching et de la grille régionale.
C'est cette entité qui est l'acheteur unique.
CEGCO est la principale société de production
jordanienne ; elle devrait être privatisée à court
terme. EDCO devrait suivre le même chemin ; elle est responsable de
la distribution de l'électricité à l'extérieur des
concessions accordées à Jordan Electric Power Company
(JEPCO) et Irbid Distribution Company (IDECO). Le processus de
privatisation de CEGCO et EDCO a timidement commencé à la
mi-2002, alors qu'il a débuté en 2001 pour IDECO, dont le
gouvernement souhaite abandonner 55 à 70%. Il faut noter que la
privatisation de ces compagnies est une condition posée par le Fond
Monétaire International à l'extension des facilités
accordées à la Jordanie.
Les tarifs d'électricité furent fixés en
mai 1996, mais compte tenu de l'évolution du prix du baril d'huile, le
gouvernement a dû les revoir dès 2001. Le tarif applicable aux
sociétés de distribution devrait augmenter, et se
répercuter ensuite vers l'utilisateur final.
Les bases étaient donc jetées. En mai 2000, le
gouvernement jordanien choisit en tant que preferred bidder pour le
développement et la construction en BOO de la première IPP du
pays. Les négociations avec le groupe belge avaient déjà
traîné pendant des années, essentiellement à cause
d'incertitudes concernait l'origine du gaz nécessaire à la
production. Localisée à Kherbet-al-Samra, l'usine devait avoir
une capacité de 450 MW. Jusqu'en 2002, le gouvernement jordanien et
TRACTEBEL négocièrent certains aspects du projet, y compris les
termes de financement, dans l'espoir de le concrétiser courant 2003.
L'affaire, en tout état de cause, ne pouvait guère progresser
sans la construction d'un pipeline approprié. Malheureusement, sur les
instructions de son actionnaire SUEZ, TRACTEBEL, qui avait déjà
renoncé à déposer une offre pour l'affaire d'Umm al Nar
à Abu Dhabi quelques heures avant l'ouverture des plis, abandonna
brusquement l'affaire jordanienne.
Outre les déboires de SUEZ à cause
d'investissements hasardeux dans le domaine du traitement des eaux, on peut
gager, là encore, que la situation en Irak n'est pas
étrangère à ce retrait. Tout ceci a bien entendu des
répercussions très négatives sur la
crédibilité de la Jordanie et décourage les organismes
financiers qui, autrement, auraient pu investir dans le secteur , ce qui
démontre, mais cette fois de façon négative, la relation
étroite qui existe entre la privatisation du secteur et le
développement du financement de projet.
Arabie Saoudite : un pas un avant, deux pas en
arrière !
Les développeurs de projets électriques scrutent
constamment les efforts entrepris laborieusement par l'Arabie Saoudite (KSA)
pour réformer le secteur en question. Le pays présente de grandes
potentialités pour l'épanouissement des IPP : on estime que,
si KSA souhaite ne pas être débordée par l'accroissement de
la demande électrique dans le pays, son besoin d'investissement en la
matière atteindra les 117 milliards de dollars dans les
vingt années à venir. Ceci représente une augmentation de
la puissance installée de l'ordre 50.000 Mégawatts. La politique
électrique de KSA est loin d'être aussi bien définie que
celle d'Abou Dhabi, mais elle n'en présente pas moins le bourgeonnement
de la même stratégie :
1. séparation des biens de l'Etat entre
génération, transmission et distribution
2. adhérence au concept du gouvernement en tant
qu'acheteur exclusif.
Cependant, certains évènements qui se sont
déroulés en 2000 amènent à s'interroger sur la
sincérité du gouvernement saoudien (monarchie
« éclairée » ?) dans sa recherche de
privatisation et de réforme. En effet, la volonté du gouvernement
parut faiblir quand en octobre 2000 il succomba à des pressions du
public en annulant des augmentations de tarif décidées par la
Saudi Electricity Company (SEC) en avril. Or, cette augmentation de tarif avait
été décidée afin de permettre aux futures IPP de
fonctionner avec un taux de retour raisonnable et ceci sans subventions
gouvernementales ni garanties de dividendes.
De plus, l'environnement juridique et
« opératoire » saoudien est
sous-développé, alors même que le gouvernement
répugne à fournir des garanties, de qui présente des
obstacles plus que significatifs au développement de la privatisation du
secteur de l'électricité. L'usine de Shuaiba, par exemple, d'un
coût de 2,2 milliards de dollars, devait à
l'origine être une IPP. Mais les investisseurs privés ne s'y
intéressèrent pas, précisément à cause de
leurs doutes sur la stabilité des tarifs et le régime juridique
applicable. En conséquence, le projet fut financé par le
gouvernement sur une base islamique fournie par la Al-Rajhi Banking and
Investment Corporation.
Malgré cela, KSA continue à pousser de nouveaux
schémas de financement pour ses projets électriques. Par exemple,
la station PP9 (1200MW) au nord de Riyadh fut financée par des
excès de revenus prélevés sur les gros consommateurs
depuis 1995. L'usine Ghazlan II (2400 MW) est financée à travers
un prêt de 500 millions de dollars, syndiqué
à l'international, et qui donne à ses émetteurs le droit
de se rembourser si besoin est sur simple demande à partir des revenus
de clients prestigieux tels que Saudi Aramco. Un autre essai tenté par
KSA pour montrer sa sincérité résidait dans le projet
d'une IPP « captive » de 320 MW que Saudi Petrochemical
Company prévoyait de créer pour satisfaire à ses besoins
propres. Les Américains ENRON et CMS Energy avaient été
sélectionnés comme partenaires étrangers... La faillite
scandaleuse du premier, la déconfiture et le retrait du second, et enfin
les évènements du 11 septembre 2001, devaient frapper d'un coup
fatal cette tentative, au reste peu convaincante.
Les organismes financiers demeurent en veille active. Mais
rien ne sera possible tant que le gouvernement saoudien n'aura pas
démontré sa capacité politique à imposer des tarifs
non subventionnés et cadre juridique et opératoire transparent.
Ceci, sans oublier que la question du développement des champs de gaz,
nécessaires à la génération électrique,
reste en suspens, alors que c'est probablement la seule raison qui amène
les « grands » 17(*) à encore se pencher sur le sujet en Arabie
Saoudite.
Conclusion
Les gouvernements de la péninsule arabe, à des
degrés divers paraissent avoir admis que leur répugnance à
accorder des garanties souveraines éloigne les investisseurs qui ne sont
ni des agences de crédit export, ni des institutions
multilatérales. Bien qu'il soit exact que la privatisation implique la
création d'entités indépendantes capables
d'auto-suffisance, il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que
les développeurs entrent les yeux fermés et sans soutien dans de
nouvelles compagnies qui n'ont aucun historique comptable ni opératoire.
Pour qu'un tel projet rencontre le succès, il convient que les risques
et gains soient équitablement répartis entre le gouvernement
concerné et les investisseurs privés.
L'évolution des structures de financement des IPP dans
la région montre bien l'accroissement de l'intérêt et de la
confiance éprouvés par les organismes financiers. La
participation des agences de crédit export n'est plus une condition sine
qua non. Même si les privatisations d'Abu Dhabi ont
démontré que des prêts à long terme peuvent
être obtenus, il n'en reste pas moins que, pour que les financements
perdurent, il faudra que la région montre sa capacité à
étendre la profondeur et la diversité de ses sources de
financement.
Faute de quoi, les banques internationales finiront par
atteindre la limite de leur exposition par pays, et les développeurs
devront s'adresser ailleurs pour financer ou refinancer la dette des projets.
Les solutions de rechange, en termes de financement, comprendront alors,
très probablement, les marchés de capitaux (projects bonds) le
financement islamique et le marché bancaire régional.
Mais tout ceci ne pourra se réaliser, comme nous
croyons l'avoir démontré à travers l'exemple d'Abou Dhabi,
que si les gouvernements concernés démontrent leur
adhérence au processus de privatisation par la mise ne place et en
vigueur de structures réglementaires transparentes et de tarifs
disciplinés.
Faute de quoi, le processus sera mis en péril, et le
flot des investissements et des financements se tarira
irrémédiablement.
BIBLIOGRAPHIE
Ø The Guide To Financing International Oil and gas
projects, Milbank, Tweed, Hadley & McCloy - 1996
Ø Project Finance International Yearbook 1999
Ø Rapports Particuliers Electricité, Total
1998, Total Fina Elf 2000/2002.
Ø Middle East Economic Digest, depuis octobre 1999
Ø The Website for the Power Industry (
http://www.power-technology.com)
Ø Jordan Electricity Sector Report, janvier 2001
Ø Website de l'ambassade de Jordanie.
Ø Energy Intelligence Briefing, 18/02/2003
* 1 Guide pour le Financement
des Projets Internationaux Pétrole et Gaz, Milbank Tweed
* 2 Independent Power
Producer
* 3 Independent Power and Water
Producer
* 4 Abu Dhabi, Dubaï,
Sharjah, Ajman, Fujeirah, Ras al-Khaimah et Umm al-Qwain.
* 5 MEED, Special Report Abu
Dhabi, 20/02/1998
* 6 pour 710 mégawatts
(MW) et 50 millions de gallons impériaux par jour (MIGD)
* 7 jusqu'à ce moment, on
considérait que pour la région une durée de 12 ans
était extrêmement ambitieuse.
* 8 tel qu'envisagé
à l'origine dans ce cas : tous les fonds de la
société sont régulièrement reversés
prioritairement à l'organisme prêteur. La distribution
éventuelle de dividendes ne se fait qu'ensuite. Les besoins en fonds de
roulement font donc l'objet de financements séparés.
* 9 Siemens/Hanjung .
* 10 en fait, une filiale de
CMS créée de toute pièce à cet effet, afin de
maximiser le taux de retour des Américains.
* 11 C'est-à-dire
380.000 tonnes d'eau par jour !
* 12 « back ended
equity » : ce système ne peut être adopté
que si les actionnaires ont un très fort crédit.
* 13 compte de mise en main
tierce
* 14 Barclays Capital,
Citibank, Bank of Tokyo-Mitsubishi, Kreditanstalt fur Wiederaufbau, Royal Bank
of Scotland, National Bank of Abu Dhabi, Abu Dhabi Investment Company,
Crédit Lyonnais, HSBC Investment Bank, Sumitomo Mitsui, Abu Dhabi
Islamic Bank.
* 15 M.E.E.D, Octobre 2000
* 16 par ABN Amro,
Crédit Lyonnais, Royal Bank of Scotland, etc.
* 17 Exxon Mobil, Shell,
TotalFinaElf, etc.
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